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Rompant avec l’exercice convenu des vœux présidentiels, François Hollande a surpris : il a annoncé une baisse de la dépense publique et des impôts, dénoncé des abus à la Sécurité sociale, et appelé à un pacte de responsabilité avec les entreprises… Voilà qui n’appartient pas vraiment au bréviaire de la gauche, et qui n’a d’ailleurs guère été mis en œuvre par des gouvernements de droite. S’agit-il pour autant d’un tournant social-libéral ? N’est-ce pas plutôt, du fait d’une crise plus profonde que prévue, une mise en cohérence entre les convictions de François Hollande, son discours et ses actes ? Certes chacun se souvient de ses diatribes contre « la Finance, son seul ennemi », de la taxation à 75 % des plus hauts revenus, ou des hausses d’impôts. Mais il ne faut pas non plus oublier que le candidat aux primaires socialistes La vraie nature du Hollandisme Hervé Morin P. 2 Michel Lesage P. 11 ESCP Europe The True European Business School Working on one of the major issues of the Union’s financial crisis Induction Seminar at the European Parliament The World’s First Business School (est. 1819) a mené campagne sur la baisse des déficits, en évitant trop de promesses inconsidérées. Et qu’une fois au pouvoir, après quelques mois de flottement, il a engagé lors de sa première conférence de presse une politique de l’offre avec les 20 milliards du CICE pour les entreprises, et donné la priorité à la négociation contractuelle. Mais François Hollande avançait masqué, avec des allers- retours. La profondeur de la crise et le manque de résultats l’obligent à assumer sa politique sociale-démocrate. Il désarçonne du même coup l’UMP, avec la fameuse triangulation – quand votre adversaire reprend vos mots et votre politique – avec le risque pour elle de se laisser entraîner dans une surenchère libérale. Il reste à François Hollande à dire comment il baissera impôts, dépenses publiques et charges des entreprises, et surtout à passer aux actes. Puis à vérifier que les résultats arrivent enfin. Et cela sous le regard hostile de sa gauche : L’Humanité Dimanche met à sa une Pierre Gattaz avec le masque de Hollande… www.lhemicycle.com NUMÉRO 475 — MERCREDI 15 JANVIER 2014 — 2,15 ¤ Mego Terzian P. 3 DR FABRICE COFFRINI/AFP JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN/AFP LUDOVIC WEYLAND l’Hemicycle , Agora À la tribune Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Rédacteur en chef : Thomas Renou Un œil sur l’Europe La crise de la zone euro, une crise grecque mal gérée par Jean Quatremer p. 7 Passé-présent Quand les Français découvraient le centre de l’Afrique par Bruno Fuligni p.6 Édito Des paroles et des actes par Éric Mandonnet p. 6 Aux Quatre Colonnes Pacte de responsabilité contre réforme fiscale par Pascale Tournier p. 4 Au sommaire Entretien avec Pierre-Alain Muet >p. 4 Un autre regard, le bloc-notes de Patrick Poivre d’Arvor >p. 9 À la tribune : Métamorphose numérique et développement durable des territoires par Gilles Berhault et Francis Jutand >p. 10 FRANCOIS GUILLOT/AFP L’opinion de Gérard Leclerc PRÉSIDENT DE LCP Les limites d’une puissance moyenne Lire p. 8

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l'Hémicycle numéro 475 du 15 janvier 2014

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Rompant avec l’exercice convenu des vœuxprésidentiels, François Hollande a surpris :il a annoncé une baisse de la dépensepublique et des impôts, dénoncé des abusà la Sécurité sociale, et appelé à un pactede responsabilité avec les entreprises…Voilà qui n’appartient pas vraiment au

bréviaire de la gauche, et qui n’a d’ailleurs guère été mis en œuvrepar des gouvernements de droite. S’agit-il pour autant d’un tournantsocial-libéral ? N’est-ce pas plutôt, du fait d’une crise plus profondeque prévue, une mise en cohérence entre les convictions de FrançoisHollande, son discours et ses actes ? Certes chacun se souvient deses diatribes contre « la Finance, son seul ennemi », de la taxationà 75 % des plus hauts revenus, ou des hausses d’impôts. Mais il nefaut pas non plus oublier que le candidat aux primaires socialistes

La vraie naturedu Hollandisme

Hervé MorinP. 2

Michel LesageP. 11

ESCP Europe The True European Business School Working on one of the major issues of the Union’s financial crisisInduction Seminar at the European Parliament

The World’s First Business School (est. 1819)

a mené campagne sur la baisse des déficits, en évitanttrop de promesses inconsidérées. Et qu’une fois au pouvoir,après quelques mois de flottement, il a engagé lorsde sa première conférence de presse une politiquede l’offre avec les 20 milliards du CICE pour les entreprises,et donné la priorité à la négociation contractuelle.Mais François Hollande avançait masqué, avec des allers-retours. La profondeur de la crise et le manque de résultatsl’obligent à assumer sa politique sociale-démocrate.Il désarçonne du même coup l’UMP, avec la fameusetriangulation – quand votre adversaire reprend vos motset votre politique – avec le risque pour elle de se laisserentraîner dans une surenchère libérale. Il reste à FrançoisHollande à dire comment il baissera impôts, dépensespubliques et charges des entreprises, et surtout à passeraux actes. Puis à vérifier que les résultats arrivent enfin. Et cela sous le regard hostile de sa gauche : L’HumanitéDimanche met à sa une Pierre Gattazavec le masque de Hollande…

www.lhemicycle.com NUMÉRO 475 — MERCREDI 15 JANVIER 2014 — 2,15 ¤

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l’Hemicycle,

Agora ÀlatribuneGérant-Directeur de la publication : Bruno PelletierRédacteur en chef : Thomas Renou

Un œil sur l’Europe

La crise de la zone euro,une crise grecquemal géréepar Jean Quatremer p. 7

Passé-présent

Quand les Françaisdécouvraient le centrede l’Afriquepar Bruno Fuligni p.6

Édito

Des paroleset des actespar Éric Mandonnet p. 6

Aux Quatre Colonnes

Pacte de responsabilité

contre réforme fiscalepar Pascale Tournier p. 4

Au sommaire • Entretien avec Pierre-Alain Muet > p. 4• Un autre regard, le bloc-notes de Patrick Poivre d’Arvor> p. 9 • À la tribune : Métamorphose numériqueet développement durable des territoirespar Gilles Berhault et Francis Jutand > p. 10 FR

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L’opinionde Gérard LeclercPRÉSIDENT DE LCP

Les limitesd’une puissance

moyenneLire p. 8

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Les groupes UMP et UDI ontdemandé que soit créée unemission d’information surl’opération menée en Centrafrique,et celle-ci a été refusée enconférence des présidents.Un commentaire ?Nous avons besoin, sur les ques-tions de défense – comme sur d’au-tres questions –, d’un maximum detransparence. Par rapport aux autresgrandes démocraties, la France n’estdéjà pas un modèle en matière decontrôle parlementaire des opéra-tions extérieures. La situation a unpeu changé grâce à la révisionconstitutionnelle de 2008 – il fautun vote du Parlement pour pro-longer une opération au-delà dequatre mois d’intervention –, maisrappelons que dans de nombreuxpays européens, ce vote est un préa-lable à toute opération extérieure.Une mission d’information nousaurait permis d’avoir une meilleureanalyse de la situation, une analysesereine, comme savent la faire lesparlementaires des commissions dela défense et des affaires étrangères.Je regrette donc que nous n’ayonspu obtenir la création de cette mis-sion d’information.

Vous étiez favorable à cetteintervention en RCA.Quel regard portez-voussur l’évolution de la situation ?Un regard inquiet. J’étais favorableà cette opération, au nom de laresponsabilité qui est la nôtre danscette région du monde, pour empê-cher les guerres civiles et les crimesde masse. J’avais vu deux défauts,dès l’origine de cette intervention,mais j’en avais sous-estimé l’impact.

Le premier défaut ?Nous n’avons pas tenté de menercette intervention dans un cadreeuropéen. Nous sommes seuls, et aumoment où se pose la question d’unrenforcement de notre présencemilitaire, on voit bien que personneen Europe n’est prêt à nous aider.

L’Allemagne, disiez-vousrécemment, ne veut pas assumerses responsabilités dansle domaine de la défense…Il n’y a pas que l’Allemagne enEurope, il y a 27 pays susceptiblesde nous aider. Au Tchad, en 2008,durant la crise du Darfour, nousavons mené une opération avec unedizaine de pays européens, et sansles Allemands. Ne considérons pasque tout passe par l’Allemagne. Il amanqué une initiative majeure dela France pour convaincre ses par-tenaires européens de conduire unetelle opération en RCA.

Deuxième défaut ?Il manque à cette opération desperspectives politiques. Au Mali,nous avons lancé une opérationavec un objectif bien identifié : res-taurer un État, et assurer une tran-sition démocratique. Nous sommesallés en Centrafrique sans un objec-tif clair. Résultat : nous sommesaujourd’hui pris entre les feux de laSéléka et des anti-balaka, dans unconflit qui prend un caractère reli-gieux. N’avoir aucune perspectivepolitique rend pour nos forcesarmées l’exercice très compliqué.

A-t-on sous-estimé le caractèreconfessionnel de cette guerrecivile ?

Probablement, comme on a mentisur la durée de l’intervention.J’ai toujours dit que contrairementà ce qui était affirmé, on n’y étaitpas pour six mois mais pourtrès longtemps. La Républiquecentrafricaine est un pays plusgrand que la France et personnene pouvait penser que nousallions être capables, en quelquessemaines, d’y reconstruire les fon-dations d’un État qui a disparu.Nous allons devoir rester encoretrès longtemps en RCA.

