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KRACAUER ET LES IMAGES DU POLITIQUE Patrick Vassort Presses de Sciences Po | Raisons politiques 2010/3 - n° 39 pages 79 à 95 ISSN 1291-1941 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2010-3-page-79.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Vassort Patrick , « Kracauer et les images du politique » , Raisons politiques, 2010/3 n° 39, p. 79-95. DOI : 10.3917/rai.039.0079 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_rennes2 - - 193.52.64.50 - 14/09/2011 13h18. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_rennes2 - - 193.52.64.50 - 14/09/2011 13h18. © Presses de Sciences Po

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KRACAUER ET LES IMAGES DU POLITIQUE Patrick Vassort Presses de Sciences Po | Raisons politiques 2010/3 - n° 39pages 79 à 95

ISSN 1291-1941

Article disponible en ligne à l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2010-3-page-79.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Vassort Patrick , « Kracauer et les images du politique » , Raisons politiques, 2010/3 n° 39, p. 79-95. DOI : 10.3917/rai.039.0079--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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PATRICK VASSORT

Kracauer et les images du politique

L’ANALYSE CINÉMATOGRAPHIQUE a représenté unepart importante de l’activité de Siegfried Kracauerqui a rédigé plusieurs centaines de textes 1 ainsi

que deux ouvrages majeurs sur le sujet. Le premier, De Caligari àHitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand, est l’occasionde montrer que le cinéma, en tant qu’œuvre collective, « reflète »la « mentalité » d’une nation « de manière plus directe que toutautre moyen d’expression artistique 2 » et que le cinémapeut être considéré « comme satisfaisant aux besoins des masses 3 »,les terminologies de « reflet » et de « mentalité » n’étant pas àprendre au sens strict. Le second, Théorie du film. La rédemptionde la réalité matérielle 4 anticipe sans doute de nombreuses interro-gations sur le rapport entre l’image, le monde vécu et la mémoiremais, également, sur le rapport de ce monde à l’esthétisme et àl’œuvre d’art. Au travers de ces travaux, souvent variés, Kracauerélabore une critique de la modernité, tant dans sa dimension tech-nique qu’humaine et la portée politique et théorique de ces texteséclairent encore le vécu contemporain. Il ne faut pas chercher chez

1. Olivier Agard, Kracauer. Le chiffonnier mélancolique, Paris, CNRS Éditions, 2010,p. 257.

2. Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand,trad, de l’angl. par Claude B. Levenson, Paris, Flammarion, 1987, p. 5.

3. Ibid., p. 6.4. S. Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, trad, de l’angl. par

Daniel Blanchard et Claude Orsoni (Theory of Film. The Redemption of Physical Rea-lity), Paris, Flammarion, 2010.

Raisons politiques, no 39, août 2010, p. 79-96.! 2010 Presses de Sciences Po.

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Kracauer des évidences mais, comme le souligne Enzo Traverso, les« fragments d’une réalité éclatée 5 » ou, au travers d’une méthodeoriginale, la possibilité d’une lecture politique de la société dans cequ’elle possède de plus banal.

Le travail sur le cinéma est significatif de l’écriture et desorientations de l’auteur, de sa pensée, marquée par la période cré-pusculaire du pré-nazisme ou du nazisme mais, par extension, ilest utile lors de toute période de crise. Son analyse est principa-lement à intégrer ou à contextualiser dans l’observation du déve-loppement technique, scientifique et urbain de l’avant SecondeGuerre mondiale mais, plus généralement, du capitalisme et c’estpourquoi le lieu d’observation privilégié de Kracauer est la ville(Berlin, Paris, etc.) avec ses flux (de populations, financiers, cultu-rels, de marchandises...), ses spectacles ou ses « ornements » (caba-rets, cinémas...), ses dominations (humaines, techniques, spatiales,temporelles, etc.) dont le film est l’un des analyseurs. Il ne s’agitpas réellement pour Kracauer de voir dans le développement ciné-matographique le reflet de la société, de ses peurs, de ses idéologiesmais, plus sûrement, comme le note Theodor W. Adorno à proposdu travail et de l’analyse kracauerienne, de le concevoir lui-mêmeen tant qu’idéologie, cette dernière s’adaptant « tout autant auxbesoins de la clientèle qu’elle ne la modèle de son côté 6 ». Lecinéma ne peut être pour Kracauer que le résultat d’une dialectiquetrinitaire qui unit l’universel (le cinéma en tant que la totalité desfilms et institution), le particulier, puisque le cinéma peut sedécliner en de nombreuses formes (documentaires, cinémad’auteurs, films à grand spectacle, etc.) et le singulier, c’est-à-direle film en tant que résultat singulier d’une entreprise collective,voire la scène d’un film. De la société ornementale, liée au « cultede la distraction » 7, à la technique cinématographique comme ana-lyseur, non comme reflet, de la forme politique, voilà sans doutele projet ambitieux de Siegfried Kracauer.

5. Enzo Traverso, Siegfried Kracauer. Itinéraire d’un intellectuel nomade, Paris, La Décou-verte, 2006, p. 76.

6. Theodor W. Adorno, Notes sur la littérature, trad. de l’all. par Sibylle Muller, Paris,Flammarion, 1984, chap. « Un étrange réaliste : Siegfried Kracauer », p. 272.

