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PAUL HENRY F, Gent APORIES ORALES DE PLOTIN SUR LES CATEGORIES D'ARISTOTE * Les premieres apories que Dexippe attribue explicitement ä Plo- tin traitent du nombre des categories, mais plus precisement sous l'aspect du rapport des categories du monde intelligible a Celles du monde sensible. Chez Simplicius aussi ces apories sont explicitement attribuees ä Plotin. D'un monde ä l'autre, les categories sont-elles les memes ou differentes, ou bien les unes sont-elles les memes, les autres differentes? Sont-elles en nombre egal, plus nombreuses, moins nombreuses? C'est le probleme preliminaire qu'examine Plotin au chapitre 1 de son premier traite VI 1, au debut du chapitre 2 sur la substance et, une troisieme fois, au debut du chapitre 5 de son troi- sieme traite, VI 3. Nos textes de base sont done: VI 1,1,19-30; VI 1,2,1-8; VI 3,5,1 - 7 \ mais aussi VI 2,16,1-2 et VI 3,27,1-4. S'y referent trois apories de Dexippe, mais l'une sous trois formes differentes - ce qui nous donne cinq petits textes - et deux longues pages de Simplicius, qui correspondent pour une part aux Enneades, pour une part aux textes de Dexippe, mais qui toutes deux associent le nom de Plotin ä celui de ses predecesseurs. En outre deux textes anonymes, l'un de Dexippe, l'autre de Simplicius. * Voir aussi P. Henry, Trois apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote [en fait, deux, la troisieme etant une source commune ä Plotin et a Simplicius], dans: Zetesis (Hommage a Emile de Strycker, S.J.), Antwerpen-Utrecht 1973, 234—265 et P. Henry, The Oral Teaching of Plotinus [ = Cinq apories sur la Quantite, dont quatre sur le Discours, espece du genus Quantite d'apres Aristote], dans: Dionysius 6 (1982) 3-12. 1 Brehier imprime VI 3,5,1-7 entre crochets droits ce qui signifie qu'il ne le tient pas pour authentiquement plotinien (H.-S. negligent de signaler ce fait), mais qu'il le tient probablement pour un commentaire ou sommaire de Porphyre. Brehier ne s'en explique pas, ni dans l'apparat, ni dans les notes, ni dans la notice. Harder en met la traduction entre parentheses, sans qu'on sache ce qu'il entend par la. Theiler ecrit qu'il s'agit d'une Nebenbemerkung, mais parait le tenir pour authentique. II n'y a aucune raison de douter de l'authenticite: le trait sur le pätir en VI 3,5,6 est confirme par Simpl. p. 73,23-24. Brought to you by | New York University Bobst Library Technical Services Authenticated Download Date | 12/7/14 11:28 PM

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Page 1: Kommentierung, Überlieferung, Nachleben () || Apories orales de Plotin sur les Catégories d’Aristote

PAUL H E N R Y F, Gent

A P O R I E S ORALES D E P L O T I N SUR LES C A T E G O R I E S D ' A R I S T O T E *

Les premieres apories que Dexippe attribue explicitement ä Plo-tin traitent du nombre des categories, mais plus precisement sous l'aspect du rapport des categories du monde intelligible a Celles du monde sensible. Chez Simplicius aussi ces apories sont explicitement attribuees ä Plotin. D'un monde ä l'autre, les categories sont-elles les memes ou differentes, ou bien les unes sont-elles les memes, les autres differentes? Sont-elles en nombre egal, plus nombreuses, moins nombreuses? C'est le probleme preliminaire qu'examine Plotin au chapitre 1 de son premier traite VI 1, au debut du chapitre 2 sur la substance et, une troisieme fois, au debut du chapitre 5 de son troi-sieme traite, VI 3. Nos textes de base sont done: VI 1,1,19-30; VI 1,2,1-8; VI 3,5,1 - 7 \ mais aussi VI 2,16,1-2 et VI 3,27,1-4.

S'y referent trois apories de Dexippe, mais l'une sous trois formes differentes - ce qui nous donne cinq petits textes - et deux longues pages de Simplicius, qui correspondent pour une part aux Enneades, pour une part aux textes de Dexippe, mais qui toutes deux associent le nom de Plotin ä celui de ses predecesseurs. En outre deux textes anonymes, l'un de Dexippe, l'autre de Simplicius.

* Voir aussi P. Henry, Trois apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote [en fait, deux, la troisieme etant une source commune ä Plotin et a Simplicius], dans: Zetesis (Hommage a Emile de Strycker, S.J.), Antwerpen-Utrecht 1973, 234—265 et P. Henry, The Oral Teaching of Plotinus [ = Cinq apories sur la Quantite, dont quatre sur le Discours, espece du genus Quantite d'apres Aristote], dans: Dionysius 6 (1982) 3-12.

1 Brehier imprime VI 3,5,1-7 entre crochets droits ce qui signifie qu'il ne le tient pas pour authentiquement plotinien (H.-S. negligent de signaler ce fait), mais qu'il le tient probablement pour un commentaire ou sommaire de Porphyre. Brehier ne s'en explique pas, ni dans l'apparat, ni dans les notes, ni dans la notice. Harder en met la traduction entre parentheses, sans qu'on sache ce qu'il entend par la. Theiler ecrit qu'il s'agit d'une Nebenbemerkung, mais parait le tenir pour authentique. II n'y a aucune raison de douter de l'authenticite: le trait sur le pätir en VI 3,5,6 est confirme par Simpl. p. 73,23-24.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 121

Les relations entre tous ces textes etant fort compliquees, il est utile de les enumerer ici, avec les sigles que je leur attribue, et dans l'ordre ou je les etudie.

01 = Simpl. p.73,15-28 (Plotin, Lucius et Nicostrate) 01b* = Dex. II 1 sommaire et aporie (anonymes) = Simpl.

p. 73,15-16 (Plotin) 02 = Simpl. p. 73,25-27 (Plotin) 01 a* = Dex. II 4 sommaire et aporie (Plotin) F1 = Simpl. p. 76,13-22 (Plotin et Nicostrate) F l = Dex.II 2 aporie (dans le corps de l'ouvrage)

(Plotin) 01c = Dex. 112 sommaire (Plotin) 01c = Dex. II 2 solution (Plotin), cf. Simpl. 76,22-77,4 F2 = Dex.I38 solution (anonyme) = Simpl. p.66,30-31

(anonyme)

Bien que, au debut, ces distinctions paraissent compliquees, la suite montrera qu'elles aident a clarifier les questions.

Je signale tout de suite que le grand texte attribue au «tres divin Plotin» par Simpl. p. 73,15-28 contient aussi ce que contiennent Dex. II 1, Dex. II 2 somm. et a de nombreuses correspondances avec Dex. II 4.

Nous finirons notre chapitre par un texte tres court relatif au Probleme de l'oppose du mouvement, le repos, auquel font allusion Enn.VI 3,27,4-5, ainsi que Dex.I 38 sol., p.34,17-19 (τις) et Simpl. p. 66,30-31 (τις), et qui, faisant partie d'une source composite, justi-fiera le sigle F 2.

Le tout est un chasse-croise de references, un enchevetrement de textes, de correspondances et de non-correspondances entre l'ecrit, l'oral, les sources, a peu pres inextricable, un des ensembles les plus complexes auxquels nous ayons jamais eu affaire.

Dans ce fouillis je vais m'efforcer d'introduire un peu d'ordre et de clarte. Patiemment, car il s'agit bien d'un jeu de patience, je repar-tirai de mon mieux ces fragments, qui chevauchent les uns sur les autres, entre deux series, celle des reportata de l'enseignement oral (0) et celle des sources (F).

Avec des coefficients variables de certitude ou de probabilite, je compte recuperer de la sorte deux fragments certains de l'oral, deux

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fragments tres probables, un fragment simplement probable, enfin deux sources certaines2.

Des les premiers textes nous affrontons les trois principaux pro-blemes qui nous Interessent et cela, on l'a dit, dans une complexite plus grande qu'ailleurs.

1. Le probleme fondamental des rapports de l'ecrit et de l'oral. Les limites entre l'un et l'autre sont parfois indecises, incertaines. Ce qui est sur, c'est que l'oral, quand oral il y a, eclaire considerablement l'ecrit, sorte de commentaire ou de resume anticipe.

2. Le probleme de l'independance mutuelle de Dexippe et de Simpli-cius et de leur complementarite. La question essentielle, souvent inso-luble, est de savoir lequel des deux est le plus fidele ä la formulation de l'aporie orale ou de la source telles que les transmettait Porphyre, voire meme le seul Jamblique. Le lecteur avise s'apercevra sans peine que Simplicius ne peut vraiment dependre de Dexippe; il parait ne jamais l'utiliser dans le corps de son ouvrage; le nom n'apparait qu'une seule fois, et cela dans la Preface, p. 2,25, ou Simplicius enu-mere les commentateurs des Categories, alors qu'ailleurs il n'a pas honte de citer fidelement ses sources, notamment Porphyre et Jam-blique.

3. Enfin, le probleme des sources de Plotin, sources de l'oral ou de l'ecrit ou de l'un et de l'autre. Ici meme, par deux fois, un texte attri-bue par Simplicius a Plotin, est attribue aussi, par lui, aux predeces-seurs de Plotin. Chez Dexippe, ce n'est pas le cas ici et ce sera tou-jours beaucoup plus rare.

Les deux seuls points vraiment fermes et solides - ce ne sera pas toujours le cas - sont: Primo, que les apories sont nettement authen-tifiees, citees sous le nom de Plotin, tant par Dexippe que par Simpli-cius, lequel souvent, ailleurs, se contente d'ecrire «quelques-uns», lä meme ou nous savons pertinemment qu'il s'agit de Plotin. Secundo, qu'une partie au moins des apories, tout en etant sürement ploti-niennes, n'ont aucun parallele dans les Enneades et proviennent done de l'oral.

2 1. Les sigles Ol et 02 marquent, pour moi, des fragments de l'oral que je tiens pour certains. 2.J'affecte d'un asterisque Ola* et 01b*, des fragments de l'oral, a mes yeux tres probables, mais non certains. 3. 01 c est un fragment oral simplement pro-bable. Je tiens F l et F 2 pour des sources certaines.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 123

La premiere aporie orale d'apres Simplicius, Ol

Lisons done le premier texte de Plotin, et cela d'apres les En-neades, VI 1.

«Mais la premiere question ä poser est plutot la suivante: les dix genres sont-ils egalement dans les etres intelligibles et dans les choses sensibles? Ou bien sont-ils tous dans les choses sensibles, et quelques-uns d'entre eux dans les etres intelligibles, quelques-uns non? Car l'inverse n'est pas pos-sible (Enn.VI 1,1,19-22). II faut des lors examiner ceci: quels sont ceux des dix genres qui sont aussi dans l'intelligible? De plus ceux qui sont dans l'intelligible doivent-ils etre ramenes au meme genre que ceux qui sont dans le sensible, ou bien la substance dans le monde intelligible n'a-t-elle que le nom en commun (i. e. ho-monymes) avec la substance sensible? S'il en est ainsi, il y a plus de dix genres (1,22-25). Admet-on leur synonymie, il est absurde que le mot sub-stance ait le meme sens dans les etres premiers et dans les realites qui leur sont posterieures car lä ou il y a de l'ante-rieur et du posterieur, il n'y a pas de genre commun (1,25-28). Mais dans cette division les peripateticiens ne disent mot des etres intelligibles; e'est qu'ils n'ont pas l'intention de faire entrer la totalite des etres dans leur division, ils laissent de cote ceux qui sont les etres au plus haut degre» (1,28-30).

Lisons maintenant Simplicius. Par souci de clarte, j'en repartis le texte en neuf paragraphes.

«I. Aporie: dans les categories, Aristote a-t-il divise et enu-mere les seules choses sensibles et soumises au devenir II. ou bien tous les etres, quels qu'ils soient? (p. 73,15-16). III. De fafon generale, les genres intelligibles sont-ils autres que les genres sensibles IV. ou bien les uns sont-ils les memes (dans les deux mondes), les autres differents? (p.73,16—18). V. Car, s'ils sont differents, les intelligibles ont ete totale-ment negliges (p.73,18).

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VI. S'ils sont les memes, les genres sensibles seront syno-nymes des genres intelligibles. Et comment y aurait-il com-munion dans les choses oü il y a de l'«anterieur et du poste-rieur» et oü Tun est modele, l'autre image? (p. 73,18—21). VII. Si les dix categories sont dites par homonymie des in-telligibles, elles ne seront pas les memes ici et lä, puisqu'elles n'auront en commun que le nom. Les genres seront plus nombreux (qu'ils ne le disent), les intelligibles n'etant pas compris (par eux parmi les dix) (p. 73,21-23). VIII. De plus, comment n'est-il pas invraisemblable que dans ces etres-lä, qui sont immuables, on puisse trouver le pätir et les relations, pareilles ä des excroissances dans des etres qui demeurent fondamentalement identiques ä eux-memes (p. 73,23-25). IX. Si les uns sont communs aux intelligibles et aux sensi-bles, les autres propres a l'un et a l'autre, il (c. a.d. Aristote) a neglige de faire cette repartition (p. 73,25-27). Teiles sont done les apories du tres divin Plotin et des disci-ples de Lucius et de Nicostrate» (p. 73,27-28)3 .