Des années ?Oui, c’est clair. Je rappelle qu’il a fallucinq années pour créer un état civilet des listes électorales en Côted’Ivoire…

Vous avez déclaré que noussommes aujourd’hui l’otaged’une « situation pourrie »…Le putschiste – aujourd’hui démis-sionnaire – qui a remplacé un put-schiste n’était pas plus recom-mandable que son prédécesseur.Nous ne disposons d’aucunschéma politique qui nouspermette de faire évoluer laRépublique centrafricaine vers unrégime stable et démocratique. Cepays n’a pas connu d’unité depuisune vingtaine d’années : le Nordn’est plus sous l’autorité de l’État

central depuis longtemps, et le Sudconnaît de nombreux séparatismes.D’un côté, il y a des musulmans quis’imaginent que nous allons favo-riser les chrétiens, et de l’autre deschrétiens qui ont le sentiment quenous ne prenons pas vraiment ladécision de désarmer les milices.Nos soldats sont pris en tenaille, etje leur renouvelle un message desoutien. Nous les avons transfor-més en gendarmes mobiles, unemission à laquelle ils ne sont paspréparés, même s’ils ont connuune situation assez similaire enCôte d’Ivoire. Ils doivent vivre uneépreuve terrible, faire preuve de laforce sans commettre l’irréparable,dans un climat d’hostilité, dehaine : ils doivent ressentir un très

grand sentiment d’impuissance,et cela doit être extraordinaire-ment difficile.

Les démissions du Présidentet du Premier ministrecentrafricains, Michel Djotodiaet Nicolas Tiangaye, constituentune bonne nouvelle ?Oui, mais il est nécessaire de trou-ver un chef d’État rassembleurafin de permettre au pays d’allervers une unité. La nominationd’Alexandre-Ferdinand Nguendetà la présidence par intérim pendant

15 jours ne semble pas pour l’ins-tant être gage de retour au calmedans les rues de Bangui. Les soldatsfrançais ont encore du travail, unlong travail devant eux…

A-t-on les capacitéspour un déploiementde forces plus efficace ?Nos moyens sont limités. Nousavons actuellement plus de8000hommes en opérations exté-rieures. Sur le long terme, cela s’avèreencore plus difficile, et il va falloirtrès clairement mettre l’Europe etla communauté internationale faceà leurs responsabilités, car la Francene peut assumer seule cette nécessitéde renforcer les forces sur le terrain.

Quelle doit être l’ampleurde ce renforcement ?Si l’on veut créer un électrochoc,il faut envoyer là-bas plusieurs mil-liers d’hommes supplémentaires.

Selon Dominique de Villepin,les batailles menées en Irak,en Libye, en Syrie, au Maliet en Centrafrique sont les bataillesd’une seule et même guerre.Qu’en pensez-vous ?Non, ce n’est pas tout à fait la mêmechose. L’opération que mène laFrance concerne des problèmesessentiellement centrafricains. Ilpeut y avoir bien sûr des liens, eton peut faire une présentationélégante d’une même guerre quis’étendrait à tous ces pays, maisl’opération française se borne àtrouver des solutions aux problèmesde la République centrafricaine.

Propos recueillispar Thomas Renou

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HERVÉ MORINDÉPUTÉ DE L’EURE

Selon le président du Nouveau Centre, qui fut ministre de la Défense de 2007 à 2010, le gouvernement a commis deux erreurs avant de lancerl’opération en Centrafrique : d’abord celle de ne pas avoir réussi à réunir une coalition européenne, puis celle de ne pas avoir assigné à cetteopération un « objectif clair ».

« IL EST NÉCESSAIRE DE TROUVERUN CHEF D’ÉTAT RASSEMBLEURAFIN DE PERMETTRE AU PAYSD’ALLER VERS UNE UNITÉ »

« En Centrafrique, les soldats français ont encore du travail, un long travaildevant eux… »

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Médecins sans frontières est présenteen République centrafricainedepuis 1997. Pouvez-vous rappelerquelle est votre action en RCA ?MSF gère plusieurs projets : sept quisont réguliers, à Batangafo, Boguila,Carnot, Kabo, Ndélé, Paoua etZémio ; et quatre projets d’urgence,à Bangui, Bossangoa, Bouca et Bria.D’ici à la fin janvier, MSF espèrepouvoir initier des activités dans leshôpitaux de Bangassou et Ouango.Au total, MSF gère donc 11 structureshospitalières dans le pays, avec deséquipes d’urgence mobile. Nousoffrons, au total, des soins médicauxgratuits à environ 400000 personnes,nous proposons une capacité hos-pitalière d’environ 800 lits.

Combien avez-vousde personnels expatriés ?Une centaine, et nous comptonsenviron 1100 personnels centrafri -cains dans nos équipes.

Après deux jours de violencesintenses, les 1er et 2 janvier, MSFa décidé de restreindre une partiede ses personnels, pourquoi ?Le 1er et le 2 janvier, nous avonsconnu une recrudescence des vio-lences dans le camp qui se situe àcôté de l’aéroport, où 100000 per-sonnes vivent dans des conditionstrès précaires, et où MSF gère uncentre de santé (santé primaire, etquelques accouchements).

Que s’est-il passé ?Des violences (avec armes à feuxet armes blanches) ont provoqué lamort de deux enfants, et ont blessé

une quarantaine de personnes,qui ont été prises en charge parnos équipes. Des balles perdues onttouché nos centres de santé, et ellesauraient pu toucher nos personnels.Nous avons considéré que le main-tien d’un dispositif d’importanceétait alors devenu impossible dansce camp, et nous avons décidé –momentanément – de restreindrenos activités. Nous les avons depuisreprises, avec une équipe complète,et avons même initié – le 8 janvier –une campagne de vaccinationcontre la rougeole pour les enfantsdéplacés âgés de 6 mois à 15 ansvivant dans le camp de l’aéroport.

Vous n’avez pas bénéficiéd’une protection suffisante ?60 % des pays où travaille MSF sonten guerre. Il est rare que nousdemandions la protection des forcesen présence, et notamment en RCA,où la population connaît notremanière de travailler. C’est, d’unecertaine manière, notre protection.

Vous n’avez donc pas demandécette protection à la MISCAou à l’armée française ?Non, en dépit de l’augmentationrégulière des violences contre lesstructures hospitalières.

Comment se manifeste cetteaugmentation des violencesdans les structures de santé ?Durant la journée, par exemple,arrivent dans l’hôpital commu-nautaire où nous travaillons despersonnes qui tentent de rentrerarmées. Nous sommes souvent obli-

gés de nous interposer à ces per-sonnes. L’armée française n’y peutrien : ils patrouillent, mais ce n’estmalheureusement pas suffisant.

Pourrait-elle assurer cette sécurité,si elle le souhaitait ?Il n’y a que quatre hôpitaux gou-vernementaux à Bangui, et troisstructures privées. Oui, nous pen-sons qu’il serait tout à fait possiblede les sécuriser. La mission del’armée française et de la MISCA estd’assurer la sécurité de la population,mais j’ai des doutes que les effectifssoient suffisants pour y parvenir,au regard des besoins actuels.

Quelle est la situation à Bangui ?Il y a toujours beaucoup de tensionsintercommunautaires, même si lasituation est incomparable avec lajournée du 5 décembre, journéedurant laquelle Bangui a connudes manifestations de violencesextrêmes – de très nombreux cada-vres avaient été amenés dans l’en-ceinte de l’hôpital communautaire.

Malgré la présence de l’arméefrançaise et de la MISCA,les violences continuent…Aujourd’hui, 15 à 20 blessés arri-vent en moyenne chaque jour dansl’hôpital communautaire où noustravaillons, des blessés par armesà feu, armes blanches, par des bas-tonnades, lynchages etc.

Le Président et le Premier ministrecentrafricains, Michel Djotodia etNicolas Tiangaye, ont démissionné.Cela peut-il améliorer la situation ?

Nous ne pouvons pas prédire ce quiva se passer ni comment le contexte,notamment humanitaire et sanitaire,peut et/ou va évoluer. MSF suit lasituation de très près. En attendant,nos activités continuent et nos équipessur place se tiennent prêtes à répon-dre aux éventuels besoins et urgencesqui émergeraient. Les besoins médi-caux et sanitaires sont énormes enRCA, et MSF est déterminée à pour-suivre ses activités de secours en faveurde la population centrafricaine.

Combien y a-t-il de Centrafricainsdéplacés, selon vous ?Aujourd’hui, nous pensons qu’il ya au moins 300000 déplacés, uni-quement à Bangui. Quasiment lamoitié de la ville vit soit dans descamps improvisés ou semi-organisés,soit dans des familles d’accueil. Lespersonnes qui ont fui leur maison neveulent pas retourner chez elles.

MSF n’est pas la seule ONGà travailler en Centrafrique…Il y a d’autres ONG françaises, commeAction contre la faim, une ONG ita-lienne : Emergency, et la Croix rougeinternationale. Les agences humani-taires des Nations unies tentent d’aug-menter les opérations de secours.Les besoins sont énormes, et nousne sommes pas assez pour faire faceà la situation, mais je ne peux pascritiquer l’absence d’organisationsnon gouvernementales, considérantl’insécurité actuelle en RCA.

Doit-on craindre une aggravationde la situation dans les campsde déplacés ?

Dans certains endroits où seconcentrent les populations,comme dans le camp de l’aéro-port, le basique, le minimum n’estpas assuré, beaucoup de personnesvivent et dorment dehors ; beau-coup manquent de nourriture,voire d’eau. S’il n’y a pas d’eau,d’hygiène, et d’abri, les consé-quences peuvent s’avérer trèsgraves sur un plan sanitaire.

De quoi avez-vous besoin pourpouvoir maintenir vos activitéset vos personnels ?Le rétablissement de la sécurité,pour pouvoir organiser notretravail de manière optimale. Les300000 déplacés de Bangui se trou-vent dans une grande difficulté.

Comment voyez-vous évoluerla situation dans les semainesqui viennent ?Ces dernières semaines, de nom-breuses milices se sont constituées,mais sans leader politique, ou mili-taire identifié. Dès lors, il est diffi-cile pour les Français et la MISCAde réaliser leur mission, et notam-ment le désarmement des belligé-rants. Nous comprenons donc qu’ilne soit pas aisé de rétablir un mini-mum de sécurité. Nous sommesdonc assez pessimistes. Nous espé-rons la protection des structuresde santé, des quelques hôpitauxqui subsistent à Bangui (nous nepouvons pas prétendre agir surtout le territoire), ainsi que descamps où se sont rassemblés lesdéplacés, c’est la priorité.

Propos recueillis par T.R.

