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la disparition d'un estuaire. L'invasion marine du commencement du se siécle creusa, au dire des historiens, les estuaires de la côte flamande. Parmi ceux-ci il faut ranger le Zwin qui, au temps jadis, occupa les deux tiers du territoire total de la commune de Knocke. Le mot Zwin, est un nom commun ou appellatif signa nt un cours d'eau creusé par la nature; de nos jours, ils est encore fréquemment employé par les habitants de la plaine maritime, qui, dans la pronon- ciation, donnent à 1'i un son doux; il faudrait donc éc rire zwyn. Le lon g du Littoral on rencontre maint cours d'eau qui porte le nom de zwin , le Scharnelweeze- zwin entre Nieuwmunster et Vlisse ghem. et son prolan· gement le Seghers Ruyen-zwin, entre Houtave et Stal- hille, -le Binne-Zwin, entre Oudenburg, Plasschendale l. Sou•cu. l.a ['landre Le Zwin. paee 191. - GotLIOOTS·V. MI SEVU!II. Inventaire du Arcluvu de la "ille de Uruges.lnlroducllnn p. 306. 1111le l. - Eo. JOhCKHfE"E. L'ongu1e de la c61e de flandre. L. HJ•n e Bru ReS. 1903. - A. Dt. Hooll. {1\cmoire >Ur , .. Polders de 1• IIVt e•uchc de l'Escaut et <lu f.lttoral Btlfc. ( 11\érnoire couronné plr l'Ataclo!onie 1651) p. 23. - G. P. Roos. Beknopl guchlcd· en Zetuwsch· Vloandcrtll Weslelijk deel, Ooslburg, Branswyck. 1876. au rn ol Zwin.

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Page 1: la disparition d'un estuaire. - VLIZ · la disparition d'un estuaire. L'invasion marine du commencement du se siécle creusa, au dire des historiens, les estuaires de la côte flamande

la disparition d'un estuaire.

L'invasion marine du commencement du se siécle creusa, au dire des historiens, les estuaires de la côte flamande. Parmi ceux-ci il faut ranger le Zwin qui, au temps jadis, occupa les deux tiers du territoire total de la commune de Knocke.

Le mot Zwin, est un nom commun ou appellatif désignant un cours d'eau creusé par la nature; de nos jours, ils est encore fréquemment employé par les habitants de la plaine maritime, qui, dans la pronon­ciation, donnent à 1'i un son doux; il faudrait donc écrire zwyn. Le long du Littoral on rencontre maint cours d'eau qui porte le nom de zwin, le Scharnelweeze­zwin entre Nieuwmunster et Vlisseghem. et son prolan· gement le Seghers Ruyen-zwin, entre Houtave et Stal­hille, -le Binne-Zwin, entre Oudenburg, Plasschendale

l . Sou•cu. RAov~ B~A~CHAR!l. l. a ['landre Le Zwin. paee 191. ~~ ~uiv . -GotLIOOTS·V.MI SEVU!II. Inventaire du Arcluvu de la "ille de Uruges.lnlroducllnn p. 306. 1111le l. - Eo. JOhCKHfE"E. L'ongu1e de l a c61e de flandre . L. LJ~ HJ•ne Bru ReS. 1903. - A. Dt. Hooll. {1\cmoire >Ur , .. Polders de 1• IIVt e•uchc de l'Escaut et <lu f.lttoral Btlfc. ( 11\érnoire couronné p l r l'Ataclo!onie ~<>yJie. 1651) p. 23. -G. P. Roos. Beknopl guchlcd· en utdrijkskundl~twootd~nbock v~n Zetuwsch· Vloandcrtll Weslelijk deel, Ooslburg, Branswyck. 1876. au rnol Zwin.

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et le pont de Stalhille, - le Wulpen-zwin qui forme le prolongement du Crom-zwin, entre Wenduyne, Uitkerke et Blankenberghe. (Voir Carte Hydrographique de la Flandre Occidentale à l'échelle l /100.000 de l'établisse­ment Ph. Vander Maelen. Bruxelles). Dans les anciens documents, ommeloopers des Wateringues de Rom­boutswerve, Reygaertsvliet, Eyensluys, les registres ter­riers des églises d'Oostkerke, de Knocke, etc., on rencontre très-souvent . au singulier Zwene (suène), au pluriel toujours Zwenen. D'après des documents du I6e siècle, qui se rapportent à Damme, on attribuait au nom zwin la signification de truie : « De Zeughe ».

Aussi au ISe siècle, sur une des poutres sculptées de l'hôtel de ville de Damme, l'artiste a remémoré le Zwin par une truie à la chair exubérante.

D'après certains auteurs, la primitive embouchure du Zwin s' ouvrait à l'est de l'île de Cadzand ; le bras de mer contournait l'ile pour se diriger sur l'Ecluse et de là sur Oostbourg et Rodenbourg; un affluent coulait de l'Écluse vers Ste Anna-ter-Muiden et formait au nord-est de cette localité un vaste lac. Les historiens qui admettent cette opinion se basent sur une carte fantaisiste de la Flandre qu'on fait remonter à l'année 1274 (1

);

l'un d'entre eux tente une hypothèse, pour le moins singulière, qu'il formule en ces termes: « il y a tout lieu de croire que le Zwin (toujours d'après la carte susdite) qui forma le célèbre port de l'Ecluse, ne fut qu'un modeste canal, peut-être moins encore (2) ». Ce canal à paru sans doute à l'inventeur de la carte trop peu important pour indiquer son cours. Etait-ce bien sur ce minime cours d'eau que les pêcheurs de Knocke et

1. Copie van de Kaart van Li even van Thuyne, von Gent. Signé J . A. Noest (au musée cartographique de l'hôtel • Ho! van Brussel • â l'Ecluse)

2. A. De HaoN. op. cil. page 23, note 2 et avant lui Reigersbcrg, Doxhorn et Smallegange, les auteurs de la Chronique de Zélande.

