islam laïcité démocratie

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A BDOU F ILALI -A NSARY ISLAM, LAÏCITÉ, DÉMOCRATIE O N POURRAIT CONDENSER sous forme d’un syllogisme les croyances les mieux établies sur la relation entre ces trois notions : islam, laïcité et démocratie. Ce syllogisme serait : L’islam est hostile à la laïcité Or la laïcité est indispensable à la démocratie Donc l’islam est incompatible avec la démocratie. Une telle formulation peut paraître artificielle, grossière et brutale. Elle résume toutefois certaines idées parmi les mieux reçues et les plus enracinées dans l’opinion publique contemporaine. L’enracinement de ces idées est tel que les nombreuses approches alternatives et critiques proposées au cours des dernières décennies n’ont réussi ni à les élimi- ner ni même à en atténuer les effets sur les conceptions et les attitudes dominantes. Vaut-il la peine de leur livrer un nouvel assaut ? Il serait peut-être plus utile d’analyser chacune des propositions de ce syllo- gisme pour en « mesurer la valeur de vérité », pour parler comme les logiciens, avant de voir si les articulations entre elles peuvent réellement tenir. L’analyse fera appel, on le verra bien, à de la sémantique élémen- taire, c’est-à-dire au sens qu’on est en droit d’accorder aux mots, et donc aux liens qu’on établit entre eux pour construire des propositions. Première remarque, valable pour les trois termes clés, islam, laïcité et démocratie : ils sont tous adoptés dans l’usage courant comme des renvois à des référents simples, totaux, dont le sens serait évident pour tout le monde. Or nous savons bien que les trois font l’objet de débats, intenses et durables, et qu’ils sont loin de représenter des réalités simples et homogènes, qui seraient reçues de la même façon par tous. Notre thèse est que l’usage sémantique désordonné a produit nombre ISLAM, LAÏCITÉ, DÉMOCRATIE 5 POUVOIRS 104, 2003

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ABDOU FILALI-ANSARY

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  • A B D O U F I L A L I -A N S A RY

    I S L A M , L A C I T , D M O C R AT I E

    ON POURRAIT CONDENSER sous forme dun syllogisme lescroyances les mieux tablies sur la relation entre ces troisnotions : islam, lacit et dmocratie. Ce syllogisme serait :

    Lislam est hostile la lacitOr la lacit est indispensable la dmocratieDonc lislam est incompatible avec la dmocratie.

    Une telle formulation peut paratre artificielle, grossire et brutale.Elle rsume toutefois certaines ides parmi les mieux reues et les plusenracines dans lopinion publique contemporaine. Lenracinement deces ides est tel que les nombreuses approches alternatives et critiquesproposes au cours des dernires dcennies nont russi ni les limi-ner ni mme en attnuer les effets sur les conceptions et les attitudesdominantes. Vaut-il la peine de leur livrer un nouvel assaut ? Il seraitpeut-tre plus utile danalyser chacune des propositions de ce syllo-gisme pour en mesurer la valeur de vrit , pour parler comme leslogiciens, avant de voir si les articulations entre elles peuvent rellementtenir. Lanalyse fera appel, on le verra bien, de la smantique lmen-taire, cest--dire au sens quon est en droit daccorder aux mots, et doncaux liens quon tablit entre eux pour construire des propositions.

    Premire remarque, valable pour les trois termes cls, islam, lacitet dmocratie : ils sont tous adopts dans lusage courant comme desrenvois des rfrents simples, totaux, dont le sens serait vident pourtout le monde. Or nous savons bien que les trois font lobjet de dbats,intenses et durables, et quils sont loin de reprsenter des ralitssimples et homognes, qui seraient reues de la mme faon par tous.Notre thse est que lusage smantique dsordonn a produit nombre

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  • de problmatiques artificielles. Les abus smantiques ont conduit larflexion dans des impasses ou des cercles vicieux, ont embrouill ledbat sur ces questions et empch toute progression vers la clart ettoute avance dans la mise en uvre de solutions.

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    Lislam, dabord, est le terme qui semble donner lieu aux plus grandesconfusions. La plus importante et la plus dvastatrice est celle qui mlecredo et histoire. Alors quon distingue nettement et aisment entrechristianisme et chrtient, on utilise, lorsquil sagit de lislam, le mmeterme pour dsigner des objets aussi diffrents que les croyances reli-gieuses, les rites et pratiques les plus divers, des vnements et des atti-tudes spars par des sicles et par des distances gographiques etconceptuelles immenses. Autrement dit, on utilise le terme islam pourrenvoyer une collection dobjets de nature trs disparate. Celaimplique quon voit lislam (ou sa prsence, son influence, son tre,sa dtermination) dans des ralits extrmement varies, y compris desmanifestations, des activits qui nont, en elles-mmes, rien de reli-gieux. Cela produit des confusions sous plusieurs formes.

