la fée du mané-er-hroech

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La Fée du Mané-Er-Hroech ... Vers la pointe de Kerpenhir, passe le petit bourg de Locmariaquer, sur l’étroite route menant à Notre Dame de Kerdo, il existe un tumulus, vestige d’une très ancienne sépulture.. Une sépulture d’avant la mémoire des hommes... à supposer qu’ils en aient une. L’endroit est nommé Mané-er-Hroech, « La butte de la femme ».

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Page 1: La Fée du Mané-Er-Hroech

La Fée du Mané-Er-Hroech ...

Vers la pointe de Kerpenhir, passe le petit bourg de Locmariaquer, sur l’étroite route menant à Notre Dame de Kerdo, il existe un tumulus, vestige d’une très ancienne sépulture.. Une sépulture d’avant la mémoire des hommes... à supposer qu’ils en aient une. L’endroit est nommé Mané-er-Hroech, « La butte de la femme ».

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Certains récits relatent que Jules César, lui-même, s’y serait tenu, droit sur son cheval, accompagné de ses généraux. De ce promontoire dominant Ar Mor Braz, à l’époque arasé par les coups de vent, l’empereur aurait assisté à la défaites des navires Vénètes opposés à la puissante flotte romaine. Ce jour-là Kornog, le vent d’ouest avait trahi les siens.

Mais il est une autre version à cette accumulation de pierres. Une histoire bien plus vraisemblable, sans le moindre doute...

Si certains peuvent lire l’avenir dans les lignes de la main, le passé lui, se lit au travers des rides que porte le visage.

Annwenn était une femme que la vie n’avait en rien épargnée. Plus que sa jeunesse envolée, la profondeur de ses traits révélait les dures épreuves. Ainsi était le destin des femmes de marins. Au cours des années, combien de fois avait-elle vu partir son homme, capitaine !...

Et puis un soir, un soir qu’elle trouvait le temps trop long, elle entreprit de cocher les jours, elle cocha les semaines, les mois... en vain. Jamais plus elle n’eut de nouvelles de lui, pas plus qu’elle n’en reçut de son trois mâts...

Plus tard, les uns après les autres, elle vit partir ses fils, tous marins...

Quel terrible sort ! D’entre eux, seul le plus jeune était revenu de ces courses lointaines. Les autres infortunés avaient disparu en mer sans laisser aucune trace d’un probable naufrage.

Aussi au retour d’un long voyage, Annwenn osa une requête à son cadet. Elle lui demanda de renoncer à cette vie de marin si incertaine, si périlleuse, dont elle craignait qu’elle finisse par leur être fatale à tous deux. Qu’enfin sur ces vieux jours la vieille femme connaisse une sérénité bien méritée. Le jeune homme pour apaiser sa mère n’eut pas l’âme à refuser. Il demanda juste de pouvoir s’embarquer une dernière fois. À contrecœur, Annwenn accepta.

Oh, il ne s’agissait pas d’un long voyage. Juste rejoindre la mer d’Iroise, gagner la Manche pour rallier Dunkerque. Là-bas y acheminer une cargaison de sel... et de revenir.

... Revenir...

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Un matin donc, le temps était beau et clair, le jeune matelot embrassa sa vieille mère. Il l’embrassa comme s’il se rendait à la foire d’Auray à trois lieus d’ici. En ce temps-là, on n’était guère expansif dans les familles. On se gardait bien de montrer ses sentiments. Balançant son grand sac de toile par-dessus l’épaule, le fils s’engagea sur le chemin de douanier rejoindre l’équipage avec lequel il prendrait la mer avant peu.

Annwenn se souvient. Elle passa la fin du jour à regarder, s’éloigner la goélette, le cœur serré. Le soir venu, elle s’en retourna au bourg en pleurant.

Passèrent les jours, passèrent les semaines...

Annwenn demeurait sans aune nouvelle et son chagrin grandissait avec l’inquiétude. Elle savait l’automne bien entamé. Bientôt les tempêtes se succéderaient les unes aux autres annonçant les prémices d’un hiver rigoureux pour qui serait en mer. Chaque après-

midi, elle s’empressait, trottinant jusqu’ à la pointe de Kerpenhir. Là-bas, à l’entrée du golfe, son regard bleu-gris interrogeait l’horizon. Et chaque fois, l’horizon s’offrait à elle sans autres voiles à lui soumettre que celles des sardiniers isolés sur Mor Braz.

Au crépuscule, soumise à un profond désespoir, Annwenn regagnait le bourg pleurant

comme une madeleine. Elle pleurait tant et tant que les larmes salées ruisselaient de ses

joues, elles coulaient en petits ruisseaux, inondaient le bas-côté du chemin saturant le

fossé... le fossé débordait s’écoulait vers la mer. Un soir qu’elle pataugeait, sur le retour, dans un flot de ses propres larmes, elle se heurte à une femme. Le bas de sa robe traînant

dans l’eau, elle interpelle Annwenn.

- Petite mère, ne trouves-tu pas qu’il pleuve assez dans nos régions pour en rajouter comme tu le fais ? Ta peine est-elle si grande qu’il faille verser tant de larmes ?

- Je suis si malheureuse.... Mon fils cadet, le seul qu’il me reste est parti en mer. Je demeure sans nouvelle de lui depuis son départ et je suis tourmentée par l’idée qu’il ne revienne jamais. Juste attendre que vienne bringuebaler Karrig An Ankou, « la charrette du

passeur » devant ma porte ?

