jeremy narby - intelligence dans la nature

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JeremyNarby INTELLIGENCE DANSLANATURE ENQUTEDUSAVOIR BUCHET~CHASTEL JeremyNarby INTELLIGENCE DANSLANATURE ENQUTEDUSAVOIR Traduit del' anglais par YonaChavanne SUCHETeCHASTEL Buchet/Chastel, un dpartement de Meta-ditions, 2005 7, rue des Canettes, 75006 Paris ISBN 2-283-02115-4 La nature aime se cacher. Hraclite. Beatrice. Note de l'auteur: Afin de concilier lisibilit et rigueur, le corps dutexteestaccompagndenotesreportesenfindevolume. Pourleslecteursquivoudraientdesinformationscomplmen-taires,celles-cisont organisespar chapitre,numrode page et sujet, et commencent partir de la page 171. SOMMAIRE Introduction: la recherche de l'intelligence dans la nature..13 Chapitre premier : Cervelles d' oiseaux.................................21 Chapitre 2 : Visions agnostiques .......................... .................33 Chapitre 3 : Transformateurs.................................................43 Chapitre 4: Hiver fbrile....................... ................................55 Chapitre 5: Abeilles mme d'abstraire......... .....................71 Chapitre 6 : Prdateurs .. .. .... .. . . . . .. ..... .. ... ... . .. .. . .. .. . . .... .. .... .. .....85 Chapitre 7: Les plantes agissent comme un cerveau ............101 Chapitre 8: Astuces d'amibes ...............................................115 Chapitre 9 : Les papillons-machines japonais.......................129 Chapitre 10: Gele mystrieuse ............................................143 Chapitre 11: Chi-sei et la capacit de savoir de la nature.....159 Notes ......................................................................................171 Bibliographie.........................................................................259 Index des noms......................................................................283 Index bibliographique............................................................287 Remerciements......................................................................291 INTRODUCTION la recherche de l'intelligence dans la nature Depuisunequinzained'annes, j'aide lesindignesd' Ama-zonie obtenir destitresfoncierspour leurs territoires.Ce sont desgensquicroient quelesplanteset lesanimauxsontdous d'intention,et que leschamanescommuniquentaveclesautres espces par la voie des visions et des rves. Pour un rationaliste, leur mode de connaissance est difficile saisir. J'ai entreprisdepuisplusdedixansla recherched'un terrain d'entente entre savoir indigne et science occidentale, et j'ai fini par dcouvrir des liens entre le chamanisme et la biologie mol-culaire.Dansmon livre Le Serpent cosmique,l'ADN et lesori-ginesdusavoir,j'ai prsentunehypothseselonlaquelleles chamanes accdent dans leurs visions des informations relatives l'ADN, qu' ils appellent essences animes ou esprits. En Amazonie,dirigeantset chamanesindignesont exprim leur intrt et soutien pour cetteapproche: pour eux,que leurs connaissances soient relles n'a rien d'tonnant. Del'autrectdel'quation,cependant,leschosestaient plus compliques. La science occidentale prouve en effet quel-quesdifficultsreconnatrel'existencepossibled'une intelli-gencenonhumaine,ettoutautantl'acquisitiond'unsavoir objectif par desvoiessubjectives.Depuissa parution,en1995, Le Serpent cosmique n'a pas attir l'attention que j'avais espre delapartdesscientifiques.Maisplusieursbiologistesont lulelivreavecintrtetengagundialogueavecmoi.Un 14INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN QUTEDU SAVOIR biophysicienm'amisaudfidetestermonhypothse,car, pourlui,c'est encela queconsiste la vritablemthodescien-tifique. Iltouchaitaubonendroit.Entantqu'anthropologue,je ne suis pas un scientifique, et n'ai jamais test une hypothse.J'ai doncdciddereleverledfi.Pour cefaire,j'ai accompagn troisbiologistesmolculairesenAmazoniepruviennepour voir s'ils pourraient obtenir des informations relatives au niveau biomolculaire,aprsavoiringrunbreuvagedeplantes psychoactives administr par un chamane indigne. Chacun des troisareuautraversdevisionsdesrponsesclairessurson travail. L'une de ces biologistes, le Dr Pia Malnoe, qui enseigne dans uneuniversitsuisseetdirigeunerechercheenlaboratoire,a conclu: Ladmarcheparlaquelleleschamanesobtiennent leurs connaissances n'est pas trs diffrente de celle par laquelle lesscientifiquesobtiennentlesleurs.L'origineestlamme, mais les chamanes et les scientifiques utilisent des mthodes dif-frentes. J'aipubliuncompterendudecetterencontreentrevoies parallles de connaissances humaines, mais en fin de compte, je mesuisaperuqueje restaisbloquparmondsird'obtenir l'approbationdel'establishmentscientifique.J'aidoncdcid de changer l'orientation de ma recherche. Unequestionsemblait plusimportantequelesautres.tra-versmesdiffrentesinvestigationsportantsurl'histoire,la mythologie, le savoir indigne et lessciences, j'avais trouv des indices d'intelligence dans la nature. Cela me paraissait tre une nouvellemaniredevoirlestresvivants.J'aigrandien ban-lieuersidentielleet reuuneducation matrialiste et rationa-liste- une vision du monde qui rejette l'ide d'intention dans la nature,etperoitlestresnonhumainscommedes auto-mates etdes machines .Maismaintenant,ilyavaitdes signes de plus en plus nombreux indiquant que cette manire de voirestincomplte,etquelanaturegrouilled'intelligence. INTRODUCTION15 Mmelescellulesdansnotrecorpsfourmillentd'activitsqui semblent dlibres. Versla findesannes1990, j'ai commencmeconcentrer sur des travaux de biologistes tudiant des organismes plutt que desmolcules.magrandesurprise,j'aidcouvertnombre d'tudes rcentesmontrant quemme detrssimplescratures font preuve d'un comportement intelligent. Certains scientifiques dcrivent,par exemple,comment une moisissure visqueuse uni-cellulairedpourvuedecerveausaitrsoudreunlabyrinthe,et commentdesabeilles,dontlecerveaualatailled'unette d'pingle,fontusagedeconceptsabstraits.Audix-septime sicle,lephilosopheJohnLockedclarait:Lesbrutessont incapables d'abstraction. Mais, en fait,les animaux sont bel et bien capables d'abstraire, et la science rductionniste l'a rcem-ment prouv.J'ai mme trouv des scientifiques contemporains selonlesquelsonnepeutcomprendrelescraturesnaturelles qu'en leurattribuantuneformed'humanit.C'est bienceque les chamanes affirment depuis trs longtemps. Toutcecim'aconduitmelancerdansuneenqutesur l' intelligence dansla nature ,un concept quicombinesavoir scientifiqueet savoir indigne.Jedevaisapprendrepar la suite que des chercheurs japonais ont dj un terme pour cette capa-citdesavoir dumondenaturel:lechi-sei(prononcertchi-se).Maisla premire partiedemon enquteme conduisait en Amazonie,o j'avaispourla