interculturalitÉ et mariage mixte
TRANSCRIPT
UNIVERSITE D’ANTANANARIVO
-------------- FACULTE DE DROIT, D’ECONOMIE, DE GESTION ET DE SOCIOLOGIE
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DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE ---------------
Mémoire en vue de l’obtention du Diplôme d’Etudes Approfondies en Sociologie
INTERCULTURALITÉ ET MARIAGE MIXTE
Cas des couples malgacho-étrangers à Antananarivo
Présenté par RAZAFINDRAVELO Sabrina (N° matricule : 13.13.2DES)
Date de soutenance : Mercredi 22 Janvier 2014
Membres du Jury :
Président : Monsieur RAJAOSON François, Professeur émérite
Juge : Madame ANDRIANAIVO Victorine, Maître de Conférences
Directeur de recherche : Monsieur RANDRIAMASITIANA Gil Dany, Professeur titulaire
Année universitaire : 2012 - 2013
« Le jour viendra peut-être où le mariage mixte sera
l'une des contributions les plus efficaces et les plus belles
à la grande communion des peuples en une seule
humanité ». Albert Memmi
INTERCULTURALITÉ ET MARIAGE MIXTE
Cas des couples malgacho-étrangers à Antananarivo
Remerciements
Tout d’abord, je rends grâce au Seigneur de ce qu’il m’ait
soutenue durant cette année universitaire.
Ensuite, je me tourne vers mon encadreur pédagogique, le
Professeur Gil Dany RANDRIAMASITIANA, pour les conseils qu’il a
prodigués.
Enfin, successivement, je remercie tous les enseignants au sein
du Département de Sociologie, les participants qui ont bien voulu
me partager leurs expériences, ma famille et tous ceux qui ont
contribué à la réalisation de ce mémoire.
Liste des acronymes
CUA : Commune Urbaine d’Antananarivo
ORTANA : Office Régional du Tourisme d’Analamanga
VD : Variable dépendante
VI : Variable indépendante
Liste des tableaux
Tableau n°1 : Nombre de mariages civils mixtes (Arrondissement II)
Tableau n°2 : Tableau synoptique des enquêtés
Tableau n°3 : Tableau quantitatif des réponses
Liste des schémas, des graphes
Figure n°1 : Schéma des variables
Figure n°2 : Les justifications de l’attitude favorable aux unions mixtes
Figure n°3 : Les raisons pour s’opposer aux unions mixtes
Figure n°4 : Nouveau schéma des variables
SOMMAIRE
- Remerciements
- Liste des acronymes
- Liste des tableaux
- Liste des schémas, des graphes
- Sommaire
- Introduction générale
- Partie I : Considérations générales
Chapitre 1 : Cadrage théorique
Chapitre 2 : Contexte d’émergence des couples malgacho-étrangers
Chapitre 3 : Parcours méthodologique
- Partie II : Le rapport à l’Autre : vers une optimalisation du quotidien
Chapitre 4 : L’ambivalence de la mixité conjugale
Chapitre 5 : Les étapes cruciales de la mixité conjugale
Chapitre 6 : Le versant positif de la mixité conjugale
- Partie III : Vision prospective
Chapitre 7 : Reconsidération de la mixité conjugale
Chapitre 8 : La mixité conjugale comme parcours vers un bouleversement axiologique
Chapitre 9 : L’impact de la multiplication des mariages mixtes sur la société malgache
- Conclusion générale
- Bibliographie
- Table des matières
- Annexe
- Résumé
1
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Contexte
La mondialisation a décuplé les possibilités de mobilité internationale. Les occasions de
rencontre et d’échange entre des personnes issues de pays différents deviennent de plus en
plus fréquentes. Les mouvements migratoires s’effectuent désormais dans toutes les
directions. De par le développement sans précédent des nouvelles technologies de
l’information et de la communication, nous assistons à l’abolition des frontières liées au
temps et à la distance. La proximité avec l’étranger se vit désormais au quotidien.
L’interculturel est un dispositif et une dynamique mis en place par le multiculturel. Il ne
saurait être appréhendé sans une confrontation, un contact permanent et direct entre les
cultures. Les vagues successives de migration vers les Etats-Unis lors de la colonisation, de la
traite des Noirs et du nazisme ont fait de ce pays une société multiculturelle et plurilingue. Les
études interculturelles ont alors puisé leur origine dans les rapports entre les diverses
communautés socio-ethniques présentes sur le territoire américain. Sur le plan régional,
l’interculturel s’est élargi vers les domaines de l’éducation, du travail et du management
(Cf. Le Colloque International sur la Construction identitaire et interculturalité dans le monde
indo-océanique, 2008). A Madagascar, les étrangers affluent pour la simple raison que le visa
de séjour leur est facilement octroyé. De plus, la nature hospitalière des habitants de l’île les
encourage davantage. La plupart des Malgaches se montrent particulièrement accueillants
envers les étrangers et aspirent même à les côtoyer. Il arrive alors que cette idéalisation de
l’Autre et de sa culture se transforme en affinité.
Motif de choix du sujet
Dans le cadre de ce travail, notre intérêt s’est porté sur les contacts interculturels au sein des
couples mixtes à Antananarivo. Nous désignons comme étant des couples mixtes, les couples
binationaux dont l’un des conjoints doit être de nationalité malgache. A ce critère se sont
ajoutés d’autres que nous n’omettrons pas de mentionner dans la partie théorique de ce
mémoire. Le choix de ce sujet a été motivé par l’émergence du thème de l’interculturalité
parmi les préoccupations actuelles des sciences sociales à telle enseigne qu’il a fait l’objet
d’un autre Colloque international au sein du Département de Sociologie durant le 06 au 07
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Décembre 2012. L’étude de la mixité conjugale nous a permis d’aborder ce thème dans un
cadre intime et, par conséquent, plus rebondissant.
Choix du terrain
La ville d’Antananarivo a constitué le terrain adéquat pour cette recherche non seulement
pour sa proximité mais surtout parce qu’elle regorge de couples mixtes.
Problématique
La mixité conjugale a fait l’objet de nombreuses théorisations par des chercheurs relevant de
disciplines diverses telles que la psychologie, la psychanalyse, l’anthropologie et la
sociologie. Les premières théories avaient tendance à expliquer les mariages mixtes à partir
des facteurs sociologiques et des structures macrosociales tandis que les perspectives récentes
accordent la place centrale à l’individu en tant que sujet et acteur (C. Therrien, J. Le Gall,
2012). Etant donné que le soi et la construction identitaire sont au cœur de la problématique
de notre époque, nous avons choisi d’abonder dans le sens des théoriciens qui placent
l’individu au cœur de leur analyse. Par ailleurs, l’approche interculturelle, telle que
développée par Martine A. Pretceille (1999), a influencé notre posture dans la mesure où elle
met en garde contre la vision simpliste de la réalité. Cette approche se distingue des approches
culturalistes en demeurant pluridimensionnelle : elle refuse d’expliquer tout conflit à partir
d’une variable culturelle mais prend d’abord en compte l’environnement social, économique
et politique des acteurs en situation d’interculturalité. C’est pourquoi, nous avons considéré
chaque couple mixte dans son contexte propre, c’est-à-dire en lien avec le genre, le groupe
socioéconomique, la situation matrimoniale et l’entourage. Les couples mixtes sont en proie à
un plus grand défi par rapport aux autres couples étant donné qu’«ils négocient leur quotidien
au croisement de références culturelles différentes » (C. Therrien, 2009 : 89). Face à ce
constat, quelles stratégies les acteurs engagés dans une expérience de mixité développent-ils
en vue d’une harmonie culturelle ?
Hypothèse
Nous avançons l’hypothèse selon laquelle la mixité conjugale devient extrêmement bénéfique
lorsque les individus font preuve d’ouverture d’esprit, de flexibilité, d’acceptation, de respect
et surtout de créativité. En bref, c’est l’interculturalité en tant que synonyme d’échange et
d’enrichissement culturel qui est fortement valorisée.
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Objectifs
Cette recherche vise, d’une part, à expliquer le rôle des individus, engagés dans une
expérience de mixité, dans la construction de leur quotidien et, d’autre part, à montrer les
avantages que recèle la mixité conjugale. Ces objectifs spécifiques contribueront à atteindre
l’objectif général qui est de déterminer la particularité des couples mixtes par rapport aux
autres couples.
Aperçu sur la méthodologie
Nous avons combiné trois techniques de recueil d’informations : la documentation, le récit
d’expérience et le sondage d’opinion. Durant la phase exploratoire, les lectures ont été
bénéfiques dans la mesure où nous avons pu approfondir notre savoir sur l’approche
interculturelle développée par Martine A. Pretceille et découvrir les différentes perspectives
théoriques autour de la mixité conjugale. Lors de la descente sur le terrain, le récit
d’expérience a été privilégié étant donné qu’il s’agissait avant tout d’encourager les couples
malgacho-étrangers à parler de leurs trajectoires de mixité. Le récit d’expérience est une
forme d’entretien semi-directif durant lequel l’animateur, après avoir explicité au préalable les
objectifs de l’entretien, est le moins actif possible et laisse le maximum de latitude aux
interviewés pour exprimer leurs positions. A titre indicatif, la durée moyenne d’une interview
a été de 45 minutes, pour un nombre total de 20 entretiens. Notre premier constat a été que les
couples n’appréciaient pas être désignés par le qualificatif "mixte".
Limites de la recherche entreprise
A défaut de mobilisation de la technique d’observation participante, la vie quotidienne des
couples mixtes n’a été saisie qu’à travers leurs récits. Nous n’avons passé aucun moment avec
eux en dehors des interviews. De plus, nous n’avons pas récolté les versions des faits de leurs
enfants alors qu’ils se trouvent au cœur des dynamiques conjugales depuis leur naissance
jusqu’à l’âge adulte.
Annonce du plan
Ce mémoire sera constitué de trois grandes parties, à savoir les considérations générales, le
traitement et l’analyse des données de terrain et enfin, la vision prospective.
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PARTIE I : CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Les couples mixtes sont de plus en plus nombreux. Partout, ils circulent
main dans la main sans plus se soucier des regards et des préjugés. Quelles sont les
caractéristiques propres aux couples mixtes ? La différence culturelle est-elle réellement un
obstacle ou, au contraire, source d’enrichissement ? Quels rôles jouent les acteurs dans la
bonne marche de la vie de couple ? Enfin, quels avantages tirent- ils de leur expérience de
mixité ? Tels sont les questionnements qui ont alimenté notre réflexion sur le sujet. Cette
première partie s’organisera en trois volets : le cadrage théorique, le contexte d’émergence
des couples malgacho-étrangers et la démarche méthodologique.
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Chapitre I : Cadrage théorique
D’après Jean-Michel Berthelot : « Il ne peut y avoir, en sciences sociales, de
constatation fructueuse sans construction d’un cadre théorique de référence » (1990 : 39). Ce
chapitre va être ainsi consacré à la construction d’un cadre théorique de référence, laquelle se
fera en trois étapes : la délimitation de l’objet d’étude, la considération des diverses approches
du problème et le choix d’une problématique théorique sachant que « la problématique est
l’approche ou la perspective théorique qu’on décide d’adopter pour traiter le problème posé
par la question de départ » (Quivy, Campenhoudt, 1995 : 85) qui est la suivante : quelles
stratégies les acteurs engagés dans une expérience de mixité développent- ils en vue d’une
harmonie culturelle ?
Section 1 : Questions de terminologie
Afin de délimiter notre objet d’étude, il convient d’apporter un éclairage sur les termes
récurrents suivants : couple mixte, culture, interculturel, acteur et identité.
A- Couple mixte :
Le terme « couple mixte » a un caractère polysémique. Il appartient au chercheur d’en
attribuer une signification qui lui semble pertinente par rapport à l’objectif de sa
recherche. D’une manière générale, la mixité conjugale est le résultat d’une
exogamie1. L’exogamie peut être sociale (mariage avec une personne issue d’une autre
classe sociale), culturelle (mariage avec une personne issue d’un autre groupe culturel)
ou nationale (mariage avec une personne de nationalité autre). Exogamie culturelle et
exogamie nationale peuvent coïncider et c’est sur ce cas de figure que nous avons
déterminé les critères de notre échantillon d’enquête. Tout d’abord, il s’agit d’un
couple binational dont l’un des conjoints, femme ou homme, doit être de nationalité
malgache. Ensuite, nous nous attendons à ce que le conjoint étranger, quelle que soit
sa nationalité, soit né dans son pays d‘origine et y ait vécu au moins son enfance et son
1 D’après le Dictionnaire de la Langue française (1993), l ’exogamie est l’obligation ou la tendance qu’ont les
membres de cer tains groupes de se marier hors de leur groupe (exemple : mariage interethnique).
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adolescence. Enfin, il faut que le couple, marié ou non, ait cohabité au moins durant
trois années.
B- Culture :
Face à l’impossibilité de déterminer de manière univoque et consensuelle ce qu’est la
culture, retenons les deux définitions suivantes :
- « La culture ou la civilisation est cet ensemble complexe incluant les savoirs, les
croyances religieuses, l’art, la morale, les coutumes ainsi que toute disposition ou
usage acquis par l’homme vivant en société » (E. B. Tylor, 1874).
- « La culture est un système universel d’orientation de l’homme, typique de chaque
société, organisation ou groupe de personnes. Ce système est constitué de
symboles spécifiques qui font l’objet d’une tradition au sein d’une même société.
Ce système culturel influe sur les processus de connaissance (perception, pensée,
évaluation) et d’action de tous les ressortissants d’une même culture et définit ainsi
leur appartenance » (Professeur Alexander Thomas, 1963).
A titre de synthèse, le système culturel englobe de façon complexe les manières de
faire et de sentir propres aux membres d’une société donnée, et qui sont conformes au
contexte dans lequel ils vivent. Dans cette optique, la culture détient deux fonctions
essentielles : une fonction ontologique qui assigne une identité à la fois personnelle et
sociale à son détenteur, et une fonction instrumentale qui facilite l’adaptation aux
conditions de l’environnement. De ce fait, la culture n’est pas une entité figée et
homogène mais elle est susceptible d’adaptation et d’évolution en fonction de
l’apparition de nouvelles circonstances (Martine A. Pretceille, 1999).
C- Interculturel :
« Le préfixe "inter" du terme "interculturel" indique une mise en relation et une prise
en considération des interactions entre des groupes, des individus, des identités »
(Martine A. Pretceille, 1999 : 49). L’interculturel se met donc en place lorsque des
individus ou groupes d’individus, représentants de leurs cultures respectives, entrent
en contact permanent. En fonction des conditions socioéconomiques et du cadre
politique d’accueil des groupes en présence, les dynamiques de rencontre peuvent soit
donner lieu à des échanges ou à des transferts culturels, soit entraîner des replis et des
affrontements. Dans le premier cas, il s’agit notamment de l’acculturation qui se
définit par « l’ensemble des phénomènes qui résultent de ce que des groupes
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d’individus de cultures différentes entrent en contact, continu et direct, avec les
changements qui surviennent dans les patrons de l’un ou des deux groupes »
(Redfield, Linton, 1936 in op.cit., 1999 : 11). Dans le cadre de la mixité conjugale,
nous postulons que les partenaires ont la capacité de s’arranger entre eux et font
preuve d’imagination et de créativité pour que les deux cultures donnent naissance à
une culture hybride et originale : « Connaissant les règles et normes des deux sociétés
respectives, ils intègrent dans leur couple des références aux deux cultures dont ils
sont détenteurs. C’est ainsi qu’à partir de deux cultures distinctes, le couple mixte en
construit une nouvelle : une culture conjugale unique » (Debroise, 1998 : 60).
D- Acteur :
La notion d’« acteur » est primordiale dans les relations interculturelles. L’individu est
considéré comme un acteur à part entière lorsqu’il s’adapte à la présence de l’Autre en
agissant sur sa propre culture : « Du fait de l’internationalisation du quotidien,
l’individu est de moins en moins déterminé par sa culture d’appartenance. Il n’est pas
seulement le produit de sa culture, il en est au contraire, l’acteur » (Martine A.
Pretceille, 1999 : 54). Pour ce faire, il ajuste certains items ou traits culturels, intègre
de nouvelles références et se construit de nouveaux repères. Les perspectives
théoriques récentes sur la mixité conjugale tendent à mettre l’accent sur le rôle de
l’individu en tant que sujet et acteur. N’étant plus enfermé dans sa propre culture,
l’individu peut apprendre celle de l’Autre et dépasser les barrières culturelles.
E- Identité :
L’identité est devenue un prisme à travers lequel tous les aspects de la vie
contemporaine sont étudiés. D’une manière générale, l’identité est le sentiment
d’appartenance qui permet une reconnaissance mutuelle entre les membres du groupe.
Les appartenances étant multiples, l’individu doit perpétuellement se forger une
identité, celle qui le définit le mieux. De plus, les individus ne s’imaginent pas
toujours en termes d’identité collective mais se construisent en tant que sujet
individuel (Meintel, 2008). L’identité n’est donc jamais acquise une bonne fois pour
toutes, elle se caractérise par une reconstruction permanente.
Pour revenir à notre étude, les modèles sociologiques tendent à démontrer que les
individus issus d’union mixte vont adopter une identité ethnique unique par un
processus d’assimilation ou de sélection (Stephan et Stephan, 2000).
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Section 2 : Les assises théoriques de la mixité conjugale (inspirées de C. Therrien et J. Le
Gall, 2012)
Comme nous l’avions mentionné à l’introduction, les théories entourant la mixité conjugale se
répartissent en deux tendances : d’une part, les anciens cadres d’analyse qui apportent un
éclairage à partir des facteurs sociologiques et des structures macrosociales et, d’autre part, les
perspectives récentes qui placent l’individu au centre de l’analyse.
A- Les anciens cadres d’analyse qui font référence aux facteurs sociologiques explicatifs :
« Les divers cadres théoriques qui ont longtemps dominé les études sur les couples
mixtes ont en commun de ne pas mettre l’accent sur l’identité personnelle et les
trajectoires individuelles, mais sur d’autres dimensions, comme des structures
macrosociales, des définitions basées sur des critères objectivables ou encore des
facteurs sociologiques explicatifs. Parmi ces théories, nous en distinguons quatre
types : la théorie de l’échange compensatoire, la perspective assimilationniste, les
théories qui font des unions interculturelles un laboratoire social et les théories qui
placent les structures macrosociales au cœur de leur analyse » (Therrien, Le Gall,
2012 : 4).
