"jean caniot et l'espionnage allemand" - voix du nord- juliette dekeyser

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BONJOUR Des trésors historiques dans les greniers L’ESSENTIEL PENSEZ-Y ! Exposez à l’Univers La structure ouvre sa salle d’ex- position à vos photos et son écran de projection à vos films, le 6 avril. Inscriptions avant le 2 avril. Plus de rensei- gnements sur lunivers.org Jean Caniot en quelques dates 13 octobre 1929 : Naissance à Lambersart, dans la maison qu’il occupe toujours. 6 août 1940 : Alors que sa famille était évacuée à Guerville, entre Paris et Rouen, son père, qu’il croyait mort, leur fait la sur- prise de les rejoindre à bicyclette. Quatre mois plus tard, ils rentre- ront difficilement à Lambersart. 17 juillet 1959 : Mariage avec Annie. Ils auront deux filles, Isa- belle et Odile. Sa femme le suivra dans tous ses déplacements à l’étranger et l’aidera dans la réali- sation de ses seize ouvrages. Juillet 1972 : Départ pour un grand voyage autour de l’Atlanti- que Nord (Islande, Canada, États- Unis). Grâce à son métier d’ingé- nieur, Jean Caniot a voyagé par- tout dans le monde. 1987 : Publication de son premier ouvrage intitulé Promena- des lambersartoises. Depuis, Jean Caniot en a publié quinze autres. AUJOURD’HUI Des agents en souffrance à la bibliothèque ? La CGT organise un rassemblement pour protester et dénoncer « le harcèlement moral » que les agents subiraient à la bibliothè- que municipale. On ne se rend pas toujours compte de la force des cartes postales, des vieilles lettres ou des photos entassées çà et là dans les vieux albums de ses parents ou de ses grands-parents. Comme pour Jean Caniot, la curiosité peut parfois nous mener sur la piste d’éléments historiques insoupçonnés. En flâ- nant dans les vide-greniers ou chez les brocanteurs, les amateurs peuvent facilement dénicher de pe- tits trésors familiaux et historiques. L’homme de 82 ans écrit aussi des lettres à des interlocuteurs partout dans le monde pour collecter de vieux documents. C’est dans cette optique que le dicton « mieux com- prendre le présent en s’attardant sur le passé » prend tout son sens. J. DK. Jean Caniot publie le troisième opus de sa série « Lille 1939-1945 ». Avec des documents inédits à l’appui, il démontre la présence d’espions allemands dans des entreprises clés de la métropole, avant la guerre. Par ce biais, l’homme recherche aussi « des détails et des témoignages pour rétablir la vérité » sur cette période. PAR JULIETTE DEKEYSER [email protected] À 82 ans, Jean Caniot est toujours aussi dynamique et organisé. Dans le bureau de sa maison lambersar- toise, il travaille tous les jours sur le passé lillois et trie ses recherches dans des classeurs de couleur. À travers ses yeux malicieux, on lit la curiosité et le désir de conter des histoires. Depuis 1987, Jean Ca- niot a déjà publié seize livres rela- tant l’histoire de Lille. « Depuis que j’ai 10 ans, je découpe des articles de journaux et des photos qui par- lent de la guerre. » Ce travail de lon- gue haleine le rend incollable sur la Seconde Guerre mondiale. Passionné par les voyages, il se rend régulièrement en Pologne et en Allemagne. Mais c’est surtout à Berlin qu’il déniche des documents inédits. « Avec ma femme, nous pas- sons des heures chez les brocan- teurs berlinois à la recherche de pho- tos de Lille. La plupart d’entre elles ont été prises par les soldats alle- mands pendant la guerre. Aujourd’hui, ces hommes sont décé- dés et les photos, jusqu’alors entas- sées dans les greniers, arrivent chez les brocanteurs. » Dans les années