premirefoisrencontrdesper-sonnesquiattribuaientesprit,intentionetqualitshumaines d'autres espces.J'avais ensuite l'intention de faireune anthro-pologie de la science et de rendre visite des scientifiques dans leur environnement professionnel. Jemesuislancdanscettequtesanssavoir ceque j'allais dcouvrir.Je suis parti la chasse au trsor en ignorant o il se trouvait. Un jour d't, juste avant le dbut de cette enqute, j'ai rendu visite une vieille gurisseuse par les plantes qui vivait dans une 16INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN QUTE DU SAVOIR fermeisoled'Estonie.Elles'appelait LaineRoht,cequiveut dire Vague d'Herbe en estonien. J'tais introduit auprsd'elle par la traductrice estonienne de mondernierlivre.Roht,quineparlaitquel'estonien,nous conduisit jusqu' un petit abri au fond de son jardin. Il y avait l une chemine rudimentaire dcore avec des bouteilles de cham-pagne russe vides. J'expliquaiquej'taisanthropologueetdsiraisluiposer quelques questions.Roht opina duchef. Elle s'tait assise bien droite sur un banc,sesdeux mains croisesdansson giron.Je luiaidemandd'abordsiellepouvaitm'expliquercomment elletaitdevenuegurisseuse.Ellerpliquaquesongrand-oncle tait un gurisseur,et qu'elle tait ne avecce don.Elle dit que les plantes lui parlaient, lui rvlant quel moment leur puissance curative tait maximale et quand les cueillir.Cela se passeparfoislanuit,quandelleserepose,ajouta-t-elle ;elle reoit desinstructions,selve,et vaverslesplantesausujet desquelleselleatrenseigne.L'informationqu'ellereoit esttoujoursjuste,dit-elle.Etlorsquelesgensluiparlentde leur maladie,elleenressentleseffetsdanssonproprecorps, quiagitcommeunmiroir.Plustard,quandelleapprend quelles plantesvont gurir la maladie, elle ressent unsoulage-mentdansla partiedesoncorpsquiest enempathieavecla personne malade.Elle n' a paslabor sur la manire dont elle reoit les instructionsdonnespar lesplantesou proposdes plantes. Sa conception des choses me rappelait celle de certains cha-manesrencontrsen Amazonie.Je dcidaid'aller droit aubut et lui demandai si elle pouvait m'en dire plussur l'intelligence dansla nature.Ellesecoualatteet rpondit: Personnene m'a encoreposcettequestion.Ilestdifficiledepntrerla nature.Je n'ai pas de mots pour a.Ces mots-l n'existent pas. Personnenesaura jamaiscomment lesplanteset leshumains sontfaits,oucequ'iladviendrad'eux.Celademeurera secret. INTRODUCTION17 Son regard bleu ple m'tait difficilement soutenable.Quand elle parlait, je ne pouvais capter que la mlodie de sa voix.L'es-tonien n'est pas une langue inde-europenne, et je n'en compre-naispasunmot.Lorsqu'ellefaisaitunepause,j'coutaisla traduction et notaismot pour mot ce qu'elle venait dedire.See jiiiib saladuseks.(Cela demeurera secret). Le terme saladus veut dire secret. Je lui aidemand pourquoi la natureaime se cacher.Elle a rpondu: Nous serons punissinous rvlonslessecrets de la nature.On ne doit pastout savoir.li faudraittraiter la connais-sance avec respect,gurir les gens et bien les traiter.Les secrets peuvent tomber entre de mauvaises mains. Avecpareille rponse,j'ai renoncpousser plusavantmes questions indiscrtes. Ellenousafaitfairele tourdu jardin et dsignlesplantes qu'elle utilisepour gurirtelleou tellecondition.Nousappro-chionsdela findelarencontre.J'aieuenviedela remercier pour le temps et la considration dont elle nous avait gratifis, et j'ai t chercher dansla voiture un exemplairede mon livre en estonien.La couverture est illustre par un serpent.Elle l'a pris danssesdeux mains,a jet un il sur la couverture puisa dit : J'ai quelque chose pour vous. Nousl'avonssuiviejusqu'lamaisonetl'avonsattendue dehors. Elle est revenue avec un grand bocal de verre qui conte-nait del'alcooldistillpartir desfruitsdeson jardin,et une vipre morte. Elle nous a expliqu qu'elle avait attrap la vipre danssonjardinplusieursmoisauparavantetl'avaitplonge encorevivantedansl'alcool.En mourant,le serpentavait cra-chsonvenindanslamixturequi,nousaffirma-t-elle,nous donnerait vitalit et nous protgerait des maladies.Elle remplit un petit gobelet de mdecine deserpent et me l'offrit. Je l'ava-laid'un trait au nom de l'anthropologie.Le got n'tait passi mauvais.L'effetpremierfutunesensationdechaleurfour-millante et de bien-tre sans rapport avec la petite dose d'alcool absorbe. 18INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN QUTE DU SAVOIR Nousl'avons remercieunefoisencoreet pris congd'elle. Je me suismisauvolant,le trajet duretour s'est pass comme en tat de grce, et pendant les semaines qui ont suivi, je me suis senti rayonnant et plein d'nergie. Une foisrevenu chez moi en Suisse,monentouragem'a flicitpourmabonneforme.En racontant cette histoire, je n'essaie pas de convaincre qui que ce soitdel'efficacitdecettecuved' huiledeserpent (bien qu'une recherche plus approfondie serait intressante, neserait-ce que parce que le venin de serpent contient des substances qui agissent sur lesneurones).En fait,les motsde Laine Roht res-taientgravsdansmonesprit.Celademeurerasecret.Cela signifiait-il que je ne devais pas poursuivre mon enqute sur l'in-telligence de la nature ? Sesparolesont tourndansma ttependantdesmois.Mon intentionn'taitpasdepntrerpareffractiondanslabote secretsdelanature: je voulaisseulementvoirocelle-cise situait et pouvoir la considrer sous plusieurs angles. J'ai voyag enAmazonieetvisitdeslaboratoiresdansdiverspays.J'ai dcouvert,qu'certainsniveaux,lascienceserapprochaitdu savoirindigne.Aujourd'hui,lasciencenousditqueles humainssontpleinementapparentsauxautresespces.Nous sommes construits de la mme manire et avons des cerveaux de typesimilaire.Lasciencemontregalementquelesautres espces ont leurs propres modalits d'intelligence. Toutefois, les mots de Laine Roth continuaient habiter mon esprit. M'tais-je lancsur unemauvaisepiste ?Monenqutetait-ellevoue l'chec? Une anne et demi environ aprs ma visite Laine Roht, j'ai comprisquesiunechoseestdestinerestersecrte,alors essayer d'en dcouvrir plus son sujet n'est pas problmatique. Etpeut-treLaineRotha-t-elleraisonenaffirmantqueper-sonnenecomprendra jamaiscomment lesplanteset lestres humainssontfaits.Maischercherdcouvrircommentla nature sait n'est pas un crime. TIest vrai que l'on peut abuser de INTRODUCTION19 la connaissance.Maissi la nature est doue desavoir et que je faispartiedelanature,pourquoinedevrais-jepasviserla connaissance ? CHAPITRE PREMIER Cervelles d'oiseaux Un jour de septembre2001, je suismontbord d'un canot pilot par un Indien matsigenka pour entreprendre la descente du fleuveUrubamba.Danscette partiedel'Amazonie pruvienne, lesfortsetlesriviresabritentplusd'espcesd'arbres, d'insectes,dereptiles,d'amphibiens,d'oiseauxetdemammi-fresquen'importequelleautrergiondetaillecomparable. Nous pntrions dans l'picentre