global gay - la longue marche des homosexuels

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GLOBAL GAY

DU MÊME AUTEUR

Le Rose et le Noir. Les homosexuels en France depuis 1968, Le Seuil,1996 ; « Points », 2000.

La Longue Marche des gays, Gallimard, 2002.Theater. Sur le dĂ©clin du thĂ©Ăątre en AmĂ©rique, La DĂ©couverte, 2006.De la culture en AmĂ©rique, Gallimard, 2006 ; « Champs », 2011.Mainstream. EnquĂȘte sur la guerre globale de la culture et des

mĂ©dias, Flammarion, 2010 ; « Champs », 2011.J’aime pas le sarkozysme culturel, Flammarion, 2012.Smart. Ces internets qui nous rendent intelligents, Stock, 2013 ;

« Champs », 2015.

Frédéric MARTEL

GLOBAL GAY

La longue marche des homosexuels

Nouvelle Ă©dition mise Ă  jour, 2017

© Flammarion, 2013, pour la premiÚre parution sous le titre Global Gay. Comment la révolution gay change le monde.

© Flammarion, 2017, pour cette éditionISBN : 978-2-0814-0790-9

Aux hĂ©ros ordinaires qui mĂšnentcette nouvelle bataille des Droits de l’homme

sur cinq continents – des hĂ©ros extraordinaires.

CONGORDC

CONGORDC

CUBA

ÉTATS-UNIS

MEXIQUE

BRÉSIL

CANADA

MAURITANIE

COLOMBIE NIGERIA

ALGÉRIE

ISLANDE NORVÈGE

UNIONEUROPÉENNE

O c Ă© a n

A t l a n t i q u e

O c Ă© a n

P a c i fi q u e

CUBA

ÉTATS-UNIS

MEXIQUE

BRÉSIL

UNIONEUROPÉENNE

CANADA

MAURITANIE

GROENLAND

ISLANDE NORVÈGE

ALGÉRIE

COLOMBIE NIGERIA

SITUATION DES DROITS DES HOMOSEXUELS

ARGENTINE

AFRIQUEDU SUDCHILI

ARGENTINE

AFRIQUEDU SUDCHILI

Peine de mort

Homosexualité illégale,peine de prison

Homosexualité légale(ou pas de législation spécifique)

SITUATION PÉNALE

Pays en faveur de la dépénalisation

Pays hostile à la dépénalisation

Pays s’étant abstenu

POSITION À L’ONU

S

UKRAI

TURQUI

SOUDA

OUGAN

S

UKRAI

TURQUI

SOUDA

OUGAN

SLepaENNde

ARABIEAOUDITE

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ARABIEAOUDITE

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INDONÉSIE

SINGAPOUR

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RUSSIE

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JAPONE

YÉMEN

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DA SOMALIE

TAÏWAN

MONGOLIE

CORÉEDU SUD

E.A.U.

PAKISTAN

AUSTRALIE

NOUVELLE-ZÉLANDE

AUSTRALIE

NOUVELLE-ZÉLANDE

ITUATION DU MARIAGE mariage pour les personnes de mĂȘme sexe est lĂ©gal dans une vingtaine de ys : Afrique du Sud, Argentine, Belgique, BrĂ©sil*, Canada, Colombie, Danemark,

spagne, États-Unis, Finlande, France, Irlande, Islande, Luxembourg, Mexique*, orvĂšge, Nouvelle-ZĂ©lande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni (sauf en Irlande du ord), SuĂšde, Uruguay. (* Statut en appel juridique, avec restrictions ou en attente confirmation.)

Situation : avril 2017

Prologue

IL EST 7 HEURES DU MATIN le dimanche 12 juin 2016 et BertMedina est encore chez lui. Le patron de l’antenne rĂ©gionaledu network ABC, baptisĂ©e WPLG Local 10, l’une des princi-pales chaĂźnes de tĂ©lĂ©vision de Floride, se trouve avec son mari,Michael, dans leur belle villa de Fort Lauderdale, l’une des prin-cipales villes « gays » du sud des États-Unis. « J’étais Ă  la maisonquand le directeur de l’information de la chaĂźne m’a prĂ©venuqu’il s’était passĂ© quelque chose Ă  Orlando. Nous ne savionspresque rien. » Les informations sont encore parcellaires : unefusillade aurait eu lieu au Pulse, un club gay situĂ© au

numĂ©ro 1912 de l’avenue South Orange Ă  Orlando, en Floride.Il faudra plusieurs heures pour que la police communique surle nombre de victimes : quarante-neuf morts et cinquante-troisblessĂ©s. Medina Ă©change aussitĂŽt avec son Ă©quipe pour voircomment couvrir l’évĂ©nement. L’une des plus longues journĂ©esde sa vie commence.

Bert Medina est nĂ© Ă  Cuba en 1962. Il est arrivĂ© Ă  MiamiĂ  l’ñge de 7 ans. Chemin classique de l’exil avec son cortĂšge desouvenirs et d’amertumes. L’histoire de ce jeune Cubain,devenu en cinquante ans l’un des hommes les plus puissantsdes mĂ©dias en Floride, est une vĂ©ritable success-story made inUSA. « Une histoire amĂ©ricaine », me dit modestement BertMedina lors de plusieurs entretiens au siĂšge de WPLG enFloride, quelques semaines avant l’attentat. Cette semaine-lĂ ,

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Medina s’apprĂȘtait justement Ă  partir pour Cuba et l’optimismeĂ©tait de mise : Barack Obama allait effectuer son premier voyageofficiel Ă  La Havane et Medina ne voulait manquer sous aucunprĂ©texte ce rendez-vous avec l’histoire.

Ce dimanche 12 juin, au contraire, le pessimisme s’accroĂźtd’heure en heure. La fusillade a eu lieu dans un club gay, frĂ©-quentĂ© par de nombreux Hispaniques : le bilan s’alourdit, il yaurait des dizaines de morts.

« À ce moment-lĂ , les informations nous arrivaient lentement.On ne savait pas grand-chose de ce qui s’était passĂ©. Mais j’aitout de suite dĂ©cidĂ© de placer la chaĂźne en “breaking news” etd’envoyer trois Ă©quipes de reporters Ă  Orlando », me ditMedina. Qui poursuit : « Nous sommes la chaĂźne locale d’ABC.On fait des dĂ©crochages locaux Ă  certaines heures mais vu lagravitĂ© de la situation, nous avons dĂ©cidĂ© de rester en directpour servir notre communautĂ© et de ne plus retransmettre lenetwork ABC. ParallĂšlement, nous avons envoyĂ© de nouvellesĂ©quipes sur le terrain : au total seize journalistes sont arrivĂ©ssur place et nous avons Ă©galement concentrĂ© nos moyens enFloride du Sud, pour suivre les rĂ©actions de la communautĂ©gay Ă  Wilton Manors, Fort Lauderdale et Miami Beach ainsique les rĂ©actions de la communautĂ© musulmane. »

Étant Ă  la fois Cubain-amĂ©ricain et une figure homosexuelle

publique, l’attaque contre le Pulse frappe Medina Ă  plusieurstitres : comme AmĂ©ricain, comme Hispanique et comme gay.Ses multiples identitĂ©s vacillent.

