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J.A.Redmerski
LABALLADEDESLUCIOLESTraduitdel’anglais(États-Unis)parBenjaminKuntzer
Milady
PourMichaelN.etAlexanderD.
1
ELIAS
ILPARAÎTQU’ONN’OUBLIEJAMAISSONPREMIERAMOUR,etjedoisbiendireque,dansmoncas,l’adagesevérifie.J’airencontrélafilledemesrêvesalorsquenousfaisionsencoretouslesdeuxdescabanesdans lesarbresetdesgâteauxde terre–ellepréparait lesmeilleursgâteauxde terredeGéorgie–,etaujourd’hui,dix-septansplustard,jevoisencoresonsouriredanstouteslesbelleschoses.
Cependant, la vie deBrooke a toujours été…compliquée.Enfin, j’imagine qu’on pourrait en direautantdelamienne,mais,mêmesinousnousressemblonsbeaucoup,destasdechosesnousdistinguentégalement.
Je n’ai jamais pensé qu’une relation allant au-delà d’une grande amitié (parfois avec d’autresavantages)pourrait fonctionnerentrenous.Ellenonplus.Jesupposequ’audébut,nousavions tous lesdeuxraison.Mais,aufinal–et,bordel,onpeutdirequenousnel’avionsvraimentpasvuvenir–,nousavons tous les deux fait fausse route. Je dois bien reconnaître plusieurs dizaines d’erreurs nous ayantconduitsici,àcetendroit,terrésdanslestoilettesd’uneépiceriedeproximitécernéedeflics.
Maisjevaisunpeuviteenbesogne.Laissez-moitoutreprendredepuisledébut.
Le4juillet,ilyadix-septans…Lecoupdecœurd’ungarçondeneufanspourunefillettedehuitestpresquetoujours innocent.Et
cruel. La première fois que je visBrooklynBates voleter versmoi à travers le vaste champ près del’étangdeM.Parson,elles’inscrivitdirectementsurlalistedemesvictimesexpiatoires.Elleportaitunerobe blanche estivale et des tongs ornées de petites fleursmauves en tissu. Ses longs cheveux brunstombaientdepartetd’autredesatêteendeuxcouettesparfaitesnouéesd’unrubanviolet.Je l’aimais.Biensûr,jenel’«aimais»pasvraiment,maiselleétaitsacrémentbelle.
Jem’amusaidoncnaturellementàl’embêter.—Qu’est-cequetuassurlafigure?luidemandai-jetandisqu’ellemepassaitdevant.Elles’arrêta,croisalesbrasetmetoisadetoutesahauteur,unemouedésapprobatricesurleslèvres,
tandisquejerestaisassisàcôtédemamèresurunecouverture.—Riendutout,répliqua-t-elleavecunsourireaffecté.—Biensûrquesi.(Jelamontraidudoigt.)Justeici.C’estvraimentdégueu.Elleportainstinctivementlesdoigtsàsonvisage.—Quoi,qu’est-cequec’est?Dequoiçaal’air?
—Ilyenapartout.Etjet’aiditquec’étaitdégueu,voilàdequoiçaal’air.Elleposadignementlespoingssursatailleetsemorditl’intérieurdesjoues.—Tumens.—Alorslà,non.Tafiguretoutentièreestvraimentmoche.Tudevraisallervoirlemédecinpourte
faireexaminer.Lapointedesatongetsongrosorteilatterrirentsurmahanche.—Aïe!Pourquoit’asfaitça?Jemassaiduboutdesdoigtsmonflancendolori.Jevisalorsmamèrenousobserverensecouantlatêteavantdereplongerdanssaconversationavec
matanteJanice.Brookecroisadenouveaulesbrasetmegrognadessus:—Siquelqu’unestdégueuici,c’esttoi.Turessemblesauculdemonchien.Enentendantcesmots,mamèremefusillaimmédiatementdesyeux,commesic’étaitmoiquivenais
dejurer.Jemecontentaidehausserlesépaules.Brooke tourna les talons, s’éloignad’unpasnonchalant endressant lementonet alla rejoindre ses
parents,quinel’avaientpasattendue.Jelaregardaipartir,ladouleursourdequiirradiaitencoredemahancheme rappelantque, si jedevaisun jourprovoquercette filledenouveau, je risquaisde souffrirdavantage.
Et,biensûr,celamedonnaenviederecommencer.Tandisquelepréseremplissaitd’autresrésidentsd’Athensvenusassisteraufeud’artificedelafête
nationale,jesurveillaisBrooke,quifaisaitdesrouesdansl’herbeavecsacopine.Detempsàautre,jelavoyaissetournerversmoipourcrâneretmeprovoquer.Aprèstout,ellevenaitderemporterlapremièrebataille,etelleavaitdoncdequoijubiler.Jemelassaivitederesterassisavecmamère,d’autantqueBrookesemblaitvraiments’amuserdesoncôté.
—Oùtuvas,Elias?medemandamamèrequandjemelevaidelacouverture.—Justelà,dis-jeendésignantmanouvellemeilleureennemie.—D’accord,maisrestelàoùjepeuxtevoir.Jesoupiraienlevantlesyeuxauciel;mamanavaittoujourspeurquejemefassekidnapper,queje
meperde,quejemefassemal,queje tombedansl’eau,quejesalissemesvêtementsetdetoutuntasd’autreschoses.
—Promis,répondis-jeenm’éloignant.Jesinuaientrelesfamilles,installéessurdeschaisesoudescouverturesàproximitédeleurglacière
pleinedebièresoudesodas,jusqu’àmeretrouverfaceàcettefillegrossièrequimeplaisaittant.—Tudevraispasfairelaroueenrobe.Tulesais,pasvrai?Brookeenrestabouchebée.Sonamieà lapeautrèsclaire,Lissa,avaitde longscheveuxbouclés,
d’un blond presque blanc.Comme nous nous connaissions de l’école, elleme sourit. Je crois qu’ellem’aimaitbien.
—J’aiunshortendessous,merciduconseil,merépliquaBrookeavecfroideur.Etde toute façonpourquoituregardes?
—Jeregardaispas,je…BrookeetLissaéclatèrentderire.Jemesentisrougirjusqu’auxoreilles.Brooke était arrivée d’Atlanta la semaine précédente, et il ne lui avait pas fallu longtemps pour
s’intégrer.Voirepourdevenirlareinedeslieux,encequiconcernaitlesenfants.C’étaitlegenredefille
siméchante, intimidante et jolieque les autrespréféraientdevenir amis avec elle, pour éviterde s’enfaireuneennemie.Ellenemartyrisaitpassespetitscamarades,maisquelquechoseenelleimposaitlerespect.
—Tuveuxvenirt’asseoirprèsdel’étang?proposai-je.C’esttropcooldevoirlesfeuxd’artificesereflétersurl’eau.
Brookehaussalesépaules.—Pourquoipas?Puiselleseleva.Lissaétaitdéjàdebout,prêteànousaccompagner,avantmêmequeBrookesesoit
décidée.Lissaétaitunefillegentille,maisparfoisunpeucollante,etjedoisavouerquec’estmoiquiavais
lancé la rumeur faisant d’elle une albinos, à cause de ses cheveux si clairs et de sa peau si pâle. Jem’étaissentimalaprèscoup.Jenem’attendaispasàcequetoutel’écolel’appellecommeçachaquejourdelasemaine.QuandBrookeavaitemménagéenville,elleavaitdèslepremierjourenvoyépromenerungroupedefillesquis’étaientmoquéesdeLissa.Depuis,cettedernières’accrochaitàBrooke telleunebandedeVelcro.
Etainsi,commesi jen’avais jamaisditàBrookequ’elleétaitmoche,etcommesiellenem’avaitjamaisdécochédecoupdepied,nousnousretrouvâmesànousasseoirensembleprèsdelamarepourlesdeuxheuresquisuivirent.MoncopainMitchellavaitfiniparnousrejoindre,etnousnousétionsallongéstouslesquatredansl’herbepourobservercesmyriadesdecouleursexploserdanslecielétoilé.EtmêmesiLissaetMitchell étaient làavecnous,Brookeetmoicontinuâmesànouscomportercommesinousétionsseuls.Nousriionsdenosblaguesstupidesetnousmoquionsdesgensquipassaientprèsdenous.C’étaitdeloinlameilleuresoiréedemavie,etellenefaisaitquecommencer.
Peuaprèslafindufeud’artifice,alorsquelesténèbress’étaientredéposéessurlepré,laplupartdesgensavaientdéjàremballéleursaffairespourrentrer.
MamèremeretrouvaavecBrooke,LissaetMitchell.—Ilestl’heure,medit-elle.Brookeétait allongéeprèsdemoi, la têteposéecontremonépaule. Jenem’enétaispasvraiment
rendu compte,mais cela n’échappa pas àmamère. Je perçus une lueur dans son regard – à l’envers,puisqu’elle se tenait derrière nous, ce qui ne la rendait que plus effrayante – que je n’y avais encorejamaisvue.Jemelevaietmetournaiverselle.
—Est-cequejepeuxresterunpeupluslongtemps?—Non,Elias,jetravailledemainmatin.Etilestdéjàtard.D’ungestedesamainlibre,ellemefitsignedelasuivre.Jem’exécutaiàcontrecœur.—Oh,allez,s’ilvousplaît,madameKline?plaidaMitchell,quiavaitl’airbenêtavecsesdentsdu
devantmanquantesetsescheveuxlongsdanslecou.Onrentreraensemble.Mitchellavaitunandeplusquemoi,maisjen’avaiscertainementpasbesoinqu’ilmeraccompagneà
lamaison.Celamemitencolère,sansdouteparcequecelameridiculisaitdevantBrooke.JedécochaiàMitchellunregardmauvais,quis’excusad’unairembarrassé.
—Àplustard,lescopains,dis-je.Jeprislaglacièredesmainsdemamèrepourlasoulagerunpeudupoidsqu’elleportait,puisjela
suivisàtraverslechampjusqu’ànotrepick-upgarésurlarouteenterre.TanteJanicenousfitaurevoirdelamainetpartitdanssavieilleChevroletCorsica,quis’éloignaentoussotant.
Mamanallasecoucherdèsnotreretouràlamaison.Elleétaitgéranted’unhôteletn’avaitquepeudetempsàelle.MonpèrehabitaitàSavannah.Ilsavaientdivorcétroisansplustôt.J’entretenaiscependant
unesuperrelationavecl’uncommeavecl’autre.Jepassaissouventl’étéchezmonpère,saufcetteannée-là, car il avait dû partir dans leMichigan pour son travail. Pour la première fois depuis le divorce,j’allaisdoncpasserlesvacancesàAthens.
J’appelleçaledestin.Sansça,Brookeneseseraitjamaisprésentéedevantlafenêtredemachambrecettenuit-là,n’auraitjamaisfrappéaucarreauduboutdudoigt.Jemedemandaicommentellesavaitoùj’habitais,maisjeneluiposaipaslaquestion,medoutantqueMitchellouLissaavaientdûlarenseigner.
—Tuesdéjàaulit?semoqua-t-elleavecuneincrédulitéfeinte.J’achevaideremonterlafenêtre,etl’airhumidedel’étés’engouffraàl’intérieur.—Non,jesuisjustedansmachambre.Qu’est-cequetufaisici?Unlégersourirevintétirerlecoindeseslèvres.—Tuveuxvenirnager?medemanda-t-elle.—Nager?—Ouais.Nager.(Ellecroisalesbraset inclinalatêtedecôté.)Àmoinsquetuaieslatrouillede
fairelemur?—Jen’aipaslatrouilledefairelemur.Enfait,si,unpeu.Simamèrem’attrape,ellemefouetteraaveclatapetteàmouches.—Alorsprouve-le,dit-elleenm’adressantunsignedelamain.Viens.Undéfi.Tapetteàmouchesoupas, jenepouvaispasmedébiner faceàpareilleprovocation,sans
quoiellenemanquerait jamaisdemelerappeler.Elleleraconteraità toutel’écoleetmemettraitmescopains à dos. Puis la ville entière saurait que je n’étais qu’une poulemouillée qui avait peur de samaman,etjegrandiraisenpariasansjamaisavoirdepetiteamie.JefiniraisSDFetmourrais,vieillard,sous le pont où je dormirais – voilà les choses quemeprédisaitmamère si j’envisageais un jour delaissertomberl’école.
Bon,clairement,jemefaisaistouteunemontagnedecetteescapadenocturne.Je me mordis la lèvre inférieure, y réfléchissant quelques instants. Quand je remarquai qu’elle
s’apprêtaitàse remettreàblablater, jebasculaiune jambepar-dessus le rebordde la fenêtreetsautaidehors,réussissantunatterrissageparfaitementsilencieuxdontjenefuspaspeufier.
Brooke,unlargesourireauxlèvres,mepritparlamainetm’entraînaàsasuite.Jedoisbienreconnaîtreavoirpenséàlatapetteàmouchesduranttoutenotrecoursejusqu’àl’étang.
2
ELIAS
BROOKE ÉTAIT TELLEMENT LIBRE D’ESPRIT QUE RIEN dans cemonde ne semblait l’inquiéter. Jem’enrendis compte lorsque nous atteignîmes les abords du champ et qu’elle me lâcha la main pour s’yprécipiter.Elletendaitlesbrasloinau-dessusdesatête,commepoursesaisirdesétoiles.Sonrireétaitsi communicatif que jeme surpris àm’esclaffer en laprenant en chasse.Nous sautâmespar-dessus leborddupontonbranlantetfendîmesl’eauavecunploufretentissant.Ellenepritpasmêmeletempsderetirersestongsnimoimachemise.
Nousnageâmesunmoment,etjeluiéclaboussailevisagechaquefoisquej’eneusl’occasion,jusqu’àcequ’elleenaitassezetregagnelarive.
—Tuasdéjàembrasséunefille?medemanda-t-elle,meprenantcomplètementaudépourvu.Jeluilançainerveusementunregardencoin;assissurlajetée,nousfaisionslentementalleretvenir
nospiedsdansl’eau.—Non.Ettoi?Ellem’assenaunpuissantcoupd’épauleetgloussaenm’adressantunehorriblegrimace.—Turigoles?Jen’embrasseraijamaisunefille.C’esttropcrade.Je ris àmon tour. Je nem’étais pas rendu compte de ce que j’avais dit avant qu’elleme le fasse
remarquer;j’étaistropobnubiléparlaquestiondubaiserpouryréfléchir.Jelaissaisnéanmoinscouler,commesij’avaisditçapourrigoler.
—Jen’aijamaisembrasséungarçon,reprit-elle.Un silence gêné s’installa. J’étais à peu près certain que l’essentiel de la gêne émanait de moi.
J’avalaimasaliveenobservantlasurfacecalme.Detempsàautre,j’entendaisunfeud’artificeéclaterquelquepartauloin.Endehorsdeça,seullebruitdesgrillonsetdesgrenouillesnousentourait.
Ne sachant pas quoi répondre, n’étant même pas certain d’être censé répondre quelque chose, jedemandai:
—Pourquoipas?—Pourquoipasquoi?—Pourquoitun’asjamaisembrasséungarçon?Ellemeconsidéraavecunairsuspicieux.—Ettoi,pourquoitun’asjamaisembrasséunefille?Jehaussailesépaules.—J’saispas.C’estjustejamaisarrivé.
—Ehben,tudevraispeut-être.—Pourquoi?—Jesaispas.Nouveausilence.Nousobservâmesl’ondeensemble,lesmainsserréessurlesplanchesduponton,le
corps voûté entre nos épaules crispées, nos pieds s’agitant régulièrement dans l’eau et provoquant depetitsplispoétiquesensurface.
Jemepenchaiversellepourl’embrassersurlajoue,justeauborddeslèvres.Ellerougitetsourit,etmêmesijesavaisquejedevaisêtreécarlate,jen’enavaiscureetneregrettais
pasmongeste.J’avaisenviederecommencer.Avantquejen’enaiel’occasion,Brookebonditsursespiedsetrepartitencourantàtraverslepré.—Deslucioles!s’exclama-t-elle.Jemelevaietlaregardaicourirsouslecielétoilé,jusqu’àcequ’elledeviennedeplusenpluspetite.
Descentainesdepointslumineuxjaune-vertclignotaientdanslanature.—Viens,Elias!Leventportamonnom.Jesavaisquejen’oublieraisjamaiscettenuit-là.Jenepouvaisalorspascomprendrepourquoi,mais
quelquechoseenmoilesavait.Jenel’oublieraisjamais.Jem’élançaiàsestrousses.—Onauraitdûapporterunbocal!Elle n’arrêtait pas de tendre les mains pour tenter de s’emparer de l’une des lucioles, mais elle
arrivaittoujoursunesecondetroptard.Je réussis à mon troisième essai et la maintins précautionneusement dans le creux de mes mains
jointesafindenepasl’écraser.—Oh,tuenaseuune!Faisvoir!J’écartailentementmesdoigtsetBrookeobservaparleminusculeintersticeentremonpouceetmon
index.Touteslesquelquessecondes,mapaumes’illuminaitfaiblementavantdes’éteindreaussitôt.—C’esttellementjoli,s’extasia-t-elle,lesyeuxécarquillés.—Commetoi,répondis-je.J’ignoraiscequim’avaitpousséàdireça.Àvoixhaute,entoutcas.Brookemesouritavantdeserepenchersurmesmains.—Allez,libère-la,medit-elle.Jeneveuxpasqu’ellemeure.J’ouvrismesmainsetleslevai,maislaluciolerestaàrampersurlapulpedemondoigt.Quandjelui
soufflaidessus,elledéployasesminusculesailesnoiresets’envolafinalementdanslesténèbres.Brookeetmoipassâmeslanuitàcourirdanslechamppourattraperlesluciolesouàcontemplerle
ciel, allongés dans l’herbe. Elle me parla de sa sœur, Rian, une vraie snob qui n’arrêtait pas d’êtreméchanteavecelle.Jeluiparlaidemesparents,carjen’avaisnifrèrenisœur.Ellemeditquej’avaisdelachance.Nousdiscutâmesuneéternité,c’estdumoins l’impressionque j’eus.Nousavionsbeauêtrejeunes, nous nous étions profondément liés cette nuit-là. J’avais la conviction que nous deviendrionsd’excellentsamis,encoremeilleursqueMitchelletmoi,alorsquejeleconnaissaisdepuislapremièreannéedematernelle,quandilavaitessayédemepiquermasaladedefruitsaudéjeuner.
Etavantlafindelanuit,nousavionsfaitunpactequi,plustard,nousaideraitànoustirerdebienmauvaispas.
—Promets-moi qu’on restera toujoursmeilleurs amis,meditBrooke, allongéeprès demoi.Quoiqu’ilarrive.Mêmesitudeviensmocheetquejedeviensméchante.
J’éclataiderire.—Tuesdéjàméchante!Ellemedécochauncoupdecoude.—Ettoi,tuesdéjàmoche,répliqua-t-elleenrougissant.Jefinisparcapituler,mêmesijen’avaisguèrebesoind’êtreconvaincu.—D’accord,jetelepromets.Nousrecommençâmesàobserverlesétoiles.Elleavaitlesmainscroiséessurleventre.Je ne savais pas dans quoi jemettais les pieds avec cette BrooklynBates. J’ignorais tout de ces
choses quand j’avais neuf ans. Tout.Mais jamais je ne regretterais un instant passé en sa compagnie.Jamais.
On nous retrouva, Brooke etmoi, le lendemainmatin, profondément endormis dans l’herbe. Nousfûmesréveilléspartroisflics,M.Parson–lepropriétairedeslieux–etmamèreaffolée,quipensaitquej’avaisétékidnappédansmachambre,fourrédansunevaliseetabandonnéquelquepartsurlebordd’uneautoroute.
—Elias!Oh,Dieutout-puissant,jetecroyaisparti!Elleme prit dans ses bras etm’étreignit si fort que je crus quemes yeux allaient sortir de leurs
orbites. Puis elle s’écarta pourm’embrasser sur le front,m’humiliant au plus haut point, avant demeserrerdenouveaudanssesbras.
LesparentsdeBrookeétaientlà,euxaussi.—Tuaspassétoutelanuiticiaveclui?luidemandasonpèred’unevoixsévère.Mamère semit immédiatement sur la défensive. Elle passa un bras autour demes épaules etme
plaqualatêtecontresonventre.—Votrefille,commença-t-elle(etjetressaillisavantmêmequ’elleailleauboutdesaphrase),ala
languebienpendue.Monfilsneseseraitjamaisenfuienpleinenuitsiellenel’yavaitpasincité.Oh,punaise…Jepoussaiunsoupiretlevailatêtecontreelle.—Maman,je…— Vous êtes en train de dire que c’est la faute de ma fille ? intervint la mère de Brooke en
s’interposantphysiquementdevantlamienne,quinesedégonflapaspourautant.—C’esttoutàfaitça.Brookeseratatinaderrièresonpère,etpluslessecondespassaient,plusjemesentaismaldelavoir
accusée.Avantqueleschosesnedégénèrent,jemelibéraidel’étreintematernelle.—Putain,maman…!Elleeutsoudainunairsifarouchequej’enperdisl’usagedelaparole.—Surveilletonlangage,Elias!PuiselleseretournaverslesparentsdeBrookeetdéclara:—Vousvoyez,Eliasneparlejamaiscommeçad’habitude.—Arrête!S’ilteplaît!Jesuissortidemonproprechef,Brooken’arienàvoiravecça!Jedétestaiscrier.Jedétestaisavoiràremettremamèreàsaplacedelasorte,maisjedevaisdirece
quej’avaissurlecœur,ainsiqu’ellemel’avaittoujoursappris.Défends les plus faibles, Elias. Ne recule jamais, et ne laisse jamais quelqu’un profiter de
quelqu’und’autresansintervenir.Faisetdistoujourscequitesemblejuste,quoiqu’ilarrive.J’espéraisqu’ellesesouviendraitdecesconseilslorsquenousserionsderetouràlamaison.Ellepoussaunprofondsoupir,etjevislacolèreladéserterpeuàpeu.
—Jesuisdésolée,dit-elleauxparentsdeBrooke.Sincèrement.J’aieutellementpeurqu’illuisoitarrivéquelquechose…
LamèredeBrookehochalatête,acceptantvolontierslesexcusesdelamienne.—Jecomprends.Jesuismoiaussinavrée.Etheureusequ’ilsaillentbien.LepèredeBrookerestamuet.J’avais lesentimentqu’ilnepasseraitpas l’épongeaussifacilement
quesonépouse.Je fuspunipour le restede l’étéàcausedecettepetiteescapade.Etoui, j’eusdroità la tapetteà
mouches ce jour-là, après quoi je jurai de ne plus jamaism’enfuir de lamaison.Mais pour Brooke,depuislorsetjusqu’àlafindulycée,ilm’arrivamalgrétoutderefairelemur.Souvent.Maisjenemefisplusjamaisprendre.
Vousvousdemandezsûrementpourquoi,aprèsêtrerestésmeilleursamispendantsilongtemps,aprèsavoir fréquenté la même école, travaillé ensemble au supermarché du coin, et même régulièrementpartagélemêmelit,pourquoinousnesommesjamaisdevenusplusquedesamis.
Ehbien,envérité,c’estarrivé.
3
ELIAS
Ilyaquatreans…J’AIEUVINGT-DEUXANSLE2AOÛT,UNESEMAINEAPRÈSavoiremménagédansmonpremierappartement.
Commechaqueannée,Brooke insistaitpourque jene restepaschezmoi le jourdemonanniversaire.Ellevoulaitmetraîneràjenesaisquellefête,mepousseràmebourrerlagueule,àm’amuser.Etsijen’avaisriencontrelessoirées,l’alcooloulescoupsd’unsoiroccasionnels,ladernièrefoisqueBrookeavaitorganiséquelquechose,j’avaisatterrienprisonetelleauxurgences.Unevraiebonnenuitdefolie,poursûr.
—Çane se passera pas comme l’autre fois,m’assura-t-elle depuis la porte, tentant encoredemeconvaincre.
Ellelarefermaenpoussantlebattantdupiedetdansalittéralementjusqu’aumilieudusalon.Elleselaissatombersurmonfauteuildémesuréetpassasesjambespar-dessusl’accoudoir.
Jeclaquailaportedufrigo,m’installaisurl’ottomaneàcôtéd’elleetbusunegorgéedeGatorade.—Tuveuxdirequ’aucunconnardneglisseradeladroguedanstonverreavantdes’envanterdevant
moi,meforçantàluicasserlagueule?(J’éclataiderireetavalaiunenouvellelampée.)C’estlegenredetrucdifficileàprévoir.
Ellesepenchaversmoietmepassalesbrasautourducou.L’odeurdesescheveuxfraîchementlavésetdesapeaulégèrementparfuméem’enivra.
—Jeneboirairien,àmoinsqueLissaoutoinememettiezpersonnellementleverredanslesmains,affirma-t-elleavantdem’embrassersurlajoue.
Jedétestaisquandellefaisaitça.Meilleursamis,peut-être,maisçanem’empêchaitpasdebander.—Bon,d’accord,finis-jeparcapituler.Maistudoismepromettredebientetenir.Jeluibrandisunindexmenaçantsouslenez.Enréalité,demanderàBrookedebiensecomporterétaitunerequêtepresqueinévitablementvaine.
Maisaucundesesagissementsn’auraitpum’éloignerd’elle.Ellelevalesmainsensignedereddition.—Putain,jelejure,s’esclaffa-t-elle.Jeseraisage.Sinon,jetedonnel’autorisationdemefessercul
nu.Oh,bordeldemerde…sérieux?C’estencorepirequesonbaisersurlajouede«meilleureamie».J’inspirai longuementpour reprendremesesprits,puisme levai,bouteilledeGatorade toujoursen
main.
—Oùtuvas?—M’habiller?Jemetournaiverselle,commesielleavaitposéunequestionparfaitementidiote.—Tuestrèsbiencommeça,m’assura-t-elle.Tuasunpetitculd’enfer,commed’habitude.Ellemetiralalangueavantdemedétaillerdepiedencap.Elleavaittendanceàmereluquersouventdepuisquenousnousconnaissions.Jemedemandaissielle
partageaitsecrètementlessentimentsquej’avaistoujourséprouvésàsonégard,maisjen’arrivaispasàenêtresûr.Jesavaisqu’elle tenaitàmoietque je l’attirais,maisnousenvisagerensemblememettaitdanslemêmeétatdeperplexitéquevousl’êtessansdoute.Jenerépondispasetallaimechangerdansmachambre.
Ellem’ysuivit.Siellem’avaitdéjàvunudenombreusesfois,jetrouvaicettefoissoncomportementcurieux.—Elias?Jemeredressaidutiroirdanslequelj’étaisplongé.—Ilyauntrucquejevoudraistedire.C’était important.Jeneluiavaisquerarementvuunairaussisérieux,etchaquefoisnotrerelation
étrange avait évolué par la suite, telle une toile en noir et blanc que l’on viendrait progressivementcolorer.Jusqu’àprésent,cettepeinturen’étaitrempliequ’auquart.Lapremièretouchedecouleurdataitdujouroùellem’avaitavouéavoirétédéfloréeparMichaelPearson–çaavaitbienfaillimetuer.LadeuxièmequandjeluiavaisrévéléavoirétédépuceléparAbigailRutherford–jecrusalorsqueBrookeallait me détester éternellement. Apparemment, Abigail Rutherford était sa pire ennemie, même si jen’avais jamais eu cette impression avant de coucher avec elle.Une troisième fois quand ellem’avaittaillémapremière pipe,m’affirmant qu’elle avait « besoin d’entraînement » – j’avais passé les jourssuivantssurunpetitnuage.Jen’arrivaisplusàmesortircetteimagedel’esprit,moinsàcausedel’actelui-mêmequedufaitqu’ellem’aitaccordél’honneurd’êtreson«premier».Etunedernièrefois,quandjel’avais léchéedansmavoituredansuntunnel,parcequ’ellem’avaitmisaudéfide lefaire.Brooken’arrêtait pas de me surprendre. Toujours dans le bon sens du terme. Ouais, ces coups de peinturevenaientvraimentilluminerletableaudenotrerelation.
Tandisquej’étaisdeboutdevantmontiroir,unboxerpropreàlamain,jemedemandaisbienquellecouleurelleallaitajoutercejour-là.
Elles’assitauboutdemonlit.Sescheveuxd’unbrunsoyeuxvenaiententourerlapeaudepêchedesonvisageetcascadersursesépaulesdénudées.
—Qu’est-cequ’ilya?demandai-jeententantdenepaslaisserparaîtremonimpatience.Ellesetournaversleplacard,puisreportasonattentionsurmoi.—Madelynseraprésenteàcettefête.Jepensaisdevineroùcetteconversationallaitnousmener,sansenêtretoutàfaitcertain.J’avaisdu
malàlireenBrooke,cequin’avaitriend’habituel.—Et?—Etjesaisquetuenpincespourelle.Jenel’aimepas.Brookeavaitdumalàtrouversesmots.Jevoyaisbiensursonvisagequ’ellevoulaitajouterquelque
chose. Elle ne me disait pas tout. Je pensais savoir ce qu’elle me cachait, mais j’avais besoin dedavantagedepreuves.
Laissanttomberl’idéedemechanger, jerefermailetiroiretm’adossaiàlacommode,croisantlesbrasdevantmoi.
—Jen’enpincepaspourelle,affirmai-je.(Jen’auraisriencontrelefaitdecoucheravec,maisça
s’arrêtelà.)Pourquoitunel’aimespas?— Elle est… eh bien, elle n’est pas celle qu’il te faut. Elle est gentille, mais j’ai un mauvais
pressentiment.(Pluselleessayaitdes’expliquer,plusellesemblaitgênée.)Fais-moiconfiancelà-dessus,d’accord?
Elledéglutitavecnervosité.Jem’accroupisdevantelle,forçantsonregardbleuàsoutenirlemien.—Pourquoitunemedispascequetuasréellementsurlecœur?—Tuvoistrèsbiencequejeveuxdire.—Sincèrement,non.Tentantd’esquiverlaconversation,elleselevapourgagnerl’autreboutdelapièce.—Nefaispasça,dis-jeenmeredressantàmontour.Onjoueàcepetitjeudepuisqu’onestgamins.
Ilfautqueçacesse.(Jem’approchaidanssondos.)Etsionessayait,Brooke?Elletournalatêtepourm’observer,sesyeuxtrahissantàlafoissonincompréhension,sasurpriseet
soninquiétude.Seulelapremièren’étaitpascrédible.Ellesavaitexactementdequoijevoulaisparler,etellelecachaittrèsmal.
—Essayerquoi?Jeluiposailesmainssurlesépaules.—D’êtreensemble.Mesmotssemblèrentconsumertoutl’oxygènedelapièce,quiplongeadansleplusprofondsilence.
Pendantunlongmoment,ellemecontemplasansciller.—J’aienvied’êtreavectoidepuisqu’ons’estrencontrésdanscechamp,Brooke.Tulesaistrèsbien
–tu l’as toujourssu.Maischaquefoisquej’essaiedemerapprocherdetoi, tumerepousses.Etsionarrêtaitdesementiretqu’on…semettaitensemble?
Sesgrandsyeuxbleusplongèrentausol.Ellereculad’unpas,retournas’asseoirauborddulit,serrasescuissesautourdesesmains.Lefaitqu’elle fuiemonregardcommençaitàm’agacer.Jevoulais luidirequelquechose,n’importequoi. Je revinsm’accroupirdevantelle,posai lesmains sur sesgenouxnus.
—Jet’enprie,regarde-moi,plaidai-jedoucement.Disquelquechose.Au prix d’un gros effort, elle finit par redresser la tête. Je vis dans ses prunelles qu’elle était
partagée.—Jenepeuxpas,déclara-t-elle.—Pourquoipas?Jeneteplaispas?Sic’est lecas,dis-le.Jem’enremettrai.Çanemeferapas
plaisir,maisaumoinsjesauraiàquoi…—Çan’arienàvoiravecça,affirma-t-elleensecouantlentementlechef.—C’estàcausedetonpère?m’enquis-je.Jesaisqu’ilnem’ajamaisvraimentapprécié.—Non,Elias.Çan’arienàvoiravecçanonplus.Tudevraislesavoir,depuisletemps.—Putain,alorsqu’est-cequec’est?(Monénervementcommençaitàs’entendre,etsansdouteàse
liresurmestraits.)Jenecomprendspas.Onestcommeculetchemisedepuisqu’onesttoutpetits.Çaatoujours été toi etmoi,Brooke etElias,meilleurs amispour la vie, comme tu le gribouillais dans tescarnets.Merde,ona tout fait sauf coucher ensemble.Et tu temets encolère aprèsmoidèsque jemerapprocheunpeutropd’unefille.
—Tuesentraindemetraiterdejalouse?s’empressa-t-ellederépliquer.—Exactement,répondis-jeavecsincérité,mêmesij’abhorraisl’idéedeluifairedelapeine.Ellesavaitaussibienquemoiquec’étaitlavérité,jedécidaidoncd’enfoncerleclou.—Tunetrompespersonned’autrequetoi.
Jenecomprisquetroptardquetropdevéritésfiniraientparlabraquer.Elle me repoussa et se dirigea vers la porte, mais je la rattrapai par le coude et la forçai à se
retourner.—Çamefout la trouille !hurla-t-elle,medésarçonnantcomplètement.Tues laseulechosestable
dansmavie,Elias.Jesuisincapabledefairedurerunerelation.Jefaistoujourstoutfoirer!(Elleagitafurieusementlesmainsdevantelle.)C’étaitquoi,maliaisonlapluslongue?
Jerestaimuet.Jeconnaissaislaréponse,maisjen’avaispasl’impressionqu’ils’agissaitréellementd’unequestion.
—Deuxmois, reprit-elle en brandissant autant de doigts.Mon record est de deuxmois.Michael.Troissemaines.Austin.Deuxsemaines.Jack.Unmois.Putain,jenesuissortieavecAveryquedeuxjoursavantdeleplaquer.Deuxjours!C’estlamentable.
—Mais quel rapport avec nous ?m’écriai-je presque aussi fort qu’elle.On n’est pas comme lesautres.Jenesuispascommecestypes.Sideuxpersonnespeuventfairedurerunerelation,c’estbientoietmoi.
—Justement!(Ellepleuraitpresque.)Tun’espascommeeux!Tuesleseultypesurcetteplanèteauqueljetiens.
Deslarmessemirentàroulersursesjoues.C’est à cet instant que je finis par découvrir la vérité. Brooke avait peur de me perdre, et faire
franchirl’étapeultimeànotreamitiéétaitunrisquequ’ellen’étaitpasprêteàcourir.—C’estmapire crainte, confirma-t-elle en contemplant ses pieds.Que les choses changent, entre
nous.Jelesais,Elias…Jelesens…Sinotrerelationévolue,sinotrefaçond’êtreévolue,rienneserajamaispluscommeavant.Onfiniraparrompreetparsuivrechacunsaroute,etlesimplefaitd’imaginermaviesanstoimebriselecœur.
Elleétaitdésormaissecouéedesanglots.Jem’assisparterreetlaprisdansmesbras,l’étreignantpuissamment.Jeluiembrassailescheveuxet
m’efforçaidenepaslaissercoulermespropreslarmes.Carjelacomprenais.Commejelaconnaissaispresquedepuistoujours,jelacomprenaismieuxquen’importequid’autre.
Commejeledisais,Brookeétaitquelqu’undecompliqué.Unefilletoujourssûred’elle,quelesautresgaminesdel’écolerespectaientetadoptaientenexemple.
Elleétaitlibreeteffrontée,parfoismêmetrop.Engrandissant,elleeutplusd’ennuisquejenel’auraiscrupossiblepourcettefilleque jepensaisdouceet innocente.Ellen’avaitpeurderien,pasmêmedel’illégalité,cequiluivalutunesemainedemaisondecorrectionquandelleavaitseizeans.Vandalisme:elleavaitétésurpriseàtaguerlafaçaded’uneépicerie.Maisellen’étaitpasunemauvaisefille,justedugenrerebelleetintrépide.
Sonplusgrosdéfautétaittoutefoissonincapacitéàtisserdesliensaveclesautres.Amis.Petitsamis.Famille.Ellen’avaitjamaisétéprochedequiquecesoit.Lapremièrefoisquejel’avaisvueinteragiravecsesparents,j’avaiseul’impressionquesafamilleétaittrèsdifférentedelamienne.Mamèreetmonpèremedisaient toujoursqu’ilsm’aimaientavantque j’aillequelquepartouquenous raccrochions letéléphone.Brookeetsesparentsneseledisaientjamais,oudumoinsjenel’avaisjamaisentendu.Lesparents de Brooke semblaient se ficher de la voir aller où elle voulait. Les miens étaient stricts, etm’avaientimposéunimprobablecouvre-feuà20heuresjusqu’àmesquinzeans.Ilmefallutuneéternitépourcomprendrepourquoilessienslatraitaientdelasorte.Etj’allaisencoredevoirattendrebiendesannéesavantque toutes lespiècesdupuzzleBrooklynBatessemettent réellementenplaceetque touts’explique.
J’étaistoutcequeBrookeavaitjamaiseu.
Sonaffectionpourmoi, saproximité, je savaisdepuis ledébutqu’il s’agissaitd’amour.Mais ellel’ignorait,carellen’avaitjamaisrienvécudeteljusqu’alors.Elleavaitgrandienrepoussantlesautres,carc’étaitleseulmodedefonctionnementqu’elleconnaissait.Lorsquequelqu’unavaittendanceàtropserapprocher,ellelerepoussaitenuninstant,commesiunesirèned’alarmesedéclenchaitsoudaindanssatête.
Cen’étaitpasune fillebrisée.Ellen’avait jamaisétémaltraitéeetn’avaitpaseuuneenfance trèsdifficile. Simplement, elle était dépourvue de la capacité à reconnaître, analyser et traiter certainesémotionssignificatives.
Malgré toutes ses tares, ses excentricités et, parfois, ses exagérations, je l’aimais plus que tout aumonde.
Etjesavaisqueceseraittoujourslecas.Ilétaitcependanttempsdetaperdupoingsurlatable.—Çanedurerapaséternellement,affirmai-jeenplongeantmonregarddanslesien.Onnepeutpas
passerlerestedenotrevieàn’êtrequedesamissansjamaisfréquenterpersonne.Sespleurscessèrentinstantanémentetellesefigea.—Qu’est-cequetudis?Jeme radoucis, tentant de bien choisir lesmots que jem’apprêtais à prononcer. Je remontaimes
mainslelongdesesbrasjusqu’àluiprendrelesjoues.Jeluicaressailapommettedupouce.Puisjeluimentis.—Jenepeuxpascontinuercommeça,affirmai-je.Jeveuxaimer,etêtreaiméenretour.Jeveuxme
marierunjour,avoirdesenfants.C’estpeut-êtrevieuxjeu,maisc’estcommeça.Ellevoulaitsedétourner,maisenétaitincapable.Elleétaitfigéesurplace,lecorpstoutcontracté.—J’ailongtempsimaginéqueçapourraitêtreavectoi.Jel’aitoujoursvoulu.Maissiturefusesne
serait-ce que d’essayer, alors on devrait peut-être arrêter de se voir. Ce… truc qu’il y a entre nous,cette…relationn’estpassaine.
Ellereculad’unpas,medévisageanttoujourssansciller.—C’estvraimentcequetuveux?medemanda-t-elle.Sestraitsdélicatsétaientdépourvusd’expression,maissesyeuxrecelaientunequantitéconsidérable
dechagrinréprimé.—Cequejeveux,c’estêtreavectoi.Voilàcequejeveux.Cequej’aitoujoursvoulu.Jeserrailespoingsdevantmoi.J’étaistoutentierconsuméd’émotion,ayantdésespérémentbesoinde
luifairecomprendrecombienjel’aimaissansavoiràprononcerlesmots.Lemomentsemblaitmalvenupourlesluidire.J’avaistroppeurdelafairefuir.
Jecrusqueçaallaitêtrelafin.Lafindenotrehistoire,lafindetoutcequenousincarnions.Jeneredoutaisrientantquedelavoirtournerlestalonsetsortirdemavieparcetteporte.C’étaitpourtantceàquoijem’attendais.Envérité,j’étaisprêtàl’attendrepourl’éternité.Jeneparvenaispasàm’imaginerdansunerelationsérieuseavecuneautre fille.Lesexe?Biensûr, jesuisunmec,et j’adoreça.Maisaimer une autre personne queBrooke neme paraissait pas envisageable.Car j’étais prêt à l’attendre.J’auraispumecontenterdeça,dece statutpeuconventionneldemeilleursamisquipartageaientbienplus que leurs secrets et leur lit. Mais, avec Brooke, je savais que je devais être brutal. J’avaisl’impressionqu’ilm’incombaitdeluifairecomprendrequenotrerelationactuellenecorrespondaitpasàses aspirations.Même si celame faisaitmal, je devais lui faire savoir que j’étais d’accord pour quechacunvivesavie.Jenevoulaispasqu’elles’accrocheà l’idéed’un«nousdeuxpour l’éternité»etcontinuederepousserlesautresàcausedemoi.
Jenevoulaisquesonbonheur.
Dosàmoi,Brookedécroisalesbrasetleslaissatomberlelongdesesflancs.Elleseretourna.J’attendis,retenantmonsoufflesansm’enrendrecompte.Puis,alorsquejevoyaislafinarriver,elledéclara:—D’accord.J’aienvied’êtreavectoi.J’aienvied’essayer.Cette nuit-là, après la fête, nous fîmes l’amour pour la première fois depuis que nous nous
connaissions.Mais ça ne se passa pas comme je l’avais espéré. Brooke changea. Je le remarquai enm’allongeantsurelleetenmenoyantdanssesyeuxbleusmagnifiques.Ellesemblaitsavoir,avantmêmequecelaseproduise,quesinouscouchionsensemblerienneseraitpluscommeavant.Puis,àmesurequelesjoursdéfilèrent,nousnouséloignâmesunpeuplusl’undel’autre.Nousrompîmesauboutdequatremois.Deuxmoisplustard,elledéménageaitenCarolineduSud.
Etjenefusplusjamaiscommeavant.
4
BROOKE
JESAISCEQUEVOUSVOUSDITES:QUELLESALOPE.ETJEnevaispasvousdonnertort.Jenesavaispasoùj’enétais,àl’époque.J’aimaisEliasdetoutmoncœur,etçamefoutaitunetrouillebleue.
Il faut cependant que je précise un truc avant deme plonger dans les excuses pour justifier moncomportement.Jesuissûrequ’Eliasm’acouverted’éloges,maisiln’estpasobjectif.Quitteàracontercettehistoire,autantdiretoutelavérité,rienquelavérité,etnepass’encombrerdepincettes.
J’étaisenvrac.Non,personnenem’avaitviolée,tabasséeouharceléedurantmonenfance.Mesparentsm’aimaient.
Peut-êtrepasautantquemasœurRian,maisj’avaisl’impressionqu’ilsm’aimaient.Simplement,ilsnelemontraientpasdelamêmemanièrequeceuxd’Elias,secontentantdem’offrirlesmeilleursjouetsàNoëlet pour mon anniversaire, de m’accorder de l’argent de poche et de me gratifier d’une accoladeoccasionnelle quand j’accomplissais quelque chose de bien. Parfois. Toutefois, chacune de cesembrassadessemblaitforcée,effectuéesouslacontrainte.J’avaisdesproblèmes.Çanefaitaucundoute.Et,pendantl’essentieldemonenfance,mesparentsontfaitleurpossiblepourm’aider.Ilsontsimplementfiniparabandonnerl’idéedemesoignercomplètement.Maisjenereprocheàpersonnemafaçond’être.Unpsychologuedésignépar l’Étatpourm’examinerquandj’aieumespetitsdémêlésaveclapoliceeteffectuéuncourtséjourenmaisonderedressementl’aqualifiéedetroublebipolaire.Moi,jevoyaisplusleschosesde l’unedes façonssuivantes :onest tousdifférents ;ona tousnospetitesbizarreries,nospetitsdéfautsetnospetitssecrets;onesttousplusoumoinsbarjots,qu’onacceptedel’admettreoupas.Etj’aimeàcroirequenospetitssoucisduquotidienn’ontpasforcémentàêtreétiquetés.
Jelerépète:j’étaisenvrac.C’étaitaussisimplequeça.Bon,justepourêtreclaire:jen’aipasquittéEliasetlaGéorgieparcequej’aicessédel’aimer.Au
contraire.Jesuispartieparcequejetenaisencoreplusàlui,cequejenepensaismêmepaspossible.Jen’aijamaisvraimenteupeurdequoiquecesoit,saufd’Elias.Jecroisque,dansuncoindematête,jemedisaisque,sijelequittaisd’abord,sic’étaitmoiquimettaisuntermeàcetteétrangerelationquenousentretenions,çameferaitpeut-êtremoinsmalquesiçavenaitdelui.Celameconféraitunsentimentdemaîtrise.C’estdumoinscequejem’encourageaiàcroirependanttoutletrajetjusqu’enCarolineduSud.Mais, une fois sur place – j’avais emménagé avecmon amie Lissa, qui voulait se rapprocher de sonfrère–,jenetardaipasàmerendrecomptequej’avaiscommislaplusgrosseerreurdemavie.
Mais, au lieude faire cequi s’imposait,d’écoutermoncœuretde retourner chezmoienespérantqu’ilmereprenne,j’aifaitlecontraireetjemesuisencorepluséloignéedelui.Peut-êtrepourmepunir
d’êtrelapireimbécilequelaplanèteaitpuconnaître,jel’ignore;entoutcas,celameprécipitadanslesbrasd’ungarçonaveclequelj’allaisresterunansansjamaisl’aimer.
J’essayaisd’avancerdansl’existence,maisplusletempspassait,plusjemerendaiscomptequ’ellen’avaitaucunsenssansElias. Il était toutemavie. Il l’avait toujoursété,depuisce jouroùnousnousétionsrencontrésprèsdel’étang.
Jeregrettedenepasavoiracceptécettevéritéplustôt.Car,quandjel’aifait,ilétaittroptard.Eliasavaitunepetitecopineet,àencroirenotreamid’enfanceMitchell,c’étaittrèssérieuxetilen
étaitprofondémentamoureux.C’estàcemoment-làquejemesuismiseàmefoutredetoutetdetoutlemonde.J’ailaissétomberla
vie,sanspourautantmesuicider.Jenetrouvepasdemeilleurefaçondeledécrire.J’étaiscomplètementmorte à l’intérieur.Mais personne d’autre ne le savait. Seul Elias aurait compris que j’avais un grosproblème,quel’imagequejerenvoyaisaumonden’étaitqu’unmasquevisantàdissimulerlemalquimerongeaitlentementl’âme.Maisjenel’aijamaiscontacté.Jen’aijamaisessayédeluiexpliquercequejeressentais,combienjesouffrais,combienilmemanquaitetcombienj’avaisbesoindelui.Carjevoulaisqu’il soit heureux. Même si cela m’imposait de ne pas participer à son bonheur. J’avais gâché monexistence, je n’allais tout de même pas revenir en trombe dans la sienne pour tout foutre en l’airégalement. J’ai évidemment fini par rompre avec mon copain en me disant que j’allais retourner aucélibat,commed’habitude.Car lesrelationsn’étaientpas tropmontruc.Mais–etc’est làquejevaisvousparlersanspincettes,commejel’aipromisplushaut–jesuispasséed’unerelationàlongtermeavecuneseulepersonneàenchaînerlescoupsd’unsoir.Traitez-moidepute,pensezcequevousvoulez.Jen’aijamaiscouchéavecquiquecesoitpourleplaisir–pasaudébut,entoutcas.Jelefaisaisparceque j’avaisbesoindecomblerunvideetque jenesavaispascommentm’yprendreautrement.J’étaisperdueetj’avaisenviedemesentiraiméeautantquejel’étaisàchaquesecondepasséeavecElias.Jerecherchaiscesentimentdanstoutettoutlemonde.
Maisjenel’aijamaistrouvé.Etc’estalorsqueje…non,jenesuispasencoreprêteàenparler.Pourl’instant,disonsseulementquequandlepetitsecretquejedissimulaisderrièremonmasquea
étérévéléaugrandjour,jen’aipaseud’autrechoixquederentrer.RentrerretrouverElias.S’ilvoulaitencoredemoi.S’ilpouvaitencoremesupporter…Jenem’étaisjamaisimaginéquemonretourpourraitm’apporterplusquecequej’espérais…bien
plus,même,quejen’auraispuleprévoir.
ELIAS
Ilyadeuxmois…JEN’AVAIS PLUS VUBROOKE NI EU DE NOUVELLES DEPUIS près de quatre ans. Je poursuivaisma vie
comme l’aurait fait n’importe qui. J’avais rencontré une fille,Aline, au centre universitaire.Elle étaitbelle.Cheveuxsombres.Yeuxbleusétincelants.Unepeaudepêche.Je l’aimais.Mêmesi,malgré tousmesefforts, jen’arrivaispasàêtreamoureuxd’elle.J’aiessayésifortque,pendantunmoment, j’yaicru.Mais,aprèsdeuxannéesderelation,jemesuisrenducomptequecen’étaitpaslegenred’amourquej’éprouvaispourBrooke.Etqueçaneleseraitjamais.
MonamiMitchellm’avaitditqueBrookeétaitfiancéeàuntypedontelleétaitamoureuseenCarolineduSud.J’avaiseuenviedelefrapperpourm’annoncerunenouvellepareille.J’auraispréférécontinueràmeposerlaquestion,poursuivremavieenignorantcommentellemenaitlasienne,aulieud’êtreinformédesdétailslesplusdouloureux.
JevoyaisBrookeentoutetentoutlemonde.MêmeenAline–jenemerendiscomptequeplustardqu’ellesseressemblaientbeaucoup.Jesaisqueçapeutparaîtreridicule,maisl’amourn’estpastoujoursfaitderoses,d’arcs-en-cieletdepapillonsdansleventre.Ilpeutégalementsemontrercruel,douloureuxetlapiredesordures.
Alinem’aplaqué.Ellesavaitquej’étaisamoureuxdeBrooke.Pasparcequejeleluiavaisdit,maisparcequelesfemmessententceschoses-là.Ellessontdotéesdeceputaindesuperpouvoirbizarrequileurpermetdeliredansunhommeetdevoiràtraverssesmensonges.JeluiavaisparlédeBrooke,ma«meilleureamie»depuisl’enfance,etapparemmentçaluiavaitsuffiàmieuxmecomprendrequejenemecomprenaismoi-même.Cen’étaitpasquej’avaisessayédeluicacherquej’étaistoujoursamoureuxd’elle:j’avaisessayédemeletaireàmoi-même.
Alineétaitunebellepersonne.Maisellen’étaitpascellequej’aimais…C’est en avril, il y a près de deuxmois, quema vie bascula irrévocablement.Les couleurs de ce
tableauennoiretblanccommencèrentenfinàseremplir.JemeréveillaiunsamedimatinenentendantMitchellfarfouillerdansmesplacardsdecuisine.Nous
étions colocataires depuis l’année précédente. Nous avions l’un et l’autre énormément évolué depuisl’enfance.Parbonheur,sescheveuxlongsdanslecouavaientdisparu.Aufildesannées,ilavaitfiniparadopterunecoupepluscourteetstylisée,avecquelquesmècheslonguesquiluicernaientlevisage.
—Putain,qu’est-cequetufous?luidemandai-jeenpénétrantdanslacuisine,seulementvêtud’unboxer.
Moncoupdelaveille,Jana,étaittoujoursendormiedansmonlit,enrouléedanslesdraps.J’ouvrislefrigoetmedescendisunedemi-bouteilled’eau.Mitchellétaitdeboutsurunechaiseplaquéecontrelefourettâtonnaitdanslehautduplacardsitué
au-dessusdelahotte.—Jecherchemabeuh.—Mec,sérieux,ilfautquetuarrêtescettemerde.Etqu’est-cequ’ellefoutraitdansleplacard?—Arrêterquellemerde?Labeuh?Savoixétaitétoufféeparlaporteduplacard.—Laméthamphétamine.—Putaindemerde,monpote,j’aipasprisdeméth.C’estquoi,tonproblème?Jem’assisàlatabledelacuisine,étendislesbrasau-dessusdematêteetbâillai.—Tun’aspasdormidepuistroisjours,répliquai-je.Lanuitdernière,jet’aientenduretournerdes
cartonsdans ta chambre.Pendant troisheures. (Je lançaiun regard circulairedans la cuisine.) Jen’aijamaisvucetendroitaussipropredepuisquej’aiemménagé,etcen’estpasmoiquil’ainettoyé.
Mitchellfinitparressortirlatêteduplacard,sesmèchesdissimulantàmoitiésesprunellespresquenoires. Il descendit de sa chaise, puis écarquilla ses yeux féroces et injectés de sang, aux pupillesdilatées.Lecoingauchedesabouchetressautaitconvulsivement.
—Neledisàpersonne,déclara-t-il.Puisilfitminedes’asseoir,maispréférafinalementfairelescentpas.—Jenecomptepastebalancer,maistucommencesàm’inquiéter.C’estdelavraiesaloperie,mec.
Encoreunmois,ettuvastemettreàtaillerdespipespourtepayerunshoot.Çanevautpasmieuxquelecrack.
LevisagedeMitchellsedécomposa.—Putain,tuvasunpeuloin.Jebusunenouvellegorgéed’eau.—Tupenses?demandai-jeensecouantlatête.TusaisquejenesuispasM.Sobre-et-Parfait,maisje
netoucheraispasàcettesaloperiemêmesionmepayait.Souviens-toidePaulMatthews.Mitchellsoufflasansdesserrerleslèvresetrouladesyeux.—Paulétaitaccro.Ilenpréparaitdanssasalledebains.Tunem’asencorejamaisvufaireça.—Pasencore,confirmai-je.J’entendisdesbruitsdepasderrièremoi,etMitchellredressabrusquementlatête.—Est-cequejepourrailabaiser,aprèstoi?demanda-t-il.Jefermaibrièvementlespaupièresetsoupirai.—Nedispasdestrucspareils,Mitch.—Vatefairemettre,luilançaJanaenentrantdanslapièce.Ses cheveux blonds qui lui tombaient aux épaules étaient ramassés en une queue-de-cheval
mollassonne.Elleavaitlapeautannéeparlesoleiletétaitsimaigrequejepouvaisfacilementrefermerlesdoigtsautourdesespoignetsdélicats.Toutefois,endehorsdesasilhouette,ellen’avaitvraimentriendedélicat.
Elle se pencha par-dessus le dossier de ma chaise et m’embrassa sur la bouche. Je remarquaiimmédiatementqu’ellen’étaitvêtuequed’untee-shirtetd’uneculotte.LecommentairedeMitchellétaitcertesunpeudéplacé,maisellen’arrangeaitpassaréputationensepromenantcommeçadevantunautremec.
Janaalla se servirdans le frigo. Je louchaibrièvement sur ses jambesnuesetbronzées.Elle étaitcanon,maisjeregrettaisdéjàd’avoircouchéavecelle.
—Bref,peuimporte,déclaraMitchellenretournantàsonplacard.Jeme levai et sortis de la cuisine. Je sautai sous la douche, où Janame rejoignit. Je n’avais pas
l’habitudequelesfillesprolongentleurséjourchezmoisitarddanslamatinée,etencoremoinsdelesinvitersousladouche.Mais jen’allaispas lamettredehors,surtoutqu’ellecommençaparsemettreàgenouxpourmesucer.Mais,pouruneraisonoupouruneautre,jen’arrivaispasàdémarrer.Jefermailesyeuxetluiattrapailatêteàdeuxmainstandisqu’ellem’avalaitjusqu’àlagarde,maisçanedurcissaitpasmalgrénoseffortscumulés.
J’étaisfrustré.EtjepensequeJanas’inquiétadesatechnique.Ellefinitparchangerdeméthodeetparsemettredebout,plaquantsesseinscontremontorse.L’eau
chaudecommençaitàrefroidir.Ellearboraituneexpressionmalicieuse.— J’ai envie que vous me baisiez tous les deux, m’annonça-t-elle en me mordant doucement le
menton.Onpeutdirequeçamepritdecourt.J’ignorecequimepoussaàaccepter–jeneduspasréfléchiravecleboncerveau–,mais,quelques
minutes plus tard, je me retrouvai à genoux derrière elle sur le canapé tandis qu’elle s’occupait deMitchell assis devant elle (et qui apparemment ne connaissait pas lemêmeproblèmequemoi sous ladouche).
Mêmesionpartageaitlemêmeappartementetsionramenaitl’uncommel’autrerégulièrementdesconquêtes – qui recherchaient la même chose que lui et moi, devrais-je préciser –, les plans à troisn’étaient clairement pas la norme.Les filles que nous arrivions à séduire habituellement n’étaient pasaussidéluréesqueJana.Etc’étaittantmieux,carjen’arriveraisjamaisvraimentàm’habituerauxpartiesà trois avec un autremec. Je passais plus de temps à essayer d’éviter de croiser le fer avec lui qu’àprendre du plaisir.Dans le feu de l’action, ça neme dérangeait jamais vraiment,mais, une fois notreaffaireterminée,jemedégoûtaisunpeu.Chaquefois.Malheureusement,ledégoûtm’empêchaitrarementderecommencer.
QuandJanafutpartieetqueMitchellfutprisd’unenouvellecrisedenettoyagecompulsif,jeprisuneautredoucheavantd’alleraidermamèreàdéménagersesdernièresaffairesdanssanouvellemaison.Mamanétaitsurendettée,etquandlalocationdanslaquellej’avaisgrandiavaitcommencéàtomberendécrépitude,j’avaiscontractéuncréditpourl’installerdansunlogementneuf,del’autrecôtédelaville.
Sonnouveaucopain,James,étaitentraindechargerlacamionnettequandjelesrejoignis.Ilmedonnauneaccoladevirileetselançadanslebaratinhabituel,medemandantcommentj’allaiset
merappelantàquelpointj’étaisunbonfils.Çan’étaitvraimentpasnécessaire.Jel’appréciaisdéjà,iln’avaitpasbesoindesedonnerautantdemalpoursefairebienvoir.Maisjesupposequ’ilnes’enétaitpasencorelasséetjelelaissaisdoncfaire.
—Ça sera le dernier voyage, annonçamamère en tendant à James un carton à ranger. (Puis ellem’embrassa.)Commentsepassetonnouveauboulot?
—Jusqu’ici,plutôtbien,répondis-je.Jenepensaispasqueçameplairaitautant.—C’estgénial, intervint Jamesenémergeantduvéhicule. J’aibossédans lebâtimentpendantdix
ans,c’esttoujoursmieuxquedepuerlafritedansunfast-foodouderesterleculvissésurunechaise.Ilmesuraitquelquescentimètresdemoinsquemamèreetgrisonnaitauxtempes.Physiquement,ilne
correspondaitpasàsescritèreshabituels,mais jepensequesapersonnalitécompensaitamplementcedéfaut.
J’acquiesçaid’unhochementdetête.—Oh,vousdevezfairetrèsattentionavecmondressoir,nousinformamamère.C’estunmeublede
famille,et…
—Ons’enoccupe,l’interrompitJamesenm’adressantunsourire.Net’enfaispas.Nouslasuivîmesàl’intérieur.Ellenenousquittapasdesyeuxjusqu’àcequenousfassionsfranchir
laported’entréeàsonimposantvaisselier.Elleétaitblanchecommeunlinge:elleredoutaitquenousnele fassions tomber et brisions ainsi ses grandes portes vitrées. Une fois dans la camionnette, nous lerecouvrîmesdedeuxépaissescouverturespourbienleprotéger.Enredescendantduvéhicule,jevismamèrelesyeuxrivéssurlaroute.Elleétaittoujoursblême,cettefoiscommesielleavaitvuunfantôme.Ilmefallutunesecondedeplusquelanormalepourmeretourneretdécouvrircequ’elleregardaitdelasorte.
Brookesetenaitauboutdel’allée,d’oùellem’observaitfixement.
5
ELIAS
MON CŒUR SEMIT À BATTRE SI VITE QUE LA TÊTEME tourna pendant quelques secondes. Je crois enavoireulesoufflecoupé,maisjen’ensuispascertain.J’étaiscomplètementparalysé,incapabled’avoirlamoindrepenséecohérente.
Pendantuneéternité,Brookeetmoinousdévisageâmesmutuellementd’unboutà l’autredel’allée.Monpremierinstinctfutdemarcherverselle,delasouleverdeterreetdel’embrassercommejen’avaisencorejamaisembrassépersonne,maisjemeretinsinextremis.
Jedevais la jouercool.J’ignorais totalementcequ’elleétaitvenuefaire iciauboutdequatreans.Quatreputainsd’années!Ellepouvaits’êtrepointéeuniquementpourprendredesnouvellesetendonner,m’expliquerqu’elleétaitmariéeetavaitungamin.Jefaillism’effondrer.Justelà,devantelle,devantmamère et James.Mais jeme ressaisis, ravalai la boule d’émotionquim’obstruait la gorge et recrachaienfinl’oxygèneretenudansmespoumonsdepuissonarrivée.
—Brooke?dis-jeenl’approchant.Sonsourire,d’abordlégeretvacillant,s’illuminabientôt.—Salut,dit-elleàmi-voix.Sesmainsétaient croiséesmollementdevant elle, telunpetit panierdélicat contre sonventre.Ses
longscheveuxbruns,aussisoyeuxqued’habitude,étaientglissésderrièresesoreillesetluitombaientsurlesépaules.Elleétaitexactementcommedansmonsouvenir:douce,fragileetmagnifique,aveclesplusgrandsyeuxbleuset le sourire leplus jolique j’aie jamaisvus. Je jurequesesprunelles scintillaientcommedans lesdessinsaniméschaque foisqu’elle souriait.Et j’ai toujours trouvémarrantqu’elleaitl’airsiinnocent,maisquelesmotsquiglissentsurseslèvresfassentaussifacilementvolercettefaçadeenéclats.
Maispascejour-là.Ellen’étaitclairementpaselle-même.Commesiellenesavaitpasencoretropsiellepouvaitselepermettre.Ousielleenavaitenvie.
Jemeretournaiverslacamionnette,puisversmamère.—Chéri,faiscequetuveux,medit-elleenmedonnantcongéd’ungestedelamain.Jamesetmoi
pouvonsfinirseuls.EndehorsdeMitchellet,moinsendétail,d’Aline,mamèreétaitlaseulepersonneàconnaîtremon
histoireavecBrooklynBates.Elle savaitcombien je l’aimaiset,aucoursdesquatreannéesécoulées,avaitmaintesfoistentédemeconvaincredelacontacterpourluidirecequej’avaissurlecœur.
Connaissantvaguementlasituation,Jamesrenchérit:
—Net’enfaispas,Elias.Jevaisdéchargerça.Faiscequetuasàfaire.Sonsourireétaitunpeuniais.—Etsions’ymettaittous?proposaBrooke.Doucement. D’abord tâter le terrain. Voir quelles sont les limites, si toutefois il y en a. D’un
accordtacite,Brookeetmoiprocédâmesdelasortecejour-là.NouspassâmeslesquelquesheuresquisuivirentàaidermamèreetJamesàtoutdéménager.Après
quelesmeubleslespluslourdseurenttoustrouvéleurplace,BrookeetmoirepartîmesdansmaDodgeCharger grise. Nous n’avions pas beaucoup discuté en trimballant les cartons, et restâmesparticulièrementsilencieuxmêmeseulstouslesdeuxdanslavoiture.Nousétionsaussitendusl’unquel’autre,nousposantsilencieusementlesmêmesquestions:Est-ellecélibataire?A-t-elleunefamille?Est-cenotredernieradieu?
Jelaconduisischezmoi.Mitchellfutaussisurprisquemoidelavoir.—Putaindemerde,jura-t-ilquandnousfranchîmesleseuil.BrooklynBates.Qu’est-cequetufous
ici?—Salut,Mitch,dit-elleavantd’allerleserrerdanssesbras.Jesuiscontentedetevoir.—Moiaussi,mafille. (Il reculad’unpaspour l’examiner,chassantd’unemainlesmèchesqui lui
tombaientdevantlevisage.)Toujoursaussicanon,àcequejevois.Tun’aspasréponduàmaquestion.—Mitch,dis-jeenlaissanttombermescléssurlatablebasse,çat’embêted’allerfaireuntouret…—N’endispasplus,répondit-ilenlevantlesmains.Unpeud’intimité.C’estpigé.Jedégagedans
cinqsecondes.Quand il partit enfin, le silence qui s’installa dans la pièce me fit l’effet du calme annonçant la
tempête.—Assieds-toi,luiproposai-jeenluiprenantlecoudepourl’accompagnerjusqu’augrosfauteuil.Elleportaitunshortenjeanmoulantetunhautencotonblanc.Unefinechaîneargentéeretenantun
pendentifroseluipendaitaucou.Unenchevêtrementdebraceletsdechanvreverts,brunclairetnoirs,certainsornésdeperles,d’autresélégammenttressés,luiceignaitlesdeuxpoignets.
Jeprisplacedansl’ottomane,faceàelle,lesmainscroiséesentremesgenoux.Ellemebrisalecœurensemettantàpleurer.Jem’étais renducomptequelques secondesplus tôtqu’elle s’efforçait de retenir ses larmes.Mais
ellen’enfutpascapable.Elles’enfouitlevisagedanslespaumesetpleurasifortquejeluiattrapailesépaulespourtenterdelafairemontersurmescuisses.Ellemerepoussadoucement.
—Non,Elias,écoute-moicettefois,avantdecéderàmescaprices.S’ilteplaît!Dessanglotsl’étranglaient.Jepleuraisintérieurement,sentantmapoitrinesecomprimersousl’affluxdelarmesquejeretenaisde
toutesmesforces.Jeposaimesmainssursesgenouxnus.—Pourquoitupleures?Jeluilissailescheveuxderrièrel’oreille.Çametuaitdelavoirainsi.Toutsoncorps tremblait,et le sondemavoixaggravasonétat.Pendantquelquessecondes, jevis
devantmoilapetitefillequej’avaisrencontréeàl’étangcepremiersoir.—Brooke,jesuislà.Tulesais.Jeseraitoujourslàpourtoi.Je commençais à perdre espoir, àme dire qu’elle était simplement venue chercher une épaule sur
laquellepleurer.Peut-êtrequ’ellevivaitunerupturedifficiledontelleavaitbesoindeparler.J’espéraismetromper.
Finalement,sespleursse tarirentassez longtempspourqu’ellepuissemeregarderdans lesyeuxetdéclarer:
—J-jevoulaistedireque…jet’aimedepuistoujours.Jesaisquej’aimerdé,Elias.J’aicommislapire erreur demon existence en partant d’ici et en restant si loin si longtemps. (Elle recommençait àcraquer,etmoiaussi.)Jesaisquetunepourrassansdoutejamaismepardonner,maisjedevaisvenirtedirecequejeressentais!J’étaisobligée!
Leslarmesruisselaientdenouveauabondamment,etjesentissoncorpssecrisper.Ellepoursuivit:—J’avais tellementpeurde toi.Peurde teperdre. Jenesaispascequim’apousséeàagirde la
sorte.Je…J’étaisstupide,complètementfolle,et…jenesaispas!Maisj’étaisvraimentdansunsaleétat, Elias. Je sais que j’arrive trop tard. Mitchell m’a dit que tu étais tombé amoureux, et pendantlongtempsj’airefuséderevenirpournepasm’immiscerdanstavie.Je…
—Jenesuisavecpersonne,l’interrompis-jedoucement.Ellesefigeaetjel’entendisravalerunhoquetdesurprise.Sesmainstremblaiententresesgenoux.Jemerapprochaiencoreduborddel’ottomaneafindepouvoirluiprendrelevisageentremesmains.—Tutesouviensdecequejet’aiditlejourdemonvingt-deuxièmeanniversaire?(Jemarquaiune
pause,sondantsesmagnifiquesyeuxbleus luisantd’humidité.)Je t’aiditque j’avaisenvied’êtreavectoi.(Jeluipressaidélicatementlesjouespouraccentuermesparoles.)J’enaitoujourseuenvie,Brooke.Je ne pourrai jamais aimer une autre fille autant que je t’aime depuis que nous sommes tout gamins.Jamais.(Jeluiserraidenouveaulesjouestoutencontractantlesmâchoires.)J’aiessayé.Crois-moi,j’aitentédevivremavie–jesuisbeaucoupsorti,j’aieudescopines.Maisjen’aijamaiscessédepenseràtoi,quellequesoitlananaaveclaquellej’étaisetlebonheurqu’onpouvaitpartager.
J’étais tellement résolu à lui expliquer toutes ces choses– jen’avaispas arrêtédeme les répétermentalementaucoursdesquatredernièresannées–quejeneremarquaimêmepasqueseslarmesavaientchangé.Aulieudessanglotsdéchirantsquilafaisaientparaîtrefaible,cellesquiroulaientdésormaissursesjouesétaientpluscalmes,bienquepluslourdes,composéesdejoieetdepeurentremêlées.
Jen’avaispasnonplusremarquéquejem’étaismoiaussimisàpleurer.—Jet’aimetellement,Brooke.Putain,tellement!Decourtssanglotsmesubmergèrent,maisjeparvinsàreprendreledessus.Brookefinitparcapituleretsejetadansmesbras.Jel’étreignisdetoutesmesforces,commepour
fusionneravecelle.Nouspartagionscettevie.Nousl’avionstoujoursfait.Et,àpartirdecejour,noussavionsl’uncommel’autrequenousleferionstoujours.Quitteàylaissernotrepeau.
BROOKE
C’ESTINCROYABLEMENTDIFFICILEÀDÉCRIRE,MAISquandEliasm’aprisedanssesbrasdecettefaçon,j’aieul’impressiondemesentirentièredenouveau.Oupeut-êtrepourlapremièrefois.Carleschosesétaientdifférentes,désormais.Jesavaisquejevoulaispasserlerestantdemavieàsescôtés.Jesavaisque je ne pourrais pas franchir cette porte sans lui. Je savais que, quoi qu’il advienne à l’avenir, jevoulaisqu’ilm’accompagne toujours.Pasen tantquemeilleurami.Maisen tantqu’amant,que fiancé,qu’époux.Peum’importait,tantquenousétionsensembleetamoureuxcommenousétionscensésl’être.
Ilrefermaseslèvressurlesmiennesetm’embrassaprofondément,passionnément,àm’encouperlesouffle.Monestomacsetorditetfitdesbondscommejamaisauparavant,mêmelapremièrefoisquenousavionscouchéensemble.Etbientôtjemesurprisàôtermontee-shirt,quejebalançaienboulesurlesol.Nousnouslevâmesetilmetransporta,mesjambesreferméesautourdesataille,jusqu’àsachambre,oùilmejetasurlelit.
Ilneperditpasuninstantpourmedépouillerdurestedemesvêtements.Puispoursemettrenuàsontour. Je regardai lesmuscles de ses bras et de son torse se contracter tandis qu’il venait se placer àcalifourchonsurmoi.Jeletrouvaissibeau,chacunedesesformes,chacundesestraits,chaquecourbedesoncorpsbronzéetsculptural.Saboucheaffaméedévora lamienne,cherchantmesseins,moncou,puisledessousdemonmentonavantderetourneravidementàmeslèvres.Jepassailesmainsdanssescheveuxbruns,mi-longsetondulés,etquandjetendislesdoigtspoursaisirsavergeérigée,ilgémittoutcontremoi.
—J’aienviedetesentirenmoi,Elias,dis-je,horsd’haleine.J’enaienviedepuissilongtemps.Cettefois,celameparaissaitréel,etsincère.Commecelaauraitdûl’êtrepournotrepremièrefois.Et
j’avaisenvied’enprofiteraumaximum.Seshanchesrobustess’agitèrentcontrelesmiennes,jusqu’àcequ’ilvienneentourermamaindeses
doigtspuissants,meforçantàétreindrefermementsavirilité.Ilmeguida,etjeravalaiuncrienrejetantma tête contre l’oreiller quand songlandmepénétra.Mespaupières clignèrent et se fermèrentmalgrémoi. J’entrouvris les lèvres et un halètement rauque s’en échappa tandis qu’il achevait lentement des’introduireenmoi.Jegémisdeplaisir.
—Tum’as tellementmanqué, chuchota-t-il contremes lèvres avant de glisser sa langue dansmaboucheetd’accentuersescoupsdebassin.Jeneveuxplusjamaisquetumequittes.
Ilmemorditlalèvreinférieure.Sesmotsmedonnèrentenviedepleurer.Et,aufonddemoi,c’estcequejefis.Maiscefurentdes
larmes de joie. J’enroulai les jambes autour de son dos et me tendis vers lui pour l’accueillir plusprofondément.
—Jamaisplusjenetequitterai,répondis-je.Et,cettefois,leslarmesperlèrentaucoindemesyeux.J’arrivaisàpeineàrespirer.—Promets-le-moi,dit-ilenmepilonnantplusfort.Jeplongeaimonregarddanslesienetfussurprisedeledécouvrirhumideégalement.L’intensitéde
sonexpressioncrûtencore.Jesusalorsquesi je lequittaisdenouveauunjour,celale tuerait.Etmoiavec.
—Jetelepromets.Jenetequitteraijamais.—Jure-lesurtatête,insista-t-ilenenfonçantsiviolemmentsabitequecelaachevademecouperle
souffle.Mescuissessemirentàtrembler.Monventresetortillaitdeplaisiretd’excitation.Eliasmeregarda
droitdanslesyeux.—Jelejuresurmaputaindetête,m’écriai-jeleplussincèrementdumonde.Jenetequitteraiplus
jamais.Ilmemorditdenouveaulaboucheetmepritplusfortquejenel’avaisjamaisété,jusqu’àcequemes
doigtsmefassentmalàforced’êtrerecourbéssurlatêtedelitetquemesjambessoientsifaiblesquej’arrivaisàpeineàlesremuer.Et,quandiljouit,illefitsurmonventre,tremblantdetoussesmembres.Jeleserraicontremoietembrassailasueurquiluicoulaitauxtempesetauxlèvres.