de la biodiversit mondiale. Nousavonstraversdesgorgeshabitesdemilliersdeper-roquetscolorsetd'autresoiseaux.latombedelanuit, nous avons camp sur une petite plage sur la rive du fleuve.Je voyageaisencompagnied'unanthropologuepruvien,dela directrice d'une fondationamricaine pour l'environnement, et de deux amis suisses.Nous allions, entre autres,visiter un pro-jetdirigparunecommunautd'Indiensmatsigenka.Mes compagnonssesontretirsdebonneheureaprslalongue journe passe sur le fleuve ; quant moi, je me suis assis prs du feu,me laissant hypnotiser par l'enceinte de sonorits mou-vantesproduitespar la fort.J'entendaislesstridulationsdes cigalesetdescriquets,lestrangesmlodiesdecertains oiseaux,lecroassementdesgrenouilles,et lebraillementdes singes.En Amazonie,la nature faitbeaucoupde bruit,surtout la nuit. Lematinsuivant,nousavonscontinunotredescentedela rivire et enfin,nousavonsamarr notrecanot au ponton d'une 22INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN QUTE DU SAVOIR logeperchetoutenhautd'unefalaisedominantlefleuve, le Centre matsigenka d'tudes tropicales. J'tais curieux de visi-terceprojetdedveloppementcommunautairedontl'objectif tait degnrer desbnficestout en respectant la biodiversit. Aprsavoirescaladunabruptescalierdebois,noussommes arrivs l'entre de la loge : le sol tait en bois dur et poli, et les fentrestaientquipesd'cransantimoustiquestanches. Nous avons ensuite visit les chambres, et trouv des lits propres et des salles de bains carreles pourvues d'eau chaude. Au fil des ans, j'avais visit bon nombre de sites ruraux en Amazonie pru-vienne,maisjamaisencoreje n'avaisrencontrpareilconfort. Tandisqu' la rception,un employmatsigenka tait entrain d'enregistrer nosnoms,un client amricainquipassait l nous demanda: Avez-vous fait bon voyage? Aprsm'tre install, j'ai prisunedoucheavant de rejoindre mes compagnons dans la salle manger.Nous avons command auserveurmatsigenkadujusdepapaye,dupoissonetduriz. Plusieursautrestablestaient occupes par un groupe d' Amri-cains,quiparlaientavecexcitationdesoiseauxqu'ilsavaient observs ce matin-l dans la fort.Aprs le djeuner, l'un d'eux vintnotretableetseprsentasousle nom deCharlieMunn. Grand,et dotd'un large front,Munn commena nousparler de sa profession et passion : l'tude des oiseaux. Il nous raconta qu'ilvenaitenAmazoniepruviennedepuisvingt-cinqans,et qu'il avait fait sa recherche de doctorat prs d'ici, dans la Rserve biosphre de Manu.En travaillant avecdesIndiensmatsigenka, Munnet sonquipeavaientdcouvertquelesaras,cesgants colors du monde des perroquets, se rassemblaient tous les jours pendant presque toute l'anne sur de vastes bancs d'argile, qu'ils becquetaientetconsommaientenpetitesportions.Lorsque Munn et ses collgues avaient observ ce comportement pour la premirefoisdansleManu,ilss'imaginaientavoirdcouvert la seule falaise d'argile au monde o des aras se runissent rgu-lirement.Maisgrce leurs guides indignes, ils en reprrent CERVELLESD'OISEAUX23 des dizaines d'autres, dont l'une situe une heure de marche de la loge o nous conversions. Tout cela tait nouveau pour moi, et je ne m'tais pas attendu rencontrerunornithologuedepremierplanendescendant lecoursdel'Urubamba.Jen'avaispasnonplusl'habitude d'entendrequelqu'unprsentersontravaildemaniresi directe.MaisjetrouvaisMunntropintressantpourl'inter-rompre.Ilracontaquesonquipeetlui-mmeavaienttout d'abord t mystifis par la consommation d'argile des aras.Ils prsumaient que l'argile contenait dessels et desminraux qui compltaientlergimeprincipalementvgtariendeces oiseaux.Puisuntudiantanalysalesgrainescommunment manges par les aras et dcouvrit qu'elles contenaient desalca-lodestoxiques. Lesarasprfrent lesgrainesdesfruitsleur chair, et utilisent la puissance de leur bec crochu pour fendre et mangerdesgrainesd'arbresdetoutessortes,diffrant encela de la plupart desautresoiseaux de la fort tropicale.Il s'avre, ditMunn,quel'argilemangparlesoiseauxadsorbeles toxines et acclre leur limination du corps ; l'argile probable-ment tapisse leur intestin en le protgeant de l'rosion chimique provoquepar lestoxinescontenuesdanslesgraines.Lesaras consommentdesdosesquasiquotidiennesd'argilepourse dtoxiquer,cequileurpermetdemangerdesalimentsque d'autresoiseauxnesupportent pas.Ilajouta que lesaraschoi-sissentlesbancsdontlaqualitd'argileadsorbelemieuxles toxines,et qu'ils vitent lesautres bancs.Leur prfre est une argilericheenkaolin,queleshumainsutilisentpoursoigner 1' empoisonnement alimentaire. En coutant Munn, je prenaisconsciencequ'il donnaitl un exempledecomportementintelligentdanslanature.Trouver l'argileapproprieet la consommer,cela permet cesoiseaux de manger des graines et des fruits encore verts, donc difficiles digrer,voiremortels pour d'autres espces. Aveca,ilsont un net avantage sur la plupart des autres animaux de leur environne-ment.Mais, me demandais-je,l'intelligence desoiseaux est-elle 24INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN QUTE DU SAVOIR la mmequecelledontfontpreuveleshumainsenprenant du kaolin? Et lesoiseaux n'agissaient-ils pas plutt par une forme d' instinct oudecomportement adaptatif vis--visdel'vo-lution?Choisissent-ilsl'argilelameilleureparunesortede processusautomatique? Ou savent-ils ce qu'ils font,comme des sujets pensants? Les humains sont-ils intelligents en consom-mantdel'argile,alorsquelesarasneseraient qu' instinctifs quand ils font la mme chose ? Avantque j'aie pu poser cesquestionsMunn,mescompa-gnons et moi tions invits un circuit guid travers la faune et la floredela fortauxenvironsdela loge.JeremerciaiMunn pour ses intressantes informations et me promis intrieurement d'en reparler avec lui plus tard. Un guide matsigenka nous attendait l'extrieur.Ils'appelait Hector Toyeri Andres.Ilavaitvingtet unans,descheveuxde jaisetdesyeuxnoirs.Ilportaitdespantalonsetuntee-shirt, mais marchait pieds nus,son sac de coton traditionnel suspendu l'paule. Nousnoussommessaluset ils'est misparlerdansune languetrange,dontj'aicomprisrapidementquec'taitde l'anglais.Ilnousaditqu'ilallaitnousmontrerlesanimaux. C'tait la premire foisque j'entendais un Indiend'Amazonie parler anglais. Nous avons pntr dans la fort.Malgr la cha-leurlourdedumilieudejourne,l'airsouslesarbrestait frais.Toyerinousafaitsignedemarcherdoucement enligne derrirelui.Peudetempsaprs,ils'est arrtetapointdu doigtunarbreprochedenous,enmurmurantenanglais quelquechosequejenecomprenaispas.Ilafouilldanssa besace,en asortiungrosvolumeintitulenanglaisBirdsof Colombia et l'a feuillet jusqu' ce qu'il trouve une page bour-redenomsd'oiseauxtelsque tangaragorgenoire .La prononciation de Toyeri n'tait pas si mauvaise.En fait,la plu-partdecesnomsd'oiseauxtropicauxm'taienttoutsimple-ment trangers. C'taitaussilapremirefoisquejevoyaisunAmazonien