« Je ne suis jamais allĂ© au Pulse mais c’était, dit-on, la plusgrande discothĂšque gay d’Orlando. Longtemps Orlando n’a pasĂ©tĂ© une ville trĂšs friendly de Floride, comparĂ©e Ă  Miami, FortLauderdale ou Wilton Manors, qui ont le plus grand nombrede rĂ©sidents gays et lesbiens. Pourtant, ces derniĂšres annĂ©es, unevie gay s’est dĂ©veloppĂ©e Ă  Orlando du fait notamment des parcsd’attractions Disneyworld et Universal Orlando Resort. »

DĂšs l’annonce de l’attentat du Pulse, les militants gays sesont retrouvĂ©s spontanĂ©ment un peu partout aux États-Unis,devant les lieux emblĂ©matiques du mouvement. À New York,par exemple, une foule se rĂ©unit le jour mĂȘme devant le

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Stonewall Inn, le bar le plus célÚbre de la libération gay, surChristopher Street à Greenwich Village.

« Les premiers tĂ©moignages qui nous sont parvenus de lacommunautĂ© gay ont montrĂ© que tout le monde se rassemblait,confirme Bert. C’est un processus normal quand une commu-nautĂ© est tragiquement attaquĂ©e. La population gay et lesbienneessaye d’ĂȘtre forte, ensemble. »

LE SAMEDI 11 JUIN 2016, la soirĂ©e du Pulse Ă©tait intitulĂ©e :« Latin Night ». En retraçant l’histoire de ce club, devenu enune nuit la plus cĂ©lĂšbre discothĂšque gay au monde, force estde constater que c’était « Latin Night » tous les soirs. On peutmĂȘme dire que toutes les nuits du Pulse Ă©taient gays et latinos.

Ceux qui sont sortis ce soir-lĂ  dans ce club d’Orlando pourfaire la fĂȘte, avant d’y ĂȘtre lĂąchement assassinĂ©s, s’appelaient JuanRamon, Luis, Amanda, Alejandro, Mercedez, Javier, Enrique,Gilberto, Rodolfo, Miguel, etc. Ils Ă©taient majoritairement Porto-ricains, mais aussi d’origine dominicaine, guatĂ©maltĂšque, colom-bienne, mexicaine, cubaine ou « seulement » AmĂ©ricains. CertainsĂ©taient gays ou lesbiennes, d’autres bisexuels, transsexuels et plu-sieurs Ă©taient aussi hĂ©tĂ©rosexuels. Les quarante-neuf personnesassassinĂ©es reprĂ©sentent une vĂ©ritable diversitĂ©, celle de la com-

munautĂ© gay de Floride et, au-delĂ , d’un monde gay plus hĂ©tĂ©-roclite et pluriel qu’on ne l’imagine.

L’une des victimes, Edward Sotomayor, un Portoricain,venait de lancer une croisiĂšre pour les gays vers Cuba. Certainsappartenaient Ă  la scĂšne queer underground de Floride ;d’autres, au contraire, Ă  ses symboles les plus mainstream. Luis,22 ans, travaillait au parc Universal d’Orlando sur l’attractionHarry Potter (l’écrivaine J.K. Rowling lui a immĂ©diatementrendu hommage sur son compte Twitter).

C’était tout cela le Pulse – et bien davantage. Un lieu oĂčtoute une communautĂ© majoritairement homo et latino certes,hĂ©tĂ©roclite donc, moins lesbienne que gay sans doute, et moinsnoire que latino, mais joyeuse et fĂȘtarde, militante aussi, seretrouvait. Pour oublier l’homophobie et l’immigration illĂ©gale,

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il suffisait d’ĂȘtre prĂȘt Ă  s’amuser. RĂ©cemment, une annonce duPulse invitait d’ailleurs Ă  la fĂȘte avec cet Ă©nigmatique post :« Who’s ready ? »

LE PULSE A ÉTÉ INAUGURÉ LE 2 JUILLET 2004. Sur la page Face-book du Pulse, l’annonce de la soirĂ©e du douziĂšme anniversaireĂ©tait encore visible au moment de l’attentat. Les fondateurs duclub, Barbara Poma et Ron Legler, ont choisi ce nom quiĂ©voque les battements du cƓur, ses pulsations, son pouls, enhommage Ă  l’énergie de John, le frĂšre de Barbara, mort dessuites du sida. Avant d’ĂȘtre un club gay latino, ce local banal,modeste et biscornu, situĂ© sur un parking sans histoire, composĂ©de plusieurs bĂątiments mal reliĂ©s entre eux, avait Ă©tĂ© le siĂšged’un quotidien dans les annĂ©es 1930, d’une pizzeria dans lesannĂ©es 1980 et d’un lieu de concert live dans les annĂ©es 1990.

Lorsque ses nouveaux propriĂ©taires reprennent le fonds decommerce, ils veulent en faire un « lieu gay pas comme lesautres ». Leur public cible est constituĂ© dĂšs le dĂ©part de la com-munautĂ© hispanique gay et lesbienne d’Orlando.

Comment Ă©tait-il frĂ©quentĂ© alors ? Nous ne le savons pas. LadĂ©coration ressemble-t-elle Ă  celle d’aujourd’hui ? C’est Ă©gale-ment difficile Ă  dire. Toujours est-il que les images du Pulse,

lorsqu’on remonte son historique sur Facebook, semblent dĂ©sor-mais un peu datĂ©es. Des fontaines d’eau artificielles ; deslumiĂšres clignotantes ; des pistes de danse bricolĂ©es ; un lieumoins spacieux qu’on ne l’avait d’abord imaginĂ©. Lorsqu’onvisite aujourd’hui le Stonewall Inn, le bar oĂč est nĂ©e la libertĂ©gay en juin 1969, on est Ă©galement surpris par l’exiguĂŻtĂ© d’unlieu dont l’importance historique est inversement proportion-nelle Ă  sa taille. PrĂšs de cinquante ans aprĂšs, le Pulse devientĂ  son tour le symbole de la communautĂ© gay – mais, entre-temps, l’histoire est devenue tragique.

En juin 2016, le Pulse est une discothĂšque populaire bonmarchĂ©, peut-ĂȘtre mĂȘme bas de gamme, underground si l’onveut, loin du clubbing chic et cool de Miami Beach ou FortLauderdale. Les prix sont raisonnables pour y consommer

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comme pour y entrer (10 dollars avant vingt-deux heures trente,15 dollars ensuite, 20 dollars Ă  partir de minuit). On sert del’alcool dans des verres en plastique et, parfois, lors de soirĂ©es« All You Can Drink », l’alcool coule Ă  flots pour un pass Ă 10 dollars.