1- La théorie de l’échange compensatoire :
La théorie de l’échange compensatoire, en qualité de première théorie sur les
unions mixtes, postule que le mariage est avant tout un système d’échange. Les
partenaires se choisissent en fonction des ressources de chacun de sorte que le
déficit de l’un se trouve compensé par l’avoir de l’autre et inversement. « Cette
perspective théorique, par exemple, explique les raisons de l’union d’un homme
noir et riche avec une femme blanche de classe moyenne par un système
d’échange par lequel l’un des conjoints acquiert un capital social tandis que l’autre
augmente son statut économique » (op.cit, 2012 : 4).
Cette conception purement matérialiste du mariage laisse de côté le sentiment
amoureux en tant que motivation autre des individus. Malgré les critiques dressées
contre cette théorie, qualifiée à juste titre de raciste et de sexiste (Spickard, 1989),
celle-ci peut être vérifiée sur le terrain malgache en déterminant si, au fil des
années, une corrélation existe entre l’évolution des ratios de pauvreté et celle du
nombre de mariages mixtes.
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2- La perspective assimilationniste :
« Cette perspective sociologique analyse les mariages mixtes comme des
indications du degré d’assimilation des immigrants dans une société donnée : plus
il y aurait de mariages avec des individus de la société majoritaire, plus élevé serait
le degré d’assimilation des migrants » (op.cit., 2012 : 5). Généralement,
l’assimilation se manifeste par le détachement progressif par les immigrants de
leur groupe d’origine suivi de l’appropriation des repères culturels de la population
d’accueil.
Cette théorie nous semble difficilement généralisable car il arrive qu’un groupe
d’immigrants domine culturellement une population majoritaire sans pour autant
constituer un frein à l’intermariage. L’histoire de chaque nation influe largement
sur sa capacité à se poser en groupe dominant sur son propre territoire. Par
exemple, les séquelles de la colonisation ont fait que les Français soient devenus
un groupe de référence à Madagascar (rabaissement des productions locales "vita
gasy" et valorisation des produits "made in France", usage de la langue française
pour le paraître social, teinture des cheveux en blond, usage des produits
cosmétiques "blanchissants"…) ; cependant, nous assistons encore à la
multiplication des unions franco-malgaches.
3- Les unions interculturelles comme laboratoire social :
Cette perspective, élaborée par Augustin Barbara en 1992, considère les unions
interculturelles comme un laboratoire social. Les couples mixtes constituent un
échantillon représentatif des différentes communautés en présence sur un territoire
donné. Les conclusions tirées de l’analyse des dynamiques d’échanges au niveau
de ces couples peuvent être transposées au niveau macrosocial. « La mixité devient
alors un outil utilisé pour étudier et mesurer les phénomènes d’interaction entre
groupes sociaux (distance sociale, dialogue, communication interculturelle, etc.) »
(2012 : 5). Dans cette optique, les conjoints sont « les ambassadeurs de leur pays et
de leur "culture" respectifs » (2012 : 6).
En 1993, Augustin Barbara reprend l’idée de « laboratoire social en suggérant,
cette fois, que les études sur la mixité conjugale permettent de comprendre la
logique sociale qui existe dans tout couple, la dynamique du couple mixte portant
en condensé, selon lui, l’histoire de tous les couples » (2012, 6). En effet, tous les
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couples doivent faire face à des crises et à des divergences lesquelles sont plus
précoces et saillantes chez les couples mixtes.
4- Les théories qui placent les structures macrosociales au cœur de leur analyse :
D’une manière générale, ces théories tendent à expliquer la montée en nombre des
mariages mixtes à partir des structures macrosociales, à savoir les mouvements
migratoires et la démographie.
Une de ces théories « affirme que les unions mixtes sont une conséquence normale
du brassage de populations. Elles reflètent tout simplement une augmentation de la
mobilité internationale » (2012 : 6).
La théorie nommée "unbalanced sex-ratio", élaborée par Peter Blau au début des
années 70, s’appuie sur des données sociodémographiques pour expliquer les
unions mixtes. Cette perspective postule que dans les endroits où hommes et
femmes sont en nombre inégal, il y a davantage de mariages mixtes. Le surplus
d’hommes ou de femmes seraient alors tentés de tisser des liens avec des
personnes ayant d’autres nationalités.
Jocelyne Streiff-Fenart (1989), quant à elle, a mis l’accent sur le lien entre les
conditions socioéconomiques des couples mixtes et la possibilité de tirer avantage
de leur relation. Elle a avancé que les couples vivant dans des conditions modestes
demeurent stigmatisés tandis que dans les milieux favorisés, la mixité est perçue
comme un plus, une source d’enrichissement par le biais de l’assemblage de
diverses références culturelles.
B- Les perspectives théoriques récentes qui placent l’individu au cœur de l’analyse :
« Ces études récentes permettent de porter un regard tout à fait différent sur la mixité
conjugale en s’attardant aux dynamiques conjugales, à l’intimité et à la vie de tous les
jours, aux rapports avec la parenté, aux modes de formation des couples, aux choix du
conjoint/conjointe, aux trajectoires biographiques, à la transmission des référents
identitaires aux enfants, à la construction identitaire des individus engagés dans des
expériences de mixité ou issus de couples mixtes » (2012 : 7).
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1- L’identité en mutation :
La famille, en tant qu’institution de socialisation primaire, détient un rôle
important dans la construction identitaire de l’enfant : elle lui fournit une identité
première reposant sur des données objectivables (le nom, le sexe, l’ascendance, la
nationalité…). C’est ce que Claude Dubar (2000) appelle l’« identité pour autrui »,
celle qui permet de se présenter en société. Au fur et à mesure que l’individu
participe à la vie sociale, ses appartenances se diversifient. Il ressent alors le
besoin d’édifier son identité personnelle, de se redéfinir perpétuellement par
rapport à lui-même et par rapport à ce qu’il veut être.
Face à ce constat, les sociologues Beate Collet et Emmanuelle Santelli (2012) ont
montré à travers leurs études sur les trajectoires des descendants d’immigrés que la
contraction d’une union mixte « correspond souvent à une remise en cause des
attributions héritées » (Therrien, Le Gall, 2012 : 8) et à une affiliation à d’autres
références identitaires. Les acteurs concernés passeraient donc de l’identification
sociale à la construction d’une identité personnelle.
2- Les individus en tant qu’acteurs :
Les recherches récentes se sont attachées à mettre l’accent sur l’individu en tant
qu’acteur. Les travaux de Deirdre Meintel (2008, 2002, 1992) montrent que les
individus ne s’imaginent pas toujours en termes d’identité collective, mais qu’ils
se construisent en tant que sujet individuel. L’accent est mis sur les projets
parentaux, c’est-à-dire les projets formulés par les parents pour orienter les
identifications à venir des enfants (Meintel, Le Gall, 2009). Annie Le Blanc insiste
sur la nécessité de rendre compte de la façon dont les individus définissent eux-
mêmes leurs cercles d’appartenance. La thèse de Dan Rodriguez-Garcia (2006)
montre que les individus en couples mixtes ne sont pas dans un conflit entre deux
cultures, mais dans une négociation identitaire construite à partir de localisations et
d’antécédents culturels multiples. Certains écrits sociologiques (Collet, Santelli,
2003 ; Fenoglio, 1999 ; Philippe, 1999 ; Varro, 2003) ouvrent sur une perspective
plus centrée sur l’individu. Ces chercheurs redonnent aux acteurs sociaux leur
pouvoir d’action en explorant les aspects créatif, plastique et pluriel de l’ethnicité
et en replaçant le sujet et l’action humaine au cœur de la recherche.
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3- Les aspects positifs de la mixité conjugale :
La mixité est vue comme extrêmement avantageuse et ce, tant pour les partenaires
d’unions mixtes que pour leurs enfants.
- L’incorporation créative :
L’idée d’"incorporation créative", initiée par les anthropologues Rosemary Breger
et Rosanna Hill (1998) aux Etats-Unis, dévoile une vision positive de la mixité
conjugale. En effet, celle-ci est vue comme une source potentielle
d’enrichissement, non seulement pour les conjoints mais également pour leurs
éventuels enfants. Par ailleurs, cette perspective valorise « le rôle actif des acteurs
sociaux dans la création-construction de leur quotidien » (2012 : 9).
- L’amour comme force de changement :
Maria Root (2001), psychologue clinicienne, suggère d’analyser la mixité
conjugale comme une sorte de révolution tranquille. Le pouvoir de l’amour donne
l’espoir que celui-ci peut transcender des barrières que les lois ne transcendent pas.
La mixité conjugale est un défi porteur de découvertes et de modération par
opposition aux fanatismes de tout ordre.
- La mixité comme voyage :
C. Therrien (2012, 2009, 2008) aborde la mixité comme voyage (expérience de
distanciation avec le « home » de l’enfance). Elle souligne le potentiel positif de la
mixité conjugale tout en rendant compte de l’ambivalence dont est empreint ce
voyage.
- La mixité comme reflet d’une société pluraliste :
Meintel et Le Gall suggèrent que la mixité peut être le reflet d’une société
pluraliste. Les unions mixtes ne conduisent pas nécessairement vers une
assimilation mais transmettent un héritage pluraliste. Les parents expriment une
volonté de maximiser les possibilités de ressources symboliques de leurs enfants.
Les parents reconnaissent la multiplicité des appartenances identitaires à
transmettre et mettent de l’avant les potentialités enrichissantes de la mixité.
- La transmission d’une identité multiple :
Meintel et Le Gall ont montré que des efforts sont faits par les parents pour assurer
la transmission des éléments culturels provenant des différents héritages des
parents (école du samedi, vacances au pays d’origne…).
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- La mixité comme héritage :
Les individus issus d’unions mixtes font souvent face à des choix identitaires que
ne connaissent pas de la même façon les autres enfants. Les tenants de cette théorie
(Breger, Hill, 1998 ; Maxell, 1998 ; Stephan, Stephan, 1989) montrent que la
mixité peut générer plusieurs aspects positifs : estime de soi positive, vision
optimiste de la vie, héritage culturel enrichi, créativité, ouverture… Sultana
Choudhry (2010) indique que les individus mixtes possèdent une « identité
caméléon » qui leur permet de s’adapter aux situations dans lesquelles ils se
retrouvent.
Section 3 : Pour un regard centré sur l’acteur
Afin d’achever la construction de la problématique, nous allons indiquer dans cette section la
posture que nous nous sommes proposés d’adopter pour appréhender la mixité conjugale sur
le terrain. En premier lieu, nous évoquerons les principes du paradigme interculturel énoncés
par Martine A. Pretceille puis, nous justifierons le choix de la thèse de l’incorporation créative
(Breger, Hill, 1998) comme base théorique de cette recherche.
A- Les principes du paradigme interculturel : (inspirés de Martine A. Pretceille)
D’après l’auteur, « l’interculturel peut désormais être défini comme un paradigme au
sens de Kuhn et Raymond Boudon, c’est-à-dire à partir "d’un ensemble de
propositions formant une base d’accord à partir de laquelle se développe une tradition
de recherche" (1999 : 53). Tout au long de la descente sur le terrain et lors de l’analyse
des données récoltées, nous nous sommes efforcée de garder en esprit les principes
épistémologiques et méthodologiques qui vont être énumérés ci-dessous.
1- Axe conceptuel et épistémologique :
« L’approche interculturelle rompt avec le point de vue objectiviste et
structuraliste puisqu’elle s’intéresse à la production de la culture par le sujet lui-
même, aux stratégies qu’il développe sans pour autant postuler qu’il en a toujours
conscience » (1999 : 54).
« Pour le phénoménologue, la culture n’est pas une réalité sociale en soi que l’on
peut appréhender de manière objective, c’est un vécu dont il s’agit de reconstruire
le sens. (…) C’est pourquoi l’interculturel est une ontologie qui se construit au fur
et à mesure de l’observation et de l’élucidation du rapport à autrui » (1999 : 56).
14
« L’accent est mis sur les relations entre les individus plus que sur les cultures
prises comme des entités homogènes » (1999 : 58).
« L’approche interculturelle pose l’interaction comme fondamentale » (1999 : 59).
2- Axe méthodologique :
« En situation d’hétérogénéité culturelle et conformément aux principes de la
sociologie compréhensive et qualitative, l’objectif est de rendre compte du
fonctionnement instrumental de la culture par opposition à sa valeur de
détermination et de modelage des conduites et des comportements » (1999 : 63).
« Ce positionnement implique une relativisation des différentes formes de
déterminisme (surtout du déterminisme culturel) sans toutefois méconnaitre
l’impact des facteurs structurels (économique, social et politique) sur les conduites
et sur les stratégies individuelles ou groupales » (1999 : 63).
« Le discours interculturel induit un questionnement autant sur les autres cultures,
sur autrui, que sur sa propre culture » (1999 : 64).
« Avant d’interpréter une mésentente, un conflit, comme étant d’origine culturelle,
il convient de s’interroger sur l’environnement, sur les conditions, sur les
circonstances et ne pas focaliser sur la variable culturelle uniquement parce que les
acteurs en présence appartiennent à des cultures différentes » (1999 : 65).
« L’approche interculturelle s’érige à partir d’une pluralité de sens, de causalités et
de points de vue. L’interculturel réfère à plusieurs régions du savoir car ses objets
potentiels peuvent appartenir à plusieurs problématiques différentes » (1999 : 65).
B- Justification du choix de la théorie de l’incorporation créative :
Breger et Hill (1998) ont souligné le caractère enrichissant des expériences de mixité
conjugale. Les acteurs sociaux en interaction feraient du bricolage culturel afin
d’assembler en une culture nouvelle et unique les références culturelles des deux
côtés. En somme, cette théorie englobe deux idées qui rejoignent les points que nous
voulons démontrer à l’issue de cette recherche : la mixité en tant que source
d’enrichissement et les capacités négociatrice, créative et stratégique des individus en
situation d’interculturalité.
En bref, toute démarche qui se veut scientifique doit toujours débuter par un
ensemble de définitions en vue de délimiter l’objet d’étude. Nous avons défini le
15
couple mixte comme étant un couple à la fois binational et biculturel. Deux grandes
tendances ont alimenté les réflexions sur la mixité conjugale : la première s’est avant
tout attachée à recenser les facteurs déterminants de la multiplicité des mariages
mixtes tandis que la seconde a donné la priorité à la marge de manœuvre des
individus. Conformément à l’objectif global de notre recherche qui est de rendre
compte du rôle des conjoints dans l’harmonisation de leur quotidien, nous nous
sommes tournés vers les théories qui accordent une place centrale à l’individu.
16
Chapitre II: Le contexte d’émergence des couples malgacho-étrangers
Cette étude porte sur la mixité conjugale dans le contexte spécifique de
Madagascar, c’est-à-dire sur des couples étrangers-malgaches qui ont décidé de s’établir dans
le pays, ou plus précisément à Antananarivo. Le pays est affecté par le problème de la fuite de
cerveaux mais à contre-courant, il attire abondamment les étrangers dont une proportion
considérable réside dans la capitale. Un survol de l’historique du peuplement de Madagascar
par les étrangers tentera d’établir un lien entre la multiplication des mariages mixtes et
l’afflux des étrangers. Ensuite, une revue des écrits sur la mixité conjugale à Madagascar
montrera l’accent mis sur les difficultés que peuvent rencontrer ces couples. Et la dernière
partie de ce chapitre décrira les procédures administratives à suivre pour un mariage civil
mixte.
Section 4 : Historique du peuplement de Madagascar
Située dans la partie occidentale de l’Océan Indien, Madagascar attire depuis très longtemps
des étrangers venant d’horizons divers. L’« île-continent » se présente à leurs yeux comme un
foyer de potentialités et d’opportunités économiques. D’après le Ministère des Affaires
étrangères français, le nombre de Français enregistrés à Madagascar en 2011 est de 19 864.
D’une manière générale, les étrangers viennent s’y établir comme diplomates, gens d’affaires
(le cas des Indo-Pakistanais et des Chinois), étudiants (le cas des Comoriens)... Sans pour
autant négliger la part des motivations personnelles dans le choix du conjoint, nous tenterons
de montrer que l’apparition des couples malgacho-étrangers se trouve favorisée par l’afflux
des étrangers dans le pays.
Au premier millénaire avant Jésus-Christ, Madagascar fut peuplée par les Africains et les
Indonésiens. Puis au Moyen Age, des commerçants musulmans arrivèrent et s’installèrent. Ce
fut après la découverte de l’île par le Portugais Diego Diaz en 1500 que les Européens
(notamment les Français et les Anglais) commencèrent à envahir tout le pays. En 1643, le
Français Jacques Pronis fonda au sud-est Fort-Dauphin et l’île, baptisée île Dauphine, fut
théoriquement annexée sous le nom de France orientale puis en 1804, Sylvain Roux occupa
Tamatave. Entre temps, les royaumes Sakalava et Betsimisaraka furent respectivement créés
par Andriandahifotsy vers 1660 et Ratsimilaho en 1710. En 1810, Radama Ier (fils du roi
Andrianampoinimerina) contracta une alliance avec la Grande-Bretagne en vue de conquérir
17
toute l’île. Ce fut alors au tour des Anglais de gagner en puissance et d’occuper Tamatave en
1811. La France et la Grande-Bretagne se disputèrent continuellement l’occupation du
territoire malgache jusqu’à la signature du traité du 17 Décembre 1885 imposant le protectorat
français à Madagascar.
Compte tenu de ces évènements, les contacts avec les étrangers existent depuis très
longtemps. L’installation ancienne de la population européenne, composée également de
créoles originaires des îles Maurice et de La Réunion, constituait déjà une occasion favorable
aux unions mixtes : l’un des fils du Premier ministre Rainilaiarivony et une Mauricienne
(Georges-Sully Chapus, Gustave Mondain, 1953 : 302), Clément Laborde, le fils de Jean
Laborde, et une Malgache du nom de Marie-Aimée Rasoamanivo… Par ailleurs, le pays a
connu une importante période coloniale (1896-1960) durant laquelle les couples mixtes ont
continué à se former mais c’étaient surtout les liaisons entre hommes malgaches et femmes
européennes qui entrainèrent des réticences tant dans le clan des colonisateurs que dans celui
des colonisés. Après l’Indépendance de Madagascar, des mariages mixtes ont encore été
enregistrés. Par exemple, le Français Eugène Lechat (feu), Vice-président du gouvernement
de la Première République, épousa Zénaïde Ramampy, maire d’Ambalavao Tsienimparihy de
1995 à 2004.