3 Simplicius, In Cat. 4, p. 73, 15-28: I. Εΐ δέ τις άπορεϊ, πότερον τά αίσθητά μόνα και γενητά διεΐλεν έν τούτοις ό 'Αριστοτέλης και άπηριθμήσατο II. ή πάντα τά όπωσοΟν δντα, III. και δλως πότερον άλλα έστί τά νοητά γένη ή τά αισθητά, IV. ή τινά μέν τά αύτά, τινά δέ Ετερο-ν . και γαρ εΐ μέν άλλα, παραλέλειπται πάντη έκεΐνα -

VI. εί δέ τά αύτά, συνώνυμα ΐίσται τά αίσθητά τοις νοητοΐς· και πώς ίσται κοι-νωνία τής αυτής ούσίας, έν οίς τό πρότερον Ιστιν και τό ϋστερον, και τό μέν παράδειγμα, τό δέ είκών; VII. εί δέ όμωνύμως λέγονται έπι των νοητών αί δέκα κατηγορίαι, ούκ έσονται αί αύται, εΐπερ όνόματος μόνου τοΟ αύτοΟ κοινωνοΟσιν, άλλά πλείω Ισται τά γένη, ού περιληφθέντων τών νοητών. VIII. £τι δέ πώς ούκ άπίθανον έν έκείνοις άτρέπτοις ούσιν είναι τό πάσχειν και τά πρός τι, παραφυάδι έοικότα έν τοις κατά τά αύτά προηγουμένως έστώσιν; IX. εί δέ τά μεν έστι κοινά νοητοΐς και αίσθητοΐς, τά δέ ίδια, παραλέλειπται ή τούτων διάρθρωσις. ταΟτα μέν ούν και ό θειότατος Πλωτίνος άπορεϊ και οί περί τον Λούκιον και Νικόστρατον. Aux lignes 24-25 j'ai suivi la ponetuation de Kalbfleisch et j'ai traduit le texte en consequence. Mais j'ai un doute serieux. Je crois qu'il faut supprimer la virgule apres τά πρός τι et lui substituer «une virgule mentale» apres τό πάσχειν. Car, apres tout, nul que je sache n'a jamais considere le patir comme une «excroissance»,

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 125

II est ä peine besoin de souligner les expressions qui sont sembla-bles, mais presque jamais identiques, dans les deux textes. Meme lä le lecteur attentif s'apercevra tout de suite que de part et d'autre ni le vocabulaire, ni surtout la structure des deux morceaux ne sont les memes4.

Par contre il importe de relever, et d'abord globalement, ce qui distingue le plus nettement les deux textes apparemment paralleles.

que ce soit dans les intelligibles ou dans les sensibles; cela ne convient qu'ä la rela-tion. Le patir dans les intelligibles est incongru, «invraisemblable» ou «douteux», comme le dit Plotin. - Ici aussi la phrase de Simplicius est maladroite (cf. plus bas, p. 127), mais cette fois lourde, redondante.

4 En tres gros, le texte est parallele ä celui des Enneades. Je releve les parallelismes suivants:

Simpl. p.73 Enn. VT 1,1 15 διεΐλεν 29 τήν διαίρεσιν 15 τά αισθητά μόνα 21 έν τοις αίσθητοΐς πάντα 18 παραλελειπται πάντρ έκεΐνα 30 τά μάλιστα δντα παραλελοίπα-

σιν (cf. VI 2,9,2-3) 19 συνώνυμα (Cat. 1, 1 a 6) 25 συνωνυμως 19 πώς Ισται κοινωνία 26 άτοπον τό αύτό κτλ. 20 τό πρότερον χαί τό ύστερον 28 τό πρότερον και ύστερον

(Metaph. Β 3, 999 a 6) 21 όμωνυμως 24 όμωνύμως (cf. Cat. 1, 1 a 1) 23 πλείω Εσται τά γένη 25 πλείω τά γένη

Meme d'apres ce tableau des plus etroites correspondances, on voit que le vocabu-laire est loin d'etre toujours le meme; comme on peut s'y attendre ce sont les trois «citations» d'Aristote qui sont les plus litterales. Mais c'est surtout la structure du texte qui est differente: chez Simplicius, un simple coup d'ceil suffit pour s'en aper-cevoir. Aussi bien H.-S. ne citent-ils pas le texte dans Γ apparatus testium, c'est-a-dire comme temoin du texte des Enneades, mais dans Γ apparatus fontium, comme les y invitent les noms de Loukios et de Nikostratos. Si pour ma part, a la reflexion, je prefere ranger ce texte parmi ceux de l'enseigne-ment oral, c'est pour trois raisons: 1°) Le nom de Plotin m'y autorise, d'autant plus qu'il est appele «le tres divin», ce qui fait contraste avec la maniere dont Simplicius caracterise l'oeuvre de Loukios et de Nikostratos qui ont presente leurs apories «meme pas avec soin, mais plutöt par affirmations categoriques et sans nulle pudeur» (p. 1,21-22). II ne les estime pas! 2°) En raison des deux autres «agrafes» que contiennent les Enneades: παραφυάδι έοικότα en VI 2,16,1 et τό πάσχειν en VI 3,5,6 et dont rien ne me dit que s'en sont preoccupes Loukios et Nikostratos. 3°) Je n'ai aucun indice qui me permette de penser que les deux autres auteurs cites, a savoir Loukios et Nikostratos, aient parle, a propos de ces questions, de modele et d'image, ce qui est, au contraire, tres plotinien.

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Voici done ce qui manque ou s'ajoute chez Simplicius par rapport aux Enneades.

1) I Simpl. 73,15 diviser et enumerer 2) IV Ibid. 17-18 «inversement» om. Simpl. 3) VI Ibid. 19 «comment», une question chez

Simplicius et non une affirmation 4) VI Ibid. 21 modele et image 5) VIII Ibid. 24 le pätir dans les immuables 6) VIII Ibid. 25 les relations semblables a une

«excroissance» 7) IX Ibid. 27 cette repartition est omise

Precisons aussitot que trois de ces points sensibles, si j'ose dire, ont chacun une «agrafe» dans les Enneades, mais ä chercher en trois endroits differents, l'une ici meme, ou, si ce n'etait Dexippe, elle ris-querait de passer inaper^ue. A regarder ces «agrafes» de pres, on verra qu'il n'y a jamais identite d'expression, ni meme, si l'on est pointu, comme il se doit, identite de doctrine ou meme coefficient d'affirmation: ici deux verbes au lieu d'un seul substantif, «invrai-semblable» plus fort que «douteux», le pluriel au lieu du singulier comme dans Aristote.

1) diviser et enumerer cf.VI 1,1,29 division 5) pätir, invraisemblable cf. VI 3,5,6 pätir, douteux 6) relations, excroissance cf. VI 2,16,1 repris d'Aris-

tote EN I 4, 1096 a 21-22

Cela autorise deux conclusions, complementaires l'une de l'autre. Primo: la doctrine est done bien plotinienne d'un bout ä l'autre, meme si trois «questions» sont «introuvables» dans les Enneades. Se-cundo: la dispersion meme de ces «agrafes» nous interdit, sans comp-ter le reste, de penser que le texte soit une «citation» d'un ecr i t de Plotin. Car, jusqu'ä ce que l'on me le demontre par d'autres textes egalement composites, je me refuse ä croire que Simplicius ait com-pose une «citation» de pieces et morceaux si divers et si disperses, et, qui plus est, sans nous en avertir; ce n'est aucunement dans sa ma-niere. II s'agit done bien de l 'oral , a tout le moins d'une source, elle aussi, en tout cas, distincte des Enneades.

Ni l'aporie I ni l'aporie VIII sur le pätir et le relatif ne sont etu-diees dans les Categories d'Aristote; par contre, synonymes (VI) et

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 127

homonymes (VII) sont l'objet des premieres definitions et des pre-miers exemples de l'opuscule. Comme elles sont ici au centre de toutes les discussions et qu'on les retrouve ailleurs - les homonymes dans l'etude de l'agir5 - il est bon d'avoir sous les yeux ces defini-tions admirablement claires. Plotin y fait d'ailleurs appel pour refu-ter Aristote au nom d'Aristote meme.

«On appelle homonymes les choses dont le nom seul est commun, tandis que la notion designee par ce nom6 est di-verse. Par exemple animal est aussi bien un homme reel qu'un homme en peinture; ces deux choses n'ont en effet de commun que le nom, alors que la notion designee par le nom est differente7.» «D'autre part, synonyme se dit de ce qui a, ä la fois, commu-naute de nom et identite de notion. Par exemple, l'animal est ä la fois l'homme et le boeuf; en effet, l'homme et le boeuf sont appeles du nom commun d'animal, et la definition de leur substance est la meme8.»

Le paragraphe I de Simplicius est d'une redaction doublement maladroite. II entremele d'abord deux questions radicalement diffe-rentes, l'une de fond: «s'agit-il des seuls sensibles?», l'autre de forme:

5 A propos d'Enn.VI 3,21,3-9 voir Dex.I 38, sol., p.34,11-17, trois fois όμωνύμως, όμωνύμων et όμωνυμίαν = Simpl. p. 66,21-30, deux fois όμωνύμως. En Enn. VI 3,21,4 nous avons ποίησις au singulier, en 21,8 deux fois ποιήσεις au pluriel.

6 Remarquons qu'Aristote, typiquement, oppose ici, pour les distinguer, nom et no-tion, et non point, comme le ferait Plotin, nom et etre ou chose.

7 Cat. 1 , 1 a 1-4: 'Ομώνυμα λέγεται ών δνομα μόνον κοινόν, ό δέ κατά τουνομα λόγος τής ουσίας έτερος, οίον ζφον δ τε άνθρωπος και τό γεγραμμενον. τούτων γαρ δνομα μόνον κοινόν, ό δέ κατά τοϋνομα λόγος τής ουσίας έτερος. Dome-nico Pesce, Aristotele, Le Categorie, Padova 1966, p. 21, n.6, observe finement que «pour comprendre l'exemple il faut tenir present a l'esprit qu'en grec etait aussi ap-pele animaux (ζφα) les peintures, independamment de ce qu'elles representaient, de telle sorte qu'etait appele peintre celui qui peint des animaux (ζωγράφος)», plus exactement, peut-etre, celui qui peint d'apres la vie, d'apres nature.

• Cat. 1, 1 a 6-10: Συνώνυμα δέ λέγεται ών τό τε δνομα κοινόν και ό κατά τοδ-νομα λόγος τί|ς ούσίας ό αύτός, οίον ζφον δ τε ϋνθρωπος και ό βοϋς. ό γάρ άνθρωπος και ό βοΟς κοινφ όνόματι προσαγορεύεται ζφον, και ό λόγος δέ τής ούσίας ό αύτός. On lira les excellentes notes de J.Tricot, Paris 1936. - Pour les non inities, les termes fran^ais risquent de donner le change. Les medievaux par-laient respectivement de termes equivoques ou univoques, et pour les «paronymes» (1, 1 a 12-15) de denominatifs.

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128 PAUL HENRY

«divise-t-il ou enumere-t-il?» Mais cette derniere est formulee in-exactement; il ecrit «et» lä ou l'ecole distinguait soigneusement entre les deux verbes, par un «ou bien»9. De cette question de forme Dexippe fait sa premiere aporie du livre II, apres avoir cite le nom de Plotin, dans un contexte assez complique d'ailleurs, qu'il faut lire tout entier, d'abord dans le Sommaire.

«Y a-t-il dans les categories division ou enumeration?» (In Cat. II 1 somm., p.36,4).

Dans le corps de l'ouvrage, ä son interlocuteur Selencus, ä propos de Plotin, le principal adversaire, Dexippe pose une question preala-ble:

«Desires-tu prendre a part les apories de Plotin et les ranger a la fin, ou bien selon la suite continue des textes fondamen-teux, ranger les siennes avec les autres10?»

II repond, puis reprend a son compte, sans explicitement l'attri-buer a Plotin, la question de forme.

«Quant ä moi, il ne me parait pas devoir interrompre cette sequence, mais plutot examiner l'une apres l'autre les ques-tions qui surviennent. Dispose en tout cas ä commencer par la substance, au sujet de ces categories rassemblees je de-mande en premier lieu: (Aristote) entend-il en donner la di-vision ou l'enumeration11?».

' Par distraction, Simplicius ou un copiste de son oeuvre ecrit et au lieu de ou, qui, paleographiquement, se ressemblent, surtout lorsque καί est abrege en x,. Mais ail-leurs, le texte de Simplicius est correct, In Cat. 7, p. 161,32-36, et de meme le texte parallele de Dexippe, In Cat.II 1 somm., p.36,4 et p.39,8-9.

10 Dexippe, In Cat. II1, p. 39,3-5: Πότερον χωρίσαι βούλει τάς απορίας τοΟ Πλωτί-νου και τελευταίας τάξαι ή κατά την έφεξες των έδαφίων (i. e. le texte meme d'Aristote, cf. Dex., p.5,14) άκολουθίαν κάκείνας προσθεΐναι ;

11 Dexippe, In Cat. II 1, p. 39,6-9: 'Αλλ' ίμαιγε δοκεΐ μηδαμώς την συνέχειαν δια-κόπτειν, άλλ' έφεξες έξετάζειν τά συμπίπτοντα. Μέλλων τοιγαροΟν άπό τής ού-σίας άρξεσθαι περί τών κατειλεγμένων τούτων κατηγοριών πρώτον έρωτω πότερον ώς διαιρεμένων αύτών ή ώς άριθμουμένων Siavofj. Je ne puis m'empe-cher de remarquer, malgre mes doutes ou ma prudence, que le verbe έξετάζειν est celui qu'emploie Plotin dans ce meme contexte, VI 1,1,22 έξεταστέον, que lui aussi «commence par la substance», en VI 1,1,26 την ούσίαν, alors qu'il s'agit encore de «l'ensemble des categories» comme eher Dexippe; enfin que Plotin emploie ici et le verbe διαιρεΐσθαι et le substantif διαίρεσις (1,29), tout comme Dexippe.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 129

A sa propre question, reprise ä l'ecole - Simplicius le prouve - il repond en substance: «Pas question d'une division; car il n'y a ici ni division d'un genre en ses especes, ni genre commun aux dix catego-ries, contrairement a ceux qui introduisent ici l'<etre> ou le <quelque chose>» (39,10-13). Par exclusion, il s'agit done d'une enumera-tion.