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MEGO TERZIANPRÉSIDENT DE MSF

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L’une des rares organisations non gouvernementales présentes en Centrafrique, Médecins sans frontières, a décidé le 3 janvier de« considérablement réduire ses activités » dans le camp de la zone aéroportuaire, à Bangui, où se sont entassées près d’une centaine demilliers de personnes, en majorité chrétiennes : la sécurité n’y était alors pas suffisante pour que MSF puisse exercer pleinement ses missions.Depuis, MSF a pleinement repris ses activités dans le camp de M’Poko, à l’aéroport. Son président, Mego Terzian, nous explique la situation.

« Les besoins médicaux et sanitaires sont énormes en RCA, et MSF est déterminéeà poursuivre ses activités de secours en faveur de la population centrafricaine »

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La majorité va-t-elle encorevivre des forts momentsde divisions internes ? En

proposant son « pacte de respon-sa bilité » aux entreprises, dontles contours devaient être préciséslors de sa conférence de presse,François Hollande ébranle unenouvelle fois son camp. Pour denombreux députés socialistes,ce discours a d’abord le mérite declarifier la ligne du président de laRépublique. « Il veut aller jusqu’aubout de la logique de l’offre », relèvele député PS Christophe Caresche.Son homologue, Malek Boutih,partage le même constat. « C’est untournant opéré en plusieurs étapes etqui a commencé lors de sa visite pourles 150 ans du SPD allemand. Lorsde ses vœux, l’angle d’attaque est aumoins plus clair. » Dans les couloirsde l’Assemblée nationale, soncollègue parisien Pascal Cherkiabonde aussi dans le même sens :« Ce n’est pas un tournant mais unapprofondissement de ce qui est fait,même si je reste perplexe sur le choixde la relance par l’investissement. »Si François Hollande expliquemieux la nature profonde de sonorientation politique, reste à savoirs’il va réussir à emporter l’adhésiondes rangs de la majorité. Là, rienn’est moins sûr. « Pour le PS, bibe-ronné au keynesianisme et au principede la redistribution, accepter l’existence

d’une crise de l’offre et l’accélérationde la rénovation de notre pensée n’estpas naturel. Mais il n’y a pas d’au-tres alternatives, les socialistes ensont conscients », note ChristopheCaresche. Du côté de l’aile gauche,la nouvelle orientation proposéepar le chef de l’État a forcémentplus de mal à être acceptée. Uneforme de perplexité commence àse faire jour, voire de la déception.Lors de la réunion de groupe desdéputés, Barbara Romagnan estcarrément sortie de ses gonds.« Le discours de François Hollandeaurait pu être prononcé par NicolasSarkozy », a dit l’élue du Doubsen substance, avant de se fairerabrouer par le président de lacommission des affaires éco no-miques, François Brottes. Dansles colonnes du JDD, l’ancienneministre de l’Écologique, DelphineBatho, a aussi dénoncé ce socia-lisme de l’offre défendu par le chefde l’État dans son discours desvœux. « Un mot a disparu, celui duchangement. Il s’agit d’une sorte detournant idéologique. Pour la premièrefois depuis le début du quinquennat,cette évolution est assumée. »François Hollande a certes davan-tage assumé son entrée dans lesocial-libéralisme, mais n’a pasprécisé le chemin qu’il fallaitemprunter pour l’atteindre. C’estsans doute là que se nichent les

véritables inquiétudes sur les bancsde la majorité. Comment trouverde nouveaux milliards de réduc-tions des dépenses publiques, alorsque le dernier exercice budgétairea montré la limite de l’exercice ?Pour Pascal Cherki, les bornes àne pas dépasser sont clairementétablies : « Si la baisse des chargess’opère par la baisse des prestationssociales ou par le transfert des prélè-vements sur les ménages, cela poseun véritable problème. » Pour l’éluparisien, le Président ne sauraitpas encore lui-même quelles pistesprivilégier : « Il sait qu’il est dansune seringue, mais ne sait pas com-ment s’en sortir. Il est comme unpoisson qui tourne en rond dansson bocal. » Certains craignentune nouvelle pénalisation desménages, à l’instar du députéLaurent Baumel. « Si FrançoisHollande est en train d’écrire le tomedeux du CICE, je suis contre », assurel’un des fondateurs de la Gauchepopulaire, qui reste aussi attentifà la façon dont les choses vonts’emboîter avec la réforme fiscaleproposée par le Premier ministreJean-Marc Ayrault. Car les deuxsujets sont évidemment liés.« Baisser les dépenses publiques vaforcément induire des arbitrages.Si la baisse des dépenses publiquesdoit financer le déficit, la réformefiscale et la baisse des charges, cela

fait beaucoup », s’inquiète le députéd’Indre-et-Loire. Malek Boutihse montre plus direct : « Avec sondiscours, François Hollande a enterré,à sa manière, la réforme fiscale. »L’avancée des travaux sur la refontedu système des impôts va en toutcas dans le sens d’un recentrageautour de la situation des entre-prises. À l’approche des Assises dela fiscalité, des thématiques concer-nant les sociétés ont été arrêtéespar le comité de pilotage gouver-

nemental. « Pas pour les ménages »,reconnaît Christian Eckert, le rap-porteur du Budget. Même si lePremier ministre s’est refusé à touttransfert de cotisations d’entreprisessur les familles, le sujet ne semblepas clos. Alors que de nombreuxdéputés voient dans cette remise àplat fiscale un moyen de remettrede la redistribution, le président dela République n’est pas sur cettelongueur d’onde. Le débat ne faitque commencer.

Aux QuatreColonnes

Pacte de responsabilitécontre réforme fiscaleLes députés de la majorité ont compris la nécessité pour François Hollande de clarifier sonpositionnement social-libéral. Ils craignent que la grande réforme fiscale n’en soit fortementimpactée dans un sens différent de ce qu’ils auraient souhaité. Par Pascale Tournier

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/AFP

La réforme fiscale ne va-t-elle pasdéboucher sur des changementsa minima, surtout pour les ménages ?Le processus devrait aboutir avantl’été. Le dispositif du groupe socia-liste sera calé sur celui mis en placepar le gouvernement. Des person-nalités vont être auditionnéeset l’on traitera de façon séparéela fiscalité des entreprises et desménages. Le Premier ministre a rap-pelé que cela ne devait se traduireni par une augmentation des pré-lèvements, ni par de nouveauxtransferts de fiscalité des entreprisesvers les ménages C’est la positionclairement affirmée par le groupe

SRC et rappelée par son président,Bruno Leroux. Pour les entreprises,cette réflexion s’inscrit dans le cadredes Assises sur la fiscalité des socié-tés qui démarrent en janvier. Pourles ménages, c’est le prolongementd’une première étape importante dela réforme de l’imposition des reve-nus réalisée dans la loi de financespour 2013, qui a consisté à impo-ser de la même façon les revenus ducapital et du travail.

En sanctuarisant le CICE ou lecrédit d’impôt recherche, trèscontestés sur les bancs socialistesde l’Assemblée nationale,

François Hollande ne limite-t-ilpas l’ampleur du changement ?Le Président a réaffirmé la logique dela réforme. Il s’agit de simplifier la fis-calité des entreprises et des ménageset de la rendre plus juste et plus effi-cace. La stabilité fiscale est un fac-teur important d’efficacité écono-mique et il ne s’agit pas de remettreen cause des dispositifs récemmentadoptés, dont les effets ne peuventintervenir qu’à moyen terme. Du côté des ménages, la questionde la modernisation de notre impo-sition des revenus (par exemple,prélèvement à la source, rappro-chement et fusion éventuelle de

l’impôt sur le revenu et la CSG…)est un sujet qui nécessite du temps(plusieurs années pour être mis enœuvre) et de la concertation. Enfin,il faut aussi avancer sur la fiscalitéécologique, qui est très en retarddans notre pays.

Le Président semble reprendrela main sur le sujet. Ne met-il pasen difficulté Jean-Marc Ayrault ?Non, car son projet de réformefiscale a au contraire ressoudé legroupe socialiste, car c’était unengagement fort de la campagneprésidentielle.

Propos recueillis par P.T.

3 questions à

PIERRE-ALAIN MUETDÉPUTÉ PS DU RHÔNE

MEH

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EDOU

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AFP

Le député PS Pierre-Alain Muet va piloter avec son homologue Dominique Lefebvrele groupe de travail parlementaire du groupe SRC sur la réforme fiscale.

« Avec son discours,François Hollande aenterré, à sa manière,la réforme fiscale. » Malek Boutih

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NUMÉRO475, MERCREDI 15 JANVIER 2014 L’HÉMICYCLE 5

Petits papiers

À Paris, l’UMP y croit : la droite mise sur la fortemobilisation de son électorat et une forte démo-

bilisation de celui de la gauche. « Après le mois difficile dela constitution de nos listes, durant lequel nous avons mangénotre pain noir, on pouvait croire que la candidature de NKMallait dévisser, et ça n’a pas été le cas : les récents sondages

ont montré que nous avions de bons fondamentaux », assureun proche de la candidate UMP à la mairie de Paris,Nathalie Kosciusko-Morizet. « Cela fait 10 ans qu’il n’y apas eu d’élections intermédiaires pour une gauche au pouvoir.Beaucoup ont perdu le souvenir que, dans ce cas de figure, toutpeut arriver, même dans des villes dites imperdables », veutcroire un haut responsable de l’UMP.

Paris : l’UMP enfinen ordre de bataille ?

Manuel Valls a observé de près l’attitude de Jean-Marc Ayrault dans la journée du 9 janvier. Pendant

que le ministre de l’Intérieur menait sa bataille contre Dieu-donné avec un tribunal administratif puis le Conseil d’Étatcomme arbitres. Il a ainsi relevé que, dans son com -muniqué après l’annulation du spectacle à Nantes – quidonnait raison à Valls –, le chef du gouvernement avaitréussi… à ne pas citer le nom de son ministre.

