institut économique molinari · produits, une fois commercialisés..... 16 3. 1. la maîtrise...
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Institut économique Molinari
Risques et obstacles réglementaires
pour les entreprises innovantes en Europe
2008
Bruxelles
Cahier de recherche de
Valentin Petkantchin
Directeur de la recherche
Institut économique Molinari
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 02
Table des matières
Résumé....................................................................................................................... 03
Introduction................................................................................................................ 04
1. Les risques naturels liés à l'innovation.............................................................. 05
1. 1. Le caractère imprévisible de l'innovation technologique....................................... 06
1. 2. Le risque commercial.......................................................................................... 07
1. 3. Le rôle des droits de propriété dans le processus d'innovation............................ 08
2. Les obstacles réglementaires à l'accès au marché des produits innovants.... 09
2. 1. Un accès au marché de plus en plus difficile : l'exemple des
produits pharmaceutiques........................................................................................... 09
2. 2. Réglementation et innovation chimique en Europe............................................. 13
3. Une sur-réglementation des entreprises innovantes et de leurs
produits, une fois commercialisés...................................................................... 16
3. 1. La maîtrise publique des dépenses de santé : un « frein » à l'innovation............ 16
3. 2. Les entreprises innovantes pénalisées par la politique anti-trust......................... 19
Conclusion................................................................................................................. 23
Biographie.................................................................................................................. 24
RÉSUMÉ
Ce Cahier de recherche a pour objectif d’attirer l'atten-tion sur le côté risqué de l'innovation et sur les effetsnégatifs que certaines politiques publiques, mises enplace pour différentes raisons, ont sur celle-ci. En effet,plusieurs réglementations pénalisent les entreprises in-novantes directement ou indirectement, en dépit del'accent qui a été mis par les instances communau-taires sur l'innovation depuis la stratégie de Lisbonneen 2000.
Une première partie du Cahier est ainsi consacrée aufait que les entreprises font face à plusieurs risques. Ilexiste d'abord un risque technologique : en dépit desressources considérables, les entreprises innovantesne sont jamais à l'abri de l'échec. Par exemple, aprèsl'investissement de plusieurs millions d'euros sur plu-sieurs années, de nouvelles molécules peuvent ne pasdéboucher sur des médicaments commercialisablesmalgré les efforts des laboratoires pour les mettre aupoint. Il y a un risque commercial ensuite : les nou-veaux produits, en dépit des promesses qu'ils laissententrevoir, peuvent ne pas présenter une valeur ajoutéepour les consommateurs. Ils sont alors une source depertes pour les entreprises innovantes qui ne peuventpas récupérer leurs investissements en R&D. L'en-semble de ces risques explique que sur le marché lesprofits des entreprises innovantes peuvent naturelle-ment paraître plus élevés d'un simple point de vuecomptable.
Une deuxième section du Cahier est consacrée auxobstacles réglementaires qui ont été mis en place enEurope, empêchant le libre accès des nouveaux pro-duits au marché sous le prétexte de protéger lesconsommateurs. Sous la pression du « principe de pré-caution » et de ce qu’on pourrait appeler la culture du« risque zéro », des procédures administratives d’au-torisation ont été mises en place dans plusieurs sec-teurs. Les obstacles à l’accès au marché des produitspharmaceutiques et des substances chimiques (avecla directive REACH en Europe) sont analysés. En in-versant la charge de la preuve qu'un nouveau produitest sans risques potentiels, ces procédures s’avèrentin fine hostiles à l’innovation mettant « sur les épaules »des entreprises innovantes un fardeau bien plus im-portant que celui dicté par la prudence et le respect desdroits de propriété dans une économie de marché.
Enfin, dans une troisième partie, le Cahier analysedeux autres politiques publiques qui sont défavorablesà l’innovation et qui s'appliquent une fois que les nou-veaux produits ont été commercialisés sur le marché.
C’est le cas de la politique de maîtrise des dépenses desanté, appliquée aux produits pharmaceutiques sousdes formes différentes dans les pays européens(contrôles de prix, bureaucratisation dans l'utilisationdes médicaments, restrictions quantitatives, etc.). Laperspective de voir les prix de ses futurs produits sou-mis à des contrôles à la baisse de plus en plus stricts,et de devoir négocier les prix avec des administrationsdont la priorité est la maîtrise comptable des coûts, estun risque supplémentaire important pour les entre-prises innovantes dans ce secteur. Cela contribue iné-vitablement à augmenter l’incertitude qui entourel’innovation. L'intérêt de poursuivre cette dernière s'entrouve forcément diminué.
Le deuxième cas étudié dans le Cahier est celui de lapolitique anti-trust en Europe. À cause de leur carac-tère novateur et d’une meilleure satisfaction desconsommateurs, les entreprises innovantes sont plé-biscitées par ces derniers et peuvent ainsi atteindre une« position dominante ». Cependant, ne tenant pascompte de l’origine de la « dominance » des entre-prises sur le marché – qui peut naturellement provenirdes efforts d’innovation – la politique anti-trust, par sasimple présence et par les sanctions qu’elle leur im-pose, est défavorable à l’innovation. Les exemples pré-sentés concernent des secteurs aussi différents quecelui de l’informatique, des logiciels et de l’Internet (Mi-crosoft, Intel, Google, entre autres), des télécommuni-cations ou, une fois de plus, celui des produitspharmaceutiques.
Le Cahier conclut qu’il est d’autant plus importantd’analyser tous les effets de ces politiques publiquessur la R&D et l’innovation qu’ils ne sont pas directementperceptibles et qu'il faut plusieurs années, voire des dé-cennies pour que leur impact négatif puisse se mani-fester pleinement. Les économies européennes etnotre niveau de vie ont été bâtis sur les efforts d'inno-vation d'hier : il faut tâcher de ne pas inverser la ten-dance en pénalisant l'innovation actuelle et à venir!
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 03
INTRODUCTION
Le progrès technique et les innovations technologiques
permettent aux consommateurs modernes de bénéfi-
cier d’un confort, d’un bien-être, d’une espérance et
d’un niveau de vie sans précédent dans l’histoire de
l’humanité.
Dans une perspective plus large, l’innovation – non
seulement technologique, mais aussi organisationnelle,
basée sur des modes de gestion plus efficaces et à
moindre coût – fait également partie intégrante de la
concurrence sur le marché. Car, si les entreprises in-
vestissent pour innover ou réorganiser leurs processus
de production, c’est parce qu’elle comptent ainsi attirer
de nouveaux clients aux dépens de leurs concurrents.
L’innovation est in fine à la base d’une meilleure pro-
ductivité des entreprises leur permettant de devenir
plus compétitives en économisant les ressources rares.
Cependant, en dépit de ses bénéfices multiples, l’inno-
vation ne doit pas être considérée comme un fait ac-
quis.
Certes, certaines découvertes et avancées scienti-
fiques font déjà partie du savoir disponible. Mais leurs
bénéfices sont inaccessibles et elles ne peuvent pas
déboucher sur un plus grand bien-être pour les
consommateurs si des entrepreneurs et des entre-
prises ne prennent pas des risques pour mettre au
point de nouveaux produits, s’ils n’investissent pas pour
les commercialiser et les mettre à notre disposition.
Sans cette activité économique, les avancées scienti-
fiques resteraient sans impact sur nos vies de tous les
jours.
De même, si des entreprises ne tentaient pas de met-
tre en oeuvre de nouveaux modes d’organisation et de
nouveaux modèles d’affaires (business models), les
consommateurs ne pourraient pas profiter de leurs
avantages en termes de choix de produits plus grand,
de biens et services moins chers et donc de pouvoir
d’achat plus important.
Par nature, l’innovation, est une activité risquée. De
nouvelles technologies, bien que techniquement plus
performantes, peuvent échouer le « test du marché »
et ne pas représenter de valeur ajoutée aux yeux des
consommateurs, ceux à qui elles sont ultimement des-
tinées. De même, des changements organisationnels
au sein de l’entreprise ou de nouveaux modes de ma-
nagement peuvent être source de pertes et non de
profit.
Ces caractéristiques naturelles de l’activité d’innovation
et l’impossibilité d’exclure les pertes expliquent en par-
tie pourquoi les financements sont plus ou moins dis-
ponibles pour les entrepreneurs désireux de se lancer
dans de nouveaux projets. Cette difficulté ne peut être
dissociée de la vie économique et découle directement
de la contrainte de rareté des ressources.
Parce qu’il s’agit d’activités qui impliquent fondamen-
talement la prise de risque, l’entrepreneuriat et l’inno-
vation ne peuvent pas s’épanouir dans un contexte où
cette prise de risque se trouve dévalorisée, découra-
gée ou pénalisée.
Il existe plusieurs mesures réglementaires et disposi-
tions légales qui tantôt visent à favoriser cette activité
entrepreneuriale – à l’image des brevets –, tantôt la pé-
nalise directement ou indirectement. C’est ainsi par
exemple qu’en augmentant le fardeau fiscal et régle-
mentaire dans son ensemble, les gouvernements
créent un environnement où le risque devient plus
grand, l’atteinte de résultats plus difficile, et la récom-
pense plus incertaine. En conséquence, l’activité en-
trepreneuriale d’innovation s’en trouve découragée.
L’objectif dans cette étude n’est pas de dresser une
liste exhaustive de toutes les mesures qui auraient un
impact sur la R&D (recherche et développement) et sur
l’innovation. Elle vise, en revanche, à attirer d’abord
l’attention sur les risques naturels inhérents à l’innova-
tion, aspect souvent négligé (section 1).
En plus des difficultés naturelles qu’il y a à innover, les
pouvoirs publics sous différents prétextes, ont mis en
place une multitude de réglementations. Ainsi, nous
étudierons certaines d’entre elles qui risquent de dé-
courager l’innovation soit en empêchant l’accès au
marché des nouveaux produits (section 2), soit en pé-
nalisant les entreprises innovantes, une fois leurs pro-
duits commercialisés (section 3). Les politiques de
contrôles de prix et de maîtrise publique des dépenses,
par exemple dans le domaine de la santé, en font par-
tie. Les politiques anti-trust qui pénalisent régulière-
ment les compagnies jugées « dominantes », parmi
lesquelles se trouvent souvent les entreprises inno-
vantes, sont aussi à classer dans cette dernière caté-
gorie de réglementations néfastes à l’innovation.
Il est d’autant plus important d’analyser les effets de
ces réglementations sur la R&D et l’innovation qu’il faut
plusieurs années, voire des décennies pour que leur
impact négatif puisse se manifester pleinement.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 04
1. LES RISQUES NATURELS LIÉSÀ L’INNOVATION
L’innovation repose sur des décisions d’investissement
qui, au moment où elles sont prises, incluent un vérita-
ble pari sur l’avenir de la part des entrepreneurs. S’ils
ont bien estimé la demande, ils réaliseront des profits ;
dans le cas contraire, ils accuseront des pertes.
Comme le précise l’économiste Ludwig von Mises,
« (la) seule source qui permet à l’entrepreneur de réa-
liser un profit est son habileté à mieux anticiper […] les
demandes futures des consommateurs »1.
Les différents secteurs de l’économie ont par ailleurs
des caractéristiques qui leur sont propres, de sorte que
les investissements en R&D, et l’innovation technolo-
gique qui s’ensuit, ne sont pas également répartis.