Ilne se reposaquequelquesminutes avant laprochaineérection,puis ilme fit l’amour lentement,jusqu’àcequej’atteignel’orgasmeàmontour.
Nous passâmes la journée au lit, enchevêtrés dans les draps, nos bras et nos jambes entremêlés.Pendant un longmoment, nous ne pipâmesmot.Nous nous contentâmes de regarder le plafond, tandisqu’ilmepeignaitdesesdoigtsetquematêtereposaitsursontorsemusclé.
—Tuaspromis,chuchota-t-il.Jemeredressaipourl’observer.—Oui,répondis-jesimplementavantdel’embrasser.Ilmerenditmonbaiser,maisavecunairinquiet.—Jen’irainullepart,luiassurai-je.J’aivéculoindetoitroplongtemps,Elias.Jeregrettejustede
nepasm’enêtrerenducompteplustôt.Sesyeuxsourirentlégèrementtandisqu’ilécartaitdemonvisagequelquescheveuxrebelles.—Jesuiscontentquetum’aiesmisuncoupdepieddanslahanchecesoir-là,susurra-t-ilavantde
m’embrasserleboutdunez.—Ehbien,jenel’auraissansdoutepasfaitsitunem’avaispastraitéedemoche.Eliassouritetmeforçaàmerallongeretàposerlatêtesursapoitrine.—Jet’aitoujourstrouvéesibelle,dit-ilavantd’enfouirsabouchedansmescheveux.J’étaisauparadis.Nousyétionsensemble.
6
ELIAS
ILNOUSAVAITFALLUDIX-SEPTANSPOURNOUSDÉCOUvrirvraiment.Mais,maintenantquenousétionsensemble,plusriennenousséparerait.
Les deux premières semaines de notre relation retrouvée furent telles que je les avais toujoursimaginées.Nousallionspartoutensemble.Jelaprésentaientantquepetiteamieàtousmesamis,etellerévéla à nos anciens copains que nous étions désormais en couple. Et cela ne semblait pas dérangerBrooke quand nous croisions l’une de mes ex – ou de mes aventures sans lendemain. Cela ne ladérangeaitpastrop,entoutcas.Elleneselaissaitpasdémonter.
—EliasKline,déclaraJanaensurgissantunjourderrièremoi,alorsquej’étaisassisdansl’undesboxdechezDenny’s.
Sescheveuxblondsétaientrassemblésenqueue-de-chevaletsesyeuxétaientassombrisd’épaistraitsdemaquillagenoirqui,selonmoi,luiconféraientdesalluresderatonlaveur.
—Salut,Jana,dis-jeenreposantmafourchette.(JemetournaiversBrooke,puisversnotreinvitéesurprise,etfislesprésentations.)Voicimacopine,Brooke.Brooke,jeteprésenteJana.
—Enchantée,déclaraBrookeavecunsouriredontjeneparvinsd’abordpasàestimerlasincérité.Jana ladétailla,et je remarquai la similitudeentre leurs sourires. Jemedemandai siBrookeavait
compristoutdesuitequej’avaiscouchéaveccettefille.—Tacopine,hein?répétaJana.—Ouais.(Brookeredressalesépaulesetétenditlesbrassurlatabledevantelle.)Ettoi,tues…?
l’interrogea-t-elleavecunrictus.OK, leurs sourires étaient absolument feints. Soudain, j’eus l’impression d’être un ourson coincé
entreunintrusetmamanourse.— Juste une copine d’Elias et Mitchell, répondit Jana. (Je fus soulagé qu’elle n’apporte aucune
précisionsupplémentaire.)Ilyaunefêtevendrediprochain,prèsdelarivière.Ilyauratoutlemonde.Vousdevriezvenir.
Brookem’observaetsedétenditsurlabanquettemolletonnée.Elleeutunemouesongeuse.—Tuveuxyaller?medemanda-t-elle.Laquestionsemblait si lourdedesous-entendusque jenesusque répondre,maisBrookesemblait
vraimentvouloirentendremonavis.—Oh,allez,insistaJanaenposantunemainsursahanche.Onprévoitd’ypassertoutleweek-end.
Prenezunetente.Oh,etdequoiboire.Allanseralà,luiaussi,tusaiscequeçaveutdire.
Ellem’adressaunnouveaucoupd’œilquin’échappapasàBrooke.—Onysera,annonça-t-elle.Jerestaisilencieux.Apparemment,Brookeparvenaitàsemaîtrisermêmelorsdeceduelsecretavec
Jana.Etpuisjeprenaismoinsderisquesennemeprononçantpas.Parfois,lesfemmesmefontvraimentflipper.Janasouritdetoutessesdents,etjemeremémoraibrièvementseslèvresautourdemabite.Jefrémis
intérieurement,commesiBrookepouvaitliredansmespensées.—Génial!Alorsàvendredi.Janamedécochaunsourirenarquoisens’éloignant.—Tul’ascarrémentsautée!s’exclamaBrookeenprenantunefourchettedepurée.Jemesentisblêmir.Elle n’était ni furieuse ni jalouse, mais n’allait pas non plus prétendre n’avoir pas compris. Il
s’agissait de Brooke, après tout, et j’aurais été surpris qu’elle neme fasse pas savoir le fond de sapensée.Jelaissaiéchapperunpetitrireetramassaimescouverts.
—Ouais,maisiln’yariend’autre.—Jesais,répliqua-t-elleenricanant.Ellefitcoulersapuréeavecunegorgéedethé.—Commenttulesais?J’étaisréellementdéconcerté,mêmesijenedoutaispasdesasincérité.—Parcequetoutenellecriaitbaise-moi,répondit-elleenreprenantunebouchée.Labouchepleine,ellemedésignadesafourchetteetajouta:—Cen’estpasunreproche,sic’estvraimentcequ’elleveut.Tantqu’ellen’essaiepasdeposerles
lèvressurtoi,iln’yaurapasdeproblème.— Alors je pense qu’on est tranquilles, répondis-je. Je crois qu’elle en pince pour Mitchell,
maintenant,mêmesic’estplusparcequ’illuifournitdeladroguequepourautrechose.Brookearquaunsourcil.—Mitchellvenddeladrogue?—Ehbien,pasexactement,dis-jeenbaissantlavoixpourabordercesujetsensible.Ilacommencéà
prendredelaméthilyaunmoisenviron.Ilsontpassébeaucoupdetempsensembledepuis…Jemarquaiunepause,carjenetenaispasvraimentàmentionnerlefaitquej’avaiscouchéavecJana
précisémentlejouroùBrookeétaitrevenue.—Ehbien,çadoitfairequinzejours,maintenant,conclus-je.—Commentsefait-ilquejenel’aiejamaisvueauparavant?Brookehabitaitavecnous,àprésent.Illuiavaitfallucinqjourspourannonceràsafamillequ’elle
étaitde retourenGéorgie,maisçanem’avaitguère surpris. Jene le lui aurais jamaisavoué,mais jesavaisquesesparentsn’auraientpassautésurl’occasiondel’accueillirchezeux.
—J’aiplusoumoinsdemandéàMitchelldelavoirailleursquechezmoi.—Àcausedemoi?demanda-t-elleavecunsourireentendu.—Ouais,admis-je.—Ehbien,tun’aspasàt’enfaire,affirma-t-elleenmecaressantlacuissesouslatable.Jenevais
pastefaireunescèneàcausedetesex.Jenem’attendaispasàcequeturestescélibataire.Était-cesamanièrebienàelledepréparerleterrainavantquejedécouvreavecquielle-mêmeavait
couchédepuisnotreséparation?Quelquepart,çaenavaitl’air,mais,d’unautrecôté,jesavaisqu’elleétaitsincère.Jenepeuxtoutefoispasnieravoirsérieusementcommencéàmeposerdesquestionssursavie sexuelle à cemoment-là. Je ne l’en aurais pasmoins aimée de toute façon,mais j’avais envie de
savoir.—QuiestAllan?demanda-t-elle.Jetournaiinstinctivementlatêtepourm’assurerquepersonnenenousécoutait.—C’estundealer,répondis-je.—Oh…(Ellemeconsidérad’unairinquiet.)Ettuleconnaiscomment?— Tout le monde le connaît, répondis-je. Mais ne te fais pas d’idées : je ne l’ai rencontré que
quelquesfois.—Justerencontré,outuasacheté?Ellemesourit.—D’accord,admis-je.Maisriendebiengrave,justeunpeudebeuhàl’occasion.—Tantmieux,répliqua-t-elle.Parcequejenesupportepascestrucsdeméth.Etjenevoudraispas
devoirtetraînerendésintoxparlapeauducul.—Carrémentpas,abondai-je.Onestcomplètementd’accord.JesuisunpeuinquietpourMitchell,
celadit.J’aiessayédeleconvaincredenepastoucheràcessaloperies,maisilrefusedem’écouter.—Çam’ennuiedeteledire,Elias,maiss’ilnesefaitpasaidertoutdesuite,onvadevoirledégager
decheztoi.Ilvafinirparfaireexplosertacuisine,oupartefairetomberavecluiquandilseferacoffrer.(Ellebutunegorgéerapideetreposasonverresurlatable.)UncopaindufrèredeLissa,enCarolineduSud,étaitaccroà laméth. Ils l’ontarrêtéavantqu’ilne fassepétersabaraque,mais ilpréparaitcettemerdedanssacuisine.Çamefaitsuperpeur.
Elleavaitraison.Jen’yavaispasréfléchijusqu’àprésent,carMitchellétaitmonmeilleurpote,etjen’avaisjamaisenvisagédelemettreàlaporte.Néanmoins,pourdesfaitsaussigraves,j’avaisplusderaisonsdeluiinterdirederesterquedel’yencourager.
EtjenevoulaissurtoutpasmettreBrookeendanger.—Jeluiparleraidèscesoir,affirmai-je.—Laisse-luiquandmêmeunechance,tempéra-t-elle.Neluidemandepastoutdesuitedefaireses
valises.Ilmelereprocheraitsansdoute.Cefutprécisémentcequisepassa.Plustarddanslasoirée,quandMitchellrentradejenesaisoù–ilmesemblaitqu’ilavaitperduson
boulotàcausedelacame,jen’avaisdoncpluslamoindreidéedel’endroitoùilpassaitsesjournées–,j’essayaideluiparler.
—Mitch,luidis-jeenéteignantlatélé,ilfautqu’ondiscuted’untruc.Sescheveuxchâtainclairétaientsalesetgras,àcausedelalaquequ’ilmettaitpourlesempêcherde
lui tomber naturellement devant les yeux. Il portait le mêmemaillot des Bulldogs de Géorgie que laveille.Etquel’avant-veille.
Jereposailatélécommandesurlatablebasseetmepenchaienavantsurlerelax.—Ouais,dequoi?Ils’avachitsurlecanapé,étendantsesjambessurlescoussinsenlescroisantauniveaudeschevilles.—Jecroisquetuasbesoind’aide,mec.Tucommencesvraimentàm’inquiéter.Tunedorsjamais,et,
quandtufinispart’écrouler,turestesaupieudeuxjours.Est-cequetut’esfaitvirer?Ilnemepritd’abordpasausérieux,ouvoulutpeut-êtredédramatiserlachose.Illaissatombersatête
decôtéafindepouvoirmevoir,puisiltenditlamain.—Tumepasseslazappette?Jepoussaiunsoupir,déjàagacé.—Non,Mitch,écoute-moi,jedéconnepas.Tudoistefaireaider.Jeveuxbienfairen’importequoi
pourtefileruncoupdemain,dis-moiquoi.Jepeuxtechercherunboncentrededésintox,fairelesallers-
retoursavectoisituasbesoindemoi.Toutcequetuveux.—Deladésintox?Mitchells’assitenunriendetemps.Sonvisageétaitdéforméparl’affront.—Putain,qu’est-cequetumeparlesdedésintox?Turigolesouquoi?Je levai les deuxmains en signe d’apaisement, tentant de désamorcer la situation avant qu’elle ne
dégénère.—Jeveuxjustet’aider.Sicen’estpasendésintox,alors…—Jem’enbranle, de ton aide. (Il se leva.) Jene suispasdépendant, déclara-t-il en fendant l’air
devantlui.J’enprendsjustedetempsentemps.Jen’arrivepasàcroirequetumebassinesavecça.Tun’espasunangenonplus,jetesignale.
—Jen’ai jamaisprétendu l’être,affirmai-jeenm’efforçantde ravalermacolère.MaisMitch, ton«detempsentemps»s’esttransforméen«touslesjours».
Jememisdeboutàmontour.—Écoute,situneveuxpastefaireaidernidécrocher–çanedoitpourtantpasêtrecompliqué,situ
n’espasaccro–,jesuisdésolé,maistuvasdevoirtetrouverunautreendroitoùcrécher.Ilouvritdesyeuxrondscommedessoucoupes.Brookefranchitlaported’entréeàcetinstantprécis.—Salut,chéri,melança-t-elleentraversantlesalonpourvenirm’embrasser,sanssedouterdece
quisepassait.Ellesemitsur lapointedespiedsetmedéposaunbaisersur les lèvres.Mitchellnouslançaitdes
regardsassassins.—Oh,j’aipigé,dit-il.(LacolèredanssavoixfitseretournerBrooke.)C’estàcaused’elle.(Illa
montradudoigt.)CetteputaindeLittleMissSunshineestrevenueenGéorgie,aemménagéavecnous,etsoudainjesuisdetrop.(Ileutunegrimacepitoyable.)Sérieux,mec?Tupréfèresunepairedenichonsàtonmeilleurpote?Elleécartelescuissesettumeplantes?J’ycroispas.
Jem’approchaidelui,lespoingsserréslelongdesflancs.Brookes’interposaetjem’arrêtai.—Neparlepasd’ellecommeça,Mitch.Mesmâchoiresétaientcontractéesàm’enfairemal.J’étaisfouderage.—Faisgaffeàcequetudis,insistai-je.Etçaatoujoursétéelle,mameilleureamie.Pastoi.Ileutunsourirediaboliqueetsecoualatête.Ilnousdévisageatouràtour.J’étaisprêtàl’assommer
surplace.Unseulmotdéplacé, et ilyauraitdroit.Brookeenavait conscience.Elleme repoussadesdeuxmains,espérantquesonpetitcorpssuffiraitàévitertoutdébordement.
—Mitchell,dit-ellesansluilaisserl’occasiond’exprimercequilefaisaitricanerdelasorte,çanemedérangepasqueturestes,Eliaslesaittrèsbien.Çan’arienàvoiravecmoi.Ons’inquiètepourtoi,c’esttout.Laméthestunevraiesaloperie.
—Tunesaisriendemoi,rétorqua-t-il.Maismoi,jesaistoutsurtoi.Pasvrai?Jem’enfonçailesonglesdanslespaumes,attendantlasuite,espérantqu’iln’allaitpasdépasserles
bornes.Jen’avaisabsolumentaucuneenviedelefrapper.Mitchellgloussaavantdepoursuivre:—Tu sais, elle etmoionaparlépendantqu’ellevivait enCarolineduSud.Ouais.Ellem’a tout
raconté de ce type… (Il claquades doigts.)Comment il s’appelait, déjà ?Garrett ?Pour tout te dire,Brookem’aappeléplusieursfois.Maisjamaistoi,jemetrompe?Pasunefois.Tuparlesd’unemeilleureamie.
—Jenetetéléphonaisquepouravoirdesnouvellesd’Elias!J’avaisdésormaisvraimentenviedelecogner,maisplusencored’entendrelafindel’histoire.
Brooketournalestalonsetsedirigeaverslui,maisjelaretinsparlamainavantqu’ellenes’éloignetrop.
Celanel’empêchapasdehurler.—Tuesunsaleconnard!s’écria-t-elle.Jetedéfendsdemeprêterdefaussesintentions!Mitchellrejetalatêteenarrièreetéclataderire.—Tun’esqu’unepetitesalopequiaimejoueraveclesgens…Etavantqu’iln’aitfinisaphrase,jebousculaiBrookepourmeruersurlui.—Elias,nelefrappepas!mesuppliaBrooke.Tusaisquec’estàcausedeladrogue.J’écartailatablebassedemoncheminetl’attrapaiparlecolavantdeleconduireàlaported’entrée.
Sestalonstraînaientàmoitiésurlamoquette.Jemouraisdésormaisd’enviedeluicasserlagueule,maisjesavaisqueBrookeavaitraison.
—Jen’arrivepasàcroirequetul’aiesrepriseaprèstoutcequ’ellet’afait!mecria-t-ilauvisage,sonhaleinelourdederelentsdeméthamphétaminemeremontantdanslesnarines.Pendanttoutcetemps,Elias !Cet enfer qu’elle t’a fait subir !Toutes ces fois où je t’ai entenduparler d’elle, ces conneriesd’enfance,ceshistoiresdeluciolesdébiles!Tut’esprisdesraclées,àcaused’elle!
Je lemis littéralement dehors. Il tomba sur les fesses,mais resta assis sur le béton àme braillerdessus,seslonguesmèchestombantdésormaisn’importecommentendépitdelalaque.
—Putain,j’arrivepasàycroire!Jetecroyaismoinsconqueça,monpote.—Tupourrasvenirrécupérertesmerdessurletrottoirdèscesoir,luiannonçai-jeenletoisantde
toute ma hauteur. Et ne t’avise pas de remettre les pieds ici. Tu as compris ? Tu viens chercher tesaffaires,ettudéguerpis.Situessaiesderentrer,jetedémolisleportrait.
—Comme tu voudras,monpote, répondit-il en semettant debout. File-moi aumoinsmes clés debagnole.
Je lançaiuncoupd’œilàBrooke,quidisparutdans le salonet revintquelquessecondesplus tardaveclesditesclésenmain.Mitchelltenditlebraspours’ensaisir,maisjefuspluspromptetrepoussaiBrookeàl’abriderrièremoi.
—Net’approcheplusjamaisd’elle.Quoiqu’ilarrive.Jeluilâchaisesclésdanslapaume.—Ouais,vatefairemettre,rétorqua-t-ild’unairdégagéavantdesedirigerverssavoiture.—Jesuistellementdésolée,meditBrookeaprèsquej’eusrefermélaporte.Elles’approchademoietsaisitdoucementmesmainsballantes.—Jenem’attendaispasàcequeçasepassecommeça,dis-jeenmetournantverslemur,nepensant
qu’àMitchell.—Ilreviendra,m’affirma-t-elle.Ilestjustepasbiendanssatête.—Jesais.Brookem’aidaàemballerlesaffairesdemondésormaisex-colocataire.Iln’yavaitpasgrand-chose,
seulement quelques cartons de fringues, des films et des CD. Par chance, les meubles qui luiappartenaient étaient une petite table pour la télé et un tabouret de bar acheté aux enchères après lafermetureduDickey’sBarandGrill.Noussortîmesletoutprèsdelaported’entrée,aulieudelemettresurletrottoir.Jenevoulaispasprendrelerisquequ’onluivolequoiquecesoit,niqu’ilpleuvedessus.
Toutefois,aprèsdeuxjoursetdeuxnuits,Mitchelln’étaittoujourspasvenulesrécupérer.
7
BROOKE
ELIASMITPLUSIEURSJOURSÀDIGÉRERLABROUILLEavecMitchell.Çan’avaitriend’étonnant,carilsseconnaissaientdepuisencorepluslongtempsquenousdeux.Malgrétout,Eliassavaitqueçan’étaitpassafaute, et il n’allait pasnonplus se lamenter sur son sort.Mitchell était seul responsablede cequi luiarrivait.Finalement,Eliastombadansl’indifférence.Aprèstout,ilm’avaitencore,moi.
Levendredi,nousnousdemandionssinousdevionsmalgrétoutnousrendreàlarivièrelesoirvenu,carnousétionsàpeuprèssûrsd’yretrouverMitchell.
—Jepensequ’ondevraityaller,Elias.Ilnefautpaslelaissernousgâcherl’existence.Ilm’embrassasurlefrontetmeserralataille,alorsquej’étaisinstalléesursesgenoux.—OK.Allons-y.Maisnet’approchepasdelui,d’accord?Jeluipassailesbrasautourducouavantdeluidéposerunbaisersurleslèvres.—Jeseraitropaccaparéepartoipourmesoucierdelui,luiglissai-jed’untonsuggestif.Ilmesouritetmepressalesfesses.—Commentest-cequ’onenestarrivéslà?s’étonna-t-ilendétaillantmonvisage.—C’étaitinévitable,répondis-jed’unevoixcalme.Jedessinaiduboutdesdoigtslecontourdesespommettes,lepalpanttelleunestatuemagnifiqueet
délicate.Ilnes’étaitpasrasédepuisunmoment,maislabarbedequelquesjoursajoutaitàsonairsexy.—Tuterappellesnotrepremierbaiser?demanda-t-ilensouriant.—Biensûrqueoui,affirmai-je.Lesoiroùons’estrencontrés.—Non,jeparledenotrepremiervraibaiser.J’avalaidouloureusementmasalive.Jehurlaiintérieurement,tandisqu’uneautreréminiscencevenait
parasitercetinstant,mais,enapparence,jerestaiaussijoyeusequelui.—Oui,jem’ensouviens,dis-jedistraitement.Leregardbleud’Eliass’adoucit;iln’avaitpasremarquélatempêtequifaisaitrageenmoi.J’enfus
soulagée.—Jemesuistoujoursinterrogésurcejour-là,poursuivit-il.Quandtum’asdemandédet’embrasser,
est-cequetuvoulaissimplementt’entraîner?Honnêtement?Jedéglutisdenouveauetmesmainssemirentàtrembler.Jelesforçaiàsestabiliserennouantmes
doigtsderrièresanuque.Lesouvenirdenotrepremierbaiserétaitl’undeceuxquejechérissaisleplus.Jenel’oublieraijamais.Enrevanche,ilétaitdepuisquelquetempssystématiquementaccompagnéd’unautrequejenesupportaispas.
—Jenevoulaispasm’entraîner,admis-jeenm’évertuantàcamouflermadouleur.C’étaitjusteuneexcuse.J’avaissimplementenviequetum’embrasses.
Sonsourires’élargit.Puisileffleurameslèvresdessiennes,avantd’introduiredoucementlapointedesalanguedansmabouche.Jefondisdanssesbras.
Ilme fit l’amourcematin-là,avantquenouschargions lavoiturepournous rendreà la rivière. Jeremarquaialors–difficiledepasseràcôté–quelquechoseenEliasquejen’avaisjamaissoupçonné,mais qui me rendait absolument folle de lui. Chaque fois que nous couchions ensemble, il changeaitd’attitude,ilsecomportaitdifféremment,semontranttantôtbrutal,tantôtexplorateur,mêmes’ilsemblaittoujoursseretenir.J’avaisconnuplusieurshommes,maisaucund’entreeuxnefonctionnaitcommelui.Faire l’amour avec Elias était une découverte sans cesse renouvelée. Il était concentré, déterminé,méticuleuxetexpérimenté.Et,dès ledébutdespréliminaires, jemedemandaiscequ’ilallaitmefairecettefois.Cettesimpleincertitudeétaitparticulièrementexcitante.Voireeffrayante.Danslesenspositifduterme.
Pourlapremièrefoisdemavie,jenemesentaispasmald’êtrecommej’étais.Jen’avaispashontedemoi.Aucontraire,j’avaisl’impressiondepouvoirêtrepresquecomplètementmoi-mêmeavecElias.Presqueseulement.Jen’étaispasencoreprêteàluiinfligerça.J’avaispeurqu’ilnemeconsidèred’unautreœil,oudebaisserdanssonestime.
Car,envérité,j’étaisaccroausexe.J’avais toujours envie. De toutes les manières possibles. De l’extérieur, j’avais l’air d’une jeune
femme innocente, selon les critères actuels. Avant Elias, chaque fois que l’occasion se présentait decoucher avec unmec, j’en avais toujours honte après coup. Je n’avais envie d’aucun d’entre eux, nisexuellementniautrement.SeulEliasm’intéressait.
Etmaintenantque je l’avaisetque jeressentaiscesvibrationssexuellesquiémanaientde lui,monespritsemettaitàtourbillonnerfaceàl’éventaildespossibilitésquis’offraientànous.
Elias etmoi avions-nous plus de points communs que nous le soupçonnions ? Était-ce possible ?Était-ilaussiaccroquemoi?
Àcetteépoque,mêmesansconnaîtrelaréponseàcesquestions, j’avaisl’impressionquelavienepouvait pas être plus belle. Nous étions totalement et follement amoureux, vivant enfin l’existencecommune dont nous avions toujours rêvé. Il y avait tant de choses à faire, tant de routes à explorerensemble,etnousavionstoutl’avenirdevantnouspouryparvenir.
Cependant,ausoirdu20avril, toutallaitêtrebouleversé,etcetteviecommunequenousavionssilongtempsattendueallaits’effondrerautourdenous,commes’ils’étaitsimplementagid’uncruelcanular.
Nousatteignîmesl’endroitreculéoùavaitlieulafêtepeuaprèslanuit.L’airserafraîchissaitavecla
disparitiondusoleil,maisçan’avaitjamaisempêchéquiquecesoitdesebaigner.L’étén’étaitpeut-êtrepasofficiellementarrivé,maisici,enGéorgie,c’étaittoutcomme.
Ilyavaitdestasdegensdanslarivière,j’enconnaissaisquelques-uns,maispasbeaucoup.Plusieurstentes avaient été dressées dans les bois, suffisamment éloignées les unes des autres pour qu’ellesconserventchacuneunpeud’intimité.Deuxfeuxdecampétaientenroute,tousdeuxprisd’assautpardesfêtards, buvant et discutant. Une odeur d’herbe flottait dans l’air.Moins de deuxminutes après notrearrivée,alorsquenousavionsencorenotrematérieldecampingdanslesmains,onnousproposaunjoint.Nous nous arrêtâmes pour prendre une taffe avant d’aller choisir l’endroit où nous allions passer leweek-end.
—Jene l’aipasencorevu,dis-jeenparlantdeMitchell tandisque jedéposais laglacièreàcôtéd’unarbre.
Eliasouvritlesacdetenteetcommençalemontage.—Avecunpeudechance,ilneviendrapas.—J’espère,admis-je.Unefoiscorrectementinstallés,nousretournâmesaucampprincipal,oùtoutlemondeétaitassis.Une
radioportablecrachaitdelamusique,maislarivièreétaitsiprochequelecourantnoyaitpresquelesonsortantdeshaut-parleursminuscules.
Noustrouvâmesuneplaceprèsd’uncouple,etletypetenditsansattendreunautrejointàElias.Ilpritune longueboufféequ’ilme transmitensoufflette,me recrachant la fuméedirectementdans labouche.Leslarmesmemontèrentimmédiatementauxyeuxtantilsmebrûlaient,maispeum’importaitdésormais.
—J’te l’dis,mec,ditnotrevoisindegaucheenplaisantantàmoitié,après lemariage, toutpartencouille.Fautpass’passerlacordeaucou.
Il tira sur le joint, puis laissa la fumée remonter entre ses lèvres entrouvertes afin de pouvoirl’inspirerdenouveauparlesnarines.
—Ilestbienplacépourlesavoir,intervintlablondeàcôtédelui.(Elleluipritlacigaretteentrelapointedupouceetdel’indexetfumaàsontour.)Monimbéciledefrèreiciprésentaétémariédeuxfois.(Savoixsecassalégèrementetdéraillatandisqu’elleretenaitlafuméedanssespoumons.)Ilestrestéavecsonexpendantsixans.Uncoupleparfait.Ilssesontmariésetpaf!dit-elleenaccompagnantsonexclamationd’unclaquementdedoigts.Destructionimmédiated’unerelationparfaitementsaine.
Unéclatderirefenditl’air.Eliasmefitvenirentresesjambesetm’enlaçapar-derrière.Jevoyaisbienqu’iln’écoutaitpasles
conversationsquisepoursuivaientalentour.Nicelledumecmalheureuxenamour,nicellequitournaitautourdel’endométriosediagnostiquéeànotrevoisinededroite.Ilprofitaitsimplementdesontrip,etjetâchaideplaneraveclui.
Nousdéconnectâmestousdeuxunmoment,moientresesjambes,adosséeàsontorse,écoutantsurtoutle mélange de radio et de courant, qui, curieusement, fusionnaient harmonieusement. Être défoncéeconférait de nombreux avantages aussi étranges qu’inattendus. Après quelques heures, la plupart desautresétaientpartisnagerousecoucher,tropivrespourrésisteràl’appeldeMorphée.
Eliasenfouitsonnezàl’arrièredemoncou.Jemepenchaienavant,enproieàunfourmillementquimeparcouraitl’échine.
—Tuveuxallertebaigner?Outupréfèresretournerdanslatenteavecmoi?ajouta-t-ild’unevoixsuave,toutcontremonoreille.
Jegloussailégèrementetinclinailatêtepourabandonnermoncouàseslèvres.Jesentissesdentssurmapeau,cequimedonnalachairdepoule.
—Onpourraitfairelesdeux?suggérai-jeenm’amusantàluilécherleboutdelalangue.Ilseredressaensouriant.—Tuveuxtebaignerdanslatente?Jeluidécochaiunlégercoupdecoudedanslescôtes.—Non,dis-jeenpivotantsurmesgenouxpourmepositionnerfaceàlui.Jeluimordislelobedel’oreilleavantd’ajouter:—Tupourraismebaiserdansl’eau.EtnousétionsprécisémententraindelefairequandJanaetMitchellfirentleurgrandeapparition.Celui-cisautad’unrocherhautdeplusieursmètresetfenditlasurfacenonloindenous.Jepoussaiun
petitcridepanique,maisEliasétaitsiprèsdelajouissancequ’ilneselaissapasdéconcentrer.C’étaittoujoursplusdifficiled’atteindrel’orgasmedansl’eau,etiln’étaitpasquestionderéduireànéantnostrenteminutesd’effortsavecmesjambesautourdesatailleetseslentsva-et-vient.
Ilmeserraplusprèsdelui,unbrasplaquédansmondos,l’autreàmoitiéentremesfesses,pourmemaintenirenplacequandjesursautai.
— Fais comme s’il n’était pas là, me dit-il en plongeant son regard dans le mien, sa bouche àquelquescentimètresdemeslèvres.
Ilnesedétournajamais.Cequimerendaitdingue.Jeplaquaimapoitrinecontresontorsemusculeuxetl’embrassaifougueusement.Ilmedévoralabouchesanscessersesmouvementsdepistonsous-marins.Jeléchail’eauquiluidégoulinaitdesjouesetdeslèvres.Ils’enfonçaalorsplusprofondémentenmoi,melabourantdouloureusementledosdesesongles.
—Oh,regardez!s’exclamaMitchell.C’estmonmeilleurpote.Quim’afoutudehorsàcaused’unegonzesse.
Elias resta demarbre. Pourma part, j’étais furieuse. Et un peu inquiète à l’idée que quelqu’un –surtoutMitchell–remarquecequenousfaisions.Iln’avaitcertainementpasbesoindeplusdemunitionspourmenerlaguerrequ’ilvenaitdenousdéclarer.
Janasautaalorsdansl’eauàsontour,heureusementunpeuplusloinqueMitchell.—Viens,Mitchell,l’entendis-jel’appeler.(JenequittaipasuninstantEliasduregard.)Nejouepas
àçaici.Tuvasfoutreenl’airlasoiréedetoutlemonde,passeulementlaleur.Ilspartirentennageantdansladirectionopposée,nouslaissanttranquilles.Mais,apparemment,laprésencedeMitchelletsarancœurdéplacéeàl’encontred’Elias–aulieudes
excusesquecelui-ciespéraitsijamaistousdeuxvenaientàsecroiserdurantlasoirée–avaientfiniparromprelecharme.Eliasseretirasansavoirjouietmeserradanssesbras.
—Jesuisdésolé,dit-ilenm’embrassantlesommetducrâne.—Pourquoitut’excuses?(Jel’embrassaiàmontour,surleslèvrescettefois.)Cemecestungros
connard.Assezgros pour faire débander n’importe qui. (Je sortis lamainde l’eau et lui aspergeai levisage.)Onfiniraplustard.Delamanièrequiteconviendralemieux.
Pendantuneseconde,jecrusqu’Eliasallaitsourireetsejoindreàmesjeuxespiègles,maisunelueurétrangeétinceladanssesprunellesquand jeprononçaicettedernièrephrase. Ilmeconsidéraavecuneintensecuriosité.
—Delamanièrequimeconviendralemieux?Jeposaitroisdoigtssursonnezpuisleslaissaiglisserjusqu’àseslèvres,oùillesembrassaunpar
un.—Ouais,répondis-jeévasivement.Tusaisquetupeuxmefairetoutcequetuveux,pasvrai?Ilavaittoujoursl’airincroyablementcurieux,maisjevoyaisbienqu’ilavaitaussipeurquemoide
direàquoiilpensaitvraiment.Nousétionsencoreentraindetâterleterrain.Dechercherleslimitesànepasfranchir.Espérantqu’iln’yenaitaucune.Maisredoutantd’effrayerl’autre.Nousaurionsdûsavoirquerienn’auraitpunousfairefuir,celanousauraitépargnénombredefrustrations.
Unegerbed’eaugéantenousrecouvrittelunrouleauocéanique.Eliasetmoirompîmesnotreétreinte.Jen’yvoyaisplusrien; l’eaumebrûlait lesyeuxautantqu’ellemepiquait lesnarinesetlefonddelagorge.
—Putain,mec?!s’écriaElias.Jerepoussaimalourdetignassebrunequim’étaittombéesurlevisageetparvinsenfinàrouvrirles
yeux. Je découvris d’abord Elias, l’air assassin. Je nageai jusqu’à lui et me plaquai contre son dos,passantlesbrasautourdesesépaules,luiceignantlatailledemesjambes.
Mitchellarboraitunsourirejusqu’auxoreilles,visiblementfierdenousavoiréclaboussés.—Allonsdanslatente,suggérai-je.Eliasfitminedenepasm’avoirentendue.
—Tuas vingt-sept ans,mec, aboya-t-il àMitchell.C’est unpeuvieuxpour ces gamineries, tu necroispas?
—Sérieux,Elias,allonsdanslatente.Mitchelléclataderireetsecouchasurledos,selaissantflottersurlasurface.Ilcrachaunjetd’eau
enl’air.Jana,quifaisait laplancheprèsdelui, l’esquivaenfaisant lagrimace.Mitchelln’ajoutarien,maisluietEliasnesequittèrentpasdesyeuxtandisquenoussortionsdelarivièrepournouséloignerdeluiautantquepossible.
—Onpeutrentreràlamaison,situveux,meditElias.Ilrepoussaunebranchebassepourmelibérerlepassage,toutenplaquantl’autremainaucreuxde
mesreins.—Non,j’aienviederester,répondis-je.Qu’ilaillesefairevoir.Jen’enrevienspasqu’ilpuissese
comportercommeça.J’ail’impressiond’êtrederetouraucollège.—Ehbien,commetuledisais,c’estàcausedeladrogue.Iln’estclairementpaslui-même.Nousremontâmes,maindanslamain,lecheminrocailleuxmenantànotretente.Maisavantd’arriver
aubout,matonggauchesecassa.—Merde.Jemepenchaipourexaminerlasangle,tentantdelarattacherafinqu’elletienneaumoinsjusqu’àla
findenotrebalade.Eliasmesoulevadeterre,mefitpassersursondosetmeportajusqu’ànotrecampement.J’avaislesbrasenroulésautourdesoncou,etlessiensétaientreferméssurmescuisses.Nous restâmes un long moment allongés en silence, mais ni lui ni moi n’arrivâmes à trouver le
sommeil.Nousfîmesl’amourdansunepositioninconfortable,puisnousdiscutâmesunmomentavantdedéciderd’allerexplorer lesenvirons.J’«empruntai» lessandalesd’unefilleendormiedansune tentevoisine,etEliasetmoinousenfonçâmesdanslesbois.
8
BROOKE
—ETSIONSEPERD?DEMANDAI-JEENSERRANTLAMAINd’Elias.Onn’apasfranchementapportédekitdesurvie.
— On ne va pas loin, répliqua-t-il. J’ai vu une corniche pendant qu’on se baignait. Des gens ytraînaient.C’estjustelà,précisa-t-ilentendantledoigtdevantlui.Jaredetd’autresmecssontpassésparlàpours’yrendre.
Je lesavaiseffectivementvusfaire,et jem’étaisdemandépourquoi tout lemondeallaitdanscettedirection.
Après quelques minutes d’excursion entre les arbres, les broussailles, les branches mortes et lesrochers glissants, nous émergeâmes dans une clairière, au sommet d’une crête dominant la rivièreplusieursmètresencontrebas.Unfeudecampéteintfumaitencore;desrésidusdechaleuretd’odeurss’élevaientencoredesbrindillescarboniséesdisposéessurlepetittasdeterre.Quelquesbouteillesdebièrevidesjonchaientlesol.
Nousnousapprochâmesdurebordetnouspenchâmesversl’eau;leclairdelunesereflétaitsurlasurfaceenunemyriadedepetitsdiamants.Certainsdenosamisnageaientencore,d’autresflottaientsurdepetitsradeauxenplastique,maistoutétaitrelativementcalme,legrosdelafêteétantterminépourlanuit.
Jem’assisauborddelafalaiseetremontaimesgenouxcontremapoitrine,lesentourantdemesbras.Labrisem’ébouriffaitdoucement lescheveux ; je fermai lespaupièreset tendis lementonvers lecielpourrespirerlecalmedelanuit.
Eliass’installaprèsdemoi,posantsespoignetssursesgenouxpliés.—J’aifaillivenirtechercherenCarolineduSud,déclara-t-il.Jeluilançaiunregardencoin.Ilobservaitl’eau.—Pourquoitunel’aspasfait?m’enquis-je.—Mitchellm’aditquetuétaisfiancée.Jemeretournaiverslui,choquéeparcequejevenaisd’entendre,maisjemerendiscomptequecela
nemesurprenaitpasplusqueça.—Ehbien,ilt’amenti,déclarai-jed’unevoixcalme.Aprèsunecourtepause,j’ajoutai:—Danstouslescas,j’auraisaiméquetuviennes.Elias plongea son regard chargé d’émotion dans lemien. Le vent décoiffait la tignasse brune qui
encadraitsonvisagemalrasémaismagnifique.—Jesais,répondit-ilensedétournant.Ettuauraisdûm’appelermoi,aulieudeMitchell.Iln’yavaitpaslamoindretracedereprochenideressentimentdanssavoix.—Jesais,admis-je.—J’imaginequ’ilyadestasdechosesquenousaurionspuoudûfaireautrement,reprit-il.Maistu
esrevenuemalgrétout.Et,àprésent,noussommesensemble.Çacompteforcémentpourquelquechose.Unsilences’installaentrenous,nouslaissantletempsderéfléchir.—Est-cequetul’aimais?Je parlais d’Aline, et je savais qu’il n’était pas nécessaire de le préciser. Mitchell m’avait
suffisammentparléd’elle.—Ouais,répondit-il. (Jesentismonestomacsenouerdefaçondésagréable.)Maisellen’étaitpas
toi.Jepeuxaimerdestasdegens:Aline,mesparents…putain,mêmecet imbéciledeMitch.Maisjen’aimeraijamaispersonnecommejet’aime,toi.
Lenœuddansmonventresedesserraetdiffusauneespècedechaleur.—Ettoi,tul’aimais?m’interrogeaElias.Jepoussaiunsoupiretcontemplaidenouveaulasurfacedel’eau.—Non,déclarai-je en toutehonnêteté. Je, euh…Jecroisque jemesuis serviede lui, admis-jeà
Eliasenmêmetempsqu’àmoi-même.Et bien que celame donnât l’impression d’être une horrible personne, j’avais soudain ressenti le
besoindecrachercettevéritéquejetaisaisdepuissilongtemps.Jepoursuivis:—Avantmêmedepartir,avantqu’onsemetteensemblelejourdetesvingt-deuxans,touslesmecs
aveclesquelsjesortaisétaient,aufonddemoi,làpourtesuppléer.C’estpourçaqu’aucund’entreeuxn’aduré,pourçaquej’avaisdumalàfaireteniruneliaisonplusdedeuxmois.Jetel’aidéjàdit,Elias,j’aitoujourseupeurd’êtreavectoi.Degâchercequenousavionsensemble.
—Jesais.Cefuttoutcequ’ildit.J’eusl’impressionqu’ilvoulaitquejepoursuive.Cequejefisdonc.Jeprisunelongueinspirationetmemisàpianoternerveusementsurmesgenoux.—Lissam’aprésentéGarrett,dis-je.C’étaitunamidesonfrère.Jenesaispascequim’apris,ni
comment j’ai fait pour rester un an avec lui,mais c’est arrivé. Je ne l’aimais pas,mais je crois quej’avaisbesoindelui.Iln’étaitpastoi,maisaumoinsilétaitlà.
Etj’avaisbesoindebaiser,metrouvai-jeincapabled’ajouter.Jenevoulaispascoucheràdroiteàgaucheavecn’importequi,etdoncj’enaitrouvéunetjemesuisinstalléeavec.Jemesuisserviedeluipourlesexe.Commesubstitutdetoi.Jemesuislittéralementserviedelui.Jesuishorrible.
Jenepusavouertoutcelaàvoixhaute.J’enavaisenvie.Jelevoulaissifortquej’avaislesmotsauboutdelalangue,toutcontremesdents.Ilfallaitquejedévoilelavérité–ausujetdeGarrettetdetousceux qui avaient suivi – pourme soulager de ce fardeau.Mais j’avais encore peur. Je savais que jepouvaismefieràEliasplusqu’àn’importequid’autre,qu’ilmesoutiendraittoujours,quelsquesoientmes défauts.Mais c’était à double tranchant, car je redoutais de perdre cette personne si unique. Etj’avaisdéjàvudesgenssebrouillerpourmoinsqueça.
—Tumecachesquelquechose,devina-t-il.Magorgeseserra.—Tusaisquetupeuxtoutmedire,poursuivit-il,alorsquej’étaisincapabledecroisersonregard.Il
n’yarienquetupuissesdireoufairequimepousseraitàtequitter.Il savaitque jene luidisaispas tout,et ilmouraitd’enviedeconnaîtremessecrets.Et jemourais
d’enviedelesluirévéler.Maisilnevoulaitpasmebrusquer.Ilvoulaitquejelesluidisequandjeseraisprête,toutenmefaisantcomprendrequeçanecauseraitpasdeproblèmeentrenous.
Etjelecroyais.Jefinisparplongermonregarddanslesien,etilmesouritavecchaleur.J’allais tout dévoiler. Soudain, cela me semblait être le bon moment. Cette étroite fenêtre durant
laquelleilétaitbienvenudedireoufairequelquechosevenaitdes’ouvrirpourmoi.Jemesentisravieetvivante,impatientedeneplusavoiràsupporterseulecepoidsquim’écrasaitlapoitrine.
Maiscettefenêtreserefermatroprapidement,etjemerecroquevillaisurmoi-même.Ils’enrenditimmédiatementcompte,carjevislalueurd’espoiretdedéterminations’éteindredans
sesprunellespeuaprès.Iln’étaitpasencolère.Déçu,sansdoute,maisjamaisfâché.Etjenel’enaimaiquedavantage.Ilmepritparlanuquepourm’attireràlui.Ilposaseslèvressurmonfront.
—Tusaisquoi?Jecroisque jepréféreraisdormir iciquedanscette tenteétouffante, finis-jepardireaprèsuneminutedesilence.
Eliasfitlamoueetfinitparserangeràmonavis.—Cen’estpasunemauvaiseidée.Onestinstalléspasloin,jerevienstoutdesuite.Ilsepenchasurmoipourm’embrasser,puistraversalaclairièreetdisparutparmilesarbres.Je me sentais tellement en paix, assise ici au sommet de la corniche avec la vue sur le décor
enténébréet la rivièrequi sinuaitdans lesboisendessous. Je levai lesyeuxvers lecielet fermaidenouveau les paupières afin de bien sentir le vent surmon visage. Il y avait bien longtemps que je nem’étaispassentieaussilibre,sansdoutedepuisl’enfance.Jedétestel’idéequ’engrandissantonserendecomptequelavieneserapastoujoursaussidouce.J’auraistantaimépouvoirrevenirenarrière.
J’entendis des bruits de pas derrièremoi, et supposai d’abord qu’Elias était revenu plus vite queprévu.Maisdeuxsilhouettesémergèrentprèsdelàoùilavaitdisparu.
Tandis qu’elles se rapprochaient, je me rendis compte grâce au clair de lune que la blondemaigreletteétaitJana.Jen’avaisjamaisvul’autrefille,unebruneauxcheveuxcourts.
Jemelevaitandisquelapremièrechancelaitversmoi.L’autrelasuivaitdeprès.—Putain,qu’est-cequeturegardes?mesembla-t-ilentendre,mêmesilesmotsdeJanaétaienttrop
hachésetmalarticuléspourquej’ensoiscertaine.Elleétaitclairementbourrée.Etpeut-êtredéfoncée.Bienplusquesonamie,quin’avaitaucunmalà
setenirdroite.—Çava?demandai-jeàJana.Sonhautdebikininoirpendaitmollementdevantsesseins,lesdissimulantàpeine.Ellen’avaitpas
rattachélesbretellesderrièresoncou.Elleportaitunshortdegarçonetétaitpiedsnus.Jeremarquaiquel’undesesgrosorteilsétaitensang.
—Çava putain de bien, répondit-elle avec un grand sourire alcoolisé.Dis donc, tu serais pas lacopineàElias?
Elledéplia lentement ledoigtpourmedésignerd’unemain tremblante.Puiselle se tournavers sacopineetprécisa:
—C’estd’ellequejeteparlais.Janatitubadenouveauetfaillittomber.Jelarattrapaiparréflexeetlaretinsparlecoude,maiselle
selibérad’unesecousse.—C’estbon,grogna-t-elle.Pastouche.Jet’aiditqueçaallait.Commejen’avaisdetoutefaçonaucuneenviedel’aider,j’obtempéraivolontiers.—Etoui,jesuisbienlacopined’Elias,finis-jeparrépondre.Elletentadesourire,maisfutbienviteobligéedeseconcentrersursespaupièresquipapillotaientet
menaçaientdesefermertoutesseules.
—C’estunboncoup,medit-elleavantdeseretournerverssonamie,quiavait l’airdes’ennuyerfermeetauraitsansdoutepréféréretourneràlafêteplutôtquerestericiennotrecompagnie.
Jeserrailesdentsenencaissantsoncommentaire,maisparvinsàconservermonsang-froid.Janaéclataderireetmanquadenouveaudetomber.Cettefois,jenefispasungestepourlaretenir.
J’avaistrèsenviedelavoirparterre.—Ilsm’onttouslesdeuxbaiséeenmêmetemps,ajouta-t-elleenparvenantenfinàplaquerunrictus
sursonvisage.(Ellenesemblaittoutefoispass’envanter,simplementprendreduplaisiràseremémorerlascène.)LuietMitchell.Putain.(Puiselleplantasonregarddanslemienetmemontradudoigtunefoisencore.)Tuascouchéaveclesdeux?Jemedoutequeoui,vuquetuvivaisavecettoutça.
Elle avait dit cela le plus naturellement du monde, comme si nous devisions aimablement sur lecontenu de notre petit déjeuner.Manifestement, elle n’aurait rien dit de tout ça si elle ne s’était pastrouvéedanscetétat.Non,jeretire:toutbienréfléchi,ellel’auraitsansdoutefait.
—Euh…non,répondis-jeenm’efforçantderestercalmepouréviterdelagifler.—Retournonsprèsdufeu,suggéralabrune.—Ehbien,tudevrais,meditJanacommesiderienn’était.Lehautdesoncorpsoscillaitd’avantenarrière,tellelacimed’unarbreployantaugréduvent.Puisellebranditsonindexsousmonnez.—Oh,monDieu ! s’exclama-t-elle,me gratifiant au passage de son haleine chargée.On pourrait
carrément faireunplanàquatre.Ça tebranche?Oumêmeàcinq ! (Elledésignasacopine,qui fit lagrimace.)Attends…Ças’appelleunepartouze,nan?ajouta-t-elle,l’airahurie.
Jedéglutisdouloureusementetreculaid’unpas.—Non,répondis-je,jecroisquejevaispassermontour.—Euh…ouais,moiaussi,renchéritlabrune.Jana,jeteconseillederetrouvertatenteetd’allerte
pieuter.Sérieusement.—D’accord,commetuveux,réponditl’intéressée,maispasàsonamie.Elles’adressaittoujoursàmoi.Sespaupièressemirentdenouveauàtomber.—C’estsansdoutemieuxcommeça.Jecroisquej’aidéconnéencouchantaveceux.Enfin,c’étaitil
yapassilongtemps,maisjecroisquejesuispeut-êtreenceintedetonmec.Labrisemebrûlalesyeuxquandjelesouvrisengrand,touteninspirantbrusquementsansdesserrer
lesdents.—Qu’est-cequetuasdit?Labrunesecoualatêteetbattitenretraite.—Bon,onsevoitplustard.Jenesuispasd’humeuràassisteràunescène.Puisellerepartitensuivantlemêmecheminqu’Elias,nouslaissantseulestouteslesdeux.Jana tourna la tête dans tous les sens et essayade réprimerun rire en seplaquant le doigt sur les
lèvres.Maintenant,ellesevantait.—Ouais,j’ai,genre,cinqjoursderetard,dit-elleenfaisanttournoyerunemainenl’air,raviedeme
servircegenred’information.Alorsqued’habitude je suis régléecommeunehorloge.Alorsouais, jesuisàpeuprèssûred’êtreencloque.
Je lui balançai mon poing juste entre les deux yeux, et sa tête bascula en arrière. Je ne sais pascomment elle a fait pour rester debout. Je n’avais pas su retenir ce geste réflexe, furieuse d’avoir étéprovoquéedelasorte.Je leregrettaicependantdès lasecondeoùlecoupporta.Mesphalangesmelereprochèrentamèrement.
Elleéclataderireensetenantlenez.
—J’espèrepourtoiquecen’estpasvrai,lançai-jeaveccolère.Puisjemedirigeaiàmontourverslaforêt.Ellem’emboîtalepas.—Sinonquoi? semoqua-t-elle.Toutceque tu feras, c’est legarderunweek-end surdeux.Et je
t’emmerde.Ellepartitd’unnouveléclatderire.Jenem’arrêtaipas.J’étaistellementaveugléeparlacolère,lahaineettantd’autresémotionsqueje
nemerendispascomptequej’empruntaislemauvaissentier.Ellecontinuaitdemesuivre,etjecontinuaisd’avancer.Ellenecessaitdem’agonird’insultesetde
meprovoquerdavantage.Deslarmesruisselaientsurmonvisage.J’avaislesonglesenfoncésdansmespaumespresquejusqu’ausang.Jen’arrivaispasàmesortircesimagesdelatête:elleenceintedubébéd’Elias,lui,partagéentrenousdeux,finissantparmequitterpourelle,convaincudefairecequ’ilfallait.Jel’imaginaimêmel’épouser.Leurvieentièredéfiladevantmesyeux,etsansmêmem’enrendrecomptej’aboutis au bord d’un ravin. J’avais dû bifurquer au mauvais endroit et, si je faisais demi-tourmaintenant,j’allaiscroiserlechemindeJana,quiserapprochaitdeplusenplustoutenricanantetenmebalançant des mots crus et insultants qui me donnaient des envies de meurtre. Au sens figuré, bienentendu.
—Dégage!luilançai-jeenfaisantvolte-face.Jetentaidelabousculerhorsdemonpassage,maisellemeretintparlebras.—Dégage,bordel!beuglai-jedenouveau.Unedouleurfulgurantemetraversalatempe.Jetournaisuruntalonetbasculaienarrière,trébuchant
surunepierre.Avantdemerelever,jeportailamainàl’endroitoùellem’avaitcognée,letempsdebienmerendrecomptedecequ’elleavaitfait.Puisjebondissurmespiedsetfusàdeuxdoigtsdelatabasser.Nousétionspresquefrontcontrefront,j’avaislespoingsserréslelongducorps.
Jen’arrivaispourtantpasà la cogner.Si elle était effectivement enceinte, jem’enprendrais à sonbébé autant qu’à elle. Je haïssais cette salope d’avoir fait irruption dansma vie et d’avoir détruit cequ’Elias etmoi avionsmis tant de temps à construire. Je ne pouvais pas lui rendre lamonnaie de sapièce. Jem’éloignai donc,mais elleme tira violemment les cheveux des deuxmains. Son geste étaitviolent,presqueanimal,sibienquejecrusqu’elleallaitm’arracherlatêtedesépaules.Ellemebraillaquelquechosequejenecomprispas,ettoutcequejepusfairefutdetenterdemelibérerdesessalespattes.
Jeparvinsenfinàmeretournercomplètementetàluifairelâcherprise.—DÉGAGE!m’écriai-jeenlarepoussantdésespérément.Elletitubaenarrière.Jemefigeaid’horreurenlavoyantincapabledeseraccrocheràuntronc,s’emmêlerlespinceauxet
basculerdansleravin.Dans le silence insondable qui m’enveloppa alors, j’entendis son corps heurter les rochers en
contrebasavecuncraquementrévoltant.Jecessaiderespirer.Toutsemblasefigeràcetinstant.Levent.Leciel.Larivière.Lemonde.Tout…
9
ELIAS
QUANDJEMERENDISCOMPTEQUEBROOKEN’ÉTAITplusassisesurleborddelacornicheoùjel’avaislaissée,jem’aventuraiplusloindanslaclairière,noscouverturespasséessurl’épaule.
—Brooke?l’appelai-jeenscrutantlesalentours.Jenem’inquiétai d’abordpas trop,medisant qu’elle avait dû aller se vider la vessie derrièreun
arbre,etj’étendisnoscouverturesparterre.Puisj’eusunhorriblepressentiment.Jeme précipitai jusqu’au ravin etme penchai par-dessus.Mon cœur tambourinait contrema cage
thoracique. Je plissai les yeux pour tenter de percer les ténèbres, puis je me forçai à reculer en merendantcompteque,sielleétaittombée,jenepourraisdetoutefaçonpaslavoird’ici.
Elledevaitêtrequelquepartdanslecoin.C’étaitforcé.—Brooke?appelai-jederechef.Putain,oùtues?Toujourspasderéponse.Je cédai rapidement à la panique. Je restai aussi immobile et silencieux que possible pendant de
longues secondes, espérant entendre dubruit dans les bois,mais envain. Je plaçai les deuxmains enporte-voixethurlai:
—BROOKE!Moncrirésonnadanslanature.Toujourspasderéponse.Jemesentismal.Elleneseraitpaspartie
sans raison, pas au milieu de nulle part. Et même si elle avait décidé de me rejoindre, je l’auraisforcémentcroiséeenremontant.
Je courus jusqu’à la lisière des bois, cherchant le moindre signe d’elle, ou quelque autre sentierqu’elleauraitpuemprunter.Jerefusaisdecroirequ’elleaitputomberdanslevide.
Jeremarquaialorsunchemins’enfonçantverslesud;jem’apprêtaisàlesuivrequandjeperçusdesbruitsdepasdanslesfeuilles.Sanssavoirsic’étaitelle,jem’élançaiàtraversbois.Unebranchefinemefouettalefront,maiscelanemeralentitmêmepas.
Brookeetmoifaillîmesnousrentrerdedans.—Merde,oùest-cequetuétais?Tum’asfoutulatrouille!J’allaispourlaprendredansmesbrasquandjeremarquaisoncomportementétrange.Ellenem’avait
pasrépondu,n’avaitmêmepasrelevélatêteversmoi.—Est-cequetuvasbien?Jeluiprislesmains.Ellestremblaient.Soncorpsentiertremblait.
Jeluiprislevisageencoupeetlesoulevailégèrementpourlaforceràmeregarder.Ellepleurait,etquelquechosedanssesyeux…jen’arrivaispasàsavoirquoi,maiscelameperturbait.Jemedemandaisielleavaitseulementconsciencequejemetenaisdevantelle.Sescheveuxétaientenbataille,quelquesfeuilles étaient suspenduesentre sesmèches.Sa jouegaucheétaitmaculéedepoussière.Elle semblaits’êtrebattue.
Jeportailamainàsalèvreéclatée,d’oùunlégerfiletdesangs’écoulait.—Brooke,tumefaispeur.Qu’est-cequis’estpassé?Jelasecouaidoucement;puis,commeellenerépondaitpas,deplusenplusfort.—Qu’est-cequis’estpassé?Parle-moi!Sabouche frémit et denouvelles larmesperlèrent au coinde sesyeux.Puis, comme si unbarrage
avaitcédé,ellesemitàcrieretàsangloterenmêmetemps.—C’étaitmafaute!Elias!Oh,monDieu!—Qu’est-cequis’estpassé?grondai-je,ayantaussipeurpourellequepourmoi,sentantmoncœur
surlepointdeserompre.— Jana ! s’écria-t-elle d’une voix chevrotante. (Puis elle se mit à bafouiller.) Elle… elle est t-
tombée.Janaestt-tombée.Delaf-falaise!—Quoi?J’avaisbrusquementrecouvrémoncalme.Jepensequejen’avaispasencorebienprislamesurede
cequ’ellem’annonçait.Puis,soudain,jecompris,etmoncœurs’arrêtadebattre.Jem’accroupisdevantelle,serrantsesmainstremblantesentrelesmiennes,scrutantsesyeuxrougis
etbaignésdelarmes.—Brooke,regarde-moi.Regarde-moi!(Elles’exécuta.)Tuenessûre?Ellehocha la têtede façonsaccadée.Sespleursnes’étaientpas taris.Sonvisagemagnifiqueétait
déformépartouteladouleur,l’angoisseetlaculpabilitéqu’unepersonnepouvaitéprouver.—Montre-moi,exigeai-jed’unevoixfermevisantàréprimermapeuretlapanique.Emmène-moioù
ças’estpassé.Ellecommençaparrefuser,puisellefinitparobtempérer.—D’accord.Jelasuivisdeprèstandisqu’ellememenaitjusqu’àunravinàmoinsdedeuxminutesdelaclairière.
Je lui tinsfermement lamainenm’approchantdurebord.Quinzeouvingtmètresplusbas, lecorpsdeJanagisaitsurlesrochers.
—Putaindemerde…Brooke fondit en sanglots incontrôlables et s’enfouit le visage dans les mains. Je l’étreignis
puissammentcontremontorse,empêchantsoncorpsdetrembler,luimaintenantlatêtedesdeuxmains.— Chut, mon cœur, s’il te plaît, arrête de pleurer. Écoute-moi. Il faut qu’on descende voir. Elle
respirepeut-êtreencore.Tupeuxfaireça?Brooke,tupeuxm’aideràlefaire?Jefaisaisdemonmieuxpourlacalmer.Jesoutinssonregardjusqu’àcequ’ellesemblerecouvrerun
semblantdecohérenceetsoitprêteàcoopérer.J’essuyaileslarmesquiluiinondaientlesjoues.Ellehochalatête.—Onvatrouverunesolution,d’accord?Maintenant,viens,ondescend.Ilnousfallutuneéternité,aumoinstrenteminutes,pourtrouverlecheminleplusaccessiblejusqu’au
corpsdeJana.Unefoisenbas,jesusavantmêmedem’approcherqu’elleétaitmorte.Janaétaitmorte.Janaétaitmorte.Cesmotstournaientenboucledansmatête,encoreetencore,telundisquerayé.Jecroisque,pendant
deuxbonnesminutes,jesubisunesortedetranse,carrienautourdemoineparaissaitréel.Jen’arrivaispasàdétournerleregardducadavre.Lapierresoussoncrâneluisaitd’unrougebrillantquiressortaitdanslanuit.Sesyeuxétaientouverts,braquésversleciel,videsetsansvie…Ilssemblaientracontercequis’étaitpassé.JemetournaienfinversBrooke,deboutprèsdemoi,complètement traumatisée.Elleallaitcraquerd’uninstantàl’autre.Elleallaittomberdansunétatd’oublidontjen’étaispascertaindepouvoirlatirer.
Je laserraidenouveaucontremoi,plusfortencoreque lesfoisprécédentes,etsentissescôtessefrotterauxmiennes.
—Resteavecmoi,luidis-je.Onvatrouverunesolution.Tucomprends?Etjelamaintinslà,prèsducorpssansviedeJana.Jepensaiàmamèreetàcequ’ellemerépétaitsansarrêtquandj’étaispetit:Faisetdistoujoursce
quitesemblejuste,quoiqu’ilarrive.Et jememis à pleurer enme récitant ces paroles. Je pleurai en longs sanglots etme laissai aller
commel’avait faitBrooke, l’écrasantcontremoi, refusantde la laisserpartir.Finalement,auprixd’ungroseffort,jel’écartaidemoietlasaisisparlesépaules.
—Moncœur,regarde-moietdis-moi…jure-moi…quec’étaitunaccident.Elletombaàgenouxsurlapierre,etjesuivislemouvement.—Jet’enprie,Brooke,dis-moilavérité.—C’étaitunaccident!Jetelejure!Jel’aiforcéeàmelâcher,maiselleareculétroploin,ellea
trébuchéetelleesttombée.Jenepensaispasl’avoirpousséesifort!Jenevoulaispaslapoussersifort!Elleavaitbeaucrierchacundecesmots,ellesemblaitsurtoutessayerdeseconvaincreelle-même,
dese forceràcomprendrecequis’étaitproduit.Sonvisageétait ravagédedouleur,sespoingsserréscontresescuisses.
Jevoulusluiprendrelatête,maisellesepenchadecôtéetsemitàdégueulersurlarivedétrempéeprèsdurochersurlequelnousnoustrouvions.Jeluitirailescheveuxenarrièreetlamaintinslégèrementparlataillepourl’empêcherdetomber.Ellecriaitsifortquesavoixétaitérailléequandelletentadeparlerentredeuxrenvois.
—Jenevoulaispas…(Elleseremitàvomiravantd’avoirfinisaphrase.)Jen’essayaispas…Enfin,quandellen’eutplusrienàcracher,elles’effondracontremoietjel’enveloppaidemesbras
enlaberçanttendrement,luicaressantlescheveux.—J-jeneveuxpasallerenprison,dit-elle.Ilsvontmefoutreentaule,Elias.Jenepeuxpasprouver
quec’étaitunaccident.Elias,ilsvontm’accuserdemeurtre.(Savoixrepartaitdanslesaigustandisquesoncorpssecontractait.)S’ilteplaît,neleslaissepasmemettreenprison!
Sespleursredoublaientd’intensité.—Chut…Çan’arriverapas.Dis-leurlavérité.Contente-toidedirelavérité,ettoutirabien.J’en
suisconvaincu.Jen’encroyaispasunmot.—Non,Elias,sanglota-t-elle.Ilsn’avalerontjamaismonhistoire.Desgenssaventquetuascouché
avecelle.Mitchelllesait.Jesuislanouvellecopine.Ilssediront…Et…Ellesetutbrusquement.—Quoi?Sesmainstremblèrentdeplusbelle.—Brooke,qu’est-cequ’ilya?—Elle…ellem’aditqu’ellepensaitêtreenceinte.Ellemarquaunenouvellepause.Ellenevoulaitpasalleraubout.
—Enceintedetoi.Jemefigeai.—C’est ridicule, répondis-je. Enfin, je… je…Ce n’est pas impossible,mais nous nous sommes
protégés.Etc’étaitiln’yapastrèslongtemps.Latêtemetournaitdésormais,moncœurbattaitdefaçonerratique.J’étaispresqueaussitraumatisée
queBrooke,àprésent.—Comment aurait-elle pu le savoir si tôt ? J’avaisunpréservatif. Il n’apas craqué.Si elle était
enceinte,cen’étaitsansdoutepasdemoi.C’estpossible,maispeuprobable.Voilàquejeradotais.J’étaispaniquéàl’idéequeçapuisseêtrevrai.—Elleaditçapourtefairechier,décrétai-je.Etj’ycroyaissincèrement,carc’étaitl’explicationlapluslogique.—Peuimporte,Elias.Maintenant,elleestmorte,etjesuisladernièrepersonneàavoirétévueavec
elle!Ilyavaituneautrefilleavecnousjusteavantqueçaarrive!Etmoi,plusquen’importequid’autre,j’avaisunmobile.Ilsnecroirontjamaisquec’étaitunaccident!Ilsvontmecrucifier!
Elleenfouitsonvisagecontremontorse,plongeantsesdoigtsdanslapeaudemoncou.Jedécidaidefairecequ’ilyavaitàfaire,selonlesconseilsdemamère.Àcetinstant,c’étaitcequi
meparaissaitleplusjuste.—Partons,luidis-jeenl’aidantàserelever.Dégageonsd’ici.Brooke me considéra avec incertitude, mais il ne lui fallut guère plus de deux secondes pour
comprendre et m’emboîter le pas. Nous retrouvâmes notre chemin jusqu’à la corniche. Nous restionssilencieux,submergésparlesévénementsetéprouvésparl’ascension.Jeneluiavaispaslâchélamaindetoutleretour,ayanttroppeurdelalaisserseuleneserait-cequ’uneseconde.
Troppeurdelalaisserpartir…Jeramassainoscouverturesetmelesjetaisurl’épaule.Puisjedéclaraienfin:—Maintenant,écoute-moi,d’accord?Elleacquiesçad’unhochementdetête.—Onvarentreraucamp,etilfaudraqu’onaitl’airnaturel.Avecunpeudechance,personnenenous
remarquera,mais,aucasoù,ilfaudravraimentqu’onsecomportenormalement.—Est-cequ’onvapartir…toutdesuite?m’interrogea-t-ellenerveusement.—Oui,affirmai-je.S’ilsladécouvrenttantquenoussommesencorelà…Jem’interrompis,soufflaiprofondément.Maisjedevaismemontrerhonnêteavecelle.—Brooke,jenesuispasconvaincuquetuarriverasàfairebonnefiguredevanttoutlemonde.C’està
causedeçaqu’onnepeutpasrester.Tucomprends?Elleacquiesça.—Maisilsvonttrouverbizarrequ’onparteaumilieudelanuit,souligna-t-elle.Jen’yavaispasréfléchi.Unlourdsoupirmeremontabruyammentdanslapoitrine.Jemetournaiun
instantverslacorniche.Aufinal,aucuneidéenemevint.Riennepouvaitarrangerça.Jesavaisaufonddemoique,àmoins
qu’elleneserende,àmoinsquejen’arrivedèsàprésentàlaconvaincred’agircommeillefallait,toutiraitdemalenpis.
Jebalançailescouverturesparterre,fouderage.—Ahhhh!criai-jeenserrantlespoingsetenlevantlesbras.(Jem’approchaiduravin.)Putain!Jem’attrapailescheveuxetrestaiainsi,àcontemplerlecielobscur.Brooke arriva derrièremoi. Elleme passa lesmains autour de la taille et vint presser sa joue si
doucecontremondosnu.—Jenemerendraipas,déclara-t-elledoucement,commesiellesavaitcequej’avaisentête.Elias,
jesaisaufonddemoiqueçamarqueraitlafindenotrehistoire.J’aipeur.J’aipeurdeteperdre,d’êtreemmenéeloindetoi,miseendétention.Tunetrouvespasquenousavonsétéséparésassezlongtemps?
Cesderniersmotsmebrisèrentlecœur.J’entrelaçaismesdoigtsauxsiens,toujourssurmonventre.Jeravalaimeslarmes.
—Situneveuxpaspartiravecmoi,poursuivit-elle,jecomprendrai.Mieuxvautd’ailleursquetunelefassespas.Tun’yespourrien.Nevapasgâchertavieàcausedemoi.Maisjeveuxquetusaches…
—Jenetelaisseraipas,l’interrompis-jeavantdemetournerverselle.Jerefusedeteperdre.C’esttoietmoi,çal’atoujoursété.Etçaleseratoujours.
Jeluiembrassailefront.Nousquittâmeslecampdanslanuitsansfairedebruit.Uneseulepersonnenousdemandapourquoi
nouspartions,etBrookefeignitd’êtremalade.Vul’étatdanslequelellesetrouvait,ellen’eutaucunmalàêtrecrédible.Etellesentaitlégèrementlevomi.
Ilfaisait jourquandnousregagnâmesmonappartement.Rienn’étaitcommeavant.Lafaçondont lesoleilmatinalplanaitau-dessusdesarbresetdontleventfaisaittinteretscintillerlecarillondevantlaportedemonvoisin.Lalumièresemblaitplussombre,lesrefletssurlemétaldel’instrumentdépourvusde vie. Je n’entendais pas lemoindre oiseau. Je percevais pourtant leurs chants chaquematin depuistoujours,maispasce jour-là.Peut-êtrequ’ilsétaient là,àvaquerà leursoccupationshabituelles,maisquejenelesentendaissimplementpas.Mêmelapeinturedel’appartementm’apparutterneetpassée.Leplaisir que je ressentais toujours en rentrant chez moi après le boulot s’était mué en une formed’oppressionvaguementmenaçante.Toutavaitchangé,etrienneseraitjamaispluscommeavant.
Brookeetmoisavionsquequitterlavilleparaîtraitsuspectetnousmettraitdansleradardelapolice.Maisnoussavionségalementqueçan’avaitdésormaisplusd’importance:nosagissementssuffisaientàfairedenouslesprincipauxsuspects.SanscompterlesmobilesqueBrookeavaiténumérés.DesmobilesqueMitchell,quim’envoulaitàmort,seferaitunejoied’énumérer.Notredépartducampementavantlafinde la premièrenuit n’arrangeait pasnotre cas.Peu importait cequenous ferionsdésormais : nousdevionsfuir.EnpriantpourquelecorpsdeJananesoitjamaisdécouvert.C’étaitnotreseulespoir.
Bien sûr, les cadavres refont presque toujours surface, tôt ou tard. Et puisque nous n’avions pasessayédeledissimuler,jemedoutaisquele«tôt»l’emporteraitsurle«tard».
10
ELIAS
NOUS ROULÂMES EN DIRECTION DU SUD-EST ET DE l’océan jusqu’à aboutir à Savannah. Les chosess’apaisèrentunpeutandisquenousétionssurlaroute.Nousrestâmessilencieuxpendantl’essentieldesquatreheuresdevoyage,mêmesi,detempsàautre,l’undenousévoquaitles«si»etles«peut-être»quinousreplongeaientdanslemutisme,nousforçantàréfléchiràcemerdierdeplusenplusgranddanslequelnousnousétionsfourrés.Unequestionenimpliquaitsouventtroisautres,maisnousnetrouvionsjamaisautantde réponses.Le tempsde trouverunmotelcrasseuxdans lequelnous terrer,nousavionsépuisélesujet.Aumoinspouruntemps.
J’avaisjetémondévolusurcetétablissement–manifestementdepremierchoixpourlesputesetlesdealers –, car c’était l’un des rares qui acceptaient le cash et qui se moquaient que j’aiemalencontreusement«égaré»mespapiersd’identité.
La seule chose qui m’inquiétait, tandis que j’étais debout au comptoir à attendre la clé de machambre,étaitlefaitd’êtredéjàpasséenmodefugitif.Commesiuninterrupteurs’étaitenclenchédansmonesprit,m’enjoignantàfaireattentionàtoutcequ’onfaisait.Utiliserdefauxnoms.Nepayerqu’enliquide.Nepasappeleràlamaison.Nepasrépondreauxcoupsdetéléphonedelamaison.Letout,alorsquenousn’étionsmêmepasencoreofficiellementsuspects.Putain,onnesavaitmêmepassilecorpsdeJanaavaitétéretrouvé.
—Jemeursdefaim,meditBrooke,assiseauboutdulit.—Jevaisnouschercheruntruc,décidai-je.Ilyadesfast-foodsunpeuplusloinsurlaroute.Quandelletenditlamainversmoi,jelasaisisetm’accroupisdevantelle.Ellepassasesdoigtssur
mesjouesmalraséesetjelesembrassai.—Jet’aime,medit-elledansunfaiblesourire.Elleétaitépuisée.Physiquementetmentalement.Nousl’étionstouslesdeux.Jebasculailégèrementsurlapointedespiedsafindepouvoirluidéposerunbaisersurleslèvres.—Je t’aime aussi, dis-je enme reculant. (Puis j’allai récupérermes clés sur la table denuit.) Je
revienstrèsvite,promis-jeenquittantlapièce.Aulieudem’arrêterdansunrestaurant,jelesdépassaitousetfislaroutejusqu’àlamaisondemon
père,àdixminutesdelà.Ilm’accueillitàbrasouverts.—Elias!Jesuiscontentdetevoir,fiston.Entre.S’ilyavaituneseulepersonneencebasmondesurlaquellejepouvaiscompterencoreplusquesur
Brooke,c’étaitbienlui.Contrairementàmamère,quiétaittoujourslavoixdelaraison,lafaiseusedebien,monpèren’hésitaitjamaisàcontournerlamoralesi,aufonddelui,celaluisemblaitjuste.C’étaituneautreformedeguide.Telpère,telfils.Debiendesmanières.Jeluiressemblaisbeaucoup.J’avaishéritédesescheveuxbrunsetdesesyeuxbleus.