Ayrault zappe Valls

Deux mois après avoir été élue secrétaire nationaled’Europe Écologie-Les Verts, Emmanuelle Cosse a

connu sa première épreuve médiatique le dimanche 12 jan-vier au Grand Rendez-vous iTélé / Europe 1 / Le Monde. Sielle est restée silencieuse depuis deux mois, « c’est qu’ellene sait pas encore ce qu’elle va faire », assure Alain Lipietz.Ce dimanche, comme lors de son discours d’investiture, ellea été dure avec la politique du gouvernement, tout en réaf-firmant que les écologistes avaient toute leur place dans lamajorité. « C’est quelqu’un qui a un vieux fond de radicalité(un passé militant à Act Up) et qui a finalement pris la direction

Cosse dansle grand bain

Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé ont déjeunéensemble le 10 janvier. « Ce déjeuner devait initia-

lement se dérouler avant la trêve des confiseurs, mais il a dûêtre reporté pour des questions d’agendas. Il a finalement eulieu et s’est très bien passé », assure un proche du prési-dent de l’UMP. Le but de cette entrevue était de pacifierles relations entre les deux hommes, qui étaient tenduesces derniers mois – les petites phrases distillées dans lapresse par l’ancien Président ne les avaient pas vraimentaméliorées. « Ils n’avaient pas besoin de “pacifier leur rela-tion”, ils sont souvent sur la même longueur d’onde », insistece proche de Copé. Parmi les différends entre les deuxhommes : François Baroin. « Dès que Nicolas le met en avant,Jean-François entre dans une colère noire », raconte unténor de l’UMP.

Après avoir révélé en décembre que le président dugroupe écologiste au Sénat devait régler environ

18000 euros d’amendes (une centaine d’infractions rou-tières à l’époque où il était conseiller régional d’Île-de-France), Le Canard enchaîné s’est à nouveau payé Jean- Vincent Placé, racontant qu’il s’était contenté de recopierune ancienne proposition de loi (déposée en 2012 par leradical Roger-Gérard Schwartzenberg) rétablissant unecirconscription unique pour l’élection des représentantsfrançais au Parlement européen. « Quand on partage lamême opinion sur un sujet, je trouve qu’il est assez naturel dereprendre un texte, je peux trouver des dizaines de textes reco-piés sur ceux proposés par des écolos. » Le sénateur ne cachepas son agacement devant le traitement qui lui réservele journal satirique : « C’est la rançon du succès, mais je trouveque ça devient un peu répétitif. Je l’ai dit à un responsable duCanard enchaîné : ça commence à ressembler à un achar-nement, qui décrédibilise ce petit journal. »

Le nom qui fâche

Placé vs Le Canardenchaîné

Dans l’entourage de Nathalie Kosciusko-Morizet, onne comprend pas pourquoi la presse évoque des pro-

blèmes entre la candidate UMP à la mairie de Paris etJean-François Copé, souvent soupçonné de ne pas assezla soutenir et de vouloir éliminer une rivale. « Une victoirede NKM à Paris serait plus gênante pour Fillon que pour Copé ;si NKM est élue maire de Paris, elle deviendrait la patronne dela fédération de Fillon – le point de départ de sa candidatureà la primaire pour la présidentielle. Copé et NKM auraient leurfief, contrairement à Fillon. Quand ce dernier est venu à l’inau-guration de la permanence de NKM, il a déclaré que JeanTiberi avait été un grand maire de Paris : vous pouvez mesurerla force de son soutien à notre candidate à cette phrase. Il sou-tient NKM comme la corde soutient le pendu », poursuit-il.Même analyse, dans l’entourage du président de l’UMP:« Tout le monde s’est focalisé sur la dissidence de Beigbeder,toujours présenté comme “l’ami de Copé”. Regardez dans le7e arrondissement, dans la circonscription de François Fillon :parmi les dissidents, il y a de nombreux Fillonistes. »

Tous derrière NKM !

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– personne ne sait pourquoi – du courant modéré d’EELV. Sonréalisme actuel ne correspond pas à son caractère fondamental »,insiste Alain Lipietz. À la fin de son émission, dimanche,Emmanuelle Cosse a soutenu qu’elle ne devait son poste« à personne » – ce qui a amusé l’assistance. « Elle a de l’au-torité », dit d’elle Jean-Vincent Placé qui, avec Cécile Duflot,a réussi à l’imposer à la tête d’EELV. « Dans la période quivient, il est nécessaire d’avoir beaucoup d’autorité, pour donnerune ligne claire au parti, et une cohérence à notre action », pour-suit le sénateur écologiste.

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Il y a un siècle et demi, parais-sait en feuilleton un récit d’ungenre nouveau qui tenait les

petits Français en haleine : CinqSemaines en ballon, d’un certainJules Verne. Celui-ci est encoreinconnu alors : il s’est essayé sanssuccès à la poésie, au théâtre,avant d’innover en écrivant ceroman scientifique qui va sub-juguer la jeunesse. C’est le premierde ces Voyages extraordinaires queles éditions Hetzel commercialise-ront sous de splendides carton-nages rehaussés d’or. Plusieursgénérations d’enfants décou-vriront le monde à travers cesromans, illustrés de fines gravures.En 1863, l’Afrique est encoreun mystère pour les Européens.À part le Maghreb et la valléedu Nil, on n’en connaît que lesrégions côtières. Pour l’intérieurdes terres, des explorateurs ontdonné des informations ponc -tuelles, bien difficiles à relier entreelles. De là l’idée géniale d’une tra-versée du continent en aérostat :l’Afrique vue du ciel, depuis la

nacelle du Victoria, nom signifi-catif du ballon qui transporte lestrois héros britanniques du

roman. Le Dr Fergusson, savantvoyageur, est accompagné de sondomestique Joe et de son ami

écossais Dick Kennedy, chasseurpassionné et fine gâchette. DeZanzibar au Sénégal en passantpar le lac Tchad, ils découvrentune nature majestueuse qui sem-ble n’attendre que sa mise envaleur par le colonisateur blanc.Les Africains, quant à eux, appa-raissent primitifs et brutauxquand les trois hommes survo-lent le champ de bataille où deuxtribus s’affrontent.Joe, l’homme du peuple, est paci-fiste et relativiste : « Ce sont devilains bonshommes ! Après cela,s’ils avaient un uniforme, ils seraientcomme tous les guerriers du monde. »Ses maîtres en revanche, conscientsde leur suprématie technologique,placent le débat sur un autre plan.« J’ai une furieuse envie d’intervenirdans le combat », déclare DickKennedy en brandissant sa cara-bine. « Non pas, répondit vivementle docteur ! non pas ! mêlons-nousde ce qui nous regarde ! Sais-tu quia tort ou raison, pour jouer le rôlede la Providence ? Fuyons au plustôt ce spectacle repoussant ! Si les

grands capitaines pouvaient do minerainsi le théâtre de leurs exploits,ils finiraient peut-être par perdre legoût du sang et des conquêtes ! » Cescontroverses humanitaires pour-raient se prolonger, mais voici quele chef d’un des deux camps, sevautrant dans les corps de ses vic-times, s’adonne au cannibalisme.« Ah ! l’horrible bête ! Je n’y tiensplus ! » s’exclame Kennedy, quil’abat d’une balle en plein front,renversant le cours de la bataille.Le Victoria s’envole vers de nou-veaux horizons, mais ses passagersont inventé la théorie du droitd’ingérence.Longtemps plus tard, quand lespuissances européennes aurontcolonisé l’Afrique, Jules Verneécrira L’Étonnante Aventure de lamission Barsac : une mission par-lementaire qui se rend sur placepour étudier s’il faut reconnaîtrele droit de vote aux indigènes.Dans ce roman posthume, on trou-ve cette phrase qui résume uneépoque et une vision du monde :« Y a bon République ! »

Une lutte drastique pourréduire les dépensespubliques inutiles. L’argent

des Français est précieux. Chacund’entre vous le gagne durement. Ildoit donc être au service d’un Étatexemplaire et économe. » Voilà une

résolution forte. Difficile, certes,exigeante, mais claire. C’étaitdans les vœux présidentiels… du31 décembre 2012. Le jour où lechef de l’État indiquait aussi quedans le courant de l’année 2013,au même titre que le mariage pourtous, serait traitée la question dela fin de vie. Entre ce que l’onrépète, parce que c’est plus facileque de l’exécuter, et ce que l’onavance sans le faire ensuite, lespremiers jours d’une annéeconstituent toujours un piègepour le président de laRépublique. François Hollanden’échappe pas à la règle. Son allo-cution télévisée du 31 dé cem-bre 2013 a une particularité : ellea marqué les esprits, elle a« imprimé ». Souvent, au coursdes derniers mois, le chef de l’Étatdiscourait, mais on ne retenaitpas grand-chose de ses interven-tions. Ramassée dans une for-

mule, « pacte de responsabilité »,l’allocution a semblé apporterune clarification sur la ligne sui-vie. On se souvient que, dansl’une de ses conférences de presse,le 16 mai 2013, François Hollandeavait laissé échapper : « Vous medemandez qui je suis ? Ça, c’est unequestion terrible ! » Dire qui l’onest, dire ce que l’on pense, voilàqui n’est pas anodin. Mais ce pro-pos de la Saint-Sylvestre a-t-il pourautant constitué un tournant ?Dans les faits, les mesures nou-velles ne sont pas légion et mêmeles précisions apportées lors dela conférence de presse du 14 jan-vier sont d’abord des mots. Maisle verbe n’est pas neutre pour unhomme politique. Faire de la poli-tique, c’est parler, disait PhilippeSéguin. Peut-on imaginer un res-ponsable muet ? Faut-il souhai-ter un dirigeant qui agisse au lieude s’exprimer ?