CERVELLESD'OISEAUX25 indignese promener avecunlivrepour mieuxcomprendrele monde,commeontransporteunoutil.Traditionnellement,les Amazoniens indignes sont de culture orale, et n'utilisent pas de documentscrits.Mais Toyeriappartenait une nouvelle gn-ration et avait reu une formationde guide pour touristes colo-giques.Il se dplaait commeun chasseur,glissant rapidement etsilencieusementsurlesoldela fort,attentif auxmoindres mouvements alentour. Nous avons travers plusieurs ruisseaux et vu quantitd'oiseaux et d'insectes, dont des fourmiscoupeuses defeuillestrsoccupesleurtravail.Maislesmammifres demeuraientinvisibles,semblaientsetenirdistance.un momentdonn,Toyerirepraungrandfourmiliergrisescala-dantunarbre,quinesemblaitpasautrementtroublpar notre prsence. Aprscecircuit dansla floreet la faune,j'ai passl'aprs-midirdigerdesnoteset mesuisallongpour fairela sieste avantdeverserdansunsommeilprofond.Quandjemesuis rveill,la nuittait tombe.En parcourant,un peugroggy,la salle manger, j'ai repr les observateurs d'oiseaux amricains rassemblsautourd'unordinateurportable.Ilss'exclamaient avec enthousiasme sur les images d'aras qu'ils avaient filmsle matin mme. En y jetant un coup d'il, je vis des explosions de couleurs - vert, rouge, bleu, jaune, gros plans d'aras rivalisant en poussantdescrisrauquespourtrouveruneplacesurunbanc d'argile.En observant cesobservateursd'oiseauxs'merveiller decedontilsavaientttmoinsici,auCentrematsigenka d'tudestropicales,jemesuissouvenud'unrvedcritpar l' ethnobotanisteGlennShepard,quiapassdesannestra-vailleravecdeschamanesmatsigenkadelavalledel'Uru-bamba, pour tudier leurs connaissances des plantes. Inspir par uneptedetabacqueluiavaitprpareunchamane,Shepard avait rvqu'une quipe dedocteursyankeetravaillait cte cteavecdesbotanistesmatsigenkaquiparlentanglais, l'intrieurdelaboratoiresderecherchesophistiqus.Troisans 26INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN QUTE DU SAVOIR seulement avaient passdepuisle rcit deShepard,et pourtant son rve semblait tre en train de se raliser. Audner,mescompagnonsontcommandunebouteille devinpruvien- questiondecontribuerl'conomie locale - et nousnoussommesmisraconter deshistoireset philosopher.J'espraisattraper Munn pour le questionnersur l'intelligence des aras. Mais les observateurs d'oiseaux s'taient retirsdebonneheure,ayantprvudeselever4heuresdu matin afin d'atteindre la falaise d'argile temps pour observer nouveau les aras et d'autres perroquets. Mes compagnons et moi tions rsolus lesaccompagner,maisnoussommes rests trs tard bavarder. Aprs une courte nuit de sommeil, j'ai mis mes souliers la lueur d'une bougie. Il tait quatre heures et quart et nous tions enretard.Lesobservateursd'oiseauxavaientdjquittla loge.Toyeri,notreguidematsigenka,nousattendait dehors.Il nous dit que nous devions nous dpcher pour arriver sur place avantlesoiseaux.Nousnousmmesenroute,quipsde torches,suivant Toyeri dansla fort.Nousgrimpmes pendant uneheuredanssa foulenergique.Lefaisceaulumineuxde ma torche dessinait un chemin travers la vgtation sombre et froide. Quandnousatteignmeslafalaise,lejourcommenait poindre. Toyeri nous conduisit au pied d'une butte d'argile rouge d'unecinquantainedemtresdehauteur,etrassemblanotre groupe dansuncouvert de bonne tailleprotg par desfeuilles de palmier.Lesobservateurs d'oiseaux taient tous l et avaient dployleurscamrasetdepuissantesjumellesmontessur tripodes.Lecouvertfaisaitpenserunnidd'espions.On nous recommanda de rester silencieux, parce que lesaras et les autresperroquetsallaientapparatred'uninstantl'autre,et qu'une prsence humainevisibleouaudiblelestiendraitdis-tance. L'un de mescompagnonsdevoyagetait un compositeur de musique lectronique et dsirait enregistrer le son des oiseaux. Il CERVELLESD'OISEAUX 27 aviteralisque,souscecouvert,lesconditionsd'enregistre-ment n'taient pas optimales. Il avait besoin de silence autour du microphone.IldiscutaleproblmeavecToyeri,quinousfit signe dele suivre.Toyeri nousconduisit sur un petit monticule situ une centainedemtresen facede la falaise.Nousnous cachmessouslesarbresunendroitqui,traversla vgta-tion,nouspermettait de jouir d'unevuepanoramiqueet d'une coute maximale. Enfacedenous,lafalaised'argilecommenaitretentir d'appels,deppiements,decriset degloussementsd'oiseaux. Onauraitditunevolire.Arrivsdenullepart,descentaines d'oiseauxs'y taientrunis.Jefermailesyeuxetcoutai.Le son me rappelait une scne du film Les Oiseaux,de Hitchcock, danslaquelledesmilliersdemouettesserassemblentdansun vacarmeeffrayant.Maislesondesarastaitrauqueet jubila-torre, plutt que menaant. Lors d'une pause dans l'enregistrement, j'ai demand Toyeri les noms de certains oiseaux que nous entendions. Il a extirp de sa besace le livre Birds of Colombia et s'est mis numrer des noms que je notais au fur et mesure: Aras rouges,aras bleus, arasverts,conures pavouanes,amazones front jaune, piones tte bleue ... La falaises'tait transforme en une paroi tourbillonnante de couleurs arc-en-ciel. Le raffut des oiseaux tait la fois sympho-niqueet assourdissant.Perchssur la falaised'argile rouge,ils semblaient se chamailler, basculer et fondre en piqu les uns sur lesautres,tournoyant en pirouettes, tandis que d'autresoiseaux s'envolaientversdesarbresvoisinsenpoussantdescrisstri-dents.Couleursetmouvementsmagnifiquessemlaientaux sons discordants : le spectacle tait blouissant. JedemandaiToyericequ'ilpensaitquelesoiseauxse racontaient entre eux.Il rpondit (en espagnol): Ils sont tous amis.S'ilsfontautantdebruitquandilsmangent,c'est parce qu'ils se disent "venez par ici, c'est vraiment bon ici". Pour eux, lesminrauxetlesselssontcommedesbonbonspournous. 28INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN QUTE DU SAVOIR C'est leur nourriture.Ilsfonta decinq heureset demisept heuresun quart.Puis ilss'envolent chacun deleur ct dansla fort. Pour eux, c'est comme le petit djeuner. TIestdifficiledesavoircequelesarasavaiententtelors-qu'ils se rgalaient d'argile.Mais il est vident qu'ils prenaient plaisir leur petit djeuner en socit avant une journe solitaire fourragersous les votesdela fort.Je demandai monami musiciencequecettescnevoquaitpourlui. Celamefait penser une fte,dit-il, ou un after, peut-tre mme une rave party. Tandis qu'assis mme le sol dans la fort,nousattendions la finde ce festin tapageur, je pensais aux difficults d'valuer l'intelligencedanslanature.Ilyavait l desoiseauxdont le comportementrappelaitfortementceluideshumains,quise runissaient pour unbruyant banquet,et s'autoadministraient un remdeen choisissant lesespcesd'argile lesplusdtoxi-quantes.Ilsnese comportaient pascommedesautomatesou desmachines,mais comme destres intelligents.Et pourtant, l'intelligence qui semblait se cacher en eux