—Tunem’avaispasditquetucomptaisveniràSavannah.Ilrapportadeuxbouteillesdebièredelacuisineetm’enoffritune,tandisquejeprenaisplacesurson
vieuxcanapébeige.—Çan’étaitpasfranchementprévu,répondis-je.—Enfin,entoutcas,jesuistoujourscontentdet’avoir,annonça-t-ilavecunsourirefier.Ilremontaseslunettessursonnez.Nousbûmeschacununegorgéeetlaissâmeslesilences’étirer.—Papa,j’aidesemmerdes.J’allaidroitaubut.Nonseulementjen’avaispaspeurdeluienparler,maisenplusjenevoulaispas
laisserBrookeseuledanscemotelpluslongtempsquenécessaire.Mon père arqua un sourcil etmaintint sa bouteille à quelques centimètres de ses lèvres, avant de
l’abaisserlentement.—Quelgenred’emmerdes?—Lespiresdemavie.Il reposa doucement sa bière sur la table basse. Toute trace de joie avait déserté son visage. Il
arboraitunairgrave,inquietet,commejel’avaisanticipé,paternel,commes’ilétaitprêtàfairetoutsonpossiblepourmevenirenaide.
—Parle-moi,fiston.—TutesouviensdeBrooklyn,pasvrai?Ilhochalatêteeteutunnouveausourirefugace.—Biensûr.Unefillettemignonnecommetout.Devenueaussibellequetamèreengrandissant.Elle
parlaitcommeunebikeuse.Iléclataderireavantd’ajouter:—C’estàcaused’ellequetamèret’avaitflanquéunerouste,quandtuavaisfaitlemurl’étéoùje
suispartidansleMichigan.BrooklynatoujoursététaBonnie,ettoisonClyde.Sesmotsmestupéfièrent.Ilnesedoutaitpasuninstantàquelpointilavaitviséjusteenayantrecours
àcettecomparaison.Ilmedécochaunclind’œil.—Ouais,jesaistrèsbienquic’est.Ileutunsourireentendu.—Alorstusaiscequejeressentaispourelle.Ilconfirmad’unmarmonnementetpritunenouvellegorgéedebière.— Tu es tombé raide dingue de cette fille dès le premier jour. Je n’étais pas souvent là, mais
certaineschoses sont faciles à comprendre.Vousdeuxétiez toujours fourrésensemble. (Il se rencognacontreledossierdesachaise.)Et,àuneépoque,jeregardaistamèredelamêmefaçon.
—Ehbien,ils’estpasséuntruchiersoir,commençai-je.Jen’entreraipasdanslesdétails–jerisquedéjàdet’attirerpasmald’ennuisrienqu’enterendantvisite.Maisjeveuxquetusachesquec’étaitunaccident.
Ilplissalégèrementlesyeux.—Sonaccidentouletien?—CeluideBrooke.
—Ettuescertainquec’enétaitbienun?Ilmelorgnaencoin.—Oui.C’estcequ’ellem’adit,etjelacrois.—Vraiment ? (Il se redressa puis s’avachit en avant, laissant reposer ses bras sur ses cuisses.)
Réfléchisbien,Elias.Prendsletempsd’ypenser,carlaréponseàcettequestionrisquededéterminersitudoisfairecequelaloiexigeoucequedictetoncœur.Tudoisenêtrecertain.Àcentpourcent.
Je considérai la question, comme il me l’avait demandé,mais je n’eus pas àme tourmenter bienlongtemps.Jeconnaissaisdéjàlaréponse.
—Jesaisquec’étaitunaccident,affirmai-je.Ellenemementiraitpas.Etçasevoyaitqu’elledisaitlavérité.Brookeabeauêtreeffrontéeetallerparfoisunpeutroploin,ellenecommettraitjamaisunactepareilenconnaissancedecause.
Monpèrehochauneseulefoislatête,commepouracceptermonexplication,soutenirmonpointdevue.
—Tusais,Elias,entantquepère,jemedoisd’abordetavanttoutdetedirequejenevoudraispastevoirgâchertaviepourprotégercelledequelqu’und’autre.
Ilreposadenouveausabouteilleetseleva.Sontee-shirtcamouflagetombaitmollementpar-dessuslaceinturedesonjean.
—Maisjeseraisaussiidiotqu’hypocritesijem’attendaisàcequetun’écoutespastoncœur.(Ilsetournaversmoipourmeconsidérer.)Dequoias-tubesoin?
Jememisdeboutàmon tour,abandonnantmabièresur la tablebasse,et l’étreignis longuementetpuissamment.Jemedemandaissijelereverraisunjour,dumoinssansavoiràluiparlerdepuisl’autrecôtéd’uneparoideverre.
Je le quittai ce jour-là avec assez de dollars en poche pour tenir quelques jours de plus ; mais,surtout, je partis avec ses conseils, quime tenaient toujours à cœur. Ilm’avait encouragé à fairemonpossiblepourtenterdeconvaincreBrookedeserendreavantqu’ilnesoittroptard.
—Tuessûrquec’estcequit’arrête?m’avait-ildemandé.Lefaitqu’ilsoitdéjàtroptard?—Oui,avais-jementi.Noussommesdéjàtropimpliquéspourfairemachinearrière.Maismonpèreétaitunhommemalin. Je savaisqu’ilmepercerait à jour.Brookeetmoipouvions
encorechangerd’avisetfaire«cequ’ilfallait»,maisjenepouvaispluslaperdre,etellenevoulaitplusmeperdrenonplus.Nousétionsdéjàtombésd’accordlà-dessusavantdequitterlacornichecettenuit-là.Etçan’allaitpasévoluer.
Jeregagnainotrechambreavecdesburgersetdesfrites.Nouslesmangeâmesdansleplusgrandsilence.Lesilencesemblaitêtrelanouvellenorme.Puisnous
regardâmes la télévision, redoutant l’un et l’autre de découvrir nos visages enmédaillon aux infos de22heures.Toutefois,pendantlespremiersjours,deSavannahàFernandinaBeach,deFernandinaBeachàDaytonaBeach,riennesepassa.LetéléphonedeBrookenesonnaitpourainsidirejamais.Saufunefois,oùsasœurRianappelapourprendredesnouvelles,ainsiquenousledécouvrîmesaprèsqu’elleeutlaisséunmessage.
Mamère,enrevanche,metéléphonaitsansarrêt.Nevoulantpasl’inquiéterplusquederaison,jefisuneentorseàmaproprerègleetfinisparluirépondreaprèssontroisièmemessageangoissé.Jeluidisquej’étaisenvacancesetqu’ellen’avaitpasàs’inquiéter.Jenepensepasqu’ellem’aitvraimentcru,maisellen’insistapas.MonpatronàRixeyConstructionn’essayaquedeuxfois.Aprèsquoi,j’étaisàpeuprèssûrd’avoirperdumonboulot.Maismamèreétaitlaseuleraisonm’ayantpousséànepasjeterplustôtnosportables.Jesavaisenmonforintérieurquelapolicepourraitnousretrouvergrâceàeux,maisjerefusais d’entendre la voix de la raison. Le simple fait de l’imaginer se ronger les sangs l’emportait
largement sur le bon sens. Jusqu’à ce jour-là. J’avais finalement décidé qu’il était temps de nous endébarrasser, je les avais doncplanqués dans un sacBurgerKing avec le reste de nos frites, avant debalancer le toutdansunepoubelle.Brookem’avait regardécommeundément,maiselleavaitcomprismongeste.
Àlafindumois,nousnoustrouvionsàWestPalmBeach,àprofiterdusoleiletdesquelquesdegréssupplémentairesqueleSudavaitànousoffrir.
Etnouscommencionsdéjàànouscroiretirésd’affaire.—Onnevapluspouvoirs’offrirbeaucoupdenuitsdemotel,annonçai-jeensortantde ladouche.
J’aiunpeud’argentàlabanque,maissijeleretireousijefaisunchèque,toutlemondesauraoùnoussommes.
C’étaitd’ailleurslaseuleraisonquim’avaitpousséàemprunterdel’argentàmonpère.NousavionsquittéAthenstellementvitequejen’avaispaspenséàm’arrêteràundistributeur.
—Combienest-cequ’ilnousreste?demandaBrookeens’approchantdemoi.Ellefitglissersesdoigtsentrelaservietteetmatailleetm’attiraàelle.—Quelquescentainesdedollars,maisc’est tout.Et ilvanousfalloirpayer l’essence,àmoinsde
trouverunendroitoùseposerunmoment.Ellemedéposaunbaiserlégersurleslèvres.—Alorstrouvonsunendroitoùnousposer,dit-ellesansréellements’intéresseràlaconversation.Elleétaitdéjàexcitée.C’était laseulechosequinechangeaitpasentrenous.Malgré toutcequisepassait, riennevenait
jamais gâcher les nombreuxmoments intimes que nous partagions quotidiennement, de jour commedenuit. Elle semblait aussi accro au sexe que moi. Mais jamais je ne lui avouerais ça. Et je n’allaiscertainementpasmeplaindre.
—Detoutefaçon,j’enaimarredetoutecetteroute,ajouta-t-elleenmemordillantlalèvreinférieure.Jepassailesdoigtssousl’élastiquedesaculotte.—Moiaussi,répondis-jeenm’introduisantdanssonintimité.Ellehaletaquandmonmajeurluiécartaleslèvresetvinteffleurersonclitoris.—Alors,qu’est-cequ’onfait?demanda-t-elle,lesoufflecourt.—J’ensaisrien,onverraplustard.Puisjel’embrassaiàpleinebouche,luiaspirantlalangue,avantdelafairebasculersurlelitoùjela
baisailonguement.
11
BROOKE
IL ÉTAIT PROBABLEMENT TROP TÔT POURQU’ELIASETmoi cessionsd’être à cranaprès cequi s’étaitpassé.Jelereconnais.Maisnouscherchionsjustementunmoyendesortirdeceschémamental,carnousenfoncerdedansnousauraittués.Nousvoulionssimplementvivrenotrevie.Etilesttrèsfaciled’oublierleschosesimportantesquandontrouvedequoilesremplacer.Fairelafêtedevintbienvitel’unedenoséchappatoiresfavorites.Nousapprîmesrapidementcommentremplacerlamisèreetlapeurparlajoieetleplaisir,letoutcopieusementarroséd’alcooletdedrogues.Nousnepouvionspasnousenpayernous-mêmes,carnousnevoulionssurtoutpasdépensernosdernièresressourcespourdessaloperiespareilles,maisnousnousentirionsgénéralementàl’œil.Unjointquitournaitdansunepièce,ungroupedefêtardsdéjà éméchés proposant d’offrir la tournée suivante. Et, parfois, des gars m’invitaient quand ils mepensaientseule.
Notre première soirée à écumer les bars et les boîtes deFloride fut le domino initial d’un circuitincroyabledeplusieurscentainesdepièces.
Etchacuned’ellesserévéleraitplustardêtreuneerreurplusgrossequelaprécédente.—Eh,c’estnotrechanson!m’exclamai-jeassezfortpourcouvrirlebruitdesenceintesdelaboîte.J’attrapaiEliasparlepoignetetl’entraînaiàmasuite.Ilselaissaglisserdesontabouretetaccepta
dem’accompagner sur lapiste. Il avait toujours été sexyendiablequand ildansait, et le faitque soncorps soit à l’avenant ne gâchait rien. Cependant, il fallait généralement quelques verres pour leconvaincredeselâcherenpublic.Cen’étaitpasqu’ilavaitpeur,plutôtqueçanel’intéressaitpas.
Maismêmeçacommençaitàchangeravecnotrenouveaumodedevie.— Depuis quand est-ce que c’est devenu notre chanson ? m’interrogea-t-il, peinant à se faire
entendre.Jemetrémoussaidosàlui,levantlesbraspourlesfaireretomberautourdesoncou.Ilplaquasonbassincontrelemienetécartasesdoigtssurmescuisses.—DepuislafêtechezMatt,tunet’ensouvienspas?Lerythmeaccéléra,etilsemitàsedéhancher.J’étaisentranse.Ildansaitvraimentcommeundieu.Jemetournaifaceàlui,ondulantlentementlebustecontresontorse.—Ah,si,jemerappellebiencettesoirée,répondit-ilensepenchantàmonoreille.Mais,sauferreur
demapart,aprèsquenousavonsdansédevanttoutlemonde,tuespartieavecDaneWeatherby.— Ce n’était qu’un ami, contrai-je. (C’était vrai.) Il avait simplement besoin d’une épaule pour
pleurer,cesoir-là.C’esttout.Mais,toietmoi,onpossédaitleslieux.Onmonopolisaitl’espace!
Eliassouritetcalameshanchesdanslecreuxdesesmains,serrantseslongsdoigtstellesdesserrestoutenmefrottantunpeupluscontrelui.
Ilallaitcarrémentpéchocesoir.—Ouais,hein,répliqua-t-ilavecfierté.Soudain,ilmetiraenavant,mepassaunbrasautourdelatailleetm’écartaduchemind’uncouple
fendantlafouleentitubant.—Oh,désolé,mec!s’exclamalegarçon.Il était grand commeun arbre et ses cheveux châtains étaient rasés sur les côtés. Il retenait par le
coudeunefilled’unblondvénitienquisemblaitsurlepointdes’affaler.Elleéclataderireenselaissanttomberexprèsdanssesbras.Sesseinsénormesmenacèrentdejaillirdesoncorsagequandillaretintenluipassantsonbrasautourdelapoitrine.
—Jecroisque j’aiunpeu tropbu,avoua-t-elleenbrandissantdevantellesoncocktailavantd’enreprendreunegorgée.
Legéant s’excusaencoreune fois.Etune troisième. Jemedemandai s’il était tropbourrépour serappelerqu’ill’avaitdéjàfait.
—C’estrien,ditEliassansmelâcher.Yapasdemal.Nousnouséloignâmesalorsdelapistededansepourretourneraubar,maisnousn’avionseffectué
quelamoitiéducheminquandl’autrecouplesurgitderrièrenous.—Jevousaijamaisvusici,déclaralegarçon.—Tu dois venir souvent, si tu te souviens de tout lemonde, repartis-je tandis qu’Eliasme tirait
encoreparlamain.Quelquepart,jeredoutaisqu’iln’aitdéjàvumonvisagesurunavisderecherchequelconque.C’était
justeunaccèsdeparano.—Onvienttouslesweek-ends,confirmalafillesanscesserdesourire.Luinonplus,d’ailleurs.Ilsarboraienttousdeuxcerictuspermanentdesgensbourrés.Nousatteignîmesenfinlecomptoir.Eliasmesoulevaparlataillepourmehissersurletabouret.Puis
ils’installasurlesiègevacantàcôtédemoi.—Jem’appelleAnthony,seprésentalegarçon.EtvoiciCristina.Ilsentaitl’eaudeCologneàpleinnez.Jem’apprêtaisàdéclineràmontournotreidentité,maisEliasfutleplusprompt.—Moi,c’estJohn.Etvoicimafiancée,Julia.Safiancée?Çan’étaitpastombédansl’oreilled’unesourde.Sibienquej’avaisdéjàoubliélenom
d’empruntqu’ilm’avaitattribué.—Voushabitezdanslecoin?s’enquitAnthony.Il était accoudé au comptoir, délaissant le tabouret libre à côté de lui.Cristina, qui devait être sa
petiteamie,seservaittoujoursdeluicommebéquille.—Non,onvientde…—…l’Indiana,m’interrompitElias.Jeluilançaiuncoupd’œilencoinenplissantlégèrementlespaupières.Sesbillesbleuesseradoucirent,commes’ils’excusait.Je luipardonnai aussitôt. Il avait raison,bien sûr, car j’allaisparlerde laGéorgie, tout comme je
m’étaisapprêtéeàluidonnernosvraisprénoms.J’ignoraissijem’habitueraisunjouràcetteviedemensongespasséesurlarouteoudansdesmotels
miteux.MaisEliasétaitavecmoi,etcelasuffisaitàmonbonheur.—Combiendetempsvousallezresterenville?nousinterrogeaAnthony.
—Unjouroudeux,réponditElias.Après,onrentreàlamaison.Tandisqu’Anthonyaidaitsonamieàprendreplacesurletabouret,sesmainsdisparurentsousletissu
desacourtejupeàfleurs.Jeremarquaiqu’ilportait,commemoi,d’épaisbraceletsdechanvre,cinqousix,quiceignaientsonpoignetgauche.J’enavaisdesdeuxcôtés.Sansdoutepourd’autresraisons.
Cristinafitsigneaubarman,quis’approchaaussitôt.—Vouslogezdanslecoin?demandaencoreAnthony.Sicen’estpasindiscret,ajouta-t-ilavecun
gested’excuse.—Pourquoitunousposestoutescesquestions?Eliasseméfiaitdecetype,mais,commemoi,ilétaitunpeuparanoïaque.AnthonyluisouritetpayapourlaboissondeCristina.—J’aiunemaisondeplageàdeuxpasd’ici.Onfaittoujoursletourdesboîtespourtrouverdesgens
àrameuter.Vousêteslesbienvenus.Cristina faillit dégringoler de son tabouret et elle renversa sa bouteille, qu’elle redressa
maladroitement.Àl’évidence,elleavaitdéjàbienassezpicolé.—Jecroisqueçasuffit,maintenant,luidit-il,verbalisantmapensée.Ellegémitquandilluiretiralabouteilledesmains.—Jenesuispasd’humeurànettoyerderrièreellecesoir,déclaraAnthonyavecunlargesourire.—Eh!s’offusquaCristinaenfaisantminederécupérersonbien.Soispascon!Elleéclataderire.Anthonynerelevapasetpoursuivitsursalancée:—Alors,çavoustente?—Pastrop,répliquaElias,maismerciquandmême.—Aucunproblème.Mais,sivouschangezd’avis,jepensetraînericiencoreuneheureoudeux.—Merci,mec,déclaraEliasavecunhochementdetête.AnthonyaidaCristinaàdescendredesonsiègeetl’accompagnasursesjambestremblantesversla
foule,danslaquelleilssefondirent.—Onauraitpeut-êtredûdireoui,lançai-jepar-dessuslamusique.Ilaunebaraquesurlaplage!On
pourraitypasserquelquesnuits.Etilal’airsympa.Eliaslevadeuxdoigtspourfairevenirlebarman.Ilnouscommandaunebièrechacun.—Jenesaispas,peut-être,admit-il.Jevoyaisbienqu’iltrouvaitqueçan’étaitpasunesimauvaiseidée,étantdonnéquenousenvisagions
justementdeneplusprendrelaroutependantquelquetemps,histoired’économiserdel’argent.Nousbûmesdeuxbièresdeplusetretournâmesdanserunpeuavantdedéciderderentreraumotel.
PlusEliass’enivrait,plusilavaitenviedem’arrachermesvêtements.Ils’arrêtanéanmoinsavantd’êtretropsaoulpourconduire.
Nous avions abandonné l’idée d’aller squatter chez Anthony et ne les cherchâmes donc pas.Néanmoins,noustombâmessureuxparhasard,surleparkingdelaboîte.
—Encorevous?JohnetJulia,c’estça?nouslançaAnthonyens’approchant.C’étaitdoncça,lefauxprénomdontjen’arrivaispasàmesouvenir.Nousallâmesàsarencontre.Cristinaétaitassisesurlebitume,ledosetlatêteappuyéscontreune
rouedevoiture.Elleétaittropivrepourserendrecomptequesajupenedissimulaitplusrien,carelleavaitlesdeuxgenouxremontéscontrelapoitrine.
—Salut,mec,luiditEliasavecundemi-sourire.Onvouspensaitdéjàpartis.—Ouais,c’étaitnotreintention.Maisj’aipaumémesputainsdeclésdebagnole.—Sansdéc?demandaElias.
—Quelqu’unlesapeut-êtrerapportéesàl’intérieur,suggérai-jeenmeretournantfugacementverslaboîte.
—J’aidéjàdemandé.Etun typeestvenuavecuncintrepouressayerde l’ouvrir,mais il n’apasréussi.J’ail’impressionquejevaisdevoirmepayerunserrurierouuntaxi.
Eliasm’interrogeaduregard.Jesavaiscequ’ilavaitentête,carjepensaislamêmechose.—Ehbien,onpourraitvousramener,proposa-t-il.Jeleursourisàtousdeux,raviedeconstaterquecettepropositiondemaisondeplageallaitpeut-être
finalementtournerenmafaveur.—Aide-moiàmelever,gémitCristinaentendantlamain.Jem’enchargeai,regrettantnéanmoinsmamansuétudeenconstatantcombiensonpoidsmortappuyait
surmonépaule.—Nan,c’estgentil,maisjenevoudraispasvousfairefaireundétour,répliquaAnthony.— Ça ne nous dérange pas, insista Elias. On loge dans un motel pas loin, et on n’est pas
particulièrementpressésd’yrentrer.—Ehbien,vouspouveztoujourspasserlanuitchezmoisiçavoustente,proposaAnthony.Eliasyréfléchituninstantavantdesetournerversmoipouravoirmonavis.—Çam’al’aird’êtreunebonneidée,dis-jeenpassantunbrasautourdelatailledeCristina.J’auraisaiméqu’Anthonyviennemerelayer.Jen’avaispassignépourça.Oupeut-êtrequesi,d’une
certainemanière…—Alorsc’estuneaffairequiroule,s’exclamaAnthonyenlevantlesdeuxmainscommes’ilvenaitde
faireuneannoncecapitale.Vousêtesgarésoù?—Auboutdecetterangée,réponditElias.Anthony finit par remarquerma souffrance et vintme délester de son ivrogne de copine. Ils nous
suivirentjusqu’àlavoitured’Elias,garéeàl’autreextrémitéduparking.—Jeviensdepenseràuntruc,ditEliasaprèsavoirdéverrouillésaDodge.Onn’apayélachambre
quejusqu’àdemain.Etjedoutequ’onsoitréveillésàtempspourréglerlanote.— Alors faites un crochet d’abord pour récupérer vos bagages, suggéra Anthony. Tant que vous
n’avezpasbesoind’unecamionnettepourtouttransporter,vouspouvezleslaisserchezmoi.Eliaséclataderire.—Çaneserapasnécessaire,lerassura-t-il.Letouttientdansmoncoffre.Nousquittâmes leparkingetnous rendîmesdoncd’abordaumotel,quise révélaêtresur la route.
Nosinvitésoccupant labanquettearrière,nousentassâmesnotrebardadans lecoffre.J’insistaipouryglisser égalementmon sac àmain, au cas où l’un d’eux soit du genre à fouiller dans les affaires desautres.
Cristinaétaitàdeuxdoigtsdetomberdanslesvapesàcôtéd’Anthony.Celui-ciguidaEliasjusqu’àlarouteprincipale,etnousroulâmesunbonmoment,bienpluslongtempsquejenel’avaisimaginé,puisquenotrehôtenousavaitdithabiteràdeuxpasduclub.Etaprèsdixminutesdetrajet,nousneparlionsdéjàplusguère.Laroutedevintpeuàpeumoinsbienéclairéeetmoinsfréquentéequeprécédemment.
Jenesavaispaspourquoi,maisjecommençaisàmesentirparticulièrementnerveuse.Lesintuitions,c’estvraimentlaplaie.
12
ELIAS
ANTHONYSEPENCHAENTRELESIÈGEDEBROOKEETLEmien.Iltenditlamainpourtoucherlesbraceletsqu’elleportaitaupoignetgauche.Celanemeplutpastrop.
—C’esttoiquilesasfaits?demanda-t-il.Ilserapprochaencorepourlestripoterunparun,maiselleretirasamain.—Euh,non,jelesaiachetés,répondit-elle.Jeperçusdelanervositédanssavoix.Ilavaitréussiàlamettremalàl’aise.Putain.Pascool.Lesdoigtstoujoursserrésautourduvolant, jemetournailégèrementverslui.Jepensaisdevoir lui
dirededégager,mais,envoyantmesyeux,ilseradossaàlabanquettesansmelaisserletempsdeparler.—Eh,désolé,dit-ilensouriant.Jenepensaispasàmal.C’estça.Jenelesentaisplustrop,désormais,desquatterchezlui.Cen’étaitpassimplementdûau
faitqu’il avait touchésesbracelets, c’était autrechose,unesensation,cette façondont il était soudainpassé du fêtard serviable et souriant que nous avions rencontré au passager flippant sur la banquettearrière.
—C’estencoreloin?m’enquis-jeenluijetantuncoupd’œildanslerétroviseur.—Àpeinequelquesminutes,assura-t-il.Quelquesminutess’écoulèrent.Jepensaisquenousallionssortiràlaprochainebretelle,maisilne
m’indiquarien.Jemisnéanmoinsmonclignotant,neserait-cequepourlesdéposeràlastation-servicelaplusproche.
—Eh,qu’est-cequetufais?s’étonna-t-il.Cen’estpaslà.—Ouais,ben,c’estquandmêmelàqu’onva,répondis-jeenchangeantdevoie.Lebruitd’unchienqu’onarmeetl’éclatdumétalnoirbraquésurlecrânedeBrookequejeperçusdu
coindel’œilmenouèrentlesentrailles.—Neprendspascetteputaindesortie,m’ordonnaAnthonyd’untonmenaçant.Restesurl’autoroute.Jemerabattisauderniermomentetvislasortiedéfilersurmadroite.—Elias?ditBrooked’unevoixterrifiée.—Elias,hein?répétaAnthony.Je le vis enfoncer le canonde son flinguedans les cheveuxdeBrooke.Elle fermabrièvement les
paupières.Jeserrailevolantàm’enfaireblanchirlesjointures.—Jecroyaisquetut’appelaisJohn?—Qu’est-cequeçachange?rétorquai-je.Putain,àquoitujoues?
—Àtonavis?réponditAnthonydansunéclatderire.Cristinapionçaittoujourscontresaportière.— Écoute, mec, je sais ce que tu cherches, dis-je, incapable de le regarder. (J’étais bien trop
préoccupéparl’armequ’ilbraquaitsurBrooke.)J’aiduliquide.Prendstoutcequetuveux.Maisneluifaispasdemal.
LeslèvresdeBrooketremblaient;toutlerestedesoncorpsétaittétanisé.J’avaisenviedebattreàmortcesalefilsdepute.
—Range-toiici,commandaAnthonyendésignantlebas-côtéd’ungestedumenton.—D’accord.D’accord.Jem’efforçaisderestercalme.Celanécessitaitdegrosefforts,maisjedevaisabsolumentgarderles
idées claires. Avec un peu de chance, il envisageait seulement de nous détrousser avant de détaler àtraversbois.Mais si j’avaisne serait-cequ’un instant l’intuitionqu’il comptaitnousdescendre, jemepromis d’essayer de l’en empêcher. Je n’allais pas laisser ce moins que rien tirer sur Brooke sansintervenir.
Unefoisarrêté,jememisaupointmort.Etj’attendis.J’eus une lueur d’espoir en voyant des phares arriver derrière nous,mais le semi-remorque passa
sansralentir.—Videzvospoches.Portefeuilles.Tout cequevous avez survous.Balancez-le sur le tableaude
bord.—J’endéduisquetun’aspasdemaisonsurlaplage?répliquai-jeavecironietoutenm’exécutant.—Putain,non!s’esclaffa-t-il.Etlabagnoleduparkingn’étaitpasnonpluslamienne.(Ilmequitta
desyeuxjusteletempsdes’adresseràBrooke.)Toiaussi.Videtespoches.J’envisageaideprofiterdecettedistractionpassagèrepouressayerdeledésarmer,maisc’étaittrop
dangereux.Etilyavaitdebonneschancespourqu’uncoupdefeupartetoutseul.J’avais la bouche toute sèche.Mon corps entier était contracté et dégoulinant de sueur.Mes deux
idées fixes étaient d’éloigner le canon de la tête de Brooke et de tabasser ce connard. Je fulminaiintérieurement.J’espéraissincèrementqu’ilallaitmelaisserl’opportunitédeluidéfoncerleportrait.
—Maintenant,descends,ordonna-t-ilennes’adressantqu’àmoi.Moncœurcessaalorsdebattre.Comptait-ilpartiravecBrooke?—Prendslavoiture,maislaisse-ladescendreaussi,dis-jeenlevantlesmainsensignedereddition.—Descends…de…cette…putain…de…bagnole, articula-t-il lentement endirigeant l’arme sur
moi.Celamerassuratrèslégèrement.Aumoins,ilnevisaitplusBrooke.Jeposai lentement lamain sur lapoignée,ouvritmaportièreet sortit ;puis je relevai lesbras, la
pointedemesdoigtsàhauteurdemonfront.J’avisaiducoinde l’œildenouveauxpharesvenirversnous.Mon regardnaviguaitduvéhiculeà
Brooke, toujoursassisesur lesiègepassager.Le traficétaitassezdensede l’autrecôtéde l’autoroute,maisilfaisaittropsombrepourquelesconducteurspuissentvoirquoiquecesoit.
La tignasseblondvénitiendeCristinasedécollade lavitre.Elle se frotta lesyeuxet semassa levisagedesdeuxmains,commepourtenterdeseréveillervraiment.
PuisellevitAnthonydescendredevoiture,sonflinguebraquésurmoi.—Qu’est-ce…Anthony?Qu’est-cequetufous?(Savoixgrimpadanslesaigus.)Bordel,Anthony,
non!— Ta gueule ! lui hurla-t-il depuis l’extérieur, sans jamais me quitter des yeux. Maintenant, fais
descendre ta copine. J’ai déjà bien assez d’une connasse pourme casser les oreilles pendant tout le
voyage.Sans hésiter, j’ouvris en grand la portière de Brooke et l’attrapai par le bras pour l’extirper de
l’habitacleplusvitequ’ellen’auraitpu le faire touteseule.Levéhiculequiapprochaitétaitdésormaistoutprès.JeserraiBrookecontremoi,puislafispasserderrièremondos.Jeredressailatêtetandisquel’autrevoiturearrivait.
—N’ypensemêmepas,memenaçaAnthonytoutenmevisantparlafenêtre.Et, comme avec la bretelle de sortie, je vis notre dernier espoir filer devant nous à cent
dixkilomètres-heure.Brooketremblaitderrièremoi,enfonçantsesdoigtsdansmescôtes.—Mercipourlacourse,mec!s’exclamaAnthonyjusteavantdeprendreplacederrièrelevolantet
dedémarrerentrombesouslesinjuresdeCristina.JeregardaimaDodges’éloignerjusqu’àcequ’elleseréduiseàdeuxpointsrougesauloin,puisje
clignaidesyeux.—Saloperiedeputaind’enfoiré!tempêtai-jeenbalançantuncoupdepoingdanslevide.(Puisjeme
tournaiversBrooke.)Oh,merde!Elleétaitrestéedebout,immobile,levisageenfouidanssesmains.Lacolèremedéserta,chasséeparlebesoindelaréconforter.—Moncœur,viensici,dis-jeententantdel’attireràmoi.—Fous-moilapaix!hurla-t-elleenlaissantretombersesbraslelongdesesflancs.Ellereculadeplusieurspasdansl’herbe.Jelasuivis.Sesjouesétaientbaignéesdelarmes.—Sérieusement,fous-moilapaix.Jesavaisqu’ellenem’envoulaitpas.Illuifallaitsimplementquelquessecondespourrecouvrerses
esprits.Aprèstout,ellevenaitd’avoirunpistoletbraquésurlanuque.Elles’assitlourdementparterre,sesmainstremblantcommesiellemouraitdefroid.Jem’accroupis
devantelleetcouvrissesgenouxdemespaumes.— Putain, Elias, qu’est-ce qui nous arrive ? (Elle me regarda droit dans les yeux, ses larmes
scintillantdanslenoirbleutédelanuit.)Qu’est-cequ’onfoutici?Jem’assiscomplètementpourluisaisirlesmains.—Onpeutrentrer,sic’estcequetuveux.Tun’asqu’unmotàdire.Ellesecoualatête.Ellen’étaitplussûrederien,etmoinonplus.Ellem’avaitdemandécequenous
foutionsici,maisseulementletempsd’unbrefinstantdepanique.Ellesavaitqu’ilyavaitpirequedesefairedétrousseretabandonnerauborddel’autorouteàdescentainesdebornesdechezsoi.Et,pourmapart, jesavaisqu’Anthonyétaitactuellementàmillelieuesdesespréoccupationsprincipales.Iln’étaitqu’un messager, une pièce insignifiante d’un puzzle bien plus vaste que nous avions eu la chanced’oublierunbrefinstant.Lapéripétiequenousvenionsdevivrenousrenvoyaitenpleinefacelagravitédelasituationquenousendurions.
—Jeneveuxpasrentrer,déclara-t-elleenredressantlementon.Jeveuxcontinueràallerdel’avant.Sansjamaismeretourner.
—Alorsc’estcequ’onvafaire,répondis-je.Jelafismontersurmesgenouxetlaprisdansmesbras.—Onn’aplusdevoiture,pasd’argent,pasdetéléphone…Putain,onn’amêmeplusdevêtements!
(Elle entremêla ses doigts auxmiens.)Et on ne peutmêmepas prévenir les flics.Qu’est-ce qu’on vafaire?
—La plage n’est pas très loin d’ici, dis-je. La sortie que nous venons de passer doit être à dixminutesdemarche.Onvaretournerparlàettrouverunestation-servicedepuislaquellej’appelleraimonpère.J’aidel’argentàlabanque.Jedoiscourircerisque.Onn’iranullepartsansargent.
Ellesedétournaàmoitié.—Non.Onnepeutpasimpliquernosfamilles,tulesaisaussibienquemoi.Ilssaventpeut-êtredéjà
pourquoinousnoussommesenfuis.Onnepeutpascourircerisque.Jen’yretourneraipas.L’expression que je lus dans ses prunelles trahissait sa terreur. Brooke avait été effrayée comme
personne,cesoir-là,surlacorniche.Maisc’étaituneautreformedepeur,toutaussiparalysante.Commesielles’étaitdéjàconvaincuequ’elleallaitéchouerenprisonpourlamortdeJana,quoiqu’iladvienneetsilongtempsqueseprolongenotrecavale.Jecomprisàcetinstantquejeneparviendraisjamaisàlaconvaincredeserendre.Elleétaitrésolueàcontinuerdefuirjusqu’àcequeleschosesempirent,jusqu’àsamort.
Etpuisque j’étais liéàelledepuis ledébut, j’allais l’accompagner.Parceque je l’aimaisplusquetout.Etl’amourpousseàcommettrelesacteslesplusdingues.
—J’aiuneidée,dis-je.—Quoi?s’enquit-elled’unevoixchevrotante.Jemelevaietlaforçaiàenfaireautant.—Viens,dis-jeenl’entraînantverslabretelledesortie.Ilnous fallutuneheurepouratteindre l’océanàpied.Nousétionséreintés.Niellenimoinenous
étionsjamaisimaginémarchersuruneplagedeFloridepourallerydormir,enespérantquelesflicsnenousendélogentpaspournousconduireentaule.
—Çanemeplaîtpas trop,ditBrookeenregardantautourd’ellequandnousarrivâmesà l’arrièred’unhôtelenborddemer.Etsionsefaitprendre?
—Çan’arriverapas,tantqu’onferacommesionétaiticicheznous.Laplageétaitdéserteàcetteheure-ci,et l’hôtelparfaitementcalmeendehorsdesquelquesclients
assisàleurbalcon.Brookem’interrogeaduregardquandnouspénétrâmesàl’intérieuretempruntâmesl’ascenseurjusqu’autroisièmeétageavantderedescendre.Jeluiexpliquaiquenousavionsbesoind’unnuméro de chambre, et elle haussa les épaules sans comprendre, mais me faisant confiance. Nouspassâmesdevantlapiscineetunedoucheextérieure,puisnousredescendîmesparunepromenadeenboismenantàlaplage.Nousnousallongeâmessurlesolàlabelleétoile,blottisl’uncontrel’autre.
Moinsdedixminutesplustard,unvigilenousdécouvritetnousbraquasafoutuelampe-torchedanslesyeux.
—Qu’est-cequevousfaiteslà?Jemerelevai,unemainenvisière.— On profite de l’océan, répondis-je avant de désigner l’hôtel derrière moi. On est dans la
chambre340.OnaquittéleMissouripourlesvacances.Iléclairalesableautourdenous.—Oùestvotreclé?Jememisàpaniquerintérieurement.Jepalpailespochesdemonbermudapourfaireminedelescherchersanslestrouver.Brookesemit
deboutàsontour.—Merde,dit-elle,j’aidûlesfairetomberverslapiscine.Jevaisallervoir.Jerevienstoutdesuite.—Dépêche-toi!m’écriai-jetandisqu’elles’élançait,piedsnus,danslesableépais.J’ignoraisencorecommentnousallionsnoussortirdecemauvaispas.Laseuleidéequimevenaiten
têteétaitdedétalercommeun lapin.Après tout, ilnes’agissaitqued’unvigile,et,contrairementàunflic,jedoutaisqu’ilnouscoursetrèslongtemps.Néanmoins,jevoulaisàtoutprixéviterd’avoiràfuir,même sur une courte distance.Nous n’avions pas besoin d’attirer davantage l’attention.Ce qu’il nousfallait, c’était une bonne nuit de repos pour réfléchir à la suite des événements, car nous manquions
clairementdesolutions.Nousn’avionsrien.Pasd’argent.Pasdevoiture.Juste lesvêtementsquenousportions sur le dos. Je doutais plus que jamais que nous puissions poursuivre notre cavale bienlongtemps.Même si nous arrivions à nous dépatouiller de ce vigile, je ne savais toujours pas quelleseraitl’étapesuivante.JenepouvaispasencoredireàBrookequej’avaislesentimentqu’ilétaittempsderentrer.Elleétaitrésolueàpoursuivresafuiteenavant.Elleauraitrefusécatégoriquement.Toutefois,je commençais àme rendre compte que quelque chose clochait chez elle. Je n’arrivais pas encore àdéterminerquoi,maiscelanefaisaitqu’accroîtremonsentimentderesponsabilitéàsonégard,commesiellenepouvaitpass’occuperd’elle-même.Jerefusaisd’ycroire.Brookeétaitunefillemaligneetsûred’elle,maisj’avaisdeplusenplussouventl’impressionquesesdécisionsnecorrespondaientplusàmesaspirations. Elles n’étaient pas basées sur la peur ni bercées par la voix de la raison. Ses choixirréfléchis semblaientaucontrairealimentésparquelquechosededangereux,unechosedépourvuedetouterationalité.
Jecommençaisàcroirequeje luifaisaisplusdemalquedebien,sanssavoirencorecommentmecomporterautrement.
Jecontinuaiàjouerlestouristesavecl’agentdesécuritéenattendantleretourdeBrooke.Mêmesijenevoyaispasquellesolutionellepourraitapporterànotreproblème.
—Vousvenezd’où,dansleMissouri?m’interrogea-t-il.—Springfield,répondis-jedutacautac.Onvienticichaqueannée.Ilhochalatêteetbalayaencoreunefoislesabledesalampe,cherchantmanifestementdesbouteilles
d’alcoolouunattirail de toxicomane. Il n’était pasparticulièrement costaud, et une légèrebedainedebuveurdebièredépassaitdesonpantalon.Et,quandilagitasalampe,jeremarquailapeauflasquesoussonbiceps.
—Combiendetempsvousrestez,cettefois?—Onrepartdemain,affirmai-je.Onestarrivésmercredi.Jeleconsidéraid’unairpensifavantd’ajouter:—Jenevousaipasvu,hiersoir.Onapourtanttraînéicipendantunmoment,àpeuprèsàlamême
heure.—J’avaisdeuxjoursdecongé,cettesemaine,répliqua-t-il.(Jefusnaturellementsurprisd’avoirvisé
sijuste.)Maisvousdevriezfaireattention,parici.Etilestinterditdedormirsurlaplage.—Oui,monsieur.C’estpourçaqu’onaunlit.Jemeretournaiversl’hôtel.Jevisalorsunesilhouette,plongéedansl’ombredel’imposantporchedelapiscine,s’approcherde
nous.C’étaitBrooke,etelleavaitquelquechosesurl’épaule.Elleserapprochaitentraînantlespieds,projetantdepetitesgerbesdesableàchaquepas.Jemerendiscomptequ’ellefarfouillaità l’intérieurd’ungrandsacdeplagecontenantcequiressemblaitàuneserviettedebainetd’autresobjetsvariés.
Oùest-cequ’elleatrouvéça?J’adressaiunemoue–sansdoute légèrementcontrite–auvigile,puis fourraimesmainsdansmes
poches.—C’estuncoupdechancequ’iln’aitpasétévolé,déclaraBrooke.Elles’arrêtaprèsdemoi,légèrementhorsd’haleine,etreplongealamainàl’intérieur.—Lavoici,dit-elleauvigileenbrandissantunecartedesécuritéfrappéedulogodel’hôtel.Vous
avezbienfaitdenouslademander,j’auraispeut-êtreperdumonsacpourdebon.Levigilepassasalampesurlacartepuisnousdétailladenouveau.Je commençais à croire que nous allions finalement pouvoir nous en tirer à bon compte. Nous
attendîmesdansunsilencestressantleverdictdugarde.
—Faitesattention,conclut-ilsimplement.Etrappelez-vouscequejevousaiditsurlefaitdedormirdehors.
Jeluisouris.—Entendu.Brooke et moi poussâmes un profond soupir dès qu’il se fut suffisamment éloigné. Nous le
regardâmespartir jusqu’àcequesasilhouettesombredisparaissesur lecôtédubâtiment.Nousétionstirés d’affaire, aumoins provisoirement.Nousnous réinstallâmesdonc côte à côte dans le sable pourcontemplerl’océand’unnoird’encre.
—Alors,oùas-tudégotécesac?—Jel’aitrouvéprèsdelapiscine.(Ellerit.)Unsacrécoupdebol.Etonenavaitbienbesoin,après
cettesoirée.Nousentendîmesalorsdesvoixs’approcherderrièrenous.—C’estelle!s’exclamaunefille.Brookeetmoicomprîmesquelegroupedetroisparlaitdenous.Mêmesinousn’avionspasétéseuls
surlaplage,nousl’aurionstoutdemêmesu.Jeconsidérailesac,puisnosregardssecroisèrent.Nousnouslevâmesdansunmêmeélan,tandisquedeuxfillesetunmectatoués’approchaientdenous.
—Levoilà,dituneblondeendésignantlespiedsdeBrooke.C’estmonsac.Etc’estainsiquenousrencontrâmesTateRoth,moitiésauveur,moitié…autrechose.
13
BROOKE
JERAMASSAILESACETLETENDISÀLAFILLE.—Désolée,luidis-je.C’étaitjusteunemprunt.Sescheveuxblondsétaientsilongsqu’ilsluidégringolaientpresquejusqu’auxfesses.Ellemel’arrachadesmainsetsemitàfouillerà l’intérieurpours’assurerquejeneluiavaisrien
piqué.Lafillechâtainàcôtéd’ellemedévisageadefaçonimpassible,sansjamaisriendire.—Unemprunt?répétalapremièreenplissantlesyeux.Non,connasse,ças’appelleduvol.J’avançaiverselleavecunairdedéfi,maisEliass’interposa.—Jenel’aipasvolé,crachai-jesansdesserrerlesdents.C’estjustequ’on…enavaitbesoin.Elleétaitcomplètementdanssonbondroit,maissoninsultem’avaitmisehorsdemoi.—Écoute,onestdésolés,déclaraEliaspourcalmerlejeu.Brookel’atrouvéprèsdelapiscine.Le
vigileétaitsurnotredosàcausedenotreprésenceici.Le mec tatoué nous écouta tous dans le plus grand silence, ses yeux noisette pétillant de malice.
Quelquepart,j’avaislesentimentqu’iltrouvaitlasituationhilarante.—Net’avisejamaisderetoucheràmes…Illafittairegentimentenlaforçantàreculerdesonbraspuissant.—Cequi sepasse ici est assezclair,déclara-t-il d’un ton faussement autoritaire.Cesdeux-làont
enviedes’encanaillersur laplage. (Ungrandsourireaux lèvres, ilme jetauncoupd’œilavantdesetournerversElias.)Resteàsavoirpourquoi.Soit ils sontSDF,soit ilsontété laissésenplanetn’ontnullepartoùaller.Oualorsilsveulentjustebaiserdanslesable.Aprèstout,c’estsurlalistedeschosesàfairedetoutlemonde.
—Tate,allons-yavantquejemefassecettepétasse,repartitlablonde.Jerepoussailebrasd’Eliaspourmedirigerverselle.—Essaieunpeu,pourvoir,luicrachai-jeàquelquescentimètresduvisage.Lesgarçonsnousséparèrent.Eliasmeretenaitparlehautdesbras.—Calme-toi,Jen,intervintleditTateenlamaintenantsurplace.(Ilritsouscapeavantdeluiglisser
àl’oreille.)Gardetonénergiepourmoiplustard,matigresse.Jemelibéraibrusquementdel’étreinted’Elias,maisrestaicampéesurmespiedssanspluschercher
àluisauteràlagorge.PuisEliasmepritparlamainetmeforçaàm’éloignerd’eux.Jemepenchaiauderniermomentpourramassermestongsdanslesable.
—Eh,lesgars,attendez!nouslançal’autretype.(Nousnousarrêtâmes.)Iln’yapasmortd’homme.
Écoutez,dites-moicequisepasse.Onpeutpeut-êtrevousaider.—Merci,maisnonmerci,rétorquaEliasenreprenantsaroute.Quelqu’unnousadéjà«aidés»ce
soirennousdébarrassantdenotrebagnoleiln’yapasuneheure.—Sansdéconner?réponditletatouéenvenantseposterdevantnouspournousforcerànousarrêter
denouveau.T’essérieux?Onvousapiquévotrecaisse?—Ouais,confirmaElias.Donconn’aplustropconfianceenl’humanité.Maismerciquandmême.—Lesaider?s’étranglaJenderrièrenous.Tate,tutefousdemagueule?Ilsmepiquentmesaffaires,
etmaintenanttuvoudraislesaider?(Ellesepassalesacsurl’épaule,attrapasacopinesilencieuseparlecoudeetpartitversl’hôtelentapantdespiedsdanslesable.)Connard!ajouta-t-elleenbrandissantlemajeur.
Legarssecontentadesourireenluirépondantd’unpetitsignedelamain.—Nevousen faitespaspourelle,nousdit-ilquandelle futpartie.Ellemepardonneraplus tard.
Vousvenezd’où,touslesdeux?(Puisilmepointadudoigt.)Brooke,c’estça?NiEliasnimoinenousétionsjusqu’alorsrenducomptequ’ilm’avaitappeléeparmonvraiprénom.
IlétaittroptardpournousprésentercommeJohnetJulia,nousoptâmesdoncpourlavérité.—Ouais,ellec’estBrooke,etmoic’estElias.—TateRoth,réponditl’autreenluiserrantlamain.—Etnousvenonsdel’Indiana,précisaElias.BonneidéedementiraumoinssurnotreÉtatd’origine.—L’Indiana,hein?Qu’est-cequivousamèneenFloride?Vousprenezdesvacancesavantlacohue
estivale?Nousrestâmesmuets.Tateétaitgrand,avecdescheveuxchâtainclairlégèrementpluslongssurledessus,toutébouriffés,
comme s’il ne les coiffait jamais.Ça lui allait plutôt bien. Son bras droit était entièrement tatoué, demêmequesesdeuxmollets.EtilétaitfichuunpeucommeElias,c’est-à-diremusclémaispastrop,desortequesa têteneparaissaitpasridiculementpetiteaumilieudesesépaules.Ilavait l’air inoffensif.Charmant, même. Le genre de personne qu’on ne peut s’empêcher d’apprécier d’emblée, malgré sonconstantsourireencoinetsesmauvaisesfréquentations.
—Vous n’avez qu’à venir squatter dans notre chambre, proposa-t-il. Rien de pervers là-dessous,hein,justeuneoffreamicale.
—Onpassenotretour,déclinaEliasenentremêlantsesdoigtsauxmiens.—Pourtant,apparemment,c’estsoitpasserlasoiréeavecnous,soittraînericientrelespucesdemer
etlevigilequifaitsarondetouteslesheures.L’offredeTateétaittentante,endépitdenotrerencontremalheureuseavecAnthonyetCristina.Mais
je me rendais bien compte qu’Elias n’était pas emballé à l’idée de découvrir s’il existait d’autresAnthonyenFloride.
—Tupeuxnouslaisseruneseconde?demandai-jeàTateenlevantundoigt.—Biensûr,répondit-ilavecunhochementdetêteetunsourireconfiant.Puisils’allumaunecigarette.J’entraînaiEliasàl’écart.—Jecroisqu’ondevraitaccepter,luichuchotai-je.—Ehbien,pasmoi,rétorqua-t-il.Tuasdéjàfaillitefaireflinguerunefoiscesoir,sansquejepuisse
rien y faire. On va trouver une autre solution, Brooke. Je refuse de courir le risque que cela sereproduise.
—Maisonn’apasfranchementlechoix,insistai-jed’unmurmureplusforcé.Ettuasraison,tune
pouvaisrienyfairequandAnthonym’abraquéeavecsonarme,maisçan’étaitpastafaute.—Jelesailaissésmonteravecnous,répliqua-t-il.C’estcommesijelesavaisprisenstopaumilieu
denullepart.—Onlesatouslesdeuxlaissésmonter,lecorrigeai-je.Onnepouvaitpassedouterqu’ilavaitun
pistolet.Ilavaitl’airsympa.—Commelui?demandaEliasendésignantTatedupouce.—Sérieux,tucroisvraimentqu’onpourraitsefairedépouillerdeuxfoisdanslamêmesoirée?De
toutefaçon,onn’aplusrienàvoler.—Ilpourraitarriverpire.Et,mêmesic’étaitvrai,jen’arrivaispasàl’imaginer.—Commequoi?demandai-jeensecouantlatête.Ilyadeuxfillesetungarçon.Etjesuisplusforte
qu’elles,fanfaronnai-je.—Euh…, intervint Tate en levant sa cigarette. En réalité, on est cinq.Mon frère et sa copine du
momentnousattendentdanslasuite.Maistuasraison,tupourraissansdoutet’occuperdeJenetGrace.MêmesiJenaunsacrécaractère.Elleneselaisserapasfairesifacilement.
—Allez,Elias,plaidai-jeenluiprenantlesmains.Onn’apasd’autreendroitoùaller.Ilsoupiraetfermabrièvementlespaupières.Quelquesminutesplus tard,nouspénétrâmesdans la suiteducinquièmeétage,disposéecommeun
deuxpiècestraditionnel.Nousfûmesaccueillisparleregardneutrededeuxpersonnesquenousn’avionspasencorerencontrées.Lapremièreétaituneautreblonde,auxcheveuxconsidérablementpluscourtsqueceuxdeJen;sesyeuxétaientdépourvusd’expression,etdestachesderousseurluirecouvraientlesjouesetl’arêtedunez.Quelquechoseenellemedéplaisait,mêmesiellen’avaitpasencoreouvertlabouche.Etilyavaitunautregarçon,quiressemblaiténormémentàTateenplusjeune,aveclesmêmescheveuxchâtainclairet lesmêmesirisnoisette.Tousdeuxsedésintéressèrentrapidementdenous.MaisJennecessaitdenousfusillerduregard.
Grace,enrevanche,mesouriait.Destroisfilles,c’étaitcellequimeplaisaitleplus.Ellearboraitunaircalmeetattentionnéquimefitl’apprécierimmédiatement.
JengrognaavantdedécocheràTateunregardassassin.Ilsepenchapourl’embrassersurlatempe.Jecillaidesurprisequandelleluiassenaunegiflesurlecou.
—Net’approchepasdemoi,aboya-t-elle.Bizarrement,ilneréagitpasaucoupreçu.Jem’attendaisaumoinsàcequesonsourireledéserte,à
cequ’il labousculeouà cequ’il luihurledessuspour l’avoir tapé.Pourtant, sans sedépartirde sonrictus, il l’embrassa derechef. Je finis par accepter la situation, comprenant que nous n’étions pas lesseulsiciàavoirunerelationamoureusecomplexe.
Jens’enretournaàsaconversationavecGrace,installéeàcôtéd’ellesurlecanapé.—Jevousprésentemonpetitfrère,Caleb,annonçaTate.L’intéressé, assis par terre, nous salua d’un hochement de tête. Puis Tate nous désigna la blonde
occupantlachaisederrièreCaleb,quireposaitlecreuxdesesgenouxsurlesépaulesdecelui-ci.—EtvoiciJohanna.EtvousconnaissezdéjàJenetGrace.(Lapremièrenedaignamêmepasnous
accorderuncoupd’œil.)Disbonjourànosinvités,Jen.Nesoispasmalpolie.J’avais le sentimentqueTate laprovoquaità samanière,maisaussiqueJenenavait l’habitudeet
qu’elleappréciaitceladavantagequ’ellenele laissaitcroire.Elleétait toujoursassezfurieusepourlecognerdenouveaus’ill’approchaitdetropprès,maiscelaluiplaisaitsansdoute.
—Asseyez-vous,nousinvitaTateenembrassantlapièced’ungestedelamain.Onn’esticiquepourunenuit.Demainmatin,onrentrecheznous,àMiami.
Jem’installaisurlesgenouxd’Eliasàlatable,prèsdelafenêtrequidominaitlaplage.Tateouvritlemini-réfrigérateurdelakitchenetteetfouillaàl’intérieur.IlensortittroisbouteillesdeHeineken.Ilnousentenditdeux.Eliasm’ouvritlamienneavantdemelapasser.
Tate se laissa tomberprèsde Jen, sur lecanapé, sevautrantprofondémentenétendant ses longuesjambesmuscléessurlesol.Jenfitunegrimacedédaigneusequandilluitouchaledosdel’épaule,maisellenesedétournapasdeGraceetnechassapasnonplusTate.Lesdeuxfillesétaientpenchéessuruntéléphone,dontJenfaisaitdéfilerl’écran.
— Et donc, si on vous a piqué votre bagnole, comment vous comptez rentrer en Indiana ? nousinterrogeaTate.
Pile le genre de questions auxquelles nous n’avions aucune envie de répondre. Personnellement,j’avaisde toute façon troppeurde foutreen l’air lebobardqu’Eliasavaitprévude raconter, je restaidoncsilencieuseetlelaissaiparler.
—Onn’estpasprèsde rentrer, répondit-il. (Ilbutunegorgéedebière, reposa sabouteille sur latable,puiss’accoudaàcôté.)Onvoyage.
—Àpied,ducoup?s’étonnaTateenportantàsontourlegoulotàseslèvres.—Paslechoix.CommeEliassemblaitréticentàoffrird’autresdétails,Taten’insistapas.—C’estbon,jecomprends,dit-il.Tropdequestionsd’uncoup.(Ilsetournaverssonfrère.)Etsitu
nousroulaisunjoint?Caleb s’écarta de la chaise de Johanna pour fouiller dans sa poche arrière, dont il tira un sac
transparentrouléenboule.Ilrepritsaplaceentrelesjambesnuesdesacopineetpréparalacigarette.Jel’observaiunmoment,toujourssurpriseparlaressemblanceavecTate.Mêmecouleurdecheveux,mêmemorphologie, sauf que l’aîné devait être un poil plus grand et que le cadet n’avait qu’un tatouageapparent,uneAsiatiquesursonbrasgauche,cernéeparuntourbillondeventoud’eauquejen’arrivaispas très bien à distinguer de cet angle. Johanna et lui semblaient être du genre calme, àmoins qu’ilsn’aientétéréellementcaptivésparlefilmquipassaitàlatélé.Calebn’arrêtaitpasdereleverlesyeuxsurl’écrantoutenroulantsonjoint.
Voilà que jememettais à considérer Johanna comme sa copine, alors queTate avait précisé « dumoment»quandnousétionssurlaplage.MaisalorsGraceselevaducanapéets’approchadeCaleb.Elle s’installa entre ses jambes quand il eut fini son ouvrage, et il l’enlaça par-derrière. Johanna sepenchaenavantpourposersesmainssursesépaules.
Toutessortesd’imagessexuellessemirentàm’emplirl’esprit.PuisCalebsurpritmonregard.Jemedétournairapidementetm’assisenamazonesurlesgenouxd’Elias,afindepouvoirreposermatêtesursonépaule.
J’entendis le grattement d’un briquet, puis perçus l’arôme de ce que Tate nommait un « shit depremièreclasse».
—Fautquequelqu’unallumelaVMC,déclara-t-il.Cetteputaind’alarmeincendievasedéclencher.Tout lemonde semblait tropbien installéou trop loinde la salledebains, jeme levai doncpour
rendreceservice.J’enprofitaipourrécupéreruneservietteprèsdumiroir,etjem’approchaidel’endroitoù le détecteur était fixé au plafond. Puis je grimpai sur le bord du lit pour pouvoir l’atteindre, et jel’entouraidumorceaudetissuafindem’assurerqu’ilnenousembêteraitpas.
—Bonneidée,poupée,s’exclamaTateenpassantlejointàJen.Celle-ci,sansluiaccorderunregard,tenditlebraspar-dessussonépaulepourleluiprendre.— Et donc vous habitez tous àMiami ? demanda Elias alors que je revenaism’installer sur ses
genoux.
Tateexhalalentementetlonguement,étendantsonbrassurledossierducanapé.—Nan,Caleb,Jenetmoi,onvitàMiami.Cesdeux-là(ildésignaJohannaetGrace)n’ysurvivraient
jamais.GraceinclinalatêtesurlecôtéetposalesmainssurlesgenouxpliésdeCaleb.—Qu’est-cequeçaveutdire?s’enquit-elle.C’étaitlapremièrefoisquej’entendaisvraimentlesondesavoix,quejetrouvaisàlafoisdouceet
apaisante,contrairementàcelledeJen,saharpiedecopine.Celle-ciétaittoujourspenchéesursontéléphone.—Tuesbientropblanche,petite,s’esclaffaTate.—Blanche?Paroppositionànoire?s’étonnaJohanna.Soudain,cettedernièremefitl’effetdelacruchedeservice.—Non,réponditTateenroulantdesyeux.Pâlecommeunvampire.Neleprendspasmal,Grace,ta
peaulaiteuseferaitbandern’importequelmecsurl’instant,maistuvoiscequejeveuxdire.Jensetournaversluietluidécochaunviolentcoupdepoingauthorax.Tatesepliaimmédiatement
endeux,faisantdécollersespiedsdusol.Iléclataderire,puissemassal’endroitendolori.—Putain,commentt’osesdiredestrucspareils?bougonnaJen.J’suisassisejusteàcôtédetoi.Tates’efforçaitvainementderecouvrersonsérieux,maissonéternelsourireencoinletrahissait.—Putain,bébé,détends-toi.(Ilvoulutluiprendrelamain,maisellelaretirabrusquement.)Continue
commeça,etjevaistedéfoncergrave.Waouh…Jemedemandaisbiencequ’ilentendaitparlà.Iln’avaitclairementpasl’airviolent–àce
petit jeu, Jen semblait être la championne toutes catégories –, mais sa menace me fit me poser desquestions.
Toujourssanssedépartirdesonsourire,Tatesetournaversnous.—Non,onrevientjusted’unelongueroutejusqu’àNorfolk,oùonestalléscherchermonfrangin.À
l’aller, il n’y avait que Jen etmoi.Onne s’attendait pas à avoir unevoiturepleine au retour. (Puis ildésignadenouveauGraceetJohanna.)CesdeuxpetitestêtessontdescopinesdeCaleb.EllesvoulaientquitterlaVirginiepouruntemps.OnavaitdelaplacedansmaJeep.Jevouslaissedevinerlasuite.
—Maispourquoivousn’avezpasprisl’avion?demandai-je.TateetCalebsedévisagèrent,maisseullepremierseretournaversmoi.CefutcependantEliasquiréponditàmaquestion.—Parcequ’ilsnepouvaientpastransporterleurcameàbord.LecoindeslèvresdeTates’ourlaunpeuplus.
14
ELIAS
TATES’ARRÊTASOUDAINDESOURIRE,PUISMEDÉSIGNAdesabièreavantdedéclarer:—Vousn’êtespasflics,aumoins?Jepensequ’ilsavaitquejenel’étaispasplusquelui.—Putain,non,répondis-jeensecouantlatête.Sonsourireréapparutetillaissaretombersonbras.Grace, la fille châtain installée entre les jambes de son frère, semit à genoux, hissant ses fesses
devant levisagedeCaleb,puiselle tendit lebrasversnous.Brookesepenchaenavantpoursaisir lejointetleportaàseslèvres.
Calebprofitadel’opportunitéquiluiétaitoffertepourfesserGraceavantqu’ellen’aitletempsdeserasseoir.Celle-ciluiréponditd’unsouriredetravers.J’avaisdumalàcomprendreleurpetitmanège.Jenepercevaisaucuneformedesentimententreeux,endehorsd’unetensionsexuellepalpable.
Nousplanionstousquandlejointeuttournéàtroisreprises.Brookeetmoinousrapprochionsdenosnouveauxamisplusvitequenousnel’aurionssoupçonné.C’étaitpeut-êtreàcausedushit,maisJenavaitmêmecessédedécocherdesregardsassassinsàBrooke.Detempsàautre,illuiarrivaitderebondirsurl’undesespropossanslamoindreironie,etlestensionss’apaisaientsérieusemententreelles.MêmesiJencontinuaitàmenerlaviedureàTate,quiavaitcomplètementabandonnél’idéedeluiparler,préférantrêvasserdanslecanapé.
J’ignorais combien de temps s’était écoulé quand je remarquai à quel point Grace et Brookesemblaientbiens’entendre.Brookeetmoiavionsfiniparnousinstallerparterre,dosaumur.Graceétaitassiseprèsd’elle,etellesdiscutaientdepuisunlongmoment,tandisquej’étaisaussioccupéqueTateàregarderlatélésanslavoir.Jen’étaispascomplètementdéfoncé,maismonespritdivaguaittantquejene savais pas du tout de quel programme il s’agissait. Je voyais les lèvres bouger sur l’écran, sansentendrelemoindreson.
CalebmeramenabrutalementàlaréalitéquandilappelaGraceetquetousdeuxsemirentàmefixeravecunairprédateurquinem’étaitpasétranger.Surpris, jedécidaideme reconcentrer surcequi sepassaitautourdemoi.Avais-jeloupéquelquechose?Jen’avaispaslamoindreidéedecequipouvaitpousserCalebàmematerdelasorte,maisquandGraceallas’asseoiraveclui,j’euslasensationqu’ilsesentaitmenacé. C’était étrange. J’avais à peine échangé deuxmots avec elle. Brookemonopolisait laconversation.Jemecontentaidoncdefermerlespaupièresetdelaisserreposerl’arrièredemoncrânecontre lemur, sans plusm’intéresser à lui. Brooke s’allongea complètement et posa la tête dansmon
giron.Jenebougeaiplusjusqu’àcequeJenetTatemeréveillentensedisputantunefoisdeplus.—Jevaisaulit,crachalapremière.(Ellerepoussasoncopainquandilessayadeluipasserlebras
autourdelataille.)Tun’asqu’àdormirici.Tateéclataderireetlasuivitjusqu’àlachambre.—Déshabille-toi,jeterejoinsdansuneminute.Jenfitvolte-faceet legiflasiviolemmentque je ressentis lapiqûrede laclaque.J’écarquillai les
yeuxdesurprise.Brookerelevalatêtedemesgenoux.Tatesouriaitencore,maisjelevisnéanmoinsserrerlesdentsderrièrelarougeurquiapparaissaitsur
sajoue.IlattrapaJenparlespoignets.—Fous…moi…la…paix,grogna-t-elleenséparantchaquemot.Tatelalâcha.Pendantquelquesinstants,cefutàquicilleraitlepremier.PuisJentournalestalonsets’enfermadans
lachambreenclaquantlaportederrièreelle.Denoussept,seulsBrookeetmoisemblionstrouvercetteconfigurationinquiétante.Tatetenditlesbrasau-dessusdesatêteetbâillaàs’endécrocherlamâchoire.Puisillaissaretomber
sesmainsetsetournaversnous.—Posez-vousoùvousvoulez,proposa-t-il.Jevaismepieuter.—OK,répondis-jed’unairdistant.TateallarejoindreJendanslachambre,etavantmêmequ’iln’aitpurefermerlaporte,elleluibrailla
dedégager,entreautresjoyeusetés.—Jet’aiditdetedéshabiller,entendis-jeTateluirépondreàtraverslacloison.—Vatefairefoutre,rétorqua-t-elle.Puisj’entendisuncoupretentissantetouvrisdesyeuxrondscommedessoucoupes.—Bordel,tuveuxmefrapper?!rugitTate.Recommence!Vas-y!Jel’imaginaistendrel’autrejoue.JemetournaiversCaleb,quirestaitassisentrelesjambesdeJohanna,avecGraceentrelessiennes.
Tandisqu’ilfaisaitcourirunemaindanslescheveuxdecelle-ci,ilcaressaitdel’autrelegenoudesonamie.
Clac!Jenhurla,etjesentislesoltremblercommesousl’effetd’unelutte.Jemelevaiinstinctivement.Jen
avait beauneplus avoir prononcéunmotdepuis unbonmoment, je nepouvaispas rester sans réagirtandisqu’ellesefaisaittabasserdanslapiècevoisine.
—Net’enfaispas,melançaCalebd’untondétaché.Jeluijetaiuncoupd’œilavantdemeretournerverslaporte.Onsebattaitclairementdel’autrecôté
dumur.Brookeétaitdeboutprèsdemoi.J’étaistellementconcentréquejenel’avaismêmepasentendueselever.
—Turigolesouquoi?demandai-jeàCaleb.Jen’arrêtaispasdelesobservertouràtour,luietlaporte.Ildemeuraitimpassible,commes’ilnejugeaitpascetteconversationdigned’avoirlieu.Ilsecouala
têteettrouvaunepositionconfortableentrelesjambesdeJohanna.—Cen’estpascequetupenses,intervintGrace.—Pourtant,çayressemblesacrément,rétorquai-je.Brookem’attrapalamain.—Monchéri,net’enmêlepas,s’ilteplaît.Elleavaitpeur,carilsétaientbienplusnombreuxquenous.
Graceajouta:—Taten’iraitjamaisfrapperJen.Son visage s’adoucit et elle bascula la tête de côté pour poser la joue sur le torse de Caleb. Ce
dernierglissaunemainsoussonchemisier.Pourtant,elleneregardaitquemoi.—Leseulquirisquequelquechoselà-dedans,c’estTate,ricana-t-elle.Calebluicaressalapeauducou.JeserrailamaindeBrookepuismedétournaid’euxpourmieuxtendrel’oreille.Bientôt,jecompris.
Ladisputeetlaluttes’étaientmuéesengémissementsetgeignements, tandisquelelitvenaitheurterlemuràintervallesréguliers.
Laférocitédeleurrelationmedonnaundébutd’érection.Toutcomme,jedoisbienl’avouer,lepetitjeuauquels’adonnaitCalebavecGraceetJohanna.
Avantlafindelanuit,maisaprèsqueleslumièresetlatéléeurentétééteintes,illesbaisaittouteslesdeux dans le canapé déplié en lit. Cela ne semblait pas les gêner queBrooke etmoi soyons toujourséveillésdanslamêmepièce.Cen’étaitcependantpasunepremièrepourmoi.
Toutefois,jecomprisàsonabsencederéactionquecen’enétaitpasunepourBrookenonplus.Ellesepositionnaàcalifourchonsurmoi,tandisquej’étaiscouchéparterre.Ellesepenchapourme
prendrelalèvreinférieureentresesdents,flattantmavirilitéàtraversnosvêtements.Elleavaitautantenviedemoiquel’inverse.Etj’étaissurlepointd’exploser.Peut-êtrequ’elleétaitaussiexcitéequemoipartoutcequisepassaitautourdenous.Jenepouvaispasl’enblâmer.Maisjenem’attendaispasàcequ’ellesoitprêteàpasseràl’actedanscettepièce,alorsqu’unepartieàtroissedéroulaitàdeuxpasdenous.Mais,merde,jen’allaispasnonplusmeposerdequestions.J’avaisenviedelavoirsurmoi.Nue.
—Grimpe-moi,chuchotai-jed’untontorridetoutcontresabouche.Elleaccentual’ondulationdeseshanches.Jeluiattrapailesjouesetl’embrassaivoracement.—Enlèvetonshort,réclamai-je.Jeglissailamainsousl’élastiquedesaculotteetlasentisdéjàhumide.J’introduisisundoigtentre
seslèvresinférieures,etellerejetalatêteenarrièreenfermantlespaupières.—Enlève-le,répétai-je.Elleobtempérasanshésitation.Je soulevai mon cul du sol juste assez longtemps pour retirer mon bermuda et mon boxer. Elle
s’accroupitsurmoi,faisantmonteretdescendresonbassinpourbienmepositionner.Jedonnaiuncoupde hanches, de plus en plus impatient, voulantm’enfouir en elle. Je poussai un grognement rauque enenfonçantmesdoigtsdanssapeau,refermantlesmainsautourdesataille.
—Dis-moiquetuasenviedemoi,monchéri,chuchota-t-elleenplongeantsonregarddanslemien.Jefisremontermesmainssoussonhautpourluipétrirlesseins.—J’aiuneputaind’enviedetoi,déclarai-je.Etsabouchevintserefermersurlamienne.Ellemetitillauninstantdeplus,jusqu’àcequejesoissidurqueçam’enfaisaitmal,puisjen’ytins
plusetdisparusenelle.Elleseredressapours’asseoiràlaverticaleetcommençaàmechevaucher;elleondulait telle unevague, se resserrant autour demaverge à chaque reflux. Jeme crus sur le point dedéfaillirdeplaisir.
Mêmesij’avaisenviedemelaisseraller,deprendremonpiedenjouissantenelle,jemeforçaiàm’arrêter.Jemeretirai,puislafispivoterpourpoursuivreensoixante-neuf.Jeluiécartailescuisses;sonculdélicieuxetcettehumiditéchaudequ’ilmetardaitdegoûtersetrouvaientlà,offertsdevantmoi.Jegémisendonnantuncoupdehanchequandjesentisseslèvresserefermersurmongland,jusqu’àcequ’elle m’avale tout entier. J’enfouis plus profondément mes doigts dans ses jambes pour la faire
descendresurmonvisage,etluiléchaietmordillaileclitorisàluiencouperlesouffle.Lehautdesoncorpsbasculaenavant;sesseins,toujourspiégésderrièresonsoutien-gorgeetsonhaut,reposaientausommetdemes jambes.Mabiteétaitdressée fièrementcontremonventre,durecommelapierre.Ellen’arrivaitplusàmesucer,tropconcentréesurmescoupsdelangue.
Elleondulalentementdeshanchesau-dessusdemonvisage,puisungémissementtremblotantfranchitseslèvres.Elles’immobilisa.Jesentaistoujoursvenirl’orgasmechezelle:soncorpssecontractait,etellesemblaitretenirsonsouffle.Jeraffermisdoncmaprisesursescuisses,sachantqu’elletenteraitdes’éloignerquandelle atteindrait la jouissance.Aprèsunnouveaugémissement, ses jambes semirent àtrembleretsonsexeàbattrecontremeslèvres.
Elleessayaeffectivementdereculer,mais je lamaintinsenplacepour la lécheravecune intensitéredoublée.Ellehaletaenétranglantunpetitcrique jene l’avaisencore jamaisentenduepousser,puiselles’écroulasurmoi.
Jeluisoufflaidoucementdessustandisqu’elleessayaitderetrouverunerespirationnormale.Quelquesinstantsplustard,elleserepositionnafaceàmoi,plaquasapoitrinecontrelamienne.Son
cœurbattait au rythmedumien. Je l’embrassai délicatement.Sur la bouche.Aubout dunez.Sous lesyeux.Surlefront.Jesentaissamainsurmaverge,etmêmesijesavaisqu’elles’apprêtaitàlarefairecoulisserenelle,jenemeconcentraisquesursonregard.
—Tun’espasobligée…,commençai-jeàdire,maisellesecoualentementlechefavantdereposerleslèvressurlesmiennes.
Mêmesij’avaismaldem’êtreretenusilongtemps,jenevoulaispasqu’elleaitl’impressionquemonplaisirm’étaitaussiimportantquelesien.J’étaisprêtàlafairejouirencoreetencore,sansmêmequ’ellemerendelapolitesse,sitelétaitsondésir.
Toutefois,moninstinctmedisaitqu’elleéprouvaitlamêmechosequemoi.Ellesedépouilladesonhautetdégrafasonsoutien-gorgeavantdepressersesseinsnuscontremon
torse.Jelaissaiinstinctivementcourirmesdoigtsjusqu’àsonintimitéetlesyfisalleretvenirlentementjusqu’àcequ’ellemechevauchedenouveau.
J’arquailégèrementlatêteenarrière.—Oh,putain…— On pourrait faire ça depuis dix-sept ans, répondit-elle à voix basse en ondulant sur moi en
mouvementslentsetprécis.Je donnai des coups de bassin pourm’enfoncer en elle, lui étreignant fermement les fesses.De la
bouche,jeluiremontailementon,etjefiscourirmalanguesursoncouavantdetrouversabouche.—Onserattraperaaucoursdesdix-septprochainesannées,promis-jeavantdeluimordrelalèvreet
del’embrassergoulûment.Jemeretiraiquelques instantsplus tard, lecorpsraidipar leplaisir intensequiexcitaitchacunde
mesnerfs.Lespaupièrescloses,jesentismesyeuxserévulsertandisquejejouissaisenfin,nosquatremainsreferméessurmabite.Jefrémisettremblai,percevantl’haleinechaudedeBrookesurmeslèvres.Puis, quandmesmuscles commencèrent à se détendre, ellem’embrassa encore avant de s’allonger, lajouesurmontorse.Jeluipassailesdoigtsdanslescheveux.
Nousnousendormîmesdanslesbrasl’undel’autre.Nousétionsunpeuserréspouraller jusqu’àMiami.TateetJenoccupaient lessiègesavant, tandis
queBrookeetmoipartagionslabanquettearrièreavecCaleb,GraceetJohanna.Etmêmesijen’arrêtaispasde rassurerBrookeen luiaffirmantqu’elleavaitunpetitculbien rebondi, forceétaitdeconstaterqu’ils’ytrouvaitégalementquelquesos.
