himo et lutte contre la pauvretÉ au mali - sida · 2014-05-23 · himo et analyse brièvement...
TRANSCRIPT
HIMO ET LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ AU MALI
Yves Bourdet
Asdi Agence Suédoise de Coopération au Développement International
Adresse : 105 25 Stockholm, Suède
www.sida.se
HIMO ET LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ
AU MALI
Yves Bourdet
Département de sciences économiques
Université de Lund
Suède
Correspondance : [email protected]
1
Sommaire 1 Liste des acronymes 2 1. Introduction 4 2. Politique de l’emploi, HIMO et pauvreté 6
HIMO – Objectifs et conception Maximiser le contenu en emplois ! HIMO et pauvreté
3. HIMO au Mali - développement et contenu 14
Le rôle de l’APEJ Des activités en forte croissance mais à nombre de participants limité
Diversification géographique en cours mais continuité des activités Développement des formations et intégration au système de formation initiale Mode de sélection et appropriation des activités 4. HIMO et pauvreté au Mali 26
Géographie de la pauvreté et répartition spatiale des HIMO Rémunérations et ciblage « pauvres » des projets HIMO Projets HIMO et lutte contre la pauvreté Auto-sélection des moins pauvres parmi les pauvres ! 5. Fort besoin de suivi et d’évaluation des HIMO 35
Quelles évaluations ? Quel suivi et quelle évaluation ?
Quel cadre institutionnel ? 6. Les petits ruisseaux peuvent faire de grandes rivières ! 39 Bibliographie 43
2
Liste des acronymes AGETIER Agence d’Exécution des Travaux d’Infrastructures et d’Equipements Ruraux
AGETIPE Agence d’Exécution des Travaux d’Intérêt Public pour l’Emploi
APEJ Agence Pour l’Emploi des Jeunes
ASDI Agence Suédoise de Développement International
BIT Bureau International du Travail
CSCRP Cadre Stratégique pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté
CSLP Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté
DNSI Direction Nationale de la Statistique et de l’Informatique
DOEF Département Observatoire de l’Emploi et de la Formation
EDSM Enquête Démographique et de Santé Mali
EMUT Enquête Malienne sur l’Utilisation du Temps
FAFPA Fonds d’Appui à la Formation Professionnelle et à l’Apprentissage
FNEJ Fonds National pour l’Emploi des Jeunes
GIE Groupement d’Intérêt Économique
HIEQ Haute Intensité d’Equipement
HIMO Haute Intensité de Main-d’œuvre
INSTAT Institut National de la Statistique
OMD Objectif du Millénaire pour le Développement
ONG Organisation Non Gouvernementale
PASAM Programme d’Appui au Secteur Agricole du Mali
PDESC Plan de Développement Economique, Social et Culturel
PEJ Programme Emploi Jeunes
PNE Politique Nationale de l’Emploi
PEJIMO Projet d’insertion des jeunes dans la vie professionnelle à travers les
investissements à haute intensité de main-d’œuvre
PME Petites et Moyennes Entreprises
PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement
PPTE Pays Pauvres Très Endettés
PRODEFPE Programme Décennal de Développement de la Formation Professionnelle pour
l’Emploi
RGPH Recensement Général de la Population et de l’Habitat
3
SMIG Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti
4
1. Introduction1
Un des défis majeurs du Cadre Stratégique pour la Croissance et la Réduction de la
Pauvreté (CSCRP) est la création d’emplois à même d’apporter un revenu aux
populations vulnérables pour leur permettre d’échapper à la pauvreté. La croissance
économique a été soutenue au Mali au cours des dix dernières années, environ 5 % en
moyenne annuelle. Plusieurs études ont conclu que cette croissance est peu riche en
emplois, surtout en emplois qualifiés et bien rémunérés2.
Une conclusion qu’on peut en tirer est bien sûr que les instruments de politique
macroéconomique n’ont qu’une influence limitée sur l’emploi et indirectement la
pauvreté au Mali. Si l’objectif prioritaire du gouvernement malien est de réduire
significativement et durablement la pauvreté, il est nécessaire que la politique
macroéconomique soit accompagnée par des mesures d’ordre plus microéconomique et
ciblées sur les régions et populations pauvres. Une mesure de ce type privilégiée
actuellement par le gouvernement concerne les travaux à Haute Intensité de Main
d’Œuvre (HIMO)3. Leur adoption est relativement récente au Mali et, à ce jour, il
n’existe pas d’étude synthétique qui essaie d’évaluer leur contribution à la stratégie de
réduction de la pauvreté.
L’objectif du présent rapport est d’étudier la conception, le développement et le
fonctionnement des activités HIMO au Mali. L’accent est mis sur les activités HIMO
entreprises dans le cadre du Programme Emploi Jeunes (PEJ). L’objectif est aussi de voir 1 L’auteur tient à remercier Bocar Dit Siré Ba, José Pierre Felix Coulibaly, Kassim Dabitao, Lollo Darin, Modibo Diakité, Adama Diarra, Joseph Marie Diarra, Saliha Doumbia, Mamby Fofana, Tiina Huvio, Modibo Koly Keita, Karin McDonald, Djibril Semega, Carin Wall ainsi que les participants au séminaire organisé par la cellule CSLP et l’Ambassade de Suède à Bamako pour leurs commentaires sur une version préliminaire du rapport et/ou leur aide dans la collecte d’information. Le rapport a été écrit en partie lors d’un séjour au Centre culturel suédois à Paris que nous remercions. 2 Voir par exemple Bourdet (2007). 3 Voir par exemple ”Le ministre de l’Emploi plaide pour la vulgarisation de HIMO à Ségou et Mopti”, L’indépendant, lundi 28 mars 2011. Le même genre de plaidoyer est donné par le document-cadre du programme emploi-jeune pour la période 2011-2015, qui recommande « une forte mobilisation autour de la stratégie HIMO. Une utilisation efficace de cette technique pourrait se traduire par la réduction du chômage en milieu rural comme semi-urbain » (Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (2010), p. 45).
5
en quoi les activités HIMO contribuent à la réduction de la pauvreté. Il est enfin
d’examiner les améliorations éventuelles à apporter aux travaux HIMO. Pour en faire un
instrument privilégié du nouveau CSCRP, qui va couvrir la période 2012-2017, il est
nécessaire de voir comment un suivi systématique et des évaluations à intervalles
réguliers peuvent contribuer à améliorer la conception, la mise en œuvre et l’efficacité
des activités HIMO.
Une étude du fonctionnement et des résultats des travaux HIMO est nécessaire pour
obtenir le plus possible de ces travaux en termes de réduction de la pauvreté mais elle est
aussi nécessaire pour minimiser le coût de ces travaux pour le budget de l’Etat. Ce
dernier aspect est critique au Mali en raison de la difficulté à mobiliser des ressources
fiscales additionnelles et du poids que la croissance démographique et les efforts faits
pour atteindre les OMD font peser sur les dépenses publiques. Une telle étude est aussi
cruciale pour les partenaires au développement qui accordent une part importante de leur
aide sous forme d’appui budgétaire, l’amélioration de l’efficacité des dépenses publiques
(entres autres celles liées à la mise en œuvre du CSCRP) étant une priorité pour ces pays.
Le rapport est structuré de la manière suivante. Une première partie introduit l’approche
HIMO et analyse brièvement les éléments constitutifs des activités HIMO et l’impact
potentiel sur la pauvreté. Une deuxième partie examine le développement, les
caractéristiques et l’exécution des activités HIMO au Mali. Cette deuxième partie
informe aussi sur les activités HIMO en préparation. Une troisième partie examine
l’impact des HIMO sur la pauvreté au Mali. Une quatrième partie aborde les questions du
suivi et de l’évaluation des activités HIMO. La dernière partie, enfin, tire un nombre
restreint de conclusions quant au meilleur moyen de développer les activités HIMO pour
qu’elles deviennent un instrument central de la stratégie de réduction de la pauvreté.
6
2. Politique de l’emploi, HIMO et pauvreté La politique de l’emploi comprend les dispositifs dont l’objectif est de faciliter l’accès à
l’emploi pour les participants à ces dispositifs. Il peut s’agir de dispositifs qui permettent
aux participants de développer ou de maintenir leurs compétences et leur motivation dans
la recherche d’emploi, tout en construisant des infrastructures à même de favoriser la
croissance économique future. Ce genre de dispositifs peut être une réponse à une
conjoncture économique défavorable et une demande de travail insuffisante. Des travaux
publics pendant une période limitée dans le temps peuvent par exemple recouvrir ce type
de dispositifs. Il peut s’agir aussi de dispositifs de formation qui visent à améliorer
l’employabilité des participants en leur donnant la possibilité d’acquérir des
qualifications et des compétences demandées sur le marché du travail. Dans beaucoup de
cas, les dispositifs de formation permettent de compléter les acquis et de combler les
lacunes de la formation initiale (fondamentale, secondaire et technique et professionnelle,
ou supérieure). Il peut s’agir ensuite d’aide à l’emploi de groupes bien ciblés, comme les
jeunes ou les chômeurs de longue durée, en incitant financièrement les entreprises et
autres employeurs potentiels à leur procurer un emploi. Alors que les deux premiers types
de mesures agissent essentiellement sur l’offre de travail, le dernier type de mesures agit
sur la demande de travail. La politique de l’emploi comprend, enfin, tout un ensemble de
mesures dont la finalité est d’améliorer le fonctionnement du marché du travail et
l’adéquation entre l’offre et la demande de travail (principalement par une meilleure
information sur les places disponibles, par des conseils d’orientation ou par des mesures
incitatives à la mobilité professionnelle et géographique).
HIMO – Objectifs et conception
Les activités HIMO appartiennent aux deux premiers types de mesures qu’on retrouve
dans la politique de l’emploi. Il s’agit en fait de travaux d’utilité collective entrepris
pendant un temps limité en échange d’une rémunération, qui est généralement inférieure
à celle prévalant sur le marché du travail, formel et informel. L’objectif affirmé varie
selon les dispositifs et les pays. Il peut aussi changer au cours du temps. Une étude
récente dénombre six sortes d’objectifs : une réponse à un choc temporaire négatif
7
(sécheresse, inondations ou autres), des activités pour occuper la main d’œuvre pendant
la saison creuse, un tremplin (une passerelle) vers l’auto-emploi, une aide à l’insertion sur
le marché du travail, un filet de sécurité (une forme d’assurance) et la lutte contre la
pauvreté4. Ces objectifs ne s’excluent pas les uns des autres et il est courant de trouver
des activités HIMO avec plusieurs objectifs concomitants, comme la lutte contre la
pauvreté et un tremplin vers l’emploi.
La composition des travaux HIMO en fonction des objectifs explicitement avancés
diffère selon le niveau de développement du pays. Dans les pays à faible revenu,
l’objectif de lutte contre la pauvreté est le plus fréquent, suivi par ordre d’importance par
ceux d’occupation saisonnière, de filet de sécurité, de passerelle vers l’auto-emploi et de
réponse à un choc temporaire5. Dans les pays à revenu moyen et élevé, par contre,
l’objectif de réponse à un choc temporaire est le plus souvent avancé, suivi loin derrière
par ceux d’aide à l’insertion sur le marché du travail et de lutte contre la pauvreté. On
peut aussi observer des différences dans l’espace. En Afrique subsaharienne, par
exemple, quelques 90 % des travaux HIMO visent à réduire le sous-emploi saisonnier et
la pauvreté (à proportion égale)6.