Notre aporie est d'ordre litteraire, un probleme d'attribution. L'aporie I, claire et concise chez Dexippe II 1, est-elle de Plotin? D'apres la forme embrouillee et confuse qu'elle a chez Simplicius, et l'attribution explicite de tout le bloc au «tres divin Plotin», la reponse devrait etre oui. Dexippe, bien qu'il vienne de citer Plotin, me fait he-siter; au moment ou il vient de distinguer les apories de Plotin et les autres, on s'attendrait ä ce que pour la premiere aporie le nom de Plotin, s'il s'agit de lui, soit cite de nouveau. De plus, les premiers ad-versaires de Dexippe sont ici les stoiciens, ce sont eux, en effet, qui introduisent comme categorie fondamentale le «quelque-chose»; ce sont les Enneades memes qui nous l 'apprennentn . Par prudence, et malgre Simplicius, j'attribue done ä cette aporie le sigle 01 b*, e'est-a-dire «tres probablement de Plotin»13, evidemment oral.

Le paragraphe IX de Simplicius, la seconde aporie d'ordre plutot formel14, n'est pas moins interessant. Ici, malgre ou peut etre ä cause de l'absence totale d'equivalent chez Dexippe, je serais plus affirma-tif. Je donne ä l'aporie, que je detache du bloc plotinien, le sigle 02, e'est-a-dire que je Pattribue formellement, avec Simplicius, ä Plotin. Comme rien n'y correspond dans les Enneades, il s'agit naturelle-ment d'un nouveau fragment de l'enseignement oral. Relisons-la.

12 Enn.VI 1,25,8-11. On notera dans ce texte et le ΐ ί et le öv et le διαίρεσις, dont parle Dexippe dans sa refutation. Pour Plotin, les stoi'ciens «divisaient», somme toute, leur genre unique et fondamental (en derniere analyse la matiere) en quatre sous-genres, voire en especes, VI 1,25,9: εί μεν οΰν δν, £ν τι τών ειδών έστιν, ac-cusant les stoiciens de faire de leur genre fondamental une de ses especes, la «pire des absurdites» logique. Si l'aporie etait certainement de Plotin, ce qui est apres tout probable, Dexippe serait l'allie de Plotin contre les stoi'ciens; nous trouverons une alliance de meme nature en VI 3,21,3-8, cf. Dexippe, 138 p.34,19-24 = Simpl. 4, p. 66,32-67,8 a propos de l'agir, de nouveau contre les stoi'ciens.

15 Voir les deux notes precedentes pour des indices supplementaires, si faibles soient-ils, en faveur de cette probabilite. - De plus, la premiere aporie que Dexippe attri-bue a Plotin explicitement, est dans II 2 (plus bas, p. 146).

14 A mon avis, les deux apories I et IX dans Simpl. p.73,15-28 sont d'ordre formel; d'autre part, les apories II—VIII contiennent sept questions portant sur le fond.

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130 P A U L H E N R Y

02 = IX. «Si (parmi les genres de l'etre) les uns sont com-muns aux intelligibles et aux sensibles, les autres propres ä l'un et a l'autre, Aristote a neglige de faire cette repartition» (73,25-27)1S.

La formulation, cette fois, est correcte, claire, concise. Le verbe παραλέλειπται apparait une autre fois dans l'aporie centrale, au pa-ragraphe V, p. 73,18, ou il correspond ä VI 1,1,30, le dernier mot du chapitre liminaire des Enneades. II est done bien plotinien. L'est na-turellement aussi la distinction entre «intelligibles» et «sensibles»; voir VI, 1,1,20, ou la question est autre. Mais ne figurent pas en VI 1,1 les termes «communs» et «propres»16, qui sont plotiniens, mais dans un autre contexte. N'y figure surtout pas le mot-cle d'«ar-ticulation»17.

C'est la derniere des apories du grand ensemble. Suit immediate-ment l'attribution au «tres divin Plotin». Simplicius n'aurait pas ecrit ainsi, me semble-t-il, si ce qu'il venait de rapporter n'etait pas du maitre. Mais comme l'idee est totalement absente des Enneades, force est de la verser au dossier de l'enseignement oral.

De nouveau, typiquement, il s'agit d'un de ces problemes formels que Plotin croyait devoir etudier en classe, mais omettre dans ses ecrits. Nous les retrouverons, nombreux, au debut, comme ici18, des chapitres sur la substance et sur la quantite.

" Simpl., In Cat. 4, p. 73,25-27: Εΐ δέ τά μεν έστι κοινά νοητοΐς και αίσθητοΐς, τά δέ ϊδια, παραλέλειπται ή τούτων διάρθρωσις.

" Au sens ou avec l'emploi qu'il a ici, et au pluriel, «propres» est, je crois, rare chez Plotin; en revanche, au singulier «le propre», il revient souvent, tant dans les Enne-ades que dans les Entretiens, et tout d'abord a propos de la substance.

17 Si Plotin ne connait pas le substantif διάρθρωσις, il emploie le verbe διαρθρόω en Enn.IV6,2,12, mais dans un tout autre contexte.

18 II n'est pas sans interet de remarquer que Enn. VI 1,1, Simpl. p. 73, Dex. II 4 (meme si ces deux derniers mentionnent expressement la substance) se situent tous trois dans un contexte d'ordre general (cf. Simpl. p. 73,16 δλως d'introduction) avant l'examen proprement dit de la categorie de «substance». Cet examen commence: en Simplicius, ä la page 75; chez Dexippe, avec II 5, ä la page 42; chez Plotin, avec VI 1,1,1. C'est, entre autres raisons, ce qui nous a incite a examiner ces questions, tout comme nos auteurs, dans un chapitre distinct.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 131

Doctrine de Plotin et refutation des commentateurs

Attaquons ä present les apories centrales, aux paragraphes IV ä VIII, et qui traitent de la doctrine, tout comme Enn.VI 1,1. Preve-nons qu'il existe une aporie «parallele» en Dex. II 4, mais que nous devons etudier a part, tout de suite apres, pour des raisons que Γοη comprendra, le moment venu. II s'agit de trois problemes encheve-tres: le nombre des categories, leur homonymie, leur synonymie.

Je n'ai pas a revenir sur le paragraphe IV, sauf pour rappeler que n'y figure pas l'«inversement» des Enneades; par contre, que nous trouvons, sous deux formes tres differentes, en VI 1,1,22 (negation categorique) et en Dex. II 4 («ou bien»), une alternative.

Quant au paragraphe V, il presente une toute petite Variante, mais interessante: lä ou Plotin disait energiquement «les intelligibles ont ete completement negliges», le meme Plotin ecrira, avec une preci-sion qui renforce l'affirmation: «ils laissent de cote ceux qui sont des etres auplus haut degree, cela en fin de chapitre, tandis que chez Sim-plicius c'etait au debut de l'ensemble.

On imagine facilement quelle sera la reponse des defenseurs d'Aristote. Celui-ci, disent-ils en substance, s'interesse ä ce qui tombe sous le sens, aux realites concretes, les seules vraies, d'apres lui, puisqu'il ne croit pas au monde des idees de Piaton. Je ne releve qu'une phrase de Simplicius, situee non loin de notre aporie, et cela ä cause d'un terme que connait aussi Plotin. «Aristote, ecrit Simplicius, discourt au sujet des choses sensibles, ces choses auxquelles I'homme du commun porte son interet19». II est banal de parier du realisme d'Aristote, comme de l'idealisme de Platon. Quant a moi, ce qui m'interesse, c'est que l'expression est reprise, consciemment ou non, je ne sais, ä Plotin; car sous sa forme au singulier, je ne la trouve pas avant lui20. Dans un contexte mystique, au celebre traite Du Bien que Porphyre a place en finale des Enneades, il ecrit: «En se trans-portant vers Lui, les ämes sont des dieux; car un dieu, c'est un etre

19 Simplicius, In Cat. 4, p. 74,4: περί των αισθητών διαλέγεται, περί ών ό πολύς άνθρωπος έπίσκεψιν ποιείται.

20 Ό πολύς άνθρωπος ou άνθρωπος ό πολύς, ce n'est pas tout ä fait la meme expres-sion que le celebre ol πολλοί, «le peuple», la plebs, «les gens du commun» qu'op-pose par exemple Platon, Rep. 5Q5b aux κομψότεροι, «les gens distingues». Ό πολύς (sans substantif) = valgus, deja chez Epicure, fr.478. Jaurais aime trouver une de ces trois expressions, au sens semblable, chez Aristote meme.

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132 PAUL H E N R Y

attache a l 'Un. Ce qui s'en ecarte bien loin, c'est l'homme du commun et les animaux21.» Quel mepris pour «le fran^ais moyen», «der Durchschnittsmensch» (Harder), «the man in the street», aux cotes duquel se rangent resolument Aristote, au solide b o n sens, et le neo-platonicien Simplicius!

Pour refuter Plot in et defendre Aristote, Dex ippe s'y prend par un autre biais, et sa reponse, du point de vue d'Aristote, n'est pas moins pertinente. II fait appel ä ce que lui -meme et Simplicius discu-tent longuement , Dexippe au livre I, Simplicius dans sa longue pre-face: le but propre recherche par Aristote dans son opuscule 2 2 . II ecrit:

«Aristote ne se propose de parier ni des etres ni des genres de la substance premiere . . . de sorte que, puisque son souci concerne ici les expressions, auxquelles il convient d'etre pre-diquees des substances, c'est en vain que, dans une enquete sur celles-la ( i .e . les expressions) Plot in introduit des ques-t ions relatives aux etres» ( 4 0 , 2 0 - 2 5 ) 2 3 .

21 Enn.VI 9,8,8-10: ... προς δ φερόμεναι (seil, αί ψυχαί) θεοί είσι. Θεός γάρ τό έκείνφ συνημμένον, τό δέ πόρρω άφιστάμενον άνθρωπος ό πολύς και θηρίον. C'est cette association de l'homme moyen avec les animaux qui est choquante. Mac Kenna traduit «what stands away is man still multiple or beast», ce qui attenue le choc. Je crois que c'est la un faux-sens, mais vu le contexte, qui porte sur l'Un, qui sait?

22 Voir Dexippe, In Cat.I 3, p.6,31, la question: τί ποτέ έστι τό λεγόμενον (Cat.2, 1 a 16), πότερον φωνή ή πράγμα ή νόημα et void la reponse, reprise probablement au peripateticien Sosigene (p. 7,4), le maitre d'Alexandre d'Aphrodise, p. 10,25-27: ούκ αύτά ούν τά δντα αί κατηγορίαι, άλλ' αί σημαίνουσαι λέξεις τά νοήματα και τά πράγματα. Simplicius discute ceci dans sa dixieme question preliminaire, p. 8-16, critiquant notamment les titres revelateurs des traites de Plotin, «Sur les genres de l'etre» (p. 16,17-19), et sa reponse personnelle, plus fine que celle de Dexippe, est reprise a sa grande source, Porphyre Ad Gedalium, p. 10,22-23: αύται δέ είσιν (seil, αί κατηγορίαι) αί άπλαΐ φωναί αί σημαντικαί των πραγμάτων, καθό σημαντικοί είσιν, άλλ' ού καθό λέξεις άπλως. Par contre, dans les passages correspondant a Enn.VI 1,1, contrairement a Dexippe, Porphyre ne reprend pas cette doctrine d'ecole.

23 Bien que le texte se trouve dans la solution a l'aporie II 2, parce que II 2 a evidem-ment rapport a VI 1,2,2-8, je le cite ici, In Cat. II 2 sol., p. 40,20-25: "Εστι μεν ούν προς ταϋτα φςιδιον άντειπείν, δτι παρά τήν πρόθεσιν τά άπορήματα ταϋτα προσάγεται, ούτε γάρ περί των δντων ούτε περί των γενών τής πρώτης ουσίας νΟν αύτφ πρόκειται λέγειν στοχάζεται γάρ τών νέων τοις άπλουστέροις έπα-κολουθεϊν δυναμένων, ωστ' έπεί περί λέξεων έστιν αύτφ νΟν ή σπουδή, αίς τό κατ' ουσιών λέγεσθαι ύπάρχει, μάτην έν τ{) περί τούτων σκέψει έπεισάγει τάς περί τών δντων ζητήσεις ό Πλωτίνος.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 133

Reponse «facile», dit-il, et qu'il complete par une reponse, qui sera cette fois ad mentem Plotini, tiree de l'ensemble de sa philoso-phic. Tout comme Plotin argumentait contre Aristote a partir d'Aris-tote meme!

L'occasion s'offre ici, mieux qu'ailleurs, d'examiner brievement une astucieuse aporie, ou Dexippe cite Plotin, mais qui est ä son compte. II ne faut pas qu'elle passe inaperipue. Toujours ä propos des memes questions liminaires sur le rapport entre les deux mondes, il ecrit:

«Si Aristote se servait des memes hypotheses que Plotin, tout ce que dit celui-ci aurait quelque semblant de raison. Mais en acceptant ici comme convenues les opinions d'Aris-tote il combat de fait en sa faveur (II 3, p.41,4-6)»24.

Au sommaire, sa position etait plus claire.

«Si on accepte les hypotheses platoniciennes, on peut effec-tivement presenter une telle refutation (a savoir II 2 = Enn.VI 1,2,2-8). Si on accepte les hypotheses aristo-teliciennes, il faut bien resoudre l'aporie» (II 3 somm., p. 36,8-9)25.

