histoire religieuse politique et litter a ire de la compagnie de jesus (tome 5)

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HISTOIRERELIGIEUSE, POLITIQUE ET LITTERAIRE

DE LA

COMPAGNIE DE JSUSCOMPOSEESUR L E S DOCUMENTS I N D I T S E T A U T H E N T I Q U E S

OUVRAGE ORME D E PORTRAITS E T DE

FAC-SIMILE.

TOME

CINQUIME.

BRUXELLES, SOCIT DES BONNES1845

LECTURES,

RUE DU COMMERCE, 15.

Biblio!que Saint Librehttp://www.liberius.net Bibliothque Saint Libre 2008. Toute reproduction but non lucratif est autorise.

HISTOIRERELIGIEUSE, POLITIQUE ET LITTRAIREDE LA

C O M P A G N I E DE J E S U S .

Gnral cfo la Compagnie de Jsus

DE LA

C O M P A G N I E DE J S U S .

Diffrence des missions d'Orient d'avec celles des deux Amriques. Le pre Resleau en Palestine. Rsidence Andrinople. La peste et les Jsuites. Le pre Cachod et les bagnes de Constantinople.Le pre Richard an mont Athos. Le pre Braconnier et le comte Tckli. Braconnier Thcssaloniqne. Travaux des Jsuites en Orient. -Lettre du pre Tarillon au comte de Pontohartrain. Les Jsuites et les Armniens. Les Maronites et les Coptes. Les patriarches de l'glise grecque se runissent en concile pour s'opposer aux progrs du catholicisme par les Jsuites. Assemble des Maronites dans le Liban, en faveur des missionnaires. Les pres Longeau et Pothier en Perse. Heureux effets de la mission de Perse. Thamas Kouli-Kan et le frre Bazin. Le pre Duban en Crime.Ses travaux. Le pre Sicard en Egypte. Ses courses apostoliques. Ses dcouvertes scientifiques, Sicard se dvoue pour les pestifrs du Caire. Sa mort, Les Jsuites en Abyssinie. Guerres de religion. Situation de l'Abyssinie et de l'Ethiopie. Le Sultan Se g lie d II et les catholiques. Perscution contre les Jsuites. Lettre de Sela-Christos, oncle de l'empereur, aux princes et aux peuples catholiques. Les pres firvedeut et Du Bernt. Le Thibet et les pres Dsideri et Freyrc. Leurs l'alignes et leurs dangers. Le pre Sanvitores aux les Marianncs. Son zle et son martyre. Gucrrero, archevque de Manille, retracte ses mandements contre les missionnaires de la Compagnie. L'empereur du Mogol se fait leur ennemi. Les Jsuites mdiateurs entre les marchands anglais et hollandais d'Agrah et de Surate* Les Jsuites poursuivis en Cochinchine. Ils entrent dans le royaume de Siam. Le pre Margici et le grand visir de Siam, Constance Phaulkon. Ambassade de Louis XIV Siam. Les pres dePontaney, Tachard, Bouvet, Gcrbilon, Hishde la Compdo J&ust, T . v .

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HISTOIRE Lecomtc et Visdclou. Mission religieuse et scientifique de ces pres. L'Acadmie des sciences et les Jsuites. Le roi deSiam, et ses dispositions. Rvolution Siam.Mort de Constance. Politique de Louis XIV dveloppe par les missions. lien cre Pondichry et clans l'Inrlostaii.Les Jsuites au Ma dur.Le preRcschi, grand virnmamouni. Son luxe et ses travaux. Le pre Bouchot dans les missions. Elles s'tendent partout.Les Jsuites hrahmes et pariahs. Leur plan pour runir les castes divises. Guerre des Franais et des Anglais dans l'Inde. Difficults ecclsiastiques sur les rites malabares. En quoi consistaient ces difficults. Lgation du patriarche Maillard de Tournon Pondichry. Deux Jsuites l'aident rsoudre les cas pineux. Pnible situation des Jsuites entre l'obissance au Lgat et leurs convictions sur les rites malabares. Tournon arrive en Chine. L'empereur Kang-lli protge les catholiques. Son amiti pour les Jsuites. Le pre Verbiest, prsident des mathmatiques. Le pape Clment XI et Louis XIV favorisent les missionnaires chinois. Verbicst fond des canons, par ordre de l'empereur. Les Pres franais suspects aux Portugais- Les pres Gerbillon et Pcreyra, ambassadeurs en Russie. L'empereur revt Gerbillon de son costume imprial. Les frres Rhodes et Fraperie, mdecins de KangIli. Le pre Bouvet, envoy de Chine Paris. Le pre de Goville missionnaire, et les Jsuites astronomes ou gographes* Discussions sur les crmonies chinoises. Point de dpart des deux partis. Diffrence entre les croyances des grands et du peuple en Chine. Proposition des Jsuites au Pape de s'en rapporter l'empereur. Tournon arrive Pkingpar l'entremise des Jsuites. Kang-Hi s'inquite do ce voyage et des difficults religieuses qu'il provoque.Mandement du Lgat, qui proscrit les crmonies chinoises du culte catholique. Colre de l'empereur. Tournon livr aux Portugais, ses ennemis. II est emprisonn Macao. Il meurt. Accusations contre les Jsuites. Leurs fautes et leur dsobissance aux ordres du Saint-Sige. Mort du pre Gerbillon. Le perc Parrenin. Opinion de Leibnitz sur la poliliquo des Jsuites dons l'affaire des crmonies. Commencement de la perscution.Lgation de Mer/abarha. Les Jsuites la favorisent. Le pre Laurat! facilite son arrive Pking. Mort de Kang-IIi. Yong-Tnhing, son successeur, cde la violence des mandarins et des b0n7.es contre le christianisme. Les Jsuites sont, cause de leur science, excepts des mesures de proscription. Le pre Gaubil et les enfants exposes. Jugement d'AbcI de Rcmusat sur Gaubil. Le pre Parrenin grand mandarin. Il est choisi pour mdiateur entre les Russes et les Chinois. Travaux de Bouvet, de Parrenin et do Gaubil. Les frres Cas-

DE

LA COMPAGNIE

DE JSW8.

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(iglonocl Atlirct,peintres de l'empereur. Mort de Parre. nin. Les Bulles de Benoit XIY metlenlfin aux discussions. Soumission de tous les Jsuites. Dcadence de la chrtient chinoise.

Les missions d'Orient n'offraient pas, comme celles des deux Amriques, l'attrait de la nouveaut et le contact de ces populations vierges que la voix des Jsuites entranait de la barbarie la civilisation. Dans le Levant, c'tait un monde peu peu dgrad qu'il fallait reconstituer; mais ce monde avait de vagues souvenirs de son ancienne splendeur, des prjugs enracins, qui, pour lui, remplaaient la libert et le christianisme. Sous le sabre des Ottomans, il courbait la t(c en essayant de se faire un bouclier de sa duplicit. Dans ce climat brlant, o la peste et des fivres pernicieuses semblaient se naturaliser, les Jsuites avaient poursuivi l'uvre de rparation; leur sainte opinitret triomphait la fin de l'apathie des Grecs schismatiaues et du fatalisme des Turcs. Souvent la mort interrompait leur carrire peine commence; ce trpas prmatur, loin de la patrie el de la famille, sur une terre dsole, fut un dernier stimulant pour les Pres. Dans l'anne 1675, Nicolas de Caulmont et Franois Richard expirrent pleins de jours, l'un Sade, l'autre Ngrepont. En 1684, Antoine Resleau, le missionnaire de la Palestine, prit au pied mme du Calvaire, en se dvouant pour les pestifrs. Le marquis de Chteauneuf, ambassadeur de Louis XIV, a compris quel puissant levier la religion mettait aux mains de la France dans l'Orient dgnr. Il veut le faire mouvoir, et les Jsuites, en 1680, fondent une mission Andrinople, dans la rsidence habituelle du Sultan. Les travaux et les maladies contractes au service

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HISTOIRE

des pauvres ou des esclaves curent bientt emport les disciples de l'Institut de Loyola. Un seul survivait, c'tait le pre Pierre Bernard; il disparut son tour. Les prtres armniens eurent des larmes et des prires verser pendant sept jours sur ce tombeau, puis toute la nation crivit () ses frres de Gonstantinople : Dieu soit bni, de ce qu'il a frapp notre tte et de ce qu'il nous a laisss sans yeux et sans lumire. Nous n'avions qu'un pasteur, et il a plu Dieu de nous l'enlever; nous n'avions qu'un vigneron, et nous l'avons perdu. Nous sommes des orphelins abandonns la fureur des hrtiques, contre lesquels notre ange et notre aptre, le feu pre Bernard, nous dfendait. Peut-tre les et-il convertis, s'il et vcu plus longtemps, car nul de notre nation ne pouvait rsister la douceur et la force de son zle, qui le faisait travailler infatigablement pour nous; mais il est dans le ciel et il ne nous oubliera pas. Pierre Bernard ne fut pas le dernier jsuite martyr de sa charit dans le Levant (2). C'tait un tribut que chaque anne ils payaient la mort; ce tribut n'arrta jamais leur course. Il y avait au bagne du Grand-Seigneur de nombreux chrtiens dont il fallait soutenir la foi, afin de leur rendre moins affreuse leur misrable condition. Ce fut le privilge exclusif des Jsuites, celui qu'ils rclamrent toujours avec(1) Relation adresse p . 105. (2) Dans le cimetire tumulairc qui recouvre Jsus morts au service au Clerg de France assembl en 1695 public do Constantinoplc, sur la pierre les restes des Pres del Compagnie de des pestifrs, on lit l'inscription sui-

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les plus vives instances. Dans cette enceinte, o toutes les calamits dcoulaient de la servitude, la premire de toutes, ils ne trouvaient remplir que de pnibles devoirs; ils ne se'mettaient en contact qu'avec les maux du corps et de l'me. Ils se condamnaient toutes les souffrances pour adoucir celles des esclaves; ils les suivaient dans leurs rudes travaux ou sur les galres ottomanes; ils mendiaient pour les soulager; ils mouraient pour les encourager supporter la vie. Ce dvouement tait de tous les jours et de toutes les heures; et, dans l'anne 1707, le pre Jacques Cachod, l'un de ces hros dont l'histoire ddaigne la sublimit ignore, crivait de Constantinople : Maintenant je me suis mis au-dessus de toutes les craintes que donnent les maladies conrante* qui serait beaucoup plus longue si on et runi dans la mme tombe tous les missionnaires frapps par le flau.t

IHS HIC IACENT PATRES SOCIETATIS IESU PESTE INTEREMPTI P. P. P. P. P. P. P. P. P. P. P. P. P. 1-UDOVICUS CHIZOLA, MMixxv. CAROLUS GOBIN, 1012. LUDOVICUS GRANGIER, 1615. FRANCISCUS MARTIN, 1662. MCOLAUS DE STii-GENEVlEVE, 1680. PETRUS BERNARD, 1685. MCOLAUS VAR01S, 1686. 1IENRICUS VANDERflAN, 1696. FRANC1SCUS RANGEART, 1719. JACOIJUS CACHOD, 1726. MARCUS CnAROT, 1781. ANSELMUS BAYLE, 1726. PETRUS CLERGET, 1756.1.