Ces différences dans les objectifs font que le type et le contenu des activités HIMO
varient d’un pays à l’autre et, à l’intérieur même d’un pays, au cours du temps.
S’expriment également des préférences nationales, qui souvent sont le produit du
contexte local et d’expériences passées, qui façonnent la conception et la mise en œuvre
des activités HIMO. Les caractéristiques centrales des activités HIMO sont :
1) l’importance quantitative des travaux (le nombre de bénéficiaires),
2) le ciblage géographique,
3) le ciblage sur certaines populations (chômeurs, sortants du système éducatif,
femmes, pauvres, etc.),
4 del Ninno et al. (2009), pp. 4-19. 5 Ibid., p. 18. 6 Ibid, p. 17.
8
4) la nature des travaux (construction et réhabilitation d’infrastructures, protection
de l’environnement, assainissement, etc.),
5) l’intensité en main d’œuvre des travaux,
6) le niveau des rémunérations,
7) la durée et la saisonnalité des travaux,
8) la dimension formation
9) l’agence d’exécution des travaux et la place donnée aux collectivités locales
dans l’exécution et l’entretien des actifs créés,
10) le financement des travaux (fonds publics, partenaires au développement,
ONG),
11) l’existence d’un système de suivi-évaluation en vue de l’amélioration continue
du contenu et de la mise en œuvre des dispositifs.
L’évaluation de travaux HIMO dans une région ou un pays requiert de bien connaître
toutes ces caractéristiques. Cela est nécessaire pour apporter des réponses, plus ou moins
argumentées, à six genres de question. La première porte sur l’estimation du coût total
des travaux. La deuxième porte sur l’efficience des activités entreprises, c'est-à-dire du
rapport entre les intrants utilisés et les actifs créés. La troisième porte sur la qualité et la
durabilité des actifs créés par ces travaux. La quatrième porte sur l’atteinte des objectifs
fixés initialement, en termes par exemple de lutte contre la pauvreté ou d’amélioration
des qualifications et de l’employabilité de groupes bien ciblés (voir ci-dessus la
discussion sur les objectifs des travaux HIMO). La cinquième porte sur l’appropriation
des activités HIMO et des infrastructures ou autres actifs créés par les communes ou
autres collectivités concernées. Enfin, la sixième porte sur l’impact redistributif des
activités HIMO, qui peut être significatif quand ces activités sont financées sur fonds
publics (donc en partie sur recettes fiscales) et qu’elles sont ciblées sur des ménages ou
des groupes parmi les plus démunis.
Maximiser le contenu en emplois !
Un trait caractéristique des activités HIMO est qu’elles privilégient de manière
systématique des méthodes de production qui utilisent beaucoup de main d’œuvre et peu
9
de capital physique. Ce choix reflète en partie les prix relatifs des facteurs de production
dans les pays ayant expérimenté ce genre de dispositifs, avec un prix du travail
relativement faible, en raison de l’abondance de main d’œuvre peu qualifiée, et un prix
du capital relativement élevé, en raison de la faiblesse de l’épargne et du faible
développement du secteur financier.
Tableau 1 : Comparaison des coûts et intensités en main d’œuvre des techniques à haute intensité de main-d’œuvre (HIMO) et à haute intensité d’équipement (HIEQ) _____________________________________________________________________________________________________
HIMO HIEQ
Coût % de la % Coût % de la % unitaire main- intrants unitaire main intrants en FCFA d’œuvre importés en FCFA d’œuvre importés _____________________________________________________________________________________________________
Burkina Faso (1994)
Caniveaux (ml) 43.446 55 31 94.172 25 41 Pavage (m2) 9.500 29 52 3.306 5 82
Côte d’Ivoire (1994)
Pistes (km) 5,227.779 36 44 5.300.142 16 69 Toitures (unité) 765.562 56 21 651.520 28 66
Sénégal (1994)
Pavage (m2) 3.732 49 34 4.097 5 88 Fouilles (m3) 833 à 1.998 80 5 1.215 7 71
Madagascar (2005)
Route (km) 9.913a) 43 42 55.085a) 19 73 Bâtiment (m2) 126a) 35 32 216a) 12 85 Périmètre irrigué (ha) 306a) 46 16 942a) 16 81
Mali (2010)
Pavage (m2) 15.826 59 -. 27.224 1 - Moyenne - 49 31 - 13 73 _____________________________________________________________________________________________________
Notes : a) dollar américain. Burkina Faso : caniveaux en maçonnerie (HIMO) et en béton armé (HIEQ) ; pavage avec pavés en béton (HIMO) et avec enduit tricouche (HIEQ. Côte d’Ivoire : travaux de rechargement de pistes par HIMO et avec engins (HIEQ) ; toitures tuiles (HIMO) et tôles (HIEQ). Sénégal : pavage avec pavés en béton (HIMO) et en béton bitumineux (HIEQ) ; fouilles par HIMO et engins mécaniques (HIEQ). Madagascar : l’étude d’Andrianjaka et Milazzo ne spécifie pas les caractéristiques des actifs créés dans le cadre des travaux HIMO et HIEQ. Mali : pavage avec pavés de roche (HIMO) et béton bitumineux (HIEQ). Sources : Olivier et Bynens (1998), p. 4, Andrianjaka et Milazzo (2008), p. 8 et APEJ (2010), p. 9.
10
Le tableau 1 donne un aperçu des différences en termes d’intensité de main d’œuvre des
méthodes HIMO et de celles à haute intensité d’équipement (HIEQ) pour des travaux et
des pays pour lesquels il a été possible de comparer les deux méthodes. Une telle
comparaison doit être faite avec précaution car les périodes concernées ne sont pas les
mêmes, le coût du travail et du capital diffèrent dans l’espace et le temps, et les actifs
créés ne sont pas toujours comparables.
Cela dit, trois conclusions peuvent être tirées. Les méthodes HIMO sont généralement,
mais pas toujours, moins coûteuses que les méthodes à haute intensité d’équipement7.
Elles sont surtout beaucoup plus intensives en main d’œuvre locale. Cela est bien illustré
par les exemples du tableau 1. En moyenne le pourcentage du coût du projet qui couvre
les dépenses de main d’œuvre s’élève à 49 % pour les activités HIMO contre seulement
13 % pour les travaux à haute intensité d’équipement. Les travaux HIMO présentent un
autre avantage en termes d’emploi par rapport aux travaux à forte intensité
d’équipement : ces travaux utilisent moins d’intrants importés, ce qui veut dire qu’ils ont
un effet multiplicateur beaucoup plus fort sur l’emploi local. Les exemples du tableau 1
montrent que les travaux HIMO n’ont recours qu’à l’équivalent de 31 % du coût des
travaux en intrants importés alors que les travaux à haute intensité d’équipement
consacrent pas moins de 73 % à l’achat d’intrants importés.
HIMO et pauvreté
Un objectif des activités HIMO, pas toujours affiché, est de combattre la pauvreté. C’est
particulièrement vrai dans les pays à faible revenu. L’impact des HIMO sur l’incidence et
la profondeur de la pauvreté dépend essentiellement de deux aspects cruciaux des
activités HIMO : 1) le ciblage et le nombre de participants, 2) le genre d’actifs réalisés.
L’impact du ciblage est immédiat, dès la mise en œuvre des activités par la distribution
de revenus, alors que l’impact des actifs créés prend du temps à se concrétiser et va se
traduire par une accélération de la croissance économique future. Ce contraste entre
7 Au Burkina Faso, par exemple, le pavage d’un m2 est plus cher avec la méthode HIMO qu’avec la méthode HIEQ (tableau 1). Les deux actifs sont en fait difficilement comparables car la route bitumée nécessite un entretien coûteux et régulier (tous les cinq ans) alors que la route pavée ne demande qu’un entretien peu coûteux et beaucoup moins fréquent.
11
l’impact à court terme et à plus long terme des activités HIMO sur la pauvreté suggère
que l’adoption d’activités HIMO et le contenu même de ces activités peuvent dépendre
du cycle politique dans les pays concernés.
L’impact sur la pauvreté dépend d’abord du choix des participants aux activités HIMO et
de leur nombre. Des activités ciblées sur les populations pauvres ont un impact direct sur
la pauvreté en permettant à ces populations d’avoir une source de revenus
(éventuellement supplémentaire) qui leur permet d’échapper à la pauvreté Cette source de
revenu peut aussi leur permettre d’être moins pauvre. La nouvelle source de revenu
permet dans ce cas-là une diminution de la profondeur de la pauvreté (c'est-à-dire de la
distance entre le revenu des participants et le revenu qui correspond au seuil à partir
duquel un individu n’est plus considéré comme pauvre).
Des activités HIMO ciblées sur les régions pauvres (et non les populations pauvres) ont
aussi un impact sur la pauvreté. Mais l’impact est moins significatif si une partie des
participants aux dispositifs n’appartient pas à la population pauvre. La sélection des
participants aux activités HIMO est ainsi critique pour l’impact des HIMO sur la
pauvreté. Cela pose bien sûr la question du mode de sélection des participants. Cette
sélection peut être difficile car les participants potentiels n’ont pas intérêt à dévoiler leur
vrai niveau de revenus (et de conditions de vie). C’est pour cette raison qu’il est judicieux
d’utiliser le niveau de rémunération des HIMO comme mécanisme de sélection. En effet,
a priori, un niveau de rémunération inférieur au revenu obtenu sur le marché du travail
(qui est le plus souvent déjà inférieur au revenu minimum légal) va conduire à une auto-
sélection des pauvres aux activités HIMO.
L’impact sur la pauvreté dépend aussi de la nature des activités HIMO, les actifs créés
(construction et réhabilitation d’infrastructures, protection de l’environnement,
assainissement, etc.). Cet impact est indirect, contrairement au premier impact plus direct
via les revenus distribués. Il est aussi plus long à se matérialiser, ce qui bien sûr peut
influer sur le choix des décideurs publics. Des travaux HIMO pour la construction de
pistes rurales qui permettent à des populations pauvres d’avoir accès au marché pour leur
12
production (et au marché des intrants) peuvent contribuer de manière significative à
l’amélioration de la productivité agricole et à l’augmentation de leurs revenus. Il en est
de même si ces pistes rurales permettent aux filles un meilleur accès à l’école et une
accumulation de capital humain à même d’être rentabilisé sur le marché du travail dans le
futur (l’éloignement de l’école est plus un obstacle à la scolarisation des filles qu’à celle
des garçons). Au contraire, une réhabilitation de routes ou l’aménagement d’un parc de
loisirs dans un quartier résidentiel n’ont que très peu d’impact indirect sur la pauvreté. Le
choix de la nature des activités est ainsi déterminant pour l’impact indirect des activités
HIMO sur la pauvreté. A priori, dans les pays ou la pauvreté est essentiellement rurale,
des activités HIMO dans le secteur agricole et rural sont potentiellement plus à même de
réduire durablement la pauvreté en augmentant la productivité et les revenus futurs des
pauvres.