Les entreprises dans certaines industries investissent
davantage en R&D comparativement à d’autres. Ces
investissements sont l’une des conditions – nécessaire
bien que non suffisante – qui permettent de satisfaire,
grâce à de nouveaux produits, les besoins des
consommateurs en matière de communication, de dé-
placement, d’habillement ou de soins de santé.
Selon l’édition 2008 du tableau de bord annuel de la
Commission européenne sur les investissements en
R&D industrielle, l’industrie pharmaceutique est celle
qui investit le plus en R&D dans le monde2, aussi bien
en montant absolu investi en R&D – plus de 71 milliards
d’euros – que par l’intensité de la R&D (ratio du mon-
tant de R&D/ventes nettes) de plus de 16 % (voir Ta-
bleau 1). C’est la raison pour laquelle les obstacles à
l’innovation dans le domaine de la santé occuperont
une place prépondérante dans cette étude.
L’investissement total en R&D en 2007 des premières
1402 compagnies dans le tableau de bord européen
s’élève à près de 373 milliards d’euros, soit plus que le
PIB cette même année de pays comme la Belgique, la
Suède, l’Autriche ou la Norvège3.
Les entreprises rencontrent différents types de risques
ou incertitudes sur le marché dans leurs efforts d’inno-
vation. On pourrait cependant les regrouper en deux
catégories : des « risques » technologiques liés à l’in-
certitude d’une découverte ou à la mise au point d’un
nouveau produit, d’une part, et les risques commer-
ciaux, liés à un échec lors de la commercialisation d’un
tel produit, d’autre part.
Enfin, nous soulignerons le rôle des droits de propriété
pour encadrer les activités des entreprises innovantes
sur le marché.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 05
1. Ludwig von Mises, Human Action. A Treatise on Economics, 4e edition, Fox & Wilkes, San Fransisco, 1996, p. 290.
2. Voir « Monitoring industrial research: The 2008 EU industrial R&D Investment Scoreboard », Commission européenne, octobre 2008, disponible à :
http://iri.jrc.ec.europa.eu/research/scoreboard_2008.htm. Il s’agit d’un classement mondial des 1402 compagnies ayant le plus investi en R&D entre
2007 et 2008. En Europe, le classement donne une image légèrement différente, le secteur « Automobile & équipementiers » devançant celui des
« produits pharmaceutiques & biotechnologie », mais on retrouve globalement les mêmes industries occupant les premières places.
3. Selon les données d'Eurostat, disponibles à :
http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page?_pageid=0,1136173,0_45570701&_dad=portal&_schema=PORTAL.
Rang SecteurInvestissements
en R&D(milliards d'euros)
Intensité en R&D (%)
R&D/ventes nettes
1 Produits pharmaceutiques & biotechnologie 71,4 16,1
2 Matériel & équipement informatique 68,2 8,5
3 Automobile & équipementiers 63,2 4,2
4 Logiciels & services informatiques 26,6 9,7
5 Electronique & équipements électriques 26,1 4,1
6 Chimie 16,4 2,8
7 Aérospatiale & défense 15,1 4,4
8 Equipements de loisir 13,8 6,2
9 Ingénierie industrielle 11,1 2,6
10 Industrie générale 8,1 2,1
Tableau 1 : Classement par secteur industriel en fonction des investissements en R&D en 2007
Source : Commission européenne, « Monitoring industrial research: The 2008 EU industrial R&D Investment Scoreboard », octobre 2008, p. 21, dispo-
nible à : http://iri.jrc.ec.europa.eu/research/docs/2008/Scoreboard_2008.pdf.
1. 1. LE CARACTÈRE IMPRÉVISIBLE DE L’INNOVATION TECHNOLOGIQUE
Toutes les entreprises innovantes rencontrent un
« risque » technologique inhérent à l’activité d’innova-
tion elle-même. Le fait est qu’en dépit des investisse-
ments en R&D, une découverte ou la mise au point
d’un produit technologiquement innovant restent im-
possibles à prévoir et à planifier. Le débat public qui fo-
calise sur les profits des entreprises innovantes,
sous-estime cet aspect4.
Le domaine pharmaceutique illustre parfaitement l’exis-
tence de tels risques inhérents à l’innovation. Environ
10 000 substances devront être sélectionnées dans le
processus de mise au point de nouvelles molécules
pour ne trouver éventuellement, des années plus tard,
qu’un seul médicament qui pourra être commercialisé
(voir Figure 1).
Des ressources considérables en R&D peuvent aussi
être consacrées à des nouveaux médicaments sans
qu’aucun résultat en terme de profit ne soit garanti.
Ainsi, se limiter à attirer l’attention sur les profits géné-
rés par les seuls produits commercialisés donne une
image biaisée et partielle. Une analyse complète du
processus d’innovation doit tenir compte de ces risques
technologiques, difficiles à quantifier, mais pourtant
affectant inéluctablement les entreprises innovantes.
Il n’est ainsi pas exclu qu’une molécule sélectionnée,
après avoir passé les premiers tests (les nouveaux mé-
dicaments passent par trois phases de tests cliniques
avant d’obtenir, ou pas, l’autorisation de mise sur le
marché dans un pays), soit abandonnée, en dépit des
perspectives prometteuses qu’elle laissait entrevoir.
C’est ainsi qu’en 2003, le médicament contre le diabète
de type 2, MK-767, a été arrêté en Phase III de son dé-
veloppement clinique au constat de l’apparition d’une
tumeur chez la souris. De même en 2005, en dépit de
ses promesses initiales, la molécule pactimibe contre
l’athérosclérose (i.e. atteinte des grosses et moyennes
artères caractérisée par l’accumulation de graisses
dans la paroi artérielle) a été abandonnée en phase II
par le laboratoire qui la développait. La liste des exem-
ples peut facilement être allongée5.
Le fait est que dépenser des millions de dollars ou d’eu-
ros ne donne en soi aucune garantie de succès et que
l’innovation est par nature risquée et peut résulter en
pertes pour les entreprises qui cherchent à innover.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 06
Figure 1 : Les phases de la R&D pharmaceutique
Source : LEEM – Les entreprises du médicament en France.
4. Ainsi, on surveille par exemple de près en France les profits des entreprises du CAC40. Voir L’Expansion, « Près de 100 milliards de profits pour le
CAC 40 en 2006 », 12 mars 2007, disponible à : http://www.lexpansion.com/economie/actualite-entreprise/pres-de-100-milliards-de-profits-pour-le-cac-
40-en-2006_119835.html ou le dossier de La Tribune, « Nouveaux bénéfices record pour le CAC 40 en 2007 », 12 mars 2008, disponible à :
http://headgold.neufblog.com/headgold/2008/05/dossier-des-mar.html.
5. Pour d’autres cas illustrant le risque d’échec dans les efforts d’innovation en pharmaceutique, voir par exemple la page Internet du magazine Forbes,
intitulé « The Failures » (« Les échecs »), disponible à : http://www.forbes.com/sciencesandmedicine/2004/03/23/cx_mh_0323drugdropoffs.html.
Ne pas tenir compte du risque de telles pertes dans la
mise en place de politiques publiques par les gouver-
nements revient à menacer l’avenir de l’innovation.
L'économiste John Calfee souligne ainsi à juste titre
que les « coûts de mise au point de nouveaux traite-
ments sont chargés d’incertitude. En dépit des nou-
veaux outils de recherche, l’échec est toujours la norme
quand des chercheurs s’attaquent à des problèmes
restés non résolus pendant des décennies »6.
Ce phénomène d'incertitude et la nécessité parfois
d'immobiliser des capitaux pendant plus de dix ans
avant qu'un produit ne commence éventuellement à
rapporter financièrement expliquent en partie pourquoi
à des risques plus élevés correspondent naturellement
des profits plus élevés pour les entreprises innovantes.
Sur le marché des capitaux – où les compagnies phar-
maceutiques sont en concurrence directe avec toutes
les autres compagnies pour attirer des fonds – les re-
tours sur investissement et les risques dans les diffé-
rents secteurs de l’économie sont évalués en continu.
Si les profits n’étaient pas suffisamment élevés dans
un secteur, les entreprises voulant innover auraient des
difficultés à garder ou à attirer les ressources néces-
saires pour le faire. Les investisseurs n'hésiteraient pas
alors à rediriger ces dernières vers un autre secteur où
il est moins risqué et plus rentable de les employer.
Se fier à une lecture étroitement comptable, et a pos-teriori, des profits et des risques au cours des périodes
passées donne ainsi une appréciation biaisée de la si-
tuation des entreprises innovantes. Comme le rappelle
John Calfee dans le cas de l’industrie pharmaceutique,
mais cela reste valable mutatis mutandis pour les au-
tres entreprises innovantes, « les règles comptables
habituelles donnent une mesure gonflée des retours
sur investissement parce qu’elles n’arrivent pas à tenir
compte et à mesurer tous les coûts de recherche et dé-
veloppement. L’activité de recherche pharmaceutique
par conséquent apparaît plus profitable qu’elle ne l’est
en réalité. »7
1. 2. LE RISQUE COMMERCIAL
Qu’il s’agisse de nouvelles technologies ou de nou-
veaux modes organisationnels, les nouveaux produits
qui en sont issus n’apportent de la valeur ajoutée que
s’ils passent le verdict ultime des consommateurs et le
« test du marché ». Et ce verdict peut ne pas être
concluant. Ne pas tenir compte de l’existence de ce
risque commercial, donne également une vision
biaisée du processus d’innovation.
Le test du marché est en effet parfois considéré comme
acquis. Il est courant par exemple de croire qu’un pro-
duit avec de nouvelles caractéristiques technologiques
puisse s’imposer de lui-même. Mais l’idée qu’un pro-
duit technologiquement plus avancé ait automatique-
ment plus de valeur pour les consommateurs, est en
fait inexacte. De nouveaux produits – en dépit des ef-
forts pour les mettre au point, les développer et les
commercialiser – sont ainsi lancés continuellement sur
le marché et échouent justement parce qu’ils n’ont pas
automatiquement de valeur ajoutée pour les consom-
mateurs.
Ainsi, on pourrait croire que si un médicament présente
des avantages thérapeutiques ou des effets secon-
daires moins importants pour la santé, il devrait ren-
contrer automatiquement son « marché », i.e. trouver
des patients prêts à l’utiliser. Mais même si ces avan-
tages peuvent bien être présents, les utilisateurs peu-
vent ne pas le choisir, comme l’illustre le cas récent du
médicament Exubera. En effet, en dépit de ses avan-
tages, en particulier le fait de pouvoir inhaler de l’insu-
line et ainsi éviter des injections quotidiennes multiples,
le médicament n’a pas rencontré le succès escompté.
Il était pourtant raisonnable de penser que les incon-
vénients, les souffrances et le temps perdu liés aux in-
jections traditionnelles d’insuline pour les diabétiques,
seraient suffisantes pour assurer son succès. En dépit
des ressources investies pour le mettre au point et le
faire approuver auprès des instances gouvernemen-
tales, sa commercialisation a dû être arrêtée en 20088.
Ce sont les destinataires finaux de tout bien écono-
mique qui évaluent et jugent si une innovation ajoute
de la valeur, ou pas, par rapport aux options de pro-
duction et aux biens déjà existants. Le consommateur
n’est jamais acquis d’avance et pour connaître la va-
leur économique d’une innovation, il est indispensable
qu’elle passe le test du marché sans que les pouvoirs
publics ou des réglementations y fassent obstacle.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 07
6. Voir John Calfee, Prices, Markets, and the Pharmaceutical Revolution, AEI Press, Washington D.C., 2000, p. 43-44, disponible à :
http://www.aei.org/publications/bookID.196/book_detail.asp.