En bref, ces quelques rappels mettent en évidence que la mixité conjugale n’est pas un fait
nouveau (les couples mixtes cités en exemple se sont formés dans les Hautes Plateaux) et
montrent que celle-ci est quelque peu liée au contact permanent entre étrangers et
autochtones.
Section 5 : Les tendances de la littérature sur la mixité conjugale à Madagascar
Les écrits que nous avons trouvés se sont plutôt inspirés des unions problématiques entre
hommes malgaches et femmes européennes durant l’époque de la colonisation. En effet, les
colonisateurs réprimaient ces unions parce qu’elles menaçaient l’assise du pouvoir colonial du
fait d’une trop grande proximité entre colonisateurs et colonisés.
Dans son article, Violaine Tissaud (2010) tentait d’apporter un éclairage intéressant sur la
société coloniale à partir de l’analyse des réactions des autorités coloniales contre les unions
entre hommes malgaches et femmes européennes. «Les unions entre Malgaches et Européens
prennent en effet des formes diverses plus ou moins tolérées qui sont, par ordre d’acceptation
18
et en fréquence décroissante, l’union passagère d’un Européen avec une femme malgache,
l’union stable avec la reconnaissance des enfants, le mariage régulier entre Européen et
femme malgache, et enfin le mariage régulier entre un Malgache et une Européenne »
(2010 :7). A la fin, l’auteure est arrivée à la conclusion suivante : « Les femmes, qu’elles
soient européennes, créoles, malgaches, métisses, se trouvent alors au cœur des processus et
stratégies de préservation des groupes, du maintien de l’ordre colonial » (2010 : 38).
Dans le roman de Catherine Missonnier (2006), intitulé Le Goût de la
Mangue, l’intrigue se déroule en 1956. Anna, une jeune bretonne, vit à Antananarivo mais ses
relations avec les Malgaches ne sont pas simples sachant que les Blancs constituent le groupe
dominant dans l'île. Elle essaie pourtant de connaître l'histoire, de saisir la mentalité et la
culture malgache. Dans son lycée pour filles, elle devient amie avec une Malgache ; celle-ci
lui présente à son frère, Léon, dont Anna tombe éperdument amoureuse. Malheureusement,
leur amour se trouve compromis par les tensions indépendantistes qui commencent à se
ressentir. Anna et Léon, les héros du roman, se trouvent alors malmenés tant par les
Européens que par les Malgaches. Les voisins français n’ont pour la jeune Anna que mépris
tandis que la famille de Léon fait tout pour le raisonner en lui rappelant son identité malgache
et ses obligations familiales. L’éviction du tombeau familial semblait alors la menace la plus
efficace pour que Léon s’éloigne de son amie Anna.
A la Belle Flore. Amours malgaches, roman colonial d’Eugène Duliscouet (1935), porte
également sur la liaison amoureuse d’un homme malgache et d’une femme européenne.
L’histoire s’achève sur l’échec de l’union car les références culturelles des deux conjoints
demeuraient incompatibles : la femme européenne n’a pas su s’adapter au mode de vie plutôt
traditionnel de son mari.
Enfin, plusieurs articles publiés sur la toile témoignent d’une certaine opinion péjorative sur
les couples franco-malgaches. A titre d’illustration, nous allons reprendre l’extrait d’un article
trouvé sur le site Madalascar et qui s’intitule les « 75 » :
19
« Une petite explication du titre abscons et racoleur s’impose. Ne vous méprenez pas, il ne
s’agit pas des parisiens ! On appelle les 75 à Madagascar les couples mixtes franco-
malgaches. Il a 55 ans, elle en a 20. Parfois, lui 60, elle 15. D’ailleurs compte tenu de
l’augmentation des seniors français esseulés et de l’allongement de la durée de vie, on glisse
de plus en plus vers la Vendée, à savoir les « 85 ». Il a 60 ans ou plus, elle a 25 ans ou moins.
(…) Donc ces seniors viennent à Madagascar pour trouver l’âme sœur, qu’ils n’ont pas ou ne
peuvent plus trouver en France pour diverses raisons. Et curieusement, ils se retrouvent
quasiment toujours avec des jeunes femmes de 18 à 25 ans en moyenne. (…) En effet, la
misère ambiante à Madagascar fait que ces demoiselles sont prêtes à tout pour « gagner » un
vazaha comme on dit. Très souvent, la famille les y encourage, d’une part pour « sauver » la
petite, d’autre part pour caser une bouche à nourrir de moins, enfin dans l’espoir de
bénéficier des retombées pécuniaires venant de cette union. Il est pathétique d’observer ces
couples à table où règne un silence parlant. La pauvre fille ne sait pas quoi dire, ne comprend
rien quand il parle de tout et de rien, elle essaie de capter un sens à la discussion avec le
regard inspiré d’une huître en train de perler !».
En résumé, la littérature sur la mixité conjugale à Madagascar est marquée par la rareté de
l’empreinte des auteurs malgaches. De plus, les unions des Malgaches avec des personnes
d’origines autres qu’européenne, même si elles sont plus rares, ont été laissées de côté. Le
point commun de tous les couples malgaches-étrangers réside dans la fragilité des relations,
sans cesse soumises à l’appréciation de l’entourage. Les colonisateurs y voyaient une
déchéance de leur "supériorité" tandis que les familles malgaches considéraient cela comme
une souillure et une trahison à la culture malgache. Actuellement, ce sont les couples formés
de "vieux" Français et de "très jeunes" Malgaches qui suscitent davantage les discussions
vives.
Section 6 : Le mariage civil mixte
Bien qu’une partie des couples que nous avons interrogés vivent en concubinage, il nous a
tout de même semblé opportun d’apporter un minimum d’informations sur le mariage civil
mixte à Madagascar. En premier lieu, nous présenterons les étapes de la démarche
administrative que doivent suivre les futurs mariés. Et en second lieu, nous exposerons des
statistiques relatives au nombre de mariages mixtes enregistrés dans un arrondissement de la
capitale de notre choix.
20
A- Les étapes de la démarche administrative :
A Madagascar, le mariage civil mixte suit les règles de tous les mariages civils
cependant des dossiers supplémentaires sont à joindre par les futurs mariés. Ils doivent
répondre au profil établi par les deux Etats concernés. La complexité de ce type de
mariage réside dans la composition de deux cultures. En effet, la notion d’union peut
varier d’un pays à l’autre. De même, la célébration et les règles à suivre diffèrent
d’une culture à l’autre.
D’une manière générale, la démarche tient en cinq étapes mais peut varier selon les
circonstances et la nationalité du conjoint étranger :
- les futurs mariés déposent leur dossier de projet de mariage au Consulat du pays
d’origine de l’étranger,
- les futurs mariés seront ensuite convoqués au Consulat, ensemble ou séparément,
afin de répondre à une enquête de moralité,
- dans un délai d’environ deux mois et si il a été prouvé que les candidats ont de
bonnes intentions vis-à-vis du mariage, le Consulat délivre le certificat de capacité
de mariage,
- avec ce certificat de capacité de mariage que les futurs époux doivent joindre à des
dossiers habituels, ils peuvent se marier dans une mairie malgache qui leur
délivrera un livret de famille,
- enfin, ce livret de famille sera ensuite apporté à l’ambassade du pays d’origine du
conjoint étranger qui procèdera à la transcription du mariage.
Lors du dépôt de dossier au Consulat, le conjoint étranger doit fournir les pièces et
justificatifs suivants :
- une copie intégrale de l’acte de naissance antérieure à trois mois à la date du
mariage,
- un document justifiant la nationalité étrangère,
- un justificatif de domicile (exemple : une photocopie de facture du téléphone).
En ce qui concerne la personne de nationalité malgache, elle doit rassembler :
- une copie intégrale et en version traduite de l’acte de naissance de moins de six à
la date du mariage,
- un certificat justifiant le statut de célibataire,
- un certificat de résidence délivré par le fokontany,
- une copie de la carte nationale d’identité.
21
Au niveau de l’état civil malgache, voici les pièces et justificatifs requis aux futurs
époux :
- un certificat de résidence de moins de trois mois,
- un certificat de célibat,
- une copie de naissance,
- le certificat de capacité de mariage.
Contrairement à l’opinion répandue, les formalités requises pour un mariage civil
mixte à Madagascar se sont avérées simples pour la plupart des couples avec lesquels
nous nous sommes entretenus (environ 90 % d’entre eux l’ont affirmé).
B- Statistiques relatives aux mariages civils mixtes :
Afin de se faire une idée de la fréquence des mariages civils mixtes, indiquons des
chiffres relatifs au nombre de mariages enregistrés au deuxième arrondissement de la
CUA tout au long de l’année 2013.
Nombre des mariages civils mixtes (Arrondissement II)
Unions mixtes Effectifs
Union Français/Malgache 24
Union Mauricien/Malgache 2
Union Comorien/Malgache 1
Union Syrien/Malgache 1
Union Pakistanais/Malgache 1
Union Belge/Malgache 1
Union Anglais/Malgache 1
Union Italien/Malgache 1
Union Allemand/Malgache 1
Union Croate/Malgache 1
Total mariages mixtes 34
Source : IIème arrondissement de la Commune Urbaine d’Antananarivo, 2013.
Madagascar a été une colonie française pendant soixante-quatre ans. Des luttes
indépendantistes durement réprimées par les troupes françaises ont été relatées par l’histoire.
Cependant, les unions franco-malgaches constituent la part la plus importante dans ce tableau.
Nous pouvons en déduire que la mémoire collective a balayé cette époque douloureuse de
22
l’histoire du pays. Les deux protagonistes peuvent maintenant entretenir des relations comme
si de rien n’était. De plus, la culture française demeure la plus familière à la culture malgache
et les barrières langagières sont moindres. Notons que toutes les personnes de nationalité
malgache inclues dans ce tableau sont de sexe féminin.
L’insularité, l’hospitalité des habitants de l’île, la diversité des richesses
naturelles sont autant de facteurs qui ont poussé et qui poussent encore les étrangers à venir à
Madagascar. Dans la première section de ce chapitre, nous avons essayé de montrer la
corrélation entre l’immigration des étrangers et l’apparition des couples mixtes. Ensuite, une
revue de littérature des écrits sur la mixité conjugale a montré que les unions mixtes, surtout
les unions franco-malgaches, étaient très mal vues pendant la colonisation tant par les
autorités coloniales que par les autochtones. Elles représentaient à la fois une provocation, une
menace, un danger, une souillure et une trahison à la culture d’origine. Actuellement, ces
mêmes couples choquent la société malgache lorsque l’écart d’âges entre les deux partenaires
est trop élevé. La plupart du temps, ce fait demeure un sujet tabou sauf pour quelques
internautes qui n’hésitent pas à dévoiler les motivations pécuniaires qui se cachent derrière ce
type d’union. Dans la dernière section, nous avons résumé les formalités nécessaires pour un
mariage civil mixte dans le pays avant d’achever par la présentation de statistiques relatives
au nombre de mariages mixtes enregistrés dans le deuxième arrondissement de la CUA.
23
Chapitre 3 : Parcours méthodologique
Ce chapitre s’attachera à relater l’itinéraire que nous avons suivi tout au
long de la période de recherche. Pour ce faire, nous exposerons successivement les étapes de
la recherche, les types de recherche, les situations de recueil des données, la méthode
employée, les variables retenues et le mode d’échantillonnage, les techniques mobilisées pour
la récolte d’informations, la manière dont les données ont été traitées et analysées et le type de
démarche choisi.
Section 7 : Les étapes de la recherche
Nous avons distingué quatre étapes : la phase exploratoire, la préparation de la descente sur le
terrain, la descente sur le terrain et l’analyse des informations récoltées.
A- La phase exploratoire :
La phase exploratoire sert de préalable à toute entreprise de recherche. Elle permet de
tâter le terrain. Les travaux de lecture et la pré-enquête forment la base de
l’exploration. Au départ, nous n’avions qu’une idée vague de la manière dont on allait
aborder le thème de la mixité conjugale à Antananarivo. Les lectures nous ont donc
renseignés sur les diverses possibilités de traiter le sujet. Pour opérer un choix, la pré-
enquête a été d’une grande utilité. Les couples mixtes que nous avons interrogés ont
nié ressentir leurs différences culturelles comme une source permanente
d’antagonismes. Au contraire, ils y trouvent une occasion d’apprendre davantage de
l’Autre et de s’initier à sa culture. C’est pourquoi, nous nous sommes penchés vers les
théories qui soulignent le potentiel positif de la mixité conjugale tout en faisant l’éloge
de la valorisation de l’individu en tant que sujet culturel, acteur et maître de ses
décisions et de ses choix.
B- La préparation de la descente sur le terrain :
Une fois que la problématique a été construite, il nous fallait déterminer les outils
techniques qui allaient servir à la récolte des données. La pré-enquête nous a montré
que l’entretien directif ne convient pas dans la mesure où notre but était de recueillir le
maximum d’informations. Les gens s’étaient pressés de répondre aux questions sans
chercher à argumenter ni à se justifier et parfois, il y avait même eu des silences
24
gênantes. Nous avons donc opté pour le récit d’expérience, moins directif, qui
permettait aux interviewés de s’épancher. Toutefois, nous avons élaboré un guide
d’entretien dans le cas où les interviewés s’éloigneraient trop du sujet.
En outre, un de nos objectifs a été d’avoir une idée de la position des Malgaches vis-à-
vis des unions mixtes. Nous avons donc prévu un sondage d’opinion auprès de 50
personnes (25 hommes et 25 femmes) sélectionnées au hasard.
C- La descente sur le terrain :
La descente sur le terrain s’est bien passée. Seulement deux couples mixtes ont refusé
notre demande d’entretien même par le biais d’un intermédiaire. En totalité, nous
avons pu aborder 18 couples mixtes et obtenir les confidences de 2 femmes de
nationalité malgache ayant divorcé. La durée de chaque entretien varia it d’une
quarantaine à une soixantaine de minutes en fonction du degré d’ouverture des
interviewés. Nous avons remarqué que c’étaient les couples que nous ne connaissons
pas personnellement qui parlaient davantage que ceux qui nous sont proches. Peut-être
est- il plus facile de se dévoiler devant une inconnue ?
D- L’analyse des informations :
Cette dernière étape consiste à :
- faire le dépouillement des données,
- mesurer les relations entre les variables,
- confronter les hypothèses théoriques avec les données empiriques,
- expliquer les écarts constatés.
Section 8 : Les types de recherche
Il importe de spécifier que notre étude s’inscrit dans une recherche à la fois descriptive, c’est-
à-dire tente de décrire les différentes configurations culturelles que permet la mixité, et
spéculative dans la mesure où elle cherche à bouleverser la façon dont les Malgaches
perçoivent la mixité conjugale. En effet, il est tacitement admis par la société que derrière
toute union mixte se cache quelque intérêt pour au moins l’un des conjoints dont surtout le
Malgache. Certes, cette manière de concevoir la mixité conjugale détient une part de vérité (à
Diégo-Suarez, la bénédiction faite par les parents aux jeunes filles c’est de se trouver un
« Vazaha ») ; cependant, nous soutenons l’idée que le seul intérêt matériel ne suffit pas à
maintenir ce type de relation dans la durée. Nous voulons montrer que les conjoints doivent
25
développer des aptitudes particulières pour qu’il y ait continuité malgré les réactions de
fermeture de l’entourage, les rapports de force, les incompréhensions et les conflits générés
par la différence culturelle. Les acteurs ne sont pas indéfiniment victimes des difficultés mais
agissent en vue d’optimiser des situations incertaines.
Section 9 : Les situations de recueil des données
Les entretiens d’informations se sont déroulés pour la plupart dans le cadre naturel des
personnes étudiées, c’est-à-dire chez eux. Cela nous a permis en même temps de repérer les
objets de décoration intérieure : les tableaux, les bibelots, les motifs des rideaux… Par
ailleurs, le recueil des données a été marqué par un degré élevé d’inférence, c’est-à-dire que
nous avons attribué des significations particulières à ce qui a été dit et montré.
Section 10 : L’étude de documents
Dans une démarche hypothético-déductive, l’étude de documents est une méthode qui a
énormément servi durant la phase exploratoire mais également tout au long de la période de
recherche. Les objets qui se sont prêtés à l’analyse sont :
- les documents publiés : il s’agit des ouvrages généraux et spécifiques, des articles
scientifiques, des textes de loi sur le mariage, des romans intéressant le sujet de
recherche…
- les objets de décoration intérieure : tableaux, bibelots, photos de famille…
En bref, les lectures ont été bénéfiques dans la mesure où nous avons pu, d’une part,
approfondir notre savoir sur l’approche interculturelle développée par Martine A. Pretceille et,
d’autre part, découvrir les différentes perspectives théoriques autour de la mixité conjugale.
Section 11 : Construction des variables et de l’échantillonnage
En premier lieu, nous allons indiquer les variables explicatives qui sont susceptibles d’être
tenues en compte. Ensuite, nous présenterons la méthode d’échantillonnage que nous avons
employée.
A- Construction des variables :
Nous allons considérer trois types de variables :
- La variable indépendante : c’est celle qui peut avoir des conséquences sur les
autres variables,
26
- La variable dépendante : celle qui dépend de la valeur des autres variables,
- La variable intervenante ou test variable : celle qui se place après la variable
indépendante et avant la variable dépendante.
Maintenant, nous allons représenter ces trois variables sur un schéma :
D’après cette figure d’emprunt, la mixité conjugale (VI) peut être une source
potentielle d’enrichissement (VD) à condition que les conjoints fassent du bricolage
culturel (variable intervenante). Le bricolage culturel conduit souvent à une
composition harmonieuse et originale de divers éléments culturels.