demeurait difficile dfinir- vueetentendue,maisenmmetemps,insaisis-sable. Soudain,uncolibriaulongbecdescenditenchandelletout prsdenous.Lebattementintensedesesailesvrombissait commeunpetitmoteur.Ilrestasuspenduenl'airpendantde longuessecondes,unmtrepeinedenosvisages.TIavait l'air de nous observer et de nous valuer. Puis il s'loigna, vole-tant de fleur en fleur pour trouver du nectar. L'assembledesperroquetss'achevaaussiabruptement qu'elle avait commenc.Lesoiseaux commencrent s' envo-ler danstouteslesdirectionspar-dessusla fort.En quelques minutes,laftefutfinie,etlafoulecomposed'unbon millier d'oiseaux se rduisit une poigne d'individus. Il tait septheureset quartmamontre.Cesoiseauxtaientponc-tuels. Nousprmeslecheminduretourversla loge.Bientt,nous CERVELLESD'OISEAUX29 allionsremonterborddenotrecanot pour poursuivrela des-centedufleuve.Jeprparaimonsacdos,puispartisla recherche de Charlie Munn. Nousnoussommesrencontrsdansle lobbyonousavons changbrivement quelquespropos.Je luiaiditque je com-menaisdesrecherchespour unlivresur l'intelligencedansla nature, et je lui ai demand s'il pensait que les aras sur la falaise d'argileagissaient avecintelligence.Je m'attendais un regard perplexe en retour, mais il me regarda bien en face et dit : Ces oiseauxsont malins. Il mesuggraensuitedeliresonarticle intitulDesoiseauxcrientauloup,publidanslarevue Nature.Il raconta qu'il avait observ dans la Rserve biosphre deManudesoiseaux qui jouaient le rledesentinelleset alar-maient ds qu'ils voyaient des prdateurs, mais qui, occasionnel-lement,utilisaientleurpouvoirpourtromperd'autresoiseaux. Cessentinellestrouvaientleurnourriturepar ruseenpoussant desfauxcrisd'alarmequiavaientpoureffetdepaniquerles autresoiseaux,lesquelsabandonnaientalorslesinsectesqu'ils venaient de dnicher dans les arbres. Munn ajouta qu'en gnral, la ruse n'existait pas sans l'intelligence. Je lui ai demand s'il pensait que les oiseaux agissaient inten-tionnellement.li hocha la tteen signed'approbation: Il ya mme des oiseaux dans le Manu qui savent diffrencier les Mat-sigenkastravaillantavecunequipescientifiquedeceuxqui sont chasseurs.Cette informationest indite,et vouspouvezla mentionner dans votre livre, si vous voulez. Plus tard dans la journe, mes compagnons de voyage et moi-mme avonspoursuivi notre descente du fleuvedansle canot moteur.Lesoleiltapaitsurnosttes,l'airtaitbrlantet humide. Je contemplais l' eau qui glissait ct de nous, et mon esprit s'est mis vagabonder en pensant aux oiseaux. Lesobservateursoccidentauxontlongtempsminimisles capacitsmentalesdesoiseaux - d'o le terme cervelled' oi-seau,quisignifiepersonnestupide.Lesoiseauxontde 30INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN Qllli1E DUSAVOIR petits cerveaux compars aux humains, mais en quoi un cerveau de petite taille exclurait-ilia possibilit que des oiseaux puissent penser et prendre des dcisions ? Les membres de la familledes corvids - dont les corbeaux, lescorneilles,lespies,leschoucas,etlesgeais- obtiennent gnralement lesscoresles pluslevsd'intelligence dansdes tudesscientifiques.Par exemple, un certain corbeau,le casse-noixd'Amrique,peutmmoriser jusqu' trentemillecaches de graines de pin qu'il accumule et enterre de manire prot-gersesprovisions.Etlorsd'uneexpriencercente,ona dcouvertquelesgeaisgorgeblanche,quicachaientleur nourrituretandisqued'autresoiseauxlesobservaient,chan-geaientleurcachedelieulorsquelesoiseauxobservateurs n'taient plusprsents- faitquiindiquela foismmoireet prvoyance.Maislescorvidsnesontpaslesseulsoiseaux intelligents. Mme les pigeons semblent plus malins que la plu-part desgens le pensent.Rcemment,une exprience a montr que des pigeons peuvent apprendre distinguer une peinture de Van Gogh de celle de Chagall. Les oiseaux avaient t entrans recevoirunercompenses'ilspicoraientla peinturedeVan Gogh,et onlesdcourageaitquandilschoisissaientChagall. Onleurmontraensuitedesuvresdesdeuxpeintresqu'ils n'avaientencorejamaisvues.Legroupedespigeonsrussit dansl'ensemblepresqueaussibienqu'ungroupeparallle d'tudiants en psychologie. La capacit d'apprentissage est en gnral considre comme unemarqued'intelligence.Enfait,laquasi-totalitdesneuf mille espces d'oiseaux rpertories a un chant particulier, mais la moiti environ doit l'apprendre.Quand les oiseaux n'ont pas la possibilit de le faire,ils dveloppent des chants diffrents de ceuxqu'onentenddansla nature.Les jeunesoiseauxdoivent couter les adultes, puis pratiquer de leur ct.n semble mme que les oiseaux pratiquent le chant en rve. La recherche montre quelesneuronesd'oiseauxchanteursendormissontactivset formentdescircuitscomplexessemblablesceuxproduits CERVELLESD'OISEAUX 31 quandilschantentveills.Parmilesoiseauxchanteurs,cer-tains,telsles canaris, changent de rpertoire chaque anne.Des scientifiques ont dcouvert quece changement pouvait tre mis encorrlationavecdeschangementsdecircuitscrbraux,et quelescanarisadultesgnrentdenouveauxneuronesde manirecontinue.Cettedcouverteestvenuecontredireun sicle de thorie scientifique selon laquelle les cerveaux des ani-maux adultes ne changent pas. TIsemble maintenant que tous les animaux,ycomprisleshumains,gnrentdenouveauxneu-ronesduranttouteleurvieadulte.Sur ce point,heureusement, nos cerveaux ne sont pas si diffrents de ceux des oiseaux. Les peuples indignes d'Amazonie et d'ailleurs disent depuis longtemps que les oiseaux et autres animaux peuvent communi-queravecleshumains.Lechamanismereposeessentiellement surl'expriencedudialogueaveclanature.Quanddescha-manesentrententranseetcommuniquentenespritavecle mondevgtal et animal,on dit d'eux qu'ils parlent lelangage desoiseaux.Les historiens des religionsont document ce ph-nomne en divers points du globe. Scientifiquesetchamanespourraientunirleursforcespour essayer decomprendre l'esprit desoiseaux et d'autres animaux, medisais-je,enlaissantmonregardcouleravecleseauxde l'Urubamba. Notrecanots'approchaitmaintenantd'unebrchedansla fort sur la rive droite du fleuve.C'tait l'endroit o un consor-tium international dirig par une compagnie ptrolire argentine taitentraindeconstruireuncentred'oprationsappelLas Ma/vinas(LesMalouines).Lafortoriginellecdaitlaplace aux bulldozers et aux machines. TIy avait d'normes tas d'argile orange,destrousbantsremplisd'eau,desbaraquements mobilespourlesouvriersduchantier,despilesdetuyaux gants, et un terrain d'atterrissage pour hlicoptres.Sous le sol danslavalledel'Urubambagtl'undesplusgrandsdpts connusdegaznaturel.Lescommunautsmatsigenkasont pro-32INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN QUTE DU SAVOIR pritairesdu terrain, mais l'tat pruvien possde le sous-sol et en a accord le droit d'exploitation au consortium ptrolier. Traditionnellement,tousleschamanes,quellequesoitleur