InutiledepréciserqueTateetJenrestaientuneénigmeàmesyeux.Après leurprétenduedisputeàl’hôtel,ilss’étaientlevéslematincommesiderienn’était.Ilsavaientl’aird’untoutautrecouple.Jen,toutsourires,necessaitdeflirteraveclui,etilssemblaientincapablesdenepasposerlesmains–oulabouche–l’unsurl’autre.
Liam,lecolocatairedeTate,étaituntypeassezextrêmeavecunecrêtesurlatête.LeprincipalhobbydeceLiamFoster étaitde faire jouir cesdames.SiCalebRoth seprenaitpour le roides séducteurs,Liamenétaitl’empereurincontesté.
Il était en train de s’en taper une sur le canapé quand nous entrâmes tous les sept dans leurappartementdeMiami.
Lademoiselleauxcheveuxclairsredressalatête,horrifiée,ennousvoyantarriver,maisill’empêchadepartirenlaplaquantauxcoussins.
—Putain,nebougepas,magrande,dit-ilsanscesserdelabesogner.—Liam,ilyapleindegensdanslapièce!s’exclama-t-elleentresesdentsserrées.—Etalors?s’étonna-t-il.Ilss’enremettront.J’aipresquefini.—Merde,Liam!hurla-t-elle.Ils’arrêtaentredeuxcoupsdeboutoirpournousdévisager.—Est-cequeçavousembête?s’enquit-il.—Carrément,queçam’embête!crachaJen.Ellesefrayauncheminentrenouspourgagnerlacuisine.Nousrestâmestouslessixàsecouerlatête,
nouscontentantdedétournerlesyeux.Tatefitungestedelamainindiquantqu’ils’enmoquait,puisilallarejoindre Jen dans la cuisine.Brooke etmoi le suivîmes, tandis queCaleb s’installait sur le relax enfaisantgrimperGracesursescuisses.Johannarestadeboutàcôté.
Liamconsidéralevisageatterrédesaconquête.—Satisfaite?—Pasvraiment,répliqua-t-elleavecunebonnedosedesarcasme.—Bon,jevaisyremédierbientôt,mais,avant,tudoismelaisserfinir.Comme convaincue, elle se fendit d’un «D’accord » avant d’enfoncer ses ongles dans le dos de
Liam.Nousatteignîmeslacuisineavantqu’ilseremetteàl’œuvre.— Pardon, je sais que ça ne me regarde pas, mais il n’a pas une chambre ? demanda Brooke.
—Putain,Tate,renchéritJen,c’estvraimentglauque.Pourquoitulelaissesfairecegenredetruc?Tateouvritlefrigoetenobservalecontenu.—Désolé,poupée,jevaisluiparler.(PuisilsetournaversBrooke.)Etsi,ilaunechambre,maisil
est…c’estdifficileàexpliquer.Il jeta sondévolu surun tubedemoutardeetun sachetdeviandepour sandwichsqu’il jeta sur le
comptoir.—Liamestungigolopervers.C’estassezsimpleàexpliquer,enréalité,rétorquaJenenprenantune
bouteilled’eauauréfrigérateuravantdequitterlacuisine.—Ilvaretourners’installeràPhoenixdansquelquesmois,repritTate.(Ilsortitdeuxtranchesd’un
paquetdepaindemierangéprèsdugrille-pain.)Je l’adore,hein,mais j’aihâted’avoir l’appartpourmoitoutseul.
— Est-ce que Jen habite ici ? l’interrogea Brooke, essayant sans doute d’imaginer comment celapouvaitsepasseraveclesaventuresexhibitionnistesdeLiam.
—Tuveuxunsandwich?luiproposaTateaulieudeluirépondre.Brookesecoualatête,etj’enfisautantquandilsetournaversmoi.
—Non,Jenasonpropreappartpasloind’ici.Onnepeutpasvivreensemble.Onaessayé,unefois,maisçanes’estpasbienterminé.Ellenesupportepasmonbordel,etmaplusgrandetrouilleétaitqu’onfinissepartants’habituerl’unàl’autrequ’ellen’hésiteraitplusàposerunepêchependantquejeseraisavecelledanslasalledebains.Carrémentpassexy,dit-ilensoulignantchaquemotd’uncoupdetubedemoutarde.Aufait,ilyauneteufcesoir,ajouta-t-il.Unsupergroupeundergrounddonneunconcert.LefrèredeLiamenestlebassiste.Çavoustente?
Encore une fête. J’avais l’impression que nous les enchaînions depuis quelque temps. Nousrépondîmesenchœur:
—Ouais,carrément.Finalement,Miamiserévélan’êtrequ’unpointdechute.AprèsavoirvulegroupedeLiam,nousne
passâmesqu’unenuitdeplussurplace,vautréssurlespoufsd’unpetittroispièces.Lelendemain,TateamenaCalebchezungars,etnous l’attendîmes tousdans laJeep tandisqu’ilallait refourguer ladoperapportéedeNorfolk.
J’aimaisbiennosnouveauxamis,maisquelquechoseenCalebmepoussaitàrestersurmesgardes.Çan’étaitpasuniquementdûaucôtédealer,mêmesijen’arrivaispasvraimentàmettreledoigtdessus.Ilneparlaitjamaisbeaucoup.IlconcentraitgénéralementsonattentionsurJohannaousurGrace,voiresurlesdeuxàlafois,etéchangeaitparfoisquelquesmotsavecTate.Enrevanche,iln’étaitpasdugenreàs’ouvrirrapidementauxinconnus.Peut-êtrenelefaisait-ild’ailleursjamais.Mais,tantqu’ilnouslaissaittranquilles,çanemeposaitpasdeproblème.
Apparemment, tous les soucis que Brooke et moi pouvions avoir – les moins importants, tout dumoins–semblaientréglésmaintenantquenoustraînionsavecTate.JenetGraceprêtaientvolontiersleursfringuesàBrooke.EtTate,medécouvrantaussidépourvuqu’elleenlamatière,merefilaquelquesvieuxvêtements.Nousavionsunchauffeur,ettoujoursunendroitoùaller,qu’ils’agissedelamaisondeplagedel’undesesamis,d’unechambred’hôtelqu’ilnousoffrait,voired’unspottranquilleenborddemerd’oùilsavaitquelesflicsneviendraientpasnousdéloger.PourlapremièrefoisdepuislamortdeJana,Brookeetmoipouvionssoufflerunpeu.Lavieétaitpluscalme.Nouscommencionsànoussatisfairedenotreexistencenouvelle.Etnousnelesavionsrencontrésquedepuisunesemaine.
Leschosesallaientdoucement– sidoucement,même,que leschangementsque je remarquais chezBrookenem’inquiétèrentpasautantqu’ilsl’auraientfaitsijem’étaistrouvédansunautreétatd’esprit.
Ilmefallutunenuitdansunemaisonenborddemerpourcomprendrequejeneconnaissaispasmapetiteamie,l’amourdemavie,aussibienquejelecroyais.
Et,bordel,çam’amislecœurenmiettes.
15
ELIAS
LA BARAQUE QUI DOMINAIT L’OCÉAN ÉTAIT DES PLUS impeccables. Un imposant ponton privé étaitaccessibledepuisleboutdujardin,quiressemblaitàunephotodemagazinedepaysagisme.Touteslespiècesde lamaison transpiraient le luxe, avec leurcarrelageencéramiquehorsdeprix, leurpeinturecomplexeetleursmeublesdecréateursurlesquelsjen’osaispasposerlesdoigtsdepeurd’ylaisserdesmarques.Jen’arrivaispasàcroirequ’unendroitsipropreetsomptueuxpuisseapparteniràunamideTate. Les derniers logements que nous avions visités ressemblaient davantage à mon appartement enGéorgie:unepiauledecélibataire.
Nousdécouvrîmesplustardqu’elleétaitauxparentsdeJen,partisauxBahamaspourlesvacances.Nouslatransformâmesdoncnaturellementenunlieuoùs’éclater.
Leshaut-parleursdissimulésdansleplafonddusalondiffusaientleurmusique.Brookeetmoiétionsassisensembledanslecanapéàsiroternotrecocktail,tandisqueTate,Jenetd’autresdansaientaumilieudelapiècesurle«Pony»deGinuwine.Desgensétaientassissurchaquemeuble,ettandisquej’allaisjusqu’àlacuisinetroquermonverrevidecontreunebière,jedécouvrisquemêmelescomptoirsétaientinvestis.
Caleb faisaitpartiedesoccupants. Il était assis à côtéde l’évier avecunquartde litredewhiskyentrelesjambes.Johannasetrouvaitsursagauche,latêteposéesursonépaule.Elleavaitunairhébété,maisriend’inhabituel–ellesemblaitàmoitiédanslesvapesmêmequandelleétaitsobre.
—J’aiunequestionàteposer,ditCaleb.Jefussurprisd’entendresavoix.Iln’avaitjamaisvraimentcherchéàengagerlaconversationavec
moijusqu’alors.Et,maintenantquec’étaitfait,jecraignaislepire.Jerefermailefrigoetm’appuyaiaucomptoir,décapsulantmabouteille.—Ouais,jet’écoute,dis-jeenportantlegoulotàmeslèvres.Calebposadecôtésabouteilledewhisky.Ilprittoutsontempsavantdem’interroger.—Pourquoitun’aspasappelélesflicsquandont’apiquétabagnole?—Qu’est-cequitefaitcroirequejenel’aipasfait?—Jet’aientenduenparleravectacopinel’autresoir.Ainsidonc,mêmes’ilnedisaitrien,Calebsavaitécouter.Jenem’étaispasassezméfiédelui.J’étais
jusqu’àprésentconvaincuqu’ilsefoutaitéperdumentdecequelesautrespouvaientbienraconter.—Çan’auraitserviàrien,répondis-jealors.Je savaisquemonexcusen’était pas très crédible,mais jenepouvaispas lui révéler lavérité. Il
fallaitsurtoutquejem’efforced’écourtercetteconversation.Calebarboraunsourirediscret.C’étaitpeut-êtrelapremièrefoisquejelevoyaissourire.Ilm’avait
danssoncollimateur.—Lesseulesraisonsquiauraientputepousserànepasappelerlesflicsdanscegenredesituation
sont:1/quetuaiestoi-mêmepiquélacaissedansunpremiertemps;2/quetuaiesdesproblèmesaveclajusticequit’empêchentdecontacterlapolice;ou3/quetuaiesmenti.
Ileutunlégerrictus.J’avais envie de luimettremonpoingdans la gueule,mais je nepouvais pas le frapper pour être
intelligent.—Eh,mec,jeneporteaucunjugement,merassura-t-ilenlevantbrièvementlesmains.Jesuismal
placépourcritiquer,jenesuispasnonplusunsaint.Quoiquevousayezpufaire,çanemeregardepas.Simplement,jeneveuxpasqueçaviennefoutreleboxondansmesaffaires,tucomprends?J’aidéjàfortàfaireavecmesemmerdessansmecoltinercellesdesautres.
Riendetelqu’uncriminelpourreconnaîtreuncrime,songeai-je.Jenepouvaissincèrementpasluipromettrequecelan’arriveraitpas.Tantquenousserionsaveceux,
ilyavaitunrisquequ’ilsseretrouventimpliqués.Mais,pourêtrefranc,Calebavaitraison:ilétaitmalplacépour juger.Deceque je savaisde lui, c’étaitunconnardetundealer.Et,demonpointdevue,vendredeladrogueétaitlargementplusgravequ’unemortaccidentelle.
—Tun’aspasàt’enfaire,dis-jeenmeredressantducomptoir.—J’espèrepourtoiquec’estvrai,répliqua-t-il.Jequittailacuisinesansrienajouter.Tantquenoustraînerionsaveceux,Calebmeflingueraitl’ambiance.Toutefois,ilm’incitaaussiàréfléchir.Lapolicenousrecherchait-elledéjà?LecorpsdeJanaavait-
il été retrouvé ?Soudain, il fallait que je sache. Je sinuai entre les convives entassés dans le couloirjusqu’àtrouverJen.JeluidemandaisijepouvaisutiliserInternetquelquepart,etellemedirigeaverslebureaudesonpère.
Jem’yenfermai.Seul.Justemoi,etleNet.Jem’installaidanslefauteuilencuiretmesaisisdelasourissansfil,ramenantàlaviel’écranplatdisposédevantmoi.Salumièredispersaunpeudesténèbresdelapièce.J’ouvrislenavigateuretentreprisdetapernosnoms,«Géorgie»,ainsiquequelquesautresmots-clés, jusqu’à me rendre compte que ce n’était pas une bonne idée de procéder de la sorte surl’ordinateur d’un inconnu. J’effaçai donc ma recherche et me dirigeai plutôt vers l’un des sitesd’informationdel’État.
Et alors que je considérais la liste des résultats, l’index en suspension au-dessus du bouton de lasouris,jemetrouvaiincapabledecliquer.Mêmesijeressentaislebesoinimpérieuxdesavoir,j’avaistroppeur.Brookeetmoipassionsdesibonsmomentsensemble,enoubliantcetavenirquinemanqueraitpasdenousrattraper,quejen’étaispaspresséd’ymettreunterme.Jenevoulaispasvoirs’effacercesourirequ’ellem’adressaittouslesmatinsauréveil.
Jen’étaispasprêt.Jesupprimail’historiquedesrecherchesetfermailapage,laissantlapiècedansl’étatoùjel’avais
trouvée:sombre,videetconservantjalousementtouteslesréponsesàmesquestions.Enretournantausalon,jeconstataiqueBrooken’étaitplussurlecanapéoùjel’avaislaissée.Jela
cherchaienpassantnonchalammentdepièceenpièce,croisantTateetJenquiétaientpresqueentraindebaisersurlapistededansetoutenécoutantencore«Pony»,qu’ilssemblaientavoirmiseenboucle.Enfranchissantlecoulissantdelaterrasse,jeretrouvaiBrooke,assisesurunechaise,enpleineconversationavecGrace.
Me sentant d’humeur joueuse, et après avoir été privé de l’embêter pendant les quatre annéesécoulées,jem’approchaidiscrètementdansleurdos.Ilfaisaitbienpluscalme,là-dehors,sibienquejepouvais percevoir le bruit de la brise soufflant depuis l’océan et celui des vagues venant doucementcaresserlaberge.Lamusiqueassourdissanteàl’intérieurétaitlargementétoufféeparlesmurs.
J’avançaisàpasde loup, résoluà foutreàBrooke la trouilledesavie.Mais,àmesureque jemerapprochais,desbribesdeconversationmeparvenaient.Jeralentis,sentantlefeumemonterauxoreilles.
—BonDieu,jen’imaginemêmepas…,ditGracedansunsouffle.Le sommetde son crânedépassait dudossier, jusqu’à cequ’elle sepenche, commepourobserver
quelquechose.—Grace,je…Parpitié,gardeçapourtoi,déclaraBrooke.(Jelavisalorsretirersamaind’entre
leurssièges.)Jeneveuxpasqu’Eliasl’apprenne.Graceacquiesçad’unhochementdetête.—Ouais,biensûr.Sansproblème.Puiselleajouta:—C’estpourçaquetuenasautant?Jem’approchaiencorepouryvoirplusclair,toutenm’assurantderesterhorsdevue.Gracebaissait
denouveaulatête.J’essayaidem’orienterfaceàl’intersticeentrelesdossiers,etvislesdoigtsdeGracejoueraveclesbraceletsdechanvreautourdupoignetdroitdeBrooke.
C’estalorsqueBrookemesurprit,deboutderrièreelles.Denouveau,elleretirabrusquementsamain,puisremithâtivementsesbraceletsenplace.J’allailes
rejoindreàuneallurenormale.—Coucou,monchéri,medit-elleenm’adressantunsourireforcé.Jemepenchaipourluidéposerunbaisersurleslèvres.Je les observai tour à tour, espérant que Grace saisirait l’allusion et partirait. Elle n’en fit rien.
J’examinaialorslesmainsdeBrooke,etsurtoutsespoignets.Soudain,j’eusl’impressiond’êtretrahi.PasparBrooke,maisparsesbracelets.Jeluilaissaiuninstantpourpasserauxaveux,carelledevaitsedouterquej’avaissurprisdesbribes
deconversationqu’ellevoulaitquej’ignore.Maispersonneneparla.Cefutuninstantdegêneintense.LaprésencedeGracenefaisaitqu’aggraverlasituation.
Jedécidaidecreverl’abcès.—Qu’est-cequetuneveuxpasquejesache?Brookesedétourna.Je regardaiGracedenouveau ; sesentantdésormaispriseaupiège,ellevoulutdéguerpir.Elleme
considérad’unairdégoûté,selevaetannonça:—Ilfautquej’aillevoirCaleb.Puiselledétalasurl’alléedebriquejalonnéed’unemosaïque.Unenouvellechansonflottadansl’airjusqu’àcequeGracerefermelaportecoulissante.JeplaçailachaisevacanteenfacedeBrookeetm’assis.Elleétaitinstalléeenamazone,lespiedssur
l’assise.Ellenevoulaitpas,ounepouvaitpas,meregarder.Jeluiprislesmains.—Tuveuxbienmeledire?Jecaressaidespouceslapeaudélicatedesespaumes.—Non,Elias,jenepeuxpas.Jeluipressailesmainsetelleessayadelesretirer.—Si,dis-jeenlesserrantplusfort,laforçantàmeregarder.Jeveuxquetumeledises.
Je scrutai son visage en quête d’une émotion quelconque, sondai ses prunelles pour y déceler lamoindre information, mais je n’y lus que de la souffrance. Il me semblait deviner ce que j’allaisdécouvrir,maisjerefusaisd’ycroire.
Elleessayaunefoisencoredeselibérer,maisjemaintinsfermementsesmainsetglissaidoucementmespouces sous ses bracelets.Mon cœur cessa de battre. Jeme figeai. Je ne pouvais plus bouger niprononcerunmot.Etelleneparvenaitpasàmeregarderplusdedeuxsecondesàlasuite.
Jeprisuneprofondeinspiration,puismassaidespouceslescicatricessursespoignets.Jefermailespaupièresletempsderecouvrermonsang-froid,maismoninstantdecalmefutréduitenmiettesdèslorsqueBrookes’arrachaàmesmainsets’enfuitàtoutesjambes.Jem’élançaiàsasuite.
—Brooke!Arrête-toi!S’ilteplaît!Ellenem’écoutapas,seprécipitantverslejardin,puisau-delàduponton,endirectiondelaplage
rocailleuse.—Arrête!Putain,arrête!Je l’attrapaipar lecoudeetelle fitvolte-facepourm’affronter,ses longscheveuxbrunsvenant lui
fouetterlevisage.Elleessayavainementdemerepousser,maisjerefusaidelalaisserpartir.Etplusellesedébattait,plusjeserraisfort.
—Jet’enprie,Elias!Va-t’en!tonna-t-elle.Deslarmesluiruisselaientsurlevisage.—Parle-moi,Brooke!hurlai-je.Explique-moipourquoituasfaitça!N’ayantplusd’autrechoix,elleselaissatomberàterreets’écroulasurlesable.Jelalâchaiavantde
m’accroupir devant elle. Elle pleura dans la nuit en se cachant la figure dans les genoux, basculantd’avantenarrière.Jem’assisàsoncôté.Jetentaidelaréconforter.Delatoucher.Deluiparler.Delacomprendre.Maiselleétaitinconsolable.J’étaisperdu.Cen’étaitpaslaBrookequejeconnaissais,cettefille avec laquelle j’avais grandi.Ce n’était pas la jeune femmedrôle, folle et joyeuse qui partageaitdésormaismonquotidien.Elle restait celleque j’aimais,malgré sesdéfauts et ses faiblesses.Celanechangeraitjamais.Maiscettefillerecroquevilléedanslesableprèsdemoi,avecdesbalafresentraversdespoignetsetunetelledouleuraufonddel’âmemebrisaitlecœur…c’étaituneautrefacettedecellequej’aimais.Unefacettequejen’avaisjamaisaperçue,dontjenesoupçonnaismêmepasl’existence.
—Jet’enprie,dis-jedoucement,dansuneultimetentative.Ellelevalesyeuxpourexaminerlanoirceurdel’océan.Deslarmess’accrochaientàseslongscils
sombres.Maiselles’obstinaitàrestermuette.Jenepouvaisquemedemanderàquoiellerepensait…
BROOKE
Lesouvenir…DUSANGRUISSELAITAUBOUTDEMESDOIGTSTELLESdesperlesécarlates,serépandantausolsousmon
siège.Chaquegoutteprovoquaitentombantunfracasplusimportantquelaprécédente,commesilamortaffûtait lessens.Cettepetitevoixdansma tête,quim’indiquaitque jechatouillais la frontièreentre laraisonetledésespoir,avaitfiniparl’emporter.
Eliasn’étaitpluslà.Jemesentaisseule.Tellementseule.Jem’étaistantéloignéedemesparentsengrandissantquenousnenousparlionsplusqu’enderaresoccasions.Ilsavaientcesséd’essayerdemevenirenaidedepuisbienlongtemps,jeleurlaissaisdoncl’espacequ’ilssemblaientjugernécessaire.Maseuleamie,Lissa,nemecomprendraitjamais,mêmesijem’asseyaisavecellepourluiparler.Elleavaitbeau avoir un grand cœur, elle préférait observer les problèmes des autres depuis la ligne de toucheplutôtquedetenterd’apporterdessolutions.Personnellement,jen’envoyaisaucune.Mais,pisquetout,jen’avaisplusElias.Jel’avaisquitté,j’avaisfuinotreviecommuneenGéorgiecarjesavaisquejeneleméritaispas.J’étaistropdérangée;jetraînaistropdecasseroles,etj’étaisàlafoishonteuseeteffrayéeàl’idéedem’accrocheràluicommeunboulet.Jenevoulaisquesonbonheur.
Desnuagesnoirsobscurcissaientlecielnocturne,maislapluienetombaitpas.Unencensétouffantbrûlaitsurlapetitetable,etleventquis’engouffraitparlafenêtrevenaitdetempsàautredérangerlesvolutesdefumée.Sousleparfumdesbâtonsencombustion,l’odeurmétalliquedusangpersistait.Jelasentaistelduvinaigreversédansmesnarines,j’enavaislegoûtdanslaboucheetaufonddemagorgedéshydratée.
Maisrienn’étaitpluspuissantquelessouvenirs.Lorsdemadernièreheure, ilsétaientrevenusmehanter,etj’avaisessayédetoutesmesforcesdelesrepousser.J’observaisau-delàdelafuméeétouffante,lespaupièresdeplusenpluslourdes,lesouffledeplusenpluscourt.LavoixdeLissadanslecouloirmetétanisa soudain. L’imaginer me surprendre dans pareille situation fit s’emballer mon cœur. Bientôt,toutefois,sespass’éloignèrent.
Jefermailesyeux.Lessouvenirsdouloureuxmemartelaientencorelecrâne,commepouryforerdestrousparlesquelss’échapper.Lesimagesétaientsiclaires,sisaisissantes,sicruelles.
Etj’étaisincapabledelesempêcherdemetourmenter.Je sentais la pluiematinale et printanière surma peau, la fraîcheur de chaque goutte surmes
jouesetmesépaulesnuesdefillette.JecouraisàtraverschampsavecmonEliasdetreizeans,nonloindel’étangdeM.Parson–deuxpréadosnaïfs,jeunesetlibres,quinesesouciaientderiend’autre
que de se faire prendre et punir, ou d’être forcés d’avaler des nouilles chinoises pour le dîner. Àgrandesenjambées,nousprîmesnotreélanavantdesauterdansl’eauavecforceéclaboussures.Eliasdisparutsouslasurfaceetnageajusqu’àmoi,mesaisissantauxgenoux.Ainsiqu’ill’avaittoujoursfait,chaquefoisquenousvenionsici.Jemedébattissauvagement,tentantdemelibérer,riantsifortquedeslarmesnaquirentaucoindemesyeux.
Eliasémergeaalorsdel’étang,repoussantlatignassebrunedétrempéequiluitombaitsurlefront.—J’aimeraisqu’onresteicipourtoujours,dis-je.Ilm’éclaboussalégèrement.—Moiaussi.Maisquiditqu’onn’apasledroit?Jegloussaidansmamain.—L’école.Nosparents.Çalesdérangepeut-être.Eliass’allongeasurledos,faisantlaplanche,lesbrasétendusderrièresatête.—Tuconnaiscegarçondans laclassedeMmeRowe,BraydenHarris?commençai-je.Jecrois
qu’ilm’aimebien.Eliasseredressa,medévisageantd’unairsuspicieux.—Jedoisapprendreàembrasser,ajoutai-je.Genreunvraibaiser,aveclalangueettout.Jen’ai
pasenvied’avoirl’airbêtequandjedevrailefairepourlapremièrefois.—Tun’espasobligéed’avoiruncopain,etencoremoinsd’embrasserquiquecesoit.Je n’arrivais pas à déterminer la nature exacte de son intonation,mais elle n’était pas comme
d’habitude.—Oh,allez,tuveuxpasm’apprendre?S’ilteplaît,suppliai-je,jevaisêtretropgênée!—Non.—Pourquoipas?insistai-jeenl’éclaboussant.JesaisquetuasembrassélasœurdeMitchell.Il
m’atoutraconté.—Jel’aipasembrassée.—Ahnon?dis-je,lesyeuxplissés.Alorstun’asjamaisrouléunepelle?Jamais?—Si,répondit-ild’unairlégèrementmalassuré.Biensûrquesi.MaispasàlasœurdeMitchell.Ilfrissonnadedégoûtetconclutparunegrimace.—Alorsqui?J’essayaidecroiserlesbras,maiscelamefitvacillermaladroitementdansl’eau.—C’estpastesaffaires,répondit-ilenfronçantlenez.Tusaisqu’onn’estpascensédirequion
embrasse?Jelevailesyeuxaucieletl’arrosaiencore.—T’esnul,déclarai-je.Il sembla légèrementsonné,et leblancdesesyeuxdevintbrusquementplusvisible.Celame fit
rire,car je trouvaisdrôlequ’unevanneaussibanaleaitpu l’offenser.Maiscommej’aimaisbien lefairemarcher,j’insistai:
—T’esungrosnul,poiluetdégoûtant…Un raz-de-maréeme coupa le souffle enm’emplissant les poumons de l’eau sale de l’étang. Je
m’étouffai,crachaiettentaidechasserleliquidequimebrûlaitlesyeux,neparvenantqu’àaggraverlasituation,mesmainsétantmouillées.
—Putain,Elias!Jetedéteste!—C’estpasvrai,répliqua-t-ild’untonneutre.Jememordislalèvreinférieureetgrognai:—D’accord,peut-êtrequejenepourraijamaistedétester(jelevailesyeuxaucielpouraccentuer
moneffet),maissitum’aidespasàm’entraîneretquejemefaischarrier,jet’envoudraitoutemavie.Jefissaillirmamâchoireavecarrogance.—Tuesdésespérante,Brooke.Tuenasconscience,pasvrai?Jecomprisautondesavoixquej’allaisremportercettebataille.—Pitié?gémis-je.—D’accord, jevaisessayerde temontrer,cédaEliasenpeinantàsortircesmots.Enfin,çava
êtrebizarredet’embrassercommeça,vuquetuesmameilleureamieettout.Monvisages’illumina.—C’estpasgrave!Estime-toiheureuxquejetedemandeàtoi,etpasàMitchellouLissa!Nouséclatâmesderire.—Ouais,ceseraitvraimentdégueu,répondit-il.Eliasm’attiraalorsàlui,lesmainsposéessurmesjoueshumides.Pendantuninstant,jetendisles
lèvresetfermailesyeuxsifortquejesentismonnezserider.—Non,pascommeça,mecorrigeaElias.Détendstonvisage,etnemetspastaboucheencul-de-
poule.Je suivis ses recommandations et, quand cela lui parut naturel, il vint gentiment recouvrirmes
lèvres des siennes. Il introduisit sa langue dansma bouche, et toutmon corps semit àme picotercomme jamais auparavant. Mon ventre se transforma en une bouillie chaude et je ressentis unesensationinconnueentremesjambes.Jen’encomprenaispaslanature,maisçameplaisait,presquede lamêmemanièrequequandEliasmegrattait ledosou jouaitavecmescheveux.D’unedouceurdivine.
Ilmituntermeànotrebaiseretnousnousdévisageâmeslonguement.Puis,avantquelemalaisenes’installe,nousnousmîmesànousaspergersansrelâche.
Jehurlai àpleinspoumonsquand il nagea jusqu’àmoi etme sauta sur ledos,m’appuyantdesdeux mains sur la tête pour essayer de me couler. Je bus deux fois la tasse avant de parvenir àm’échapper.
—Pauvrecon!luicriai-je.Satignassebruneflottaitàlasurfacetandisqu’ilrepartaitverslajetée.—T’esquandmêmeunnul,EliasKline!luilançai-je.C’estpourçaquetuveuxpasavoueravoir
embrassélasœurdeMitchell!Parcequet’esnuletquetuveuxpasqueçasesache!Toujoursdosàmoi,illevalesbrasets’accrochaaurebordduponton.Puisilsehissadessuset
s’assitsurlesplanches.—Tutetrompes,Brooke!merépliqua-t-il.—Vraiment?ricanai-je.—Ouais,répondit-il.Jeneluiaijamaisroulédepelle,parcequetuétaislapremière.Je secouai la tête pour chasser ce souvenir et hurlai de toutesmes forces, tambourinant des deux
poingssurlesaccoudoirsensanglantésdufauteuil.Deslarmesmeruisselaientsurlesjoues.Je jetai un coup d’œil à la lamede rasoir restée sur la table,m’efforçant d’oublier complètement
Elias.Jefisungroseffortpourredressermatête,quisemblaitsoudainpeservingt-cinqkilos.Lapiècesemitàtournerautourdemoi.Leslongsrideauxdétachéssemêlaientàlapeinturebeige
desmurs. Les bruits de lamaison étaient désormais plus perceptibles que jamais. Le tic-tac de deuxhorlogesfaisaitlebruitdesix.LespastraînantsdeLissas’arrêtèrentdevantmachambre.Lecoucoudansl’entréeclaquasifortquejevoulusmeboucherlesoreillespourmeprotégerlestympans,maismesbrasétaienttroplourdsetmouspourquejepuisselessoulever.
Monespritsombraitdansl’obscurité.J’avaistoujourspenséquec’étaitunefaçonlentedemourir,etquelecerveaus’éteignaitpeut-êtreavantlecorps.
Maisjen’eusjamaisl’occasiondeledécouvrir.Lissaentraentrombedanslapièce,medécouvritdanslefauteuil,lespoignetscouvertsdesang,etse
mitàhurler.—Brant !Brant ! (Elle couvritmesplaiesde sespaumes.)Appelle lesurgences !Brant !Putain,
appellelesurgences!Savoix aurait dû être assourdissante, comme tous les autres sons jusqu’alors, pourtant lamort les
étouffaitcettefois,m’attirantlentementdansseslimbes.
16
ELIAS
—BROOKLYN?DIS-JEQUANDJENEPUSPLUSSUPPORTERlesilence.Je nem’attendais pas à ce qu’elle réponde, et j’étaismême prêt à la laisser seule sur la plage si
c’étaitcequ’ellevoulait,maisellemesurpritendéclarant:—Jem’ysuismalprise.Ellenequittaitpasdesyeuxl’océandevantnous.—Malprisepour…quoi?—Pourm’entaillerlesveines.Unnœudseformadansmagorge.Entendrecesmotsfranchirseslèvresmefitquelquechose,unsale
effet.Çamefitmal.Extrêmementmaldel’entendrelereconnaître,plusencorequedevoirsescicatrices.J’étaisincapabledeparler.Oudelaregarder.Ladouleuretleressentimentm’avaientenvahi.Ellereniflaetreprit:—C’estLissaquim’atrouvée.J’aitoutfaitdetravers.Lafaçond’entamerlachair.Lamaisonoùje
suispasséeàl’acte.L’heure.Je…Jeplantaimonregarddanslesien.—Pourquoituasfaitça,Brooke?Pourquoi?Dis-moilavérité.Sij’aiquoiquecesoitàvoiravec
ça,jeveuxlesavoir.Jenevoulaispaslesavoir.J’enavaisbesoin.J’avalaidouloureusementmasaliveetl’observaiencoin,lesavant-brasposéssurmesgenouxpliés.Elle refusait encore la confrontation, et, à mesure que le silence s’épaississait, je compris sans
qu’elle eût besoin de me le dire que je faisais partie de la raison. J’espérais seulement ne pas êtrel’uniquecause.
—Elias… Je t’aimenti quand je t’ai dit que j’avais peur de voir notre relation évoluer, que leschosesallaientchangeretquecelanouséloigneraitl’undel’autre.Cen’étaitqu’uneexcuse.Uneversionédulcoréedelavérité.
Jen’encroyaispasmesoreilles.Jememisinstantanémentàchercherlavéritableraisonavantqu’ellemel’avoue,maisjenetrouvaipas.
Elletempérasonsouffle.Pendantcetemps,jerestaiassis,silencieux,immobileetperplexe.—J’aiétébizarretoutemavie,déclara-t-elle.Tulesais.Mieuxquequiconque.Non,pasdutout.—Unpeufolle,avecd’innombrablessautesd’humeur.Deshautsetdesbasquimefaisaienttourner
latête.Jemesuisaccrochéeàtoidèslejourdenotrerencontre.Jenesavaispas,àl’époque,quej’avaisquelquechosequiclochait.Jen’étaisqu’unegamine.J’étaismoi-même.Jenepensaispasêtredifférentedesautres.Quipeutsedouterd’untrucpareilétantenfant?
Ellesecouahonteusementlatête,commesielleessayaitdeseconvaincredepuisdesannéesquecen’étaitpassafaute.
—Maisjemesuisaccrochéeàtoiparcequetuétaisleseulàbienvouloirtraîneravecmoi,quiétaisprêtàsedonnerdumalpourêtreavecmoi.(Sonriresoudainmepritdecourt.)TusavaisqueLissaavaitpeurdemoi?(Ellemejetaunrapidecoupd’œilavantdeseretournerversl’océan.)Jen’enavaispaslamoindre idée. Jusqu’à ceque j’aiequinze ans.Magrand-mèrem’avait offert cetteboîte àmusique encéramique,avecmonnomgravésurlecôté.Lissal’afaittomberetl’acasséejustedevantmoi.C’étaitunaccident,maisjen’oublieraijamaissonregard.Elleacruquej’allaislatabasser.(Elleritdenouveausouscape.)C’étaitdingue,biensûr,maisellem’aavouécejour-làavoirtoujourseupeurdemoi.J’aidécouvertengrandissantquelesautresfillesdel’écolemeprenaienttoutespourunebarge.
Unvoiledenostalgieassombritlégèrementsonvisage.— Personne ne voulait réellement de moi comme amie, poursuivit-elle avec détresse. Je ne l’ai
jamaissu.Personnenemel’ajamaisdit.AvantLissa.Ellepoussaunsoupir,fermabrièvementlespaupières,puisrépéta:—Personne neme l’a jamais dit,mais ilsme cassaient tous du sucre sur le dos.Lissa a fini par
l’admettre,maisc’étaitlaseulecopinequimerestait.Malheureusement,ellen’ajamaisvouluquejeluiparledemesproblèmes.Etquipourraitleluireprocher?
Jeme rapprochai d’elle, plaquantmon épaule contre la sienne.Mais je ne fis rien d’autre. Je nevoulaispasl’interrompre.J’avaisl’impressionqueceschosesqu’ellemedisait,elleauraitaimémelesconfier,lesconfieràn’importequi,bienlongtempsauparavant.
—Mamèrem’asurpriseunjour,recroquevilléesurmoi-mêmesurlesoldemachambre,lesonglesenfoncésdanslespoignets.J’avaisseizeans.Jen’essayaispasdemetuer.Jen’aimêmepasfaitcoulerdesang.Je…Ah,c’est tellementcompliquéàexpliquer. (Elle ferma lepoingdroitetserra lesdents.)J’éprouvaistellementdecolère.Lechaos.Jenetrouvepasdemeilleurtermepourledécrire.Ilfallaitquejemelibèredetoutça.J’étaissurlepointd’exploser,etilmefallaitunesoupapedesécurité.Çamedémangeaitdel’intérieur.Ilfallaitqueçasorte.Jenesaispascommentl’expliquer.
Elle me jeta un nouveau coup d’œil. Je restais silencieux, tandis qu’elle passait d’un souvenir àl’autre.
—Touteslesfoisoùmamèrem’emmenaitàlagym…Elias,jen’aijamaissuiviuncoursdegymdemavie.J’allaisvoirunpsy.Unputaindepsy.Ellenevoulaitpasqueçasesache.Etmoinonplus.
Brooke finit par se tourner vers moi, m’accordant toute son attention. Ses prunelles brillaient desincérité.
—Tu es la seule personne aumonde qui ait vraiment sum’accepter telle que je suis,même si tuignoraisquequelquechoseclochaitchezmoi.Laseuleànepasm’avoirtournéledosnicritiquéepar-derrière. Même mes parents… Elias, ils m’aimaient, j’en suis sûre, mais je les épuisais. Ils n’enpouvaientplus.Jen’arrêtaispasdem’attirerdesennuis.Defairelemur.Demefairearrêterparlesflics.Jusqu’àmonséjourenmaisondecorrection.Ilsnevoulaientplusavoiràs’occuperdemoi.
Ellesedétournapourdissimulerlalarmequiéchappaàsoncontrôle.Jetendislamainpourl’essuyerdupouce.
—Dis-moi,l’encourageai-je.Dis-moitout.Jemedoutais,engrandissantavecelle,qu’ellepassaitleplusclairdesontempsavecmoicarelle
avaitdesproblèmesàlamaison.Jem’enétaisrenducompteàlamanièredontsesparentslaregardaient,
dontsonpèrepréféraitsasœuretnecessaitdeladévaloriser,maisjusqu’àcejour-làjen’avaisjamaissupourquoi.J’ignorais,commel’avaitsoulignéBrooke,quequelquechoseclochaitchezelle,quesavietoutentièreavaitétéuncombatincessant.
Ellerepritcontenance,réprimantunenouvellecrisedelarmes.—Un jour, j’ai entendumonpèredire àmamèrequ’il n’enavaitplus rienà faire, que jen’étais
qu’unesalegossepourriegâtéequidétestaitl’autorité,etquejeméritaistoutcequipouvaitm’arriver.Ilsm’ontlaisséetomber.Monpèreetmamèreontsimplementbaissélesbras.Ilssefoutaientdesavoiroùj’allais ou ce que je faisais. Ça n’a rien arrangé, bien au contraire. Mes sautes d’humeur se sontaggravées.Jesuispasséede l’adolescente insupportableà l’adolescenteextrêmementmalade.Certainsjours, j’étais la plus heureuse surTerre ; d’autres fois, je refusais de sortir du lit. Je voulais y resterallongéepourtoujours.Jecontemplaisalorsleplafondenespérantquelemondes’écrouleautourdemoi.
Ellecaptamonregard.—Tuenétaisunpeulacause,Elias,finit-ellepardéclarer,enréponseàmaquestionrelativeàsa
tentativedesuicide.(Laboulequim’étranglaitgrossitencore.)Lissa,quipensaitsansdoutesecomporterenamie,m’aconvaincued’allervoirunautrepsyquandj’aiemménagéavecelleenCarolineduSud.Jepensais qu’elle voulait vraiment s’impliquer dans mes problèmes et m’aider à m’en sortir. Personned’autre ne s’était jamais réellement donné cette peine auparavant. Bien sûr, mes parents m’avaientenvoyéeenvoirun,maisj’avaistoujourseulesentimentqu’ilslefaisaientpluspoureuxquepourmoi.Ouparcequec’étaitleurdevoir.Etdonc,quandLissam’apriseentrequatre-z-yeuxcejour-là–ellem’amêmeprislesmains,Elias;elleafaittoutcequ’ilfallait–,jemesuisdit:«Waouh,elletientvraimentàmoietveutm’aider.»Et,pourluimontrercombienj’appréciaissongeste,j’aiacceptéd’yaller.
Brookes’interrompitetseperditdenouveaudanslacontemplationdel’océan.Leventluiébouriffaitlégèrementlescheveux,plaquantdefinesmèchescontreseslèvres.Jem’installaienfaced’ellepourlesécarteretlesglisserderrièresonoreille.Mais,mêmequandjefusdevantelle,ellenecessad’observerlamer.Sonesprit senoyaitencoredans ses souvenirs lesplus sombres. J’attendispatiemmentqu’ellereprenne,conscientqu’elleavaitbesoindecesinstantsderéflexion.
—Jen’aijamaisvouluprendredemédocs.J’avaispeurquecelanerendelachoseréelle,quecelameconvainquequej’étaisfolle.Queceladonneraisonàmesparents.Etdonc,jen’enprenaispas.Quandj’avaisseizeans,jefaisaisseulementsemblantdesuivrel’ordonnance.Mais,enCarolineduSud,j’étaistellementheureusequeLissaessaiedem’aiderquejesuivaisàlalettrelaprescriptiondesontoubib.
Ellemarquaunepauseavantdeconclure:—C’étaitlapiredeserreurs.—Pourquoi?—Parcequec’estçaquim’avraimentdonnéenviedemourir.Surpris,jelacontemplailonguement,commesitouteslesréponsesàmesquestionsétaientimprimées
sursonvisage.—Cepsyétaitunvraicharlatan,m’expliqua-t-elle.Forcément.AprèsqueLissam’aretrouvéesurce
fauteuildansunemaredesang,jemesuisréveilléeàl’hôpital,sousl’œilréprobateurdemesparentsetdedeuxfemmesmuniesdeboîtesdemédicaments.Ilsm’ontinternée.Mesparentsm’ontconfiéeauxbonssoinsdel’État,etilssontrepartisenGéorgie.Lissan’estvenuemerendrevisitequ’uneseulefois.C’estlàquej’aicomprisqu’elleétaitcommeeux.Elletenaitàmoi,maisellen’enpouvaitplusetpréféraitmeconfieràquelqu’und’autre.
Jeposailesmainssursesgenoux.—Jesuisrestéesouslatutelledel’Étatpendantdeuxsemainesavantqu’ilsmelibèrent.Avantqu’ils
estiment que je ne représentais plus undanger pourmoi-même. J’avais réussi à les convaincre que je
n’avaisjamaisessayédemesuicider,nimêmesérieusementenvisagédelefaire,avantdecommenceràprendre ces pilules. Et c’était la vérité. Enfin bon, bien sûr que j’avais eu des pensées suicidaires.Souvent,même, jenevaispas lenier.Mais jen’avais jamaisfaitde tentativeavantça.Ces imbécilesm’ontprescritautrechose,m’onttapésurlesdoigtsetm’ontdit:«Nousespéronsnejamaisvousrevoirici,mademoiselleBates. » (Elle imita lemédecin en adoptant une voixmasculine.) Et puis ilsm’ontlaisséepartir.AprèstroismoisdecolocationavecLissa–quim’évitaitalorsautantquepossible–,j’enaieumarred’elleetdelaCarolineduSud.(Quandellemeregardadenouveau,unfrissonbrûlantmedévalal’échine.)J’enaieuassezdemecacherdelaseulepersonneaumondequim’aimaitréellement.Etdoncjesuisrentréetetrouver.
Jelaconsidéraifixement.Lesvaguescontinuaientdevenir lécher la côte.Leséclatsdevoixet lamusiquenousparvenaient
encorerégulièrementdepuislamaisondeplage,bienquedistantsetpasdutoutgênants.Labriselégèresoufflaitpaisiblemententrenous,commesielleavaitdécidédesonpropregrédenouslaisserunpeudetempssansnousinterrompre.Brookeétaitassiseentailleur,lesmainsposéesdanssongiron.Deslarmespendaientencoreàsescils,maisellenepouvaitpluspleurer.Jesentaisbienqu’elleavaitenviedemeregarderdanslesyeux,maisque,maintenantqu’ellem’avaitracontétoutça,elleavaittrophontepourlefaire.
Jeluiprislesmainsetlesretournai,poignetsversleciel.Elleselaissafaireenmedévisageantaveccuriosité.Jefiscourirlepouceetl’indexentresesbraceletsjusqu’àtrouversescicatrices,quejemassaidoucement.Puisjeportaisonpoignetgaucheàmeslèvreset l’embrassai.Jefisdemêmeavecl’autre,puisreposaisesdeuxmainssansleslâcher.
—Avant que je te dise ce que j’ai à te dire, commençai-je, tu doism’expliquer en quoi je suisresponsable.
Une lueur d’incompréhension illumina son regard. Elle secoua la tête en fronçant les sourcils,creusantsonfrontdeminusculessillons.
—Non,Elias.Tun’esenrienresponsable.Jerestaimuet.Jen’avaispasenviedeparler.Seulementd’écouter.—DeuxjoursavantmaTS,reprit-elled’unevoixdistante,j’airepenséàmadernièreconversation
téléphoniqueavecMitchell.Ilm’avaitditquetuétaisamoureuxd’Aline,etj’étaissûredet’avoirperdupourdebon.Tuétaistoutcequ’ilmerestait.Lesimplefaitdetesavoirabsentdemaviepourtoujoursaaggravémonétat.Toutaempiré.Jenepensaisqu’àtoienm’entaillant lesveines.Jerepensaisànotrepremièrerencontre.Ànotrepremierbaiser.Àtoutesnospremièresfois.Oui,c’étaitàcausedetoi,maisçan’étaitpastafaute.
—Nilatienne,intervins-je.Tulesais,pasvrai?Jeserraisesmainsplusfermement.Elleacquiesça.—Jelesais.Ellesemblaitvouloirajouterquelquechose,maisplongeaplutôtlesyeuxsursesgenoux.—Jesuisvraimentfurieux,luidis-je.Elleredressalatêteavantmêmequejen’aiepualleraufonddemapensée.Jeluitordislesmains.—Pourquoinem’enas-tujamaisparlé?Tul’asditàLissa.Tut’esconfiéeàelle.Tuviensdeme
direquej’étaislaseulepersonnequit’aimaitassezpourcomprendre,quej’étaistoutpourtoi.Je la vis se ratatiner sous mes yeux. J’avais délibérément employé ce ton furieux et plein de
reproches.C’étaitainsiqueleschosesdevaientêtredites,ainsiqu’elledevaitlescomprendre.—Etpourtant,c’estàmoiquetun’asriendit,àmoiquetunet’espasconfiée,versmoiquetunet’es
pastournée.Leslarmesmemontèrentauxyeux.Jedusprendreunelongueinspirationpourlescontenir.—Tu savais que je t’aimais plus que n’importe qui d’autre, et pourtant tu nem’as pas fait assez
confiancepourmelaisserêtrelàpourtoi.Jel’avaisblessée.Profondément.Salèvreinférieuresemitàtressauter,sesmainsàtremblerentre
lesmiennes. Je refusai pourtant de la lâcher. Elle allait devoir affronter cette vérité, quitte à ne plusjamaismeparlerensuite.
—Pourquoin’es-tupasvenuemevoir?Pourquoimerepousserconstamment?—Jet’aidéjàditpourquoi!gronda-t-elle.Jegardaimoncalme.—Non,pasdutout.Tum’asavouéquetunem’avaisserviquedesmensonges,uneversionédulcorée
delavérité.—Oui!C’étaitédulcoré!C’était…ça.Ellerefermabrusquementlabouche.Puis,aprèsquelquessecondes,ellepoussaunsoupiretprécisa:—J’avaiseffectivementpeur.Peurdetefairefuircommej’avaisfaitfuirtouslesautres.Surtoutsitu
connaissaislavérité.Tumeregardaiscommesij’étaisbelle.Parfaite.Etc’estcequejevoulaisêtreàtesyeux.Jenevoulaispasbriserl’imagequetutefaisaisdemoientedisantlavérité.J’étaistropgênée,j’avaishonte.
—Dequoi?demandai-je,incrédule.Sonregardsefitfuyant.Jeluitiraisurlesmainspourlaforceràsereconcentrersurmoi.—Jeteconnaisdepuisdix-septans,Brooke.Dix-septans.J’aimetoutentoi.Tesgrossièretés, ton
cul, toncôtéeffronté.Ton intrépidité.Teshauts, tesbas,quelsqu’ils soient. Jen’ai toujoursvuen toiqu’une fille pleine de vie et à la forte personnalité. Bien sûr, je ne savais jamais trop sur quel pieddanser,maisçameplaisaitégalement.Tum’asforcéàresteralerte.Tureprésentaisundéfipermanent.Tunecomprendsdoncpas?Si jemesuisdonnédumalpourêtreavec toi,c’est justementpour ta façond’être.Etsijerisquaisvraimentdeprendrepeuroudemefaireunemauvaiseopiniondetoi,tupensessincèrementquej’auraisfaitdetoilecentredemonuniverspendantdix-septans?
J’aperçuslesouriretimidequ’elledissimulaitdanssesprunelles.Jeluilâchailesmainsetmelevai.—Ondéballetout.Toutdesuite.Plusdesecretsnidemensongesentrenous.Jememisàfairelescentpas,puismeretournaietluilançai:—Quandonavaitquinzeansetqu’onadormichezLissapoursonanniversaire, je t’ai touché les
seinspendanttonsommeil.Elleenrestamuettedestupeur.Jesouriaisjusqu’auxoreilles.—Pervers!finit-ellepars’exclamer.—Ouais, c’est vrai. J’étais un sacréobsédé.D’ailleurs, je le suis encore.Et je le serai toujours.
Maisoui,jet’aitripotéesanstapermissionetsansquetulesaches.Etjeneleregrettepas.Ellesecoualatête.Plusjeparlais,plusellesouriait.Jemepinçailementonpourréfléchir,puisjepointaiundoigtversleciel.—OK, tu veux un autre exemple ? (Je tapai dansmesmains.)Dernière année de lycée. Tu étais
censéealleraubalavecl’autreandouille–comments’appelait-il,déjà?Bref,ilt’aappeléepourannulercarjel’aimenacé.
—Quoi?Jehochaidenouveaulatête.—Ehouais.Jesavaisquec’étaituncrétinfini.Lesimplefaitdel’imaginertedéshabillermerendait
dingue.J’aiessayédetedissuaderdesortiraveclui,maisturefusaisdelaissertomber.EtdoncMitchellasurveillélaportedestoilettespendantquejemeglissaisaprèsluiunefoisqu’ilétaitallépisser.Jeluiaiditques’ilcontinuaitàtefréquenter,jeletuerais.
—Jen’arrivepasàycroire,répondit-ellesansplussouriredutout.—Etpourtant, c’est arrivé.Et si c’était à refaire, je recommenceraispareil.Est-ceque tuvasme
quitterpourautant?Est-cequeçavatefairefuir?Jesavaisquenon.J’essayaisjustedeluifairecomprendrequelquechose.Ellesecouaencorelatête.—Tuveuxsavoiruntrucpire?Àcetinstant,j’avaismêmepeurdecontinuer.Maisc’étaitlemomentdevérité.Sijevoulaisqu’elle
comprenne,jedevaisluirévélerunefacettedemoi-mêmequineluiplairaitpas.Jeluisaisislesmainspourlaremettredebout.
—J’aiprisdelacoke,l’annéeaprèstondépart.Etàdeuxreprises,commejen’entrouvaispas–jedevenaisviteaccro–,j’aifuméducrack.Dansunecanettedesoda.Voilàdansquelétatçam’amis.
Elleavaitl’aird’avoirétégifléeauvisage.J’écartailepouceetl’indexd’unpetitcentimètreetrepris:—Jesuispasséàçad’êtrecomplètementdépendant.Àçad’avoiràmeshootervingt-quatreheures
survingt-quatre,septjourssursept,àdormirdansdespoubelles,àtaillerdespipespourmepayermesdoses.Jecroisquec’estpourçaquej’avaistantenvied’aiderMitchellaveclaméth.J’aivulemalqueçaluifaisait.Çaafaillimefairelamêmechose.
Brookelaissaéchapperunsoupirinterminableetenfouitsesdeuxpiedsdanslesable.Puiselleredressalatêtepourmeregarderdroitdanslesyeux.—C’estvrai?—Quoidonc?—Touscestrucspourtepayertacame?Jesecouailatête.—Non.Enréalité,j’aidécrochéassezvite,lejouroùjesuisalléchezundealeravecuntype–jene
connaismêmepassonnom–etqu’onm’aproposéunelignedecoke.Delamerdedepremière.L’autregars,celuiquivendaitlacame,étaitprêtàmesucer.Ilvoulaitm’offriruneligne,ettoutcequej’avaisàfaire en échange était de sortirma bite. J’ai failli accepter. Jeme suis dit : « Tant que ce n’est pasl’inverse.»Maisalors,letypeaveclequelj’étaisvenus’estinterposéetaproposédeprendremaplacesijerefusais.Etmoinsdedeuxminutesplustard,jevoyaiscedealersucerlemecquim’avaitservidechauffeur.Jemesuisalorsrenducomptequej’auraispumetrouveràsaplace,etmefaireviolerpourunedose.
Jereprismonsouffleetpoursuivis,d’unevoixradoucie:—Etalors,j’aipenséàtoi.Brookemesaisitlesmains,unmélangedecompassion,decompréhensionetd’horreursurlevisage.—J’aipenséàtoietàquandonétaitgaminsetqu’onallaitnagerdanscetétang.Lesimplefaitde
revoirtafrimoussetournéeversmoim’aconvaincudelaissertombercettemerde.Peum’importaitquetusoisfiancée,dis-jeenlapointantdudoigt…Çam’arendufurieux.J’estimaisqueçaauraitdûêtremoi.Bref,peum’importaitquetusoisamoureuseouquejet’aieperduepourtoujours,jevoulaisdevenirunemeilleurepersonneparcequejesavaisquetudétesteraismevoirdanscettesituation.Depuis,jen’aiplusretouché à la coke ni au crack, et ça n’arrivera plus jamais. Plus question que je me tue avec cessaloperies.Mêmefumerdelabeuhestdevenuunloisirtrèsoccasionnel.
Sansluilaisserletempsderépondre,jem’empressaid’ajouter:
—Est-ce que tum’aurais quitté si j’avais dit oui ? Si j’avais avoué avoir accepté un truc aussidégueulasse?
Cettefois,mêmesimoncœurmeditquenon,ellenel’auraitpasfait,j’avaissihontequejeredoutaislecontraire.Cefutalorsquejepigeaivraimentcequ’elleavaitvécuavecmoitoutescesannées.Jenecautionnaispassamanièredegérerleschoses,mais,aumoins,jepouvaislacomprendre.
—Non,répondit-elledoucement.Tunepourraisriendireoufairequimepousseraitàtequitter.Etmêmesinousavionstouslesdeuxaffirméàplusieursreprisesunechoseidentiqueaucoursdes
quinzejoursécoulés,celanousparaissaitchaquefoisplusréeletsincère.Ellem’embrassasurleslèvres.—Àmontour,dit-elle.Honnêtement,jenem’yattendaispas.Certes,jeluiavaisditquejetenaisàcequ’ondéballetout,et
toutdesuite.Mais,quelquepart, jesupposaisqu’ellenetaisaitpasd’autresecret.Putain,ceuxqu’ellem’avaitcachésétaientdéjàsuffisammentgraves.Quoid’autreaurait-ellepuvouloirmedissimuler?
17
BROOKE
JE LAISSAI RETOMBERMES MAINS LE LONG DE MON corps. Je reculai d’un pas, j’avalaima salive etannonçai:
—J’aimelesexe.J’adoreça.Ilarquaunsourcil.—Etenquoiest-ceunproblème?Jefailliséclaterderire,carjetrouvaisbizarrepourunefilled’avoueràsonmecqu’elleadoraitfaire
l’amour,etj’estimaisquecelaauraitdûlesurprendre.Jecontinstoutefoismonhilarité,carleresteétaitencoreplusdifficileàadmettre.
—Ehbien,dis-je,c’enestunparceque…parcequej’aiconnuuncertainnombredegarçons.Çavaledégoûteretilvameplanterlà,j’ensuissûre…—Etmoidefilles,répondit-ild’untondétaché.Tut’esprotégée?Saréponsemestupéfia.Passonpropreaveu,maissonabsencederéactionaumien.—Ouais,dis-je.Enfin,saufuneoudeuxfois.Danslefeudel’action,sansdoute.Jesaisquec’est
débile,mais,aprèscettesecondefois,j’aiététrèsvigilante.Etjen’airien.Ilsontprofitédemonséjouràl’hôpitalpourmefairefairedesexamens.
Ilsemblapensifuninstant,puishochalatête.—Ehbien,moiaussi,affirma-t-ildumêmeairneutre.Peum’importaitquelavériténesemblepasl’incommoder.Celam’inquiétaittoujours,etj’éprouvais
lebesoindemejustifier.Justeaucasoù.—Audébut,jecherchaisjusteàcomblerunvide.Jecroisquej’étaisenmanqued’affection.Etpuis
ças’esttransforméenautrechose.Jemefrictionnailevisagepuisremontailesmainssurlesommetdemoncrâneetsoupirai.—Qu’est-cequinevapas?demanda-t-il.Jedéglutisetl’observaiavecnervosité.—J’aifaitunplanàtroisavecunmecetsacopine.Etçam’aplu.Je détournai le regard. J’avais tellement honte. Jeme sentais comme la pire des salopes. Je ne le
méritaispas.—Jecroisquec’estçaquim’achangée.Jesuisdésolée,Elias.Sincèrement.—Pourquoi?(Commeprécédemment, iln’yavaitpas lamoindre tracededégoûtoudedéception
dans savoix.)Brooke,moi aussi j’ai fait unplan à trois avecMitchell et Jana.Et cen’était pasmon
premier.—Jesais,répondis-je.Janam’enaparlé,cesoir-là,surlacorniche.Jerepensaiàellel’espaced’uninstant.Jerevissesyeuxmortsregarderfixementlecielnocturne.Le
sangsurlerocher.Jechassaiceshorriblessouvenirs.—Alorsquelestleproblème?—Çanetegênepasquetacopineaitcouchéavectantdegarçons,ouqu’elleaitfaittantdechoses
perverses?Ilsecoualatêteetmedévisageacommeilauraitcontempléuneimbécile.—Enquoiserait-cenormalquejel’aiefaitetpastoi?Et,sansmelaisserletempsderépondre,ilajouta:—Machérie,onn’estplusdanslesannées1950.Tuasautantledroitquemoidecoucheràdroiteà
gauche.Tun’astrompépersonnenibaisélemarid’uneautre.Ilplissalesyeuxetdemanda:—Si?—Non.—Alors tu n’as pas à avoir honte. Surtout pas avecmoi. Tant que ton amour pour le sexe ne te
précipitepasdanslelitd’unautremaintenantquenoussommesensemble,çaneposepasdeproblème.Jenesuispasunconnardfini.Jenevaispastebalancertonpasséauvisageàlamoindreoccasion.
J’auraisdûmedouterdepuisledébutqu’Eliasnemejugeraitpaslà-dessus.Nisurmonpassésexuel,nisurautrechose,d’ailleurs.Jeregrettaisd’autantpluslesdix-septannéesgâchéesànepasm’enêtrerenducompteplustôt.
Ilmerepritlesmainsetglissadenouveausespoucessousmesbraceletspourtrouvermescicatrices.—Jet’aime,Brooke,déclara-t-il.Puis,changeantdeton,ilajouta:—Maistudoismepromettreunechose:promets-moiquetunereferasplusjamaisça.Celamefout
une trouillebleueneserait-cequed’imaginer (ilm’appuyasur lespoignetspouraccentuercederniermot)tonsuicide.Tunepeuxpasmelaisserseuldanscemonde.Tucomprends?Regarde-moidanslesyeuxetdis-moiquetunereferasplusjamaisunechosepareille.
—Jetelejure,répondis-je.Commejetel’aidit,jel’aifaitàcausedesmédicaments.—Mais tu l’as fait, souligna-t-il. Et tu y pensais depuis longtemps. Tu as reconnu avoir eu des
penséessuicidairesavantça,Brooke.Çaveutdirequetul’avaisdéjàentête.Etçameterrifie.Lesimplefaitdesavoirqueçapeutencoretrotterlà…
—Çan’arriveraplus, luiassurai-jed’unevoixferme.J’aidépassécestade.Jesuisplusfortequejamais,àprésent.
Ilyréfléchitlonguement.J’espéraisqu’ilmecroirait.Il se pencha alors pourm’embrasser, longuement et tendrement.La sensationde ses lèvres sur les
miennes et l’émotion transmise par ce baiser me firent fondre. Mes jambes se dérobèrent, et je duscroiser lesmainsderrière sanuquepournepas tomber. Ilme soulevade terre,me soutenant sous lesfesses.
—Elias,dis-jecontreseslèvresquandilcessadem’embrasser.—Ouais?—Tudisaisqueçaauraitdûêtretoi.Ilreculalégèrementlatêtepourmieuxmevoir.—Hein?
Jeluiembrassaileboutdunez.—Toutàl’heure,c’estcequetuasditausujetdemonex.Tum’asditquetuavaisétéfurieuxdeme
savoirfiancée,etqueçaauraitdûêtretoi.Sesyeuxsourirent,etseslèvressuivirentbientôt.—J’aiditça,oui.—Etsionlefaisait?suggérai-jeenrougissant.Tusais…sionsefiançait?Sonsourires’élargit.—Est-cequetumedemandesenmariage?Jem’empourprai,ayantsoudainaussichaudqu’enpleinsoleilestivalenGéorgie.Jemetortillaipour
melibérerdesesbrasetreposailespiedsausol.—Je…Jenesaispas…Ondiraitqueoui,admis-jetimidement.—Pourquoipas? répondit-il.Auboutdedix-septans, jecroisqu’onpeutdirequ’onestde toute
façoncoincésl’unavecl’autre.Alors,allons-y.Onn’arrêtepasdefairedestrucsdingues,cesdernierstemps.Autantenajouterunàlaliste.
Jerestaideboutdevantlui,àcillerrapidement,leslèvresentrouvertes.Jefisalorslamoue,croisailesbrasetdressaiunehanche.
—Putain,c’estlademandeenmariagelaplusromantiquequej’aiejamaisentendue,ricanai-jed’untonlourddesarcasme.
Ilsefenditd’ungrandsourire,dévoilantsadentureblancheparfaite.—N’est-cepas?plaisanta-t-il.Jelerepoussaidesdeuxmains,lefaisanttombersurlesable.Ilmeregardaparendessousetéclata
derire.Jetournailestalons,feignantlacolère,maisilsavaitquecen’étaitqu’unjeu.—Putain,chérie,tuvasoù?!Ilnepouvaitpass’arrêterderire.Jedressaimonmajeurhautdanslecieletcontinuaidemarcher.J’entendaisseséclatsderirederrière
moi alorsmême que le volume sonore de lamusique croissait àmesure que jeme rapprochais de lamaison.
—Jevaismebourrerlagueuleetmeplanteraumilieudusalonpourannonceràtoutlemondequetuasunebitedecinqcentimètres!Ensuiteje…
Ilm’attrapapar-derrièreetmecouchaàlalisièreentrelesableetl’herbe.—Mabitenefaitpascinqcentimètres,s’offusqua-t-ilens’installantsurmoi.Non,sansaucundoute…Jeluidécochaiunsourireentendu.Ilmeplaqualesmainsau-dessusdelatête.Lapelousenaissantemepiquaitl’arrièredesbras.Ilse
penchaalorspourm’embrasser.Quandilserecula,ilscrutamonvisage.—Veux-tunousépouser,moietmabitedecinqcentimètres?Jesouris.Cen’étaitpastrèsromantique,mais,pouruneraisonquim’échappait,celasonnaitjuste.—Biensûr,pourquoipas?répliquai-je.Ilmevolaunautrebaiseretnousrestâmesainsi,luiassissurmoi,jusqu’àcequeGraceviennenous
interrompre–cequin’était sansdoutepasplusmal,carnousétionsbienpartispournousenvoyerenl’airenpublic.
—Putaindemerde,ilfautquevousveniezvoirça!s’exclama-t-elleenfaisantdegrandssignes,unlargesourireauxlèvres.
Nouslasuivîmesàl’intérieur.Lafoules’étaitrassembléeencercleàl’intérieurdusalon.Eliasme
tenaitparlesdoigts.Jeluiemboîtailepas,etnousnousapprochâmesaupremierrangpourvoirTateetCalebéchangerdescoups.
J’entendisuncraquementquandlepoingdupremiers’écrasasurlafiguredusecond.Calebchancelacontrel’undesconvives,maisretournaaussitôtsebattreetbalançaunedroite.Tatel’esquiva,fitletourdesonfrère,l’étreignitàlatailleentresesbraspuissantsetserrasifortquejecrusqu’ilallaitluifaireexploseruneveine.
CalebparvintnéanmoinsàattraperlatêtedeTatepar-dessuslasienne,luifaisantlâcherprise.Ilfitalorsvolte-faceetsaisitTateparlecou,leforçantàsepencherenavant.Ilremontaviolemmentlegenou,et je perçus un nouveau craquement qui me retourna l’estomac. Je glapis. La musique et lesencouragementsétaientforts,maismanifestementpasassezpourcouvrirlebruitdesosquisecassent.
Eliasmefitreculerquandlesdeuxcombattantsserapprochèrent.Ilssetournaientautour,lespoingslelongducorps,campéssurleursappuis,guettantchacunlamoindreouverture.Jeneleremarquaiquelorsquejeparvinsàarrachermonregarddelascène,maislacopinedeTate,Jen,étaitdeboutjusteàcôtédemoi.Jeluiadressaiunregardinterrogateur.
—Ilsfontçatoutletemps!m’expliqua-t-elleassezfortpourcouvrirlebruit.Puiselleencourageasonpoulain:—Allez,bébé!Éclate-le!J’étaisperdue.MaisjecroisquelespectacleplaisaitàElias.Jem’attendaispresqueàlevoirsortir
uneliassedebilletspourprendrelesparis.Tatedécochaundirectdudroit,puisdugauche,etfinitparuncrochetaufoie.Calebsepliaendeux,
etsonfrèrel’achevad’unuppercutàlamâchoire.Calebtombasurlesfessesetsecoualatêtepourrecouvrersesesprits,maisilétaitévidentqu’ilavait
perdu.Tate leva les bras en l’air comme s’il se trouvait sur un ring, et toute la pièce explosa en
acclamations. Jenalla l’embrasser.Leviolapresquesurplace.Cesdeux-là semblaientn’avoiraucunelimite.
PuisTatesepenchapourtendrelamainàCalebetl’aideràserelever.Ilstombèrentdanslesbrasl’undel’autreetéchangèrentquelquesplaisanteries,puistoutfutterminé.Lafêterepritsoncours.Calebnousdépassa sansun regard et glissa ses bras sous ceuxdeGrace et Johanna. Ils disparurent dans lacuisine.TateetJens’approchèrentdenous.
JedévisageaiTatecommes’ilétaitdément.—Eh,c’estCalebquiaeul’idée,sedéfendit-il.—Ilestbourré?demandai-je.Tateéclataderire.—Sansdoute.Maisill’auraitfaitenétantsobre.Iltapotadansledosd’EliaspendantqueJenluidonnaitlabouteillequ’elletenaitpourlui.—Prochaineétape:unendroitsecretsurlaplage,nousannonça-t-ilàtousdeux.(Ilbutunegorgéeet
fitlagrimace,commesilabièreétaitaigre.)Onpartdemainmatin.Onvasansdouteyresterquelquesjours.Çavousdittoujours?
Eliasetmoiéchangeâmesunregard.—Carrément,répondis-je.—Moiaussi,renchéritElias.Tateeutunlargeàsourireetnousdésignadelamainquitenaitlabouteille.—Ilvaquandmêmefalloirquevousmeracontiezcequevousmecachez,unjouroul’autre.Sonsourires’élargit.
Jeme tournai vers Jen, qui souriait également. Était-elle au courant d’une chose que j’ignorais ?Petitecrisedeparano.Jefustoutefoissoulagéedel’entendreexpliquer:
—Ouais,sérieux.TateetCalebontunpariencours.Encorequelquesjours,et ilsvontessayerdevoustirerlesversdunezpartouslesmoyens.
EllesehissasurlapointedespiedspourplanterunbaisersurleborddelabouchedeTate.—Unpari?m’étonnai-je.Tateéclataderire.CefuttoutefoisJenquidéveloppa.Elledésignasoncopain,puisdit:—Ouais.Luiilpensequevousavezbraquéunebanque,untrucdanslegenre.AlorsqueCalebcroit
quevousavezbutéquelqu’un.Jemesurprisàhoqueter,etpriaipourquepersonnenem’aitentendue.Eliasmesaisitlamain.Ilfit
minedeprendre lachoseà la rigolade,dedétourner leurattentiondemonairdebicheprisedans lespharesd’unevoiture.Ilritdeboncœuretsecoualatêted’unairincrédulepourfairebonnefigure.
Tateluitapadenouveaudansledos.PuisJenetluiallèrentsemêleràlafoule,nouslaissantseulstouslesdeux.
Avantd’allerdormir,etavecl’autorisationdeJen,Eliasetmoiprofitâmesdelabaignoiredel’étagepourprendreun longbainchaud.Lamusique s’était éteinteunebonneheureplus tôt, et tout lemondeavaittrouvéuncoinoùs’écroulerouétaitparti.Lemurmurecontinudel’airconditionnénousparvenaitdepuislerez-de-chaussée,tandisquenousbarbotionstousdeuxendominantlaplage.J’avaisledosetlatêteappuyéscontresontorse.L’undesesbraspendaithorsdelabaignoiresurpattesenferforgé.Eliasavait régléauplusbas les lumièresde lapièce,desortequenousnous retrouvionsnimbésd’unéclatcuivréquisereflétaitsurlemarbreblancprèsdulonglavabo.Lalunejetaitsurnoussesrayonsbleu-grisparlafenêtre.
Eliascontinuaàmemasser lecrâneduboutdesdoigts,bienaprèsavoirrincé leshampooingdansmescheveux.Jefaillism’endormirdanscetteposition,bercéeparsescaresses,mais,quandjefermailesyeux,jevisceuxdeJanabraquéssurmoi.
—Elias,dis-jed’unevoixbasseetdistanteenmetournantversl’extérieur.Mêmes’ilnem’arriverien,mêmesijem’entireavecunesimpletapesurlesdoigts,jenecroispasquejepourraiunjourmepardonnerpourcequiluiestarrivé.
De l’eau dégoulina de son bras quand il cherchamamain sous l’eau pour la remonter contremapoitrine.Ilposasajouecontrelamienne,desortequejesentislachaleurdesarespirationsurmapeau.
—Jesais,chérie,répondit-ild’untoncalme.Jenepeuxpastediredenepastelaisserabattre,nit’intimerdenepastesentircoupableparcequec’étaitunaccident,mêmesic’estcequejeressens.Mais,quoiqu’ilarrive,jeserailàpourtoi.Toujours.
—Jesais…Ilfitcourirsondoigtsurmonavant-bras,remontajusqu’àmonépaulepuisàmaclavicule.Jefermai
lespaupièresetlaissailefrissonmedévalerl’échine.—Jepeuxteposerunequestion?—Tusaisbienqueoui.Jelevailamainpourluicaresserlevisage,parcourantduboutdesdoigtslacourbebiendessinéede
sa mâchoire, sa barbe de plusieurs jours m’irritant légèrement la peau. Je gardai les yeux rivés surl’océan,meremémorantlasoiréesurlacorniche,avantlamortdeJana.
—Sielleétaitenceintedetoi,qu’est-cequetuauraisfait?Jesentissapoitrinesegonfleretseviderplusieursfoisdansmondos.—Ehbien,j’auraisétéprésentpourl’enfant,affirma-t-il.Jel’auraisaidéeàl’élever,maistuaurais
quandmêmeétédansmavie.Avecmoi.Commeaujourd’hui.
Ilentrelaçasesdoigtsauxmiens.Jenerépondisrien.Ilsavaitquec’étaitcequej’avaisbesoind’entendre.J’inspirailentement,etlevisagedeJanafinitpardisparaîtredemonesprit.Jenedistinguaisplusque
cequisetrouvaitréellementdevantmoi:uncielnoirjalonnédecentainesdeminusculespointsblancs,etlecroissantdelunedécroissanteflottantloinau-dessusdel’horizon.Mêmesij’adorais,entoutesaisoneten toutes circonstances, contempler le firmament, il n’était jamais réellement tel que je le percevaisdepuischeznous,au-dessusduchampdeM.Parson.
—Si tu pouvais remonter le temps autant que tu voulais et rester à cette époque, est-ce que tu leferais?luidemandai-je.
—Ehbien,jenesaispas,répondit-ilàcontrecœur,commes’ilavaitbesoind’yréfléchirdavantage.Enfin,sijepouvaisrevenirenarrièreetchangerquelquechosedansmavie,jeleferaissansdoute.Pourcequiestd’yrester,enrevanche,jen’ensuispascertain.
—Qu’est-cequetuchangerais?—Lasoiréesurlacorniche,évidemment,répondit-ilenmeposantlamainsurleventre.—Maissitudevaischoisirunmomentdetaviedanslequelretournervivrepourl’éternité,lequeltu
prendrais?Ilrestaunlongmomentsilencieux,puisdéclara:—Jechoisiraisnotreenfance.Dujourdenotrepremièrerencontrejusqu’à…—…jusqu’àcequenousperdionsnotreinnocence?complétai-je.Jesentissonmentonsesoulevercontremajouetandisqu’ilhochaitlatête.—Ouais,répondit-il.Jechoisiraisnotreenfance.—Moiaussi,affirmai-je.—Mais je suis heureux d’être avec toi aujourd’hui, précisa-t-il. En dépit des circonstances, si je
devais choisir entre notre enfance et notre vie d’adultes en couple, je crois que j’opterais pour notreexistenceactuelle.
