la chirurgie plastique de l’enfant

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La chirurgie plastique de l’enfant The paediatric plastic surgery B. Salazard Unite ´ de chirurgie pe ´ diatrique, ho ˆ pital Saint-Joseph, 26, boulevard de Louvain, 13008 Marseille, France MOTS CLÉS Chirurgie plastique pédiatrique ; Fentes faciales ; Recontruction d’oreille ; Main congénitale ; Expansion cutanée Résumé La chirurgie plastique pédiatrique est une spécialité chirurgicale à part, point de convergence de nombreux acteurs qui interviennent pour prendre en charge ces enfants mal- formés ou traumatisés. Cette particularité en fait toute sa richesse et toute sa fragilité. Cette chirurgie particulièrement exigeante nécessite une expérience importante, qui nécessite un recrutement important, qui nécessite une formation intransigeante et rigoureuse. Les points essentiels restent en effet la formation théorique, le recrutement qui, dans ce type de pathologies rares est un recrutement national, voire international et la formation manuelle qui demande une maîtrise de la microchirurgie et des techniques micro-invasives. La prise en charge de l’enfant doit tenir compte des particularités de cet être avec ses particularités physiologiques, les pathologies spécifiques, les particularités de la cicatrisation et surtout les conséquences de la croissance et du développement. Certains chirurgiens français sont des références internationales dans les domaines de la main congénitale, de la reconstruction d’oreille ou de l’expansion cutanée. Ils ont changé les techniques et les indications pour améliorer la vie des enfants au quotidien. Leurs remarques sont des moteurs extraordinaires pour comprendre et développer la créativité française. # 2010 Publié par Elsevier Masson SAS. KEYWORDS Paediatric plastic surgery; Facial clefts; Ear reconstruction; Hand abnormalities; Skin expansion Summary Paediatric plastic surgery is a complex surgery. The management of traumatized or malformed children needs a lot of contributors: the paediatric plastic surgeon is often the ‘‘conductor’’ of a large team. Paediatric plastic surgery is a very nice but fragile speciality. This surgery needs a long experience, a large recruitment and a rigorous training. Good university education is necessary to know techniques and children’s pathologies. An international recruit- ment is necessary for these rare pathologies. Surgical training is also important with a good training in microsurgery and minimally invasive surgery. The management of children needs to know physiologic particularities, specific pathologies, cicatrisation particularities and especially the outcome of growth and psychomotor development. Some French surgeons are references in the world for surgery of hand abnormalities, ear reconstruction or skin expansion. They changed techniques and indications to improve each day the live of children with abnormalities. Interviews of these surgeons are very useful to understand and improve the French creativity. # 2010 Published by Elsevier Masson SAS. Annales de chirurgie plastique esthétique (2010) 55, 461470 Adresse e-mail : [email protected]. 0294-1260/$ see front matter # 2010 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.anplas.2010.08.013

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La chirurgie plastique de l’enfantThe paediatric plastic surgery

B. Salazard

Unite de chirurgie pediatrique, hopital Saint-Joseph, 26, boulevard de Louvain, 13008 Marseille, France

MOTS CLÉSChirurgie plastiquepédiatrique ;Fentes faciales ;Recontruction d’oreille ;Main congénitale ;Expansion cutanée

Résumé La chirurgie plastique pédiatrique est une spécialité chirurgicale à part, point deconvergence de nombreux acteurs qui interviennent pour prendre en charge ces enfants mal-formés ou traumatisés. Cette particularité en fait toute sa richesse et toute sa fragilité. Cettechirurgie particulièrement exigeante nécessite une expérience importante, qui nécessite unrecrutement important, qui nécessite une formation intransigeante et rigoureuse. Les pointsessentiels restent en effet la formation théorique, le recrutement qui, dans ce type depathologies rares est un recrutement national, voire international et la formation manuellequi demande une maîtrise de la microchirurgie et des techniques micro-invasives. La prise encharge de l’enfant doit tenir compte des particularités de cet être avec ses particularitésphysiologiques, les pathologies spécifiques, les particularités de la cicatrisation et surtout lesconséquences de la croissance et du développement. Certains chirurgiens français sont desréférences internationales dans les domaines de la main congénitale, de la reconstructiond’oreille ou de l’expansion cutanée. Ils ont changé les techniques et les indications pouraméliorer la vie des enfants au quotidien. Leurs remarques sont des moteurs extraordinairespour comprendre et développer la créativité française.# 2010 Publié par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDSPaediatric plasticsurgery;Facial clefts;Ear reconstruction;Hand abnormalities;Skin expansion

Summary Paediatric plastic surgery is a complex surgery. The management of traumatized ormalformed children needs a lot of contributors: the paediatric plastic surgeon is often the‘‘conductor’’ of a large team. Paediatric plastic surgery is a very nice but fragile speciality. Thissurgery needs a long experience, a large recruitment and a rigorous training. Good universityeducation is necessary to know techniques and children’s pathologies. An international recruit-ment is necessary for these rare pathologies. Surgical training is also important with a good trainingin microsurgery and minimally invasive surgery. The management of children needs to knowphysiologic particularities, specific pathologies, cicatrisation particularities and especially theoutcome of growth and psychomotor development. Some French surgeons are references in theworld for surgery of hand abnormalities, ear reconstruction or skin expansion. They changedtechniques and indications to improve each day the live of children with abnormalities. Interviewsof these surgeons are very useful to understand and improve the French creativity.# 2010 Published by Elsevier Masson SAS.

Annales de chirurgie plastique esthétique (2010) 55, 461—470

Adresse e-mail : [email protected].