DANS LES SALLES ÉTROITES du Pulse, les ambiances varientcomme les styles sonores : quatre bars, trois DJ et un patioextĂ©rieur protĂ©gĂ© par une palissade. Les musiques s’entremĂȘlentparfois, bruyamment, d’une salle Ă  l’autre. Un spectacle de dragqueens, comme souvent dans les discothĂšques gays, se dĂ©rouleen dĂ©but de soirĂ©e, comme ce samedi 11 juin, un peu avantque ne dĂ©bute la tuerie.

À chaque jour de la semaine sa soirĂ©e. Le lundi, c’est « NocheLatina » ; le mardi c’est « Twisted Tuesday » (une soirĂ©e« bizarre » avec karaokĂ©) ; le mercredi « College Night Wednes-days » ou « Dorm Night » (la soirĂ©e Ă©tudiante) ; le jeudi c’est« Tease Thursdays » et le dimanche « Secret Sundays ». Restele week-end oĂč les soirĂ©es sont dĂ©diĂ©es aux « Latinos » et aux« Latinas » qui aiment la « Latin flavor » – comme chaque nuit.Au Pulse, c’est « time to party » chaque soir. Et quand onremonte le temps, on dĂ©couvre les mĂȘmes soirĂ©es, les mĂȘmes

flyers, les mĂȘmes « guests stars » Ă  plusieurs annĂ©es de distance.

GrĂące Ă  la magie des rĂ©seaux sociaux, Ă  Facebook, mais aussiĂ  Instagram et Twitter, on peut retrouver les milliers de photoset de vidĂ©os qui ont Ă©tĂ© postĂ©es sur le site du Pulse au fil desannĂ©es. L’histoire du club apparaĂźt alors, drĂŽle, extravagante,militante et mĂȘme « burlesque » – pour reprendre un mot quifigure Ă  plusieurs reprises dans les messages officiels du Pulse.

C’est d’abord un club latino. Et en ce mois de juin 2016,les Gay Prides ont lieu Ă  Orlando par nationalitĂ© d’origine. Teljour, c’est la « Puerto Rico Pride », tel autre la « Cubano Pride »,la « Dominican Pride » ou la « Orlando Black Pride ». ChacundĂ©file sous son drapeau ! Alors, au Pulse, Ă  chaque parade sasoirĂ©e. Chaque jour de la semaine est une niche. Le Pulse estun Rainbow flag Ă  lui seul, une maniĂšre de rĂ©unir toutes les

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minoritĂ©s hispaniques autour d’une seule adresse. Et tout y esttellement queer !

Les bartenders (dont le cĂ©lĂšbre Bobby) et les gogo dancerssont « gorgeous » (splendides), nous prĂ©vient-on. On invite lesclients Ă  glisser des billets de 1 dollar dans les strings des dragqueens qui font un spectacle. L’ambiance de la discothĂšque rap-pelle le monde gay Ă  l’ancienne : celui des annĂ©es 1970 plutĂŽtque celui des annĂ©es Obama. Mais le Pulse est pourtant unclub des annĂ©es 2010 grĂące Ă  son omniprĂ©sence sur les rĂ©seauxsociaux oĂč toute sa publicitĂ© et son marketing sont concentrĂ©s.

GrĂące aux vidĂ©os du Pulse sur YouTube, on peut pĂ©nĂ©trerdans les soirĂ©es, circuler sur les pistes et mĂȘme visiter les loges.LĂ , aprĂšs le drag show, on observe les artistes se dĂ©fouler. Ilschantent et plaisantent ; les gros mots fusent. On fredonne Overthe Rainbow en imitant Judy Garland dans Le Magicien d’Oz– film culte s’il en est du monde gay.

Alors, dans ce lieu Ă  l’écart de la foule, on se lĂąche vraiment :on fume (et pas seulement des cigarettes) ; on se met Ă  parlercomme une fille quand on est un homme, comme un garçonquand on est une femme. On a faim, n’est-il pas l’heure d’allerau Taco Bell ou au McDonald’s du coin ? On rit aux Ă©clats –car finalement on n’a plus faim


Les images alors sont magiques, émouvantes, féeriques, et rap-

pellent ces photos prises dans les clubs de la Bowery ou deTimes Square Ă  New York par Nan Goldin pour ses diaporamasThe Ballad of Sexual Dependency et All By Myself.

DIRE QUE LA MUSIQUE DU PULSE est bonne ou simplement ori-ginale serait exagĂ©rĂ©. Elle est mainstream et surtout latino. Ladeep house, la progressive ou l’électro ne font pas partie durĂ©pertoire discoĂŻde du club qui n’a rien d’alternatif. Le 11 juin,la piste principale offre un mĂ©lange de reggaetĂłn, de bachata,de merengue et de salsa. C’est Ă©crit sur le flyer. Par ce simpleĂ©noncĂ© subtil, le Pulse tente d’attirer Ă  lui, par un clin d’Ɠilmarketing Ă  des musiques hispaniques connotĂ©es par nationa-litĂ©s, Ă  la fois les Portoricains, les Mexicains, les Dominicains

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et les Cubains. Le vendredi, c’est « Platinum Fridays » : lamusique tourne au hip-hop et au RnB – et bien sĂ»r au reg-gaetĂłn, le rap latino par excellence.

Les « directeurs artistiques » du Pulse proposent pour « lineup » des talents locaux et des « homebase DJs » – l’autre spĂ©cialitĂ©du club. On verse dans le local, faute peut-ĂȘtre d’avoir les moyensd’inviter de grands noms de la scĂšne gay de Floride du Sud. Serelaient alors sur la petite piste, sous des « mirror balls » (boulesĂ  facettes), des lasers verts et des projecteurs dĂ©modĂ©s aux lumiĂšresclignotantes un brin ringardes, des drag queens et des drag kingsqui enchaĂźnent en playback les tubes de Britney Spears, BeyoncĂ©,Justin Bieber et surtout Ricky Martin.

Peut-on dire que, comme souvent dans les soirĂ©es gays, lamusique ne compte pas au Pulse ? C’est tout le contraire. Pourun jeune gay hispanique qui n’a pas encore fait son comingout, Ricky Martin est un exemple, sinon un modĂšle. Il a beauconnaĂźtre toutes ses chansons par cƓur, il se sent mieux enl’écoutant encore, mĂȘme si c’est pour la centiĂšme fois. L’homo-gĂ©nĂ©itĂ© est peut-ĂȘtre une Ă©tape nĂ©cessaire au processus de socia-lisation des gays qui ont si longtemps Ă©tĂ© isolĂ©s et solitaires.