Graphique 1 : HIMO et pauvreté
Ciblage Non pauvres Pauvres
Non pauvres
Actifs
Pauvres
Le lien entre caractéristiques des activités HIMO et pauvreté peut être illustré par le
graphique 1. Les quadrants de la matrice représentent différentes caractéristiques des
activités HIMO en fonction de leur ciblage sur les populations pauvres et de la nature des
actifs créés. Les activités HIMO qui appartiennent au quadrant I sont les moins
recommandables en termes d’impact sur la pauvreté (participants non pauvres et actifs
créés neutres pour les revenus futurs des pauvres). Au contraire, les activités du quadrant
IV sont les plus à même d’avoir un impact important sur la pauvreté. Les quadrants II et
III représentent des solutions intermédiaires. A priori, il est difficile de dire laquelle des
I
II
III
IV
13
deux est préférable en termes d’impact sur la pauvreté. En effet, pour ce faire il faudrait
comparer l’impact immédiat sur la pauvreté des revenus attribués aux participants
pauvres et l’impact à venir des actifs créés sur les revenus des pauvres. La matrice ne
traite que de cas hypothétiques (extrêmes). Il s’agit d’une illustration à vocation
pédagogique car les activités sont généralement plus ou moins ciblées sur les populations
pauvres et les actifs créés plus ou moins favorables à la croissance des revenus des
pauvres. Cela dit, penser les activités HIMO mises en œuvre dans un pays à travers une
telle grille d’analyse permet de se faire une idée rapide des objectifs réels des activités
HIMO et de leur impact potentiel sur la pauvreté.
14
3. HIMO au Mali – développement et contenu
Plusieurs pays ont fait le choix des travaux HIMO. Les objectifs avoués diffèrent quelque
peu mais le plus souvent il s’agit de trouver des emplois pour une main d’œuvre peu
qualifiée. Le BIT a joué un rôle d’initiateur et de soutien en organisant de manière
régulière des formations sur la conception et la mise en œuvre des activités HIMO pour
les cadres et autres décideurs publics des pays en voie de développement. Le centre de
formation du BIT à Turin est en charge de ces formations. Le nombre de participants à
ces formations a augmenté régulièrement au cours de la dernière décennie. Une
conséquence en est, bien sûr, que le nombre d’activités HIMO est en forte croissance
dans les pays en voie de développement et qu’il y a un fort besoin de systématiser ces
expériences pour pouvoir en tirer des leçons.
La mise en œuvre d’activités HIMO au Mali est récente. En effet ce n’est qu’en 2005 que
des activités HIMO, dans la configuration actuelle et sous la supervision de l’APEJ, ont
été entreprises au Mali. Toutefois, l’idée de travaux publics à forte intensité de main
d’œuvre pour développer l’emploi n’y est pas nouvelle. Il existe un précurseur dans
l’Agence d’Exécution des Travaux d’Intérêt Public pour l’Emploi (AGETIPE) dont la
création remonte à 1992, juste après l’instauration de la démocratie au Mali8.
L’AGETIPE a bénéficié du financement du gouvernement malien et de partenaires au
développement (en l’occurrence la Banque Mondiale et les coopérations allemande et
canadienne). L’AGETIPE existe toujours mais son rôle est plus celui d’entrepreneur et de
maître d’ouvrage. L’objectif principal de l’AGETIPE est de favoriser la création
d’emplois et le développement de petites et moyennes entreprises, essentiellement en
zones urbaines. La lutte contre la pauvreté n’apparait qu’en filigrane dans les objectifs de
l’AGETIPE. Le peu de considération donnée à la lutte contre la pauvreté n’était pas
propre aux activités de l’AGETIPE mais concernait la politique économique dans son
8 Sur les activités de l’AGETIPE, voir le site www.agetipe.org. Le document-cadre de la politique de l’emploi de 1998 donne une bonne analyse du rôle de l’AGETIPE dans le lancement de travaux HIMO pendant les années 1990 (Ministère de l’Emploi, de la Fonction Publique et du Travail (1998), ch. 5). Un peu ironiquement le bâtiment du siège de l’AGETIPE est devenu au début des années 2000 le siège de la cellule CSLP.
15
ensemble. En effet, ce n’est qu’au début des années 2000 que l’objectif de réduction de la
pauvreté est devenu un des objectifs de la politique économique au Mali. Une deuxième
agence, l’Agence d’Exécution des Travaux d’Infrastructures et d’Equipement Ruraux
(AGETIER), a été créée en 2001 pour couvrir le monde rural. Le siège de l’AGETIER est
à Ségou mais ses activités sont censées couvrir l’ensemble du pays9. Il existe aussi des
programmes financés par les partenaires au développement qui s’inspirent de l’approche
HIMO10.
Le rôle de l’APEJ
La création de l’APEJ remonte à 2003 mais ce n’est qu’en 2004 que l’agence a
commencé la mise en œuvre de sa raison d’être : le Programme emploi jeunes (PEJ).
Quelques 18 milliards de FCFA ont été alloués à l’APEJ par le gouvernement pour
financer ses activités pendant les cinq premières années. L’agence est sous la tutelle du
Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle. A l’origine, les actions de
l’APEJ étaient majoritairement ciblées sur les jeunes urbains, diplômés et autres. Depuis
les actions de l’APEJ ont été diversifiées et portent de plus en plus sur les jeunes ruraux.
L’adjectif « jeune » dans la dénomination de l’agence est quelque peu trompeur car le
programme couvre la tranche d’âge des 15-40 ans. Les activités de l’APEJ sont financées
par une contribution forfaitaire de 2% sur les salaires des entreprises du secteur formel11.
Cette contribution ne couvre qu’une partie du financement de l’APEJ qui bénéficie aussi
de fonds publics, disponibles suite à l’allégement de la dette extérieure du Mali (initiative
PPTE) et à la privatisation de la SOTELMA.
L’aide du BIT à l’APEJ, sous la forme du PEJIMO, a joué un rôle déterminant dans
l’accent croissant mis sur le milieu rural et la préférence pour l’approche HIMO. Cette
9 Pour plus d’information sur les activités de l’AGETIER, voir le site www.agetier.com/ 10 Un exemple illustratif concerne le Programme d’Appui au Secteur Agricole au Mali (PASAM) financé par le Danemark. Les activités du PASAM sont concentrées dans la région de Mopti et couvrent la période 2008-2012. La composante B du programme a pour objectif spécifique le développement des infrastructures rurales (réhabilitation de pistes, aménagement de marchés, construction de barrages ou d’embarcadères, etc.) en s’inspirant de l’approche HIMO. Quelques 4,8 milliards de FCFA (soit 37% des fonds alloués au PASAM) lui sont consacrés. Pour une présentation du PASAM, voir Ministère de l’Agriculture (2007). 11 Traoré et Sissoko (2010), p. 30.
16
dernière n’est qu’un des moyens utilisés par l’APEJ pour atteindre ses objectifs. Ces
derniers sont multiples12. En ayant à l’esprit les dispositifs de la politique de l’emploi au
sens traditionnel du terme, on peut cependant les regrouper en trois objectifs principaux :
1) améliorer l’employabilité des jeunes en améliorant leur formation sur le tas (stage de
formation, apprentissage, première expérience professionnelle, etc.), 2) promouvoir
l’emploi par l’intermédiaire de travaux publics à forte intensité de main d’œuvre
(HIMO), en milieu rural et urbain, 3) développer l’auto-emploi en facilitant l’accès des
jeunes aux facteurs de production (terre et crédit) et par d’autres mesures incitatives. Les
deux premiers sont des dispositifs traditionnels de la politique de l’emploi, même si leur
contenu peut varier en fonction du contexte national (niveau de formation initiale des
participants, actifs créés, etc.). Ces trois objectifs ne sont pas indépendants les uns des
autres et il est aisé d’imaginer des dispositifs qui permettent d’atteindre les trois objectifs
à la fois. Par exemple, des travaux HIMO peuvent à la fois promouvoir l’emploi,
améliorer l’employabilité des participants en leur donnant une première expérience
professionnelle et des compétences acquises sur le tas et, enfin, développer l’esprit
d’entreprise et l’auto-emploi chez les participants.
L’APEJ a reçu environ 18 milliards de FCFA pour le financement du PEJ. Leur
répartition en fonction des trois objectifs cités ci-dessus donne une indication de l’ordre
des priorités du PEJ13. Le programme prévoyait 40% des fonds pour améliorer
l’employabilité des jeunes, 29% pour favoriser l’auto-emploi (aide au l’entreprenariat et
au financement) et 27% pour l’emploi rural et les travaux HIMO. Les 4% restants
devaient être répartis entre les frais de fonctionnement de l’agence (3,5%) et le suivi des
projets (0,5%)14.
12 Pour le détail des missions et objectifs, voir le site de l’APEJ (www.apej.org.ml). 13 Pour le détail de la répartition, voir BIT (2008), pp. 12-13. 14 Le programme emploi-jeunes (PEJII) pour 2011-2015 n’utilise pas la même clé de répartition entre les activités, ce qui rend difficile la comparaison avec le PEJ première génération. L’emploi rural et les travaux HIMO n’apparaissent plus comme objectif spécifique mais devraient se retrouver dans toutes les activités envisagées par le nouveau programme. Voir Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (2010).
17
Des activités en forte croissance mais à nombre de participants limité
Quelles sont les caractéristiques des activités HIMO entreprises à ce jour ? Le tableau 2
donne des informations sur le ciblage régional des activités, le genre d’activités
entreprises, le nombre et le profil des participants, etc. Le panorama porte sur les activités
telles qu’elles sont résumées par les services de l’APEJ (et le PEJIMO). Les informations
permettent de se faire une idée de l’importance et du contenu des activités HIMO. Elles
ne permettent pas, toutefois, d’évaluer l’impact des HIMO sur les chances pour les
participants de trouver un emploi dans un second temps. Cette question sera abordée dans
la partie sur le suivi et l’évaluation des activités HIMO. Nous ne sommes qu’au début de
l’expérience HIMO à grande échelle au Mali et un des objectifs du présent rapport est de
voir en quoi l’information sur les activités HIMO peut être perfectionnée pour en
améliorer le contenu, la mise en œuvre et l’impact sur la pauvreté.
Le tableau 2 trace un panorama des activités HIMO entreprises par l’APEJ au Mali. Le
tableau indique aussi bien les activités terminées (réceptionnées dans la terminologie de
l’APEJ) que celles en cours. Plusieurs observations s’imposent. Une première concerne le
nombre relativement limité d’activités HIMO terminées, soit 19 projets. Le tableau 2
propose une autre illustration de l’ordre de grandeur limité des activités : les 19 activités
HIMO ont créé 131 189 journées de travail, soit seulement 437 emplois annuels (en
comptant 300 jours de travail par an). Une deuxième observation concerne la forte
concentration géographique des activités HIMO. Deux régions, Ségou et le district de
Bamako, cumulent 16 des 19 activités HIMO terminées. La localisation des activités en
cours indique, toutefois, qu’un mouvement de diversification géographique est engagé.
Une troisième observation concerne la forte concentration sur un nombre limité
d’activités. Le pavage des rues, trottoirs et marchés, et la construction de pistes rurales
représentent 13 des 19 activités terminés et 28 des 37 activités terminées ou en cours
d’exécution.