quatre-vingt, Jean Caniot découvre dans les archives du Pentagone huit clichés aériens de Lille pris par les Allemands avant la guerre. Il décide de mener l’enquête. « J’ai alors compris que des Allemands s’étaient installés à Lille avant la guerre pour surveiller des secteurs clés de la métropole, usines, hôpital, caserne. Certains de ces espions se faisaient passer pour des Alsaciens. Ils partageaient en- suite leurs informations au quartier général de l’espionnage allemand, rue Jean-Jaurès à Ronchin. En juillet 1939, ces hommes retour- nent en Allemagne où des postes de gradés les attendaient. » Des témoignages inédits Au fil de rencontres et de « coups de chance », Jean Caniot vérifie ses hypothèses, notamment auprès de Simone, une amie de sa mère, aujourd’hui décédée. En 1938, cette femme louait une maison à côté de la sienne, rue Jean-Jaurès à Ronchin, et soupçonnait une acti- vité douteuse de la part de son loca- taire. « À travers un bol, Simone écoutait au mur de son voisin et en- tendait parler allemand. Elle voyait aussi des voitures faire des allées et venues. Comme elle soupçonnait quelque chose de louche, elle s’est rendue à la préfecture pour le dénon- cer. Mais personne ne l’a prise au sé- rieux. À l’époque, la préfecture n’avait qu’un vélo pour se déplacer. Ils lui ont donc demandé de prendre elle-même en photo les plaques d’im- matriculation. Sa fille a été prise sur le fait et elles ont décidé de ne pas poursuivre leurs recherches. Pendant la guerre, Simone a croisé son ancien locataire dans un café de Saint-Sauveur en officier alle- mand... » Il y a aussi l’histoire de cet Allemand dissimulé en tôlier dans une usine métallurgique de la métropole. « Son chef le détestait parce qu’il faisait plus d’horaires que les autres et l’obligeait à rester tard. Pendant la guerre, le chef de l’usine était mobilisé. Sur la plage de Malo-les-Bains, il se faisait contrôler par l’Allemand devenu ad- judant. » Jean Caniot raconte aussi com- ment un soldat allemand est venu réquisitionner du radium dans l’an- cien hôpital de la Charité de Wa- zemmes. « Le chef de l’hôpital lui a répondu qu’ils n’en avaient pas. Mais l’Allemand savait exactement où se trouvait le radium puisqu’il avait été interne dans cet établisse- ment pendant deux ansQuand on discute avec Jean Ca- niot, on sent une âme d’investiga- teur et quelqu’un qui s’amuse. « Ça me plaît de faire ces recherches et je ne travaille pas seul. Cinq per- sonnes de ma famille et une amie m’aident dans la réalisation de mes ouvrages, notamment une de mes filles conservatrice. » La motivation première de Jean Caniot reste la jus- tesse et l’originalité des faits. « Je re- grette toujours quand les auteurs ne vont pas à fond dans leurs recher- ches. Nous sommes parfois mal in- formés. Certains historiens deman- dent à leurs étudiants de chercher à leur place dans les archives. Tandis que moi, je prends tout mon temps. Je cherche des détails et des témoi- gnages pour rétablir la véritéPendant toute sa carrière d’ingé- nieur dans l’armée, l’homme rê- vait de devenir historien. Aujourd’hui, il semble enfin com- blé. « Lille 1939-1945, troisième partie » (384 pages, 31 ), dans quelques librai- ries lilloises ou à commander, 03 20 92 51 75. « Simone a croisé son ancien locataire dans un café de Saint-Sauveur en officier allemand... » Jean Caniot éclaire l’espionnage allemand à Lille avant la Seconde Guerre mondiale Jean Caniot (ici dans sa maison lambersartoise) recherche des documents historiques sur Lille. LE VISAGE DE L’ACTUALITÉ C LILLE LA VOIX DU NORD MERCREDI 7 MARS 2012 1926.