originegographique,rapportentdialogueraveclanature,et apprendre d'elle les limitesdanslesquelles leshumainssont en droit de l'exploiter. Les chamanes denombreuses communauts indignes font tat d'une entit connue sous le nom de matre des animaux, avec laquelle ils ngocient la prise de gibier lors-qu'ils sont en transe. On dit du matre des animaux qu'il protge lesplantesetlesanimaux,etimposedeslimitesauxactivits productrices des humains quand ceux-ci agissent avec trop d'in-souciance ou par avidit. Que dirait,me demandais-je,le matre desanimauxsur l'ins-tallationd'ungazoducaucurdela biodiversitterrestre?n dirait peut-tre que nous avons des cervelles d'oiseaux. CHAPITRE2 Visions agnostiques Avantd'entreprendremonvoyagedanslavalledel'Uru-bamba,j'ai renduvisiteunchamaneAshanincaappelJuan Flores Salazar,quivivaitdansla vallePachitea,enplein cur de l'Amazonie pruvienne. Pour remonter du fleuve Pachitea jusqu' la maison de Flores, situesurlescollines,ilfallaittraverserlafortpluvialepri-maire.L'air avait desodeursdemoisissurefertile,comme dans uneserre.Dansl'paissetapisserievgtalequim'entourait, aucuneplantene ressemblaituneautre.Lesarbres,quis' le-vaient jusqu'au ciel,avaientchacunleur propreidentit.Et sur les troncs moisissant desarbres en partie tombs et dj en train desedcomposer,unevaritdeplantespoussait.Car silesol de la fort pluviale est pauvre,sa vgtation n'en est pas moins exubrante. Deuxansauparavant,j'avaisdemandFloresdepartager l'ayahuasca,unbreuvagehallucinogne,avectroisbiologistes molculairesquiavaientfaitlevoyagejusqu'enAmazonie pruviennepourvoirs'ilspouvaientobtenirdesinformations scientifiquespar cettevoie.Floresavaittlahauteurdela situation. Les sances d'ayahuasca qu'il dirigeait la nuit avaient eneffetrvlauxscientifiquesdesinformationssurleur recherche ; et pendant la journe, Flores avait pass desheures rpondreleursquestions.Ausortir de cette exprience,les troisbiologistesavaientdclarqueleurmaniredevoirla 34INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN QUTE DU SAVOIR nature avait ttransforme.SouslaguidancedeFlores,deux d'entreeuxdclarrentavoircommuniqupendantleurs visionsaveclesmresdesplantes etobtenud'ellesdes informationsconcernantleurrecherche.Floresn'avaitpas beaucoupparlaucoursdecetterencontre,saufquandon s'adressait directementlui,maisil respirait la confiance.Au lendemaind'unesessiond'ayahuascaquelesscientifiques avaientjugeremarquable,jeluiaidemandcommentilse sentait.Ilapointsonindexdroitdevantluietrpondu: Comme une balle. Sesmotssont revenusmehanter quand j'ai appris,plusieurs mois plus tard, que Flores avait march sur le fil de dtente d'un pigedechasseur encueillant desplantesdansla fortprsde chez lui,et qu'il avait reu bout portant une vole de grenaille qui lui avait bris le tibia. Ses amis taient parvenus de justesse le transporterdansun hamacet l'amener temps l'hpital. Enarrivant,ilavaitperdutantdesangquelesdocteursdirent qu'il neluirestait plusquequelquesheuresvivre.Unetrans-fusionluisauvalavie,puisilssauvrent sa jambe en reconsti-tuantl'osbrisavecdesplaquesd'acier.Florespassaune semainel'hpital,puisinsistapourretournerchezlui.Ses amis le ramenrent jusqu' sa retraite dans la fort.Entre-temps, la police avait identifi l'homme quiavait plac le pige dansla fort,uncolonappauvri,venud'unevillefrontireproche. Flores aurait pu l'accuser et le faire jeter en prison. Cependant, il n'a demandque desimplesexcuses,et il a exhort l'homme ne plus jamais placer de piges. IlmefallutuneheurepouratteindrelamaisonqueFlores avaitconstruiteauvoisinaged'untorrentd'eaupresquebouil-lante issue d'une source gothermique dans la fort.J'arrivai en find'aprs-midi.Flores tait debout dansson jardin.Ses hautes pommettesetsesyeuxbridstaientbienceuxd'unIndien d'Amazonie.Sescheveuxtaientcoupscourtetsestraits presque flins.Il portait une chemise,des jeans et des bottes en cuir. VISIONS AGNOSTIQUES 35 Floresm'avait dj racontun peusa vie.Sesgrands-parents avaient t mis en esclavage pendant le boom du caoutchouc,au dbutduvingtimesicle,et dplacsde la valle Pachitea plus bas le long du fleuve pour un travail forc. Flores tait n en 1951 auseind'unecommunautd'Indiensashanincaquicommen-aient tout juste se librer des chanes du travail forc.Enfant, il avait suivi l'cole primaire et appris lire,crire et parler l'espagnol.Sonpre,unchamanerput,taitmortquand Flores avait dixans.Sa mort avait encourag Flores suivre les tracesde son pre.Il avait pass sa jeunesse en apprentiauprs de plusieursmaestros.Il avait voyagtraverstout le territoire ashanincatraditionnel,puiss'taitinstallproximitdela ville dePucallpa dont leshabitants avaient progressivement fait appelsonartdespcialistedesplantesetdegurisseur. Rcemment,il tait revenudansla Pachitea,terre natale deses grands-parents,pour mettre sur pied un centre de gurison dans la fort. Floresapasslamajeurepartiedesonexistencetransiter entre les mondes - forestier et urbain, indigne et mtisse, tradi-tionnel et moderne. Il est la foisnatif de ces terres, et hybride, culturellementparlant.Quandil marchepiedsnustraversla fortenarborant une couronnede plumeset une robe de coton ashanincatraditionnelle,ilal'apparenced'unchamaneindi-gne.Quand il porte unechemise,des jeans et desbottes,ilse dplace avec aisance dans le monde mtis. Lejouraprsmonarrive,j'aiinterviewFlores.Nous tions installsmmela plate-forme protgepar un toit de chaume o il conduit ses sances de gurison. Il tait assis un bureau fait maison et portait un serre-tte orn de motifs Asha-ninca,etunechemiseblanchequilefaisaitressemblerun docteur. Mon intention tait d'enregistrer sespropos sur l'intelligence chezlesplantesetchezlesanimaux.J'aicommencparlui demandercequi,selonlui,distinguaitl'espcehumainedes autres espces. 36INTELLIGENCE DANSLA NATURE: EN QUTE DUSAVOIR - Bueno,a-t-ilrpondu, je peux direquela diffrence,c'est queleshumainsont unevoixaveclaquelleilspeuventparler, tandisquelesanimauxont unsavoir,maisn'ont pasla capa-cit de parler de faon intelligible aux humains.La mme chose est vraie des plantes. Donc, voil la diffrence : nous ne pouvons pas parler aveceux.Maisgrceausavoir dela gurison et aux esprits des plantes, nous sommes capables de parler avec les ani-maux et aussi avec les plantes. Je lui ai demand comment.Il m'a rpondu que les chamanes utilisent des prparations de plantes telle 1' ayahuasca pour dialo-gueraveclesespritsdestresdelanature.Aucoursdeleurs visions,leschamanescommuniquentaveceuxenchantantdes icaros,ou chants chamaniques.Les plantes reoivent ces chants de l'intrieur,partirducur,ajouta-t-il,et leschamanes remercientlesplantespourlaconnaissanceetl'artdegurir qu'elles leur confrent en leur chantant ces icaros. Puis j'ai demandFlorescequ'ilpensaitdel'intelligence chezlesplanteset