    Mme lorsquon distingue entre religion et histoire, trois niveauxsont implicitement associs lorsquon parle aujourdhui dislam, commele remarque Abdelmajid Charfi 1 : le premier est celui de lensemble desvaleurs nonces par le Coran. Mme sil sinscrit dans la traditionmonothiste, le Coran a mis laccent sur certaines valeurs plutt quedautres, comme la compassion (rahma)* plutt que lamour, et a ainsicr une sensibilit morale bien particulire, distincte de celles qui ontt dfinies par dautres traditions religieuses.

    Le second est celui de la pratique historique, principalement consti-tu de la pense religieuse avec lensemble de ses composantes : com-mentaire des textes (tafsir), thologie (kalam, uul al-Fiqh), droit (fiqh),etc. La naissance de ces disciplines consacre la fin de la rvlation et lecommencement de la situation hermneutique , au cours de laquellele texte sacr fait lobjet dinterprtations, de commentaires et de pro-longements. Ceux-ci finissent par constituer une structure complexe et

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    * Dans ce numro de Pouvoirs, chaque article a conserv sa propre graphie des noms etmots issus de lislam.

    1. Abdelmajid Charfi, Al-Islam wa Al-Hadathah (Islam et modernit), Tunis, Ad-Darat-Tunisiya li an-Nashr, 1990.

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  • tendue, englobant une vision du monde et des rgles pratiques relatives la vie de tous les jours.

    Le troisime niveau est celui de la foi individuelle, du vcu intrio-ris o interviennent les caractristiques propres chaque individu etles influences des principaux courants de pense, des modles humainset des vnements vcus. Ce troisime niveau est celui qui varie le plusdans le temps et selon les lieux. La manire dont les individus vivent lareligion est, sans aucun doute, fortement influence par les divers fac-teurs qui marquent chaque situation particulire. Les conditions qui pr-valaient aux premiers sicles de lislam sont diffrentes de celles de lislamdu Moyen ge, et encore davantage de celles de lpoque contemporaine.

    Lamalgame va plus loin puisque, outre ces trois niveaux, dautresconfusions, aussi graves sinon plus, sont fort rpandues de nos jours.Les plus notables et les plus pernicieuses mlent principes moraux et sys-tmes politiques, communaut religieuse et tat et commandementsreligieux et droit.

    La premire conduit ignorer la diffrence entre des principesmoraux destins rguler le comportement des hommes au sein de leurcommunaut, et les rgles et lois qui constituent proprement parler dessystmes dorganisation politique et sociale. titre dexemple, la shura(traduisons par principe de consultation ) et la taa ( principedobissance ) sont nonces par le Coran comme des vertus qui doi-vent orienter le comportement des musulmans vivant en communaut.Toutefois, la manire dont les deux principes, consultation et obis-sance, doivent tre raliss dans les faits, nest pas spcifie par les textessacrs. La confusion entre ces deux niveaux, celui des principes et celui disons des rgles dapplication de ces principes, a conduit de nom-breux auteurs croire que lislam offre, ou contient, ltat implicite,une vritable constitution dfinissant le mode de fonctionnement deltat islamique.

    Les thologiens ont entrepris dextraire partir des nonciationstrouves dans le Coran et dans le Hadith des prescriptions permettantde faire face des situations vcues. Ils ont procd par analogie,recoupement, dduction et extrapolation suivant des techniques par-fois trs labores. Les rsultats quils ont obtenus, parfois en forant letexte, ont t considrs comme impliqus par les textes fondateurs etdonc comme faisant partie des obligations ou devoirs religieux pourtous les croyants.

    Ainsi certains parmi eux, majoritaires autrefois, ont donn la pri-maut au principe dobissance aux autorits constitues, au point den

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  • faire la rgle de base de constitution de ltat islamique : on doit obirmme au prince injuste, pourvu quil fasse rgner lordre public, quilnentrave pas laccomplissement des rites de base et quil ne sattaquepas ouvertement aux symboles de lislam. Ces thologiens avaient ainsirduit le principe de consultation (shura) un complment souhaitablemais non ncessaire, au dtriment de la taa. Ils en ont fait un compl-ment dont la mise en uvre est laisse entirement la discrtiondu prince.

    Aujourdhui, on assiste un renversement de tendance : de nom-breuses voix soulignent lide que la consultation est primordiale dansla constitution de toute communaut islamique, au point que le principedobissance lui devient subordonn. On disait bien autrefois La taataLi Makhluqin fi Maiyat al-Khaliq : Pas dobissance un tre crdans la dsobissance au Crateur , mais la porte de cette proclama-tion tait restreinte dans les faits, principalement en raison de la pri-maut accorde au principe dobissance. Aujourdhui certains avancentque lobissance ne serait due que dans le cas o la consultation (shura)est mise en uvre. Lorsque la consultation est comprise au sensmoderne de consultation populaire , cela conduit riger la dmo-cratie au rang de fondement indispensable de tout tat islamique.