7. Voir John Calfee, 2000, Op. cit., p. 38-39.
8. Voir le communiqué de presse disponible à: http://www.mhra.gov.uk/home/groups/pl-p/documents/websiteresources/con2033233.pdf.
1. 3. LE RÔLE DES DROITS DE PROPRIÉTÉDANS LE PROCESSUS D’INNOVATION
L’innovation et la commercialisation de nouvelles tech-nologies amènent aussi de nouveaux risques concer-nant leur utilisation. Un système de droits de propriétébien défini est à cet égard primordial pour encadrer lesentreprises innovantes.
Le double rôle que peuvent jouer les droits de propriétéest souvent ignoré dans le débat public qui fait systé-matiquement appel à l’intervention de l’État pour res-treindre la prise de risque et l’innovation desentreprises dans bon nombre de secteurs (voir ci-des-sous la section 2 portant sur le principe de précaution).
D’une part, les droits de propriété sur l’entreprise, surses profits ou ses pertes, fournissent les incitationsdans une économie de marché à aller de l’avant encommercialisant des produits nouveaux tout en es-sayant d’estimer leurs risques. En effet, les droits depropriété sont le catalyseur institutionnel qui pousse lesentrepreneurs à investir, à prendre des risques et à in-nover afin de mieux satisfaire les consommateurs etainsi récolter les profits de leurs actions.
D’autre part, les droits de propriété dans une économiede marché sont un réel garde-fou car ils établissent queles efforts d’innovation d’un entrepreneur et les résul-tats qui en découlent, ne doivent pas causer de dom-mages à autrui contre son gré9. Les droits de propriétéincitent non seulement à se lancer dans l’aventure del’innovation mais ils poussent simultanément les entre-prises innovantes à être prudentes10.
En conclusion, l’innovation est par nature une activitérisquée. Il y a un risque d’abord concernant le carac-tère imprévisible d’une découverte, d’une invention et in fine d’une innovation technologique. Il existe ensuiteun risque commercial concernant le « test du marché »et la possibilité qu’une nouveauté technologique necrée pas de valeur ajoutée aux yeux des consomma-teurs. Il y a enfin un risque sur le marché, lié à l’utilisa-tion des produits de l’innovation qui peuvent s’avérersource de dommages imprévus pour autrui.
Mais à tous ces risques naturels liés à l’innovation vien-nent s’ajouter des risques et des incertitudes supplémentaires. Ceux-ci sont le résultat direct ou in-direct de plusieurs politiques publiques. Il s’agit d’obs-tacles réglementaires qui pénalisent artificiellement lesentreprises innovantes sans que les bénéficiaires di-rectes des innovations, i.e. les consommateurs, aientle choix et leur mot à dire en la matière. Ces obstaclesréglementaires concernent aussi bien le libre accès aumarché des nouveaux produits que leurs conditions decommercialisation, une fois qu’ils se retrouvent sur lemarché.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 08
« Toutes les entreprises innovantes rencontrent un
risque technologique inhérentà l’activité d’innovation elle-
même. Le fait est qu’en dépitdes investissements en R&D,une découverte ou la mise aupoint d’un produit technologi-
quement innovant restent impossibles à prévoir et à
planifier. »
9. Un tel principe est à la base par exemple en France de l’article 1382 du Code civil stipulant que : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à au-trui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».10. Voir Cécile Philippe, « C'est trop tard pour la Terre », Institut économique Molinari, éd. Lattès, 2007.
2. LES OBSTACLES RÉGLEMENTAIRES À L’ACCÈS AU MARCHÉ DES PRODUITSINNOVANTS
Sous le prétexte de vouloir protéger les consomma-
teurs, une série de réglementations est venue s’ajouter
aux risques et aux incertitudes qui pèsent naturelle-
ment sur l’innovation.
Une « culture » du risque zéro et du « principe de pré-
caution », appliquée par les pouvoirs publics, impose
un contrôle sur l’accès au marché des nouveaux pro-
duits dans plusieurs secteurs. Cela peut présenter des
effets pervers paralysant les ef-
forts d’innovation des entreprises
car les réglementations inspirées
par le « principe de précaution »,
tendent en effet à proscrire l’in-
novation qui n’a pas été prouvée
exempte de tout risque réel ou
présumé11.
Mais étant donné qu’il est impos-
sible de prouver l’absence de
risque lié à une technologie – en
réalité les risques sont liés aux
différents usages possibles et ima-
ginables d’une technologie et non à la technologie en
elle-même – il s’agit d’un principe par nature hostile à
l’innovation.
Cette réglementation présente un double effet pénali-
sant pour celle-ci.
D’une part, elle introduit une incertitude supplémentaire
pour les entreprises. Celles-ci doivent faire face aux dé-
cisions arbitraires des pouvoirs publics et à la résis-
tance des différents groupes de pression dans le
processus politique, au risque de se voir interdire la
commercialisation de leurs nouvelles technologies.
D’autre part, les procédures auxquelles les entreprises
innovantes doivent se soumettre ne sont pas sans coût.
La procédure d’approbation, même quand le résultat
est positif, a ses propres coûts, exige des efforts, du
temps, bref, des ressources économiques.
Par conséquent, des projets innovants qui avant la
mise en place de telles réglementations d’approbation
étaient réalisables parce que rentables, peuvent ne
plus l’être. De manière générale, plus les réglementa-
tions sont sévères dans l’approbation de nouveaux pro-
duits et de nouvelles technologies, plus l’innovation
s’en trouve étouffée et pénalisée. Combinés, ces deux
effets jouent aussi le rôle de barrières légales à l’entrée
de nouveaux concurrents et affaiblissent l’intensité de
la concurrence.
Ces réglementations encadrant l’accès au marché des
produits innovants ont été poussées le plus loin, et de-
puis plusieurs décennies, dans le domaine bio phar-
maceutique où le processus d’approbation de
nouveaux médicaments est de-
venu au fil du temps de plus en
plus complexe et coûteux (2.1).
Mais, le principe de précaution a
été étendu à d’autres secteurs,
comme l’industrie chimique. Il est
ainsi parmi les fondements de la
nouvelle réglementation REACH
(pour « Registration Evaluation
and Authorization of CHemicals »
ou « enRegistrement, Evaluation
et Autorisation des substances
Chimiques ») en Europe (2.2).
2. 1. UN ACCÈS AU MARCHÉ DE PLUS EN PLUSDIFFICILE : L’EXEMPLE DES PRODUITS PHARMACEUTIQUES
Les procédures d’approbation des nouveaux médica-
ments visent théoriquement à identifier, voire à dimi-
nuer, tout risque qui pourrait être lié à leur utilisation.
Mais en dépit de ses objectifs louables, les régimes
d’approbation contemporains sont devenus un frein
considérable à l’innovation, et à eux seuls, sont parmi
les facteurs responsables de la forte augmentation des
coûts de la R&D et des nouveaux médicaments com-
mercialisés au cours des dernières décennies.
De la preuve d’innocuité à celle de l’efficacité des médicaments
L’industrie pharmaceutique a été parmi les premières
à devoir surmonter des réglementations concernant
l’approbation de ses produits.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 09
11. Voir Angela Logomasini, « La directive Reach : dommageable pour l’économie mondiale, suicidaire pour l’Europe », 2005, Institut Hayek, novembre
2005, disponible à :http://www.fahayek.org/gazette/imagesup/Reach_F.pdf.
« Dépenser des millions
de dollars ou d’euros ne
donne en soi aucune
garantie de succès et
l’innovation est par nature
risquée et peut résulter en
pertes pour les entreprises
qui cherchent à innover. »
Au départ, les procédures dansles différents pays visaient es-sentiellement à s’assurer de l’in-nocuité des produits dontl’absence pouvait s’avérer fatalepour les malades. Du momentque leur innocuité était établie,l’efficacité des produits commer-cialisés était cependant laisséeau marché et aux jugements dela multitude de médecins et depatients12.
Les processus d’approbation ac-tuels, que ce soit aux États-Unisou en Europe, incluent des essaiscliniques obligatoires à plusieursniveaux afin d’essayer de prouvernon seulement l’innocuité maiségalement l’efficacité thérapeu-tique des médicaments dans le traitement de telle outelle maladie. L’objectif affiché est ainsi de n’avoir quedes médicaments dont l’efficacité a été approuvée parles pouvoirs publics.
Cependant, ce processus d’approbation a aussi desconséquences qui sont souvent ignorées dans le débatpublic. Ces conséquences sont liées au retard queprend par exemple la commercialisation d’un nouveautraitement, ayant un impact aussi bien pour les entre-prises innovantes que pour les patients qui ne peuventpas en bénéficier pour améliorer leur état de santé.
La réforme aux États-Unis visant à prouver l’efficacitédes médicaments par voie réglementaire plutôt que parle marché, introduite en 1962, s’est ainsi soldée par lefait que « le temps qu’il fallait attendre pour obtenir l’ap-probation de la FDA13 et les procédures de tests, bu-reaucratiques, longues et onéreuses, se sont cumuléesen provoquant des délais extraordinaires dans le dé-veloppement et la production de médicaments »14.
Certains produits innovants peuvent aussi tout simple-ment être abandonnés parce qu’avec les exigencesplus élevées, leur développement risque de ne plus
être viable. En rendant plus difficile et plus coûteux leprocessus allant de la découverte d’une nouvelle molécule à sa mise sur le marché, on court le risque devoir moins de nouveaux médicaments apparaître sur lemarché.
Bien qu’il soit difficile de mesurer ou de quantifier l’im-pact des exigences actuelles des procédures d’appro-bation sur l’innovation, il est possible de s’en faire uneidée suite au durcissement de ces exigences dans lesannées 196015.
Le cas américain a été bien étudié à cet égard. Leconstat est que « le développement de médicaments adécliné de manière significative après 1962, et l’attentepour des traitements pouvant sauver des vies a aug-menté, dépassant la décennie, à la fin des années1970 »16. En moyenne, le nombre de nouvelles molé-cules est ainsi passé de près de 42 molécules lancéespar an sur le marché américain au cours de la décen-nie précédant la réforme, à 16 molécules après le votede celle-là (voir Figure 2). Selon l’étude de référencesur les effets de ce changement réglementaire àl’époque, « toute la différence constatée […] peut êtreattribuée aux amendements de 1962 »17.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 10
41.5
16.1
0
10
20
30
40
50
1951-1962 1963-1970
Nombre moyen annuel de nouvelles molécules
Figure 2: Nombre moyen annuel de nouvelles molécules lancées avant et après la réforme de 1962 aux États-Unis
Source : Sam Peltzman, 1973, Op. cit.
12. Voir sur ce sujet le dossier de l’Independent Institute, intitulé « History of Federal Regulation: 1902-Present », disponible à :http://www.fdareview.org/history.shtml.13. NDR : Food and Drug Administration, l’organisme chargé d’approuver les nouveaux médicaments aux États-Unis.14. Independent Institute, « History of Federal Regulation: 1902-Present », Op. cit. 15. L’exigence d’efficacité a été introduite également à cette époque au niveau européen. Voir l’article de Boris Hauray et Philippe Urfalino, « Expertisescientifique et intérêts nationaux : l’évaluation européenne des médicaments 1965-2000 », Annales HSS, mars-avril 2007, no 2, p. 273-298. 16. Independant Institute, « History of Federal regulation: 1902-present », Op. cit. 17. Sam Peltzman, « An evaluatuion of consumer protection legislation: The 1962 Drug Amendments », Journal of Political Economy, vol. 81, no. 5,septembre-octobre, 1973, p. 1055-1057, disponible à : http://www.bsos.umd.edu/econ/evans/class_papers/peltzman_jpe.pdf.