Jeravalailaboulequis’étaitforméedansmagorge,sortissamaindel’eauetportaiàmeslèvressesphalangesmouillées.
—Ettoi,qu’est-cequetuchoisirais?J’auraispréféréqu’ilnemeretournepaslaquestion.—Je…Ilrefermasesbrasautourdemoietdéclara:—Jesaisceque tuchoisirais.Ne t’inquiètepas.Mais,machérie,quand toutceci sera terminéet
qu’onpourravivrenotrevieetenprofiterensemble,tuchangerasd’avis.—Peut-être,concédai-je.Jen’enétaispourtantpassicertaine.
18
BROOKE
NOUSFÎMESEFFECTIVEMENTLAFÊTESURLECOINDEplagesecretquenousrévélaTate,maisnousn’ypassâmes pas la nuit. Elias avait bu tellement de whisky que je craignais qu’il ne s’évanouisse. Etpuisque j’étais la plus sobre de nous sept, Tate m’avait lancé les clés de sa Jeep pour que je nousconduiseàunhôteldeStPetersburg.Jem’étaisévidemmentperdue,allantbienplusloinqueprévu.Çan’étaitpassifaciledemanœuvreruneJeepSaharadansunÉtatinconnu,avecuntasdepassagersbourrésetunfiancémaladequivomissaittripesetboyauxsurleplancherdeTate.Cedernierétaittropivrepours’ensoucier.J’avaisretenumonsoufflependanttoutelaroute,croisantlesdoigtset lesorteilspournepasmefairearrêterparlesflics.
JemesentaistellementmalpourElias.Jem’étaisrangéedeuxfoissurlebas-côtépourluipermettredeprendrel’air.Etquandj’étaisparvenueàlemettredanslabaignoireetàrepartirdanslecouloirpourallerremplirmonseauàglace,lesvomissementss’étaientenfintaris.Jel’avaisalorsnettoyéetaidéàsemettreaulit.
J’avais pris l’initiative de nous prendre une chambre juste pour tous les deux.Tatem’avait dit aucomptoirqueçaneluiposaitpasdeproblème.Mêmesilesdeuxnuitéesseraientprélevéessursacartede crédit. La réceptionniste avait failli nous refuser l’entrée, car nous avions l’air de truands et nousempestionsl’alcool.Maisjecroisqu’elleavaitprisEliasenpitié.
Apparemment, nous fîmes tous les sept le tour du cadran. Sauf à l’heure de rendre les chambres,quandTateavaitémergésuffisammentlongtempspourvenirfrapperànotreporte,récupérersacartedecréditetdescendreprolongernotreséjour.
Endébutdesoirée,nousétionsalléssurlaplagepourprofiterdesderniersrayonsdesoleil.Eliassesentait beaucoup mieux. Selon lui, ce n’était pas l’alcool qui l’avait rendu malade, plusvraisemblablementlesburritosingurgitésuneheureavantqu’ilsesoitmisàboire.
—Sérieux,déclara-t-il,c’étaituneintoxicationalimentaire,çan’avaitrienàvoiravecl’alcool.Çam’estdéjàarrivédeboirebienplusqu’hier,maisjen’avaisjamaisdégueulécommeça.
Jeluisouris.—Est-cequetudisçajustepourpouvoirrecommencercesoir?—Non,répondit-il.Mais,sijepicole,jecroisquejeneprendraiquedestrucslégers.—Bonneidée,répliquai-jeenposantlatêtesursonépauletandisquenousmarchionscôteàcôtesur
laplage.JenavaitunevalisepleinedefringuesdanslaJeep,etellemeprêtaunbikini.Eliasn’avaitpasenvie
de se baigner, mais Tate lui proposa son maillot de rechange, au cas où il changerait d’avis. CelacommençaitàagacerElias.Plusqu’unpeu.LefaitqueTatepaietout,pournous,pourmoi.J’essayaisdelui direqu’il n’ypouvait rien, qu’il n’avait de toute façonpas accès à son compte enbanque.Lepeud’argentqu’ilnousrestait,AnthonyetCristina l’avaientprobablementsnifféà l’heurequ’ilétait.Eliasvoulutunedernièrefoistéléphoneràsonpèrepourluidonnerlescodesd’accèsdesoncompteafinqu’ilpuissenousenvoyerunmandat,maisjel’enempêchai.Lerisqueétaittropgrand.
MaissoitTateétaitblindé,soitilavaitundécouvertillimité.Jel’ignorais.Entoutcas,ilnefaisaitjamaisd’histoirepourinvitertoutlemondeenpermanence.MêmesiCalebs’occupaitdelabouffeetdelabière,c’étaitgénéralementTatequiréglaitladouloureuse,saufquandonrestaitchezl’undesesamis.Mais,pournous,c’étaitl’équivalentd’unséjourenpensioncomplète.
Avantlatombéedelanuit,Tatenousconvainquittousderetourneràsonendroitsecretsurlaplage,àplusd’uneheurederoutedenotrehôtel.
Nousavionsdéjàrendunoschambres,maisilfallaitquejefassepipi,jetrouvaidoncdestoilettespubliques dans un restaurant voisin avant de prendre la voiture. Toutes les cabines étaient prises,j’attendis près d’un lavabo – en essayant d’éviter de me tenir la vessie ou de danser d’un pied surl’autre–qu’unedeschassessedéclencheetqu’unefilleavecune longue tresseblondepasséesursonépaulesorteenfin.
Jeluiadressaiunsourire,qu’ellemerendit immédiatement.Envérité, j’avaissurtoutenviequ’elledégageauplusviteafinquejepuisseprendresaplaceetéviterdemefairedessus.
Plustard,nousretournâmestraînerunpeusurlaplage.Jereviscettefille,assiseàquelquesmètresdenous,prèsd’ungrandgars torsenuavecunénorme tatouagesur le flanc.Quand la fille se leva, jedécouvrisqu’elleenavaitunégalement,etfusimmédiatementcurieused’ensavoirplus.J’avaistoujoursaimé les tatouages, je trouvaisqu’ils rendaientbiensur lesautres,mais jenem’étais jamais résolueàm’enfairefaireun.Mêmevusd’ici,lesleursavaientl’airdevéritableschefs-d’œuvre.
—Merde,ditJohanna.Vousavezvucetype,là-bas?J’étaisplusquesurprisede l’entendredirequoiquecesoit,plusencorequ’ellebaveouvertement
devantuninconnusurlaplagealorsqueCalebn’étaitqu’àquelquesmètres.Pourtant,j’allaisdevoirmerésoudreàadmettrequelarelationquiunissaitCaleb,JohannaetGrace
n’étaitpasdesplusbanales.Peum’importaitqu’elles’éloigneencoredavantagedelanorme.SiJohannanes’inquiétaitpasdecequeCalebpouvaitpenser,jen’allaispasmefairedumouronpourelle.
—Queltype?demandai-je,feignantdenepasl’avoirremarqué.Jenevoulaispasqu’Eliassedisequejereluquaisailleurs,commeJohannaavecsoncopain.Enfin,
biensûr,ilétaitbeaucommeundieu,maisiln’arrivaitpasàlachevilledemonmec.PersonnenevalaitElias.
TateetCalebvinrentalorsnousrejoindre.—Eh,nouslançalepremier,onvapartirbientôt.—Etsioninvitaitd’autresgens,cettefois?suggéraJohanna.Ellesemitdeboutetchassalesabledesonbikini.TatesetournaversCaleb,quihaussalesépaules.—Ouais,c’estunebonneidée.Tatesemblaitdumêmeavis.Eliasetmoinouslevâmesànotretour.Nousnousmîmestousàexaminerlaplage,etpuisquenous
n’étionstechniquementpasenété,lechoixn’étaitpasdifficileàfaire.Uncoupledequinquagénairesétaitassisànotredroite,lafemmeportantunmaillotdebainunepiècevioletetungroschapeaumousurlatête.Unvieuxmonsieurfaisaitsonjogging,extrêmementbronzéetsansdouteenmeilleureformequela
plupartdesgensdequaranteans,lecorpsluisantdesueuretdelaitsolaire.Unjeunecoupleavecdeuxenfantss’étaitinstalléauborddel’eausurdeschaisesdeplage.Lajolieblondeenbikinirougeetsoncopaintatouéétaientdonclesseulscandidatspossibles.
—J’aicroisécettefilledanslestoilettesdurestotoutàl’heure,dis-jeenladésignantdumenton.Onn’aqu’àleurproposer?
JevisTateluiaccorderunregardunpeutropappuyé.Jenluitapasurlebras,etilprétenditsouffrirlemartyre.Parchance,elleabandonnabienviteleurpetitjeu;jen’étaispasd’humeuràlesentendresedisputer,etjedoutaisqueceuxquinousaccompagneraientàlafêtelesoient.
Nousnousapprochâmesducouple.—Vousêtesducoin?leurdemandaTate.J’encourageaiEliasàs’asseoiravecmoiprèsdelafille.J’espéraisqu’ilsnenousenvoudraientpas
d’envahirleurespacevitaldelasorte.Celanesemblapaslesdéranger.—Non,onvientdeGalveston,réponditlegarçon.—EtdeRaleigh,précisalafille.—Nous,onestdel’Indiana,expliquai-jeensouriantàcettedernière.Maiseuxviventici,ajoutai-je
endésignantnoscompagnons.TateenroulasesbrasautourduventredeJen,sansdoutepourlarassurerquantàsesintentions.—Moi,c’estTate,etvoiciJen.(Puisileffectualerestedesprésentations.)Johanna.Grace.Etmon
frère,Caleb.—Moi,c’estBrooke,dis-je.EtvoiciElias,monfiancé.Nousavionsdepuislongtempslaissétombernosfaussesidentités.Lafilleseredressaenpositionassiseetsefrottalesmainspourenfairetomberlesable.—Raviedevousrencontrer,dit-elle.Moi,c’estCamryn,etAndrew,monfiancé.Eliasleurtenditlamain.Tatereprit:—Onvafaire la teufsuruneplageprivée,àunedemi-heured’ici. (Çan’étaitpas toutàfaitvrai,
maisilsrefuseraientprobablementdevenirs’ilssavaientqu’ilyavaitaumoinsuneheurederoute.)Unendroitgénial,vraimentàl’écart.Siçavoustente,vousêteslesbienvenus.
CamrynsetournaversAndrew.Ilssemblèrentéchangerquelquesmotssilencieux.Cefutluiquifinitparrépondre:—Génial,onvoussuit.—Cool,seréjouitTate.Ilsramassèrentleursaffairesetnousaccompagnèrentjusqu’auparking.—Ilsontl’airsympa,déclaraElias.J’étaisinstalléesursesgenoux,àl’arrièredelaJeep.Matêtevenaitcognerleplafondàlamoindre
petitebosse.—Vousavezvuleurstatouages?—Ouais,c’estuntrucdedingue,confirmaTate,quiavaitprislevolant.(IlsetournaversJen,surle
siègepassager.)Çamedonneenviedem’enfairefaireunautre.Ellelevalesyeuxaucielavantderecommenceràsevernirlesonglesdesorteils,lespiedsappuyés
sur le tableaudebord. Jemedemandaiscommentellearrivaitànepas semettredu turquoisepartoutaveclescahotsdelaroute.
Ilfaisaitnuitlorsquenousatteignîmesnotredestination.—Tun’auraispeut-êtrepasdûleurdirequecen’étaitqu’àunedemi-heure,luilançaGrace.
Elle était à cheval sur les genouxdeCaleb, et sa hanchen’arrêtait pas de rentrer dans lamienne,rendantletrajetencoreplusdésagréable.
—Ouais,tuassansdouteraison,admitTate.Nous bifurquâmes sur une route partiellement goudronnée et, durant lesminutes qui s’ensuivirent,
nousfûmessecouéscommedesprunierssurcettepistedeplusenplusdéfoncéeetjalonnéedenids-de-poule.J’avais la têtecommeunepastèque.Lespharesfendaient les ténèbres, jusqu’àcequelechemindéboucheenfinsurunevasteétenduedesableetdecailloux.
CamrynetAndrewgarèrentleurvieillevoiturenoireprèsdelanôtreetcoupèrentlecontact.—J’espèrequ’ilsnesontpastropfurieux,ditTateensautanthorsdel’habitacle.Nousl’imitâmesaussitôt.J’étendislesjambesetmemassailesmolletsetlebasdudos.Eliasvintme
soulagerlanuque.Jelaissaiéchapperunlégergémissement.—Jenesaispascombiendetempsjevaisencoresupporterd’êtrecompresséedanscetteJeep.Ilembrassamonépaulenueenguisederéponse.Tatesortitlaglacièreducoffreetlalaissatomberdanslesable.—Onadeslitresdebière,annonça-t-ilenplongeantlamainàl’intérieur.IllançauneCoronaàAndrew.EliasetmoiallâmesrejoindreCamryn.Tatedécapsulauneautrebouteilleetlaluitendit.—Merci,dit-elle.—Sivousavezunecouverture,vousdevriezlaprendre,conseillaTate.Jens’approchadeluiensetrémoussantdanssonminusculebikiniblanc.J’avaisl’impressionqu’elle
sesentaitmenacéeparCamryn,maispasencoreassezpourluimenerlaviedure.—Etj’aiunesupersonodanscettecaisse,ajoutaTateentapotantl’arrièredesaJeep,donconne
manquerapasnonplusdemusique.Andrewouvritsoncoffreetensortitunecouverture.—Oùestmonshort?demandaCamrynenfouillantsurlabanquettearrière.—Ici,réponditAndrewavantdeleluilancer.—Jen’aipasdutoutl’intentiondemebaignerdenuit,déclara-t-elleenl’enfilantpar-dessussonbas
debikinirouge.—Commeça,jeneseraipaslaseule!J’avais toujourspeurdeplongerennocturnedansl’océan.Ellemesouritpar-dessusle toitdeleur
voitureavantdeclaquerlaportière.—Tuesdéjàvenueiciaveceux?medemanda-t-elle.Tate et les autres sedirigeaientdéjàvers lamer avecnos affaires.Commed’habitude, ils avaient
laissé les portières ouvertes. Les baffles crachaient le rock bruyant de la playlist commune aux deuxfrères.Cesoir-là, il s’agissait essentiellementdesdifférentsgroupesd’un typenomméDax.Laveille,c’était Pantera. Et la nuit d’avant, du bon vieux Snoop Dogg. Nos goûts musicaux étaientvraimentéclectiques.
—Hiersoir,répondis-je,maisEliasatropbuetacommencéàgerberdèsledébutdelasoirée,j’aidoncdûnousrameneràl’hôtelplustôtqueprévu.
Eliassecoualatête,déçud’avoirétéembarrassédelasorte.CamrynetAndrewnoussuivirentjusqu’àlaplage,oùTatepréparaitdéjànotrefeudecamp.Iljeta
uneallumettesurunepiledebranches,embrasantimmédiatementl’essenceàbriquetqu’ilavaitverséesurletas.Lesflammesdissipèrentaussitôtlesténèbres.Eliasetmoinousassîmessurdesserviettesdeplage,justeàcôtédeCamrynetAndrew.Tateetlesautrespartageaientunegrandecouverture.
JeremarquaiqueJohannalouchaitsérieusementsurAndrew.Mêmesicelamedégoûtait,jem’abstins
detoutcommentaire.C’étaittellementdéplacédefaireçaalorsqu’ilétaitavecsafiancée.Jusqu’alors,jen’avaiseuaucuneraisonvéritabledeladétester.ElleétaitinstalléeprèsdeCaleb,legarsqu’ellebaisaitdepuis je ne sais combiende temps, s’efforçant d’adopter une posture à la fois naturelle et sensuelle,commesielleespéraitqu’Andrewremarquerait lapeaumoinshâléeàlalisièredesonbikinirosequisuffisait à peine à contenir ses seins. Je la surprismême à tresser ses longs cheveux blonds pour lespasser sur son épaule à la manière de Camryn. Et dire que je pensais que c’était moi qui avais unproblème…Non,Johannamedominait largementdanscedomaine.J’étaispeut-êtredemœurs légères,maisj’avaisdesprincipes.Johannaneconnaissaitmêmepasleconcept.
—Vousavezdesacréstatouages,fitremarquerTate.Camryns’écartadutorsed’Andrewpournouspermettredemieuxlesobserver.Puisellelevalebras
pourexposersonflanc.—Ouais,tum’étonnes,renchéris-je,fascinéeetrêvantdeplusenplusd’enavoirun.Jem’approchaid’euxàquatrepattespourmieuxlesdétailler.—Ilsm’intriguentdepuistoutàl’heure,avouai-je.—Retourne-toi,mabelle,etmontre-leurcequeçadonne,ditAndrewenfaisantpivoterCamrynsur
sesgenoux.Ils’allongeasurlesableetplaqualecorpsdesafiancéeau-dessusdusien.Ils alignèrent leurs tatouages pour former une image homogène. J’écarquillai des yeux fascinés et
envieux.J’ignoraisl’histoirequeledessinracontait,maismoncœurs’emballaàlesvoirallongésl’unsurl’autredelasorte,tellesdeuxpersonnesfusionnantenuneseuledevantmoi.JepensaifugacementàEliasetmoi.Jenousimaginaiàleurplace.Lamoitiédetatouaged’Andrewreprésentaitunefemmevêtued’une robe transparente, longue et gracieuse, plaquée par le vent sur les courbes sensuelles de sasilhouette. Des volutes de tissu flottaient derrière elle tandis qu’elle tendait les mains vers l’hommetatouésurlescôtesdeCamryn.J’étaisstupéfaiteparleniveaudedétails,hypnotiséeparlacomplexitémagnifiquedechacundeces traits.Les tatouagesétaient immenses, s’étalantdusommetde leurscôtespresquejusqu’àleurhanche.
JemetournaiversElias,uneidéederrièrelatête.Ilparaissaitnerveux.Etilavaitraisondel’être,carilsavaitàquoijepensais:j’allaisletraînerchezletatoueurleplusproche.
—C’est…trop…canon,dis-jeàAndrewetCamryn.Quisont-ils?—OrphéeetEurydice,réponditlepremier.Dumythegrec.—Unehistoired’amourtragique,précisaCamryn.Ilrefermasesbrassurelle.— Je ne vois pourtant pas grand-chose de tragique entre vous, commenta Tate en s’allumant une
cigarette.Jeparvinsfinalementàm’arracheràmacontemplation.— Je trouve ça magnifique, déclarai-je en retournant m’asseoir entre les jambes d’Elias. Il vaut
mieux,d’ailleurs,parcequeçaadûfaireunmaldechien.—Ouais,onpeutdireça,confirmaCamryn.Maisçaenvalaitlapeine.Nous restâmes assis un long moment autour du feu crépitant à discuter de choses et d’autres, et
Camryn etmoi accrochâmes tout de suite. Avantmême qu’elle boive trop et devienne excessivementbavarde,nousparlionsdéjàplusquen’importequid’autre.Entempsnormal,c’étaitavecGracequenousfaisionsl’animation,maiselleétaitcettefoistropoccupéeavecCalebpourmeservird’acolyte.Auboutd’unmoment,j’étaistellementprisedansmaconversationavecCamryn,etjemesentaissiàl’aiseavecelle,quejefaillisdéraperetluidirequ’onvenaitdeGéorgie.Eliasserenditcomptequejecommençaisàtropenrévéler,ilsemitdoncàparlerdesdifférentsconcertsauxquelsnousétionsallés.
—LesMaroon5sontgéniaux,affirmai-je.—Carrément!s’exclamaCamryn,lesprunellesluisantesd’excitation.Jelesaivusenconcertavec
Nat,mameilleureamie.Ilsdéchirent!Iln’yapasbeaucoupdegroupesquijouentaussibiensurscènequesurleursalbums.
—Ouais,c’estvrai,admis-jeenfinissantmabière.TudisquevousvenezdeCarolineduNord?Camryns’installaentailleursurlesable.—Ouais,maisAndrewetmoionn’yhabitepasvraiment.—Vousvivezoù,alors?demandaTate.(Iltiraunelonguetaffesursacigaretteetretintlonguement
sonsouffleavantderecracherlafumée.)AuTexas,c’estça?—Non,disonsplutôtqu’on…voyage,expliquaCamryn.Elleavaitdesyeuxbleusmagnifiques.Jem’enrendiscomptequandlesflammesvinrentserefléter
sursonjolivisageovaleselonunangleparfait.—Vousvoyagez?répétai-je.Genre,vousvivezdansuncamping-car?—Pasvraiment,corrigeaCamryn.Onajustelavoiture.—Etpourquoivousvoyagez?s’enquitJohanna.JeperçuslafaçondontAndrewladévisageaenentendantsavoix.Ilsemblaitpourlemoinsfurieux
desonintervention.Ilavaitclairementremarquéqu’ellel’avaitmatétoutelasoirée.Ilsedétournapourrépondre.
—Onjouedelamusique.—Quoi,vousêtesdansungroupe?s’étonnaJohannaavecsonaccentpédant.Jelevailesyeuxauciel.Satentativedésespéréedeséductionétaitridicule.Cettefois,Andrewlaregardabienenface,cequimesurpritlégèrement.—Plusoumoins,admit-il.Maisiln’enditpasplus,etjecomprisquec’étaitàdessein.—Qu’est-cequevousjouez?demandaCaleb.Commeàsonhabitude,ilétaitassisentreGraceetJohanna,sanssesoucierlemoinsdumondedece
quelesautrespouvaientpenserenlevoyanttripoterdeuxfillesàlafois.—Duvieuxrock,dublues,dufolk,cegenredetruc,réponditAndrewavantdeboireunenouvelle
gorgée.—Alorsjouez-nousunmorceau!m’exclamai-je,toutexcitée.J’étaismoi-mêmelégèrementivre,àcemoment-là.CamrynsetournaversAndrew,commesil’idéeluiplaisait.—Pourquoipas?Tuasl’acoustiquesurlabanquettearrière.—Nan,jenesuispasd’humeur,décrétaAndrew.—Oh,allez,s’ilteplaît…—Ouais,mec.Situasunegratteetquetusaist’enservir,c’estgénial,intervintTate.Cédant à la demande générale, et probablement parce qu’il ne savait pas dire non à sa fiancée,
Andrewselevaetsedirigeaverssavoiture.Ilrevintquelquesinstantsplustard,saguitareàlamain.—Maistuchantesavecmoi,lança-t-ilàCamrynenreprenantplaceàcôtéd’elle.—Nooon!Jesuistroppompette!Ellel’embrassasurlabouchepuisvints’asseoirprèsd’Eliasetmoi,sansdoutepouryéchapper.—Bon,qu’est-cequejejoue?demandaAndrew.—Cequitefaitplaisir,mec,réponditTate.Andrewréfléchituninstant,commes’ilpassaitenrevuelescentainesdechansonsdesonrépertoire,
puis ilattaqua«Ain’tNoSunshine»deBillWithers.Mamèreécoutaitsansarrêtcettechanson, je la
connaissaisdoncpar cœur.Et, bon sang,Andrewétait un sacré interprète.Commesi le fait qu’il soitmagnifiqueettatouénesuffisaitpas,ilfallaitenoutrequ’iljouedelaguitarecommeunproetchanteàl’avenant. Jeme calai confortablement entre les jambes d’Elias, oscillant au rythmede lamusique, lalaissantmesubmerger.
Nousnouslaissâmestousaller,ycomprisElias,quinesesentaitpaslemoinsdumondemenacéparAndrew,carilsavaitqu’iln’avaitaucuneraisondel’être.Jem’enétaisassuréedèsledébutdesoirée.
Andrewbeuglaledernierrefrainetlamusiques’arrêta.—C’étaitgénial!m’écriai-je.—Merde,tudéconnaispas,mec!renchéritTateavantd’allumerunjoint.—Joues-enuneautre,demandai-jeenm’allongeantcontreElias.Ilm’enveloppadesesbrasetposadoucementlementonsurlesommetdemoncrâne.Tatefitd’abordpasserlejointàCamryn,quileconsidéraunesecondeavantdesecouerlatête.—Nonmerci,jevaisresteràlabière,cesoir.Andrewjouaquelquesautreschansonsaucoindu feu,etCamrynfinitpar l’accompagnersur l’une
d’elles.Ilsétaienttouslesdeuxtrèsdoués.Jetrouvaisqu’ilsauraientdûseproduirequelquepart.TateallachercherdanssaJeepdesgobeletsenplastique,unebouteilledeginetuneautredeSprite.
Jens’affairaàpréparerlescocktailsetlesfitpasserautourd’elle.—Faites-vousplaisir,lesmecs,nousencourageaTate.Etnevousbilezpaspourlaroute:lesflicsne
connaissentpascetendroit.—Ouais,onvaenprendreunverre,acceptaAndrewpourCamrynetlui.Ilsendiscutèrentparlasuiteentreeux,etellefinitpardireoui.Aprèstout,elleavaitdéjàrefuséle
joint.Peut-êtreàcausedumélanged’herbeetd’alcool,jemeretrouvaibienviteàparleràCamryndetout
etn’importequoi,commedemarquesdetamponsoudumeilleurshampooingexistant.Ellem’interrogeasurmesbracelets,etjem’assuraidenepaslalaissers’enapprocherd’aussiprèsqueGraceàlamaisondeplage,craignantderevivrelamêmescène.J’avaisdéjàeudumalàenparleràElias,jenemesentaispasprêteàrecommencerdevanttouscesgensquejeneconnaissaispasbien.LamusiquecontinuaitdenousparvenirdepuislaJeep.
—Andrew,ilfautquej’aillefairepipi,chuchotaCamryn.Illuipritsonverreetledéposadanslesable.—Moiaussi,décréta-t-ilenselevant.—Allezparlà,leurindiquaTateentenantsacigaretteentredeuxdoigts.Aumoins,vousnerisquez
pasdemarchersurunmorceaudeverreouunesaloperiedugenre.Andrewposasongobeletàcôtédeceluidesafiancéeetl’aidaàsemettredebout.Dèsqu’ilseurent
disparudanslesténèbres,Eliasjugeal’idéeexcellente.—Jereviensdansuneminute,annonça-t-ilenseredressant.Tuasbesoind’yaller?medemanda-t-il.—Nan,çava.Ilmesourit etpartitdans ladirectionopposéeàcelleempruntéeparAndrewetCamryn,allant se
soulagerderrièrelesvoitures.GracequittaalorslegirondeCalebpourvenirposerlatêtesurmonépaule.—TuasobservéJohanna?memurmura-t-elle.Jemetournaiversl’intéressée,quifaisaitcourirsesdoigtssurlebicepsdeCaleb,l’airabsent.Elle
semblaitplanercomplètement,oudumoinsêtreailleurs.Jemedemandaiàquoiellepouvaitpenser,àpart à Caleb et à ce nouveau type, Andrew. Finalement, j’en vins à me convaincre que rien d’autren’occupaitsonesprit.
—Tuparlesdufaitqu’ellebavedevantAndrew?Ouais,difficiledenepasleremarquer.Est-cequeCalebs’enfout?
Gracegloussadiscrètementenredressantlatête.—Pas vraiment, répondit-elle. Ilm’a entraînée derrière la Jeep tout à l’heure pourme dire qu’il
voulaitlavoirdégager.—Çanem’étonnepas.Ellesecoualatête,setournadenouveauversJohannaetCaleb,puisajouta:—Ilyaquelquechosequidéconnesérieusementchezcettefille.—C’estlemoinsqu’onpuissedire.Tulaconnaisdepuislongtemps?—Àpeinequelquesmois.Elleaemménagédansmonimmeuble.Calebselevaetfouilladanssespoches.Ilcherchaitpeut-êtreàs’éloignerdesonpotdecollepour
unmoment.—Maispourquoiilneluiditpasqu’elleneluiplaîtplus?—Parcequ’ellehabiteenVirginie,réponditGraceàvoixbasse.C’estpeut-êtreunconnard,maisil
nevapas laplanter si loindechezelle. Je lui aidit tout à l’heurede luipayerunbilletdecarpourrentreràNorfolk.
—Etqu’est-cequ’ilt’arépondu?Grace repoussa les longs cheveux bruns qui lui tombaient sur les épaules. Elle releva les genoux
devantelle,s’allongeasurledosetseredressasurlescoudes.—Quec’étaitsansdoutecequ’ilallaitfaire.—Ettoi,pourquoiturestesaveclui?Enfin,iln’apasgrand-chosedupetitamiidéal.Ellemesouritetfitoscillersesgenouxd’uncôtéàl’autre.— Je ne cherche pas àme fixer,m’expliqua-t-elle. Je veux justem’amuser. Je sors d’une rupture
douloureuse,etjenesuispaspresséedemereplongerdansunerelationsérieuse.Jecomprenaiscequ’elleressentait,mêmesijenevivaispasdutoutlamêmechose.—Qu’aditElias,pourtespoignets?reprit-elled’untonencoreplusbas.Jecroisailesjambesetdissimulaimesmainsentreelles,jouantnonchalammentavecmesbracelets.
Jen’avaisaucuneenvied’enparler,maisj’aimaisbienGraceetjetenaisàcequ’ellelesache.—Ilétaitcontrarié,biensûr.Maisçava.Ilacompris.Graceeutunlégersourire,jetauncoupd’œilversmescicatrices,puiss’affalaunpeuplusdansle
sable.—Jen’enaiencorejamaisparléàpersonne,dit-elleenregardantdroitdevantelle,maisj’avaisun
grandfrère.Jacob.Ilétaitdansl’armée.IlafaitdeuxansenIrak.Ellesetournalégèrementversmoiavantd’ajouter:—Ils’esttiréuneballedanslatêtesixmoisaprèssonretouraupays.Puisellepivotadenouveau.Sesyeuxétaientrivéssur l’obscurité,mais jemedoutaisbienqu’elle
visualisaitlevisagedesonfrère.Moncœurseserra.Jemepositionnaifaceàelle.—Ça…craint,Grace.Jesuisvraimentdésolée.—Ouais,c’estlemoinsqu’onpuissedire,renchérit-elleavecunsouriresansconviction.Çacraint.
Il n’était pas bien dans sa tête depuis très longtemps. Personne n’en savait rien. (Elle fit un geste dureversdelamain,commepourretournerdanslepassé.)Enfin,onsavaitquequelquechosen’allaitpas.Il n’était plus pareil, depuis son retour. Solitaire. Et il avait de gros accès de colère.Mais on ne lepensaitpascapabledesesuicider.
Son visage se décomposa alors, tandis qu’elle se laissait rattraper par le poids d’une culpabilité
qu’elletraîneraitsansdoutetoutesaviecommeunboulet.—Quandonl’acompris,ilétaittroptard.Ceuxquis’ensortentontbeaucoupdechance.(Elleme
désignaalors,etsonsourires’élargit.)Tuasbeaucoupdechance.Nel’oubliejamais.Jenesusquoiluirépondre.J’avaisenvied’acquiescer,maislefaitdesavoirquesonfrèren’avait
paseuautantdebolmedissuadadedirequoiquecesoit.Gracechangearapidementd’humeuretselevaavantdesefrotterlesmainspourenfairetomberle
sable.Puisellesortitsansélégancelebasdesonbikiniquiluirentraitdanslesfesses.— Putain, j’ai trop de cul pour mettre les maillots de Jen, grommela-t-elle en faisant claquer
l’élastique.—Jecroisquemoiaussi,répliquai-je.Etnousnousmîmestouteslesdeuxàriredeboncœur.TateetJenétaiententraindesepelotersur lacouverture, lecorpsfrêledecelle-cinedissimulant
presqueriendeceluidesonmec.Johanna,quisemblaitselasserderesterassiseseuledanssoncoin,setortillaitlescheveuxautourdel’index.Calebpassadegobeletengobelet,faisanttomberquelquechosedanschacun.
—Qu’est-cequec’est?m’enquis-jequandils’approchadenous.Ilsefenditd’unsourireencoin.Ilfittomberunepiluledansmonverre,puisdansceluid’Elias.—Justedequoiégayerlasoirée,répondit-il.C’estcomplètementinoffensif,promis.Jen’avaispasl’habitudedelevoirsienjoué.Ilnesouriaitpresquejamais.Gracetenditsongobelet,posésurlesableàcôtéd’elle.—Nem’oubliepas,dit-elle.—Net’inquiètepas,répondit-ilenglissantégalementquelquechosedanslesien.Calebremarquamonmanqued’enthousiasme.—Promis!répéta-t-ilavecunrirediscret.Gracesepenchaversmoietmurmura:—Aupire,c’estuntrucquivousdonneraenviedefairedestrucsquevousn’avezencorejamaisosé
essayer.Souriantjusqu’auxoreilles,elletenditlamainversCalebpourqu’ill’aideàserelever.J’étaistellementdistraiteparsoncommentaireetparmontauxd’alcoolémiedéjàélevéquej’avalai
sansréfléchirunegrandelampéedemoncocktail.EliasréapparutdesapausepipijusteavantCamrynetAndrew.JeneluiparlaipasdecequeCalebavaitfait.Jeneleluicachaipasvolontairement,maisn’ypensai
simplement plus. J’étais déjà bien attaquée. J’avais tiré sur trois joints et bu plus que de raison. Jen’avaispluslesidéesclaires.Cequ’avaitfaitCalebnemesemblaitpasmal,carmoncôténaïfvoulaitlecroire quand il affirmait que c’était complètement inoffensif. Après tout, Grace et lui en avaient prisaussi. Il enavaitmêmemisdans legobeletde son frère. Je saisqueceque j’ai fait étaitmal,débile,maladroit,dangereuxetmilleautreschoses.Jelesais.Maistoutlemondecommetdeserreurs.Celle-cifutsimplementl’unedemesplusregrettables.
19
ELIAS
JE ME RAPPELAIS ÊTRE PARTI PISSER. JEME RAPPELAIS vaguementm’être coupé le petit orteil sur uncaillou tranchant caché sous le sable en retournant vers le feu. Jeme rappelais m’être assis près deBrooke,avoirbuunpeudemongin,avoirrietpoursuivilasoiréeavecelleetlesautres.
Mais,àunmomentdonné–jenesauraispasdirequand,carletempssemblas’écoulerbrusquement–,toutavaitchangé.Brookeétaitallongéeprèsdemoi,àcontemplerlesétoilesenriant,s’extasiantdelesdécouvrirsicolorées,etsoudain…
J’étaisdeboutdevantl’océan.Sanssavoirquandj’avaisatterrilà.Jemeretournai.Lefeun’étaitplusqu’unevaguelueurorangée,peinantà trouver l’oxygènenécessairepourseconsumer jusqu’aubout.Etsoudain…
J’étaisassissurunrocher.Lesvaguess’abattaientdessus,àmoinsdecinqcentimètresdemespieds.L’eau gargouillait, crachait,m’intimait de ne pas bouger. Je baissai la tête. Lamer était noire. Jemeretournai de nouveau vers le foyer, désormais complètement éteint ; seules de fines volutes de fumées’élevaientencoredesbranches.Jeconsidéraialorsmesmainsetenperçuslesmoindresdétails,commesij’examinaisunecarte.Jefiscourirmonindexsurchaqueligne,chaqueroute,chaquerivière,chaqueraccourci.Moncœurmebattaitauxoreillesteluntambour,àunrythmeconstantetimplacable.J’avaisdusableentrelesdents,surlesgencives,àlacommissuredeslèvres.Jememisàpaniquerenpensantquec’étaitduverre.Puisjerecouvraimoncalme,etleverresedissipadansmabouche.
J’étais seul. Brooke était partie. Tout le monde était parti. J’étais assis, seul, sur ce rocher.J’entendais lamusique.Leshaut-parleurscrachaient«Night is theNotion»,deDaxRiggs.Quelqu’unchantaitdessus,maisjenevoyaispersonne.J’étaiscomplètementseul.
Letempssemblaalorsremonter,etalors…—Saloperiedemerde,Tate!s’exclamaJen,toujoursinvisible.C’estdelaputaindecame.Nomde
Dieu.Jevoisdesarcs-en-cielettout.Jeplaneàquinzemille.Puiselleentonna«Çaplanepourmoi».Quandjemeréveillai,lejourétaitlevé.Je restai longuement assis dans le sable, à essayer de me remettre les idées en place. Je ne me
souvenaispasd’avoirprisautrechosequeduginetdelabeuh.Pourtant,j’étaisclairementdéfoncé.Etfurax.Je fus alors distrait en voyant Brookemarcher rapidement sur le sable pour rejoindre la blonde,
Camryn,etlaréconfortertandisqu’ellevomissaitviolemment.
—Lâche-le!s’époumonaalorsJen.AndrewsebattaitavecTate,luidéfonçantlagueuleàcoupsdepoing.—Andrew!tentadecrierCamryn.Maissavoixétaitrauqueetéraillée.Elleétaitclairementdansunsaleétat.Ellen’arrivaitmêmepas
àtenirdebouttouteseule.—Putain,c’estquoi,tonproblème,mec?grondaTate.Ilessayaitdeseprotégerd’Andrew,maiscelui-cinelelaissaitpasreculer.Coupaprèscoup,ilfinit
parlefairebasculerdanslesable.Calebvintplaquerl’agresseurdesonfrère,et tousdeuxroulèrentausol.AndrewsaisitCalebàla
gorge,lesoulevaau-dessusdeluietretournalasituation,leclouantparterreenquelquessecondes.IleutletempsdeluidécochertroisdroitesavantqueTatevienneletirerparlesépaules.
—Détends-toi,mec!s’exclamacedernierpourdésamorcerlasituation.MaisAndrew fit brusquement volte-face et lui envoya un uppercut.Tate chancela en arrière en se
tenantlamâchoire.Jesavaisqu’iln’allaitplusgardersoncalmetrèslongtemps.Unerageférocebrûlaitdéjàdansson
regard.—Tunousasdrogués!Jevaistetuer!hurlaAndrew.Jevisducoindel’œilCamrynaccouriràgrandesenjambéesmaladroites,etavantquejenepuisse
réagir,CaleblafittomberenseprécipitantsurAndrew.Jem’élançaiàmontour.Andrewnetiendraitpaslongtempsfaceauxdeuxfrangins.JemerappelaialorsavoirentenduJendire
queTateavaitdeladrogue,jefisdonclaseulechosequis’imposait:jemejoignisàlamêléeenprenantlepartid’Andrewcontrenossoi-disantamis.
— Pousse-toi ! grognai-je en écartant Camryn, à la fois pour lui éviter unmauvais coup et pourm’assurerqu’ellenesemêleraitpasàlabataille.
Tatel’avaitmérité.Iln’auraitpasdûnousdroguer.—Resteavecmoi,entendis-jeBrookedireàCamrynenlatirantparlesaisselles.Jecognaid’abordCaleb.Leséchangesdecoupsfurentensuitesirapidesquejepeinaisàsavoirquifrappaitqui.Maisjefinis
parprendreledessussurCaleb,tandisqu’Andrews’occupaitdeTate.Unefoislabagarreterminée,noussaignionstousdequelquepart,quidelalèvre,quidunez.J’avaisl’impressionqu’onm’avaitredressélamâchoireaumarteau.
—Arrête!finitpardireTateàCalebenleretenantparlataille.Cederniers’apprêtaitàseruersurmoidenouveau.Tatevoulaitmettreuntermeàcettehistoire.J’étaisconvaincud’avoirfaitcequ’ilfallait,maisjen’avaismalheureusementpaschoisilecampde
ceuxquinousaidaient,Brookeetmoi. Jecomprisque,désormais,nousnepourrionspluscomptersureux.Àmoinsqu’AndrewetCamrynnedécidentà leur tourdenousprendreencharge,Brookeetmoiallions nous retrouver exactement dans la même situation qu’avant de rencontrer Tate et sa bande àl’hôtel.
Mais quelque chose au fond demoime disait qu’Andrew et Camryn n’allaient pas semontrer siaccommodants.
Andrew avait une lueur assassine dans les prunelles.Même lorsqu’il les braquait sur moi. Je nepouvaispasluienvouloir.Àsaplace…enréalité,j’étaisàsaplace.Jelesuivisdoncjusqu’àBrooke,quiaidaitCamrynàsereleverprèsd’uneflaquepestilentielledevomi.
—Merde,ditAndrewens’adressantàBrooke.Tuveuxbiencouriràlavoitureetmerapporterune
bouteilled’eau?Elleacquiesçaets’élançaaussitôt.AndrewfitgrimperCamrynsursesgenouxetluicaressalatête,écartantlescheveuxdesonvisage.—Putain,ilsnousontdrogués,mabelle,luidit-il.—Jevaistuercettepute.JelejuredevantDieu,Andrew,réponditCamryn.Jecomprisqu’ilsneparlaientplusdutoutdeladrogueoudel’échauffourée.Celaconcernaitl’une
desfilles.Jenesavaispas laquelle,maiscommeilnes’agissaitvraisemblablementpasdeBrooke, jen’enavaiscure.
Jemerapprochaietm’accroupisprèsd’Andrew.—Désolé,mec,onnesavaitpas.Jetelejure.—Jetecrois,merépondit-il.Brookerevintencourantaveclabouteille,etAndrewlaluipritdesmains.Ilendévissalebouchon
pours’enverserd’aborddanslamain,afind’essuyerlefrontetlabouchedeCamryn.—Écoute,mec,jesuisvraimentdésolé,déclaraTateenarrivantderrièrenous.Onpensaitquetut’en
foutrais.Onenamisdanslesverresdetoutlemonde,histoiredepartager.Onnevousapasfaitveniriciavecuneidéetorduederrièrelatête.
AndrewreposadoucementCamrynausol,fitvolte-faceetcognaTatedenouveau.—Andrew,s’ilteplaît!s’écriaCamryn.J’allairetenirAndrewtandisqueCalebs’occupaitdesonfrère.Andrewabandonna le combat à contrecœur et se libérad’une secousse. Il aida alorsCamrynà se
relever.—Onyva,déclara-t-il.Ilsrécupérèrentguitareetcouverture,puispartirentdroitversleurvoiture.—Viens,Brooke,dis-jeenlaprenantparlamain.Onrentreraàpied,s’ilfaut.Elleentrelaçasesdoigtsauxmiensetnoussuivîmeslamêmedirectionqu’eux.Jeramassaimontee-
shirtdanslesableaupassage,tandisqueBrookeenfilaitsestongs.Andrewétaitentrainderangerleursaffairesdanslecoffrequandnouslesrejoignîmes.Ilgagnasaportière,étenditlesbrassurletoitdelavoiture,puislaissatombersatêteentreeux.
—Putaindemerde!s’exclama-t-ilenabattantlepoingsurlaferraille.Camryn,préférantsansdoutelelaisserpassersesnerfsavantdedirequoiquecesoit,montadansla
voiture.—Si vous voulez, je vous ramène, proposa-t-il alors que nous nous apprêtions à reprendre notre
route.Brookeetmoiéchangeâmesunregardavantd’accepterdebonnegrâce.—Merci,lançai-jedepuislabanquettearrière.Maisjecroisquenil’unnil’autrenem’entendit.Brookegarda la tempesurmonépauledurant tout le trajet,mais j’avais l’impressionqu’ellem’en
voulait.Elleneditpasunmot.Andrewnousdéposasurleparkingdeleurhôtel,etcefutladernièrefoisquenouslesvoyions.Nousétionsdenouveauseuls,sansvoiture,sansargent,sansrien.Brookes’assitsurunplotdebétonpeintenjaune,posalescoudessursesgenouxets’enfouitlafigure
danslesmains.Jeprisplaceàcôtéd’elle.—Taten’avaitpasledroitdefaireça,Brooke.Ilfallaitquejem’interpose.—Cen’étaitpasTate!s’écria-t-elleenseredressantsubitement.—Commentça?
Elle prit une profonde inspiration, croisa les doigts et les laissa pendre entre ses cuisses. Elleconsidérad’unairabsentleparkingàmoitiévide.
—Taten’avaitrienàvoiravecça,m’assura-t-elle.C’étaitCaleb.TateétaitbientropoccupéavecJenpourserendrecomptedupetitmanègedesonfrère.
—Attends…Commenttusaisça?La question qui me brûlait les lèvres, c’était : « Tu étais au courant ? » Mais je désirais trop
ardemmentquecenesoitpaslavérité.Brookefuyaitmonregard.—J’aivuCaleblefaire,m’expliqua-t-elleàcontrecœur.Ilafaitletouretamisuntrucdansleverre
dechacun.Jemelevai.Ilmefallutdelonguessecondesavantdedire:—Commentpeux-tuavoirgardéçapourtoi?J’étais fou de rage. Je me sentais trahi, même si je m’efforçais de ne rien montrer. J’avais beau
l’aimer,j’avaisenviedelaplaquersur-le-champ.Jememisàtournercommeunlionencage.—Je saisque j’aimerdé,Elias. J’en ai conscience, et j’en suisdésolée. Jen’avaispas les idées
claires…—Sansdéc?(Jebasculailatêteenarrièreetlaissaimesbrastomberlelongdemoncorps.)Brooke,
tuauraisdûmeledire!Merde!(Jelevailesmainsenl’airensigned’exaspération.)Jesuisdéjàalléentauleexactementpourcetteraison!Tuasdéjàoublié,ouquoi?
Ellesemitàpleurerdanssesmains.Jen’allaissûrementpaslaconsoler,pascettefois.Cequ’elleavaitfaitétaitpresqueimpardonnable.
—Jenepeuxpasrevenirenarrière,répondit-elleentredeuxsanglots.Etjenepeuxpasteforceràmecroirequandjetedisquej’aigardéçapourmoiparcequeçanemeparaissaitpasimportant.J’étaisàl’ouest.J’avaisbeaucoupbu.J’aidéconnégrave.(Ellesemitdeboutetlevalesmainsàsontour.)J’aiprisunemauvaisedécision!Çan’étaitpaslapremière,ettusaisaussibienquemoiqueçaneserapasladernière!
— Tu as raison, l’interrompis-je. Ça n’était pas la première. Il y a quinze jours, tu asaccidentellementcausélamortd’unefille.Ettunel’aspassignalé.C’étaitl’unedesplusgraveserreursdetoutetavie.
Ellerestabouchebéeunmoment.Puisellehurla:—C’étaittonidée!Tuesaussiresponsablequemoidenotrefuite!Tun’aspasledroitdetoutme
mettresurledos!Ellemebousculadesdeuxmains,sansymettreassezdeforcepourmefairereculer.—Putain,Elias!Jel’attrapaiparlescoudes.—Arrêtedebrailler!luicriai-jeenretour.Je la secouai sansménagement, puis parvins à recouvrermon sang-froid avant de reprendre, plus
doucement:—Calme-toi.Tuasraison.Jesuisaussiresponsablequetoi.Jen’auraisjamaisdûtedireça.Ellepoussaunlongsoupirsaccadé,puisbaissalatête.—Qu’est-cequ’onvafaire?demanda-t-elled’unevoixchargéed’angoisse.Jelaprisdansmesbras.—Nousn’avonspasd’autrechoixquederentrer.—Maisj’aitellementpeur,répondit-elle,lefrontcontremontorse.Tellementpeur…—Jesais,murmurai-jeenl’étreignanttendrement.Maisonnepeutpluscontinuercommeça,surtout
maintenantqu’onn’aplusrienenpoche.Ondoitrentrer.Iln’estpeut-êtrepastroptard.Vu de l’extérieur, on aurait pu croire que je ne pensais qu’à notre situation actuelle. Mais
intérieurement,mêmesiBrookenepouvaitpasl’entendre,jeréfléchissaissérieusementàluitrouverdel’aide.Àchaquejourquipassait,lesdécisionsqu’elleprenaitdevenaientunpeuplusirrationnelles.Jesavaisquejenepourraispasl’aiderseul,quemêmesijel’aimaisplusquetoutetsij’auraisadoréenêtre capable, cela ne suffirait pas à la protéger d’elle-même. Une sombre intuition naquit enmoi, unpressentiment terrifiantque jen’étaispasencorecapabled’identifiermaisque je savais êtred’auguretragique.
Àcetinstant,laJeepnoiredeTateentradansleparking.Brookes’écartademoietrestaplantéeàmoncôté,lepoingserrédansmamain.Jenevoulaisplusmebattre.J’étaisprêtàcapituler,etjetenaisàcequelesdeuxfrèreslesachent.
Tatesemitaupointmortetdescenditsanscouperlecontact.—Écoute,luidis-jeentendantlamain,jeneveuxplusmebattre.J’aifaitcequej’avaisàfaire,etje
necomptepasteprésenterd’excuses,maisjenemebattraiplus.Ilsecoualatêteetpartitd’unrireléger.—Jenesuispasvenupourça,mec.Jesuisvenuvouschercher.Mêmesijedoisbienreconnaîtreque
jevouspensaispartisaveclessiamoistatoués.Brookeetmoinousregardâmesmutuellement.J’étaisperdu.—Sansrancune,repritTate.Tuaseuraison,ilfautlereconnaître.Onn’auraitjamaisdûfaireçasans
vousprévenir.Àtaplace,j’auraisréagicommetoi.—Maiscen’étaitpastoi,luifis-jeremarqueravantdemetournerversCaleb,assissurlabanquette
arrière.Pourquoitun’asriendit?Tatefitminedenepascomprendre.Sonsouriresemuaenunemoueincertaine.Ilseforçaàrire.—Dequoituparles?Jem’adossaiàlaJeepetbaissaid’unton.—Pourquoias-tuassumélesactesdeCaleb?Tate cessa de le couvrir, poussa un soupir et jeta un coupd’œil à son frère.Puis ilme considéra
longuement.— Parce que c’estmon frangin. Caleb a des problèmes. Il est en liberté conditionnelle pour des
conneries qui se sont passées avec une fille àMiami. S’il a de nouveau des emmerdes, il risque unelonguepeinedeprison.Jeveillejustesurlui.
Iltenditlamainpourmetapoterl’épaule.Puisils’allumaunecigarette.—Jevaisluiparler,ajouta-t-ilenaspirantunelonguebouffée.Detoutefaçon,ilfallaitqu’onaitune
conversationàcœurouvert.Ilrecommenceàdéconnersérieusement.Je secouai la tête, résolu à ramener Brooke en Géorgie maintenant que j’avais fini par lui faire
accepterl’idée.Jemetournaiverselle.Ellemeregardaitfixement.JedisalorsàTate:—Écoute,j’apprécievraimentquetusoisrevenunouschercher,maisilesttempsqu’onrentrechez
nous.Brooke me serra la main, et je crus tout d’abord que c’était sa façon de me transmettre
silencieusement son assentiment, de me soutenir, mais je me trompais complètement. Quand je meretournaiverselle,jenevisdanssesyeuxqu’uneprièresilencieusem’implorantdechangerd’avis.
J’essayaidenepasentenircompte.—Etpuistonfrèreestinstable.Jenepourraiplusluifaireconfiance.Enréalité, jene luiavais jamaisvraimentfaitconfiance,maisaprèscequ’ilavait fait laveilleau
soir,lepeudefoiquej’avaisenluis’étaitenvolé.Jemerendaisenoutrecompteque,enl’occurrence,
Brookenevalaitguèremieuxquelui.Ellesavaitcequ’ilavaitfaitetn’enavaitparléàpersonne.Maisjelui trouvaisdesexcuses :ellen’étaitpasenlibertéconditionnelle ;cen’étaitpasellequiavaitmis ladroguedanslesgobelets;elle…Maisquipensais-jetromper?Brookeétaitaussiresponsablequelui.Laseuledifférenceétantquejel’aimais.
—Calebnevousposeraplusdeproblème,insistaTateenessayantdemeconvaincre.Commejetel’aidit,jevaisluiparler.Putain,jel’aidéjàengueulédanslabagnoleenvenantjusqu’ici.Ilestpeut-êtreinstable,commetudis,etilluiarrivedesecomportercommeuncon,maisilm’écoutetoujours.Etilsaitquejen’hésiteraipasàluibotterlecul,s’illefaut.
—Elias?ditBrookedoucement.Repartonsaveceux.S’ilteplaît.Jesavaisquecen’étaitpaspourprofiterdeleurcompagnie,maisuniquementparcequ’elleavaittrop
peur de rentrer et de faire face aux conséquences de ses actes. Jem’apprêtais à refuser. J’avais déjàdécidéqueBrookeetmoirentrerionsenGéorgie.Cen’étaientpaslespromessesdeTatequiallaientmefairechangerd’avis.
Mais alors quelque chose se transforma sur le visage de Brooke, et elle me lâcha la main. Ellen’allaitpasrentreravecmoi.Jelecomprisrienqu’enlaregardant,endécouvrantl’expressionsolennellequ’elle arborait – si je décidais de repartir, elle resterait avec eux. Je ne pourrais en aucun cas lacontraindre.Jesavaisqu’ellenevoulaitsurtoutpasmequitterdenouveau,etquecelaluidéchireraitlecœurdelefaire,maiselleétaitparfaitementincapablederentrer.
Etmoi,jenevoulaisquelaprotéger.J’avaisd’oresetdéjàcapitulé,maisjevoulaisensavoirplussurTateavantdedonnermonaccord.—Qu’est-cequeçapeuttefaire,qu’onparteouqu’onreste?luidemandai-je.Ilsouritetrecrachaunnuagedefumée.—C’estjustequ’onsemarrebienavecvous.(Ildésignadelamainlavoiturequitenaitlacigarette.)
Jedoisreprendreleboulotdansunesemaineaprèsquasimentunmoisdevacances.Sijeneprenaispasmesjours,jelesperdais.Alorsj’enprofite.Et,putain,jem’éclate.JesuispayéàfairelateufdanstoutelaFloride.
Je ne me l’étais jamais imaginé travailler, et encore moins travailler si dur qu’il n’avaithabituellementpasletempsdeprendresescongés.Çam’enbouchaituncoin.Et,soudain,jemesentistoutpetit.J’étaislà,sansboulot,sansdomicile,deboutaumilieud’unparking,sansnullepartoùallerniaucunmoyend’atteindremadestination.J’avaisbossétoutemavie,depuis l’âgedeseizeans.J’aidaischaquemoismamèreàpayerlescoursesetlesfactures.Etàprésentjemesentaisaussidépourvuquececonnardquim’avaitpiquémabagnole.
Tatereprit:—Putain,mec,jepensaisqu’iln’yauraitquemoi,Jenetmonfrère.Etmaintenant,avecMissCamée
etGracelaSoufflettesurlabanquettearrière,j’aiparfoisunpeupeurdepéteruncâble.CommesilefaitqueJenmetabasseaumoinsunefoisparsemaineetqueCalebn’arrêtepasdedéconnernesuffisaitpas.Vousmefaitesl’effetd’uneboufféed’airfrais.
—Elletetabasse?fitminedes’étonnerBrooke.Tatebasculalatêteenarrièreetpartitd’ungrandrire.Puisilbalançasonmégotsurlebitume.—Enfin,jelalaissefaire…Çameplaît,etàelleaussi,mêmesielleditquenon.Çafonctionne.Ilhaussalesépaulesavantd’ajouter:—Alors, qu’est-ce que vous en dites ? Vous rentrez chez vous, ou vous restez encore une petite
semainepourm’éviterdedevenirdingueavantderemettremoncostardétouffant?Ilinclinapensivementlatêtedecôté.—Tubossesencostard?demandaBrookeenfronçantlessourcils.
Jedoisbienreconnaîtrequecetteinformationm’étonnaitautantqu’elle.Tatesouritàpleinesdents.—Ouais,malheureusement.JendescenditlavitredelaJeepetcria:—Bébé,dépêche!Tonvoyantd’essencevientdes’allumer!Tatenousadressacequidevaitêtresonregarddechienbattu,maisilavaitplusl’airespiègleetsûr
deluiqu’innocent.J’yréfléchisencoreuneseconde.Brookesemblaitretenirsonsouffleenattendantquejeprennema
décision.— D’accord, déclarai-je. (Leurs deux visages s’illuminèrent.) Mais sérieusement, mec, parle à
Caleb.Jesaisquec’esttonfrère,maiss’ilredéconnedelasorteetqueBrookeoumoinousretrouvonsimpliqués,jeneviendraipastedemanderl’autorisationdeluicasserlagueule.
—Marchéconclu.NousnousserrâmeslamainetprîmeslaroutedePanamaCity.
20
ELIAS
PANAMACITYFUTUNVÉRITABLETOURNANT.JEN’IMAginaispasqueleschosespussentempirerencore,mais,cesdernierstemps,chaquefoisquenouspensionstoucherlefond,nouscreusionsencore.Nousyétionsdepuisquatrejours,etlasemainedevacancesqu’ilrestaitàTatefutmystérieusementprolongée.
Toutcommençaledimanchesoir,quandilreçutuncoupdetéléphone.NousétionschezAdam,unamideCaleb.Apparemment,ilsétaientallésàlafacensemble.J’étaisaussisurprisqu’ilaitfaitdesétudesqued’apprendrequeson frère travaillait.Visiblement, il avaitdû laisser tomberaprèsce trucavec lafilledeMiamidontTatenousavaitvaguementparlé.
La maison d’Adam était située à plusieurs kilomètres de la plage. Cela m’arrangeait, car jecommençaisàenavoirmaclaquedecontemplerl’océanetdedevoirviderlesabledemeschaussures.
Mavillememanquait.Mêmesij’adoraisêtreavecBrooke,lesfêtesestivalesprèsdelarivièreoudeslacsduSudmemanquaient.Lepouletfritquepréparaitmamèrelevendredisoirmemanquait.Boireune bière dans le jardin d’un copain en écoutant les grillons et les grenouilles produire leur vacarmeétrangementapaisantdurant les longuesnuitsd’étémemanquait.Et les lucioles.Toujours les lucioles.Mais,cequimemanquaitleplus,c’étaitmaviepaisible,cellequim’envoyaitauboulotchaquematinetmeramenait lesoir,chezmoi,dansmonpropreappartement,oùjepouvaismevautrerdanslecanapé,mettrelespiedssurlatablebasseetregarderlatélé.CelleoùmonseulsouciétaitMitchell.Aumoins,soncasn’étaitpasdésespéré.Tandisquelasituationdanslaquellenousnoustrouvions,si.
Alors que j’étais assis sous le porche à l’arrière de la maison d’Adam, à Panama City, et quej’entendaisTates’emporterautéléphone, jem’imaginaischezmoi.Jemedemandais–commetous lesjours,àvraidire–quelleexistencejevivraissicettesoiréeàlarivièren’avaitjamaiseulieu.Jepensaisà la façon dontBrooke était revenue dansma vie ; comme tout était parfait, si conforme à ce que jem’étaisimaginé…Quelquepart,jenepouvaispasm’empêcherdeluienvouloird’avoirtout…détruit.Jemesentaiscoupabledepenserça,passeulementparceque j’étaisàmoitié responsable,maisaussiparce que je ne voulais pas nourrir de ressentiment à son égard. Je… D’accord, je commençais àcomprendre queBrooke,malgré tout l’amour que je lui portais,me gâchait la vie etm’entraînait trèségoïstementdanssachute.Etmafacultédepardons’étiolaitpetitàpetit.
C’étaitmafauteautantquelasienne,maisj’avaismaintesfoisessayédeluifaireentendreraison.Delaramenercheznous.Jesavaisquejen’auraisjamaisdûlalaisserpartirinitialement.Maisj’avaiseuunmoment de faiblesse, près du corps de Jana, avec une Brooke qui perdait les pédales, complètementdéboussolée,paniquéeetensouffrance.C’étaituneputaindeconneriedeprendrelafuiteavecelle.Jele
sais.Bordel, je le saismieuxquequiconque.Mais jenepouvaispas revenir enarrière.Aumieux, jepouvaisessayerderéparerlesdégâts.MaisBrookem’enempêchaitsystématiquement,etjecommençaisàluienvouloir.
—Écoute,mec,disaitTate,letéléphonevisséàl’oreille.Jevaisl’avoir,OK?Non…Non,écoute-moi.Jevaistel’apporterenpersonne.Jepeuxpartiràlapremièreheuredemain,fairel’ouverturedesbanques,etarriveràCorpusChristidanslasoirée.Ouais.C’estmonnumérodeportable.N’enparlepasàCaleb.Non,laisse-moiréglerça.(Ilhochaitlatêteimpatiemment,commes’illuitardaitderaccrocher.)Jesais,mec.Rends-moiservice,etoublie-le.
Quelqueshochementsdetêteetboutsdephrasesplustard,ilraccrocha.Jelevisserrerlesdentsenfaisantdisparaîtresontéléphonedanssonpoing.Jecrusqu’ilallaitlebalancercontrelepoteauenbétonquisoutenaitletoitduporche,maisilsecalmainextremis.
—Jesaisqueçanemeregardepas,Tate,maistuesencoreentraindelecouvrir?Çaavait l’airsérieux.
Ilselaissatomberlourdementdansunfauteuilenferforgé.Sonportablerebonditbruyammentsurlatableassortiequandill’ylâchasansdélicatesse.Ilsepassalesdeuxmainsdanslescheveuxetpoussaunlongsoupirexaspéré.
—Ettoi,pourquoitucontinuesàlacouvrir?Saquestionmepritdecourt.Jecroisque,pendantlongtemps,jefusincapabledebougerautrechose
quemesyeux.Cen’étaitpaslamanièredontill’avaitposée–ill’avaitfaitsanslamoindreamertume–,maislefaitqu’ill’aitposée.CarilensavaitdavantagesurBrookeetmoiquejel’avaissupposé.
—Peut-êtrequejemetrompesurtoutelaligne,poursuivit-il,ouquejeracontedelamerde,mais,àmonavis,tuferaisn’importequoipourcettefille,ajouta-t-ilenpointantundoigtversmoi.
—Sansdoute,admis-je.—Laquestionest:jusqu’oùirais-tu?Jemedétournaipouryréfléchir.Puisj’affrontaisonregardetrépondis:—Sansdouteaussiloinquetoipourtonfrère.Tateacquiesça,s’avachitdanssonsiègeenétendantlesjambesdevantlui,croisalesdoigtssurson
ventre.—Tuviensderépondreàtaquestion.Pourquoivousêtesencavale,touslesdeux?—Quit’aditqu’onétaitencavale?Ileutunfaiblesourireetsecoualatête.—Çasauteauxyeux.Mêmequandtabagnoleettoutesvosaffairesontétévolées–d’ailleurs,tun’as
jamaiscontactélapoliceàcesujet–,jenevousaipasvuspasserlemoindrecoupdefilenIndiana.Pasde«Salut,maman, tout roule», ni de«Yo, frangin, on a fait la teuf avec ce camémasochiste et sonconnarddefrère,maisonestencoreenvie».(Iléclataderire,puisagital’indexd’unairréprobateur.)Vousn’êtespasSDF–vousêtestropapprêtésetenbonnesantépourça.Alorsqu’est-cequevousavezfait,Elias?Ouplutôtqu’est-cequ’elleafait?
Jelevailementonetcontemplaifixementunelumièrebrillantdel’autrecôtédelarue.Tateseredressadanssonfauteuil,sepenchaversmoi,laissantpendresesmainsentresesgenoux.—Leprendspasmal,maistacopine,outafiancée,j’ensaisrien,estunnidàemmerdes.Cen’est
pasquejenel’aimepasnirien,jelatrouvegéniale,mais…ellemesembleinstable.J’eussoudainenviedeluicasserlagueule,maismaconsciencem’enempêcha.Jesavaisqu’iln’était
pasloindelavérité.Jeravalaidoncmacolèreetneréagispas.Ilserencognadanssonsiègeetcroisalesmainsderrièresanuque.—J’imagineque,parfois,desgensbienfontdestrucsmal,presquetoujoursparamour,dit-ilavant
departird’unrireléger.Mais,auboutducompte,est-cequec’estvraimentmal,oujustenécessaire?Plusjeleconnaissais,plusTatemesurprenait.Jemedemandaicommentilfaisaitpourconserverune
tellemainmisesursaviealorsqu’ilpassaitsontempsàfairelafête,maisjemerendiscomptequeluietmoin’étionspassidifférents.
—Ce n’est pas grave si vous ne voulez pas venir auTexas, dit-il.C’est sans doutemêmemieuxcommeça.Peut-êtrequ’Adamvousautoriseraàrestericijusqu’àmonretour.
Ilsemblayréfléchiruninstant,puisilajouta:—Enfin, jene saispaspourquoi tu la couvrais à l’origine,mais aujourd’hui tudois êtredans la
mêmemerdequ’elle.Qu’est-cequivientdesepasser?songeai-jeenregardantTatesanslevoir.Quelquesinstantsplustôt,j’étaispleinderessentimentetj’envisageaisdéjàmaconversationàvenir
avec Brooke. J’allais taper du poing sur la table et lui dire que je rentrais, et qu’elle allaitm’accompagnermêmesijedevaislatraînerparlapeauducou.EtvoilàquejedécouvraisqueTatesetrouvait exactementdans lamême situationquemoi avecCaleb, et que jen’étaispas seul àporter cefardeau.Jen’étaispasleseulàfairedeschosesstupidespourunepersonnequej’aimais.Peut-êtreavais-je inconsciemment transformé les paroles de Tate en conseil, parce qu’au fond de moi j’essayais detrouverune excuse à ceque j’avais fait et à ceque je continuais de faire. Je nedemandai pas àTatequelle action deCaleb justifiait ce voyage àCorpusChristi. Je nem’en sentais pas le droit, puisquej’avaisrefusédeluirévélerquoiquecesoitsurnous.Néanmoins,quandjelelaissaicesoir-là,jevoyaismonaveniravecBrookesousunautreangle.J’avaistoujoursconsciencequecequenousfaisionsétaitmal,maisj’espéraisdésespérémenttrouverunautremoyendenousentirer.Jenepouvaispaslalaisserallerenprison.Commel’avaitditTateausujetdesonfrère,ellenetiendraitpaslecouplà-dedans.
Dorénavant,jemefixaiscommemissiondeconsacrerlesquelquesjoursoùnousserionsséparésdeTateàessayerdetrouverunesolution.Iln’étaitplussimplementquestiondefuir.Désormais,mesactesavaientunsens.
Plus tarddans la soirée, aprèsqueTate etCaleb se furentdisputés longuementderrière lesportesfermées de la chambre d’amis, le seul accord qu’ils trouvèrent fut de renvoyer Johanna et Grace àNorfolk.Toutlemondedanslamaisonentenditleurconversation.
—Putain,Caleb !Pourquoi est-ce que je dois toujours te sortir de lamerde ?Tudoishuitmilledollarsàcetype.Qu’est-cequetuasfoutuavectoutcepognon,Caleb?Tusaisquoi?Jen’aimêmepasenviedelesavoir.
Uncoupsourdavaitrésonnédanstoutlecouloir.SansdoutelepoingdeTates’écrasantcontrelemurdelapièce.
—J’espèrequ’ilnevapastoutmebousiller,avaitdéclaréAdamdepuislecanapé.C’étaitungrandmaigreauxcheveuxchâtainclairetauxlunettesà lamonturenoirestyliséequi lui
conféraientdesairsd’intellectuelsirotantunlatte.—Onpartaupetitmatin,avaitreprisTated’untonquinesouffraitaucunecontestation.Jevaispayer
cegars,etjem’arrêtelà.C’estfini,petitfrère.Huitmilledollars,c’estàpeuprèstoutcequ’ilmerested’économies.
—Personnenet’ademandédemesortirdelà.—Etsijenelefaispas,quis’enchargera,Caleb?Papa?Tuluiasdéjàtoutpompé.Kyle?Putain,
frérot,s’ilserendcomptequejet’aide,c’estmoiquivaismefairedérouiller.Everly?NotrepetitesœurestducôtédeKyle,tusais.Tun’aspersonned’autrequemoi.
Puisilavaitajouté:—Pourquoi tu n’appelles pasmaman ? Parle-lui, demande-lui de ses nouvelles. Tu ne lui as pas
téléphonédepuisunan.Tusaisqu’elletelaisserareveniràlamaison.Tupeuxtesortirdecettemerde.Trouverunboulothonnêteetremettretaviesurdebonsrails.Peut-êtrequeCera…
—Net’aventurepassurceterrain-là,l’avaitavertiCaleb.Jet’interdisde…Unlongsilencelugubres’enétaitsuivi.—Jecroisqu’ilesttempsqueturenvoiesJohannaetGracechezelles,avaitdéclaréTate.Cen’est
pasunebonneidéedelesemmeneràCorpusChristi.—Ouais,ettesparasitesdecopains?—Jenesaispasencore,avaitréponduTate.Mais,pourl’instant,tunedoispenserqu’àtoietàcette
merdedanslaquelletunousasmis.Renvoie-leschezelles.—Jelesconduiraiàlagareroutièredèscesoir,avaitcédéCaleb.Enentendantça,GraceetBrookes’étaientregardéessilencieusementd’unboutàl’autredelapièce.
Ellessemblaientaussiabattuesl’unequel’autre.EtjedevinaisqueBrookes’efforçaitdesonmieuxdecacherlefaitqu’elleavaitlecœurbrisé.Çamerendaitmalade.Jedétestaisl’idéequelapersonnedontelleétaitlaplusprocheaprèsmoiallaitsortirdesaviequoiqu’iladvienne.
Une demi-heure après la fin de la dispute, alors que Tate retournait la maison et le jardin pourretrouversesclés,BrookeetGracesedirentaurevoir.
—Voilà mon téléphone, lui dit cette dernière en lui glissant dans la main une page demagazinedéchiréeavecunnumérogriffonnédessus.Appelle-moidèsqueturentresenIndiana.Jeviendraipeut-êtreterendrevisite.
Ellessetombèrentdanslesbrasl’unedel’autre.—Dèsquejerécupèreunportable,jetepasseuncoupdefil,luiassuraBrooke.Jelasavaisauborddeslarmes.Ellesneseconnaissaientpasdepuislongtemps,maisellesavaient
tissédesliensforts,alorsqueBrookeavaittoujourseudumalàsefairedesamis.Aprèsmoi,Lissaavaitétésameilleurecopineengrandissant,etelles’étaitrévéléemoinsprochequeprévu.Tandisquejelesregardaissedireaurevoir,jeregrettaisamèrementquelasituationnesoitpasautre,qu’ellesnesesoientpasrencontréesendemeilleurescirconstances.Carjesavaisque,dèsqueGracefranchiraitcetteporte,ellesnesereverraientplusjamais.
21
ELIAS
CALEBCONDUISITGRACEETJOHANNAÀLAGAREroutière.Adamsortitdeladouchevêtud’unshortnoir,uneserviettepasséeautourducou.—PuisqueCalebn’aurapasdecopinecettenuit,iln’auraqu’àcouchersurlecanapé,déclara-t-ilen
sefrictionnantlescheveux.(Puisilnousdésigna,Brookeetmoi.)Vouspouvezdormirdanslebureau.Lelitd’appointyest très confortable. (Il s’arrêta juste avantde retournerdans le couloir.)Mais, àvotreplace,jechangeraislesdraps.
Enfin une bonne nouvelle. Je nem’imaginais pas passer une autre nuit pelotonné avecBrooke surl’étroitcanapé.
Adamdisparutdanssachambreàlamêmeheurequechaquesoir.Tateavaitreprissaplacesousleporche.Nousjugionstousplusraisonnabledenepasledérangerjusqu’àcequ’ilaitréglésesaffairesavec Caleb. Sauf Jen, bien sûr, qui était dehors avec lui à essayer de le calmer.Même si elle avaitsuffisammentdebonsenspournepasjouersonrôlehabitueldedureàcuirequandilétaitdanscetétat.
J’enviaissecrètementlarelationsiforte,bienquechaotique,quilesunissait.J’avais enviedeme retrouver seul avecBrookepourquelque temps. Jeme levai et la pris par la
main.—Tuveuxallertepromener?Ellemesourit.Unsouriresidouxetinnocentquejemesentisencorepluscoupableduressentiment
quej’éprouvais.—Jetesuis,accepta-t-elleenselaissantguider.Noussortîmesde lamaisonetarpentâmes la rueunbonmoment,puisnous traversâmes leparking
attenant à un terrain de base-ball.Deux réverbères près du grillage en interdisant l’accès jetaient unelueursinistresurlaterreetleslignesblanches.Nousnousfaufilâmesàtraverslaporterestéeentrouverteprèsdel’undesabrisdetouche,dépassâmeslemonticuledulanceuretallâmesnousposerdansl’herbe.
—JesuisdésoléqueGraceaitdûpartir,luidis-je.Elles’allongeaalorspourcontemplerleciel.D’épaisnuagesdissimulaientcomplètementlesétoiles.
Jerestaiassis,lesgenouxramenésdevantmoi.J’arrachaiquelquesbrinsd’herbeetlesfisroulerentremesdoigts.
—Ouais,réponditBrookeavectristesse.Mais,aumoins,tuesencorelà.Jeluisouris.Depetitsmorceauxd’herbetombèrentdemesdoigtsetfurentemportésparlevent.—TateestvraimentfurieuxaprèsCaleb,commentai-je.
—Ouais.Carrément.Unnouveausilences’installa.J’arrachaidenouveauxbrinsd’herbeprèsdemachaussure.—Elias?—Ouais?—Pourquoitum’asfaitvenirici?J’essayaide trouver lemoyende luiexpliquer, toutenm’efforçantdemeconvaincrequec’était la
choseàfaire.Ellemetouchalebras.Jebaissailesyeuxverselleetluisourislégèrement.—Elias?redemanda-t-elleavecpatience.—Jevaisteservirdetémoin,dis-jealors.Elleseredressasubitement,l’airhagard.—Qu’est-cequetuveuxdire?Ellesavaitparfaitementoùjevoulaisenvenir.—Jeleurdiraiquej’étaislàquandças’estpassé.(Ellesecouaitdéjàlatêtepourm’endissuader.)