    Le point commun ces approches est lide quil existe dans lestextes fondateurs, quoique ltat invisible au premier abord, unmodle bien dfini destin organiser la communaut des croyants.Cela conduit projeter certaines de ses propres aspirations, attentes,espoirs ou illusions dans les textes sacrs et croire, ou tenter de croire,quil existe une constitution islamique et que lislam est la fois, commeon le dit, non seulement une religion et une orientation dans la vie tem-porelle (Din wa Dunya), mais une religion et un tat (Din wa Dawla).

    Une autre confusion rapproche deux formes dorganisation, deuxensembles humains dont la nature est profondment diffrente : ltatdun ct et la communaut religieuse de lautre. Le terme Umma, quiest lorigine de cette confusion du fait quil est utilis indiffremmentaujourdhui pour dsigner communaut et nation (et parfois mmedautres formes de rassemblement), revient frquemment dans les textesfondateurs et les traditions, et a fait lobjet dune littrature abondante.

    La confusion ici remonte trs loin et touche des aspects fonda-mentaux des reprsentations religieuses courantes. La pratique instau-re par le Prophte partir de son installation Mdine a donn lieu des interprtations htives qui en ont occult les caractristiques essen-tielles. De nombreux commentateurs ont adopt lide, sans due

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  • rflexion, que le Prophte a cr Mdine le noyau de ltat islamique.Les premiers califes nauraient fait quassurer la continuit de cet tat,comme lindique le titre qui leur a t attribu ( Khulafa Rachidun ou successeurs bien guids ). Ceux qui leur ont succd, qui taient desmonarques ports au pouvoir par transmission hrditaire, auraientaccapar, transform et dvi de ses vritables objectifs linstitutioncalifale, ce qui aurait abouti corrompre le systme tatique proprementislamique. Les commentateurs qui adoptent ce point de vue, suivis parune foule de thologiens, de juristes, dhistoriens musulmans etdobservateurs de lislam, ont instaur une continuit totale entreluvre du Prophte et celle des hommes qui lui ont succd la tte dela communaut, oubliant la profonde diffrence entre les rles respec-tifs de Prophte et de chef temporel. Le chef temporel, indpendammentdes qualits morales quil peut avoir, ne peut en aucun cas avoir lemme statut que le Prophte. Ali Abderraziq a eu le mrite dattirerlattention sur les consquences dune telle confusion par une interro-gation clbre : Le Prophte tait-il un roi ? , mettant immdiatementdans lembarras ceux qui se laissent aller aux amalgames courants2.

    Pour pouvoir avancer sur ce sujet, on doit se poser des questionstelles que : une communaut cre par un prophte dans le cadre de saprdication peut-elle tre de mme nature quune entit politique, ou untat dans le sens quon lui accorde gnralement ? Lautorit quexerceun prophte sur ses partisans, sur ceux qui adhrent la foi quil prche,est-elle de mme nature que lautorit quexerce un chef temporel,mme bnficiant de pouvoirs spirituels ? Et si ctait ltat islamiqueque le Prophte avait cr de son vivant Mdine, pourquoi ce dernierna-t-il pris aucune disposition en vue dassurer sa continuit, commecest le cas dans chaque tat qui se considre comme tel, autrement dit,comme lexige la logique qui rgit les tats ?

    Ces questions formules par Ali Abderraziq nont en ralit jamaiscess de tourmenter la conscience des musulmans. Elles obligent reconsidrer lassimilation quon fait couramment entre communautreligieuse et tat temporel. Les deux peuvent concider temporaire-ment et prsenter certaines caractristiques communes, mais leur nature,leurs fonctions, leur fonctionnement demeurent profondment diffrents.

    Enfin, la confusion entre commandements religieux et droit reposesur un constat souvent mis en relief : le judasme et lislam auraient en

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    2. Ali Abderraziq, LIslam et les Fondements du pouvoir, Paris, La Dcouverte, 1994.

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  • commun le fait dtre des religions qui proposent une lgislation, cest--dire qui fournissent un ensemble de commandements destins constituer lossature dun ordre social (la halakha pour le judasme, lacharia pour lislam). Il est vrai que ces deux religions donnent limpres-sion de vouloir rglementer la vie des individus et des communauts etde mettre en place un ordre social dtermin. Leurs textes sacrs com-portent certaines formulations qui semblent aller dans ce sens. Mais ilconvient de souligner que ce sont des thologiens qui ont travaill, bienaprs la rvlation du message fondateur, pour donner ces formula-tions un arrangement tel quelles puissent rgir lensemble des faitssociaux un moment donn. Ces thologiens ont prsent les systmesquils ont labors comme lexpression mme de la loi divine.