0294-1260/$ — see front matter # 2010 Publié par Elsevier Masson SAS.

doi:10.1016/j.anplas.2010.08.013

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Introduction

La chirurgie plastique pédiatrique est une spécialité chirur-gicale à part, point de convergence de nombreux acteurs quiinterviennent pour prendre en charge ces enfants malformésou traumatisés. Cette particularité en fait toute sa richesseet toute sa fragilité.

Le chirurgien qui s’occupe de nouveau-nés, d’enfants etd’adolescents doit tenir compte des particularités spécifi-ques de cet être, non pas un petit adulte, mais un être enperpétuelle mutation, en croissance incessante.

Le chirurgien plasticien de l’enfant est à la frontière denombreuses spécialités et doit connaître les techniquesd’ORL, de chirurgie orthopédique, de neurochirurgie, dedermatologie et de chirurgie esthétique. Sa formation doitdonc être complète et diversifiée et souvent c’est dansdifférentes équipes à travers la France et le monde qu’ilva se former.

Cette chirurgie particulière s’intéresse à plusieursdomaines : les malformations faciales et craniofaciales,les malformations congénitales de la main, les traumatismesde la face et de la main, la pathologie cutanée (brûlures,tumeurs, anomalies vasculaires, plaies. . .) et la pathologienerveuse et vasculaire. Une coopération est indispensableavec les pédiatres, les généticiens, les gynécologues écho-graphistes, les obstétriciens, les orthophonistes, orthodon-tistes, dermatologues et les autres spécialités chirurgicales(ORL, chirurgie maxillofaciale, ophtalmologie, orthopédie,neurochirurgie). C’est pourquoi peu de centres en Francepeuvent développer de façon complète cette spécialité.

Cette chirurgie particulièrement exigeante nécessite uneexpérience importante, qui nécessite un recrutement impor-tant, qui nécessite une formation intransigeante et rigou-reuse. Cet élément est le point clé de la réussite française decette chirurgie dont la formation, dans quelques centrespouvant proposer un large éventail de pathologies a permis,jusqu’à aujourd’hui, la formation de quelques chirurgiensspécialisés dans cette chirurgie particulière. Les pointsessentiels restent en effet la formation théorique, le recru-tement qui nécessite dans ce type de pathologies rares unrecrutement national, voire international et la formationmanuelle qui demande une maîtrise de la microchirurgie etdes techniques micro-invasives.

Les caractéristiques de l’enfant

Le point fondamental de la prise en charge de l’enfant estde tenir compte des particularités de cet être avec sesparticularités physiologiques, les pathologies spécifiques,les particularités de la cicatrisation et surtout lesconséquences de la croissance et du développement. Ladécision diagnostique et thérapeutique, comme la tech-nique chirurgicale utilisée, doivent tenir compte de ceséléments qui sont acquis par l’expérience, la formation parcompagnonnage.

Les particularités physiologiques

L’évolution de la chirurgie pédiatrique est intimement liée àl’évolution de l’anesthésie pédiatrique. Le développementde techniques de surveillance peropératoire ainsi que de

médicaments adaptés a permis de développer la chirurgienéonatale et de sécuriser la chirurgie de l’enfant. Cetteévolution a également permis le développement de la micro-chirurgie chez l’enfant. En France quelques équipes ont faitavancer l’anesthésie et la réanimation de l’enfant. Associéesaux progrès de la microchirurgie, ces équipes ont permisd’opérer les enfants de plus en plus tôt, en toute sécurité.Certaines équipes françaises sont ainsi précurseur dans lachirurgie très précoce des fentes labiales, avec une ferme-ture de la lèvre dans les 48 premières heures. Pour rendrepossible en toute sécurité ce type d’intervention il faut undiagnostic prénatal fiable (détection des malformationsassociées), une équipe anesthésiste entraînée, une équipepédiatrique performante et un chirurgien rapide et efficace.Notre système de formation est un élément clé car il fautbien sûr avoir opéré de nombreuses fentes pour avoir ungeste sûr et efficace à 48 heures de vie. En 1938, Victor Veau,précurseur dans la chirurgie des fentes disait : « L’opérationà la naissance est peut-être dangereuse— je n’en sais rien, jene connais pas les enfants qui meurent — mais je sais qu’elleest aléatoire. ». Que de chemin parcouru depuis cetteépoque où certains auteurs affirmaient à propos des fentes« Il faut l’opérer même s’il doit mourir de l’intervention. ».L’anesthésie pédiatrique a connu depuis quelques annéesune nouvelle évolution tout à fait remarquable : l’anesthésielocorégionale. Elle a considérablement diminué l’utilisationdes médicaments d’anesthésie et développer la chirurgieambulatoire. Récemment j’ai réalisé un transfert d’orteilchez un enfant de sept mois uniquement sous cathéterpérinerveux axillaire et bloc périnerveux sciatique (Fig.1). Une simple sédation permettait à l’enfant de ne pasbouger. Les suites opératoires sont simples, sans emploide morphiniques. La compétence des infirmières avec laformation en France de puéricultrices, infirmières spéciali-sées en pédiatrie permet de s’occuper des enfants en toutefiabilité en postopératoire.

La chirurgie des malformations congénitales (main, face)doit tenir compte des malformations associées, en particu-lier cardiaques, entrant ou non dans le cadre d’un syndromegénétique connu. Le diagnostic anténatal est en train debouleverser la prise en charge des malformations congéni-tales. La découverte d’une malformation congénitaleimplique une recherche poussée de malformations associéespar échographie bi ou tridimensionnelle, scanner fœtal ouIRM fœtale. Un avis génétique et souvent un caryotypepermet de diagnostiquer rapidement un syndrome polymal-formatif. Notre présence dans les réunions de diagnosticprénatal est fondamentale pour apporter notre connaissancedes pathologies et des possibilités chirurgicales actuelles.Nous reviendrons sur ce point essentiel du diagnostic anté-natal.

