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J.Kenner
Délivre-moi
Traduitdel’anglais(États-Unis)parFlorenceDolisi
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Chapitrepremier
Unebrise fraîchevenuede l’océancaressemesépaulesnues,et je frissonne. J’auraismieux faitd’écouterma colocataire et de prendre un châle pour ce soir. Je suis àLosAngeles depuis quatrejoursàpeineetjen’aipaseuletempsdem’habitueràcestempératuresestivalesquichutentdèslecoucherdusoleil.ÀDallas,ilfaitchaudenjuin,ilfaitencorepluschaudenjuillet,etenaoûtc’estl’enfer.Cen’estpaslecasenCalifornie,dumoinspasenborddeplage.Leçonnuméroun:toujoursprévoirunpullquandonsortaprèslatombéedelanuit.C’est vrai, je pourrais retourner à l’intérieur pour me joindre à la fête. Me mêler aux
millionnaires, bavarder avec les célébrités, contempler les peintures avec déférence. J’assiste auvernissaged’uneexposition,aprèstout;etsimonpatronm’aamenéeici,c’estpourquejerencontredumonde. Je dois saluer les invités, jouer demon charme, bavarder avec eux. Jem’extasierai unautre jour sur le paysage qui s’anime devantmoi : des nuages rouge sang explosent dans un cielorangepâle,desvaguesbleugrismiroitent,parseméesdeflaquesd’or…Appuyéecontrelabalustrade,jemepencheenavant.Labeautésublimeethorsd’atteintedusoleil
couchantm’attireirrésistiblement.Jeregretteden’avoirpasapportéleNikoncabossédemesannéesde lycée.Mais il n’aurait pas trouvé sa place dansmon tout petit sac àmain brodé de perles…Etarborerungrosétuienbandoulièresurmapetiterobenoireauraitétéunehorriblefautedegoût.Maisc’estmontoutpremiercoucherdesoleilsurl’océanPacifique,etj’aidécidédemarquerle
coup. Je sorsmon iPhone, je prends une photo et l’envoie aussitôt surTwitter.Maintenant, tout lemondesaitqueNikkiFairchildnepeutpasrésisteràunbeaupaysage.–Ducoup,l’expoendevientpresquesuperflue,vousnetrouvezpas?Jereconnaiscettevoixféminineetrauque.C’estcelled’EvelynDodge,actriceàlaretraitedevenue
agent,puismécène…etmonhôtessepourlasoirée.–Jesuisdésolée.Jedoisavoirl’aird’unetouristesurexcitée,jelesais,maisnousn’avonspasce
genredecoucherdesoleilàDallas.–Nevousexcusezpas.J’aichoisicetappartementpourlavue,etchaquefoisquejepayeleloyer,
jemedis:Encoreheureuxquelepanoramasoitspectaculaire!Ellearéussiàmemettreàl’aiseetj’éclatederire.–Vousvouscachez?melance-t-elle.–Pardon?–VousêteslanouvelleassistantedeCarl,n’est-cepas?Ellefaitallusionàceluiquin’estmonpatronquedepuistroisjours.
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–Oui,c’estça.NikkiFairchild.–Çayest,jemesouviens!Nikki,duTexas!Elleme détaille des pieds à la tête. Elle s’attendait peut-être àme voir avec des cheveux longs,
bottesdecow-boyauxpieds.Est-elledéçue?–Etvousêtescenséecharmerqui,cesoir?medemande-t-elle.–Pardon?Enfait,jesaisexactementoùelleveutenvenir.Ellelèveunsourcilgoguenard:– Ma chère, Carl préférerait marcher sur des charbons ardents plutôt que de se pointer à une
expositiondepeinture.Ilcherchedesinvestisseursetvousêtessonappât.Aprèss’êtreraclélagorge,elleajoute:–Nevousenfaitespas,vousn’êtespasobligéedemediredequiils’agit.Etcen’estpasmoiqui
vaisvousreprocherdevousfairediscrète.Carlestbrillant,maisparmoments,c’estunconnard.–J’aisignépoursoncôtébrillant,luidis-je.Etelleéclatederire.Elleavujuste,pourtant:jesuisl’appâtdeCarl.«Mettezunerobedesoirée.Quelquechosed’unpeusexy»,m’a-t-ilpréciséquelquesheuresplus
tôt.Etmoi,j’aipensé:Ilestsérieux?Vraimentsérieux?J’auraispuluidiredelaporterlui-même,safoutuerobe,maisj’aipréférémetaire.Parcequeje
veux garder ce boulot. Jeme suis battue pour l’obtenir. En seulement dix-huitmois, laC-SquaredTechnologies, laboîtedeCarl, a lancé trois applicationsWebavecun succès absolu.Des résultatsexcellents, qui ont attiré l’attention de ses pairs. Carl estmaintenant considéré comme l’homme àsuivre. Plus important : il peut m’en apprendre beaucoup. Je me suis préparée à l’entretiend’embaucheavecunsérieuxfrôlantl’obsession,etj’aidécrochéleposte.Uncoupénorme,pourmoi.Alors,qu’est-cequeçapeutfaires’ilmedemandedeporterunerobeunpeusexy?C’estunpetitprixàpayer…Merde!–Jevaisretourneràl’intérieur.Jesuissonappât,aprèstout,dis-je.–Ohbonsang!J’airéussiàvousculpabiliserouàvousmettredansl’embarras…Oubliezça.Et
laissez-les reprendre un petit verre avant d’y retourner. Ils seront plus réceptifs, vous pouvezmecroire.Evelyn tient un paquet de cigarettes. Elle le tapote pour en faire sortir une, puisme le tend. Je
refuse.J’adorel’odeurdutabac,çamerappellemongrand-père,maisfumernem’apporterien.–Jesuistropvieilleettropancréedansmeshabitudespourarrêter…MaisDieumepréservede
fumer dans ma propre maison ! Tous ces gens me brûleraient en effigie, se lamente-t-elle. Vousn’allezpasmefairelaleçonsurlesdangersdutabagismepassif,aumoins?–Non,promis.–Vousauriezdufeu,parhasard?Jeluimontremonsacàmainminuscule:–Justedequoiconteniruntubederougeàlèvres,unecartedecrédit,monpermisdeconduireet
montéléphone.–Pasdepréservatif?–Ahbon?C’estcegenredesoirée?demandé-jesèchement.–Décidément,jesavaisquevousalliezmeplaire!Elleparcourtlebalconduregardetajoute:
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–Une fêtesans lamoindrebougie,c’estnul !Quand jepensequec’estmoiqui l’aiorganisée !Oh…etpuismerde…Elleportelacigaretteéteinteàseslèvresetaspire,lesyeuxclos,l’airextatique.J’aimebiencette
femme,c’estplusfortquemoi.Contrairementàtouteslesautresicicesoir,moiycomprise,elleestàpeine maquillée. Et sa robe tient plutôt du cafetan, avec son imprimé batik aussi fascinant que lafemmequileporte.Mamèrediraitquec’estunegrandegueuleinsolente,quinedoutejamaisderien,bref,qu’elleest
beaucouptropsûred’elle.Mamèrelahaïrait.Moi,jelatrouvegéniale.Ellelaissetombersacigarettetoujourséteintesurlecarrelageetl’écraseduboutdesachaussure.
Puisellefaitsigneàl’unedesfillestoutennoirduservicetraiteur.Laserveuses’approchedenousavec sonplateauchargéde flûtesdechampagne.Pendantuneminute, elle sebagarreavec laportecoulissanteouvrantsurlebalcon.J’imaginelesflûtesquidégringolentetsebrisentsurlecarrelage,jevoisleséclatsdeverres’éparpillerenscintillantcommeunecascadedediamants…Etjemevoismepencherpourramasserunpieddeverrebrisé.Quandjem’enempare,sonbordacérépénètrelachairmolleàlabasedemonpouce…Lasouffrancemedonnantdelaforce,jeleserreencoreplus,un peu comme certaines personnes serrent leur patte de lapin en espérant qu’elle va leur porterbonheur.Cette vision se confond avec mes souvenirs, si saisissante que j’en vacille. Elle est soudaine,
puissante, un peu déconcertante aussi. Ça fait si longtemps que je n’ai pas ressenti le besoin desouffrir…Qu’est-cequimeprenddepenseràçaencemoment,alorsquejemesenssolideetsûredemoi?Jevaisbien,medis-je.Jevaisbien,jevaisbien,jevaisbien.–Prenez-enune,machère,mesuggèreEvelynd’untonléger,enmetendantuneflûte.J’hésite,jecherchedessignessursonvisage…S’est-ellerenducomptequemonmasqueaglissé?
A-t-elleentrevul’âpretéquejeporteenmoi?Ellesembletoujoursaussiaffable.– Ne discutez pas, insiste-t-elle, se méprenant sur mon hésitation. J’ai acheté une douzaine de
caisses de champagne et je déteste gaspiller les bonnes choses…Non, pasmoi, je n’aime pas lesbulles.Ellevientderefuserleverrequeluiproposaitlaserveuse.– Pour moi, ce sera une vodka bien frappée, avec quatre olives, lui dit-elle. Dépêchez-vous,
Mademoiselle !Qu’est-ce que vous attendez ?Que jeme dessèche comme une feuille que le ventemporte?Lafillesecouelatête,unpeucrispée.Ondiraitunpetitanimalterrorisé…Dugenreàdonnerune
pattepourporterchanceàquelqu’un.Evelynseretourneversmoi:–Alors,vousaimezL.A.?Qu’est-cequevousavezvu?Vousavezvisitédestrucs?Vousavezle
planavectouteslesmaisonsdestars?Dieuduciel,surtoutnemeditespasquevousvousêteslaisséavoirpartoutescesbêtisespourtouristes!–Pourl’instant,j’aisurtoutvudeskilomètresd’autorouteetl’intérieurdemonappartement.– C’est tout aussi déprimant, vousme direz. Carl a vraiment bien fait de traîner votre petit cul
maigrichonicicesoir.J’ai pris sept kilos depuis l’époque où ma mère surveillait tout ce que j’avalais. Sept kilos
bienvenus,donc.Jesuistrèscontentedelatailledemoncul,etjenediraispasqu’ilestmaigrichon.Jesaisqu’Evelynavoulumefaireuncompliment,alorsjesouris:–Moiaussi,jesuisravied’êtreici.Cespeinturessontvraimentétonnantes.–Ohnon,s’ilvousplaît…Nemefaitespaslecoupdelaconversationpolie!melance-t-ellesans
melaisserletempsdeprotester.Jesuissûrequevousêtessincère,cestoilessontmerveilleuses,c’est
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vrai,maislà,vousvenezd’avoirleregardvided’unefilletropbienélevée,etc’estinacceptable!Pasaumomentoùj’allaisfairelaconnaissancedelavraieNikki!–Désolée!Jevousjurequejen’essaiepasdemedérober.Etparcequejel’appréciesincèrement, jeneluidispasqu’ellesetrompe,qu’ellen’apasdevant
elle la vraieNikki Fairchild. Elle a rencontré laNikki-en-société. Comme la poupéeBarbie, cetteNikkisetrimballeavectoutuntasd’accessoires;saufque,dansmoncas,ilnes’agitpasd’unBikininid’unedécapotable,maisduGuidedesévénementssociaux,d’ElizabethFairchild.Mamèreconnaîtlesbonnesmanièresensociétésurleboutdesdoigts.Elleaffirmequec’estparce
qu’elleagrandidansleSud.Ilm’arrivedemeplieràsesrègles,danslesmomentsdefaiblesse,maislaplupartdu temps je laconsidère justecommeunegarceautoritaire.Quand j’avais troisans,ellem’aemmenéeboireunthépour lapremièrefoisauManoirdeTurtleCreek,àDallas,etdepuiscejour, ces foutues règles sont gravées dans ma mémoire. Comment marcher, comment parler,comments’habiller,cequ’ilfautmanger,combiendeverresonpeutboire,quelgenredeblaguesonpeutraconter…J’ai tout cela en moi, chaque astuce, chaque nuance, et j’affiche mon sourire de circonstance
commeunearmurecontre le restedumonde.Résultat, jeneseraissûrement jamaiscapabledememontrersousmonvraijourlorsd’unesoirée,mêmesimavieendépendait.Maiscela,Evelynn’apasbesoindelesavoir.–Oùvivez-vous,dites-moi?medemande-t-elle.–ÀStudioCity.Jepartageunappartementavecmameilleureamiedulycée.–Si je comprendsbien, autoroute pour aller auboulot et autoroute pour rentrer chezvous.Pas
étonnantquevousn’ayezvuquedubéton.Personnenevousaditqu’ilfallaitvousinstalleràl’ouestdelaville?–Prendreunappartementtouteseulelà-basmecoûteraitlesyeuxdelatête.Jeconstateaussitôtquemaréflexionlasurprend.Quandjefaisdesefforts–quandjesuislaNikki-
en-société, jeveuxdire–, tout lemondepenseque jeviensd’unefamillefriquée, jen’ypeuxrien.Sûrementparcequec’estvrai…Jeviensd’unefamillefriquée,maisçaneveutpasdirequejelesoismoiaussi.–Quelâgeavez-vous?–Vingt-quatreans.Evelyn hoche la tête d’un air pensif, comme si cette information lui révélait des choses
extrêmementimportantessurmoncompte.–Vous allez bientôt vouloir un endroit à vous.Appelez-moi quand ce sera le cas, et nous vous
trouveronsunappart’avecunejolievue.Pasaussibellequecelle-ci,biensûr,maisonpeutarriveràtrouvermieuxqu’unéchangeurautoroutier.–Cen’estpasaffreuxàcepoint…–Évidemment,réplique-t-elled’untonquisous-entendexactementlecontraire.Puiselleenglobed’ungrandgestel’océanquivireaunoiretlecielscintillantd’étoiles:–Si vous aimez les belles vues, vous pouvez revenir ici quand ça vous chante pour partager la
mienne.Vousêteslabienvenue.–Jerisquedevousprendreaumot.J’aimeraisbeaucoupreveniravecunappareilphotocorrect,
histoiredeprendreunoudeuxclichés.–C’estune invitationpermanente. Je fournis levin, etvous ledivertissement.Une jeune femme
perduedanslaville…Qu’est-cequeçavadonner?Undrame?Unecomédieromantique?Entoutcas pas une tragédie, j’espère. Comme toutes les filles, j’adore pleurer un bon coup de temps entemps,maisvous,jevousaimebien.Ilvousfautunefinheureuse.
