kommentierung, Überlieferung, nachleben () || alexandre d’aphrodise et la poésie

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P i e r r e T h i l l e t , Paris ALEXANDRE D'APHRODISE ET LA POfeSIE Lorsque, a la fin de 1'OpuscuIum de f a t o d a n s le recueil qui consti- tue le pretendu livre II du De anima, appele aussi Mantissa, Alexan- dre d'Aphrodise, s'il en est bien l'auteur, pour illustrer la these que, pour Aristote egalement, le destin c'est la nature, cite Mete. I 14, 352 a 28 et Phys.V6, 230 a 32, il omet de citer Poet. 16, 1455 a 11, seul passage d'Aristote ou apparait la forme substantive ή ειμαρμένη. P. Donini, signalant cette omission, s'interroge 2 : Alexandre a-t-il estime que la citation de Poet, ne pouvait illustrer la these de l'iden- tite du destin et de la nature? ou bien ignorait-il la Poetique? II est vrai qu'on ne trouve ni mention ni citation de Poet, dans tout ce qui nous est parvenu d'Alexandre 3 , non plus que dans la tra- dition indirecte. On en pourrait induire qu'Alexandre n'a pas connu cette Oeuvre d'Aristote. Peut-etre aussi pourrait-on formuler l'hypo- these qu'il ne s'est pas precisement interesse a ce domaine. Logique, physique, metaphysique, et aussi ethique ont ete l'objet de ses com- mentaires et reflexions. II ne s'est pas attache aux τέχναι 4 . Les rares indications qu'on peut rassembler sur l'ceuvre d'Alexan- dre ne font pas soupfonner qu'il ait jamais manifeste d'interet pour la Poetique dont, en tout cas, il n'y a pas de commentaire. Toutefois, dans un manuscrit de la Bibliotheque Jarullah d'Istanbul s , on peut lire, dans une version arabe attribuee a Hunayn ibn Ishäq, un court traite intitule Kitäb al-fawäHd as-si'riyya Ii Aristütälis al-hakrm, que le copiste rattache a diverses Quaestiones d'Alexandre (parmi les- 1 Alex.Aphr., De an.II, 186,13-30 (= Suppl.Ar. II 1). 1 P.L.Donini, Tre studi sull'aristotelismo nel II secolo d.C., Turin 1974, 159 n.58. 3 Ps.-Alex., In Soph. El. 33,26-27, cite Poet. 25, 1461 a 22. 4 La rattachement de Poet, et Rhet. a l'Organon n'est pas le fait d'Alex. 5 Cod.Constantinopolitanus Jarullah 1279, ff.69 v -70 T . F.Rosenthal, From Arabic Books and Manuscripts, V: A One-Volume Library of Arabic Philosophical and Scientific Texts in Istanbul, in: Journal of the American Oriental Society 75 (1955) 16-18. Brought to you by | New York University Bobst Library Technical Services Authenticated Download Date | 12/7/14 11:29 PM

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Page 1: Kommentierung, Überlieferung, Nachleben () || Alexandre d’Aphrodise et la poésie

P i e r r e T h i l l e t , Paris

ALEXANDRE D 'APHRODISE ET LA POfeSIE

Lorsque, a la fin de 1'OpuscuIum de f a t o d a n s le recueil qui consti-tue le pretendu livre II du De anima, appele aussi Mantissa, Alexan-dre d'Aphrodise, s'il en est bien l'auteur, pour illustrer la these que, pour Aristote egalement, le destin c'est la nature, cite Mete. I 14, 352 a 28 et Phys.V6, 230 a 32, il omet de citer Poet. 16, 1455 a 11, seul passage d'Aristote ou apparait la forme substantive ή ειμαρμένη. P. Donini, signalant cette omission, s'interroge2: Alexandre a-t-il estime que la citation de Poet, ne pouvait illustrer la these de l'iden-tite du destin et de la nature? ou bien ignorait-il la Poetique?

II est vrai qu'on ne trouve ni mention ni citation de Poet, dans tout ce qui nous est parvenu d'Alexandre3, non plus que dans la tra-dition indirecte. On en pourrait induire qu'Alexandre n'a pas connu cette Oeuvre d'Aristote. Peut-etre aussi pourrait-on formuler l'hypo-these qu'il ne s'est pas precisement interesse a ce domaine. Logique, physique, metaphysique, et aussi ethique ont ete l'objet de ses com-mentaires et reflexions. II ne s'est pas attache aux τέχναι4.