Personnenepourraprouverlecontraire.Jediraiauxflics,àunjury,àn’importequid’autrequej’aitoutvuetquec’étaitunaccident.
—Non,répondit-elleavecfermeté.Jenetelaisseraipasfaireça.—Jenetedemandepasl’autorisation,répliquai-je.Jetémoignerai.Elleseleva,croisalesbrasetmetournaledos.—Brooke?—Non!rétorqua-t-elleenfaisantbrusquementvolte-face.J’aiditnon!Ellelaissasesbrasretomberlelongdesoncorps.Elleavaitlestraitsdéformésparl’inquiétudeetla
colère.—Et s’ils te demandent de passer au détecteur demensonges ?Ouqu’ils nousmettent dans deux
sallesd’interrogatoiredifférentes–cequ’ilsnemanquerontdetoutefaçonpasdefaire–etquel’undenous dérape et se trompe ? (Sa voix gagna en intensité.) Bon Dieu, Elias ! Un tout petit détail, siinsignifiantqu’ilsoit,suffiraitànousfaireplongertouslesdeux.Mêmetoi.Ilssontforméspourrepérercegenredebobard.C’estleurboulotdenouspiéger!
Jememisdeboutdevantelle.—Onaencoredutempspourmettreaupointnotreversion.Quelquechosedesimpleetdedirect.
Inutiled’inclureunemultitudededétails.Ilsuffitdeleurdonnerlesgrandeslignes,etdes’ytenir.—Non.Pasquestion.Elleseremitdosàmoi.—Ilfautbienqu’onfassequelquechose,plaidai-je.Onnepeutpascontinueràfuiréternellement,
Brooke.Ilsfinironttôtoutardparnouschoper.Etplusnotrecavales’éternisera,plusonaggraveranotrecas.
Ellerefusaitdemerépondreoudemeregarder.Jel’observaitandisqu’ellebaissaitlatêteentresesépaulescrispées,recroisaitfermementlesbrasdevantelle.
—Danscecas,jediraiquec’étaitmoi,ajoutai-je.Mêmesans levoir, jesavaisquesonvisageétaitdésormaisaussi tenduque le restedesoncorps.
Puisellerelevalementonetpivotalentement.Jenel’avaisencorejamaisvuesiébahie.Elletenditsoudainlesdeuxmainsetmebousculaviolemment,sansparveniràmefairetomber.Puis
ellem’attrapaparlesépaulesetmesecoua.—Nedisplusjamaisça.Tum’entends,Elias?Plusjamais!Jemecontentaidelaconsidérersansciller,m’efforçantderesterimperturbablemalgrésonaccèsde
rage.Jedevaisimpérativementconservermoncalme,carilfallaitqu’undenousaumoinsgardelatêtefroide,etelleenétaitàl’évidenceincapable.
Jetentaideluiprendrelevisageencoupeentremesmains,maisellemerepoussa.—Jen’arrivepasàcroirequetuaiessuggéréça!s’exclama-t-elle.—Quejel’aiesuggéré,ouquejesoisprêtàlefaire?—Peuimporte.Jenetelaisseraipasplongeràmaplace.Ellesemitàfairelescentpas.—Jenepeuxpasplongeràtaplace,maistuesprêteàm’entraînerdanstachute?Elle se figea. Je savais quemes paroles lui feraientmal,mais elle devait les entendre.Car elles
reflétaientprécisémentlefonddemapensée.—Çanefaitpourtantpasunegrandedifférence,Brooklyn.—C’étaitça,lebutdelamanœuvre?Demontrerquetuavaisraison?—Raisonsurquoi?Elle secoua la tête, consternée. Elle ne savait que répondre. Peut-être ne comprenait-elle pas sa
proprequestion,maisforceétaitdereconnaîtrequej’avaisdumalaveclamienne.Est-cequejeviensdeluireprocherouvertementquelquechose?Nevoulantpasqu’elleaitcesentiment,jelaprisdansmesbrasetluiembrassailesommetducrâne.—Tunevaspasmentirpourmoiendisantque tuétais là,et tunevaspasnonplusplongeràma
place.—Alorsqu’est-cequejefaisiciavectoi?demandai-jecalmement.J’avaisconsciencequesarésolutionétaitinébranlable.—Tunedevraispeut-êtrepasêtrelà,repartit-elle.Jesavaisquesesmotsavaientdépassésapensée.Ellerestadansmesbrassanstenterdeselibérer.Detoutefaçon,jenel’auraispaslaisséefaire.—Est-cequec’estcequetuveux,Elias?Partir?(Ellepoussaunsoupiretappuyasajouecontre
montorse.)Sioui,jecomprendrai.Ilyavaitunelégèrepointededouleurdanssavoix,maisdeladouleurquandmême.Mêmesiellene
cherchaitpasàmefaireculpabiliser,cefutmalgrétoutl’effetobtenu.—Ehbien,jenetelaisseraipasseule,répondis-je.Maisilfautqu’ondécidequoifaire.Sortirtous
les soirset suivreTatepartoutneva rien résoudre.Encorequelques jours.C’est tout,Brooke. Ilnousrestequelquesjourspournousdécider.Au-delàdecedélai,onrentreensembleetjetesersdetémoin.
—Tunepeuxpasfaireça.—Sionnetrouvepasd’autresolution,jeleferai.Jeposaimesmainssursesbrasetreculaid’unpas,scrutantsonvisagecontrarié.—Promets-le-moi,dis-je.Sionnetrouveriend’autre,tumelaisserasaumoinsteservirdetémoin.—Etsijementais?Tuleferaisquandmême?Celamepritaudépourvu.—Jesaisquetunemenspas.—Commenttulesais?—Parcequejetefaisconfiance.Etparcequejeteconnais.Elledétournalesyeux,maispasparcequ’elledissimulaitquelquechose.—Promets-le-moi.Ellene réponditpas immédiatement. Je savaisqu’ellen’enavaitpasenvie.Elle finit toutefoispar
accepter.—Trèsbien,dis-jeavantdel’enlacerdenouveau.
Nousrestâmesunmomentsilencieux.J’avaislesentimentque,malgrésonaccord,lemomentvenu,sijamaisilvenaitunjour,elleétaitsusceptibledechangerd’avis.
Ellerepartitalorssurtoutautrechose:—Elias,qu’est-cequisepasseentreCalebetTate?Tucroisqueceseranotredernièreétapeavec
eux ? Je doute qu’Adam nous laisse rester après le départ deCaleb. Et, de toute façon, çame feraitbizarre.
Ouais,àmoiaussi,songeai-je.—JevaisparleràTate,déclarai-je. Jevais luidemanderdenousaiderencorequelques joursau
maximum.Letempsdenousretourner.Brookenesemblaitpasconvaincue.—Ouais,maistul’asentendudiscuteravecCaleb.Ilsn’ontpasrenvoyéGraceetJohannachezelles
sansunebonneraison.—Jesais,admis-je.Commeelleavaitraisonsurtoutelaligne,iln’yavaitrienàajouter.Letonnerregrondaetlesépaisnuagessombress’illuminèrentauloin,révélantlacimedesarbresqui
semblaient peints contre le fondnoir qui les entourait.Les branches qui s’élevaient vers le firmamentinfinisemblèrentparticulièrementmenaçantessousl’éclair.
Jereçusunegouttedepluie.Puisuneautre.—Tuparlesd’unepromenade,bougonnaBrooke.Soudain,leciels’ouvritetilsemitàpleuvoiràverse.Brookepoussaunhurlementstridentetessaya
de s’abriter sous ses bras avant d’éclater de rire. Enmoins de cinq secondes, nous étions tous deuxtrempés comme des soupes. La pluie tombait si vite et si dru que nous devions crier pour nous faireentendre;chaquegoutteprovoquaitunmilliond’éclatsdepoussièresurleterraindebase-ball.
—Cen’estpastoutàcôté!m’exclamai-je.Brookesemità tournoyer telleuneballerine.Lesbras levés, levisageorientévers leciel,ellese
laissaitdoucherparleséléments.Elleouvritlaboucheetcontinuadetournersansrelâche.Jel’observaiquelques instants, fasciné par son insouciance. Je revoyais cette petite fille rencontrée il y avait silongtemps,quicouraitàtraverschampssanssesoucierdumondealentour.Lespectaclemefitsourire,même si, au fond, cela me faisait un mal de chien. Je savais qu’elle ne retrouverait jamais pareillecandeur,quenousneconnaîtrionsplusl’insouciancedel’enfance.
—Danseavecmoi!s’écria-t-elle.—Quoi?—Danseavecmoi!J’avaisbienentendu,sanscomprendrepourquoiici,pourquoimaintenant.—Iln’yapasdemusique!répondis-je.Ellemesaisitlamain.— Quoi, tu ne l’entends pas ?! s’étonna-t-elle en m’indiquant le crépitement de la pluie et le
grondementdutonnerre.Ellesemitàtournerautourdemoi,tandisquejerestaisplantécommeunpiquet,mecontentantdela
suivredesyeux;puisellemesaisitlesdeuxpoignetsetm’entraînadanssaronde.Bientôt,nousdansionsenfacel’undel’autre,penchésenarrière,seulementretenusparnotreélanetparlepoidsdel’autre.Jemesentisd’abordcommeunidiot,etespéraisecrètementqueTate–ou,pis,Caleb–nenousespionnaitpas,mais jemeperdis bien vite dans le rire deBrooke, dans son sourire, dans sesmagnifiques yeuxbleus.Letonnerregagnaitenintensité,leséclairssemultipliaient.JecommençaisàcraindrequeledoigtdeDieuneviennesubitementnousfaucheraubeaumilieudeceterraindebase-ball,mais,làencore,mes
angoissesnedurèrentpas.Nousétionsredevenuscesdeuxenfantsinnocents,vivantuneviedelibertéetd’amour.Etmêmeunéclairneviendraitpasgâchercemoment.Iln’oseraitpas.
Je m’arrêtai de tournoyer, la fis volter sur place, puis basculer en arrière. Je me penchai pourl’embrasser entre les seins, là où la pluie collait son tee-shirt blanc à sa peau. Je traçai un sillon debaisers jusqu’à soncou,puism’attaquaià ses lèvrescharnuescouvertesdegouttelettes.Lapluienousruisselait sur le visage, s’insinuait dans notre bouche. Nous nous dévisageâmes longuement, et il metardaitde lagoûter.Detoutes lesmanièrespossibles.Delécherchaquecentimètrecarrédesoncorps.Mais,pourl’heure,jemecontentaideseslèvres.
Jelaredressaietplongeaimonregarddanslesien,lamaintenanttoujoursparlataille.Ellemesourit,decesouriremerveilleuxetlumineuxquinemanquaitjamaisdem’enfairefleurirunsurleslèvres.Jel’étudiai avecadoration tandisquedesgouttes s’accrochaient à ses cils avantdeglisser sur ses jouespourvenirscintillersurseslèvres.J’auraistoutdonnépourresterfigééternellementavecelledanscetinstant,oublieuxdumondealentouretdesévénementsàvenir.
Jelasoulevaidusoletl’embrassaiprofondément,savourantlecontactdesalanguesurlamienne.Parfaite.Magnifique.Elleauraitbeauessayerdetoutessesforces,jamaisellen’arriveraitàchanger
l’imagequejemefaisaisd’elle.Nous finîmes par nous arracher l’un à l’autre, à court d’haleine.Et, sans nous laisser le temps de
reprendrenotresouffle,nouscourûmesjusqu’à lamaisonetdisparûmesdans lebureauoùnousallionspasser lanuit. J’entrepris immédiatementde ladéshabiller, ôtant leshabitsdétrempésqui lui faisaientcommeunesecondepeau.Çan’allaitpasassezviteàmongoût,et jedécollaiàpeinemes lèvresdessiennesletempsdememettretoutnu.
Je lamis à quatrepattes sur le lit d’appoint etmepositionnai immédiatement derrière elle. Jemepenchaienavant,letorsecontresondos,etluifistournerlatêtepourretrouversabouche.
Encore épuisés à cause de notre course et des efforts qu’il nous avait fallu déployer pour nousdéshabiller,nousavionsdumalàparler:
—Tuterappellescequetum’asdit?chuchotai-jecontresajoue.Jepositionnaimavergeérigéecontresesfessesetluiléchailanuqueenm’allongeantsurelle.—Qu’est-cequej’aidit?demanda-t-elleentredeuxhalètements,sanscesserdecherchermabouche.Jemeplaquaidenouveaucontreelle,etsentissoncorpsfrémiretsecouvrirdechairdepoule.Jeluimordislalèvreinférieure.—Quejepouvaistefairetoutcequejeveux.Lesimplefaitdel’imaginerfaisaitpalpitermonsexedouloureusement.—O-oui,bredouilla-t-elle.Ellelevalamainpourlaplongerdansmescheveux.—Tulepensais?—Oui.Cettefois,ellepoussaungémissementquandjem’appuyaiplusfermementcontreelle.Ellesavaitce
quej’attendaisd’elle,quejedésiraisl’explorercommejenel’avaisencorejamaisfait.—Elias…,commença-t-elledoucement,prudemment.Jeluiembrassail’omoplate.—Oui,machérie?répondis-jesurlemêmeton.Ellehésitauninstant.—Je…jenel’aiencorejamaisfaitdecettemanière.Cela nem’aurait pas dérangé. Cet instant avec elle auraitmalgré tout été unique.Mais le fait de
savoirquec’étaitsapremièrefoism’excitaautantquecelameravit.
—Jevaisyallerdoucement,dis-jeavecunsourireaffectueux.Jetelepromets.—D’accord,répondit-elleavecunhochementdetête.Savoixétaittendreetconsentante.Jemeredressaidesondoset retirai lecoussinqu’elleavait sous la joue. Ilétait imbibéd’eaude
pluie. Je ne pouvaism’empêcher de reluquer son cul, la courbure lisse et parfaite de ses fesses danslesquellesjevoulaisenfouirmesdoigtsetquejesouhaitaisgifleràquelquesreprises,afindelesfairerosir. Je me concentrai néanmoins d’abord sur son confort, et l’aidai à positionner l’oreiller soussonventre.
Jepristoutmontemps,pourqu’ellesoitaussidétendueetmouilléequepossible,afinqueladouleursoit moindre. Elle geignit quand j’introduisis mon deuxième doigt en elle, et elle se contracta autourd’eux.J’embrassailonguementsacolonnevertébrale,remontantjusqu’àsonoreille.
—Dis-moid’arrêtersituchangesd’avis,chuchotai-jeavantdeluimordillerlelobe,toutenfaisantdoucementalleretvenirmesdoigtsdanssonanus.Jeneveuxpastefairemal.
Unsouffleincertainfranchissaitseslèvreset,commeelleneditpasnon,jeretiraimesdoigtspourpositionnermon gland contre l’orifice. Elle avala une grande goulée d’air, serrant les poings sur lesdraps.Jem’introduisisunpeuplusloin,ettoutsoncorpssecontractasouslemien.
—Ouh,ouh,ouh…,gémit-elledoucement.Jem’arrêtai.Ses lèvres tremblaient, ses doigts blanchissaient autour des draps. La joue contre lematelas, elle
entrouvritlaboucheetsonsoufflesefitplusbruyant.—Jepeuxm’arrêter,machérie,luidis-jedoucement,tenantabsolumentàluifairesavoirquejene
seraispasdéçu.—Non,non,continue,gémit-elle.—Maissiçatefaitmal…,répondis-je,inquiet.Elledonnauncoupdeculdansmadirection,faisantpénétrermabiteunpeuplusprofondément.Elle
poussaunnouveaugeignementetsescuissessedurcirentenuninstant.Jelavisglisserunemainentresesjambes.
—Non,murmurai-jeenl’écartant.Laisse-moifaire.À petits gestes circulaires de l’index et du majeur, je me mis à lui masser le clitoris, la sentant
s’ouvrir de plus en plus à moi, m’abandonnant chaque partie de son corps. Et comme elle ne medemandaittoujourspasd’arrêter,jem’enfonçaiunpeuplusenelle.BonDieu,elleétaittellementétroite,serefermaitsifortsurmoiquej’enavaisdesfrissonspartout.Jerejetailatêteenarrière,incapablederetenirunsonrauqueetpuissant.
Ilnemefallutpaslongtempspouratteindreunorgasmeincroyable.Unrâleplusfortencoreretentitdansmacagethoraciquequandjemeretiraietm’écroulaisursondos.Brookes’affalaàplatventre,etjeroulaidecôtépournepasl’écraser.Jeluiembrassailedos,lesépaules,lajoue.J’écartaidesanuquesescheveuxmouillésetdéposaiunbaiseràcetendroit.Puisjelafisdélicatementpivotersurledospourgoûtersaclavicule,sagorge,sesseins.
Latêteinclinéedecôté,ellemesourit.—Qu’est-cequ’ilya?demandai-je,dissimulantmonimpatience.Jebrûlaisdesavoirpourquoiellesouriaitdelasorte.Elletenditlamaindroitepourlaporteràmonvisage.Ellefitglissersonindexsurl’arêtedemonnez,
puislereversdesesdoigtssurmajoue.—Jesuisjusteheureuse,répondit-elle.Quoiqu’ilsepassedehors.Ouquoiquinousattende.Àcet
instant,jesuisheureuse.
Jeluisourisenretouretprissamainpourlaposersurmapoitrine.—Parcontre,çavamedemanderunpetittempsd’adaptation,répondit-elled’untonamusé.—Tuaseumal?demandai-je,m’inquiétantdesavoirsielleavaitendurécettedouleuruniquement
pourmesatisfaire.Enfin,jemedoutequeçadoitfairemal,mais…Ellesecoualatête.—Unpeu,maisçam’aplu.Jelaissaiéchapperunpetitsoupirdesoulagementavantdecontemplerleplafond.—Mais…,commença-t-elle.(Jetournailatêtepourlaregarder.)Jedoutedepouvoirprendremon
piedcommeça.Unsourirehonteuxs’étirasurmonvisageetjepartisd’unpetitrire.Puisjeroulaidecôté,attirantson
corpsnucontrelemien.Jeluiembrassail’épauleavantdeglissermatêtecontrelasienne.—J’aicompris,déclarai-jeenapprochantmamaindesacuisse.Jeluiécartailesjambesetpristoutmontempspourlacaresserjusqu’àl’extase.Lesoleilfiltraitparl’intersticeentrelesrideauxdubureau.JemerappelaiqueTateavaitprévude
partir juste après l’ouverture des banques, et quand je vis à l’horlogemurale qu’il était déjà presquemidi,celaachevademeréveiller.
JesecouaidoucementBrookeparl’épaule.—Brooke,mabelle,lève-toi.JecraignaisqueTatesoitdéjàparti.Endehorsdelatélédusalon,jen’entendaispasunbruitdansla
maison.Je m’habillai en hâte. Brooke m’imita, encore tout endormie. Elle avait les paupières lourdes en
attachantmachinalementsonsoutien-gorgeetenenfilantsontee-shirt.—J’espèrequ’ilestencorelà,dis-je.Brookemesuivithorsdubureau.TateetJenétaientbeletbienlà.AinsiqueCaleb.Adamaussi,et
tousavaientlesyeuxrivéssurletéléviseur.Brookeetmoinousarrêtâmesnet,derrièrelecanapé,endécouvrantnosvisagessurl’écran.Jeme
saisisdesamain.Elletremblait.
22
ELIAS
« La voiture d’Elias Kline a été retrouvée abandonnée hier soir sur Luther Road, près de lacasernedepompiersducomtédeCharlotte.LuietBrooklynBatessontrecherchéspourinterrogatoiredanslecadredel’enquêteconcernantlamortdeJanaMcIntyre,dontlecorpssansvieaétéretrouvéprèsdelarivièreOcoee,enGéorgie,lemoisdernier.Selonlesautoritéscompétentes…»
LESCOMMENTAIRESSUIVANTSDUJOURNALISTEdisparurentdanslesméandresdemonesprit.TousquatreseretournèrentversBrookeetmoidansunmêmemouvement,lesyeuxécarquillés,aussi
muets de stupeur quenous.Les ongles deBrooke s’enfoncèrent dansmapaume, et je sentis son cœurbattredansmamain.Oupeut-êtrequ’ils’agissaitdumien.
—C’étaitunaccident,lâchaBrooke.—Putaindemerde,vousêtesrecherchéspourmeurtre?s’exclamaJen.Elleétaitcomplètementtournéeversnous,lesgenouxcontrelescoussinsdudossier.Jen’arrivaispas
àsavoirsielleétaitperturbéeoufascinée.—C’estpouruninterrogatoire,paspourunecondamnation,lacorrigeaTate.—J’enétaissûr,réponditCalebavecundemi-sourire.Enfin,jenepensaispasvraimentquec’étaitle
cas.C’étaituneblague.Bordel.Maisj’aiquandmêmegagnémonpari.(Iltenditlamainverssonfrère.)Aboulelefric,frangin.
—Déduis-ledecequetumedevrasquandonrentreradeCorpusChristi.(Tatenenousquittapasdesyeuxunseulinstant.)Qu’est-cequis’estpassé?medemanda-t-il.
—Commel’aditBrooke,c’étaitunaccident.—Danscecas,pourquoivousavezfui?intervintCaleb.Brookefonditenlarmes.Jelaprisdansmesbras.—On a fui parce qu’on pensait que personne ne nous croirait, répondis-je enmaintenant sa tête
contremontorse.C’étaitdelalégitimedéfense.Maislafilleareculétroploin,avantdetrébucheretdetomber.
—Tomberoù?s’enquitAdam.Ilsemblaitplusnerveuxquelesautres,laboucheentrouverte,lesyeuxlégèrementrévulsés.—Dansunravin.Verslarivière.C’étaitunaccident.Tateselevapours’approcherdemoi.Brookecontinuaitdesanglotercontremontee-shirt.—Etqu’est-cequetucomptesfaire,mec?
Ilsemblaitsincèrementinquiet,pasdutoutaccusateuroudégoûté,contrairementàcequejecraignais.Peut-êtrecomprenait-illasituationmieuxqueprévu,étantdonnétouteslesmerdesdeCalebqu’ilavaitàgérer.
—Sérieux.Jenesuispaslàpourtejuger,mais,putain,tusaisqu’ilsvontfinirparvouschoper.Je le vis jeter un coup d’œil vers Brooke. Il savait qu’elle était responsable de tout ceci. Il me
considéraaveccompassion.Jemedemandaiàquoiilpensaitvraiment,maisj’estimaipréférabledenepasledécouvrir.Carcequejesoupçonnaisnemeplaisaitguère.
—Onnesaitpasencore,répondis-je.Brookeétaitincapabledeparler.Elleselibérademonétreinteetseréfugiadanslebureau,oùelle
s’enferma.Jevouluslasuivre,maispréféraid’abordaplanirleschosesavecTateetlesautres.Jemetournaiverslui.—Mieuxvautcouperlesponts,suggéraCalebderrièrelui.Onadéjàassezd’emmerdesàrégler.Tateluijetauncoupd’œil.—Ouais,t’asraison,répliqua-t-ild’untonlourddereproches.Desemmerdesdanslesquellestunous
asplongés.Jet’aime,petitfrère,maistueslemoinsbienplacépourparler,danscettepièce.JeremerciaiintérieurementTatepourcettediatribe.—Çame faitchierde le reconnaître, reprit-il ens’adressantàmoi,mais iln’estpas loind’avoir
raison.—Jesais,admis-je.Et jenem’attendspasàcequetucontinuesànousaider.Àtaplace, jenele
feraispas.—Etalors,qu’est-cequevousallezfaire?s’inquiétaJen.—Pasresterici,entoutcas,intervintAdam,deplusenplusnerveux.Etjesuisdésolé,maisplustôt
vousquitterezleslieux,mieuxjemeporterai.Cen’estpaspourêtreméchant,mais…Jelevailamainpourl’interrompre.—Non,Adam,tuasraison.Sansrancune.Jelesobservaitouràtour.—J’espèresimplementquevousnouscroyezquandonvousditquec’étaitunaccident.Onneferait
jamaisuntrucpareilvolontairement,mêmesionétaitfousderage.—Tun’arrêtespasdedire«on»,mecoupaJen.ElleselevapourallerseposterprèsdeTate.J’acquiesçai.—Ouais,euh…—Ilsétaienttouslesdeuxprésents,expliquaTate.Je découvris une lueur d’avertissement dans ses prunelles. Il me couvrait, ce qui m’étonna
considérablement.—C’estBrookequiétaitimpliquéedirectement,maisEliasatoutvu,c’estdonc«leur»accident.Je
diraispareil,àsaplace.Ilhaussalesépaules.Jeleremerciaid’unregard.—Tuétaisaucourant?s’étonnaJen.—Non,réponditTate.Simplesupposition.Jemetrompe?demanda-t-ilensetournantversmoi.—Non.—Écoute,reprit-il.Jevousaideraisbienàrepartir,maismesdernièreséconomiesvontpartirdans
leFonddeLibérationdeCaleb…Jesecouailatêteetagitailamainensignederefus.
—Non, de toute façon, on n’accepterait pas.Tu nous as déjà suffisamment aidés en nous laissanttraîneravecvouscesdernièressemaines.J’aidel’argentenbanque,etjecomptebientoutterembourserjusqu’auderniercent.J’aisimplementeupeurdemeservirdemacarte.(Jeprisuneprofondeinspirationetcontemplailesoluncourtinstant.)Brookeetmoinouslaissonstroisjourspourtrouverunesolutionourentrer.
—Qu’est-cequevouspourriezfaired’autrequevousrendre?demandaJen.C’étaitunequestionlégitime.—Jenesaispas,avouai-je.Vraimentpas.Jevaispeut-êtretéléphoneràmonpèrepourluidemander
denoustrouverunbonavocat.Maisje…nesaisvraimentpas.C’était la plus stricte vérité. Évidemment, je pouvais retourner enGéorgie et dire que j’avais été
témoindel’accident,mais,àpartça,lesidéessemblaientrésoluesàmefuir.LapartiedemoiquivoulaitfairetoutcequiétaitenmonpouvoirpouraiderBrookeserefusaitàcroirequ’iln’yaitpasdemeilleuresolution.Jem’entenaisdoncàmarègledestroisjours.Enespérantqu’uneidéemiraculeusemefrappesubitement.C’étaitpeuvraisemblable,maispossible.
TateplongealamaindanslesacdeJenetensortitunpaquetdecigarettes.Iltapotadudoigtlefonddupaquet,etuneclopeenjaillitparl’ouverture.Illapritentreseslèvresetl’alluma.Ilfumaittrop.
—Merde,Tate,tempêtaAdam.Pasdanslamaison.—Oh,merde,désolé,dit-ilensedirigeantverslaportequidonnaitsurleporche.D’unmouvementdetête,ilmefitsignedelesuivre.PuisilditàJen:—Préparenosaffaires,d’accord?Jenevoudraispasqueturatestonavion.JesortisàlasuitedeTate.—Oùest-cequ’elleva?demandai-je.—JeluiaiachetéunbilletpourMiami,répondit-ilavantdetirerunelonguetaffe.(Ils’assitsurla
rambardeenbéton.)Ellecommenceunnouveauboulotdansdeuxjours.Detoutefaçon,ellenevoulaitpasm’accompagnerauTexas.Etjenel’auraispaslaisséefaire.
C’était sansdoutepour celaqu’il n’était pasparti debonmatin commeprévu : il voulait attendrequ’elleprennesonavion.
—EtpourquoitunediraispasàCalebdebalancerlacamequ’ilasurlui?Vouspourriezprendrel’avionjusqu’auTexas.Çafaitunetrotte,jusqu’àCorpusChristi.
Tatefittombersescendresdanslejardin.Ilprittoutsontempspourrépondre,etjecomprisqueleschosesn’étaientpasaussisimples.
— Je suppose que, puisque tu ne représentes plus unemenace pour Caleb, étant donné que tu esencoreplusdanslamerdequelui,jepeuxt’avouerqu’ilesttoujoursenlibertéconditionnelleetqu’iln’apasledroitdequitterlaFloride.Ilretourneraitdirectemententaules’ilsserendaientcomptequ’ilétaitenVirginie.C’estsurtoutpourçaqu’onnesedéplacequ’enbagnole.
—Merde,etqu’est-cequ’ilafait?—Ilapriscinqanspourviol.Iln’enafaitquedeux,etilestenconditionnellepourcinqdeplus.Jeclignaidespaupières.—Ilavioléunefille?Je n’arrivais pas à y croire.Caleb était certes un connard,mais je ne l’aurais jamais cru capable
d’unechosepareille.Tatesecoualatête.—Ilnel’apasviolée.Etavantquetunemedisesquejelesoutiensparcequ’ilestmonfrère,jesais
qu’ilnel’apasfait,j’ensuissûretcertain.Cetteputel’aavouéàunecopinedemasœur,Everly.Elleareconnu avoirmenti uniquement pour se venger deCaleb. (Il secoua de nouveau la tête et grinça des
dents.) Calebm’a tout raconté. Il vivait unemauvaise passe avec sa copine, Cera. Il s’est bourré lagueuleunsoir,ilarencontrécettenanaàunefêteet,defilenaiguille,ilafiniparlabaiser.Ils’estsentimalpendantdesjoursaprèsça.IlaimaitCera.Etdonc,quandiladitàcettefillequecen’étaitqu’uncoupd’unsoir,ellen’aapparemmentpasapprécié.MonfrèreétaitfidèleàCera.(Ilmemontradudoigtcommepouraccentuersonpropos.)Çaneluiressemblepeut-êtrepas,d’êtrefidèle,maisill’aimait.Ilvoulait l’épouser. Et cette salope a pété un câble parce qu’il a refusé d’admettre qu’ils étaient«ensemble»(il traçadesguillemetsdanslevide),etdoncelleacriéauviol.Ellel’aregrettéunpeuplustard,maiselleavaitalorstroppeurdedirelavérité,carc’estellequiauraitétéaccusée.
Ilsehissasurlarambardeetlaissapendresesjambesdel’autrecôté.—Tuasrépétécequetuavaisentendu?—Biensûrqueoui,justeaprèsl’avoirpriseentrequatre-z-yeux.C’estlaseulefoisquej’aivraiment
faillicognerunefille. (Tatesoufflade lafuméepar lesnarines.)Je l’aidità l’avocatdeCalebetauxflics,etj’aiessayédefairetémoignerladésormaisex-copinedemasœur,maiselleanié.
Unefoisencore,Tatesecoualatête,unemouedésabuséesurlevisage,commesi,silongtempsaprès,iln’arrivaittoujourspasàycroire.
—Bref,conclut-il,Calebaétécondamnéetafaitunepartiedesontemps.Sacopinel’alargué,alorsqu’ilsétaientensembledepuiscinqans,etçaafoutusavieenl’air.Detoutefaçon,unecondamnationpourviolsignepresquetoujourstonarrêtdemort,quetusoiscoupableounon.Depuis,Calebn’estpluslemême.Ilestsortideprisoncomplètementtransformé.Jenelereconnaissaisplus,etj’aitoujoursdumalàlereconnaîtreaujourd’hui.Quandjeleregardedanslesyeux,jenevoisplusmonpetitfrère,etjenepensepasquejeleretrouveraiunjour.
J’imaginaialorsBrookefaireunséjourencabane.—Tupensesquec’estlataulequil’abouleversé?m’enquis-je.—Nan, répondit-il en fronçant le nez. Il n’y est pas resté si longtemps. Je crois que c’est surtout
l’accumulation. Le fait d’avoir perdu Cera. D’avoir été condamné pour un crime qu’il n’avait pascommis.D’avoireuaffaireàunebandede trouducsà sa sortie.Certainespersonnesauraientadoré lelapiderenpleinerue.Ilaperdusonboulotetlaplupartdesesamis,quileprenaientpourunvioleur.Cegenredetrucpeutvraimenttebousillerlecerveau.
Jem’adossai au poteau en béton et croisai les bras. Je n’arrivais pas àme sortir de l’esprit desimagesdeBrookedanslatenueorangedesprisonniers.Et,aprèsavoirentendulecalvairequ’avaitsubiCaleb, j’étaisplusrésoluque jamaisà fairemonpossiblepourqu’ellenemettepasunorteilen taule.Soudain,j’étaisterrifiépourelle.Lesystèmes’étaittrompéavecCalebRoth.Jesavaisaufonddemoiqu’ilpourraittrèsbiensetromperaussiavecBrooke.
Elleavaitraisondepuisledébut.Raisond’êtreeffrayée.Elleavaiteutortdefuir,maissescraintesétaiententièrementjustifiées.
—VenezavecnousauTexas,mesuggéraTate.Profitezdelabagnole,letempsderéfléchiràcequevous voulez faire. (Puis ilme désigna brièvement du doigt.)Mais si tu veuxmon conseil, il vaudraitmieuxlaconvaincredeserendre.
J’étaisperdu,etjesaisqueçadevaitsevoirsurmonvisage.Aprèsl’injusticequeCalebavaitvécue,jepensaisqueTatecomprendraitqueBrookerisquaitlamêmemésaventure.
—Ellepensequ’ilesttroptardpourça,répondis-je.Etjenepeuxpasluidonnertort.—Peut-être,admit-il,maisonparled’uncrimesérieux.Dansuneaffaired’homicide,volontaireou
involontaire,onnepeutpassimplementattendrequeçasetasse.Pluslongtempsvousfuirez,plusilsvoustraqueront,etplusvousparaîtrezcoupables.
—Ouais,jesais.Crois-moi,j’enaiconscience.Jen’arrêtepasd’ypenserdepuisqu’onaquittéla
Géorgie.Jenouvrit laporteduporche, ses longscheveuxblonds tombant autourde sesyeuxécarquillésde
peur.—Elias,jecroisquetudevraisrentrer.Tacopines’estenferméedanslasalledebains.Craignantlepire,etsachantdequoiBrookeétaitcapable,jemeprécipitaiàl’intérieur.
23
ELIAS
JEFRAPPAIDUREMENTSURLAPORTEDELASALLEdebains.—Brooke?Jel’entendaissangloter,mais,commeellenemerépondaitpas, jefrappaiderechefenrépétantson
nom.JenetTatearrivèrentderrièremoi,maisj’étaissioccupéàessayerdeluifaireouvrirquejeneleuraccordai aucune attention. J’essayais de tourner la poignée dans les deux sens, sachant pertinemmentqu’elleétaitbloquée,maisespérantainsifairesauterleverrou.
—Brooke,ouvre-moi,machérie.S’ilteplaît.Moncœurmebattaitdanslagorge.—Jel’aientenduepleurerenpassantdevant,m’expliquaJen.Jemesuisarrêtéepourluidemandersi
toutallaitbien,maisellen’apasrépondu.Jenesaispaspourquoi,maisçam’afaitflipper.—Brooke!Ouvrecetteputaindeporte!Jetambourinaisdésormaisdupoing.—Écarte-toi,meditAdamd’untonparfaitementcalme,commes’ilmaîtrisaitlasituation.JefisunpasdecôtéetAdamintroduisitun trombonetordudans laserrure. Ilyeutundéclicet la
porte s’ouvrit. Adam s’effaça pourme laisser passer, et jeme précipitai à l’intérieur sans perdre uninstant.Brookeétaitassisesurlesolprèsdulavabo,ledoscolléaumur.Satêtereposaitsursesgenoux,relevésdevantelle.Ellebasculaitd’avantenarrière,tremblantcommeunefeuille,lesbrascroiséssurlapoitrine.Jel’examinaid’aborddeloin,craignantdem’approcher.
Iln’yavaitpasdesang.Enconstatantcetteabsenced’écarlate,unevaguedesoulagementdéferlasurmoi.Aussitôtremplacéeparunressacdeculpabilité,carellem’avaitpromisdenejamaisrecommencer.Jeneluifaisaispasassezconfiance.
Jem’assisàcôtéd’elleetmeretournaiverslesautres,restésdansl’embrasuredelaporte.—Laissons-lestranquilles,décidaTateensaisissantlapoignée.Avantdefermerlaporte,ilajoutanéanmoins:—Sansvouloirvouspresser,surtoutdansunmomentpareil,ilfautquandmêmequ’onpartedansun
quartd’heuresionveutqueJenpuisseprendresonavion.Jehochailatêteetilachevadetirerlebattant.JemeconcentraiimmédiatementsurBrooke.Apposantlesdeuxmainssursesjoues,j’essayaidela
forcer à redresser la tête. Elle commença par résister,mais je parvins à nouer un contact visuel. Sonvisageétaitstriédecouluresdumascaranoirqu’elleavaitempruntéàJen.Jeluiprislesmains,glissant
pourcefairelesmiennesentresescuissesetsapoitrine,maisellemerepoussa.Sescheveuxnoirsluiretombèrentdevantlesépaules,lesdissimulantdavantage.
—Pourquoiest-cequetulescaches?Lenœudquej’avaisàl’estomacseresserra.—Elias…Savoixétaitdouceetimplorante.Ellenevoulaitpasquejelesvoie.Jecontractailesmâchoiressifortquej’eneusmalauxdents,etjel’attrapaiparunpoignet,sentantle
chanvredesesbraceletsm’érafler lesdoigts.Jem’attendaisà lesdécouvrirhumidesdesang,mais ilsétaientsecs.Ellemehurladessusetrejetaviolemmentlecorpsenarrière,secognantaccidentellementl’arrièreducrânesurlemur.Jen’étaistoutefoispasprèsdelalâcher.Sesprunellesétaientfurieusesetsuppliantes.
—Arrête,Elias,s’ilteplaît!—Non!Qu’est-cequetumecaches?!Jeluitordislespoignetssansménagementetécartailesbraceletsduboutdesdoigtsafindevoirsa
peau.Toujourspasde sangnide coupures. Je regardai l’autre, apparemmentdans lemêmeétat.Maisalorsquejel’examinaiunpeumieux,lalumièreduplafondsuccédaàl’ombreprojetéeparmoncorps,etjevisl’intérieurdesonbrasrougeetirrité.Desstriesrougescommençaientjustesouslanaissancedupouceetseprolongeaientjusqu’aumilieudel’avant-bras.
Desmarquesdegriffures.Jemefigeai,laserrantsifortqu’ellenepouvaitplusbouger.—C’estquoi,cettemerde?Elleagitalatête,accélérantleruissellementdeseslarmesjusqu’àsonmenton.Jelasecouaisifortqu’ellesecognadenouveauaumur.—Putain,c’estquoicettemerde,Brooke?luibeuglai-jeauvisage.—Cen’estpasça!répliqua-t-ellesurlemêmeton.Cen’estpascequetupenses!Safigureétaitdéforméeparladouleur.—Alorsexplique-moicequec’est!Jemerappelaialorsqu’ellem’enavaitdéjàparlé,quesamèrel’avaitretrouvéedanscetétat,que
c’étaitcequil’avaitmotivéeàl’envoyerchezunpsy.Maisjedevaisensavoirplus.Elleallaitdevoirtoutmedire,carnousnebougerionspasdelàavantquemacuriositésoitsatisfaite.
Ellesemitàsetortillersifortqu’ellerisquaitdesebriserlesossijenelalâchaispas,jelalibéraidonc.
—Pars.Rentreàlamaison,Elias.Parpitié,rentre.Sa voix était étrangement douce et distante, comme si chaque parcelle de son être avait fini par
capituler.Elleappuyadenouveausonfrontcontresesgenoux,serrantcettefoissesjambesdanssesbras.—Non.Jenesortiraipasd’icitantquetunem’auraspasexpliqué.Elleredressabrusquementlementon.—Etsijeteledis,turentres?—Non.—Alorslaissetomber.Jevaisquittercetendroit,Elias.PasavecTate,niquiquecesoitd’autre.Je
parsd’icitouteseule.Sontonétaitferme,déterminé.—Dequoiest-cequetuparles?
Ellemefaisaitpeur.Sespoignets.Cetteexplosiondedésespoiretdedouleurvenantdenullepartetm’aveuglant.Ellerecommençaàhocherlatêtedanstouslessens,fuyantàtoutprixmonregard.C’étaitinsupportable. Je me mis en position accroupie, les phalanges appuyées au linoléum. Elle refusaittoujours de me voir, et j’avais cessé d’espérer. Était-elle sérieuse ? Prévoyait-elle vraiment de mequitter?
Moncœurseserra.Jesavaisquejenepouvaispaslalaisser.Detoutefaçon,jenel’auraispasfait,maismêmesijel’avaisvoulu,j’enauraisétéincapable.
—Jen’essayaispasdemesuicider,m’assura-t-elled’unevoixcalme.Je…C’estjusteuntrucquejefaisparfois.
—Qu’est-cequetufais,aujuste?Jenecomprenaispasuntraîtremotdecequ’ellemeracontait.—Jelefaisdepuisquejesuisado.Riendegrave.C’estjusteunmoyendemesoulager.Jen’essayais
pasdemetuer.Jet’aiditquej’étaistropfortepourça,aujourd’hui.Ellefinitparreleverlesyeux,etsonexpressionétaitsinistreetrésolue.Elleenavaitmarred’êtrequi
elleétait,marredesecacherdemoi,d’elle-même,marredeprétendreêtreuneautrepersonne,carellesavait qu’elle ne correspondait pas aux critères de ce que la société jugeait normal. Je le compris enscrutantsesprunelles.
Elleétaitfatiguée.—Jetrouveaucontrairequet’enfoncerlesonglesdanslespoignetsn’estpasbénindutout,Brooke.—Venantdetoi,çanem’étonnepas.Elleétaitd’uncalmeinquiétant,etseslarmesavaientdéjàcommencéàsécher.Ellerenifla.—Qu’est-cequec’estcensévouloirdire?demandai-je.Ellehésitaunlongmoment,perduedanslacontemplationdulavabo.—Tunepeuxpascomprendre.—Essaiequandmême.—Vousditestoujoursça.—Jene suispas comme les autres,déclarai-je.Tu saisque je suis la seulepersonneaumondeà
t’aimerplusquetout.Jetedéfendsdememettredanslemêmepanierqu’eux.Jenesuispascommeeux.Jeneleseraijamais.
Sagorgesecontracta,commesielleravalaitdenouvelleslarmesmenaçantdejaillir.Finalement,elledéclara:—Parfois, la tristessesembleêtre juste là, sousmapeau.Presqueensurface. Jedétestequandça
arrive,car j’ai l’impressionqu’ellemeprovoque. Jesaisque jenepeuxpas l’atteindre. J’aibeaumegrifferetmelacérer(savoixsemitàchevroter,sesyeuxàs’emplirdelarmesderage),jenepeuxpasl’enextraire.Jenepeuxpas,carjedevraismefairedumalpouryparvenir.Pourtantj’essaiesifort…
Jem’assisdenouveaudevantelleetluisaisisdélicatementlesavant-bras,appuyantlégèrementmespoucescontresapeaufragile.
—Raconte-moi.Jeveuxtoutsavoir.Savoircequeturessens.Savoircommenttupeuxchassercettesensation.Àquellefréquenceellerevient.J’aibesoindesavoirtoutça,machérie.
Elleravaladenouvelleslarmesetreniflaencore.—Çan’arriveplus trèssouvent,beaucoupmoinsquequand j’étaisado.Etça finitpardisparaître
quandj’aiassezpleuré.(Elleeutunrirecassant.)Enfin,j’essaieencoredel’arracheràcoupsd’ongles,maisçanefonctionnejamais.Çarevientsanscesse.Etchaquefois,jem’attaqued’abordauxpoignets.
Elleplantesesyeuxdanslesmiens.—Elias,jen’essayaispasdemefairedumal.Justedemelibérer.
Je lacroyais. Jen’arrivaispasàmefigurerprécisémentcequ’elleéprouvait,mais,d’unecertainemanière, je comprenais. Je ne pouvais pasm’imaginer vivre comme ça. J’essayais dememettre à saplace,d’envisagerlesévénementsdesonexistence,maiscelamedémangeaitsouslapeau.Jelatrouvaisplus forte que je ne le serais jamais, car je n’aurais jamais pu gérer une chose si sombre, si étrange,quasimentdepuislanaissance.Jesavaisquej’enauraisétéincapable.
—Elias,jevoudraisqueturentres.Sontonétaitcalme,mêmesilesentimentd’abandonétaitévidentdanssesyeux.J’avaiséténaïfdecroirequ’ellen’enparleraitplus.Jesecouailatête.—Tusaisquejeneleferaipas.—Écoute,cen’estpasunesorted’appelausecours,déclara-t-elleensepassantlesdeuxmainsdans
les cheveux, les écartant de son visage maculé de noir. Ce n’est pas comme si je te disais ça pourt’entendrerépondrequeturestes.Jesuissérieuse,Elias.Tudoisrentrer.Cen’estpastonproblème,etj’enaimarredetelefairesubir.
—Si,c’estmonproblème,répliquai-je.Quellesquesoientlesépreuvesquetutraverses,jeserailàpourlesaffronteravectoi.Toujours.
Elleabattitbruyammentlapaumedesesmainssurlesol.—Putain,Elias !Arrête !Tuméritesmieux que tout ce que je pourrai jamais t’apporter, et je ne
pourraijamaischanger.Jamais.Alorsarrêtedemeservirdegiletdesauvetageetva-t’en.J’aienviequetupartes.
—Peum’importeque tuenaiesenvie, rétorquai-je. Jene t’abandonneraipas. Je resterai avec toijusqu’aubout,quetuleveuillesounon.
Elle serra les dents et prit une longue inspiration furieuse. Elle me disait la vérité, quand elleaffirmait avoir envie que je parte. Comme elle l’avait dit, ce n’était pas du tout pourm’entendre luirépéterquejeresterais.Elleétaitdéterminéeàmepousseràpartir,etfâchéequejerefuse.Maisjem’enfoutais.
—Troisjours,déclarai-je.Tuétaisd’accordpourmelaissertroisjours.Jecomptesurtoipourtenirtaparole.
—Etdonctuvastecontenterdem’accompagnersurlaroutedenullepart?Toutlemondeiciestaucourantpournous.L’und’euxnevapastarderàappelerlesflics,etonvabientôtfinirentaule.(Ellerivafixementsonregardinflexibleaumien.)Etilesthorsdequestionquej’ailleentaule.Tucomprends?Jen’iraipas.
Safaçondedireça,ladéterminationinébranlablequiselisaitdanssesprunellesmerongèrentl’âme.Brookem’avaitrévélélaprésencedecettenoirceurenelle,cettenoirceurquilapoussaitàprendredemauvaisesdécisionsetquiluidictaittoujourssaconduitequandelleétaitaufonddutrou,cettenoirceurqui,ainsiquejeleredoutais,finiraitparlaprécipiterentrelesgriffesdelamort.MaBrooken’étaitpluscettepersonneassisedevantmoisurlesoldelasalledebains.Lafilleforte,courageuseetintrépidequiadorait rire et jouer sous la pluie avait disparu. Cette noirceur qui vivait sous sa peau et dont ellecherchait si fort à se débarrasser la contrôlait actuellement, encouragée par la fin imminente de notrehistoire,pardesévénementsquenulnepouvaitdésormaisplusempêcher.
Jen’iraipasentaule.Sesmotsrepassaientenboucledansmonesprit,etjesavaisqu’ellemourraitavantquecelaarrive.Brookemourraitavantd’échouerenprison.—Tum’aspromistroisjours.Ellemeconsidérafixement.Seslarmesnecoulaientplus.—Alorsvapourtroisjours,accepta-t-elle.Ilnousrestetroisjoursàpasserensemble.Etjeveuxen
profiteraumaximum.Sesmotsmelaissèrentcoi.Moncœur,quinebattaitplusquepourelle,s’écroula,emportantdanssa
chutemonâmeetmavoix.Nousn’avionsplusquetroisjours,etjesavaisqu’ilss’achèveraientsoitparuneséparation,soitdans
lamort.Etjen’étaispasprêtàaccepterl’unoul’autre.
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ELIAS
TATEETJENSEDIRENTAUREVOIRÀL’AÉROPORT.CETTEfois,elleavaittellementpeurpourluiqu’ellenousadressa,àBrookeetàmoi,unregardaccusateur.ElleinsistalourdementpourqueTateluitéléphoneà lamoindre occasion pour lui donner des nouvelles. Toutefois, ses craintes n’étaient pas uniquementduesànous.Elle redoutait égalementcequi risquaitd’arriveràCorpusChristi.Àsesyeux,Calebnevalaitpasmieuxquenous.
Jenétaitunefilleextra.Tateetelleallaienttrèsbienensemble.EtpluslarelationquejevivaisavecBrookedevenait difficile, plus je les enviais tous les deux. J’aurais tant aiméquenouspuissions êtrecommeeux.Libres.SiBrookevoulaitmetabasser,jel’auraislaisséefaireavecjoie.J’auraislaisséfairen’importequoipouraméliorercequenousavionsetquenoustraversions.
Nousprîmeslaroutepeuaprès13heuresetaboutîmesàBâton-Rouge,enLouisiane,vers19heures.Nousnousarrêtâmesdansunpetitmotelquandl’undespneusdeTateexplosa.Unbruitassourdissant,commeuncoupdefeu.
—Changelaroue,pendantquej’appelleRocky,dit-ilàsonfrère.—Pourquoituveuxl’appeler?s’étonnaCaleb.—Parcequ’onn’yseramanifestementpasàl’heureprévue,rétorquaTate.Calebfitletourdelavoiturepourdécrocherlarouedesecours.Tatecommençaparlouerdeuxchambres,etilmetenditunecléenressortantdel’accueil.—Jelemettraisurtonardoise,melança-t-ilavecunsourireencoin.—Àcombienelles’élève?demandai-jeenplaisantant.Aumoinshuitcentsdollars,jeparie.— Carrément plus, mec, tu oublies les intérêts, répliqua-t-il. (Son sourire s’élargit.) On fera les
comptesàlafin.—Çameva,dis-jetandisqu’ildisparaissaitdanssachambre,deuxportesplusloin.Chacunedonnaitsurl’extérieurplutôtquesurundédaledecouloirs.J’examinaimaclé–cen’était
pasunecartemagnétique,cequiendisaitlongsurl’âgedecetendroit.NotrechambreétaitsituéeàcôtédecelledeTateetCaleb.BrookefinitpardescendrelorsqueCalebluiditqu’ilavaitbesoindesouleverlavoiture.
—Jevaisprendreunedouche,annonçai-jeàBrooke.Tuveuxvenir?Sesyeuxseplissèrentenunlégersourire,etelleserrasesbrasautourd’ellecommeenproieàun
soudaincourantd’airfrais,alorsquelasoiréeétaitchaudeethumide.—J’iraiaprèstoi,répondit-elle.
Jesavaiscequ’ellefaisait.Ellecommençaitàprendresesdistances.Pourm’habituer.Mêmesicen’étaitpasàmesyeuxlemeilleurmoyendeprofiteràfonddestroisjoursquinousrestaient,jenetrouvaipaslecouragedemedisputeravecelleàcepropos.
JelalaissaidoncdehorsavecCaleb,tandisquecelui-cichangeaitlaroue.
BROOKE
JEN’AVAISPASENCORERÉVÉLÉÀELIASQUEJ’AVAIS surpris laconversationqu’ilavaiteueavecTatesurleporche.CellequiconcernaitCalebetsacondamnationpourviol.LebureaudanslequelEliasetmoiavionspassélanuitsetrouvaitjusteàcôté.Jelesavaisécoutésdepuislafenêtre.J’avaiségalemententenduTateconseilleràEliasdemeconvaincredemerendre.Ilavaitraisondeluidonnerceconseil,maisj’étaisalléetroploin.Iln’yavaitplusd’espoirderédemption.Etjedétestaisl’idéedetraînerdanslaboue la personneque j’aimais le plus aumonde.Mais il neme laisserait pas.Quoique je diseoufasse,Eliasnem’abandonneraitjamaisàmonsort.Jenel’enaimaisqueplus,mêmesijeluienvoulaiségalement.Jeluienvoulaiscarlefaitdesavoirquejegâchaissaviemefaisaitsouffrirdavantage.
Jem’assissurleblocdebétonanciennementjauneservantàmarquerl’emplacementlibreprèsdelaJeep.Calebs’activaitsurlecricpoursouleverlevéhicule.
—Jepeuxteposerunequestion?Ilsetournabrièvementversmoi.—Sijedisnon,tumelaposerasquandmême?—Sansdoute,admis-je.Jelevisleverlesyeuxaucielavantdeseremettreàl’ouvrage.—Àquoiressemblelavieenprison?Il cessa d’activer le levier pendant quelques secondes, mais ne me regarda pas. Quand il se
recommençaàpomper,ilrépondit:—Lavraieprisonouladétentionprovisoire?Ladétentionprovisoire,çavaàpeuprès.Laprison,
c’estuneautrehistoire.Pourquoi?(Ilmejetauncoupd’œilintrigué.)Tuaspeurdecequ’ilsteferontsurplace?
Mon cœurmanqua un battement. Il avait pris plaisir àme poser la question. Je ne le laissai pasm’atteindre.
—Oui,répondis-jeentoutehonnêteté.Jenecomptaistoujourspasmelaisserenfermer,maisjevoulaismalgrétoutsavoircommentc’était.Calebfournitunderniereffortpuisseredressa,essuyantdel’avant-braslasueurquiperlaitsurson
front.—Chezlesfemmes,jen’enaiaucuneidée,admit-il.Maisj’imaginequeçan’estpastrèsdifférent.
Lepeudetempsquej’aipasséderrièrelesbarreauxressemblaitassezàcequ’onpeutvoiràlatélé.Enmoins dur. Personne nem’a violé ni n’a fait demoi sa pute, même s’ils auraient peut-être essayé si
j’avaismontrémapeur.JecroisquejepeuxremercierTateetKylepourça.(Ilritbrièvement.)Ilsmecognaientrégulièrementdessusquandonétaitpetits.Çam’afaitdel’entraînement.Maisouais,jemesuisbattu,etjemesuisfaittabasserunefois,maisj’avaisdesamisàl’intérieur.Ilsveillaientsurmoi,commejeveillesureuxdepuisl’extérieur.
Jenecomprispasexactementcequ’ilentendaitparlà,maisilnesemblaitpaspromptàexpliciter.Jemedoutaistoutefoisquelesservicesqu’ilrendaitàses«amis»emprisonnésdevaientêtreillégaux.
—Est-cequetuastuécettefille?medemanda-t-il,lesyeuxdanslesyeux.—Pasvolontairement,répondis-je.Il hocha la tête puis alla chercher une croix dans le coffre. Il se pencha devant le pneu éclaté et
entrepritdedémonterlaroue.—Alorstuauraisdûallertrouverlesflics,dit-ilendonnantuntourdeclé.Tuasvraimentmerdéen
prenantlafuite.—Jesais,soupirai-je.Maisilesttroptardpourrevenirenarrière.Jecontemplaipensivement lanuit tombante, la façondont la lumièregris-bleuéclairait leparking.
L’horizonétaitroseetorange,tandisquelesoleilachevaitdedisparaîtrederrièrelesnuages.SiCalebn’avaitpasmâchésesmots,jesavaisqu’ilavaitcomplètementraison.
—Est-cequeCeraestvenuetevoirenprison?Ilsereleva,serrantlacléencroixdanssamainsaleetnoircie.Jemedoutaisquesonnomallaitle
faireréagir,maisjem’enfoutais.—Tudépasseslesbornes,m’avertit-il.—Alors?insistai-je.Ilmefusilladuregard.—C’estévidentquetul’aimesencore,déclarai-je,quitteàlemettreencoreplusencolère.Etjene
pensepasquetusoisunsaletype.Çat’arrivedetecomportercommeunconnard,surtoutaveclesnanas,maistun’espasméchant.Tun’asjustepaseudechance.Jeveuxsimplementsavoirsiellet’aimaitautantquel’inverse.
Unprofondsoupirluiéchappa.Ilbaissalatêteuninstant,commes’ildébattaitintérieurementdelaréponseàm’apporter.
Puisilvints’asseoiràcôtédemoi.Laclétombabruyammentsurl’asphaltequandillalâchaàcôtédesestennisnoires.Ilposalescoudessursesgenoux.J’observaidistraitementl’Asiatiquetatouéesursonbrasgauche.Puisnousconsidérâmes,ensemble,l’horizonauxcouleursdeplusenplussombres.
—Non,répondit-il.Ellen’estjamaisvenue.Pasmêmeunefois.J’aiétécondamnépourviol,etellen’ajamaiscruenmoninnocence.Maisjeneluienaipasvoulu.Etjeneluienveuxtoujourspas.
Jemetournaiverslui,maisilnemerenditpasmonregard.— J’imagine que ça doit être dur de faire confiance à une personne accusée de viol, déclarai-je.
Mais…jecroisquesiellet’aimaitvraiment,elleauraitsuquetun’étaispascoupable.Elleauraitdûlesentir.
—Ceram’aimait vraiment, déclara-t-il avec amertume.On ne passe pas cinq ans de sa vie à seréveiller heureuse à côté d’une personne, à lui parler toujours avec un sourire dans la voix, si on nel’aimepas.
J’acquiesçai.C’étaitindéniable.Puisilajouta:—Eliast’aime.Jeletrouveunpeutropsoumisàmongoût,maisilt’aime.Jefussurpriseparsasincérité.Ilrécupérasacroixavantdeserelever.
—Ouais,jepensequ’ilterendravisitequandtuserasentaule,affirma-t-il.(Celamedégrisadelapiredesmanières.)C’estcequetuvoulaissavoir,pasvrai?
Jenerépondispas,maisçan’étaitpasnécessaire.Ilentrepritdedévisserundeuxièmeécrou.—Ets’ilnelefaitpas,reprit-ilalors,çanevoudrapasdirequ’ilnet’aimepas,commedanslecas
deCera.Çavoudrasimplementdirequ’ilestperduetlégèrementeffrayé.C’esttout.Calebsementait,etilenavaitconscience.Ilfittournersacléplusbrusquement,bandantlesmuscles
àchaqueeffort.Jevoyaisuneveinesaillirsursatempe,sesmâchoiressecontracter.IlsavaitaufonddeluiqueCeranel’aimaitpeut-êtrepasautantqu’ill’avaitimaginé,maisils’échinaitàseconvaincreducontraire,jouraprèsjour.
—Tun’asriendemieuxàfaire?melança-t-ilenretirantenfinlepneuusé.Allertedoucheravectonfiancé.Regarderlatélé.Putain,j’ensaisrien,autrechosequedetraînerdehorsavecmoi.Àmoinsquetune veuilles remplacer Grace ? avança-t-il dans un sourire. Ça ne me poserait pas de problème det’asseoirsurlecapotetdetebrouterleminoujusqu’auleverdusoleil.
J’ouvrisdesyeuxrondscommedessoucoupes.Jedéglutisdouloureusement.Jemelevaietépoussetail’arrièredemonshort.
Entempsnormal,jemeseraissentieoutrée,maisCalebétaitinoffensif,etjesavaisquelesexeetsapersonnalitéextrêmeétaientsafaçondegérerleviragedésastreuxprisparsonexistence.Enfin,j’étaisconvaincuequ’ilétaitprêtàmettresamenaceàexécutionmêmesiEliasn’étaitqu’àquelquesmètresdelà,maisilrestaitinoffensif.Jemecontentaidesecouerlatêteenlevantlesyeuxauciel.
Ilmesourit,désignadumentonlachambreoùEliasétaitentréetajouta:—Fouslecampd’ici.Jerépondisàsonsourireetm’éloignai.Elias était toujours sous la douche quand je pénétrai dans la chambre, heureuse de constater qu’il
avaitpenséàlaisserlaporteentrebâilléepournepasm’enfermerdehors.Jemelaissai tombersurlelitetétudiaid’unairpensif letéléphoneterniparlafuméedecigarette
posésurlatabledechevet.Jedécrochailecombiné,leplaquaiàmonoreilleetcomposailenumérodemesparents.
—Allô?—Salut,maman.—BonDieu,Brooklyn,oùes-tu?mecria-t-elle.Jen’arrêtepasd’essayerdetejoindre.Tun’asplus
detéléphone?Lapolicetecherchepartout!Ilfautqueturentres.Toutdesuite.Oùes-tu?Onvavenirtechercher.Dis-moioùtues.
Jemedemandaissielleallaitfinirparreprendresonsouffle.—Peuimporteoùjesuis.Mamères’écartadutéléphonepourappelermonpère.—C’estBrooklyn.Non, non, je suis en train de lui parler.Attends. (Puis j’entendis sa voix plus
distinctement.)Commentça,peuimporteoùtues?Qu’est-cequetuasfait?Est-cequetoiouEliasavezquoiquecesoitàvoirdanslamortdecettefille?Dis-moilavérité.Tul’astuée,pasvrai?Commel’ontaffirméMitchelletl’autrefille.Tut’esbattueavecelle,ettul’aspousséedansceravinàcaused’EliasKline.C’estça?
Ellehurlaitdésormaislittéralementautéléphone.—C’estcequetupenses,hein?répondis-jecalmement.Pourtant,moncœursebrisaitunpeupluschaquefoisquemamèresous-entendaitquej’avaiscommis
cecrime,n’ayantaucuneespècedefoienmoi.
Monpèreluiarrachalecombinédesmains.Jel’entendissedisputeravecelle.—Brooklyn,c’estpapa.Dis-moioùtues,etjeviendraitechercher.—Pourquoi?—Parcequetudoisrentreretassumerlesconséquencesdetesactes.—Lesconséquencesdemesactes?l’imitai-jeenmemordantlalèvre.J-j’auraisdûmedouterque
vousm’accuseriez.—Onnet’accusederien,répliquasévèrementmonpère.Simplement…—Vousnem’accusezderien?Turigolesouquoi?Nimamannitoinem’avezdemandécomment
j’allais.Nis’ilpouvaits’agird’unaccident.—Ehbien,s’ils’agissaitd’unaccident,pourquoiaurais-tuprislafuite?s’enquit-il.—Parcequej’étaisstupideetmortedetrouille.—Brooklyn,cesontlescoupablesquis’enfuient.Moncœurtombaalorsenmiettes.J’eusenviedepleurer,maisjel’avaistantfaitquejen’avaisplus
delarmes.J’inspiraientremesdentsserrées,dressailementonetdéclarai:—Papa, jeveux justequemamanet toi sachiezque jevousaime très fort.Etdites àRianque je
l’aimeaussi.Jesaisque jen’aipasétéunebonnefilleetque jevousai faitsubir l’enfer,et j’ensuisdésolée.Tellementdésolée.Jesuisnavréeden’avoirpasétépluscommeRian.
—Mapuce,pourquoidis-tutoutesceschoses?Le tondemonpèreavait changé, commes’il commençait à redouter l’issuedecette conversation,
maisjen’allaispascraquermaintenant.—DissimplementàmamanetRianquejelesaime.—Brooklyn?Ilsemblaitdésormaissincèrementinquiet.Maisilétaittroptardpourça.Jeraccrochai.
ELIAS
JEM’IMMOBILISAIÀMI-CHEMINENTRELASALLEDEbainsetlachambre.—Qu’est-cequetufais?demandai-jeàBrooketandisqu’elleraccrochait.—Rien,affirma-t-elle.—Àquituparlais?—Àpersonne.Enfinsi,àmoi-même.Jerépétais.Jem’apprêtaisàtéléphoneràmesparents,et…et
peut-êtreàmasœur,maisj’aichangéd’avis.Jehochai la têteetmepassai la serviettederrière lanuque. J’avaisentendu toute saconversation,
maisellenevoulaitpasm’enparler,mieuxvalaitdoncquejefassecommesiderienn’était.Néanmoins, j’en avais la poitrine serrée. Son appel ressemblait à un adieu, un adieu demauvais
augure.Jerepensaisàcettetoileennoiretblancquisymbolisaitnotreviecommune,cellequisecoloraitun peu plus à chaque événement marquant et qui faisait de nous ce que nous étions. Cette toile étaitrécemmentdevenuesisombrequemêmeBoschn’auraitoséytoucher.
—Calebm’aproposédemeléchersurlecapotdelaJeep,déclara-t-elle.J’hésitaientresortirletabasserouresterplantélà,abasourdiparsonbrusquechangementd’humeur.Jedécidaifinalementd’allerluicasserlagueule.Jefisvolte-faceetmedirigeaiverslaporte,toutjustevêtud’unboxer,maisBrookemerattrapaenun
éclairetmesaisitparlataille.—Non,mechuchota-t-elleaucreuxde l’oreilleen refermant samainautourdemavirilité.Caleb
étaitdanssonrôle.Ilnelepensaitpasvraiment.Peum’importait.J’ouvrislaportemalgrétout,maisBrookelarepoussadelapaumedesamainlibre
etmeplaquacontrelemur.Ellesedépouilladesonhautetm’embrassaprofondémentsansmelâcherlabite,désormaisdurecommelapierre.Elleretiralaserviettehumidequipendaitautourdemoncou.Jeluitirai les cheveuxpour la forcer à basculer la tête en arrière et fis glissermamain jusqu’aumilieudesagorge.
—Qu’est-cequetuveuxmefaire?medemanda-t-elleenserrantmavergeunpeuplus.Ungrognementsourdm’échappa.Jeluimordislementon,puisintroduisismalanguedanssabouche.—Jeveuxlamêmechosequetoi,répondis-je,lesoufflecourt,enl’embrassantplusfortencore.Jerefermailesbrasautourdesondosetl’écrasaicontremoi.Ellesortitlamaindemonboxeretenfonçasesonglesdansmapeau.—Jeveuxlatotale,affirma-t-elle.
Monmembreseraiditdavantage.Jelaretournai,luiarrachaishortetculotte,etlaforçaiàs’agenouilleraumilieudulit.
BROOKE
QUAND ON SAIT QU’ON VA MOURIR BIENTÔT, TOUS LES compteurs sont remis à zéro. On devient lapersonnequ’onatoujoursrêvéd’être,cecitoyenintrépideetdésinhibéquisefoutéperdumentdecequelesautrespeuventpenser.Onaenviededireoufairetoutesceschosesqu’onn’ajamaisosédireoufaire.Onveutboireetsecameràs’enretournerlatête,sebattreavecunparfaitinconnujustepouravoirl’aird’unconnard,baiserjusqu’ànepluspouvoirmarcher.
Eliasme souleva le cul etm’enfonça levisagedans lematelas avantdem’écarter les jambesdesdeuxmains,m’exposanttoutentière.Ilintroduisitundoigtentremeslèvresinférieuresetjouaavecmonclitoris,mecaressant,meprovoquantetm’explorantjusqu’àcequejememordelalèvredefrustration.
—Baise-moi,gémis-je.S’ilteplaît,baise-moi.—Pasencore,répondit-il.Jesentisalorssonsouffleserapprocherdemachatte.Ungeignementm’échappaquandilmesuçota
leclitoavantdelemordillerdélicatement.Jetendisunemainentremesjambespourtouchersonvisage,sentirlesmouvementsdesamâchoire
tandisqu’ilmeléchait,maisilmepritlesdoigtsdanssaboucheetlestétaavantdemebloquerlesdeuxpoignetsderrièreledos.
—Nebougepas,m’ordonna-t-il.Il m’écarta plus grand les jambes et glissa sa langue dans ma moiteur. Je haletais, suffoquais,
geignais.Jevoulais levoir, le regarderme lécher,maisavec la joueenfoncéecontre lematelas, jenedistinguaisquemonculetsesjambes,genouxpliés,derrièremoi.Ilmelapaitrapidementetpuissamment,et je tendismonculvers lui. Il refermadenouveausabouchesurmonclitoris, si fortque je tentaidem’échapper,tantlasensationétaitintense.
—Jet’enprie,net’arrêtepas,lesuppliai-je.Ilcontinuadelapointedelalangueàjoueravecmonbouton,m’écartantleslèvresdesamainlibre.
Quand ilme lâcha lespoignets, jem’agrippai fermementauxdrapsau-dessusdema tête. Il introduisitdeuxdoigtsenmoi,etlesfitalleretvenirsanscesserdemelécher.Jeremontaienrampantverslatêtedelit.
—Oh,monDieu!Je fermai les paupières et m’accrochai à l’oreiller quand il replia ses doigts en moi, pour
m’empêcherd’avancerdavantage.Ilmemaintintenplace,meléchant,mesuçantetmebaisantavecsesdoigtsjusqu’àcequejemecontracteensentantl’orgasmearriver.
—Jevaisjouir,annonçai-je,lesoufflesaccadé.S’ilteplaît,net’arrêtepas.Ils’arrêta.—Non,jet’enprie,Elias,continue!J’avais enviedepleurer.Non, jepleuraisdéjà.Chaquepartiedemoncorps était ouverte à lui, le
désirant,selanguissantdelesentirmepénétrer.Maisj’avaisbesoindecetorgasme.Putain,j’enavaisvraimentbesoin.
Ilenfonçasabitelàoùjeladésirais,décuplantmonplaisir.Jehoquetaietrefermaidenouveaulespoings sur les draps. La surprenante intensité de sa pénétration me coupa le souffle. Des larmes meruisselaientsurlevisage.Deslarmesdedouleurémotionnelle.Decolère.Deculpabilité.Jevoulaislesévacuer, toutévacuer.Et,aulieudemegrifferlespoignetspourmesoulager, jevoulaisqu’Eliasfassetoutsortirenmebaisant.Lelitvintcognercontrelemurquandilmedonnaunpremiercoupdeboutoir.Sesdoigtspuissants s’enfoncèrent entremescuissesetmes fesses, afindem’ouvrir aumaximumpourqu’ilpuisseregarder.
J’avaistoujoursenviedevoir.Devoirlamêmechosequelui,sabitedurcieallantetvenantenmoi,luisantdemacyprine.Jesentisl’orgasmerevenirrapidement.Jevoulusleprévenir,luidirequej’étaisencoreunefoissurlepointdejouir,maisj’avaistroppeurqu’ilnes’arrêtedenouveau.
Jemefigeai.Jemetus.Etjecroisqu’ilsutquej’allaisatteindrel’extase,justementparcequej’étaissicalmeetimmobile.
—Dis-le,commanda-t-ilenpoursuivantsesva-et-vient.Dis-le,chérie.—Jevaisjouir,chuchotai-je.Il s’enfonçapuissammentet laissasonglandau fonddemoipendantquelquessecondes.Puis il se
retiraàmoitiéetrecommença.Jesentismesyeuxserévulser.—Oh,putain,Elias…situt’arrêtes,jetebute.Juré,jetebute!Ildisparutjusqu’àlagardeetrestaainsi,mepénétrantsiloinquejesentissaprésencejusqu’àmon
âme.Je haletai et frémis quand une explosion se déclencha dans mon ventre.Mes jambes se mirent à
trembler telle de la gelée, peinant à peine à me maintenir. Je me contractai autour de sa verge enjouissant,tandisquedeslarmesdesoulagementetdeplaisirm’inondaientlesjoues.
Ilgémitàsontouretseretirajusteavantdem’éjaculersurlesreins.Lapièceétaitparfaitementsilencieuse,endehorsdenosdeuxsouffleslourds.Il s’affala sur moi, la sueur de son torse se mêlant à celle de mon dos. Il m’embrassa entre les
omoplatesetjoignitlesmainssousmonventre.Jesentaissalanguealleretvenirlelongdemacolonnevertébrale. Il se redressa, puis traça un sillon de baisers jusqu’àmes cuisses.Des frissons glacésmetransperçaientlecorps.Ilm’embrassalesjambes,s’attardantaussilongtempssurchacune.
Jememissur ledos,et ilmechevaucha, lesmainsdechaquecôtédu lit,et remontasanspresquedécoller sa bouche. Le nombril. Le ventre. Le sternum. Puis, avec la même délicatesse et la mêmeattentiondontilavaitfaitpreuveavecmescuisses,ilm’embrassalesseins.
Jeprissonvisageencoupeentremesmainsetleguidaijusqu’àmeslèvres.Soncorpsnuglissaentremes jambes, et il m’embrassa avec tant de fougue que j’aurais voulu ne jamais rouvrir les yeux. Jevoulaismourirdanscelit,danscescirconstances,avecsoncorpssurlemien.S’ilavaitpumetuerainsi,jel’auraissuppliédelefaire.Maisjenevoulaispasgâcherl’instant.Carjesavaisaufonddemoiquenousnepartagerionsplusjamaisunetelleintimité.
Troisjours.Jeluiavaispromistroisjours,etj’avaislafermeintentiondetenirparole.Troisjours.
ELIAS
—JE T’AIME, BROOKE, CHUCHOTAI-JE, LE NEZ ENTRE ses seins. (J’avais envie d’entendre battre soncœur.)Jet’aimeplusquetunelesaurasjamais.
Ellerefermatendrementsesdoigtsdansmescheveux.—C’est-à-dire?s’enquit-elled’unevoixcalme.—C’est-à-dire que je ferais n’importe quoi pour toi, répondis-je. Simplement, tu n’as pas encore
comprislevéritablesensde«n’importequoi».—Çaviendrapeut-êtreunjour,murmura-t-elle.Jefermaidoucementlespaupières,retenantmeslarmes.—Jet’aimeaussi,Elias.Plusquetunelesaurasjamais.—C’est-à-dire?demandai-je.Jesentisseslèvressurmoncrâne.—C’est-à-direquejenetedemanderaijamaisdemeprouverton«n’importequoi».Nous nous endormîmes, les corps entremêlés, les battements de son cœurme berçant à un rythme
apaisant.
25
ELIAS
CALEB VIT MON POING ARRIVER, MAIS TROP TARD. J’entendis le craquement et sentis la douleur serépercuterdanslesosdemamainavantqu’ils’effondresurlecôtédelaJeep.
—Situt’avisesencoredefairedurentre-dedansàBrooke,lemenaçai-jeenlepointantdudoigt,tunet’enrelèveraspas!
—Elias!s’exclamaBrookeensortantdumotelencourant,lescheveuxencoremouillés.Chéri,s’ilteplaît!Jet’aiditqu’ilplaisantait!