B- La méthode d’échantillonnage :
En ce qui concerne la méthode d’échantillonnage, nous avons mobilisé la méthode de
la boule de neige ou échantillonnage en cascade. Chaque couple mixte interrogé nous
introduisait à d’autres couples présentant les mêmes caractéristiques. Pour la
constitution du premier échantillon lors de la phase exploratoire, nous avons
commencé avec des cibles que nous connaissons personnellement puis nous nous
sommes rendus à des randonnées organisées par l’ORTANA, lesquelles rassemblent
souvent des couples mixtes. Au départ, nous voulions nous cantonner aux couples
franco-malgaches. Effectivement, ces couples sont particulièrement intéressants
compte tenu des rapports de domination qui peuvent se présenter. Suite à la
colonisation, il va sans dire que la culture malgache porte en elle des traits de la
culture française. A titre d’exemple, le petit déjeuner à la française devient de plus en
plus courant. Les partisans du biculturalisme franco-malgache « sont surtout des
individus issus de la classe sociale aisée dont le pouvoir d’achat et les modes de vie,
les habitudes culinaires et la façon de s’habiller, les pratiques langagières et les
Schéma des variables
Variable indépendante Variable intervenante Variable dépendante
Vivre en couple
mixte
Bricolage culturel Enrichissement
culturel
27
moyens de communication, les passe-temps en fin de semaine et les réseaux sociaux
élargis nous révèlent une partie intense de la culture française » (Randriamasitiana,
2011 : 111). La situation de mixité ne ferait alors que renforcer le processus
d’assimilation de la culture malgache. Toutefois, dans un souci de diversification des
expériences et d’autant plus que notre analyse est axée sur les aspects positifs de la
mixité, il s’est avéré plus pertinent d’explorer les unions des Malgaches avec des
étrangers issus de toutes les nationalités possibles.
Section 12 : Les techniques de recueil d’informations
Les informations que nous avons recueillies sur le terrain relèvent de deux ordres :
- l’opinion des passants sur les couples malgaches-étrangers,
- les confidences des acteurs concernés par la mixité conjugale.
Les techniques qui ont été utilisées sont respectivement le sondage d’opinion et le récit
d’expérience. Le sondage d’opinion nous a permis d’avoir une idée de ce que les gens qu’on
croisait dans la rue pensent des couples mixtes et de leur multiplication. Les passants qui ont
bien voulu se soumettre au sondage ont été sélectionnés de manière fortuite. En tout, nous
avons récolté 50 réponses à la question : « Etes-vous pour ou contre les unions entre
Malgaches et étrangers ? ». La réponse de chacun était ensuite ponctuée d’un « pourquoi ? ».
En ce qui concerne le récit d’expérience, il portait sur l’épisode vécu par les conjoints dans le
cadre de la mixité allant de la rencontre amoureuse à leur quotidien au sein du foyer en
passant par les premiers moments de leur relation. Chaque enquêté avait la liberté de
s’exprimer sur ce qu’il ressentait. Cette technique a permis de récolter des données riches sur
le plan qualitatif. Lorsque les enquêtés le permettaient, nous avons enregistré leurs discours à
l’aide d’un dictaphone.
Section 13 : Traitement et analyse des données
Pour une authenticité des résultats de la recherche, nous allons privilégier deux types
d’analyse : l’analyse multivariée et l’analyse qualitative au sens donné par Mucchielli (2002).
A- Analyse multivariée :
« Elle permet de prendre en compte la complexité de la réalité en introduisant de
nombreuses variables explicatives » (Randriamasitiana : 2012). C’est la base même de
l’approche interculturelle développée par Martine A. Pretceille.
28
B- Analyse qualitative :
« L’analyse qualitative est une démarche discursive et signifiante de reformulation,
d’explication ou de théorisation d’un témoignage, d’une expérience ou d’un
phénomène » (Paille, 1996). Ce type d’analyse sera appliqué à l’explication des
propos des interviewés que nous retranscrirons dans la deuxième partie.
Section 14 : Le type de démarche
Nous nous sommes fondés sur la démarche hypothético-déductive pour laquelle l’analyse des
travaux de recherche de référence prime sur l’observation directe de la réalité. Cette démarche
constitue un moyen efficace pour rompre définitivement avec les préjugés et les idées
préconçues, par la prise en compte des régularités qui caractérisent tel ou tel fait social.
En bref, nous venons de présenter en détail notre parcours méthodologique.
Nous avons prévu 4 étapes de recherche, à savoir la phase exploratoire, la préparation de la
descente sur le terrain, la descente sur le terrain et la phase d’analyse des informations. La
démarche hypothético-déductive a servi de point de départ à la construction de notre
problématique et à la détermination des variables explicatives. Sur le terrain, nous avons
combiné deux techniques de recueil d’informations : le sondage d’opinion et le réc it
d’expérience.
29
Dès le départ, nous avons précisé ce que nous entendons par "couple mixte".
Il s’agit d’un couple binational dont l’un des deux conjoints possède la nationalité malgache.
C’est aussi un couple biculturel car nous insistons sur le fait que chaque individu ait été
socialisé dans son pays d’origine ; cela implique qu’il y ait vécu au moins son enfance et son
adolescence. Avant de clore cette première partie, il importe de rappeler nous nous sommes
proposés d’appréhender la mixité conjugale dans ses aspects positifs tout en identifiant le rôle
des individus dans l’optimalisation de leur situation. C’est la base même de la thèse de
l’incorporation créative de Breger et Hill (1998). Dans le second chapitre, nous avons essayé
de montrer que le contexte d’hétérogénéité culturelle du pays constitue une occasion
favorable à l’émergence des couples mixtes. Dans le dernier chapitre, nous avons clairement
exposé notre parcours méthodologique. Dans la partie suivante, nous nous focaliserons sur les
données recueillies sur le terrain.
30
PARTIE II : LE RAPPORT À L’AUTRE : VERS UNE OPTIMALISATION DU
QUOTIDIEN
L’interculturel implique un pas vers l’apprentissage de l’Autre et de sa
culture. C’est une ouverture, une flexibilité et une acceptation de ce qu’est l’Autre.
L’interculturel, en tant que synonyme d’échanges et de transferts culturels, se trouve à la base
de l’entente entre les partenaires mixtes. Les couples malgacho-étrangers suscitent des
murmures et des regards circonspects de la part de l’entourage. Pourtant, au-delà des préjugés,
ces couples ont créé un « monde à eux ». Dans cette deuxième partie, nous verrons en quoi la
mixité conjugale est à la fois dérangeante et tentante pour les personnes que nous avons
interrogées, mais également en quoi elle est à la fois porteuse de défis et bénéfique pour ceux
qui l’expérimentent.
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Chapitre 4 : L’ambivalence de la mixité conjugale
Les couples mixtes dérangent les habitudes et bouleversent la pratique
endogamique propre à la société traditionnelle malgache. Face à ce constat, nous avons
entrepris de recueillir des éléments de réponse quant à la perception actuelle des unions
malgacho-étrangers par les Malgaches. L’échantillon de 50 personnes dont 25 hommes et 25
femmes est, certes, loin de représenter la population tananarivienne mais ce sondage
d’opinion nous a quand même permis de sonder une partie de la vérité.
Section 15 : Quantification des résultats
La question posée était : « Etes-vous pour ou contre les unions entre Malgaches et étrangers ?
Pourquoi ? ».
Tableau quantitatif des réponses
Sexe le l’enquêté Réponse POUR Réponse CONTRE
Masculin 9 16
Féminin 15 10
Total 24 26
Source : Enquêtes personnelles, 2013.
Les opinions défavorables à l’encontre des unions malgacho-étrangers dépassent de peu les
opinions favorables. Par contre, les femmes affichent une inclination à la mixité conjugale par
opposition à la majorité des hommes.
Section 16 : Typologie des justifications
A la question « pourquoi ? », chacun avait donné son avis personnel qu’il soit pour ou contre.
Afin de mieux représenter ces opinions, nous avons fait appel à la typologie où les réponses
plus ou moins similaires sont regroupées dans une même catégorie.
A- Typologie des justifications pour la réponse « pour » :
Les divers arguments avancés par les enquêtés pour justifier leur choix ont été classés
dans les trois catégories suivantes :
- une fascination pour les « Vazaha » qu’ils associent à des qualités telles que la
beauté, l’intelligence, la politesse, la richesse, la galanterie...
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- l’opportunité de vivre des expériences enrichissantes comme les voyages, l’amitié
avec les étrangers, l’initiation à la culture étrangère…
- l’ascension sociale : « Rehefa mahazaka Vazaha dia tsy manana olana ara-bola
intsony » (traduction : en se mettant en couple avec un « Vazaha », l’argent n’est
plus un problème), tels étaient les propos d’une des participantes du sondage.
Source : Enquêtes personnelles.
D’après ce graphique, c’est la fascination pour les étrangers qui tient la première place
parmi les justifications de l’attitude favorable aux unions malgacho-étrangers.
B- Typologie des justifications pour la réponse « contre » :
Les divers arguments avancés par les enquêtés pour justifier leur réserve à l’égard des
unions mixtes ont été également classés dans les catégories suivantes :
- l’incompatibilité des cultures : « Tsy hitovy mihitsy izany Gasy sy Vazaha izany !»
(traduction : Malgaches et étrangers ne sont pas pareils et ne le seront jamais), a
déclaré un jeune homme.
- un risque de perte de l’identité malgache,
- une entrave aux valeurs malgaches,
- des unions sans amour mais seulement motivées par l’intérêt.
0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70%
Ascension sociale
Occasion de vivre une expérience enrichissante (voyages, initiation à la culture
étrangère, avoir des amis étrangers…)
Fascination pour les "Vazaha" (beaux, riches, polis, intelligents…)
Les justifications de l'attitude favorable aux unions mixtes
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Source : Enquêtes personnelles.
D’après ce graphique, nous pouvons déduire que beaucoup pensent que les mariages
entre Français et Malgaches, par exemple, sont uniquement motivés par l’argent. Les
Malgaches feraient tout pour les appâter afin d’assurer une bonne fois pour toutes leur
avenir. Par ailleurs, une partie des enquêtés craignent la perte de l’identité malgache
d’autant plus qu’une autre partie d’entre eux ont affirmé que la culture malgache n’est
pas compatible avec d’autres cultures.
En définitive, le caractère ambivalent de la mixité conjugale à Antananarivo
découle des conceptions opposées dont elle fait l’objet. Pour certains, elle est vue comme une
aubaine mais pour d’autres, elle se traduit par l’abandon de l’identité malgache au profit de la
sécurité matérielle.
0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40% 45%
Incompatibilité des cultures
Contraire aux valeurs malgaches
Union sans amour mais seulement par intérêt
Risque de perte de l'identité malgache
Les raisons pour s'opposer aux couples mixtes
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Chapitre 5 : Les étapes cruciales de la mixité conjugale
Tous les couples vivent des périodes de crises et d’incertitude. Chez les
couples mixtes, les crises se font sentir à chaque étape décisive de la vie conjugale, à savoir
les premiers moments de la relation, la présentation aux familles respectives, l’officialisation
de l’union, les premières années de cohabitation et enfin, l’arrivée du premier enfant. La
durabilité des relations va alors dépendre de la manière dont les conjoints vont gérer ces
troubles liés aux différences individuelles et culturelles. Le récit d’expérience nous a permis
de prendre connaissance de l’évolution des rapports et des sentiments. Dans ce chapitre, nous
allons survoler les cinq étapes cruciales énumérées ci-dessus mais à titre de préalable, il
convient de présenter un tableau synoptique des interviewés.
Tableau synoptique des interviewés
N° Pseudonyme Nationalité Nombre
d’enfants
Profession Durée de la
cohabitation
Statut civil
1
Christian Français 01 Gérant d’une
société
17 ans Mariés
Mirana Malgache Femme au
foyer
2 Didier Français 02 Enseignant 29 ans Mariés
Arlette Malgache Femme au
foyer
3 Zo Malgache Aucun Photographe 3 ans Non mariés
Claire Française Consultante
4 Tovo Malgache 04 Avocat 21 ans Mariés
Maya Indienne Propriétaire
d’un magasin
5 Auria Malgache Aucun Employé 26 ans Récemment
mariés Marie Chinoise Propriétaire
d’un
restaurant
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6 Léon Mauricien 01 Directeur 4 ans Divorcés
Noro Malgache Femme au
foyer
7 Dan
Chinois 02 Propriétaire
d’un magasin
23 ans Mariés
Carine Malgache Magasinière
8 Philippe Français Aucun Gérant d’une
agence
3 ans Mariés
Fenitra Malgache Coiffeuse
9 Dario Italien 02 Transporteur 16 ans Mariés
Gladys Malgache Employée
10 Rija Malgache Aucun Musicien 4 ans Non mariés
Suri Japonaise Comptable
11 Arnaud Français 03 Directeur 24 ans Mariés
Olivia Malgache Femme au
foyer
12 Stéphane Français Un bébé
en cours
Enseignant 4 ans Mariés
Meva Malgache Employée de
bureau
13 Sylvain Malgache 01 Commercial 6 ans Mariés
Raïssa Comorienne Femme au
foyer
14 Raj Indien Aucun Travaillent
ensemble
3 ans Non mariés
Sarah Malgache
15 Naivo Malgache 02 Libérale 7 ans Mariés
Amandine Française Gérante
16 Guillaume Français Aucun Garagiste 04 ans Non mariés
Haingotiana Malgache Journaliste
17 Lee Chinois 03 Magasinier 21 ans Mariés
Elisa Malgache Femme au
foyer
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18 Prashant Mauricien Aucun Entrepreneur 8 ans Non mariés
Irina Malgache Employée
19 Lova Malgache 02 Directeur 16 ans Mariés
Krishna Indienne Femme au
foyer
20 Thierry Français Aucun Restaurateur 6 ans En instance
de divorce Nathalie Malgache Mannequin
Source : Enquêtes personnelles.
Nationalités des étrangers :
Les étrangers que nous avons interviewés ont huit nationalités différentes : neuf Français(es),
trois Indiens(es), trois Chinois(es), un Italien, deux Mauriciens, une Comorienne et une
Japonaise. Il convient de noter que nous avons fait abstraction de l’éventuelle possession
d’une seconde nationalité.
Situation matrimoniale :
Comme il est mentionné plus haut, treize couples sur dix-huit sont mariés et cinq vivent en
concubinage. En outre, deux femmes malgaches, l’une divorcée et l’autre en instance de
divorce, ont bien voulu nous partager leurs expériences. En effet, il est également important
d’avoir les points de vue des personnes qui ont connu un échec.
Durée de la cohabitation :
Qu’ils soient mariés ou non, il faut que les couples aient cohabité suffisamment longtemps
pour que les dynamiques interactionnelles soient palpables. La durée minimale de
cohabitation a donc été fixée à trois ans.
Milieux socioéconomiques et professionnels :
En regardant le statut professionnel des trente-huit personnes inscrites sur le tableau, on
constate que neuf d’entre elles ont monté leurs propres affaires, sept évoluent dans la
profession libérale, six sont des cadres dirigeants, deux enseignent dans un lycée francophone,
six sont des employés de bureau et sept femmes s’occupent de leur foyer par choix. La plupart
de ces couples vivent dans des conditions socioéconomiques moyennes, voire aisées.
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Section 17 : Les premiers moments de la relation
Les premiers moments de la relation, amorcés par la rencontre amoureuse, conduisent les
acteurs à se découvrir mutuellement dans leurs manières d’être, d’agir et de penser. C’est
l’étape à travers laquelle naissent les premières impressions et surgissent les premiers chocs
de cultures.
A- La rencontre amoureuse :
Quatorze rencontres sur vingt se sont produites à Antananarivo, trois se sont passées
dans les provinces et trois autres dans le pays d’origine du conjoint étranger.
La plupart des rencontres se sont faites professionnellement. A force de se voir,
l’intérêt mutuel finit par prendre de l’ampleur.
Arlette : A ce moment-là, je travaillais à l’accueil d’une banque. Voir des clients
étrangers n’était donc plus nouveau pour moi. Mais Didier, il était différent… Il
me demandait comment j’allais et tout et tout… J’étais plutôt sympa comme
femme alors le courant est vite passé entre nous. Lorsqu’il est revenu plus tard
pour m’inviter à déjeuner, mon cœur a fait un bond dans ma poitrine. C’était
presque irréel. (Arlette, Malgache, et Didier, Français, mariés, 29 ans de
cohabitation, 2 enfants).
Noro : On travaillait dans la même boîte… Je me souviens bien, tout le monde
jasait sur nous mais on s’en fichait pas mal. La sympathie s’est transformée en
amitié, puis en grande affinité. (Noro, Malgache, et Léon, Mauricien, divorcés, 4
ans de cohabitation, 1 enfant).
Certaines rencontres se sont produites de manière fortuite. Dans ce cas, le
rapprochement s’est fait spontanément grâce à l’attraction réciproque. C’est la
fascination pour l’Autre, l’étranger ou l’altérité culturelle qui dicte, en premier lieu, les
comportements.
Dario : Les femmes exotiques m’ont toujours plu alors quand j’ai vu Gladys, ce
fut le coup de foudre. Elle a accepté de prendre un verre avec moi et depuis, on
est toujours ensemble.
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Gladys : Le fait qu’il soit d’origine étrangère a beaucoup joué… Ca m’a rendue
fière qu’il m’ait remarquée, moi, plutôt qu’une autre. (Dario, Italien, et Gladys,
Malgache, mariés, 16 ans de cohabitation, 2 enfants).
D’autres rencontres ont été décidées d’un commun accord après de longues
conversations via Internet. Etant donné que le travail accapare la majorité du temps,
Internet est devenu un moyen courant pour trouver l’« âme sœur». 9 sur les 20 couples
se sont formés de cette manière.
Guillaume : J’étais venu exprès à Tana pour rencontrer Haingotiana. (Guillaume,
Français, et Haingotiana, Malgache, en concubinage, 4 ans de cohabitation).
B- Les premiers chocs culturels :
Les chocs culinaires demeurent les plus flagrants dans les premiers moments des
relations mixtes.
Sarah : Pour me faire découvrir sa culture, il m’a emmenée dans un restaurant
indien. C’était un plat d’agneau bhuna ; déjà l’odeur ne me disait rien mais
quand je l’ai goûté, c’était tellement épicé comme pas possible ! Je ne doutais pas
des bonnes intentions de Raj mais ca a été quand même une torture à mes
papilles. (Sarah, Malgache, et Raj, Indien, en concubinage, 3 ans de cohabitation).
Christian : Lorsque j’ai fait la connaissance de Mirana, je venais d’arriver à
Mada. Je ne connaissais presque rien du pays et c’est elle qui m’a fait découvrir
pas mal de choses. Le "ravitoto" au coco en faisait partie… Je n’ai pas apprécié
du tout. (Christian, Français, et Mirana, Malgache, mariés, 17 ans de cohabitation,
1 enfant).