chezlesanimaux.Ilarponduquelesani-maux,tout enmenant leur viedansla fort,fontdesprojetset dcident o aller pendant la journe et o passer la nuit.Et que lesespritsdesplantesvagabondentd'un endroitl'autrepour gurirlesgens, carlesplantesseproccupentbeaucoupde l'humanit . Plusieurs de ces ides se trouvaient clairement en porte--faux avec les perspectives acadmiques occidentales, maisses propos exprimaient prcisment ce que beaucoup d'habitants d' Amazo-nie tenaient pour vrai. Et puis, qui tais-je pour exclure la possi-bilitd'unecommunicationentreleshumainsetlesautres espces? Peut-tre que les chamanes connaissent deschoses sur la naturequela sciencen'a pasencoredcouvertes.Plutt que decontredireFlores, j'avais enviedemieuxsaisir son point de vue.Jeluiaidemands'il luiarrivaitencoredeparleravecle propritaire des animaux. - Oui, bien sr.Il y a longtemps que j'ai cette pratique, et je l'applique tout ce que je fais.Parce que toute action doit venir VISIONS AGNOSTIQUES37 du cur, et c'est tout aussi vrai quand il s'agit de prendre un ani-mal,ouune plante,dit-il.La dernire foisque j'ai parl avec le propritaire desanimaux,c'tait il yaunesemaine.Quand j'ai voulu venir m'installer ici,par exemple, j'ai dle demander au propritaire desanimaux. - Pouvez-vous me dire quoi il ou elle ressemble? - Il est apparu sous la formed'un jaguar ; il tait assis mes cts et il me regardait.Je le regardaisaussi.Il s'est transform enunepersonne.Alors,ilm'a dit:Tu peuxpasser,tupeux vemr ICI. Plustard,cemmejour,noussommesallsnouspromener danslafort.Floresclopinaitlentementsurlesentier.Depuis l'accident,ilboitaitenpermanence.Nousavonsatteintun endroitperchau-dessusd'unepetitecascadeetnousnous sommesassissurdesrochersentoursd'arbresprsdela rivire.Pendant un moment,nousavons parl de sa jambe bles-se.Pour quelqu'un quiavait frl la mort, il faisait preuve d'un courage impressionnant.Je luiaidemandsi,pour lui,la mort tait un problme. - Ce n'est pas un problme, dit-il en riant. - N'avez-vous pas peur de la mort? - Jen'ai pas peur de la mort parce qu'elle vient moi et que noussommesbonsamis,elleetmoi.Elledcideraquandme prendre. - Comment vous tes-vous li d'amiti avec elle? - Je suis devenu ami avecelle travers toutes les souffrances endurespourdevenirchamane.Danslechamanisme,ondoit connatrela mort.Plusquen'importequoid'autre,la mortest trsprocheduchamane,ducurandero.Voilpourquoinous connaissons la mort de plus prs. Elle nous accompagne. Il me raconta quelesgurisseurs risquent d'tre attaqus par dessorciers - ou chamanes cherchant fairedu mal -, mais qu'ilsavaitquellesplantesutiliserpourseprotger.Jesuis vraimentsincrequand je vousdisque je necrainsrien,abso-lument rien.Jesuisbiencentrdansma pratiquedemdecine 38INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN QUTE DU SAVOIR traditionnelle et envers tout ce qui pourrait arriver contre moi. Je veux dire que pour moi, il n'y a pas de diffrence entre la vie et la mort. Je n'ai pas peur que quelqu'un me tue.S'ils veulent me tuer,ilslepeuvent,maisje necroispasqu'ilsleferont.Et il viendraunmoment,pourlequelje recevraidessignes,ola mort viendra moi, et je mourrai. Alors, je suis sincre quand je dis que rien ne me fait peur. Son absence de peur m'a pouss lui demander s'il avait des conseilsmedonnersur la maniredeparlerdel'intelligence dans la nature. - Dites ce que vous pensez, a-t-il rpondu. Rien de plus. Cesoir-l,Floresconduisaitunesanced' ayahuascasur la plate-formerecouvertedechaumeproximitdela rivire.ll taitassistdeplusieursapprentis,hommesetfemmes,qui travaillaientavecluipourrecevoirsonenseignement.ll commena par tendre chacun l'ayahuasca dans un petit verre. Lebreuvagetaitpaiset exceptionnellementsuave,compar aux mixtures que j'avais absorbes auparavant. Puis il souffla la lampe krosne et nous restmes assis un bon moment dans le noir.Jeme surprenaisentendredesmlodiesdansle sonde l'eauquicoulaitproximit,puisjemerendiscompteque Flores s'tait mis siffler trsdoucement, un volume peine audible.ll continua enchantant de simplesmlodiesquireve-naient en boucle, avec une voix la fois miel et lame de rasoir. ll chantait en ashaninca, en quechua et en espagnol, ainsi qu' en syllabes rptessansfin,sansmots intelligibles,na-na-na na-na-na-na .Entredeuxchants,ilsoufflaitdelafume de tabacsur les participantset prenait de petitesgorgesd'eau parfumequ'ilpulvrisaitdansl'airautourdenous.Comme spcialiste des plantes utilisant aussi les parfums, il est la fois ayahuasqueroetparfumera.Sesapprentischantaientaussi leur tour,soufflant dela fumedetabacet del'eau parfume sur l'assemble. Lacombinaisondemixturehallucinogneetdesvaguesde son, parfum et fumeorchestres par Floresdclenchait en moi VISIONS AGNOSTIQUES 39 un flot de penses et d'images. Dans la sphre des visions, je vis unelonguefigurelance,sortedemlangehybrideentrele DonQuichottede Picassoet ledieugyptienHorusse prome-nant dans une scne de carnaval. Jesavaisque j'hallucinais.LeschantsdeFloresrsonnaient dansmesoscomme unemusiquetrsancienneremontantaux originesdenotreespce.Auboutd'uncertaintemps,ilme revintdeconcentrermonattentionsurl'intelligencedansla nature.Je me vis comme un organisme biologique- mon cur pompaitlesangsansque j'y pense,mespoumonsrespiraient pendant que je dormais, mes neurones s'activaient quand je pen-sais, mon corps se rparait tout seul quand il tait bless. Je me sentais comme un robot plein d'eau en train de devenir conscient delui-mme,cequimefaisaitobliquersurunequestionter-rible: par qui avais-je t programm ?Se pouvait-il qu'il yait uneintelligencel'uvre,nonseulementdanslefonctionne-ment de mes cellules,maisaussi comme forcecratrice l' ori-gine des formes vivantes ? La question tait terrible parce que je suis un agnostique - ce qui signifie que je sais que je ne sais pas,spcialement pour ce qui est des causes ultimes.Le mot vient du grec agnstos, non connu.La sance d' ayahuasca de Flores me conduisait revoir mesprsupposs.Unescnedemonadolescencemerevint l'esprit: j'tais dans la classe de religion d'un collge suisse, en traind'couterleprofesseur,unmoinebndictinenbure blanche, la tte ronde et chauve ; il parlait avec enthousiasme du Dieu de l'univers. un moment,son crne luisant attira monattentionetmepoussaleverlamainetposerune question:Puisque nosttesnesontpasplusgrandesqu'un ballon de football,et que l'univers est tellement immense, com-ment pouvons-nous connatre avec certitude l'existence du Dieu de l'univers ? mon grand tonnement,le moine m'ordonna de quitter la classe cause de l' impertinence de ma question. Debout danslecouloir dsertde l'autrectde la porte, j'eus soudain la certitudedu bien-fondde ma question.La taillede 40INTELLIGENCE DANSLA NATURE:ENQUTEDUSAVOIR nos cerveaux limite srement notre capacit de saisir les