Chez l’enfant les pathologies chroniques associées(diabète, insuffisance vasculaire. . .) sont rares. En revanche,à chaque âge correspondent des particularités physiologi-ques qu’il faut connaître.

Les pathologies spécifiques

Les malformations faciales complexes et craniofaciales sontrares (Fig. 2). La chirurgie craniofaciale des pathologiesrares (faciocraniosténoses par exemple) demande des équi-pes complètes avec une technique rigoureuse et un suivi

[(Figure_1)TD$FIG]

Figure 1 Transfert d’orteil pour symbrachydactylie. Cathéter périnerveux axillaire antalgique.

La chirurgie plastique de l’enfant 463

postopératoire précis. Seules quelques équipes dans lemonde présentent des séries importantes et la France abeaucoup apporté grâce aux équipes parisiennes de Tessierpuis Marchac. Les malformations cervicofaciales fréquentes(fentes labiales et palatines, ptosis, kystes et fistules) sonttraitées dans la majorité des villes par des chirurgiens plas-ticiens mais parfois par des ORL ou des chirurgiens maxil-lofaciaux. La coopération est fondamentale car les culturesdifférentes enrichissent la prise en charge.

Les malformations congénitales de la main sont trèsspécifiques et nécessitent de connaître l’enfant et son déve-loppement psychomoteur.

La pathologie cutanée est très différente de celle del’adulte ; il s’agit soit de lésions non retrouvées chez lesadultes soit de lésions différentes dans leur présentation.Parmi les anomalies vasculaires, les hémangiomes sont trèsfréquents (2 % des nourrissons) et spécifiques des enfants.[(Figure_2)TD$FIG]

Figure 2 Fente craniofaciale complexe associant des fentes 3,7 et 11 de Tessier.

Récemment une équipe dermatologique bordelaise a décou-vert l’efficacité des bétabloquants dans le traitement desvolumineux hémangiomes mettant en jeu le pronostic vitalou fonctionnel. Les nævus congénitaux, larges ou géantsdemandent une connaissance de toutes les techniques dechirurgie plastique : curetage, greffes de peau, substitutsdermiques, expansion cutanée, lambeaux. Le suivi tout aulong de la croissance et l’expérience permettent de poser lesindications thérapeutiques et l’âge d’intervention. Marseillea été l’une des premières équipes au monde à proposer lecuretage néonatal des nævus géants difficilement accessi-bles à la chirurgie d’exérèse.

Les brûlures sont également différentes chez le petitenfant. Découvrant le monde, il explore avec la face pal-maire des mains et essaie d’attraper les objets qui l’entou-rent. Ce sont donc surtout des brûlures par liquide et parcontact sur les faces palmaires de mains.

Les plaies et traumatismes sont différents selon l’âge et lecontexte social. Chez le petit enfant on va retrouver desécrasements des doigts dans les portes, des plaies del’arcade sourcilière et du menton qui accompagnent lesdébuts de la marche. À l’adolescence on retrouve chez legarçon les classiques plaies de bricolage et les fractures deboxeur qui sont de plus en plus fréquentes chez les filles.

Les particularités de la cicatrisation

La peau du nouveau-né a des caractéristiques très différen-tes de celle de l’adulte et elle se modifie à chaque étape del’enfance. La cicatrisation est globalement plus rapide mais« explosive ». Depuis le début du XX

e siècle quelques françaisont été précurseurs dans l’étude de la cicatrisation. C’estune tradition française héritée de Galien, Guy de Chauliac,Henri de Mondeville, Jean de Vigo et surtout Ambroise Paréqui va révolutionner le traitement des plaies. Au XX

e siècleLecomte du Noüy a étudié la vitesse de cicatrisation etretrouvait une vitesse de cicatrisation cinq fois plus rapideà dix ans qu’à 60 ans. Lorsqu’on étudie l’influence françaisedans le domaine de la cicatrisation des plaies on ne peutoublier le travail extraordinaire d’Alexis Carrel mais surtout

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d’Auguste Lumière. À la fin du XIXe siècle, Auguste Lumière

travaille dans l’entreprise familiale de photographie. En1896, les finances de la famille étant bonnes, il aménagedans l’usine familiale un laboratoire expérimental de chimieet de pharmacodynamie où il effectue des recherches detoxico-pharmacologie animale. Mais l’usine lui laisse peu detemps et il salarie des chercheurs pour son laboratoire. Il vapermettre à des chercheurs et médecins de travailler dansson laboratoire. C’est ainsi qu’un jeune chirurgien vienttester de nouvelles techniques chirurgicales ; il s’appelleAlexis Carrel. En 1902 il réussit, avec l’aide d’Auguste, dansles laboratoires Lumière, la première anastomose veineuse.Le succès est rapide et en 1904 il part à l’institut Rockefellerde New York où ses travaux remarquables sur la transplanta-tion d’organes, la transfusion sanguine et la culture cellu-laire lui valent le prix Nobel de Médecine en 1912. Durant laguerre 1914—1918, il mettra au point l’antiseptique Dakinavec un chimiste anglais et il décrira la technique d’irrigationDakin Carrel. Auguste Lumière a réalisé un travail trèsimportant dans le domaine de la cicatrisation. Dès 1915 ilmet au point le Tulle Gras. Il conçoit le déroulement depansement comme il est encore pratiqué de nos jours :antisepsie par projection en fines gouttelettes d’un mélangepersonnel (iodoforme, phénol, géraniol, alcool, éther) puis,de façon stérile, mise en place d’une feuille de tulle à usageunique. Il ferme le pansement par un bandage stérilisé etveille à ce que la plaie ne soit pas sujette à frottement outraumatisme. Le grand chirurgien Raymond Vilain participeraau développement du produit en proposant une modificationdu baume du Pérou en extraits moins allergisants. Il écriraune formule célèbre : « Praticien mon frère, si tu utilises laSainte Trinité : eau du robinet, savon de Marseille et tullegras, tu obtiendras les mêmes résultats que nous, pour la plusgrande satisfaction de ton patient et de la sécurité sociale ».Mais Auguste Lumière va faire avancer la compréhension desmécanismes de la cicatrisation en appliquant de façon stricteles méthodes de la médecine expérimentale. Il va d’abordréaliser des plaies expérimentales sur 44 chiens et il dessinetous les jours sur un papier cellophane stérilisé les contoursde la plaie.