Bien entendu, c’est le fossé chaquejour plus important entre lesparoles et les actes qui pose pro-blème, et, davantage, qui constituele cœur de la crise de la politique.Pour rapprocher les seconds despremières, François Hollande, onle sait, a lancé son fameux pari surl’inversion de la courbe du chô-mage. À ce stade, il n’est pas gagné.En ce début d’année, une autreactualité relève du même bras defer. Manuel Valls s’est lancé dansun combat contre Dieudonné. Enpubliant une circulaire qui vise àl’interdiction des représentationsdu polémiste condamné pourantisémitisme, le ministre del’Intérieur a parlé haut et fort. Etaprès ? « Le rôle d’un responsablepolitique est de prendre des risques »,remarquait Valls quelques heuresavant que le tribunal adminis-tratif de Nantes se prononce surl’interdiction du spectacle de

Dieudonné à Nantes. Le 9 jan-vier, le droit, par les allers-retoursentre tribunal administratif deLoire-Atlantique et Conseil d’État,a fait trembler le ministre del’Intérieur avant que, in fine, lemembre du gouvernement lemieux placé dans les sondagesvoie ses mots suivis d’effets. Pourson plus grand bonheur.L’autre personnalité dorlotée parles enquêtes d’opinion échappe,elle aussi, à ce débat, après en avoirlongtemps été la principale vic-time. Au pouvoir, Nicolas Sarkozyavait payé pour le décalage entrela rupture promise et la politiquemise en œuvre. Aujourd’hui, niparole, ni acte. Et, selon le Top 50des personnalités préférées desFrançais réalisé par Le Journal dudimanche et l’Ifop, cela lui profitecomme jamais. Ainsi va, de nosjours, la politique : c’est parfois lesilence qui lui va le mieux.

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Édito

L’opiniond’Éric Mandonnet

CHAT

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Des paroles et des actes

Passé-présent

La concordancedes tempsde Bruno FuligniHISTORIEN

AFP JULES VERNE (1828-1905)

Quand les Français découvraientle centre de l’Afrique

«

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Un œil surl’Europe

Et si la crise de la zone euron’avait été qu’une crisegrecque mal gérée ? Car, si

la première est bel et bien termi-née, la seconde risque d’occuperencore longtemps les Européens.Ironie de l’histoire, ce découplageentre les deux crises apparaît clai-rement au moment où Athènesprend les rênes de l’Union poursix mois. Maintenant que la pous-sière de la crise est en train deretomber, on se demande com-ment l’incendie, parti de cetteminuscule économie pesant moinsde 2 % du PIB européen, a pugagner le reste de la zone euro aupoint de sembler menacer, dansses pires moments, l’existencemême de la monnaie unique.Or, en ce début 2014, que constate-t-on ? L’euro, que certains voyaientdisparaître fin 2011 ou début 2012(on mesure l’immense stupiditéde ces prévisions) est toujours etsolidement là : une devise forte,seconde monnaie de réserve aumonde et des marchés qui inves-tissent massivement dans l’Union,un havre de stabilité et de pros-périté comparé au reste du mondeet notamment aux émergents quisont eux, désormais, au cœur dela tourmente.Trop optimiste ? Les faits sont pour-tant là. En décembre, l’Irlande estsortie du programme d’assistanceeuropéen et est revenue avec succèssur les marchés : sa dette à 10 ansse négocie même sous les taux bri-tanniques ! L’Espagne, elle aussi,n’a plus besoin de l’aide de ses par-tenaires, ses banques ayant été reca-pitalisées et leur bilan nettoyé descréances douteuses. La Slovénie, aubord du basculement, a réussi àredresser la barre à temps sans avoirrecours au Mécanisme européen destabilité (MES). Quant au Portugalet à Chypre, ils s’emploient à reve-nir sur les marchés le plus vite pos-sible, d’ici à la fin de l’année espè-rent-ils. Globalement, les tauxd’intérêt des fameux PIIGS (Portugal,Irlande, Italie, Grèce et Espagne)

ont été quasiment divisés par deuxvoire trois depuis le pic de la crise,même s’ils empruntent désormaisplus cher sur les marchés (200 pointsde base de plus que le bund alle-mand, la référence absolue, contremoins de 100 auparavant) : maisl’anormalité était que tout le mondeemprunte aux mêmes taux quel’Allemagne, alors que la compéti-tivité et les finances publiques sontloin d’être équivalentes.Bref, c’est à se demander si la crisen’a pas été un mauvais rêve, ladéfiance s’étant dissipée aussi vitequ’elle est apparue. Certes, la zoneeuro s’est profondément réforméeafin de ramener la confiance : créa-tion du MES doté d’une capacitéd’emprunt de 750 milliards d’eu-ros, renforcement de la conver-gence économique et budgétaire,union bancaire, interventionnismede la Banque centrale européenne,qui se comporte davantage désor-mais comme la Réserve fédéraleaméricaine que comme laBundesbank, etc. En un mot, ellea montré aux marchés que l’unionmonétaire était une union de soli-darité où chacun est soutenu parses partenaires en cas de pépin.Pourtant, cela semblait aller de soilors du lancement de l’euro en 1999,et c’est pour cela que les investis-seurs ont cru à l’euro. Mais, en 2010,cela n’était plus aussi évident etc’est cela qui a déclenché cette crisecoûteuse en termes d’emplois et

financiers : en effet, la chancelièreallemande Angela Merkel a long-temps estimé que les Grecs devaientassumer seuls les conséquences deleurs erreurs y compris en quittantla zone euro… Ce n’est qu’enaoût 2012 qu’elle a enfin aban-donné cette option du « Grexit »,prenant conscience des risques dedélitement de l’ensemble de la zoneeuro et des conséquences géopoli-tiques que cela aurait pour son pays,qui aurait été rendu seul responsa-ble de cette catastrophe (la dispari-tion d’une monnaie est toujoursune catastrophe : imaginez ce quise passerait si le dollar ou le yens’effondraient…).

Il est clair que si, dès novem-bre 2009, lorsque le gouvernementgrec a reconnu que son déficitpublic était en réalité trois à qua-tre fois supérieur aux chiffres offi-ciels, tous les pays de la zone euroavaient fait bloc, la crise n’auraitmême pas commencé, les inves-tisseurs ayant la certitude de retrou-ver leur mise. C’est le doute instillépar Berlin qui a provoqué la crise :

s’il n’y a pas de solidarité et si cha-cun est responsable de ses erreurs,alors il n’y a aucune certitude d’êtreun jour remboursé de ses prêts.Donc il faut se désengager des paysles moins sûrs. Et c’est la réactionen chaîne. C’est exactement ce quis’est passé.Le problème est que la conceptionallemande d’une union monétairebasée sur la responsabilité de cha-cune de ses composantes ne tientpas la route : en effet, l’admissiondans le club de l’euro est une déci-sion collective des États membreset des institutions communautaires.L’État qui veut adhérer doit remplirdes critères objectifs qui sont en

eux-mêmes insuffisants puisqu’unvote doit approuver l’adhésion.Autrement dit, personne n’est misdevant le fait accompli. En ce quiconcerne la Grèce (pour ne pas par-ler du Portugal, de l’Italie ou del’Espagne), la responsabilité de cha-cun et donc de l’Allemagne estengagée, et sa vertu outragée (com-ment, les Grecs ont menti ?) étaittotalement hypocrite.

Car, ce n’est un mystère pour per-sonne que la Grèce n’aurait jamaisdû adhérer à la zone euro : il a falluque les États et les institutions com-munautaires (y compris la BCE)fassent preuve d’un incroyableaveuglement pour laisser entrerdans l’euro ce pays dont on « s’aper-çoit » aujourd’hui qu’il ressemblefortement aux États d’Europe cen-trale et orientale au lendemain dela chute du communisme : clien-télisme, népotisme, corruption,administration tentaculaire, sec-teur public démesuré, ordre juri-dique byzantin. « On s’est occupésde 70 pays depuis 1945 et je peuxvous dire que la Grèce se situe dans les

5 à 10 % les plus mal administrés quenous ayons rencontrés », raconteaujourd’hui un fonctionnaire duFMI. Une surprise ? Non. Il suffisaitd’aller sur place, ce qu’étaient cen-sées faire la Commission et la BCE,pour se rendre compte de l’évi-dence. On a d’ailleurs la preuvequ’il s’agissait bien d’une volontéde dissimuler la vérité : en 2005,lorsque le gouvernement grec deKostas Karamanlis a reconnu queles chiffres du déficit public étaientmensongers depuis au moins 2002,la zone euro n’a absolument pasréagi… Si elle l’avait fait, la catas-trophe de 2010-2012 aurait été évi-tée. Bref, la zone euro a payé cherune inconséquence dont elle estseule responsable.Une erreur à 240 milliards d’euros(plus les quelque 60 milliards dedettes grecques rachetées par la BCEsur le marché secondaire). Car lazone euro ne reverra sans doute pasla couleur de son argent, il ne fautpas rêver. Surtout, la Grèce n’a pasfini de l’occuper : « nous sommes icipour longtemps », explique HorstReichenbach, le patron de la « Taskforce » européenne, chargé d’aiderce pays à bâtir un État digne de cenom. Ce n’est pas en trois ans qu’onefface un siècle et demi de non-État. En 1991, Pierre de Boissieu,alors négociateur français du traitéde Maastricht, expliquait en privéque l’Union pourrait « se payer laGrèce » vu son poids économiqueet qu’elle ne représentait aucunrisque. On a vu ce qu’il en était.

La chroniqueeuropéenne de Jean Quatremer

DR

YORG

OS K

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/AFP

La crise de la zone euro,une crise grecque mal gérée

José Manuel Barroso et le Premier ministre grec Antonis Samaras à Athènes le 8 janvier.