Ellemetiradesdeuxmains,maisjenebougeaipasd’unpouce.EtCalebnesemblaitpasdécidéàmerendrelecoup.Ilsemassalamâchoired’unemainetmeconsidérad’unairinexpressif.
Tatesortitdesachambre,sedemandantcequisepassait.—Quelquechosemeditquetul’asmérité,petitfrère,déclara-t-ilennousobservanttouràtour.—Probablement,admitCalebensouriant.Jefaillislecognerdenouveauparprincipe,maisjelaissaiBrookem’attireràl’écart.Tatehochalatêteàmonintentionetdit:—Bon,ilfautqu’onreprennelaroute.Rockynousattendpour16heures.J’aienviedepasseràautre
chose.(IlsetournaversCaleb.)D’enfiniravectesconneries.Deuxheuresplustard,nousnousrapprochionsdelafrontièretexane.Tatemejetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.—Quandonysera,jevousdéposerai,Brookeettoi,dansunmagasinouunrestaurantquelconque.
Mieuxvautquevousneveniezpasavecnous.(IlsetournaversCaleb,surlesiègepassager,puisreportasonregardverslaroute.)Mieuxvautquetuneviennespasnonplus,d’ailleurs.
—Horsdequestion,Tate,répliquasonfrère.Jet’accompagne.—Écoute,jen’auraiqu’àentrer,donnerl’argentàRockyetressortirenmefrottantlesmains.Avec
toidanslesparages,ceneserasansdoutepasaussisimple.—Pasquestionquetuyaillesseul,tranchaCalebd’untonnesouffrantaucunecontestation.—Parcontre,çanetegênepasdemelaisserclaquertoutesmeséconomiespourtesauverlecul?
rétorquaTate.Caleblefusilladesyeux.— Eh, Tate a raison, intervins-je depuis la banquette arrière. Je ne connais pas les tenants et
aboutissants de l’histoire, mais j’ai ma petite idée. Caleb, je pense que tu ne ferais qu’envenimer la
situation.—Personne ne t’a demandé ton avis, aboya-t-il en pivotant versmoi. Tu feraismieux de balayer
devanttaporte.Souviens-toi:tuaslesflicsauxtrousses.Règletonaffairedefillemorte,etnevienspasfourrertonnezdanslesmiennes.
Çamefaisaitmaldel’admettre,maisiln’avaitpastort.Brookeetmoiavionsmisàprofitlerestedelanuitàenvisagertoutesnosoptions.Commeiln’yen
avaitaucunede tangible, laconversationavait tournécourt.Nousnousétionsalorscontentésde resterenlacésàcontemplerfixementleplafond.Jevoulaisqu’onnesoit jamaisséparés.Etjesentaisqu’ellepensait lamêmechose.Finalement,nosespritsavaient finipardivagueretnousavions recommencéàéchangerdessouvenirs.Nousavionsparlédenotreenfance,deschosesquinousmanquaient,decellesquinousplaisaient.Maisletempss’écoulaitdécidémenttropvite,etvoilàqueleprésentnousrattrapaitdéjà.Nousavionsessayéd’envisagerl’avenir,mais,làencore,lesidéesnousavaientmanqué.Puisnousavionsdenouveauscrutéleplafond,avantdenousendormir.Pointfinal.
Toutefois,Brookeétait changée.Ellen’étaitpluselle-mêmedepuisquenousétions tombés sur lesinfosàPanamaCity.Depuisquejel’avaisretrouvéesurlesoldelasalledebains.J’avaislasensationqu’ellen’essayaitplusdetrouverunesolution.Ellesemblaitdétendue,pasdutoutinquièteousurlequi-vive.Celameflanquaitunetrouillebleuesansquejesacheréellementpourquoi.
Nousnousarrêtâmesàunestation-servicepourfaireleplein.—Ilfautquej’aillefairepipi,medit-elleavantdedescendredelavoiture.Tatemetenditunbilletdevingtplié.—Çat’embêtedem’acheterunebouteilled’eauetunpaquetdegâteaux?Oh,ets’ilsvendentdela
bouffechaude,jeveuxbienunhot-dogouuntrucdanslegenre.—OK,répondis-je.Maindanslamain,Brookeetmoitraversâmesdoncleparkingendirectiondelaboutique.Àl’intérieur,jeluidésignaiunepancartedanslecoinopposé.—Lestoilettessontlà-bas.Ellesefaufilaàtraverslesclientspours’yrendre.Aprèsavoirmislamainsurtouslesproduitsque
m’avaitdemandésTate, jememisdanslafiled’attente.Brookerevintavantmonpassageencaisse,etrestaàmoncôtéjusqu’àcequejerègle.Puisellevoulutfeuilleterlesjournauxsurleprésentoirenmétal.Parchance,ellenetrouvaaucunarticlenousconcernant.
Nousreprîmeslaroute.—Jeterembourserai,frangin,ditCaleb.Ilsn’avaientcessédesedisputerdepuisquenousétionsremontésenvoiture,Tateénuméranttoutes
lesfoisoùilavaitdûmettrelamainauportefeuillepourtirersonfrèred’unmauvaispasdepuissasortiedeprison.Puis la conversationdévia sur leursparents et leur sœur, avantde revenir sur ceshistoiresd’argent.Brookeetmoinepipionsmotsurnotrebanquette,jusqu’àcequelesdeuxdel’avantsetaisent.Jelatenaistoutcontremoi,lebraspasséautourdesataille.
—Jesaisquetuastéléphonéàtesparents,dis-jeàvoixbasseenposantmajouesursoncrâne.—J’aieuunmauvaispressentiment,répondit-elle.—Tusais,peut-êtrequesi tu t’asseyaisaveceuxpouressayerdediscuter…,commençai-je.Leur
expliquerquituesvraiment,cequit’estarrivé.Lesaideràcomprendre.—Ilsneveulentpascomprendre.—Qu’est-cequitefaitcroireça?Jeluipressaidoucementlebras.—Elias,ilsm’ontlaisséetomberlejourdemesdix-huitans.Enfin,techniquement,ilsl’ontfaitbien
avant ça,mais, tant que je n’étais pasmajeure, ils devaient encore faire semblant dem’aider de leurmieux.Çasevoyait sur leurvisage.Dumoins,quand ilsacceptaientdeme regarderen face.Mais, laplupartdutemps,jen’étaisqu’unfantôme…(Ellereculalatêteafindepouvoirmevoir.)Endehorsdufaitquej’aimaisbienêtreavectoi,pourquoipenses-tuquej’étaistoujourscolléeàtesbasques?
Jeluiembrassailefrontetellerebaissalementon.Lessouvenirsdenotreadolescencesesuccédaient lentementdansma tête. J’avalaimasalive,pris
uneprofondeinspirationetl’étreignisdenouveauquandunescènemerevintenmémoire.— Je n’ai eu qu’un seul C, dit Brooke en venant me rejoindre dans le couloir de l’école, les
prunellespétillantd’excitation.Ellemeglissasonbulletinentrelesmains.—Enmaths,biensûr,précisa-t-elle.C’esttoujoursmieuxqueleDdesneufdernièressemaines.—C’estgénial,répondis-je.Jepeuxt’aideràréviser.Jetel’aidéjàproposé.Ellem’arrachalafeuilledesmainseteutunpetitsouriresatisfait.—Jepeuxmedébrouillertouteseule,rétorqua-t-elleavantdemedéposerunbaisersurlajoue.Et
puis,simesparentsdécouvrentquetum’aides,ilspenserontquejesuisbonneàrien.Elleportaituntee-shirtjaunevifavecunpersonnagededessinaniméauxcheveuxvioletsimprimé
surlerecto,unjeanàpattesd’éléphantetdestongsnoires.Seslongscheveuxbrunsétaientnouésenunequeue-de-cheval.
—Tuvienstoujours,cesoir?medemanda-t-elle.Je tapai ledernierchiffredemacombinaisonàcode,ouvrismoncasieret rangeaimes livresà
l’intérieur.—Etcomment,répondis-jeensouriant.J’apportelesmarshmallows.—Etlabière,chuchotaBrookeenmedonnantuncoupdehancheléger.J’écarquillai les yeux et lançai un coup d’œil alentour pour m’assurer que personne ne nous
écoutait.—Passi fort, laréprimandai-jed’un tonsévère.Etpuis, j’aiditque j’essaieraisd’enapporter
quelques-unes.Mamère n’a pas touché celles quema tante Janice a oubliées à lamaison lemoisdernier,maisj’aipeurqu’elleneserendecomptequ’ellesontdisparu.
Jeprismesaffairespourlecourssuivantetclaquailaportedemoncasier.— Je sais, je sais, murmura-t-elle. Prends-en au moins deux. Mitchell et Lissa n’auront qu’à se
débrouiller.LepèredeMitchellenatoujourschezlui.—Jesaispas,Brooke.Simamèreledécouvre,ellevametuer.Elleposalatêtesurmonépaule.—Essaie.Situnepeuxpas,cen’estpasgrave.Onauraaumoinslesmarshmallows.(Puiselleme
décochaun souriremalicieux.)Mais si on joue au jeude la bouteille, tu risquesdedevoir embrasserLissa,etjesuissûrequetuauraismoinsdemalàt’yrésoudreenayantbu.
Jemecrispaiintérieurement.—C’estnaze,lejeudelabouteille.Pluspersonnenejoueàça.—Etalors?Çavaêtredrôlequandmême.JeretrouvaiBrookeaprèsl’écoleet,commechaquejour,nousrentrâmesensembleparlecheminde
terremenantvers ledomainedeM.Parson.Brooke était aux angesgrâce à sesbonnesnotes.L’annéeprécédente, elle avait obtenu surtout desC et desD, et la déception de ses parents l’avait longtempsdémoralisée. Brooke était maligne, et même intelligente, mais elle n’arrivait pas à se concentrer à
l’école.Elleselassaitfacilementets’entendaitmalaveclaplupartdesprofesseurs,cequiluicausaitdestasd’ennuis.
—Ilsvontêtretellementfiersdemoi,dit-ellequandnousarrivâmesdevantsonallée.Ellemelâchalamainetajouta:—Tuveuxentreravecmoi,cettefois?Jesecouailatête.—Euh…nan.Tonpèrenem’aimepastrop.Onseretrouvedansquelquesheurespourfairecuirenos
marshmallows.Ellemerepritlamainetmetiraverschezelle.—Monpèredonnetoujoursl’impressionden’aimerpersonne,tempéra-t-elle.Je la laissai m’entraîner, même si je n’avais aucune envie d’entrer. Ses parents me considéraient
toujours d’unœil suspicieux, comme si j’étais possédé etméritais d’être exorcisé. Jem’étais souventfaufiléparsafenêtreaprèsquesesparentsétaientalléssecoucher,sansjamaismefaireprendre,maisj’avaischaquefoiseuunepeurbleue.
—Brooke,franchement,jepréfèrequ’onseretrouveplustard.Nous arrivâmesdevant la ported’entrée.Quelques insectes bourdonnaient autourde la lumièredu
porche.Unevieillebalancelleenboisétaitsuspendueauplafondd’uncôté,tandisquedeuxchaisesdejardinétaientplaquéescontrelemurdel’autre,séparéesparunepetite table.Delafuméedecigarettes’attardaitparesseusementdansl’air,commesiquelqu’unavaitpasséladernièreheureàfumerici.
Brooke tira sur la moustiquaire, qui pivota avec un grincement. Elle avait un sourire jusqu’auxoreilles. Je savais qu’elle voulait que je sois là quand elle montrerait son bulletin à ses parents. Etj’avaisenvied’êtrelàpourelle.
Nous pénétrâmes ensemble dans le salon. L’odeur de rôti braisé, de pommes de terre et d’ailemplissait lapièce,mefaisantgargouillerl’estomac.Ilfaisait toujoursunpeutropchaudchezBrooke.J’ignorais si sesparentsn’aimaient simplementpasallumer laclimatisation,ousic’étaitparcequesamèrecuisinaitbeaucoup,cequifaisaitfatalementmonterlatempératuredequelquesdegrés.Entoutcas,chaquefoisquej’entraischezeux,leseffluvesdebonspetitsplatsvenaientmechatouillerlesnarines.
Brookelaissatombersoncartablesurlesol;sonsourires’élargittandisqu’ellefaisaitletourdu
canapé,surlequelsesparentss’étaientinstalléspourregarderlatélé.Jerestaiplantésurplace,dansl’entrée,oùjemesentaisplusensécurité.
—Maman,papa,vousn’allezpasycroire,déclara-t-elleencommençantàdépliersonbulletin.—Croirequoi ?Que tun’aspas rangé ta chambrehier soir alorsque je te l’avais demandé?
repartitsamèreensedétournantdutéléviseur.LesouriredeBrookefaillits’effacer,maiselleétaittropexcitéeparsesnotesetneselaissapas
affecterparlecommentairematernel.—Jeteprometsd’allerlarangeraprèsvousavoirmontréça.Elleachevadedéplierlafeuilleetlatenditd’abordàsonpère.—Pourquoi tun’y vaspas toutde suite,Brooklyn? intervint-il d’un ton sévère, sansmême lui
accorderuncoupd’œil.C’est toujoursplustard,avectoi.Tuleferasplustard.Tuenparlerasplustard.Faiscequedit tamèreetvaranger tachambre.Toutdesuite.Eliaspeutrentrerchez lui : tun’iraspasfairegrillerdemarshmallowscesoir.Tuespunie.
Ellesedécomposa.Jem’enrendiscompte,mêmesielles’empressadeplaquerunnouveausouriresurseslèvresenessayantunefoisdeplusdeleurmontrersonbulletin.
—Papa,s’ilteplaît,regarded’abordmesnotes.(Elleluiglissalafeuillesouslenez.)Jen’aieu
qu’unseulC.Sinon,jen’aieuquedesB,etmêmeunAenartsplastiques.Sonpèreluiarrachalebulletindesnotes,yjetaunrapidecoupd’œil,puisladévisagea.—C’estdéjàmieuxqueledernier,consentit-ilaveclamêmeabsenced’émotionqued’habitude.
Maisobtenirdemeilleuresnotesnetedispensepasdetescorvées,niderangertachambre.Rianadebonnesnotes,aidetoujoursàlamaison,etnelaissejamaisrientraîner.Sielleyparvient,pourquoipastoi?
Illaissatomberlebulletinsurlatableetrelevalenezverslatélé.—Mapuce,s’ilteplaît,varangertachambre,luiditsamère,sesentantsansdoutelégèrement
coupabledutraitementquevenaitdeluiréserversonpère.Néanmoins,elleneprenaitjamaisladéfensedesafille,cequejen’arrivaispasàcomprendre.—Mais…—Maintenant!Sonpèreserelevad’unbond,etlatélécommandevintsefracasserparterre.Brookereculad’unpas.Sesparentsnelabattaientjamais,mais,d’aprèscequej’avaispuvoirau
fildesannées,lafaçondontilsluiparlaientétaitparfoistoutaussicruelle.Samèresetournaversmoietdéclarad’unevoixpluscalme:—Elias,ilvaudraitmieuxqueturentrescheztoi.LesyeuxbleusdeBrookes’emplirentdelarmes.Ellemejetauncoupd’œil,récupérasonbulletin
denotesetledéchiraenmillemorceauxjustedevanteux.Ellehurlaquelquechosed’inaudible,serralespoingsetjetasursonpèrelesconfettisqu’ellevenaitdeformeravantdecourirseréfugierdanssachambre.Elleclaquasaportesifortquelestableauxaccrochésauxmursentremblèrent.
LagrandesœurdeBrooke,Rian,entrajustealorsquejem’apprêtaisàpartir.— Salut, Elias, me lança-t-elle. (Je sortis sans un mot.) Est-ce que Brooklyn est rentrée ? me
demanda-t-ellealors.Jemetournaiverselle,sanslâcherlapoignéedeporte.—Ouais,répondis-jed’untonglacial.Maistuparlesd’unebaraque…JeclaquailaportepresqueaussifortqueBrookel’avaitfaitetdétalaiencourantsurl’alléeen
terre,loindecetasiledefous.Jebaissai lesyeuxversBrooke, lovéecontremoidans laJeep,et je luipassai lesdoigtsdans les
cheveux, tâchant d’oublier ce souvenir. Elle avait sans doute raison. Ils n’avaient pas envie de lacomprendre.
26
ELIAS
CALEBSEREDRESSADANSSONSIÈGEETTENDITLAMAIN.—Gare-toiici,dit-ilàsonfrère,ilfautquejepisse.Tatetournaàgaucheaustopetentrasurleparkingd’unvieuxmagasind’alcool.Diversespublicités
pourde labièreouduwhiskyendissimulaientcomplètement lavitrine.Uncongélateurétait installéàcôté de la porte d’entrée, un ours polaire délavé collé dessus. Il n’y avait qu’une seule autre voiturestationnéeici,sousunauventdépassantdelabâtisse.Sansdoutecelledupropriétaire.
—Dépêche-toi,criaTateparlafenêtredelaJeeptandisqueCalebtrottinaitverslaboutique.J’entendistinterfaiblementlaclochetteàl’entrée.Nousrestâmessilencieuxquelquesinstants.Brookeétaitsurlepointdes’endormirquandnousnous
étionsarrêtés.—Vousavezfaim?nousdemandaTate.—Non,mec,çava,répondis-je.—Moinonplus,ditBrooke,latêteposéesurmonépaule.—Vousêtessûrs?Jepeuxallervouschercheruntruc,sivousvoulez.Tates’étaitretournépournousfaireface,lamaindroiteposéederrièrel’appui-têtedusiègepassager.—Non,merci,confirmaBrooke.Tatehochalatêteetseremitdanslebonsens.Iltapotadespoucessurlevolantetmontalesondela
radio.Le«Sail»d’Awolnationemplitl’habitacle.Nousnousmîmestousàchanterennousbalançant.—Jecroisquejevaisallerpisseraussi,déclaraTateauboutd’uneminute.Ilouvritlaportièreetfitminederetirerlacléducontact,maisjel’interrompis:—Non,laisse,j’adorecettechanson.—D’accord.Ilcourutàsontourjusqu’àlaboutique.Jemepenchaientrelesdeuxsiègesavantpouraugmenterencorelevolume.Brooke et moi nous laissâmes totalement transporter par la musique. Je me rencognai dans la
banquetteetfermailespaupières.Elleposalatêtesurmesgenouxetenfitautant.Lachansonnousapaisatelleunedrogue,etbientôt riend’autren’eutd’importance.Pendantunbref instant,nousenprofitâmespouroublierlemondeextérieur.
Ilyeutunedétonation,etnousrouvrîmeslesyeuxenmêmetemps.Brookeseredressa.—Qu’est-cequec’était?
—Onauraitdituncoupdefeu.Jejetaiuncoupd’œilparlafenêtreetvisCalebetTaterevenirversnousencourant;Calebavaitun
flingueàlamain.—Oh,merde!m’écriai-je.Tétanisés,Brookeetmoinousinterrogeâmesduregard,incrédules.Maisniellenimoinepouvions
bouger.Tateouvritsaportièreàlavoléeetgrimpaàtoutevitesse.—Putain,monte!hurla-t-ilàsonfrère.Celui-ciobéitmoinsd’unesecondeplustard,etnousquittâmesleparkingenfaisantcrisserlespneus
delaJeep.—Bordel,qu’est-cequetuasbranlé?criaTateàCaleb,serrantlevolantdetoutessesforcestouten
nousramenantsurlagrand-routeabandonnée.—Jenevoulaispasluitirerdessus!Calebsecognaàplusieursrepriseslefrontsurletableaudebord.—Qu’est-cequi s’estpassé?Oh,monDieu,qu’est-cequi s’estpassé,putain?demandaBrooke,
paniquée.ElleselevaàmoitiépoursepencherversCaleb.Jelaforçaiàserasseoirenl’attrapantparlataille.—Tuastirésurquelqu’un?—Vosgueules!nousbraillaCaleb.IlsetournaversTate,lesyeuxpleinsdepeur,decolèreetderegrets.—Putain,jetelejure,Tate.Jenevoulaispasluitirerdessus,justeluifairepeur.—Tuasbraquélemagasin?compritBrooke.Bordel, jen’arrivepasàlecroire, ilabraquécette
foutueboutique.Ellemedévisageaitdenouveau.Jeluiposaidoucementlamainsurlabouchepourlafairetaire.—Brooke,s’ilteplaît,calme-toi,luichuchotai-je.Elletremblaitdetoussesmembres.Moiaussi.Tateabattit sesdeuxpoingssur levolant. Il tapadessusàsix reprisesavantdemanquerperdre le
contrôle du véhicule et d’en redresser la trajectoire in extremis. Nous zigzaguâmes quelques instantsavantqu’ilenrecouvrelamaîtrise.Lespneusempestaientlecaoutchoucbrûlé.
—Qu’est-cequ’onvafaire?demandaCalebd’unairnerveux.Tatedonnaunnouveaucoupdevolantetserangeabrusquementsurlebas-côté.JerattrapaiBrooke
justeavantqu’ellenes’écraselenezsurlesiègedevantelle.Tatecherchasontéléphoneàtâtonsetappelalesurgences.—Unmecatiré,annonça-t-ilautéléphoneavantd’indiquerl’emplacementdumagasin.CalebsortitdelaJeepetsedirigeaverslemilieudelaroute.Tateseprécipitaàsasuite.Nousles
regardâmessedisputerquelquesinstants.—Jel’aifaitpourtrouverdequoirembourserRocky!criaitCaleb.Pourquetun’aiespasàclaquer
toutesteséconomies!—Commesibraquerunmagasinallaitarrangerleschoses!grondaTateenretour.Illecognaenpleinvisage.Calebchancelaenarrièreetfaillittomber,maisilneréponditpas.—Jevoulais juste lui fairepeur ! insista-t-il. J’ai tiré,mais jevisais lemur. Jenevoulaispas le
toucher!—Qu’est-cequ’onvafaire,Elias?m’interrogeaBrookeentremblantdeplusbelle.
—Jen’ensaisrien,maisonnepeutpasresteraveceux.Àcetinstant,Tateremontadanslavoiture,imitéparsonfrère.Etavantquenousn’ayonspuprotester,
laJeeps’ébranlabrusquement.Nousfûmesplaquéscontrenotredossier,puisdenouveauprécipitésenavant.
Jehurlaipourtenterdecouvrirlamusiqueetlebruitdeladispute:—Laisse-nousdescendre,bordel!JenecroispasqueTatem’entendit,tantilétaitaveugléparlarage.—Jenejoueplusàçaavectoi,Caleb!Çasuffit.Jet’aimeraitoujours.Tuesmonpetitfrère.Maisje
neveuxplusjamaisterevoir!(Puisilsemitàcrierdeplusenplusfort.)Enfinquoi,putain!Jeviensdefairelamêmeconneriequ’eux!s’exclama-t-ilennousdésignantdupouce.J’aiprislafuitepoursauvertoncul!Qu’est-cequim’apris,bonDieu?!Jenevaispaspartirencavalepourtoi!Plusmaintenant!Paspourça!
Nousdépassâmesàtouteallureunmonospacebordeaux.—Ralentis,mec,luidis-jedepuislabanquettearrière.Tuvastousnoustuer.Quelquesminutes plus tard, nous nous garâmes sur le parkingd’une autre épicerie.Brooke etmoi
nousempressâmesdedescendreavantmêmequeTatesemetteaupointmort.Jel’attrapaiparlamainetlaserraicontremoi.
Lesdeuxfrèressebattaientà l’avantde lavoiture.Tates’étaitmisàcalifourchonsurCalebet luiassenait coup de poing sur coup de poing. Mais, cette fois, cela n’avait rien d’une simple querellefraternelle.Tateétaitdéchaîné,tabassaitlittéralementsonfrèredontlevisageétaitdéjàtoutensanglanté.Jecraignaisqu’ilnelelaissepourmort.
Je lâchai donc la main de Brooke et me précipitai vers la portière avant droite, malgré sessupplications.Quandj’actionnailapoignée,Calebtombaàmoitiédehorsetjelerattrapaiparlesbraspourl’aideràdescendresansdommage.Tateledominaitdéjàdetoutesahauteur,avantmêmequej’aiepulelâcher.
—Recule,Tate!Tuneferasqu’empirerleschoses.Jelevailamain,espérantquecelasuffiraitàleretenir.Sespoingsensanglantéspendaientàsescôtés.
Sonvisageétaitdéforméparlacolère.Sestatouagessemblèrentpresqueprendreviequandilbandalesmusclesdesesbras,quisaillirentderrièreleblancdesontee-shirt,égalementmaculéd’écarlate.
—S’ilteplaît,mec,recule,plaidai-jeunenouvellefois.Taterecouvralamaîtrisedesesnerfsetfitdeuxpasenarrière.Sapoitrinesegonflaitetsevidaitau
rythme des grandes inspirations saccadées qu’il prenait. Je finis par lâcher Caleb et prendre mesdistancestandisqu’ilserelevait.Dusangluidégoulinaitdesnarines.Sonœilgaucheétaitdéjàtuméfié.Ilessuyad’unreversdemainlefiletdesangquiluicoulaitaucoindelabouche.
JemetournaiversBrookeetlavisseprécipiterdanslemagasin.Je m’élançai à sa suite en me demandant à quoi elle jouait. Elle disparut dans les toilettes pour
dames, où je la rejoignis sans y réfléchir à deux fois. Peu m’importait qu’il y ait d’autres gens àl’intérieur.Jem’inquiétaispourelle.J’avaispeurdesaréaction.
Laportedesacabineclaqua.L’instantsuivant,jel’entendisvomir.Jemedemandaispourquoiellenel’avaitpasfaitdehors,maiscelameparaissaittellementhorsdeproposquejenemedonnaipaslapeinedeluiposerlaquestion.
—Machérie,est-cequetuvasbien?—Ouais,çava.Çavaaller.Elleeutplusieurshaut-le-cœur,etj’allaisluiimbiberd’eauquelquesserviettesenpapier.Quandellesortitdelacabine,j’entreprisdeluinettoyerlafigure.
—Qu’est-cequ’onvafaire?Lesvanness’ouvrirentetellefonditenlarmes,s’appuyantdesdeuxbrascontremontorse.Jeplaçai
unemainenbasdesondosetl’autrederrièresanuque.—Troisjours,c’estbeaucouptroplong,déclarai-je.Jecroisqu’ilesttempsderentrer.Ellelevalesyeuxversmoi,etjel’embrassaisurlefront.—Jenerentreraipas,répondit-elledoucement.Çan’ajamaisétéprévu.Jesecouailatête.—Qu-qu’est-cequetudis?Brooke,ilfautqu’onrentre.Onn’apaslechoix.—Jet’aime,Elias,maisjenerepartiraipasavectoi.Jen’iraipasenprison.Nousfûmesinterrompuspardescrisàl’intérieurdumagasin.—Toutlemondeàterre!entendis-jealors.LavoixdeCaleb.Etvoilàcommentnousensommesarrivéslà.Àcetinstant.Terrésdanslestoilettesd’uneépiceriede
proximitécernéedeflics.
27
ELIAS
Aujourd’huiVOILÀDEUXHEURESQUEBROOKE,MOIETTROISautrespersonnessommesretenusenotagesparCaleb.
Levendeurdumagasinetdeuxclientessontassisdanslerayondesbarreschocolatées,àquelquesmètresdenous.Jesensuneodeurd’urine.Jecroisquelafemmeàlalonguerobefleuries’estlaisséealleràunmomentouàunautre.Brookeetmoisommestoujourscontrelemurprèsdestoilettes.
Monespritestsaturéde…detoutuntasdechoses.Unepartiedemoiaenviederesteràl’écartdetoutcela,maisunepartieseulement.Pourlereste,jesuisterrifié,maisconcentré.Jedoisrestervigilantpour m’assurer que Brooke ne soit pas blessée. Je ne crois pas que Caleb nous ferait du mal.Sincèrement.Maisj’avoueavoirpeurdesesréactionsetnepassavoirjusqu’oùilestcapabled’aller.
Taten’estjamaisentrédanslemagasin.Calebnousaditqu’ill’avaitrepousséquandilavaitvoululesuivre à l’intérieur. Il ne voulait pas le voir plonger comme ça avec lui. Quoi que cela veuille dire.Depuis, les flicsont envahi leparkingetgardent leurs armesbraquées sur lavitrine, à l’abriderrièreleursbagnoles.
J’aitoujoursunatrocepressentimentquimenouel’estomac.Commesilasituationn’étaitpasencoreassezgrave,etqu’elleallaitempirerencore.
—Brooke?Ellenemerépondpas.Elleestdistante.Absente.Jetenteunenouvelleapproche,aumoinsavecCaleb.J’ail’impressionquec’estdeluiquejedois
m’occuperdansunpremiertemps.PourprotégerBrooke,jedoisd’abordréussiràlecalmer.Ilyauneheure,j’aiessayédeleconvaincredeserendre;envain,commejelecraignais.
Jememetsdebout.Dèsqu’ils’enrendcompte,ilpointesonarmesurmoi.Jelèvelesmains.—C’estmoi.(Ilcommenceàabaissersonflingue.)Jeveuxjustediscuter.—Encorecinqminutes!hurleunevoixaumégaphone.Puisnouslerenvoyonsàl’intérieur.L’officierenchargefaitréférenceautype–unflicquelconque–queCalebalaisséentrerilyaune
demi-heure.Ilvoulaitconnaîtrelalistedesesrevendications,ainsisansdoutequefaireunétatdeslieuxàl’intentiondesessupérieurs.Brookeetmoiétionsrestéshorsdevue,prèsdestoilettes.
—Discuterdequoi?medemande-t-ild’untonacide.Lecontourdesonœilaviréaumauveaucoursdesdeuxdernièresheures,etestdésormaissigonflé
quelapeausesoulèvededeuxoutroiscentimètres.
—Tu as dit que tu ne ferais demal à personne, commencé-je, alors laisse sortir tout le monde.Montre-leurquetuessincère.Séquestrertouscesgensicifaitdetoiunpreneurd’otages.
—Etalors?réplique-t-il.(Lafemmeàlarobelèvelatêtedanssadirectionsansosercroisersonregard.)Detoutefaçon,ilsvontmecondamnerpourça.Çan’aplusd’importance.
—Alorsrelâche-les.Puisquetun’avaispasl’intentiondefairedesotages,laisse-lespartir.Jeresteavectoi.MaislaissesortirBrookeaussi.
—Jen’irainullepart,intervientcelle-ciderrièremoi.Jemeretourneetlavoisquim’observe,toujoursassiseparterre.Jem’éloignelentementdeCaleb,
sansluitournerledosetm’efforçantdenepasfairedegestesbrusques,etjevaism’accroupirprèsdeBrooke.
—Ilfautquetusortesd’ici,luidis-je.— Non. Ça n’arrivera pas, déclare-t-elle simplement. Si je franchis cette porte, je vais droit en
prison.Jetel’aidit,chéri:jen’iraipas.Etjelepensais.Moncœurbatlachamade.Letempspresse,etjesaisquelesflicsvontfinirparperdrepatience.J’ai
déjà envisagé tous les scénarios possibles, comme dans un cauchemar éveillé ; dans tous les cas defigure,Brooketermineàplatventredansuneflaquedesonpropresang.
Cinqminutesplus tard, le typeencivilquipourtantpue lepouletàpleinnez refait sonapparitiondanslemagasin,lesmainslevéesbienhautau-dessusdesatête.Et,commelapremièrefois,Caleblemetenjoue.
—Oùestmonfrère?demande-t-il.—Toujoursdehors,àt’attendre,répondl’autred’unevoixcalme.Ils’inquiètepourtoi,Caleb.Ilveut
tevoirsortirsurtesdeuxjambesetrentrercheztoi.Calebéclatederire.—Rentrerchezmoi?Vousvousfoutezdemagueule?Vousmeprenezpouruncon?Jenerentrerai
plusavantdesannées.—En effet, admit l’autre, gardant en permanence lesmains bien en évidence.Mais tu finiras par
rentrerunjour,etplustut’entêtesàresterici,plustuaggravestoncas,etpluscejours’éloigne.Etpenseàcesgens.(Ildésignelevendeuretlesdeuxfemmesassisesdanslemêmerayon.)Ilsveulentrentrer,euxaussi.Ilsn’ontrienfaitpourmériterça.
Je me demande pourquoi cet homme n’a pas semblé nous inclure, Brooke et moi, pourquoi il secomportecommesinousn’étionspas,nousaussi,danslamêmegalère.
Et alorsmêmeque jeme fais cette réflexion, il se tourneversnous, nousdévisageant de sous sessourcilssombresetbroussailleux.
—PenseàBrooklynBatesetEliasKline.Quandilajoutecettedernièrephrase,moncœurs’arrête.Commentl’ont-ilsdécouvertsivite?Laréponsemevientsoudain:noussommespassésauxinfos.Pourtant,lefaitdel’entendreprononcer
nosnomsmeprendaudépourvu.Brookeaexactementlamêmeréactionquemoi.Elleécarquillelesyeux.Ellemeconsidèreuninstant
avantdesetournerversl’homme.— Ils ont encore une chance de s’en tirer, poursuit celui-ci en nous dévisageant, comme pour
s’assurerquenousrecevonsbienlemessagequ’onluiachargédenoustransmettre.Toutlemondesaitqu’ils ont peur.Mais personne ne les accuse demeurtre. Présomption d’innocence. Ils veulent rentrerchez eux et s’expliquer sur ce qui s’est passé ce soir-là près de la rivière, faire entendre leur sondecloche,sedonnerunechancedevivreleurvie.(IlreportesonattentionsurCaleb.)Mais,pourça,tudois
d’abordleslibérer.—Jenelesempêchepasdepartir.Etellen’apasenviedesortir.L’hommesetourneversBrooke.—Est-cequec’estvrai?—Vousn’êtespasicipourmoi,réplique-t-elle.Jedevraisêtrelecadetdevossoucis.Laissez-moi
endehorsdetoutça.—J’aibienpeurquecenesoitpaspossible,répond-il.—C’estluiquialeflingue,connard!aboie-t-elle.Alorsfoutez-moilapaix!Ilsetournealorsversmoi.—Ettoi?demande-t-il.Tuasquelquechoseàvoiravecça?—Attendezuneminute ! s’exclameCaleb.Àquoiest-cequevous jouez?Vous lesaccusezd’être
mescomplices?(Iltendsonarmed’unairmenaçant.)Putaindesystème.Présomptiond’innocence,moncul ! Ilsvouscroientdéjà coupables, aussi responsablesquemoi, alorsque je suis le seul à avoirunflingue.Vousvoyezcommentçamarche?Ilsenvoientdesinnocentsentauletouslesjours,tandisquedesmeurtriers,despédophilesetdevraisvioleurssontlibérésàcaused’unputaindevicedeprocédure.Vatefairemettreavectonsystèmedemerde,espèced’enfoiré!
L’hommereculededeuxpasetlèvelesmainsplushaut.IlcommenceàcraindrequeCalebn’aitladétentefacile.Etmoiaussi.
—Jenelesaccusederien,sedéfend-il.Maiss’ilsrestenticialorsqu’ilsontlapossibilitédesortir,celalesrendd’autantplussuspectsparrapportàlamortdeJanaMcIntyre.Etjesuisaucourantpourtacondamnationpourviol,Caleb,ajoute-t-il.J’aivud’autresgarstomberpourça,desgarsquin’enontpasnon plus le profil.Ça arrive tout le temps.Tu n’es pas le seul.Et les accidents aussi arrivent tout letemps,dit-ilensetournantversnous.Parfois,lesgensprennentpeuretilss’enfuient.C’estlapirechoseàfaire,maisçaarrive.Toutletemps.Vousn’êtespaslesseulsnonplus.
—Vousêtesentraindedirequevousnouscroyez?s’étonneCaleb.Ouest-cequec’estunemanièredegagnernotreconfiance?
Ilneluilaissepasletempsderépondre.Calebs’estdéjàforgésonopinion,etriendecequel’autrepourradirenelaferaévoluer.Iléclatederire.
—C’estexactementça.Vousentreziciavecvotrejoggingdébileetvosbasketspourravespourvousfairepasserpouruncivil,maisonsaittousquevousn’êtesriend’autrequ’unflictentantdevousfondredanslamasse.Pourgagnernotreconfiance.Nousfairecroireenvosconneries.
—Tonfrèreestdehors,Caleb,l’interromptlepolicier.Ils’inquiètepourtoi.Ilm’achargédetedirequ’ilviendraittevoirtouslesjoursendétention.Qu’ilnelepensaitpas,quandilt’aditqu’ilnevoulaitplusjamaisterevoir.Ilveutquetusachesque,quoiqu’ilarrive,tuserastoujourssapriorité,etqu’ilterendravisitetouslesjoursjusqu’àtasortie.Parcequ’il t’aimeetqueriennepourraleséparerdesonpetitfrère.
J’entendsBrooke éclater en sanglots et jeme tournevers elle.C’est comme si l’hommevenait detoucherunecordesensible.
LesyeuxdeCalebsontégalementremplisdelarmes.Sabouchefrémitauxcommissures,sonnezsefronceenmêmetempsquesessourcilstandisqu’ils’efforcederesterfort.Maisilestincapabledeseretenirpluslongtemps,etleslarmescommencentàcoulerlelongdesesjoues.
—Est-cequemonfrèreadesennuis?demande-t-il.(Lamainquibranditl’armetrembledeplusenplus.)Est-cequ’ilrisqued’êtrepoursuivipourêtrepartiavecmoi?C’étaitpassafaute!Iln’avaitpaslesidéesclairesquandilm’asuivihorsdumagasind’alcool.Iln’yestpourrien!Ils’estmisàcouriruniquementparcequejecouraisdéjà!Iln’apasréfléchi!
—Calme-toi,luiditl’autreavecungested’apaisement.Écoute-moi,Caleb,jesuissûrquejepeuxletirerd’affaire.Certes,ilafuialorsqu’iln’auraitpasdû,maisilaappelélesurgences,etl’hommesurlequeltuastirévas’enremettre.Tonfrèrenerisquerien.
—Ilvas’enremettre?répèteCaleb,lesoufflecourt.Derrièresonmasquedecolère,derageetdepeur,lesoulagementestprégnant.—Oui,affirmel’autre.Ilestdansunétatstable.Iln’aétéblesséqu’àl’épaule.—Etmonfrère?Vouspouvezmejurersurvotreviequ’ilnevapasêtrepoursuivi?—Caleb,jenepeuxpaslejurer,carjeveuxêtrecomplètementhonnêteavectoi.Maisiladetrès
bonneschancesdes’ensortir.Toutcequ’ilafait,c’estfuir,etiln’estpasallétrèsloin.Endehorsdeça,ilafaitcequ’ilfallait.Jepensequ’ilvas’entirer.Et jeferai toutpourm’enassurer.Jesaisqu’ilestinnocent.Ilaungrandcœur.Jefaisceboulotdepuislongtemps,etjesaisreconnaîtreunmecbienquandj’encroiseun.
Ilmarqueunepause,m’adresseuncoupd’œil,puisreprend:— J’en ai deux devantmoi, à l’heure actuelle.Ainsi qu’une fille bien.Des gens qui se sont tous
trouvés aumauvais endroit, aumauvaismoment.Des gens qui ontmerdé et qui vont s’exposer à despoursuites quoi qu’il arrive, mais des gens qui auront encore l’occasion de prouver ce qu’ils valentvraiment.
Lafemmeàlarobefleuriecraqueàsontour.Levendeurlaserrecontrelui.—Laisse-lespartir,Caleb,reprendleflic.—D’accord,répond-il.Sortez,etjeleslibère.—Ettoi?l’interroge-t-il,d’untonlourddesoupçons.Est-cequetuvasterendre?—J’aibesoind’yréfléchir,rétorqueCaleb.Maisjevaisleslibérer.L’autrehochelatête,acceptantl’offre.Ilsortdumagasin.Calebfaitlescentpasdevantlesréfrigérateurs,restantloindelavitrine.Puisils’arrêteetdésigne
lestroisotages.—Allez-y,leurenjoint-ilenleurindiquantlaportedesamainlibre.Jesuisdésolédevousavoirfait
endurerça.Vraimentdésolé.La femmeà la robe ledévisageunmoment,puisdétalehorsde laboutiqueensanglotantde façon
incontrôlable.—Brooke,ditCalebensetournantverselle,jesuisnavréd’avoirétéuntelconnard.(Ilpivotevers
moi.)Sincèrement.—Jesais,réponds-je.Brooke reste assise en silence, toujours adossée au mur. Ses larmes ont séché, son visage est
dépourvud’émotions.Calebsedirigeverslaporteetl’entrouvrejusteassezpourcrier:—Jevaissortir!Jevaismerendre!Brookeselève,etsongestemesurprend.Ellemepassedevantets’approcheduboutdurayondes
barreschocolatées.Jelasuis.—Jetezvotrearmeetsortezlesmainsenl’air!Calebdéposesonpistoletdevantlaporte,lèvehautlesbras,setourneetpousselaportedudos.Àlasecondeoùlebattantsereferme,Brookes’élanceverslasortie.Jememetsàpaniquerquand
elleplongeausolpourrécupérerl’arme,avantd’allersetapirdanslerayondupain.—Qu’est-cequetufais?Jem’approched’elleàpasprudents.Moncœurbatàtoutrompre.
—Chérie…s’ilteplaît…s’ilteplaît,non…Elleseplaquelecanonsouslementon,basculelatêteenarrièrecontreunemicheetposeledoigtsur
ladétente.Jetombeàgenoux,enlarmes.Jesuissurlepointdevomirtantmoncœurtambourine.—BonDieu,pitié,Brooke…pitié…Situfaisça,situt’ôteslaviedevantmoi,tumetuesenmême
temps.Putain,jet’aimetellement.Jet’aitoujoursaimée.Etjet’aimeraitoujours.(Jem’étranglesurmespropressanglots,lagorgemebrûle.)Tutesouviensdecepactequ’onaconcluquandonétaitgamins?Meilleursamispourlavie,tut’ensouviens?
Jemedirigeverselleàquatrepattes.Mesmainstremblenttellementqu’ellespeinentàsoutenirmonpoids.LevisagedeBrookenetrahittoujoursaucuneémotion.Aucune.Ellemeconsidèreavecdesyeuxvitreux, mais plus je lui parle, plus je lui rappelle combien je l’aime, plus ses prunelles semblents’illuminer.JeretrouvelaBrookequej’aiconnueetaiméedepuismesneufans,cellequiestplusfortequelanoirceurquil’habite.
—Jesaisquetut’ensouviens.Maistuesbienplusquemameilleureamie.Tul’astoujoursété.Moncœurnebatquepourtoi.Situmeurs,jeperdsmaraisondevivre.
Samainsemetàtrembler.Celamerendnerveux.Sondoigtesttoujourssurladétente…jeneveuxpasqu’elletremble.
—Putain,Brooke…Jet’aime!Nemefaispasça!—Jenepeuxpasêtreenfermée!hurle-t-elle.Jenelesupporteraipas!D’êtreloindetoi…Tues
toutcequej’ai!Tul’astoujoursété!—Jeserailà!luiréponds-jeentoutesincérité.Jenetelaisseraijamaistomber!Tucomprends?!
Jamais!Peuimportecombiendetempsceladurera,Brooke:jet’attendrai!Puisl’importancedecetinstantmefrappesoudain.—Jemourraipourtoi,Brooke!JemourraiAVECtoi!Ses lèvres frémissentdefaçon incontrôlée.Elleplongesonregarddans lemienpendantcequime
sembleêtreuneéternité.Puisellesecouelatête,lecanondupistoletbougeantaurythmedesonmenton.—Nedispasça!rugit-elle.—C’estpourtantvrai!m’écrié-jeencore.Puis jem’efforcederecouvrermoncalmepourbien luifairecomprendremonpointdevue.Jeme
rapprocheunpeuplus.—Brooklyn,cetinstant,cetinstantquenousvivons,c’estle«n’importequoi»dontjeteparlaishier
soir.Tunem’aspasdemandédeteleprouver,maisjevaislefairequandmême.Nemequittepasdesyeux,luidis-je,etelleredresselefront.Resteavecmoi.Justeici.(Jedésignemesyeuxdel’indexetdumajeur.)Sic’estcequetuveux,jeveuxbienmouriravectoi.Detoutefaçon,jeneveuxpasvivresanstoi.Ons’estmis là-dedansensemble.Depuis ledébut.Jenevaispas t’abandonnermaintenant.Jevaispartiravectoisitupensesquelamortestlaseuleissue.
Ellesecouelatête,encoreetencore,tentantvainementd’articulerquelquesmots.—Jeneveuxpasquetumeuresàcausedemoi,finit-ellepardéclarerd’unevoixrenduerâpeusepar
tantdelarmes.—Jeveuxvivre,Brooke,réponds-jeàboutdesouffle,désespéré.Jeveuxvivremavieavectoi.Je
veuxt’épouser.Jeveuxvieilliretavoirdesenfantsavectoi.Jeveuxvivre.Maisjesuisprêtàmourir.Tucomprends?
—Pourquoiest-cequetufaisça?Sestraitssontdéformésparlechagrin,soncorpstremblecommeunefeuille.—Parcequ’onestfaitsl’unpourl’autre!Àlavie,àlamort!Parcequesanstoi,jesuismortde
toutefaçon!Ellesecognelatêtecontrelerayonnageethurle,lâchantl’armeausol.JeprendsBrookedansmes
brasetlaserresifortquej’enailesoufflecoupé.Nouspleuronstoutnotresoûl,elleenm’agrippantletee-shirt,moienenfonçantmesdoigtsdanssondos.
—Machérie,jet’aimetellement.Jenetelaisseraijamaistomber,murmuré-jecontresoncou.Despoliciersentrententrombe,maisjelesentendsàpeine.Ilssonttelsdesfantômes,commeBrooke
faceàsesparents.Jenevois,n’entendsetnesensqu’ellequandilsnousséparent.Ellehurlemonnom,tandisquetoutleresteestplongédanslesilence.Moncœursebrisequandelletendlamainversmoietquejesaisquejen’auraipasledroitdelasaisir.Toutsedérouleauralenti.
—Jenet’abandonneraipas,répété-jedansunsouffletandisqu’ilsl’emmènent,lesmainsderrièreledos.Jenet’abandonneraipas.
Puiselledisparaît.
28
ELIAS
Unanetdeuxsemainesplustard…JE LUI AI ÉCRIT TOUS LES JOURS. JE LUI AI RENDU VISITE chaque semaine aux heures autorisées. J’ai
passéchaqueinstantd’éveilàprouveràBrookequejenel’abandonneraisjamais,etsurtoutàcomblermonbesoind’êtreavecelle.
Elle a été condamnée à trois ans de prison pour homicide involontaire et délit de fuite,mais sonavocatespéraitqu’elleseraitlibéréeavantd’avoirpurgélamoitiédesapeine.Lefaitd’avoiruncasierjudiciairevierge,endehorsdesoncourtséjourenmaisondecorrection,etdes’êtreportéevolontairepourledétecteurdemensongesabienaidésoncas.Brookeesteffectivementpasséeaudétecteur,maisçaafaillinepasêtrerecevableautribunal,carlafamilledeJanaMcIntyres’yétaitinitialementopposée.Avantdefinirparselaisserfléchir.
Aufinal,Janas’estrévéléeavoirunhistoriquepluschargéqueceluideBrooke.Elleavaitpasséunebonnepartiedesonadolescenceentremaisonsderedressementetaudiencesdevantlejugedesmineurspourproblèmescomportementaux,laplupartdutempsrelatifsàlaviolence.Lepointcapitalsurlequell’avocatdeBrooken’apasmanquéd’insisteraété lacondamnationdeJanaà troismoisde réclusionpouravoiragresséune filledans legymnasede l’école, l’abandonnant sansconnaissance.CelaaaidéBrooke à convaincre la cour que Jana s’était jetée sur elle en haut de la corniche, et qu’elle s’étaitcontentéedelarepousser.Brookeauraitd’ailleurspeut-êtreécopéd’unesentenceplusclémentesiellen’avaitpasavouél’avoirbousculéeplusparcolèrequepourseprotéger.Mais,aumoins,elleavaitditlavérité. Ils’agissait réellementde légitimedéfense,et le juge lecroyait,étantdonné lescirconstances ;cependant,çan’étaitpasnonplusunequestiondevieoudemort,etBrookes’étaitlaisséeemporterparlacolèreplusqueparlapeur.
Enoutre,lamortdeJanaayantétéconsidéréecommesuspecte,uneautopsieavaitétérequise.Etenplus d’une dose d’alcool trois fois supérieure à la quantité autorisée, on avait retrouvé des traces dedroguedanssonorganisme.
Etrienn’indiquaitqueJanapuisseavoirétéenceinteaumomentdesondécès.Pourmapart,j’avaisécopéd’unepeinebienmoinslourde.Deuxansdemiseà l’épreuvepourcomplicité.Pasunseul jourdeprisonferme.Maisêtre loinde
Brooketoutenlasachantenferméeétaitmapropreversiondelaréclusion.Ellem’avaitégalementfaitjurerdenepasessayerdeluiservirdetémoin.J’allaispourtantlefaire.
J’avaisdéjà toutplanifié,mêmesinousn’avions jamaiseu le tempsde rodernotrehistoire,maiselle
m’avaitditque,sijenetenaispasmapromesse,ellenem’adresseraitplusjamaislaparole.Ellem’avaitannoncé qu’elle leur dirait la stricte vérité : que je n’étais pas là au moment des faits, et que je necherchaisqu’àlaprotégerenclamantlecontraire.
Jesavaisdoncquementirneferaitqu’empirerlasituation.Brookenevapastrèsbien.Chaquefoisquejelavois,jeconstatequ’ellesombreplusprofondément
dans cette noirceur qui l’habite. Je n’ai pas beaucoup dormi depuis son incarcération, redoutant enpermanenceuncoupde fil de sa sœur,Rian,m’annonçantqueBrookea tentéde se suicider.Ouyestparvenue.J’aimeàcroirequ’elleneréessaierajamaispluscarelleestdésormaisforteetneselaisseraplusabattre,maisunepartiedemoipensequec’estparcequ’ellenetrouverienpourlefaire.Àcausedesa précédente TS en Caroline du Sud et de la découverte de son trouble bipolaire, elle est soussurveillanceconstante.C’estdifficiledeluirendrevisite.Etalorsquejem’installechaquesemaineenfaced’elle,del’autrecôtédelaminusculetableenplastiqueblanc,j’ail’impressionqu’ellem’échappedeplusenplus.
—Àquoitupenses?luiai-jedemandélorsdemadernièrevisite.Jeluiaiprislesmainsetluiaisouripourluiapporterduréconfort.Ellem’asourienretour,maisjevoyaisbienquec’étaitforcé.—Àsortird’ici,m’a-t-ellerépondu,leregarddanslevague.—Tuaseumalettre?Elleaacquiescéensereconcentrantsurmesyeux.Cettefois,lalégèrecourburedeseslèvresn’avait
riendeforcé.—J’enaiunetouslesjours,saufledimanche.Jemesuissouventdemandéàquelpointmescartesl’aidaientàtenirlecoup.Enfin,j’appelleçades
cartes,mais c’est un abusde langage. Je lui écris sur tout cequime tombe sous lamain.Lemoindresupportquejetrouvequandjepenseàunechoseàluidire.
Surleversodumenuàemporterd’unrestaurantvoisin:Jepensaisàcejour,entroisième,oùl’orageaprovoquéunecoupuredecourantàl’école.ToietLissaenavezprofitépouraller fumerdans les toilettes.Tescheveuxontpué levieuxcendrierpendanttouteunesemaine.Jemedemandais:est-cequetulesaslavésensuite?L’odeurdefraisedetonshampooingmemanquait.Jem’approchaisde toi,quandtuallaisposer tesaffairesdanston casier avant le déjeuner, et je te reniflais les cheveux. C’est glauque, je sais, mais c’estcomme ça. Ça a été une semaine horrible pour moi. Je crois que ça m’a passé l’envie derecommencer.Bref,jet’aimeettumemanques.
EliasSurleversod’unticketdecourses:Jesuisarrêtéàunfeu(celuiquiresteaurougependantdesheures,devantcheztesparents),etjepenseàtoutesleschosesquejeteferaiquandturentrerasàlamaison.Peut-êtremêmeàcefeu.
EliasSuruneservietteenpapier:Brooke,J’aiprisunPVpourexcèsdevitesse,aujourd’hui–80au lieude50.J’étaisenretardpour le
boulot.Caroui,j’aitrouvéunnouveaujob.Jesuiscouvreur.C’estdifficileenpleincagnard,maisça paie bien. Je vais profiter demon premier chèque pour t’offrir un joli cadeau.Oh, et pourréglermonamende.
Jet’aime,Elias
Surl’unedesfeuillesviergesquel’ontrouvetoujoursàlafindesbouquins–jel’aiarrachéedansun
vieuxlivrechezledentiste:Jemefaisdévitaliserunedent,aujourd’hui.Tusaiscombienj’adoreledentiste.Tutesouviens,enprimaire?Jesuissûrqueoui.J’aipleurécommeunefillettependantuneheureparcequemamèrem’emmenaitpouruncontrôlede routine. Jecroisque jene t’ai jamais remerciéeden’enavoirpasparléàMitchell.Alors,merci.Parcequ’ilseraitencoreentraindesepayermatroncheaujourd’hui.Àcepropos:onsereparle,touslesdeux.Iladécrochéetilvabeaucoupmieux.Ilest redevenucommeavantoupresque. Ilm’achargéde tedirequ’il étaitdésolépourcequ’ilavait fait, et qu’il avait hâte de te revoir. Je sais que tu lui en veux,mais je lui ai promis detransmettrelemessage.Maisnet’enfaispas,iln’estpasrevenuvivreavecmoi.Jen’aideplacequepouruneautrepersonne,etj’attendsqu’ellerentreàlamaison.
Jet’aime.Elias
Jeglissechacundecespetitsmotsdansuneenveloppe,jecolleuntimbredessusetleposteillico.Je
tiensàm’assurerqu’ellereçoitunpetitquelquechosechaquejour.Ellem’écrit elleaussi,bienquemoins régulièrement, et, si çanemedérangepas, çacommenceà
m’inquiéter.Seslettressontsouventdistantes,dépourvuesd’émotions.Parfois,jeretrouvesubitementlaBrooke dont je suis tombé amoureux, avec ses blagues tordues et ses phrases d’aguicheuse. Elle meracontecequ’ellevoudrafaireavecmoiquandellesortira,laviequ’ellevoudraitquel’onmène.Çamefait sourire chaque fois, car j’ai l’impressionqu’elle reprenddupoil de la bête et qu’elle se remet àenvisagerl’avenir.Etpuissonpessimismefinittoujoursparrefairesurfaceavantmêmelebasdelapage.
Laprochaineneserapaspareille,Elias.EllefinirabienVoilàcequejemerépètesanscesse.Mais,jusqu’àprésent,chacundesescourrierss’estmalterminé.Jesaisqu’ellevoitunpsyenprison,maisçanem’apasempêchéd’essayerdeluientrouverunbon
pourquandelleseradehors.J’aiécuméInternetetlespagesjaunespourdégoterlaperlerare.JeveuxlemeilleurpourBrooke,etjevaisfairetoutcequiestenmonpouvoirpourm’assurerqu’ellel’obtienne.
Elleapassétroiscentsoixante-dix-neufjoursderrièrelesbarreauxet,dansdeuxsemaines,elleserarelâchée.Jevaisluirendrevisiteaujourd’huiet,mêmesic’estcenséêtreexcitantpournousdeux,jemesensparticulièrementnerveux.Jesuisinquietàcausedesadernièrelettre,quej’aireçueilyacinqjours.Nonpasàcausedecequ’elleyécrivait,maisàcausedecequ’ellen’yécrivaitpas.
CherElias,Jesaisquetun’asjamaismanquéunseuljourdevisite,maisjevoulaism’assurerquetuseraisbienlàauprochain.C’esttrèsimportant.
Jet’aime,Brooke
Jesorsdemavoitureet franchis lesportesdubâtimentavantd’allersigner le registreà l’accueil.Commechaquesemaine,jecomptelenombredecasiersdanslapetitepièceadjacente,justeaprèsavoirdéposédansl’und’euxmonportefeuille,montéléphoneportableetmesclés.Jenesaispaspourquoijeles compte. Je le fais, c’est tout. Peut-être que c’est pour noyer mon angoisse, comme quand je listoujourschacunedesaffichesconcernantlesarmesàfeu,leshorairesdevisitesetl’interdictiondefaireentrerdeschosesencontrebandeavantdefranchirlegrosportiquedesécuritémenantenzonemixte.Jelis toujours ces affiches. Certaines plusieurs fois d’affilée. Et je tressaille systématiquement quand jetombe sur le mot prisonniers, ayant alors l’impression que quelqu’un enfouit sa main dans ma cagethoraciquepourm’arracherlecœur.
Lelongcouloirestd’unblancaustère,lecarrelageetlapeinturedesmurssemblantsemêlerl’unàl’autredansmavisionpériphérique.Lesnéonsbrillentsifortquejedistinguepresquemonrefletsurlesol. Jeprendsmon tempsenpassantdevantplusieursautresportesouvrant surdespiècesdont jen’aiaucuneenviedeconnaîtrel’utilité.Jecroiseunefamilleincomplète:unefemmeetdeuxenfants,qu’elletientparlamain.Jemedemandes’ilsétaientlàpourvoirleurmarietpère.Brooken’arienàfaireici.Cen’estpasunecriminelle.Ellen’apasassassinéquelqu’undesang-froid,pasplusqu’ellen’acommisun meurtre sous l’influence d’une substance ayant altéré son jugement. Elle n’est ni une dealeuse dedrogue,niunevoleuse,niunefemmeviolente.Ellen’avraimentrienàfoutreici.J’imaginequelaprisonnes’arrêtepasàcegenredeconsidérations.
Jetourneauboutdulongcouloiretentredansunegrandepièce.Ungardienmedésignelatableoùm’asseoir. Et attendre. Une horloge est fixée haut sur le mur à ma gauche. Neutre. Noir et blanc etennuyeuse.Plusieurstablesrondesenplastiqueblancsontrépartiesdanslasalle.Huitfamillessontdéjàprésentes.Jemerendscompteenjetantuncoupd’œilalentourquepersonned’autren’estvenuseul.Jeconsidèrelatableetgratteduboutdel’ongleunerainurequisembleavoirétécauséeparquelquechosededur,peut-êtreuntrombone.Ici,toutsentl’eaudeJaveletledétergent.Çamechatouilleaufonddesnarines,etjeprendsuneprofondeinspirationenespérantréprimerl’éternuementquiseprofile.
Jelèvelesyeuxversl’horloge.Elledevraitarriverd’uninstantàl’autre.Jeposemamaindroitesurmapoitrinepoursentirmoncœurbattre,carjesaisqu’ilvatropvite.Pourquoiétait-cesiimportantquejevienneaujourd’hui?Queva-t-ellem’annoncer?
Alors quemon cerveau est sur le point d’exploser à force d’imaginer toutes les possibilités, uneformeorangevifavancedevantlescloisonsimmaculées;enmeredressant,jevoisBrookes’approcherdemoiavecsonhabituelletenueorange,seschaussettesblanchesetsesépaissessandalesenplastiquequicouinentsurlesol.
Jemelèveetluisouris.Ellemesouritàsontour,maiscelamesemblefaux,etmonventreseserre.—Coucou,machérie,luidis-jeenlaprenantdélicatementdansmesbras.Lescontactsphysiquessontrestreints,ici.Sonétreinteestfermeetsincère,contrairementàsonsourire,maiscelanemerassurequelégèrement.
Sescheveuxsontramassésenunequeue-de-chevalsévère.Biensûr,elleneportepasdemaquillage,et,mêmesiellesemblefatiguée–physiquementetmentalement–,ellerestelaplusbellefemmequej’aiejamaisvue.
Nousnousasseyons.—Deuxsemaines,déclaré-jeensouriantpluslargement,dansl’espoirdedétendrel’atmosphère.Tu
serasbientôtderetouràlamaison.—Elias?Moncœurs’arrête.Jenesaispaspourquoi,maisj’aiunmauvaispressentiment.Jeravalelaboule
quis’estlogéedansmagorge,maisuneautrelaremplaceimmédiatement.
—Qu’est-cequinevapas?demandé-je.Elleprendunelongueinspiration,puiss’essuieledessousdel’œilgauchedelapointedel’index.Puis, soudain, elle semet à sourire franchement. Je plisse les paupières, surpris, et incline la tête
avecunairinterrogateur.Malgrémonétatdenerfs,unsouriremetitillelecoindeslèvres.—Qu’est-cequ’ilya?m’enquiers-je,soudainrayonnant.Ellesecouelatête.—Cen’estrien,répond-elleenposantsesmainssurlesmiennes.Ses doigts sont froids et frêles. Elle se penche versmoi et embrassemes phalanges calleuses. Et
mêmesijecrainsquelegardienneluireprochequelquechose,celam’estégal.—Alorspourquoicettelettre?insisté-je.Elleretiresesmains.—J’avaisjusteenviedetevoir.—Mais tu savaisque jeviendrais. Je…Çaavait l’airurgent.Machérie,est-ceque tumecaches
quelquechose?Ellesoupire.—Ouais,maisçan’avraimentriend’important.—Dis-moicequec’est.Ellehésiteuninstant,puisrépond:—Malibérationaétédécaléeau9.—Maispourquoi?m’étonné-je.Enfin,çanerepousseladatequedequatrejours,mais…—Simplepépinadministratif,déclare-t-elle.Tenantàcequ’ellerestepositive,jem’efforced’enfaireautant.Jemeforceàsouriredenouveauet
dis:—Bon,cen’estpasgrave.Enfin,biensûr,çafaitchier,maisçan’estquequatrejours.Çavaaller,
pasvrai?—Oui.Quelque chose me paraît louche. Je sens qu’elle me ment. Mais pourquoi ferait-elle une chose
pareille?Pourquoimementirlà-dessus?Jesuissansdouteparano.C’estridicule.Jenevaissûrementpas l’accuserdenepasêtrehonnête.
Pasmaintenant.Ellen’apasbesoindeça.—Tantmieux,dis-jeenluicouvrantlesmainsàmontour.—Bon,parle-moideMitchell,reprend-elle.—Ehbien…ilneprendplusdeméth.Etiltravailleaugarageprèsdenotreancienneécole.Ilsesent
vraimentmalàcausedecequ’ilafait.Enversnousdeux.Passeulementmoi.Brookeaunsouriredouxetmagnanime.—Ehbien,dis-luiquej’aitournélapage.Jeneluienveuxpas.Iln’étaitpaslui-même.Etcomment
vatamère?Ettonpère?—Superbien,réponds-jeenhochantlatête.MamanestfiancéeàJames.Jel’aiapprisjeudidernier.
Ilsvontsemarierenmars.Etpapaestfidèleàlui-même.Unsolitairequisetueàlatâche.Ilvoulaitqueje te dise qu’il aimerait qu’on lui rende visite à Savannah à ta sortie. Il t’apprécie vraiment. Depuistoujours.
LesprunellesdeBrookesemettentàpétiller,maisellelesbaissealorssurlatable.Monsourires’efface,et,mêmesijeredoutesaréponse,jemedoisdeluiposerlaquestion:—Est-ceque…tesparents,ouRian,tecontactentencorerégulièrement?Ellesecouelatête.
—Mamèreestvenuemerendrevisiteplusieursfois.Jecroisqu’ellesesentcoupable.Quantàmonpère…ehbien,ilestvenu,mais,commed’habitude,j’aieul’impressionqu’illefaisaitparobligation.Mais je luipardonne.Jeneveuxplusmesentirencolèreou tristeàcausedequiquecesoit.Jeveuxsimplementêtrelibre.Mesentirlibre.Aufonddemoi,tucomprends?
Elleinclinelatêteetfroncepensivementlessourcils.Peut-êtrequejecomprendseffectivement,mais,d’unautrecôté,j’aitoujoursl’impressionqu’elleme
cachequelquechose.Unsentimentdemalaisem’envahit.Jen’arrivepasàsavoiràquoiilestdû,maiscelam’inquiète.
N’ayantriend’autreàdire,jemecontentedehocherlatêteetdedire:—Ouais,jevoiscequetuveuxdire.EtRian?Sonsourires’élargitlégèrement.—Elleestvenueplusieursfois,généralementdanslamatinée.Celam’arrange, car jepréfèrepasserdu temps seul avecBrooke,nepas avoir à lapartager avec
quiconque.Jeluirendstoujoursvisiteenfind’après-midi,aprèsêtresortiduboulot.—Etellem’écritsouvent,complète-t-elle.—Etqu’est-cequeçatefait?Ellehausselesépaules.—Jenesaispastrop.Enfin, jesuiscontentequ’ellefassel’effort,mais j’aidumalàcroireensa
bonnefoi.Làencore,jelacomprendsparfaitement.Commed’habitude,Brookeestdistante.J’aienviedelaserrerdansmesbras.Celamedéprimedene
pasenavoirledroit,denepaspouvoirlatenir,l’embrasser,mecomporternormalementavecelle,denepaspouvoirlafairesourire.Jemesensparfaitementimpuissant.
LeregarddeBrookeestfuyant.Ellelebraquesurlemurderrièremoi,surlaporteparlaquelleelleestentréeilyaquelquesminutes,surlegardienassisàlalonguetableencontreplaquérectangulairequijouxtelemurblanc.Surtout,saufsurmoi.
Jejetteuncoupd’œilpar-dessusmonépaule,etvoislesurveillantentraindeliresonjournal,j’enprofite donc pourme glisser jusqu’au rebord dema chaise pourme rapprocher d’elle. Elle finit paraccepterdemeregarderdenouveau.Jeluisourisdetoutesmesdents.Jemesensunpeuidiot,etc’estl’airquejedoisavoiràenjugerparl’expressionétrangementamuséequ’ellem’adresseenretour.Puisjeluidécocheunregardcoquinenobtenantlaréactionespérée.
Jeluiprendslamaingaucheentrelesmiennes.—Quand tu sortiras d’ici, dis-je à voix basse, on couchera ensemble sans arrêt pour rattraper le
tempsperdu.Ellebaisse la têteunefoisencore,maiscettefoisuniquementpourcachersonrougissement.Je lui
caresselecœurdelapaumeduboutdemonauriculaire,lascrutantavecuneintensitémalicieuse.Puisjemurmure:
—Jediraisunesemaineentièresansrienfaired’autrequebaiser.Partout.Danstouteslespositions.Detouteslesmanièrespossibles.
Jem’humectelégèrementleslèvres,faisantlentementalleretvenirmalanguetoutencontinuantàluititillerlamain.
Ellebatdescils.Sijevoulaissimplementluiremonterlemoral,luidonneruneimpressiondenormalitéenparlantde
ça,enpensantàçaetenluicaressantlamaindefaçonsisuggestive,jesuistellementexcitéquejesaiscequejevaisfaireenarrivantàlamaison.
QuandBrookeaàpeuprèsretrouvésonteinthabituel,elledéclare:—Tumemanquesvraimentbeaucoup.Jeluirépondsd’unsouriretimideetluiembrasselesphalangesavantderelâchersamain.—Tumemanquesaussi.Mais turentresbientôtchez toi,cheznous. Ilya tantdechosesdont j’ai
envie de te parler, que je voudrais temontrer. J’ai l’impression que,même si nous nous connaissonsdepuis toujours, etmême si nous avons vécu tant de choses ensemble, ta sortie d’ici sera comme unnouveaudépart.Unepageblanche.Et,cettefois,nousnecommettronspasd’erreur.
Un sourire vient illuminer son visage, adoucir son regard, lui conférer un air adorable et…étrangementcompatissant.
Lestrenteminutessontécouléesenunriendetemps,etelleselève.—Brooke,jet’aime,dis-jetandisqu’elles’éloigne.Plusquetoutaumonde.Elleseretourneaudernierinstantavecsatenueorange,etm’adresseunsourirepleindedévouement.—Jet’aimeaussi,Elias,m’assure-t-elleavecsincérité.Pourtant,savoixestdépourvuedevie.Ellesuitlalignemenantdanslecouloir,etjenepeuxm’empêcherdecroirequec’estladernièrefois
quejelavois.
29
ELIAS
RIANM’ATÉLÉPHONÉILYAUNEHEUREPOURM’INVITERàvenirdiscuterd’uneaffaire«importante».Avantdeluidonnermonaccord,jeluiaifaitpromettrequ’iln’étaitrienarrivéàBrooke.Ainsiquejel’aidéjàdit, j’aitoujourslatrouillequandjereçoisunappeldesasœur.Commenousnesommespasmariés, si quelque chose lui arrivait pendant son séjour en prison, ils contacteraient probablement safamille avant moi, même si elle m’a inscrit au sommet de sa liste des personnes à joindre en casd’urgence.
Rianm’acertifiéqueçan’avaitrienàvoiravecça.Dieumerci.—Jeveuxquemasœurviennevivreavecmoiàsasortiedeprison,meditRianens’installanten
facedemoiàsatabledecuisine.Ses longscheveuxbruns, très semblablesàceuxdeBrooke, lui tombent sur lesépaules ; sesyeux
vertsenamande,quineressemblentpasdutoutàceuxdesasœur,mescrutentavecintensité.Malgrétout,laparentéestindéniable,mêmesiRianatoujourseul’airplussévèreetintimidant.Commeleurpère.Jecroisquec’estpourçaquejenel’aijamaistropappréciée:ellemefaitbientroppenseràM.Bates,quejedétestelittéralement.Satassedecaféluidissimulelebasduvisagetandisqu’ellesouffledessusavantd’en boire une petite gorgée. Puis elle la repose devant elle et tapote la céramique de ses doigtsmanucurés.
—Qu’est-cequ’elleviendraitfaireici?demandé-je.Saplaceestavecmoi.—Etellefiniraparterejoindre,confirmeRian.Maiselleavécutantd’épreuvesàtescôtés…J’abatsbrusquementlamainàplatsurlatable,etellebaisselefront.—Raisondepluspourlafairerentrerlàoùelleseralemieux.— Non, Elias, tu ne comprends pas. (Elle bascule légèrement la tête sur un côté, et ses mèches
sombreslui tombentautourdesyeux.)Jeveuxquemasœursachequetun’espaslaseulepersonneaumondesurlaquelleellepeutcompter.
Jeparsd’unriregrinçant.—Vraiment?Etjesupposequetuveuxparlerdetoietdetesparents?—Écoute,dit-elleenmedévisageantd’unairinflexible,jesaisquetupensesquejemefiched’elle
parcequenosparentsluiontmenélaviedure,maisj’aimemapetitesœur.J’aiessayédetisserdesliensavecelle,maisellem’atoujoursrepoussée.Jen’aipascomprissatendanceàl’autodestruction,jeluiaidonclaissétoutl’espacequ’ellesemblaitvouloir.Maisjel’aitoujoursaimée.
Jepousseunsoupiretsecouelatête.Ellenemanquevraimentpasdeculot.
—Tu l’as laissée te repousser,Rian.Au lieu de la soutenir et d’essayer de la comprendre, tu aschoisil’issuelaplussimple.Etnemelancesurtoutpassurtesparents.
Je lève lesmainsen l’airetmerencognecontremondossier. J’aurais tantdechosesà lui jeterauvisage,maisjemeretiens.
—Je suis d’accord avec toi au sujet denosparents,m’affirmeRian.Mêmemoi jeme suis renducomptequ’ils enavaientmarrede s’occuperd’elle.Mais jen’aique trois ansdeplusqu’elle.Tumetraitescommesij’étaiscommeeux,aussicoupablequ’eux–maisilfautquetucomprennesquejenemedoutaisderienpendantl’essentieldenotrevie.Enfin…jesavaislesdifficultésquerencontraitmasœur,maisj’ignoraiscommentl’aider.J’étaisjeune.
Jen’arrivepasà la regarder.Pasparceque je suis endésaccordavecelle,maisparceque jemerefuseàadmettrequ’ellepuisseavoirraison.J’aienviedeluimettrelafautesurledosparcequeleursparentsnesontpaslàpourmepermettredemedéfouler.
—Etqu’est-cequeçachangerait,delafairevenirici?m’enquiers-jed’untonglacial.—J’aijusteenviedepasserunpeudetempsseuleavecelle.J’aienviedemerattraperetdeluifaire
comprendrequejesuislàaussi,etquejenelalaisseraiplusjamaistomber.—Est-cequetuluiasdemandécequ’ellevoulait?Jeréprimeunricanement,carjeconnaislaréponse.Jesaisqu’ilneluiviendraitmêmepasàl’esprit
denepasrentrerdirectementcheznousensortantdeprison.Pourtant,jem’efforcedegardermonsang-froidenattendantsaréponse,résoluàmecomporterenadulteetànepasfanfaronnertelungamin.
—Oui,répondRian.J’enaiparléàBrooklynlorsdemadernièrevisitelà-bas.Elleestd’accord.J’enrestebouchebée.—Quoi?Net’avisepasdetemoquerdemoi,outuvasprendrecher,Rian.Envenantici,jem’attendaiscarrémentàuneconneriedelasorte,carellesemblaitavoirhéritédes
gènesdesonpèreetêtreallergiqueaubien-êtredeBrooke.MêmesiRiansemêlaitrarementdesavieoudesamaladie,ellenefaisaitqu’empirerleschoseschaquefoisqu’ellesedécidaitàintervenir.
Parchance,ellenegloussapasninesourit.Enréalité,elleeutmêmel’airdecompatir,cequimedonnal’impressiond’êtrelepiredeségoïstes.