Que dit-il? Si je comprends bien, trois choses:

Primo. De son point de vue a lui, qui est celui des platoniciens, Plotin n'a pas tort. Sa refutation est pertinente. Α propos de 1 'agir Simplicius remarquera de meme que «ceux qui parlent ainsi, comme

" Dexippe, In Cat.II3, p.41,4-6: 'Αλλ' εί ταϊς αύταΐς ύποθέσεσιν 'Αριστοτέλης έχρί|το, αίς και Πλωτίνος, είχεν δν τινα δοκοΟντα τά είρημένα λόγον vöv δέ τά έκείνφ δοκοΟντα ώς όμολογούμενα προσλαβών διαγωνίζει ύπερ 'Αριστοτέλους. Chez Simplicius, comme c'etait le cas pour Dex.II 1 =» Simpl. 73,15-16, l'aporie s'est pour ainsi dire perdue, mais il la lisait dans sa source comme le prouve p. 77, 3-4: ώστε οϋτε γένος κυρίως ή τοιαύτη ούσία, δπερ ώς όμολογούμενον ό άπορων (seil, ό Πλωτίνος) προελάμβανεν.

" Dexippe, In Cat. II 3 somm., p. 36,8-9: "Οτι κατά τάς Πλατωνικός ύποθέσεις δύναται είναι αϋτη ή άπάντησις, κατά δέ τάς 'Αριστοτέλους χρή λϋσαι τό άπο-ρούμενον. Le sens de δύναται me parait assez singulier, voisin de celui de δυνατόν έστι. - On aura remarque que dans le sommaire l'aporie est differente par la for-mulation, mais aussi, en partie du moins, par l'idee. Le cas est assez frequent. Une etude serieuse ne saurait omettre l'examen des sommaires, d'autant qu'ils sont quasi certainement de Dexippe lui-meme.

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le fait Plotin, ne se servent pas des hypotheses d'Aristote» (302,10-11). Tout est la, une difference radicale de points de vue.

Secundo. Dexippe note finement que si Plotin part des hypo-theses meme d'Aristote, ce qu'il fait souvent, nous n'avons cesse de le souligner, en derniere analyse, c'est en faveur d'Aristote meme qu'il mene le combat.

Tertio, et c'est aussi une fine remarque: les objections de Plotin sont a prendre au serieux, d'ou tout un traite consacre a le refuter. Car meme en embrassant le point de vue d'Aristote, ce que fait aussi Dexippe, et qui lui fera ecrire ici qu'il va «s'opposer a Plotin plus dogmatiquement» (42,4)26, les apories soulevees sont si «profondes» qu'il faut bien s'attacher ä les resoudre. Et dans la solution ä cette aporie, la sienne propre, il annonce qu'il va effectivement se servir de la Metaphysique, qu'ä tort ou ä raison il cite par deux fois27.

Le paragraphe VI est important. II a en commun avec les Enneades non seülement l'idee ici discu-

tee mais, avec de legeres variantes, le terme de «synonymes», ici ad-jectif, la adverbe, le terme de «communion», ici substantif, la adjectif, enfin et surtout la meme reference au principe aristotelicien sur «l'anterieur et le posterieur», qui, chose curieuse, n'apparait pas dans les Categories, sauf peut-etre au chapitre 13, 14 b 39, a propos des especes du genre animal·, par contre, on le trouve en bonne place en

" Dexippe, In Cat. II 3, p. 42,3-5: 'Εγώ μεν ούν, ώ καλέ κάγαθέ Σέλευκε, δογμα-τικώτερον προς Πλωτΐνον απαντώ, σύ δέ έπει βαθύτεραί πώς είσιν αϊ λύσεις αύται, κτλ.

17 D'apres Dexippe, p. 43,8-9 Aristote accepte trois sortes de substances («deux» et une troisieme): I'intelligible, la sensible et, entre elles, la substance physique (ou ma-thematique, ajoute Simplicius, p. 77,4-6), et Busse nous refere a Metaph.A 1, 1069 a 18, Kalbfleisch a 1069 a 30 ούσίαι δέ τρεις, que je me garde bien ici de preciser davantage. A noter que Simplicius, p. 77,7-11 attribue une repartition semblable a Archytas, qu'il croit anterieur a Aristote: και 'Αρχύτας δέ την πάσαν ούσίαν φυ-σικήν τε και αίσθητήν και κινητικήν αποκαλεί, φυσικήν μέν την κατά την ΰλην και τό είδος λέγων, αίσθητήν δέ την σύνθετον, κινητικήν δέ τήν νοεραν και άσώματον, ώς αΐτίαν ούσαν κινήσεως τής κατά ζωήν εϊδοποιουμένης· και δήλον δτι και αυτός τάς πολλάς ουσίας εις μίαν σύνταξιν περιελαβεν. Recopie ici parce qu'Archytas est souvent une «source» de Plotin et que Simplicius le cite pour refuter Plotin. - Impossible de trouver chez Aristote, la seconde reference de Dexippe, p. 41,30-31: έν τοις Μετά τά φυσικά σώμα άσώματόν τινα λέγει ού-σίαν, doctrine bizarre. Tous ces textes sont pour moi pleins de mysteres.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 135

Metaph.B 3, 999 a 6-7, auquel Plotin fait allusion en VI 1, 1,2 8 28. Ces petites variations dans l'identique suffiraient dejä ä montrer que le paragraphe VI de Simplicius n'est pas une vraie citation des En-neades.

28 Le principe aristotelicien bien connu «la oü il y a de l'anterieur et du posterieur, il n'y a pas de genre commun», constamment repris par les commentateurs, ne me pa-rait nulle part chez Aristote formule aussi clairement qu'ici meme chez Plotin, VI 1, 1,27-28: ούκ δντος γένους κοινοΟ, έν οίς τό πρότερον και ύστερον, ou il est ge-neral, s'etendant a toutes les categories. Brehier, Theiler, H.-S. referent tous a Metaph. Β 3, 999 a 6-7, que je cite jusqu'a a 9: 'έτι έν οίς τό πρότερον και δστερόν έστι, οΰχ οΐόν τε τό έπί τούτων είναί τι παρά ταύτα - οίον εί πρώτη τών άριθμών ή δυάς, ούκ έσται τις άριθμός παρά τά είδη τών αριθμών. Theiler cite aussi Eth.Eud.I 8, 1218 a 1-3: έτι έν δσοις ύπάρχει τό πρότερον και ύστερον, ούκ έστι κοινόν τι παρά ταΟτα, και τοΟτο χωριστόν, apparemment plus proche d'Enn.VI 1,1,27-28, puisqu'il renferme le mot κοινόν et est, lui aussi, general. Dans les Categories memes je ne trouve d'approchant que Cat. 13, 14 b 37-15 a 1, ou il s'agit du rapport d'une substance a ses genres: τό γάρ ζφον διαιρείται εις ταύτα, εις τε τό πτηνόν και τό πεζόν και τό ένυδρον και ούδέν γε τούτων πρότε-ρον ή ϋστερόν έστιν, άλλ' άμα t f j φύσει τά τοιαΟτα δοκεΐ είναι. Je lis aussi en Phys-Δ 4,219 a 15: τό πρότερον και ύστερον έν τόπφ πρώτον έστιν. Selon Aris-tote, il y aurait done un genre, le ou ou le lieu, ou il y a de l'anterieur et du poste-rieur. Bref deux petits problemes qui me laissent perplexes: Que pense Aristote? Dans quelle source Plotin a-t-il trouve son principe general? Je commence a douter que ce soit chez Aristote meme.

Je croirais plutot que c'est chez un de ses commentateurs, peut-etre chez Alexandre d'Aphrodise, In Metaph. Β 3, p. 208,31-209,4 (toute la page 209 est ä lire), ou celui-ci ecrit, d'une fa^on un peu embarrassee, mais plus clairement qu'Aristote, surtout vu l'exemple: «Dans les choses oü il y a de l'anterieur et du posterieur, tout ce qui est predique d'elles en commun en tant que genre n'existe pas comme distinct de ce dont il est predique; ainsi, si deux ou trois est premier parmi les nombres, il n'existe pas quelque autre realite-nombre qui en serait prediquee comme genre et qui serait distincte de ces nombres memes, deux, trois et les suivants.» έν οίς τό πρότερον και δστερόν έστι τό έπί τούτοις κοινώς κατηγορούμενον ώς γένος ούδέν έστι παρά ταύτα ών κατηγορείται· οίον εί έπ' αριθμών πρώτη τών άριθμών δυάς ή τριάς, ούκ έστιν άριθμοΟ τις άλλη φύσις παρά τούτους τούς άριθμούς, δυάδα ή τριάδα και τούς έξής, ών ώς γένος κατηγορείται. Comme chez Plotin, VI 1,1,27-28, nous avons chez Alexandre et κοινόν (-ώς) et γένος, ce que nous n'avons pas chez Aristote, bien que chez tous trois l'idee soit la meme: la ou il y a de l'anterieur et du posterieur, il ne faut pas imaginer - comme le ferait Piaton, pense tacitement Aristote (cf. Eth.Eud.I 8, 1218 a 3 και τοΟτο χω-ριστόν) - un genre commun anterieur encore a cet anterieur et a ce posterieur; autrement dit, il n'y a pas de genre, d'idee ou de nature nombre qui soit distinct des nombres individuels deux, trois, etc., pas plus qu'il n'y a un genre-en-soi, animal, qui serait distinct de ses especes, l'homme et la bete, et qui leur serait anterieur.

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136 PAUL H E N R Y

La difference essentielle saute aux yeux: «lä oü Pun est para-digme, l'autre image». Rien de pareil, ici, dans les Enneades, bien que ce soit hautement platonicien.

Toutefois, ä la suite d'Aristote, Cat. 12, 14 b 4 τό βέλτιον και τό τιμιώτερον πρό-τερον είναι τη φύσει δοκεΐ, cela a propos des hommes «qu'on estime le plus et qu'on aime le mieux», Alexandre ecrit ceci: «A ce qu'il a dit precedemment, Aristote ajoute que dans tous les genres il y a de l'anterieur et du posterieur (έν πασι τοις γένεσίν έστι τό μεν πρότερον τό δ' ύστερον); en effet une des manieres d'etre an-terieur est bien (και emphatique, omis par le codex A) d'etre le meilleur (τό βέλ-τιον), comme il l'a montre dans sa division de l'anterieur dans son livre des Catego-ries» (p. 209,34-36). Les exemples dont se sert Alexandre me paraissent plus «ser-res», plus ad rem que ceux d'Aristote, car ils sont pris a l'interieur d'un meme genre: «Ainsi done parmi les vivants (qui constituent pourtant un seul genre: l'animal), il y a de l'anterieur et du posterieur; Dieu est meilleur; aussi est-il anterieur; derechef, parmi les autres animaux (ou: vivants), l'homme est un animal meilleur et premier (ό άνθρωπος ζφον βέλτιόν τε και πρώτον)» (p.210,6—8). II n'y a aucune contra-diction entre ces deux doctrines; paraphrasant Aristote, Alexandre et Plotin, je di-rais que Dieu, l'homme et la bete, en tant que substance (ούσία), en tant qu'animal (ζφον) ne sont pas plus substance ni plus vivant l'un que l'autre, et en ce sens ils ne sont pas anterieurs l'un a l'autre. Mais a l'interieur de ce genre unique et indifferen-t e et comme solide, ils peuvent etre, a divers egards, l'un meilleur que l'autre et, a ce titre, l'un anterieur a l'autre. Ou faut-il paraphraser de faijon plus subtile? Sim-plement: a) que, d'une part, le genre n'existe pas en dehors de ses especes, qu'il n'y a pas de genre animal anterieur aux especes que sont Dieu, Yhomme et la bete·, b) mais qu'ä l'interieur d'un meme genre commun, il peut y avoir plus de dignite, je di-rais meme plus d'etre, Dieu etant meilleur que l'homme, l'homme meilleur que l'animal et done anterieur ä lui. Peut-etre, bien que Plotin soit categorique: «la ou il y a de l'anterieur et du posterieur, il n'y a pas de genre commun», ce qui parait bien impliquer, comme dans ma premiere paraphrase, la reciproque que la ou il y a genre commun (a savoir, par exemple, dans le cas du «vivant»), il n'y a pas, sous cet aspect, de l'anterieur et du posterieur. Les autres exemples d'Alexandre sont bien curieux: «Meme dans les couleurs, ecrit-il, le blanc est meilleur que les autres couleurs, et dans les saveurs, le doux» (p. 210,8-9).

Pour plus ample information sur cette question assez compliquee, parfois obscure, on fera bien de lire les deux pages d'Alexandre, pp. 209-210, commentant Aristote, Metaph. Β 3, 999 a 5 sqq., mais encore les deux longues pages oü Aristote distingue chaque fois les cinq manieres dont on parle de l'anterieur et du posterieur, Me-taph.A 11, 1018 b 9-1019 a 14 (plus complet,plus complexe) et Cat. 12, 14 a 26-14 b 8 (selon le temps, la consecution d'existence - ecrit Alexandre - , comme l'un par rapport a deux; selon l'ordre, comme les lettres qui sont anterieures aux syllabes; selon la dignite - Tfj δυνάμει, dit Alexandre - , selon une autre consecution d'exis-tence, comme lorsqu'il s'agit d'un terine reel, anterieur a la proposition qu'on for-mule a son sujet et dont il est cause), page longuement commentee par Alexandre, In Metaph. p. 384,33-386,15; les deux divisions d'Aristote ne correspondent pas

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 137

Et ceci nous amene ä la doctrine. Dans ses Entretiens Plotin aimera refuter Aristote de deux manieres, d'abord ad hominem, fai-sant appel contre Aristote ä Aristote meme, ici le principe bien connu «que dans la substance il n'y a rien de posterieur et d'anterieur»; mais aussi ad mentetn Platonis: ici il rappelle qu'il ne saurait rien y avoir de vraiment commun entre la substance intelligible et la subs-tance sensible, puisque «l'une est modele, l'autre image». Nous re-trouverons associes ces deux types d'argumentation, plus d'une fois, mais de fa^on singulierement significative a propos de l'ordre des ca-tegories, de nouveau dans une aporie orale, en Dex. III 1.