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d'autres localités avoisinantes jouissaient déja, en 1252, d'un privilège inscrit au règlement de navigation et de tonlieu, édicté en cette année par la Comtesse Marguerite de Constantinople et son fils Gui de Dampierre, et dont voici les termes : « Les pêcheurs fixés à l'embouchure du Zwin, à chaque importation, payent à l'Ecluse un gros de Flandre, quelque soit la quantité de poisson capturé. Ce sont les pêcheurs de Reygersvliet, Nieuwer­sluis, Knocke, Cadzand et Coxyde ('). ~

Les eaux du lac intérieur, d'après l'historien Roos, finirent par se déverser dans la Mer du Nord, à la suite d'un évènement sur lequel il garde le silence. JI place à J'année 1377, la naissance de l'embranchement auquel il donne le nom de nouveau Zwin e).

Sans nier l'existence du cours de la Suène à l'est de Cadzand, nous sommes d'avis qu'il faut placer l'entrée de l'estuaire en face de Knocke.

Tenant compte du recul de la côte actuelle, nous basant sur l'étude attentive de l'hinterland et plus spé­cialement sur l'orientation des collines dunières, nous croyons pouvoir affirmer que la rive gauche de l'embou­chure du Zwin se pro1ilait à proximité de l'hôtel du Zou te. L'estuaire s'étendait jusqu 'aux collines actuelles de Cadzand.

Sans doute il est impossible d'affirmer si cette vaste étendue de la côte fut envahie par les flots au même moment ou à des époques séparées relativement rap­prochées. Il est probable cependant que l'invasion fut simultanée, car la plaine maritime, de Dunkerque aux rives de l'Escaut, est d'une altitude uniforme de un, deux à trois mètres sous la marée haute de vives eaux, sans relèvements continus et naturels dans J'intervalle.

J. Voir plus haut : Knocke, bourgade de p~ch~urs, p. Il 2. G. P. Roos. op. cil. p. 185.

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Les invasions journalières de l'Océan, sous l'impulsion des vents S-W à N-W, ont creusé le lit du bras de mer vers le chenal occidental.

Les embranchements comme le Reygaertsvliet, remé­moré en 1280, et d'autres, moins importants, ont été formés à la longue par l'évacuation quotidienne des eaux de marée. Sur une échelle plus modeste nous voyons encore de nos jours se creuser de la même façon les rigoles au bassin du Zwin, après que la mer est venu le remplir aux grandes marées.

Revenons à l'opinion des auteurs de la Chronique Zélandaise et de ceux qui l'ont admise après eux.

Puisque les rives du Zwin ne sont limités que par des digues artificielles, couvrant des terres à un niveau inférieur à la marée haute, les données de la science qui militent en faveur de la simultanéité de l'invasion marine du Se siècle, refutent l'assertion des historiens prénommés. Bien plus, si dès l'origine des digues construites par les Frisons, ceux-ci étaient parvenus à enserrer le bras de mer en un cours étroit, le cours plus large que ces mêmes auteurs, d'accord avec l'histoire postérieure admettent, n'aurait plus su se produire. Du reste cette opinion hasardée n'est-elle point contredite par la situation topographiques des villages pêcheurs, Reygaertsvliet, Knocke, Nieuwersluus, Cadzand, Coxyde qui, parce que situés aux rives de la Suène, jouissaient, dès l'année 1252, d'un privilège princier? En effet Reygaertsvliet en amont et Knocke en aval sur la rive gauche, les trois autres localités sur la rive droite jalonnent déjà à cette date la largeur du bras de mer. Ajoutons que les massifs duniers, irréfutable documents matériels de l'histoire du Zwin, qui en bornent le chenal occidental et le chenal oriental ou le Zwartegat, démontrent par leur importance respective que la Suène

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que nous appelerons Knockoise, a été toujours le bras principal.

Tandis que sur les eaux du vaste estuaire règnait la plus profonde solitude, uniquement troublée par le bruissement des flots et le sifflement des vents, la nature conduite par la main de la Providence, opérait son secret travail. Elle préparait les fertiles cultures poldériennes, soustraites plus tard à l'influence de la marée, elle creusait le lit de la Suène pour former le célèbre port de la Venise du Nord.

Comment disparut le vaste estuaire dont l'existence ne fut qu'éphémère, dont seul aujourd'hui le nom évoque le souvenir? Peu à peu il s'est envasé. Les mêmes causes qui ont contribué à sa formation, ont opéré sa disparition. La marée, deux fois par jour, fournissait son apport de sable ou d'argile que le jusant fut impuissant à refouler vers l'Océan. Le lit du bras de mer retréci en plusieurs endroits par les endiguements successifs, c'est comblé petit à petit. Déjà en 1282, l'estran devant Mude est endigué jusqu'au Maneschijnpolder inclus ; -de l'autre côté de l'estuaire, Ter Hofstede, en Cadzand, est remé­moré dans la Chronique de Melis Stoke (1), - le vieux Polder du Hazegras existe en 1304 (2), - les polders de Vagevier, de Buts et de Volcaertsgote sont mentionnés dans un document du 14 mai 1428 (3).