Toute décision d’utiliser un nouveau médicament relève
inévitablement d’un arbitrage entre innocuité, efficacité
et alternatives connues. Cependant, les autorités char-
gées d’évaluer les nouveaux produits sont placées par
la réglementation en situation de décideurs ultimes à
la place des utilisateurs. Sous la pression politique vi-
sant à éviter d’autoriser de nouveaux traitements sans
que tous les risques en soient connus, ces autorités
sont de facto incitées à sous-estimer les bénéfices des
nouveaux traitements qui auraient pu au contraire jus-
tifier une mise sur le marché plus rapide. Mais une ap-
probation plus tardive signifie automatiquement que
des patients n’ont pas pu bénéficier des bienfaits thé-
rapeutiques du nouveau médicament alors qu’ils au-
raient pu consentir à prendre plus de risques que les
pouvoirs publics dans son utilisation.
L’économiste Milton Friedman, prix Nobel d’économie,
résume que « la FDA a fait beaucoup de tort à la santé
des Américains en augmentant de manière significative
les coûts de la recherche pharmaceutique, et en dimi-
nuant ainsi l’offre de nouveaux médicaments effi-
caces »18. Le processus d’approbation étant
relativement similaire en Europe, une telle conclusion
reste entièrement valable de ce côté-ci de l’Atlantique.
Il n’est pas question de remettre en cause l’utilité des
essais cliniques et des processus d’approbation en soi.
Mais une ouverture réelle à la possibilité de redonner
plus de choix aux destinataires ultimes des nouveaux
traitements, i.e. les patients, peut permettre d’assurer
plus de flexibilité dans l’introduction et dans la gestion
des risques et des bénéfices des innovations techno-
logiques. Tout en étant bien informés des risques et des
bénéfices potentiels d’un nouveau traitement, les pa-
tients devraient pouvoir décider par exemple d’utiliser
un nouveau médicament à des stades moins avancés
du processus d’approbation19.
Une telle flexibilité aurait l’avantage de ne pas présen-
ter les inconvénients des politiques d’approbation ac-
tuelles dont la rigidité et les exigences se dressent en
obstacle à l’innovation20.
Des retraits de nouveaux médicaments
Au-delà de l’approbation initiale, des risques supplé-
mentaires guettent les entreprises innovantes. Une fois
leur produit approuvé, la manifestation d’un risque lié à
son utilisation peut amener les pouvoirs publics, et par-
fois les entreprises sous la pression de poursuites juri-
diques, à le retirer.
Tel a été le cas très médiatisé du médicament Vioxx qui
a été retiré du marché en 2004 pour cause de suspi-
cion d’un risque plus important d’incidents cardio-vas-
culaires chez certains patients après une utilisation en
continu de plus de 18 mois. Comme le précise l’Afs-
saps (Agence française de sécurité sanitaire des pro-
duits de santé), cela n’a concerné pourtant qu’« un petit
nombre de patients en France »21.
Une telle solution drastique n’est pas sans porter pré-
judice non seulement aux patients – qui ne faisaient
pas partie du groupe à risque et pour qui le médica-
ment s’avérait bénéfique – mais aussi à l’entreprise in-
novante elle-même.
Or, dans de tels cas une meilleure étude et un appro-
fondissement des risques liés à l’utilisation de tels mé-
dicaments peuvent être préférables à un retrait ou à
une interdiction pure et simple de leur commercialisa-
tion.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 11
18. Cité dans Pearson, Durk et Sandy Shaw, Freedom of Informed Choice: FDA Versus Nutrient Supplements, Neptune, NJ: Common Sense Press,
1993, p. 39. Voir aussi Daniel Klein, « Policy Medicine Versus Policy Quackery: Economists Against the FDA », Knowledge Technology & Policy, 22
mars 2000, disponible à : http://www.accessmylibrary.com/coms2/summary_0286-666065_ITM.
19. Pour une proposition concrète de procédure d’approbation plus souple et laissant plus de choix aux malades, voir Bartley Madden, « More Choices,
Better Health », Heartland Institute, 2007, disponible à : http://www.heartland.org/custom/semod_policybot/pdf/21194.pdf.
20. Notons qu’une procédure européenne récente d’autorisation précoce certes existe dans le cas des « médicaments d’urgence ». Bien que théorique-
ment plus favorable à l’innovation que la procédure d’approbation classique, des conditions strictes d’autorisation s’appliquent en réalité à ce type de
demandes, limitant ainsi son intérêt. Ce sont toujours les pouvoirs publics qui décident à la place des patients si leurs avantages dépassent leurs
risques pour les autoriser ou pas. Voir le communiqué de presse de la Commission européenne, intitulé « La Commission permet l’autorisation précoce
des médicaments d’urgence », IP/06/463, 6 avril 2006.
21. Voir le communiqué de l’Afssaps, « Retrait mondial de la spécialité Vioxx® », disponible à : http://www.agmed.sante.gouv.fr/htm/10/filcoprs/040906.htm.
« Une meilleure étude et un
approfondissement des risques
liés à l’utilisation de tels médi-
caments peuvent être préféra-
bles à un retrait ou à une
interdiction pure et simple de
leur commercialisation. »
En effet même si des risques sont associés à l’utilisa-tion d’un médicament comme le Vioxx, l’arrêt de sacommercialisation est loin d’être la solution idéale. Toutmédicament apporte généralement des bénéfices etces bénéfices peuvent largement dépasser sesrisques. Il faut laisser les patients et leurs médecins dé-cider si les risques et les bénéfices dans chaque caspersonnel justifient à leurs yeux l’utilisation ou non dumédicament.
C’est ainsi que sous la pression des patients bénéfi-ciant de ses effets thérapeutiques, le médicament trai-tant le syndrome du colon irritable, Lotronex, aprèsavoir été retiré du marché suite au décès de quelquespatients, a été ré-approuvé et remis sur le marché auxÉtats-Unis22.
Une bureaucratisation des essais cliniquesen Europe
Les coûts de la mise au point et de la commercialisationd’une nouvelle molécule ont fortement augmenté au fildes années. Selon les estimations du prestigieux TuftsCenter for the Study of Drug Development aux États-Unis ils se rapprochent du milliard de dollars améri-cains, si on inclut les coûts de recherche obligatoire àeffectuer après la commercialisation du nouveau mé-dicament23.
Il y a plusieurs raisons à cette augmentation, mais l’uned’entre elles est le coût des essais cliniques dont l’ob-jectif est de prouver l’efficacité du nouveau médica-ment. Selon une étude du gouvernement américain, les« coûts moyens associés aux essais cliniques ont quin-tuplé entre 1987 et 2000 […] Cette augmentation a étécausée par des échantillons plus grands et une duréeplus longue des essais cliniques »24. Le nombre moyende personnes par essai clinique est passé ainsi de2 300 personnes en 1980 à 5 600 au début des années
2000. La durée moyenne serait, elle aussi, considéra-blement plus élevée en 2000 par rapport à 1980.
En Europe, une directive européenne a été adoptée en2001. Entrée en vigueur en 2004 sous prétexte de simplifier les procédures d'enregistrement des essaiscliniques et d'améliorer leur qualité, elle a mis en placede nouvelles exigences administratives dans ce do-maine. Son interprétation par les États-membres lorsde sa mise en application a donné naissance à descouches supplémentaires de réglementation25.
Le résultat a été une augmentation de la paperasserieet une augmentation du personnel requis pour gérer lacomplexité des nouvelles procédures bureaucratiquesprévues par la directive. Les coûts des essais cliniques,liés à l’introduction de la nouvelle directive, ont consi-dérablement augmenté (+ 85 %), selon un spécialistede l’Organisation européenne pour la recherche et letraitement du cancer (OERTC)26. Une estimationconcernant ces coûts auprès de huit centres d’essaiscliniques au Royaume-Uni, montre qu’ils auraientmême doublé27.
Au-delà d’une augmentation des coûts d’assurance desprofessionnels impliqués dans les essais et des tarifs àpayer aux autorités réglementaires, l’augmentation descoûts s’explique par des exigences réglementaires trèspoussées. Des changements tels que, par exemple, lenom du gestionnaire des données doivent être soumisaux autorités compétentes.
La nouvelle réglementation a sans doute contribué aufait que l’OERTC a initié 38 essais en 2001 et seule-ment 7 en 2005, après l’entrée en vigueur de la direc-tive. Des baisses de 25 % en Suède, de 60 % enIrlande et de 90 % en Pologne ont aussi été rapportéesconcernant les lancements de nouveaux tests cli-niques28.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 12
22. Voir Ronald Bailey, « The End of Old Regulatory Rituals », Reason, 12 octobre 2005, disponible à : http://www.reason.com/news/printer/35000.html.23. Voir Joseph DiMasi, Ronald Hansen et Henry Grabowski, « The price of innovation: new estimates of drug development costs », Journal of HealthEconomics 22, 2003, p. 180, disponible à : http://www.cptech.org/ip/health/econ/dimasi2003.pdf. Pour une estimation similaire, bien que légèrement su-périeure, voir aussi Christopher Adams et Van Brantner, « Spending on New Drug Development », Federal Trade Commission, mars 2008, disponibleà : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=869765.24. Voir le rapport du Congressional Budget Office, « Research and development in the pharmaceutical industry », Congrès des États-Unis, octobre2006, p. 23, disponible à : http://www.cbo.gov/ftpdocs/76xx/doc7615/10-02-DrugR-D.pdf.25. Voir Peter Mitchell, « Price controls seen as key to Europe's drug innovation lag », Nature Reviews, vol. 6, avril 2007, p. 297, disponible à :http://www.nature.com/nrd/journal/v6/n4/pdf/nrd2293.pdf.26. Voir Mary Rice, « New Data on Clinical Trials Directive in Europe Show Few Favorable Outcomes », Journal of National Cancer Institute, vol. 98,no 3, février 2006, p. 159, disponible à : http://jnci.oxfordjournals.org/cgi/reprint/jnci%3b98/3/159.pdf. 27. Voir Julie Hearn et Richard Sullivan, « The Impact of the ‘Clinical Trials’ Directive on the Cost and Conduct of Non-Commercial Cancer Trials in theUK », European Journal of Cancer, septembre 2006, disponible à : http://download.journals.elsevierhealth.com/pdfs/journals/0959-8049/PIIS0959804906008495.pdf. 28. Voir Richard Hoey, « The EU Clinical Trials Directive: 3 Years On », The Lancet, vol. 369, 26 mai 2007, p. 1777-1778, disponible à : http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140673607607971/abstract.
Vouloir garantir un niveau élevé de sécurité et d’effica-
cité des médicaments peut présenter des bénéfices.
Mais à force d’ignorer les coûts et les inconvénients
des réglementations pour y parvenir, on débouche sur
des obstacles croissants d’accès au marché et une
désincitation à innover.