Les rares indications qu'on peut rassembler sur l'ceuvre d'Alexan-dre ne font pas soupfonner qu'il ait jamais manifeste d'interet pour la Poetique dont, en tout cas, il n'y a pas de commentaire. Toutefois, dans un manuscrit de la Bibliotheque Jarullah d'Istanbuls, on peut lire, dans une version arabe attribuee a Hunayn ibn Ishäq, un court traite intitule Kitäb al-fawäHd as-si'riyya Ii Aristütälis al-hakrm, que le copiste rattache a diverses Quaestiones d'Alexandre (parmi les-

1 Alex.Aphr., De an.II, 186,13-30 ( = Suppl.Ar. II 1). 1 P.L.Donini , Tre studi sull'aristotelismo nel II secolo d.C., Turin 1974, 159 n.58. 3 Ps.-Alex., In Soph. El. 33,26-27, cite Poet. 25, 1461 a 22. 4 La rattachement de Poet, et Rhet. a l 'Organon n'est pas le fait d'Alex. 5 Cod.Constantinopolitanus Jarullah 1279, ff.69v-70T . F.Rosenthal, From Arabic

Books and Manuscripts, V: A One-Volume Library of Arabic Philosophical and Scientific Texts in Istanbul, in: Journal of the American Oriental Society 75 (1955) 16-18.

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108 PIERRE T H I L L E T

quelles il y a des attributions erronees). Ce titre fait difficulte. F.Rosenthal le traduit: «Useful Remarks in Poetry (?) by the Philo-sopher Aristotle»6. Dans la liste des versions arabes d'Alexandre qu'il a dressee en presentant l'edition du De differentia specifica7, A. Dietrich propose «Buch der Belehrungen aus der (oder: zur?) Poesie von dem Philosophen Aristoteles». S'agit-il de remarques utiles sur la poesie, ou de le£ons tirees de la poesie? Dans les deux cas je crois qu'on ne dent pas compte du fait que si'riyya est adjectif. Cet adjectif est, a ma connaissance, rarissime dans l'arabe des ver-sions de textes grecs8. Si le titre vise bien Poet. d'Aristote, puisque, comme le signale F. Rosenthal, on ignore comment cette quaestio se rattache ä l'activite d'Alexandre, on n'aura aucun scrupule a lui reti-rer ce texte. A tout le moins, avec A. Dietrich, dirons-nous douteuse son authenticite.

Les quelques indications de Yincipit et de 1 'explicit, donnees par F. Rosenthal, n'incitent guere ä rattacher le contenu du texte ä des considerations propres a la poetique. «Si l'on veut distinguer entre deux choses qui sont l'une et l'autre recherchees et desirees ...», et, ä la fin, il est question d'une chose «une en nombre».

Avec ce texte encore mysterieux, nous n'avons aucun indice qu'Alexandre d'Aphrodise se soit interesse a Poet. II n'en reste pas moins que, sans avoir jamais commente la Poetique du Stagirite, l'Exegete n'a pas ete sans contact avec la poesie.

Alexandre emprunte parfois ses exemples a des ceuvres poeti-ques, sans que le texte qu'il commente paraisse suggerer un recours ä une illustration de ce type9. Dans le commentaire ä Metaph.B 2, 996 b 22-25, ou Aristote montre que, dans le domaine du devenir, con-naitre, c'est connaitre par la cause efficiente, l'Exegete donne l'exem-ple de la guerre de Troie dont nous connaissons la cause quand nous

4 Op.cit. 18 a. 7 A.Dietrich, Die arabische Version einer unbekannten Schrift des Alex.Aphr. liber

die Differentia specifica, in: Nachrichten der Akad. d. Wiss. in Göttingen, Phil.-hist. KL. 1964, Nr. 2, 100.

• Je n'ai pas note l'emploi de l'adjectif dans les traductions du grec en arabe. Une occasion etait fournie par Metaph. A 9,991 a 22, oü il est question des «metaphores poetiques». Le traducteur, Azif Ayman, traduit μεταφοραί ποιητικοί comme s'il lisait λόγοι των ποιητών. Cf. Averroes, Tafstr mä ba'd at-tabFa, ed. Bouyges, 126,14-15.

' II n'y a pas lieu de signaler les passages oü Aristote lui-meme a cite un poete.

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Alexandre d'Aphrodise et la poesie 109

savons qu'elle a commence par l'enlevement d'Helene10. Aristote n'offre pas cette illustration poetique. Alexandre peut l'avoir empruntee ailleurs. Dejä Isocrate, dans l'Eloge d'Helene, emploie le mot αιτία a propos d'Helene (mais non pas de son rapt): eile fut cause, dit-il, de ce que les Grecs ne sont pas devenus les esclaves des barbares11. Mais il ne s'agit pas ici d'une cause prochaine, et sans doute l'exemple d'Isocrate releverait-il de la meme fa^on de dire que celui dont Ciceron denonce l'impertinence, qui veut faire d'Hecube, mere de Paris, la cause de la guerre de Troie12. L'evocation du rapt d'Helene est devenue un lieu commun des discussions touchant ä la causalite13, d'une part, a la liberte, d'autre part. L'importance du debat s'est accrue avec le «fatalisme» sto'icien. Et c'est vraisemblable-ment quelque texte inspire de ces disputes qui aura fourni a Alexan-dre cet exemple. On sait que Chrysippe avait coutume de citer abon-damment les Tragiques14. On peut inferer ä bon droit que, lorsque la discussion met en question un theme sto'icien, les citations poetiques invoquees sont empruntees au texte soumis ä critique. On ne saurait done imaginer l'utilisation spontanee d'une source tragique, ou epi-que, par le Commentateur.