Dans un second temps il sélectionne des centaines deplaies de guerre dans le service de Léon Bérard et réalise uneétude prospective complète. Il sélectionne des patients nondiabétiques, sans tare ni maladie générale avec des plaiesnon infectées, sans lésion osseuse, nerveuse ou vasculaire.Avec la même rigueur il réalise des mesures quotidiennes etaprès des années d’étude il théorise ses travaux dans unouvrage publié en 1922 : « Les lois de la cicatrisation desplaies cutanées » [1].

La phase initiale de la cicatrisation est donc beaucoupplus rapide chez l’enfant mais en revanche la phase deremodelage est plus longue, jusqu’à 18 mois. C’est doncune cicatrisation « explosive », plus rapide, plus inflamma-toire, plus rétractile. Pour schématiser, la cicatrisationpendant les premiers mois de vie est un prolongement dela cicatrisation fœtale avec des cicatrices fines et blanches.Ensuite elle est au contraire source de cicatrices hypertro-phiques et rétractiles, en particulier pendant les périodespré- et per-pubertaires. Cette évolution cicatricielle estvariable en fonction du type de peau, de la localisation,de la phase de croissance et de l’orientation de la plaie. Lescicatrices chéloïdes sont fréquentes.

La croissance et le développement

La croissance va modifier la qualité cutanée. La disponibilitéet l’extensibilité cutanée (laxité cutanée) sont maximalesdurant les premières années de vie et permettent donc desrésections cutanées importantes. Cette laxité diminue avecle développement musculaire et devient très faible à lapuberté avec la poussée de croissance qui entraine unecroissance osseuse puis musculotendineuse avec les pro-blèmes d’apophysites puis une croissance cutanée retardée.

Il faut aussi tenir compte de la croissance pour la longueurcicatricielle : une cicatrice ou une lésion de 1 cm à lanaissance fera à l’âge adulte 1,7 cm sur la face, 2,8 cmsur le tronc et les membres supérieurs et 3,4 cm sur lesmembres inférieurs.

La croissance peut déformer certaines cicatrices qui negrandissent pas aussi vite que les tissus adjacents, entraînantdes réactions. Il faut tenir compte de ces facteurs, enparticulier pour les brûlures, les greffes cutanées, les inci-sions au niveau de la main ou dans les zones périorificielles.Par ailleurs, les cicatrices ou certaines lésions des tissusmous peuvent, dans certaines localisations et à certainsâges, modifier la croissance des tissus mous et de l’os. Celaest particulièrement vrai au niveau de la face : une malfor-mation lymphatique cervicofaciale peu entraîner une hyper-trophie mandibulaire alors qu’une chirurgie faciale précocepeut entraîner, par l’ischémie périostée ou la tension cica-tricielle, un défaut de croissance du maxillaire. Cela est aussivrai pour le sein où il faut éviter toute chirurgie avant la finde la puberté ; même la chirurgie cutanée peut perturber lacroissance mammaire.

Par ailleurs, certaines interventions doivent attendre lafin de la croissance pour ne pas altérer le résultat : parexemple la chirurgie du cartilage de l’oreille est à réaliser àpartir de sept à huit ans, en fin de croissance de l’oreille. Lachirurgie nasale se fait, sauf urgence, à partir de 17 ans, pourne pas modifier le développement nasal.

Ces éléments sont fondamentaux pour adapter la chirurgieplastique à l’enfant et à l’adolescent. Les indications dechirurgie esthétique chez l’enfant doivent bien entendu tenircompte de cette croissance, des risques de déformationsecondaire et bien sûr des aspects psychologiques et éthiques.

La chirurgie plastique adaptée à l’enfant

Adapter la prise en charge au développementpsychomoteur de l’enfant

L’opération d’un enfant reste un traumatisme pour lafamille. Il faut s’adapter aux conditions sociales et familialespour programmer l’intervention à un moment adéquat etdans des conditions adaptées. La gestion du périopératoireest à adapter à ce contexte familial ; le dialogue est pri-mordial et la rigueur du suivi est indispensable.

L’âge d’intervention est un point fondamental de la priseen charge chirurgicale d’un enfant. La décision doit tenircompte de la pathologie, de la phase de croissance, de lacoopération de l’enfant et du niveau de scolarité. Ainsi, pourdes interventions qui nécessitent une hospitalisation longueou un suivi lourd (expansion cutanée par exemple), onprivilégie une intervention avant six ans pour ne pas per-

[(Figure_3)TD$FIG]

Figure 3 Pollicisation d’un doigt long dans une main en miroir.