« EN 2005, LORSQUE LE GOUVERNEMENT GREC DEKOSTAS KARAMANLIS A RECONNU QUE LES CHIFFRESDU DÉFICIT PUBLIC ÉTAIENT MENSONGERS DEPUISAU MOINS 2002, LA ZONE EURO N’A ABSOLUMENT PASRÉAGI… SI ELLE L’AVAIT FAIT, LA CATASTROPHEDE 2010-2012 AURAIT ÉTÉ ÉVITÉE »

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International

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Les crises ne manquent pas.Souvent, les diplomatesavancent ce constat comme

s’ils se félicitaient d’avoir à justifierleur surcroît de travail. De fait, dela Syrie à la Centrafrique, en pas-sant par le dossier iranien toujoursen négociation, il est clair que laFrance tente d’être à la hauteur desa réputation et de ceux qui atten-dent d’elle des gestes forts. Mais cesmêmes diplomates l’avouent, lamarge de manœuvre est faible. Dans « le monde apolaire » que seplaît à décrire Laurent Fabius, nou-velle version du monde multipo-laire cher à Hubert Védrine, laFrance ne pèse en effet plus dumême poids que dans le mondeancien. On l’a vu cruellement enseptembre dans l’affaire syrienne.Pleinement engagée auprès de l’al-lié américain pour « punir » lerégime de Bachar el-Assad, laFrance a dû rappeler ses vaisseauxà la dernière minute. Une reculadequ’elle ne pardonne toujours pasà un Barack Obama hésitant. Ilfaudra donc en 2014 « réinventer »la relation franco-américaine selonle mot d’un proche de LaurentFabius, alors que François Hollandese prépare à sa première visited’État à Washington en février. Enattendant, Paris participera à laconférence de Montreux-Genèvesur la Syrie, si elle finit par se tenir,mais sans en attendre de « mira-cle ». Fidèle politiquement à uneopposition syrienne qu’elle alâchée militairement, la France achoisi un camp qui l’empêche dejouer le dialogue avec l’ensembledes protagonistes et leurs parrains.Sa relation avec l’Arabie saoudites’est nettement améliorée. On nepeut pas en dire autant de sa pos-ture face à l’Iran. Surtout, comptetenu du rôle dévastateur duHezbollah au Liban, où le partipro-iranien bloque toute forma-tion d’un gouvernement digne dece nom et fomente des actions dedéstabilisation dans le camp sun-nite. En fait, la France n’attendrien du parrainage russo-américainde cette conférence Genève 2, pasbeaucoup plus de la médiation onu-sienne de Lakhdar Brahimi. Et plusrien d’Ankara, où le Premier minis-tre Erdogan s’est laissé emporter dansun soutien à peine masqué aux

djihadistes, cette Turquie où le pré-sident de la République se rendrapourtant fin janvier, ne serait-ceque pour des raisons économiqueset pour réparer l’affront de NicolasSarkozy. Ce dernier n’y avait consa-cré que quelques heures lors de sonpassage en 2011 tout en marquantson mandat d’un refus de négocierplus avant les chapitres manquantsde la négociation d’adhésion turqueà l’Union européenne.

Tenir son rangLutter contre la prolifération, telétait également le leitmotiv desFrançais sur le dossier iranien. Sil’on doit à la France un durcisse-ment du texte de l’accord prélimi-naire avec l’Iran, négocié avec lesautres grandes puissances dugroupe 5+1, le résultat doit aussibeaucoup à la volonté des Iraniensde retisser un lien stratégique avecles États-Unis, comme le confir-ment leurs tractations secrètes aucours de l’été et de l’automne der-niers via le sultanat d’Oman.Objectif commun, agendas sépa-rés, dépendance d’Obama vis-à-visd’un Congrès hostile, il y a desmoments où les négociateurs fran-çais aimeraient renverser la tableafin que chacun prenne ses res-ponsabilités. Mais il faut tenir sonrang d’allié malgré tout et resterdisponible au cas où, en cas d’échec.Ce pourrait être le cas si la navetteKerry au Proche-Orient entre Israëlet les Palestiniens finissait dansl’impasse. Alors il reste l’Afrique. Et dire qu’ily a exactement un an le secrétaireà la Défense américain LeonPanetta, à quelques jours de sapassation de pouvoir avec ChuckHagel, était resté bouche bée enapprenant de son collègue Jean-Yves Le Drian que la France allaitintervenir le lendemain au Mali.« Seule ? » Oui, seule. Ce pari, cetteaudace ont marqué les esprits.Quoi qu’en pensent les grincheuxet ceux qui voyaient Paris s’enli-ser dans les sables du Sahel, Servalest un succès. Selon AntoninTisseron, chercheur à l’institutThomas More, cette victoire fran-çaise ne saurait suffire. Elle doitêtre « consolidée » par la suite duprocessus démocratique, par uneinjection massive de capitaux pour

relancer l’économie, par une pré-sence militaire africaine aidante,par une mobilité de nos forces spé-ciales antiterroristes dans l’extrêmenord du pays. Mais 2014 sera jus-tement, sur le plan diplomatiqueet sécuritaire en tout cas, consacréà un redéploiement des forces fran-çaises pour lutter plus efficace-ment contre les djihadistes auSahel. Non plus à partir des basestraditionnelles de la vieille rela-tion franco-africaine (Libreville,Dakar…), mais depuis les antennesmobiles et flexibles (au Nord-Mali,au Niger et au Tchad) que l’arméefrançaise aura créées comme autantde postes avancés contre la menaceterroriste.

Tests de crédibilitéEn Centrafrique, il y a comme unaveu. À l’Élysée, comme au minis-tère de la Défense, on reconnaît« des erreurs d’appréciation». Pastant sur les effectifs engagés ni surla nature de l’opération visant « àsauver des vies » mais sur la « com-plexité » politique de l’anarchieambiante. S’il est trop tard pourfaire marche arrière, il est encoretemps de repenser la méthode.

C’est ce qui a commencé la semainedernière avec l’éviction duPrésident Djotodia et de sonPremier ministre de transition.Une mise à l’écart initiée par lesplus hautes autorités en France etau Tchad et qui devait obtenir unevalidation régionale par les chefsd’États d’Afrique centrale. Aprèsun mois de tâtonnement diploma-tique, qui a dû beaucoup à unecoordination médiocre entre leQuai d’Orsay et le ministère de laDéfense, le décor politique à Banguiest désormais plus lisible pour enta-mer la reconstruction de l’État etpour protéger les civils d’un cyclede représailles en spirale. À chargedésormais également pour les paysvoisins et pour les Nations uniesd’accélérer leur prise de responsa-bilité politique et humanitaire.Ces crises qui se succèdent et per-durent sont toutes des tests de cré-dibilité pour l’influence relative dela France. Contrairement aux États-Unis et à leur tendance au replipour mieux reconstruire leur puis-sance économique, autre vecteurd’influence avec le poids militaire,la France en souffrance, avec sacroissance insuffisante et son chô-

mage massif, veut continuer à pesersur l’échiquier mondial. C’est toutela difficulté d’une nation porteusede valeurs dites universelles : vou-loir agir en permanence et partouten fonction de ses principes. Encorefaut-il donc en avoir les moyens.Le 29 août dernier, Laurent Fabius,devant la conférence des ambas-sadeurs, admettait que la France« dans cet univers transformé, main-tiendra, à l’horizon de 10 ans, beau-coup de ses fondamentaux » : mem-bre permanent du Conseil desécurité des Nations unies, moteuréconomique et politique, avecl’Allemagne, de l’Europe, nationtechnologiquement avancée, pilierde la francophonie. Le ministrepointait les zones où notre paysn’avait pas suffisamment avancéses pions. Afrique de l’Est, Amériquelatine, Asie centrale, Extrême-Orient, avec plus de 60 milliards dedéficit de notre commerce exté-rieur, la diplomatie économique,que l’Élysée et le Quai d’Orsay veu-lent mettre en avant, serait l’instru-ment majeur pour poursuivre cetobjectif. Comme si l’on pouvaittout mener de front sans renoncerà ce que l’on est.

La coupe est-elle pleinepour une puissance moyenne ?Les chantiers diplomatiques de la France en 2014 sont légion. Faut-il les hiérarchiser en fonctionde nos seuls intérêts ? Par François Clemenceau

Laurent Fabius, le 29 août 2013 à Paris. AFP PHOTO / PATRICK KOVARIK

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Un autre regard

NUMÉRO475, MERCREDI 15 JANVIER 2014 L’HÉMICYCLE 9

GÉRANT-DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Bruno Pelletier ([email protected]) RÉDACTEUR EN CHEF Thomas Renou ([email protected]) ÉDITORIALISTES/POINT DE VUE François Ernenwein,Gérard Leclerc, Éric Mandonnet, Éric Maulin, Renaud Dély AGORA Thomas Renou ADMIROIR Éric Fottorino UN AUTRE REGARD Patrick Poivre d’Arvor AUX QUATRE COLONNES Pascale Tournier DOSSIERS Jean-Marc EngelhardINTERNATIONAL François Clemenceau EUROPE Jean Quatremer ÉCONOMIE Olivier Passet INITIATIVES Ludovic Bellanger COLLABORENT À L’HÉMICYCLE Julien Chabrout, Guillaume Debré, Brice TeinturierCORRECTION Maïté Simoncini MAQUETTE David Dumand PARTENARIATS Violaine Parturier ([email protected] - Tél. : 01 45 49 96 09/06 28 57 43 16) IMPRESSION Roto PresseNuméris, 36-40, boulevard Robert-Schumann, 93190 Livry-Gargan. Tél. : 01 49 36 26 70. Fax : 01 49 36 26 89 ACTIONNAIRE PRINCIPAL Agora SASU Parution chaque mercredi [email protected] COMMISSION PARITAIRE 0418I79258 ISSN 1620-6479 Dépôt légal à parution

EIP l’Hémicycle, Sarl au capital de 12 582¤. RCS : Paris 443 984 117.55, rue de Grenelle - 75007 Paris. Tél. 01 55 31 94 20. Fax : 01 53 16 24 29. Web : www.lhemicycle.com - Twitter : @lhemicycle

UN ALBUM

Reiserpar Jean-Marc Parisis (Glénat)

Très belalbum quirend unjuste hom-mage à unformidableprécurseurdont tous

les dessinateurs se réclamentaujourd’hui. Ce n’était pas unauteur de BD, c’était un Daumierdu XXe siècle qui savait démolirtoutes les conventions, toutes lesréputations, y compris celles éta-blies par son propre milieu.D’abord, en avait-il un, ce fils defemme de ménage né tout près deLongwy ? Père inconnu, « fils deBoche » lui lançait de temps à autresa mère. Débuts difficiles dans lapresse parisienne où on lui refusetous ses dessins. Son premier sup-port sera La Gazette du nectar,dont la réputation n’a pas dépasséles portes de Charenton. C’est làqu’en effet se trouvait la régie desvins Nicolas et c’est là qu’il publieses premiers croquis sous le pseu-donyme de J-M. Roussillon. Vintensuite la rencontre avec Cavannaet en 1960, les débuts d’Hara-Kiri.Cabu, Gébé, Wolinski et bien d’au-tres rejoindront l’équipe qui vafaire des étincelles jusqu’à la créa-tion de Charlie Hebdo. La dispari-tion du journal fin 1981 sera uncrève-cœur pour tous. Il renaîtra deses cendres, tout comme Reiser,que personne, à commencer par safemme Michèle, n’a oublié 30 ansaprès sa mort.