La citation d'Euripide, Phoen. 17-20, dans De fato 202,10-11 Bruns, par quoi Alexandre illustre la relation destin-mantique, appar-tient vraisemblablement ä une tradition15. Le contexte de l'ouvrage permet d'assurer qu'en cette page Alexandre vise les sto'iciens, et qu'il a emprunte la citation a ceux dont il discute la these16. Chrysippe aurait pu donner ces vers dans son Περί χρησμών17 , a moins 10 Alex.Aphr., In Metaph. 186,6-11. Analysant καθ' δ, au sens de la cause efficiente,

en Δ 18, l'Exegete reprend l'exemple, 415,20-23. Albinus (Alkinoos), Epitome 26,2, fait de Paris, en raison du rapt d'Helene, la cause de l'entree en guerre des Grecs.

11 Isocrate, Eloge d'Helene, 67. 12 Cie., De fato, 15,34. 13 Sext. Emp., Math. II 3, fait d'Helene la cause des malheurs des anciens. Pour Galien,

de plac. Hipp, et Plat. IV 6,9-15, la beaute d'Helene est la cause par laquelle l'impulsion meurtriere de Menelas est brusquement arretee.

14 D.L.VTI 180 (379,4-7 Long). 15 Albinus (n. 10 ci-dessus); Oenomaos, ap. Eusebe, Praep.Ev.VI 7,22-31 ( = SVF II

978); Origene, C.Celse II 20 ( = SVF 957); Calcidius, In Tim. 153, p. 188,9-21 W. citent ces memes vers, ainsi que Lucien, Jup. conf. 13, p. 344-345 Jacobitz.

16 R.W.Sharpies, Alex.Aphr. On Fate, Londres 1983, 10 et 167 est d'avis que l'exem-ple servait aux sto'iciens ä illustrer leur refutation de «l'argument paresseux».

17 Cet ouvrage de Chrysippe (SVF II 1187, 1202, 1203) rassemblait, selon Cie., Div. I 37 d'innombrables oracles, en particulier d'Apollon, id. II 115.

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110 Pierre Thillet

qu'alors l'oracle ait ete cite sous sa forme archa'ique18. Mais les sources ne nous donnent que les vers d'Euripide, auteur souvent cite par Chrysippe. Alexandre ne s'est pas reporte a la tragedie: il a puise la citation dans le contexte meme qu'il discute.

D'Euripide encore, Alexandre cite, in Top. 223,14-17, I.A. 16-19. La encore, on pensera que ces vers etaient donnes en exemple dans un texte stoicien, bien que l'Exegete n'ait pas lieu, en cet endroit, d'instituer une critique contre la Stoa. Mais on sait que Chrysippe a ecrit un Περί των δι' αύΐά αιρετών, que Plutarque citew. II y est question d'une vie de tranquillite, exempte de danger et sure. Les termes memes appellent la citation d'Euripide. La vie exempte de danger, βίος ακίνδυνος, s'exprime dans les memes termes. II est vrai que le poete evoque aussi une fin obscure et sans gloire, dont Plutar-que ne parle pas. Mais le propos de Plutarque n'implique pas cette reflexion. Cependant, l'hypothese d'une source stoicienne de cette citation du comment, in Top. reste fragile. Alexandre en effet en appelle a ces vers d'Euripide pour confirmer un dit de Phocylide:

πολλά μεσοισιν αριστα· μέσος θέλω έν πόλει είναι20.

C'est par ces vers qu'Aristote a illustre, dans sa Pol.21, la tranquillite de la vie mediocre des citoyens qui ne sont ni riches ni pauvres, ακιν-δύνως διάγουσιν, ce qui est en accord avec sa theorie de la vertu comme μεσότης. Puisque Alexandre est l'Exegete d'Aristote on peut admettre un emprunt a Pol. Toutefois, nulle part Alexandre ne se refere explicitement a cet ouvrage du Corpus, et il ne parait pas s'etre interesse personnellement aux problemes politiques22. De son cote Chrysippe cite surtout, avec Homere, les Tragiques plutot que les elegiaques; et a cet endroit il est difficile de penser que les stoiciens soient en cause, puisque leur ethique ne fait pas du «juste milieu» vertu. Cependant, ä cote du Bien, les stoiciens ont admis les «prefe-rables»". Diogene d* Babylone distingue deux especes de choix

18 Texte de cet oracle dans 1'ed. d'Euripide, t.V, Paris, B.-L. 1950, 151,15-19. Les trois premiers vers sont donnes A. P. XIV 67.

" Plut., De stoic, repugn. 20 ( = SVF III 704). 20 Frag. 12 Bergk4. 21 P o l . I V l l , 1295 b 34. 22 On peut se demander si Alex, a pu lire Pol. qui parait avoir ete negligee dans l'anti-

quite, et dont les copies sont rares et tardives. Marc Aurele, IV 24, evoque l'animal politique, 1252 a 2. Alex, pourrait avoir cite Phocylide d'apres une autre source.