18
Tableau 2 : Caractéristiques des activités HIMO, 2009-2010. __________________________________________________________________________________________________________________________
Région Nature Nb d’emplois Revenu Nombre de Revenu des temporaires moyen des participants moyen travaux créés participantsa) formés et mensuelb) (journées) (à la journée) insérés des insérés _____________________________________________________________________________________________________
Bamako (district)
1. Badialan pavage 8 370 7 527 20 tailleurs 112 500 95 poseurs 224 583 2. Dibida (I / II) pavage 8 851 4 951 30 tailleurs 112 500 49 poseurs 224 583 3. Tabacoro pavage 10 026 9 121 128 tailleurs 112 500 46 poseurs 224 583 4. Djikoroni pavage 9 000 6 000 146 poseurs - 5. Dibida (III) pavage en cours
Kayes
6. Sambacanou piste rurale en cours 7. Yelimané aménagement agricole en cours 8. Kouaka aménagement agricole en cours
Koulikoro
9. Kati pavage 19 000 5 447 30 tailleurs - marché 48 poseurs - 10. Tienfala aménagement 350 1 500 10 5 208 forêt
Mopti
11. Mopti pavage 14 200 2 041 20 tailleurs - trottoirs 38 poseurs - 12. Mopti dallage en cours 13. Mopti pavage en cours 14. Komo piste rurale en cours 15. Djanweli piste rurale en cours 16. Djenné/Syn aménagement agricole en cours
Ségou
17. N’gara piste rurale 5 671 1 146 15 300 000 (entretien) 18. Dougadougou piste rurale 3 674 598 12 245 000 (entretien) 19. Moussokorobougou piste rurale 700 1 076 12 - 20. Konodimini piste rurale 10 026 288 12 - 21. Tiemkelembougou
19
piste rurale 3 880 1 432 20 - 22. Dougouolo piste rurale 1 996 1 462 12 - 23. Konio piste rurale 1 085 1 829 15 - 24. Boussin piste rurale en cours 25. Sebougou piste rurale en cours 26. Dingani piste rurale en cours 27. Sibila piste rurale en cours 28. Samine piste rurale en cours 29. Massala piste rurale en cours 30. Dioforongo aménagement 7 253 8 809 40 10 416 forêt 31. Ké-Macina aménagement 13 000 2 769 45 208 333 hydro-agricole 32. Siengo aménagement 13 184 1 500 57 125 000 hydro-agricole 33. N’Gara périmètre 410 2 532 231 femmes 3 333 maraîcher 34. N’Tikithiona périmètre 513 2 568 231 femmes 3 333 maraîcher
Sikasso
35. Farakala piste rurale en cours 36. Zégoua piste rurale en cours 37. Finkolo piste rurale en cours Total 131 189 1 362 Moyenne 3 295 136 562 _____________________________________________________________________________________________________
Notes : a) Le revenu moyen par journée en FCFA est estimé en divisant le revenu distribué pendant les travaux par le nombre de journées de travail. b) Le revenu moyen mensuel en FCFA est calculé en divisant le revenu moyen annuel des jeunes insérés par 12. Source : APEJ/PEJIMO
Une quatrième observation concerne les fortes disparités observées dans les niveaux de
rémunération des participants aux activités HIMO. Une cinquième observation concerne
l’importance du volet formation avec 1 362 participants formés avant 2011. Une sixième
observation concerne les revenus mensuels élevés de certains jeunes formés, une fois
qu’ils sont insérés. Cela est particulièrement évident pour les métiers de poseur de pavé
mais aussi pour les jeunes formés à l’entretien des pistes rurales dans la région de Ségou.
Une septième observation concerne la sous-représentation des femmes qui a conduit les
autorités à créer des dispositifs réservés aux femmes (les activités 33 et 34). Ce constat
reflète en partie le fait que les activités entreprises nécessitent les compétences de métiers
traditionnellement masculins (comme tailleurs de pierre ou poseurs de pavés).
20
Diversification géographique en cours mais continuité des activités
Les activités de l’APEJ ont connu une forte expansion au cours des cinq dernières
années. Cela concerne les activités de l’APEJ relatives à l’organisation de stages pour les
jeunes issus du système de formation initiale. Cela concerne aussi, bien qu’à un rythme
moins soutenu, les activités HIMO. Il est prévu de donner un nouvel élan aux activités de
l’APEJ en 2011. De nouvelles activités HIMO vont être lancées, ou ont déjà été lancées.
Pour financer ces nouvelles activités, l’APEJ s’est vu attribuer une partie des recettes de
la privatisation de la SOTELMA.
Le tableau 3 résume les nouvelles activités HIMO prévues par l’APEJ. Le coût total des
nouveaux projets est estimé à 750 millions de FCFA pour les projets de pavage (9
projets) et à 600 millions de FCFA pour les aménagements hydro agricoles (5 projets).
Ensemble cela représente 1 350 millions de FCFA. Le tableau 3 détaille les 14 nouvelles
activités prévues sur la base d’informations mises à disposition par l’APEJ. Les données
ne portent pas toujours sur les mêmes aspects que ceux examinés dans le tableau 2, ce qui
rend difficile l’analyse et toute comparaison. Il s’agit aussi de prévisions de coût et
d’autres variables qui se doivent dès lors d’être interprétées avec précaution.
Cela dit, le tableau 3 permet de tirer quatre conclusions intéressantes. La première porte
sur la poursuite de l’effort de diversification géographique avec une répartition plus
égalitaire des nouvelles activités HIMO entre les régions du Mali. La deuxième concerne
la continuité dans le choix et la concentration des activités : 9 activités de pavages et 5
activités hydro-agricoles. La troisième porte sur l’accent mis sur le volet « formation ».
Les deux sortes d’activités visent à former 1 433 jeunes. L’objectif des nouveaux projets
n’est pas seulement de former des jeunes. Il est aussi de financer des emplois
temporaires, qui vont permettre à leurs détenteurs d’améliorer leurs revenus et pour
certains d’entre eux d’échapper à la pauvreté de manière transitoire et de créer des actifs
qui vont permettre une accélération de la croissance économique à venir.
Malheureusement, il n’y a pas encore d’information chiffrée sur le nombre d’emplois
temporaires créés par les nouvelles activités HIMO. La quatrième, enfin, porte sur la forte
intensité en main d’œuvre des activités de pavage de route et de marché, comparée à celle
21
des activités agricoles. Il est intéressant de constater à ce sujet que les activités de pavage
sont plus intensives en main d’œuvre au Mali que dans les autres pays (comparer les
données du tableau 3 avec celles du tableau 1).
Tableau 3 : Caractéristiques des activités prévues, 2011a). _____________________________________________________________________________________________________
Région Nature Coût % de la Nombre des unitaireb) main de participants travaux ‘000 FCFA d’œuvrec) à formerd) _____________________________________________________________________________________________________
Gao 1. N’Tillit aménagement plaine 4 421 (ha) 40 28 (8) 2. Gonzoureye aménagement 4 421 (ha) 40 35 (10) périmètre maraîcher 3. Ansongo aménagement 4 421 (ha) 40 70 (20) périmètre maraîcher
Kayes 4. Nioro du Sahel pavage marché 118 (ml) 65 60 5. Somankidy pavage 125 (ml) 65 50 6. Kayes pavage 150 (ml) 65 110
Kidal 7. Kidal pavage 119 (ml) 65 180
Koulikoro 8. Kati pavage marché 18 (m2) 65 150
Mopti 9. Bandiagara pavage 107 (ml) 65 110 10. Mopti pavage 120 (ml) 65 100 11. Douentza pavage 55 (ml) 65 90
Segou 12. Sirifla aménagement 3 782 (ha) 15 200 (40) périmètre agricole
Sikasso 13. Sikasso pavage 141 (ml) 65 160
Tombouctou 14. Banikane aménagement 3 108 (ha) 40 100 (40) périmètre rizicole _____________________________________________________________________________________________________
Notes : a) Le financement de ces activités est assuré par les recettes de la privatisation de la SOTELMA. b) Le coût unitaire est le coût du projet divisé par l’actif créé (m2 ou ml). c) L’intensité en main d’œuvre est calculée en divisant les revenus à distribuer par le coût total du projet. d) Le tableau indique aussi, entre parenthèses et quand il est disponible, le nombre de jeunes à installer. Source : APEJ
22
Développement des formations et intégration au système de formation initiale
Un objectif central de l’approche HIMO est de former les participants aux activités afin
de faciliter leur insertion professionnelle future. Les activités prévues pour 2011 visent à
former 1 433 participants (tableau 3). C’est en gros le même nombre que pour l’ensemble
des activités entreprises avant 2011 (tableau 1). Cela étant, on constate une augmentation
du nombre moyen de jeunes formés par activité, ce qui suggère que l’accent est de plus
en plus mis sur le volet « formation » des activités.
Les formations s’adressent à plusieurs catégories. D’abord, elles s’adressent aux
participants aux activités HIMO. L’objectif est de leur apporter des compétences et des
qualifications à même de faciliter leur insertion professionnelle future. Les formations
s’adressent également aux entreprises intéressées par la réalisation de travaux HIMO
(PME, bureaux d’études techniques, AGETIPE, etc.)15. Le nombre d’entreprises ayant
participé à des ateliers de sensibilisation et de formation est important : quelques 130 à
Ségou et une centaine à Bamako (selon les données du PEJIMO). Les formations
s’adressent enfin aux collectivités en charge du suivi et de l’entretien des actifs créés
(mairies, collectivités, GIE, etc.). Il y a de fortes inégalités de genre dans l’accès aux
programmes de formation. Entre 2005 et 2010, selon les données du PEJIMO, seulement
13 % des participants à ces formations étaient des femmes16. Une raison de ce biais est la
nature des activités HIMO qui concernent essentiellement des métiers « masculins »
(tailleur de pierre, paveur de rue, cantonnier, etc.). Les apprentis sont rémunérés pendant
leur formation, essentiellement pour couvrir les frais de nourriture.
Pour encourager la diffusion et l’amélioration de l’approche HIMO, des ateliers de
sensibilisation ont été organisés par l’APEJ et le PEJIMO dans les écoles supérieures de
bâtiments et de travaux publics de Bamako et de Ségou. L’objectif est dans un second
temps d’intégrer l’approche HIMO (théorique et pratique) dans les cursus de formation
des écoles d’ingénieurs. Un autre objectif est d’introduire des modules de formation à
l’approche HIMO dans les centres de formation professionnelle de l’enseignement
15 Voir par exemple PEJIMO (2010). 16 PEJIMO (2011), pp. 63-64.
23
secondaire. L’intégration de l’approche HIMO dans l’enseignement professionnel et
supérieur est synonyme d’une meilleure adaptation du système de formation initiale aux
besoins du marché du travail. A terme, elle devrait permettre d’économiser sur la
composante « formation » des projets à venir, libérant ainsi des fonds pour de nouvelles
activités.
Mode de sélection et appropriation des activités
Le choix des projets HIMO et de leur localisation n’est pas le fruit du hasard. Les
communes et autres collectivités font elles-mêmes des demandes de projets dans quatre
types d’activité : la construction de pistes rurales, l’aménagement de voiries urbaines, la
réhabilitation ou l’extension de marché, et l’aménagement de périmètres maraîchers. Pour
être éligible, les projets doivent être programmés dans le PDESC (Plan de
Développement Economique, Social et Culturel). Une fois la demande faite, l’APEJ
opère un choix entre les projets en fonction de critères spécifiques. Le tableau 4 résume
les principaux critères utilisés.