7. S. Kracauer, L’Ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, trad. de l’all.par Sabine Cornille (Das Ornament des Masse. Essays), Paris, La Découverte, 2008,chap. « Culte de la distraction », p. 286-291.

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Distraction et politique

Si le cinéma est une distraction, cette dernière est, étymologi-quement, un détournement, une diversion. Son utilisation « poli-tique » s’inscrit dans une logique idéologique du détournement etcelle-ci ne peut être élaborée, s’enraciner et devenir dominante quedans un espace sociétal spécifique. Cet espace décrit par GuyDebord est celui de la « société du spectacle 8 ». Du point de vuede l’auteur, ce spectacle est devenu le « moteur » sociétal et nourritle monde vécu de faux-semblants qui eux-mêmes deviennent, infine, réalité. Les images du spectacle, comme l’explique Debord,médiatisent un rapport social 9, celui de la société moderne capita-liste où règne l’accumulation sous des formes variées en tant quefondement des rapports sociaux dominants. C’est ainsi que le spec-tacle devient société, tout en étant une partie de celle-ci en parti-cipant, instrumentalement, de son unification. Mais « en tant quepartie de la société, il est expressément le secteur qui concentre toutregard et toute conscience. Du fait même que ce secteur est séparé,il est le lieu du regard abusé et de la fausse conscience 10».

Bien des années avant Guy Debord, Kracauer avait pressentiela situation problématique que proposait le développement spec-tacularisé de la culture au sein d’une société massifiée par la moder-nité. Ainsi notait-il que « la société, consciemment, et sans douteplus encore inconsciemment, veille à ce que cette attente culturellene fasse pas réfléchir sur les racines de la culture véritable, et nedébouche pas sur une critique des conditions sur lesquelles reposele pouvoir social. Elle ne réprime pas le besoin de vivre dans l’éclatet la distraction, elle l’encourage comme elle peut, partout où ellele peut. La société ne pousse pas sa propre logique jusqu’au pointdécisif, elle recule au contraire devant toute décision et préfèrevoir le charme de l’existence plutôt qu’affronter la réalité. Elle estelle aussi portée sur les diversions. Comme c’est elle qui donne leton, il lui est d’autant plus facile d’entretenir les employés dansl’idée qu’il n’y a rien de mieux que de passer sa vie dans la dis-traction. Elle se pose comme la valeur suprême, et si la masse dessalariés la prend comme modèle, ils sont presque arrivés là où elle

8. Guy Debord, La Société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992.9. Ibid., p. 4.10. Ibid. Voir également les théories de Joseph Gabel, La Fausse conscience, Paris, Les

Éditions de Minuit, 1962.

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veut les conduire 11. » La société du spectacle naissante de l’Alle-magne weimarienne – résultat dialectique de la culture dite demasse ou de ce que, d’une part, Walter Benjamin décrira en 1935comme « l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique 12 »et, d’autre part, Max Horkheimer et Theodor W. Adorno analy-seront en 1944 comme « la production industrielle de biens cultu-rels 13 » – devient donc chez Kracauer le modèle critiquable de lasociété dominante, « puisqu’elle donne le ton » et s’insinue dansla totalité des rets de cette société nouvelle, urbaine, productiviste,marchande et consumériste. Au sein de cette société « massifiée »,le cinéma – en pleine période de développement technique, de ladistribution et de l’appropriation – change également de forme.« Les grandes salles de spectacle cinématographique à Berlin sontdes palais de la distraction ; les qualifier de cinémas serait dépré-ciatif. Ces derniers ne s’alignent plus que dans le vieux Berlin etles faubourgs, où ils pourvoient au besoin du menu public ; leurnombre diminue 14 ». Cette transformation de la culture en ce quenous pouvons nommer « biens sous-culturels de masse 15 », est sou-mise à la puissance des différents pouvoirs économiques et politi-ques, aux formes sociétales dominantes. Peter Reichel a fort bienanalysé, faisant suite aux travaux de Kracauer et de Benjamin,l’esthétisation du politique et la mise en place d’une politiqueculturelle au sein de l’État nazi 16, démontrant que l’utilisation desarts, de la culture ou des médias permettaient le détournement et,de manière concomitante, la formation des masses ou leur prépa-ration aux désirs politiques des classes et partis dominants. Cedétournement, que Kracauer perçoit au travers des cabarets, desballets, des revues ou du cinéma, avec leurs jeux de lumières, leursdécors, leurs fonds sonores, est devenu l’« œuvre d’art totale des

11. S. Kracauer, Les Employés. Aperçus de l’Allemagne nouvelle, trad. de l’all. par ClaudeOrsoni (Die Angestellten.Aus dem Neuesten Deutschland), Paris, Avinus, 2000, p. 139.

12. Walter Benjamin, Œuvres III, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité tech-nique », trad. de l’all. par Maurice de Gandillac, revue par Rainer Rochlitz, Paris,Gallimard, 2000.

13. Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La Dialectique de la raison. Fragmentsphilosophiques, trad de l’all. par Éliane Kaufholz (Dialektik der Aufklärung. Philoso-phische Fragmente), Paris, Gallimard, 1974, chap. « La production industrielle debiens culturels », p. 129-176.

14. S. Kracauer, « Culte de la distraction », art. cité, p. 286.15. Voir sur le sujet Nicolas Oblin, Sport et esthétisme nazis, Paris, L’Harmattan, 2002.16. Peter Reichel, La Fascination du nazisme, trad. de l’all. par Olivier Mannoni (Des

Schöne Schein des Dritten Reiches), Paris, Odile Jacob, 1997.