23 Par ex. Cie., Fin. III 58.

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Alexandre d'Aphrodise et la poesie 111

moral24 qui permettent de donner quelque valeur a la richesse, ä la renommee, ou qui, du moins, ont pu permettre a ses successeurs, selon Ciceron25, d'admettre ces «preferables» comme des biens. Le terme media apparait a cette occasion (Fin. 59). Le dit de Phocylide aurait pu figurer dans un contexte stoicien26 present a l'esprit d'Alexandre commentant les Topiques.

II apparait qu'Alexandre ne lit pas les poetes tragiques ou lyri-ques pour y puiser la confirmation de ses arguments critiques ou de ses analyses. II utilise ce que lui apportent les auteurs dont il est amene a discuter les theses. Certes, il ne saurait etre question de generaliser cette opinion. La memoire de l'Exegete est certainement au principe de bien des reminiscences ou de citations, en particulier quand il s'agit d'Homere. Mais la aussi les novations sont rares: le plus souvent c'est le texte d'Aristote qui apporte le terme ou le vers de Paede aveugle.

Mon propos n'est pas de faire l'inventaire complet des Homerica d'Alexandre d'Aphrodise. Je voudrais maintenant montrer qu'une oeuvre d'Alexandre, dont l'original grec est malheureusement perdu, heureusement traduite en arabe, apporte, ä cote d'une reference a Homere, un fragment nouveau d'un Tragique.

Dans son traite Περί προνοίας, dont l'existence a ete longtemps ignoree, malgre les citations de Cyrille d'Alexandrie17, Alexandre n'est pas sans references poetiques. II ne s'agit pas d'un commentaire, mais d'un de ces traites que Zeller qualifiait d'ouvrages «personnels»: l'interet des citations poetiques n'en est que plus grand.

Voulant montrer que la finalite de l'existence des individus est la sauvegarde de l'espece (qui, selon Aristote, echappe a la corruption et a la generation, en tant qu'elle est forme), Alexandre cite Socrate, qui existe afin que l'espece humaine continue d'exister, et Xanthos, le cheval d'Achille, dont l'existence contribue ä perpetuer l'espece che-

24 SVFIII, Diog.48, p.219,31-34. 15 Cie., Fin. Ill 57-58. 26 O.Gigon, Aristoteles, Topik III 1-3, in: Aristotle On Dialectics, Proceedings of the

third Aristotelian Symposium, Oxford 1968, 238, remarque que συγκατατίθεσθαι, hapax legomenon aristotelicien, 116 a 11, prendre un sens technique chez les sto'i-ciens.

27 Cyrille d'Alexandrie, Contra Julianum, PG 76. Cf. H.-J. Ruland, Die arabischen Fassungen von zwei Schriften des Alex.Aphr. über die Vorsehung und über das liberum arbitrium, Diss. Saarbrücken 1976.

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112 PIERRE T H I L L E T

val28. Ce n'est pas d'Aristote qu'Alexandre tient cet exemple: il a pu en etre l'initiateur, comme il a pu le rencontrer chez un de ses mai-tres. On remarquera que le nom de Xanthos est donne comme exem-ple de substance individuelle par Elias29. On pensera qu'il y a la un lieu commun d'ecole qui n'implique pas un recours particulier au texte poetique.

En un autre endroit du De Providentia, Alexandre, qui se pro-pose de montrer qu'il y a une doctrine aristotelicienne de la Provi-dence, est amene a preciser le role des astres, etres divins, dans la conservation des especes vivantes, et, particulierement, dans le phe-nomene de la generation. Si l'orbite du Soleil etait plus eloignee ou plus proche de la terre, les vivants periraient soit de froid, soit de chaud. Et il illustre son propos par une citation d'un poete dont il proclame la justesse.

Nous n'avons du texte que la version arabe, et en cet endroit le texte est corrompu. II a ete mal compris par les copistes, ignorants des noms propres du grec et des caracteres de la poesie.

Selon Ruland3 0 , il s'agirait d'une citation d'un poete epique, et il suggere de lire Homere. L'identification des noms propres dans les versions arabes est frequemment difficile en raison des ignorances des traducteurs et des copistes, de la difference des alphabets (qui rendent souvent necessaires des compromis), de l'intermediaire syria-que enfin31 . A vrai dire, il n'apparait pas, dans le De Providentia, que la citation soit d'un poete: il n'y a pas, ä cote du nom de l'auteur, l'apposition säfir ( = poete). Le nom est ä restituer. Le manuscrit de l'Escurial32, sigle E, Ruland, ne donne que la premiere syllabe, 'M, suivie d'une fenestra. Dans le cod. C3 3 , on croit pouvoir lire 'ünmis .

2* Aristote ne donne pas le nom du cheval d'Achille, qu'Homere, II. XVI 149, cite avec Balios, son frere ne de Podarge et Zephyre, chevaux divins. L'un des chevaux d'Hector, II. VIII 185, s'appelle aussi Xanthos. Traitant de cette meme question, Alex. Quaest. Ill 5, donne trois exemples: ό Σωκράτης, ό Πλάτων, δδε ίππος. La reference est aussi dans Ruland, op.cit. (n.27), 90 n. 7.