    Ainsi, au sein de socits qui ont adopt lislam, a-t-on produit dessystmes juridiques et cherch faire adhrer les masses aux prescrip-tions et lorganisation gnrale qui en dcoulaient. Cette productiona pris la forme dune accumulation de rgles juridiques et de commen-taires accomplie par plusieurs gnrations de thologiens, sur despriodes stalant sur plusieurs sicles, visant tirer des textes sacrs desrgles et des dispositions qui rpondent aux besoins de socits enpleine volution et linsrent dans la vision globale apporte par le mes-sage religieux. Il en est rsult une somme norme de constructionsthoriques, de commentaires, davis juridiques, de jurisprudence, carac-trise par une grande diversit dapproches, par des divergences etparfois des oppositions importantes, et par une richesse souvent diffi-cile matriser.

    Une autre caractristique de ce droit religieux est quil vise rglementer autant certaines relations entre les individus, les groupes etles institutions, que les comportements individuels, comme les ritesreligieux ou la moralit prive. Il couvre donc un domaine qui ne con-cide pas avec celui de la sphre publique des relations entre per-sonnes physiques et morales, celles que rgit le droit positif. Cest lunedes diffrences majeures avec le droit positif qui, lui, est indiffrent lamoralit prive et la relation de lhomme avec Dieu, mais vise rgle-menter, dune faon anonyme, cohrente et systmatique, lensembledes mcanismes de fonctionnement de socits particulires.

    Les socits modernes, plus complexes que les socits anciennes,ont d adopter lapproche et les techniques du droit positif pour pou-voir matriser lensemble des mcanismes qui leur permettent de fonc-tionner. Cette transformation sest faite des moments historiques quiont vu labandon de doctrines traditionnellement rattaches la religion

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  • et leur remplacement par des conceptions labores partir de la scienceet de la pense modernes. La scularisation sest produite au niveau desinstitutions et du droit, aprs stre impose dans le domaine desconceptions globales du monde et de la connaissance. La mise en uvredu droit positif a t, au niveau de la socit, le signe le plus visible dece changement. Le droit religieux a t confin par la suite dans des sec-teurs limits, ceux du statut personnel pour le cas de la charia, prolon-geant la vie de rgles et dune organisation qui prexistent lordre nou-veau n de limposition du droit positif. Do certains conflits,incohrences, problmes dus lutilisation de normes de nature et defonctionnement diffrents.

    Ces confusions ont eu, rptons-le, des effets extrmement dvas-tateurs. Prdominantes autant parmi les musulmans que parmi les non-musulmans, elles ont conduit produire des malentendus immenses, lesuns parlant dune chose, les autres entendant une autre. Malgr lesmises en garde rptes des chercheurs, lusage large du mot islamcontinue de prvaloir. Les discussions qui engagent le grand publicignorent ou semblent ignorer les apports de la recherche et de la pen-se savante. Cest en dfinitive le grand public et les mdias quidterminent et inflchissent les orientations de la recherche et du dbatintellectuel, au point de leur imposer de vritables combats de Sisyphe.

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    Les musulmans navaient pas encore invent une lacit approprie leurs conditions quand, au XIXe et au XXe sicle, les Europens se sontprsents leurs frontires avec de nouvelles armes, de nouvelles tech-niques et de nouvelles ambitions. Il faut rappeler ici que la lacit est uneinvention rcente. Elle ralise la sparation entre le politique et le reli-gieux selon des modalits adaptes des contextes o le christianismetait la religion dominante. La religion tait institutionnalise dans cescontextes sous forme dune glise. Celle-ci devait tre dcharge desfonctions politiques ou plus largement temporelles quelle avait assu-mes. Dans de nombreuses socits de musulmans, les choses se sontdroules, et se droulent encore, dune faon bien diffrente.

    On peut tout dabord mettre en doute la conception rpandue, sui-vant laquelle les musulmans auraient constamment vcu, dans les tempspr-modernes, au sein de systmes o le religieux et le politique taienttotalement fusionns. Selon Mohamed Abed Jabri, une forme de scu-larisation se serait accomplie trs tt dans lhistoire des musulmans, au