La chirurgie plastique de l’enfant 465

turber la scolarité. Pour l’expansion du cuir chevelu, il fauten revanche attendre classiquement deux ans car avant lecrâne risque de se déformer avec l’expansion.

La coopération de l’enfant est un point fondamental : parexemple, une intervention tendineuse ou articulaire sur lamain sera plutôt réalisée après six ans afin de permettre unerééducation correcte. En revanche, en l’absence de pouce,une pollicisation de l’index se fera avant deux ans afin que laplasticité cérébrale permette d’intégrer ce pouce dans leschéma de la pince pollicidigitale (Fig. 3). La main congéni-tale est un cas typique de cette nécessité de s’adapter àl’enfant et à son développement psychomoteur. C’est aussiun élément important de la nécessité d’une collaborationchirurgien-rééducateur. La kinésithérapie de la main a tou-jours été en France un élément essentiel du développementde la chirurgie de la main. La France est un des pays aumonde où cette rééducation est le mieux organisée, avec deskinésithérapeutes très bien formés, à proximité des centresde la main. C’est grâce au travail exceptionnel d’AntoineBaïada que j’ai pu développer la prise en charge très précocede la chirurgie de la main de l’enfant. La confection d’orthè-ses efficaces chez le bébé de quelques jours demande uneexpérience et une dextérité rare. L’apport de la microchi-rurgie nous a permis de miniaturiser la chirurgie de la main del’enfant et l’apport des rééducateurs nous a permis derendre efficaces ces interventions. La qualité de la formationdes kinésithérapeutes et la possibilité de remboursement dessoins de rééducation en France sont deux éléments impor-tants de la qualité des soins. Cela a permis à la France d’avoirune aura extraordinaire dans le monde pour la pathologiecongénitale de la main. Certains hommes ont su faire évoluerles techniques et recruter dans le monde entier (Guy Fou-cher, Alain Gilbert, Stéphane Guero. . .).

La notion de coopération de l’enfant est essentielle égale-ment pour choisir le mode d’anesthésie. L’exérèse d’une

petite lésion cutanée, d’un doigt flottant ou d’un fibrochon-drome prétragien peut se faire sous anesthésie locale soit dansles trois premiers mois de vie où l’enfant est calme et s’endortsouvent après la tétée, soit après six ans quand l’enfant peutêtre raisonné et peut rester calme dix à 15 minutes.L’anesthésie locale à six ans concerne des interventions decourte durée, pour une localisation où il n’y a pas de risque encas de mouvement brusque de l’enfant. On peut proposerparfois de différer l’ablation d’un petit nævus congénitalaprès six ans pour éviter une anesthésie générale, en tenantcompte évidemment des autres critères (croissance, laxitécutanée). Pour faciliter l’anesthésie locale on utilise bien sûrla pommade anesthésiante, le protoxyde d’azote parfois et onréalise l’anesthésie à l’aide d’aiguilles de 30 g, dont la piqûreest moins douloureuse et l’injection plus lente.

Adapter les techniques chirurgicales

Certaines techniques de chirurgie plastique sont spécifiquesà l’enfant mais le plus souvent le chirurgien qui s’occuped’enfants doit puiser dans l’ensemble des techniques denotre spécialité : l’esthétique, la main, la microchirurgie,la maxillofaciale. . .

Parmi les techniques spécifiques à l’enfant, il faut citer lecuretage des nævus géants congénitaux. C’est une méthodequi permet d’éclaircir le nævus en retirant environ 70 % descellules næviques (Fig. 4). Cette technique est possible cardurant les six premières semaines de vie il existe un plan declivage au sein du derme superficiel qui permet ce curetage.Guy Magalon a été à Marseille l’un des précurseurs de cettetechnique avec la plus grosse série mondiale publiée en 1998[2]. La série a permis de définir les indications, la technique,en développant les données fondamentales sur l’histologie.Nous avons communiqué dans le monde entier sur cettetechnique.

[(Figure_4)TD$FIG]

Figure 4 Curetage d’un nævus géant du dos.

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On utilise également la laxité cutanée de l’enfant pourréséquer des nævus larges par des excisions itératives (deuxou trois fois, séparées de six mois) (Fig. 5). Cette méthodepermet l’excision de grands nævus, avec une cicatrice pluscourte. Cette technique est largement employée pour leslésions cutanées de l’enfant.

L’expansion cutanée est une technique particulièrementadaptée à l’enfant où l’utilisation est fréquente (cicatrices,nævus, anomalies vasculaires) (Fig. 6).

La précocité de la prise en charge des malformations est,je crois, essentielle. Le nouveau né a des capacités decicatrisation, d’adaptation et de réorganisation qui doiventêtre utilisées. Par exemple, le cartilage de l’oreille est trèsmou durant les six premières semaines de vie du fait de[(Figure_5)TD$FIG]

Figure 5 Excision en deux tem

l’imprégnation oestrogénique. Cette souplesse le rendmodelable et on peut remodeler certaines déformationsde l’oreille externe par des conformateurs en silicone. Parexemple, les oreilles de Stalh (troisième branche horizontalepostérieure d’anthélix) ou encore les oreilles « capotées »(constricted ears) sont corrigeables par cette méthode (Fig.7). On peut aussi traiter les oreilles décollées par défaut deplicature de l’anthélix avec cette méthode durant les sixpremières semaines de vie. Elle n’est pas efficace sur leshypertrophies de conque.

Il faut aussi adapter les techniques à l’enfant. Ainsi leprélèvement d’une peau mince pour greffe se fait sur le cuirchevelu pour limiter les cicatrices qui accompagnerontl’enfant toute sa vie. Pour le prélèvement de peau totale,

ps d’un nævus de la jambe.

