inventeurs de maladies

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"Inventeurs de maladies" -manoeuvres et manipulations de l’industrie pharmaceutique - PAR JÖRG BLECH (TRADUIT PAR ISABELLE LIBER) 1er mai 2005 Dans ce livre salutaire (fort bien traduit de l’allemand par Isabelle Liber), qui paraît ce mois de mai 2005 chez Actes Sud, Jörg Blech explique comment l’industrie pharmaceutique a, entre autres : - imposé la baisse arbitraire des normes de cholestérol pour que des gens parfaitement normaux aient l’air malade - fait naître la terreur de l’ostéoporose chez les femmes ménopausées afin de favoriser la consommation de médicaments destinés à "prévenir les fractures" - manipulé l’opinion afin d’élargir la consommation de médicaments destinés à "traiter l’impuissance masculine" - surmédicalisé les femmes, les enfants et les personnes âgées, etc. Le texte qui suit est le début de la post-face que j’ai écrite pour l’édition française. Six milliards de malades imaginaires... par Martin Winckler (post-face à Les Inventeurs de Maladies de Jorg Blech Lorsque j’ai commencé à exercer la médecine, au début des années 80, j’ai fait la connaissance de deux « maladies » très répandues en France mais qui ne figuraient dans aucun traité de pathologie : la crise de foie et la spasmophilie. Toutes deux frappaient essentiellement (mais pas exclusivement) des femmes. Les patientes qui se présentaient comme « souffrant du foie » ou « spasmophiles » étaient légions devant le jeune médecin que j’étais, et je ne comprenais pas du tout pourquoi elle désignaient par ces noms des souffrances qui, à mes yeux, avaient un tout autre nom que celui qu’elles utilisaient.

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Secrets de Industrie pharmaceutique

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"Inventeurs de maladies" -manoeuvres et manipulations de lindustrie pharmaceutique - par Jrg Blech (traduit par Isabelle Liber)

1er mai 2005 Dans ce livre salutaire (fort bien traduit de lallemand par Isabelle Liber), qui parat ce mois de mai 2005 chez Actes Sud, Jrg Blech explique comment lindustrie pharmaceutique a, entre autres: - impos la baisse arbitraire des normes de cholestrol pour que des gens parfaitement normaux aient lair malade - fait natre la terreur de lostoporose chez les femmes mnopauses afin de favoriser la consommation de mdicaments destins "prvenir les fractures" - manipul lopinion afin dlargir la consommation de mdicaments destins "traiter limpuissance masculine" - surmdicalis les femmes, les enfants et les personnes ges, etc.

Le texte qui suit est le dbut de la post-face que jai crite pour ldition franaise.

Six milliards de malades imaginaires...par Martin Winckler (post-face Les Inventeurs de Maladies de Jorg Blech

Lorsque jai commenc exercer la mdecine, au dbut des annes 80, jai fait la connaissance de deux maladies trs rpandues en France mais qui ne figuraient dans aucun trait de pathologie: la crise de foie et la spasmophilie.

Toutes deux frappaient essentiellement (mais pas exclusivement) des femmes. Les patientes qui se prsentaient comme souffrant du foie ou spasmophiles taient lgions devant le jeune mdecin que jtais, et je ne comprenais pas du tout pourquoi elle dsignaient par ces noms des souffrances qui, mes yeux, avaient un tout autre nom que celui quelles utilisaient.

Les femmes qui souffraient du foie me parlaient de symptmes apparaissant une ou deux fois par mois, souvent juste avant leurs rgles: des nauses, des vomissements et surtout un mal de tte extrmement violent, accentu par la lumire et par le bruit, qui ne leur donnait pas dautre ressource que daller se coucher dans le noir.

Celles qui se qualifiaient de spasmophiles me dcrivaient des symptmes moins systmatiss (des fourmis ou des paralysies des membres), mais tous empreints dune angoisse considrable.

Au cours de mes tudes, javais eu la chance dtre form par des mdecins curieux de tout, et dots dun solide bon sens. Ils mavaient appris que la crise de foie tait une migraine accompagne de symptmes digestifs, que les spasmophiles taient des femmes angoisses souffrant de crises de paniques.

Je savais donc que ni les unes ni les autres ntaient propremement atteintes par une maladie mais ragissaient ainsi de manire particulire et personnelle aux agressions de la vie, et que le soulagement de leurs souffrances passait par des mthodes thrapeutiques simples... et aussi, avant tout, par la ddramatisation de leurs symptmes.

Mais la difficult ne rsidait pas dans le fait de rectifier le diagnostic: elles accueillaient toujours mes explications avec intrt, car on ne leur avait rien expliqu du tout en leur collant leur tiquette. Ce quelles avaient plus de mal admettre, ctait quelles navaient pas besoin de traitement au long cours.

Les migraineuses avaient toutes dj subi des radiographies de la vsicule et un nombre consquent de prises de sang, qui avaient montr un petit quelque chose (de la boue dans la vsicule, par exemple). Lexistence de ce signe objectif ne justifiait-il pas les hpatotropes et autres cholagogues - nom pseudo-savant dont on affublait les mdicaments pour le foie ou la bile - quon leur avait recommand de prendre 365 jours par an?