En outre, la maitrise d’une langue ne consiste pas seulement à connaitre le vocabulaire
et la syntaxe, elle implique aussi une compréhension de la culture qu’elle véhicule et
du mode de pensée qui la caractérise. Parler la même langue ne suffit donc pas ;
parfois les mots ne veulent pas dire la même chose pour les deux parties. Par exemple,
la propension des Français à l’ironie désoriente quelque fois leurs partenaires.
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Fenitra : Je me souviens de notre premier rendez-vous. J’étais super en retard. A
mon arrivée, je m’attendais à des reproches genre "tu as mis du temps !" mais ce
qu’il m’a dit m’avait un peu étonnée "dis donc, t’es à l’avance !" avec un sourire
en coin. Je ne savais quoi répondre. Plus tard, j’ai compris que c’était de l’ironie.
J’ai pris du temps à m’habituer mais maintenant, j’en fais presque plus que lui
(rires). (Fenitra, Malgache, et Philippe, Français, mariés, 3 ans de cohabitation).
Section 18 : La présentation aux familles respectives
La décision de s’engager dans une expérience de mixité implique une rencontre avec la
famille du compagnon ou de la compagne. Cette situation rend nerveux les membres des
familles proches parce qu’elle implique pour eux une rencontre avec une personne totalement
étrangère. Si la mixité est un choix pour les couples, elle s’impose aux familles proches qui
n’ont pas toujours ce même emballement à l’égard de l’étranger. Il va sans dire que les
stéréotypes et les préjugés contribuent largement à nourrir les réticences. Les réactions
relatées chez les membres des familles malgaches témoignent précisément de l’existence de
ces stéréotypes.
Didier : J’ai été bien accueilli par ma belle-mère. Etant donné que nous vivions en
concubinage, elle nous a sermonnés qu’il fallait régulariser notre situation en se
mariant à la mairie et à l’église. Quelques semaines plus tard, elle nous a amenés
chez une sorte de devin qui devait indiquer le jour faste pour notre mariage. Ca
m’a fait terriblement peur mais au moins ca prouve qu’elle m’appréciait déjà
beaucoup. (Didier, Français, et Arlette, Malgache, mariés, 29 ans de cohabitation,
2 enfants).
Amandine : La famille de Naivo a été très cool avec moi. Des fois, j’avais droit à
des regards inquisiteurs mais c’était normal puisque j’étais la seule brune aux
yeux verts dans la maison (rires). C’étaient des gens sympas et ils étaient aux
petits soins pour moi. Je me suis tellement régalée au dîner ! (Amandine,
Française, et Naivo, Malgache, mariés, 7 ans de cohabitation, 2 enfants).
Dario : Le père de Gladys parlait très peu mais la mère, par contre, n’arrêtait pas
de me poser des questions et d’émettre des "ah !" à chacune de mes réponses.
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C’était marrant, j’ai passé un excellent moment. (Dario, Italien, et Gladys, mariés,
16 ans de cohabitation, 2 enfants).
Raïssa : La réaction de ma belle-famille ? Ils étaient aussi froids que de la glace.
Je crois que Sylvain a fait la bêtise de ne pas parler de moi plus tôt. On m’a
laissée seule dans le salon mais j’ai quand même entendu leurs disputes derrière
sur ma provenance et ma religion. J’ai du rassembler tous mes efforts pour ne pas
prendre mes jambes à mon cou. Je me sentais tellement rabaissée. Même
aujourd’hui, les choses ont peu évolué. Seul l’amour que j’éprouve pour Sylvain
et notre fils m’aide à garder le moral. (Raïssa, Comorienne, et Sylvain,
Malgache, mariés, 6 ans de cohabitation, 1 enfant).
Marie : On ne m’a pas aimée. Les sœurs d’Auria n’ont pas caché qu’elles
auraient voulu quelqu’un d’autre pour lui. Maintenant, lors des fêtes familiales,
c’est à peine si on s’adresse la parole. (Marie, Chinoise, et Auria, Malgache,
récemment mariés, 26 ans de cohabitation).
A partir de ces différents récits, nous pouvons dire que les réactions d’ouverture ou de
fermeture dépendent grandement de la provenance de la personne étrangère. Les
Européens(es) ont fait l’objet d’un accueil chaleureux bien que mêlé à de la curiosité, tandis
que les représentants de l’altérité culturelle d’origine non occidentale ont subi la méfiance, la
froideur, voire le rejet. L’étendue de ces réactions s’explique par le rôle déterminant des
stéréotypes propres à la société malgache : la survalorisation des Blancs européens et le
dénigrement des non-Européens (les Chinois, les Comoriens, Les Indiens…).
Parallèlement, douze Malgaches sur vingt ont été présentés aux familles de leurs partenaires.
Du côté des familles étrangères, il n’y a pas eu d’altercation comme pour le cas de
Sylvain lorsqu’il a présenté une Comorienne musulmane. Nous pouvons supposer que ces
familles sont plus tolérantes et se sont plus ou moins débarrassées du racisme.
Nathalie : S’ils désapprouvaient notre relation, ils ont bien su le cacher en tout
cas. C’étaient des gens très courtois avec le sourire toujours aux lèvres. Quand
j’ai demandé à mon mari ce qu’il en pensait, il a juste dit qu’on s’en était bien
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sortis. (Nathalie, Malgache, et Thierry, Français, en instance de divorce, 6 ans de
cohabitation).
Tovo : Je n’ai eu aucun problème avec ma belle-famille. Cela venait peut-être du
fait que ma défunte grand-mère était métisse indienne. Mais de toute façon, ils
n’étaient pas du genre à éviter de se mélanger avec les autres comme le dicte la
loi des castes. De plus, ils se sont bien intégrés à Madagascar. Etant des
musulmans, leur unique condition était que je me convertisse à l’Islam pour
pouvoir épouser Maya. (Tovo, Malgache, et Maya, Indienne, mariés, 21 ans de
cohabitation, 4 enfants).
Zo : J’ai rencontré les parents de Claire lorsqu’on était allés à Lyon pour les
vacs. Je ne sais pas pourquoi mais ils m’ont adoré ! (rires). (Zo, Malgache, et
Claire, Française, en concubinage, 3 ans de cohabitation).
Elisa : La famille de Lee nous a accordé sa bénédiction. La seule chose qui m’a
réellement dérangée à ce moment-là c’était qu’ils n’arrêtaient pas de causer en
mandarin alors qu’ils parlaient assez bien le malgache. Comme si je n’existais
pas. (Elisa, Malgache, et Lee, Chinois, mariés, 21 ans de cohabitation, 3 enfants).
Section 19 : L’officialisation de l’union
Quinze couples sur les vingt participants de cette recherche se sont mariés à l’état civil. Les
procédures administratives pour faire un mariage civil mixte prennent certes du temps mais ne
sont pas compliquées en soi.
Deux cas ont tout de même retenu notre attention :
- l’union d’un Malgache non-musulman avec une Indienne musulmane et,
- l’union d’un Malgache non-musulman avec une Comorienne musulmane.
Selon la loi islamique, le mariage d’un non-musulman avec une musulmane est interdit. Il faut
que celui- là se convertisse tout d’abord. Il doit avoir préalablement signé un acte de
conversion à l’Islam.
Ce projet de mariage impose un tournant dans la vie des acteurs et exige qu’ils perdent une
partie de soi comme le montrent les extraits d’entretien suivants :
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Tovo : Au début, je croyais que c’était une blague mais les parents de Maya
m’ont regardé très sérieusement. La religion islamique je ne la connaissais pas
tellement alors… Après mûre réflexion, j’ai fini par accepter de me convertir. De
toute façon, ce n’était qu’une formalité. J’ai fait uniquement cela par amour.
Dans ma vraie vie, aucune religion ne m’importe vraiment et les interdits ne me
concernent pas. Du coup, quand je suis invité quelque part sans ma femme, j’en
profite pour consommer du porc. Mes enfants comme mon épouse sont très
pratiquants, ils se rendent tous les vendredis au mosquée. Je respecte leur
conviction. (Tovo, Malgache, et Maya, Indienne, mariés, 21 ans de cohabitation, 4
enfants).
Sylvain : En fervents chrétiens, mes parents étaient scandalisés. Ils ont essayé de
me convaincre par tous les moyens de ne pas commettre une telle erreur. Moi-
même je n’étais pas très sûr. C’était comme si j’allais trahir quelque chose en
moi. Ca m’a même fait déprimer pendant un temps. Ensuite, j’ai compris que
l’Islam est une religion comme une autre ; malgré certaines bizarreries, elle
exhorte à faire le bien et à se montrer charitable envers autrui. Je me suis résigné
à cette idée alors j’ai fermé les yeux en signant l’acte de conversion. (Sylvain,
Malgache, et Raïssa, Comorienne, mariés, 6 ans de cohabitation, 1 enfant).
Parfois, le mariage mixte exprime une volonté de distanciation par rapport à la communauté
d’origine. Pour l’étranger, le fait de vivre hors de sa patrie constitue déjà un éloignement
puisqu’il a du échanger ses anciens repères contre de nouveaux afin de mieux s’adapter. Pour
le Malgache, la distanciation se manifeste par un délaissement, temporaire ou permanent, des
« affiliations héritées » au profit des « références choisies » (Collet et Santelli, 2012). Ceci
pourrait découler d’une piètre opinion de ce qui est malgache à la suite d’une déception ou
simplement d’une envie de changer de mode de vie. De plus, ayant été mal vus et jugés par
leur entourage, les couples mixtes ont décidé de se marier afin de renforcer leur union et se
constituer un refuge. Les cérémonies de mariage n’ont alors compté que les familles proches
et les témoins.
Arlette : Les gens ont vraiment dit n’importe quoi sur ma relation avec Didier,
genre je n’étais que la maîtresse d’un Vazaha. Du coup, je me suis mariée dans
une discrétion totale. Seuls ma mère, mes frères et quelques amis ont été présents
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à la cérémonie. Aujourd’hui je n’ai que très peu de contacts et c’est mieux ainsi.
(Arlette, Malgache, et Didier, Français, mariés, 29 ans de cohabitation, 2 enfants).
Raïssa : Ma vie au côté de mon mari m’a permis de tout reprendre à zéro. Même
si je ne parle plus souvent à ma famille et que ma belle-famille ne m’aime pas, je
me sens épanouie, plus ouverte… Nous sommes très bien dans notre petit cocon.
(Raïssa, Comorienne, et Sylvain, Malgache, mariés, 6 ans de cohabitation, 1
enfant).
Naivo : Je ne participe plus aux trucs de famadihana. (Naivo, Malgache, et
Amandine, Française, mariés, 7 ans de cohabitation, 2 enfants).
Section 20 : Les premières années de cohabitation
La cohabitation dans ses premières années constitue une mise à l’épreuve de la solidité du
couple mixte. C’est là que les deux cultures s’entrechoquent de manière pesante. L’issue de
cette confrontation culturelle va alors dépendre de la façon dont les individus vont s’adapter et
établir un consensus. Le couple mixte doit relever deux défis majeurs : gérer les différences
individuelles qui se perçoivent dans toute relation de couple, et gérer les différences
culturelles. Dans cette nouvelle section, nous continuerons de retranscrire les propos des
interviewés qui sont susceptibles d’illustrer nos allégations.
D’une part, le discours de Noro montre que le couple mixte est avant tout un couple comme
un autre. Au premier degré, les différences individuelles aiguisées par un manque total de
conscience de l’Autre peuvent, à la longue, dégénérer en divorce. Chacun veut se prévaloir de
sa personnalité.
Noro : L’échec des mariages mixtes n’est pas toujours causé par des différences
culturelles flagrantes. Les petits détails de la vie quotidienne peuvent aussi être
source de grandes disputes. Chacun a sa propre manière de cuire tel plat, de
laver le chien, d’arranger le jardin, etc. Ces détails a priori insignifiants peuvent
causer des engueulades incessantes amenant les conjoints à ne plus se supporter.
C’est ainsi que j’explique la raison de notre divorce. On n’a pas su régler les
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choses dans le bon sens. (Noro, Malgache, et Léon, Mauricien, divorcés, 4 ans de
cohabitation, 1 enfant).
D’autre part, Carine et Elisa déplorent principalement l’impassibilité et le manque de chaleur
de leurs conjoints chinois, contrairement aux manières d’être des Malgaches. Au second
degré, les différences culturelles flagrantes, liées à la mixité conjugale, peuvent donc générer
des moments de crises.
Carine : Ce n’est qu’après deux ans de mariage que j’ai fini par m’habituer aux
manières d’être de Dan. Quand un problème survenait, j’avais tendance à
m’alarmer et à me plaindre auprès de lui, mais il restait de marbre. Comme si ce
que je ressentais ne l’affectait guère. Les marques de politesse ne comptent pas
non plus pour lui. Il évite de dire bonjour le matin et ne me remercie pas pour des
choses auxquelles on devrait éprouver de la gratitude. Tout ca m’a paru très
étrange, ses longs silences et son impassibilité m’ont complètement déstabilisée
au départ. (Carine, Malgache, et Dan, Chinois, mariés, 23 ans de cohabitation, 2
enfants).
Elisa : Lee est un véritable couche-tôt. Presque tous les soirs, il se met au lit à
vingt heures tapantes et impossible de le dissuader de dormir. Du coup, je mate
souvent des films en solo. Les matins, il est toujours le premier à se lever et à
partir. Il y a longtemps, j’étais très frustrée par cette situation. Maintenant avec
mes enfants, je me sens moins seule. (Elisa, Malgache, Lee, Chinois, mariés, 21
ans de cohabitation, 3 enfants).
Dans d’autres cas, la différence se situe au niveau de l’implication du conjoint dans la vie
domestique. La différence culturelle relèverait plutôt d’une différenciation des rapports
sociaux de sexe.
Claire : Il est très investi dans son travail. Il fait beaucoup d’heures sup’. Et
pendant son temps libre, il sort avec ses potes. Je me tape tout à la
maison (lessive, repassage, cuisine, vaisselle) alors que moi aussi j’ai mon
boulot ! Il a encore cette conception traditionnelle de la femme au foyer qui n’est
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jamais fatiguée. Je me demande ce qu’on sera lorsqu’on aura des enfants. (Claire,
Française, et Zo, Malgache, non mariés, 3 ans de cohabitation).
Toutefois, force nous est de noter que certains couples de l’étude ne ressentent pas de
différence culturelle majeure entre eux. Chez quelques-uns, le mode de vie est similaire, la
confession religieuse est partagée ou bien la pratique religieuse est absente, les manières de
penser se rejoignent... Cependant, un fait demeure : ces couples se sont installés à
Antananarivo, un contexte étranger à l’un des partenaires, lequel s’est trouvé dans l’obligation
de se constituer de nouveaux repères afin de s’adapter à l’environnement (climatique,
administratif, conception du temps…).
Christian : Par exemple, ici c’est pas comme en France, les gens conduisent
n’importe comment… Sans parler des bouchons ! Mais puisque je vis
pratiquement ici, je m’en suis habitué depuis bien longtemps. (Christian, Français,
et Mirana, Malgache, mariés, 17 ans, 1 enfant).
Didier : C’est toujours ma femme qui s’occupe des paiements de facture et des
paperasseries de tout genre car je n’en ai vraiment pas la patience ! (Didier,
Français, Arlette, Malgache, mariés, 29 ans de cohabitation, 2 enfants).
Haingotiana : Quand Guillaume est venu ici pour la première fois, je me rappelle
bien son étonnement à la vue des petites maisons en terre. Il m’avait alors
demandé "C’est une maison ? Et ca, c’est aussi une maison ?". (Haingotiana,
Malgache, et Guillaume, Français, en concubinage, 4 ans de cohabitation).
Section 21 : L’arrivée du premier enfant
La venue du premier enfant est une nouvelle étape décisive qui trouble les arrangements et le
consensus déjà établis par les acteurs lorsqu’ils n’étaient que deux. Elle oblige les conjoints à
renégocier et à faire des compromis en ce qui concerne les manières d’éduquer ainsi que sur
les référents culturels à transmettre. Cette situation donne souvent lieu à des rapports de force
entre les partenaires mais également entre les familles respectives. Les négociations vont
porter sur plusieurs détails tels que le choix du prénom, la forme d’éducation, la transmission
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d’une religion, la sélection d’une langue de communication, le choix de l’école, la
circoncision…
Une partie des couples ont opté pour la non-intervention, c’est-à-dire qu’ils se sont contentés
de faire découvrir à leurs enfants la richesse des cultures en présence mais ont laissé la liberté
à ceux-ci de s’approprier celles qui les définissent le mieux.
Christian : Notre fille a un prénom malgache et un prénom français. Pour sa
construction personnelle, nous ne lui mettons aucune pression : il lui appartient
de choisir librement dans quel camp elle veut être. Nous nous efforçons juste de
lui faire connaître les deux cultures à la fois. Elle parle le malgache, le français et
l’anglais et elle se lie d’amitié avec des Malgaches et des Français en même
temps.
Question : Dans quelle école elle va ?
Christian : C’est elle-même qui a demandé à ce qu’on l’inscrive au Collège de
France. (Christian, Français, et Mirana, Malgache, mariés, 17 ans de cohabitation,
1 enfant).
Dan : Ils sont plutôt malgaches. Ils parlent couramment la langue et se sont faits
beaucoup d’amis malgaches. Ils vont prier à l’église catholique avec leur mère.
Cependant, je leur ai bien fait connaitre la civilisation chinoise. (Dan, Chinois, et
Carine, mariés, 23 ans de cohabitation, 2 enfants).
2/3 des couples franco-malgaches ont décidé d’un commun accord que l’immersion dans la
culture française est bien plus avantageuse pour leurs enfants.
Arlette : D’un commun accord, nous avons donné une éducation française à nos
deux enfants. Ca ne m’a posé aucun souci. Ils parlent surtout le français mais ils
connaissent quand même un peu le malgache. On leur a appris le savoir-vivre. Ils
ont toujours étudié dans des écoles françaises. Actuellement, l’une vit à Nice et
l’autre enseigne au Lycée français de Tana.
Question : Avez-vous fait circoncire votre fils ?