Les critères d’éligibilité diffèrent quelque peu selon les activités. Seules les communes et
collectivités ayant les moyens de consacrer des ressources à l’entretien des actifs créés ou
à leur construction peuvent postuler. Les coûts d’entretien ne sont pas dérisoires et
varient de 5 % du coût de construction pour les pistes rurales à 10 % du coût de
réhabilitation ou d’extension pour les marchés. Le coût est aussi élevé pour les projets de
voirie urbaine, 15 % du coût du projet de pavage ou assainissement étant à la charge de la
commune. Pour ce qui est de l’aménagement de périmètre maraicher, seul un engagement
formel de la commune à son entretien est demandé. Un deuxième critère d’éligibilité
déterminant est le coût de réalisation par habitant. Pour les pistes rurales, par exemple, ce
coût doit être inférieur à 12 500 FCFA.
Un objectif central des activités HIMO est de créer des emplois. C’est pour cette raison
qu’un des critères d’éligibilité porte sur la disponibilité de main d’œuvre locale pour la
réalisation des travaux, indépendamment du type d’activités. L’aménagement de voiries
urbaines requiert, en plus, un seuil minimum d’intensité en main d’œuvre. Le seuil est
24
fixé à 35 % du coût total du projet, ce qui est peu élevé comparé aux intensités en main
d’œuvre des techniques HIMO pour ce type de travaux au Mali ou dans les autres pays en
développement (voir les tableaux 1 et 3).
Tableau 4 : Critères d’éligibilité des projets _____________________________________________________________________________________________________
Piste rurale Coût de la piste par habitant < 12 500 FCFA Mise en place d’un fonds d’entretien financé par les communes
Disponibilité de la main d’œuvre, 15-40 ans, pour l’exécution des travaux
Voirie urbaine Financement par la commune de 15 % du coût du projet Intensité en main d’œuvre > 35 % (coût de main d’œuvre sur coût total) Disponibilité de la main d’œuvre, 15-40 ans, pour l’exécution des travaux
Marché Coût de réalisation par habitant
Mise en place d’un fonds d’entretien financé par la commune (10 % du coût du projet) Fréquentation et possibilité d’extension du marché
Disponibilité de la main d’œuvre, 15-40 ans, pour l’exécution des travaux
Maraichage Coût de réalisation par habitant Engagement formel de la commune pour l’entretien Disponibilité en eau, terres et absence de problème foncier Disponibilité de la main d’œuvre, 15-40 ans, pour l’exécution des travaux _____________________________________________________________________________________________________
Source : APEJ
La participation aux coûts de construction et d’entretien comme l’utilisation de main
d’œuvre locale encourage l’appropriation des actifs créés par les acteurs locaux. L’accent
mis sur l’organisation de la main d’œuvre peut aussi contribuer à cette appropriation.
L’existence d’une main d’œuvre « structurée et organisée » fait partie des critères
d’éligibilité. Le but ici est d’encourager la formation de groupements d’intérêt
économique (GIE) regroupant des membres des collectivités concernées. Pas moins de 28
des 37 activités présentées dans le tableau 2 ont donné lieu à la création de GIE. La raison
d’être des GIE est essentiellement l’entretien et la gestion commune des actifs créés par
les activités HIMO. Elle est aussi de garantir une activité à des jeunes. La grande majorité
des GIE est en charge de l’entretien des pistes rurales et des routes pavées. Mais il y aussi
des GIE au stade même de l’exécution des activités HIMO, comme pour l’exploitation de
25
carrières, pour le pavage ou l’éradication des plantes aquatiques dans le réseau
d’irrigation de l’Office du Niger. Les GIE sont une innovation institutionnelle et leur bon
fonctionnement peut renforcer l’appropriation et la bonne gestion des actifs créés par les
activités HIMO.
26
4. HIMO et pauvreté au Mali
Un objectif central des activités HIMO au Mali est de lutter contre la pauvreté. Cela dit, il
est important de voir en quoi la répartition des activités HIMO dans l’espace, leur ciblage
sur des catégories sociodémographiques et le genre d’actifs créés ont contribué à
atteindre cet objectif. Ce genre d’analyse est délicat et demande un ensemble de données
statistiques qui, à ce jour, ne sont pas disponibles17. Il est possible, toutefois, de faire une
évaluation plus qualitative de cet impact. L’APEJ fait face à une contrainte budgétaire,
les fonds publics lui ayant été alloués étant donnés. Cela étant, la manière de gérer et de
mettre en œuvre des activités HIMO a aussi un impact indirect sur la pauvreté. En effet,
une plus grande efficacité dans l’administration des activités HIMO va, toutes choses
égales par ailleurs, se traduire par plus de moyens pour les activités HIMO stricto sensu
et indirectement avoir un impact positif (à la baisse) sur la pauvreté. Ce dernier aspect
n’est pas abordé ici18.
Géographie de la pauvreté et répartition spatiale des HIMO
La pauvreté est inégalement répartie au Mali19. Elle est plus importante en milieu rural
qu’en milieu urbain et touche beaucoup plus les paysans que les autres catégories
socioéconomiques. La pauvreté est aussi beaucoup plus importante dans certaines régions
que dans d’autres. Sikasso, Ségou, Mopti et Koulikoro appartiennent aux régions les plus
touchées par la pauvreté alors que le district de Bamako est la région la moins touchée.
En gros, les résultats préliminaires de l’enquête auprès des ménages conduite en 2010
confirment le classement des régions en termes d’incidence de la pauvreté, tel qu’il
17 Pour une description des données statistiques et de l’information requises pour un tel exercice, Voir Ravallion (1999), p. 32. 18 L’APEJ a fait l’objet d’une « vérification de performance » par le bureau du Vérificateur général en 2009 (voir Vérificateur Général (2010), pp. 104-107). Le rapport du Vérificateur met l’accent sur trois problèmes : le déficit d’emplois créés (par rapport à ceux prévus initialement), la faiblesse des données statistiques sur l’emploi et une tutelle administrative confuse. Ce constat recoupe en gros celui plus étoffé de l’évaluation à mi-parcours du PEJ (BIT (2008), pp. 14-17) et celui de l’évaluation finale du PEJ (Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (2009), p. 33 et 42). Le fait que la création d’emplois soit nettement en deçà du nombre prévu initialement alors que les moyens mis à la disposition de l’APEJ correspondent à ceux prévus lors du lancement du programme indique que le degré d’efficience du programme est clairement inférieur à celui prévu initialement. 19 Pour une analyse récente, voir Coulibaly (2010) et INSTAT (2011).
27
ressortait des études sur la pauvreté à partir des enquêtes auprès des ménages
précédentes20. Les estimations sur l’incidence de la pauvreté raisonnent en termes de
pourcentage de la population d’une région vivant sous le seuil de la pauvreté. La
population varie fortement d’une région à l’autre et il est bon de compléter les données
sur l’incidence par celles de la contribution des pauvres de chaque région à la pauvreté
totale au Mali. C’est d’autant plus nécessaire que les données sur les activités HIMO
portent sur le nombre d’emplois créés, sans relier ce nombre à la population active dans
la région.
Graphique 2 : Répartition (en %) des très pauvres (en noir), des pauvres (en gris) et des activités HIMO (en blanc).
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
50
Bamako Gao Kayes Kidal Koulikoro Mopti Ségou Sikasso Tombouctou
Sources : Les données sur la répartition des pauvres et très pauvres entre les régions viennent d’INSTAT (2011), p. 52. Les estimations portent sur l’année 2010. Les données sur le nombre d’activités HIMO terminées ou en cours sont issues du tableau 2.
Le graphique 2 indique la répartition des pauvres et très pauvres entre les régions du
Mali21. Il montre que, par ordre d’importance, les régions de Sikasso, Ségou, Koulikoro
et Mopti sont les régions où habitent le plus grand nombre de pauvres et très pauvres. Ces
quatre régions abritent pas moins de 84 % des pauvres et 90 % des très pauvres. Le
20 Voir par exemple GREAT (2010), p. 15. 21 Le graphique utilise les estimations de la dernière étude de l’INSTAT sur la pauvreté (INSTAT (2011)). La pauvreté est définie en termes de niveau de dépenses insuffisant pour couvrir les besoins nutritionnels et autres besoins de base. L’extrême pauvreté est définie en termes de niveau de dépenses insuffisant pour couvrir les seuls besoins nutritionnels de base.
28
graphique 2 indique aussi la répartition des activités HIMO (terminées ou en cours) entre
les régions. Une conclusion qui s’impose est que la répartition des activités HIMO ne
reflète pas la répartition des pauvres dans l’espace. Les régions de Ségou et de Bamako
reçoivent une part plus que proportionnelle des activités HIMO. C’est particulièrement
évident pour la région de Ségou qui cumule presque la moitié des activités HIMO alors
que la région abrite « seulement » 18 % des pauvres et 19 % des très pauvres.
Les régions les plus défavorisées en termes de nombre de pauvres (élevé) et de nombre
d’activités HIMO (limité) sont les régions de Koulikoro et de Sikasso. Cette dernière
région abrite 34 % des pauvres (et 45 % des très pauvres) mais ne bénéficie que de 9 %
des activités HIMO. Les nouvelles activités HIMO prévues pour 2011 (voir le Tableau 3)
ne vont que peu altérer ce constat car une activité HIMO est prévue dans chacune de ces
deux dernières régions. Elles vont, par contre, améliorer la situation de la région de Gao,
qui va bénéficier de trois nouveaux projets, et de Tombouctou avec un projet.
Rémunération et ciblage « pauvres » des projets HIMO
Une conclusion du raisonnement ci-dessus est que la répartition spatiale des activités
HIMO (l’utilisation des ressources rares) n’est pas optimale en termes de lutte contre la
pauvreté au niveau national. La question qu’on peut se poser maintenant est de savoir si
le ciblage des activités HIMO est « optimal » en termes d’individus et de ménages
pauvres, c'est-à-dire si les participants aux activités HIMO sont considérés comme
pauvres. La présentation des activités HIMO par l’APEJ ne fait pas mention de ciblage
spécifique sur les populations pauvres, même s’il est dit que les activités HIMO sont un
instrument de lutte contre la pauvreté. Une raison de l’absence de ciblage est que
l’information sur « qui est pauvre » n’est pas disponible pour les décideurs publics ayant
à choisir entre les projets et les participants. Une autre raison est que les candidats
potentiels eux-mêmes n’ont pas intérêt à dévoiler leur vrai niveau de consommation et de
revenu. L’accès imparfait à l’information peut se traduire par deux types d’erreurs : d’une
part, l’inclusion de personnes qui ne sont pas ciblées initialement (les non pauvres) et
29
d’autre part, l’exclusion des personnes ciblées (les pauvres)22. L’implication des
collectivités dans la sélection des participants aux activités HIMO, par exemple les
communes ou les GIE, peut améliorer l’information sur les candidats potentiels et ainsi
diminuer les risques d’erreurs d’inclusion ou d’exclusion. Mais en même temps, elle
augmente le risque de capture par les élites locales qui peuvent avoir des objectifs
différents de ceux des activités HIMO23.
Une manière plus indirecte d’examiner le ciblage des activités HIMO et le lien avec les
individus et les ménages pauvres est de partir du niveau de rémunération pour les
participants. En effet, un niveau de rémunération inférieur à celui obtenu sur le marché du
travail (informel) va se traduire par une auto-sélection des pauvres aux activités HIMO.