Les vidĂ©os du Pulse reflĂštent cette ambiance d’émancipation,sinon de libĂ©ration gay. Elles montrent aussi l’atmosphĂšre bon

enfant Ă  l’intĂ©rieur du club. C’est fĂ©erique et cheap Ă  la fois,latino et amĂ©ricain, la fĂȘte longue et l’alcool court. Parfois, lapetite foule dans le club se met Ă  chanter Ă  tue-tĂȘte en espagnol.L’anglais est de mise ; mais l’espagnol dĂ©borde tout Ă  coup ducƓur.

À d’autres moments, lors des traditionnels spectacles, onapplaudit « MrMs Adrien », « Queen Cucu », « Viral Super-star », « DJ Flawless » (qu’on imagine plus que parfait) et untravesti dĂ©guisĂ© en lapin. On vient voir Jessica Wild, Lady Janetou Mimi Marks en « hosts ». Lisa montre ses seins gigantesques.On fait du ping-pong avec la biĂšre et on appelle cela « BeerPong ». On est heureux. Et pour le « happy hour », le cocktailLong Island est Ă  deux dollars (ce qui est bon marchĂ© pour dela tequila).

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Les soirĂ©es Ă  thĂšmes (« Themed Shows ») sont innombrables,peut-ĂȘtre pour imiter les attractions des parcs Ă  thĂšmes, quiattirent les touristes Ă  Orlando. Lors des Tony Awards, on fĂȘteBroadway ; lors d’un programme spĂ©cial sur Logo, la chaĂźnegay de MTV, on projette l’émission vedette ou le film clĂ©.Lorsque Lady Gaga est nommĂ©e femme de l’annĂ©e, on lui dĂ©dieune soirĂ©e durant laquelle
 seule la musique de Lady Gagaest jouĂ©e.

Les thĂšmes changent chaque soir : il y a « Jiggly Caliente »(oĂč l’on se remue et se secoue), « Unwrapped Night » (l’inversesans doute du grand dĂ©ballage), la « Glow Party » (celle rĂ©servĂ©eĂ  ceux qui ont bonne mine et sont de bonne humeur), « Milk »(comme partout dans le monde gay, en hommage Ă  HarveyMilk) et, bien sĂ»r, une incroyable nuit Halloween oĂč tout lemonde vient over-dĂ©guisĂ©.

Tout est « over » d’ailleurs au Pulse, les costumes, lesmaquillages, les drag queens – sauf les prix. La nuit de la Saint-Sylvestre n’est qu’à quinze dollars « all night » – une chancepour les jeunes gays et lesbiennes qui n’ont pas le sou. Parfois,il y a un strip-tease (mais cela ne dĂ©passe guĂšre le string). Etchaque annĂ©e, un « contest », une sorte de concours de chant,version karaokĂ©, trĂšs prisĂ©. Le Pulse est un club « hot ».

Hot ! Mais aussi engagĂ©. La fĂȘte, certes, la musique latino

aussi, mais pas seulement. Dans l’histoire du Pulse, il est frap-pant de constater qu’un nombre important de soirĂ©es ont Ă©tĂ©dĂ©diĂ©es Ă  des opĂ©rations de « fundraising » (collecte de fonds)pour des causes humanitaires. Le sida arrive en tĂȘte (notammentĂ  l’occasion du Aids Walk Orlando). La lutte contre le cancerest Ă©galement centrale au Pulse, notamment contre le cancerdu sein oĂč, peu avant l’attentat, on collecte de l’argent pourune certaine Nancy, gravement malade, et qui veut voyagerencore un peu en AmĂ©rique latine avant de mourir.

Le Pulse milite aussi pour les droits des immigrĂ©s et des per-sonnes « undocumented », ces millions d’Hispaniques qui viventaux États-Unis sans papier. Le prĂ©sident de Human RightsCampaign, la principale association LGBT amĂ©ricaine, a expli-quĂ© que son organisation avait fait des fundraisings pour le

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mariage gay au Pulse, au bĂ©nĂ©fice de son antenne locale (Equa-lity Florida). Ce fait est confirmĂ© par la timeline du club surFacebook : le 26 juin 2015, on y voit une belle image deHuman Rights Campaign avec le slogan « All 50 States ». Cejour-lĂ , le mariage gay vient d’ĂȘtre lĂ©galisĂ© et gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă l’ensemble des États-Unis par une dĂ©cision historique de laCour suprĂȘme. Le soir mĂȘme, au Pulse, c’est « Platinum Fri-days » et on fait la fĂȘte jusqu’au matin. Le logo du Pulse prendpour l’occasion les couleurs du Rainbow flag.

Pour des raisons politiques, tout autant que commerciales,le Pulse colle donc aux combats de la communautĂ© LGBT deFloride. Des campagnes d’« outreach » et d’éducation sontmenĂ©es pour sensibiliser les habitants d’Orlando sur la problĂ©-matique gay. On offre aussi rĂ©guliĂšrement des prĂ©servatifs eton fait campagne pour le « safer sex ».

Le 25 mai 2016, soirĂ©e de deuil : « Miss Pulse » est morte.Le Pulse dĂ©cide de lui rendre hommage : « Today we lost afriend but gained an angel », tĂ©moigne la direction du club(aujourd’hui nous avons perdu une amie mais nous avons dĂ©sor-mais un ange).

LE PULSE, C’EST DONC D’ABORD UNE FAMILLE. Non pas une

famille biologique, dont on hĂ©rite, mais une famille d’adoption,celle que l’on s’est choisie. Chacun y est libre de vivre son propremode de vie et de s’appeler par le nom qu’il souhaite (beaucoupsont connus sous pseudonyme). On l’a appris peu aprĂšs l’atten-tat : bien des jeunes qui frĂ©quentaient ce club n’avaient pas ditĂ  leurs parents qu’ils Ă©taient homosexuels – et certaines famillesl’ont dĂ©couvert tragiquement dimanche 12 juin en venant iden-tifier la dĂ©pouille de leur fils ou de leur fille.

Quelques jours avant le drame, d’ailleurs, les responsables duPulse, bien conscients de la persistance de l’homophobie dansla communautĂ© hispanique d’Orlando, ont organisĂ© une soirĂ©edestinĂ©e aux parents. « Nous adorons quand les parents sortentdu placard pour soutenir leurs enfants. C’est un honneur deles rencontrer comme ce soir oĂč ils Ă©taient si nombreux dans

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nos locaux pour soutenir leurs fils et leurs filles », peut-on liresur un post officiel du Pulse.