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HI8TOIB*

tagieuss, et, s'il plat Dieu, je n mourrai plus de ce mal aprs les hasards que je viens de courir. Je sors du bagne, o j'ai donn les derniers sacrements et ferm les yeux quatre-vingt-dix personnes, les seules qui soient mortes en trois semaines dans ce lieu si dcri, pendant qu' la ville et au grand air les hommes mouraient milliers. Durant le jour, je n'tais, ce me semble, tonn de rien; il n'y avait que l huit, pendant le peu de sommeil qu'on me laissait prendre, que je me sentais l'esprit tout rempli d'ides effrayantes. Le plus grand pril que j'aie couru et que je courrai peut-tre de ma vie, a t fond de cale d'une sultane de quatre-vingt-deux canons. Les esclaves, de concert avec les gardiens, m'y avaient fait entrer sur le soir pour les confesser toute la nuit et leur dire la messe de grand matin. Nous fmes enferms double cadenas, comme c'est la coutume. De cinquante-deux esclaves que je confessai et communiai, douze taient malades et trois moururent avant que je fusse sorti. Jugez quel air je pouvais respirer dans ce lieu renferm et sans la moindre ouverture. Dieu qui, par sa bont, m'a sauv de ce pas-l, me sauvera de bien d'autres. > Douze ans plus tard, en 1719, Jacques Cachod, que les esclaves surnommaient leur pre, prit au milieu de ces douleurs qu'il a tant de fois soulages ; d'autres Jsuites lui succdrent. A Scio, ils ont cr un collge o ils forment la vertu et l'tude des belles-lettres plus de trois cents lves. La mission a tellement prospr qu'en 1695 onze Jsuites indignes gouvernent cette chrtient dpassant le chiffre de quatre-vingt mille. Ils sont en butte aux avanies des Turcs, qu'alimentent les excitations des Grecs schismatiques ; mais les Pres ne se dcou-

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ragent pas : ils savent que la perscution ls attend dans le succs, ils marchent toujours. Scio est catholique, ils rvent de pntrer dans les lies de Metelin et de Samos. Les Musulmans dtruisent le collge; un vice-consul franais leur est donn comme protecteur. Les pres Aibertin, Ottaviani et Gorr succombent dans la lutte : ils sont remplacs par deux autres Jsuites, Antoine Grimaldi et Stanislas d'And n'a. Leur maison a t mise sac, les pres en ouvrent deux autres o les enfants sont reus sans distinction de culte et de patrie. Les uns travaillent manciper l'Orient par le christianisme, les autres, comme le pre Franois Richard, s'lancent sur le mont Athos, tantt pour y vrifier des observations scientifiques, tantt pour tudier les vieux manuscrits ou appeler l'unit les six mille moines qui, dansces dserts,vivent de superstition et d'ignorance. Sous la protection de Louis XIV, qui sait faire honorer le drapeau de la France tous ces peuples, le pre Braconnier a maintenu la Foi parmi ls chrtiens de Coiistantinople ; il a pu mme ramener l'Eglise catholique le fameux comte Emric Tkli, ce hros que le luthranisme et l'ambition poussrent dans les rangs de l'arme ottomane (1). Braconnier tait missionnaire avant tout ; mais son apostolat ne l'empchait pas de chercher instruire l'Europe, tout en vanglisaht les Orientaux. Il dtermine la position de l'ancienne Philippes, capitale de la Macdoine ; puis, sur les lieux mmes, le 29 janvier 1706, il tablit une rsidence Thessalonique. Deux Jsuites, Vincent Pipri, l'accompagnent; pour les mettre l'abri des insultes, le roi de France(I) Relation manuscrito du pre Jean-Baptiste Souciet.

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HISTOIRE

et son ambassadeur, le marquis de Friol, leur ont accord des brevets diplomatiques. Ils travaillent avec tant d'ardeur la propagation de la foi romaine et de l'archologie, qu'ils ont bientt visit toutes les chrtients voisines, et dchiffr les inscriptions graves sur les vieux monuments contemporains d'Alexandre. Braconnier a entrepris une uvre aussi difficile que prilleuse. Il est au milieu des Grecs, et il leur prche l'unit. Il a gagn l'estime de Michel Palologue, l'un des adeptes de l'erreur; en 1709, Palologue revient l'Eglise; il consacre une maison pour servir de lieu de prires et de collge aux familles que les Jsuites ont faites catholiques. Elles taient encore peu nombreuses ; mais Braconnier, dont l'loquence est presque aussi grande que la charit, ne connaissait pas d'obstacles. La contagion ne l'effrayait pas plus que les mauvais traitements. Le bton des Turcs se levait souvent sur sa tte; ici on le frappait, l on le mutilait, le Pre n'en continue pas moins son entreprise. La guerre et la peste dciment incessamment ces populations; les premiers soins du Jsuite sont pour ceux qui l'ont meurtri ou perscut. Il est au bagne des esclaves encore plus souvent que dans la demeure des riches, et lorsqu'en 1716 la mort couronna une vie si pleine de travaux, la mission de Thessalonique n'avait plus besoin que d'ouvriers. Les pres Souciet,Tarillon et Gresset lui succdrent. La Socit de Jsus avait en Orient une multitude de rsidences, dont les principales taient Gonstantinople, Smyrne,Thessalonique, Scio,Naxos, Sidon, Eube, Trbizonde, Santorin et Damas, l'il de l'Orient, ainsi que Julien surnommait celte ville. De l, ils se dispersaient dans le Levant et portaient

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partout les lumires de l'Evangile. La conviction ne se faisait jamais jour dans les mes qu'aprs de pnibles discussions. Ils n'avaient point, dans ces climats, de sauvages dompter et de tribus barbares conduire peu peu la civilisation.Le schismatique grec et l'Armnien ne se laissaient pas facilement convaincre; depuis de longs sicles, ils professaient leur culte, ils en avaient suc avec le lait les erreurs et les prjugs. Enfants dgnrs d'un grand peuple, ils vivaient en mendiants orgueilleux sur une gloire qu'ils ne pouvaient raviver, et au milieu des dbris de la Grce, dont ils ne comprenaient ni la posie ni les splendeurs mortes. C'tait cette opinitret qu'il importait de draciner. Les Jsuites se firent une loi de la patience et dans une lettre du pre Tarillon au comte de Pontchartrain, le missionnaire explique au secrtaire d'Etat la marche adopte. Quant au rit grec, qui en sot n'a rien de mauvais, crit-il en 1713, nous n'obligeons personne le quitter pour passer au latin. Lorsqu'il se trouve des curs ou autres ecclsiastiques qui errent dans quelques articles de la Foi, les orthodoxes ont sur cela les rgles du Saint-Sige selon lesquelles ils peuvent communiquer avec eux en ce qu'elles ont de bon et d'utile, et doivent constamment rejeter le reste. C'est sur ces rgles que nous nous conduisons et que nous conduisons les autres. Ceux qui refusent de s'y conformer, ne reoivent de nous aucune absolution; nous ne les excluons pas pourtant des Eglises latines, quand ils viennent implorer le secours de Dieu, nous proposer leurs difficults, et prendre l'estime et le got de nos crmoincs. Cette condescendance gagne les esprits, et nous avons l'exprience que c'est la voie la plus efficace pour les faire rentrer dans le sein de l'Eglise.

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La dialectique du controversiste remplaait donc l'entranement du missionnaire ; les clats de l'enthousiasme s'effaaient dans ces luttes incessantes; il fallait tre arm de dmonstrations et de syllogismes historiques pour rduire au silence ces esprits de rhteurs toujours amants de la dispute. La position tait ainsi faite aux Jsuites, ils l'acceptrent. Pour rapprocher les Grecs de l'unit, plusieurs missions furent tablies dans l'Archipel. Les lies de Siphanto, de Serpho, de Therasia et de Paros en recueillirent les premiers bienfaits. Les Jsuites apprenaient ces insulaires le secret de la charit; puis, dans le mme temps, ils dveloppaient en Syrie l'uvre de leurs devanciers. Le champ tait immense; ils avaient d'abord conserver clans la Foi les catholiques ; ils devaient ensuite agir sur des Maronites, des Armniens, des Ghaldens et des Coptes, qui pratiquaient leur religion en payant tribut la Sublime-Porte. Ces diffrents cultes avaient leurs patriarches, leurs vques, leurs prtres; chaque pas ils suscitaient des obstacles aux missionnaires. Il tait humainement impossible de vaincre toutes les rpugnances, les Jsuites ne se raidirent pas contre la difficult, ils essayrent de la tourner. Les Grecs eux-mmes les regardaient comme les seuls instituteurs de la jeunesse; ils leur envoyaient les enfants lever avec ceux des Europens et des Armniens. La Compagnie do Jsus sentit que l'ducation devait, dans un temps donn, accomplir sur les gnrations naissantes le changement que les hommes faits n'acceptaient qu'individuellement. A Tripoli et Damas, ils se placrent ainsi en embuscade contre le schisme. En 1717, leur mission grandissait, et les patriarches d'Alep et d'Alexandrie, convaincus de la suprmatie

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du Pontife romain, ne craignirent pas d'adresser Clment XI leur profession d'orthodoxie. Six annes s'taient coules depuis ce jour; l'exemple des deux patriarches avait branl les convictions et dcid un certain nombre de chrtiens saluer la chaire apostolique comme la rgle de leur foi, lorsque les patriarches deConstantinople,de Jrusalem, d'ntioche et de Damas se runirent en synode afin d'arrter l'lan vers le catholicisme. La dsertion se mettait dans leur troupeau; les pasteurs en confirent la garde aux janissaires du srail. A force d'argent, ils obtinrent du Grand Seigneur des ordres de perscution que la France alors ne pouvait pas conjurer; car la rgence de Philippe avait affaibli son ascendant. L'dit rendu la prire du synode dfendait aux chrtiens d'embrasser la religion catholique, il enjoignait ceux qui dj s'unissaient la communion romaine d'y renoncer sur-le-champ, et il tait interdit aux Jsuites de communiquer avec les Grecs, les Armniens et les Syriens, sous prtexte de les instruire. Les Jsuites n'abandonnrent pas la partie, on emprisonnait, on menaait de mort les patriarches et les Orientaux catholiques; ils crurent qu'il leur appartenait de conjurer la tempte que l'or des schismatiquesjsoulcvait. Le consul de France Alep recule devant une gnreuse initiative, les Pres de l'Institut s'adressent au marquis de Bonnac, ambassadeur de Louis XV. Bonnac menace, il invoque le nom de la France, et les Jsuites peuvent en toute scurit se livrer leurs travaux. Une autre mission avait t forme Antourah; elle se propageait sur le Liban, lorsque, le 30 septembre 1736, un synode s'assemble dans la mon-

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tagne. Trois voques catholiques et quatorze maronites, conduits par leur patriarche, viennent avec l'lite de la noblesse du pays, traiter de leur runion l'Eglise sous la prsidence de Joseph Assemani, ablgat du Saint-Sige. Les Jsuites taient les promoteurs de cette assemble; les chrtiens du Liban en recueillirent les fruits, car, la demande des Pres, douze femmes pieuses furent autorises crer, prs d'Antourah, un couvent de la Visitation, destin recevoir ou lever les veuves et les filles des catholiques. Le pre Fromage, suprieur de la mission d'Alcp, dont le mrite tait si honor dans la montagne, ne consentit pas perdre les avantages que ce synode devait procurer. De concert avec les pres Venluri, de Busly et le frre Richard, il tablit des congrgations chez les Armniens, les Grecs et les Maronites. Ces institutions de jeunes gens aidaient au dveloppement de la Foi; elles acclimataient l'Europe au sein du Liban. En 1682, les pres Longeau et Pothier, chargs des riches prsents que Louis XIV adressait au Schah de Perse, se mettent en route pour suivre le plan que le pre Alexandre de Rhodes a trac. Us sont les ambassadeurs du grand roi, la Perse les accueille avec respect. Il y avait dj des Jsuites Ispahan et Chamakhi; le prince en autorise un nouvel tablissement Erivan. Leur ambition du salut des mes ne se contente pas de ces rsidences, dans lesquelles il faut commencer par se dvouer toutes les misres; une autre est obtenue pour eux Erzerum; les pres Roche et Beauvollicr en prennent possession. Comme Erivan, ils meurent de la peste ou sous le fer des fanatiques; mais le Dieu que, du fond de l'Europe, ils accourent prcher, trouve des