Pour les non pauvres, ce niveau de rémunération est inférieur à leur salaire de réservation
(ou de réserve), qui est le niveau de salaire en-dessous duquel les non pauvres
n’acceptent pas de reprendre un travail. Le salaire de réservation varie entre les individus
et dans le temps. Il est plus élevé en cas de revenus d’inactivité (des transferts privés des
membres de la famille ayant émigré en ville ou à l’étranger, ou des transferts publics
comme des allocations chômage). Il varie aussi avec les activités agricoles, étant plus
élevé pendant la saison agricole et moins élevé le reste de l’année. En ce qui concerne le
monde rural, il est dès lors opportun d’exécuter les activités HIMO en période creuse
quand les activités agricoles sont à leur minimum et que le coût d’opportunité du travail
est le plus bas. C’est le meilleur moyen d’économiser sur le coût des activités HIMO
mais aussi d’optimiser l’impact de ces activités sur les revenus (totaux) des participants.
Pour illustrer l’impact du niveau de rémunération sur l’auto-sélection des pauvres, le
graphique 3 indique en ordonnée le revenu journalier moyen des participants aux activités
HIMO terminées. Le graphique indique aussi le niveau du SMIG à la journée (environ
1 500 FCFA) calculé en divisant le revenu mensuel minimum légal par 20 jours
ouvrables24. Le niveau des rémunérations varie considérablement selon les activités. Il y
22 C’est un problème récurrent des politiques ciblées de lutte contre la pauvreté. Pour une analyse exhaustive, voir Lavallée et al. (2009). 23 Ravaillon (1999), p. 45, et Lavallée et al. (2009), pp. 31-32. 24 Le SMIG s’élevait à 29 883 FCFA par mois en 2008 (Traoré et Sissoko (2010), p. 29).
30
a d’abord un groupe de six activités à rémunération moyenne égale ou supérieure à 5 000
FCFA, soit plus de trois fois le salaire minimum. Il y a ensuite un groupe intermédiaire de
4 activités à rémunération inférieure à 3 000 FCFA mais supérieure à 2 000 FCFA. Il y a
enfin un groupe de 9 activités à rémunération proche ou inférieure au salaire minimum. A
l’évidence, il y a une auto-sélection des pauvres pour ce dernier groupe d’activités. Les
non pauvres sont fortement incités à postuler pour intégrer le premier groupe où ils sont
mieux à même de concurrencer la main d’œuvre très peu qualifiée. Enfin, la situation est
plus difficile à trancher pour le groupe intermédiaire.
Graphique 3 : Revenu journalier moyen en FCFA des participants aux activités HIMO
terminées et de l’équivalent journalier du revenu minimum officiel.
0
1000
2000
3000
4000
5000
6000
7000
8000
9000
10000
3 30 1 4 9 2 31 34 33 11 23 10 31 22 21 17 19 18 20SMIG
Source des données : Les chiffres renvoient au numérotage des activités dans le tableau 2.
Les opérations de pavage sont sur-représentés dans le premier groupe à rémunération
relativement élevée. C’est aussi pour les participants à ces activités que les perspectives
d’emplois bien rémunérés (pour les participants insérés) sont les meilleures (voir le
tableau 2). A l’inverse, la construction de pistes rurales est sur-représentée dans le
troisième groupe à faible rémunération, ce qui confirme que ce genre d’activités concerne
essentiellement les populations rurales pauvres.
31
Projets HIMO et lutte contre la pauvreté
L’impact sur la pauvreté dépend du ciblage, plus ou moins réussi, des activités HIMO sur
les individus et les ménages pauvres. L’impact dépend aussi de la nature des activités,
c'est-à-dire des actifs créés. Certains actifs peuvent avoir un impact important sur les
revenus des pauvres. L’exemple le plus évident concerne la construction de pistes rurales
qui permet aux ménages pauvres d’avoir accès aux marchés pour la vente de leur
production agricole et l’achat d’intrants, sources de gains de productivité futurs. Ces
mêmes pistes rurales permettent aussi un meilleur accès au système scolaire et une
accumulation de capital humain. A l’inverse, le pavage d’une rue dans un quartier
résidentiel n’a pas, ou très peu, d’impact sur les revenus et la situation économique des
pauvres.
Graphique 4: Répartition des activités HIMO selon leur impact sur la pauvreté
Ciblage Non pauvres Pauvres
Non pauvres
Actifs
Pauvres
Note : L’aménagement de la forêt de Dioforongo (activité 30 dans le tableau 22) n’a pas été pris en compte en raison d’une incertitude sur le revenu moyen des participants Source : Tableau 2 pour les 18 activités HIMO terminées.
Le graphique 4 reproduit la matrice du lien entre ciblage des activités et nature des actifs
créés en y plaçant les activités HIMO terminées au Mali. Le placement est quelque peu
subjectif mais permet de se faire une idée d’ensemble de l’impact des activités entreprises
au Mali sur la pauvreté. Les activités de pavage sont placées dans le quadrant I en raison
des rémunérations élevées (et du non ciblage sur les pauvres) et des actifs créés qui
I: 1 2 3 4 9 11
II
III: 31 9
IV: 10 17 18 19 20 21
22 23 32 33 34
32
bénéficient essentiellement aux populations urbaines, moins touchées par la pauvreté. La
construction de pistes rurales est placée dans le quadrant IV en raison des rémunérations
faibles, à l’origine de l’auto-sélection des pauvres, et des actifs créés qui bénéficient
essentiellement aux populations rurales pauvres. A ce stade, nous avons choisi de ne pas
placer l’aménagement de la forêt à Dioforongo en raison d’une incertitude sur le revenu
moyen des participants (tableau 2).
A ce jour, la majorité des activités HIMO exécutées peuvent être considérées comme
optimales en termes de lutte contre la pauvreté. Cela concerne 11 des 18 activités
classifiées dans le quadrant IV du graphique. La plupart de ces activités sont des
constructions de routes rurales qui emploient la main d’œuvre locale et qui permettent le
désenclavement de villages. Toutefois, il y a un nombre non négligeable d’activités,
classifiées dans le quadrant I, dont l’impact sur la pauvreté peut être considéré comme
restreint. Il est bon de souligner que ces activités sont plus intensives en emploi. Selon les
données du tableau 2, les emplois temporaires créés par les activités de pavage de rues,
marchés et trottoirs représentent plus de 50 % des emplois totaux créés par les activités
HIMO à ce jour. Enfin, deux activités, le pavage du marché de Kati (Koulikoro) et
l’aménagement hydro-agricole de Ké-Macina (Ségou) sont placées dans le quadrant III.
Nous avons décidé de placer le marché de Kati à la fois dans les quadrants I et III car on
peut considérer que le pavage et l’extension du marché va bénéficier à la fois aux non-
pauvres et aux pauvres qui vont pouvoir y vendre une partie de leur surplus agricole.
Auto-sélection des moins pauvres parmi les pauvres !
La répartition géographique des activités HIMO ne reflète pas, ou très peu la répartition
de la pauvreté dans l’espace. Qui plus est, les activités entreprises à ce jour ne ciblent
qu’en partie les pauvres. Les activités HIMO sont concentrées dans les régions de Ségou
et dans le district de Bamako, même si une diversification géographique est en cours.
Ségou et Bamako abritent les deux tiers des activités terminées, souvent les plus
importantes en termes de main d’œuvre utilisée. Ce rôle central est en partie le produit de
l’histoire des activités à haute intensité de main d’œuvre au Mali. Le district de Bamako
abrite le siège de l’AGETIPE, une sorte de précurseur de l’APEJ en tant que maître
33
d’œuvre des activités HIMO au Mali, et la plupart des activités de l’AGETIPE y ont été
entreprises. La place importante des activités dans la région de Ségou reflète la présence
d’une antenne locale de l’APEJ à Ségou en charge de l’exécution des activités rurales,
ainsi que la localisation à Ségou de l’AGETIER, l’équivalent rural de l’AGETIPE.
L’existence d’une expertise technique locale en termes d’activités HIMO, la présence de
bureaux d’études techniques et de PME bien établis et actifs, un accès plus facile à
l’information pour les collectivités potentiellement intéressées (entre autres grâce au
« bouche à l’oreille »), tous ces facteurs interagissent et créent des effets d’agglomération
qui confortent la place prépondérante de Ségou et Bamako sur la carte des HIMO au
Mali.
Il existe aussi une raison plus systémique derrière la géographie et le ciblage des activités
HIMO : les critères d’éligibilité des projets (voir le tableau 4). Tout d’abord, le critère du
coût de la piste par habitant (< 12 500 FCFA) tend à favoriser les communes les plus
grandes en nombre d’habitants et les projets les moins coûteux (toute chose égale par
ailleurs, une piste plus courte qu’une piste plus longue). Ensuite, le critère de la
participation financière des communes, à l’entretien ou à la construction même,
encouragent indéniablement l’appropriation des projets par les communes et autres
collectivités. Cela dit, ce coût relativement élevé fait que seules les communes ou
collectivités ayant un minimum de recettes fiscales (ou autres recettes) et seules les
communes anticipant un impact économique positif de l’actif créé, une piste rurale ou
autres, sur les activités économiques futures de la commune vont postuler. Cela tend à
éliminer les communes les plus pauvres et celles ayant des potentialités économiques
limitées, dans le court et moyen terme.
Les critères de coût du projet et de participation des communes tendent à créer un profil
type de la commune élue : pour ce qui est de la construction de pistes rurales, par
exemple, une commune ayant des recettes fiscales suffisantes, des potentialités agricoles
(par exemple un surplus agricole à écouler à la ville), une population relativement
importante et pas trop éloignée d’un axe routier ou d’une ville. Ce profil n’est pas celui
de l’extrême pauvreté au Mali qui concerne le plus souvent des individus et des ménages
34
vivant dans des communes ou des villages caractérisés par un fort enclavement et une
économie d’autosubsistance. Les critères d’éligibilité actuels tendent en fait à favoriser
l’auto-sélection des communes et des villages les moins pauvres parmi les communes et
villages pauvres. Ces critères encouragent en fait la construction et la réhabilitation
d’infrastructures rurales les plus à même d’avoir un impact significatif sur la croissance
économique, ce qui est un objectif majeur du CSCRP.
35
5. Fort besoin de suivi et d’évaluation des HIMO
La bonne gouvernance requiert inter alia de savoir tirer les leçons de l’expérience, afin
d’améliorer l’efficacité des politiques publiques. La raison d’être d’un système de
suivi/évaluation est justement, en rendant possible la collecte d’une information fiable et
l’analyse de cette information, de tirer les leçons des expériences passées ou en cours. Le
système de suivi-évaluation doit permettre en rétroagissant sur la conception et la mise en
œuvre des travaux HIMO, d’en corriger certaines faiblesses et d’en perfectionner le
contenu. Ce processus de remise en cause et de correction est nécessaire, et se doit d’être
fait de manière continue, afin d’atteindre les objectifs de l’intervention publique, dans
notre cas la réduction de la pauvreté.
Quelles évaluations ?