" In Cat. 170,5, avec le chien "Αργός. 30 Op.cit. (n.27 ci-dessus) 41,1 (ar.), 42,1 (all.). 31 Le περί προνοίας a ete traduit du syriaque en arabe par Abü Bisr Mattä ibnYünus

al-Qannä'T, Ruland, op.cit. 1,4. 32 Cod. Scorialensis ar.798. Cf. Renaud-Derenbourg, Les manuscrits arabes de l'Escu-

rial, t. II 2, Paris 1941, 6-12. Le Περί προνοίας porte le n° 8. 33 Cf. n. 5 ci-dessus. Le Περί προνοίας porte le n° 18.

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Alexandre d'Aphrodise et la poesie 113

Ruland, qui suit de preference le cod. Ε dans son edition, a restitue 'ümirus ( = Homere).

J'avais jadis fait une premiere hypothese, en songeant a lire ,üdi-mus ( = Eudeme), puisque aussi bien Eudeme est l'auteur d'une Περί άστρολογουμενων Ιστορία34, et qu'il a ete l'eleve de Sosigene35, l'un des maitres d'Alexandre. Mais une difficulte du texte qui suit immediatement m'a retenu de poursuivre dans cette voie. En outre, un texte parallele, conserve en arabe et attribue egalement ä Alexan-dre d'Aphrodise, donne une nouvelle citation semblable (mais qui n'est peut-etre pas identique) en l'attribuant expressement ä un poete, comme nous le verrons plus loin. II fallait done renoncer a lire Eudeme.

La difficulte reside dans les mots qui suivent le nom propre liti-gieux. Je Iis: «Combien est juste ce qu'a dit ' £ 7 . . l a ou al-häfiz s'exprime ...». Ce mot est traduit par Ruland (42,1) par «Rhapsode». Cette traduction me parait discutable, et eile prejuge du caractere epique de la citation. La racine arabe hfz. n'est pas employee, a ma connaissance, pour traduire les rares exemples de φαψωδεΐν ou de ραψωδία que j'ai pu rencontrer dans des textes grecs traduits en arabe. Quant au mot άοιδός, qui pourrait etre aussi le mot grec sous-jacent, il n'apparait qu'une fois chez Aristote36. Par ailleurs, e'est la racine hfz qu'emploient parfois les traducteurs pour rendre le verbe σφζειν ou des mots de cette racine. Le participe substantive al-häfiz a, dans l'Islam, un sens technique pour signifier celui qui sait le Coran par coeur (il le «conserve», ainsi, il en sauve le texte). Bien sür, en songeant au caractere oral de la poesie epique, que le rhapsode connait et recite de memoire, on aurait pu, avec un leger glissement de sens, appeler un rhapsode un häfiz, mais sans doute aurait-on ajoute ce que sa memoire retenait ainsi. Car il est douteux qu'un tra-ducteur, meme chretien comme l'etait Abu Bisr Mattä, mais vivant en milieu musulman, n'ait pas eu quelque scrupule a assimiler par une telle appellation au croyant emerite un poete pa'ien. L'inference de Ruland, inference que je pense restituer (ä moins qu'il n'y ait un exemple inconnu de moi), est done douteuse, et il convient de cher-cher a häfiz un autre sens.

34 D.L. I 23 ( = fr. 144 Wehrli). " Simplicius, In Cael. 488,18. 36 Metaph.A2, 983 a 4, passage qui manque dans le cod.ar. de la Bibliotheque de

Leyde.

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114 PIERRE THILLET

L'exemple est donne pour illustrer le passage ou il est question de la distance et du mouvement du Soleil par rapport ä la Terre, demeure des humains, et, en particulier, des consequences, pour les humains, des variations de distance a la Terre. Le Soleil, pour un Grec, c'est aussi un etre divin, et c'est Apollon37. Or, ce dieu a parfois re$u l'epithete de σωτήρ. II est le Sauveur. D'ou mon hypothese que le häfiz du texte designe, non pas le poete, mais un personnage dont le poete rapporte les paroles, un personnage du poeme, un Sauveur. Du meme coup le fragment n'appartient pas a la poesie epique, mais plutot ä une tragedie38.

En suivant le texte du cod.C, je traduis: '«Oh! ne va pas t'eloigner de la Terre, le froid penetrerait les humains, ils en periraient et ils disparaitraient». Et le Sauveur dit aussi: «Ne va pas t'ecarter du che-min regulier pour un motif quelconque, il en resulterait que la cha-leur penetrerait l'airain». Car le genre de l'airain est aneanti des lors que la fusion survient'39.