2. 2. RÉGLEMENTATION ET INNOVATIONCHIMIQUE EN EUROPE
Le « précautionnisme » et la recherche du « risque
zéro » touchent aussi l’industrie chimique qui occupe
une place importante dans l’économie. Elle fournit en
effet des substances à la production d’un très grand
nombre de produits : colle, produits cosmétiques, mi-
croprocesseurs ou produits de la santé, comme les mé-
dicaments. Chaque produit sur le marché mis à la
disposition du consommateur repose de près ou de loin
sur l’existence d’une industrie et d’un approvisionne-
ment en substances chimiques.
L’industrie chimique en Europe a une longue tradition et
elle a été l’une des industries les plus innovantes et les
plus compétitives au niveau international.
Les débuts de la réglementation en Europe
Au niveau européen, l’industrie chimique fut réglemen-
tée à la fin des années 1960 (directive 67/548/CEE de
1967)29. Cette réglementation touchant à l’accès au
marché des différents produits chimiques a suivi la
même dynamique que celle concernant les médica-
ments, en devenant de plus en plus contraignante dans
son ensemble.
Ainsi depuis 1981 toute nouvelle substance chimique
est soumise à une procédure administrative d’enregis-
trement avec des exigences de tests. En 1992, ces exi-
gences ont été durcies et de nouveaux principes de
gestion des risques ajoutés. En revanche, les subs-
tances commercialisées avant 1981 n’étaient toujours
pas soumises à ces contraintes administratives30.
L’effet économique de cette réglementation a été de
rendre l’accès au marché des nouvelles substances
plus difficile, plus long et plus coûteux, désincitant ainsi
les entreprises à innover à cet égard. Certains projets
de lancement de nouvelles substances – qui auraient
servi à d’autres innovations ailleurs dans l’économie –
ont ainsi pu devenir non rentables. La réglementation
européenne a dans ce cas mis un terme à leur déve-
loppement et à leur commercialisation en Europe.
Par exemple en 1992-1993, l’entreprise BASF, après
avoir investi l’équivalent de près de 2,6 millions
d’euros sur 15 mois, a mis au point un nouveau dur-
cissant utilisable sans solvant dans la production de po-
lymères. Prêt à être commercialisé, sa mise sur le
marché a néanmoins été abandonnée à cause des
coûts d’enregistrement des nouveaux polymères31.
Les coûts, liés aux tests pour fournir les données exi-
gées, peuvent non seulement être élevés, mais aussi
être source d’incertitude, se situant dans des four-
chettes extrêmement larges. Ainsi, le projet de l’entre-
prise Henkel AG de lancer une alternative aux
détergents existants a dû faire face en Allemagne à des
coûts très importants en matière de tests toxicolo-
giques, estimés entre 100 000 euros et 3 millions
d’euros32!
Les effets négatifs de ces obstacles à l’accès au mar-
ché des produits chimiques ont parfois pu être atté-
nués. En effet, quand cela s’est avéré
technologiquement possible, les entreprises innovantes
se sont rabattues sur l’utilisation d’anciennes subs-
tances qui, lancées avant 1981, n’étaient pas pénali-
sées par les mêmes restrictions d’accès au marché.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 13
29. Voir Oliver Wolf et Luis Delgado, « The Impact of REACH on Innovation in the Chemical Industry », Commission européenne / Joint Research Cen-
tre IPTS, décembre 2003, p. 7, disponible à : http://www.eurofound.europa.eu/emcc/content/source/eu04013s.htm?p1=topic&p2=Work_Organisation.
30. Ibid.
31. Oliver Wolf et Luis Delgado, Commission européenne, 2003, Op. Cit., p. 11.
32. Ibid., p. 12.33. Ibid., p. 9.
« Vouloir garantir un niveau
élevé de sécurité et d’efficacité
des médicaments peut présenter
des bénéfices. Mais à force
d’ignorer les coûts et les
inconvénients des réglementa-
tions pour y parvenir, on
débouche sur des obstacles
croissants d’accès au marché et
une désincitation à innover. »
La Commission européenne résume ainsi en 2003 le
changement dans l’industrie chimique européenne lié à
la mise en place de la réglementation : « on pourrait
observer que l’innovation s’est déplacée du dévelop-
pement de nouvelles substances chimiques exigeant
une notification vers une utilisation de substances déjà
existantes. Parallèlement, on a la preuve que la R&D a
été transférée à l’étranger »33.
Le nouveau cadre réglementaire REACH
La directive REACH, entrée en vigueur le 1er juin 2007
et fondée sur le principe de précaution34 consiste en un
contrôle cette fois de l’accès de toutes les substances
chimiques sur le marché. Toutes les activités des en-
treprises impliquant la production ou l’importation d’une
tonne ou plus d’une substance chimique par an sont
ainsi concernées par l’enregistrement. Les procédures
d’autorisation et de restriction s’appliquent en revanche
à toute substance jugée dangereuse, sans limite de
tonnage.
Bien que REACH permette une harmonisation des ré-
glementations existantes au niveau européen (et ainsi
élimine certaines incohérences des réglementations
antérieures), cette nouvelle réglementation présente
ses propres effets néfastes sur l’innovation.
1) REACH supprime le régime allégé concernantles substances commercialisées avant 1981
L’option qui permettait aux entreprises innovantes eu-
ropéennes de se rabattre sur les anciennes subs-
tances, se referme.
Environ 30 000 substances chimiques commercialisés
avant 1981 et actuellement autorisées et utilisées (par
exemple des acides, des métaux, des solvants, des
tensioactifs et des colles) devront être enregistrées par
des dizaines de milliers de fabricants ou d’importateurs
constituant, selon les estimations, plus de 180 000 dos-
siers. Des entreprises de secteurs très divers ont déjà
été appelées à un « enregistrement préalable » de
leurs substances chimiques auprès de l’Agence euro-
péenne des produits chimiques (ECHA) entre le 1er juin
2008 et le 1er décembre 2008. Une deuxième phase est
ensuite prévue impliquant l’enregistrement à propre-
ment parler des substances.
2) REACH est une source nouvelle de risqueet d’incertitude
Ainsi, si une entreprise manque le délai prévu pour l’en-
registrement préalable, elle ne pourra tout simplement
plus commercialiser, produire ou importer son produit
jusqu’à son enregistrement complet. Comme toute nou-
velle réglementation d’une telle envergure, REACH a
d’ores et déjà créé une incertitude réglementaire sup-
plémentaire pour des entreprises de secteurs très dif-
férents et pas seulement pour l’industrie chimique
stricto sensu car REACH s’applique à toute substance
chimique, qu’elle soit dangereuse ou pas.
En dépit des campagnes d’information, les craintes que
certaines entreprises, y compris celle qui innovent dans
des secteurs connexes de l’industrie chimique, ne
soient pas au courant de leurs nouvelles obligations
sont bien présentes35. Les PME – notamment celles qui
n’appartiennent pas au secteur chimique mais qui se-
ront néanmoins soumises à ses nouvelles obligations –
auront indiscutablement plus de mal à faire face à ce
risque d’incertitude réglementaire. La nouvelle régle-
mentation impose ainsi de nouveaux coûts d’informa-
tion et de mise en conformité pour la commercialisation
des substances chimiques en Europe.
En plus des ressources en temps et en main-d’oeuvre
nécessaires pour s’informer et se conformer aux obli-
gations de l’enregistrement, il faudra également par la
suite payer les coûts à proprement parler de l’autorisa-
tion de commercialiser les produits chimiques en Eu-
rope. Selon les cas, ceux-là peuvent se monter jusqu’à
50 000 euros notamment pour les produits jugés à haut
risque36. L’ensemble de ces ressources est ainsi rendu
indisponible pour mieux satisfaire les consommateurs
et innover davantage.
Face à REACH et à ses coûts supplémentaires, cer-
taines entreprises peuvent décider de ne plus produire
ou de ne plus importer certaines substances si cela de-
vient non rentable. Une telle situation affectera non
seulement les fabricants ou les entreprises importa-
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 14
33. Ibid., p. 9.
34. Voir entre autres la présentation sur le site du Parlement européen : http://www.europarl.europa.eu/oeil/file.jsp?id=237952&language=fr.
35. Voir par exemple l’article d’Euractiv, intitulé « La Commission alerte les entreprises avant la deuxième phase de REACH », 16 avril 2008, disponible
à : http://www.euractiv.fr/marche-interieur-entreprises/article/commission-alerte-entreprises-avant-deuxime-phase-reach-000799.
36. La procédure prévoit différentes modalités et des exemptions possibles, voir Euractiv, « La Commission fixe les coûts d’enregistrement des produits
chimiques », 11 novembre 2007, disponible à :
http://www.euractiv.fr/marche-interieur-entreprises/article/commission-fixe-couts-enregistrement-produits-chimiques-00461.
trices mais aussi toutes les entreprises en aval qui se-ront obligées soit de trouver un substitut moins inté-ressant d’un point de vue économique, soit délocaliserune partie de leur production en dehors de l’UE37. Infine, ce sont les consommateurs des produits concer-nés qui risquent de devoir payer plus cher.
3) Effets de REACH sur les nouvelles substanceset l’innovation
Les coûts les plus importants de la mise en place deREACH38 sont ceux qui pèseront sur l’innovation, àl’image de la réglementation qui existait déjà aupara-vant. Les obstacles qui pesaient sur les nouvelles subs-tances avant REACH sont actuellement étendus àtoutes les substances.
L’approche de REACH tout d’abord est hostile à l’inno-vation parce qu’il est impossible de prouver qu’unesubstance est sans aucun danger et qu’elle est sûre à100 %. Ainsi, même après des tests et des études coû-teux, il sera impossible aux entreprises innovantes deprouver l’absence absolue de risques liés à leurs nou-veaux produits.
Ensuite, REACH se focalise avant tout sur les risquesdes substances chimiques. Un biais réel est ainsi pré-sent, similaire à celui présent au sein des agencesd’approbation des nouveaux médicaments, qui tend àsous estimer les bénéfices des nouvelles substances.Dans le doute de l’existence d’un risque, les fonction-naires auront toutes les incitations à interdire au lieud’autoriser une nouvelle substance, en dépit du fait queleurs bénéfices potentiels puissent être jugés plus éle-vés que les risques liés à leur mise sur le marché.
En conclusion, le « précautionnisme » – qu’il soit ap-pliqué dans le domaine pharmaceutique ou dans celuides substances chimiques – se focalise sur l’existenced’un risque potentiel d’une innovation et sous-estimeou ignore systématiquement les bénéfices qu’une telleinnovation peut procurer aux consommateurs. En in-versant la charge de la preuve, il met sur les épaulesdes entreprises innovantes un fardeau bien plus im-portant que celui dicté par la prudence et le respect desdroits de propriété dans une économie de marché. L’ar-bitraire pour autoriser, ou pas, une nouvelle technologieou un nouveau produit, dès qu’un soupçon de risqueest mis en avant par n’importe quel groupe de pression,aboutit à rendre la tâche des entreprises innovantesplus difficile.
Au-delà des obstacles réglementaires empêchant lelibre accès au marché des produits innovants, d’autresobstacles ont également été mis en place après leurcommercialisation.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 15
37. Pour des exemples concrets d’impact de REACH sur plusieurs secteurs d’activité en aval, voir l’étude du cabinet de consultants Mercier Manage-ment Consulting pour le compte de l’Union des industries chimiques en France, intitulé « Étude d'impact de la future politique dans le domaine dessubstances chimiques », avril 2004.38. Pour les seuls coûts d’enregistrement prévus par REACH, les estimations varient de manière significative. Pour une revue de la littérature, voir Angela Logomasini, 2005, Op. cit., p. 26-35.