Le paragraphe VII porte sur l'homonymie des intelligibles et des sensibles, ä propos des «dix genres», que Plotin par deux fois appelle avec concision «les dix» (VI 1,1,20 et 23). C'est le cas, d'apres les En-neades, pour la substance, expressement nominee. La raison, donnee de part et d'autre, est qu' «ils» (Simpl.) ou «eile» (Enn. 1,24) n' «ont en commun que le nom», nouvel appel ä Aristote, Cat. 1, 1 a 1. La conclusion qu'en tire Plotin dans les Enneades, et, cette fois, dans les memes termes, le reportatum de Simplicius, est que «les genres seront plus nombreux» que ne le veulent les peripateticiens, le «Plotin selon Simplicius» ajoutant «puisque les intelligibles n'y sont pas compris».

parfaitement, comme Pobserve W.D.Ross, t.I, pp.316-317, lequel n'y voit pas non plus tres clair. Notons que si, pour Plotin, la substance intelligible peut etre valablement dite ante-rieure a la substance sensible, comme plus digne qu'elle et seule veritablement es-sence, en un autre sens il n'y a ici pas d'anterieur et de posterieur, puisqu'elles ne sont qu 'homonymes ou equivoques et qu'il n'y a pas entre elles de genre commun. Nous arrivons a un probleme fort difficile a resoudre. Ce qu'on a dit de plus fort, sinon de plus clair sur cette question, et ce dont toutes les discussions suivantes pa-raissent relever est, une fois encore, du ä Platon. Aristote ecrit, Metaph.A 11, 1019 a 1-4: «Certaines choses sont dites anterieures et posterieures dans le sens indique. D'autres le sont selon la nature et en substance: (sont anterieures) celles qui peu-vent exister independamment d'autres choses, tandis que ces dernieres ne peuvent exister sans les premieres. Platon a utilise cette distinction.» τά μεν δή οδτω λέγε-ται πρότερα και υστέρα, τά δέ κατά φύσιν και ούσίαν, δσα ένδέχεται είναι άνευ άλλων, έκεϊνα δέ άνευ έκείνων μή· ή διαιρέσει έχρήτο Πλάτων. Aucun texte de Platon ne fait allusion ä une telle distinction, car Tim. 34 c, ou l'äme est declaree anterieure au corps (προτέραν και πρεσβυτέραν), et auquel renvoie Apelt, n'a pas ce caractere general et universel. Ross 1317 croit qu'il doit done s'agir d'un enseignement oral qu'Aristote tiendrait de son maitre, tout comme, plus tard, Porphyre tiendra tant d'apories de Plotin, non consignees dans les Enneades, de ses συνουσίαι ou conferences orales.

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138 P A U L H E N R Y

Conclusion polemique, substantiellement identique ä Enn.VI 1,1, 29-30: «Dans leur division ils ne disent mot des intelligibles; c'est qu'ils n'ont pas l'intention de faire entrer la totalite des etres dans leur division; ils laissent de cote ceux qui sont des etres au plus haut degre».

Bref, au point de vue litteraire ce paragraphe VII est, avec les pa-ragraphes IV-V, le plus proche des formules des Enneades, sans tou-tefois qu'il y ait «citation». On apersoit aussi comment les diffe-rentes parcelles des exposes, tres denses, chevauchent les unes sur les autres.

Au point de vue doctrinal, Plotin s'appuie sur Vhomonymie pour conclure que les genres sont plus nombreux que ne le veut Aristote et (ceci seulement dans l'ecrit) qu' «il a laisse de cote les etres qui sont etres au plus haut degre».

Le paragraphe VIII est, avec VI, le plus remarquable, et comme lui, dans le groupe doctrinal IV-VIII, le plus surement de caractere oral. C'est le seul qui contient des expressions qu'on ne trouve dans les Enneades qu'en dehors de notre texte de base VI 1,1, ä savoir:

«Quant au relatif, cette sorte d'excroissance de l'etre, com-ment le mettre dans les genres premiers?»29

«Voilä ce qu'il faut entendre de ce qu'on appelle id la subs-tance. Ces traits se trouvent-ils aussi en quelque maniere dans la substance qui est la-bas. Mais c'est peut-etre par analogie et par homonymie. En effet le mot premier se dit par rapport aux choses qui viennent apres lui. Premier n'est pas pris absolument, mais d'autres etres qui viennent apres ceux-la sont, en quelque sorte, premiers par rapport aux der-niers. Le mot sujet a la-bas, un tout autre sens. II est dou-teux que patir soit la-bas; et meme s'il est la-bas, patir la-bas est tout autre.»30

29 Enn.VI 2,16,1-2: To δέ «πρός τι» π α ρ α φ υ ά δ ι έοικός πώς αν έν πρώτοις; 30 Enn.VI 3,5,1-7: Άκουστέον δέ ταΟτα περί τής ένθάδε ούσίας λεγομένης· εί δέ

π-η ταΟτα και έπ' έκείνης συμβαίνει, ίσως μεν κατ' άναλογίαν και όμωνυμως. Και γαρ τό πρώτον ώς προς τά μετ' αϋτό λέγεται. Ού γαρ άπλώς πρώτον, άλλ' £στιν ώς πρός έκεϊνα έσχατα, δλλα πρώτα μετ' έκεΐνα. Και τό ύποκείμενον άλλως, και τό πάσχειν εί έκεΐ άμφισβητεΐται, και εί κάκεί αλλο τό έκεϊ πάσχειν. H.-S. glossent ainsi 5,4-5: sed comparatione ad ilia superna existunt ultima i. e. sen-

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 139

Je ne veux pas commenter longuement ce texte supplementa l . Malgre les crochets droits de Brehier, et la parenthese de Harder, je le tiens, avec H.-S., pour authentiquement plotinien. On voit que s'il est vaguement parallele ä Enn.VI 1,1 et ä l'aporie orale 01a* de Dexippe, il presente par rapport a ces deux textes des expressions et des idees nouvelles.

1. A «par homonymie» de VI 1,1,24 = Simpl.73,21, il ajoute «par analogie».

2. II parle du «premier», de certains autres «premiers» par rap-port aux «derniers», de fa^on tres subtile et tres plotinienne. Rien en VI 1,1 ni en Simpl.73, mais quelque chose de lointainement sembla-ble en Dex.II 4 = 01 a*, etudie ci-apres.

3. II parle du sujet, qui est sujet en un autre sens dans les sensi-bles, ici-bas, et dans les intelligibles, la haut.

Mais ce sont les dernieres lignes, sur le patir, qui nous Interes-sent. De nouveau rien en VI 1,1, mais, dans l'aporie orale, Plotin re-fuse de reconnaitre relation ou patir dans le monde des intelligibles. Mais qu'on note les differences:

Enn. Simpl. p. 73 VI 2,16,1 le relatif 24 les relatifs VI 3,5,6 douteux 24 invraisemblable VI 3,5,6 le pätir, lä-bas 24 le patir dans ces etres-la qui

sont immuables 25 . . . dans les etres qui sont

par excellence fixes dans l'identite

VI 3,5,7 meme si la-bas, tout autre

Je releve surtout quatre traits de l'aporie. D'abord la description redoublee, insistante, accusee du monde

intelligible «immuable» et «fige dans l'identique», cela par contraste avec le patir plus qu'avec le relatif, me semble-t-il.

Deuxiemement, le coefficient d'affirmation, «douteux» dans les Enneades, «invraisemblable» dans les Entretiens; a propos de la

sibilia nempe alia prima i.e. substantiae sensibiles post ilia superna prima. Mais il est possible aussi que les δλλα πρώτα soient au niveau de l'äme, situes entre les έχεΐνα intelligibles et les ϊσχατα sensibles.

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140 PAUL H E N R Y

substance, en Enn.VI 1,1,26, Plotin n'hesitera pas ä ecrire «ab-surde»; ce sont la trois nuances, comme trois degres dans la force que revet la denegation.

Enfin, je souligne les deux petits mots qui introduisent le para-graphe VIII, «Et de plus comment . . . (£τι δέ πώς. . . )» (73,23) qui montre que l'auteur, quel qu'il soit, fait appel a un nouvel argument, precisement celui qu'il emprunte, par avance, pour ainsi dire, a VI 3,5.

Enfin ici, comme souvent ailleurs, nous avons une interrogation, «comment n'est-il pas invraisemblable?» tandis qu'en VI 3,5,6 nous avons une affirmation, tres prudente il est vrai, «il est douteux», au total moins affirmative que la simple forme interrogative.

On le voit, tout ce texte est d'une composition qui le differencie nettement de ses paralleles, ou qu'ils se trouvent. C'est done bien un fragment de l'oral.

Un mot encore sur les relatifs dans l'aporie 01. Si on accepte d'opposer le seul patir aux «etres qui sont la-bas immuables»31, ce qui se comprend sans peine, on oppose les relatifs, ces «excrois-sances» aux etres «figes dans Pidentite», ce qui se comprend aussi, mais avec un peu de peine. Je me permets de «gloser» quelque peu cette opposition, etrange a premiere vue. J'imagine que Plotin songe au caractere relatif des relatifs, je veux dire leur caractere mouvant. Mettons en ligne A, Β et C. Sur cette page, Β est ä droite de A, mais le meme Β est ä gauche de C. Ma majuscule Β n'est done pas «figee» comme quelque chose qui est ä droite, eile n'est pas a droite absolu-ment; comme relatif elle est mouvante. Autre exemple: Pierre est pere de Paul, qui est son fils, mais le meme Paul est a son tour, et en meme temps pere de Jacques; comme relatif Paul est mouvant. Je ne sais si le Plotin oral a songe ä ceci, mais cela expliquerait et la repeti-tion de «immuable» dans la meme phrase, et Popposition du relatif «muable» ä cette immutabilite.

Voila done le centre doctrinal de l'aporie. Terminons cet examen minutieux par un bref resume des critiques qu'adresse Plotin ä Aris-tote, sans distinguer, cette fois, entre l'oral et l'ecrit.

31 Je fais allusion aux deux ponetuations et interpretations possibles de Simpl. 73,24-25, celle de Kalbfleisch qui lie patir et relatif, et que j'ai suivies - mais discute en note - dans ma traduction du texte, celle que ma note suggerait et que je prefere adopter ici.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 141

1. II eut du nous dire si «les dix» ont le meme sens ou non dans les deux mondes (VI 1,1,20).

2. Ou encore, s'ils sont tous lä haut, oui ou non, ou si quelques-uns y sont, quelques-uns non (VI 1,1,21-22 et Simpl.73,16 et 18).

3. S'ils sont autres, les intelligibles, bien que «souverainement etres» (VI 1,1,30), sont laisses de cote «totalement» (Simpl.73,18). Autrement dit «il y aura plus de genres» que ne le disent les peripate-ticiens (VI 1,1,25 et Simpl.73,23).

4. S'ils sont «les meines», ils sont synonymes. Mais quelle com-munion peut-il y avoir la ou il y a «de l'anterieur et du posterieur» (Aristote), ou «l'un est paradigme, l'autre image» (d'apres Plotin Pia-ton) (VI 1,1,28 et Simpl.73,24)? Qu'ils soient synonymes, «c'est ab-surde», conclut carrement Plotin en VI 1,1,26.

5. S'ils sont, par contre, homonymes, ils «n'ont de commun que le nom» (Aristote) et, derechef, ils seront plus nombreux qu'on n'a coutume de le dire, car les intelligibles sont negliges (Simpl. 73,23).

6. Point de vue nouveau. Peu importe qu'ils soient synonymes ou homonymes (je «glose» ici l'aporie), comment ne serait-il pas «douteux», «invraisemblable» que le patir soit dans les etres «immua-bles» et «figes», et comment oser penser que s'y trouvent les relatifs, ces «excroissances de l'etre»? (Simpl. 73,23-25 et VI 2,16,1 et VI 3,5,5-7).

Revenons aux questions d'ordre litteraire qui font l'objet de notre enquete et constituent notre aporie personnelle. Si ma these est fon-dee, quelles sont les differences entre l'oral et l'ecrit, sans compter les differences de vocabulaire et de structure? J en vois surtout deux.

D'abord une difference dans le coefficient d'affirmation. Ici «in-vraisemblable» situe a mi-chemin d'un «douteux» et d'un «absurde», tous deux dans l'ecrit.

Ensuite, il me semble, jusqu'a plus ample informe, que l'oral reus-sit mieux que l'ecrit a juxtaposer contre Aristote un argument ad ho-minem et un argument ad mentem Piatonis. Jumelage piquant et d'une grande force et elegance.

Enfin, toujours si ma these est fondee, on reconnaitra que l'oral eclaire singulierement le texte ecrit des Enneades.

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142 P A U L H E N R Y

La premiere aporie orale, d'apres Dexippe, 01a*

Nous avons oppose deux auteurs, le Plotin des Enneades et Simpli-cius ou le Plotin des Entretiens. Mais ils sont trois en presence, Plo-tin, Simplicius et Dexippe.