La derniere phrase parait etre un commentaire du citateur. Revenons a la ligne qui introduit la citation. Puisqu'il parait qu'il

s'agit d'un texte de tragedie, 1'auteur en pourrait etre Euripide. Que le du cod. Ε soit suivi d'un blanc indique qu'on ne saurait lire 'ümirus: le nom d'Homere etait assez familier aux copistes arabes. Le copiste de C, qui donne 'ürtmis, pourrait, bien sür, avoir commis une erreur par metathese, mais il peut aussi avoir tente de recopier, mal-adroitement, une graphie ou il ne reconnaissait pas Homere. Les points diacritiques manquent souvent dans les copies anciennes, et les lettres sont l'objet de confusions possibles. On pourrait lire, a partir de cette graphie, ,ürtbidis (ou 'itnbidis)*0: Euripide. Or, Euri-pide est 1'auteur d'un Phaethon dont nous avons conserve des frag-ments41. Pourquoi ne pas penser qu'en cet endroit Alexandre a cite

37 Voir ci-apres n. 52. " Eschyle, Ag.512. Cf. E. des Places, La Religion grecque, Paris 1969, 83-84. M Conforme a la doctrine d'Ar., Mete. IV 8, 385 a 31-33. Les corps solides en

l'absence de chaleur sont fondus par la chaleur, comme . . . l'airain. 40 Cf. D. M. Dunlop, The muntakhab Siwan al-Hikma of Abü Sulaimän as-SijistänT,

La Haye 1979, § 124. Les pages 175-179 donnent un aper(u de l'obscurite des noms propres du texte. A. Badawi a transcrit 'ünftdis dans son ed. de la version ar. de Poet., Fann as-fi'r, Beyrouth 1973, mais on ne sait pas ce que donnent precisement les manuscrits.

41 Euripide, Phaethon, ed. with prolegomena and commentary by James Diggle, Cam-bridge 1970.

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Alexandre d'Aphrodise et la poesie 115

un vers d'Euripide, en l'annon^ant ainsi: «Combien est juste ce qu'a dit Euripide, la ou le Sauveur s'exprime (ainsi)...». Et la citation tra-duite plus haut viendrait du Phaethon.

Avant d'examiner la vraisemblance de l'hypothese, passons au texte parallele, dans la version arabe d'un autre ecrit attribue ä Alexandre d'Aphrodise sous le titre FT tadbirät al-falakiyya, Des gou-vernements des spheres celestes42. Ruland a edite et traduit le texte arabe aux memes pages que la passage du De Providentia.

Voici ma traduction: Combien est juste ce que dit Eu(ripid)e, le poete, dans son poeme, car il y mentionne que le Soleil a dit a son fils Phaethon: «Zeus m'enjoint: ne t'eloigne pas de la Terre plus que de cette distance, afin que les humains n'aillent pas perir de l'exces du froid et de congelation. Ne descends pas au point d'approcher trop de la Terre, car les humains alors periraient de l'exces de chaleur».

J'ai restitue ici, de maniere conjecturale, le nom d'Euripide. Le cod. Ε porte 'üx s (x etant une lettre sans points diacritiques). Le cod.C donnerait öalmüs (ou nus)*3. Galien n'a sans doute rien a voir ici - sauf ä etre eventuellement le citateur d'un Tragique, ce qu'il fait, par exemple, dans le De placit. Hipp, et PI.44. Je pense qu'on peut, ici encore, restituer le nom d'Euripide plutot que celui d'Homere.

Les mots que j'ai traduits par «que le Soleil», inna H-sams, sont en marge en E.Ensuite, je lis, en Ε Ii ibnihäJatün (qätün, cod.), ou Jatün me parait etre la transcription de Φαέθων, comme Ruland en fait l'hypothese. Le Soleil s'adresse done a son fils Phaethon. «Zeus» tra-duit al-mustan: le mot designe habituellement, en arabe, la planete Jupiter; ici on estimera qu'il s'agit du dieu. Quant au verbe dont Zeus est le sujet, il ne se lit qu'en C: yulzimani, «il m'enjoint de», «il m'oblige ä».

S'il s'agit du meme auteur et de la meme oeuvre, ces vers doivent appartenir a un autre passage que la citation donnee dans le De Pro-videntia. Mais la prudence s'impose, car les traducteurs du grec en

42 Cod.Scorialensis ar. 798 (E), ff.77v-82v . Cod. Constantinopolitanus Jarullah 1279 (C), ff. 51-53.

43 Je n'ai pas vu le cod.C pour ce texte; je ne connais que l'apparat de Ruland (n.27 ci-dessus).

44 Nombreuses citations d'Euripide, empruntees a Chrysippe dans Plac.Hipp. et PI. Cf. Galen, On the Doctrines of Hippocrates and Plato, ed. Philipp de Lacy, Berlin 1978, IV 244, 272, 274, 276, 278, 282, 284, 286.

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(syriaque et en) arabe, tres peu familiers avec le vocabulaire archai-que de la poesie, ignorants de la mythologie et du theatre grecs, ont pu assez etrangement defigurer le modele45.