« Les coûts, liés aux testspour fournir les données
exigées, peuvent non seulement être élevés, mais aussi être source d’incertitude, se situant dans des fourchettes
extrêmement larges. »
3. UNE SUR-RÉGLEMENTATION DES ENTREPRISES INNOVANTES ET DE LEURS PRODUITS, UNE FOIS COMMERCIALISÉS
Ces réglementations tantôt affectent les conditions decommercialisation des produits innovants notammentdans le domaine de la santé (3.1), tantôt pénalisent lesentreprises innovantes, jugées en « position domi-nante » par les autorités anti-trust (3.2).
3. 1. LA MAÎTRISE PUBLIQUE DES DÉPENSESDE SANTÉ : UN « FREIN » À L’INNOVATION
Dans leurs efforts pour fournir une « protection so-ciale », les pouvoirs publics d’un certain nombre depays en Europe et ailleurs ont mis en place des ré-gimes obligatoires d’« assurance maladie » visant à of-frir une couverture universelle et des soinsquasi-gratuits à leurs populations.
Cependant, ces régimes d’assurance maladie sont de-venus une source incontrôlable de dépenses pu-bliques. Plutôt que de redonner le choix aux assurésde financer l’assurance qui correspond le mieux à leurpréférence face à la croissance de ces dépenses, lesgouvernements ont décidé de mettre en place touteune série de politiques pour essayer de contenir artifi-ciellement les coûts des systèmes de santé.
Ces politiques de maîtrise publique des dépenses desanté peuvent prendre des formes fort diverses, no-tamment en ce qui concerne les dépenses pharma-ceutiques qui restent une cible privilégiée. Il s’agit depolitiques comme les contrôles des prix des médica-ments ou une bureaucratisation croissante de leur uti-lisation. Toutes ces politiques ne sont pas neutres etont un impact négatif sur l’innovation dans ce secteur.
La pression publique sur les prix, défavorable à l’innovation
Les gouvernements et les pouvoirs publics de la plu-part des pays de l’OCDE utilisent différentes pratiquespour influencer à la baisse les prix des services médi-caux et des soins de santé. Certains pays, à l’imagedes Pays-Bas mettent en place un prix maximum au-
quel un médicament peut être vendu. Dans d’autrespays, dont la France, les prix sont déterminés au coursde négociations entre les pouvoirs publics en situationde force et les fabricants de nouveaux médicaments.Ailleurs, comme au Royaume-Uni, le gouvernementexerce un contrôle sur les profits des compagnies phar-maceutiques39.
Ces contrôles portent en général sur les prix de lance-ment des nouveaux médicaments mais aussi sur lespossibilités d'augmenter, ou pas, ces prix. Leur consé-quence inévitable est de pousser les prix à des niveauxinférieurs à ce qu’ils auraient été autrement.
Mais en l’absence de pénuries de médicaments en Eu-rope, des prix plus bas ne profitent-ils pas cependantaux patients sans avoir d’impacts négatifs?
Il est vrai que de telles politiques assurent un accès àmoindre coût aux produits déjà mis au point et com-mercialisés. Le fait est qu’une fois que des investisse-ments ont été réalisés pour innover, faire les testsnécessaires, obtenir l’approbation des autorités et com-mercialiser une nouvelle molécule, il reste dans l’inté-rêt des entreprises innovantes de vendre leurs produitsaux prix contrôlés. Il est ainsi plutôt rare de voir une pé-nurie de médicaments déjà commercialisés dans lespays européens en dépit des contrôles de prix plus oumoins stricts des produits pharmaceutiques qui y sontpratiqués.
Il est cependant illusoire de penser que des marges deprofits réduites, des rentrées financières moindres etsurtout le spectre de contrôles de prix de plus en plusétendus – y compris sur des marchés comme celui auxÉtats-Unis – n’ont pas d’impact sur la R&D et sur l’in-novation de demain.
La perspective de voir les prix de ses futurs produitssoumis à des contrôles de plus en plus stricts et de de-voir négocier les prix avec des administrations dont lapriorité est la maîtrise comptable des coûts, est unrisque supplémentaire important. Il contribue inévita-blement à augmenter l’incertitude qui entoure l’innova-tion et l'intérêt de poursuivre cette dernière s'en trouveforcément diminué.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 16
39. Pour une revue des différentes pratiques de contrôles des prix en Europe, voir Monique Mrazek et Elias Mossialos, « Regulating pharmaceuticalprices in the European Union », European Observatory of Health, 2004, p. 114-129, disponible à :http://www.euro.who.int/observatory/Publications/20040527_2? language=French. Voir aussi Jaime Espín et Joan Rovira, « Analysis of differences and commonalities in pricing and reimbursement systems in Europe », rapport final,Pharmaceutical Forum, Union européenne, juin 2007, disponible à :http://ec.europa.eu/enterprise/phabiocom/docs/study_pricing_2007/andalusian_school_public_health_report_pricing_2007_incl_annexes.pdf.
In fine, étant donné que le risqueest plus élevé et les opportunitésde profit davantage réduites quecela n’aurait été le cas en l’ab-sence de ces contrôles, il y a re-lativement moins d’incitation à yinvestir des ressources en R&D.Contrairement aux intentions affi-chées, cela risque de se solderpar moins d’innovation en ma-tière de santé.
Ces politiques d’encadrementdes prix en Europe ont sansdoute contribué à limiter les in-vestissements en R&D des labo-ratoires européens et à diminuerle nombre de nouvelles molé-cules qu’elles ont lancées40. Cenombre a été divisé par deux,passant en moyenne de 97 molé-cules entre 1988 et 1992 à48 entre 2003 et 2007 (voir Fi-gure 3).
Ces effets pénalisants pour l’innovation risquent d'êtred'autant plus importants que l'Europe reste un marchépharmaceutique important dans le monde. Lescontrôles de prix dans la plupart des pays membres del’UE risquent donc d'avoir un impact sur l'innovationmondiale dans ce domaine.
De tels contrôles de prix semblent aussi être à l'origined'une réorientation de la R&D de l'Europe vers lesÉtats-Unis où les prix sont moins réglementés. C'estainsi que les instances européennes constatent qu’ilexiste une avance des États-Unis par rapport à l’Eu-rope dans ce domaine41.
Par ailleurs, l’accès des patients européens à certainsnouveaux médicaments pourrait bien parfois être re-tardé du fait des réglementations supplémentaires entermes de contrôles des prix en Europe. Selon l'éco-nomiste Kenneth Kaitin, « [l]es investisseurs tendent àinvestir là où il y a moins de contrôle des prix, et il est
toujours plus intéressant de faire les essais cliniquesdans les pays où on compte commercialiser ses pro-duits »42. Ainsi, la proximité du marché national où l'in-novation a lieu pourrait donner un avantage auxpatients dans ce pays par une approbation plus précoce. En dépit des délais d'approbation similairesen Europe et aux États-Unis, une étude réalisée par cetéconomiste portant sur 71 médicaments commerciali-sés entre 2000 et 2005, constate que 73 % (soit 52 mé-dicaments) ont d'abord été approuvés aux États-Unisavant de l'être en Europe43.
Il n'est pas du ressort des pouvoirs publics de garantirles profits de l'industrie pharmaceutique. Cependant,les politiques de contrôles des prix se dressent commeun obstacle décourageant les entreprises à proposerleurs innovations pharmaceutiques et médicales à despatients susceptibles de vouloir payer le coût supplé-mentaire pour améliorer leur état de santé.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 17
40. Voir à ce sujet Joseph Golec et John Vernon, « European Pharmaceutical Price Regulation, Firm Profitability, and R&D Spending », document detravail, août 2006, disponible à : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=932989#PaperDownload.41. Voir Peter Mitchell, 2007, Op. cit., p. 297. Voir aussi sur ce sujet Alfonso Gambardella, Luigi Orsenigo et Fabio Pammolli, « Global competitivenessin pharmaceuticals, A European perspective », rapport préparé pour la Commission européenne, novembre 2000, disponible à : http://ec.europa.eu/enterprise/library/enterprise-papers/pdf/enterprise_paper_01_2001.pdf. 42. Cité par Peter Mitchell, 2007, Op. cit. Voir aussi Laura Faden et Kenneth I. Kaitin, « Assessing the Performance of the EMEA's Centralized Proce-dure: A Comparative Analysis with the US FDA », Drug Information Journal, vol. 42, no 1, 2008, p. 45-56.43. Faden et Kaitin, 2008, Op. cit.
Source : SCRIP-EFPIA, in « The Pharmaceutical Industry in Figures », European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations, 2008, p. 24, disponible à : http://www.efpia.eu/Content/Default.asp?PageID=559&DocID=4883.
97
52
90
66 6877
48
66
0
20
40
60
80
100
1988-1992 1993-1997 1998-2002 2003-2007
nombre de nouvelles molécules lancées (selon la
nationalité de la compagnie-mère)
Europe
Etats-Unis
Figure 3 : Nombre de nouvelles molécules lancées
par les laboratoires européens et américains (1988-2007)
Bureaucratisation croissante dans l’utilisation des médicaments
La politique de maîtrise publique des dépenses de
santé ne se limite cependant pas aux seuls contrôles
de prix. Dans plusieurs pays dont la France, l'Alle-
magne ou les Pays-Bas, son impact global est plus
subtil et plus difficile à appréhender parce que lié à des
politiques spécifiques de remboursement et d’utilisation
des médicaments. Tout comme les contrôles de prix,
ces restrictions empêchent de recouvrer les investis-
sements en R&D et pénalisent l’innovation.
Tout d’abord, les pouvoirs publics peuvent soumettre
plus souvent le remboursement des médicaments à
des conditions – incluant une autorisation préalable,
des restrictions d'indication et des plafonds quantitatifs
– dont l'objectif est de limiter les dépenses et donc l'uti-
lisation des médicaments44.
Ensuite, les pouvoirs publics dans certains pays utili-
sent aussi le système de remboursement (politiques de
« prix de référence » ou de substitution thérapeu-
tique45) pour inciter les patients à changer de thérapie
et les médecins à prescrire des médicaments moins
chers. De telles politiques sont imposées alors que ces
médicaments ont parfois été lancés plusieurs dizaines
d'années auparavant, sont chimiquement différents et
peuvent être moins efficaces ou avoir des effets se-
condaires plus importants dans le cas individuel des
patients.
Une pression supplémentaire est ainsi exercée par les
pouvoirs publics pour limiter l’utilisation de médica-
ments dont l’innovation n’est pas jugée suffisamment
importante, même si les patients, s’ils avaient le choix,
auraient pu en décider différemment. Cela est source
d’incertitudes supplémentaires, à savoir qu’un médica-
ment peut être la cible de telles politiques, affectant
ainsi les recettes des entreprises innovantes et leurs
capacités d’investir pour l’innovation de demain.
Enfin, les politiques de maîtrise des dépenses de santé
ont également instauré un contrôle quantitatif de plus
en plus important des pratiques de prescription des mé-
decins. Des objectifs comptables de volume des médi-
caments prescrits sont imposés par les régimes
monopolistiques d’assurance maladie que ce soit en
Allemagne ou en France, entre autres.