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Jemeraidis,maisEvelynnesedoutepasqu’elleatouchéunpointsensible.C’estexactementpourcetteraisonquej’aiemménagéàLosAngeles.Nouvellevie,nouvellehistoire,nouvelleNikki…J’élargislesouriredemaNikki-en-sociétéetjelèvemaflûtedechampagne:–Auxfinsheureusesetàcettefêteincroyable!Maisjevousretiensdepuistroplongtemps…–Foutaises!C’estmoiquivousmonopolise;etnouslesavonstouteslesdeux.Nous nous glissons à l’intérieur. Le bourdonnement des conversations alcoolisées remplace le
chuchotementcalmeetdouxdel’océan.–Jesuisunetrèsmauvaisehôtesse,m’avoueEvelyn.Jefaiscequejeveux,jeparleàquijeveux,et
sicertainsdemesinvitéssesententnégligés,qu’ilsaillentsefairevoir,jem’enmoque!J’enrestebouchebée.J’entendraispresquelescrisd’orfraiedemamèreendirectdeDallas.–Enoutre,cettefêtenemeconcernepasaupremierchef,précise-t-elle.J’aiorganisécettepetite
sauteriepourprésenterBlaineetsonartàlacommunauté.C’estàluides’occuperdesesinvités,pasàmoi.OK,onbaiseensemble,maisdelààluipassertoussescaprices…Evelyn vient de fouler aux pieds l’image que je me faisais de la parfaite maîtresse de maison
accueillantl’incontournableévénementmondainduweek-end.Jecroisquejesuisunpeuamoureusedecettefemme…–Jen’aipasencorerencontréBlaine.C’estlui,n’est-cepas?Jeluidésigneunhommelongetfincommeunroseau.Ilestchauve,maisporteunpetitboucroux.
C’estpassacouleurnaturelle,j’enmettraismamainaufeu.Unepetitefoulebourdonneautourdeluicommeunessaimd’abeillesattiréesparlenectard’unefleur.D’ailleurs,sesfringuesenontl’éclat.–Oui,c’estmavedette,meconfirmeEvelyn.L’hommedujour.Iladutalent,pasvrai?Ellem’indiquesonimmensesalon.Touslesmurssontcouvertsdetoiles.Exceptéquelquesbancs,
les meubles qui occupaient cette pièce quelques heures plus tôt ont cédé la place à des chevaletsportantd’autrespeintures.Cesontdesportraits, jecrois.Maislesmodèlessontnus,et lerésultatneressembleàriendece
que l’on trouve dans les livres d’art classique. On sent une tension dans leur posture. Un brin deprovocation, de crudité. Ils sont conçus et élaborés avec une grande maîtrise. Et pourtant ils medérangent,commes’ilsm’apprenaientplusdechosessurceuxquilesregardentquesurlesmodèlesouleurcréateur.Mais j’aibienl’impressiond’être laseuleàréagirainsi.LesgensquientourentBlainesont tous
auxanges,etj’entendsd’icileursflotsdelouanges.– J’aimis lamain surungagnant, avecce type,meditEvelyn.Maisvoyons,qui aimeriez-vous
rencontrer?RipCarringtonetLyleTarpin,çavousdirait?Cesdeux-là,c’estledramegaranti,vouspouvezmecroire!Votrecolocataireseravertedejalousiequandelleapprendraquevousleuravezparlé!–Vraiment?Lessourcilsdemonhôtesseselèventàl’unisson.–RipetLyle?Ilssebagarrentdepuisdessemaines,vousn’êtespasaucourant?Ellemedévisage,lesyeuxplissés,etajoute:–Leursitcometlefiascodelanouvellesaison,çanevousditrien?Toutlemondeenparlesur
Internet!Vousnesavezvraimentpasquic’est?–Désolée…Cesdernierstemps,jen’aipaseuuneminuteàmoi,voussavez.JetravaillepourCarl,
jevouslaisseimaginercequec’est.Étrange,cebesoinquej’éprouvedemejustifier.Etd’ailleurs,àproposdeCarl…Jejetteuncoup
d’œilautourdemoi,maisjen’aperçoismonpatronnullepart.–N’empêchequevousavezdesérieuseslacunes,mefaitremarquerEvelyn.Laculture,etçainclut
lapop-culture,c’estaussiimportantque…vousavezfaitquoicommeétudes,déjà?
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–Jenecroispasvousavoirparlédemesétudes.J’aiunedoublespécialisationenélectrotechniqueeteninformatique.–Vous êtes donc belleet intelligente.Encore une chose que nous avons en commun…Mais du
coup,avecuntelniveaud’études,jemedemandepourquoivousavezacceptélepostedesecrétairedeCarl…–Jenesuispassasecrétaire,jevousassure,luidis-jeenriant.Carlcherchaituntechnicienouune
technicienne pour l’aider à promouvoir ses produits ; moi, il me fallait un boulot où je puisseapprendrecesaspectscommerciauxdontj’ignoretoutpourl’instant.Pourmemettredanslebain,enquelque sorte. Il a d’abord un peu hésité à m’engager, parce que mes compétences penchentrésolumentducôtédelatechnique,maisj’aifiniparleconvaincrequej’apprendsvite.Monhôtessemedévisageavecattention.–Vousêtesambitieuse,àcequejevois.Jehausseuneépauled’unairdésinvolte:–NoussommesàLosAngeles,non?Lavilledesambitieux…–Ehbien,ditesdonc!Carladelachancedevousavoir.Jemedemandecombiendetempsilva
réussiràvousgarder.Mais,voyons…ya-t-ilquelqu’unquivousintéressedanscettepièce?Ellefouillesonsalonduregardetfinitparpointerdudoigtunhommed’unecinquantained’années
aumilieud’unparterred’admirateurs.–Lui,c’estCharlesMaynard,medit-elle.Charlieetmoi,onestdesvieillesconnaissances.Untype
carrémentintimidant.Ilfautapprendreàleconnaître,maisçaenvautvraimentlapeine.Sesclientssontsoitdescélébrités,soitdeshommesd’affairesplus friquésqueDieu lui-même.Enfin,bref,cetypeatoujoursdestasd’histoiresfabuleusesàraconter.–Ilestavocat?–Oui,chezBender,TwainetMcGuire.Uneentrepriseextrêmementprestigieuse.–Jesais…Ouf!jevaispouvoirluimontrerquejenesuispascomplètementignare,mêmesiRipouLylesont
desinconnuspourmoi.–L’undemesmeilleursamisy travaille, luidis-je. Ilacommencé ici,etencemoment ilbosse
poureuxàNewYork.–OK,allons-y,MissTexas.Jevaisvousprésenter.NousfaisonsunpasdansladirectiondeMaynard,maisEvelynm’arrêteaussitôt.L’hommeasorti
son téléphone et vocifère des instructions. Je saisis au passage quelques jurons bien sentis… JeregardeEvelynducoindel’œil.D’unairpasvraimentsurpris,ellemeprécise:–C’estuntypeadorable,enréalité…J’ensaisquelquechose,j’aibosséaveclui!Àl’époqueoù
j’étaisagent,onamontéensembletellementdebiopicspournosclientscélèbresquej’enaiperdulecompte.Ennousdémenantpourquecertainsscandalesn’apparaissentpasàl’écran,jeprécise.Àenjugerparsonexpression,elledoitrevivrecetteépoqueglorieuse.Ellemetapotelebras:–Attendonsquandmêmequ’ilsecalmeunpeu,etpendantcetemps-là,nous…Lesmotsmeurentsurseslèvres,etellescruteànouveaulapièceavecunemoueconcentrée.–Iln’estpasencoreparminous,jecrois,mais…Oh,maissi,ilestlà!Lui,vousdevezabsolument
lerencontrer,machère.Tiens,enparlantdepanoramassplendides, ilsefaitconstruireunemaisonquiauraunevueàcôtédelaquellelamienneressembleraà…àlavôtre,jedirais.Elles’esttournéeverssonvestibule,oùjenevoisquedestêtesquibougentetundéfilédehaute
couture.–Iln’acceptepresquejamaiscegenred’invitation,maisonestamisdepuislongtemps,luietmoi,
meprécise-t-elle.
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Je ne parviens toujours pas à voir de qui elle me parle… Puis la foule s’écarte, et j’aperçoisl’homme de profil. J’ai la chair de poule, tout à coup, et pourtant il ne fait pas froid. Bien aucontraire,j’aitrès,trèschaud…Ilestgrand,etsibeauquecemotlui-mêmeneluirendpasjustice.Maisilestbienplusquecela
encore. Il domine la pièce simplement parce qu’il s’y trouve… Jeme rends compte que nous nesommespaslesseulesàleregarder,Evelynetmoi.Touslesinvitésontremarquésonarrivée.Ildoitsentirlepoidsdenosregardssurlui,maiscetteattentionsoutenuenesemblepasl’affecter.Ilsouritàlafillequisertlechampagne,s’empared’uneflûteetsemetàdiscuterd’untonlégeravecunefemmequivientdel’aborderenminaudant.–Foutueserveuse!râleEvelyn.Elleaoubliémavodka!Maisjenel’écoutequed’uneoreille.–DamienStark…dis-je.Mavoixmesurprend.C’estàpeineplusqu’unsouffle.Evelynafficheunairtellementsidéréquejeleremarqueducoindel’œil.–Ehbiendites-moi…J’aitapéenpleindanslemille,ondirait,chuchote-t-elled’unairentendu.–Eneffet.MonsieurStark…Justementl’hommequejevoulaisvoir.
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Chapitre2
–DamienStark,c’estleSaint-Graal,m’aexpliquéCarlplustôtdanslasoirée.Enajoutantaussitôt:–Bonsang,Nikki,vousêtesvraimentcanon!Ils’attendaitàmevoirrougir,sûrement;oualors,ilpensaitquecetaimablecomplimentallaitlui
valoirunmerci.Devantmonabsencederéaction,ils’estremisàparleraffaires:–VoussavezquiestStark,n’est-cepas?–VousavezlumonCV.Labourse,vousvousrappelez?J’aipubénéficierdelaBoursescientifiqueinternationaleStarkpendantquatredemescinqannées
àl’universitéduTexas,etpourmoicesdollarsenpluschaquesemestreontfaittouteladifférence.Biensûr,mêmesanscettebourse,ilauraitfalluvivresurMarspournejamaisavoirentenduparlerde ce type. À peine âgé de trente ans, cet ancien champion de tennis, un solitaire, s’est servi desmillions gagnés sur les courts ou versés par les sponsors pour se réinventer. Sa nouvelle identitéd’hommed’affairesatrèsviteéclipsésapériode«tennisman».Etdepuis,l’immenseempiredeStarkamassedesmilliardschaqueannée.–Oui,oui…aréponduCarld’untondistrait.Ilaajouté:–Mardiprochain,l’équipeAvrilvaeffectueruneprésentationàlaStarkAppliedTechnology.ÀlaC-Squared,chaqueéquipe-produitssevoitaffubléed’unnomdemois.Necomptantquevingt-
troisemployés,laboîten’apasencorepiochédanslesmoisd’automneetd’hiver…–C’estfabuleux,ai-jerépliqué,toutàfaitsincère.Les inventeurs, les développeurs de logiciel et les nouveaux entrepreneurs piaffant d’impatience
sontprêtsàtoutpours’entreteniravecDamienStark.C’étaitunpeucommesiCarlavaitdécrochélegroslotaveccerendez-vous.J’avaiseuraisondemedémenerpourobtenircejob.–Carrément, oui ! a approuvéCarl.Nous allons leurmontrer la version bêta de notre logiciel
d’entraînementen3D.BrianetDavesontavecmoisurlecoup.BrianetDave,lesdeuxdéveloppeursdelogicielsquiontécritpresquetoutlecodeduprogramme
en question. Ses applications dans le domaine sportif étant innombrables et la Stark AppliedTechnologyseconsacrantessentiellementàlamédecinedusportetàl’entraînement,j’ensuisarrivéeàlaconclusionqueCarlétaitsurlepointdelancerunnouveauproduitgagnant.–Jetiensàvotreprésenceparminous,aajoutémonpatron.J’aifaillilevertriomphalementlepoing,maisjemesuiscontenue,nousévitantainsiunesituation
embarrassante.
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– Pour le moment, nous sommes censés rencontrer un certain Preston Rhodes. Vous savez quic’est?–Non.–Personnenelesait.ParcequeceRhodesestunsous-fifre.Donc,Carln’avaitpasobtenuderendez-vousavecStarkenpersonne.– Petite devinette,Nikki : comment un génie en pleine ascension…moi ! peut-il décrocher une
rencontreentête-à-têteavecuntypeaudacieuxetdynamiquecommeDamienStark?–Enfaisanttravaillersonréseau.Jen’étaispaslapremièredemaclassepourrien.–Etc’estpourçaquejevousaiengagée,machère.Toutensetapotantlatempe,Carlm’aregardéedespiedsàlatête,ens’attardantsurmondécolleté.