On peut donc affirmer que vers la fin du 15• siècle, l'estuaire primitif du Zwin, par suite des apports allu­viaux constantes et des endiguements, s'était considé­rablement rétréci ; toutefois un lit, large encore et profond, restait le domaine de l'Océan. En 1468, une seule marée amena à l'Ecluse cent cinquante vais-

1. R. BLANCHARD, op. cil. p. 196. 2. L. 0JLLJODTS VAN StVEREN, op. cil, Introduction, p, 444. 3. Acte d'Grrentemenl de cette date. Cfr. plus loin : le HaHg ras.

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seaux, chargés de marchandises; en 1570, la flotte de Medina Cœli trouva un abri dans Je lit du l'estuaire; en 1603, les galères de Frédéric Spinola s'y aventurèrent et y furent coulées (1); même un historien du pays affirme qu'au 16e siècle, le bras de mer conservait à la hauteur de Ste Anne et de l'Ecluse une largeur de 1700 mètres (2). Enfin la disparition quasi complète du bras de mer s'opéra au 18e siècle. Déjà les relations com­merciales par le Zwin avaient cessé en 1648, à la suite du traité de Munster (3). L'agriculture s'emparait gradu­ellement des restes de l'estuaire. Le grand polder du Hazegras et celui du Zoute sont endigués en 1784 et 1787. Le Willem-Léopold polder, dont une partie ressort à la commune de Knocke, estcréé en 1872 (4). Le Zwin, en 1830, n'avait plus que huit kilomètres de longueur, et on Je traversait à marée basse devant le Hazegras (5).

En 1831, une canonnière hollandaise vint s'y embosser pour bombarder l'écluse belge du Hazegras ; à proxi­mité de cette écluse, en 1832, fut construit le fort Léopold, démantelé en 1839, En 1860 le Zwinpolder combla encore une notable partie de l'estuaire. Il restait un schorre, l'île van Damme, entouré de deux petits bras qui furent absorbés dans le Willem-Léopold polder en 1872 (6). Efin en 1906, il n'existe plus qu'une petite crique, longue d'un kilomètre, perdue dans un vaste schorre grisâtre ou paissent les moutons; à marée haute quel­ques rares barquettes de pêche s'y aventurent encore e).

t. R. BLANCIIAl!D, op. cil. Le Zwin passim, 2. O. P. Roos. op. cil. p. 183. 3. J.O. ANDRr~s. Recherches historiques sur les voies d'écoulement des eaux des

Fla nd res. Bruges, de Pachtere. 1838. p. 15 et 32. 4. Voir plus haut: Knocke, commune agricole. p. 19. J. Scu~Ait\iiE. Des Polders.

op. cit. p. 262. 5. J. 0. ANDRIES. Op. cl!. p. 32. 6. R. BLANCHARD, op. cit. 1798 7. SToJsv.Exurslon dans les environs de Knocke·sur·mer. 2• édition. L. Dr PLANCI(E.

Bruges.

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En 1872, la barrière fut définitivement établie entre l'embouchure du Zwin et la plaine maritime par la construction de la Digue Internationale, formant trait d'union entre les digues Belges et Zélandaises. Elle commence près du « Zwart Huis », la maison des garde-dunes, traverse la ligne frontière et rejoint immé­diatement la digue qui longe le Canal de Cadzand, un peu au nord du village de Retranchement; sa longueur est d'environ 1500 mètres. La fermeture offrit même des péripéties émouvantes. C'était la nuit du 9 novem­bre 1872. Il s'agissait de terminer les travaux, poursuivis des deux côtés à la fois, et de boucher le trou avant le retour de la marée. Une tempête se déclara juste au moment décisif; l'opération se fit à la lueur des éclairs par une armée de travailleurs, acharnés à repousser la furieuse attaque des flots, Il fallait un effort prodigieux pour triompher C).

Depuis cette nuit mémorable, le Zwin est définitive­ment supprimé. Et la dune, aidée par la main des hommes, projette le long de l'estran, à l'ancienne entrée du bras de mer, un rameau qui, à bref délai formerait une barrière parallèle à la Digue Internationale, si Je Gouvernement Hollandais, pour préserver les dunes de Cadzand, n'avait donné ordre de tenir ouverte la partie de J'embouchure qui se trouve sur le territoire néerlandais.

Ce qui reste de l'estuaire offre un aspect maritime unique sur le côte belge. Quand on s'aventure, à marée basse, jusqu'au centre du vaste bassin et qu'on tourne le dos à la mer, le spectacle est impressionnant : le désert de sable qui est là, en face, parait énorme, sans limites. Le touriste non averti ne peut se douter que cette plaine aride s'égaye rapidement d'eau et de verdure, et que non loin de là, vue de la Digue Internationale,

1. JeAN o"ARDENse. Le Littoral de la Flandre. p. 329.

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elle offre au mois d'aoOt l'aspect d'un immense et somptueux tapis du mauve le plus délicat. A la marée haute, quand on s'arrête au bout de la dune en formation qui sépare le bassin de l'estuaire de la mer montante, on est pris d'un saisissement indéfinissable : de tous les côtés c'est l'immensité, et de la mer, et de l'horizon : l'Océan sans bornes faisant entendre le sourd mugisse­ment de ses flots qui viennent expirer sur la grève aux pieds du spectateur, ... les eaux paisibles du lac dormant au dessus duquel voltige une nuée de blanches mouettes à la recherche de leur pâture, ... au dessus de la Digue Internationale d'une horizontalité parfaite comme celle de la nappe liquide qui mouille ses pieds, le ciel illimité où, comme les décors mouvants du théâtre de la nature, flottent les nuages aux cîmes arrondies d'une blancheur de neige, tandis que, par délà la digue, se profilent les tours trapues de Ste Anne et de l'Ecluse, la flêche élancée de l'église de Westcappelle, les moulins et la tourelle de Retranchement, et dans le lointain paysage la ligne interminable des arbres qui se dressent aux bords du canal de Damme. Le spectateur ne s'arrache pas sans regret à cette vision impressionante que de temps en temps une distraction charmante vient troubler, causée par le mouvement aux dunes de Cadzand des teintes flottantes que dessinent les éclairs du soleil, perçant les nuages.