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adorateurs; mais leur sang vers, leur vie consacre aux pauvres, sont un excitant pour les Jsuites. Vingt-cinq ans aprs, ces missions, ouvertes sous de si funestes auspices, comptaient chacune plus de cent mille fidles. La Perse tait affaiblie, un grand homme parait sa tte; tout coup elle se rvle (a plus puissante des nations. Schah-Nadir, dont le nom de Thamas-Kouli-Kan a immortalis les exploits, venait d'usurper le trne, et, dans sa soif de conqutes, il poussait ses armes sur l'Indostan.La dvastation et l'incendie taient les compagnes de sa gloire militaire. L'Alexandre de la barbarie ne connaissait pas d'autres raisons que le fer et le feu. Les Jsuites se glissrent sous sa tente, et, en face de ce guerrier au caractre indomptable, la taille athltique, l'esprit plein de cruaut et d'lvation, les hommes de paix ne se sentirent point intimids. Les schismatiques demandaient Kouli-Kan de disperser les bergers et le troupeau orthodoxes; les Jsuites lui font comprendre qu'il est plac trop haut pour ne pas avoir des ides de justice. Kouli-Kan, qui a port ses armes victorieuses par toutes les Indes, rend hommage au Christ que les Jsuites annoncent; il publie un dit par lequel la libert de prcher leur est accorde; mais ce terrible Schah a entendu parler de la science mdicale du frre Bazin. Le rsident et les ngociants anglais lui ont dit que ce coadjuteur temporel tait au-dessus de tous les savants de la Perse, il veut que le frre Jsuite soit spcialement attach sa personne. Les Anglais espraient se donner un protecteur auprs de Kouli-Kan, et les missionnaires un appui. Le frre Bazin fut accord ses prires, il le suivit dans ses voyages, il devint son confident, et lorsque le vainqueur tomba son tour, victime2

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d'une conspiration de palais, le frre Bazin tait encore ct de lui. La mort du Schah replongeait la Perse dans des rvolutions sans fin, les Jsuites en subirent le contre-coup. Plusieurs d'entre eux prirent sous le bton. Les soldats dpouillrent les glises, les officiers civils accablrent les Pres de toute espce de vexations; mais on ne put les faire renoncer leur projet. Le christianisme prenait racine sur cette terre, ils ne consentirent jamais briser la croix que leurs mains avaient plante. Rien n'abattait le zle des Jsuites, rien ne faisait chanceler leur audace. Au mois de juillet 1706, un mdecin franais, attach au Kan des Petits-Tartares, arrive Constantinople. Il peint aux prtres de la Socit le dplorable tat des chrtiens de Grime, il leur dit que parmi ces esclaves, condamns tous les tourments, il y a une foule de Polonais, de Hongrois, de Croates, et que, deux annes auparavant, un Jsuite est mort de la peste en leur prodiguant ses soins. A ce rcit, le pre Duban se sent mu de piti, il part pour la Crime, et implore de GaziGuiray, matre de l'ancienne Tauride, la grce d'assister les esclaves et les chrtiens qui languissent sous sa loi. Au milieu des douleurs qui leur sont tenues en rserve, les uns s'taient faits mahomtans ou hrtiques, les autres, dans un abrutissement qui procdait du dsespoir et de l'ignorance, avaient oubli jusqu'au souvenir de Dieu. Cette atmosphre de dpravation s'tait tendue peu peu; des esclaves elle avait pass au peuple, du peuple elle montait aux prtres du rit grec. Dnban ne se laisse pas dcourager par le spectacle de tant de corruption. Il runit dans un coin d'une pauvre glise armnienne quelques infortuns que

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sa harit a soulags, il leur rvle les prceptes de l'Evangile et de la morale. Le Jsuite s'tait dvou pour ces chrtiens, les chrtiens se montrrent dignes de son affection. Us accoururent pour l'entendre; bientt cet homme seul triompha du dsespoir, de l'esclavage et de la tyrannie mme. Le pre Duban avait entrepris et achev une tche presque impossible. Afin d'offrir son apostolat les garanties qu'un caprice ou qu'un changement de gouverneur pouvait lui enlever, la France revtit ce Jsuite d'un titre diplomatique : elle le nomma consul en Grime, et le pre Tarillon lui fut adjoint. Le missionnaire affrontait toutes les calamits de la servitude; pendant huit ans, force de tendresse et de charitables enseignements, il adoucit le sort des captifs et rveilla chez eux les principes de la Foi. Il n'y avait pour lui ni Grecs, ni gentils, ni luthriens, ni calvinistes. Il les confondait tous dans un mme amour; tous se pressaient autour de lui dans un mme sentiment de reconnaissance et de pit. Le bruit de cette transformation se rpandit au loin. Les pasteurs de Sude se jetrent la traverse du bien dont l'ide n'avait pas germ dans leurs curs. Le Jsuite ramenait l'Eglise les protestants consols par le catholicisme; il les avait tirs de la dgradation pour les purer par ses leons. Les luthriens ne consentirent pas le laisser jouir en paix d'une gloire si chrement achete. Il n'y avait plus qu' recueillir, ils s'abattirent sur la Grime; mais personne ne prta l'oreille leurs insinuations et leurs promesses. Duban resta seul le guide des esclaves qu'il avait conquis la vertu. On a dj vu des Jsuites pntrer dans les dserts de l'Egypte; au nom du Saint-Sige, ils s'efforcent de

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reconstituer l'unit chrtienne et de faire rentrer au bercail de l'Eglise ces Coptes que douze cents ans de schisme n'ont pas dshrits de la vertu vanglique. Leurs tentatives ne furent que partiellement heureuses; cet chec ne les dcouragea point, et, au commencement du dix-huitime sicle, le pre Claude Sicard, n Aubagne en 1677, y apparut, tantt comme missionnaire, tantt comme savant. Il tait en mme temps le charg d'affaires de l'Eglise et celui de l'Acadmie des sciences. Dans ce double but, il parcourt travers mille dangers les monastres o vivent, aussi frugalement qu'au temps des Pacme,des Macaire l'Ancien et de Srapion, les religieux avec lesquels il a besoin de se mettre en rapport. Le Jsuite tait convaincu, il fit natre des doutes, il gagna l'unit ces solitaires, il vcut de leur existence misrable, se pliant tous leurs usages, c l , plerin catholique, poursuivant jusqu'au bout la tche qu'il s'tait donne. Le pre Sicard voyageait seul dans ces plaines sablonneuses, seul encore il s'engageait dans les montagnes. Il n'avait craindre que pour sa vie; aux yeux du missionnaire, le sentiment de la conservation s'efface sous l'accomplissement du devoir. C'est le soldat de la Foi jet aux avant-postes, le soldat qui ne doit jamais raisonner son obissance, jamais calculer le pril, et qui n'a de gloire recueillir qu'au ciel. Dans une de ses prgrinations, le Jsuite tombe au milieu d'une horde de vagabonds dont le pillage est l'unique industrie. Ces Arabes lui demandent son argent. Je n'en ai jamais, rpond-il; et, en reconnaissant le prtre catholique son costume, ils l'entourent, ils le supplient de gurir leurs maux ou de panser leurs blessures. Sicard condescend ce

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vu : il leur offre des remdes; mais l ne s'arrtent point pour lui les services qu'il peut rendre ces misrables. Il sait les crimes dont ils se souillent; H leur adresse des reproches mls de sages conseils; puis, se sparant d'eux, il poursuit sa route. Les chrtiens et les moines d'Egypte restaient plongs dans l'ignorance; la religion n'tait plus qu'un tissu de fables arranges pour satisfaire les mauvais penchants. Sicard entreprit de vaincre ces drglements de la pense : il traversa ainsi la Haute-Egypte et la Basse-Thbade, rchauffant la pit au cur des fidles et provoquant le remords dans les chrtients gangrenes par le vice. l'exemple du pre Brvedent, l'un de ces Jsuites qui l'ont devanc sur les bords du Nil, et qui rendirent tant de services l'Eglise et aux lettres, Sicard, sur cette terre fconde en prodiges, veut faire marcher de pair la bienfaisance et l'tude. Il s'est rendu matre de la langue arabe, il connat fond le caractre et les murs des peuples avec lesquels il doit traiter des choses de Dieu. Dans cet incessant voyage de vingt annes, que la faligueou le danger ne suspendent jamais, il recueille des observations si judicieuses que la Compagnie de Jsus, le duc d'Orlans, rgent du royaume, et l'Acadmie des sciences expriment le vu de le voir continuer ses travaux. Le rgent lui mande de s'occuper activement de la recherche et de la description des anciens monuments, le gnral des Jsuites lui transmet le mme ordre : Sicard, sans sacrifier une heure des occupations du missionnaire, abrge ses nuits afin de rpondre aux dsirs de l'Europe savante. Il remonte le Nil, il s'enfonce dans le Delta, il visite Thbes, il parcourt les bords de la mer Rouge, il

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dcrit le mont Sina, les cataractes, les monuments d'Etphantine et de Philo; il lve les plans ainsi que les dessins des difices et des villes qu'il dcouvre. L'Acadmie des sciences l'interroge sur les proprits du sel ammoniac, de la soude carbonate et sur les pierres d'Egypte. Le Jsuite est en mesure de rpondre toutes ces questions. La terre des Pharaons n'a plus de secrets pour lui; il en tudie, il en divulgue les mystres. Il dresse une grande carte gographique que suivront d'Anville et tous les savants; il runit dans un cadre immense le fruit de ses investigations. Il veut consacrer quelques mois de repos mettre la dernire main cette uvre, lorsqu'il apprend que la peste tend ses ravages sur le Caire. Les joies de la science disparaissent en face des devoirs du Jsuite. Il y a des chrtiens qui loin de lui meurent sans secours, des hommes qui n'attendent que l'eau du baptme pour se rgnrer dans les bras de la mort : Sicard se dirige vers la cit atteinte, et que fout le monde abandonne. Il s'improvise le mdecin, l'ange consolateur des pestifrs; il leur prodigue les soins de l'me et du corps; puis, le 12 avril 1726, le Jsuite, frapp par le flau, expire l'ge de quarante-neuf ans. En Abyssinie, les Pres de la Compagnie de Jsus soutenaient une lutte plus terrible et moins retentissante. La destine d'Andr Ovido ne les effrayait point, et ils connaissaient le sort que les rvolutions d'Ethiopie leur rservaient. Us avaient des chrtiens maintenir dans la foi, des schismatiques y ramener, des Idoltres civiliser; rien ne les dtourna de leur but. L'empereur Atznaf-Seghed a, sous la main du pre Paz, embrass la religion catholique; mais son zle de nophyte ne sait pas se borner : Atznaf-