Arlette : Non, Didier n’a pas voulu. (Arlette, Malgache, et Didier, Français,
mariés, 29 ans de cohabitation, 2 enfants).
47
Dario : Nos deux filles s’appellent Alexandra et Samantha. Elles parlent le
français et un peu l’italien. Nous les emmenons régulièrement en Italie pour
qu’elles connaissent bien leur autre pays. Là-bas, elles raffolent des spaghettis et
des vraies pizzas italiennes. A Tana, elles suivent la religion catholique et vont
dans un collège français. (Dario, Italien, et Gladys, Malgache, mariés, 16 ans de
cohabitation, 2 enfants).
Certains couples ont mis en valeur la multiplicité des référents culturels afin de transmettre un
héritage pluraliste à leurs enfants (Meintel, 2002).
Tovo : Nos enfants ont eu droit à une éducation composite. Ils parlent en même
temps le français, le malgache, l’anglais et le hindi. Ils apprécient aussi bien la
cuisine indienne que la bouffe rapide. Ils ont tous la nationalité malgache. Côté
religion, ils sont très fidèles à l’Islam.
Question : Dans quelles écoles vont-ils ?
Tovo : Les aînés sont tous allés dans des écoles françaises mais le benjamin est
actuellement inscrit dans une école catholique. (Tovo, Malgache, et Maya,
Indienne, mariés, 21 ans de cohabitation, 4 enfants).
Enfin, d’autres couples se lancent encore dans des affrontements afin d’asseoir une forme
idéale de l’éducation. Dans le cas suivant, nous avons assisté à un véritable débat sur la forme
d’éducation idéale.
Meva : Nous discutons souvent de la manière dont on va élever notre enfant. Moi,
je suis pour l’éducation traditionnelle mais lui, pour l’éducation libérale. Je tiens
vraiment à ce que mon enfant respecte les adultes et ne tende pas à discuter de ce
qu’on lui demande de faire. Stéphane dit que ce n’est plus d’usage et qu’il faut
laisser l’enfant dialoguer avec les parents. Une fois, j’ai vu un film français dans
lequel la fille a osé gifler sa mère ! Je ne tolèrerai jamais que mon enfant me
fasse ca !
Stéphane : L’éducation libérale ne signifie pas que je vais laisser mon enfant me
manquer de respect. Le but est seulement de l’inciter à donner son avis sur
chaque chose et puis c’est tout ! Ca fait partie du développement personnel.
48
Meva : Un enfant reste un enfant. Ses parents sont les mieux indiqués pour
connaitre ce qui est bien pour lui, il n’a pas à en discuter. (Meva, Malgache, et
Stéphane, Français, mariés, 4 ans de cohabitation, un bébé en cours).
En conclusion à ce chapitre, il importe de rappeler que la particularité des
couples mixtes réside dans le fait qu’ils doivent perpétuellement gérer des différences
culturelles en plus des différences individuelles inhérentes au genre, à l’éducation, à la
personnalité, etc. L’expérience de mixité requiert d’eux des compromis, des négociations et
des concessions. Les couples mixtes font également l’objet de préjugés et d’étiquetage plus ou
moins péjoratifs de la part du milieu environnant. De plus, ils sont victimes des réactions
imprévisibles des familles proches lors de la l’annonce de leurs relations amoureuses. En bref,
nous avons vu que la mixité conjugale est réellement porteuse de défis pour les acteurs
concernés ; dans le chapitre suivant, nous allons l’aborder dans ses aspects positifs.
49
Chapitre 6 : Le versant positif de la mixité conjugale
Au-delà des difficultés auxquelles elle confronte les acteurs sociaux,
l’expérience de mixité s’avère extrêmement enrichissante. A ce propos, la mise en relief des
aspects positifs de la mixité conjugale constitue désormais la tendance des perspectives
théoriques récentes. Dans ce nouveau chapitre, nous verrons en quoi la mixité conjugale est-
elle source d’enrichissement pour ceux qui l’expérimentent. En premier lieu, nous rendrons
compte des nouvelles dispositions acquises par les individus. Ensuite, nous nous intéresserons
au processus d’enrichissement par la différence. Et en dernier lieu, nous décrirons les
différentes configurations culturelles que permet la mixité.
Section 22 : Les nouvelles dispositions acquises par les individus
Précisément par les défis qu’elle lance, la mixité conjugale suscite des attitudes et des
aptitudes particulières chez les individus au fur et à mesure qu’ils s’impliquent dans la
relation. En effet, l’une des caractéristiques propres aux couples mixtes réside dans leur
capacité à créer un espace vivable, consensuel, harmonieux, optimal et singulier.
A- Du côté des attitudes :
L’expérience de mixité incite les deux conjoints à faire preuve d’ouverture,
d’acceptation, de tolérance et de flexibilité face aux barrières culturelles et
linguistiques qui peuvent se dresser entre eux.
1- L’ouverture :
L’ouverture constitue un pas vers la tolérance. Elle repose sur la reconnaissance
d’une égalité absolue entre toutes les cultures.
Prashant : Je pense que chaque culture a une bonne raison d’exister. Il n’y a pas
lieu de dire que telle culture est retardée par rapport à telle autre. (Prashant,
Mauricien, et Irina, Malgache, non mariés, 8 ans de cohabitation).
50
Dario : Dans ma vie j’ai beaucoup voyagé et je peux dire qu’on peut apprendre
beaucoup des autres. Il y a une sagesse derrière chaque culture. (Dario, Italien, et
Gladys, Malgache, mariés, 16 ans de cohabitation, 2 enfants).
2- L’acceptation :
L’acceptation est une disposition de l’esprit qui accepte et surtout respecte la
différence de l’Autre.
Christian : La clé d’une relation saine c’est l’acceptation mutuelle. (Christian,
Français, et Mirana, Malgache, mariés, 17 ans de cohabitation, 1 enfant).
3- La tolérance :
La tolérance implique le respect des convictions religieuses et des opinions
politiques des autres sans chercher à se prévaloir de ses propres idées.
Didier : Ma femme se rend régulièrement à l’église et bien que je ne
l’accompagne jamais, je respecte ses convictions. Elle organise aussi une cellule
de prière tous les dimanches à la maison mais ca ne me dérange pas non plus.
(Didier, Français, et Arlette, Malgache, 29 ans de cohabitation, 2 enfants).
4- La flexibilité :
La flexibilité consiste à être en mesure de se plier à des contraintes d’ajustement
lorsque les circonstances l’exigent.
Sarah : J’accepte volontiers de porter un sari à chaque fois que Raj me le
demande. C’est même un honneur pour moi d’en porter à des évènements
auxquels il peut m’emmener. (Sarah, Malgache, et Raj, Indien, non mariés, 3 ans
de cohabitation).
Nathalie : On échoue forcément lorsqu’on n’est pas suffisamment souple.
(Nathalie, Malgache, et Thierry, Français, en instance de d ivorce, 6 ans de
cohabitation).
51
B- Du côté des aptitudes :
De même, le fait d’avoir à composer avec des différences culturelles oblige les acteurs
sociaux à développer des stratégies et des aptitudes en vue d’une optimalisation du
quotidien. Parmi ces facultés, mettons l’accent sur la créat ivité, la recherche du
consensus et la valorisation du dialogue.
1- La créativité :
La mixité conjugale conduit les acteurs sociaux à se montrer créatifs quant au
bricolage d’un mode de vie original en puisant dans un éventail de repères
culturels.
Gladys : On essaie d’introduire plusieurs cultures dans notre vie. Sur le plan
culinaire surtout, on ne se contente pas de nos spécialités respectives mais on
alterne les recettes mexicaine, chinoise, japonaise, et bien d’autres encore. C’est
notre façon à nous de dépasser nos différences culturelles. (Gladys, Malgache, et
Dario, Italien, mariés, 16 ans de cohabitation, 2 enfants).
2- La recherche du consensus :
Pour d’autres couples, la base de toute entente c’est la recherche permanente du
consensus. L’équilibre entre les cultures en présence doit être respecté pour qu’il
n’y ait pas de rapport dominant/dominé.
Suri : C’est simple, il suffit d’éviter de faire ce que l’autre n’aime pas.
Rija : Dès le départ, on s’est mis d’accord sur le fait de ne pratiquer aucune
religion.
Suri : J’ai donc abandonné les éléments des rites shintos qui m’ont été transmis
au Japon quand j’étais enfant. (Suri, Japonaise, et Rija, Malgache, non mariés, 4
ans de cohabitation).
Sarah : Nous avons une vie plutôt ordinaire… Rien ne nous différencie vraiment
des autres. Vu que je ne parle pas sa langue ni lui la mienne, le français est notre
langue de communication. Et puis généralement nous mangeons européen. C’est
52
ce qui nous rapproche. (Sarah, Malgache, et Raj, Indien, non mariés, 3 ans de
cohabitation).
3- La valorisation du dialogue :
L’expérience de mixité incite également les individus à pr ivilégier le dialogue au
sein de leur couple. En effet, la communication interculturelle favorise la
transformation et la révision des préjugés par la réalité. Les crises, les
incompréhensions, les malentendus et les divergences générés par la différence
culturelle font que le dialogue demeure un facteur central dans la bonne marche
des relations mixtes. Pour Augustin Barbara (1993), l’effort de communication,
d’imagination et de tolérance est bien plus important chez les couples mixtes bien
qu’ils vivent les mêmes crises que les autres couples. Et pour Catherine Delcroix
(1993), ces couples ont donc un rôle de pionniers du dialogue et de la
confrontation des cultures.
Auria : Nous prenons souvent le temps de discuter des évènements qui se sont
passés afin de tirer les malentendus au clair. Nous faisons tout pour que les
choses ne soient pas compliquées. (Auria, Malgache, et Marie, Chinoise,
récemment mariés, 26 ans de cohabitation).
Haingotiana : Oui, on communique beaucoup… C’est essentiel car chacun a sa
propre vision des choses. (Haingotiana, Malgache, et Guillaume, Français, 4 ans
de cohabitation, non mariés).
Section 23 : L’enrichissement par la différence
A un moment donné des entretiens, la plupart des interviewés ont affirmé que le fait de vivre
avec une personne d’origine culturelle différente constitue un véritable enrichissement au sein
de leur foyer. En effet, l’expérience de mixité les ouvre sur un univers culturel plus vaste et
optionnel. Ils découvrent de nouvelles manières de raisonner, de concevoir le temps et la vie
en général. Dans une dynamique interculturelle, la découverte de l’Autre peut amener
l’individu à remettre en question ses propres schèmes culturels.
53
Selon les circonstances, le mode de pensée systémique des Malgaches contribue à enrichir le
mode de pensée analytique des Européens.
Didier : Quand un problème grave se pose, ma femme me fait souvent part de
choses auxquelles je n’aurais jamais pensé. Elle m’aide beaucoup, moi j’ai
tendance à prendre des décisions du tac au tac mais elle, elle prend le temps de
considérer tous les recoins du problème. C’est tellement impressionnant ! (Didier,
Français, et Arlette, Malgache, mariés, 29 ans de cohabitation, 2 enfants).
L’enrichissement se manifeste également par l’acquisition de nouvelles habitudes
comportementales du fait de l’influence des manières d’être de l’Autre.
Elisa : Grâce à sa religion, mon mari garde son calme à tout moment. Je me suis
dit que ce serait bien si je le devenais aussi alors il m’a filé quelques conseils. En
fait, j’ai beaucoup appris de lui. (Elisa, Malgache, et Lee, Chinois, mariés, 21 ans
de cohabitation, 3 enfants.
Si la mixité est perçue comme un enrichissement mutuel pour le couple, elle est aussi vue
comme une source de richesse pour les enfants issus de ces unions.
Krishna : Nos enfants ont été élevés au contact de plusieurs cultures à la fois. Je
pense qu’ils peuvent s’adapter à beaucoup de situations. Ils ont beaucoup de
bagages culturels. A l’école, ils obtiennent d’excellentes notes et j’en suis fière.
Question : Dans quelle langue parlez-vous entre vous ?
Krishna : Le français quand le papa est là. Mais entre nous, c’est le hindi.
(Krishna, Indienne, et Lova, Malgache, mariés, 16 ans de cohabitation, 2 enfants).
Carine : Ils connaissent à la fois la tradition malgache et la tradition chinoise. Il
n’y a pas de plus grande richesse à mon avis. (Carine, Malgache, et Dan, Chinois,
mariés, 23 ans de cohabitation, 2 enfants).
Raissa : Notre enfant deviendra quelqu’un de tolérant. (Raïssa, Comorienne, et
Sylvain, Malgache, mariés, 6 ans de cohabitation, 1 enfant).
54
Section 24 : Les différentes configurations culturelles
A chaque foyer mixte correspond une configuration culturelle spécifique. Les différe ntes
configurations culturelles, obtenues à partir des bricolages effectués par les acteurs sociaux,
ne sont pas seulement des juxtapositions hétérogènes de traits culturels mais au contraire,
elles ouvrent sur un tiers espace qui donne naissance à une réalité entièrement nouvelle :
« une culture conjugale unique » (Debroise, 1998 : 60). Cependant, les configurations
culturelles ne sont pas fixées une bonne fois pour toutes. Il peut toujours apparaitre de
nouveaux éléments qui bouscule et remettent en question ce qui a été construit (Cf. l’arrivée
du premier enfant dans le chapitre précédent). A partir de la reconstitution des récits
d’expérience, nous avons pu déceler quatre configurations culturelles : le mélange biculturel,
la mosaïque culturelle, la valorisation commune d’un schème culturel et la domination d’un
schème culturel.
A- Le mélange biculturel :
Les couples mixtes regroupés sous cette configuration manifestent une volonté
d’intégrer au sein du foyer des apports de leurs deux cultures. Ils savent tirer avantage
de ce qu’il y a de mieux dans les deux côtés. Le mélange obtenu est considéré comme
une richesse qu’il importe de conserver et de transmettre : les enfants issus de ces
unions bénéficient donc d’un héritage double. Par exemple, le mélange biculturel peut
se traduire par l’attribution d’un prénom indien et d’un prénom malgache à un enfant
issu d’une union malgacho- indienne.
Amandine et Naivo sont de toute évidence d’origine culturelle différente, toutefois
leur proximité socioprofessionnelle font d’eux un couple qui se construit dans le
partage d’une culture commune qui leur est propre. Ils élaborent progressivement un
espace de consensus en intégrant des apports de l’un et de l’autre.
Amandine : A quoi bon éduquer si on ne transmet pas nos deux richesses aux
enfants ? En fait nous nous assurons de leur transmettre ce qui est bien dans la
culture malgache et dans la culture française. (Amandine, Française, et Naivo,
Malgache, mariés, 7 ans de cohabitation, 2 enfants).
55
Raya : Nos enfants se sentent malgaches et indiens. Ils sont plus ouverts. Ils
participent d’emblée aux deux cultures. (Raya, Indienne, et Tovo, Malgache,
mariés, 21 ans de cohabitation, 4 enfants).
B- La mosaïque culturelle :
Dans ce cas de figure, le mode de vie des couples mixtes met en présence des
références culturelles multiples. Cette configuration constitue un moyen de minimiser
les rapports de force entre les cultures des deux conjoints étant donné que plusieurs
cultures sont en interaction. Dans ces foyers, la décoration intérieure se présente
généralement comme un mélange hétéroclite de meubles "Zafimaniry" et européens,
de rideaux, de tableaux et de bibelots de tous les genres (iranien, chinois, malgache,
indien…).
Dario : Nous essayons d’introduire tout ce qui est culture des autres dans notre
famille… C’est une manière d’éduquer les enfants pour qu’elles connaissent le
respect et la tolérance. (Dario, Italien, et Gladys, Malgache, mariés, 16 ans de
cohabitation, 2 enfants).
C- La valorisation commune d’un schème culturel :
Quelques couples franco-malgaches ont choisi d’un commun accord de valoriser un
mode de vie à la française. Les références culturelles malgaches semblent alors être
pratiquement dissoutes. Il est effectivement fréquent de rencontrer à Antananarivo des
couples mixtes dont la configuration du quotidien s’est bricolée à partir d’une grande
majorité de traits de la culture occidentale. Plus rares sont les couples malgacho-
étrangers qui ont opté pour une configuration à dominance malgache. En bref, cette
configuration rompt définitivement avec la perspective assimilationniste selon laquelle
les mariages mixtes sont le résultat de l’assimilation réussie du groupe minoritaire
dans la société d’accueil.
D- La domination d’un schème culturel :
Il serait biaisé de dire que les rapports de domination sont absents chez certains
couples mixtes. A degré moindre ou élevé, il existe toujours un rapport
dominant/dominé. Les deux partenaires ne participent pas de façon égale à
l’élaboration d’un espace de consensus. Mais il arrive que l’un impose totalement son
56
schème culturel, laissant dans l’ombre celui de son conjoint. Dans ce cas, la
prédominance d’un modèle culturel n’a pas été voulue de concert mais imposée par
l’une des parties seulement. C’est le résultat d’une dynamique de couple où les traits
de la culture de l’un se dissipent au fur et à mesure que l’autre impose sa culture.
Cette dernière configuration a servi d’antithèse à notre postulat sur l’importance des
attitudes d’ouverture et d’acceptation dans la bonne marche des relations
interculturelles. En effet, le terrain a révélé qu’il est tout à fait possible de vivre une
expérience de mixité conjugale sans pour autant être ouvert aux références culturelles
de l’Autre. La rencontre avec la différence ne signifie donc pas nécessairement le
respect de celle-ci.
Olivia : A vrai dire, notre foyer est plus français que malgache… Il n’a jamais
voulu que nos enfants parlent ma langue… Seulement le français. Nos deux
garçons n’ont pas non plus été circoncis. (Olivia, Malgache, et Arnaud, Français,
mariés, 24 ans de cohabitation, 3 enfants).
En résumé, les dynamiques interculturelles occasionnées par la mixité
conjugale sont source d’enrichissement pour les acteurs sociaux. Cet enrichissement se repère
à la fois dans le développement d’attitudes de tolérance et de flexibilité, dans l’acquisition de
nouveaux comportements et dans l’intériorisation de nouvelles manières de penser suite à des
transferts culturels entre les deux partenaires. En outre, la mixité conjugale met en perspective
plusieurs configurations culturelles qui sont le résultat des négociations entreprises par les
individus.