En déça de l'ouverture du Zwin, se forment sur l'estran, jour par jour, des mamelons et des vallons duniers nouveaux. Un regard attentif donne au touriste une parfaite intuition de la façon dont se sont constitués autrefois les massifs et les pannes qui les séparent. En quelques années, une jeune chaîne dunière où les collines et les vallées s'alterneront, viendra se souder à celle qui existe en cet endroit; sur le territoire belge, l'alignement

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de la dune en formation est déja tracé au moyen d'une haie de branches entrelacées d'argousiers, fixées au sable de la grève.

Le bassin du Zwin, tantôt rempli d'eau saline, tantôt désseché, possède sa flore spéciale, propre aux terrains salifères, aux schorres à végétation haute. Nous nom­mons, la salicorne herbacée, ou salade de mer, plante comestible que les riverains viennent cueillir, - la glaux maritime, très-répandue à la lisière des dunes qui forment la limite du bassin du côté de la mer, - l'armoise maritime, croissant aux bords des rigoles, très-utilisée au pays à la préparation d'une tisane fébrifuge, -l'armeria ou le gazon d'Olympe, cultivé dans les jardins, - le statice des limons, l'immortelle du Zwin, à la fleur mauve ou pourprée, tant recherchée par les touristes.

• Le Zwin dramatise toute la région. Bien qu'il s'en soit retiré depuis plusieurs siècles, il n'y est toujours question que de lui. C'est contre lui que se dressaient toutes ces digues qui font encore de cette contrée un vaste retranchement. C'est à cause de lui et tout près de lui que s'élevaient les forts militaires dont les derniers restes ne frappent même plus le passant. Il apporta, puis reprit partout avec lui la richesse et la vie » (').

1. Stolsy. op. dt. p. 6.

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Le Hazegras (~)·

La plus grande partie du vaste estuaire, auquel nous venons de consacrer les pages précédentes, est occupée à l'époque actuelle par le territoire du Hazegras.

La signification du nom c Hazegras » parait claire, mais son origine reste douteuse. Dans les documents, il se présente sous les formes qui suivent : Hasegherse, - Asegerse, - Hazegheers, - Hazegarsse, - Aese~

gaete, - Hasegate, - Hasegars (2). Le plus ancien texte où Je nom « Hazegras » est

mentionné, se trouve inscrit au compte de la ville de Bruges, de J'année 1304. Nous le traduisons : « Aux directeurs des travaux qui, le lundi de Pâques, se trans-

1. DocuMeNTS. Les nos 4m et 3278. de la suie des acqul1itions aux Arthlvu de I'Et~t. ~ Bruges tontltnnent des documents qui ont nppori au Haze~:ras. - Carte topographique du Hatrtras, dres$te par les arpenteurs juro!a du Franc. Verplancke et Jacq. l.ootyns en 1715 (no 1391, Archives de l'Etat à Oand). - Plan du terrain dit 1• hucgars au village de Cnoc!le, sign~ par J Laurens en révrier i784, Copie d'aprh une prtctdente carte de 17/iS, (no 114 aux Archives de l'~lal A Bruees).­M~rnotre en cause du Polder du Kuegras contre l'Etat Belge. 11\allnes. L. ct A. Oodrnne. t!JO.t. - Note d'Au<Jience '"' cauJt et en laveur dt l'Etat Btlt:t contre le Polder du Haztgru et le Zou te Polder. Tribunat de te ln$hnce de Urugu, audiences des 16, 17 mai. 14, 15 et 28 juin 1904. Gand. Sllftt. - Mémoire pour le fiUtiras Polder et te Zou le Polder, Intimés, contre t'Etal Bet~:e. appetanL Oand, A. Vandewethe, 1907. - O. P. Rous. Beknopt guchitd· eu aardrljkskundlg woordenboek na Zeeuwsch-VIaandertns wutetijk deel. Bronawijck. Ooslburc. 1874.

2. Noua croyona pouvoir traduire te nom HuEous par Ptt AUx Lo!vus. HAUOJitRn. AstoHuse. (Compte de la vitte de Bruie& 1304. - Voir L. Ollllodb·van Severen. Chartes de la ville de Bru gu. lntroducUon p. 444 et445. - HuroNI!ctas (acte d'arren. ternent du 14 mol 1428, dana le tule.- Hueouua (compte de Knotke 1628·29 : tnleuw• lori ten huegarsu). Aes•ouu (compte de Knocke 1632·33 : $torre tcn AUti:atlt). HAseo•n (Compte de Knocke 1632·33 : tfort leo liaaej1ale).

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portèrent (à Knocke), au sujet du dicage du polder au Asegherse, payé pour dépense XLX sc. - Payé à Hugheman, fils d'Hannekin, et à ses terrassiers pour l'endiguement du polder au Hazegherse, vers le St-Jean, CL livres- payé de même pour réparation à la même digue XXXI liv. XIII s. )> ('). Ce texte nous permet de conclure qu'au 14• siècle existait à Knocke un polder portant le nom de Hazegras.

Essayons de déterminer, à la lumière des documents, ce qu'était, au cours des temps, cette section de la pa­roisse et indiquons en même temps les changements que le travail intelligent de l'homme et les lois inéluc­tables de la nature lui ont fait subir.