Ainsi, en France, les objectifs pour 2008 par rapport à
2007 incluent, par exemple :
– des objectifs de baisse de 5 % des montants de
la prescription d’antibiotiques ;
– une stabilisation des montants de prescriptions
de statines ;
– une baisse de 5 % des montants de prescrip-
tions d’anxiolytiques et d’hypnotiques ;
– une baisse de 2 % des montants tendanciels
2008 des prescriptions d'antihypertenseurs ;
– une baisse de 5 % des volumes de prescription
des inhibiteurs de la pompe à protons, etc.46
Toutes ces politiques introduisent un biais dangereux
où les médecins peuvent être poussés à privilégier la
baisse comptable des coûts de l’assurance maladie
obligatoire aux dépens de la santé de leurs patients.
En conclusion, toutes ces politiques de maîtrise comp-
table des coûts présentent des effets pervers en termes
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 18
44. Selon le rapport du Tufts Center for the Study of Drug Development, « Outlook 2007 », p. 5, disponible à :
http://csdd.tufts.edu/InfoServices/OutlookPDFs/Outlook2007.pdf, les 100 médicaments les plus vendus au monde ont été davantage soumis à de telles
conditions dans plusieurs pays dont la France, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas entre 2002 et 2005.
45. Voir Valentin Petkantchin, « Les effets économiques de la politique des “prix de référence” des médicaments en Allemagne », Cahier de recherche,
Institut économique Molinari, décembre 2006, disponible à : http://www.institutmolinari.org/pubs/germanreferencepricingfr.pdf. Voir aussi du même au-
teur, « Les risques des politiques de substitution thérapeutique de médicaments », Note économique, Institut économique Molinari, 2007, disponible à :
http://www.institutmolinari.org/pubs/note20077fr.pdf.
46. Voir le dossier « Maîtrise médicalisée : va-t-on trop loin? », Panorama du médecin, 18 juin 2007, p. 20-24.
« Il n'est pas du ressort des pou-
voirs publics de garantir les profits
de l'industrie pharmaceutique.
Cependant, les politiques de
contrôles des prix se dressent
comme un obstacle décourageant
les entreprises à proposer leurs
innovations pharmaceutiques et
médicales à des patients suscep-
tibles de vouloir payer le coût
supplémentaire pour améliorer
leur état de santé. »
d’innovation. Alors que les préférences des consom-
mateurs auraient pu être de payer plus pour les médi-
caments actuels permettant de financer la mise au
point de nouveaux produits, les pouvoirs publics déci-
dent à leur place ce qui est un traitement innovant et
ce qui ne l’est pas, affectant inévitablement l’innova-
tion. En ajoutant une incertitude supplémentaire
concernant les conditions de commercialisation et d'uti-
lisation des nouveaux traitements, les politiques de
maîtrise publique des dépenses de santé pénalisent
l'innovation future.
3. 2. LES ENTREPRISES INNOVANTESPÉNALISÉES PAR LA POLITIQUE ANTI-TRUST
Quand les innovations ont réussi à surmonter les obs-
tacles de plus en plus nombreux précédant leur com-
mercialisation, les entreprises qui les offrent, tous
secteurs confondus, ne sont toujours pas à l’abri d’un
autre arbitraire réglementaire lié cette fois à des poli-
tiques anti-trust qui ignorent le rôle de l’innovation dans
le processus de concurrence.
Grâce à leur caractère novateur et à une meilleure sa-
tisfaction des consommateurs, les entreprises inno-
vantes sont plébiscitées par ces derniers et peuvent
ainsi atteindre une « position dominante ». La politique
anti-trust européenne – à l’image de celle dans d’au-
tres pays – prévoit plusieurs restrictions à l’égard de
ces entreprises. Celles-ci sont ainsi soumises à un
risque et à une incertitude supplémentaires qui pénali-
sent davantage encore leurs activités et leurs pratiques
d’affaires. Des sanctions et des restrictions viennent infine affecter leurs profits et diminuer ainsi les incitations
à innover.
Une politique qui ignore le rôle de l’innovation
La politique des autorités anti-trust repose sur une vi-
sion statique de la concurrence en termes de « parts
de marché » et d'entreprises « dominantes » dont
l’idéal serait une situation de « concurrence pure et par-
faite », i.e. une situation hypothétique caractérisée,
entre autres, par un nombre élevé de fournisseurs pour
chaque produit donné.
Poursuivant cet idéal, cette politique devient source
d’arbitraire parce que les concepts sur lesquels elle re-
pose sont incohérents et incapables de tenir compte
des forces concurrentielles sur le marché et du rôle de
l’innovation dans l’économie.
Premièrement, pour arriver à prouver la domination sur
un marché, les autorités anti-trust subdivisent artificiel-
lement le marché en sous niches afin de trouver une
entreprise qui s’y retrouverait seule ou qui y détiendrait
la majorité des ventes.
Il s’agit cependant d’une subdivision arbitraire. Parfois
des entreprises sont accusées d’être « dominantes »
dans des niches qui ont été créées par leurs propres
efforts d’innovation. C’est ainsi par exemple que le fa-
bricant de la poupée Barbie – dont l’innovation au ni-
veau du produit et au niveau commercial a de factopermis le développement de la niche pour ce type de
poupées « mannequins »47 – s’est retrouvé accusé en
France de « quasi-monopole » et sanctionné en consé-
quence. Microsoft – qui avec la mise au point de son
Windows a également bouleversé les systèmes d’ex-
ploitation pour PC, les rendant beaucoup plus accessi-
bles et conviviaux pour les consommateurs – a été
condamné à des amendes record, en raison de la si-
tuation de « domination » ainsi créée.
Qu’il s’agisse de la niche des poupées « mannequins »
comme dans le cas de Barbie ou qu’il s’agisse de celle
des systèmes d’exploitation, la subdivision opérée par
les autorités anti-trust est sans fondement économique.
Les niches ne sont pas « gravées dans le marbre » et
le rôle de l’innovation et de la concurrence est juste-
ment d’en créer de nouvelles et de changer sans cesse
les frontières des niches existantes. Dans les faits, les
contours des différents secteurs évoluent sans cesse,
notamment sous la pression de la concurrence et du
progrès technologique.
Deuxièmement, le fait qu'une entreprise détienne la
majorité des « parts de marché », voire se retrouve
seule dans un créneau, ne signifie pas que la concur-
rence soit automatiquement inexistante et qu’il faille
une intervention des autorités anti-trust48.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 19
47. Selon les propres dires de l’autorité de concurrence, « la poupée Barbie a révolutionné le monde des jouets pour petites filles », voir Conseil de la
concurrence, Décision no 99-D-45 du 30 juin 1999 relative à des pratiques constatées dans le secteur du jouet, 11 décembre 1999, p. 4, disponible à :
http://www.conseil-concurrence.fr/pdf/avis/99d45.pdf.
48. Voir Valentin Petkantchin, « La présence d'un producteur unique signifie-t-elle automatiquement absence de concurrence et nécessité d'intervention
des autorités anti-trust? », Note économique, Institut économique Molinari, septembre 2007, disponible à :
http://www.institutmolinari.org/pubs/note20076fr.pdf.
Ainsi l’innovation dans des secteurs connexes est ré-
gulièrement ignorée par les autorités anti-trust alors
que le rôle qu’elle joue a pour conséquence d’intensi-
fier la concurrence réelle et de proposer aux consom-
mateurs des choix inexistants jusque-là.
Google, leader de la publicité sur Internet, s’est ainsi
par exemple lancé dans une offre de logiciels de bu-
reautique et de logiciels Internet qui concurrence di-
rectement l’offre de Microsoft49.
Ce type de concurrence que Google ou d’autres com-
pagnies, comme Intel (voir ci-des-
sous), sont en mesure de livrer à
Microsoft échappe complètement à la
vision des autorités anti-trust. Elle a
été ignorée dans le cas qui a opposé
la Commission européenne au géant
américain.
Le cadre et les prémisses de la
concurrence « pure et parfaite » sur
lesquels est basée la politique anti-
trust ignorent l’activité entrepreneu-
riale, la prise de risque et l’innovation.
Or, ce sont autant d’éléments qui
poussent les entreprises à faire mieux
que leurs concurrents et à innover en
améliorant le service rendu aux
consommateurs !
Les entreprises innovantes considérées comme« dominantes »
Les entreprises innovantes sont celles qui gagnent sou-
vent des parts de marché et deviennent soient domi-
nantes, soit seules dans leur créneau.
En effet, en étant la plus efficace et la plus innovante
avec le lancement d’un nouveau produit ou d’une nou-
velle technologie, une entreprise est naturellement sus-
ceptible de devenir le fournisseur préféré ou unique
d’un grand nombre de clients, que ce client soit une en-
treprise en aval ou le consommateur final sur le mar-
ché.
Anticipant des sanctions et des restrictions anti-trust,
les entreprises sont amenées à limiter leurs efforts et
leurs ressources consacrées à l’innovation. La menace
d’être cataloguée en « position dominante » par les au-
torités anti-trust réduit l’intérêt de rester ou de devenir
une entreprise innovante.
Les exemples où des entreprises innovantes ont été la
cible des autorités anti-trust parce qu’estimées « domi-
nantes », ne manquent pas. Dans le secteur informa-
tique, il y a Microsoft, mentionné ci-dessus, qui s’est
ainsi vu imposer des amendes record dans l’histoire de
l’anti-trust en Europe.
Intel, leader des micro-
processeurs dans le
monde, est aussi dans le
collimateur des bureau-
crates anti-trust50.
Les compagnies de télé-
coms sont devenues des
cibles privilégiées alors
que l’innovation a boule-
versé ce secteur depuis
la fin de l’époque des
monopoles protégés da-
tant des années 1990.
En dépit des pressions
concurrentielles qui vien-
nent de secteurs
connexes comme la câ-
blodistribution ou des télécommunications sans fils (no-
tamment avec le WiMax), leurs projets de déploiement
de la fibre optique et d’Internet très haut débit sont me-
nacés en Europe par la séparation fonctionnelle dont
l’objectif est justement d’éliminer leur « position domi-
nante »51. Le risque d’une telle politique, comme c’est
le cas au Royaume-Uni, est de tuer toute incitation d’in-
vestir dans l’innovation de la nouvelle fibre optique et
les réseaux de demain !
Enfin les laboratoires pharmaceutiques, selon les dé-
clarations du commissaire européen à la concurrence
Neelie Kroes, seront la prochaine cible des autorités
anti-trust européennes52.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 20
49. Voir, entre autres, Cécile Philippe, « La concurrence que les autorités ne voient pas », Le Temps, 5 mars 2008 disponible à :
http://www.institutmolinari.org/editos/20080311.htm.
50. Voir Cécile Philippe, « AMD-Intel: Are price cuts anticompetitive? », Wall Street Journal, 1er mars 2007, disponible à :
http://www.institutmolinari.org/editos/20070328.htm.
51. Voir Martin Masse, « Télécommunications : la séparation fonctionnelle, un remède pire que le mal », Note économique, Institut économique Moli-
nari, mai 2008, disponible à : http://www.institutmolinari.org/pubs/note20082fr.pdf.
52. Voir, entre autres, son discours devant le Comité des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, prononcé le 26 mars 2008, dis-
ponible à : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=SPEECH/08/152&format=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en.
« Sans tenir compte de
l’origine de la “dominance”
des entreprises – qui peut
naturellement provenir des
efforts d’innovation – la
politique anti-trust, par sa
simple présence et par les
restrictions qu’elle leur
impose, est un frein
indiscutable à l’investissement
pour innover et pour faire
mieux que ses concurrents. »
En réalité, une grande partie des entreprises qui in-
vestissent le plus dans le monde (voir Figure 4 ci-des-
sous) ont été, sont, ou seront susceptibles de devenir
la cible de la politique anti-trust à cause de leur position
présumée « dominante » dans une niche du marché.