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  • moment de la prise du pouvoir par les Omeyyades et linstauration dupremier pouvoir de type dynastique, peine trois dcennies aprs lamort du Prophte3. Cette scularisation sest accompagne de, ou a tpossible grce , lasservissement du religieux par le politique. Lesmasses musulmanes avaient bien compris lpoque quun change-ment profond stait produit et que les principes religieux avaient t trahis . Lopposition de lpoque, principalement chiite, a centr sonaction sur la soumission de la pratique politique aux impratifs religieux,comme ctait le cas du temps du Prophte et de ses successeurs imm-diats. Le cycle qui sest tabli par la suite dans lhistoire des musulmans,bien dcrit par Ibn Khaldoun, peut tre conu comme une oscillationentre des formes de pouvoir scularis (o la religion est rduite unrle formel, des gesticulations symboliques destines lgitimer lepouvoir en place) et des moments de ferveur rvolutionnaire, o lesentiment religieux est mobilis pour imposer un ralignement de la pra-tique politique sur la norme religieuse. Cest que, lpoque, il ny avaitdalternative au pouvoir despotique du politique que sous forme duto-pie religieuse, le modle proprement dmocratique, lautre forme de lasocit scularise, ntant pas encore imagin. Cest ce qui poussait lesmasses pratiquer la politique dans la religion4 , exprimer leur rejetdes pouvoirs de fait par linvocation de principes religieux, le champproprement politique ntant pas encore invent.

    Si, de nos jours, on continue vouloir pratiquer la politique dansla religion , cela semble tre en raison directe de limpossibilit de pra-tiquer la politique sur son propre terrain, cest--dire dans un domainequi lui est propre et selon des procdures sculires. Il nest pas ton-nant dans ces conditions que la revendication islamiste soit la plus forteet le plus violente l o les pouvoirs ont longtemps uvr dans le sensdu verrouillage du champ politique, l o des partis uniques ont long-temps empch toute pratique politique libre (Algrie, Iran, gypte), etquil soit plus accommodant l o un champ politique, mme triqu,a exist pendant un certain temps (Maroc, Turquie).

    En fait, si lon regarde de plus prs le terme de lacit, on saperoitquil renvoie, lui aussi, plus dun concept, aussi bien dans ses versionsarabes que franaises. En franais, la lacit fait penser scularisation

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    3. Mohamed Abed Jabri, La Raison politique arabe : dterminants et manifestations(Al-aql al-siysi al arabi : muhaddidtuh wa tajalliytuh), Casablanca, 1990.

    4. Ibid.

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  • et scularisme. En arabe, on disait ladiniya (XIXe et dbut du XXe sicle)avant dopter pour ilmaniya (deuxime moiti du XXe sicle).

    Il est courant de considrer cette distinction entre domaine delglise et domaine sculier comme lorigine de lvolution qui aconduit dpouiller lglise de ses rles dans la socit, et lcarter decertains domaines quelle occupait. Beaucoup le pensent, surtout parmiles Occidentaux. Ainsi pour un historien comme Bernard Lewis, cestdans la particularit mme du christianisme, et prcisment dans la dis-tinction quil fait entre ce qui appartient Dieu et ce qui appartient Csar, entre lglise et ltat comme deux institutions spares, que setrouve le germe du scularisme, mme si ce germe a d attendre plusde quinze sicles (et quelques guerres de religion) pour clore. Dautreschercheurs, qui se sont penchs sur les processus par lesquels la scu-larisation sest accomplie, sont arrivs des conclusions opposes : la religion chrtienne est depuis si longtemps mle au tissu socialeuropen quil a fallu une mobilisation militante pour crer un espacesculier, mobilisation responsable dun conflit qui a dur au moinsdeux sicles. La sparation de lglise et de la socit a ncessit uneopration chirurgicale qui a gravement meurtri lglise et qui, desurcrot, a entran la religion dans une raction politique, surtoutdans les socits catholiques5 . Dautres penseurs, dont beaucoup demusulmans6, tendent croire que lexistence dune institution reli-gieuse autonome, comme lglise chrtienne, a t un obstacle au dve-loppement des socits europennes mdivales. Il aurait retard pluttque favoris leur libre expression et leur dveloppement. La scularisa-tion des socits occidentales a t, selon ces penseurs, un processuslong, violent et douloureux justement cause de lexistence dun obs-tacle aussi formidable.

    Nos conceptions sur les origines du scularisme ne serait-elles pasplutt des manires de projeter sur le pass des volutions historiquesrcentes ? En tout tat de cause, la scularisation dont il est questiondans le dbat actuel, dsigne clairement des volutions rcentes, ou dessituations nes dvolutions rcentes, qui se sont produites initialementen Europe et ont conduit lmergence des socits scularisescontemporaines. Le terme renvoie donc un fait, en loccurrence une

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    5. David Martin, Remise en question de la thorie de la scularisation , in Grace Davieet Danile Hervieu-Lger (dir.), Identits religieuses en Europe, Paris, La Dcouverte, 1996,p. 26.

    6. Notamment Allal El Fassi, An-Naqd Adh-Dhati (Autocritique), Le Caire, 1948.

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  • volution historique qui sest produite en des lieux et des momentsdonns et qui est constate par les historiens.