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effets 17 ». Comme le signalera Debord ultérieurement, « la distrac-tion parvient à sa propre culture 18 » car la consommation indus-trielle de produits culturels, en tant que moment de partage, par-ticipe du fait que « les humains s’éprouvent en tant que masse 19 ».Ainsi, cette dernière n’est plus abandonnée à elle-même mais elle« s’affirme dans son abandon ; elle ne tolère plus qu’on lui jetteles restes, elle exige qu’on la serve à des tables où le couvert estmis. À côté, il reste peu de place pour les couches qui se disentcultivées : ou bien elles doivent s’asseoir à la même table, ou bienleur snobisme les tient à l’écart 20 ». La masse n’est plus alors à lalisière ou à la frontière de la culture dominante, mais elle l’imposeou, mieux encore, elle fait culture, déplaçant les lignes et les fron-tières, renvoyant aux marges ceux « qui se disent cultivés ». C’estau sein de cette masse que se trouve la « classe moyenne » qui,selon l’organe officiel des S.S. au printemps 1943, était morte etne devait plus reparaître, mais était devenue « l’épine dorsale dumouvement de Hitler 21 ». Comme l’écrit Mathilde Girard, « Kra-cauer observe le Berlin des années 1920, en route vers un avène-ment pressenti du fascisme. Pressentiment qu’il développerajusqu’à la prémonition dans Caligari, où tout effet de la masse estrelu comme prédisposition à accueillir le pire. La masse, celle desouvriers, de la classe moyenne, est partout contenue ; elle estencore imprévisible, oscille entre le rassemblement révolutionnaireet l’attroupement pour le loisir, l’empressement au divertisse-ment 22 ». C’est en effet entre la folie des masses, c’est-à-dire l’indé-cision de ces dernières en périodes de crise, les dangers qu’ellesgénèrent et qu’elles encourent 23 et leur canalisation émotion-nelle 24, réactionnaire, que Kracauer perçoit l’enjeu du cinéma wei-marien puis de la période nazie. Pour lui le peuple et la masse ne

17. S. Kracauer, « Culte de la distraction », art. cité, p. 287.18. Ibid., p. 287.19. Ibid., p. 288.20. Ibid.21. S. Kracauer, De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand, op.

cit., p. 306.22. Mathilde Girard, « Benjamin, Adorno Kracauer : le cinéma, écueil ou étincelle révo-

lutionnaire de la masse ? », in Stéphane Füzesséry et Philippe Simay (dir.), Le Chocdes métropoles. Simmel, Kracauer, Benjamin, Paris, Éditions de l’Éclat, p. 226.

23. Voir Herman Broch, Théorie de la folie des masses, trad. de l’all. par Pierre Rusch etDidier Renault (Die Massenwahntheorie), Paris, Éditions de l’Éclat, 2008.

24. Voir Wilhelm Reich, La Psychologie de masse du fascisme, trad. de l’angl. par PierreKamnitzer (The Mass Psycholoigy of Fascism), Paris, Payot, 1998.

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se confondent pas. « La masse dont parle Kracauer, comme le noteencore Mathilde Girard, celle que retrouvera Adorno dans lepublic de cinéma hollywoodien, ne fait pas communauté, elle nepeut participer d’une représentation. Elle est en quelque sorte dis-soute, profilée, programmée. Kracauer fait le procès de cette masse,dans l’ordre d’un procès envers le capitalisme, qui aurait fixécomme donnée, la mise en demeure des individualités au profitdu marché. Des usines au cinéma, du cinéma à l’usine. [...] Lesfilms ne s’adressent pas aux individualités, à l’idée d’un peupledans sa discontinuité, mais à la masse 25. » N’écrit-il pas dans sonintroduction au Caligari que la petite bourgeoisie, petits proprié-taires de magasins, commerçants, artisans, ainsi que les employésse dérobaient devant eux-mêmes et se détournaient de la démo-cratie ? Ne soutient-il pas que « leur capitulation devant les nazisse fondait beaucoup plus sur des fixations émotionnelles que surun affrontement des faits 26 » faisant du cinéma l’un des révélateursde cet état de fait mais, également, l’un des accélérateurs de celui-ci ? C’est dans le cinéma, en tant qu’institution, les grandes salles,le spectacle de sons et lumières mais, également, particulièrementau travers de certains films, singulièrement de certaines scènes, queKracauer perçoit la fixation émotionnelle des masses. Le cinémane se contente pas de détourner, il permet d’inscrire au sein de la« culture de masse » les refoulements et de proposer des solutionsà ceux-ci. Dès 1928, Kracauer remarquait que les récits de la pro-duction moyenne cinématographique, c’est-à-dire la majorité dela production, étaient des « manœuvres de contournement 27 » quiéloignaient vers ce qu’il nomme des « lointains indifférents » etérigeaient des « idéologies » qui élevaient des barrières contre touteperspective alternative. Il décrit les « stupides et irréelles imagina-tions cinématographiques » comme « les rêves éveillés de la sociétédans lesquels apparaît sa propre réalité et où prennent forme sesdésirs généralement refoulés 28 ». Le lien étroit qui unit, d’une part,le cinéma en tant qu’institution du spectacle et la cinématographieen tant que procédé ou en tant que méthode pour faire émerger

25. M. Girard, « Benjamin, Adorno Kracauer : le cinéma, écueil ou étincelle révolution-naire de la masse ? », art. cité, p. 228.