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Seghed veut que son peuple obisse la loi qu'il proclame la seule vraie. Paz lui recommande en vain la modration; l'empereur ordonne, et il prit dans la guerre civile. Susneios, son successeur, coute les avis du Jsuite : il apaise la sdition, et, afin de consacrer sa victoire, il demande un Pre de l'Institut pour patriarche d'Ethiopie. Alphonse de Mendez arrive en 1725 revtu de cette dignit. Le Jsuite patriarche tait un homme de conciliation, et qui ne voulait pas compromettre l'avenir de cette Eglise, si souvent arrose du sang de ses frres dans l'apostolat. Les Abyssins acceptaient la religion catholique; ils se soumettaient au vicaire de JsusChrist; ils laissaient peu peu s'introduire la discipline et les rites romains; mais le feu couvait sous la cendre. Basilides, fils de l'empereur, et Sarsachristos, vice-roi de Gojam, conspirrent pour renverser le culte que Mendez et les Jsuites venaient d'tablir. Une nouvelle guerre se dclare. L'empereur triomphe encore; mais l, sur le champ de bataille, les officiers qui contriburent sa victoire lui font entendre des plaintes: Prince, lui disentils, ceux que vous voyez tendus morts vos pieds, quoique rebelles, quoique bien dignes de perdre la vie, sont nanmoins vos sujets. Dans ces monceaux de cadavres vous pouvez apercevoir de nombreux, de dvous serviteurs, des amis, des parents. Ce carnage, c'est la religion nouvellement introduite qui l'a caus, et elle en causera de plus sanglants encore si vous ne vous y opposez. C n'est que le commencement de la guerre; elle produira de plus affreux dsastres. Le peuple frmit, il redemande la Foi d'Alexandrie, qu'il a reu de ses anctres. L'audace du peuple ne respecte rien, pas mme les rois, lors-

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qu'il s'agit de religion. Plusieurs de vos gnraux ont dsert votre tendard, les autres suivront bientt si vous continuez couter les docteurs trangers. Que la foi romaine soit plus sainte, nous l'accordons, qu'une rforme dans les murs soit ncessaire, nous l'avouons; nanmoins il faut y procder avec modration; sinon, c'est courir une ruine certaine, c'est vous perdre et perdre l'empire. Ces raisons devaient paratre concluantes un prince; mais ce n'taient pas les plus premptoires, les seules que l'on faisait valoir dans l'intimit du conseil. On chargeait les Jsuites de crimes bien moins excusables que les dissensions civiles, dont ils n'taient que le prtexte. Des abus, des dsordres de toute espce s'taient introduits parmi ces chrtiens, moiti juifs, moiti musulmans. Les Jsuites, qu'on accusait, au Madur et en Chine, de tolrer les rites idoltres, taient blms en Abyssinie pour chercher dtruire l'usage de la circoncision, l'observance du sabbat et la pluralit des femmes. Ils foraient leurs nophytes n'avoir qu'une pouse lgitime; le respect du lien conjugal fut peut-tre la cause dterminante de* cette rvolution religieuse. Les concubines renvoyes se ligurent avec les officiers schismatiques, et tous ces motifs runis amenrent la chute de l'Eglise abyssinienne. Les monarques d'Ethiopie n'taient,comme la plupart des souverains d'Orient, que des cratures de l'arme. Un caprice les portait au trne, un autre caprice les en faisait descendre; parfois leur tte tombait en mme temps que leur couronne. Plac dans une cruelle alternative, l'empereur ne consentit pas rsigner le pouvoir afin de vivre catholique. Le sceptre lui parut prfrable la vrit, et, cdant

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aux prires menaantes de son fils, il ordonna de convoquer tous les corps de l'Etat afin de trancher la question la pluralit des suffrages. Les nophytes furent carts de l'assemble, on les proscrivit sans entendre leur dfense. Dans les camps, dans les villes, cette proscription fut accueillie par des cris de vengeance. Les fidles parlaient de se soulever. On souponne le pre Mendez et les autres Jsuites de fomenter la sdition. Les schismatiqucs redoutent leur influence sur le peuple : on les exile. L'empereur comprend alors qu'il a ouvert la voie des calamits sans fin : il maudit sa faiblesse, il se sent frapp mort ; mais du moins il veut mourir catholique. Le pre Diego de Matos accourt auprs de lui, il reoit ses tristes et suprmes confidences, et le 26 septembre 1652 l'empereur expire. Basilides rgnait enfin sous le nom de sultan Seghed II. Il avait vingt-cinq frres, il les fait tous prir par le fer ou par le poison. Il redoutait le courage et les talents de Sela-Christos, son oncle, il le relgue dans un dsert. Il fallait donner des gages aux schismatiqucs, il nomme pour abuna ou patriarche un aventurier gyptien. Son premier soin est de dclarer qu'il ne pourra vivre en Abyssinie que si les Jsuites n'habitent plus cette terre. Il parlait au nom d'un parti dont les derniers vnements avaient accru l'orgueil : l'abma fut obi. Les Jsuites prirent la route de l'exil. Elle tait longue et prilleuse; les schismatiques songrent l'entourer de nouveaux dangers. Le pacha de Suakem, sur le territoire duquel la caravane devait passer, est prvenu que les missionnaires sont chargs d'or : il les arrte, les dpouille, saisit leur fortune, qui consistait en deux calices et en quelques modestes reliquaires. Puis il s

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leur annonce que la libert ne leur sera rendue que contre une ranon de trente mille piastres. C'tait au fond de la Nubie que cet attentat se consommait. Richelieu l'apprit par le gnral des Jsuites : le consul de France Memphis reut ordre de travailler efficacement leur dlivrance. Le pacha de Suakem fut bientt forc d'abandonner sa proie. Cependant six Pres de l'Institut taient rests cachs en Ethiopie sous la conduite du jsuite apollinaire lmeyda, vque de Nice. Ils avaient des chrtiens fortifier dans la Foi; la mort leur apparaissait sous toutes les formes, ils la bravrent; et, rfugis dans le Sennaar et dans le Kordofan, ils se virent exposs prir de faim ou tre dvors par les btes froces. Ils ont sous les yeux les exemples de rsignation que les catholiques, que Sela-Chislos leur donnent : ils surent se montrer dignes de leurs catchumnes.Les uns taient prcipits du fate des grandeurs dans l'humiliation, les autres, condamns aux misres de l'exil, supportaient avec patience toutes les calamits. Les Jsuites se firent un devoir d'encourager tant de dvouements. Scghed II comprend que des missionnaires sont rests dans le royaume de Tigr, puisqu'il s'y trouve encore des chrtiens indomptables. Il les fait chercher : on en dcouvre trois au fond d'une valle. C'taient les pres Paz, Bruni et Pereira ; on les immole ses vengeances. Les autres sont insaisissables. L'empereur feint de s'adoucir : des paroles de clmence tombent de sa bouche; il tmoigne mme le dsir de les voir sa cour. Almeyda et les autres Pres taient instruits par le vice-roi cle Temben que cette bienveillance soudaine recelait un pige. Ils croyaient son hypocrisie, mais ils jugrent opportun de l'affron-

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ter. L'vque de Nice, avec les Pres Francisci et Rodriguez, profite du sauf-conduit accord. Ils arrivent sous la tente de l'empereur. Les trois Jsuites sont chargs de fers et condamns la peine capitale. Une mort trop prompte n'aurait pas satisfait la cruaut des schismatiques : on tortura les missionnaires, on les chargea de coups et d'ignominies. Lorsque, au mois de juin 1658, on eut puis sur eux tous les outrages, le souverain les offrit la colre de ses courtisans, qui les lapidrent. Bruni survivait ses blessures. II ne restait plus d'autres Jsuites dans l'Abyssinie que lui et le pre Cardeira. Us moururent comme leurs devanciers. Le pape crut que des Capucins franais seraient plus heureux que des Jsuites espagnols ou portugais : les pres gatange de Vendme, Cassien de Nantes, Chrubin et Franois furent envoys en Ethiopie ; ils tombrent sous les coups des schismatiques. Il n'y avait pour gouverner ces populations que des prtres indignes forms par les Jsuites. L'un d'eux, Bernard Noguiera, vicaire du patriarche Mendez, adressa, au nom de Sela-Christos, la lettre suivante aux princes et peuples catholiques : Trs-illustres seigneurs, vques et gouverneurs des Indes, Sela-Christos tous les chrtiens catholiques et vrais enfants de l'Eglise de Dieu paix et salut en notre Seigneur. Je ne sais en quelle langue je dois vous crire ni de quels termes je puis me servir pour reprsenter les prils et les souffrances de cette Eglise, qui m'affligent d'autant plus que je les vois de mes yeux. Je prie notre Seigneur Jsus-Christ, qui a t attach en croix, qui est plein de misricorde, de les faire connatre tous nos frres, tous les recteurs,

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prlats, vques, archevques, rois, vice-rois, princes, gouverneurs, qui ont quelque autorit au del des mers. J'ai toujours cru, et je me suis souvent dit moi-mme qu'ils nous auraient secourus, et qu'ils n'auraient pas tant tard nous racheter de la main de ces barbares et de cette nation perverse, si la multitude et l'normit de mes pchs n'y taient un obstacle. Autrefois, lorsqu'il n'y avait point d'Eglise ici, lorsque le nom de chrtien et de catholique nous tait inconnu, on est venu notre secours, on nous a dlivrs de la puissance des Mahomtans. Aujourd'hui qu'il y a un si grand nombre de fidles on nous oublie, et personne ne pense nous secourir. Quoi! le Pontife romain, notre pre, notre pasteur, que nous chrissons tant, n'est-il plus sur la chaire inbranlable de saint Pierre, ou ne veut-il plus songer nous consoler? Nous qui sommes ses brebis, n'auronsnous point la satisfaction, avant que nous sortions de cette misrable vie, d'apprendre qu'il pense nous, et qu'il veut empcher que ces hrtiques, qui nous font une si cruelle guerre, ne nous dvorent? Le Portugal n'a-t-il plus de princes qui aient ce zle ardent qu'avait Christophe de Gama (1)? N'y a-t-il point quelque prlat qui lve ses mains au ciel pour nous obtenir le secours dont nous avons besoin? Je me tais; ma langue se sche, et la source de mes larmes ne tarit point.Couvert de poussire et de cendre, je prie et je conjure tous les fidles de nous se(1) Christophe de Gama, fils du fameux vasco de Gama, la tte de quatre cents Portugais, dlivra l'Abyssinie des Mores qui, sous la conduite de Grogn, ruvageaicut cet empire depuis quatorze ans. Aprs des prodiges de valeur, le hros chrtien tomba entre les mains des Sarrasins, qui le firent prir au milieu des plus cruels tourments et des plus sanglants outrages.