Une famille donc, comme l’ont Ă©tĂ© partout dans le mondedes milliers de clubs et de bars gays pour tellement de jeunesgays en train d’assumer leur homosexualitĂ©. Une famille oĂč l’onfĂȘte les anniversaires, comme celui de « Birthday Boy » quelquesjours avant l’attentat, et les fĂȘtes nationales de son pays : parexemple le « Cinco de Mayo » chaque 5 mai, date non officiellede l’indĂ©pendance du Mexique. Cet exemple est significatif, carfĂȘter « Cinco de Mayo » sur le sol amĂ©ricain signifie ĂȘtre Mexi-cain mais peut-ĂȘtre plus encore s’identifier comme Mexicain-AmĂ©ricain tant on sait que la fĂȘte est davantage commĂ©morĂ©eaux États-Unis qu’au Mexique.

Et c’est peut-ĂȘtre cela le Pulse en dĂ©finitive : une famille gayde substitution et une famille amĂ©ricaine. Les États-Unis sontle point de ralliement, le symbole de l’« American dream » d’unecommunautĂ© gay latino qui se cherche, se retrouve, et tente depoursuivre ses rĂȘves.

Chaque annĂ©e pour le 4 juillet, le Pulse organisait d’ailleursune grande soirĂ©e Ă  l’occasion de la fĂȘte nationale amĂ©ricaine.Connue sous le nom d’« Independence Day », on commĂ©moreaux États-Unis, Ă  cette date, la DĂ©claration d’indĂ©pendance. AuPulse, cette nuit-lĂ , le 4 juillet 2015 – et c’était prĂ©vu aussi

pour 2016 –, les gays, les lesbiennes, les transgenres et les hĂ©tĂ©rosĂ©taient venus s’amuser dans ce club dĂ©cadent et burlesque,oubliant pour un soir leur pays d’origine. Ils pouvaient bienĂȘtre « undocumented » et sans papiers ; ils Ă©taient peut-ĂȘtre Porto-ricains, dominicains, guatĂ©maltĂšques, colombiens, mexicains oucubains – le temps d’une fĂȘte, le temps d’une nuit, ils Ă©taienttous devenus AmĂ©ricains.

« VOUS CHERCHEZ “THE QUEEN OF AMMAN” ? Vous m’aveztrouvĂ©. » Madian al-Jazerah est en train de finir un cafĂ© ame-ricano. Il me fait signe de m’asseoir Ă  sa table. La cinquantaine,le front haut, un petit bouc blanc bien coupĂ© au milieu du

*

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menton, il me rappelle Randy Jones, le cow-boy de VillagePeople.

Le Books@CafĂ© se situe Ă  l’angle de la rue Omar-Bin-al-Khattab et de la Rainbow Street, au centre d’Amman, capitalede la Jordanie. « Je sais qu’on m’appelle la “reine d’Amman”,c’est mon surnom, mais je vous assure qu’ici, dans ce paysmusulman, je ne fais pas de prosĂ©lytisme. Je suis ouvertementgay, mais je ne veux pas faire trop de vagues. Je ne hisse pasle Rainbow flag. J’ai crĂ©Ă© ce lieu alternatif. C’est juste un cafĂ©â€œgay friendly”. » Madian al-Jazerah est l’un des homosexuels lesplus emblĂ©matiques du monde arabe et son bar, le Books@CafĂ©,un miracle en terre d’Islam – une oasis, une exception, un mys-tĂšre. Un mirage peut-ĂȘtre.

Le nom de la rue, dĂ©jĂ  ! « À l’époque, Al-Rainbow Street Ă©taiten quelque sorte les Champs-ÉlysĂ©es d’Amman. Puis ce fut ladĂ©pression et le quartier a perdu de son charme. Les prix ontbaissĂ©. Les artistes s’y sont installĂ©s et avec eux les galeries d’art,les cinĂ©mas
 et les gays. Peu Ă  peu, le quartier est redevenubranchĂ© et mĂȘme bobo. C’est ce qu’on appelle la “gentrifica-tion”, l’embourgeoisement. Mais le nom de la rue n’a aucunrapport avec le drapeau gay, c’est une pure coĂŻncidence »,m’indique Madian al-Jazerah. Je lui propose de ne pas men-tionner son vĂ©ritable nom dans mon livre pour ne pas l’exposer

inutilement. « Non, au contraire, vous pouvez me citer. Je n’aipas peur. La notoriĂ©tĂ© me protĂšge. Et aprĂšs tout, me lance-t-il, tout sourire, The Queen of Amman ne se cache pas. »

ON ACCÈDE AU BOOKS@CAFÉ par une petite cour, Ă  l’ombredes orangers en fleur, au rez-de-chaussĂ©e d’une maison cossue.À dĂ©faut de sa splendeur d’autrefois, la bĂątisse a conservĂ©quelque chose du chaos oriental. On entre d’abord dans unelibrairie (l’arobase fait partie du nom du lieu, car c’est aussi uncybercafĂ©). Sur les rayonnages : des livres en arabe et en anglais,des CD et des DVD. J’aperçois plusieurs films gays cultes :Le Secret de Brokeback Mountain du TaĂŻwanais Ang Lee, Adieuma concubine du Chinois Chen Kaige ou encore My Beautiful

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Laundrette de Stephen Frears. Plus loin, un double DVD dela sĂ©rie de HBO, Angels in America, l’adaptation tĂ©lĂ©visĂ©e de lacĂ©lĂšbre piĂšce du dramaturge gay-juif-amĂ©ricain Tony Kushner.« Ce n’est pas une librairie gay », objecte toutefois Madian al-Jazerah, qui me montre des guides touristiques, des best-sellerset un rayon BD pour les enfants. Parmi les romans, je trouveLes Enfants de minuit de Salman Rushdie (mais pas Les Versetssataniques), le livre d’Edward W. Said sur l’« orientalisme » etun texte de l’AmĂ©ricaine Susan Sontag consacrĂ© au sida. Et surune Ă©tagĂšre, je vois, bien en vue, le roman L’Immeuble Yacoubiande l’Égyptien Alaa el-Aswany, une magnifique fresque qui dĂ©critune rĂ©sidence Art dĂ©co du Caire, opulente et cosmopolite, vĂ©ri-table microcosme culturel, oĂč cohabitent toutes les gĂ©nĂ©rationset les classes sociales, les pachas et les coptes, et bien sĂ»r les hĂ©tĂ©-ros et les gays. Je me dis qu’on pourrait Ă©crire aujourd’hui unroman ici, dans ce cafĂ©, sorte d’immeuble Yacoubian moderne.