Les restrictions imposées aux entreprises innovantes
Dès qu’une entreprise est présumée « dominante » ou
seule dans un créneau, elle est soumise à de nom-
breuses restrictions. Elle n’est plus en mesure de pro-
poser les prix ou les rabais qu’elle souhaiterait, ni les
contrats qu’elle voudrait passer avec ses clients. Ses
projets de fusion sont strictement contrôlés et le risque
que les autorités anti-trust les interdisent est plus élevé.
En contrôlant les pratiques des entreprises « domi-
nantes », les autorités anti-trust augmentent les coûts
pour innover et rivaliser avec leurs concurrents. Elles
obligent donc les entreprises innovantes à supporter –
en plus des risques commerciaux et d’innovation tech-
nologique inhérents à leurs activités – un climat d’in-
certitude permanent et à détourner une partie de leurs
ressources pour y faire face.
Alors que les différentes niches et secteurs sur le mar-
ché sont interconnectés quand il n’y pas de barrières
réglementaires à l’entrée, une entreprise qui est jugée
dominante dans un secteur sera d’autant plus réticente
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 21
0 1 000 2 000 3 000 4 000 5 000 6 000
Honda Motor
AstraZeneca
Matsushita Electric
Robert Bosch
IBM
Intel
Novartis
GlaxoSmithKline
Samsung Electronics
Sanofi-Aventis
Daimler
Volkswagen
Roche
Ford Motor
Johnson & Johnson
Nokia
Toyota Motor
Pfizer
General Motors
Microsoft
millions d'euros
Figure 4: Les 20 compagnies ayant investi
le plus au monde en R&D en 2007
Source: Commission européenne.
à s’attaquer à de nouvelles niches, qu’elle fait proba-blement déjà partie des cibles des autorités anti-trust.Ainsi, on a reproché à Microsoft de s’attaquer aux dif-férentes niches des logiciels multimédia, des logicielsde bureautique ou encore, récemment, de navigationsur Internet (plainte en cours contre Microsoft par lefournisseur du navigateur concurrent Opéra)53. Dansces conditions de suspicion généralisée, des entre-prises innovantes jugées disposer d’une position do-minante dans un secteur hésiteront à innover dansd’autres secteurs, au risque d’y devenir dominanteaussi et d’être sanctionnée en conséquence.
Par exemple, alors qu’Intel a montré des intérêts dansle domaine des systèmes d’exploitation (coopérationen 2007 avec l’entreprise Red Hat spécialisée dans lesystème d’exploitation Linux), la politique anti-trustpousse cette compagnie à s’abstenir de poursuivrepleinement ses projets éventuels d’investissement etd’innovation dans le domaine des logiciels, y comprisdans celui des systèmes d’exploitation, occupé large-ment par Microsoft aujourd’hui. La Commission n’a-t-elle pas déjà en ligne de mire Intel54 à cause d’unprésumé « abus de position dominante » car cette en-treprise détiendrait 80 % des parts sur le marché desprocesseurs au monde ?
De même, les simples menaces de poursuites anti-trustpeuvent influencer les décisions des entreprises de fu-sionner ou pas. Au-delà des amendes à payer, ces po-litiques rajoutent une incertitude supplémentaire etpoussent les entreprises à consacrer une part de leursressources à des efforts de lobbying. Ces ressourcessont au fond dépensées pour s’assurer le feu vert desautorités anti-trust. Elles ne sont pas disponibles pourinnover davantage et pour mieux satisfaire les consom-mateurs.
Google aurait ainsi dépensé plus de 2,1 millions de dol-lars entre 2007 et début 2008 pour faire du lobbying,dont une partie importante a été consacrée à s’assurer
que son rachat de la compagnie DoubleClick ne tom-bera pas sous la sanction des autorités anti-trust55. Ils’agit de ressources dont l’utilisation est directementimputable à l’existence de la réglementation anti-trustaux États-Unis et en Europe. De même, les législationsanti-trust américaine et européenne avaient été pres-senties comme un obstacle majeur au rapprochemententre Google et Yahoo56.
La politique anti-trust est susceptible d’être un obsta-cle redoutable à une coopération possible entre entre-prises déjà jugées « dominantes ». Ainsi, par exemple,en dépit des bénéfices pour les consommateurs quipourraient découler d’une telle coopération, des projetscommuns entre Intel et Microsoft57, chacun jugécomme « dominant » dans son domaine, pourrait éga-lement être vus d’un mauvais oeil par les bureaucratesanti-trust.
Sans tenir compte de l’origine de la « dominance » desentreprises – qui peut naturellement provenir des ef-forts d’innovation – la politique anti-trust, par sa simpleprésence et par les restrictions qu’elle leur impose, estun frein indiscutable à l’investissement pour innover etpour faire mieux que ses concurrents.
Le fait de s’attaquer en 2008 aux entreprises du secteurpharmaceutique signifie que l’innovation pharmaceu-tique risque encore une fois de se trouver pénalisée. Sion tient compte du rôle que joue l’innovation dans cesecteur, il est à craindre qu’il ne s’agisse là d’une ré-glementation de plus qui pénalisera les entreprises in-novantes dont nous attendons pourtant les remèdespour les maladies d’aujourd’hui et de demain.
Afin de retrouver un environnement plus favorable àl’innovation, il est primordial de repenser la concur-rence comme processus dynamique où il n’y a pas d’in-terdictions légales à l’entrée. Ce n’est cependant pas latendance des politiques anti-trust actuelles aussi biendans l’UE que dans le monde.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 22
53. Voir le communiqué de presse de la Commission européenne en date du 14 janvier 2008, disponible à : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/08/19.54. Voir le communiqué de la Commission européenne, « Competition: Commission confirms sending of Statement of Objections to Intel », 27 juillet2007, disponible à : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/07/314. Un supplément d’objections a été adressé par la Com-mission européenne à Intel, le 17 juillet 2008, disponible à : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/08/517&format=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=fr.55. Dont 1,5 million en 2007 et 620 000 de dollars au premier trimestre de 2008. Voir la dépêche d’Associated Press, « Google lobbied on DoubleClickpurchase », 28 mars 2008, disponible à : http://uk.biz.yahoo.com/28032008/323/google-lobbied-doubleclick-purchase.html, ainsi que le site du Sénataméricain où ces dépenses sont officiellement déclarées pour 2007 et 2008 : http://www.senate.gov/legislative/Public_Disclosure/LDA_reports.htm. 56. Voir la dépêche de Reuters, intitulée « Yahoo-Google antitrust bar higher than Microsoft », The Financial Express, 14 avril 2008, disponible à :http://www.financialexpress.com/news/YahooGoogle-antitrust-bar-higher-than-Micorsoft/296605/. 57. Sur un tel projet de collaboration entre les deux géants, voir John Markoff, « Industry Giants Try to Break Computing's Dead End », New YorkTimes, 19 mars 2008.
CONCLUSION
Il ne faut pas ignorer les risques inhérents à l’innova-tion. Ces risques signifient que les entreprises qui in-vestissent pour innover peuvent réaliser des pertes,voire disparaître, si elles ont pris de mauvaises déci-sions et si leurs nouveaux produits ne rencontrent pasde succès sur le marché. Les entreprises sont par ail-leurs naturellement poussées à la prudence dans lamise en place de leurs innovations, quand les droits depropriété d’autrui sont respectés.
Cependant, au lieu d’assurer le respect des droits depropriété quand il fait défaut, les pouvoirs publics enEurope multiplient les réglementations et les interdic-tions qui ont un impact négatif sur l’innovation. À l’exis-tence des risques et des incertitudes naturels liés auxactivités novatrices, les pouvoirs publics ont ainsi ra-jouté des législations qui pénalisent indirectement l’in-novation sans que leurs conséquences soientcomprises par les consommateurs ou par le grand pu-blic.
Des obstacles réglementaires – inspirés par le principede précaution – empêchent ainsi le libre accès au mar-ché de plusieurs produits innovants que ce soit dans ledomaine de la santé ou de l’industrie chimique.
Les entreprises innovantes doivent surmonter aussid’autres obstacles réglementaires, une fois que leursproduits ont été autorisés à la commercialisation. Ainsi,leurs prix ou conditions d’utilisation peuvent être contrô-lés, à l’image des innovations en santé. Les politiquesde maîtrise publique des dépenses de santé décrétéespar les gouvernements ont ainsi un impact négatif surles incitations à proposer des nouveaux traitements.Si certaines entreprises réussissent à en offrir tout demême, c’est en dépit et malgré les nombreux obstaclesque la réglementation a érigés à leur encontre.
Enfin, la politique anti-trust, mise en place sous pré-texte de protéger la concurrence, est devenue égale-ment un obstacle majeur et une source d’arbitraire quipénalise les entreprises jugées dominantes dans leurniche. Les entreprises innovantes de par leur naturetombent dans ce cas et sont souvent cataloguéescomme telles par les autorités anti-trust. Les inconvé-nients de cette politique – après l’annonce de NeelieKroes annonçant que le secteur pharmaceutique seraitla prochaine cible des autorités anti-trust européenne –se rajoutent à ceux des réglementations déjà évoquéespour les entreprises innovantes dans le domaine biopharmaceutique.
Il faut garder à l’esprit les effets néfastes pour l’innova-tion de l’ensemble de ces politiques et le fait que leursconséquencess’inscrivent dans le long terme. Car l’in-novation de demain se prépare aujourd’hui.
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 23
« Afin de retrouver unenvironnement plus
favorable à l’innovation, il est primordial de
repenser la concurrencecomme processus
dynamique où il n’y a pas d’interdictions
légales à l’entrée. »
Cahier de recherche de l’IEM
Risques et obstacles réglementaires pour les entreprises innovantes en Europe 24
Cahier de recherche préparé parValentin Petkantchin, directeurde la recherche à l'Institut Écono-mique Molinari.
Octobre 2008
Biographie : M. Petkantchin dé-tient un doctorat ès sciences éco-nomiques et est diplômé duMagistère média et formation éco-nomique de l'Université d'Aix-Mar-seille III. Entre 1996 et 2003, il aété chercheur au Centre d'analyseéconomique et a enseigné l'écono-mie à la Faculté d'économie appli-quée, ainsi qu'à la Faculté de droit,au sein de cette même université.Il compte à son actif plusieurs pu-blications scientifiques et travauxde recherche portant sur divers su-jets. De janvier 2004 à mai 2006, ila été directeur de la recherche àl'Institut économique de Montréal.Il a régulièrement été amené à in-tervenir à la TV et à la radio sur lesquestions de politiques publiquescanadiennes. Il a publié de nom-breux articles et textes d'opinionen français et en anglais dans dif-férents quotidiens aussi bien enEurope qu'en Amérique du Nord. Ila publié son premier livre sur l'his-toire de la pensée économique etl'oeuvre d'Adam Smith, intitulé Lessentiments moraux font la richessedes nations, 1996, éd. Librairie del'Université d'Aix-en-Provence. Ils'est joint à l'IEM en juin 2006.
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de l'ensemble des individuscomposant la société.
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Directrice généraleCécile Philippe
Directeur de la rechercheValentin Petkantchin
Maquette et montageGilles Guénette