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courir promptement, de peur que nous ne prissions. Tous les jours mes chanes deviennent plus pesantes, et on me dit : Rangez-vous de notre parti, rentrez dans notre communion, et nous vous rappellerons de votre exil. On me tient ce discours pour me perdre et pour faire prir avec moi tout ce qu'il y a ici de catholiques. On veut ruiner l'Eglise de Dieu et la ruiner de fond en comble. Si donc il y a encore des chrtiens au del des mers, qu'ils nous en donnent des marques, et qu'ils nous reconnaissent pour leurs frres en Jsus-Christ, qui soutenons la vrit comme eux, et qu'ils nous dlivrent de cette captivit d'Egypte. Ici, ajoutait Noguaira en son propre nom, ici finissent les paroles de Sela-Christos, notre ami. Il me les a dictes lui-mme en 1649. C'est mon tour aujourd'hui de pleurer. Un torrent de larmes fait chapper la plume de mes mains. Mes compagnons ne sont plus que des squelettes anims. Us ont t trans en prison et fouetts. Leur peau tombe de misre; et, s'ils ne sont pas encore morts, ils souffrent tout ce que la plus extrme pauvret a de plus rude. Cette lettre, si loquente de douleur, aurait rveill le zle du patriarche Mendez s'il et prouv quelque ralentissement; mais le Jsuite, toujours en vue de son Eglise dsole, n'avait jamais consenti s'loigner des Indes. Il esprait que l'Ethiopie serait enfin ouverte ses derniers jours comme une palme rserve son ambition du martyre; il mourut sans pouvoir l'atteindre. La terre d'Ethiopie se fermait devant eux : on les vit diffrentes reprises tcher d'en forcer l'entre. Louis XIV leur accorda son appui, et vers l'anne 1700 le pre de Brvedcnt expiras

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de fatigue au milieu du dsert. Dans le mme temps les pres Grenier et Paulet s'avanaient dans le Sennaar, et le pre du Bernt rvait une autre tentative. Elles chourent peu prs toutes. Le schisme d'Orient et les calculs des hommes repoussaient les Jsuites de l'Ethiopie : ils s'lancent sur le Caucase. Les pres Hippolyte Dsideri et Emmanuel Freyre prennent la rsolution de porter l'Evangile jusque dans le Thibet. Us parcourent le Mogol, ils franchissent des montagnes qu'aucun pied europen n'a encore foules, puis, aprs de longs mois de voyages travers les torrents et les prcipices, ils descendent dans les valles de Cachemyre. Ce n'est pas l que les appelle leur passion civilisatrice. Les peuples de ces contres fertiles sont mahometans et heureux. Us n'ont rien demander la terre, ils ne songent peut-tre pas solliciter du ciel autre chose que le bonheur dont ils jouissent; mais dans le Grand-Thibet il y a des Idoltres perdus entre deux chanes de rochers arides qu'il faut gravir, au risque d'tre englouti chaque pas au fond des abmes grondant sous les pieds. Les Jsuites n'hsitent point; ils courent au pril, ils s'engagent sur ces montagnes impraticables. Us ont pour nourriture une espce de farine de sattu ou d'orge, pour tout lit la pierre couverte de glace et de neige; et ils marchent cependant. Les voici Ladak, o rside le souverain du pays. A des populations primitives, dont les murs taient pures, ils pouvaient en toute libert rvler les bienfaits de la croix ; la croix devait y tre comprise. Ils en propagrent le signe, ils apprirent le vnrer. Mais l ne s'arrtait point la mission des Jsuites. Us avaient accomplir une prdiction de l'Evangile : il fallait que le christia-

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marne retentit tous les coins du monde, et on leur disait que derrire des glaciers gigantesques, qu'aprs mille torrents, il existait une autre tribu compltement spare du reste de la terre. Six mois de travaux inous leur taient ncessaires pour parvenir Lahassa, capitale de ce troisime Thibet. Les Jsuites reprennent leur bton de missionnaire, ils arrivent, et ils prchent. D'autres, en sillonnant les mers, ont remarqu entre le tropique du Cancer et la ligne quinoxiale, l'extrmit de l'Ocan Pacifique, un groupe d'Iles o, racontent on, les indignes vivent dans l'ignorance la plus absolue : c'est l'tat de barbarie lev sa dernire puissance; car ils n'ont pour loi qu'un grossier instinct et pour murs qu'une corruption anticipe. Le pre Diego Louis Sanvitores, qui a dj vanglis les Philippines, forme le projet de pntrer dans cet archipel et d'y annoncer le christianisme. Il part d'Acapulco avec les pres Thomas Cardenoso, Louis de Mdina, Pierre de Casanova, Louis de Moralez et Laurent Bustillos. Vers la fin de 1668 ils abordent aux lies Mariannes ou Larrones. Les habitants les accueillirent avec des dmonstrations de joie. Une croix fut dresse sur le rivage, et les Jsuites s'empressrent de parcourir le pays afin d'en prendre possession par le baptme administr aux petits enfants. Guam est la principale de ces lies. Sanvitores se chargea de l'instruire des mystres de la Foi, Cardenoso et Moralez se dirigrent sur Tinian; Mdira sur Saypan. Les missionnaires ne rencontraient aucun obstacles; ces peuples taient doux, intelligents : ils comprenaient, ils gotaient la morale chrtienne; ils se montraient disposs favorablement accepter les

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principes d'ordre venant la suite d'une religion qui leur enseignait de nouveaux devoirs. L'ide de la famille n'existait pas parmi eux, et cependant ils se croyaient la seule nation qui ft au monde. Vivant dans un libertinage traditionnel, ils ignoraient ce que pouvait signifier le mot de vertu. Leur nudit tait complte; et, par une trange pense de coquetterie, les femmes ne se croyaient rellement belles que lorsqu'elles taient parvenues noircir leurs dents et blanchir leurs cheveux. Sanvitores avait, comme tous les Jsuites, plac ses plus chres esprances dans les enfants : il les forma avec un soin particulier.il jeta les fondements d'un collge, afin de dvelopper par l'ducation le germe des vertus et de le faire entrer dans les familles par les jeunes gens. L'influence du christianisme et l'attrait de la nouveaut avaient suspendu les vieilles querelles ; mais peu peu elles se rveillrent. Malgr les prires et les menaces des Jsuites, la guerre clata. Elle rendit aux insulaires leur frocit native, et le 29 janvier1670 Louis de Mdina prit Saypan sous les coups d'une multitude gare. Le sang montait la tte des Marianais : Sanvitores et ses compagnons jugrent que le sort de Mdina leur tait rserv : ils s'y prparrent avec joie. Us continurent leur apostolat, vivifiant la foi dans le cur de leurs catchumnes et leur apprenant tre chastes et humains. Le 2 avril 1672 Sanvitores expirait martyr. En peu d'annes il avait cr dans ces les huit-glises et trois collges, et il avait baptis plus de cinquante mille sauvages. Mdina et Sanvitores tombaient sous la lance des insulaires, le pre Solano mourait d'puisement quelques mois d'intervalle. Le 2 fvrier 1674 le sang d'un autre Jsuite

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fcondait ce sol inculte : le pre Ezquerra, Louis de Vera-Picao et ses catchistes subirent le supplice que leurs vux appelaient. Les indignes massacrrent tous les missionnaires qu'ils purent saisir : Pierre Dioz, coadjuteur temporel, les pres de Saint-Basile, Sbastien de Mauroy, Strobach, Charles Boranga et Comans trouvrent le martyre. Leur mort, que l'Eglise et la civilisation glorifiaient, fut un stimulant pour l'Ordre de Jsus. Sanvitores et ses compagnons n'avaient ouvert la croix qu'un champ restreint, et la perfidie superstitieuse de quelques indignes avait touff leur voix dans les tourments; mais en 1697 les pres Antoine Fuccio, Basile Leroulx et Paul Clain virent se multiplier sous leurs yeux la moisson que le sang faisait germer. Les Mariannais embrassrent le christianisme, et il se propagea dans ces archipels. L'uvre des Jsuites prenait une rapide extension: de Borne et de Goa(l), ses deux centres d'action, elle tendait ses rameaux par tout l'univers. Elle fondait de nouvelles rsidences sans jamais abandonner les anciennes. Le christianisme volait la conqute des mondes inconnus. Dans ce perptuel combat de la civilisation chrtienne contre le fanatisme ou l'ignorance, les Jsuites, toujours au premier rang, ne se laissrent jamais endormir par le succs ou abattre par la dfaite. Engags dans cette lutte sans fin, que

(1) Ea province de Goa comptait plusieurs collges et pinsieurs sminaires chargs d'alimenter les Missions del'Indostan. Le Collge de Sainte-Foi, tabli par saint Franois-Xavier, celui de Saint-Paul et la rsidence de Bandoughor; le Noviciat de Goa; le Collge de Bachour, ceux de Baoaini, de Daman, de Tanah, de Diu, de Cnaul, D'Agrah, et de Dclby.

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Franois-Xavier avait ouverte, ils marchaient leur but sans se proccuper des obstacles. Les guerres, les rvolutions dont tant de royaumes taient le thtre pouvaient bien modifier leurs pians, renverser leurs esprances ou leur arracher la vie. Us avaient prvu ces ventualits de l'apostolat, et s'y soumettaient avec bonheur. On les proscrivait, on les tuait sur un point, ils reparaissaient sur un autre. Le sacrifice de leur existence tait consomm en ide lorsqu'ils posaient le pied sur le vaisseau franais, espagnol ou portugais, cinglant vers les rgions orientales. Ils savaient qu'une mort prmature les attendait : cette destine ne fit qu'enflammer les courages. C'est ainsi que, sans, autre secours qu'une ardente charit, ils ralisrent la conqute des Indes, de l'Asie et des deux Amriques. Dans ces missions, dont il serait peut-tre impossible de reconstruire l'ensemble, ils eurent de cruelles alternatives, de bons et de mauvais jours; mais, par une persvrance toute preuve, ils se montrrent plus forts que les vnements combins avec les passions des hommes. Ils virent plus d'un triomphateur, comme Thamas Kouli-Kan, tenir le monde attentif au bruit de ses exploits, et ils surent obtenir de lui la protection que le guerrier n'accordait mme pas aux ministres de son culte. Us avaient des ennemis puissants, d'implacables rivaux, qui grossissaient leurs fautes, qui transformaient leurs erreurs en crimes. On les chargeait, au Brsil, au Prou, au Mexique, dans le Madur et en Chine, des imputations les plus contradictoires. Quelquefois mme les vques, l'exemple de Juan de Palafox et de Bernardin dcCardenas, se prenaient a maudire cette activit dvorante qui poussait les

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Jsuites sur tous les continents. La guerre intestine ne les effrayait pas plus que la guerre aux idoles ou aux vices de l'humanit, et souvent les prlats du Nouveau-Monde rparrent, comme Ernand Gucrrero, archevque de Manille, l'injustice que de fausses allgations leur avaient fait commettre envers la Socit de Jsus. Guerrero avait, dans un moment d'irritation, priv les missionnaires du droit d'vangliser les Philippines. Il revint des sentiments plus modrs, et il rtracta lui-mme son interdit. Par ce prsent acte, lit-on dans Y Histoire des Philippines (1), nous annulons, en gnral comme en particulier, le dcret que nous avons publi le 16 octobre dernier, et par lequel nous interdisons aux religieux de la Compagnie de Jsus de prcher hors de leurs glises dans toute l'tendue de notre archevch. De plus nous annulons l'acte publi le 19 octobre, et nous dclarons que les motifs que nous appelions justes, et qui nous dterminaient dfendre auxdits religieux de prcher hors de leurs glises, n'taient de leur part ni une doctrine errone, ni de mauvais exemples, ni aucune autre cause dshonorante pour la Compagnie de Jsus ou pour quelqu'un de ses membres. C'tait uniquement la peine que nous prouvions de ce que lesdits Pres ne s'taient pas rendus l'assemble convoque par nous le 19 octobre afin d'y traiter d'affaires importantes, et qu'ils s'taient excuss en disant qu'ils avaient pour le foire de justes motifs, dont nous avons t inform. En foi de quoi nous dclarons que lesdits Pres de la Compagnie de J(1) Storia tlcllc PhiUpjnnc, p . 220.