Dans le premier passage (De prov.), Ruland, qui suit le cod. E, a lu les humains (al-näs), la ou le cod. C parle de l'airain (al-nahäs). II m'a semble preferable de suivre le texte de C, car la fusion (dawabän, 41,5) s'applique bien a l'airain44. Ce n'est que si l'on veut que les deux citations de l'arabe soient la traduction plus ou moins fidele d'un meme passage qu'on sera tente, comme Ruland, de suivre E.

Est-il vraisemblable qu'Alexandre d'Aphrodise ait cite Euripide dans ce traite de la Providence? Les quelques references ä Euripide qui se rencontrent dans les ecrits de l'Exegete proviennent souvent de source stoicienne47.

Homere ne fait pas mention de Phaethon. Ruland48 a cherche la source des citations d'Alexandre dans l'Odyssee. En λ 16-18, le pays des Cimmeriens, pays de la longue nuit, est depeint comme celui de la nuit mortelle. En μ 377 sqq., Ulysse s'adresse ä Zeus «pater» apres le meurtre des vaches du Soleil par ses compagnons. Le Soleil menace d'abandonner les humains pour illuminer les morts. II fau-drait admettre qu'Alexandre paraphrase Homere, ou qu'il suit une exegese tres imaginative. II est plus vraisemblable que la source de ces citations soit un Tragique. Le Phaethon d'Euripide est le lieu le plus vraisemblable. Si l'hypothese en etait confirmee, le Περί προνοίας apporterait une mince contribution a cette tragedie mutilee.

4S Voir ce que devient une citation de Pindare, fr. 152 Bowra, 169 Snell, in: La Lettre d'Aristote ä Alexandre sur la politique envers les cites, ed. J. Bielawski & M. Plezia, Breslau, Varsovie, Cracovie 1970, 62.

" Dans le compendium de Tim. par Galien, la racine dwb est utilisee pour rendre τήκειν et ses composes. Le verbe grec est employe par Plat, pour designer la decomposition de la chair (cf. aussi Hippocrate κατ' ίητρεΐον, Arabic version by M.C.Lyons, Arabic Technical and Scientific Texts 3, Cambridge 1968, 16,11), les memes racines, grecque et arabe, sont utilisees pour signifier la fusion des metaux. Aristote ignore le verbe χωνεύειν dont usent les alchimistes. R. Haller, Les alchi-mistes grecs, Paris 1981, 84,4 et passim. Alex., In Mete. 138,1, l'emploie pour la fusion de l'airain.

" Voir n. 15 ci-dessus. 41 Ruland, op. cit. 42, renvoie a Od. λ 16-18, qu'on trouve, curieusement, dans les

contextes stoiciens de Geminos, Intr. aux phenomenes, VI 16, ed. Aujac, Paris 1975, 36, et Strabon, I 1,10: C 6.

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Alexandre d'Aphrodise et la poesie 117

Seneque, dans son De Providentia, pour illustrer le role des diffi-cultes de l'existence dans la formation du caractere et l'acces a la vertu cite, sans le nommer, des vers qu'il emprunte aux Metamor-phoses d'Ovide49. II s'agit des vers par lesquels Helios-Phebus tente de dissuader son fils d'emprunter son char.

Le propos de Seneque est, certes, tout autre que celui d'Alexan-dre d'Aphrodise; il cherche ä montrer combien Phaethon est coura-geux50, il n'evoque pas l'intention dissuasive de Phebus. En outre, il n'est pas question de source grecque dans Seneque. Toutefois, Sene-que traite de la question de la Providence, et en stoicien: il peut avoir ete inspire par une source stoicienne. Assez souvent, les philosophes de langue latine, tout en suivant, parfois de pres, une source grecque, transposent les citations en substituant a Homere Virgile, a Eschyle Ennius, a Menandre Plaute. On est en droit, ici, de faire l'hypothese que Seneque a pu substituer ä la citation d'un poete grec exposant quelques aspects de l'aventure de Phaethon, des vers du poete latin qui avait repris, en le metamorphosant, le theme.

Or, Ovide, dans les passages des Metamorphoses ou il developpe le mythe de Phaethon, I 747-779, II 1-367, s'inspire, non sans de nombreuses modifications, du Phaethon d'Euripide. Le dernier edi-teur du palimpseste et des papyrus de cette tragedie, James Diggle, a fort bien montre comment Ovide, comme Nonnos, mais differem-ment, permettait de reconstituer, en partie, la piece d'Euripide51. II semble que le choix qu'a fait Seneque des vers d'Ovide permet d'infe-rer que les citations de l'Alexandre arabe ont la meme source: Euri-pide.

Qu'Apollon soit le Soleil, c'est une tradition qui se rencontre dejä chez Eschyle, et, plus affirmee, chez Euripide52. Le Soleil done s'adresse ä son fils, a Phaethon.

Un passage d'Ovide merite aussi d'etre cite. «Afin de distribuer au ciel et a la terre une chaleur egale, n'abaisse pas trop ta course et ne la pousse pas non plus par un trop grand effort vers les sommets

49 Ovide, Metamorphoses II 63-69, que cite Seneque, De prov. V 7,10-11. 50 Per alta virtus it. 51 J.Diggle, op.cit. (n.37 ci-dessus). L'appendice A, § 3-6, 186-191, comparant Ovide

et Nonnos montre leur dependance d'Euripide. " Cf. P.Boyance, L'Apollon solaire, in: Melanges Carcopino, 1966, 149-170; et

J.Diggle, op.cit. 147, commentant Phaethon 224-225.