DerriĂšre la caisse de la librairie part un escalier discret. Lebar est au premier Ă©tage et, alors que le rez-de-chaussĂ©e est Ă©troitet confinĂ©, le club se rĂ©vĂšle immense. C’est une succession dequatre salles prolongĂ©es par deux vastes terrasses, visiblementgagnĂ©es sur les toits, amĂ©nagĂ©es avec des verriĂšres asymĂ©triquessur des niveaux diffĂ©rents. L’étĂ©, on y est au frais et Ă  l’ombre ;

l’hiver, au soleil et Ă  l’abri. TantĂŽt Ă  l’air libre, tantĂŽt sousdes tissus fantaisistes. Depuis les terrasses, on aperçoit la villed’Amman, blanche et ocre, ses collines, ses mosquĂ©es illumi-nĂ©es de vert, ses quartiers bourgeois – et ses camps palesti-niens.

Madian al-Jazerah est d’origine palestinienne. Sa famille,descendant des BĂ©douins, vient d’Akka, aujourd’hui Saint-Jean-d’Acre, dans le nord d’IsraĂ«l. Ses parents s’installent Ă  JĂ©nine,en Cisjordanie, avant de fuir les territoires palestiniens occupĂ©set de s’exiler au KoweĂŻt, oĂč il est nĂ©. « J’ai grandi dans le dĂ©sert,dans le respect de la culture des BĂ©douins. Et mĂȘme si mafamille Ă©tait plutĂŽt Ă©duquĂ©e, je conserve un cĂŽtĂ© nomade. Jesuis toujours Ă©mu par la beautĂ© du dĂ©sert. Le dĂ©sert ne mentpas. » Une nouvelle fois chassĂ©s, ses parents Ă©migrent en Jordanie.

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« C’est ça, ĂȘtre palestinien, rĂ©sume-t-il. On est toujours un peuexilĂ©, sans pays. On n’est jamais chez soi. »

Dans les annĂ©es 1970, Madian se retrouve « naturellement »,dit-il, aux États-Unis : il suit des Ă©tudes d’architecture Ă Oklahoma State University, puis vit en Californie avant dedĂ©mĂ©nager cĂŽte est. « Quand on est Palestinien, on ne tientpas en place. Et les États-Unis, c’est la terre promise. C’estcomme dans le film America, America d’Elia Kazan : moi aussi,j’ai cru au rĂȘve amĂ©ricain. »

À New York, dans les annĂ©es 1980, ce « sexual-liberationist »ouvre Le Frisbee, un bar arabe dans un quartier gay friendly.Dix ans plus tard, il va faire le contraire Ă  Amman : ouvrir uncafĂ© gay friendly et amĂ©ricanisĂ© dans une ville musulmane.

LE BOOKS@CAFÉ EST UN CONCENTRÉ du monde arabe gay.Dans la journĂ©e, il ressemble Ă  un coffeeshop alternatif califor-nien, la fumĂ©e trĂšs parfumĂ©e du narguilĂ© en plus. Un exilĂ© ira-kien, qui donne l’impression d’ĂȘtre trĂšs « insecure », y passe sesaprĂšs-midi Ă  consulter Internet en attendant d’obtenir despapiers pour Beyrouth. Un Syrien qui a grandi Ă  DubaĂŻ y rĂ©viseses cours pour l’universitĂ© d’Amman. Un Jordanien « desouche » (selon son expression, pour ne pas ĂȘtre confondu avec

un Palestinien) y consulte des brochures « Study in the USA »,empilĂ©es Ă  l’entrĂ©e de la librairie. Un jeune homme de bonnefamille, dont on me dit qu’il serait un prince, porte un tee-shirt Abercrombie & Fitch et me propose de rebaptiser ce café« You Mecca Me Hot » – jeu de mots qui me fait bien rire.Un steward de British Airways – un « hummus queen », commeon appelle les Blancs qui fricotent avec les Arabes – papoteavec une bande d’hommes, dont l’un Ă©tudie Ă  l’universitĂ© amĂ©-ricaine du Caire pour devenir dentiste. Quant Ă  Mohamad, quiporte un keffieh Ă  damiers rouges, il vit dans le camp de rĂ©fugiĂ©sde Jabal el-Hussein Ă  Amman et m’avertit qu’il refuse de boiredu Coca-Cola ou de consommer du ketchup (il boycotte lesproduits israĂ©liens et amĂ©ricains) ; il me montre aussi une photo-graphie de Che Guevara, qui ne quitte pas son portefeuille, et

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affirme ĂȘtre membre du Front populaire de libĂ©ration de la Pales-tine, le mouvement nationaliste fondĂ© par Georges Habache,chef marxiste et chrĂ©tien – terroriste aussi. Plein d’hospitalitĂ©,Mohamad a de grands yeux noirs brillants, des cheveux d’unbrun intense : il est la quintessence de la beautĂ© arabe. Il n’estpas « gay », n’a pas fait son coming out, mais reconnaĂźt se« poser des questions ». Les AmĂ©ricains ont un mot pour ça :ni gay, ni bisexuel, « questioning ». Comme les autres garçons,il « apprend » ici Ă  devenir gay. On ne naĂźt pas homosexuel,on le devient.

ENTRE NARGUILÉ ET WI-FI, les clients du cafĂ© sont plus nom-breux Ă  mesure que la soirĂ©e avance. À 17 heures, les serveurs« du jour » sont remplacĂ©s par les serveurs « du soir ». Pas moinsde quarante barmen s’affairent maintenant, portant des tee-shirts noirs griffĂ©s Books@CafĂ© avec fiertĂ©, mĂȘme s’ils sont plu-tĂŽt mal payĂ©s ici (150 dinars jordaniens en moyenne, soitenviron 160 euros par mois, pourboires non inclus). L’und’entre eux, Omar, est un nouveau venu : c’est un PalestinienexilĂ© de Ramallah, et Madian a acceptĂ© de le prendre Ă  l’essaipar solidaritĂ©, concĂšde-t-il, pour son peuple. Sa mission : porterles narguilĂ©s et entretenir les braises pour qu’elles soient toujours

incandescentes. Il ne doit pas parler aux clients.

« Ici, on est dans un cafĂ© trĂšs dĂ©territorialisĂ©, comme privĂ©de territoire. On est en Jordanie, mais on pourrait ĂȘtre ailleursau Proche-Orient. Les gens y passent quand ils n’ont pas de“home”. Tout le monde rĂȘve de Beyrouth, de DubaĂŻ ou d’Istanbulet, au-delĂ , de partir vivre aux États-Unis », dĂ©crypte Madianal-Jazerah. Au Books@CafĂ©, la musique est trĂšs largement amĂ©-ricaine, mais j’entends aussi le dernier hit de Shakira, et la foulese met Ă  chantonner sur le tube de cette Libano-ColombiennecomplĂštement mondialisĂ©e.