26. S. Kracauer, De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand, op.cit., p. 12.

27. S. Kracauer, L’Ornement de la masse. Essais sur la modernité weimarienne, op. cit.,chap. « Cinéma 1928 », p. 275.

28. Ibid., chap. « Les petites vendeuses vont au cinéma », p. 256.

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l’émotion ou la fixer et, d’autre part, le politique est devenu trèsrapidement évident aux yeux de Kracauer. Les défilés nazis, leurimpression sur la pellicule, leur projection au sein des filmsd’actualité dans les salles de cinéma ou les films de Leni Riefens-tahl, sont parmi les premières manifestations esthétisées du déve-loppement politique de la population en tant que masse. PourKracauer, c’est à cette période que la masse se transforme en orne-ment 29, c’est-à-dire en spectacle du spectacle politique, qu’elle semet en scène et se regarde elle-même dans l’impression de toutepuissance, le désir refoulé évoqué par Kracauer, qu’elle dégage.Elle devient de la sorte à ses propres yeux l’axis mundi enracinédans la culture « universelle » massifiée et s’élevant vers un« espoir », un désir de reconnaissance, un être suprême.

L’ouvrage De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique ducinéma allemand est une marche lente au sein de ce raisonnement.Le spectacle de la culture que propose le développement urbain, lacréation de films, le choix des thèmes, des personnages, les méthodesutilisées (plans, lumières, sons...), le montage, « la croyance en lamission sociale de la technique 30 » sont autant d’indices qui per-mettent d’élucider le lien qu’il perçoit entre le développement ciné-matographique et la catastrophe qui s’annonce. Ainsi remarque-t-ilque le film de Fritz Lang, M. le Maudit, qui avait pour titre pro-visoire Mörder unter uns (L’assassin est parmi nous), montre uneétrange coopération entre les forces de l’ordre et le milieu des hors-la-loi (prémonition de l’ordre nazi ?) afin d’arrêter l’assassin récidi-viste d’enfants. Ce dernier, petit bourgeois banal, est présentécomme prisonnier d’instincts incontrôlables, immatures et régres-sifs. Ce sont ces instincts que Kracauer voit à l’œuvre dans la sociétéallemande weimarienne puis nazie, dans le désir de distraction quipeut mener à l’enivrement. Il perçoit les mêmes formes régressivesde la classe moyenne ou petite bourgeoise dans le film de Josef vonSternberg, L’Ange bleu. Un professeur apprend que ses élèves fré-quentent un cabaret, L’Ange bleu, où se produit Lola Lola (MarlèneDietrich). Il se rend sur les lieux mais, plutôt que de mettre fin auxfréquentations des jeunes garçons, il tombe amoureux de Lola Lola,couche avec elle et se marie. Il quitte alors l’école. Lors du repasde noces, il se ridiculise en imitant le coq et réitère ce numéro de

29. Ibid., chap. « L’ornement de la masse », p. 60-71.30. S. Kracauer, De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand, op.

cit., p. 184.

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ville en ville. Il devient alors le souffre-douleur de son épouse,jusqu’au jour où ce représentant de la culture et de la connaissanceest obligé de faire le coq dans le cabaret de sa ville, L’Ange bleu.Cette déchéance régressive le pousse à vouloir tuer Lola Lola avantd’en être empêché et de mourir lui-même dans l’école dont il étaitl’un des professeurs. Par ces deux exemples, l’exploration des cesdeux histoires mais aussi des ressorts psychologiques des person-nages, Kracauer montre que, « dans le sillage de la régression, deterribles flambées de sadisme sont inévitables 31 ». Il va plus loinencore en affirmant que « ces deux films sont issus de la situationpsychologique de ces années cruciales et tous deux anticipent ce quiallaient advenir sur une vaste échelle, à moins que les gens ne selibérassent des spectres qui les poursuivaient 32 ». Ils ne le ferontpas.

Le parallèle que fait Kracauer entre le film de Fritz Lang,Métropolis, et les stratégies et structures de la propagande naziessont, de ce point de vue, plus que troublantes. Il observe que c’està partir de la colère d’ouvriers grévistes, c’est-à-dire d’affects, qu’unindustriel détourne la masse à son avantage et scelle l’alliance entrele capital et le travail ouvrier. Les affects, désir d’identification,refoulement, colère sont, identiquement, utilisés par les dignitairesdu régime nazi et leurs institutions de propagande. Kracauer enveut pour preuve le discours de Goebbels, à la convention du partinazi en 1934 à Nuremberg qui s’exprimait en ces termes : « Quela flamme étincelante de notre enthousiasme ne s’éteigne jamais.Seule cette flamme donne lumière et chaleur à l’art créateur de lapropagande politique moderne. Jaillissant des profondeurs dupeuple, cet art doit toujours y redescendre et y trouver sa puissance.Le pouvoir fondé sur le fusil peut être une bonne chose ; néanmoinsil est beaucoup mieux et plus agréable de gagner le cœur du peupleet de le garder 33. » C’est ce que montre le film de Lang qui, lorsdes dernières images, propose une scène où les ouvriers avancentvers l’industriel qui les attend et les accueille sur le parvis d’unecathédrale. Comme le souligne Kracauer, « l’ensemble de la compo-sition dénote que l’industriel accepte de reconnaître le cœur dansle seul but de le manipuler ; qu’il ne renonce pas à son pouvoir,mais qu’il va l’étendre à un royaume encore non annexé – le