    Vient ensuite une autre notion typiquement franaise, qui semblenavoir pas dquivalent dans les autres langues europennes : celle delacit. Celle-ci renvoie plutt une attitude beaucoup plus dterminesur la place de la religion dans la vie des hommes, en fait une doctrineou une conception politique impliquant la sparation entre la socitcivile et la socit religieuse, ltat nexerant aucun pouvoir religieuxet les glises aucun pouvoir politique . Elle se distingue de la notionde scularisme en ce sens quelle renvoie des conceptions franchementopposes la mainmise de la religion sur la socit, parfois mme net-tement antireligieuses. Elle trouve ses sources dans une variante delidologie des Lumires et comporte, selon de nombreux observateurscontemporains, une attitude fortement rductrice du religieux et deson rle dans les consciences et dans les comportements collectifs7. Sonancrage dans lidologie des Lumires aurait produit des attitudes mar-ques par un certain aveuglement lgard du religieux, cest--dire desattitudes qui auraient constitu une vritable agression contre limagi-naire des hommes, et auraient suscit lapparition de ractions violentesau sein de larges couches de la population.

    Dans les socits de musulmans, les choses se sont passes autrement.Lexpression sculier nexistant pas, celle qui a t choisie initialementpour en exprimer le contenu comportait des connotations qui pointaientvers dautres directions. Le terme adopt au XIXe sicle pour traduirecette notion est ladini, ce qui veut dire littralement non religieux , areligieux ou antireligieux . Les musulmans se voient donc pro-poser, ou croient quon leur propose, un modle marqu par lirrligionau moment mme o ils sont soumis la pression europenne et bou-leverss par les sombres perspectives qui doivent en dcouler. Les pre-mires ractions des masses musulmanes ont t marques par le rejet,puisquon ne pouvait concevoir de moralit, dordre social ni mme devrit en dehors de la religion et encore moins contre elle.

    Ces premires ractions, fondes sur un malentendu, ont eu, etcontinuent davoir une grande influence sur les attitudes dominantes.De nombreux musulmans pensent quon leur propose sous ce terme (ouceux qui lui seront substitus) de rejeter la vrit du message divin et

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    7. Mohammed Arkoun, LIslam, morale et politique, Paris, Descle de Brouwer, 1986, etOuvertures sur lislam, Paris, Jacques Grancher, 1989.

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  • avec lui le principe mme que la socit doit tre soumise un ordremoral. Les termes ilmaniya ou alamaniya, techniquement plusproches du sens du mot scularisme (par rfrence la notion dealam, univers ou monde sensible), resteront chargs de ce lourd hri-tage. On continue rencontrer les mmes ractions, le mme dialoguede sourds : pour de nombreux musulmans aujourdhui, adopter le scu-larisme quivaut rejeter lordre qui a prvalu dans leur socit, rejeterlordre moral, refuser la vrit du message religieux et saligner sur desmodles trangers, imports.

    Scularisme et lacit : par-del la signification attribue historique-ment aux deux termes, il y a lieu de souligner limportante diffrenceentre les faits et les prises de position. Si les notions de scularisme et delacit dsignent des attitudes lgard du rapport entre religion etsocit, la scularisation est en revanche un fait observable : les rlesjous par certaines institutions sont transfrs dautres, en mmetemps que, au niveau des reprsentations, certaines conceptions sontremplaces par dautres. La religion dfinissait la conception quon sefaisait du monde, du temps et de lhomme. Ses reprsentants avaient unrle prdominant dans les domaines politique, conomique et social.Dans les socits scularises, cet tat des choses a profondmentchang. Les reprsentations sont tires de la science et des formes depense moderne. Les institutions ont un fondement rationnel et sontconues par rfrence aux ides dintrt gnral, de souverainetpopulaire, etc.

    La scularisation sest produite dabord en Europe occidentale,et fut concomitante dautres transformations (dveloppement dessciences et des techniques, industrialisation, mergence des tats-nations). Ces transformations se sont tendues dautres rgions, enEurope, en Amrique du Nord, puis dans dautres aires : Extrme-Orient, Amrique latine, etc. Les pays musulmans nont pas chapp ce processus, mme sils nen ont pas vcu les premiers moments. Il ena merg peu peu une nouvelle organisation qui distribuait diffrem-ment les rles. Dun ct, la religion rgit le spirituel, lchelle delindividu ; elle dfinit les fondements de lthique et constitue la sourcede convictions individuelles. De lautre ct, la raison est charge delorganisation de la socit.

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  • D M O C R AT I E : LU T O P I E E T L E S P R O C D U R E S

    Limpression dominante aujourdhui est que, au moment o la dmo-cratie semble tre sur le point de connatre une ultime et dcisive pous-se, o elle doit se gnraliser lhumanit entire, elle doit faire face deux dfis majeurs.