La jeunesse multiethnique du monde musulman en mutationse fait maintenant plus dense et prend ses aises dans les fauteuilsdes salons en enfilade et en dĂ©nivelĂ©s. Je ne suis plus Ă  Amman :je suis Ă  Santa Monica ! Un videur filtre dĂ©licatement l’entrĂ©e

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et passe tout le monde, hĂ©tĂ©ros et gays, au dĂ©tecteur Ă  mĂ©taux.Des couples plus ĂągĂ©s arrivent aussi, ayant rĂ©servĂ© leur table.Les femmes ne portent gĂ©nĂ©ralement pas de voile – mais jevois une fille voilĂ©e qui joue avec son iPhone. Un mannequin,au corps Ă©lancĂ© et Ă©lastique, me dit qu’il participe au concours« Monsieur Jordanie » – et si ça ne tenait qu’à moi, je lui dĂ©cer-nerais le premier prix. Mais il ne figure encore que parmi lesdix finalistes et, fumant la chicha, me dĂ©crit son espoir del’emporter lors de la finale Ă  Beyrouth. Soudain, la sonnerie deson portable retentit – c’est I Will Survive de Gloria Gaynor.

« Au dĂ©but, je ne voulais pas ouvrir un lieu gay, m’avoueMadian al-Jazerah. J’ai crĂ©Ă© plusieurs cafĂ©s Ă  Amman et, en1997, j’ai eu l’idĂ©e du Books@CafĂ© : le concept, au dĂ©part,c’était une librairie, un Internet cafĂ© et un lieu alternatif. Mamission, c’est de promouvoir la tolĂ©rance, pas de militer. Maispeu Ă  peu, presque Ă  mon corps dĂ©fendant, c’est devenu uncafĂ© gay friendly. »

Cinq fois par jour, on entend, depuis les terrasses du bar, lemuezzin psalmodier l’appel Ă  la priĂšre. Sa voix – aujourd’huiune cassette audio diffusĂ©e par haut-parleur – se mĂȘle au derniertube de Lady Gaga, laissant parfaitement indiffĂ©rent le publicdu cafĂ©, pourtant largement musulman. Pas une seule personne,ici, ne s’est tournĂ©e vers La Mecque.

LE JEUDI SOIR, veille du week-end dans les pays arabes, c’est lasoirĂ©e la plus populaire. La foule arrive et s’agite. Les salonsorange vif un peu ringards, aux papiers peints façon Vasarely,se remplissent, tout comme la grande vĂ©randa, avec ses fleurscolorĂ©es seventies sur les murs. Le cafĂ© cool devient un restau-rant trendy aux menus entiĂšrement rĂ©digĂ©s en anglais. On ysert jusqu’à quatre cents couverts par jour : club sandwich, caesarsalad et BLT – un audacieux bacon lettuce tomato, rebaptisĂ©ici burger laitue tomate, sans porc. Les desserts : carrot cake,cheesecake ou pancakes – pas un seul plat du Moyen-Orient.DĂšs 21 heures, une Ă©lite occidentalisĂ©e, et pas uniquement gay,fait la queue Ă  l’entrĂ©e et, en attendant une table, flĂąne dans

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la librairie. La bande-son maintenant : I Got a Feeling, le dernierhit amĂ©ricain de l’ex-DJ de bars gays parisiens David Guetta.Je vois des couples hĂ©tĂ©ros chics faire mine de s’amuser et descouples gays s’amuser vraiment. « La vĂ©ritĂ©, c’est qu’il est beau-coup plus facile d’ĂȘtre gay Ă  Amman qu’hĂ©tĂ©ro. Un gay trouveassez facilement des partenaires, alors que pour un jeune hĂ©tĂ©roc’est quasiment impossible », commente Madian al-Jazerah enme montrant du doigt la faune nocturne qui a envahi main-tenant le bar. D’humeur bougonne, parfois ronchon, il veillesur sa petite communautĂ©. Son sultanat.

À la diffĂ©rence du restaurant, cool et gay friendly, le bar intĂ©-rieur est plus strictement gay, les clients s’y serrant autour d’ungrand zinc en bois, riant aux Ă©clats, dans une ambiance colorĂ©eet alcoolisĂ©e – autre exception dans cette ville musulmane. « Ici,les gens ne sont pas des clients, ce sont des amis », ose Madian,qui a bien rĂ©pĂ©tĂ© sa leçon marketing. Pourtant, c’est un fait :tout le monde se connaĂźt, bouge, danse, s’interpelle. Un garçon,qui se prĂ©nomme Adam et semble d’une gaietĂ© inextinguible,en tenant la main de son copain, me dit qu’il vient ici « tousles soirs ». La vie, pour lui, paraĂźt joyeuse et facile.

Je regarde, comme tout le monde, sur de nombreux écrans,les chanteuses arabes raisonnablement dénudées de la chaßnemusicale saoudienne Rotana, les feuilletons du ramadan du

groupe Ă©galement saoudien MBC, la premiĂšre ligue jordaniennesur Al Jazeera Sport, ou les talk-shows sans tabous de la chaĂźnelibanaise LBC. Un soir, j’y verrai mĂȘme Slumdog Millionairede Danny Boyle, film qui a connu un succĂšs inattendu sur lescinq continents et que je retrouverai souvent, au cours de monenquĂȘte, dans les bars gays d’IndonĂ©sie, les discothĂšques homosde Rio ou les cafĂ©s gay friendly de Shanghai. Le Books@CafĂ©est probablement le plus beau lieu gay du monde arabe. Et iln’existe pas Ă  Paris, ni Ă  New York, un club aussi Ă©clatant.C’est le narguilĂ© avec Facebook. Les chameliers avec Lady Gaga.C’est l’immeuble Yacoubian tous les soirs. Et dans ce conte,Madian al-Jazerah est le BĂ©douin Ă©garĂ© sur Rainbow Street, lePalestinien exilĂ© devenu patron « socialite » de bar gay, l’hĂ©ritierde la culture des dattes transformĂ© en vendeur de veggie burger,

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le mĂ©hariste qui a fait de la bĂąche de la terrasse de son cafĂ© sanouvelle tente. Je suis certain que Lawrence d’Arabie auraitadorĂ©.

POURQUOI LA MONARCHIE HACHÉMITE JORDANIENNE, pas dutout gay friendly, tolĂšre-t-elle ce cafĂ© extravagant ? C’est unmystĂšre. On dit que Madian al-Jazerah est bien connectĂ© aurĂ©gime clientĂ©liste et anti-islamiste d’Abdullah II, et ami notam-ment de sa femme, la reine Rania al-Yassin, une PalestiniennenĂ©e, comme lui, au KoweĂŻt. Il semble proche Ă©galement de lareine Noor, veuve du roi Hussein de Jordanie, AmĂ©ricaine denaissance, protectrice lĂ©gendaire des artistes gays d’Amman. Sesrelations dans les mĂ©dias apparaissent tout aussi utiles : son frĂšreanime Good Morning Amman, un show tĂ©lĂ©visĂ© trĂšs prisĂ© parles Jordaniens mais diffusĂ© depuis DubaĂŻ.