* * * Dans un acte d'arrentement du 14 mai 1428, cette

section de la commune est désignée sous le nom de « scor appelé Hazegheers, non dicqué ». Voici, suivant le document, les limites de ce terrain d'alluvion : situé au nord de la ville de Mue (Ste-Anna-ter-Muyden), il est limité à l'est par un schorre appartenant à Madame de Ghistelles, {les deux schorres sont séparés par les cours du Reygaertsvliet), de là, il s'étend vers l'est, au loin, devant les digues du nouveau polder, se dirigeant le long des polders Vagevier, Bonds Bunts (Buts) et Vol­caertsgote (actuellement la Wateringue de Volkaertsgote) jusqu'au bout du Papenpolder, propriété de la cure de Ste-Catherine à Knocke, qui forme la limite au sud-est, de là il va jusqu'à la mer qui en marque la limite septentrionale.

1. Voir: Ollliodls-van Severen. Chartes de la ville de Bruges. Introduction p. 444. • Smaenda~:hes ln die paesgheda~:he den meesters die voeren tedoen d i ken den poire ten Asegerse, van terlngen, XLV sc. (Compte de la ville de Bruges 1304. A. to 19 vo. - Hughemanne f. Hannekln ende alnen meenters van den poire ton Hasegherse te dlkene, omirent S. Jansmene, CL lib. -Item van den sel ven dlke te vermakene. XXXI lib. (id. c. to 36).

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Le Schorre du Hazegras, ainsi délimité, fut donné et baillé à cens et rente héritabte et perpétuelle à Jean de Baenst, bailli de l'Ecluse, par Gautier Poulain, receveur général de Flandre et d'Artois, pour et au nom du Duc de Bourgogne, au prix de vingt-quatre livres parisis, monnaie de Flandre, par an. Antérieurement, il avait été affermé au même prix à Pierre Enin, dont le bail expirait à ta St-Martin d'hiver (11 nov.) 1428 (1).

Le 23 avril 1547, Charles-Quint accorda aux héritiers de Jean de Baenst un octroi d'endiguage du schorre prénommé. L'analyse de ce document nous apprend que te terrain avait pour lors une étendue de 428 mesures 1 line 60 verges dont 300 mesures revenaient à Jeanne de Halewyn, veuve de Josse vander Gracht, seigneur d'Axelles, et 128 mesures, 1 l. 60 v. à la veuve et aux héritiers de Georges Teerlinck. Nous ignorons à quelle date l'octroi d'endiguement reçut son exécution; une pièce de 1641 indique la longueur des digues qui enserraient le Polder du Vieux Hazegras : celles de la première partie avaient une étendue de 786 verges, celle de la seconde une longueur de 406 verges (2).

Une carte du Hazegras, dressée en 1755, renseigne qu'à la suite de la construction de la Digue St Paul, exécutée par ordre de Sa Majesté en 1627, Je terrain précédemment endigué se développa jusqu'à une con­tenance de 609 mesures 294 verges. Une note inscrite à la même carte, relative à cette propriété, porte cette indication : (( Poldre Hasegars, défriché en 1627, au duc seul » (c'est-à-dire : au duc de Croy et Solré. etc., Maréchal de France et Gouverneur des villes de Calais et Condé). Une inscription à un plan terrier de 1715

l. Voir aux documents : Note d'audience etc. où le document complet ut Inséré page 4.

2. Nole d'audience, citée plus haut p. 5. 6 cl 7.

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complète cette indication de la façon suivante : « une grande étendue de terrain, endigué à la suite du creuse­ment du Canal St Paul en l'année 1627, situé entre le même canal et les grandes dunes au nord, la Digue du Comte Jean, au sud, se développant du fort Isabelle vers l'ouest, jusqu'au cimetière de Knocke :.. Ces précédentes annotations peuvent servir à identifier l'em­placement du Polder du Vieux Hazegras. Il enveloppait dans son périmètre les terres gisant entre la Digue St Paul et celle du Comte Jean, la section du Kalf, le Mager­schorre, une partie de I'Oosthouck s'étendant jusqu'à la haute crête dunière qui délimite le territoire du Zoute actuel à sa lisière méridionale et se développait vers l'ouest jusqu'à l'avenue Lippens moderne.

* * * A mesure que la mer accumulait ses sédiments et comblait l'estuaire du Zwin, des schorres nouveaux se formaient et le Hazegras reculait ses limites vers le nord et vers l'est.

Les documents nous retracent les phases diverses des accroissements successifs. D'après l'octroi accordé, en 154 7, par l'Empereur, le schorre avait une étendue de 428 mesures, - en 1755 cette étendue est de 609 me­sures, - le plan terrier de 1714, d'après les mesurages faits à cette date, donne au Hazegras une contenance de 1983 mesures, 1 line 76 verges, qui se subdivisent de la façon suivante:

a) Canal St Paul, 8 mes. b) Terre de labour, appelée « Gouverneurs Sticq ~.

formée par le déplacement de la Digue du Comte Jean, à proximité du fort Isabelle démoli. 4 m. 2 1. 50 v.

c) Partie de schorre où se trouve le fort dévalisé de Ste Thérèse, gisant entre l'ancien Reygaertsvliet et le Chenal du Zwin. 38 m. 2 1. 37 v.