Les études d'évaluation peuvent être réparties en trois grandes catégories: les évaluations
à caractère général, les évaluations portant sur l'exécution (pour lesquelles le terme de
suivi est communément utilisé) et les évaluations d'impact25. L'objectif des évaluations à
caractère général est de déterminer la pertinence des objectifs et de la démarche, mais
également d'identifier les nouveaux problèmes le plus tôt possible. La fonction de ces
évaluations à caractère général est de faciliter et d'accélérer la prise de décision. Le but du
deuxième type d'évaluation, portant sur l’exécution, est de suivre dans le détail le
processus de mise en œuvre d’un dispositif et de voir si cette mise en œuvre correspond
aux objectifs déclarés du dispositif. Ce genre d’évaluation doit en outre déterminer si les
administrations et autres structures en charge de la mise en œuvre le font de façon
efficace. Souvent, les évaluations d'exécution consistent à suivre un projet en termes de
coût, de nombre de participants, de genre d’activités, d’actifs créés, etc. Les évaluations
d'impact, enfin, visent à mesurer et évaluer les effets des activités en termes d'objectifs
spécifiques (accès à l’emploi ou auto-emploi, sortie de pauvreté, revenus futurs des
participants, etc.). Les évaluations d'impact essaient de répondre à des questions de nature
causale en ce qu'elles essaient d’estimer les effets d’un dispositif par comparaison 25 Sur les différents types d’évaluation des dispositifs de l’emploi, voir par exemple Bourdet et Persson (2001/2), pp. 151-153.
36
explicite avec ce qui se passerait sans dispositif. Ces évaluations nécessitent souvent la
prise en compte de l’évaluation au stade même de la conception du dispositif, comme le
choix aléatoire des participants.
Ces différents types d'évaluation sont complémentaires au sens où ils constituent les
étapes nécessaires dans le processus d'identification d'un problème, de la conception
d'une solution, de la mise en œuvre d’un dispositif et de l'évaluation de ses effets. La
démarche idéale d'évaluation est circulaire en ce sens que les résultats des études
d'évaluation doivent alimenter la reformulation du contenu du dispositif, soit en
améliorant sa conception soit en motivant le choix de dispositifs alternatifs ou d'une
combinaison de dispositifs mieux à même d'atteindre les objectifs que les décideurs
publics se sont fixés Les trois types d'évaluations sont indispensables à une bonne
évaluation d’un programme d’activités. Ainsi, par exemple, une évaluation concomitante
d'exécution (de suivi) est nécessaire pour déterminer si l'impact mitigé d’un dispositif
résulte du dispositif lui-même ou d'une mise en œuvre défectueuse d'un dispositif
potentiellement bon.
Quel suivi et quelle évaluation ?
Le succès des activités HIMO au Mali requiert ces trois genres d’évaluation. Une
évaluation à caractère général est d’abord nécessaire pour bien montrer la pertinence des
activités HIMO dans le contexte malien et pour justifier la démarche empruntée. Ce genre
d’évaluation, à la fois qualitatif et quantitatif, sert à cerner le problème de l’emploi et de
la pauvreté au Mali et à voir comment les activités HIMO peuvent contribuer à sa
solution (de manière limitée, s’entend). Ce genre d’évaluation est aussi nécessaire pour
convaincre les décideurs publics maliens, la société civile, les partenaires au
développement et les collectivités concernées du bien fondé de l’approche HIMO et ainsi
conforter son appropriation. La présente étude va dans cette direction.
Le deuxième genre d’évaluation a le caractère de suivi des activités HIMO. Son objectif
est de mesurer les avancées dans la mise en œuvre des activités HIMO à partir
d’indicateurs sur le coût, le nombre, l’âge, le genre et le niveau d’éducation des
37
participants, les actifs créés, les rémunérations, etc. A ce jour, c’est ce genre d’évaluation
qui a apporté le plus d’informations sur les activités HIMO grâce au travail de suivi du
PEJIMO. Ce suivi peut-être toutefois amélioré en réfléchissant au choix et à la qualité des
indicateurs les plus à même d’illustrer les avancées des activités HIMO mais aussi de
mener à bien des évaluations d’impact. Il peut être bon aussi de développer de meilleurs
outils d’observation et de suivi des GIE afin de mieux comprendre leur rôle dans
l’exécution des activités HIMO et dans la gestion durable des actifs créés par ces
activités26.
Le troisième genre d’évaluation vise à estimer et évaluer les effets des activités HIMO en
termes d’objectifs spécifiques (accès à l’auto-emploi, chances d’échapper à la pauvreté
pour les participants, augmentation des revenus des villageois suite à la construction
d’une piste rurale, etc.). Ce genre d’évaluations demande plus de temps et des
compétences techniques pas toujours disponibles dans l’administration. Cela étant, ces
évaluations ne peuvent pas être faites de manière aussi régulière que le suivi mais à
intervalles régulier, par exemple tous les trois ou quatre ans. Les évaluations d’impact
demandent aussi une intervention au stade même de la conception du dispositif (par
exemple par le choix aléatoire des participants) pour pouvoir produire des résultats
fiables27.
Quel cadre institutionnel ?
Le choix du cadre institutionnel du suivi/évaluation est important pour la fiabilité et la
qualité des évaluations. Il est aussi important pour la rapidité avec laquelle les résultats
des évaluations remontent vers la structure de décision, ce qui devrait permettre dans un
second temps le choix des activités et l’amélioration de leur contenu (en termes de
répartition géographique, de ciblage sur certaines catégories, de choix des actifs à créer,
etc.). 26 Comment des arrangements institutionnels comme les GIE fonctionnent et contribuent à résoudre les problèmes de gestion des biens communs est le thème de recherche principal d’Elinor Ostrom, la lauréate du Prix Nobel d’Economie en 2009. Voir par exemple Ostrom (2010). A priori, les aspects du mode de fonctionnement les plus intéressants pour ce qui est les HIMO concernent les procédures de sélection des membres, les règles opérationnelles, les mécanismes de surveillance mutuelle, les mécanismes de résolution des conflits et les systèmes de sanction. 27 Gertler et al. (2011) est la meilleure introduction aux évaluations d’impact.
38
Pour des raisons budgétaires, il peut être préférable de se tourner vers les structures
existantes pour ce qui est du suivi des activités HIMO. Le PEJIMO a joué ce rôle jusqu’à
ce jour. Le financement du PEJIMO est assuré par les partenaires au développement (le
BIT et la coopération luxembourgeoise) et il peut être bon d’y associer une structure
nationale pour la pérennité et la qualité du suivi. Le Ministère de l’emploi dispose d’un
observatoire de l’emploi et de la formation professionnelle (DOEF) qui au vu de ses
missions (le suivi de l’emploi et du fonctionnement du marché du travail), et sous réserve
d’amélioration de ses capacités techniques, pourrait participer au suivi. Le travail en
cours au Mali sur l’élaboration d’une nouvelle politique de l’emploi (la dernière datant de
1998) peut faciliter l’implication de l’observatoire dans le suivi des activités HIMO,
comme des autres dispositifs de la politique de l’emploi. C’est le meilleur moyen
d’améliorer la visibilité des interventions sur le marché du travail (dont les HIMO), d’en
appréhender la cohérence et de renforcer la rétroaction sur les décideurs publics en
charge de l’élaboration de la politique de l’emploi28. Pour ce qui est des évaluations
d’impact, en raison des compétences requises pour mener ce genre d’évaluation, il est
préférable de se tourner vers les centres de recherche en économie. C’est le meilleur
moyen pour obtenir une évaluation indépendante des structures de décision, objective et
de qualité.
28 Il n’y a pas de synthèse récente sur les dispositifs de la politique de l’emploi au Mali. A notre connaissance, la seule qui existe est celle du document-cadre de la Politique Nationale de l’Emploi (PNE) qui date de 1998. Il est intéressant de voir qu’un chapitre entier d’une quarantaine de pages y est consacré aux travaux à haute intensité de main d’œuvre. Voir Ministère de l’Emploi, de la Fonction Publique et du Travail (1998), ch. 5.
39
5. Les petits ruisseaux peuvent faire de grandes rivières !
Les activités HIMO font partie des instruments mis en avant par le gouvernement malien
pour combattre la pauvreté et favoriser l’insertion professionnelle des 15-40 ans. Le
nombre de participants à ces dispositifs a cru depuis 2005. Rapporté au nombre de
Maliens ayant un emploi ou étant au chômage, ce nombre est toutefois très limité. Les
activités HIMO mises en œuvre par l’APEJ avant 2011 ont comptabilisé un peu plus de
130 000 journées de travail, soit entre 400 et 500 emplois créés sur une année. Cela
correspond à une partie infime de la population active. La population active s’accroit en
gros de 100 000 personnes par an (selon les estimations du BIT), ce qui veut dire que les
HIMO finalisés avant 2011 ne représentaient que 0,4% de l’accroissement moyen de la
population active. Ce constat confirme les évaluations du PEJ (à mi-parcours et finale)
qui concluent que les résultats en termes quantitatifs sont bien en-deçà des objectifs fixés
initialement29. Une autre indication de l’importance quantitative limitée des HIMO
concerne le nombre de jeunes formés. Les activités prévues pour 2011 visent à former un
peu plus de 1 400 participants, soit un peu plus d’1% de l’accroissement annuel moyen de
la population active. Ce dernier chiffre suggère que les HIMO ne peuvent pas remplacer
le système de formation initiale et qu’une meilleure préparation à la vie active passe
d’abord par une amélioration et une extension de l’enseignement technique et
professionnel. Les efforts faits actuellement pour intégrer l’approche HIMO à
l’enseignement technique et professionnel vont dans ce sens.
Les activités HIMO ont connu une croissance rapide à Ségou et Bamako. Ces régions ne
sont pas celles qui comptent le plus grand nombre de pauvres et très pauvres. Les régions
de Mopti, Sikasso, Koulikoro et Kayes abritent les trois quarts des pauvres (et des très
pauvres) mais seulement un tiers des activités HIMO terminées ou en cours. Les activités
HIMO à venir, financées en partie par les recettes de la privatisation de la SOTELMA,
sont mieux réparties entre les régions. A l’évidence, un meilleur ciblage géographique
29 BIT (2008), p. 33, et Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (2009), p. 42.
40
avec une répartition spatiale des activités qui reflète mieux la géographie de la pauvreté
est souhaitable si l’objectif des HIMO est de réduire la pauvreté.
Les pauvres semblent majoritaires parmi les participants aux activités HIMO, même si les
statistiques disponibles ne nous permettent pas de conclure sur ce point avec certitude.
Cela tient surtout aux faibles niveaux de rémunération des participants qui conduisent à
une sorte d’auto-sélection des pauvres. Cela dit, les activités les plus intensives en main
d’œuvre sont concentrées dans les villes et le niveau relativement élevé des
rémunérations ne conduit pas à une auto-sélection des pauvres. Alors que le ciblage
géographique est facile à atteindre, le ciblage sur les catégories sociodémographiques
(comme les pauvres) est plus difficile à mettre en place et son coût peut être important.
La création des GIE peut aider au ciblage des pauvres. Leur création est récente et il est
encore trop tôt pour appréhender les conséquences sur le ciblage des pauvres, comme sur
la gestion des ressources communes (canaux d’irrigation, pistes rurales, etc.).