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sus peuvent librement prcher dans toute retendue de notre archevch,' hors de leurs glises et en quelque lieu que ce soit. Quand la perscution ne venait pas de la part des peuples, elle naissait dans le palais des rois. Au gr de leurs caprices, ils accordaient ou retiraient l'autorisation de propager le christianisme. D'amis des Jsuites, ils s'en faisaient sans transition les geliers ou les bourreaux. Vers le milieu du dix-septime sicle, Jehangire, empereur du Mogol, donna subitement un de ces exemples. Akebar, son pre, avait accueilli les disciples de Loyola; mais, excits par les brachmanes, dont l'autorit s'affaiblissait de jour en jour, intimid par leurs menaces, il enjoint aux missionnaires de se retirer du Mogol et ses sujets de renoncer la foi nouvelle. Quelques Jsuites prissent, et parmi eux le pre Fiaillio. Leurs glises de Lahore, de Dehly et d'Agrah sont dtruites; les catchumnes se voient condamns au bannissement ou la mort. On les prive de leurs dignits, on les dpouille de leurs biens. Ils se rsignent tous ces maux pour ne pas blasphmer le Dieu qu'ils ont reu d'Occident. Au milieu de tant de tribulations, les Jsuites ne perdent ni esprance ni courage. Ils comptent des partisans 3vous ou secrets dans l'intimit et jusque dans la famille de l'empereur : ils les font agir avec discrtion. Mirza Fuikarnem, le frre de lait de Jehangire, lve la voix du fond de l'exil. Cette voix est entendue, et les Jsuites peuvent enfin continuer leur mission. A Agrah, les Anglais et les Hollandais avaient obtenu l'tablissement de quel* ques comptoirs dpendants de Surate. Les marchands hrtiques se sont fait un jeu cruel d'animer l'enpour et les habitants du Mogol; mais des discussions

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d'intrt, des rivalits de commerce ont promptement divis ces hommes, toujours prts o se coaliser contre le catholicisme. La dissension qui se manifeste peut devenir fatale l'Angleterre et la Hollande. Les consuls des deux nations, rsidant Surate, puisent pour les rconcilier toutes les prires et toutes les menaces. Ils ne savent plus de quelle manire terminer ce diffrend : ils en appellent la justice des Pres de la Compagnie de Jsus, ils les nomment arbitres suprmes dans une cause qui leur est compltement trangre. Les Jsuites prononcent leur jugement avec tant d'quit que les deux parties l'acceptent comme la base de leurs transactions futures. Ainsi se trouva veng le sang de cette multitude de missionnaires que les Anglicans et les Hollandais avaient rpandu, et qu'ils ne cessaient encore de rpandre. Depuis que le pre Alexandre de Rhodes s'tait introduit dans IcTonquin et dans laCochinchine(l), le christianisme y avait t expos des chances diverses. Ainsi que partout, les Jsuites y subissaient le contre-coup du fanatisme et des colres locales;(I) Lorsque la Foi catholique fui proscrite au Japon, les Jsuites qui appartenaient cette province continurent dpendre d'un provincial, qui fixa sa rsidence Macao, et qui gouverna les Missionnaires de Siam, duTong-King, del Cochinchine et de plusieurs stations dans le Cleste-Empire. Le nom de la province du Japon, conserv jusqu' l'extinction de l'Ordre de Jsus, en 1774, rvle dans les Pres le mmo esprit qui inspire l'glise de conserver les titres des anciens vches aujourd'hui situes dans les pays de gentilit. Les vchs fit partibus indiquent l'espoir que le Saint-Sige n'a jamais perdu de voir le vieux culte chrtien se ranimer l o il hiilla d'un si vif clat. Le rtablissement du sige d'Alger prouve que celte esprance n'est pas chimrique.lisL de la Comfh do Jsus. T. v,

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mais, tantt comme mdecins, tantt comme mathmaticiens du roi, ils purent conjurer l'orage. Le 14 mai 1098, la tempte clata. Les pres Arnedo, Belmonte, Plisson et Condonn se trouvent en bulle aux outrages des paens. Les idoles ont t brises pendant une nuit, et leurs prtres accusent les Jsuites d'un crime que, dans les jours les plus heureux, ils ne songrent pas commettre. 11 faut fouler aux pieds l'image du Sauveur mourant sur la croix ou expirer dans les tourments. Le martyre fut encore l Tunique consolation des missionnaires; Joseph Condonn, l'un deux, pril dans les cachots; les autres, captifs ou errants de retraite en retraite, soutinrent l'ardeur des nophytes. Ils succombrent a la peine; mais de nouveaux Jsuites accoururent pour prendre leur place. Dix avaient perdu la vie dans ces combats de la Foi; vingt se prsentent sous fa conduite des pres Monleyzo, Kofler, Laurezzo et Monteiro. Jusqu' l'anne 1050, les Jsuites n'avaient fait que des excursions passagres dans le royaume de Siam. A celte poque, les pres Morejonio, Cardin et Ninscio y pntrrent comme envoys du gonver neurdes Philippines, chargs du rachat des chrtiens esclaves. Le roi savait que les missionnaires d'Occident possdaient le secret d'une vie plus fortune, cl des dictmes pour tous les maux du corps et de l'esprit. En tmoignage de sa bienveillance, il dlivra, sans ranon, les Espagnols, et voulut conserver auprs de lui deux de ces hommes apostoliques, dont la renomme retentissait jusqu'au pied de son trne. Les Jsuites profitrent de l'affection du prince, el le pre Margici vint leur aide. Les nophytes se formrent: on commena lever des glises, .Ira-

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ailler l'ducation de la jeunesse. Le christianisme s'tablissait sans lutte sur les rives fcondes du Meinan, lorsqu'un corsaire espagnol allaqua et brla un navire du roi, charg des plus riches marchandise?.. Le corsaire sortait des Philippines; on accusa les missionnaires d'tre d'intelligence avec lui : les esprits s'enflamment; le pre Margici est jel dans un cachot, il y meurt empoisonn. Quelques annes plus lard, la religion et les Jsuites rentraient triomphants Siam, sous les auspices de Louis XIV et des belles- lettres. Un aventurier de l'Ile de Cphalonie, nomme Cou slance PliauIkon, gouvernait les Elats du roi de Siam, sous le titre dcVisir.Dans une cour si fconde en rvolutions de palais. Constance cherche donner son autorit un appui extrieur. Catholique fervent, il engage le monarque siamois a faire alliance avec le grand roi d'Occident, et deux ambassadeurs, chargs de prsents, se dirigent vers la France, afin de proposer, au nom de leur matre, un traite de commerce et une esprance de christianisme. Cette ambassade extraordinaire, partie du fond de l'Orient pour saluer Louis XIV, prit dans la traverse; mais l'ide flattait ses gots d'ostentation, elle entrait dans ses vues de propagation catholique et franaise. Il saisit avidement les ouvertures de Constance, et il se dcida rpondre aux avances qui lui taient faites. Le 28 janvier 1685, le roi, par un dcret contresign Colbert, accordait six Jsuites le litre de ses mathmaticiens la Chine et aux Indes; ces six Jsuites taient les pres de Fontaney, Tachard, Lecomte, Bouvet, Gerbillon et Visdelou. L'ordonnance nominative pour chacun des missionnaires contenait

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la dclaration suivante : Etant bien aise de contribuer do notre part tout ce qui peut de plus en plus tablir la sret de la navigation et perfectionner les sciences et les arts, nous avons cru que, pour y parvenir plus srement, il loit ncessaire d'envoyer dans les Indes et la Chine quelques personnes savantes et capables de faire des observations d'Europe; et jugeant que, pour cet effet, nous ne pouvions faire un meilleur choix que du pre de Fontaney, jsuite, par la connaissance particulire que nous avons de son extraordinaire capacit. A ces causes et autres ce nous mouvans, de notre grce spciale, pleine puissance et autorit royale, avons ledit Pre de Fontaney ordonn et tabli, et par ces prsentes signes de notre main, ordonnons et tablissons notre mathmaticien. Les cinq autres Jsuites reurent un acte semblable. Ils allaient, au nom de la religion et de l'humanit, rpandre le germe de l'Evangile sur des terres inconnues, et tudier sous d'autres cieux les rapports de l'homme et de la nature. L'Acadmie des sciences dsira, elle aussi, faire honneur ces humbles missionnaires; elle les admit dans son sein; elle les pria de songer au perfectionnement des arts, de recueillir les observations astronomiques, de dterminer les longitudes, d'approfondir et de lever plusieurs difficults, alors insolubles, sur la gomtrie, la physique, l'anatomie et les plantes. Chaque savant fit, d'un de ces six Jsuites, le dlgu de ses tudes particulires. Les uns leur donnrent examiner dans les Indes les clipses de soleil et de lune, les autres les chargrent de faire des expriences sur le vide; tous sollicitrent d'eux des renseignements sur les y vis utiles. L'Acadmie se scindait; les six Jsuites

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partaient peur les Indes, les autres membres restaient Paris; mais il fut convenu que, de loin comme de prs, ils seraient frres par la science, comme ils Ttaient dj par la patrie et par le culte Les Jsuites s'embarqurent Brest avec le chevalier de Chaumont, nomm ambassadeur Siam; le 22 septembre 1686, ils mouillaient dans le Meinan. Cette mission devait avoir pour eux quelque chose d'insolite; ils n'avaient aucun pril affronter. Sous la protection du roi dont le nom retentissait glorieusement dans l'univers, ils marchaient la conqute d'un peuple que son souverain semblait d'avance destiner la religion des savants d'Europe ; mais le luxe diplomatique et guerrier dont ils taient entours dpouillait leur apostolat de son prestige. Les souffrances et le martyre ne se trouvaient pas suspendus sur leurs ttes; les Jsuites se conformrent la position qui leur tait faite. Le roi de Siam les comblait d'honneurs ; il les fit admettre voir l'lphant blanc, qui, comme le cheval-consul de Caligula, tait servi dans des vases d'or; ils visitrent la riche pagode et tous les monuments; puis, le prince, qni vnrait les astronomes et les mathmaticiens, leur demanda douze autres Jsuites, afin d'riger dans ses Etals un observatoire comme ceux de Paris et de Pkin. La conversion du roi de Siam se traitait par plnipotentiaires; les enfants de Loyola s'occuprent des intrts de la science, bien persuads que c'tait le chemin le plus direct pour branler les croyances paennes. Us firent devant lui des observations astronomiques; et le pre Tachard se remit en roule pou r la France avec les ambassadeurs siamois, qui allaient b Rome cl Versailles remplir les intentions de leur juin ce.4,

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Il sollicitait des Jsuites, plutt comme savants que comme missionnaires; mais tout faisait esprer que la connaissance des secrets de la nature ramnerait insensiblement proclamer la ncessit d'un seul Dieu et d'une seule? Foi. Louis XIV et le gnral de la Compagnie accdrent ce vu. Les pres Le Royer, de Bze, Thionville, Dolu, Richaud, Colusson, Bouchet, Comilh, d'Espagnac, de Saint-Martin, Le Blanc, Du Chez, Rochelle et de La Breuilie furent choisis dans les provinces de Paris, de Guienne, de Languedoc, de Champagne et de Lyon, pour d velopper le germe de christianisme qui se manifestait dans celte partie des Indes. Louis XIV avait voulu les voir tous runis; il leur dit de travailler pour la gloire de Dieu et pour l'honneur de la France. Les Jsuites allaient tenir parole; et, afin de les accrditer auprs du souverain siamois, le roi lui crivit le 20 janvier 1687: Nous nous sentons encore obligs de tmoigner Votre Majest que nous avons d'autant plus agrable la demande qu'elle nous a fait faire par ses ambassadeurs et par le pre de La Chaise, notre confesseur, de douze Pres-Jsuites, mathmaticiens franois, pour les tablir dans les deux villes royales de Siam et de Louvo; qu'ayant toujours prouv le zle, la sagesse et la capacit de ces religieux, nous esprons que les services qu'ils rendront Voire Majest et vos sujets contribueront encore beaucoup affermir de plus en plus notre alliance royal et unir les deux nations par le soin qu'ils auront de leur inspirer le mme esprit et les mmes connaissances. Nous les recommandons aussi V. M. comme des personnes qui nous sont chres, et pour lesquelles nous avons une considralioti paHiculin*