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d) Grand schorre en forme de triangle, situé au nord du canal St Paul à l'ouest du Sluysvliet (embranchement du Zwin) 236 m.

e) Au nord de la partie précédente, autre schorre d'une étendue de 392 m. 2 1. 23 v.

f) Au nord de cette dernière partie, des alluvions, non encore couvertes d'herbe, se développant jusqu'au chenal ou bassin du Zwin. 140 m. 2 1. 88 v.

g) Terrain gisant entre la Digue du Comte Jean et celle de St Paul se développant jusqu'au village de Knocke, dont une partie endiguée par le creusement du Canal St Paul, une autre formée de petites dunes et de mamelons. 609 m. 2 1. 94 v.

h) Au nord-est de la partie précédente, dunes et pannes. 290 m. 2 1. 31 v.

i) Au nord de ces dunes et pannes, une chaîne de collines formant la crête qui s'échelonne à la lisière méridionale du Zoute actuel. En cette partie se trouve le fort St Paul. 261 m. 1 1. 53 v.

* * * Le Duc Emmanuël de Cray, ayant acquis les schorres du Hazegras, gisant au nord du Canal St Paul, demanda, en 1764, au Gouvernement l'autorisation d'en endiguer la plus grande partie. La requête après avoir donné occasion à une longue procédure, obtint de l'Empereur Joseph II les lettres patentes d'octroi, le 5 septembre 1782. Nous en copions le préambule : « Joseph, par la grâce de Dieu, Empereur des Romains, toujours auguste, à tous ceux qui ces présentes verront, salut. Reçu avons l'humble supplication et requête de notre très-cher et féal cousin, le Duc Emmanuël de Croy et de ses coïn­téressés, contenant qu'au bout d'un poldre de six cent dix neuf mesures qui lui appartient, situé au territoire de Knocke, il se trouve un schorre, nommé le Schorre

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de Hazegras, qui contient environ deux mille mesures, dans lesquelles il y a déjà six cent en herbes, qui sont en état d'être diguées et mises en poldre, chose qui surement seroit de l'avantage du bien public, parceque cette digue conservera de plus en plus le pays contre la mer et qu'il est de l'intérêt général de ne pas laisser de bonnes terres incultes ... , avons octroyé, permis et accordé ... , qu'il puisse diguer et mettre en culture la plus grande partie qu'il pourra du dit Schorre de Hazegras, situé au territoire de Knocke à l'extrémité du Franc de Bruges ».

Un projet d'alignement des futures digues du poldre avait déja été élaboré, en 1755, par J. Laurens, expert et arpenteur juré du Franc. Le tracé primitif fut notable­ment modifié, en février 1784, par Philippe François Lippens, un des propriétaires principaux du schorre à endiguer et Lammeire, « dykgraaf ,. du Vieux Polder du Hazegras. Ceux-ci reculèrent les limites d'abord vers l'est pour englober Je lit du Zwin jusqu'à un embran­chement nommé « la crique de Ste Anne », ensuite vers le nord pour se rapprocher d'une large rigole qui portait le nom de « Crique du marché aux chevaux ».

Toutefois, au moment définitif de l'endiguement ce projet subit une modification : le « zeedyck » englobait cette dernière crique et se profilait en ligne directe jusqu'à proximité du fort St Paul, au lieu de se con­tourner vers l'est jusqu'à la digue de ce nom, comme l'indiquait le tracé primitif.

A la suite de J'octroi princier, une étendue de schorres de 815 mesures 191 verges fut endiguée et livrée à la culture en 1784 : c'est le Polder du Nouveau Hazegras. Trois années plus tard, en vertu d'un nouvel octroi, accordé en forme de transaction, le 8 décembre 1786, le Duc et ses coïntéressés endiguèrent le Zoute Polder,

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d'une contenance de 673 mesures 98 verges. En 1848, les deux polders obtinrent du Gouvernement la recon­naissance juridique.

* * , Au déclin du 17e siècle, le Hazegras était devenue la

propriété du Comte de Monterey, gouverneur des Pays­Bas pour le roi d'Espagne. Celui-ci avait épousé une duchesse de Croy qui mourut sans postérité. Au décès de la princesse, les trois huitièmes du polder furent attribués à sa famille, les cinq huitièmes, partie non endiguée, reputés meubles suivant la coutume locale, tombèrent en partage à l'époux survivant. Le 2 mars 1716, par acte passé devant les échevins du Franc, le comte céda son héritage à Charles Joets et à Pierre van Overloop. Ces derniers, le 1 mars 1784, vendirent leur propriété à Philippe François Lippens, diminuée toutefois d'un seizième de la contenance totale qui revenait à Charles Walwein et à ses enfants. A la même date, les trois propriétaires du schorre, le duc de Croy, Philippe Lippens et Charles Walwein, prirent la résolution de procéder à l'endiguement d'une partie du schorre, en exécution de l'octroi accordé le 5 septembre 1782, et te 6 novembre suivant, ils firent entre eux le partage en huits lots d'égale contenance et d'égale valeur des terres comprises dans l'endiguement C).

A l'époque de la Révolution Française, la famille de Croy émigra. A la suite de la loi édictée par la Con­vention Nationale, les biens du Duc Emmanuël de Croy furent confisqués comme biens d'émigré, et attribués à la Légion d'Honneur, puis plus tard, pour une partie, mis en vente publique les 14 et 18 thermidor an 6 (les

1. Voir: Mtmolre en cause du Poldre du Hazeeru .:antre l'Etat Belge, pagu .0, 41 et 44.

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1 et 5 aoat 1798); le produit de la partie restante fut versé à la Caisse d'Amortissement (1).

Le 12 novembre 1811, le sous-préfet du Département de la Lys, envoya au maire de Knocke une missive pour lui demander des renseignements concernant les propriétaires du Polder du Hazegras et la contenance des terres qui leur appartenaient. De la réponse formulée sous forme de tableau statistique, nous extrayons les renseignements qui suivent:

Propriétaires : Philippe François Lippens, à Gand, possédant 288 m. 0 1. 5 1/2 v.