Au moins, il n’a pas poussé la maladresse jusqu’à confirmer tout haut ce que je soupçonnais :manifestement, il espérait quema poitrine – si son logiciel ne se révélait pas assez convaincant –allaitinciterStarkàassisterpersonnellementàlarencontre.Honnêtement,jen’étaispascertainequelesatoutsdontjedisposesuffisentàcettetâche.Jesuisagréableàregarder,certes,maisplutôtdanslegenrevoisined’àcôté,oupetitefiancéedel’Amérique.Or,jesaisqueStarkaunfaiblepourlestop-modèlesmondialementconnus.Jel’aiapprisilyasixans.Àl’époque,ilarpentaitencorelesterrainsdetennis,etmoi,jechassais
lediadèmedanslesconcoursdebeauté.Cejour-là,entantquecélébrité,Starks’étaitretrouvéjugeàl’électiondeMissTri-CountyTexas.Nousn’avonséchangéquequelquesmots lorsde laréceptionorganiséependantl’événement,maisnotrerencontreestrestéegravéedansmamémoire.Postéeprèsdubuffet,jecontemplaisdeminusculescarrésdecheese-cake.Jecrevaisd’envied’en
engloutir,mais j’avaispeurquemamèrenedevinemonécartdeconduite rienqu’enhumantmonhaleine.Starkétaitarrivéaveccetteassurancequipeutparaîtredel’arrogancechezcertainshommes,mais ne faisait qu’ajouter à son sex-appeal. Ilm’avait d’abord dévisagée, puis son attention s’étaitportéesurlescheese-cakes.Ilenavaitenfourné,mâchéetavalédeux,avecungrandsourireàmonintention.Sesyeuxétranges,l’unambreetl’autrepresquenoir,semblaientpétillerd’allégresse.Jem’étais creusé la cervellepour trouverun truc intelligent à lui dire, et j’avaismisérablement
échoué. J’étais restée là, un sourire poli collé aux lèvres, me demandant si son baiser pouvaittransmettrelegoûtducheese-cakesanslescalories.Ils’étaitpenchéversmoietcetteproximitéaccrueavaitfaillimecouperlesouffle.Puisilm’avait
dit:–Jecroisquenoussommesdesâmessœurs,mademoiselleFairchild.–Pardon?Ilpensaitaucheese-cake,sûrement.DouxJésus,quelletêteavais-jefaitequandilenavaitmangé?
Pasenvieuse,j’espère?Uneidéeconsternante.–Nouspréférerionsêtreailleurs,vousetmoi,m’avait-ilprécisé.Presqueimperceptiblement,ilavaitinclinélatêteversl’issuedesecourslaplusproche.Unevision
m’avaitaussitôtenvahie:cethommemeprenantparlamainetm’entraînantàtoutesjambesverslasortie.Laprécisiondel’imageétaiteffrayante.Surtoutquejel’auraissuivisanshésiter.–Euh…ben…avais-jemarmonné.Ses yeux s’étaient plissés quand il avait souri. Il avait voulume dire quelque chose,mais je ne
sauraisjamaisquoiparcequeCarmelaD’Amatoétaitarrivéed’unpasmajestueuxetavaitglissésonbrassouslesien:–Damien,monchéri…Tuviens?Ondoityaller…Sonaccentitalienétaitaussiépaisquesescheveuxnoirsetondulés.Lapressepeople,çan’ajamais
été ma tasse de thé, mais difficile d’éviter les potins quand on fréquente les concours de beauté.
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J’avais lu lesgros titreset lesarticlesqui racontaientque legrandchampionde tennisdumomentsortaitavecletop-modèleitalien.–MademoiselleFairchild…m’avait-ilditavecunpetithochementdetêteenguised’aurevoir.Puis il avait tourné les talons et escorté Carmela dans la foule. Je les avais regardés quitter le
bâtiment,enmedisant,pourmeconsoler,quej’avaisludesregretsdanssonregardquandnousnousétionsséparés.Desregretsetdelarésignation.Jeme faisaisdes idées, sûrement.Pourquoi aurait-il eudes regrets ?Mais ce jolipetit fantasme
m’avaitpermisdetenirjusqu’àlafinduconcours.Bienentendu,jen’aipassoufflémotdecetterencontreàCarl.Certaineschoses,ilvautmieuxles
garderpoursoi.Etparticulièrementmonimpatienceàl’idéederevoirDamienStark.
–Venez,MissTexas,murmureEvelyn,metirantdemarêverie.Allonsluidireunpetitbonjour.Jesensunepetitetapesurmonépaule.Jemeretourne:c’estCarl,justederrièremoi.Ilsouritde
toutessesdents,commeunmecquiviendraitdetireruncoup.Maisonnemelafaitpas,àmoi.Enfait,ilestsimplementeuphoriqueàl’idéed’approcherenfinlecélèbreDamienStark.Moiaussi,d’ailleurs.La foule s’est de nouveaudéplacée et je ne vois plus notre cible. Je n’ai pas encore aperçu son
visage, d’ailleurs, juste son profil – et même ce profil a disparu. Evelyn me précède, nousprogressons dans la foule, nous arrêtant de temps à autre quand elle veut échanger quelquesmotsavecsesinvités.Unhommetrapuportantunevesteàcarreauxsedéplacesoudainverslagauche,merévélantànouveaulasilhouettedeDamienStark.Avecsixansdeplus, ilest toutsimplementsuperbe.L’impétuositédela jeunessea laisséplaceà
uneassuranced’hommemûr.IlestJason,Hercule,Persée!Ilestsifort,sibeau,sihéroïquequelesangdesdieuxcouleforcémentdanssesveines.Sinon,commentexpliquer laprésenceparminousd’unêtreaussiparfait ?Sonvisageestunensembleharmonieuxde lignesetd’angles sculptésparl’ombreet la lumière, luiconférantunebeauté toutà la foisclassiqueet trèsspéciale.Sescheveuxd’ébène absorbent complètement la lumière, comme les ailes d’un corbeau,mais ils n’en ont pasl’aspectlisse.Enfait,ilestunpeuébouriffé:ondiraitqu’ilvientdepasserlajournéeenmer…Contrastantavec lepantalondevilleet lachemiseblancheapprêtée,cettechevelureajouteà son
élégancedésinvolte.Ilestfaciledecroirequecethommeestautantàl’aisesuruncourtdetennisquedansunconseild’administration.Ses célèbres yeux vairons me captivent. Ils ont de la nervosité en eux, du danger, de noires
promesses.Etplusimportantencore,ilssontfixéssurmoi.Starkobservemonapproche.En traversant la salle, j’ai une étrange impression de déjà-vu ; je marche d’un pas égal,
hyperconsciente demon corps, dema posture, des endroits où je pose le pied. C’est idiot, j’ai lesentimentdeparticiperàunconcoursdebeauté,commeaubonvieuxtemps.Jerefusedeledévisager.Unesorted’agitations’estemparéedemoi.CommesiStarkpouvaitvoir
sousl’armurequejeporteenplusdemapetiterobenoire.Etjen’aimepasça.Encoreunpas,unautre…Jeposelesyeuxsurlui,jenepeuxpasm’enempêcher.Nosregardssecroisentetjejureraisque
tout l’airestaspiréhorsde lapièce.Monvieuxfantasmeprendvie,cequimeplongedans laplusgrande confusion. Puis la sensation de déjà-vu s’efface, et il ne reste que cemoment électrique etpuissant.Ettellementsensuel…J’ail’impressiondetournoyerdansl’espace,saufquejesuisbienlà,avecunsolsousmespieds,
desmursautourdemoi,etlesyeuxdeDamienStarkdanslesmiens.J’yvoisdelachaleuretdela
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résolution,trèsviteremplacéesparundésirbrutetprimal,siintensequej’aipeurdemebrisersoussonpoids.Carlmeprendpar lecoudeetm’aideà retrouvermonéquilibre ; jeviensde trébucher, jem’en
rendscomptealors.–Çava?s’inquiète-t-il.–Jenesuispasencorehabituéeàceschaussures…Merci.Je jetteuncoupd’œilàStarkdont le regardaperdudesavivacité.Sabouchen’estplusqu’une
lignefine.Ils’estpasséuntrucbizarre,maisc’estterminé.Quandnouslerejoignonsenfin,j’aipresqueréussiàmeconvaincrequej’airêvé.Pendantqu’EvelynprésenteCarlàStark,jeréfléchisàcequejevaisdireàcethomme.Voilà,c’est
montour.MonpatronposeunemainsurmonépauleetmepoussediscrètementversStark.Sapaumeensueurestmoitesurmapeaunue.Jecrèved’enviedem’endébarrasserd’unhaussementd’épaules.–VoiciNikki,lanouvelleassistantedeCarl,ditEvelyn.Jetendslamain:–NikkiFairchild.Raviedevousrencontrer.Jeneluiprécisepasquenousnoussommesdéjàcroisés.Jen’aipasenviedeluirappelerquej’ai
défilédevantluienmaillotdebainilyaquelquesannées.–Enchanté,mademoiselleFairchild,medit-ilsansmeserrerlamain.Je sensmon estomac se nouer,mais je ne sais si c’est parce que je suis nerveuse, déçue ou en
colère.SonregardpassedeCarlàEvelyn.Ilfaittoutpouréviterlemien.–Jevouspriedem’excuser,leurdit-il.Jedoism’enaller,onm’attend.Etvoilà,iladisparu,avaléparlafoule,commeunmagiciendansunpanachedefumée.–Maisputain,qu’est-ceque…?s’exclameCarl,résumantcequejeressensàlaperfection.Unpeutropcalmeàmongoût,Evelynmedévisage,saboucheexpressivedéforméeparunemoue
perplexe.Jen’aipasbesoinqu’elleparlepourdevinersespensées.Elleseposeexactementlamêmequestion
quemoi,jelesaistrèsbien:Çaalors!Qu’est-cequivientdesepasser?Etaussi,encoreplusperturbant:Maisbonsang,àquelmomenta-t-ellemerdé,cettepetite?
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Chapitre3
Cettehumiliationnous accablependant cequimeparaît une éternité.Soudain,Carlmeprend lebrasetfaitminedem’entraînerloind’Evelyn.–Nikki?melancemanouvelleamie.Elleestinquiète,jelelisdanssesyeux.–Ça…çava,luidis-je.Complètementperdue,j’éprouveuneétrangesensationd’engourdissement.C’étaitça,larencontre
quej’attendaisavecimpatience?–Bordel,maisqu’est-cequi s’estpassé,Nikki?Etvousavez intérêtàmerépondre ! s’exclame
Carldèsqu’ilestimequenousnoussommessuffisammentéloignésdenotrehôtesse.–Jen’enaipaslamoindreidée.– Foutaise ! réplique-t-il sèchement. Vous vous êtes déjà rencontrés, c’est ça ? Vous l’avez
contrarié?Vousavezpostulépourunboulotchez luiavantdevenirmevoir?Qu’est-cequevousavezfoutu,Nichole?Enentendantmonprénomprononcéainsiàvoixhaute,jemefaistoutepetite.Jeproteste,pourla
forme:– Je n’y suis pour rien ! Il est célèbre, il est excentrique ; il s’estmontré très grossier,mais ce
n’étaitpaspersonnel!Iln’arienàmereprocher,puisqu’ilnemeconnaîtpas!Mavoixgrimpedanslesaigus,etjemeforceàbaisserd’unton.Respire,Nikki.Je serre le poing si fort que mes ongles s’enfoncent dans ma paume. Je me concentre sur la
douleur,surlesimplefaitderespirer.Jedoisrestercalme.Jedoisresterimpassible.JenepeuxpaslaisserlafaçadedemaNikki-en-sociétéselézarderaussibrutalement.Prèsdemoi,Carlrespireungrandcoupenpassantlesdoigtsdanssescheveux:–Ilmefautunverre…Venez!–Jevaisbien,merci.Je neme sens pas bien du tout, en fait,mais à cet instant je n’ai qu’une envie, qu’onme laisse
tranquille.Dansunepiècequigrouilledemonde,çavaêtredifficile…JevoisbienqueCarlveutparler,pourtant. Ilsedemandecequ’ildoit faire.Tenterunenouvelle
approche?Quitterlafêteetsecomportercommesiriennes’étaitpassé?–OK,grommelle-t-ilens’éloignantd’unpashautain.Aumomentoùildisparaîtdanslafoule,jel’entendsmarmonner:–Putaindemerde…
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J’exhalelonguementetlatensionquittemesépaules.Jeveuxretournersurlebalcon,maisjemefigeenconstatantquemonpetitcoinprivénel’estplustantqueça.J’yvoisaumoinshuitpersonnesqui bavardent en souriant. Moi, je ne suis pas d’humeur causante et je n’ai pas du tout envie desourire.Jerebroussecheminetmedirigeversl’undeschevaletsdressésaumilieudelasalle.Jecontemple
d’un air impassible la toilequ’il soutient.C’est une femmenue agenouillée surun sol carrelé, lesbraslevésau-dessusdelatête,lespoignetsattachésparunrubanrouge.Lerubanestlui-mêmereliéàune chaîne fixée à la verticale dont l’extrémité sort du champ. Les bras sont tendus, comme si lafemmetiraitverslebas,commesiellecherchaitàselibérer.Leventreestsatiné, ledossicambréqu’on distingue les côtes.Les seins sont petits, tétons dressés, et les fines aréoles brunes semblentluiregrâceautalentdel’artiste.Levisagen’estpasaussidétaillé.Ellepencheunpeulatêtedecôté,sestraitscommevoilésdegris.J’enconclusquelafemmequiposeahontedesonexcitation.Elleaimeraitbienselibérer,maisnelepeutpas.Leplaisiretlahontedecettefemmepiégéesurlatoilesontexhibésauxyeuxdumondeentier.Delégersfrissonsmeparcourent.Jeprendssoudainconsciencequenousavonsquelquechoseen
commun,cettefilleetmoi.Moiaussi,j’aiétésubmergéeparunepuissantevaguedesensualité,etmoiaussij’enaitiréunplaisirinfini.MaisStarkl’aéteintaussitôt,commeonéteintlalumière.Melaissanthonteusecommelafemme
surlatoile.Qu’il aille se faire foutre ! La petite conne de la peinture est peut-être gênée, mais moi, pas
question!J’aivucettechaleurdanssesyeuxetçam’aexcitée.Findel’histoire.Passonsàautrechose.Jecontemplelapeintureavecattention.Cettefemmeestfaible.Jenel’aimepas,et jen’aimepas
cettetoile.Aumomentoù jedécidede repartir– j’ai retrouvé toutemaconfianceenmoi–, jemeheurteà
DamienStarkenpersonne.Etmerde!Ilmeretientparlataillepourm’empêcherdevaciller.Jereculeaussitôt,maismoncerveauaeule
temps de traiter les sensations éprouvées à son contact. Il est mince, musclé, et j’ai bien tropconsciencedesendroitsoùmoncorpsatouchélesien.Mapaume,messeins…Surmataille,làoùsamains’estposée,çapicoteencore,tantlecontactétaitélectrique.–MademoiselleFairchild…Ilmeregardedroitdanslesyeux,etceregardmecoupelesouffle.Jemeraclelagorgeetluidécocheunsourirepoli.DugenreVatefairefoutre.–Jevousdoisdesexcuses,Mademoiselle.Tiensdonc!Àmagrandesurprise,jeréplique:–Oui,eneffet.J’attendslasuite,maisriennevient.Ilreportesonattentionsurlapeinture:–Unetoileintéressante,maisvousauriezfaitunbienmeilleurmodèle.Hein?–Ellessontnulles,vosexcuses.Ilmedésignelevisagedelafemme.–Cettefilleestfaible,insiste-t-il.Ducoup,j’enoubliesesexcuses.Jesuissciée,cetypevientd’exprimeràhautevoixcequej’aicru
décelerdansl’œuvre.–Ce contraste doit plaire à certains, j’imagine. Le désir, la honte…En ce quime concerne, je
préfèrelestrucsplusaudacieux.Jepréfèrelesfemmesquiassumentleursensualité.