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A titre de conclusion à cette deuxième partie, reprenons les idées
essentielles. Actuellement, la mixité conjugale à Antananarivo fait l’objet de points de vue
diamétralement opposés : les uns la perçoivent comme une opportunité à saisir tandis que les
autres la voient comme une menace à l’encontre de la malgachéité suite aux rapports de
domination qui peuvent survenir. Par ailleurs, les couples malgacho-étrangers traversent de
plus grandes crises à chaque nouvelle étape de la relation, à savoir les premières années de
cohabitation, la présentation aux familles respectives, l’officialisation de l’union et l’arrivée
du premier enfant. Cependant, la mixité conjugale demeure une expérience enrichissante
grâce à l’apprentissage interculturel.
58
PARTIE III : VISION PROSPECTIVE
Chaque couple mixte évolue dans un contexte unique. Les rapports de
genre, les réactions de l’entourage, la situation socioéconomique du couple, la nationalité du
conjoint étranger sont autant de facteurs qui méritent d’être tenus en compte pour une vision
complète de la situation de la mixité conjugale à Antananarivo. Les récits d’expérience
recueillis sur le terrain ont mis en relief un aspect que nous n’avons pas considéré lors de la
détermination de notre hypothèse de départ : la capacité autorégulatrice de la mixité
conjugale. En premier lieu, nous reconsidérerons donc la mixité conjugale. Par la suite, nous
nous pencherons sur le bouleversement axiologique que provoque la mixité sur les individus.
En dernier lieu, nous apporterons quelques réflexions concernant l’impact de la multiplication
des mariages mixtes sur la société malgache.
59
Chapitre 7 : Reconsidération de la mixité conjugale
Tout travail qui se veut scientifique doit éviter de confondre interprétation et
analyse. L’interprétation consiste à faire parler des données empiriques qui, à première vue,
semblent ne rien exprimer tandis que l’analyse nécessite la déconstruction de ces données en
vue de les expliquer. Les informations fournies par les participants aux entretiens nous ont
montré que la réalité est plus complexe que le postulat de notre hypothèse de départ. D’un
côté, loin de nier le rôle primordial des acteurs sociaux dans l’optimalisation de leur
quotidien, il s’avère néanmoins que leurs aptitudes ont été suscitées par l’expérience de mixité
conjugale, ou plus précisément par les défis que celle-ci lance. La mixité conjugale se
régulerait donc elle-même. D’un autre côté, l’émergence d’une configuration dans laquelle un
schème culturel domine montre que les attitudes d’ouverture et de tolérance, bien
qu’importantes, ne forment pas une condition sine qua non de la durabilité des unions mixtes.
Section 25 : L’autorégulation de la mixité conjugale
En choisissant d’étudier la mixité conjugale à Antananarivo, nous avons voulu découvrir les
stratégies développées par les couples malgacho-étrangers en vue d’une harmonie culturelle.
Dès le départ, nous avons posé l’hypothèse selon laquelle la mixité conjugale devient
extrêmement bénéfique lorsque les individus font preuve d’ouverture d’esprit, de flexibilité,
d’acceptation, de respect et surtout de créativité. Nous n’allons ni valider ni infirmer cette
hypothèse mais nous nous limiterons à apporter plus de précisions à ce postulat.
Au départ, nous avons établi les variables suivantes :
Schéma des variables
Variable indépendante Variable intervenante Variable dépendante
Vivre en couple
mixte
Bricolage culturel Enrichissement
culturel
60
Mais suite à une meilleure compréhension du processus en œuvre, force nous est d’affiner le
schéma des variables :
Bien que les individus en situation de mixité conjugale soient, dès le début de la relation,
dotés d’une ouverture d’esprit et de créativité, ces dispositions demeurent moindres. C’est
l’expérience de mixité, à travers les difficultés quotidiennes liées à la différence culturelle, qui
suscite ces attitudes et ces aptitudes chez les acteurs. C’est pourquoi, les coup les mixtes sont
plus ouverts, plus tolérants et plus créatifs que les autres couples et il en est de même pour
leurs enfants : « Tout en reconnaissant que la mixité peut être vécue douloureusement par
certaines personnes, notamment en raison de sa réception dans une société donnée, ces aute urs
montrent qu’elle peut générer plusieurs aspects positifs : estime de soi positive, vision
optimiste de la vie, héritage culturel enrichi, aptitude à se faire comprendre dans tous les
milieux, créativité, habileté à accepter les autres, ouverture et cur iosité, sensibilité à la
diversité des valeurs, pratiques et attitudes culturelles (Breger et Hill, 1998 ; Maxell, 1998 ;
Stephan et Stephan, 1989) » (Therrien et Le Gall, 2012 : 11).
Nouveau schéma des variables
Variable antécédente Variable indépendante Variable intervenante
Variables dépendantes Variable modérée
Vivre en couple
mixte
Défis au
quotidien
Flexibilité
Créativité
Enrichissement
culturel
Culture
conjugale
unique
Bricolage
culturel
61
Section 26 : La prédominance d’un schème culturel
Nous avons décelé la domination d’un schème culturel parmi les configurations culturelles
que permet la mixité conjugale au quotidien. Elle s’observe notamment chez les couples
franco-malgaches. Il s’avère alors que les attitudes d’ouverture, de flexibilité et de tolérance,
bien qu’importantes, ne constituent pas nécessairement les clés de la réussite des unions
mixtes. Un individu peut dominer culturellement son conjoint sans qu’il y ait forcément échec
de l’union. Ce constat va à l’encontre de l’« éthique de l’altérité » de Martine A.
Pretceille selon laquelle : « Toute dissymétrie dans la relation transforme les uns en acteurs,
les autres en agents et entraine une relation de pouvoir, réel ou symbolique, source en retour
de violence, potentielle ou exprimée. Il s’agit d’agir avec et non pas sur autrui » (1999 : 69).
Dans la plupart des cas, les conjoints malgaches ont tendance à se poser en agents et non en
sujets et s’il y a lieu de création des configurations culturelles mettant en valeur les deux
cultures en présence, cela part souvent de l’initiative du conjoint étranger. Cette passivité du
conjoint malgache pourrait s’expliquer :
- soit par les séquelles de la colonisation entraînant un grave complexe d’infériorité,
- soit par une volonté propre de se distancier de sa culture d’origine. Toutefois dans
cette optique, il redevient un acteur puisqu’ « il se construit également par la
subjectivité de ses choix. Désormais, il peut et doit choisir ses appartenances, et les
revendiquer par ses actes pour pouvoir exister. Il se "libère" et s’affirme par ses
choix» (Charton, 2006 : 254). La mixité conjugale devient ainsi une opportunité
d’auto-construction pour le conjoint malgache.
Par ailleurs, d’autres facteurs peuvent légitimer la domination d’un schème culturel dans le
foyer mixte :
- la position socioéconomique du conjoint étranger,
- le degré de prestige de ses références culturelles,
- le rapport de genre.
En bref, nous venons de voir que la mixité conjugale recèle une capacité
autorégulatrice. Elle génère chez les acteurs sociaux des comportements particuliers pour faire
62
face aux défis quotidiens liés à la différence culturelle. En second lieu, nous venons de voir
qu’un individu en situation de mixité peut cependant se passer des attitudes d’ouverture et de
tolérance et imposer sa culture à son conjoint sans que cela devienne une source de
séparation. D’autres facteurs tels que la position socioéconomique peut contribuer à mettre en
place les rapports de domination. Dans le chapitre suivant, nous allons aborder l’impact de la
mixité conjugale sur le soi d’origine de chaque individu.
63
Chapitre 8 : La mixité conjugale comme parcours vers un bouleversement axiologique
L’interculturel n’est pas uniquement synonyme d’établissement d’un espace
de consensus en vue d’un enrichissement culturel, mais implique également des modifications
dans le schème culturel de l’un ou des deux groupes en interaction. Le caractère labile de la
culture rend celle-ci susceptible d’adaptation et de transformation en fonction du contexte, des
circonstances et des individus. A ce propos, nous entendons par bouleversement axiologique,
l’ébranlement du rapport de l’individu à ses valeurs d’origine. Dans le cadre de ce nouveau
chapitre, nous allons nous intéresser spécifiquement aux changements constatés par les
conjoints malgaches dans leur système de valeurs suite à l’expérience de mixité conjugale.
Pour commencer, nous survolerons les valeurs constitutives de la culture ma lgache. Ensuite,
nous reproduirons les récits des interviewés qui ont témoigné des manifestations de ce
bouleversement axiologique.
Section 27 : Les valeurs constitutives de la culture malgache
Bien qu’aucun individu ne puisse contenir toute l’étendue de la culture de son groupe
d’appartenance, certaines valeurs traditionnelles demeurent néanmoins intériorisées dans le
soi. La culture malgache véhicule des valeurs comme la solidarité et l’entraide, le respect des
aînés, la crainte des représailles, le sens de l’égalité et la religiosité. A ces valeurs s’ajoutent
d’autres manières d’être telles que l’hospitalité envers les visiteurs et les étrangers résidents,
la douceur de vivre « mora mora », l’attachement envers la famille élargie…
A- La solidarité et l’entraide ou le "fihavanana" dans les relations sociales :
Le lien du "fihavanana" s’exerce dans les relations de voisinage, de quartier et de
travail. La solidarité se traduit par les échanges de services au niveau de la vie
quotidienne. Elle se manifeste également par le souci de participation aux malheurs
qui frappent les membres de la communauté mais aussi aux joies qui peuvent leur
arriver. Les membres de la communauté se soutiennent mutuellement et peuvent se
compter les uns sur les autres. Concrètement, la manière de vivre le lien sacré du
fihavanana se trouve dans l’expression "mifamangy", c’est-à-dire se rendre visite.
64
B- Le respect des aînés :
Le respect des aînés se trouve à la base des relations communautaires. Il implique le
silence des cadets en présence des aînés ainsi que l’obéissance à l’égard de leurs
recommandations. Lorsqu’il y a lieu de pénétrer dans un endroit, les cadets doivent
céder le passage aux aînés avant d’entrer à leur tour.
C- La crainte des représailles :
Les Malgaches évitent de faire le mal par crainte des représailles. Ils ont le souci de
bien se comporter avec tout le monde à telle enseigne que même avant de prendre la
parole, ils s’excusent préalablement : « Miala tsiny raha handray ny fitenenana (…) ».
Cette crainte des représailles est manifeste dans les proverbes suivants :
- « Ny tody tsy misy fa ny atao no miverina » que l’on peut traduire par : « On ne
récolte que ce que l’on a semé »
- « Aza ny lohasaha mangina no jerena fa Andriamanitra an-tampon’ny loha » que
l’on peut traduire par : « Ne te fie pas au silence du champ mais fais plutôt
attention à Dieu qui voit tout ».
D- Le sens de l’égalité :
L’égalité fraternelle se trouve également dans la conscience collective des Malgaches.
Le proverbe suivant en est la preuve :
- « Ny olombelona fandrin-drano, ka tsy misy avo sy iva » que l’on peut traduire
par : « Les hommes sont pareils à la surface d’une eau tranquille, il n’y a ni haut ni
bas ».
E- La religiosité :
Les croyances traditionnelles malgaches sont multiples : la croyance en un Dieu
créateur ou « Zanahary », le culte des ancêtres et la vénération des « sampy ». Le
Christianisme a cependant apporté un souffle nouveau aux convictions mais une
constante demeure, les Malgaches sont empreints d’une grande disposition d’esprit
religieuse. Ils ont toujours besoin de vénérer et de croire au sacré.
65
Section 28 : Les manifestations du bouleversement axiologique
Intégrer certaines valeurs étrangères en les faisant siennes implique un bouleversement
axiologique. Dans ce cas, l’individu s’efforce d’harmoniser ses valeurs d’origine à un autre
système de valeurs.
Plusieurs des récits recueillis réfèrent à une histoire de transformation au contact de l’Autre.
Ils tendent à montrer que les individus qui s’engagent dans une expérience de mixité subissent
forcément une transformation culturelle. Il convient de rappeler que ce sont les modifications
repérées au niveau du système de valeurs des conjoints malgaches qui nous intéressent
particulièrement.
Arlette : J’ai changé je pense. C’aurait été impossible aussi de ne pas avoir
changé après toutes ces années de mariage. (Arlette, Malgache, et Didier, mariés,
29 ans de cohabitation, 2 enfants).
Fenitra : C’est sûr que j’ai changé d’autant plus que je ne fréquente plus les
mêmes personnes qu’avant. (Fenitra, Malgache, et Philippe, mariés, 3 ans de
cohabitation).
Olivia : Je ne pense plus comme avant, j’ai beaucoup changé… Cette expérience
m’a énormément transformée. (Olivia, Malgache, et Arnaud, Français, mariés, 24
ans de cohabitation, 3 enfants).
Les valeurs de la culture malgache accordent une grande importance à la famille. On peut dire
que pour les Malgaches, la maison est ouverte en tout temps à la famille et aux amis. Chacun
peut frapper à la porte sans avertir et s’installer le temps qu’il veut à la maison en étant assuré
d’un accueil généreux. Plusieurs étrangers ont vécu cette façon d’accueillir comme une
menace à leur vie privée, comme un envahissement dérangeant leur tranquillité et leur
intimité. Le résultat en est que certains conjoints malgaches ont peu à peu intériorisé cette
66
notion de vie privée au point de l’imposer à leur entourage, même en l’absence du conjoint
étranger.
Gladys : J’ai pris un peu d’écart par rapport à ma famille… Quand ils veulent me
rendre visite, ils téléphonent d’abord parce que mon mari n’aime pas qu’ils
viennent à l’improviste comme s’ils étaient chez eux. L’intimité doit être respectée
à tout prix d’après lui. (Gladys, Malgache, et Dario, Français, mariés, 16 ans de
cohabitation, 2 enfants).
En dernier lieu, ce qu’il importe de signaler c’est que ces changements sont parfois voulus par
l’individu à la suite d’une remise en question de son propre système de valeurs.
Mirana : Dans une certaine mesure j’ai changé. Je sors d’une famille très pieuse
mais aujourd’hui j’ai carrément laissé tomber la religion. Je ne vais plus à
l’église. Et je ne cache pas que mon mari est pour grand-chose derrière ce
changement. (Mirana, Malgache, et Christian, Français, mariés, 17 ans de
cohabitation, 1 enfant).
A ce propos, la différence religieuse ne se situe pas toujours entre deux confessions distinctes.
Pour comprendre la dynamique des couples étrangers-malgaches, il apparaît plus fécond de
faire la distinction entre les personnes qui croient ou pratiquent, celles qui n’accordent pas
d’importance à la dimension religieuse dans la vie quotidienne et celles qui se disent
ouvertement athées. Dans la réalité conjugale, ces trois options peuvent se combiner de
multiples manières. Pour les couples dont un conjoint est musulman et l’autre chrétien, ce
n’est pas nécessairement la différence religieuse apparente qui est pertinente. Les deux
conjoints peuvent être croyants et pratiquants dans leurs religions respectives tout en se
retrouvant dans un véritable dialogue islamo-chrétien au sein de leur famille. Le ciment
culturel commun dans le couple est susceptible de se faire à partir du respect et de la
tolérance.
Section 29 : Les mouvements de résistance
Bien qu’un individu se laisse volontairement transformer ou se laisse dominer culturellement
par son conjoint, l’altération ne va jamais sans mouvements de résistance. Il est important de
67
rappeler que la transformation culturelle entraine toujours préalablement un repli, une attitude
de défense, voire de fermeture. Dans un premier temps, tout changement s’accompagne
inévitablement d’une répulsion défensive.
À un moment donné, le contact permanent avec l’altérité culturelle
provoque un bouleversement axiologique. Certaines valeurs propres à la culture malgache
telles que la religiosité et la solidarité ont été révisées à la suite de l’appropriation de
nouvelles valeurs propres à la culture du conjoint étranger. Ceci montre que ce n’est pas
seulement le partenaire de la culture minoritaire qui ajuste ses valeurs en fonction de la
culture majoritaire. Dans cette optique, la mixité conjugale est ainsi qualifiée d’acculturative,
de transformatrice et d’altérative. Enfin, il importe de rappeler que les acteurs en proie à un
bouleversement axiologique, à une transformation culturelle ou à une domination culturelle,
même s’ils sont réceptifs, éprouvent toujours le besoin de manifester une certaine résistance
avant de se laisser assimiler.
68
Chapitre 9 : L’impact de la multiplication des mariages mixtes sur la société malgache
Les unions binationales font l’objet de nombreux jugements péjoratifs parce
que leur existence ébranle la pratique endogamique propre à la société traditionnelle
malgache. Force nous est cependant de reconnaitre la multiplication de ces unions,
notamment les unions franco-malgaches. D’une manière ou d’une autre, les couples mixtes
laissent une empreinte sur la société malgache. Dans ce dernier chapitre, deux points vont être
abordés : le flux des métissages puis, la coexistence de la mixophilie et de la mixophobie.
Section 30 : Le flux des métissages
La multiplication des mariages mixtes rime avec le flux des métissages. Ma lgré l’absence de
chiffres, nous pouvons avancer que les enfants métis sont suffisamment nombreux à telle
enseigne que nous en voyons circuler partout dans la capitale. Dans le long terme, la société
malgache pourrait devenir une véritable mosaïque culturelle. I l y aurait également un risque
de diminution des représentants de la "race pure" avec des conséquences sur la pérennité de la
culture malgache et surtout de la langue d’autant plus que la plupart des métis font souvent
appel à des alternances codiques2 pour s’exprimer.
Section 31 : La coexistence de la mixophilie et de la mixophobie
Actuellement, nous assistons à un phénomène d’idéalisation de la mixité et du mélange
culturel. Les stations de télévision, les publicitaires et les réalisateurs de clips font de plus en
plus appel à des étrangers, à des métis et à des couples malgacho-étrangers pour jouer le rôle
de présentateurs et de figurants. C’est le cas de l’émission matinale Nomich news sur la
télévision Record, des clips de la chanteuse Chenevar Playa laissant apparaitre un figurant de
nationalité française pour qui elle témoigne de l’amour, des publicités de produits
agroalimentaires…). Il semble alors que les couples mixtes, les étrangers et les métis sont
devenus un instrument incontournable en marketing.