    Ses partisans, dans le tiers monde et ailleurs, llvent au rang desolution miraculeuse de tous les maux dont souffrent les socits qui nyont pas accd. Ils en font, apparemment, une nouvelle religion scu-lire de lhumanit, et linstrumentalisent comme une utopie mobili-satrice, comme on le faisait rcemment pour dautres idologies lib-ratrices . Les socits musulmanes nchappent pas cette tendance.Comme le remarque un observateur contemporain, les crits traitant dumonde musulman vhiculent une conception utopique de la nature etdes caractristiques de la dmocratie librale. Le concept plane commeun symbole mystique dans les discussions relatives au Proche-Orient etdiffuse la supposition que la dmocratie librale constitue un systmepolitique idal o le bien commun est ralis travers la prise de dci-sion par la population qui lit les individus chargs de mettre en uvrela volont populaire8.

    En face, dautres en font un aspect et une consquence dune formede vie sociale particulire, qui se serait dveloppe dans le cadre et aumoyen de conceptions et de traditions relevant dune civilisation don-ne, la civilisation occidentale. Quelle soit value positivement(comme le fait gnralement la droite modre europenne) ou ngati-vement (comme le font, par exemple, certains conservateurs musul-mans), elle est tenue pour une invention spcifique une fraction delhumanit, non gnralisable et non extensible.

    Dans un cas comme dans lautre, la dmocratie nest pas considrecomme un ensemble de normes, de rgulations et de procdures qui per-mettent dinstaurer et de maintenir un quilibre entre des pouvoirs, des

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    8. [] The Middle East related literature purveys a romanticised conception of thenature and characteristics of liberal democracy [] The concept hovers, like a mystical sym-bol, in the background of the discussion in the Middle East, with an implied assumption thatliberal democracy constitutes an ideal polity where the common good is realised by means ofthe population deciding issues through the election of individuals who carry out the peopleswill , Tim Niblock, Democratisation : a theoretical and practical debate , British Journalof Middle Eastern Studies, novembre 1998, vol. 25, n 2, p. 225-226.

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  • intrts et des visions du monde. Le ct formel, voire procdurier, dela dmocratie (institutions, mcanismes) est largement occult. Le faitquelle soit constamment menace, toujours rinventer, semble oubli.Elle devient, du fait de ces approches, lenjeu ou lalibi de combats quila dpassent en la dfigurant, qui dplacent ses contenus pour livrer desbatailles sur dautres terrains. Peut-on concevoir une apologie de ladmocratie qui en rduit la porte et dvalue les promesses ? Peut-on ladfendre en la banalisant au point den faire la mcanique dun ordresocio-politique ?

    Dans le cas qui nous proccupe, la premire question semble tre lasuivante : la pratique politique autonome ncessite-t-elle lliminationdu religieux, suivant lexprience franaise ou turque ? La rfrence lafoi religieuse doit-elle tre exclue des fondements de lorganisationpolitique pour permettre la mise en uvre de systmes dmocratiques ?Tel ne semble pas tre le cas, puisque des parcours diffrents, ayantrussi mettre en place de vritables dmocraties, ont t possibles.Leurs traits communs taient de rejeter lexercice, par les reprsentantsinstitutionnels de la religion, dune tutelle sur les appareils politiques etde refuser la soumission de lordre politique des normes tires des tra-ditions religieuses.

    En fait, lessentiel dans le tournant dmocratique, et en gnral dansles pratiques politiques modernes, nest pas llimination du religieux,mais le changement de son mode de prsence et daction. Au lieu dtreconsidr comme un systme de prescriptions figes, rgissant dans ledtail les mcanismes de lordre social, il est tenu et trait comme unesource de normes morales. Ce qui a permis ce tournant dans certainscontextes, cest la dconstruction du systme de prescriptions au moyende la critique historique, pratique principalement au sein de la classeintellectuelle et propage dans le corps social. L o cette dconstruc-tion a t accomplie, le rfrentiel religieux est devenu une plate-formespirituelle et thique. Un tel processus est bien avanc dans les contexteschrtien et juif. Il rencontre une relle rsistance en contexte musulman,pour plusieurs raisons. Nous en avons voqu quelques-unes en rele-vant le verrouillage du champ politique moderne et le retour linvo-cation de symboliques pr-modernes, celles qui ont longtemps peupllimaginaire collectif des musulmans, o le pouvoir sculier tait la foisdespotique, usurpateur et tranger aux normes morales et religieuses. Ilfaudrait ajouter cela dautres causes qui ont puissamment contribu ce transfert. Les politiques ducatives adoptes dans les pays musulmansaprs les indpendances ont favoris laccs aux traditions savantes,