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Ilmefixeendisantcela.Ilyatroispossibilités:soitils’excuseenfinpourl’affrontqu’ilm’afaitsubir, soitmon sang-froid l’épate, soit il se comporte de façon complètement déplacée. Je décidequ’ilvientdemefaireuncompliment,doncdeluirépondreenconséquence.Cen’estsansdoutepasl’optionlaplussûre,maisc’estlaplusflatteuseentoutcas.Bref,jeréplique:–C’esttrèsgentilàvous,merci,maisjecroisqu’aucunpeintrenevoudraitdemoi.Ilreculed’unpasetm’examinedespiedsàlatêteavecunelenteurdélibérée.J’ail’impressionque
cetinstantduredesheures,alorsquequelquessecondesseulementviennentdes’écouler.Entrenous,çacrépite.Jebrûled’enviedem’approcherdelui,decomblerlefosséquinoussépare,maisjeresteclouéesurplace.Ilcontemplemeslèvresuninstant,puisrelèvelatête.Nosregardssecroisent,etsoudainc’estplus
fort que moi, je m’approche. La tempête qui fait rage dans ces maudites prunelles m’attireirrésistiblement.–Vousexagérez,medit-ilsimplement.D’abord, je ne comprends pas où il veut en venir ;ma proximité lui déplairait-elle ? Puis tout
s’éclaire,c’estsafaçondemefairecomprendrequ’àsonavisjepourraistoutàfaitposerpourunpeintre.–Vousferiezunmodèleparfait,reprend-il.Maispasainsi…Pasétaléesurunetoileexposéeaux
yeuxdetous,sansapparteniràpersonnetoutenappartenantàtoutlemonde.Ilpencheunpeulatêtedecôté,commepourmeregardersousunautreangle.–Non,murmure-t-ilensuite,cettefoissansprécisersapensée.Jenesuispasdugenreàrougir,maisàmagrandehonte,mesjouessontbrûlantes.C’estminable!
Moiquiviensdedirementalementàce typed’aller se faire foutre, jeneparviensmêmepasàmecontrôler!–J’espéraisavoirl’occasiondediscuteravecvouscesoir,luidis-je.L’undesessourcilssesoulèveimperceptiblement.Ducoup,ilal’airpolimentamusé:–Vraiment?–J’aipubénéficierdevotreboursependantdesannées.Jevoulaisvousremercier.Aucuneréaction.Jepersévère:–J’aidûtravaillerpendanttoutemapériodedelycée,alorscetargentm’aénormémentaidéeparla
suite.Sanslui,jenecroispasquej’auraispudécrocherdeuxdiplômes.Donc,mercibeaucoup.Jenementionne toujourspas leconcoursdebeauté.Pourceque j’ensais,DamienStarketmoi,
nousrepartonsdezéro.–Etquefaites-vous,maintenantquevousavezquittélanobleinstitutiondel’université?Il s’est exprimé sur un ton si cérémonieux que je comprends aussitôt qu’il me taquine. Je fais
commesiderienn’étaitetluirépondsavecleplusgrandsérieux:–J’airejointl’équipedeC-Squared.JesuislanouvelleassistantedeCarlRosenfeld.Evelynleluiadéjàdit,maisjesupposequ’iln’yapasprêtéattention.–Jevois…Enfait,ilnevoitriendutout,manifestement.–C’estunproblème,monsieurStark?– Deux diplômes. Une moyenne excellente. Les recommandations élogieuses de tous vos
professeurs.AdmiseauxprogrammesdedoctoratduMITetdeCalTech.Je le dévisage, abasourdie. Le comité pour la Bourse scientifique internationale Stark accorde
trentedecesbourseschaqueannée.Commentpeut-ilconnaîtresibienmonparcoursuniversitaire?–Jetrouvesimplementintéressantdeconstaterqu’aulieudedirigeruneéquipededéveloppement-
produits,vousvousretrouviezàexécuterlesbassesœuvresdupatrondanslerôledesonassistante.
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–Mais…Jenesaispasquoirépliquer.Cetinterrogatoiresurréalistemedésarçonnecomplètement.–Vouspartagezsonlit,mademoiselleFairchild?–Comment?–Pardonnez-moi,maquestionn’étaitsansdoutepasassezclaire.Jevousdemandesivousbaisez
avecCarlRosenfeld.–Je…Non!Laréponseafranchimes lèvresbien tropvite ; l’idéem’est insupportableet j’aivoulu l’écarter
sur-le-champ.Jeregretteaussitôtmaréaction.Enfait,j’auraisdûgiflercetype.Commentose-t-ilmeposerunequestionpareille?–Tantmieux,réplique-t-il.Sontonestsitranchant,etd’unetelleintensité,quemonenviedeluibalancerunebonnerepartie
bien sentie s’évanouit sur-le-champ.En fait,mespenséesviennentdeprendreun tour radicalementdifférent:jesuisémoustillée,c’estindéniable.Etfâcheux.Jelanceunregardfuribondàlafemmeduportrait. Je la hais encoreplus,maintenant.Le comportement deStarkmedéplaît ; quant aumien,n’enparlonspas.Nousavonspourtantquelquechoseencommun, luietmoi.Nous imaginons tousdeuxlapetiterobenoireglissantdemesépaules…Merde!Starknecherchemêmepasàcachersonamusement:–Jevousaichoquée,j’ail’impression.–Etcomment,vousm’avezchoquée!Vousvousattendiezàquoi?Il ne me répond pas, mais rit à gorge déployée. C’est comme si un masque venait de tomber,
commesi jevoyaisenfin levraiDamien. Je souris. J’aimebiencette idée : commemoi, il avancemasqué.–Jepeuxmejoindreàlafête?C’estCarl.Jecrèved’enviedelerembarrer.–Quelplaisirdevousrevoir,monsieurRosenfeld…ricaneStark,sonmasqueànouveaubienen
place.Carlmejetteuncoupd’œiletjeconstatequ’ilbrûledecuriosité.Jechuchote:–Excusez-moi,jefilemerepoudrerlenez.Jem’échappe etme réfugie dans la fraîcheur des élégantes toilettes d’Evelyn.Notre prévenante
hôtesseainstalléunpeupartoutdudentifrice,delalaqueetmêmedestubesdemascarajetables.Unexfoliant parfumé à la lavande est posé sur la console en pierre, et j’en presse une noix dansmapaume.Lesyeuxfermés,jemefrottelesmains;j’ail’impressiondemedépouillerdemacoquille,demettreaujourquelquechosedeneuf,debrillant,d’éclatant.Jemerincelesmainssousl’eauchaude,puisencaresseuneduboutdesdoigts.Mapeauestdouce,
àprésent.Lisseetsensuelle.Jecroisemonregarddanslemiroir.Jechuchote:–Arrête…Malgrémoi,mamaindescendjusqu’àl’ourletdemarobe,justesouslegenou.Unerobeajustéeen
hautetàlataille,maislégèrementévaséepourémettreunfroufrouaguichantquandjebouge.Mes doigts dansent sur mon genou, puis effleurent paresseusement l’intérieur de ma cuisse. Je
croiseànouveaumonregarddanslaglace,etjefermelesyeux.C’estlevisagedeStarkquejeveuxvoir.Jel’imaginedanslemiroir,sesyeuxbraquéssurmoi.Ilyadelasensualitédanslacaressequejemedonne.Unérotismelanguidequipourraitsemuer
envéritableébullition.Maiscen’estpaslàquejeveuxaller…Bienaucontraire,c’estcequejeveuxdétruire.
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Je me fige quand je la sens… la cicatrice saillante et irrégulière qui abîme la chair autrefoisparfaitedemacuisse.Jelapresseenmeremémorantlasouffrancequem’acauséecetteblessure-làenparticulier.C’étaitilyacinqans,leweek-endoùmasœurAshleyestmorte,lejouroùj’aifaillimedésagrégersouslepoidsdemonchagrin.Maisc’est lepassé. Je ferme lesyeuxde toutesmes forces, lecorpsbrûlant, lacicatricepulsant
sousmesdoigts.Cettefois,quandjemeregardedanslemiroir,jenevoisplusquemoi,NikkiFairchild,denouveau
maîtressed’elle-même.Je me drape dans cette confiance retrouvée et retourne parmi les convives. Les deux hommes
m’observent.Impossiblededéchiffrerl’expressiondeStark.Enrevanche,Carlnecherchemêmepasàcachersajoie.OndiraitungamindesixanslematindeNoël.–Ditesaurevoir,Nikki.Nouspartons.Nousavonsbeaucoupdechosesàfaire.Destasdetrucs.–Quoi?Maintenant?Jeneprendspaslapeinedeluicachermasurprise.–Figurez-vousqueM.Starkneserapasenvillemardiprochain.Parconséquent,laprésentationest
avancéeàdemain.–Demain?Samedi?–C’estunproblème?medemandeStark.–Non,biensûrquenon,mais…–M.Starkyassisteraenpersonne,insisteCarl.Enpersonne,répète-t-il,aucasoùjen’auraispas
biensaisilapremièrefois.–D’accord.Maisd’abord,jetiensàsaluerEvelyn…Jefaisminedem’éloigner,maislavoixdeStarkmeretient:–SiMlleFairchildpouvaitrester…–Comment?s’exclameCarl,exprimanttouthautmapensée.–Lamaisonquejemefaisconstruireestpresqueterminée.Jesuisvenudansl’espoirdedénicher
lapeintureparfaitepourunepiècebienparticulière.Etj’aimeraisavoirunpointdevueféminin.Jeveilleraiàcequ’ellerentrechezellesaineetsauve,bienentendu.–Mais…d’accord.Elleseraheureusedevousapportersonaide.D’abordtentédeprotester,Carls’estravisé.Etpuisquoiencore?medis-je.C’étaitunechosedeportercetterobe,c’enestuneautredezapper
les préparatifs de la présentation parce qu’un multimillionnaire égoïste claque des doigts ! Bon,certes,leditmultimillionnaireestsupersexy…Carlnemelaissepasletempsdeformuleruneréponsecohérente.–Nousnousverronsdemainmatin,medit-il.Laprésentationestprévueàquatorzeheures.Etvoilà,ils’estvolatilisé,etmoijefulmineàcôtéd’unDamienStarktrèscontentdelui.–Bonsang,maispourquivousprenez-vous?–Jesaistrèsbienquijesuis,mademoiselleFairchild.Etvous?–OK,jevousposelaquestionautrement:pourquimeprenez-vous?–Dites-moi,est-cequejevousattire?–Je…Quoi?Jem’empêtredansma réponse. Ilm’acomplètementdésarçonnée,et j’aidumalà retrouverma
contenance.–Cen’estabsolumentpasleproblème!Ilmeregardeavecunsourireencoin;jecomprendsquejeviensdemetrahir.– Je suis l’assistante de Carl, pas la vôtre, lui dis-je lentement, d’un ton ferme. Et dans la
descriptiondemonposte,iln’estnullementquestiondeladécorationdevotrefichuebaraque.