- Ce n’est que cela, Rien de plus ? Allons la vieille, tu n’as plus rien à craindre, je vais t’aider à mettre un terme à ton inquiétude.

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Mystérieuse, la femme s’enfonça dans la pénombre du crépuscule. En quelques pas, elle gagnait un terrain surélevé. De sous son manteau, elle sortit une lanterne, puis comme elle

claquait des doigts... d’étranges lucioles semblèrent tomber du ciel pour y prendre domicile ;

Une pale lueur rayonnait soudain laissant les ombres s’étirer dans le soir. La femme ouvrit alors les bras et tel un ballet silencieux, elle tourna sur elle-même avec une grâce et une

légèreté aérienne. Elle semblait vouloir dessiner un tourbillon dans le ciel.

Ainsi, sous le regard subjugué d’Annwenn, des pierres jusqu’alors invisibles, commencèrent à s’élever du sol dans un imperceptible mouvement de tournoiement, tandis

que d’autres semblaient venir d’ailleurs par la voie des airs. La femme tournait sur elle-

même et dans la spirale de son corps, elle emportait des pierres de plus en plus nombreuses.

Les premières se déposèrent en un large cercle, les suivantes se superposaient dans un

tourbillon surnaturel les unes aux autres, méthodiquement, comme ordonnées par un

architecte invisible. Peu à peu se formait un tertre au centre duquel la fée disparaissait la

fée disparaissait au fur et à mesure que la butte s’érigeait au-dessus d’elle. Elle finit par disparaître, totalement recouverte. Les pierres terminaient de s’assembler... s’assembler jusqu’à ce que la dernière fut posée.

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Ce fut tout. Le calme régnait de nouveau.

Annwenn restait sans voix. La fée réapparut par une petite ouverture laissée à la base

sur le côté.

- Quelle est cette diablerie ? vous êtes sorcière et fricotez avec le Cornu, s’émut la pauvre vieille recouvrant ses esprits.

- Peu imposte qui je suis, la vieille. Monte sur ce tertre sans aucune crainte. Ce que tu

verras t’apportera peut-être le réconfort que tu cherches.

- Dame !!! Il n’en est pas question, se rebella Annwenn.

- Monte donc, te dis-je !

La fée agrippa la main osseuse de la pauvre vieille affolée et avec ménagement, la força à

grimper sur le tumulus. La malheureuse eut le sentiment d’être entraînée aux portes de l’enfer...

Je ne veux pas, je ne veux pas geignait-elle misérable et ratatinée.

À chaque pas qu’elle faisait, elle se signait, espérant ainsi conjurer le sort... Elle

marmonnait de vaines paroles de pardon. Rien n’y fit... Tant bien que mal, elle finit par atteindre le sommet.

- Allons, ce n’était pas si terrible ! Te voilà arrivée, la vieille. Maintenant regarde au loin.

N’aie pas peur ! - Je ne veux pas ... je ne veux pas regarder. Et de toute manière, il fait nuit noire. Que

pourrais-je bien voir, se lamentait la pauvre Annwenn, les mains couvrant son visage.

- Aie confiance... ouvre tes yeux et regarde, insista la fée douceur.

Alors la petite bonne femme toute tremblante, la tête dans les épaules, écarta lentement

les doigts d’une main, elle entrouvrit un œil... et malgré qu’il ait fait nuit... malgré qu’il ait fait nuit, elle vit...

Page 6: La Fée du Mané-Er-Hroech

Elle vit l’océan comme elle ne l’avait jamais vu. Elle, Annwenn, qui n’avait jamais été plus loin que la pointe de Kerpenhir. Elle vit le vaste océan et au-delà, tout au bout du

monde, la mer d’Iroise sauvage et blanche d’écume. Sentant le vent du large balayer ses

cheveux blancs, elle vit les goélands dorés dans le couchant. Et puis au loin, une voile, une

voile pourpre. Son cœur se mit à battre très fort dans sa poitrine... ses mains glissèrent doucement de son visage éclairé. La goélette fendait les flots, sur le pont, elle distinguait

l’équipage s’activer aux manœuvres et son jeune fils en était, plein de vie.

Elle n’en croyait pas ses yeux mouillés de larmes, larmes de joie. Mais elle voyait plus

loin encore, et plus loin, il y avait deux grands voiliers. Ils filaient toutes voiles dehors,

fiers sous le ciel azur. Après tant d’années, comment cela se pouvait-il ? Elle frottait ses

yeux humides, incrédules. Sur le premier navire, son homme, capitaine, était à la barre

tandis que sur le second, ses deux fils bordant les voiles pour revenir au port.

S’approchant d’Annwenn, la fée souffla à son oreille :

- De l’autre côté des mers, il est des terres mystérieuses où les navires des hommes

s’échouent par mégarde. Il peut arriver que jamais la mer ne vienne libérer ces épaves ensablées. Et les équipages de rester prisonniers. Tu as versé tant de larmes d’Annwenn Le

Rouzic. Ces larmes sont devenues lames, elles ont traversé les mers, elles ont submergés par

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vagues successives les grèves traitresses qui retenaient ceux que tu croyais perdus. Vois

aujourd’hui, ils te reviennent.

Bouleversée, Annwenn était secouée par de profonds sanglots qu’elle tentait en vain de retenir et comme elle se retournait pour remercier la bonne fée, à son côté, il n’y avait plus personne. Elle restait seule dans la nuit, seule à contempler l’horizon du Mané-er-

Hroech, « La butte de la femme »

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