choses. Ainsi, comment une comprhension fiablede l'univers pourrait-elletenirdansunpeuplusd'unkilodematiregrise?Ds cetinstant,j'aitrouvdifficiledesouscrirepleinementdes concepts que je ne peux pas comprendre,telle Dieu de l'uni-vers. Tout au long de la sance d'ayahuasca de Flores, j'tais assis sur unmatelas,gribouillant dansl'obscurit desnotessur mon carnet.Lesvisionsd' ayahuascacontiennent parfoisdesinfor-mationsetdesides,etlefaitdelescrirepermetdes'en souvenir. Jesavaisqueleconcept deforcecratricel'originedela vie est une question de foi.Pour certains scientifiques et philo-sopheschrtiens,lemondebiologiqueestladmonstration vidented'undesseinintelligent(intelligentdesign).La faondontlescellulessynthtisentlesprotinesest,leurs yeux, trop complexe et prcise pour que cette volution nesoit duequ'unesimplesuccessiondemutationsalatoires. L'ADN de noscellules contient une immense quantit d'infor-mationscomplexesqui,dansuneperspectivechrtienne,ne peuventtrouverleuroriginedanslehasardetlancessit. Danscette perspective,cettecomplexitirrductible est la preuvequasicertainedel'existenced'un concepteur intelli-gent ,souvent une version peine dguise de Dieu.En asso-ciantintelligence et dessein lorsqu'ilsdiscutentdela nature,les partisans de cette cole abandonnent ledomaine du vrifiablepour desnotionsthologiques.L'existence deDieu, oud'unconcepteur,estaffairedecroyance,etnepeuttre dmontre,quellesquesoientlespreuvesavancessurla complexit cellulaire. Jenevoulaisaucuneassociationaveclatendancedessein intelligent. En m'interrogeant sur l'intelligence dans la nature, je ne cherchaispas explorer desquestionsthologiquesind-montrablessur ledveloppement dela complexit descellules. Jevoulaispluttcomprendreleprocessusininterrompude VISIONSAGNOSTIQUES41 dcisiondansla natureet l'intelligence quisemanifeste,appa-remment,danslefonctionnementdetouslestresvivants,y comprisma propre personne.Mon intrtallait l'intelligence descelluleset desorganismes,plutt qu' desvnementsqui avaient peut-tre eu lieu il y a des millions d'annes, impliquant, par exemple, un Dieu de l'univers. Et le fait de remplacer Dieu par le hasard aveugle ne rsol-vaitpasleproblme.L'athismeestledniduthisme,oula faceinversedela mme pice.Le termevient dugrec a the os, sansdieu.Lanotionquelehasardetlancessitsuffisent expliquer la totalit dela nature est une croyance qui n'a pas t dmontredemanireconcluante.L'volutioncontinue,mais croire que le hasard la dirige est un acte de foi. La sance d'ayahuasca touchait sa fin.Flores avait cess de chanter,nouslaissantbaignerdanslesondelarivirejaillis-sante et de la fort nocturne. Mon esprit dbordait de penses. Je m'interrogeais sur l'importance du hasard. La nature semble uti-liser le hasard comme une source de varit pour se diversifier et s'amliorer.Mescaractristiquesphysiquessontissuesd'un brassage de gnesquia eu lieudanslescellules reproductrices demesparents.Lepaquetdecartesgntiqueestbrasset rebrassd'unegnrationl'autre,enun processushautement coordonnappelmiose,quisembleutiliser1' alatoirepour nourrirladiversit.Lehasardpeutm'avoirenrichi,maisje doutequ'ilsoitmonorigine.Le faitquela viesur terresoit apparuepar hasard est aussidifficileprouver quela croyance en l'uvre d'un crateur, qu'il s'agisse de Dieu ou de toute autre entit.Certaines questionsintriguent leshumains parce qu'elles les concernent, mais cela ne signifie pas qu'on puisse y rpondre de faon dfinitive. Ayant finide prendredesnotes, je suis restassistranquille-ment dans le noir. CHAPITRE3 Transformateurs Aprs ma visite Flores, je me suis rendu jusqu' Pucallpa, la deuximeplusgrandevilled'Amazoniepruvienne.Dansle temps,largiondePucallpafaisaitpartieduterritoiredes Indiensshipibo,maiselleatcoloniseet dboiseaucours duvingtimesicle.Malgrcette perteet cettedvastation,les Shipiboont garduneidentitforte.Ilsont rcemmentobtenu destitresfoncierspour de vastespartiesde leur territoire,et ils continuent produire un bel artisanat pour lequel ils sont renom-ms.Ilssontgalementconnuspourlepouvoirdeleurscha-manes. J'allai rendre visite un chamane Shipibo, Guillermo Arevalo Valera. Auteur du livre Les Plantes mdicinales et leurs bienfaits pour lasant,que la Fdrationdespeuplesindignesd' Ama-zoniepruvienneapublien1994,Guillermoest reconnupar ses pairs. Certaines personnes viennent mme d'autres pays pour leconsulter.Ilhabitedansla banlieuedePucallpaunquartier peupl en majeure partie de Shipibo. En arrivant, j'ai frapp la porteettrouvplusieursdesesenfantsassisdanslasallede sjour,en train de regarder la tlvision et de caresser un grand boa constrictor qu'ils venaient de capturer. Guillermo n'tait pas encorederetour.Lesenfantsm'ontinvitentrerpourl'at-tendre.Comme lesserpentsmemettent mal l'aise, j'ai choisi de m'asseoir l'autre bout dela chambre,la tablemanger, plutt qu'avec les enfants sur le canap. Contrairement d'autres 44INTELLIGENCE DANSLA NATURE:EN QUTE DUSAVOIR maisons du voisinage, pour la plupart de simples cabanons ayant l'lectricit,lamaisondeGuillermoestpourvued'unsolen ciment et d'une cuisine bien quipe. J'ai pass plusieurs heures mettre mes notes jour,en sur-veillant le serpent du coin de l'il. C'tait un animal assez beau et calme,decouleurgrisemarbredenoir,avecleboutdela queueorange. unmoment,lesenfantssontsortis,etleboa s'est gliss sous le canap l'abri des regards. Guillermo est revenu tard dans l'aprs-midi. Petit et trapu,de prsence imposante, il m'a chaleureusement salu et invit le suivredanssonbureau,l'tagesuprieurdelamaison.Au coursdenotreconversation,je luiaidemands'illuiarrivait encore,au coursde sesvisions,de communiquer avecle pro-pritaire des animaux. - Bueno,me rpondit-il.Oui,cela est arriv.J'ai communi-quavecluiplusieursfoisl'poqueo je nevenaispasen ville.Maismaintenant,cecontactn'estpluspossiblepourla bonne raison que la nature est assez contamine et dj en par-tie dtruite.Par consquent, les esprits desanimaux ne peuvent plus vivre en ces lieux.Maintenant, les esprits des animaux,de la fort,de la terre,vont vers d'autres endroits, inconnus.Nous nesavonspasoilsvont,maisilsquittentleslieux,comme s'ils les abandonnaient, et les lieux ne sont plus habits par des esprits. Ce soir-l,j'ai prispartunesanced'ayahuascaconduite par Guillermo et sa mre Maria, ge de quatre-vingts ans, dans unehuttedel'arrire-cour.Lesparticipantstaientsurtout desgensdulieurecherchantdesconseils,ouunsoulagement leursmauxphysiques.L'quipedechamanesmreetfils chantaitdesmlodiescomplexeset intriques,semblablesaux motifs labyrinthiquesde l'artisanat shipibo.Leurs voix chevro-taient tandisqu'ils chantaient dans leur langue des cascades de notes aigus. Cela me rappelait la musique des charmeurs de serpents, hyp-notique, et qui vous dresse les cheveux sur la tte. Cette musique TRANSFORM