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Jen’aipascrié,maismavoixesttenduecommeuncâble,etmoncorpsl’estencoreplus.Cet enfoiré de Stark me semble non seulement parfaitement à l’aise, mais aussi extrêmement
goguenard.–S’ilestspécifiédansvotrecontratquevousdevezaidervotrepatronàtrouverdescapitaux,vous
allez peut-être devoir reconsidérer la façon dont vous vous comportez. Insulter les investisseurspotentiels,cen’estpastrèsmalin,vousenconviendrez.Soudaineffrayée,jeréplique:–Peut-être,maissivouscompteznousrefuservotresoutienfinancierparcequejenemecouche
pas en agitantma jupe sous votre nez, c’est quevous n’êtes pas l’hommeque la presse décrit : leDamien Stark qui investit dans des projets de qualité, pas par amitié ou pour faire plaisir à sesrelations,ouparcequ’ilpensequ’unpauvrepetitinventeurabesoindesonpognon.LeDamienStarkquej’admiren’estmotivéqueparletalent,etriend’autre.Maiscenesontsansdoutequedesbobardsd’attachédepresse…Jeme redresse, prête à subir les reparties cinglantes qu’il ne va pasmanquer dem’infliger en
retour.Jenesuispaspréparéeàsaréaction…Starkéclatederire.–Vousavez raison,medit-il. Jenecomptepas investirdansC-Squaredparceque j’ai rencontré
Carllorsd’unesoirée,etmêmesivousvousretrouviezdansmonlit,jen’accorderaispasforcémentunfinancementàvotreentreprise.Denouveau,mesjouessontbrûlantes.Denouveau,ilaréussiàmedéstabiliser.–Maisunechoseestsûre:jevousveux,ajoute-t-il.J’ailabouchesècheetjedoisdéglutiravantdeparler:–Pourvousaideràchoisirunetoile?–Oui,pourl’instant.Pasquestiondeluidemandercequ’ilaprévupourplustard.–Pourquoitenez-voustantàconnaîtremonopinion?–Parcequej’aibesoind’unpointdevuehonnête.Laplupartdesfemmesàmonbrasnemedisent
pascequ’ellespensentvraiment,maiscequivamesatisfaireselonelles.–Jenesuispasl’unedecesfemmesàvotrebras,monsieurStark.Jelaissecesquelquesmotsflotterunmomententrenous,puisjeluitournedélibérémentledoset
m’éloigne.Ilmeregarde,jelesens,maisjenem’arrêtepasninemeretourne.Etpuis,lentement,jesouris.Jevaisjusqu’àajouterunpetitbalancementàmadémarche.J’aibienl’intentiondesavourercettevictoire.Saufque lavictoireenquestionn’estpasaussiexquisequeprévu.En fait, elleestmêmeunpeu
amère. Parce que, secrètement, je ne peuxm’empêcher deme demander quel effet celame feraitd’êtrelafilleaubrasdeDamienStark.
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Chapitre4
Jetraversetoutelapièceavantdem’arrêter.Moncœurbatlachamade.J’aicomptécinquante-cinqpas,etjenesaisplusoùaller.Alorsjerestelà,devantl’unedespeinturesdeBlaine.Unautrenu,unefemmeallongéesurun litblancaustère.Seul lepremierplanapparaîtdistinctement.Le restede lapièce,lesmurs,lesmeubles,nesontquesuggérésdansdesgrisfloutés.Cettefemmeestextrêmementpâle,commesiellen’avaitjamaisconnulesoleil.Maissonvisage
racontetoutautrechose.Ilexprimeunedélectationsiintensequ’ilsembleémettredelalumière.Uneseuleéclaboussuredecouleur surcette toile :un long ruban rouge.Négligemmentnouéau
cou de la femme, il descend entre ses seins lourds et glisse entre ses jambes, puis devient flou àl’arrière-planavantd’atteindreleborddelatoile.Lerubansubitpourtantunecertainetensionetlespectateurcomprendaussitôtcequeracontel’artiste:l’amantdecettefemmeestlà,horschamp,etiltientleruban,lefaitglissersurelle,etlafemmesetortilledésespérémentcontreceboutdetissupourtrouverleplaisirquesonamantluirefuse.Jedéglutis.Jem’imaginelecontactdusatindouxetfroidmecaressantentrelesjambes.M’excitant
jusqu’à la rupture, me faisant jouir… Et dans mon fantasme, l’homme qu’on ne voit pas, c’estDamienStark.Mauvaiseidée,vraiment.Jem’éloignediscrètementendirectiondubar,seulendroitdanstoutelapièceoùjeneseraiplus
bombardée par toute cette imagerie érotique. Honnêtement, j’ai besoin de faire un break. L’artérotiquenemefaitpasceteffet,d’habitude.Saufquel’artn’yestpourrien.Unechoseestsûre,jevousveux.Qu’a-t-ilvouludireparlà?Ouplusexactement,qu’est-cequej’aimeraisqu’ilaitvouludireparlà?Questionidiote,biensûr.
Jesaistrèsbiencequej’aimerais:lamêmechosequ’ilyasixans.Jesaisaussiqueçan’arriverapas.Mêmelesfantasmes,jevaisdevoirlesrepousser.Jefouillelapièceduregard,pourcontemplerlesœuvresd’art,biensûr.Cettenuit,j’aienviedeme
raconterdeshistoires,ondirait.Enfait,jechercheStark,maisquandjelerepèreenfin,jemedisquejen’auraispasdûprendrecettepeine.Ildiscuteavecunejeunefemmegrandeetmince,auxcheveuxnoirs coupés très court. Splendide, débordante d’énergie, elle ressemble à Audrey Hepburn dansSabrina.Sestraitsdélicatsembrasésdeplaisir,elleritenle touchantd’ungestedésinvolteet intime.Rien
qu’àlesregarder,jesensmestripessenouer.DieuduCiel,jeneconnaismêmepascethomme!Jenesuisquandmêmepasjalouse,non?
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Jeréfléchisàcetteéventualité,et,dansl’espritdecettesoirée,jemeraconteencoredesbobards:cen’estpasdelajalousie,c’estdelacolère.J’enveuxàStarkd’avoirflirtédefaçonsicavalièreavecmoialorsqu’uneautrefemmelefascinevisiblement.Unefemmeadorable,superbe,rayonnante.–Duchampagne?meproposelebarmanenmetendantuneflûte.C’esttentant,trèstentant,maisjesecouelatête.Jen’aipasenviedemesaouler,j’aienviedeme
tirerd’ici.Des invités arrivent encore. Le salon grouille demonde. Je cherche Stark du regard,mais il a
disparudanslafoule.Etplusaucunetraced’AudreyHepburnnonplus.Jesuissûrequelàoùilssont,ilss’amusentbien,cesdeux-là.Jemefaufile le longdumur, jusqu’àuncouloirbarréparunecordedeveloursconduisantsans
douteauxpartiesprivéesdelamaison.Àmesyeux,c’estcequiserapprocheleplusd’unpetitcointranquille,pourl’instant.JedégainemontéléphoneetappelleJamie.– Tu vas halluciner ! s’exclame-t-elle en squeezant les politesses d’usage. Je viens de faire des
cochonneriesavecDouglas!–OhbonDieu,Jamie!Maisqu’est-cequit’apris?J’aiparlésansréfléchir.CetterévélationsurDouglasn’estpasunebonnenouvelle,maisj’éprouve
toutdemêmeuncertainsoulagement:ellem’obligeàm’intéresserauxproblèmesdemacoloc’.Lesmienspeuventattendre.Douglas,c’estlevoisind’àcôté,etnoschambresontunmurencommun.Jenesuislàquedepuis
quatrejours,maisj’aidéjàuneidéedelafréquencedesespartiesdejambesenl’air.Mameilleureamieestdoncdevenueunenouvellemarquesurson tableaudechasse…Cen’estpasspécialementréconfortant.Biensûr,dupointdevuedeJamie,c’étaitDouglas,legibier.–Onbuvaitunverredevinprèsdelapiscine.Onestallésdanslespa,etensuite…Elle ne termine pas sa phrase,mais je n’ai aucunmal à deviner ce qui s’est passé après le « et
ensuite…»–Ilestencorelà?Tueschezlui,peut-être?–Çavapas,non?Jel’aifoutudehorsilyauneheure.–Jamie…– Quoi ? J’avais besoin de dépenser mon énergie. Ça fait du bien, tu sais. Je suis archirelax,
maintenant.Tuvasavoirdumalàencroiretesyeux…Jefroncelessourcils.Jamieramènedesmecsàlamaisoncommeonramassedeschienserrants.
Parcontre,ilsnerestentpaslongtemps.Mêmepasjusqu’àl’aube.Entantquecolocataire,jetrouveçacommode.Iln’yariendeplusdésagréablequedetombersuruntypepuant,malraséetàmoitiéàpoilquiexplorelefrigoàtroisheuresdumatin.Maisl’amiequejesuisaussis’inquiètepourelle.Elle,desoncôté,sefaitdusoucipourmoi,maispourdesraisonsexactementopposées: jen’ai
jamaisramenédemecàlamaison.Ducoup,Jamiemetrouveunpeubizarre.Cen’estpaslemomentdediscuterdeçaavecelle,maispourquoiDouglas?Pourquoiavoirjeté
sondévolusurDouglas?–Jevaisdevoirdétournerleregardchaquefoisquejelecroise,sijecomprendsbien?–Maisnon,ilestsympa!Pasdequoienfairetoutunplat!Je ferme les yeux, excédée. Qu’on puisse s’exposer à ce point – à la fois physiquement et
émotionnellement–meplongedansunocéandeperplexité.«Pasdequoienfairetoutunplat»?Jenesaispascequ’illuifaut!–Ettoi?Tuastrouvétesmots,cettefois-ci?
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Jefroncelessourcils.Jamieétantmameilleureamiedepuistoujours,ellemeconnaîtunpeutropbien à mon goût. Elle sait tout de ma rencontre ambiguë avec le super canon Damien Stark auconcoursdemiss.Quandjeluiairacontécefiasco,elleaeuuneréactiontypiquedemaJamie:sij’avaisréussiàparleraveccetype,ilauraitplaquéCarmelapourseconsacreràmoncas.Àl’époque,je lui aiditqu’elleétait folle,mais sa réflexionavait été commede l’amadousurmon fantasmeàcombustionlente.–Jeluiaiparlé…–Oh!C’estvrai?s’exclame-t-elled’unevoixquigrimpedanslesaigus.–Etilassisteraàlaprésentation.–Et…?Avecunrireforcé,jeréponds:–C’esttout,Jamie.C’étaitlebut.–Ah…OK.Non,sérieusement,c’estfabuleux,Nikki.T’ascarrémentassuré.Quandelledécritleschosesdecettefaçon,jesuisforcémentd’accordavecelle.–Alors,ilressembleàquoi,maintenant?Jeréfléchisquelquesinstants.Pasévidentderépondreàcettequestion.–Ilest…intense.Séduisant, sexy, surprenant… et troublant, aussi. Ou plutôt, c’est la façon dont je réagis en sa
présencequiesttroublante.– Intense ? répète Jamie commeunperroquet.Ehbendisdonc, quelle révélation !Mais ce type
possèdelamoitiédelagalaxie,machérie!Tul’imagines,amicaletmielleux?Non,ildoitplutôtêtredugenresombreetdangereux…Je fronce les sourcils. D’une certaine façon, Jamie vient de me décrire Damien Stark à la
perfection.–T’asd’autrestrucsàmeraconter?Commentsontlespeintures?T’asvudesgenscélèbres?Ah
oui, j’oubliais, tu n’y connais rien… Tu serais incapable de reconnaître Brad Pitt même si tu luirentraisdedans.–Enfait,ilyaRipetLyle,quisefontdesrisettesmalgréleursdifférends.Jemedemandesileur
sérieseramaintenuel’annéeprochaine.Vulesilenceàl’autreboutdufil,jecomprendsquej’aifrappéfort.Jenedoissurtoutpasoublier
deremercierEvelyn.Arriveràsurprendremacolocataire,c’estunvéritableexploit.– Espèce de salope ! lâche-t-elle. Je te préviens, si tu neme rapportes pas l’autographe de Rip
Carrington,jemetrouveuneautremeilleurecopine.–Jevaisessayer,jetelepromets.Aufait,tupourraisvenir?Jen’aipasdevoiturepourrentrer.–Quoi?TuveuxdirequeCarls’estévanoui,terrasséparlasurprisequandStarkluiaapprisqu’il
seraitprésentàvotreréunion?–Enquelquesorte.Ilestpartilapréparer.Laprésentationaétéavancéeàdemain.–Ettoi,tuestoujoursàlafête,c’estbizarre…–Starkvoulaitquejereste.–Non,vraiment?Elleapresquecrié,soudaintrèsintéressée.–Cen’estpascequetucrois.Ilveutacheterunetoileetilabesoind’unavisféminin.–Etcommetueslaseulegonzesseàcettefête…AudreyHepburnmerevientalorsenmémoire.Jenesuisabsolumentpaslaseulenanaàcettefête,
medis-je,perplexe.Àquoijoue-t-il,cetype?Sèchement,jeréplique:–Ilmefautunebagnole.C’estouiouc’estnon?Tuviensmechercher?Jereportemonirritationsurelle,cen’estpasjuste.