31. Ibid., p. 249.32. Ibid.33. Joseph Goebbels cité in Ibid., p. 181.

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royaume de l’âme collective 34 ». C’est ainsi que Lang établit l’auto-rité totalitaire. Cette scène de 1927 trouve son pendant dans le filmLe Triomphe de la volonté consacré au congrès du parti nazi àNuremberg en 1934. En agissant sur les émotions, sur l’esthétismedes manifestations, sur la massification du peuple, le parti naziespère créer l’unité. Leni Riefensthal filmera des figures géométri-ques de masses proches de ce que propose Lang dans son filmMetropolis et le mouvement et la compacité de ces masses, des sym-boles et drapeaux y sont accentués par le mouvement des caméras,le montage du film et le travail sonore, par la composition de cesmasses constituées de toutes les classes de tous les âges et des deuxsexes. Cette massification montre également l’étroit rapport entrela technique qui se développe – et les discours des dignitaires nazisfont, au cours du film, l’éloge de la technique et de l’industrie – etle corps constitué que devient le travailleur dépendant de cette tech-nique et de la machine 35, comme le supposait Lang dans Metropolis.

C’est sans doute pour ces raisons que Kracauer acceptera depublier en 1942 une brochure commandée par la Cinémathèquedu Musée d’Art Moderne et qu’il demandera son incorporationdans son ouvrage De Caligari à Hitler, puisque la logique conco-mitante du développement social et politique, d’une part et, d’autrepart, culturel, permettait de percevoir comme un aboutissement lefilm de propagande. Néanmoins il serait réducteur et erroné delimiter l’analyse cinématographique de Kracauer à l’émergence et àl’aboutissement de la propagande et la politique nazie.

Productivité et cinématographie

Il est nécessaire, en effet, de percevoir combien le travail deKracauer s’inscrit dans une théorie beaucoup plus large du poli-tique, de la culture, du cinéma et du film. Son intérêt pour laphotographie et pour le cinéma lui permettent de mettre en lumièrece que la société moderne possède de spécifique. Si ce qui semblaitcaractériser les sociétés d’avant la modernité était un relatif immo-bilisme, la modernité est la création d’un mouvement quasi perpé-tuel. Le travail autour de l’image participe de cette mise en

34. Ibid.35. Voir le film de Leni Riefensthal, Le Triomphe de la volonté (Triumph des Willens),

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mouvement puisque « le film constitue essentiellement un prolon-gement de la photographie et partage donc avec elle une affinitéprononcée pour le monde visible qui nous entoure 36 ». Mais si lepoint commun est de capter ce monde visible, un double mouve-ment caractérise le film. Tout d’abord celui du sujet, même devantune caméra fixe – Kracauer prend l’exemple de ce film qui capturele mouvement des feuilles d’un arbre prise dans le vent – puis celuide la caméra qui, par son déplacement, ses changements de plansdonne un mouvement porté tant par l’objectivité de la réalité maté-rielle que par la subjectivité du cinéaste dans ses parti-pris. Néan-moins la question que pose Kracauer dans son dernier opus sur lecinéma, Théorie du Film. La rédemption de la réalité matérielle, n’estpas seulement celle de l’existence du mouvement mais, au traversde celui-ci, de son utilité, celle de la productivité, du tempo ou durythme, de l’accélération en tant qu’expérience politique majeurede la modernité comme le propose Hartmut Rosa 37.

Les dernières décennies ont été l’occasion de nombreusesréflexions sur l’accélération du temps, une accélération qui modifiecomme le notait Jean Fourastié 38 le rapport de production, évidem-ment, mais, également, l’observation, le questionnement et l’analysepotentiellement réalisable des phénomènes et des événements. En1963 Fourastié écrivait que « le progrès c’est donc l’accroissementde la vitesse avec laquelle l’homme domine les difficultés. Cettevitesse de l’action humaine peut s’exprimer par un mot commode :c’est la productivité ou le rendement 39. » La notion de progressioncontient ici, par l’idée d’accélération, celle de domination. En cesens, et Fourastié l’a noté sans l’analyser, la vitesse est plus qu’unrapport de productivité puisqu’elle est également un rapport demodification des formes institutionnelles de domination ce quisignifie que les institutions sont à leur tour altérées par les formesaltérées de domination. Paul Virilio de son côté remarque que « lavitesse traite la vision comme matière première ; avec l’accélération,voyager c’est comme filmer, produire moins des images que destraces mnémoniques nouvelles, invraisemblables, surnaturelles. Dansun tel contexte, la mort elle-même ne peut plus être ressentie comme

36. S. Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, op. cit., p. 13.37. Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, trad. de l’all. par Didier

Renault (Die Veränderung der Zeitstrukturen in der Moderne), Paris, La Découverte,2010.