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L'escadre franaise, aux ordres de Vaudi'icourt arriva dans les eaux de Siam au mois d'octobre 1687; elle avait bord un nombreux tat-major et quelques rgiments. Le dploiement de ces forces, les haines de cour que la haute fortune de Constance entretenait, les rivalits de religion que les (alapoins cl les docteurs de Siam suscitaient aux Jsuites, tout prsageait des calamits prochaines ; un vnement intrieur les dcida. Le monarque avait pour favorite une sur dePitracha, l'un des principaux mandarins. Cette femme trahit l'amour du roi en faveur de son frre, plus jeune que lui; le roi la fit jeter aux tigres. Pitracha saisit celte occasion, et,de concert avec les talapoins, il conspira tout la fois contre le Visir, contre les Jsuites et contre les Franais qui prenaient position Bankok et Merguy. Pitracha possdait au plus haut degr l'astuce indienne; il parvint diviser les Europens, el provoquer des soupons dans l'esprit de quelques-uns sur le pouvoir rel de Constance. Le roi s'affaiblissait chaque jour; sa mort tait prvue, et le mandarin conspirateur faisait dj pressentir qu'il serait bientt le matre. Il s'tait empar des sceaux de l'Etat, il disposait de la multitude; l'tiquette siamoise ne permettait aucun tranger de voir le roi dans sa maladie; Pitracha sut habilement tirer parti de toutes ces circonstances. Malgr les conseils des Jsuites, l'abb dcLyonnc, vque de Rosalie, et un certain nombre d'officiers ajoutaient foi aux bruits de complot que le mandarin mettait en circulation contre le visir; ils l'abandonnaient peu peu, croyantainsi se mnager un ami dans Pitracha. Le 6 juin 1688, Constance fut condamn et excut comme coupable d'un crime tram par ses accusateurs cl. par s< s juges. Celle mort est W

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signai de la perscution; les catchumnes sont proscrits ou emprisonns; les Jsuites eux-mmes se voient exposs aux mauvais traitements, et, le 9 juin, le pre Saint-Martin crivait : Grce Dieu! il parat que notre fin est proche; nous avons chaque heure de plus grandes esprances, et nous nous voyons aujourd'hui rduits de plus dures extrmits que jamais. Si c'est la volont de Dieu, qu'elle s'accomplisse. Les Jsuites rentraient dans leur condition normale; ils en acceptaient avec joie tous les prils. Les investigations de la science ne les avaient point dtourns de leur but; en remplissant les vues des lettrs de France, en donnant une solution toutes les difficults astronomiques, maritimes et gologiques que l'Acadmie leur soumettait, ils n'avaient pas oubli qu'avant tout ils taient missionnaires. Tous ensemble, ils avaient uni leurs efforts pour mettre profit la bienveillance du roi. Le christianisme s'tait introduit par eux dans un grand nombre de familles; ces familles, devenues franaises par l'adoption chrtienne, ne voulaient ni trahir leur Dieu, ni l'amiti qu'elles vouaient aux Jsuites. Pitracha et son fils leur enjoignent d'abjurer; elles rsistent: on les menace, on les dpouille de leurs biens, on vend leurs enfants, on les fait prir dans les tortures ou sous le bton. Les Jsuites se constituent leurs dfenseurs. Pitracha a succd au roi de Siam; il ngocie pour que les Europens abandonnent les forts de Bankok et de Merguy. Les officiers consentent a se retirer du pays; mais les Jsuites ont d'autres intrts soutenir : il ne s'agit pas pour eux de comptoirs de commerce; il y a des chrtiens qui languissent dans les fers, ou qui peut-tre chancelleront

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dans leur foi; les Jsuites se dcident laisser les pres de La Bremlc et Bouchet au milieu de leurs catchumnes; puis ils vont chercher de nouvelles terres vangliser. Dans ce temps-l, les disciples de saint Ignace, dont Louis XIV sentait le besoin pour rpandre partout le nom franais, et le faire bnir avec les ides de civilisation, couvraient les Indes de nophytes. De Pondichry, dont ils faisaient le chef-lieu de leurs missions, ils s'lanaient sur les points les plus loigns. Ils n'taient pas venus les premiers moissonner dans le champ du pre de famille, la onzime heure avait sonn pour eux; mais, ouvriers actifs, ils rparaient le temps perdu en se multipliant. Ce fut dans llndostan et la Chine qu'ils dployrent le plus d'ardeur; le Madur surtout devint leur terre de prdilection. Ils y avaient t prcds par Robert de' Nobili et Juan deBrilto. Le pre Constant Beschi fut leur modle; c'est le troisime type du Jsuite brahme; mais ce dernier efface les deux autres par l'empire qu'il exera sur les indignes et par l'aurole potique dont il s'enveloppa leurs yeux. Le pre Beschi arrive dans l'Inde en 1700; son premier soin est de surpasser en austrits les Saniassis les plus pnitents. II s'astreint dans sa case et au dehors ne toucher aucune chair qui a eu vie; il porte au front le potou de Sandanom, sur sa tte la coulla, espce de loque en velours, forme cylindrique; le somen serre ses reins; ses pieds sont enchsss dans des socques chevilles de bois, et des perles chargent ses oreilles. Il ne voyage jamais qu'en palanquin, jamais qu'assis sur des peaux de tigrc,tandis que deux hommes agitent autour de lui de riches ventails, forms de plumes de paon, et qu'un autre lve

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un parasol de soie surmont d'un globe d'or. Afin de dompter l'orgueil de ces peuples, le pre Beschi, qu'ils surnommaient respectueusement le grand Viramamouni, avait contraint son humilit emprunter ces dehors de luxe. Il avait renonc aux murs, au langage de l'Italie, sa patrie; il n'tait mme Jsuite que le moins possible, c'est--dire il cachait sous la science du Saniassi toute la charit dont son cur dbordait. Beschi connaissait dj les langues mortes et vivantes : il approfondit le sanscrit, le telenga et le tamoul ; il tudia les potes de l'Indostan, il le devint mme dans leur idiome; puis, sur les bords du Gange, il composa des chants dont les Brahmes font encore leurs dlices. Ces vers, pleins d'lgance indienne, clbraient les douleurs du Christ, la virginit de Marie et les mystres du catholicisme. C'tait la prdication de l'Evangile mise la porte de ces esprits orgueilleux, qu'il fallait capter par l'attrait du langage. Beschi soutint ce rle pendant prs de quarante ans. Il eut tous les honneurs publics de r I s m a l S a n i a s s i , c'est--dire du pnitent sans tache; mais par des moyens aussi extraordinaires il fit pntrer dans ces nations la connaissance du christianisme.il leur enseigna l'existence d'un Dieu unique, il leur apprit ddaigner leurs vieilles superstitions, pratiquer les devoirs de la famille, suivre les lois de la chastet; et, honor par les grands ainsi que par les peuples, il vcut parmi eux comme un homme dont chacun vnrait les talents et la vertu. Beschi ne s'en tint pas l. Le Nabab de Trichirapalli, enthousiasm par ses discours, lui accorde le titre et la charge de son premier ministre. Le Jsuite accepte ce rang suprme : jil ne marche plus qu'accompagn de trente cavaliers,

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de douze portc-dftipcaux et d'une musique militaire, que suivaient de nombreux chameaux. Ainsi escort, il s'avanait dans les campagnes et dans les villes. Ses magnificences orientales ne lui avaient rien fait perdre de son zle. Ce luxe, auquel il se soumettait, n'avait pour but que de sauver les mes, que d'inspirer aux savants du Madur des penses chrtiennes. Il l'atteignit avec tant de bonheur que plus d'une fois il fora les Bralimes recevoir le baptme ou lui offrir en dpouilles opimes leurs chevelures, longues de cinq six pieds, et qui, tresses et lies comme des bottes de paille, restaient suspendues dans le vestibule de son glise de Tiroucavalour. Ce furent les trophes de ses victoires. Le Jsuite Saniassi tait combl d'honneurs ; mais la* comme partout, le Capitole avait sa roche Tarpienne, et un contemporain de Beschi, le pre Bouchet, nous.rvle, dans une de ses lettres, que toutes ces dignits ne prservaient pas de la perscution. Il crit : Quand le missionnaire se lve le matin, il n'oserait assurer qu'il ne couchera pas le soir dans quelque cachot. Il est rare qu'il s'en trouve un seul qui chappe aux horreurs de la prison, et j'en ai connu qui ont t emprisonns deux fois en moins d'une anne. Quarante-deux ans avant la mort de Beschi, ce mme Bouchet, l'un des Brahmes les plus clbres de la Compagnie de Jsus, crivait au pre Charles Le Gobicn, le l dcembre 1700 : Notre mission de Madur est plus florissante que jamais. Nous avons eu quatre grandes perscutions cette anne. On a fait sauter les dents coups de bAlon un de nos missionnaires, et actuellement je suis h la cour du prince de ces terres pour faire do r

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livrer le prcBorghsc, qui a dj demeur quarante jours dans les prisons de Triehirapalli, avec quatre de ses catchistes qu'on a mis aux fers ; mais le sang de nos chrtiens, rpandu pour Jsus-Christ, est comme autrefois la semence d'une infinit de proslytes. Dans mon particulier, ces cinq dernires annes j'ai baplis plus d'onze mille personnes, et prs de vingt mille depuis que je suis dans celte mission. J'ai soin de trente petites glises, et d'environ trente mille chrtiens ; je ne saurais vous dire le nombre des confessions : je crois en avoir ou plus de cent mille. Vous avez souvent entendu dire que les missionnaires de Madur ne mangent ni viande, ni poisson, ni ufs; qu'ils ne boivent jamais de vin ni d'autres liqueurs semblables; qu'ils vivent dans de mchantes cabanes couvertes de paille, sans lit, sans sige, sans meubles; qu'ils sont obligs de manger sans table, sans serviette, sans couteau, sans fourchette, sans cuiller. Cela parat tonnant; mais, croyez moi, mon cher Pre, ce n'est pas l ce qui nous cote le plus. Je vous avoue franchement que, depuis douze ans que je mne cette vie, je n'y pense seulement pas. Les Pres avaient dj les missions du Madur, du Tanjaour et de Marawar; les Franais y ajoutrent celle de Carnate, qui, s'tendant au nord, depuis Pondichry jusqu' Bouccapouram, la hauteur de Masulipatan, renfermait seize chrtients florissantes dans un rayon de deux cents lieues. D'autres propageaient le christianisme dans le Bengale et au Mogol. Du cap deComorin aux frontires de la Chine, de la cte de Coromandel aux sources du Gange, il se trouvait partout des Jsuites et des chrtiens. Les Pres portugais avaient fond un collge non loin de Chan-

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dernagor; ils taient Bukka dans la province d'Arcatc et sur le territoire d'Aoude. Les ctes du Malabar, de la Pcherie et de Travancor, o avait retenir la voix de saint Franois-Xavier, se soumettaient l'action des missionnaires; ils btissaient des glises et formaient des familles; ils instruisaient les peuples et se faisaient les amis des monarques. Beschi et Bouchet avaient adopt le costume et le genre d'existence des Brahmes saniassis; ils vivaient parmi eux sur le pied de la plus complte galit; mais ils ne pouvaient communiquer avec la caste des pariahs, sous peine de devenir pariahs eux-mmes. Les pres Emmanuel Lopcz, Antoine Acosta et plusieurs autres ne consentirent pas laisser sans secours cette population avilie. Ils s'habillrent comme les rayas; ils se placrent en intermdiaires, afin de pouvoir offrir tous les soins de leur charit. N'tait-ce pas un spectacle tout fait comique, raconte un voyageur (1), de voir deux confrres, deux membres du mme Institut, deux amis, qui, quelque part qu'ils se rencontrassent, ne pouvaient ni manger ensemble, ni loger dans la mme maison, ni mme se parler? L'un tait vtu d'un angui clatant comme un grand seigneur; il montait un cheval de prix ou se faisait porter fastueusement en palanquin, pendant que l'autre voyageait demi-nu et couvert de haillons, marchant pied, entour de quelques gueux, dont l'accoutrement tait encore plus misrable que le sien. Le missionnaire des nobles allait tte leve, et ne saluait personne. Le pauvre Kourou des pariahs saluait de loin son confrre, se prosternait son passage, et mettait sa main sur sa bouche, comme s'il(1) Voyage dam Vludostan^ par Pcrrin, L II, p. 106 el 107.5