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Page 1: "Jean Caniot et l'espionnage allemand" - Voix du Nord- Juliette Dekeyser

BONJOUR � Des trésors historiques dans les greniers

� L’ESSENTIEL

PENSEZ-Y !Exposez à l’Univers � Lastructure ouvre sa salle d’ex-position à vos photos et sonécran de projection à vosfilms, le 6 avril. Inscriptionsavant le 2 avril. Plus de rensei-gnements sur lunivers.org �

Jean Canioten quelques dates

13 octobre 1929 : Naissanceà Lambersart, dans la maison qu’iloccupe toujours.

6 août 1940 : Alors que safamille était évacuée à Guerville,entre Paris et Rouen, son père,qu’il croyait mort, leur fait la sur-prise de les rejoindre à bicyclette.Quatre mois plus tard, ils rentre-ront difficilement à Lambersart.

17 juillet 1959 : Mariage avecAnnie. Ils auront deux filles, Isa-belle et Odile. Sa femme le suivradans tous ses déplacements àl’étranger et l’aidera dans la réali-sation de ses seize ouvrages.

Juillet 1972 : Départ pour ungrand voyage autour de l’Atlanti-que Nord (Islande, Canada, États-Unis). Grâce à son métier d’ingé-nieur, Jean Caniot a voyagé par-tout dans le monde.

1987 : Publication de sonpremier ouvrage intitulé Promena-des lambersartoises. Depuis, JeanCaniot en a publié quinze autres.

AUJOURD’HUIDes agents en souffrance àla bibliothèque ? � La CGTorganise un rassemblementpour protester et dénoncer « leharcèlement moral » que lesagents subiraient à la bibliothè-que municipale. �

On ne se rend pas toujours comptede la force des cartes postales,des vieilles lettres ou des photosentassées çà et là dans les vieuxalbums de ses parents ou de sesgrands-parents. Comme pour JeanCaniot, la curiosité peut parfois

nous mener sur la piste d’élémentshistoriques insoupçonnés. En flâ-nant dans les vide-greniers ouchez les brocanteurs, les amateurspeuvent facilement dénicher de pe-tits trésors familiaux et historiques.L’homme de 82 ans écrit aussi des

lettres à des interlocuteurs partoutdans le monde pour collecter devieux documents. C’est dans cetteoptique que le dicton « mieux com-prendre le présent en s’attardantsur le passé » prend tout sonsens. � J. DK.

Jean Caniot publie le troisièmeopus de sa série « Lille1939-1945 ». Avec desdocuments inédits à l’appui,il démontre la présenced’espions allemands dansdes entreprises clés de lamétropole, avant la guerre.Par ce biais, l’hommerecherche aussi « des détails etdes témoignages pour rétablirla vérité » sur cette période.

PAR JULIETTE [email protected]

À 82 ans, Jean Caniot est toujoursaussi dynamique et organisé. Dansle bureau de sa maison lambersar-toise, il travaille tous les jours surle passé lillois et trie ses recherchesdans des classeurs de couleur. Àtravers ses yeux malicieux, on lit lacuriosité et le désir de conter deshistoires. Depuis 1987, Jean Ca-niot a déjà publié seize livres rela-tant l’histoire de Lille. « Depuis quej’ai 10 ans, je découpe des articlesde journaux et des photos qui par-lent de la guerre. » Ce travail de lon-gue haleine le rend incollable surla Seconde Guerre mondiale.Passionné par les voyages, il serend régulièrement en Pologne eten Allemagne. Mais c’est surtout àBerlin qu’il déniche des documentsinédits. « Avec ma femme, nous pas-sons des heures chez les brocan-teurs berlinois à la recherche de pho-tos de Lille. La plupart d’entre ellesont été prises par les soldats alle-mands pendant la guerre.Aujourd’hui, ces hommes sont décé-dés et les photos, jusqu’alors entas-sées dans les greniers, arrivent chezles brocanteurs. »Dans les années quatre-vingt, JeanCaniot découvre dans les archivesdu Pentagone huit clichés aériensde Lille pris par les Allemandsavant la guerre. Il décide de menerl’enquête. « J’ai alors compris quedes Allemands s’étaient installés àLille avant la guerre pour surveillerdes secteurs clés de la métropole,usines, hôpital, caserne. Certains deces espions se faisaient passer pourdes Alsaciens. Ils partageaient en-suite leurs informations au quartiergénéral de l’espionnage allemand,