38. Jean Fourastié, Le Grand Espoir du 20e siècle, Paris, Gallimard, 1963.39. Ibid., p. 33.

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mortelle, elle devient [...] un simple accident technique 40. » Maisplus que la mort, c’est la vie elle-même qui peut devenir l’accidenttechnique, ce qui semblerait démontrer combien la vie est prise dansles rets de la réification. Car la vitesse de production du voyage, destraces mnémoniques, mais également des biens et services et l’accé-lération pour l’instant non finie de cette production, participent dunon-sens de la vie et donc de la mort, par la disparition du sens dela production et de la consommation, par l’incapacité de transcenderce qui disparaît à peine est-il existant. C’est aussi pour ces raisonsque les altérations idéologiques, politiques, philosophiques, histori-ques modernes sont analysées par le courant postmoderniste commela preuve de la disparition des idéologies et de l’homme 41. Pourtantil est possible d’imaginer que c’est le cadre idéologique, mouvant,altéré par lui-même et ses propres conséquences, dans une formedialectique, qui propose l’accélération du temps, la productivité, lerendement. Les thèses sur l’ornement de la masse de Kracauer, maiségalement celles de Debord sur « la société du spectacle », d’Hork-heimer et Adorno sur la massification et l’industrialisation cultu-relles, voire celles d’Hannah Arendt sur la crise de la culture et del’éducation 42, rappellent ainsi partiellement, avec des postures oppo-sées, la philosophie aristotélicienne qui perçoit dans un monde fini,visible, la forme aboutie de la perfection et n’imagine pas l’être dansses parties oubliées, délaissées ou cachées. Néanmoins, là où la phi-losophie aristotélicienne perçoit dans la finitude et l’évidence uneperfection, Kracauer, Debord, Horkheimer, Adorno et Arendt,même si cette dernière n’utilise pas ce vocabulaire, y perçoiventl’aliénation. Ainsi quand Debord écrit que « le spectacle est l’idéo-logie par excellence, parce qu’il expose et manifeste dans sa plénitudel’essence de tout système idéologique : l’appauvrissement, l’asservis-sement et la négation de la vie réelle 43 » il affirme que le réel nepeut être compris dans la superficialité de l’événement, dans la per-ception d’un acte fini. Or le spectacle ne donne pas à voir lecomplexe et le radical de la réalité mais sa simplification extrême etsuperficielle. Ce qui caractérise le spectacle est également sa forme

40. Paul Virilio, Esthétique de la disparition, Paris, Éditions Galilée, 1989, p. 67.41. Voir sur le sujet Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le Dernier homme, trad. de

l’angl. par Denis-Armand Canal (The End of the History and The Last Man), Paris,Flammarion, 1992.

42. Hannah Arendt, La Crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, trad. del’angl. sous la dir. de Patrick Lévy, Paris, Gallimard 1972.

43. G. Debord, La Société du spectacle, op. cit., p. 164.

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éphémère car pour que l’idéologie du spectacle soit pérenne, le spec-tacle doit se reproduire sous des formes différentes toujours renou-velées. C’est pour cela que la forme du spectacle, fragilisée par letemps, s’altère et réapparaît toujours autre, bien que mettant enscène la même idéologie. Horkheimer et Adorno ne démontrent pasautre chose lorsqu’ils écrivent que « la culture est une marchandiseparadoxale. Elle est si totalement soumise à la loi de l’échange qu’ellen’est même plus échangée ; elle se fond si aveuglément dans laconsommation qu’elle n’est plus consommable. C’est pourquoi ellese fond avec la publicité [...] qui sert de refuge à ceux qui organisentle système et le contrôlent 44 » car, et c’est ici une formidable intui-tion, la consommation des biens culturels n’a de sens que dans uneproduction qui ne soit pas industrielle, c’est-à-dire qui ne sauraitreposer sur la nécessaire éphémérisation de tout produit industriel.Kracauer en est conscient dès la fin des années 1920 puisque dansson texte paru le 4 mars 1926, « Culte de la distraction », il écritque « les biens culturels que les masses se refusent à recevoir ne sontplus en partie qu’un patrimoine historique, parce que la réalité éco-nomique et sociale dont ils dépendaient a changé 45 ». Les biensculturels que les masses reçoivent dépendent donc d’une industria-lisation qui repose sur deux vecteurs : vitesse de production et vitessede lecture, de compréhension, d’appropriation de ces biens par lesindividus. Or l’accélération de la vitesse de production, de compré-hension et d’appropriation des biens culturels repose également surla nécessaire diminution de la complexité du sens de ce bien culturel.C’est à ce prix que le spectacle peut être le support de l’idéologiedominante. Arendt confirme à sa manière les propos de Kracaueren rappelant que « la culture de masse apparaît quand la société demasse se saisit des objets culturels, et son danger est que le processusvital de la société (qui, comme tout processus biologique, attire insa-tiablement tout ce qui est accessible dans le cycle de son métabo-lisme) consommera littéralement les objets culturels, les engloutiraet les détruira 46 ». Ainsi le « spectacle culturel » qui ne se consommeque dans la massification et la vitesse croissante, car tel est le credode notre société de consommation, détruit la culture sur les lieuxde loisirs et d’éducation.

44. M. Horkheimer et Th. W. Adorno, La Dialectique de la raison. Fragments philoso-phiques, op. cit., p. 170-171.

45. S. Kracauer, « Culte de la distraction », art. cité, p. 288.46. H. Arendt, La Crise de la culture, op. cit., p. 265-266.