Il disait : « Je dessine le pire parceque j’aime le beau. Pourquoi ? Jerefuse de m’expliquer là-dessus. Jepréfère laisser ça enfoui, mystérieux.Aux lecteurs de le découvrir. »

UN OPÉRA

Les Puritainsde Bellini (Opéra Bastille à Paris)

Fallait-il res-susciter LesP u r i t a i n s ,créés en 1835au Théâtredes Italienspar Bellini,qui vivaitalors àPuteaux, et

jamais remontés à Paris depuis1985 ? C’est la question qui a agitéun certain nombre de mélomanes

lors de cette reprise. De mon pointde vue la réponse est oui. D’abordparce qu’il faut renouveler le réper-toire et qu’en ce qui me concerneje n’avais pas vu Les Puritains. Justeentendu. Ensuite parce qu’il y adans cet opéra fort convenuquelques airs magnifiques. Ils n’im-primeront jamais nos mémoiresmusicales comme ceux des deuxchefs-d’œuvre de Bellini, Normaet La Somnambule, mais ils sontde belle facture. Il y a hélasquelques bémols. Le ténor (DmitryKorchak) est très médiocre et lesdéplacements du chœur frisentparfois le ridicule. Mais l’héroïne(Maria Agresta) est émouvante etprometteuse.

UN FILM

Casse-tête chinoisde Cédric Klapisch

Quel plaisirà l’idée deretrouverune bandequi nousa v a i tenchantésa v e cL’Aubergeespagno l epuis Les

Poupées russes. Erasmus a du bon,qui avait provoqué il y a une quin-zaine d’années la rencontre de cesétudiants venus d’un peu partout.Mais le petit clan a explosé. Ils sesont aimés, séparés, ils ont eu desbébés, ils ont voyagé. Les hasardsde la vie les réunissent à nouveauà New York. Cédric Klapisch s’endonne à cœur joie, car il y a beau-coup de courants d’air dans cesexistences. On y rentre, on en sort,on claque des portes, on se désire,on se trompe et en définitive on se

pose beaucoup de questions surle sens de la vie. Mais l’énergie esttoujours plus forte que tout et,dans son torrent, elle emportenotre adhésion.

UN DVD

La Grande Bellezzade Paolo Sorrentino

Il existe dé -sor mais unpetit club,voire unesecte desadorateursde La GrandeBeauté, plusprécisémentde La Grande

Bellezza, le titre italien du dernierfilm de Paolo Sorrentino, présentéà Cannes, très apprécié, puis sortipeu après en salles dans une rela-tive indifférence. Depuis, la rumeurs’est amplifiée. Il faut avoir vu cefilm qui nous réconcilie avec lecinéma italien, surtout avec celuide Fellini auquel immanquable-ment il fait penser. Cinquante ansaprès La Dolce Vita, voici son ava-tar de 2013. Comme chez son glo-rieux prédécesseur, une sociétés’écroule dans d’ultimes éclats derire un peu forcés et son héros s’en-nuie avec classe. C’est le for midableToni Servillo qui remplace iciMarcello Mastroianni. Un décortout aussi remarquable : Rome etson éternelle beauté.

UNE FANTAISIEPOÉTIQUE

La Demoiselle de papierd’Alexandra Seringe(théâtre Les Feux de la rampe, Paris)

Face à saf e u i l l eb l a n c h e ,un artistec h e r c h el ’ inspi ra -tion…Parviendra-t-il à créerl ’héro ïne

de ses rêves ? Un univers poétique,sans paroles, théâtral et gestuel,où le papier prend vie.Un spectacle de trois petits quartsd’heure, écrit et interprété parune jeune comédienne énergique,Alexandra Seringe.

Chaque semaine,cinq pistespour s’évaderavec

Patrick Poivre d’Arvor

Maria Agresta

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La société a engagé une muta-tion portée par les usages etdéveloppement massif des

technologies numériques : prèsde sept milliards de téléphonesportables, plus d’un milliard depersonnes sur Facebook, et de 200millions sur Twitter. Le numérique n’est pas qu’unesimple transformation de servicesqui simplifient la vie et ouvrentde nouvelles formes de relationssociales, c’est la naissance d’unenouvelle civilisation avec unetransformation en profondeur desfondamentaux de nos sociétés :création de valeurs, économie,démocratie, éducation ; usage etgestion de services d’énergie, detransport, de santé ; transformationde nos modes de vie, de l’habitatet de l’espace public. Internet renforce la capacité deproduction de connaissances,d’échange et de coopération entreles individus et remet en cause ce

qui fonde les modèles d’organisa-tion et de liens sociaux. Le ren -forcement des capacités d’agirdes individus et des collectifsdébouche sur de nouvelles formesd’implication dans les entrepriseset dans l’exercice démocratique,comme les réseaux sociaux d’entre-prises, l’économie de la contribu-tion, et la démocratie participa-tive et contributive, qui vont porterle développement humain et du -rable de nos sociétés. Les nouvelles communicationsimpactent également les modèlesde représentation des connais-sances et la structuration percep-tive et cognitive de l’humain. Lestechnologies et les services numé-riques intermédient les relationshumaines et sociales et l’interac-tion avec le monde physique. Cecipose des problèmes d’évolutionconjointe entre les hommes et lesmachines dans leur dimensiond’interface et de traitement intel-

ligent « machine to machine ».La métamorphose s’opère à unmoment historique de transition :à l’apogée du développementindustriel mondialisé et de lasociété de consommation, et aumoment d’une prise de consciencedes conséquences en termes degestion des ressources naturellesen général et d’une nécessaire tran-sition énergétique du fait de l‘épui-sement de ces ressources nonrenouvelables et des conséquences

climatiques, auxquelles les tech-nologies apportent des solutionsmais aussi contribuent directementpar l’obsolescence trop rapide desterminaux et les besoins destockage de données.Nous avons besoin d’éclairercette route incertaine et complexede l’humanité, pour trouver ouretrouver la confiance.Si nous nous inscrivons dans latrajectoire de notre histoire, si nousintégrons le souci de l’éthique –c’est-à-dire notre capacité à antici-per dans une vision systémique dumonde en transition –, si nousavons le souci du développementdurable et si nous faisons de cettenouvelle opportunité pour le pro-jet humain, l’affaire du plus grandnombre, alors la métamorphosemondiale pourra être à la fois par-tie prenante d’une transformationpositive de la société humaine etune part importante des solutionsaux crises multiples en cours. Les territoires urbains rassemble-ront sous 20 ans une très grandemajorité de la population et doncdes activités économiques etsociales. C’est là que naîtront ets’expérimenteront les innovations,c’est là que se joueront prioritaire-ment les succès des politiques ter-ritoriales, énergétiques et environ-nementales, mais aussi éducativeset culturelles.

La métamorphose numériqueappelle à l’empowerment des indi-vidus et des groupes, c’est-à-direle développement des capacitésd’accéder à l’information, decom prendre et d’agir sur le monde.Ceci conduira, sinon à un renver-sement, au moins à un équilibrageentre les mouvements descendantsdes hyperstructures et des organi-sations anciennes et les mouve-ments ascendants de la multitude.Et c’est de la synergie entre ces

sources que naîtront l’efficacitécollective et la vraie rupture avecl’économie compulsive de la pos-session.Dans ce contexte, l’Institut Mines-Télécom lance un programme,« Futuring Cities », une démarcheinnovante qui combine expertisedes chercheurs, de sociétés inno-vantes et des collectivités territo-riales. Nous devons croiser syn-chrone et asynchrone, et mettre lacollaboration comme principe.Ce travail expérimental s’appuierasur des chaires spécialisées surdes thèmes comme : la modélisa-tion du quartier et de la ville dedemain ; l’intelligence de l’éco-système de capteurs, de donnéeset de traitement de la ville ; l’es-pace public et le nomadismeurbain, les services et les usages ;l’économie circulaire et de fonc-tionnalité ; la gestion du risqueet de la sécurité, les réseaux urbainsd’énergie, de fluide et de commu-nication.Les questions environnementaleset climatiques imposent un calen-drier de changements sociétauxet économiques très rapide, pourlutter massivement contre les gazà effets de serre, diminuer lespollutions et commencer à nousadapter aux conséquences des per-turbations du climat. La localisa-tion, l’écoconception, une nouvelle

économie plus localisée devronts’imposer sur tous les territoiresdans le partenariat multi acteurinventé depuis près de 20 ans parle Comité français pour le déve-loppement durable, le Comité 21. La France a pris une responsabilitéd’exemplarité. Elle va assurer laprésidence de la Conférence mon-diale pour le climat de 2015 (aprèsle Pérou en 2014). 2015 seral’échéance de négociation de lasuite du protocole de Kyoto, c’est

à dire des engagements qu’accep-teront les pays et tous les acteursdes territoires et de l’économie àpartir de 2020. Certains considè-rent qu’il s’agit de la dernièrechance, plus raisonnablement, cedoit être un point de départ. Cen’est pas qu’une responsabilitépour le président de la Républiqueet le ministre des Affaires étran-gères, mais pour tous les Français.C’est aussi une grande opportu-nité collective pour toutes les orga-nisations françaises – publiques etprivées – et leurs réseaux de repen-ser leurs plans d’actions et parfoisleurs stratégies, et de contribuerdirectement à la réinvention d’uneéconomie plus sobre en carbone,mais surtout créatrice de richessesociétale voire culturelle.C’est une exceptionnelle oppor-tunité pour les deux années quiviennent pour innover et réinven-ter nos modes de vie et de travail…sur des territoires transformés.C’est le moment d’enrichir nosdémarches sur un plan scientifiqueet culturel, d’inventer et de géné-raliser les solutions pour le climat.Chacun peut y participer.