[(Figure_6)TD$FIG]

Figure 6 Expansion cutanée pour séquelle de brûlure et nævus géant.

[(Figure_7)TD$FIG]

Figure 7 Traitement d’une oreille de Stalh par conformateurs en silicone.

La chirurgie plastique de l’enfant 467

468 B. Salazard

il faut tenir compte de la pilosité future (éviter la partieinterne du pli inguinal).

L’enfant a une capacité d’adaptation incroyable grâce àune grande plasticité cérébrale et le chirurgien doit s’adap-ter. L’un des meilleurs exemples est l’adaptation à unemalformation de la main qu’il faut parfois savoir respecter,surtout si l’enfant est vu tardivement.

La chirurgie de l’enfant doit tenir compte de la fréquencedes cicatrices pathologiques et proposer un traitement post-opératoire adapté : compression, silicone, orthèse de pos-ture, massages de type palpé-roulé. Il ne faut pas attendrel’installation de ces cicatrices pathologiques mais anticiperen prévenant leur apparition.

Adapter le matériel et les matériaux

Le chirurgien doit aussi s’adapter à une chirurgie plusprécise, à des structures plus petites et plus fragiles. L’uti-lisation de loupes et du microscope est plus fréquente.

Le matériel doit aussi être approprié : fils plus fins nonrésorbables si possible. Compte tenu de la cicatrisationnaturellement inflammatoire chez les enfants, les filsrésorbables sont à éviter si possible. Pour certaines loca-lisations (main, cuir chevelu), ils ont l’avantage d’éviterl’ablation des points, toujours difficile et stressante pourl’enfant.

Le pansement est un des éléments importants pour lachirurgie de l’enfant. Il doit être solide et confortable pourque l’enfant ne puisse pas et ne veuille pas l’enlever.Souvent une immobilisation est nécessaire pour résisteraux mouvements et aux frottements occasionnés parl’enfant qui joue ; cette immobilisation a également uneaction antalgique. Pour beaucoup d’interventions (maincongénitale en particulier), il faut éviter si possible derefaire le pansement. Le premier, réalisé sous anesthésie,est facile alors que les suivants, réalisés sur un enfantangoissé qui bouge, sont difficiles. Le type de pansementest important et il faut privilégier des interfaces non adhé-rentes à l’ablation.

L’utilisation de matériaux technologiques se développe enchirurgie. Chez l’enfant, il faut toujours réfléchir avant d’uti-liser des matériaux. Il faut considérer que l’enfant va vivre denombreuses années et donc privilégier des matériaux sansrisque viral (allogreffes), préférer des matériaux vivantsplutôt que des prothèses artificielles (reconstructiond’oreille, reconstruction articulaire) dont la durée de vieest limitée dans le temps et qui ne vont pas grandir avecl’enfant.

Conclusion

La chirurgie plastique pédiatrique est un domaine extraor-dinaire par sa diversité et son exigence. Elle nécessite des’adapter à l’enfant en fonction de son âge, sa famille, sapathologie, sa capacité de collaboration. Cette chirurgienécessite une prise en charge rigoureuse qui doit rassurerles parents et donner confiance à l’enfant. L’engagementaffectif et en temps de travail est très important mais lesémotions sont immenses. La satisfaction de revoir en fin decroissance un enfant opéré bébé est un moment surpre-nant.

La France, grâce à sa formation chirurgicale perfor-mante, à un système de santé efficace, à une rigueur scien-tifique importante a développé la chirurgie plastique del’enfant. Certains chirurgiens comme Françoise Firmin,Guy Foucher, Alain Gilbert, Guy Magalon, Daniel Marchac,Michel Stricker. . . ont diffusé leurs techniques dans lemonde entier.

Cette chirurgie des malformations congénitales nécessiteun recrutement important qui ne peut pas être local. Il fautquelques équipes avec un recrutement national et interna-tional. Dans les années à venir cette question du recrutementinternational sera encore plus importante car le diagnosticprénatal est en train de bouleverser la fréquence des patho-logies congénitales dans notre pays. Par exemple, le diag-nostic anténatal d’une fente labiale bilatérale ou d’une mainbote radiale conduit désormais à une proposition d’interrup-tion médicale de grossesse. De plus en plus le diagnostic defente labiale est réalisé avant la 14e semaine et permet doncd’envisager pour la maman une interruption volontaire degrossesse. Cela va faire diminuer le nombre de cas et doncl’expérience chirurgicale. Il faut donc regrouper les cas etpermettre un recrutement international en organisant pro-bablement, pas seulement de façon individuelle, des consul-tations et des interventions à l’étranger. Il faut convaincreles pouvoirs publics de nous aider à exporter ce savoir-fairemédical français en matière de chirurgie plastique del’enfant, comme on sait le faire pour l’industrie.

L’analyse du travail des français reconnus internationa-lement est flagrante : l’inventivité et la spontanéité sont deséléments importants mais l’analyse critique et la rigueurscientifique sont des éléments indispensables à l’améliora-tion d’une technique. Il faut développer les études pros-pectives et améliorer le niveau scientifique de nospublications. La formation à la publication et l’aide d’assis-tants de recherche clinique comme dans l’industrie estindispensable. Le chirurgien libéral français peut difficile-ment remplir seul toutes les tâches qui lui incombent.