Philippe Jacques Pecsteen-Dhooge à Bruges, pos-sédant 89 m. 1 1. 95 1/2 v.

Charles Rabaut, à Bruges 3 m. 1 1. 74 v. Belpaire et de Clerck à Ostende 82 m. 11. 78 1/2 v. Eugène Piers à Gand 201 m. 2 1. 62 v. J . Vlaminck à Vivecapelle 14 m. 2 1. 50 v. Le Gouvernement, pour le fort du Hazegras, 22 m. La Généralité des propriétaires du polder 5 m. 1 1.

43 m. Jacques Rabaut à Bruges 6 m. 2 1. 44 v. Philippe van Loocke à Westcapelle 6 m. 2 1. 12 v. Augustin Wielant à Westkerke 7 m. 1 1. 64 v. Le Bureau de Bienfaisance à Westkerke 10 m. Le maire de la commune ajoute cette observation :

les marais et schorres, gisant le long et au delà du Zeedyck qui forme la ceinture du territoire endigué, appartiennent à la Généralité des propriétaires du polder. Ils s'étendent à l'est depuis la digue jusqu'au Zwin de l'Ecluse, - au nord, jusqu'à la mer,- à l'ouest jusqu'au village de Knocke. Ils ne sont considérés, ni comme terres de labour, ni comme prairies ct ne peuvent être

1. Archives de l'Etat à Bruges, Archives modernes. ~egistre des biens conlisqu~s. Arrondissement de Bruges, sub verbo Knocke.

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endigués à cause de la mauvaise qualité du terrain et de la présence de multiples rigoles que l'eau saline vient remplir chaque jour {1).

* * * En même temps qu'on procédait à l'endiguement du

nouveau polder, le Gouvernement faisait exécuter au Hazegras des travaux importants : la construction d'une écluse de décharge, d'un nouveau fort et d'un lazaret avec quai d'abordage (2).

Dans une dépêche, adressée le 17 janvier 1784 au Magistrat du Franc de Bruges par les Gouverneurs des Pays-Bas, Albert Casimir et Marie Christine, il fut or­donné « de construire pour l'écoulement des eaux du canton du Nord qui s'approche de la ville de l'Ecluse, sur le territoire de sa Majesté, une écluse de décharge à l'endroit qui sera désigné dans le dit plan, bien entendu que les propriétaires des terres du polder du Hazegras à endiguer devront contribuer dans une juste proportion dans les fraix de la construction et de l'entre­tien de cet ouvrage à raison de l'écoulement de leurs eaux qui se fera par là sur le pied à régler ci-après ».

Dans ce mandement, il est question de la construction de J'écluse du Hazegras. Une lacune dans nos documents nous laisse ignorer les détails qui se rapportent à l'exécution de cet important ouvrage hydraulique. En 1872, lorsque la communication entre la Mer du Nord et la plaine maritime fut interceptée par la construction de la Digue Internationale, l'écluse cessa de fonctionner.

« Pour la couvrir et assurer les frontières, surtout après la démolition du fort de St Donas près de la

!. Pièce separ~e. inserée dans la Matrice Cadastrale de Knocke de l'année 1808. (Archives de la Commune).

2. v•r les pièces relalivea l ces objets aux archives de \"Etat l Bruges. ActrOi5-sements no• 4229 et 3278.

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ville de l'Ecluse (1) ,., l'Autorité Militaire décida d'élever à proximité de l'écluse du Hazegras une redoute formée d'une batterie protégée par un double retranchement. Les travaux, commencés le 10 octobre 1784, furent terminés le 30 mars 1786. L'emplacement de l'ancien fort du Hazegras est indiqué sur la carte topographique, mais la construction de la digue qui sépare Je polder Godefroid de celui de Willem-Léopold en a fait dispa­raître les traces. N'oublions pas de rappeler les noms de ceux qui présidèrent à l'exécution de cet ouvrage stratégique, l'ingénieur Brunberger, membre du Corps Hydraulique, les capitaines ingénieurs de Lamy, de Berger et J. Mahieu.

Pour terminer, disons un mot du lazaret. Le 12 sep­tembre 1785, le ministre plénipotentiaire, Barbiano de Belgiojoso, adressa aux Députés des Etats de Flandre, la lettre dont le texte suit : « Les ports d'Ostende et de Nieuport n'ayant pas d'emplacement propre à établir un lazaret, pour pouvoir y prendre avec sQreté les pré­cautions requises à l'égard des vaisseaux venant du Levant, et des marchandises qui composent leur charge­ment, il a été reconnu que le bras de mer nommé le Swijn, près du Hazegras, pourrait servir à cet établisse­ment, en y construisant une redoute avec digue et quai d'abordage, dont la dépense a été évaluée à la somme de sept mille quarante-huit florins seize sols argent courant.

Leurs Altesses Royales, ayant agréé cet établissement, pour tacher d'attirer dans la Flandre, J'utile branche du Commerce du Levant, sans cependant exposer les peuples au danger d'une contagion quelconque, désirant, Messieurs, que l'Administration de la Province de

t. Extrait d'une lettre du Magistrat du Franc à Marnlx d'Opbrakel, procureur généril de Flandre, S janvier 1788.

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Flandre fasse, par provision et le plutôt qu'il sera possible, l'avance de la somme susmentionnée de fl. 7048-16-0, sur les assignations du Lieutenant-Colonel et Ingénieur de Brou, ou du Capitaine et Ingénieur Mahieu, chargés de l'exécution de cet ouvrage intéressant, laquelle exécution est à tous égards pressante ... » .