À la tribune

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Pour en savoir +www.mines-telecom.fr

www.comite21.orgwww.gillesberhault.com

DRDR

Métamorphose numérique etdéveloppement durable des territoiresPar Gilles Berhault,président d’ACIDD – Association communication et innovation pour ledéveloppement durable – et du Comité français pour le développementdurable, le Comité 21. Auteur de Propriétaire ou artiste ? Manifeste pourune écologie de l’être (éd. L’Aube) et de Développement durable 2.0.L’internet peut-il sauver la planète ? (éd. L’Aube)

et Francis Jutand,directeur scientifique de l’Institut Mines-Télécom, membre du Conseil

national du numérique. Co-auteur et direction du livre collectifLa Métamorphose numérique (éd. Alternatives)

« LA FRANCE A PRIS UNE RESPONSABILITÉ D’EXEMPLARITÉ.ELLE VA ASSURER LA PRÉSIDENCE DE LA CONFÉRENCEMONDIALE POUR LE CLIMAT DE 2015 (APRÈS LE PÉROUEN 2014). 2015 SERA L’ÉCHÉANCE DE NÉGOCIATIONDE LA SUITE DU PROTOCOLE DE KYOTO, C’EST À DIREDES ENGAGEMENTS QU’ACCEPTERONT LES PAYS ET TOUSLES ACTEURS DES TERRITOIRES ET DE L’ÉCONOMIE À PARTIRDE 2020. CERTAINS CONSIDÈRENT QU’IL S’AGIT DE LADERNIÈRE CHANCE, PLUS RAISONNABLEMENT,CE DOIT ÊTRE UN POINT DE DÉPART »

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Depuis plusieurs mois, legouvernement a engagé lapolitique de l’eau dans une

dynamique positive. Plusieurs rap-ports ont contribué à la réflexion,de nombreux débats ont eu lieu,et l’on ne peut que s’en réjouir. Enseptembre dernier, la conférenceenvironnementale a consacré l’unede ses tables rondes au thème del’eau. Les futures lois sur l’agricul-ture et la biodiversité sont égale-ment très attendues. Après avoirremis au Premier ministre monrapport sur l’évaluation de la poli-tique de l’eau, j’ai été nommé rap-porteur d’une proposition de loipour l’accès à l’eau pour tous.Les lignes sont en train de bouger.Cela entraîne des inquiétudes queje peux comprendre, et j’ai lu ça etlà des commentaires erronés surla vision nouvelle de la politiquede l’eau que je propose.

Mon rapport voudrait« à tout prix prouver quece secteur est mal géré » ? Pas du tout. Je souligne dans monrapport que le modèle de l’eau apermis de multiples avancées enparticulier sur le petit cycle de l’eau,qu’il a été innovant par sonapproche, ses principes fondamen-taux, sa gouvernance et son sys-tème de financement.Mais je constate aussi que ce modèlea aujourd’hui atteint des limites,qu’il est arrivé au terme d’un cyclehistorique et qu’il doit évoluer. Eneffet, la qualité de l’eau se dégrade,les conflits d’usage s’intensifient,les principes de l’eau sont peu oumal appliqués, les pollueurs ne sontpas toujours les payeurs, la fiscalitéenvironnementale est marginale,les structures sont nombreuses etcomplexes, l’accès de l’eau à tousn’est pas garanti, les besoins definancement sont considérables,les redevances pèsent essentielle-ment sur les usagers domestiques etde nouveaux défis apparaissent.

C’est la réalité et tous ces constatssont partagés par les rapportsrécents. Ils sont souvent plus sévèresque le mien : rapports du Conseild’État, de la Cour des comptes, duCESE, du Conseil des prélèvementsobligatoires, du CGEDD, etc. Autrerapport récent dont on parle peu :le rapport Aqua 2030 issu destravaux menés par une trentained’experts et publié le 7 août 2013.Il élabore cinq scénarios d’évolu-tion. Deux de ces scénarios, intitu-lés « tendanciel » et « à vau-l’eau,la crise », ne permettent pas d’amé-liorer la qualité de l’eau ni d’at-teindre les objectifs de la DCE. Lacrise se poursuit, voire s’accentue. Le rapport d’Anne-Marie Levraut,du CGEDD, est aussi un rapporttrès intéressant. Je partage l’essen-tiel de ses conclusions et de ses pro-positions : « des pollutions diffuses,notamment agricoles, encore tropfortes. […] Une implication insuffi-sante et parfois lacunaire des acteurslocaux, des politiques publiques insuf-fisamment convergentes et coordon-nées, des services publics de l’eau etde l’assainissement efficaces mais tropnombreux et trop peu efficients ettransparents. Un système d’informa-tion sur l’eau fragile et peu accessibleaux usagers, un défaut de lisibilitédes enjeux financiers, une applicationperfectible du principe pollueur-payeuret de récupération des coûts ».

Mon rapport traduirait« une prise de positiontrès jacobine » ?Mes convictions, mes propositionset toute mon action d’élu localdepuis 30 ans, avec une forte impli-cation dans le domaine de l’eau,prouvent le contraire. J’ai d’ailleursintitulé volontairement mon rap-port : « Mobiliser les territoires pourinventer le nouveau service publicde l’eau », car je considère queles collectivités territoriales, enpremier lieu les communes etleurs groupements, en lien avec lesrégions et les départements, sontles échelons pertinents pour struc-turer une nouvelle gouvernance del’eau. Celle-ci permettra de prendreen compte l’interdépendance despolitiques publiques d’aménage-ment du territoire et de dévelop-pement économique, pour rap-procher et rendre plus cohérents lesoutils des politiques de l’eau, pourapporter plus de lisibilité, de réac-tivité et de responsabilité, maisaussi plus de souplesse afin de tenircompte de l’histoire et de l’hété-rogénéité des structures locales.Cette mobilisation des territoiress’inscrit dans la nécessité d’une impli-

cation plus forte de la puissancepublique dans le domaine de l’eau.Ma proposition de création d’unenouvelle compétence gestion del’eau et des milieux aquatiques affec-tée au bloc communal s’est d’ail-leurs concrétisée dans le projet de loiModernisation de l’action publiqueterritoriale et d’affirmation desmétropoles voté en deuxième lectureà l’Assemblée nationale.L’implication de la puissancepublique, de l’État aux collectivitésterritoriales, en passant par leParlement, est réclamée par tous lesrapports d’évaluation. D’abord parceque c’est le cadre communautaireeuropéen, très contraint, qui déter-mine l’essentiel des orientationsdes politiques publiques dans ledomaine de l’eau, avec les direc-tives-cadres (DCE, DCI…). C’est aussi l’État qui doit assurer sesmissions régaliennes de police del’eau et donner à la puissancepublique les moyens de la connais-sance, de l’expertise, de la rechercheet de l’ingénierie indispensablespour agir.L’implication renouvelée de l’État estaussi nécessaire pour faire face auxenjeux du réchauffement clima-tique, des inondations, de l’accès àl’eau pour tous, de la lutte contre lespollutions émergentes, pour sim-plifier et rationaliser le « mille-feuille » administratif de l’eau, pré-ciser les financements et les rendreplus lisibles, dans un souci de trans-parence et de véritable démocratiede l’eau.

Au sujet de la gouvernance,il y a un réel malentendu sur lacréation d’une « haute autoritéindépendante ». C’est l’unede mes propositions phares.Aucune autorité ne régule réelle-ment le domaine de l’eauaujourd’hui. Les compétences exer-cées historiquement au niveaunational par les ministères del’Écologie, de l’Agriculture, desFinances, de l’Intérieur, de laRecherche, de la Santé publiqueprovoquent un morcellement quifait obstacle à une régulationpublique effective du secteur.De plus, les enjeux financiers dusecteur de l’eau sont considérables :23 milliards par an ! Or, de l’aveumême de la Cour des comptes et duConseil d’État, aucune autoritépublique n’est capable d’identifieravec précision ces flux financiers.C’est pourquoi le secteur de l’eauest particulièrement exposé à desconflits d’intérêts potentiels, lesmêmes acteurs publics commeprivés se trouvant en situation

décisionnaire dans l’attribution etle bénéfice de financements.Il m’apparaît non seulement oppor-tun mais indispensable de créercette Autorité nationale de l’eau,outil de régulation, de transparence,d’investigation, à l’image de cellesqui régulent d’autres secteurs commel’énergie, les télécoms ou l’audio -visuel. Cette autorité existe dansd’autres pays européens et fait par-tie des recommandations de l’OCDE.Il ne s’agit pas de créer une struc-ture lourde. Elle serait composée dereprésentants des corps de contrôle,des autorités juridictionnelles(conseillers du Conseil d’État, dela Cour des comptes, de la Courde cassation) ainsi que de repré-sentants du Parlement.Contrairement à ce qui est parfoisaffirmé, le CNE ne peut jouer cerôle. Ce n’est ni dans ses missionsni dans ses statuts. Le CNE est uneinstance consultative où sont repré-sentés tous les intérêts catégorielset où il est difficile de faire émergerde réels consensus au service de l’in-térêt général. Les enjeux consi déra-bles liés à l’eau nécessitent impéra-tivement de dépasser les approches

restrictives par l’unique prisme desstructures, quelle que soit la qualitéde ceux qui les animent.Qui peut nier que l’eau, auparavantabondante, est désormais soumiseà de multiples tensions, à de mul-tiples pressions ? Que l’eau facileest devenue fragile ? Que l’eau,patrimoine commun de la Nation,nécessite une vision politique delong terme ?C’est le sens de mes propositionsqui – j’ai pu le constater – sont lar-gement partagées par les parle-mentaires, les acteurs de terrain etles citoyens. Je me réjouis égale-ment qu’elles soient reprises dansla feuille de route fixée par le gou-vernement à l’issue de la Conférenceenvironnementale de septembredernier : la lutte contre les pollutionsdiffuses, notamment d’origine agri-cole, la préservation et la restaura-tion des cours d’eau et des milieuxaquatiques, l’amélioration de lagouvernance et de l’efficacité dela politique de l’eau, la garantiede la transparence de la politiquede l’eau. Reste maintenant à mettreen œuvre les actions qui permet-tront d’atteindre ces objectifs.

À la tribune

Par Michel LesageDéputé des Côtes-d’Armor

DR

Politique de l’eau : combattre les idéesreçues et proposer des solutions

NUMÉRO475, MERCREDI 15 JANVIER 2014 L’HÉMICYCLE 11

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