2 Emploi alterné de deux codes linguistiques différents dans un même énoncé.
69
D’un autre côté, le flux des métissages mène progressivement à une réalité où la société
malgache ne pourra plus définir, de manière bipartite, des frontières nettes entre étrangers et
autochtones. De l’envahissement des étrangers, de la formation de plus en plus importante des
couples malgacho-étrangers et de l’accroissement des enfants métis, il en résulte
automatiquement le repliement d’une frange de la population sur elle-même, donnant lieu à
des attitudes mixophobes (réactions de fermeture à l’égard de ce qui est étranger, éloge
éxagéré de la culture malgache…). En réponse à la mixophobie, les métis ont constitué une
association dénommée « Association des métis de Madagascar » (AMM) qui a pour but de
défendre les droits des citoyens et des droits de l’homme et plus particulièrement des sangs
mêlés.
En résumé, la multiplication parallèle des unions mixtes et des métis donne
lieu à des réactions opposées de la part de leur entourage. D’une part, un certain engouement
se fait sentir pour les familles mixtes comme si elles représentaient actuellement le modèle-
type de la famille postmoderne. D’autre part, les menaces à l’encontre de l’homogénéité
nationale et de la langue malgache font que les attitudes mixophobes gagnent du terrain.
70
CONCLUSION GÉNÉRALE
Le choix d’une personne étrangère comme partenaire repose souvent sur une
double fascination pour l’Autre, c’est-à-dire pour sa personne et pour sa culture. Cette
fascination est une forme d'exotisme et constitue un pôle opposé au racisme. La mixité
conjugale apparaît comme le lieu privilégié du dialogue et des affrontements entre les
cultures. C’est ce qui fait sa particularité. Les acteurs sociaux ont perpétuellement à composer
avec des références culturelles différentes. Les crises les plus saillantes se font sentir à chaque
nouvelle étape vécue par le couple, à savoir les premiers moments de la relation, la
présentation aux familles respectives, les premières années de cohabitation, l’officialisation de
l’union et l’arrivée du premier enfant. Les réactions de l’entourage, l’incompatibilité de
certains éléments culturels font que les couples mixtes traversent de plus grandes épreuves par
rapport aux autres couples. Par conséquent, ils sont plus tolérants, plus ouverts, plus flexibles
et plus enclins à la communication.
Il nous a pris beaucoup de temps de lecture et de réflexion avant de trouver
la manière dont on allait définitivement aborder le thème de la mixité conjugale à
Antananarivo. Au départ, nous voulions l’étudier sous l’angle des facteurs
macrosociologiques ou sociodémographiques qui pourraient influencer sur l’augmentation des
mariages mixtes. Mais étant donné l’insuffisance des statistiques relatives à l’état civil
(évolution annuelle du nombre des mariages mixtes), nous avons préféré changer d’angle
d’attaque. Par ailleurs, les articles scientifiques les plus récents que nous avons lus font tous
l’éloge de la valorisation de l’individu - en tant que sujet culturel, acteur et maître de ses
décisions et de ses choix - dans l’appréhension de la mixité conjugale. Dans la recherche
d’une originalité, nous avons donc adhéré à cette orientation nouvelle. Le choix de la thèse de
l’"incorporation créative" développée par les anthropologues Breger et Hill (1998) comme
base théorique nous a donc permis d’aboutir à des conclusions nouvelles sur les couples
étrangers-malgaches.
71
Bibliographie
I/- Ouvrages généraux :
1- ANSART (P.), « Les sociologies contemporaines », Edition Seuil 1990.
2- ARON (R.), « Les étapes de la pensée sociologique », Edition Gallimard 1967.
3- BOURDIEU (P.), « Questions de sociologie » (1980), Editions de Minuit 2002.
4- CORCUFF (P.), « Les nouvelles sociologies », Editions Nathan 1995.
5- FERREOL (G.) et NORECK (J-P.), « Introduction à la sociologie », Edition Armand
Colin, Paris, 2000.
6- GURVITCH (G.), « La vocation actuelle de la sociologie », Tome I et II, Editions
I.P.F. 1963.
7- SIMMEL (G.), « Sociologie et épistémologie », PUF, 1981.
II/- Ouvrages spécifiques :
1- BERTHELOT (J-M.), « L’intelligence du social », Paris, PUF, 1990.
2- CEFAÏ (D.), « L’enquête de terrain », Edition La Découverte, Paris, 2003.
3- CHARTON (L.), « Familles contemporaines et temporalités », Paris, L’Harmattan.
4- DUBAR (C.), « La crise des identités. L’interprétation d’une mutation », PUF, 2000.
5- FERRÉOL (G.) et JUCQUOIS (G.), « Dictionnaire de l’altérité et des relations
interculturelles », dir., Paris, A. Colin / VUEF.
6- GAUTHIER (B.) et al, « Recherche sociale : de la problématique à la collecte des
données », Presses Universitaires du Québec, 1984.
7- KAUFMANN (J.-C.), « Sociologie du couple », Paris, PUF, 1993 a.
8- NOUSS (A.), « Plaidoyer pour un monde métis », Les éditions Textuel, 2005.
9- PRETCEILLE (M. A.), « L’éducation interculturelle », PUF, 1999.
10- QUIVY (R.) et CAMPENHOUDT (L-V.), « Manuel de recherche en sciences
sociales », Dunod, Paris, 1995.
III/- Documents et articles scientifiques :
1- DEBROISE (A.), « La construction conjugale dans les couples mixtes », Dialogue.
Recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille : ces couples qu’on
appelle mixtes, vol.139, p.51-63, 1998.
2- GERARD (S.), « Les enjeux de la transmission chez le couple mixte », Les
Doctoriales 2008.
72
3- RANDRIAMASITIANA (G.D.), « Repenser l’histoire du biculturalisme franco-
malgache et le processus d’uniformisation culturelle. Entre allégeances et
antagonismes interculturels » in Liens 14, Fastef, UCAD, Novembre 2011, p.96-130.
IV/- Mémoires et thèses :
1- THERRIEN (C.), « Des repères à la construction d’un chez-soi : trajectoires de mixité
conjugale au Maroc », Thèse de Doctorat en Anthropologie, Faculté des Sciences
sociales de l’Université de Montréal, 2009.
V/- Romans :
1- DULISCOUET (E.), « A la Belle Flore. Amours malgaches », Bordeaux, Editions
Delmas, 1935.
2- MISSONNIER (C.), « Le Goût de la Mangue », Paris, Editions Thierry Magnier,
2006.
VI/- Webographie :
1- CIPRUT (M.-A.) et al., « De l’entre-deux à l’interculturalité. Richesses et embûches
de la migration », Institut universitaire d’études du développement, Novembre 2001.
URL : http://www.iued.unige.ch consulté le 28 Août 2013.
2- COLLET (B.) et SANTELLI (E.), « Les descendants d’immigrés en couple mixte au
prisme de l’enquête "Trajectoires et Origines", Enfances, Familles, Générations, n°17,
2012, p.75-97. URL : http://www.efg.inrs.ca consulté le 24 Novembre 2013.
3- COLLET (B.) et SANTELLI (E.), « Comment repenser les mixités conjugales
aujourd’hui ? », Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 19 -
n°1 | 2003, mis en ligne le 18 février 2013, consulté le 19 septembre 2013. URL :
http://remi.revues.org/355
4- DELCROIX (C.), GUYAUX (A.), RAMDANE (A.), RODRIGUEZ (E.), « Mariage
mixte, rencontre de deux cultures tout au cours de la vie », Enquête [En ligne],
5 | 1989, mis en ligne le 27 juin 2013, consulté le 17 août 2013. URL :
http://enquete.revues.org/94
5- ROCHERON (Y.), « Liberté, Egalité, Mixité…conjugales. Une sociologie du couple
mixte », sous la direction de Claudine Philippe, Gabrielle Varro et Gérard Neyrand.
In : Langage et société, n°85, 1998, pp.113-116. URL :
73
http://www.perse.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-
4095_1998_num_85_1_2829 consulté le 22 Août 2013.
6- THERRIEN (C.) et LE GALL (J.), « Nouvelles perspectives sur la mixité conjugale :
le sujet et l’acteur au cœur de l’analyse », Enfances, Familles, Générations, n°17,
2012, p.1-20. URL : http://www.efg.inrs.ca consulté le 06 Septembre 2013.
7- TISSAUD (V.), « Quand l’intime défie l’ordre colonial - Les couples de Malgaches et
d'Européennes en Imerina (Hautes Terres centrales de Madagascar) de 1896 à 1960. »,
Genre & Histoire [En ligne], 7 | Automne 2010, mis en ligne le 13 janvier 2011,
consulté le 13 novembre 2013. URL : http://genrehistoire.revues.org/1063
8- VARRO (G.), « Les "couples mixtes" à travers le temps : vers une épistémologie de la
mixité », Enfances, Familles, Générations, n°17, 2012, p.21-40. URL :
www.efg.inrs.ca consulté le 01 Décembre 2013.
74
Table des matières
- Remerciements
- Liste des acronymes
- Liste des tableaux
- Liste des schémas, des graphes
- Sommaire
- Introduction générale………..…………………………………………………………1
- Partie I : Considérations générales…………………………………………………..4
Chapitre I : Cadrage théorique.................................................................................. 5
Section 1 : Questions de terminologie...……………………………………………….5
A- Couple mixte......................................................................................................…...5
B- Culture…………………………………………………….……………………….6
C- Interculturel…………..……………………………………………………………6
D- Acteur……………………………………………………………………………..7
E- Identité……………………………………………………………………………7
Section 2 : Les assises théoriques de la mixité conjugale………..……………………8
A- Les anciens cadres d’analyse qui font référence aux facteurs sociologiques
explicatifs…………………………………………………………………………..8
1- La théorie de l’échange compensatoire………………………………………..8
2- La perspective assimilationniste……………………………………………….9
3- Les unions interculturelles comme laboratoire social…………………………9
4- Les théories qui placent les structures macrosociales au cœur de l’analyse….10
B- Les perspectives théoriques récentes qui placent l’individu au cœur de l’analyse.10
1- L’identité en mutation………………………………………………………...11
2- Les individus en tant qu’acteurs………………………………………………11
3- Les aspects positifs de la mixité conjugale…………………………………...12
Section 3 : Pour un regard centré sur l’acteur……………..……………………….…13
A- Les principes du paradigme interculturel…………………………………………13
1- Axe conceptuel et épistémologique…………………………………………...13
2- Axe méthodologique………………………………………………………….14
B- Justification du choix de la théorie de l’incorporation créative…………………..14
75
Chapitre II : Le contexte d’émergence des couples malgacho-étrangers………..16
Section 4 : Historique du peuplement de Madagascar………………….……………16
Section 5 : Les tendances de la littérature sur la mixité conjugale à Madagascar……17
Section 6 : Le mariage civil mixte……………………..……………………………..19
A- Les étapes de la démarche administrative………………………………………..20
B- Statistiques relatives aux mariages civils mixtes…………………………………21
Chapitre III : Parcours méthodologique………………………………………….23
Section 7 : Les étapes de la recherche………….…….………………………………23
A- La phase exploratoire…………………………………………………………….23
B- La préparation de la descente sur le terrain………………………………………23
C- La descente sur le terrain…………………………………………………………24
D- L’analyse des informations………………………………………………………24
Section 8 : Les types de recherche…………………………………………………..24
Section 9 : Les situations de recueil des données……………………………………25
Section 10 : L’étude des documents…………………………………………………25
Section 11 : Construction des variables et de l’échantillonnage……………………..25
A- Construction des variables……………………………………………………….25
B- La méthode d’échantillonnage…………………………………………………..26
Section 12: Les techniques de recueil d’informations……………………………….27
Section 13 : Traitement et analyse des données……………………..………………27
A- Analyse multivariée………………………………………………………………26
B- Analyse qualitative……………………………………..………………………..26
Section 14 : Le type de démarche…………………………………………………...27
- Partie II : Le rapport à l’Autre : un apprentissage perpétuel…………………...30
Chapitre 4 : L’ambivalence de la mixité conjugale………………………………31
Section 15 : Quantification des résultats…………………………………………….31
Section 16 : Typologie des justifications…………………………………………….31
A- Typologie des justifications pour la réponse « pour »……………………………31
B- Typologie des justifications pour la réponse « contre »…………………………..32
Chapitre 5 : Les étapes cruciales de la mixité conjugale………………………….34
Section 17 : Les premiers moments de la relation...………………………………….37
A- La rencontre………………………………………………………………………37
B- Les premiers chocs culturels……………………………………………………..38
76
Section 18 : La présentation aux familles respectives……………………..…………39
Section 19 : L’officialisation de l’union……………………...………………………41
Section 20 : Les premières années de cohabitation………………………………….43
Section 21 : L’arrivée du premier enfant…………………………………………….45
Chapitre 6 : Le versant positif de la mixité conjugale……………………………49
Section 22 : Les nouvelles dispositions acquises par les individus………………….49
A- Du côté des attitudes……………………………………………………………49
1- L’ouverture………………………………………………………………….49
2- L’acceptation………………………………………………………………..50
3- La tolérance…………………………………………………………………50
4- La flexibilité…………………………………………………………………50
B- Du côté des aptitudes……………………………………………………………51
1- La créativité…………………………………………………………………51
2- La recherche du consensus………………………………………………….51
3- La valorisation du dialogue…………………………………………………52
Section 23 : L’enrichissement par la différence…………………………………….52
Section 24 : Les différentes configurations culturelles………………………………54
A- Le mélange biculturel…………………………………………………………….54
B- La mosaïque culturelle……………………………………………………………55
C- La valorisation commune d’un schème culturel………………………………….55
D- La domination d’un schème culturel……………………………………………..55
- Partie III : Vision prospective……………………..……………………………….58
Chapitre 7 : Reconsidération de la mixité conjugale..…………………………….59
Section 25 : L’autorégulation de la mixité conjugale..……………………………….59
Section 26 : La prédominance d’un schème culturel……………………………...….61
Chapitre 8 : La mixité conjugale comme parcours vers un bouleversement
axiologique…………………………………………………………………………...63
Section 27 : Les valeurs constitutives de la culture malgache………………………..63
A- La solidarité………………………………………………………………………63
B- Le respect des aînés………………………………………………………………64
C- La crainte des représailles………………………………………………………...64
D- Le sens de l’égalité……………………………………………………………….64
E- La religiosité………………………………………………………………………64
Section 28 : Les manifestations du bouleversement axiologique…………………….65
77
Section 29 : Les mouvements de résistance………………………………………….66
Chapitre 9 : L’impact de la multiplication des mariages mixtes sur la société
malgache……………………………………………………………………………..68
Section 30 : Le flux des métissages…….……………………………………………68
Section 31 : La coexistence de la mixophilie et de la mixophobie…………………..68
- Conclusion générale………………………………………………………………….70
- Bibliographie…………………………………………………………………………71
- Table des matières……………………………………………………………………74
- Annexe
- Résumé
I
ANNEXE
GUIDE THÉMATIQUE POUR LES ENTRETIENS
Entrée en matière
Pour commencer, j’aimerais que vous vous présentiez un peu.
Rencontre du couple
1- Comment vous êtes-vous rencontrés ?
2- Quelles étaient vos premières impressions ?
3- Comment avez-vous convenu de vous revoir ?
4- Aviez-vous déjà envisagé de vous marier avec un étranger ?
Les premiers moments de la relation
5- Pouvez-vous me parler des premières années de votre relation ?
6- Quels étaient vos différences les plus flagrantes ?
7- Depuis combien de temps vivez-vous ensemble ?
Présentation à la famille
8- Comment se sont faites les présentations auprès de vos familles respectives ?
9- Quelles étaient leurs réactions ?
Le mariage
10- Etes-vous mariés ?
11- Si oui, comment se sont passé les démarches administratives, les cérémonies ?
La cohabitation
12- Qui s’occupe de la décoration intérieure de votre maison ?
13- A quoi ressemble votre vie quotidienne ?
14- Quelle est la place de la religion au sein de votre famille ?
II
L’espace familial
15- Avez-vous des enfants ?
16- Si oui, combien ?
17- Comment s’appellent- ils ?
18- Dans quelles écoles vont-ils ?
19- Quelles nationalités ont- ils ?
20- Quelles langues parlez-vous entre vous ?
21- Avez-vous eu des divergences d’opinions par rapport à l’éducation de vos enfants ?
22- Avez-vous fait circoncire votre (vos) fils ?
Vie de couple
23- À quoi attribuez-vous les difficultés de votre couple ?
24- De quelle manière faites-vous face aux conflits ?
25- Quels avantages trouvez-vous à vivre avec un étranger ?
26- Avez-vous fait des compromis pour votre vie de couple ?
27- L’expérience de mixité a-t-elle développé des attitudes particulières chez vous ?
28- Quelle leçon avez-vous retenu de cette mixité ?
RÉSUMÉ
Titre : Intimité interculturelle et mariage mixte
Nombre de pages : 77
Nombre de tableaux : 3
Nombre de graphiques : 2
Rubriques épistémologiques : Sociologie de la mixité – Sociologie du couple – Sociologie de
la famille
Dans le cadre de ce travail, notre intérêt s’est porté sur les couples étrangers-
malgaches qui vivent à Antananarivo. Comment gèrent-ils leurs différences culturelles ?
Comment se présente leur vie quotidienne ? Quelles sont les spécificités des couples mixtes ?
En quoi, la mixité conjugale est-elle enrichissante pour ceux qui l’expérimentent ? Telles ont
été les interrogations qui ont poussé cette recherche. A titre de base théorique, nous nous
sommes référés à la thèse de l’incorporation créative, développée par les anthropo logues
Rosemary Breger et Rosanna Hill en 1998 aux Etats-Unis, selon laquelle les bricolages
culturels qui se font au sein des couples mixtes sont potentiellement source d’enrichissement.
Elles mettent donc l’accent sur le rôle des acteurs sociaux dans la création-construction de
leur quotidien.
A l’issue de la recherche, nous avons abouti à la conclusion suivante :
l’expérience de mixité conjugale, à travers les défis qu’elle lance, éveille chez les conjoints
des qualités particulières - telles que l’ouverture d’esprit et la créativité - qui sont à la base de
la construction d’une configuration culturelle unique au sein du foyer.
Mots-clés : Couple mixte – Acteur – Interculturel – Enrichissement culturel – Bricolage
culturel.
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Nom de l’auteur : RAZAFINDRAVELO Sabrina Email : [email protected]
Nom de l’encadreur : Monsieur RANDRIAMASITIANA Gil Dany, Professeur titulaire