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–Tuessérieuse?Carlt’avraimentlarguéeàMalibu?Maisc’estàuneheuredebagnole!Ilnet’amêmepasproposédeterembourserlesfraisdetaxi?J’hésiteunefractiondesecondetroplongtemps.–Quoi?insiste-t-elle.–C’estjusteque…Starkaditqu’ilmeramènerait.–Etalors?SaFerrarin’estpasassezbienpourtoi,c’estça?Tupréfèresrentrerdansmavieille
Corollapourrie?Ellemarqueunpoint.C’est lafautedeStarksi jesuiscoincée ici.Pasquestiondedérangermes
amis,nidecasquerunpognonmonstreen fraisde taxi, alorsqu’il est censé régler ceproblème !Pourquoisuis-jenerveuseàcepointàl’idéedemeretrouverseuleaveclui?Car l’idée me rend nerveuse, c’est indéniable. Bon sang, aucun homme ne devrait pouvoir
déstabiliserlafilled’ElizabethFairchild!Lafilled’ElizabethFairchildmènelesmecsparleboutdunez!J’aipassétoutemavieàfuirl’emprisedemamère,maiselleaquandmêmeréussiàimprimerenmoicertainsdesespréceptes.–Tuasraison.Jeteverraiàlamaison,dis-jeàmonamie.Impossibledem’imaginerDamienStarkselaissantmeneràlabaguetteparunefemme…–Sijedors,réveille-moi,reprendJamie.Tumeraconterastout.–Iln’yaurarienàraconter.–Menteuse!glousse-t-elleavantderaccrocher.Je glisse le téléphone dans mon sac et me dirige vers le bar. Maintenant, j’ai très envie de
champagne.Jesirotemonverreenparcourantlapièceduregard.J’aperçoisStarkdroitdevantmoi,avec Audrey Hepburn. Il sourit, elle rit, et je sens croître mon irritation. À cause de lui, je meretrouvecoincéeici.Ceconnefaitmêmeplusl’effortdemeparler.Ilpourraitaumoinss’excuserpoursesbobardssurladécorationdesamaisonetmetrouverquelqu’unquiacceptedemedéposerchezmoi.Sijedoisrentrerentaxi,j’enverrailafactureàStarkInternational.Sansaucunétatd’âme.Evelyn passe non loin demoi au bras d’un homme aux cheveux blancs comme neige. Elle lui
murmurequelquechoseàl’oreille,puissedégage.L’hommecontinuesoncheminsanselle.–Toutsepassebien,machère?medemande-t-elle.–Oui,trèsbien.Ellericane,etj’ajoute:–Bon,d’accord.Enfait,jemesensatrocementmal…–Ilfautdirequevousmenteztrèsmal.Ilsuffitdevousregarderpourvoirqueçanevapas.–Jesuisdésolée.C’est…Sansterminermaphrase,jemecolleunemèchedecheveuxrebellesderrièrel’oreille.Jemesuis
faitunchignonenlaissantpendrequelquesbouclescenséesencadrermonvisage,maisàcetinstantcesmèchesm’énerventplusqu’autrechose.–Onnesaitjamaiscequ’ilpense,meditEvelyn.–Dequiparlez-vous?Dumenton,ellemedésigneDamien.IldiscutetoujoursavecAudreyHepburn,maisj’ail’absolue
certitudequ’ilme regardait encoreun instantplus tôt.Riennemepermetde l’affirmer,cependant.Est-ceunespoirsecret?Maparanoïagrandissante?Jen’ensaisrienetçam’énerve.–Quevoulez-vousdire,Evelyn?–Ilestdifficileàcomprendre,cethomme.Jeleconnaisdepuissonenfance.Unjour,quandilétait
gamin,unemarquedecéréalesluiaproposéunebellesommed’argentpourl’avoirdanssesspotsdepub.DamienStark avecun tauxde sucre trop élevédans le sang, quelle idée, franchement !Enfinbref,cefutsonpremiersponsorpotentiel,etc’estàcetteépoquequesonpèrem’aengagéepourle
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représenter.Je luiai trouvéquelquescontratsvraiment intéressantset,grâceàmoi,sanotoriétéestmontéeenflèche.Etpourtant,jeneleconnaistoujourspas,jecrois.–Commentça?–Jevousl’aidit,MissTexas.Onnesaitjamaiscequ’ilpense.Elleaarticuléchaquesyllabe,avantd’ajouterenhochantlatête:–Mais on ne peut vraiment pas lui en vouloir, vu toute la merde qu’il a dû subir pendant des
années.Çaabîmeraitn’importequi…–Lacélébrité,vousvoulezdire?C’estvrai,iladûenbaver.Ilétaitsijeune…StarkavaitquinzeansquandilagagnéleGrandChelemjuniors.Cettevictoirel’aenvoyédansla
stratosphère,jem’ensouvienstrèsbien.Maislapresseavaitdéjàcommencéàs’intéresseràlui.Unejoliegueuleetdesoriginesprolétaires,dupainbénitpourlesjournalistesquienavaientfaitlegoldenboyducircuit,luiparmitouslesespoirsdutennismondial.–Non, rien àvoir avec la célébrité, répliqueEvelynen écartantma suggestiond’ungestede la
main.Damiensaittrèsbiengérerlapresse.Pourcequiestdeprotégersessecrets,ilestvachementdoué,etdepuistoujours!Ellemedévisagepuiséclatederire,commepourmefairecomprendrequ’elleblaguait.Troptard,
jen’encroisrien.–Maisjedivague,machère.DamienStarkestuntypedistantetsecret,c’esttout.Ilmefaitpenserà
uniceberg.Onnevoitpascequisetrouvesousl’eau,etcequidépasseestduretassezfroid.Elle glousse, amusée par sa propre plaisanterie, puis fait signe à quelqu’un dont elle vient de
remarquerlaprésence.Jejetteuncoupd’œilàDamien,cherchantdestracesdel’enfantblesséqu’ilaété–d’aprèsEvelyn,en toutcas–,mais jenevoisquesaforceetsonassurance inébranlables.Neserait-cequ’unmasque,enfindecompte?Oubiens’agit-ilduvraiDamienStark?–Cequej’essaiedevousexpliquer,c’estquevousnedevezpasprendretropàcœurl’incidentde
tout à l’heure, reprend Evelyn. La façon dont il s’est comporté… Il ne voulait pas se montrergrossier, j’en suis sûre. Il avait juste la tête ailleurs, probablement, et il ne s’estmême pas renducomptedesonécartdeconduite.Voilà un petit moment que j’ai surmonté l’affront, mais Evelyn ne peut pas le deviner. Pour
l’instant,j’aidesproblèmesplusimmédiatsàrégleraveclui:parexemple,commentvais-jerentrerchezmoi?Etpuis,ilyacesémotionscomplexesquejen’aipasenvied’analyser.–Vousaviezraison,pourRipetLyle.Macolocataireestmortedejalousiedepuisqu’ellesaitqu’ils
sontlà,luidis-jeenlavoyantjeterdesregardsendirectiondeStark.Ilnefaudraitpasqu’elles’imaginequejetiensàpoursuivrecetteconversation.–Venez,alors,jevaisvouslesprésenter!Lesdeuxstars,raffinéesetresplendissantesau-delàdetouteexpression,sontincroyablementpolies
etbarbantes.Jen’aiabsolumentrienàleurdire.Jenesaismêmepasdequoiparleleursérie.PourEvelyn,qu’ilpuisseexisterdesgenscapablesdesemoquerdecequisepasseàHollywood,ouquienignorenttout,estinconcevable.Ellemecroitjusteunpeuintimidée…Maparole,ellevamelaisseraveceux!La Nikki-en-société deviserait aimablement avec les deux vedettes, mais la Nikki-en-société
commenceàressentirunecertainelassitude.Justeàtemps,j’attrapeEvelynparlebrasavantqu’ellenes’éloignetrop.Ellemejetteuncoupd’œilsurpris.Jenesaispasquoiluidire.Jesenslapaniquemonterenmoi:laNikki-en-sociétéadéfinitivementprislapoudred’escampette.Etpuissoudainmonsalutapparaît.C’est tellement inattendu, tellementdécalé,que jecroisavoir
unehallucination.– Cet homme… c’est OrlandoMcKee, n’est-ce pas ? dis-je en pointant le doigt vers un jeune
hommemaigrichon.
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Cheveuxlongsetondulés,lunettesàmontured’acier,ilsembletoutdroitsortideWoodstock,pasvraiment le genre à fréquenter les galeries de peinture. Je retiensmon souffle, espérant que cetteapparitionmiraculeusenevapass’évanouir.–VousconnaissezOrlando?s’exclameEvelyn,avantderépondreelle-mêmeàsaquestion:mais
biensûr…C’estvotreami,celuiquitravaillepourCharles,n’est-cepas?Vousvousêtesrencontrésoù,touslesdeux?EllesalueLyleetRipd’unsignedetête,etm’entraîneavecelle.Lesdeuxstars,quisemoquentde
notre départ comme de l’an quarante, recommencent déjà à se disputer, tout en faisant de grandssouriresauxfemmesquisefaufilentpourêtreprisesenphotoenleurcompagnie.–Nousavonsgrandiensemble,dis-jeàEvelynquimeprécèdedanslafoule.Nosfamillesontvécu
très longtemps dans lemême quartier. Ollie a deux ans de plus quemoi,mais quand nous étionspetits,nousétionsinséparables.Nouslesommesrestésjusqu’àsesdouzeans,enfait.Cetteannée-là,sesparentsl’ontexpédiédansunpensionnatd’Austin.J’enaicrevédejalousie,àl’époque.Jene l’ai pasvudepuisdes années,maisnousn’avonspasbesoindenousparler tous les jours
pourresteramis,luietmoi.Lesmoispassent,etsoudainilm’appelledenullepart;nousreprenonsalorsnotreconversationcommesiderienn’était.Jamieetluisontvraimentmesmeilleurscopains,etsaprésenceici,justeaumomentoùj’aitantbesoindelui,meplongedansl’euphorie.Noussommestoutprèsdelui,àprésent,maisilnenousapasencoreremarquées.Ilparled’une
sérietéléavecunautretypequiporteunjeanetunevestesurunechemiserosepâleàcolboutonné.Très californien.Ollie agite lesmains en parlant. Sans le faire exprès, il en balance une dansmadirectionetmejetteuncoupd’œilparréflexe.Çayest,ilm’avue.Ilsefige,avantdesetournerversmoi,brasgrandouverts.–Maparole,Nikki,tuessplendide!Ilm’attiredanssonétreinte,puismerepousse,lesmainssurmesépaules,etmedétailledespiedsà
latête.Jeris:–J’airéussil’examen?–Çat’estdéjàarrivéd’enraterun?–Qu’est-cequetufaisici?Tun’espasàNewYork?–Laboîtem’atransféréàL.A.lasemainedernière.Jecomptaistepasseruncoupdefilceweek-
end. Impossible de me rappeler la date de ton emménagement ici. Bon sang, que c’est bon de terevoir!Denouveau,ilmeserretrèsfortdanssesbras,etjesourisàm’endécrocherlesmâchoires.–Jepariequevousvousconnaissez,touslesdeux,nousfaitremarquerletypeenjean,amusé.–Oh,désolé!ditOllie.Nikki,jeteprésenteJeff.NoustravaillonsensemblechezBender,Twainet
McGuire.– En fait, il veut dire que je travaille pour lui, me précise Jeff. Je suis un associé tout récent.
Orlandoestlàdepuistroisans,ettoutlemondel’adore.JecroisqueMaynardnevapastarderàlefairemonterengrade.–Trèsdrôle!râleOlliepourleprincipe.Ilal’airravi,enfait.Jeglousse:–Regardez-moiça!Monpetitpoissonestdevenuungrosrequinauxdentslongues!–Hilarant!Tuconnaislesrègles,mapetite:chaquefoisquetumesorsuneblaguedejuriste,je
doist’ensortirunedeblonde.–Jeretirecequej’aidit.–Venez,Jeff,intervientEvelyn.Cesdeux-làontenviederattraperletempsperdu.Allonschercher
labagarreailleurs…
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Nouspourrionsleurdiredenepasprendrecettepeinepournous,maisnousnoustaisonstouslesdeux.Noussommesplongésdansnossouvenirsdubonvieuxtemps.J’airetrouvéOllie,quelpied!Nousparlonsdetoutetderienennousdirigeantverslasortie.Tacitement,nousavonsdécidéde
continuer notre conversation dehors. La présence familière d’Ollie me réconforte et m’absorbecomplètement,maisenarrivantàlaporte,jejetteunderniercoupd’œilausalon.Cen’estsansdoutequ’unréflexe…Jecroisquejecherchequelqu’un.Jecroisquejelecherche.Lui.Etcommeilfallaits’yattendre,mesyeuxseposentsurDamienStark.AudreyHepburnadisparu.Il
discuteavecunpetithommemenacédecalvitie.Concentréetattentif,iltournelatêteetcroisemonregard.Etlà,toutd’uncoup,jesaisques’ilmedemandaitdelaissertombermonmeilleurpotepourrester
avecluidanscettepièce,jeleferais.Ehoui,jeresteraisavecDamienStark.Quelleconne!