rue Jean-Jaurès à Ronchin. Enjuillet 1939, ces hommes retour-nent en Allemagne où des postes degradés les attendaient. »

Des témoignages inéditsAu fil de rencontres et de « coupsde chance », Jean Caniot vérifie seshypothèses, notamment auprès deSimone, une amie de sa mère,aujourd’hui décédée. En 1938,cette femme louait une maison à

côté de la sienne, rue Jean-Jaurès àRonchin, et soupçonnait une acti-vité douteuse de la part de son loca-taire. « À travers un bol, Simoneécoutait au mur de son voisin et en-tendait parler allemand. Elle voyaitaussi des voitures faire des allées etvenues. Comme elle soupçonnaitquelque chose de louche, elle s’estrendue à la préfecture pour le dénon-cer. Mais personne ne l’a prise au sé-rieux. À l’époque, la préfecturen’avait qu’un vélo pour se déplacer.Ils lui ont donc demandé de prendreelle-même en photo les plaques d’im-matriculation. Sa fille a été prisesur le fait et elles ont décidé de nepas poursuivre leurs recherches.Pendant la guerre, Simone a croiséson ancien locataire dans un café de

Saint-Sauveur en officier alle-mand... » Il y a aussi l’histoire decet Allemand dissimulé en tôlierdans une usine métallurgique de lamétropole. « Son chef le détestaitparce qu’il faisait plus d’horairesque les autres et l’obligeait à restertard. Pendant la guerre, le chef del’usine était mobilisé. Sur la plagede Malo-les-Bains, il se faisaitcontrôler par l’Allemand devenu ad-judant. »Jean Caniot raconte aussi com-ment un soldat allemand est venuréquisitionner du radium dans l’an-cien hôpital de la Charité de Wa-zemmes. « Le chef de l’hôpital lui arépondu qu’ils n’en avaient pas.Mais l’Allemand savait exactementoù se trouvait le radium puisqu’il

avait été interne dans cet établisse-ment pendant deux ans. »Quand on discute avec Jean Ca-niot, on sent une âme d’investiga-teur et quelqu’un qui s’amuse.« Ça me plaît de faire ces rechercheset je ne travaille pas seul. Cinq per-sonnes de ma famille et une amiem’aident dans la réalisation de mesouvrages, notamment une de mesfilles conservatrice. » La motivationpremière de Jean Caniot reste la jus-tesse et l’originalité des faits. « Je re-grette toujours quand les auteurs nevont pas à fond dans leurs recher-ches. Nous sommes parfois mal in-formés. Certains historiens deman-dent à leurs étudiants de chercher àleur place dans les archives. Tandisque moi, je prends tout mon temps.Je cherche des détails et des témoi-gnages pour rétablir la vérité. »Pendant toute sa carrière d’ingé-nieur dans l’armée, l’homme rê-vait de devenir historien.Aujourd’hui, il semble enfin com-blé. �

� « Lille 1939-1945, troisième partie »(384 pages, 31 €), dans quelques librai-ries lilloises ou à commander,� 03 20 92 51 75.

« Simone a croisé sonancien locataire dansun café de Saint-Sauveuren officier allemand... »

Jean Caniot éclaire l’espionnage allemandà Lille avant la Seconde Guerre mondiale

Jean Caniot (ici dans sa maison lambersartoise) recherche des documents historiques sur Lille.

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