Expérience et interview de Françoise Firmin

« J’ai reconstruit des oreilles dans 40 pays du monde. »

La reconstruction d’oreilles

En 1981, Brent publie dans le PRS une série de reconstruc-tions d’oreilles par utilisation du cartilage costal avec de trèsbons résultats. Françoise Firmin part assister à des cours àNew York. Elle rédige alors un livre avec Paul Tessier qui luidéconseille cette chirurgie qui donne de mauvais résultats.En 1984 elle retourne passer du temps avec Brent etcommence à en opérer six cas. Elle rédige alors avec Raphaëlle rapport de la SOFCPRE sur l’oreille. Les chirurgiens deFrance commencent alors à lui envoyer leurs cas et elledéveloppe alors cette chirurgie. Le recrutement devienttrès rapidement international et l’année 2009, à 68 ans, ellea opéré 250 otopoïèses. Durant sa carrière elle a opéré1600 microties.

Plusieurs critères ont permis ce développement :

� une exigence à sans cesse améliorer l’intervention :chaque point a été revu ;

La chirurgie plastique de l’enfant 469

� une base de données informatique qui permet de ressortirles dossiers et d’analyser les résultats ;� la fabrication, grâce à la collaboration avec le laboratoire

Storz, d’instruments adaptés ;� le recrutement national et international qui est indispen-

sable pour développer la chirurgie d’une malformationrare ;� la collaboration avec une équipe multidisciplinaire

complète de chirurgie craniofaciale.

Elle a diffusé son travail dans le monde entier par lescongrès, les cours, les communications. Elle a opéré dans40 pays du monde. On ne peut pas parler de reconstructiond’oreilles dans le monde sans parler de Firmin, Brent, Tanzeret Nagata.

La fonction créatrice

� « L’incertitude est partagée avec le patient ».� Pour Françoise Firmin, la technique s’améliore grâce à

l’expérience. La spontanéité n’a pas vraiment de place enchirurgie. C’est intéressant de progresser et de rendre lesparents contents.� « Il faut résister aux opinions générales et s’appuyer sur

l’expérience pour progresser ».� « Il faut relativiser après un échec et vite rebondir pour

améliorer la technique ».� « J’ai essayé de rendre heureux les enfants au quotidien ».

Expérience et interview de Guy Foucher

« Rien ne se crée mais tout peut se transformer ».

La main congénitale

Guy Foucher est probablement l’un des chirurgiens françaisdont le parcours international est le plus extraordinaire.Après un travail innovant, parsemé de multiples communi-cations, articles et livres, dans les domaines de la maintraumatique et de la main de l’adulte, il décide de terminersa carrière en se consacrant uniquement à la main del’enfant. Durant sept ans, il voyage dans 11 pays pourconsulter, opérer, faire avancer les techniques de la chirur-gie de la main congénitale et surtout former les chirurgiens.Il est alors président de l’International Federation of Socie-ties for Surgery of the Hand (IFSSH). Il devient responsable dela Founders Lecture Society de la société américaine dechirurgie plastique. Plus de 300 articles référencés dansles revues nationales et internationales, des communicationsdans de nombreux pays et il devient incontournable dans lemonde sur la main de l’enfant. Sa rigueur scientifique et saverve l’entraînent souvent dans des discussions enflamméessur les indications, les techniques et le suivi. L’exigencescientifique est indispensable. « Lire c’est le minimum requispour opérer. Pour trouver les questions ». « La chance c’estles jeunes : ils ont encore des questions ».

Le développement à un niveau aussi haut internationale-ment tient à plusieurs facteurs qu’il faut développer. Auniveau personnel, Guy Foucher est un personnage extra-ordinaire par son énergie, sa curiosité permanente, sa

disponibilité pour les jeunes. Il faut avoir passé quelquesjours avec lui pour comprendre cette formidable énergie quilui permet des heures de travail par jour mais aussi d’avoirpoussé la pratique du sport et de la magie « la plus belle écolepour la chirurgie » à des niveaux professionnels. À cetteénergie s’ajoute une rigueur scientifique qui s’applique àchaque étape : « un gros bagage anatomique, un gros recru-tement, une évaluation systématique des résultats : à cemoment personne ne peut fuir l’innovation ».

Pour améliorer une intervention, il commence par ana-lyser les résultats de la chirurgie classique : examen critiquesystématique fonctionnel et esthétique. Ensuite il change àchaque intervention une étape en fonction du cahier descharges fixé. Par exemple, pour la pollicisation il va agir pouraméliorer l’antépulsion, l’orientation de la pulpe, le replicommissural, l’absence de cicatrice dorsale, l’extension dupouce (utiliser les intrinsèques), la flexion, l’équilibre mus-culaire et cutané. À chaque changement il analyse les résul-tats. Ensuite il faut coordonner toutes les étapes :l’anesthésie, la rééducation. . . Le chirurgien doit être le« chef d’orchestre d’une équipe. » Cette attitude lui a étépossible dans des pathologies aussi rares que la maincongénitale grâce au recrutement international que lesvoyages lui ont apporté. Cette possibilité a été favoriséepar la possibilité financière qu’il a su développer avant la« retraite ». La diffusion internationale est très importantedans les revues scientifiques, les congrès, les livres. On nepeut pas parler de main congénitale dans le monde sansévoquer Guy Foucher. La diffusion au grand public estessentielle : dans les revues, les écoles, « faire savoir ».