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Chapitre5
J’aienfilélavested’Ollieet jetiensmesescarpinsparleursbrides.Nousmarchonssurlaplageprivée,derrièrelamaisond’Evelyn.Cen’estsûrementpasautorisé,maisjem’enmoque.Jeplongegaiementunpieddansl’eau,éclaboussanttoutautourdemoi.Jemesensd’humeurespiègle;jemesensbien.JedemandeàOllie:–CommentvaCourtney?Elleestcontentedetonretour?C’est une question dangereuse, et je le sais. Courtney est son éternelle petite amie ; un coup je
t’aime,uncoupjenet’aimeplus.Uncoup«jet’aime»parcequec’estunefillegénialeetqu’Ollieseraitbienbêtedetoutfoutreenl’air,etuncoup«jenet’aimeplus»parcequemonmeilleurpoteaplusd’unefoisdépassélesbornes,cecrétin.–Elleestfiancée,medit-il.–Ohmince…Jesuisdéçueetças’entend.Jedevraisleconsoler,luiassurerqu’iltrouveraunjouruneautrefille
toutaussigéniale,maisjemedisjustequ’ilaencoremerdé.Iléclatederireenvoyantmatête:–C’estmoi,sonfiancé,idiote!–Merci,monDieu!J’aicruquet’avaistoutfaitfoirer!Jeluidonneuncoupd’épauletaquin.D’unairsérieux,ilajoute:–J’aifailli,tusais.C’étaitdur,àNewYork.Ladistance,toutça…J’aiététenté.Maisc’estterminé.
C’estlafemmedemavie.Putain!Nikki,commentj’aifaitpourtrouverunefillecommeelle?–C’estnormal,t’esunmecgénial.–Jesuisunconnard,ettulesaistrèsbien.–Onesttousdesconnards,plusoumoins,maisCourtneyvoitlevraiOlliederrièreleconnard.Et
ellet’aime.–Ouais,c’estvrai!melance-t-ilavecungrandsourire.Çamestupéfiechaquejourquipasse,mais
c’estvrai.Ellem’aime!Ilmescruteducoindel’œil,puis:–Àproposd’emmerdes,commenttuvas,toi?Vraiment?Jeserresavestetoutcontremoi:–Jevaistrèsbien,Ollie.Jetel’aidéjàdit.
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Je m’arrête et enfouis mes orteils dans le sable. Les vagues recouvrent mes pieds nus puis seretirentàtoutevitesse.Lesolsedérobesousmoietjem’enfonceunpeu.Prèsdemoi,Ollieme lanceceregard…le regarddumecquiconnaît tousmessecrets.C’est la
vérité,d’ailleurs.Jehausselesépaules:–Çavamieux,maintenant.Audébut,àlafac,ç’aétéunvraicauchemar,etpuisças’esttassé.Jeluidécocheunsourire:c’estengrandepartiegrâceàluiquej’aicommencéàmesentirmieux.
Jereprends.–Encemoment,jenesaispastrop.Maisjesuiscontented’avoirquittéleTexas.Toutvabien,je
t’assure…Jehaussedenouveaulesépaules.Jen’aipasenviedeparlerdeçatoutdesuite,alorsjetourneles
talons:–Ondevraitrentrer,Ollie.Ilhochelatêteetm’emboîtelepas.Leslumièresdelamaisonserapprochent,etlechantdel’océan
combleladistancequinoussépare.Unsonprofond,cadencé,danslequeljepourraistrèsfacilementmeperdre.D’ailleurs,c’estpeut-êtredéjàlecas…Unecinquantainedemètresplusloin,monamis’immobilisebrutalement.–Tuaimeslessmokings?medemande-t-il,commesic’étaitlaquestionlaplusbanaledumonde.– Je n’ai rien contre les smokings. C’est une tradition honorable dans l’univers des habits de
cérémonie.Maiscen’estpastrèspratique,ilfautlereconnaître.Difficiledesurferensmoking.C’estfaisable,maisc’estdifficile.–Jeveuxquetusoismongarçond’honneur,medit-ilenrigolant.Jesensmagorgeseserrer.–Courtneyn’aaucunproblèmeavecça,maisellepenseàlaphoto,continue-t-il.Tuvoiscequeje
veuxdire?Ducôtédumarié,toutlemondeensmoking,etducôtédelamariée,toutescesdamesensoieetsatin.Qu’est-cequetuenpenses?Jerefouledeslarmesdegratitude:–Jet’aime,Ollie.Tulesais,hein?– C’est pour ça que je te le demande, ma vieille. C’était soit ça, soit t’épouser à la place de
Courtney,etlasecondeoption,çalaferaitvraimentchier,jepense.Manifestement,ils’attendàmevoiréclaterderire,maisjenerispas,etsonexpressions’adoucit.–Merci,ajoute-t-il.–Mercipourquoi?–Mercid’êtreheureusepourmoi.–Oui,jelesuis,luidis-je,planquéederrièrelesouriredelaNikki-en-société.Leschoseschangenttropviteàmongoût.Ollieaussivachanger,etjeredoutecemoment.Ilaété
monrocpendantsilongtemps…Qu’est-cequivam’arriversicerocsedérobesoudain?Maisjenesuispasjusteavecluietjelesais.Nousreprenonsnotrepromenade.–Nikki,çava?J’essuieunelarmeégarée.–Net’inquiètepas.Jemesensétrangementémue,toutd’uncoup.Lesfillesetlemariage,tuvoisce
quejeveuxdire?Monexcuseestfoireuse,etillesait.–Ça ne changera rien entre nous,Nikki. Tu pourras toujoursm’appeler quand tu veux si tu as
besoindequoiquecesoit…Courtneycomprendra,jet’assure.Unpincementdepeurmetraverse:
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–Dis,ellenesaitpas,pour…?–Biensûrquenon!mecoupe-t-il.Enfin,elleestaucourantpourAshley…Ça, c’est normal. Courtney et lui sortaient déjà ensemble quand ma sœur s’est suicidée. Une
disparitionimpensable,quim’alittéralementanéantie.GrâceàAshley,j’avaispum’évaderdelaviequemamèremefaçonnait.Quandelleestmorte,elleétaitdéjàmariéeetvivaitloindenous;maisaprès sa disparition, j’ai vraiment touché le fond. J’ai refait surface grâce à Jamie etOllie. Je lesconsidèreunpeucommemesbouéesdesauvetage.OllieenaforcémentparléàCourtney,àl’époque.–J’aijusteditàCourtneyquetasœurétaitmorteetquetuavaisbeaucoupdechagrin,ajouteOllie
enhâte.Tusaisbienquejeneluirévéleraijamaisaucundetessecrets.Je suis incroyablement soulagée. Du coup, je ne me sens même pas coupable d’avoir pensé
qu’Olliepouvaittrahirmaconfiance.–Ondiraitquenousnesommespaslesseulsàenavoirmarredecettefiesta,medit-il,tournévers
lamaisond’Evelyn.J’aperçoisdesgenssurlebalcon,éclairésparlalumièrequirègneàl’intérieur,derrièreeux.Ilme
fautunesecondepourcomprendrequ’Olliemeparled’uneautrepersonne.Etquandjecomprends,j’enrestebouchebée.Unescalierenspiraleplongédanslapénombrerelielebalconàlapromenadeendommagéepar
les intempéries.Un homme est assis sur lamarche la plus basse. Je ne vois pas son visage, je nedistinguequ’uneformesombre.N’empêche,jesaisdequiils’agit.Ilselèveennousvoyantapprocher.Messoupçonsseconfirment.–MademoiselleFairchild…jevouscherchais,ditStarkenvenantànotrerencontre.IlneregardeabsolumentpasOllie.Sesyeuxsontfixéssurmoi,ambrebrûlant,noirinsondableet
dangereux.–Ahbon?Pourquoi?Jem’efforced’avoirl’aircalme,maisjenelesuisabsolumentpas.–Jesuisresponsabledevous.Avecunpetitrire,jeréplique:–Çam’étonnerait.Jevousconnaisàpeine,monsieurStark.–J’aipromisàvotrepatrondevousrameneràbonport.Ollie se rapproche et me prend par l’épaule d’un geste protecteur. Il est crispé, je le sens à la
pressiondesesdoigtsàtraversletissuépaisdesaveste.–Jem’envais,dit-il.JemechargederamenerNikkichezelle.Vousn’avezplusàvoussoucierde
ça.Sans unmot, Stark attrape entre deux doigts le revers de la veste d’Ollie que je porte toujours,
commepourentesterlaqualité.Samains’attardebrièvementau-dessusdemesseins.Ildoitseposerdes questions.Ollie etmoimarchant seuls sur la plage,moi avec sa veste sur les épaules, ça peutprêteràconfusion…Bizarrement, j’ai trèsenviedepréciseràStarkqu’iln’ya riende romantiquenidesexuelentre
monamietmoi.Jedoisfaireungroseffortpourgarderlesilence.JelèvelesyeuxversOllie:–Trèsbonneidée.Çanet’embêtepas,tuessûr?–Çanem’embêtepasdutout,réplique-t-il.Il resserre encore sa prise surmon épaule, comme pourme pousser à repartir.Mais Starkme
bloque lepassage,plusgrandquenature.Entrenous, l’air semblechargéd’électricité.Unepenséeridicule me traverse : si je bouge, je vais me retrouver prise dans sa toile. Une idée loin d’êtredéplaisante…–Mais cen’estpasun souci, répliqueStarkàOllie.En fait, j’aibesoindeMlleFairchild.Nous
devonsparleraffaires.
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Je suis tentéedeprotester,puis jeme rappelle soncommentaireplus tôtdans la soirée : si c’estcommeçaquejecomptetrouverdesinvestisseurs,jen’entrouveraiaucun.–D’accord,jereste.Net’inquiètepas,Ollie.–Tuenessûre?demande-t-ild’unairtendu.–Oui,jesuissérieuse.Rentrecheztoi.Ilhésite,puisrenonce.–Jet’appelledemain,conclut-ilsansquitterStarkdesyeux.Ils’estmisenmodegrandfrère,etj’entendstrèsbiensamenacesous-jacente:Elleaintérêtàêtre
chezelleetenpleineforme,sinonçavabarder.Monimaginationm’entraînesurunepenteglissante…Ilm’embrassesurlajoue,puissedirigeversl’escalierenspirale.–Attendez!lanceStarkàOllie,quisefige.Jeretiensmonsouffle.Vais-jeassisteràunesortederitueldeséductionchargédetestostérone?
Pasdutout:Starkprendleschaussuresquejetienstoujoursdanslamaindroite.Jelesluicèdesanstropsavoiroùilveutenvenir,jusqu’aumomentoùils’approchepourm’aideràôterlavested’Ollie.–Garde-la,Nikki.Jelareprendraiplustard!melancemonami.Maislavesteadéjàquittémesépaulesetj’aireculéàtoutevitessepourrétablirladistanceentre
Starketmoi.–Ellen’enaplusbesoin,conclutStark,quiluirendlevêtementavecunlargesourireamical.Pendantunefractiondeseconde,Olliehésite,puisl’accepte,l’enfileetmeregarde.–Soisprudente!s’exclame-t-ilavantdedisparaîtredansl’escaliertortueuxetmaléclairé.Soisprudente…Maisqu’est-cequ’ilraconte,bordel?Jejetteuncoupd’œilàStarketconstatequ’ilestaussiperplexequemoi.Enrevanche,ilnepense
déjàplusàOllie.Enfait,uneseulechosel’intéressedésormais,moi.Jeluiarrachemeschaussuresdesmains:–Alors,commeça,nousdevonsparleraffaires? Ilmesemblaitque lesaffairesenquestion, je
m’enoccupaisenvilleavecCarl.Jedevraisêtreentraindepréparerlaprésentationàlaquellejevaisparticiperdansàpeineplusdeseizeheures!–Lestoiles,medit-ild’untonléger.Rappelez-vous,vousavezacceptédemedonneruncoupde
main…–Jenesaispasoùvousallezcherchertoutça.Jemerappelletrèsclairementavoirdéclinévotre
appelausecours.–Vousm’envoyeznavré,machère…Jepensaisavoirréussiàvousfairechangerd’avis,envous
prouvantàquelpointvotreopinionmetenaitàcœur.– Vous pensiez que j’avais changé d’avis ? Et qu’est-ce qui vous a amené à formuler cette
hypothèse?Lemomentoùjevousaitournéledosetoùjesuispartie?Lefaitqueparlasuitejevousaieostensiblementignoré?Ilmeconsidèred’unairgoguenard,histoiredemefairecomprendrequemespetitscoupsd’œil
discretsdetoutàl’heuren’étaientpassidiscrets,aprèstout.Ils’attendsansdouteàunerépliquelapidaire.Pasquestiondeluifaireceplaisir!Àcetinstant,le
silenceestdéfinitivementlameilleuredestactiques.Jelèvelatêtepourledévisager.Lepeudelumièrequinousarrivedepuislebalcond’Evelynlaisse
ses traitsdans l’ombre,maissonregardsembleabsorber la lumière.Laprunelleambre,ardenteetchaude.Lanoire, commebordéede lave en fusion, si sombre et si profondeque, si jen’yprendsgarde,jevaistomberdanscepuitsetm’yperdre.Desfenêtressurl’âme,medis-je,etjefrissonne.–Vousavezfroid,mefait-ilremarquerencaressantd’undoigtmonbrasnu.Vousavezlachairde
poule.