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de l'ether. Si tu t'egares trop haut, tu bruleras les celestes demeures; trop bas, la terre; le milieu est pour toi le chemin le plus sür»53.

La marche du Soleil est ici envisagee dans l'hypothese de deux mouvements excessifs d'eloignement et de rapprochement de la Terre. C'est le seul texte qui, avec celui d'Alexandre, fasse ainsi men-tion de ce double mouvement. Le Soleil avertit son fils d'avoir a evi-ter cette double erreur. Ovide, il est vrai, ne souligne que les inconve-nients de la chaleur; il ne dit rien du froid qui saisirait les humains au cas ou le Soleil s'eloignerait avec exces du globe terrestre. Consi-derant le double mouvement du Soleil, Alexandre d'Aphrodise pre-cise les inconvenients, pour la Terre, des variations trop grandes de la trajectoire du SoleilS4. Ovide se preoccupe seulement de Phaethon et du char solaire comme source de chaleur55. II n'evoque pas les consequences de l'evenement pour les humains. Euripide sans doute, avait eu souci de souligner le röle bienfaisant du dieu Soleil a l'egard des humains. Alexandre cherche a montrer le caractere providentiel de l'ordre de la nature et de la marche des astres. II a vraisemblable-ment repris cette citation de la tragedie d'un texte stoi'cien ou s'expri-mait le providentialisme du systeme.

Mais s'il est vrai que le Περί προνοίας cite le Phaethon d'Euri-pide, on ne manquera pas de s'etonner d'une inconsequence. A en croire Vitruve, en effet, Euripide aurait dit, dans son Phaethon, que le Soleil brule les objets lointains et maintient temperes les objets voisins56. J.Soubiran, editeur de Vitruve, consacre deux longues

" Ovide, Metamorphoses II 134-137:

Utque ferant aequos et caelum et terra calores, Nec preme nec summum molire per aethera currum. Altius egressus caelestia tecta cremabis, Inferius terra; medio tutissimus ibis.

Jai reproduit la traduction de G.Lafaye, 3eme ed. Paris 1961, 41. 54 Le double mouvement du Soleil (45,8-10 Ruland) sur sa sphere et selon I'inclinaison

de l'ecliptique est la cause des saisons, mais les variations de sa distance a la terre restent moderees.

55 Pour les Pythagoriciens, selon Aristote, Mete. I 8, 345 a 13-18, la Voie lactee est l'effet de la mesaventure de Phaethon; eile serait, pour certains, la trace laissee par la trajectoire brulante de l'astre trop pres de la voüte celeste.

" Vitruve, De l'architecture IX, ed. Jean Soubiran, Paris 1969; IX 13: . . . quae longius a sole essent, haec vehementius ardere, propriora vero eum temperata habere . . . καίει τά πόρρω, τάγγύθεν δ' εΰκρατ Εχει.

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Alexandre d'Aphrodise et la poesie 119

notes ä ce passage57, et il s'interroge sur la source d'Euripide, dont, il est vrai, il estime prudent de ne pas vouloir trop presser le sens, en l'absence du contexte. II est vrai que d'un poete on ne peut exiger des justifications scientifiques. II se peut aussi que la structure normale de l'univers ait pu paraitre justifier cette singularite. Mais l'aventure de Phaethon constitue un defi aux lois de l'univers, et cette trans-gression peut bien avoir des consequences anormales. On n'a done pas, avec cette citation isolee de Vitruve, de raisons süffisantes pour rejeter l'eventuelle appartenance des citations d'Alexandre au Phae-thon d'Euripide. Et Alexandre d'Aphrodise, lecteur des stoiciens en meme temps que vigoureux critique de leurs theses, doit sans doute ä un traite stoicien - et peut-etre au περί προνοίας de Chrysippe - ces mots du Phaethon d'Euripide.

L'Exegete d'Aristote, dont Paul Moraux a contribue avec tant de science ä faire connaitre les doctrines, n'est certes en rien un poete. II ne parait pas meme avoir ete, en tant que commentateur, soucieux de poetique. Mais il a cite ou evoque des auteurs qui, eux, avaient puise des exemples, peut-etre aussi des themes doctrinaux, chez des poetes. Alexandre d'Aphrodise n'est pas totalement «prosaique». Voilä qu'il apporte quelques bribes a une piece perdue de Tun des grands Tragi-ques de l'aritiquite. Son nom pourrait desormais figurer dans les futurs Fragmenta Euripidis. Qui s'en etonnerait? Les Grecs, meme ä la fin du deuxieme siecle de notre ere, n'avaient-ils pas toujours Homere comme maitre? La poesie grecque vivait encore.

57 Notes 61-62, op.cit. 107-110.

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