La construction du lazaret ne s'exécuta point sans des difficultés sérieuses, suscitées par les ouvriers terrassiers. Pour l'exécution de ce projet en même temps que des travaux précédents, les Etats de Flandre firent appel aux Administrations des paroisses qui s'obligeaient d'expédier au Hazegras, à des époques déterminées, un certain nombre de leurs surbordonnés. Ceux-ci, chargés de leurs vivres et munis de leurs outils, se rendaient sur les travaux pour l'espace d'une semaine; ils recevaient comme salaire un florin par jour. Trois listes d'ouvriers députés au Hazegras, sont conservées parmi nos documents: deux de la commune d'Oostcamp: la première porte vingt, la seconde vingt-quatre noms, -une liste de Thourout où figurent trente noms. A la date du 16 décembre 1784, cent soixante-quatre pionniers travaillaient aux ouvrages; sans doute, plusieurs avaient manqué à l'appel, puisque dans une missive adressée le 25 décembre de la même année, au Magistrat du franc, J'ingénieur de Berger déclare que pour la conti­nuation des travaux aux retranchements, il lui faut deux cents hommes. Faut il s'étonner du peu d'empressement des ouvriers, forcés de se séparer de leur famille et d'entreprendre en plein hiver, un long et pénible voyage pour se livrer à des travaux dont ils ne saisissaient guère l'utilité? Entretemps les Autorités tentaient, toute­fois sans succès, de vaincre la résistance tenace des terrassiers. Une lettre adressée de Bruxelles, le 24 décem­bre 1784, par ordre de sa Majesté au Collège du Franc,

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en fait foi. Nous y lisons : « Sur le rapport qui nous a été fait de ce que nonobstant les ordres qui ont été donnés par vous, les ouvriers qui doivent travailler aux ouvrages importants du Hazegras, les abandonnaient, sans que les amendes ou la peine de la prison même les engage à l'obéissance, et que le seul moyen efficace qu'il y aurait, serait de déclarer aux ouvriers comman­dés, que ceux qui ne seraient pas en état de payer les amendes auxquelles ils seraient condamnés de votre part, pour avoir abandonné les ouvrages sans permis­sion, seraient contraints en place de la prison, à servir dans nos troupes pendant la durée de la guerre ... »

Nous ignorons si la lettre comminatoire du Gouverne­ment sortit son effet et enraya la désertion. Quoi qu'il en soit, les travaux projetés furent terminés et, bientôt après, on procéda à la vente des cinq baraques qui avaient servi de logement aux militaires et ouvriers ainsi que des quinze mille tuiles qui les couvraient. Parmi ces baraques, une seule était construite en briques et se trouvait sur la Digue St Paul; - une autre occu­pait l'emplacement du Fort Isabelle, - une troisième avait été erigée an sommet de la Digue de Cantelmo. La vente, annoncée au son de la cloche dans les com­munes de Knocke, Westcappelle, Heist, Ramscappelle et Oostkerke, produisit la modique somme de 1162 florins. Quant au lazaret, dont la construction avait causé tant de déboires, subit-il le même sort que les baraques? Tout nous porte à le supposer, car les Bourgmestres et Echevins du Franc, dans une lettre du 5 janvier 1788 adressée à l'Autorité Supérieure, attestent que le lazaret n'a servi à rien; en conséquence, ils proposent de le mettre en vente publique en même temps que le quai d'abordage. Sans doute, la conservation de ces immeu­bles exigeait un entretien cofiteux, même une surveil-

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lance active, puisque de temps en temps certaines parties du quai d'abordage disparaissaient sans retour.

Jusqu'en l'année 1835, les terres de labour et les prés de l'immense polder du Nouveau Hazegras étaient distribués entre deux fermes, appartenant J'une à la famille Piers de Raveschoot, l'autre à la famille Lippens. Au registre des Correspondances de la Commune, à la date du 22 octobre 1840, nous trouvons quelques ren· seignements concernant la dernière exploitation. Le Bourgmestre de Knocke certifie que Mr Philippe Lippens, propriétaire, demeurant à Gand, a exploité pour son propre compte une ferme sise en cette Commune et qu'en l'année 1835, il a divisé son exploitation en deux parties dont l'une fut baillée à Philippe Monbaliu, l'autre à Jacques Quataert; ceux-ci ayant repris le bétail et les jnstruments agricoles, peuvent être considérés comme successeurs du premier exploitant (1).

Le touriste qui, à l'époque de la saison balnéarei, parcourt la digue de St Paul, limite séparative des Polders du Vieux et du Nouveau Hazegras, contemple ravi les moissons dorées qui s'inclinent sous le souffle carressant des zéphyrs, mer plantureuse d'épis maris· sants dont il ne peut distinguer les ultimes limites. Sait-il que cette plaine étendue, si fertile, était jadis le domaine de l'Océan ... que là s'ouvrait large l'embou­chure de la Suène où, au moyen-âge, se croisaient, comme en un point de contact, les vaisseaux chargés de riches marchandises de tous les pays de l'Europe?

Quel gigantesque travail représente la région des polders, arrachée, disputée aux flots de la mer, travail qu'il a fallu, à la suite de la rupture des digues, tant de fois reprendre 1 Il nous rappelle le vastum maris œquor arandum, suivant l'expression énergique de Vir·

1. No 979. page 85.

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gile. Il nous rémémore Je souvenir des vaillants ancêtres qui ont accompli cette admirable tache. « Luctor et emergo », je lutte et sors des eaux, telle était leur devise, devise que nous retrouvons inscrite sous le lion issant des flots, aux armoiries de la Zélande, pays voisin, arraché lui aussi à l'Océan.