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et craint d'infecter de son haleine le docteur des grands. Celui-ci ne mangeait que du riz prpar par des Brahmcs, et l'autre se nourrissait de quelque morceau de viande corrompue dont ses malheureux disciples le rgalaient. Rien sans doute n'honore plus la religion que ces ressources du zle, rien ne fait plus l'loge d'un prtre que de pareils sacrifices faits nu dsir qu'il a d'attacher les hommes la vrit; mais .enfin ces sacrifices sont trop pnibles pour durer longtemps. Aussi cette mthode tait dj abolie mon arrive dans l'Indostan. EenottXIV l'avait approuve dans la bulle de!744, et, pour encourager les Jsuites, ce grand pape s'exprime ainsi (1) : Lorsque, excit par les enseignements du Christ Notre Seigneur, et par l'exemple des Pontifes qui nous ont prcd, nous cherchions avec anxit par quel moyen nous pourrions enfin rellement obtenir ce que nos prdcesseurs avaient tant dsir, il arriva fort propos que les missionnaires de la Compagnie de Jsus, auxquels surtout sont confies les missions du Madur, de Massour et de Ca m a te, aprs nous avoir demand une dclaration sur l'article des pariahs, se sontofferts et nous ont promis (si cependant nous l'approuvions) de dlguer quelques missionnaires qui seraient spcialement occups de la conversion et de la direction des pariahs. Nous avons espr que ce moyen pourvoirait suffisamment leur conversion et leur salut; le recevant donc avec une joie paternelle, nous avons pens qu' cause des circonstances du temps, il fallait l'approuver et le recommander. (I) Bullarium Benedicti XIV, 1.1, p . 4 2 1 .

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Celte sparation ternelle des Jsuites Missionnaires, ce mur infranchissable qu'ils levaient volontairement entre eux, afin de travailler sur la mme (erre au bonheur d'une population que des prjugs invincibles divisaient, cette vie de grandeur et d'abaissement laquelle les uns et les autres se condamnaient, tout cela tait accept avec joie. Les plus heureux taient les Pres qui obtenaient l'honneur des humiliations, et, dans une lettre d'un Missionnaire de Goa, crite Rome, on voit quels taient les transports de ceux qui se dvouaient la dgradation pour servir les pariahs. Le Jsuite s'exprime ainsi : Allez, allez par ce royal chemin de la Croix, fidles compagnons dn Christ, votre chef et votre matre. Vous voil, suivant le langage de l'Aptre, rpuls comme les ordures du monde, comme les balayures rejetes de tous, mais en ralit la gloire vritable de notre Compagnie et le plus bel ornement de celte province. Que votre cur ne se trouble pas de ce que vous tes devenus trangers vos frres, inconnus aux fils de votre mre, en sorte qu'ils vous refuseront les cmbrasscmcnls ordinaires et fuiront votre abord, bien que, si la chose tait permise, ils voulussent vous rendre tous les devoirs de la charit. Lorsqu'on les rencontrant vous leur rpterez avec Paul : Vous voil nobles, et nous misrables, je vous rponds que vous leur tirerez des larmes des yeux, que vous les forcerez envier saintement votre ignominie. Celle exaltation religieuse ne s'affaiblit jamais ; les Jsuites avaient trouv le seul moyen de runir les castes indiennes; ils espraient les amener l'galit par le Christianisme. Ce fut une pense morale qui

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les dirigea dans l'accomplissement d'une uvre aussi difficile; par les rsultats qu'ils obtinrent, on peut conjecturer que, dans un temps donn, ils auraient bris la barrire place entre les enfants d'un mme Dieu et d'un mme pays. Des difficults venues du fond de l'Europe, et la suppression de l'Ordre ne permirent pas de raliser ces projets. Brahmes ou pariahs, les Jsuites ne tendaient qu' un but unique : ils l'atteignirent, et, anims par la mme pense, quoique spars par les flots ou par les prjugs de culte, ils marchaient tous au dveloppement de l'ide civilisatrice. Le nombre des Chrtiens vivant au cur des Indes tait incalculable : les Missionnaires avaient trouv ces peuples lches, effmins, sans caractre, toujours accessibles la flatterie, toujours prts se laisser sduire par l'indolence ou par l'attrait du plaisir. La Foi rveilla dans ces natures inertes l'nergie qui sommeillait depuis de longs sicles; elle leur communiqua une nouvelle vie, elle pura leurs murs, elle les fit gnreux et constants, forts contre la perscution et grands dans les souffrances. La guerre passa souvent sur cette immense presqu'le ; on dsola diverses reprises, on brla, on gorgea toutes les populations qui ne se rfugiaient pas dans les forts. Les Marati vinrent en corsaires ravager les ctes du Madur, d'autres descendirent des montagnes du nord-ouest et saccagrent les provinces. Les Europens, leur tour, se mlrent ces dvastations : Maures et Chrtiens, Franais et Hindoux, s'attaqurent, se poursuivirent sans relche pour conserver ou pour conqurir l'empire. Les Jsuites prouvrent le contre-coup de tant de dchirements. Les Europens, dans les Indes, commirent des excs

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de plus d'une sorte; ces excs retentissaient au loin, ils justifiaient l'aversion instinctive que le naturel d'un pays porte l'tranger qui veut le dominer; ils rejaillissaient jusque sur la religion, en dtruisant dans l'esprit des Hindoux le salutaire effet que produisaient la vrit de ses dogmes et la puret de sa morale. En prsence de ces flaux, les Jsuites ne se sentirent pas dcourags, et de ce que les pres Bouchet, Dolu, Lopez, Acosta, Diusse, Mauduit, Petit, Carvalho, Berthold, Tachard, Lafontaine, du Tremblay, Saignes, d'Origny, Barbosa, de Lemos, Borghse, Timothe Xavier, Artaud, Curdoux, Celaya, Pimentel, Alcxandri, Layns, Martin, SainlEstevan et Yard, entreprirent de 1700 1770, d'autres le continurent avec un gal succs. Dans cet espace de plus d'un demi-sicle, les Franais et les Anglais luttrent pour savoir qui resterait enfin l'influence sur ces contres lointaines, o le nom de Joseph Dupleix, de Lally et de Suffren retentit encore, les Jsuites souffrirent, mais ne dsesprrent jamais du triomphe de l'Evangile. Les Brahmes et les pariahs se runissaient dans une pense de haine contre les Europens; les Jsuites, victimes eux-mmes de tant de guerres acharnes, se firent un devoir de calmer leur irritation ; mais, ces obstacles renaissants, il s'en joignit un autre qui ne fut pas moins fertile en dsastres. Le champ ouvert la prdication tait si tendu que les Missionnaires accoururent de tous cts, afin de le dfricher. Le zle les poussait, l'esprit de discorde se glissa parmi eux; il produisit de funestes querelles et des controverses qui de l'Orient passrent bien vile en Europe, pour raviver les inimitis ci justifier les jalousies.

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Les rites malabares consistaient omettre quelques crmonies dans l'administration du baptme, en respectant toutefois l'essence du sacrement, cacher les noms de la Croix et des objets du culte catholique sous des appellations moins communes, marier les enfants avant l'ge de pubert, laisser aux femmes un bijou nomm Taly, qu'elles reoivent le jour des fianailles, et sur lequel tait grave l'image d'une idole ; viter de soigner les pariahs dans leurs maladies, et les priver de certains secours spirituels. Les Jsuites du Madur, du Mysore et de Carnate se trouvrent en face de tant de superstitieuses pratiques, qu'ils crurent devoir tolrer celles qui, leur avis, ne prjudiciaient pas la religion chrtienne. Ils tudirent les murs de ces nations, ils s'appliqurent distinguer les coutumes populaires d'avec les fausses croyances ou les usages paens. Comme tous les peuples sans mouvement intellectuel, sans commerce avec l'extrieur, les Indiens s'immobilisaient dans leurs prjugs, devenus la suprme loi. Afin de sauver l'essentiel, les Jsuites sacrifirent l'accessoire. Ils n'avaient pas renonc leur patrie, leur famille, leur avenir, ils ne s'taient pas condamns de prilleuses navigations, un jene absolu, une vie misrable, sous un ciel dvorant, pour entretenir les naturels dans leur idoltrie. Ils commenaient raliser le bien, ils voulurent aller jusqu'au mieux, et ils s'garrent. La question des rites malabares tait dj un sujet de division entre les missionnaires des diffrents ordres religieux pars sur ces continents, lorsqu'on 1705 Charles-Thomas Maillard de Tournon, patriarche d'Antiochc, nomm par Clment XI lgat du Saint Sige aux Indes et en Chine, prit terre Pondichcry.

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Investi de tous les pouvoirs ecclsiastiques, il avait ordre de mettre fin des disputes qui menaaient les chrtients naissantes. Tournon venait pour rformer les abus qu'un zle peut-tre excessif introduisait par les Jsuites dans les croyances religieuses; afin de se pntrer de l'tendue de ses devoirs, il consulta deux Pres de la Compagnie. Le mandement qu'il publia sur les rites malabares a souvent t invoqu; mais, par une inexplicable proccupalion, les historiens, les polmistes qui citent ce document ont oubli de relater un fait qui s'y trouve consign. L'Archevque d'Antiochc ignorait les causes dterminantes de la msintelligence, il les apprit de la bouche mme des Jsuites, c'est ce passage du mandement que tous les crivains ont omis. Le lgat parle ainsi (1) : Ce que nous n'avons pu faire immdiatement par nous-mme a t heureusement suppl par l'obissance que le pre Venant Bouchet, suprieur de la mission de Carnalc, et le pre Michel Berlhold, missionnaire du Madur, tous les deux recommandables par leur doctrine, par leur zle pour la propagation de la Foi, ont tmoigne au Sinl-Sige et nous. Ces deux missionnaires, depuis long-temps instruits des murs, de la langue et de la religion de ces peuples par le sjour qu'ils ont fait parmi eux, nous ayant rvl divers abus qui rendent les branches de cette vigne languissantes et striles, parce qu'elles s'attachent plus aux vanits des Gentils qu' la vritable vigne, qui est Jsus Christ, l'abondance de notre joie a t mle de beaucoup de tribulations. Le Lgat, de mme que tous les hommes qui an ( 1 ) Bullarium romanwn x v i , 2 3 3 .

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HISTOIRE

vent dans un pays revtus d'une autorit illimite, avait tranch les questions; et, au moment de son dpart pour la Chine, il lanait son mandement comme pour luder les objections. L'archevque de Goa et l'voque de San-Thom rsistrent ce dcret, le conseil suprieur de Pondichry le dclara abusif, les Jsuites se rangrent cet avis. La prcipitation du patriarche voquait plus d'un danger; mais les disciples de Loyola devaient trop avoir l'instinct de l'autorit pour en compromettre le reprsentant apostolique. Il fallait obir d'abord, sauf recourir au Saint-Sige et expliquer les perplexits de leur situation. Les choses ne se passrent point ainsi. L'Eglise voulait conqurir la Croix tous les peuples de l'Inde : elle y envoyait des missionnaires de diffrents Instituts; et, par l'extindtion des Chrtients japonaises, elle n'ignorait pourtant pas que la diversit des esprits ou des mthodes enfanterait des inconvnients de plus d'une sorte. La cour de Rome crut pourvoir tout en nommant un Lgat; ce Lgat envenima