La fonction créatrice

� « Les gens qui ont des certitudes sont des crétins ». « J’aiarrêté d’opérer car j’étais à un point d’équilibre. Aprèsma créativité allait baisser et j’aurai bloqué les jeuneschirurgiens ». Ce point est fondamental pour GuyFoucher : la chirurgie est un artisanat et donc c’est lecompagnonnage qui permet de former les jeunes.� « L’intuition est l’arme des imbéciles ». Il faut être

analytique.� Il se définit comme un être monopolaire : « Pendant 25 ans

je n’ai réfléchi qu’à la chirurgie : en courant, sur unvélo. . . je n’ai cherché qu’à améliorer la chirurgie. Main-tenant, c’est pareil avec la magie ».� L’inventivité c’est le moteur, créer pour améliorer, étape

par étape. « Si j’avais du faire deux fois la même opéra-tion j’aurais abandonné la chirurgie ».� « L’adversité et les barrages sont des stimulants ». Mais les

échecs sont difficiles à vivre, « je ne supporte pasl’échec ».� Il n’y a pas d’humanisme en chirurgie : « le malade

bénéficie de la rigueur et de l’honnêteté ». « Si je doisme faire opérer c’est par un chirurgien orgueilleux, qui nesupporte pas l’échec ». « J’espère que ma discipline et marigueur ont permis de faire du bien aux enfants que j’aisoignés ».

Expérience et interview de Guy Magalon

« J’ai une idée. . . Il faut associer l’industrie ».

470 B. Salazard

L’expansion cutanée

Le Pr Guy Magalon est en chirurgie plastique un « innovateurorganisateur ». Sans cesse depuis 30 ans il a cherché lesnouvelles techniques chirurgicales mais surtout les nou-veautés industrielles et techniques qui auront un avenirmédical. Il fut l’un des premiers français à développer lamicrochirurgie à son retour du Japon, à croire en l’injectionde graisse selon Coleman, à développer un laboratoire hos-pitalier de thérapie cellulaire ou encore à travailler surl’hyperbarie pour la conservation des organes. Ce ne sontque quelques exemples parmi une multitude de projets et deréalisations qui ont donné un atout à la chirurgie plastiquefrançaise. Il allie cet esprit d’innovation à une rigueur tech-nique et scientifique et à un esprit organisationnel remar-quable. Il a créé à Marseille une école de chirurgie plastiqueinternationalement reconnue et visitée par les chirurgiens denombreux pays. De cette école sont sortis de nombreuxchirurgiens qui dans le monde entier transmettent cetterigueur scientifique, ce recul sur les techniques. Chacun aété épaulé pour travailler durant sa formation sur un ouplusieurs domaines qu’il a développés en voyageant et enpubliant.

C’est ainsi que dans les années 1980 Guy Magalons’intéresse à l’expansion cutanée. En 1957, Charles Neumanndécrit l’utilisation de l’expansion cutanée pour préparer uneotopoïèse. L’idée est oubliée et en 1976 Radovan présenteune série d’expansion au congrès américain de chirurgieplastique. Dès 1983, Guy Magalon commence à utiliserl’expansion chez les enfants et il présente la série en1986 lors d’un congrès à Lyon. Gordon Sasaki lui demanded’être l’orateur français au premier congrès internationalsur l’expansion de 1987 à San Francisco. C’est ainsi qu’àdébuté une période de dix ans durant laquelle il va, ens’entourant d’un interne et d’un praticien hospitalier, tra-vailler et améliorer chaque point de la technique. Il vatrouver un partenaire industriel pour améliorer la qualitédes expandeurs et développer la recherche sur les décolleursqui seront commercialisés, les expandeurs sur mesure (entravaillant sur les moules avec les souffleurs de verre deBiot), les poches d’insertion sur l’expandeur ou encore lesexpandeurs osmotiques. Cela va s’accompagner d’une diffu-sion scientifique importante sous forme de cours dans lemonde entier, de communications. En 1989, il organise àMarseille le 2e Congrès sur l’expansion. Il publie en 1991« Tissue expansion », un livre qui sera diffusé en anglais dans

le monde entier et analysé dans le PRS. Et il continue lescours car le problème de l’expansion cutanée est le pour-centage important de complications. Il faut les prévenir enaméliorant le matériel, la technique (voies radiaires), lestechniques de remplissage, de surveillance de la peau.

« Un élément primordial est l’implication de l’industrie.Un projet ne peut aboutir qu’avec la collaboration desindustriels ». Il insiste sur la notion de cycles en médecine.Il faut savoir saisir les techniques lorsqu’elles sortent. En1976, il comprend que la microchirurgie va se développer : ilpart l’étudier au Japon et la diffusera jusqu’en 1985 avant dese lancer jusqu’en 1995 sur l’expansion cutanée. En 1996, ilentend Coleman et va développer la réinjection de graisseavec les mêmes méthodes de cours, communications,recherche fondamentale et clinique, et toujours en impli-quant quelques internes et assistants. Un nouveau cycle esten cours : la thérapie cellulaire. Certain que les chirurgiensplasticiens doivent s’impliquer dans ce nouveau domaine, ilmet son énergie à développer un laboratoire performant àl’hôpital de la Conception à Marseille.

La fonction créatrice

� « L’incertitude est le moteur de l’évolution et de laprogression ».� « J’ai plein d’idées spontanées mais il faut le contexte

pour les développer ».� « Le plaisir d’inventer, de chercher est important. C’est

un jeu de développer l’idée et de la faire partager ».� « L’opinion générale ne doit pas mettre en cause ses

convictions ; l’exigence et la rigueur sont indispensablesà une longue crédibilité ».� « L’intérêt de cet engagement est de rendre service au

quotidien ».

Conflit d’intérêt

Pas de conflit d’intérêt.

Références

[1] Lumière A. Les lois de la cicatrisation des plaies cutanées. Paris:Ed. Gaston Doin; 1922.

[2] Casanova D. Early curetage of giant congenital nævi in children.Br J Dermatol 1998;138:341—5.