Nous allons ä present examiner ä la loupe le debut du texte d'Enn.VI 1,1 qui nous interesse et le comparer minutieusement ä Dexippe II 4, qui lui correspond plus ou moins, mais quant ä la for-mulation, plutot moins que plus, ce qui nous invitera ä ranger Dex. II 4 parmi les apories orales. C'est un excellent exemple de deux redactions paralleles et rivales d'un meme probleme, l'une orale, ve-nant des Entretiens, l'autre ecrite, consignee dans les Enneades.

Pour faciliter la comparaison je retranscris le texte et la traduc-tion des Enneades VI 1,1,19-22 et je fais suivre immediatement Dex. II 4, sous ses deux formes, celle du corps de l'ouvrage et celle du Sommaire.

«Mais la premiere question a poser est plutot la suivante: les dix genres sont-ils egalement dans les etres intelligibles et dans les choses sensibles? Ou bien sont-ils tous dans les choses sensibles, et quelques-uns d'entre eux dans les etres intelligibles, quelques-uns non? Car l'inverse n'est pas pos-sible.»32

Ola*. «Nous nous servirons des memes paroles que Plotin dans son aporie: les memes choses sont-elles genres des categories dans les etres premiers et dans les derniers, ou bien y en a-t-il davantage dans les etres intelligibles et moins dans les choses sensibles, ou bien est-ce l'inverse?»33

«Les memes choses sont-elles genres des etres dans les intelligibles et dans les sensibles?»34

32 Enn.VI 1,1,19-22: πότερα όμοίως Iv τε τοις νοητοΐς ί£ν τε τοις αίσθητοίς τά δέκα, η έν μεν τοις αίσθητοϊς &παντα, έν δε τοις νοητοϊς τά μεν είναι, τά δε μή είναι- ού γαρ δή άνάπαλιν.

33 Dexippe, In Cat. II 4, p. 42,13-16: τοις αύτοΐς ούν χρησόμεθα λόγοις και δταν άπορΙ] Πλωτίνος, πότερον τά αύτά έστι γένη των κατηγοριών έπι των πρώτως δντων και έπι των ύστέρων, ή έν μεν τοις νοητοϊς πλείω έν δε τοις αίσθητοΐς έλάττω ή άνάπαλιν.

34 Dexippe, Somm.II4, p. 36,10-11: Πλωτίνου άπορία, εί τά αύτά έστι γένη των δντων £ν τε τοις νοητοΐς και τοις αίσθητοΐς.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 143

A premiere vue, ä confronter ces textes, l'un d'eux n'est qu'une «citation», un peu libre, de l'autre35. En realite, ä part trois mots, «in-telligibles», «sensibles» et «inversement», toutes les expressions sont differentes. De plus, la finale comporte une Variante doctrinale non negligeable. Offrons done un tableau des variantes redactionelles:

Enn. VT 1,1,19-22 Dex . I I4

a) les dix les genres des categories b) les premiers etres et les derniers36

c) egalement les memes d) tous plus nombreux

les uns . . . les autres ou moins nombreux e) Pinverse, non ou bien l'inverse37

Bref, les idees sont les memes, bien sür, mais la redaction, par sa structure et son vocabulaire est tout autre, ce qui frappe d'autant

" Aussi H.-S., prudents, dans Γapparatus testium, portant sur la teneur du texte, se contentent-ils de les rapprocher par un «cf.». Iis ne le «citent» pas, car ils n'auraient pu espacer ou i n t e r l e t t r e r comme litteral que έν μεν τοις νοητοϊς, έν δέ τοις αίσθητοϊς et άνάπαλιν. A regarder Yeditio maior, il est frappant de constater que le long texte de Simplicius, p. 73,15-27, cite, lui, dans 1'apparatus fontium ne com-porte aucune expression espacee .

34 Je trouve bien deux correspondences a ces mots de Dex.II 4, p. 42,14-15 «les etres premiers et les derniers», l'une, litterale, un peu plus bas, done en dehors de notre soi-disant «citation litterale», en Enn. VI 1,1,26-27 «(le meme sens) dans les etres premiers et les etres derniers, (e'est absurde)», l'autre en VI 3,5,3-5, a propos du premier, de certains autres premiers et des derniers ( ίσχατα, non pas υστέρα), ou le contexte est tres different, la vision d'ensemble plus vaste.

" Dans le tableau ci-dessous je laisse de cote les minuties qui, s'il s'agissait d'une vraie citation litterale (sigle —, chez H.-S.) figureraient dans l'apparat critique, ainsi πό-τερον pour πότερα, είναι om., le jeu de καί et de τε . . . τε.

VI 1,2,19-22 114, p. 42,14-16

a) 20 τά δέκα 14 γένη των κατηγοριών b) 14 έπί των πρωτως δντων

15 και έπι τών υστέρων c) 20 όμοίως 14 τά αΰτά d) 21 άπαντα 15 πλείω

22 τά μεν . . . τά δέ 16 . . . έλάττω e) 22 ού γάρ δή άνάπαλιν 16 f j άνάπαλιν

Si, en outre, on compare ces deux textes avec Simpl. p. 73,15-27, longuement etudie plus haut on s'apercevra que nous trouvons chez lui encore une autre structure, en-core un autre vocabulaire.

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144 PAUL H E N R Y

plus que Dexippe annon^ait une citation litterale: «nous nous servi-rons des memes paroles que Plotin dans son aporie». Par rapport aux Enneades, ce n'est assurement pas le cas.

Enfin et surtout, les deux ou quatre derniers mots presentent une Variante non negligeable que, faute de mieux, j'appelle doctrinale38.

Les Enneades sont categoriques: «car l'inverse, certes, n'est pas possible». En Dexippe, le coefficient d'affirmation est tout autre, les deux possibilites sont laissees ouvertes: «ou bien c'est l'inverse». Si l'aporie de Dexippe provient des Entretiens, comme je le crois, c'est tout naturel: en classe Plotin se contentait de poser la question, du moins d'apres le reportatum presume de Porphyre; mais quand il redige, il prend carrement position. On saisirait ainsi, sur le vif, les nuances qui separent l'ecrit de l'oral.

Une source d'apres Simplicius, Fl

Nous passons au chapitre 2 du traite VI 1 de Plotin, la ou il com-mence sa critique de la categorie de substance, mais encore toujours sous l'aspect du rapport entre le monde intelligible et le monde sensi-ble. Un texte de Dexippe, la premiere aporie en fait qu'il attribue a Plotin, lui correspond assez etroitement, de meme qu'un texte paral-lele de Simplicius qui nomme Plotin et Nicostrate, ce qui nous auto-rise ä y voir une source des Enneades, F 1. Lisons d'abord le texte de base, chez Plotin.

«Comment la substance est-elle un genre unique? Car il faut en tout cas commencer par eile. Que, dans la substance in-telligible et dans la substance sensible, il y ait une chose uni-que qui serait le genre de la substance, c'est impossible nous l'avons dejä dit (cf. VI 1,1,25-28). Et de plus, il y aurait, avant la substance intelligible et avant la substance sensible, un autre terme; il serait autre qu'elles puis qu'il serait af-

38 Une autre Variante «doctrinale», mais si legere qu'on n'ose insister, reside dans le «toutes , . . . les unes si, les autres non», distinct de «plus nombreuses , . . . moins nom-breuses». - Simplicius, p . 7 3 , 1 8 - 1 9 ecrira «autres . . . ou les memes», ce qui est plus proche de Dexippe que des Enneades.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 145

firme de l'une et de l'autre. II ne serait done ni un corps ni un etre incorporel, sans quoi le corps serait incorporel ou bien l'incorporel serait corps.»39

Nous avons deux arguments distinets. L'un reprend ce qui vient d'etre dit au chapitre precedent, ä savoir que «lä ou il y a de l'ante-rieur et du posterieur, il n'y a pas de genre commun» (VI 1,1,26-28). Ni Dex. II 2 ni Simpl. 76 ne reprendront ceci, mais bien, tres explici-tement, Dexippe, au sommaire.

Le second argument, introduit par: «et de plus», est nouveau, et e'est le principal. S'il y avait genre unique, il faudrait poser quelque chose d'«autre», pour pouvoir le prediquer et du corps et de l'incor-porel, ou bien l'incorporel serait corps. C'est la fameuse objection dite du «troisieme homme» que developpera Aristote contre Pia-ton40, et que Plotin retourne ici contre Aristote.

Le plus amüsant, dans cette cascade d'emprunts, c'est qu'Aristote s'inspire lui meme de Piaton.

«C'est done une nouvelle Idee de la grandeur qui va se de-couvrir; a cote de la Grandeur en soi, eile est venue a l'exis-tence, tout comme a cote des objets qui y participent et par-dessus les termes de cet ensemble, encore une nouvelle Idee par quoi ceux-ci tous ensemble seront grands» (trad. J. Moreau)41.

" Enn.VI 1,2,1-8: Κ,αι πώς Εν γένος ή ούσία; Ά π ό γαρ ταύτης πάντως άρκτέον. Ό τ ι μεν εν έπί τε τής νοητής έπί τε τής αισθητής κοινόν είναι αδύνατον τό τής ουσίας, εϊρηται (prob. Enn.VI 1,1,25-28 d'apres H.-S. Voir peut-etre deja Aris-tote, Cat. 5, 2 b 6-6k). και προσέτι αλλο τι Εσται πρό τε τής νοητής και προ τής αισθητής, &λλο τι δν κατηγορούμενον κατ' άμφοϊν, δ οϋτε σώμα οΰτε άσώμα-τον αν εΐη· £σται γαρ ή τό σώμα άσώματον, ή τό άσώματον σώμα.

40 Aristote, Metaph.A9, 990 b 15-17: «De plus parmi les arguments les plus exacts (contre la theorie des Idees), les uns introduisent des idees des relations, dont nous disons qu'il n'y a pas de genre separe, les autres introduisent le troisieme homme, 'έχι δε οί άκριβέστεροι τών λόγων οί μεν τών πρός τι ποιοΟσιν ιδέας, ών οι) φαμεν είναι καθ' αύτό γένος, οί δε τον τρίτον ανθρωπον λεγουσιν. On retrouve «le troi-sieme homme» une demi-douzaine de fois chez Aristote (cf. Bonitz), notamment en Soph. El. 22, 178 b 36-37: και δτι i k m τις τρίτος &νθρωπος παρ' αύτόν και τους καθ' ϊκαστον.

41 Parm. 132 a 10—b 1: "Αλλο αρα είδος μεγέθους άναφανήσεται, παρ' αύτό τε τό μέγεθος γεγονός και τά μετέχοντα αύτού" και έπί τούτοις αύ πάλιν έτερον, φ ταΟτα πάντα μέγαλα ίσται.

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Plotin connait bien le Parmenide. En fin de compte son argu-ment est done tire ä la fois de Piaton et d'Aristote42. Supreme ele-gance. Mais ce qui reste propre a Plotin, si cela ne vient de sa source Nicostrate, e'est le jeu sur le corps devenant incorporel et l'incorpo-rel devenant corps. II n'est pas etonnant que ce texte piquant ait re-tenu l'attention de Dexippe et de Simplicius qui le mettent tous deux en bonne place, en tete de leur discussion sur la substance.

Lisons done Dexippe II 2, mais aussi bien au sommaire que dans le corps de l'ouvrage, car les deux redactions, comme en II 3, sont passablement differentes.

«Aporie de Plotin. La substance ne signifie pas la meme chose dans les etres premiers et derniers, puisqu'il n'y a pas de genre commun lä ou il y a le premier et le posterieur.»43

«Examinons la premiere aporie de Plotin. Son aporie est que la substance etant double, intelligible et sensible, com-ment le genre serait-il le meme? Car qu'y a-t-il de commun dans l'etre a ces deux-la? Si e'etait le cas, cet element com-mun serait anterieur et different; il ne serait ni corps ni in-corporel. Car autrement ou bien l'incorporel sera corps ou le corps sera incorporel.»44

On ne manquera pas de noter que, d'apres Dexippe, nous avons ici la premiere aporie de Plotin. C'est en tout cas la premiere que Dexippe lui attribue explicitement.

La difference principale est que le sommaire cite seul le principe aristotelicien, auquel Plotin ne fait qu'allusion, et il le cite avec une

42 Comme it n'y a pas d'«agrafe» textuelle dans le texte de Plotin, les editeurs H.-S., suivant un principe constant chez eux, s'abstiennent de donner ici une reference soit au «troisieme homme» d'Aristote, soit au passage du Parmenide qui contient deja l'idee sans le mot. II n'est guere douteux pourtant que Plotin ait eu l'un et l'autre presents a l'esprit.

43 Dexippe, In Cat. II 2 somm., p. 36,5-7: Πλωτίνου απορία, δτι τό αύτό ού σημαί-νει ή ούσία έπί τε των πρώτων δντων και ύστερων ούκ δντος γένους κοινού έν οίς τό πρώτον και ύστερον.

44 Dexippe, In Cat. II 2, p. 40,13-18: δ δε πρώτον άπορεΐ Πλωτίνος, έπισκεψώμεθα. απορεί γαρ διττής ούσίας ύπαρχούσης νοητής τε και αισθητής πώς γένος δύ-ναιτ' αν γενέσθαι τό αύτό· τί γαρ κοινόν έν άμφοτέροις τούτοις έν τφ είναι ύπ-άρχει; εί δε και ϊστιν, ίσται πρότερον αλλο τούτων, δπερ ούτε σώμά έστιν ουτ ά σ ώ μ α τ ο ν ίσται γαρ ή τό άσώματον σώμα ή τό σώμα άσώματον.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 147

curieuse Variante, «premier» au lieu de «anterieur», que je ne re-trouve nulle part ailleurs. Le sommaire parle aussi de «signifier» et d'«etres premiers et derniers». A prendre ensemble les deux textes comme faisant une seule citation, s'il y a «citation», eile est a la fois composite et abregee.