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C’estsûr!Maintenantqu’ilm’atouchée,j’enaiunecarabinée…–Laveste,c’étaitpourça,luidis-je.Iléclatederire.J’adoreceson,libreetléger,toujoursinattendu…Ilôtesavesteetlaposesurmesépaulesmalgrémesprotestations.–Jen’enaipasbesoin,jevousassure.Nousrentrons,detoutefaçon,luidis-jeenmedébarrassant
duvêtement,quejeluitendsaussitôt.Ilreprendmeschaussures,maisrefuselaveste:–Gardez-la.Sinon,vousallezattraperunrhumeetjen’ytienspas.Enenfonçantmesbrasdanslesmanches,jem’exclame,excédée:–Ohbonsang!D’accord!Vousarriveztoujoursàvosfins?Ilmescruteavecdesyeuxronds.Tiens,jel’aisurpris,ondirait.–Oui,toujours,merépond-il.Aumoins,cetypeesthonnête.–OK, rentrons. Allons examiner ces peintures. Je vous dirai lesquellesme plaisent, et vous en
ferezcequevousvoudrez.Ilmedévisaged’unairvaguementdéconcerté:–Quevoulez-vousdire?–Vousn’êtespasdugenreàsuivrelesconseilsqu’onvousdonne,jemetrompe?–Oui,Nikki, vous vous trompez.Quand une opinionme tient à cœur, je la prends toujours en
considération.Danssabouche,monnomalemoelleuxduchocolataulait.La chaleur qui émane de lui est tangible. Je n’ai plus besoin de cette veste. En fait, je suffoque
dedans.Jedétourneleregardetcontemplelesable,l’océan,leciel.Jecontempletout,saufcethomme.J’ai
desnœudsdansleventre,etpartoutailleursaussi,maislàn’estpasleproblème.Leproblème,c’estquej’aimecettesensation.–Nikki,regardez-moi…Jem’exécute sans réfléchir, et laNikki-en-société disparaît aussitôt. Jeme sens aussi nueque si
j’avaisôtémarobe.–Cethommeavecquivousvouspromeniez…Qu’est-cequ’ilreprésentepourvous?Etpan!LaNikki-en-sociétéestderetour.Jesensmestraitssedurciretmonexpressiondevenir
glaciale.DamienStarkestunearaignée,etmoi,l’insectestupidequ’ils’apprêteàdévorer.Jetournelatêtependantunetoutepetiteseconde,puisjeluidécochemonsourireplastifiéd’ilya
sixans,celuiduconcoursdemiss.C’est lemomentde luidirequeceque je faisavecOlliene leregardepas,pourluiclouerlebecunefoispourtoutes.Jenedisrien.Instinctivement,sanstropcomprendrepourquoi, jeluisersunetoutautreréponse,puisjetourne
les talons avant de m’élancer vers l’escalier. Derrière moi, mes mots s’attardent encore pendantquelquesinstants:–Lui?C’estOrlandoMacKee.Lepremierhommequej’ailaisséentrerdansmonlit.
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Chapitre6
C’estunmensonge.Unmensongefacile,quejepeuxénoncersansperdremonemprisesurleréel.Uneautrecouchedemonarmure.DèsqueDamienStarkestdanslesparages,jedoismeprotégerlepluspossible.Ilestjustederrièremoi,danscetescaliertropétroitpourdeux.–Nikki!m’assène-t-ild’untonimpérieux.Jemeretourne.Commeilesttroismarchesplusbas,jedoisbaisserlesyeuxpourleregarder.Une
perspectiveintéressante,ilsnedoiventpasêtretrèsnombreux,ceuxquisesontvuoffrirl’occasionderegarderDamienStarkdehaut,commejelefaisencemoment…–Etaujourd’hui,qu’est-cequ’ilestpourvous,ceM.MacKee?Jemefaissûrementdesidées,maisjecroisdéceleruneombredevulnérabilitédanslesyeuxde
Stark.–C’estunami.Untrèsbonami.Ma parole, mais il est soulagé ! La juxtaposition de ces deux émotions – soulagement et
vulnérabilité –, si surprenantes chez un tel homme, me laisse bouche bée un court instant. Ellesdisparaissentaussitôt.–Vouscoucheztoujoursaveclui?reprend-ild’untonrésolumentglacial.Jememasselestempes.Ceschangementsd’humeur,lefroid,lechaudetànouveaulefroid,çame
donneletournis.–Jesuisdansunjeutélé,c’estça?Vousavezinvestivosmillionsdansunenouvelleversiondela
caméracachée,jeparie…Là,ilal’aircarrémentdécontenancé.–Maisqu’est-cequevousracontez?–D’abordvousêtessympa,puisvousdevenezglacial…–Vraiment?–Nefaitespassemblantdenepassavoirdequoijeparle!Parmoments,vousêtessigrossierque
jenesaispascequimeretientdevousgifler!–Maisvousnelefaitespas.Sanstenircomptedesaremarque,j’ajouted’untonmaussade:–Etensuite,vousprenezunvirageàcentquatre-vingtsdegrés,pourdevenirgentiletmielleux.Ilhausselessourcils.–Mielleux?répète-t-il,perplexe.
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– Ouais, bon, ce n’est peut-être pas le mot qui vous convient le mieux. Oubliez « gentil etmielleux».Allons-ypour«chaleureuxetprofond».– Profond… murmure-t-il, instillant à ce terme une sensualité à laquelle je ne l’associais pas
vraiment.–J’aimebeaucouplasonoritédecemot,ajoute-t-il.Àcetinstant,moiaussi.Jedéglutis,lagorgesèche.–Cequej’essaiedevousdire,monsieurStark,c’estquevousmedonnezletournis.Nullementébranléparcetéchange,ilmedévisaged’unairamusé.–Çaaussi,çasonnebien.–Vousmedonnezletournis,vousêtesexaspérant.Etimpertinent,aussi.–Impertinent?Ilnesouritpas,maispeineàréprimersonhilarité.–Qu’est-cequivousdonneledroitdemeposercegenredequestion?–Machère,vousvenezderamenertrèsélégammentcetteconversationàsonpointdedépart,mais
vousnem’aveztoujourspasrépondu.– Je pensais qu’un homme intelligent commevous comprendrait que je ne veux pas aborder ce
sujet.–Ilnem’afallunégligeraucundétailpourarriver làoù jesuis.Et j’aidûmemontrerà lafois
assiduettenace,mademoiselleFairchild.Là,ilm’aeu,medis-je,hypnotiséeparsonregard.–Quand je veux quelque chose, j’apprends d’abord tout ce qu’il y a à savoir sur l’objet dema
convoitise,puisjelancetoutesmesforcesdanslabataille.Jesuissistupéfaitequej’enperdspresquel’usagedelaparole.–Sansblague?– Lisez le Forbes du mois dernier, j’y suis interviewé. Le journaliste insiste beaucoup sur ma
ténacité,sijemesouviensbien.–Jevaism’enprocurerunexemplaire.–Mes services vous en enverront un.Vous comprendrez alors à quel point je peuxmemontrer
tenace.–Ça,jel’aidéjàcompris.Cequejen’arrivepasàsaisir,c’estpourquoivousteneztantàsavoir
avecquijecouche.Enquoicelapeut-ilvousintéresser?Jem’aventuresurunterraindangereux,etjecomprendssoudainlesensdel’expression«flirter
avecledanger».Ilgrimpeunemarche.Levoilàsoudainbeaucoupplusprèsdemoi.–Ilyadestasdechosesquimefascinentchezvous.Oh!bonDieu!Jemonteprudemmentsurlamarchesuivante.–Maisjenesuispastrèsintéressante,monsieurStark.Encoreunemarche.–Noussavonstrèsbienquec’estfaux,mademoiselleFairchild.Unjour…Illaissesaphraseensuspens,etmoi,aulieudemetaire,jemesensobligéedeluidemander:–Unjour…?–Unjour,vousvousouvrirezàmoi,mademoiselleFairchild.Etdebiendesfaçons.Jerêvedeluiassénerunerépliquebiencinglante,maisjeneparvienspasàparler.DamienStark
medésire.Etplusperturbantencore,ilveutmedécortiquer,medébarrasserdetoutescescouchesquimeprotègent.Ilveutconnaîtretousmessecrets.Cetteidéeestàlafoisterrifianteetétrangementattirante.
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Vaincue,jereculeencored’unemarcheverslebalcon.Enposantlepied,jegrimaceetStarkmerejointaussitôt:–Quelquechosenevapas?–Cen’estrien.Jeviensdemarchersuruntrucpointu.Sesyeuxseposentsurmespiedstoujoursnus.D’unairpenaud,jeluimontrelesescarpinsàbridesquejetiensencoreàlamain,avecleurstalons
dehuitcentimètres.–Trèsjolies,maisjevoussuggèredelesremettre,medit-il.–Jolies?Ellesnesontpas jolies,ellessont renversantes!Ellesprotègentmespieds,mettenten
valeur ma pédicure, m’affinent les jambes et remontent mon cul juste ce qu’il faut pour le faireparaîtreultrasexydanscetterobe!Denouveau,ilestamuséetadumalàlecacher.– Oui, je me le rappelle, maintenant que vous le dites… Effectivement, ces chaussures sont
stupéfiantes.–Enplus,c’estmonpremieretseulachatàLosAngeles,histoiredemarquerd’unepierreblanche
monuniqueviréeshoppingdanscetteville.–Çavalaitlecoupd’entamerunpeuvotrecompteenbanque!–Absolument.Maispourcequiestdemarcher,cesontdevraiessaletés.Maintenantquejelesai
ôtées, je croisque jenevaispaspouvoir les remettre.Enfin si, jedoispouvoir les remettre,maismarcheravec,j’endoute.–Jecomprendsvotreproblème.Heureusementpourvous,c’estjustemententrouvantdessolutions
àcegenredequestionépineusequej’aiconstruitmacarrière.–Vraiment?Allez-y,jevousécoute.Éclairez-moi.– Bon. Soit vous restez là où vous êtes, soit vous rentrez pieds nus, soit vous remettez vos
chaussuresetvoussouffrezlemartyre.–Jem’attendaisàmieuxdelapartdugrandDamienStark.Sicetteintelligencesuffitpourfonder
unempirecommelevôtre,j’auraisdûm’ymettreilyalongtemps.–Désolédevousdécevoir.–Resterici,impossible.D’abord,ilfaitfroid.Ensuite,jetiensàsaluernotrehôtesse.–Mmmm…Oui,vousavezraison,réplique-t-ilenfronçantlessourcils.Manifestement,jen’aipas
passéenrevuetouslesaspectsdececasse-tête.–Cen’estpasuncasse-têtepourrien.Etpourcequiestdemarcherpiedsnus,lafilled’Elizabeth
Fairchildnesepromènejamaissanschaussurespendantlesévénementsmondains,mêmesielleenatrèsenvie.C’estdansmesgènes,jecrois.–Ilvousresteuneseuleoption,danscecas:vousallezdevoirlesremettre.–Etsubirlemartyre?Nonmerci.Lasouffrance,cen’estpastropmontruc.Montonestléger,maisjenedispastoutàfaitlavérité.Starkmeregardelonguement,avecune
attention soutenue. Bizarrement, la phrase qu’Ollie m’a lancée en partant me revient alors enmémoire… Sois prudente ! Puis son expression revient à l’amusement. Je pousse un soupir desoulagement.–Ilyaunedernièreoption,voussavez.–Ah,vousvoyez?Vousmecachiezdeschoses!–Jepeuxvousprendredansmesbrasetvousporteràl’intérieur.–Réflexionfaite,jevaisenfilercespetitesgarces.Tantpissiçafaitmal.Jem’assoissurlamarcheetremetsmesescarpins.C’estfranchementdouloureux.Ceschaussures
nesesontpasencoreadaptéesàmespieds,quiprotestentvigoureusement.J’aiadorélabaladepiedsnussurlaplage,maisj’auraisdûgarderàl’espritquetoutfinitparsepayer.
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Je me relève en grimaçant et repars dans l’escalier. Stark me suit de très près, et quand nousarrivonssurlebalcon,ilm’attrapelebras.Ilestpresquecolléàmoi,àprésent,jesenssonsouffledansmonoreille.–Parfois,çavautlapeinedesouffrir,mechuchote-t-il.Raviquevouslecompreniez.Jemeretournevivement:–Comment?–Jesuiscontentquevousayezdécidéderemettrevoschaussures,c’esttout.–Maisvousn’êtespasdéçudenepas avoirpume jeter survotre épaulepourmeporter façon
hommedescavernes?– Je neme rappelle pas avoirmentionné un transport de type préhistorique,mais cette idée est
intéressante,jedoislereconnaître.IlsortsoniPhoneetsemetàtapotersurleclavier.–Quefaites-vous?–Jenoteçapourplustard.Jesecouelatêteenriant:–Unechoseestsûre,quiquevoussoyezparailleurs,vousnecessezdemesurprendre,monsieur
Stark.Jelescrutedespiedsàlatête:–Aufait,vousn’auriezpasunepairedetongssurvous?Ça,ceseraitunesurprisevraimentutile,
vouspouvezmecroire.–Hélas, non !Mais à l’avenir, j’en trimbaleraiunepartout, juste au casoù. Jeviensdeprendre
conscience qu’une paire de chaussures confortables peut constituer une monnaie d’échange trèsconvenable.Brutalement,jeréalisequejeflirteavecDamienStark.Letypequis’estmontrétouràtourglacial
et bouillant depuis le début de la soirée… Un type entouré d’une aura de pouvoir, un type quicommandeunempireetpeutavoirtouteslesfemmesqu’ilveutsurunsimpleclaquementdedoigts.Etencemoment,c’estmoi,l’objetdudésir.Uneconstatationdéroutante,maisaussitrèsflatteuseetfollementexcitante,jel’avoue.–Jesaisexactementcequevousressentez,medit-il.J’enrestebouchebée.Çaalors,illitdansmespensées!–Jedétesteleschaussuresdetennisetjemesuistoujoursentraînépiedsnus.Çamettaitmoncoach
dansuneragefolle.–Vraiment?CettepetiteanecdotesurlavraieviedeStarkesttoutàfaitfascinante…–Maisàl’époque,l’undevossponsorsétaitunemarquedechaussuresdesport,n’est-cepas?–Oui,laseul