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  • autrefois rserv des lites, tout en fermant laccs aux outils critiqueset aux approches thoriques modernes qui ont t dveloppes dans leslangues europennes. Ainsi ces politiques ducatives ont-elles en faitengendr et dissmin de nouvelles formes dignorance. Le corpus tra-ditionnel, son monde symbolique sont certes devenus accessibles augrand nombre, mais les mthodes et les conceptions qui permettent deles interprter dune manire acceptable pour lesprit moderne et,notamment, les situer historiquement, sont absentes.

    cela il faut ajouter que la plupart des socits musulmanes viventsous des pressions insoutenables aux plans conomique, politique etculturel. Dans la plupart des socits de musulmans, on peut aismentconstater une coupure nette entre des couches intgres dans lconomiede march et dautres qui en sont exclues. Dimportantes composantesde la population vivent dans des conditions de prcarit matrielle et demisre intellectuelle inadmissibles de nos jours. Ces populations sontexposes quotidiennement des images tlvises o lon montre desenfants et des jeunes soumis une rpression sauvage, tus souventde sang-froid, dans des rgions aussi diverses que la Palestine, laTchtchnie, la Bosnie, lAfghanistan, et qui ont en commun dtremusulmans. Il nest pas tonnant que lislam soit devenu, en cons-quence de ces faits et des conjonctures de politique internationale, lesymbole dune identit collective opprime et humilie.

    LH O R I Z O N E S T- I L P O U R A U TA N T F E R M ?

    Faut-il attendre que la rforme religieuse se produise pour initier unevritable modernisation politique ? De nombreux auteurs, encore unefois, dsignent lislam et sa prtendue spcificit comme le principal obs-tacle la modernisation, louverture et la dmocratisation des soci-ts o cette religion sest implante. Cela nous ramne notre syllo-gisme simplificateur. En fait, il suffit dun recul historique de quelquesdcennies pour se rappeler quon disait peu prs la mme chose delAsie confucianiste : le confucianisme aurait t le principal obstacle audveloppement et la modernisation du fait quil instillerait dans lesconsciences un sens de la hirarchie, la sacralisation des traditions, etc. dautres moments, le catholicisme a t considr comme insparablede ce quon avait appel le csaro-papisme , et tenu pour responsabledu blocage des socits espagnole, portugaise et latino-amricaines. Lesattitudes prdominantes aujourdhui lgard de lislam reproduisentdonc des rflexes apparemment irrpressibles qui transfrent vers la reli-

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  • gion et ses systmes normatifs des jugements sur les ralits vcues, desmoments donns, par des communauts particulires. Il semble y avoirl un mouvement oppos celui entrepris par les islamistes : ceux-cisacralisent des traditions historiques, rigent au rang de normes des pra-tiques adoptes par des anctres ; ceux-l ramnent la norme au plan desralits sociales et conomiques et en font lexplication dernire. Lesdeux sont prisonniers dun syllogisme rgulirement dmenti par lhis-toire, mlant le vcu, qui est inscrit dans des flux dvnements histo-riques, avec des traditions religieuses telles que vhicules par des dis-cours vulgarisateurs.

    La dmocratie est dj devenue une norme connue et accepte parla majorit des musulmans, mme si on lui associe des contenusmythiques, mme si elle est devenue une utopie ou un horizon mes-sianique . En mme temps, on assiste lmergence dans de nom-breuses socits de musulmans de dbats intenses propos de notionscomme ltat de droit, les liberts publiques, la transparence et lam-lioration de performances des organes publics, autant de revendica-tions de caractre nettement moderne, devenues insistantes dans cescontextes. Les attentes des populations, le volontarisme tranchent net-tement par rapport au fatalisme ou la rsignation des gnrationsprcdentes. Lavnement de la dmocratie, ladoption de politiquesvisant intgrer les couches exclues des populations (notamment lesfemmes et les jeunes) favoriseront lapaisement ncessaire lacceptationde la scularisation et de son enracinement dans le sens du changementdusage du rfrent religieux, au niveau des conceptions et des attitudesdominantes. La dmocratie, dans ces conditions, peut prouver ses bien-faits en se ralisant. On pourra prouver le mouvement en marchant.

    R S U M

    Des discussions intenses se produisent aujourdhui propos de lislam, la la-cit et la dmocratie. Les arguments invoqus par les diffrents intervenantsrenvoient des reprsentations, souvent implicites, des rapports qui peuventexister entre ces trois termes. Ils renvoient galement des conceptionsdtermines des processus historiques luvre dans les socits musul-manes contemporaines. Peut-on tenter de voir plus clair dans le sens attri-bu chacun des trois termes et, par consquent, revisiter les conceptionsrpandues de nos jours ?

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