Mais, jetant un regard anticipe sur Simplicius, comparons les trois textes principaux, les Enneades, Dexippe et Simplicius. Que voyons-nous? La structure des trois textes est, cette fois, sensible-ment la meme. Mais les menues variantes sont nombreuses45. Elles suffisent ä etablir l'independance de Simplicius par rapport ä Dexippe, car par cinq fois il reprend les mots des Enneades la ou Dexippe ne le fait pas.

Deux variantes ne sont pas menues, mais je n'oserais pas les ap-peler majeures. Α l'«impossible» categorique de Plotin, se substitue ici une question, lä un «si» qui va montrer cette impossibilite sans prononcer le mot. L'autre est propre ä Simplicius: «e t . . . et», au lieu de «ou bien . . . ou bien» chez les deux autres, mais surtout cet «aussi» redouble qui lui est propre, ce qui donne un sens assez diffe-rent. Notons aussi que dans la phrase finale, avec cette pointe propre a Plotin, Dexippe renverse l'ordre des mots, d'abord l'incorporel, puis le corps.

Bref, s'il s'agit de «citations», elles sont fort libres. Pour ma part, j'opterais volontiers pour une source commune. Le nom de Nicos-trate est mentionne, je puis done ranger ce texte dans l'autre dossier,

45 En voici le tableau: Enn.VI 1,2 Dex.II 2, ρ.40 Simpl. p. 76

2 πώς εν γένος 15 πώς γένος τό αύτό 14 πώς εν γένος 3 gv 3 κοινόν αδύ- 15 τι κοινόν 14 εί κοινόν τι

νατον 6 κατ' άμφοΐν 15 έν άμφοτέροις 15 άμφοΐν 6 κατηγορού- 16 έν τφ είναι 15 κατηγορηθήσεται

μενον 5 προ της νοητής 16 πρότερον αλλο 15 προ άμφοΐν 7 τό σώμα 17 τό άσώματον σώμα 16 τό σώμα άσώματον

άσώματον 7 ή . . . ή 17/18 η . . . ή 16/17 'ίνα μή καί. . . καί

... καί

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148 PAUL H E N R Y

lui donner le sigle F 1, et eviter de me prononcer sur le caractere oral eventuel de Tun et l'autre texte. Car je me garde de trop insister.

Lisons done Simplicius.

F 1. «Contre ce que dit Aristote de la substance Plotin et Nicostrate presentent cette aporie. Comment la substance est-elle un genre unique? Car s'il y a quelque chose de com-mun ä la substance intelligible et a la substance sensible, ce quelque chose de commun sera avant toutes deux et sera predique de toutes deux. Et il est clair qu'il ne sera ni corps ni incorporel, de peur que le corps ne devienne aussi incor-porel et que l'incorporel ne devienne aussi corporel.»

Simplicius poursuit et cite Archytas, que je traduis de mon mieux.

«Contre cela on peut redire ce qui a dejä ete dit (cf. 73,34), a savoir que le discours (d'Aristote) porte sur la substance sensible et physique et celle qui peut etre pensee en elle, comme le definit clairement Archytas au debut de cet ensei-gnement: Toute substance physique et sensible done s'offre tout naturellement a la reflexion humaine soit en eux (les genres) soit par eux soit non sans eux.»46

Une chose est sure, une autre me parait vraisemblable. Ce qui est sur e'est que nous avons ici une source de Plotin, Nicostrate. Qu'y a-t-il lä de Plotin, qu'y a-t-il de Nicostrate, il est impossible de le sa-voir. J'incline ä penser que l'idee generale, disons l'argument du «troisieme homme» est deja de Nicostrate, mais que la pointe finale sur le corps qui deviendrait incorporel et inversement est de Plotin.

Comme il s'avere qu'Archytas est souvent ailleurs une source cer-taine de Plotin, ou si l'on veut une contre-source, lorsque Plotin s'y

46 Simplicius, In Cat. 5, p. 76,13-22: ΆποροΟσι δε και προς τον περί τής ούσίας λό-γον δ τε «Πλωτίνος και οι περί τον Νικόστρατον, πώς εν γένος ή ουσία· εί γαρ κοινόν τι και τής νοητής και τής αισθητής εϊη, προ άμφοΐν έσται και άμφοϊν κατηγορηθησεται, και δήλον δτι ο(5τε σώμα ουτε άσώματον Εσται, 'ίνα μη τό σώμα και άσώματον γένηται και τό άσώματον και σώμα», προς δή ταΟτα δυνα-τόν μεν και τά πρότερον είρημένα λέγειν, δτι περί τής αισθητής και φυσικής ούσίας ό λόγος και τής έν ταύτη διανοητής, ώς και 'Αρχύτας ό ταύτης άρξας τής διδασκαλίας διορίζεται σαφώς λέγων «πάσα ών ώσία φυσικά τε και αισθητά •ήτοι έν τούτοις ή διά τούτων ή ούκ άνευ τούτων πέφυκεν τςι διανοίςι τών άνθρώπων ύποπίπτειν».

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 149

refere tacitement pour rejeter sa doctrine, et que Simplicius le cite ici immediatement apres le couple Plotin-Nicostrate, il me parait vrai-semblable que ce curieux texte est ici aussi une source de Plotin.

Une aporie orale probable, d'apres Dexippe, Ol c

J'en viens ä une aporie d'un genre tout particulier. Je la tire, en ef-fet, de la seconde refutation que presente Dexippe, II 2 sol., de l'apo-rie que nous venons d'etudier et que nous avons cataloguee parmi les sources, F 1 = Simpl.76 = Dex. I I 2. On se le rappeile, «procedant plus dogmatiquement» contre Plotin, il lui avait repondu que son aporie etait «vaine», puisque Aristote dans ses Categories ne s'oc-cupe pas des et res, mais des mots.

Cette premiere refutation qu'il disait «facile» ne lui suffit pas ce-pendant, lui semble-t-il, «ä se debarraser d'un expose» que pour sa part, ici comme ailleurs, il juge «bien construit». II croit devoir pre-senter une tout autre refutation, cette fois ad mentem Plotini. C'est de bonne guerre surtout quand on songe que Plotin, lui aussi, a cette occasion, invoque Aristote contre Aristote.

II cite expressement Plotin et met ä son compte un passage de trois lignes au moins, probablement meme de huit lignes. Ceci m'in-vite a inclure le curieux fragment dans mon dossier de l'enseigne-ment oral, mais non sans quelque hesitation et sous toutes reserves. Le sigle choisi n'indique qu'une simple probabilite: 01c.

«Pourtant il ne me parait pas qu'on puisse se debarasser ainsi seulement de l'expose bien construit de son argument, mais je crois devoir prendre mon point de depart de la phi-losophic meme de Plotin et ramener ä l'ensemble de son sys-teme l'expose aussi des arguments presents.

01c. Plotin tient la substance pour un genre unique dans les intelligibles, comme donnant en general l'etre aux formes incorporelles et comme injectant l'etre a toutes les choses sensibles et aux formes situees dans la matiere.

S'il en est ainsi, le principe de la substance s'etend ä tra-vers la totalite des choses, toujours identique a lui-meme; il garde un ordre, le premier rang, le second, le troisieme, rangs selon lesquels aux uns il donne l'etre primordialement, aux autres d'une autre nianiere.

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Ainsi, si toutes choses remontent a la substance, puis-qu'elles dependent d'elle, la description peut reveler meme le premier principe, a partir duquel la substance tombe jusqu'au dernier relächement d'etre.»47

Avant de discuter la «solution» qu'emprunte Dexippe a Plotin -c'est du moins ce qu'il affirme - lisons le texte parallele de Simpli-cius.

«Dans le present discours, il n'etait pas indique de presenter une aporie au sujet de la substance commune aux intelligi-bles et aux sensibles, sinon que, puisqu'il vaut la peine de connaitre en soi (c'est-a-dire independamment des objec-tions de Plotin) ce que pourrait bien etre la substance com-

" Dexippe, In Cat . I I2 sol., p.40,25-41,3: ού μην έμοιγε δοκεϊ διακρούεσθαι ούτωσί την προς τό παρόν εύ τιθεμένην μόνον τοΟ λόγου διεξοδον, άλλ' άπ' αύτης αρχεσθαι τΐ|ς Πλωτίνου φιλοσοφίας και προς την δλην αύτοΟ θεωρίαν άναφέρειν και την των παρόντων λόγων διεξοδον. Ιν γαρ δη γένος την ούσίαν έν τοις νοητοΐς ούτος τίθεται ώς xoivfl τό είναι παρέχουσαν τοις άσωμάτοις εΐ-δεσι και ώς τοις αίσθητοϊς &πασι και τοις ένύλοις εΐδεσι τό είναι ένδιδοΟσαν. εί δέ τοΟτο οΰτως εχει και διατείνει δι' δλων ή τής ουσίας άρχή ή αύτη τάξιν έχουσα πρωτην και δευτέραν και τρίτην, καθ' ας τοις μεν πρώτως τοις δέ άλλον τρόπον παρέχει τό είναι· ωστε εί πάντα άνηκει εις αύτην ώς άπ' αύτής ήρτημένα, δύναται ή ταύτης ύπογραφή έμφαίνειν και την πρώτην άρχήν, άφ' ής εις την έσχάτην υφεσιν αΰτη πεπτωκεν. II y a quelques difficultes de traduction et d'interpretation. a) Je traduis 40,26 την τοΟ λόγου διεξοδον par «expose de l'argument», sens que parait avoir la meme expression en Platon, Critias 109 a (cf. Protag. 361 d). Je note que Dexippe juge cet expose «bien construit» (litt «bien pose»), ce qu'il dit d'ail-leurs, mais en d'autres termes, et au sommaire de l'aporie II 3, p. 36,8 et dans l'apo-rie II 3 elle-meme, p. 41,5. b) En 40,26, malgre sa place le «seulement» doit logiquement etre lie avec «ainsi (que je le viens de le faire a partir des principes d'Aristote)». c) En 40,27 je traduis consciemment την δλην θεωρίαν par «l'ensemble du sys-teme», car en fran9ais «theorie» risque de donner le change; si l'on prefere: «l'en-semble de la doctrine». Mais on n'oubliera pas que le «systeme» de Plotin n'est pas systematique, et qu'il reste toujours une «contemplation». d) En 40,30-31, la protase introduite par «si» exige que le verbe «s'etend a» com-mence l'apodose; le και qui le precede signifie des lors «donc bien». e) Je rends την έσχάτην ϋφεσιν par «le dernier relächement d'etre», et, vu le carac-tere pejoratif tant de «relächement» que du verbe «tomber», j'interprete cet ultime degre, hors-serie, tout comme l'Un a l'autre extreme, comme decrivant en realite la matiere premiere. A l'echelle des etres ne manque ici qu'un seul echelon important, celui de l'äme et des choses de l'äme.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 151

mune ä la substance intelligible et a la substance sensible, et que Platon suppose l'existence d'un genre intelligible de la substance48, il faut savoir que la substance premiere et intel-ligible constitue dans l'etre toutes les substances, tant intelli-gibles que sensibles, les unes qui lui sont proches, les autres, plus eloignees. Et il est clair qu'elle n'est pas seulement genre, mais principe des substances qui viennent apres eile, et que toutes les choses qui participent ä ce principe n'y par-ticipent pas ä un degre egal, de sorte qu'une telle substance n'est pas ä proprement parier un genre, comme celui qui presente l'aporie (i. e. Plotin) presupposait que c'etait chose convenue.»49

Le texte de Simplicius est, on le voit, assez different. La diffe-rence essentielle est qu'il refere, non ä Plotin, mais a Platon. Surtout il parle de la substance intelligible comme principe des etres - et c'est peut-etre vrai50 - mais ne fait pas mention du principe de cette subs-

48 Outre le Timee 48 e, rappelant qu'il y a «deux sortes d 'etre, . . . l'un, par hypothese, au rang de modele, intelligible et demeurant toujours identique, l'autre, imitation du modele, sujet au devenir et visible», Simplicius parait faire allusion aux textes Ce-lebris de la Republique VI 509 b: «... mais de lui (du Bien) ils re^oivent l'existence et l'essence (τό είναί τε και την ούσίαν ύπ' εκείνου αΰτοΐς προσεΐναι), quoique le Bien ne soit pas essence, mais il est encore au dela de l'essence, surpassant celle-ci en dignite et en pouvoir», et 509 d «... mets-toi done dans l'esprit qu'il existe deux maitres, a ce que nous disons; que l'un d'eux regne sur le genre intelligible, sur le lieu intelligible ( to μεν νοητοΟ γένους τε και τόπου), l'autre, de son cote, sur le visible». Simplicius ne se trompe guere en voyant dans ce «genre intelligible» la substance, mais Platon n'est pas explicite sur ce point; il n'y a pas citation, mais reference. - Notons, en outre, qu'apres avoir attribue a Platon l'idee que la subs-tance est un genre intelligible, Simplicius n'hesite pas ä conclure que «la substance intelligible n'est pas un genre au sens propre». Rien d'explicitement pareil chez Dexippe. Simplicius, In Cat. 5, p. 76,22-77,4: ούκ ήν ούν τοΟ παρόντος λόγου περί τής κοι-νής ούσίας των τε νοητών και των αισθητών άπορεΐν. πλην έπειδή και καθ' αύτό γνώσεως άξιον, ήτις εϊη κοινή ούσία τής τε νοητής και τής αισθητής, και ό Πλάτων δέ νοητόν γένος τής ούσίας ύποτίθεται, ίστέον δτι ή πρώτη και νοητή ούσία πάσας τάς ούσίας τάς τε νοητάς ύφίστησιν και τάς αΐσθητάς, τάς μεν προσεχείς έαυτή, τάς δέ πορρωτέρω. και δήλον δτι ού γένος μόνον άλλα και άρχή τών μεθ' έαυτήν έστιν ούσιών, και ούδέ έπίσης άπαντα τής άρχής ταύτης μεθέξει, ώστε οϋτε γένος κυρίως ή τοιαύτη ούσία, δπερ ώς όμολογούμενον ό άπορών προελάμβανεν.