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Dans la Théorie du film, Kracauer donne des éléments essen-tiels de la compréhension cinématographique moderne et de l’effetdu cinéma sur le spectateur. Utilisant les analyses d’Henri Wallon,il rappelle que le film tend « à émousser la conscience du specta-teur 47 ». Évoquant l’obscurité qui atténuerait le contact avec la réa-lité présente, il affirme qu’elle « endort l’esprit » et qu’elle pourraitde la sorte devenir une sorte de drogue entraînant l’« addiction » 48.Il est certain que cette drogue n’est pas le résultat de la seule obs-curité mais de l’agencement du film lui-même, tel que le démontreKracauer tout au long de l’ouvrage. Analyse du son et des dialogues,de la musique, la forme d’insertion par rapport aux images, lesrelations vis-à-vis de celles-ci, le synchronisme, l’a-synchronisme, leparallélisme ou le contrepoint, participent in fine de cet endormis-sement, de cette transformation de la population en masse, dansune sous-culture qui anéantit le désir de soulèvement, la consciencepolitique collective. L’accélération rythmique des images et des sonsau sein des films, c’est également le cas pour la musique, est assimilépar le corps lui-même. Le jazz, en tant que musique de danse,n’était-il pas une accélération de la pulsation corporelle ? Les œuvresclassiques ne s’interprètent-elles pas souvent plus rapidementaujourd’hui qu’à leur origine ? Ainsi les films pour le grand publicproposent désormais des plans séquences très courts qui se super-posent les uns aux autres afin d’accélérer le rythme de la narrationet de donner à interpréter des situations d’urgences. C’est le cas desfilms dits catastrophes.

Mais le travail de Kracauer sur le film déborde le cadre ducinéma et de la cinématographie. Il y trouve les indices permettant,si ce n’est de mesurer l’accroissement de la technique, du moins del’observer dans le monde moderne. L’accélération imposée par lessciences et les techniques modifie substantiellement la vie elle-même, les perceptions du monde vécu et, « que nous le sachionsou non, notre façon de penser et toute notre attitude envers laréalité sont déterminées par les principes qui régissent la science 49 ».L’une des expériences scientifiques les plus marquantes est celle del’abstraction qui éloigne petit à petit de la réalité vécue collective-ment. Les horizons communs disparaissent et la foi en la machineou la technique remplace les désirs collectifs. La réalité accessible à

47. S. Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, op. cit., p. 238.48. Ibid.49. Ibid., p. 413.

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l’individu est de plus en plus fractale et de plus en plus différenciée.Cette réalité vécue, ce « monde » comme le dit Kracauer, « estconstitué de parcelles d’événements aléatoires dont la successiontient lieu de continuité signifiantes. Similairement, il faut voir laconscience individuelle comme un agrégat de restes de convictionset d’activités diverses ; et comme la vie de l’esprit manque de struc-ture, des impulsions émanant des régions psychosomatiques peu-vent venir combler les interstices. Des individualités fragmentéeremplissent leurs rôles au sein d’une société fragmentées » 50. Lesfilms (d’information, documentaires ou non) sont également por-teurs de ces fragments. Peuvent-ils alors montrer la réalité matériellecomme le prétend encore Kracauer ? Sans doute si désormais, aunom de son analyse sur les sciences et les techniques, nous cher-chons derrière les images proposées le sens porté par « le flot iné-puisables de découvertes et d’inventions qui affectent la vie quoti-dienne dans ses replis les plus cachés et la transforment à un rythmeaccéléré 51 », si ces images permettent la compréhension non passeulement de la réalité vue sur les images mais de celle de la sociététechnoscientifique et productiviste, de son accélération et de l’alté-ration de son sens.

Conclusion

Les analyses de Kracauer sont donc devenues essentielles. Misesen perspectives, ce qu’il pressent du mouvement apporté par lacaméra, des techniques cinématographiques, donne une idée précisedu vécu sociétal contemporain. Je rappellerai la proposition de PaulVirilio qui stipule que nous devons « regarder ce qu’on ne regardaitpas, écouter ce qu’on n’entendait pas, être attentif au banal, à l’ordi-naire » 52, ce que Kracauer fit toute sa vie. De ce point de vue, lesséries télévisées sont banales ou ordinaires. Aucune ne peut pré-tendre être l’un des chefs-d’œuvre du septième art. Pourtant ellesenvahissent le « paysage audiovisuel ». Il est remarquable que lesséries policières américaines, je prendrai l’exemple de la série « LesExperts » (Manhattan, Miami, Las Vegas), créée, produite et réaliséepar les mêmes équipes (Anthony E. Zuiker, Ann Donahue, Carol