Les spasmophiles, qui avaient eu droit elles aussi moult dosages sanguins et parfois galement des lectromyogrammes totalement ininterprtables (mais rassurants, leur disaient les mdecins) avaient pour leur part du mal admettre que le magnsium quon leur faisait boulotter quinze jours par mois depuis des annes tait un placebo, et que leur anxit chronique, bien relle, avait de meilleures chances de sattnuer grce un soutien psychothrapique adquat et un environnement dans lequel on ne les traiterait plus comme des malades...

Tout bien portant est un malade qui signore, dclare doctement Knock dans la pice de Jules Romains. Ce faisant, il pose les jalons dune vision de la sant entirement dfinie par le mdecin. Une vision faite de diktats et davertissement inquitants. Une vision terroriste, et non soignante. De manire trs approprie, louvrage de Jorg Blech commence par citer Knock, personnage emblmatique du monde dans lequel nous vivons aujourdhui quand on parle de sant.

En France, on trouve dans les officines plusieurs dizaines de milliers de marques de mdicaments. A loppos, sur la liste des mdicaments essentiels, indispensables au traitement des principales affections qui frappent les habitants des pays pauvres tablie par lOMS, on comtpe... 325.

Est-ce parce que nous avons plus de mdicaments que nous sommes mieux soigns? Evidemment non. Telle un Knock transform en Big Brother, dans les pays riches comme le ntre - et comme lAllemagne, dont il est question dans le livre de Jorg Blech, lindustrie du mdicament - Big Pharma - na cess depuis cinquante ans de crotre... en nous faisant croire quelle nous faisait du bien.

Or, il nen est rien. Lindustrie du mdicament (et, avec elle, celle des appareillages de dosage biologique, celle des machines diagnostiques lourdes, celle des cosmtiques, celle des instruments chirurgicaux...) ont fait de la devise du personnage de Jules Romains leur leitmotiv, en le modifiant peine: Tout bien portant est un consommateur en puissance... condition de lui faire croire quil est malade.

Le mot essentiel ici, est consommateur. Jentends souvent les politiciens fustiger le comportement de consommateurs des citoyens quand il sagit de sant. Or, lexpression est hypocrite, pour ne pas dire crapuleuse. Dun ct, le citoyen daujourdhui est incit consommer des biens matriels pour maintenir la croissance industrielle.

De lautre, on lui reproche de demander des soins inutiles et de grever le budget de la scurit sociale. Dans cette quation, on oublie deux lments importants, qui caractrisent les consommateurs daujourdhui comme les patientes dhier dont je parle au dbut de cette prface: les traitements quon leur prescrivait ne servaient rien et ils cotaient cher la scurit sociale, mais elles les prenaient de manire quasi-rituelle en esprant quils prviendraient leurs symptmes.

Comme la frquence des migraines et des crises dangoisse varie beaucoup avec le temps et les conditions de vie, elles attribuaient au traitement leurs amliorations spontanes, et un relchement du traitement la rapparition tout aussi spontane - et souvent invitable - des symptmes.

Bref, elles taient prises entre deux feux. Comme beaucoup de consommateurs de soins le sont aujourdhui. Car enfin, ces traitements, qui les leur avait prescrits? Qui leur laissait croire quelles en avaient absolument besoin? Des mdecins, investi de laura de confiance que confre leur titre.

Et ces mdecins, pourquoi croyaient-ils ces diagnostics inexistants? Parce quon les leur avait enseigns en facult et quils taient depuis entretenus dans ces diagnostics faux par des visiteurs pharmaceutiques qui venaient leur proposer... les traitements que leurs patientes attendaient.

Vingt ans plus tard, les choses vont-elles mieux? Non, cest pire. Certes, la crise de foie a disparu du langage des mdecins franais (et de lenseignement), mais lindustrie a bien compris quel profit elle pouvait tirer des 15% de la population qui souffrent de migraines: les antimigraineux tous plus coteux les uns que les autres sont de plus en plus nombreux... sans quon ait expliqu aux premiers intresss que sils taient correctement utiliss, les mdicaments les plus anciens, les mieux connus, les moins chers taient aussi efficaces.

Et certes, la spasmophilie ne fait plus partie des diagnostics officiels, mais la prescription danxiolytiques et dantidpresseurs est en France la plus forte de tous les pays industrialiss.

Car, nous explique Jorg Blech, si on pouvait autrefois esprer trouver un traitement pour chaque maladie, les marchands de la sant, aujourdhui plus que jamais, semblent plutt vouloir trouver une maladie pour chaque molcule fabrique. En manipulant des membres influents de la communaut mdicale, les lobbys industriels ont peu peu modifi les normes de certaines valeurs biologiques (le cholestrol, la tension artrielle), afin daugmenter le nombre de patients susceptibles dtre traits.

Car faire croire des gens en bonne sant quils doivent se soigner vie est, pour les fabriquants, une vritable rente viagre. Et pour faire croire une pareille absurdit, il nous laissent entendre que si nous ne nous soignons pas par anticipation, nous mourrons de cancer, nous seront diminus par des maladies cardio-vasculaires, nous perdront la tte en raison dune dgnrescence neurologique... Le principal argument de vente des marchands de la sant, cest la peur (...).

MW