50 On sait assez que les critiques ne s'accordent pas sur un point capital: le Bien, voire l'essence ou substance etaient-ils, pour Platon, cause efficiente des realites inferieu-

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tance, qui chez Platon est le Bien, chez Plotin ce meme Bien identifie ä son Un, emprunte au Parmenide 1 3 7 c - 1 4 4 e , selon E n n . V l , 8 , 23-25. II ne fait pas non plus mention du «dernier relächement d'etre» qui designe probablement, chez Dexippe, la matiere, confor-mement ä une doctrine de Plotin. Simplicius a done abrege le texte de Dexippe51, tout comme il a fondu dans son texte deux apories qui sont. distinctes chez Dexippe, II 2 et II 3. Comme pour ce qui pre-cede immediatement, ou nous en avons apporte la preuve, Simplicius ici encore parait independant de Dexippe et, je crois moins fidele que lui, a sa source, laquelle est probablement Jamblique ou meme Porphyre. Simplicius continue d'avoir Plotin en vue, comme le mon-tre la fin du texte.

L'«esquisse» du systeme platonicien presente par les deux auteurs rappelle bien davantage la doctrine certaine de Plotin que celle de Platon. Aussi pouvons-nous ici oublier Simplicius, et revenir ä notre plus ancien temoin, Dexippe52.

Et tout d'abord, jusqu'ou s'etend, chez Dexippe, la citation de Plotin? Au moins de 40,28 «la substance, genre unique . . .» jusqu'a 40,30 « . . . donnant l'etre aux formes situees dans la matiere», le sujet de «il pose, il tient» ne pouvant etre que Plotin, qui vient d'etre nomme.

Ce qui suit, par contre, reprenant la meme idee et mentionnant, de nouveau, trois degres d'etre, a savoir, l'intelligible, le sensible, les formes incarnees, pourrait etre commentaire de Dexippe ou de sa source, je dis de sa source, en raison du texte parallele (et tres proba-blement independant) de Simplicius. Deux precisions cependant, toutes deux absentes de Simplicius, ce qui se comprend si l'une en re-fere ä Platon, l'autre ä Plotin: a) de la substance on remonte ä son

res? Pour Plotin, oui, sans aueun doute, et jusqu'a la matiere comprise, comme le prouve IV 8 , 6 , 1 8 - 2 3 cite ici. Pour Simplicius aussi c'etait bien la la pensee de Pla-ton, au moins quant a la substance, son texte le prouve.

" Ou plutöt de sa source, probablement Jamblique, puisque, comme je Tai ecrit main-tes fois, il est fort peu vraisemblable que Simplicius doive quoi que ce soit a Dexippe, qu'il tient en pietre estime (cf. Simpl., p. 2 ,25-29) .

52 Le lecteur attentif n'aura pas manque de remarquer que notre jugement sur Dexippe et Simplicius oscille. Au total, nous croyons fermement que c'est Simpli-cius, bien qu'ecrivant deux siecles plus tard que Dexippe, qui est le plus fidele a Plo-tin. En fait, je crois qu'en remontant aux sources, Dexippe ne va pas au dela de Jam-blique, tandis que Simplicius exploite Porphyrt, et combien habilement.

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 153

principe, appele «le premier principe» et b) de la meme substance on tombe jusqu'au «dernier relächement d'etre», expression curieuse qui parait bien designer quelque chose de plus bas (car «on tombe») que les formes situees dans la matiere, ä savoir la matiere elle-meme. Et ceci rappelle un passage capital et difficile de Plotin lui-meme:

«Si la nature de la matiere est eternelle, il est impossible, puisqu'elle existe (ούσαν), qu'elle n'ait pas sa part du prin-cipe (l'Un) qui fournit le bien ä toutes choses. Et si la pro-duction de la matiere est une suite necessaire des causes an-terieures ä elles, eile ne doit pas non plus dans ce cas etre separee de ce principe, comme si ce principe, qui lui donne, comme par grace, l'existence ( to είναι), s'arretait par impos-sibilite d'aller jusqu'ä eile.»53

L'alternative (ε'ίτε . . . είχε) n'en est pas une puisque Plotin tient et que la matiere est eternelle et qu'elle tient son existence des causes qui la precedent.

Quoi qu'il en soit, Dexippe a parfaitement decrit l'ensemble du «systeme» plotinien, sans en oublier les deux extremes, l'Un tout en haut, au delä de l'etre, de la substance, et, probablement, tout en bas, la matiere, en de?ä de l'etre proprement et qui n'en a que l'ombre.

Tantöt il est dit que c'est la substance intelligible qui donne l'etre ä tous les etres (40,30 et 41,1) - ce que redit Simplicius, p.76,26 -tantot que c'est le principe de cette substance, le «principe premier» (41,2-3), entendez l'Un ou le Bien - ce dont Simplicius ne souffle mot. D'apres Plotin, naturellement, l'un et l'autre sont vrais.

C'est cette fidelite ä la pensee de Plotin qui me fait croire que tout le texte est refere a Plotin. Et comme son nom est prononce, je me propose d'y voir, au moins dans les trois premieres lignes, un fragment de l'enseignement oral.

Naturellement il n'est pas tout ä fait exclu, d'aucuns diront que c'est ce qui est le plus probable, que cette «esquisse» (ύπογραφή) du

53 Enn.IV 8,6,18-23: Εΐτ' οΰν ήν άεί ή τής ϋλης φύσις, ούχ οΐόν τε fjv αύτήν μή με-τασχεΐν ούσαν τοΟ πασι τό άγαθόν καθόσον δύναται ίκαστον χορηγοΟντος· εΐτ' ήκολούθησεν έξ άνάγκης ή γένεσις αυτής τοις προ αύτής αίτίοις, ούδ' ώς Ιδει χωρίς είναι, άδυναμίςι πριν εις. αύτήν έλθείν στάντος τοΟ και τό είναι οίον έν χάριτι δόντος.

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154 PAUL HENRY

systeme soit due ä Dexippe54. Qu'il soit de Dexippe ou qu'il soit de Plotin lui-meme, dans Poral, Dexippe selon toute vraisemblance, tout comme Simplicius, emprunte le texte a une de ses sources imme-diates, Jamblique ou peut-etre Porphyre, qu'il cite tous deux dans sa preface (p. 5,9), en precisant (p. 6,5-6) qu'il a lu les «refutations» qu'oppose Porphyre ä Plotin. Dexippe n'a pas honte de faire metier d'abreviateur, d'ordonner, de clarifier les «travaux immenses» de ses predecesseurs, surtout ceux de Porphyre (p. 5,7-12).

Mais comment, au fond, Dexippe retourne-t-il la doctrine d'en-semble de Plotin contre sa critique de la categorie aristotelicienne de la substance? C'est que d'apres Plotin lui-meme, ainsi Dexippe et ä ses cotes plus nettement Simplicius, la substance intelligible n'est pas un genre comme les autres, puisqu'elle est aussi le principe de tous les etres.

Tels sont les textes, telles sont les difficultes, telle est ma these, ma these «qualifiee» (01 c), ou si l'on prefere, mon hypothese - car je me garde bien d'etre categorique - sur cette curieuse aporie orale.

54 On me dira, par exemple, qu'il est invraisemblable que Plotin ait pu, comme le sou-ligne, non sans humour, Dexippe, rappeler l'«ensemble de son systeme», notam-ment la place et la fonction de la substance intelligible, dans un contexte ou ce «sys-teme» parait faire obstacle a sa critique de la categorie de substance chez Aristote. Mais dans son opposition feroce a Aristote - et plus loin, aux stoi'ciens - Plotin n'en est pas a une inconsequence pres. C'est ainsi que, d'apres l'aporie orale certaine Dex. III 1, il critique chez lui l'ordre substance, quantite, qualite, mais, quand il re-prend, pour son propre compte, l'etude de ces categories ou genres de l'etre, il garde le meme ordre et passe, comme Aristote, de la substance (VI 3,2-10) a la quantite (11-15) et de celle-ci ä la qualite (16-20). Pareillement, l'«ensemble du sys-teme» veut que l'Un soit «puissance de toutes choses» (e.g. V4,2,38; cf. 2,35-36), alors que dans ce meme traite il ecrit, contre les stoi'ciens cette fois, VI 1,26,1-3: «Le plus absurde de tout (παντάπασιν άτοπώτατον), c'est de mettre au premier rang ce qui est en puissance, et de ne pas placer l'acte avant la puissance!» (Voir ce-pendant Enn. II 5 «De l'acte et de la puissance»). Le mysterieux auteur de la Theo-logie d'Aristote (qu'on a prouve depuis etre Porphyre, comme le pensait W. Kutsch) dans une page etonnante, toute plotinienne, et qu'il faut lire, a tente ici une habile conciliation des deux points de vue, Theol.VIII § 52: «Nous disons que l'acte est superieur a la puissance en ce monde, tandis que dans le monde de la-haut, la puis-sance est superieure a l'acte» (dans notre edition, p. 73, ad Enn. IV 4,4,17).

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Apories orales de Plotin sur les Categories d'Aristote 155

Une source anonyme sur le repos

Le texte est tres court. II se situe dans un ensemble composite qui, de l'avis des critiques, provient d'un commentateur peripateti-cien, source commune de Plotin, Dexippe et Simplicius. Nous le montrerons ä propos de Enn.Vl 3,21,3-8, ou Plotin une fois de plus reduit le nombre des categories en ramenant 1 'agir et le patir sous un genre commun, le mouvement arrache a la quantite dont il est chez Aristote une espece pour devenir chez Plotin Tun de ses cinq genres.

S'il releve du present chapitre, c'est que Plotin se demande, mais ailleurs, si le contraire du mouvement, ä savoir le repos est present ou non dans le monde intelligible.

Lisons done successivement les textes, cette fois tres semblables, de Plotin, Dexippe et Simplicius.

«Au sujet du repos ou immobilite que l'on oppose au mouve-ment, qu'y a-t-il a dire? Faut-il en faire un genre special ou le ramener a un des genres susdits? Peut-etre vaut-il mieux reserver le nom de repos aux genres intelligibles et ne cher-cher ici que 1'immobilite.»Si

F 2 = «Si quelqu'un introduit comme objection le repos, nous lui repondrons la meme chose; de plus nous disons qu'il ne convient pas de ranger le repos dans les choses su-jettes au devenir, mais bien plutot dans les intelligibles.»56

F 2 = «S'il y a dans l'etre du repos, il convient de le cher-cher non dans les sensibles, mais dans les intelligibles.»57

II s'agit sans aueun doute d'une source de Plotin; nous lui assi-gnons le sigle F 2. La source est anonyme. Si l'ensemble dont on l'ex-trait est, de commun accord, aeeepte comme peripateticien, et vise ä refuter d'abord Plotin, puis les stoiciens, les deux lignes sur le repos paraissent avoir comme source premiere l'aporie d'un platonicien.

" Enn.Vl 3,27,1-4: Περί δέ στάσεως, δ άντιτέτακται κινήσει, ή ήρεμίας τί ποτε χρή λέγειν; Πότερα και αύτό 2ν τι γένος θετέον ή εις τι γένος τών είρημένων άνακτέον; Βέλτιον δ'ίσως στάσιν τοις έκεΐ άποδόντα ήρεμίαν ένταΟθα ζητεΐν.

56 Dexippe I 38 sol., p. 34,17-19: και την στάσιν δέ εΐ τις άντεισάγοι, ταύτα προς αύτόν άντεροΟμεν, και έτι προσήκειν λέγοντες ού τοις έν γενέσει άλλα μάλλον τοις νοητοΐς τήν στάσιν.

" Simplicius p. 66,30-31: εί γάρ τις εΐη τφ δντι στάσις, ούκ έν τοις αίσθητοΐς, άλλ' έν τοις νοητοΐς έκείνην ζητεΐσθαι προσήκει.

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156 PAUL H E N R Y

La source est categorique: le repos doit etre range parmi les intel-ligibles. Plotin, lui, se pose d'abord une question: «ou ranger le repos?» C'est une aporie. Dans sa reponse Plotin se contente d'ecrire: «il vaut mieux sans doute ...» puis, habilement, combine une doc-trine bien connue de Piaton avec le vocabulaire d'Aristote. On sait fort bien que dans le Sophiste 254 d Piaton range le repos parmi les «genres supremes» de l'etre. Aristote, lui, dans la Physique, ne parle que d'«immobilite», qui est pour lui le «contraire» du mouvement, l'«absence de mouvement» (ακινησία) ou sa «privation» (e. g. Phys. V 6, 229 b 23-25).

Tels sont done les prineipaux passages, apories orales ou sources, ou l'on examine le nombre des categories, mais cela en liaison avec une autre question, celle du rapport entre les deux mondes. Car il convient de se rappeler, pour finir, que tout au long de sa critique d'Aristote, tant directement en VI 1, qu'indirectement en VI 3, tant dans les Enneades que dans les Entretiens, Plotin se preoccupe de re-duire le nombre des categories, avant tout lorsqu'il s'agit de l'agir et du pätir, mais aussi ä propos du temps et du lieu. Nous le verrons en son temps, en son lieu.

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