Il n’y a pas de réflexion systématique sur le genre d’actifs créés et leur relation avec les
revenus et le bien-être des pauvres. Cependant, la majeure partie des actifs crées par les
activités HIMO en milieu rural sont potentiellement sources d’une augmentation des
revenus pour les pauvres et de croissance économique. Au cours des cinq dernières
années, il y a eu une sorte de réorientation des activités HIMO, et des autres activités de
l’APEJ, avec un accent croissant mis sur le monde rural. A ce jour, la plus grande partie
des activités concernent la création d’infrastructures, pistes rurales ou pavage urbain. Des
incertitudes subsistent pour ce qui est de l’impact sur l’extrême pauvreté en raison du
mode de sélection des projets de pistes rurales. En effet, le système en place tend à auto
sélectionner les communes les plus à même de rentabiliser leurs avantages comparatifs et
à écarter les villages les moins bien lotis en termes d’enclavement et de potentialités
agricoles.
Au cours des deux/trois dernières années, on note un développement des activités HIMO
dans le secteur hydro-agricole. Les activités HIMO pour l’éradication de la Salvinia dans
41
la région de l’Office du Niger en 2010 constituent un exemple de ce genre de mesure30.
Un autre concerne les travaux HIMO entrepris dans le cadre du PASAM dans la région
de Mopti31. Il serait bon d’accélérer ce développement qui permet, sur une échelle
réduite, de s’attaquer à une contrainte majeure des efforts faits pour réduire la pauvreté, la
faible productivité agricole. Il serait bon aussi de concevoir les activités HIMO pour
augmenter la résilience des ménages ruraux face aux conséquences du réchauffement
climatique dans les régions les plus concernées (travaux d’irrigation, travaux de
construction de digues de retenue d’eau, travaux contre l’érosion, travaux de remise en
valeur des terres, travaux de reboisement, travaux contre la désertification, etc.). Les
travaux HIMO peuvent en fait devenir un outil privilégié des politiques
environnementales au Mali32.
Une conclusion importante de la présente étude est qu’il est nécessaire d’engager une
réflexion sur les critères d’éligibilité des projets HIMO. Tout d’abord, il serait bon de
réfléchir à une modification ou un assouplissement des critères actuels qui semblent
pénaliser les communes ou les collectivités les plus pauvres et les plus enclavées.
Ensuite, il serait bon d’avoir un critère d’éligibilité qui reflète l’incidence et la profondeur
de la pauvreté dans les communes et les collectivités en quête de projets HIMO. Il existe
des cartes de la pauvreté au niveau des cercles et des communes qui pourraient être
utilisées à cette fin33. Enfin il serait bon d’avoir un critère d’éligibilité qui prenne en
compte la nature des actifs créés avec par exemple un système de points de 0 à 5 en
fonction de la dimension pro-pauvres des actifs créés. 30 Pour une présentation, voir Diakité (2011). Les données disponibles ne permettent malheureusement pas de faire une évaluation systématique des activités HIMO engagées dans la région de l’Office du Niger. Il y a bien des données sur les zones d’intervention, le nombre de GIE, le montant des conventions signées et les taux de réalisation (ibid., Annexe III). Mais il n’y a pas des données sur le nombre de participants, leur âge, les rémunérations de leur travail, etc. 31 Le projet PASAM a débuté en 2008 et va se poursuivre jusqu’en 2012 (pour une présentation, voir Ministère de l’Agriculture (2007)). La revue à mi-parcours, de novembre 2010, constate des retards dans la mise en œuvre et l’exécution des travaux d’infrastructures rurales (pistes, périmètres irrigués, marchés, etc.) s’inspirant de l’approche HIMO (PASAM (2010), p. 7-9). Une raison de ces retards tient aux critères et procédures de sélection des projets. Une autre raison tient aux difficultés de mobilisation de la main d’œuvre rurale pendant la période de l’année la plus propice aux activités agricoles. La période couverte par le PASAM, comme les retards constatés dans l’exécution, font qu’une évaluation de l’impact des activités HIMO du PASAM est difficilement faisable avant 2013. 32 Pour une revue et évaluation récente des politiques environnementales au Mali, voir République du Mali (2009), p. 101-106. L’étude ne fait curieusement pas référence aux activités HIMO. 33 GREAT (2010), pp. 26-46.
42
Il n’existe pas de système de suivi systématique des activités HIMO. Par exemple, il
n’existe pas de statistiques sur l’âge, le genre, le niveau d’éducation des participants ; on
ne sait pas si le participant en est à sa première participation, etc. Il n’existe pas non plus
de données comparables sur la productivité des activités dans les différentes régions (par
exemple : mètre par journée ou par mois de pavage HIMO). Le constat est encore plus
mitigé quant à l’évaluation au sens strict du terme (évaluation d’impact). En effet, il
n’existe pas d’étude d’évaluation d’activités HIMO sur l’insertion des participants sur le
marché du travail hors HIMO, sur les revenus futurs des participants, sur leur probabilité
d’échapper à la pauvreté, sur le développement économique au niveau de la commune ou
de la région concernées, etc. Une raison tient bien sûr aux difficultés de ce genre
d’exercice. Par exemple, il est très difficile d’évaluer l’impact économique d’une
nouvelle piste rurale en l’isolant de l’impact des bonnes conditions et performances
agricoles initiales pour les communes ayant fait la demande de la piste rurale34. Cela dit,
l’absence de système de suivi systématique et d’évaluation stricte est un frein à
l’amélioration de la conception, la mise en œuvre et l’efficacité des activités HIMO.
L’histoire des activités HIMO au Mali est récente même si ont existé des activités à forte
intensité de main d’œuvre précédemment (comme celles entreprises dans le cadre de
l’AGETIPE). Les résultats sont encourageants pour ce qui est des activités génératrices
de revenu et probablement de l’aide à un nombre, relativement limité, de pauvres pour
échapper à la pauvreté (sûrement de manière transitoire, plus incertain d’une façon
durable). Un meilleur ciblage sur les régions et les populations les plus pauvres ainsi
qu’une réflexion sur le genre d’activités HIMO les plus à même de relever le défi de la
pauvreté et du réchauffement climatique en milieu rural devrait permettre d’augmenter
les moyens disponibles, entre autres des partenaires au développement, d’augmenter
significativement le nombre de participants et l’efficacité des HIMO en termes de
réduction significative de la pauvreté. Chaque activité HIMO bien conçue constitue un
petit ruisseau qui peut contribuer à alimenter la grande rivière de la stratégie de réduction
de la pauvreté au Mali.
34 Sur la difficulté d’évaluer l’impact économique des pistes rurales, voir Van de Valle (2009).
43
Références bibliographiques
Andrianjaka, Nirina Haja et Milazzo, Annamaria (2008) Travaux Publics à Haute Intensité de Main d’œuvre (HIMO) pour la Protection Sociale à Madagascar : Problèmes et Options de Politique, Banque Mondiale, Africa Region Working Papers Series no. 117. APEJ (2010) HIMO – Haute Intensité de Main d’Œuvre, Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, Bamako. Bourdet, Yves, et Persson, Inga (2001/2) Le système d’évaluation de la politique de l’emploi en faveur des jeunes en Suède, Revue de l’IRES, No. 36, p. 139-170. Bourdet, Yves (2007) Mali – pour une croissance mieux répartie, Agence Suédoise de Coopération Internationale au Développement (ASDI), Country Economic Report 2007 :4. BIT (2008) Rapport d’évaluation à mi-parcours du Programme emploi-jeunes (PEJ) Bureau international du travail, Projet d’appui à la promotion de l’emploi et la réduction de la pauvreté, BIT/APERP. Coulibaly, Massa (2010) Mali – Croissance économique et dynamique de la pauvreté, GREAT, Groupe de Recherche en Economie Appliquée et Théorique, Bamako. Dabitao, Kassim; Dembele, Aoua; Haidara, Fadimata; Sougane, Arouna (2011) Pauvreté multidimensionnelle et conditions de vie au Mali (2001-2006), PMMA Cahier de recherche, Réseau de Recherche sur les Politiques Economiques et la Pauvreté. Diakité, Modibo (2011) Organisation des jeunes locaux en GIE (Groupement d’Intérêt Economique), Mémoire pour l’obtention du master 2 en ingénierie de l’eau et de l’environnement, Institut International d’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement, Ouagadougou. Gertler, Paul J. ; Martinez, Sebastien ; Premand, Patrick ; Rawlings, Laura B. et Vermeersch, Christel M. J. (2011) Impact Evaluation in Practice, The World Bank, Washington DC. GREAT (2010) Mali – Carte de pauvreté, Groupe de Recherche en Economie Appliquée et Théorique, Bamako. INSTAT (2011) Enquête par grappe à indicateurs multiples et de dépenses des ménages (MICS/ELIM) 2010, Résultats préliminaires du volet ELIM, Institut National de la Statistique. Lavallée, Emmanuelle ; Olivier, Anne ; Pasquier-Doumer, Laure ; Robilliard, Anne-Sophie (2009) Le ciblage des politiques de lutte contre la pauvreté : quel bilan des expériences dans les pays en développement ?, Document de travail DT/2009-03, Dial. Ministère de l’Agriculture (2007) Programme d’Appui au secteur Agricole au Mali – PASAM 2008-2012, Ministère de l’Agriculture, Ministère de l’Élevage et de la Pêche et Ministère des Affaires Étrangères du Danemark.
44
Ministère de l’Emploi, de la Fonction Publique et du Travail (1998) Document-Cadre de la Politique Nationale de l’Emploi, Bamako. Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (2009) Rapport d’évaluation finale du Programme Emploi-Jeunes (PEJ), Rapport définitif, Secrétariat Général. Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (2010) Programme Emploi-Jeunes (PEJII) – Document-Cadre (2011-2015), version finale, Bamako. Del Ninno, Carlo ; Subbarao, Kalanidhi ; Milazzo, Annamaria (2009) How to Make Public Works Work : A Review of Experiences, Social Protection and Labor, Discussion Paper no. 0905, The World Bank. Olivier, Franco et Bynens, Eddy (1998) L’Approche HIMO et les Investissements Routiers, Service des investissements à forte intensité d’emplois, Bureau International du Travail. Ostrom, Elinor (2010) Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Éditions De Boeck Université, Bruxelles. PASAM (2010) Programme d’Appui au Secteur Agricole au Mali – Revue à mi-parcours conjointe 8-19 novembre 2010, Aide-Mémoire. PEJIMO (2010) Manuel de formation pour Bureaux d’Etudes Techniques (BET) et Petites et Moyennes Entreprises (PME) du Secteur du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP) – Techniques de chantiers à Haute Intensité de Main d’œuvre (HIMO), Ministère de l’emploi et de la formation professionnelle, Agence pour la Promotion de l’Emploi des Jeunes. PEJIMO (2011) Capitalisation des acquis du PEJIMO, mimeo, Bamako. Ravallion, Martin (1999) Appraising Workfare, The World Bank Research Observer, vol. 14, no. 1. République du Mali (2009) Evaluation économique de la gestion environnementale au Mali – Coûts et bénéfices, Rapport final, UNEP, UNDP et SBA. Traoré, Modibo et Sissoko, Youssouf (2010) Les institutions du marché du travail face aux défis du développement : Le cas du Mali, Bureau International du Travail, Document de travail de l’emploi no 65. Van de Valle, Dominique (2009) Impact evaluation of rural road projects, Journal of Development Effectiveness, vol. 1, no. 1, pp. 15-36. Vérificateur Général du Mali (2010) Rapport Annuel 2009, Bamako.