—Elleaditça?Pourquoiaurait-elleditunechosepareille?J’ailecœurenmiettes.Rian repoussesa tasseencéramiqueetcroise sesdoigtspleinsdebaguessur la table.Quandelle
plongesesyeuxdanslesmiens,jen’ylisqu’uneprofondesincérité.—Elias,reprend-ellegentiment,masœurt’aimebeaucoup–trop,même,situveuxmonavis…Jelafusilleduregard.—Trop?Qu’est-cequec’estcensévouloirdire?Jeme lève, envoyantglissermachaise surplusieursdizainesdecentimètres. Jenem’étais encore
jamais comporté de façon aussi agressive et défensive. Je m’en rends compte en toisant la sœur deBrooke avec une telle animosité.Mais je ne peux pas admettre qu’elles aient pris cette décision sansm’eninformer,qu’ellesoitd’accordpourvenirhabiterchezsasœurquin’ajamaisétélàpourelledetoutesavie.Jen’arrivepasàcomprendrequ’ellenem’enaitpasparlé.Qu’ellen’aitpashâtederentrervivrecheznous.
Çan’aaucunsens!Je commence à mieux comprendre la dernière lettre de Brooke et son comportement lors de ma
dernièrevisite.Jetentedereprendrelamaîtrisedemesnerfsenm’efforçantd’inspirerlonguementetcalmement.Je
fermelespaupièresettâchedemeviderl’esprit.— Ça devient « trop » quand la vie entière de quelqu’un ne tourne qu’autour d’une seule autre
personne,finitparrépondreRian.JesaisqueBrooklynal’impressionden’êtreriensanstoi,denepaspouvoirvivreéloignéedetoi,Elias.Personnenedevraitressentirunechosepareille.Cen’estpassain.Ilfautquetulesaches.
—Tunesaispasdequoituparles,rétorqué-je.Qu’est-cequitefaitdireça?—C’estellequimel’adit.Jerejettelatêteenarrièreetéclatederire.Puisj’apposelesdeuxmainssurlatableetmepenche
verselle,lestraitsdéformésparunmélanged’incrédulitéetdedéception.—Tunesaisvraimentpascequisepasseavectasœur,l’accusé-je.Çamesembleincroyable,après
toutcequis’estpassé,aprèstoutcequ’elleavécu,satentativedesuicideenCarolineduSud,toutcequ’elleasubiavectesparentsettoi,lefaitquetonpèren’arrêtaitpasdelarejeteretquetamèrefermaitles yeux. (Je fronce le nez de rage en continuant d’observer le visage calme et impassible de Rian.)J’étaisleseulàenavoirquelquechoseàfoutred’elle.Évidemmentqu’ellevadirequ’ellenepeutpasvivre sans moi. Il va même lui arriver de le croire, mais tu veux la vérité ? Laisse-moi éclairer talanterne,Rian.(Jemeredresse,laissantmesmainspendrelelongdemesflancs.)Tuneconsidèrespaslasituationdanssonensemble.Tunevoisquecequetuasenviedevoir.Turestesassiseàécoutercequepeutdiretasœur,etaulieud’essayerdecomprendrecequiluiarrivevraiment,pourquoielleestcommeelleest,tumemetstoutsurledos,sansmêmetedireuninstantque,aufond,cesonttesparentsettoilesvéritablesresponsables.
Jefendsl’aird’ungestebrusquedelamain.—Brookeestmalade,Rian.Malade.Et,quandonyréfléchitbien,cen’estpasmafaute,nilatienne,
nimêmecelledetesparents.Notreseuleerreuraétédenepasluiapporterl’aidedontelleavaitbesoindepuissilongtemps.Surcecoup,jesuismoiaussicoupable.Jen’auraisjamaisdûpartiravecelleaprèscequis’estpassél’annéedernière.Enfaisantça, j’aicontribuéàsamaladie.(Jeposeunpoingsur latable et brandis vers elle un doigt demamain libre.)Mais tu sais quoi ?Aumoins, je peux affirmern’avoirpassuqu’elleavaitbesoind’aideavantqu’onparteencavale.Jen’avaispas lamoindre idéequ’elleavaitvuunpsyétantado.Jenem’étaispasdoutéunseulinstantqu’elleavaitessayédemettrefinàsesjoursenCarolineduSud.J’ignoraistotalementquesesproblèmesétaientplusprofondsquejenepouvaisl’imaginer.Ettuveuxsavoirpourquoijenesavaisriendetoutça?
J’abatsdenouveaumamainsurlatable.Rianclignedespaupièresetsereculesursachaise.—Parcequejel’aimaiscommeelleétait.Jenel’ai jamaisrejetée.Jel’aiacceptée,avectousses
défauts,etsijelapercevaisdifféremmentdesautrespersonnes,c’estparcequejel’aimais,contrairementàvous.Maistoi,tafamilleettoussesprétendusamis,vousl’avezmisedansuncoinparcequ’ellen’étaitpas comme vous, parce que vous n’avez pas daigné faire l’effort d’essayer de la connaître et de lacomprendre.(Jememontredupouce.)Ellen’étaitpasmalade,avecmoi,parcequejeluiapportaistoutcedontelleavaitbesoin,dumoins jusqu’àcequesamaladieempire. (Jemarqueunepauseet inspirelonguementpour recouvrermoncalme.) Jeveux lui fournir tout le soutiendont elle aurabesoin.Si ladernièrechosequejedoisfairesurcetteTerreestdel’aideràtraversercetteépreuve,peum’importe.Maisellemefaitconfiance.Etellem’aime.
Riandéglutitetsedétournequelques instants.J’aimeraiscroirequemon laïus l’a fait réfléchir, l’asuffisamment secouée pour qu’elle comprennequ’elle amal estimé la situation.Qu’elle se trompe. Jepensaischacundesmotsquej’aiditsàBrookequandj’étaisassisdevantelledanscetteépiceriecejour-là,quandelletenaitcepistoletplantécontresonmenton.Jeseraisprêtàmourirpourelle,ouavecelle.Cejour-làdanslaboutique,demain,dansunan.Jeseraisencoreprêtàunetelleextrémitésiondevaiten
arriver là.Deuxpersonnespeuvent s’aimer tantquemême lamortnepeutpas les séparer,mais jenecroispasquedeuxpersonnespuissents’aimertrop.Brookeapeut-êtrel’impressionqu’ellenepeutpasvivre sansmoi, et je ressens lamême chose,mais, quand on y pense, lorsqu’une personne se suicideapparemment à cause d’une autre, parce qu’elle la perd, la raison n’est jamais aussi simple. Il y atoujourspléthored’autreséléments.Onnepeutjamaistoutmettresurledosd’unseulindividu.
Jetrouvetristed’êtreleseuldanslaviedeBrookeàlecomprendre.Oui, jemourraispourelle.Oui, jemourraisavec elle.C’estvraiaujourd’hui, et ce le seraencore
demain,etlesjourssuivants.Maiscelachangetout,quecelasoitdûàl’amouretàladévotionouàladépressionetàlamaladiementale.
JetourneledosàRianetcroiselesbras.—Elleaditqu’elleviendraithabiterici,répond-ellesimplement.Jeretiensmarepartiecinglante.Àcetinstantprécis,jeladéteste.Jeladétestedenepasm’écouter.
J’ail’impressionquetoutcequicompteestcequ’ellepenseêtrelemieux,sanssesoucierdel’opiniondesautres.
—SiBrooklynmeditqu’elleneveutpasrester,alorsjel’amèneraicheztoienpersonne.Toutcequejetedemande,c’estdetetenirà l’écartuntempsetdenepast’enmêler.C’estsadécision, tudoislarespecter.
Jel’entendssiroterunegorgéedecaféavantdereposersatassesurlatable.Jefinisparmeretournerverselle.Jecommenceàparler,maislesmotssebloquentdanslefondde
magorgeetjelesravale.Lamoustiquaire claquederrièremoi quand je sors en trombede lamaison et dévale les quelques
marchesdebéton.—Putain,mec,çacraint,meditMitchellplusieursjoursplustard.Noussommesassisdanssonsalon.Jesuispassélevoiraprèsleboulotcesoir,etjeluiairacontéles
grandeslignesdel’histoire,sansentrerdansledétail.— Jeme souviens d’une fois, en quatrième, quandRian est venue chercherBrooke à l’école. (Je
hochailatêtepourl’encourageràpoursuivre.)Ellessedisputaientàproposdejenesaisplusquoi,etj’aientenduRiandireàsapetitesœurqu’elleespéraitqu’ellesesuicide.
Jefroncelessourcils.—Maisjen’yaijamaisvraimentrepensé,poursuit-il.Onsebalancetoujoursdeshorreurspareilles
entrefrèresetsœurs.Mêmesijesuisd’accordaveclui,celamerendmaladedepenserqueRianaitpu,unjour,direune
tellechoseàBrooke,mêmesiellenesoupçonnaitprobablementpasl’impactquecelapourraitavoirsurelle.
—Etdonc,qu’est-cequetuvasfaire?medemande-t-ilenécartantlesmèchesquiluitombentdevantlesyeux.
Je secoue la tête, puis la repose contre le coussin de la causeuse. Je contemple le ventilateur deplafondetlapetiteficelleservantàallumerleglobedeverre.
—Jevaisla laisserfairecequ’elleveut.Mêmesiçam’insupporte, jenevoudraispasm’imposerentresasœuretelle,surtoutsiRianessaiedefairel’effortd’êtrelàpourelle.C’estunpeutard,maismieuxvauttardquejamais,j’imagine.
»Etpuis,cen’estpascommesiRianpouvaitempêcherBrookedevenirmevoirsielleenavraimentenvie.Elleestassezfortepourluibotterlecul,etjenem’inquiètepasdevoirRianlaretenircontresongréouquoiquecesoit.
Mitchelléclatederire.—Ouais,ilfautbienreconnaîtreçaàBrooke:elleatoujourssusedéfendre.Jeparsd’unrirelégerenrepensantànotreenfance.—Ouais,onpeutdireça.—Tuveuxunconseil?reprendMitchell.Venantd’unanciencaméàlaméth,jen’ytienspasplusqueça,maisilresteunbonamiaveclequel
j’essaiedemerabibocher,jel’écoutedoncmalgrétout.—Disàcettetaréedefrangined’allersefairefoutreetramènelepetitculdeBrookecheztoi,voilà
cequejepense.Ilconclutsaphrased’unhochementdetêterésoluetavaleunegrandelampéedesoda.Ouais,merciduconseil,Mitch,mais,mêmesij’aimeraisbienlesuivre,jecroisquejevaisplutôt
mecomporterenadulte.Jegardecespenséespourmoi.—Etdonc,quandest-cequ’ellesort?medemande-t-il.—Après-demain, réponds-je. Ils ont repoussé la date de quatre jours, sans quoi elle serait déjà
dehors.Mitchelladopteunemoueméprisante.—C’estbizarredefaireuntrucpareil.—Pasvraiment,affirmé-jesanstropsavoird’oùmevientcetteconviction.—Bensi,quandmême,insiste-t-il.Jecomprendsqu’onallongelapeinedequelqu’unquidéconne,
maisgénéralementçadureplusdequatrejours.Jetrouveçaétrange.Enyréfléchissant,jedoisbienreconnaîtrequ’iln’apascomplètementtort.Pourtant,aveclesannées,
j’aiapprisànepastropmefieràcequeMitchellpeutraconter.Jeparsdechez lui justeavant lanuit ;Brookeoccupe toutesmespensées. Jemegaredevantmon
appartementetcoupelecontact.Commelasoiréeestchaudeencemoisdejuillet,jefaispivoterlacléd’uncranpourbaisserlesvitres.Letableaudebords’éteintdèsquejelaretirepourlalâchersurmesgenoux.Jelaissereposermanuquecontrel’appui-tête,fermelespaupièresetprofitedelabrisequivientmecaresserlevisage.Lesgrillonsetlesgrenouillesémergentaveclanuitquitombe,leurvacarmequim’entoure est apaisant. Rien ne vaut un été dans le Sud.Brooke etmoi en avonsmaintes fois profitéensemble, adorant la chaleur et l’humidité, la nature bruyante de la nuit et les oiseaux qui s’éveillenttoujours avant le lever du soleil. Nous adorions pêcher, barboter dans les ruisseaux, attraper desécrevissesetchasserlesluciolesdanslesprés.
Toujoursleslucioles.Encoredeuxjours,etBrookeseralibre.Libredevivresavie,derecommenceràzéroavecmoietde
trouvercebonheurqu’elleatoujourscherché,pourlequelelles’esttoujoursbattue.Cebonheurqu’elleméritetant.Jevisualisesonvisage,cesourireradieuxquej’aitoujoursvudanstoutcequ’ilyadebien.Et, pendant un longmoment, calé dans le siège dema voiture, le tee-shirt bientôt moite de sueur, jem’oubliedanslessouvenirsdesestraits,decettebouchequim’atoujourscharmé.Lafaçondontleventvenait toujours plaquer quelques cheveux contre ses joues, ses prunelles bleues scintillantes etinnocentes.Chaqueinstantdenotreviecommunedéfiledansmatêtetelunvieuxfilmlégèrementterniparletemps,entrecoupédequelquesanomaliesoudécolorationslégères.J’entendsleroulementpermanentdelabobine,maispaslesvoix.Brookecourantdevantmoiàtraverschamps,sescheveuxbrunsflottantdanssonsillage.Elleseretourneavecunsourireradieux,ritauxéclatsethurlecommejelarejoins.
Jefinispar larattraper,refermemesbrasautourdesataille.Noustombonsausol,dansleshautesherbesjaunesetpiquantes.Jesuispenchésurelle,meperdantdanslacontemplationdesesgrandsyeux
magnifiques.Sapoitrinesesoulèveetretombesouslamienne,tandisqu’elles’efforcedereprendresonsouffle.
Et nous nous dévisageons sans dire unmot. J’ai envie de l’embrasser et, au fond demoi, je saisqu’elle n’attend que ça. Nous avions alors quatorze et quinze ans. Peut-être que si j’avais cédé à latentationcejour-là,alorsquejesavaisquejelavoulaispourmoiseuletquej’hésitaisàluirévéler…?Mais nous étions alors tous les deux avec quelqu’un.Cependant, si j’avais cédé, tout aurait peut-êtretournédifféremment.Siseulementj’avaiscédé…
C’est donc ceque je fais.Cette fois-ci, je cède. Jemevide complètement l’esprit. Je repousse lechantdesgrillonsetdesgrenouilles,lasensationduventsurmonvisage,etjerendscetinstantréel.
—Pourquoi tume regardes comme ça ?me demandeBrooke enm’observant par en dessous, seslongscheveuxétalésencorolledansl’herbe.
J’étudielaformedeseslèvres,leurdouceur,etjem’imagineleursaveur.Carjenelesaiplusgoûtéesdepuis si longtemps, depuis le jour de notre premier baiser véritable. Je sens ses doigts se refermerdoucementautourdemontee-shirt,tandisquesesbrassontpliésentrenosdeuxcorps.
—Parcequejet’aime,dis-je.Celalafaitrougir.—Tum’aimes?J’acquiesce.— Je t’aime et je veux qu’on soit ensemble pour toujours, précisé-je avant d’examiner encore sa
bouche,meretenantencoredel’embrasser.Sesdoigtsremontentjusqu’àmesjoues.Elleenfaitcourirunsurmapommette,puissurmessourcils,
avantdelelaisserredescendrelelongdemonnez.—Jet’aimeaussi,Elias,chuchote-t-elleenposantlepoucesurmalèvreinférieure.Etjeveuxrester
avectoipourtoujours.Ma bouche se referme alors sur la sienne et je l’embrasse profondément. Je sens son cœur battre
contrelemien.Puisquelquechosem’arracheàcerêveéveillé,etjeregardeparlepare-brisedemavoiture.Rian
est là, sur le trottoir,àmedévisager,unmorceaudepapier froissédanssamaindroite. Jecomprendsimmédiatementquequelquechosenevapas.Moncœurestprisdansunétau.
30
ELIAS
JESORSDELAVOITURE.—Qu’est-cequisepasse?Laréponsemeterrifie.Ellepleure.Elles’essuielenezdureversdesamainlibre.Jel’entendsreniflerlégèrement.—Rian,qu’est-cequ’ilya?Jen’arrêtepasdejeterdescoupsd’œilaupapierqu’elletiententresesdoigts,sachantqu’ilestle
sinistremessager.J’aienviedelebrûler.LemalaisedanslavoixdeRianm’effraieunpeuplus.—Brooklynestchezmoidepuisdeuxjours,m’annonce-t-elle.Jecroisl’avoirmalentendue.Jemesenssecouerlatêtedegaucheàdroite,commepourchasserses
parolesdemonespritetrepartird’unepageblanche.Jelèvelamain.—Qu’est-cequetuasdit?Elledéglutitdouloureusementetrefermeplusfortlesdoigtsautourdupapier.L’impatiencemegagne,
sibienquej’aienviedel’attraperparlesépaulesetdelasecouerpourlaforceràmeparler.—Ellenevoulaitpasquejeteledise,maiselleestsortielejourprévuetestrentréeavecmoi.Jememetspresqueàhurler.—Rian!Dis-moicequetuasàmedire!Jefaisunpasverselle,alorsquejen’aspirequ’àm’éloigner.Jeneveuxpaslaregarder,maisc’est
laseulemanièred’obtenirlesréponsesquej’appelledésormaisdetousmesvœux.—Jenesaispasoùelleest!(Deslarmesdévalentlelongdesesjoues.)Ellesecomportevraiment
bizarrementdepuissonretour.Ellemeparleaveccetairsincèredanslesyeux.Je…J’aieul’impressionqu’ellemepardonnaittout.Ellen’étaitpasencolère.Elle…Ellenevoulaitmêmeplusévoquerlepassé.(Sessanglotsl’étranglent,désormais.)Ellem’aprisedanssesbras.Nousnenousétionsplusembrasséesdepuisleprimaire.
Moncœurbatàprésentsivitequejelesensjusqu’auboutdemesdoigtsetdemesorteils.J’ailatêteenfeu,rougedepeur,decolèreetdel’adrénalinequifusedansmesveines.
Brookeestlibredepuisdeuxjoursetnevoulaitpasquejelesache.Non.Oh,monDieu,non…Elleavaittoutprévu.Ellem’afaitcroirequesasortieétaitrepousséepourquejenepuissepasl’en
empêcher.JefinisparsecouerRiansansménagement.—Oùest-cequ’elleest?—Jetel’aidit!Jen’ensaisrien!Jenel’aipasrevuedepuisaumoinsdeuxheures!(Seslarmes
continuentd’affluer.)Ellealaisséçasursonlit.Rianmeglisselepapierchiffonnédanslamain.Jel’observesanslelire,ayanttroppeurquededécouvrirlessecretsqu’ilrecèlenerevienneàouvrir
laboîtedePandore.Lemessagemebrûlelesdoigts,mecarbonisejusqu’àl’os.JeledéplieetdéchiffreletextegriffonnéparBrooke:LecielnocturnedelaGéorgiememanque,demêmequeladouceurdelabriseestivalesurmonvisage.J’aimeraiscourirdenouveaupiedsnusdanslesherbeshautes.Lesétoilesmemanquent,lerire,lachaleur.Notreinnocence.Leslucioles.Jeveuxqueleschosess’achèventlàoùellesontcommencé,lorsquenousflottionsensembledansunbocal,nousilluminantmutuellementdanscetespace confiné qui nous paraissait infini. Car rien d’autre ne comptait, à l’époque. Rien nepouvaitnousatteindre,nousblesserounousmenacer.L’innocenceestunebénédiction.Etjeveuxretrouverlamienne.Jeveuxqu’ellerevienne…LadernièrechosequejevoisestleregardhumidedeRian,toujoursrivésurmoi.Jelâcheleboutde
papier etm’élance vers le pré deM. Parson. Je bondis par-dessus le grillage derrière lamaison deDonnaSandersetatterrissurmespieds.Etjecontinuedecourir,dépassantleshabitationsduquartier,etl’église,etl’usinedésaffectéeauboutdelarue.Jecoursplusvitequejamais.Envoiture,ilmefaudraitdeuxminutesdepluspouratteindrelepâturagequ’encoupantàtraversbois.L’effortestsigrandquejepeine à respirer. Mon cœur tambourine contre ma cage thoracique, comme pour s’en échapper. Mesmollets sontdurs comme lapierre,mes chaussuresheurtent le sol àune cadence infernale, si fort quechaqueimpactserépercutedemesorteilsjusquedansmesmollets.
Jenem’arrêtepasdecourir.Je saute par-dessus une petite clôture en bois, dépasse une vieille grange et m’enfonce dans
l’obscuritédelaforêt.Jenedéviejamaisdematrajectoire,enjambelesmêmesrochersquedurantmonenfance.Lesbrancheslesplusbassesmegiflentlevisage,maisjeneperdspasdetempsàlesrepousser.Lechantdesgrillons,desgrenouillesetdescigalesredoubled’intensité,commes’ilsmehurlaientauxoreilles,m’enjoignaientdemedépêcher.
Deslarmesmebrûlentlesyeuxetlagorge.J’entrouvreleslèvrespouravalerplusd’airetrepoussermonchagrin,laissantlacolère,lapeuretladéterminationmepropulserenavant.Carjesaisquepleurermeralentirait,meremueraitlestripesetmemettraitàgenoux.
Je trébucheetchute lourdement, sensmacheville se tordre.Mais jemerelèvesansattendreetmecontrains à reprendre ma course. Le pré devant moi est désert. Je devine le léger remugle de l’eaustagnante qui plane toujours autour de l’étang. Je suis si proche. Si proche. Je force encore l’allure,obliquantvers lagauchequitte à sortir du sentierpourgagnerquelquesmètres. J’aperçois le champàtraversunetrouéedanslesarbres.Jedistinguelesrayonsdelunequiserépandentau-delà,puisjefinispar émerger moi-même en lisière de bois. L’eau scintille au loin. Je sprinte toujours, mon cœur sedéchirantunpeuplusàchaquepas.Et,quandjel’atteinsenfin,jem’arrêtenet,commefaceàunmurdebrique.
Je suis subitement incapable de bougermesmembres, pourtantmes pieds semblent trouver d’eux-mêmeslavolontédetourner.Jevoisdansmondos,distinguelesétoilesduciel,commesijetournoyais,
sanstoutefoissavoircommentjemedéplace.Moncœurs’estarrêtédebattre.Seulmoncerveaumegardeenvie,monespritterrifiéetconfus,figé
dansletemps.—Non,dis-jeàvoixhautesansmerappeleravoirbougéleslèvres.Jefaisunpasenavant.—Non…Monregardplongeet,pendantuneseconde,jen’aperçoisquel’herbesècheautourdemespieds.J’ai
apparemmentreprismacourse.Puisjeredresselatêteversl’étangetlasilhouettequiflotteàsasurface.POURQUOI JE N’ARRIVE PLUS À BOUGER ? BORDEL, POURQUOI JE NE PEUX PLUS
BOUGER?Jehurledesborborygmesquejenecomprendspasmoi-mêmeetfinisparmelibérerdematorpeur,
recouvrantlecontrôledemesjambes.Mespiedspénètrentdansl’eauavecuneforcephénoménale,etlepoidsdemeschaussureslestéesparleliquidemanquedemefairetomber.Cettefois,meslarmescoulentàflots.Mesmainsetmesjambestremblentdefaçonincontrôlable.Monestomacgargouilledansunlacdebilebrûlanteetécœurante.Monespritchercheencorevainementlesbattementsdemoncœur.
Jeme forceà fendre l’onde,pasaprèspas, ayantenpermanence l’impressionquedesdizainesdemainsm’agrippentleschevillespourm’attirerparlefond.
—Brooke!m’écrié-je.Brooklyn!Non!NON!Je n’ai jamais ressenti une telle douleur.Mon corps n’a jamais subi pareille torture. Je sais à cet
instantàquoiressemblel’enfer.Jesuisàdeuxdoigtsdem’effondrer.Quandjel’atteinsfinalement,jesoulèvesoncorpsinertedansmesbras.—Brooke,non!Jet’enprie,réveille-toi!Réveille-toi!Jeluigiflelesdeuxjoues, lespincepuissamment.J’appliquemabouchecontrelasienneetsouffle
profondémentàplusieursreprises,maisjen’aijamaissuivideleçonsdepremierssecours.Meslarmesm’aveuglent.Jenepeuxplusrespirer,mespoumonssonttelsdeuxblocsdebéton.
Sesbrasflottentdepartetd’autredesoncorps.Seslongscheveuxtrempéss’étalent,presquenoirs,commedesalgues.Sonvisageestblafard,inerte,vide.Sespaupièressontcloses,commesielledormait.Jehurlesonnomàplusieursreprises,poussantdedouloureuxsanglots,toutenlaserrantdetoutesmesforcescontremontorse.
—Putaindemerde,non!m’époumoné-je.J’entendsdesvoixémanerdupré,maisellessontétoufféespar laparoideverrequemonesprita
érigée autour de nous.Des lumières aveuglantes bondissent dans les ténèbres, se précipitant dansmadirection,maisjenepeuxcontemplerautrechosequelecorpsinanimédeBrookeentremesbras.
J’ignorecommentj’ysuisparvenu,etjenemerappellepasl’avoirfait,maisjemeretrouveàgenouxsurlaberge;Brookeestencoredansmesbras,lesjambesécartées,toujoursentraindeflotter.Jepleuredansseslourdscheveuxetl’étreinssifortquejel’imagineseréveillerpourmedirequejeluifaismal.
—Pourquoi?Pourquoituasfaitça?Pourquoi?melamenté-jeenlaberçantd’avantenarrière.Lespointsdelumièreserapprochent,sefontplusvifs;lesvoixsontplusfortes.Jeneveuxpaslalâcher.Lesvoixmedisentpourtantdelefaire.Maisjenepeuxpas.J’aijusteenvie
demouririciavecelle.Puis,parmilescrisetletumulteambiants,j’entendsdire:—Soncœurbat.Soncœurbat.Jem’écroulesurlaterredétrempée,m’allongesurledos,etobservelefirmament.Lentement,mon
proprecœurseremetenrouteetl’oxygèneretrouvelechemindemespoumons.Maisjesuisparalysé.Pendant tout ce temps, jem’imagine que Brooke se trouve entremes bras, que nous contemplons lesétoiles,côteàcôte.Puisjemerendscomptequejesuisallongésurlecôté,etquejesuisseul.Depuiscombiendetemps?Quelquessecondes?Plusieursminutes?Desheures?Desjoursentiers?Jenefaisplus la différence. Je considère le pré, la joue plaquée à la terre. Un unique brin d’herbe se dressefièrementaucoindemonœil,etjeparviensjenesaiscommentàl’écarter.L’horizonestnoiretbleu,làoù la terreet lecielnocturnese rejoignent.Deminusculespointsvert-jauneclignotentparesseusementdanslanuit.L’und’euxserapproche.Éteint.Allumé.Jamaisaumêmeendroit.Éteint.Allumé.
—Elias?demandeunevoixdotéed’unfortaccentlocal.EliasKline?Lapetitelucioles’envole.JeroulesurledosetdécouvreM.Parson,àgenouxprèsdemoidanssesbottesmarron,sachemiseà
manchescourtesentissuécossaisproprementrentréedanssonjean.—Elias?Fautyaller,maint’nant.Tupeuxv’niravecmoi?Savoixestcalmeetbourrue.Uneodeurd’eaudeCologneflottedansl’air.—Fautqu’onailleàl’hosto,medit-il.Je me sens piégé à l’intérieur de mon propre corps. Je l’entends parler mais suis tout d’abord
incapable de répondre. Je ne peux plus bouger d’un pouce. Je n’ai qu’une envie : fermer les yeux etmourir.
—J’vaist’aider,dit-ilalors.Ilglissesesbrasendessousdesmiens.Jeneprotestepas.Jen’enaipaslaforce.Quelquesminutesplustard,jemeretrouvesurlesiègepassagerdesonvieuxpick-up,latêteappuyée
contrelavitre.Levéhiculesentlevieuxcuir,laferrailleetl’huiledevidange.—T’sais,l’entends-jedire,j’aitoujourssuqu’toietBrooklynBatesvousv’niezdansmonétang.(Je
suistoujourstropfaiblepourredresserlatête.)Çam’ajamaisdérangé.Saufquandj’devaissortirvouscouriraprès.
Jeconstateque lesgraviersde la routecèdent lepasàdubitume. Jenepenseà riend’autrequ’àBrooke. Son visage me contemple en permanence. Et quand je revois sa figure inerte, ses paupièrescloses,sescilsetseslèvresdégoulinantdel’eaudel’étang,jemeforceàlaregarder,afindemepunirden’êtrepasarrivéplustôt.
— Et pis un soir, poursuit-il, j’me baladais dans mon pré pour chercher mon chien, et j’vous aitrouvés endormis dans l’herbe. Z’étiez blottis l’un cont’ l’autre comme deux p’tits chiots. J’vous ailaisséstranquilles.Yavaitpasd’mal.(Ilpartd’unrireléger,etjelesensquim’observe.)Mêmesimafemmecraignaitqu’vousfassiezpasqu’nager.Ellevoulaitl’direàvosparents.Maisj’yaiditd’laissertomber,sansquoij’luif’raisnettoyerl’champelle-même.
Iléclatederiredeplusbelle.Mon esprit commence à dériver plus loin, vers un endroit où je ne pourrai plus voir ni entendre
personne.SaufBrooke.Jerepenseàtouteslesbelleschosesquenousavonsvécues,meremémorechacunde nos sourires. Tout. Pendant tout le trajet jusqu’à l’hôpital. Et quandM. Parson se gare devant lesurgences,jesuistrophébétépoursavoiroùjemetrouve.
Jerelèveenfinlatêtedelavitre.Leslumièresaveuglantesàl’extérieursereflètentsurmonvisage,etjedistinguelesportesvitréesquimedévoilentl’intérieurdubâtiment.Maisj’aibientroppeurd’yentrer.Troppeurdesortirdupick-up.
Lesportesdel’hôpitalcoulissent,etRianlesfranchitencompagniedemamère.—Oh,Elias!s’écriecettedernièreenaccourantversmoi.
Jenesaismêmepascommentmaportières’estouverte.—Oh,monchéri,jesuisdésolée.C’esttellementhorrible!Jesuisdésolée.Ellerefermesesbrasfrêlesautourdemoi.Jenemesuismêmepassentidescendre.J’aipeurdeluidemanderpourquoielleestdésolée.Jeneveuxpaslesavoir.Les joues deRianbrillent de larmes.Elle a unmouchoir à lamain.Elle va pourm’embrasser, et
même si j’ai envie qu’elle,mamère et tous les autresme laissent tranquille, je n’ai pas la force del’empêcherdem’étreindre.
Jesuisassissurunechaisedanslasalled’attentedesurgences.Jenesaispasnonpluscommentj’aiatterri là. Je ne vois que le carrelage couleur crème, et la traînée sale et humide laissée par meschaussures.Jesuispenchéenavant,lescoudesplantéssurlesgenoux,lesmainscroisées,coincéesentremes jambes.Rianetmamèresontassisesdepartetd’autredemoi,mais jenesaispasquiestoù.Jedétestel’odeurdeplastiquedecetendroit,tellementstérileetagressive.Lesbipsétrangesdesmachinesdanslasalledetriagequelquesmètresplusloinm’irritentencoreunpeuplus.J’entendslecouinementdechaussures en cuir sur le sol, l’interphone se déclencher au plafond, et je vois des lumières rougesclignoteràtraverslagrandevitredonnantsurl’ambulancequivientd’arriver.
Unemainseposesurmongenou,etjereconnaiscelledemamèrequandjedistinguesavoix.—Tuasfaittoutcequetupouvais,monchéri.Ladouleurdanssavoixmetoucheauplusprofonddemoi.Cherche-t-elleàmeprépareraupire,ou
espère-t-ellesimplementmegardercalme?Jenedécollepaslesyeuxdusol.Lesminutess’écoulent,sansquejesachecombien,jusqu’àcequ’uneinfirmièrepénètredanslapièce
etappelleRian.J’aitroppeurpourregarder.Jesaisque,dansuninstant,jevaismourirdejoieoudechagrin.—VousêteslasœurdeMlleBates?luidemande-t-elle.Jenepeuxtoujourspasredresserlatête.Mesonglessontenfoncésdansmoncuirchevelu,surlepoint
demetranspercerlecrâne.Majambedroitetrembledefaçonincontrôlable,montalontambourinantausolàunevitesseimpressionnante.Mamèremeposeunemaindansledos.
—Oui…,répondRian.Jelasensquiselève.Toutl’oxygènedelapièceadisparu,coincédansmespoumons.—Sonétats’eststabilisé.Vouspouvezallerlavoir.J’expulsetoutl’airretenusilongtempsetmelaissetomberàgenoux.Moncorpstoutentierestsecoué
desanglots.Jesensd’autresmainsseposerdansmondos,mais jen’aipas la forcederelever la têtepour voir à qui elles appartiennent. Je pleure si fort entremesmains que jeme crois sur le point devomir.
—Elleestvivante,medis-jeàvoixhaute.Vivante…Mesnarinesmebrûlent,tantleslarmesyontafflué.Jefinisparreleverlatête,etvoisRianetmamèredeboutdevantmoi.—Non,je,euh…,commenceàdireRian.Jelavoism’adresseruncoupd’œil,puisseretournerversl’infirmière.—S’ilvousplaît,emmenezd’abordElias.
31
ELIAS
LACHAMBREESTPLUSLUMINEUSEQUEJENEMEL’ÉTAISimaginé.Lesmurs,lesol,leplafondsontd’unblanc éclatant baignéde l’éclat fluorescent des néons.L’infirmière fermeun long rideauderrièremoi.Une odeur infecte d’alcool à quatre-vingt-dix degrés et d’autres produits chimiques me torture lesnarines.
Pendantquelquessecondes,j’observelapetitepièceoùBrookeestallongéesurunlitsurélevé,desdrapsblancsdissimulantsoncorps immobile.Sescheveuxencore trempésrecouvrentsonoreiller.Sesbrassontvisibles,étenduslelongdesoncorps.Desbraceletsd’hôpitalontremplacéceuxenchanvre,surl’undesespoignets,etuntubed’intraveineuseestscotchéàl’autre.Jeconsidèresonvisageendormi,si doux et si calme, comme si son corps ne venait pas de subir un traumatisme aussi horrible. Ellesemble…paisible.
L’infirmièregriffonnequelquesnotessurlafeuilleaccrochéeàsonécritoireetdéclare:— Elle va s’en remettre. Mais vous devriez discuter avec sa famille des différentes options
d’internement possibles.D’après ce que j’ai compris, il s’agit de la deuxième tentative de suicide deMlleBates.
Jen’entendsqueparbribescequ’ellemeraconted’autre.Overdosedemédicaments.Faillisenoyer.Siellen’avaitpasétéretrouvéesitôt…
L’infirmièrefinitparmelaisserseulavecBrooke.Jecommenceparéteindrelalampequibrûleau-dessusdesonlit.J’approchedoucementunechaisedesonchevetetm’installe.Puisjeprendsunedesesmainsentrelesmiennesetmeslarmesdégoulinentdèsquejemepenchesurelle,leslèvresposéessursesphalanges.Jerestedanscettepositionpendantuneéternité.Noussommesjustetouslesdeux,isolésdanslasolitudedecettechambre.Detempsàautre,j’entendsdesvoixetdesbruitsdepasderrièrelerideauetlesparoisdeverrequ’ildissimule.Brookeneremuepasd’unpouce.Seulesapoitrinesegonfleetsevideaurythmedesarespiration.
Jemedemandeàquoielle rêve,simêmeelle rêve.Ellesemblesiplacideet sereine,allongée là,malgrésescheveuxsalesetdétrempésetsapeaud’unepâleurmaladive.Jem’endors,assisdanscettechaise.
Plustarddanslanuit,ilslafontsortirdesurgencesetluiattribuentunechambre.Rianetmamèrem’yrejoignent, et nous nous installons tous autour du lit. Personne ne parle, sauf pour répondre aux raresinterventionsdesinfirmièresvenants’enquérirdel’étatdesantédeBrooke.
Mamèredécidedepartirquandlesparentsdecelle-cidaignentarriver.
— Appelle-moi dès que tu peux, me dit-elle en me tenant les mains. Tiens-moi au courant. Etj’aimeraisquetuviennespasserquelquesjoursàlamaison.
J’acquiesce. Je n’ai aucune intention dem’y tenir,mais lemomentme semblemal choisi pour endiscuter.
Elle m’embrasse sur le front et je la serre fort contre moi avant qu’elle cède sa place à M. etMmeBates,vêtuscommes’ilssortaientjustedel’église.
Jem’écartepourlaisserlamèredeBrookes’approcherdulitets’asseoirsurlachaisequejeviensdelibérer.Ellesaisitlamaindroitedesafilleetluiembrasselesphalanges,exactementcommejel’aifaitauparavant.
—Jesuistellementdésoléedenepasavoirétélàpourtoi,Brooklyn,dit-elleavecdestrémolosdanslavoix.
M.Batesmedévisagefroidement.—Tupeuxpartir,àprésent,melance-t-il.Je sors les griffes en une fraction de seconde, résolu à défendremon territoire. Je serre les dents
derrièremeslèvresscellées.Ilmefautfourniruneffortconsidérablepourmeretenirdel’assommer.—Jen’irainullepart,rétorquai-jedutonlepluscalmequejepuisseménager.MmeBatesrenifledanslamaindesafille.Rianrestedeboutsurmagauche,silencieuseetattentive.DesridessecreusentautourdunezdeM.Bates,quicontractesesmâchoirescarrées, tentantdene
pasperdrecontenance.Sesmainssontjointesdevantlui.—Noussommessafamille,déclare-t-ilsansdesserrerlesdents.—Non,jesuissafamille,craché-je,coupantcourtàsonargumentaire.Etjenesortiraipasdecette
pièce.—Papa,arrête,s’il teplaît, intervientRian.Nefaispasça.Siquelqu’unasaplaceici,c’estbien
Elias.Etjesaisque,aufonddetoi,tuenasconscience.—Jene…— Robert ! s’exclame alors Mme Bates. (Puis elle baisse la voix et brandit vers lui son doigt
osseux.)Çasuffit.Eliasluiasauvélavie.Ellesetourneversmoiavantd’ajouter:—Etplusd’unefois,d’aprèscequej’aicompris.Alorsarrête!M.Batesnousdévisage tourà tour ;parchance, il accepted’en rester là, aumoinspour l’instant.
Mêmes’iln’estpasd’accord,ilchoisitdenepasfaired’esclandre.Toustroisrestentprèsd’uneheure,sansqueBrookeseréveille.Jenesaispassic’estàcausedes
saloperies qu’elle a avalées, d’un truc que le personnel hospitalier lui aurait donnéou simplement del’épuisement;danstouslescas,jecommenceàmedemandersiellevareprendreconnaissanceunjour.
Ils s’apprêtent à quitter les lieux après avoir discuté enprivé avecune infirmière dans le couloir,maisMmeBatesrevientfinalementembrasserBrookesurlajoueavantdesetournerversmoi.
—Mercid’avoirétélàpourelle,déclare-t-elle,leslèvrestremblantes.—Jeleseraitoujours,affirmé-jeenréponse.Aprèsuntimidesourire,elles’envaenm’effleurantl’épauledesesdoigtsdélicats.Jesuisfurieuxqu’ilspartentavantmêmeleréveildeleurfille.J’aipresqueenviedem’élanceràleur
suiteetdeleurdéballertoutcequej’aisurlecœurdepuisdesannées,quecesontdesgensmalsainsquiauraient dû être plus souvent là pour Brooklyn au cours de son existence. Pourquoi partent-ils ? J’aisoudainbesoindemedéfoulersurquelquechose.
MaisRianrevientalorsenarborantunlégersourire.—J’aiconvaincumesparentsdetelaisserseulavecelle,m’explique-t-elle.
Jeme lève dema chaise et pivote pour examiner la sœur deBrooke, qui a décidément beaucoupchangé.Sescheveuxbrunssont tirésenunchignonmollassonmaintenuenplacepardespincesnoires.Elleportelesmêmesvêtementsquetoutàl’heure,quandelleestvenuemechercherdevantchezmoi.Sonshortdesportestmaculédetachesdepeinturerosevif.Sontee-shirtblancesttoutsaleetdétendu.
—Pourquoi?demandé-je.Ellepousseunsoupiretsetournebrièvementverslaporte.—Parcequetuavaisraisondepuisledébut.Jen’avaissimplementpasenviedetecroire.Etparce
quejepensecequej’aidittoutàl’heure,quetaplaceestici.Plusquecelledemesparents.Plusquelamienne.TueslavéritablefamilledeBrooke,etjesaisquetul’astoujoursété.(Ellesefrotteledessousdel’œilgaucheavantqu’unelarmenes’échappe.)Mercid’avoirprissoindemasœur.Mercid’avoirétélàquandellen’avaitpersonned’autre.
Rianfaitunpasverslecouloirpuissammentilluminé,maisjelarattrape.—Rian.(Ellemeregarde,toujoursenpleurs.)Brooket’apardonné.Tulesais,pasvrai?Ellehochelatêteavecunsourirepleindelarmes.—J’espère,répond-elle.Maisj’espèresurtoutavoirunjourl’occasiondeluiprouverquejel’aime.Elle referme doucement la grande porte en bois derrière elle, privant la pièce de la lumière du
couloir.JereprendsplaceprèsdeBrookeetlissesescheveuxtoutemmêlés.Jerepousseseslonguesmèches
pourdévoilersonvisage.Jel’embrassesurleslèvresetlaregardedormirjusqu’àcequemespaupièresrecommencentàsefermerd’elles-mêmes.Lesoleildumatinpointeàl’horizon,dispensantdefinsrayonspoussiéreuxàtraverslesépaisrideauxtirésdevantlafenêtre.
Quand jem’endorsvraiment, j’ai lasatisfactiondesavoirqueBrooke, l’amourdemavie,vas’ensortir.Ellevavivre,vieilliretallermieux.
Carjevaism’enassurer.
32
ELIAS
Troismoisplustard…—ILSARRIVENT !DIS-JEÀBROOKEDEPUISLESALONDEnotrenouvellemaisondelocation,situéeun
peuàl’extérieurdeSavannah.Jelaisseretomberlerideaudevantlavitre.Brooke accourt depuis notre chambre, vêtue d’une robe en lainemarron très sexy qui s’arrête au-
dessusdesgenouxetdebottesencuirremontantàmi-mollet.Sescheveuxsontnouésenunequeue-de-chevaldonts’échappentquelquesmèchesquiencadrentsonvisage.
Jem’approched’elle,poselesmainssursatailledeguêpeetmepenchepourl’embrasser.Ellesentleshampooingetlegeldoucheàlanoixdecoco.
—Merde,machérie.Jepourraisteprendresurlefauteuil.Jel’embrassedenouveauetsaisissesfessesàpleinesmains.Ellerougit,puissevengeenmetambourinantjoyeusementletorse.—Arrête,rit-elle.Onadesinvités.Puisellemepincelesjouesettirelalanguepourléchermeslèvressaillantes.Onfrappeàlaporte.—Jesuissinerveuse,dit-elle.Jeparsd’unrireléger.—Pourquoi?Ellehausselesépaules,etnousnousdirigeonsverslaporte,maindanslamain.—Jenesaispas,répond-elle.Onnelesapasvusdepuistellementlongtemps…—Cen’estpascommesic’étaitdesvieuxcousinsguindésouuntrucdanslegenre.J’actionnelapoignée.—Eh,mec,çafaitunbail!s’exclameTate.Ilmeserrelamainpuismedonneuneaccoladevirile.Ilal’airpluspropre,mieuxadaptéàlasociété
quequandnousl’avonsrencontrél’annéedernièreenFloride.Sescheveuxclairssontcoiffés,légèrementhérisséssur ledevant. Ilporteunechemiseàmanchescourtesnoire,un jeanbleunuitetdesbottesdemotard.Et,commemoi,ils’estdécidéàrasersabarbenaissante.
—Ouais,çafaituneéternité,confirmé-jeenm’effaçantpourleslaisserentrer,Jenetlui.—Oh,monDieu,tuesmagnifique!s’exclameJenendécouvrantBrooke.Elless’embrassentàmoitié,seserrantparlescoudessanss’étreindrevraiment,sansdoutepourne
pasfroisserleurstenues.—Toiaussi,mabelle,répondBrookeavecunlargesourire.Regarde-toi.Arf,commejet’envieces
longscheveuxblonds!Ilssonteffectivementencorepluslongsqu’avant,luitombantendessousdelataille.— Et moi, j’aimerais bien avoir ta tignasse chocolat si soyeuse, affirme Jen avec un sourire à
l’avenant.Onn’aqu’àéchanger.Jepréfèrenepasmemêleràcetteconversation.JemeretournedoncversTate,quimetendunpack
desixCorona.—Vousavezunfrigo?medemande-t-il.—Non,j’aiconstruitunigloodanslejardin,déclaré-jeenluiprenantlesbièresdesmains.Ilmesuitjusqu’àlacuisine.Bientôt,nousnousretrouvonstousdanslesalon,àrattraperletempsperdu.—Ouais,Caleb traverseunepériodedifficile,nousexpliqueTatedepuis lacauseuse,où il apris
placeavecJen.Ilaétécondamnéàdix-huitpiges,maisonabonespoirqu’ilsoit libérébienavant leterme.
—Putain,c’estunelourdepeine,commenté-jeenserrantlegenoudeBrooke,assiseprèsdemoi.Je lui jette un coupd’œil, hésitant àm’attarder sur le sujet,mais cela ne la dérange pas. Jem’en
doutaisunpeu,carellevamieuxàtouspointsdevuedepuissatentativedesuicide.Sesyeuxbleusmesourient,puisellesetourneversTateetJen.—C’estvraimenttrèstriste.Jen’aifaitqu’unan,jenepeuxpasimaginercequ’ilendure.Tatesecoue la tête,manifestement toujoursabattudesavoirsonfrèreenprison. Ilnes’enremettra
jamais.—Çavaaller.Àvraidire,jepensequ’illevitmieuxmaintenantquelapremièrefois.Unsourireilluminesonvisage.—Etpourquoi?demandé-je.Sonsourires’élargit.—Ehbien,troismoisaprèssonincarcération,ilareçulavisitedesonex,Cera.—Sansdéc?s’exclameBrooke,incrédule.—Ouaip.Etdepuis,elleyretournechaquesemaine.—Ilssesontremisensemble?demandeBrooke.Jevoisàquelpointcettenouvellelaravit.Ellem’arapportélaconversationqu’elleavaiteueavec
CalebdevantlemoteldeBâton-Rouge.JecroisquecelaluiavaitfaitbeaucoupdepeinedesavoirqueCaleb aimait tant cette fille qu’il était prêt à tout pour elle, alors qu’elle refusait de croire en soninnocenceaprèsunerelationlonguedecinqans.
Jenarboreun sourire jusqu’auxoreilles.Ellepasse sesdoigtsdans les cheveuxcourtsdeTate, lebrasposésurledossierderrièreelle.
—Ouais,ilssesontremisensemble.Jesavaisqueçafiniraitpararriver.Ellen’arrêtaitpasdemeparlerdelui.(Ellelèvelesyeuxauciel,commesicelal’insupportait,maisilnefaitaucundoutequeçan’étaitpaslecas.)Jenevoulaispasmemêlerdeleursaffaires.Maisjesuiscontentequ’elleaitchangéd’avis.Unpeuplus tôt,etelle luiauraitsansdouteépargnéd’alleren taule,maismieuxvaut tardquejamais,commeondit.
—C’estgénial!jubileBrooke,leslarmesauxyeux.—Ouais,confirmeTate.JecroisqueCalebvas’ensortir.Dumoinspourl’instant.Onverracombien
detempsellesupporteradelesavoirderrièrelesbarreaux.—N’ypensonspas,intervientBrooke.Restonspositifs.
Tateacquiesce,sachantquec’esteffectivementlameilleurefaçondevoirleschoses.—Etvous,quoideneuf?Pasdebébénidebagueaudoigt?Jengrimace.—Euh…non,dit-elleenponctuantsaphrasedudoigt.Etnon,complète-t-elleenponctuant l’autre
phrase.Tateritetseredressedelacauseusepourposersescoudessursesgenoux.—Onnesemarierajamais,onestd’accordlà-dessus.Quantauxenfants…(sonsourirefaitricaner
Jen)…j’aimeraisbienenavoirunjour.—Ouais,ehben,pasavecmoi,rétorque-t-elle.Jamaisunchiardnesortirademoncorps.Jamais.Tatedresseunsourcil,semâchel’intérieurdelalèvred’unairarrogantetréplique:—Tantquetumelaissestrempermabitedansd’autresgonzessespourenavoir,çameva.Jenserrelesdentsetluidécocheuncoupdepoingdansl’épaule.Brookeetmoirionssouscape.Cesdeux-lànechangerontjamais.Tate rejette la tête en arrière, hilare, puismemarmonne, sachant pertinemment que Jen l’entendra
quandmême:—Ellefiniraparcéderunjour.Jensecouelechefetsourit.—Etvous?nousinterrogeTate.Jelevoischercherduregardnosannulaires.—Unjour,répondBrookeévasivement.Onaenvisagédesemariercetteannée,maisonapréféré
attendre.Aumoinsunanoudeux.—Ehbien,quandvousserezprêts,j’espèrequej’auraiuneinvitation!déclareTate.—Jenepensaispasquetuétaisdugenreàtepointerauxmariages,réponds-je,sarcastique.Jenluitapotelajambeetfaitlamoue.—Tantquecen’estpaslesien…Onfrappedenouveauàlaporte.Jemelèvepourallerouvrir.—Elias!s’exclameGraceenmetendantlesbras.JelaserrecontremoitandisqueBrooke,TateetJennousrejoignent.—Oh,monDieu,Grace, tum’as tellementmanqué ! gémitBrooke en l’étreignant, ne se souciant
manifestementplusdefroissersesvêtements.—Toiaussi!répondnotreinvitéeenreculantd’unpassansluilâcherlesmains.(Elleladétailledes
piedsàlatête.)Putain,tuescanondanscetterobe.Encoreunediscussiondefilles.Jem’effacepourlalaisserpasseretaccueillirlegrandbrunquime
dépasse de cinq bons centimètres.Des tatouages lui noircissent les deux bras, et un autre émerge au-dessus de son col. Il a une dégaine de rockeur sortant de chezAbercrombie & Fitch avec son jeandécontractéetsontee-shirtgrisclair.
—Entre,luidis-je.Gracesetourneversluietfaitlesprésentations.—VoiciKnox,monpetitcopain.(Puisellenousdésignetouràtour.)Elias,Brooke,TateetJen.Knoxnoussalued’unhochementdetêteetd’unsourirefugace,avantdeplongerlesmainsdansses
poches.Nouspassonslademi-heurequisuitàprendredesnouvelleslesunsdesautresetCalebdisparaîtde
laconversation,carGracenesemblepasàl’aised’enparlerdevantKnox.Finalement,Riannousrejoint.ElleesthabilléepresquecommeBrooke:unerobeenlaineàmanches
longuesetdesbottes.Etelleal’airmalàl’aise.
—Viens,jevaisteprésentertoutlemonde,luiditsasœurenl’entraînantparlebras.—Jesuisheureusedevousrencontrerenfin,ditRian.Brooklynm’abeaucoupparlédevous.Brooke et moi échangeons un regard, pensant sans doute la même chose. Tous ces gens nous ont
accompagnésdansnotrecavale,Riannelesconsidèredoncprobablementpascommedesamisinnocentsrencontrés à la bibliothèque. Mais, fidèle à sa promesse d’être toujours là pour sa sœur, elle lesconsidèretousavecrespect,etsemblemêmepasserunbonmoment.
Vers21heures,nouspartonspourunesoiréed’automneorganiséedansuneboîteducoin.Halloweenn’est plus très loin, et la ville se prépare aux nombreuses fêtes prévues à cette occasion.Même lesréverbèressonthabillésd’orangeetdenoir.
Lavieestbelle,unpeupluschaquejour.TateetJensontrentrésàMiamilelendemaindeleurvisite,maisnousnoussommespromisderester
encontactetnousavonsdéjàprévuunvoyageenFloride l’étéprochainpourpasserunesemainechezeux.GraceetBrookecommuniquentsansarrêt.Autéléphone.Parmail.Partexto.Lorsqueleprintempsarrive, ellesontdéjà fait trois fois l’aller-retour entreSavannahetNorfolkpour se rendrevisite. J’aimême entenduGrace dire qu’elle envisageait de s’installer àSavannah avecKnox.Cette nouvellemeravit d’autant plus que Grace et Brooke s’entendent à merveille. Elles n’ont aucun secret l’une pourl’autre, et si jeme suis d’abord inquiété d’entendreBrooke se confier si vite à elle, je n’ai pasmislongtempsàl’accepterpleinement.Elleavaitbesoind’unemeilleureamietellequeGrace.
Enplusd’avoirGracedans savie etde s’êtrepeuàpeu rabibochéeavecMitchell,Brookepassedésormaisbeaucoupdetempsavecsasœur.Rianestbienremontéedansmonestime.Illuiarriveencoreparfois de foutre Brooke en rogne à force de vouloir jouer à la grande sœur, mais rien de grave,seulementdesdisputesentrefranginesquej’estimeonnepeutplussaines.
EtpuisBrookes’entendégalementmieuxavecsamère.Sonpèreresteunobstinédepremière,maisjecroisquemêmeluicommenceàsefaireuneraison.
Toutefois,l’évolutionlaplusimportanteestcelledelamaladiedeBrooke.Avantquenousquittionsl’hôpitalenjuilletdernier,quandjel’aisortiedel’étangdeM.Parson,je
mesuisjurédefairetoutcequiétaitenmonpouvoirpourl’aideràallermieux.Jeluiaitrouvéunebonnepsychiatre–aprèsm’êtrebeaucouprenseignésurelle–queBrookesembleadorer.Ellelavoitunefoisparsemaine,etpuisquemonjobdecouvreurrapportebien,jepaiepourlamutuelledeBrooke.Elleacommencé par s’y opposer,mais j’ai fini par remporter ce bras de fer. LeDrAshley a tâtonné pourtrouverleremèdequiaideBrookeàjugulersontroublebipolairesanslarendrecatatoniqueet,surtout,sansluidonnerdespulsionssuicidaires.Brookes’ensortvraimenttrèsbienetjesensqu’elleestbienplusheureuse.
J’ai fini par découvrir – et çame faitmal rien que d’y penser – que, avant que nous sortions del’épicerieàBâton-Rouge,elles’étaitdéjàrésolueàsesuicidertôtoutard.Pendantlemoisquiasuivisasortie d’hôpital, j’ai cru qu’ils l’avaient mise sous médocs pendant sa captivité pour qu’elle ait denouveau des envies pareilles. Comme enCaroline du Sud. Celam’a déchiré le cœur quand ellem’aavouéunjourquelaseuleraisonpourlaquelleellen’avaitpaspresséladétentecejour-là,c’étaitquej’étaisassisdevantelle.Ellenepouvaitpasmourirensachanttoutcequ’ellemeferaitendurer.Etelleavait envisagé d’en finir quand elle était en cage, mais le peu demoyens dont elle disposait pour yparvenir–mêmesiellem’affirmequ’elleauraitpuyarriverquandmême–acontribuéàlamaintenirenvie.
Envieassezlongtempspourpouvoirallermourirdansleseulendroitoùelleavaittoujourstrouvélapaix. Sur le terrain deM.Parson.Là où nous nous sommes rencontrés.Là où nous avons passé notre
enfance.Mais,avecmonaide,etgrâceàl’amouretausoutiendesasœur,àunbonmédecinetautraitement
adéquat,Brookeestuneautrepersonne.Je leconstatechaquejour.Elleestheureuse.Quandje lavoissourire,quandjel’entendsrire,jesaisquecettenoirceurqu’elleabrite–etqu’elleabriteratoujours–estdésormaissipetiteetsifaiblequ’ellenepeutplusluifairedemal.J’aicraintpendantuntempsqu’ellen’aillemieuxuniquementparcequej’étaisavecelle.Jenepouvaispassupporterl’idéeque,sinousenvenionsàrompreunjour–mêmesijenel’envisageaispasunseulinstant–,ellepourraitunefoisdeplusattenter à ses jours.Même si je voulais lui servir de béquille, de roc, je ne voulais pas être la seuleficellelarattachantàlavie.
Parchance,jemesuisrenducomptequecen’étaitpaslecas.Ilnousarriveencoredenousdisputer,maisnousnousrabibochonstoujours,etellen’aplusjamais
étéattiréeparsoncôtésombre.Pasaupointdesefairedumal,entoutcas.Elleaparfoisdesmomentsdedéprime,maiselleaimelavieetleprouveauquotidien.Carouais,lavieestbelle.Etjesaisqu’ellevaencores’améliorer.
LarouteaétélonguepourBrooke,maisjel’aiaccompagnéeàchaquepas.Etmêmesielleaparfoisl’impressiondenepasmemériter,elleapprendpeuàpeulecontraire.
Toutlemondemérited’êtreaiméetsoutenuàtraverslesobstaclesdel’existence.Surtout lesgenscommeBrooke.
33
BROOKE
Troisansplustard…AUJOURD’HUI, JE SUIS UNE TOUT AUTRE PERSONNE. C’est tellement étrange de repenser à ma vie
d’avant… Jemedemande comment j’ai pum’en sortir en un seulmorceau. Je pense sincèrement êtrel’unedespersonneslespluschanceusesdumonde.Passeulementparcequej’aiEliasdansmavie,maisaussi parce que j’ai survécu à deux tentatives de suicide et demie.Nous ne sommes pas nombreux àpouvoirendireautant.Jenesaispascequim’avalucettechance,cequim’adonnéledroitdecontinueràvivrealorsquetantd’autres,quileméritaientplusquemoi,ontperduleurpremièrebataille.Quoiqu’ilensoit,jeremercielaprovidencedem’avoirlaissélaviesauve.
Jesaisquejen’enseraisjamaisarrivéelàsansEliasetsonamourinconditionnel.Ilétaittoutpourmoi,danstouslessensduterme.Ilaremplacéavantageusementmesparents,masœur,mesamis.Ilestl’amourdemavie.Ilétaitmaconscience,mavolonté,madirectionàsuivre.
Aujourd’hui,Eliascomptetoujoursautant.Mêmesij’aienfinunerelationdignedecenomavecmasœuretsimonpèrecommenceenfinàsecomportercommetel.J’ailameilleureamiequisoit,Grace,etellehabiteàmoinsdedixminutesdechezEliasetmoi.Mamèremetéléphonedeuxfoisparsemaineetnous passonsmêmedu temps ensemble, partageant lesmêmes choses quen’importe quellemère et safille. Ilm’a fallu plusieurs décennies pour avoir l’impression qu’Elias n’est pasma seule famille, et,maintenantquec’estarrivé,jenepourraispasêtreplusheureuse.
Mais,commejel’aidit,jesuisunetoutautrepersonne.Jemeréveilletouslesmatinsprèsdemonamoureux,soulagéequecellequej’étaisautrefoisnesoit
pasparvenueàlechasser.Et,pourlapremièrefoisdemonexistence,quandjem’extirpedulitlematinetquejemeregardedanslemiroirdelasalledebains,j’apprécielafilleenfacedemoi.Jelacomprends.Jen’aipashonted’elle.
Je souris enme regardant,puisprendsmabrosseàdents etmeprépareà la journéequim’attend.Elias fait des croix sur le calendrier depuis trois semaines, décomptant les jours nous séparant d’unévénementqu’ilarefusédem’annoncer.J’entreendansantdansnotrecuisineminusculeetvirevoltedefaçonthéâtrale,faisanttournoyermanouvellerobed’été,dontlesfinesbretellesblanchesressortentsurlapeaudoréedemesépaules.
—Trophabillée?Pasassezhabillée?Qu’est-cequetuenpenses?demandé-jeensouriantàElias,assisànotrepetitetablepourdeux.
Ilsecouelatêteetavalesadernièregorgéedejusd’orange.
—Non.Aucunechance.Arrêted’essayerdem’arracherdesindices.—Oh,s’ilteplaît,gémis-jeparjeuavantdemedirigerversleréfrigérateur.Çanememettrapassur
lavoie.—Laissetomber,Brooke.Ilritetrepoussesachaisesouslatable.—D’accord,cédé-je.Est-cequetuasparléàmonpère?Ilhochelatêteetrincesonassiettedansl’évier.—Ouais,ilaappelépendantquetuétaissousladouche.Iladitquetamèrerentreraitàenvironune
heureaprèsnotredépart.Jenesuispascertainqueçameplaise.Jelèvelesyeuxaucieletluisourisenrefermantlaportedufrigo,aprèsm’êtreserviunverredejus
d’orange.—Laisse-luiunechance,monchéri.Ilpeutyarriver.—Jesaispas, répond-ilensecouant la têtegravement. Ila toujourscetairnerveux.Pendant toute
notreabsence,j’aurail’impressionqu’onleretrouveracachédansleplacardànotreretour.J’éclatederire.—Çavaaller,assuré-je.Mamanrentreraavantqu’onn’enarrivelà.Eliass’approchedemoietmeposelesmainssurleshanches.—Pourinfo,tarobeestparfaitepourl’occasion.Jeluisourisetlaconsidèrebrièvement.—C’estvrai?Ilhochelatêteetmedéposeunbaisersurlefront.—Allez, on file, dis-je en attrapantmon sac àmain sur lemeuble.Notre avion décolle dans une
heure.J’avalemonverredejusd’unetraiteetl’abandonnesurlecomptoir.NousatterrissonsàAthens,etmasœurvientnousrécupéreràl’aéroportpournousconduirechezmes
parents.Papaestassisdanslesalon,devantlarediffusiond’unevieillesérie.Iltented’avoirl’airnaturelquandnousfranchissonslaporte.
Quandilselèvedesonfauteuilpréféré,jemedirigedroitversluipourleserrercontremoncœur.—Salut,papa.Ilm’embrassesurlesommetducrâneetmefrotteledosdesdeuxmains.—Jesuiscontentdetevoir,répond-ilavantdem’étreindreunpeuplusfort.Jen’aipasl’habitudedecetteaffectionpaternelle,maisjenem’endispenseraispourrienaumonde.Riandisparaîtdanslacuisine.Ellenousaparlépendanttoutletrajetd’unrestedecheese-cakeque
mamanapromisdeluimettredecôté.Elleavaitpeurquepapan’ytoucheavantsonarrivée.—Contentdetevoiraussi,Elias,luiditpapaavecunhochementdetêtedebienvenue.Jememetsàsourire.Tousdeuxcommencentàbiens’entendre,mêmesi,audébut,nousmarchions
toujourssurdesœufsquandnousallionsrendrevisiteàmesparents.Mais,peuàpeu, ilsontmis leurrancœurdecôtéetensontarrivésàsecomprendre.
Ilséchangentencorequelquesmots,puismonpères’approched’Eliasentendantlesdeuxmains.—Etcommentvamonpetit-filspréféré?ajoute-t-ilavecungrandsourireincertain,encontemplant
notrefilsdanslesbrasdesonpère.Iln’ajamaisétédouéaveclesenfants.Elijah,quiauraunandansquelquesjours,alescheveuxbrunsetlesyeuxbleusdesesparents.Après
unegrimacetimide,ilseblottitcontreletorsedesonpapa.Monpèrelaissetombersesmainslelongdesoncorps.Luiaussifaitlagrimace,etjetrouvedrôle
qu’ilaitpresquepluspeurd’Elijahquel’inverse.— Il nem’aime pas, dit-il en jouant nerveusement avec l’épaissemontre en argent qu’il porte au
poignetdroit.Vousdevriezpeut-êtreattendrequetamèrearriveavantderepartirpourSavannah.JetendslesbrasversElijah,quis’yprécipiteimmédiatement.—Nesoispasbête,papa.C’estjustequ’iln’estpashabituéàtoi.Ilnetevoitqu’unefoisparmois.Jeluimetsnotrefilsdanslesbras.Papaletientfermement,l’asseyantdansleplidesoncoude.Iln’avraimentpasl’airàl’aise.Eliasmejetteuncoupd’œil,uneexpressionsiinquiètesurlevisagequec’enestrisible.Etalorsquepapacommenceàcroirequ’ilpeutyarriver,Elijahéclateensanglotsettendsespetits
brasversmoi.Papaenprofitepourmelerendre.Rianrevientdanslesalon,sapartdegâteausurunepetiteassietteblanche.—Ilmarche,taquine-t-ellenotrepèreavantdeporterlafourchetteàsabouche.Tucroisquetuvas
pouvoirlesuivre?Ellesetourneversmoi,puisversElias,toutententantdeseretenirderire.JeconfieElijahàEliasafind’ouvrirlesacàlangersurlecanapé.J’expliqueàmonpèretoutcequ’il
aàsavoird’iciauretourdemaman.Jesaisqu’ilpeutyarriver.EtEliasn’apasaussipeurdeleluilaisserqu’ilnelefaitcroire.Selon
mamère,papasedébrouillebeaucoupmieuxavecnotrefilsquandpersonneneleregardenineletaquineaveclefaitdechangerunecoucheouautre.
Elias et moi nous attardons quelques minutes supplémentaires, puis Rian nous raccompagne àl’aéroport pour que nous puissions prendre notre vol de retour. Je suis tellement excitée. Et tendue.Quellequesoitlasurprisequ’Eliasmeréserve,çadoitêtrequelquechosedetrèsparticulier,carilestsur un petit nuage depuis trois semaines. C’est même lui qui a téléphoné à mes parents pour leurdemander de garderElijah pour leweek-end.NiElias nimoi n’aimons le laisser seul,mêmedans lafamille,mais nous savons que, pour certaines occasions, nous devons nous y résoudre.Apparemment,c’enestune.
—Lepetitbonhommememanquedéjà,meditEliaslorsquenoussommesàbord.Jemetourneverslui.—Tut’inquiètespourdevrai?Ilpartd’unlégerrireetsecouelatête.—Seulementpourtonpère.Jerisàmontour.Un silence s’installe quelques instants, tandis que nous gardons les yeux fixés sur le siège devant
nous.—Elias?demandé-jedoucementenmetournantverslui.—Ouais?Ilmesouritlégèrement,sansdécollerlecrânedesondossier.—TutesouviensdecettesoiréechezJen?Quandnousavonsparlédel’opportunitéderevenirou
pasdanslepassésionlepouvait?—Ouais,jem’ensouviens.Ilmeprendlamainetglissesesdoigtsentrelesmiens.—Ehbien,tuavaisraison,dis-je.—Àquelsujet?Cettefois,ilredresselatête.Jeluiserrelamain.
—Tum’asditquequandonpourraitvivrenotrevieetenprofiterensemble, jechangeraisd’avis.Quejenevoudraisplusretournerenenfance.Ehbien,tuavaisraison.
Sesprunelless’illuminent.—Tantmieux,répond-ilenm’embrassantlesdoigts.
ELIAS
NOUS ARRIVONS ÀSAVANNAH EN DÉBUT DE SOIRÉE, récupérons notre voiture à l’aéroport et roulonsjusqu’àl’endroitoùilmetardedel’emmenerdepuisdessemaines.J’aiprisunrisqueenorganisantcelasanslaconsulter,surtoutquec’estloind’êtrepetitetpascher.Et,quelquepart,jecrainsquecetteidéeneseretournecontremoi,qu’aulieudelarendreheureuseellenefasseressurgirdemauvaissouvenirs.Jedécidetoutefoisdesuivremoninstinct.D’écoutermoncœur.Etmoncœurmeditqu’ilyalàplusdebonsquedemauvaissouvenirs,etqu’ellevaadorerça.
—Tuesprête?luidemandé-jeenluiprenantlamainpourl’aideràdescendredevoiture.Elleréajustedel’autremainlebandeauquil’aveugle.—N’essaiepasderegarder,hein!—Maisnon!s’esclaffe-t-elle.Selaissantguider,ellemetlespiedshorsdelavoitureetseredresse,prenantappuisurledessusde
laportièrepourtrouversonéquilibre.—Cen’estmêmepasmonanniversaire.Jefermelavoiturederrièreelleetl’entraîneàmasuitejusqu’àl’herbe.—Çanechangerien,réponds-jeenluiserrantlamain.Sonsourires’étire.Elleseraccrocheàmoiquandsestalonsrencontrentunebosse.Jelatiensparle
coudepourlastabiliser.—Tuauraisaumoinspumediredemettredeschaussuresplates,gémit-elleens’efforçantdenepas
tomber.—Désolé,jen’avaispaspenséàça,réponds-jeavecunsouriredanslavoix.Maisquelquechoseme
ditquetuvasdetoutefaçonvitelesenlever.C’est une chaude soirée d’été, commenous les aimons.La nuit approche,mais la lumière du jour
résisteencoreauxassautsducrépuscule.Lesluciolessontdéjàdesortie,clignotantautourdenous.Nousprogressonsmaindanslamain,nouséloignanttoujoursplusdelavoiture.Jeperçoissonexcitationàlafaçondontelleétreintmesdoigts.Àsonimmensesourirepleindedentsétincelantsousletissudesonbandeau.Àlajoiedanssavoix.
Unefoisàbonnedistance,jem’arrêteetpassederrièreellepourdéfairelenœuddesonbandeau.—Aïe!Faisattention.—Pardon,chérie,réponds-jeenm’efforçantcettefoisdenepasluitirerlescheveux.J’arrivefinalementàledétacheretlaissetomberlemorceaudetissu.Elleaunhoquetdesurpriseet
contemplesanscillerlechampgigantesquebordéd’uneforêt.Unvasteétangéquipéd’unpontons’étaleàl’est,devantunbouquetd’arbres.Elleportelesdoigtsàseslèvres.
—Quoi…?(Ellesetourneversmoi.)Qu’est-cequec’estqueça?Jesouris.—C’estànous.J’aiéconomisépourunpremieracomptedepuislejouroùj’aicommencémonboulot
decouvreur,ilyatroisansdeça.Et,pourlereste,j’aiprisuncréditàlabanque.Toutçaestànous.Lestreizehectares.(Jeluidésignelesboisauloin.)Etilyaunruisseauparlà-bas.
Sesdoigtssemettentàtrembler,toujoursposéssursabouche.—Jevaisconstruirenotremaisonici,annoncé-jeenlaprenantdansmesbras.Deslarmescommencentàcoulersursesjoues,etellereniflebruyammentenessayantdelesretenir.
Jelafaispivoteretlaserrecontremoi.—Unnouveaudépart,tuterappelles?dis-jeenl’embrassantsurlatempeavantdefrictionnerses
brasnus.Ellerenifledenouveauetsècheseslarmes.—Jen’arrivepasàcroirequetuaiesfaitça.Légèrementinquietdenepaslavoirréagircommejel’espérais,jeluidemande:—Tuescontrariée?Elle éloigne son visage demon torse et plonge ses yeux dans les miens tout en secouant la tête.
D’autreslarmessemettentàperler.—Non,répond-elleavecunelégèrepointed’incrédulitédanslavoix.C’estjusteque…C’est…Je
t’aimetellement!Elleme saute dans les bras, enroulant les siens autour dema nuque, refermant ses cuisses surma
taille.Ellem’embrassesurtoutlevisage,mêmesurlespaupièresetdanslepetitcreuxsousmonnez.Jel’étreinsdeplusbelle.
—Tuavaisraisonunefoisdeplus,déclare-t-elleenreposantlespiedsparterre.Ellesepencheenavant,ungrandsourireauxlèvres.—Àquelsujet,cettefois?Ellesedébarrassedesestalons.—Ausujetdeschaussures.Puisellemerepoussedesdeuxmainsetmefait tomberausolavantdepartirencourant.Labrise
portesonriredanssonsillage.Pendant quelques secondes, je me contente de la contempler, voulant immortaliser cet instant à
jamais.Jeregardesescheveuxbrunsflotterderrièreelleet rebondirmajestueusementsur ledosdesafine robe blanche. Ses douces jambes élancées voler gracieusement au-dessus des hautes herbes, leslucioles clignoter tout autour d’elle.Le crépuscule projette de longuesombres sur sonvisage souriantquandelleseretourneversmoi.Etjemeperdsdansleplaisirdecemomentjusteavantdem’élanceràsestrousses.
JessicaAnnRedmerskiestnéeàLittleRocken1975.EllevitenArkansasavecsestroisenfants.Elleauneprédilectionpourtoutcequiincitelesgensàrepousserleurslimites,etassumeparfaitementlefaitd’êtreuneinconditionnelledelasérieTheWalkingDead.Lesaventuresd’AndrewetCamryn–Loindetout et Près de toi – ont d’abord été autopubliées sur Internet. Après avoir rencontré un succèsphénoménal, Grand Central Publishing a acquis les droits de la série qui s’est imposée en tête desmeilleuresventesduNewYorkTimes,duWallStreetJournaletdeUSAToday.Danssondernieropus,LaBalladedes lucioles,Redmerski rappelle,de lapluspoétiquedes façons,àquelpoint lesvoyagesformentlajeunesse.
Dumêmeauteur,chezMilady:
LoindetoutPrèsdetoi
LaBalladedeslucioles
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MiladyestunlabeldeséditionsBragelonneTitreoriginal:SongoftheFirefliesCopyright©2014byJ.A.RedmerskiPubliéavecl’accorddeGrandCentralPublishing,NewYork,États-Unis.Tousdroitsréservés.©Bragelonne2015,pourlaprésentetraductionPhotographiedecouverture:©ShutterstockL’œuvreprésentesurlefichierquevousvenezd’acquérirestprotégéeparledroitd’auteur.Toutecopieou utilisation autre que personnelle constituera une contrefaçon et sera susceptible d’entraîner despoursuitescivilesetpénales.ISBN:978-2-8205-2092-0Bragelonne–Milady60-62,rued’Hauteville–75010ParisE-mail:[email protected]:www.milady.fr
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