50. Ibid., p. 420.51. Ibid., p. 413.52. Paul Virilio, Esthétique de la disparition, op. cit., p. 43.

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Mendelsohn, Jerry Bruckheimer, etc.), utilisent des procédés et desméthodes cinématographiques identiques. Ainsi s’opposent desplans larges (vues globales de villes technologiques) et des plans trèsétroits (vues confinées de « l’intimité scientifique »). La nuit et l’uni-vers crépusculaire y tiennent une place importante. C’est ainsi quese définissent des espaces limités de connaissance et les zones desecret. Pour reprendre Hermann Broch, la lutte contre la pré-panique ou la panique politique passe soit par le fondateur de lareligion, soit par l’utilisation virtuose de la raison 53. La religion estsymbolisée par la découverte de la lumière, et la raison par l’utili-sation de la technique. Or, Les Experts appartiennent à ce secondregistre et utilisent cette technique de manière virtuose, ceci est vraipour la chimie, l’informatique, la physique. L’utilisation de la tech-nique et sa domination permettent toujours la victoire du « bien »ou du « juste » sur le « mal ». L’assimilation du « bien » ou de la« justice » à la modernité technique et à la raison propose un modèlede société qui amalgame développement technique et dominationdes risques, des forces obscures. Ainsi, pour les créateurs/produc-teurs de ces séries, la dialectique bien/mal reste toujours du boncôté par le développement de la ratio, de la raison instrumentale.Ce schéma est identique dans la série, qui n’est pas policière, Doc-teur House. L’appareillage médical et chirurgical est censé montrerl’intérieur des corps et les secrets ou les parts d’ombre de ces derniers(les pathologies) et, allié à la raison – recherches de diagnostic parla rationalité, la déduction –, il permet de les repousser ou de lesvaincre.

Dans chacun de ces exemples, la production utilise desséquences-plans se succédant en temps extrêmement bref rythmantou pulsant la vie, le corps des êtres et le corps social. Cette accélé-ration, ce jeu avec le temps, est un jeu contre le temps. L’accéléra-tion perpétuelle des rythmes de vie permettrait la sauvegarde de lavie et de la démocratie. Ces plans courts, élaborés autour de flash-back multiples, entremêlés, produisent également une impressionde désynchronisation des temps 54 qui, in fine, est une désynchro-nisation de l’évolution des différents groupes sociaux ou person-nages en présence. Ceux qui maîtrisent techniquement au mieuxcette désynchronisation moderne des temps entre passé, présent etavenir, sur des rythmes différenciés, maîtrisent la connaissance et

53. H. Broch, Théorie de la folie des massess, op. cit., p. 29.54. H. Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, op. cit.

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le cours de la vie, les événements. C’est ainsi que peuvent s’élaborerles nouvelles formes de pouvoirs ou les nouvelles formespolitiques 55.

Ainsi, tout comme le cinéma des années 1920 et 1930, analysépar Kracauer, a pressenti et proposé des formes nouvelles au cré-puscule à venir, la production cinématographique contemporaine– cinéma, séries télévisées, reportages – analysée sous l’œil kracaue-rien propose non pas le reflet de notre société, comme il serait tropsimple de le croire, mais, probablement, le prochain état crépuscu-laire de masses charmées et acquises à l’accélération technique, àcelles du changement social ou des rythmes de vie qui font peser,comme le montre Hartmut Rosa, une réelle menace sur le devenirsociétal. !

Patrick Vassort est maître de conférences HDR à l’université deCaen. Il travaille dans le champ de la sociologie politique. Ses objetsconcernent principalement les idéologies, le sport et le corps ainsi quel’épistémologie. Il est directeur de publication de la revue Illusio. Il arécemment publié La Crise de l’Université française. Traité critique contreun politique de l’anéantissement (avec Nicolas Oblin, Paris, L’Harmattan,2005), Épistémologie. Le Cas de la sociologie du sport (Paris, L’Harmattan,2007), Dictionnaire des risques (Yves Dupon et al. (dir.), Paris, ArmandColin, 2007), Footafric. Coupe du monde, capitalisme et néocolonialisme,(avec Ronan David et Fabien Lebrun, Montreuil, L’Échappée, 2010),Sexe, drogue et mafias. Sociologie de la violence sportive (Bellecombe-en-Bauges, Le Croquant, 2010).

RÉSUMÉ

Kracauer et les images du politique

Le travail sur le cinéma est significatif des orientations et de la pensée de SiegfriedKracauer, marquées par la période crépusculaire du pré-nazisme ou du nazisme.Son analyse est à contextualiser dans l’observation du développement technique,scientifique et urbain de l’avant Seconde Guerre mondiale mais, plus générale-ment, du capitalisme. C’est pourquoi le lieu d’observation privilégié de Kracauerest la ville avec ses flux, ses spectacles ou ses « ornements », ses dominations,

55. Voir ibid.

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Page 18: KRACAUER ET LES IMAGES DU POLITIQUE · PDF fileKracauer des évidences mais, comme le souligne Enzo Traverso, les « fragments d’une réalité éclatée5 » ou, au travers d’une

dont le film est l’un des analyseurs. Il ne s’agit pas pour l’auteur de voir dans ledéveloppement cinématographique le reflet de la société, de ses peurs, de sesidéologies mais de le concevoir en tant qu’idéologie s’adaptant aux besoins de laclientèle et la modelant. De la société ornementale, liée au « culte de la distrac-tion », à la technique cinématographique comme analyseur de la forme politique,voilà l’ambitieux projet analytique de Kracauer.

Kracauer and the images of politics

Working on cinema is significant about Siegfried Kracauer’s orientations and wayof thinking, marked by the fading era of pre-Nazism and Nazism. His analysis is tobe contextualized as the observation of technical, scientific and urban developmentbefore World War II but also of capitalism as a whole. That is why Kracauer’sprivileged focus is the city with all its influx, its spectacles or “adornments” and itsdominations, of which movies are one type of analyzers. The concept is not for theauthor to see in movie development the reflection of society, of its fears and ideologies,but to consider it as an ideology adapting to the needs of its clients and molding themin the meanwhile. From the ornamental society, linked to the “cult of entertainment”to the movie technique as an analyzer of political forms, here lies Kracauer’s ambitiousanalytical project.

Kracauer et les images du politique – 95

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