Cette oasis fait naturellement l’objet d’un Ăźlotage particulier.La police ne laisse pas sans surveillance la jet-set arabe et certainsjeunes princes de sang de la famille royale. J’ai aperçu les poli-ciers en civil, qui tournent le soir, dans la rue, devant le bar.À l’occasion, ils n’hĂ©sitent pas Ă  pincer un mineur Ă  la sortiedu cafĂ©, Ă  arrĂȘter un prostituĂ© ou Ă  se montrer intransigeant,durant le ramadan, sur la consommation d’alcool. « Tout est

sous contrĂŽle ici », prĂ©cise simplement Madian, qui y met dusien. Il veille, par exemple, Ă  ce que personne ne s’embrassepubliquement. « J’évite les manifestations excessives d’affectionet tant que je ne franchis pas les limites, on me laisse tranquille.Je ne vais quand mĂȘme pas organiser une Gay Pride ! Ce quime protĂšge : ce cĂŽtĂ© alternatif, contre-culturel. L’attitude“underground”, mĂȘme quand on a pignon sur rue, rend le cafĂ©acceptable pour la sociĂ©tĂ© jordanienne. »

Une campagne de rumeurs, en 1999, relayĂ©e dans la presse,a failli dĂ©boucher sur la fermeture du lieu. Madian a laissĂ© passerl’orage sans rĂ©agir, tout en demandant – on ne sait jamais –l’asile politique Ă  l’ambassade du Canada en Jordanie. Depuis,le calme semble revenu et le cafĂ© a mĂȘme obtenu son autori-sation de vente d’alcool, ce qui plaĂźt aux riches hĂ©tĂ©rosexuels

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de bonnes familles, plus encore qu’aux gays. Et voilĂ  comment,par ce positionnement mixte, gay friendly et Ă©litiste, Madianal-Jazerah a trouvĂ© son modĂšle Ă©conomique : un lieu strictementgay serait, Ă  Amman, non seulement politiquement risquĂ©, maisaussi un mauvais business. En mĂȘlant les publics, le cafĂ© multi-plie les possibilitĂ©s de commerce. Madian al-Jazerah n’est pasun philanthrope, pas mĂȘme un militant – c’est un patron.Comme j’allais le constater au cours de cette enquĂȘte, la libĂ©-ration gay commence souvent avec les bars et les clubs – c’est-Ă -dire par le commerce et le marchĂ©.

J’ai retrouvĂ© Madian et le Books@CafĂ© en 2016, lors d’unsecond sĂ©jour Ă  Amman. Rien, ou si peu, n’avait changĂ©. Lerestaurant Ă©tait identique, comme la carte des consommations.Seul le bar de nuit a Ă©tĂ© rĂ©amĂ©nagĂ©. Je sens pourtant le gĂ©rantplus prudent. Le nombre de rĂ©fugiĂ©s syriens est considĂ©rableen Jordanie. Les attentats se sont Ă©galement multipliĂ©s et leslieux gays peuvent ĂȘtre la cible de l’homophobie ou du terro-risme islamiste – comme l’attaque du Pulse, en Floride, l’a mon-trĂ© en juin 2016. « Je n’ai jamais tellement brandi le Rainbowflag, mais c’est vrai : je suis plus prudent dĂ©sormais. On faitplus attention », me dit Madian.

Deux nouveaux Books@cafĂ©, sous le mĂȘme logo, ont ouvertdans la capitale jordanienne, l’un dans le quartier d’Abdoun, Ă 

l’ouest de la ville, l’autre Ă  Dabouq. Des franchises sont Ă©gale-ment programmĂ©es en Palestine, au Qatar, Ă  BahreĂŻn et dansles Émirats arabes unis. Les affaires se portent bien.

En quittant Madian, le jour de Prophete Day, je me rendscompte que le Books@CafĂ© est Ă  la fois le passĂ© et l’avenir dela question gay, Ă  la fois « prĂ©-gay » et « post-gay ». Cette atmo-sphĂšre hors temps le rend fascinant. PrĂ©-gay, car on est ici, Ă l’évidence, avant la « libĂ©ration gay » du monde arabe – sil’expression a un sens. Post-gay, car on est aussi au-delĂ , dansune modernitĂ© que j’ai vue naĂźtre Ă  East Village Ă  New York,Ă  West Hollywood Ă  Los Angeles ou dans les villes d’Europedu Nord : celle d’une vie homosexuelle moins cloisonnĂ©e et plusfluide, d’une communautĂ© qui n’est pas seulement « gay », nimĂȘme « gay friendly », mais simplement « friendly » – le mot

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« gay » étant sous-entendu. Books@Café est un lieu au-delà desidentités uniques et des communautés fermées. Il est décalé,non cloisonné : post-gay.

Mais un bar peut-il changer une ville ? un pays ? Peut-il chan-ger le monde arabe ? Non, bien sĂ»r. Le Books@CafĂ© est unlieu trop simple pour le but trop complexe auquel il participeet qui le dĂ©passe : la modernisation arabe. Je sais combien,depuis cette oasis privilĂ©giĂ©e et cosmopolite, on est loin de larĂ©alitĂ© gay du monde arabe. Plus qu’un tabou, l’homosexualitĂ©y est un dĂ©lit – et parfois un crime. Elle conduit Ă  la prison,quelquefois Ă  la peine de mort. Madian al-Jazerah est peut-ĂȘtreun ouvreur de route, mais en terre d’islam le chemin de lalibĂ©ration gay est encore long.

La nuit est noire maintenant et le Books@CafĂ© s’apprĂȘte Ă  fer-mer. À vive allure, en voiture sur les autoroutes d’Amman,j’accompagne un groupe de gays, qui ont quittĂ© le cafĂ©, vers unlieu mystĂ©rieux. Ils chantent Ă  tue-tĂȘte en Ă©coutant le dernieralbum de la Libanaise Elissa. Pour la premiĂšre fois de la soirĂ©e,ces garçons se lĂąchent et, dans leur bolide, font les « folles ». Nousquittons le centre-ville de la capitale jordanienne, puis roulonsvers le Nord, par les ponts et les tunnels, dĂ©jĂ  dans le dĂ©sert.

Sur un terrain vague, au milieu de nulle part, la voiture

s’arrĂȘte. Une petite Ă©choppe. Un attroupement. Un jeune mar-chand gay vend du cafĂ© turc et du chocolat chaud au cƓur dela nuit. La voix de la chanteuse Haifa rĂ©sonne maintenant dansle dĂ©sert. Les garçons se mettent Ă  danser. D’autres vĂ©hiculesarrivent. Visiblement, nuit aprĂšs nuit, les gays les plus fĂȘtardsde Jordanie se retrouvent lĂ , assidus. La vie homo est, Ă Amman, comme Ă  La Havane, Ă  Damas, Ă  TĂ©hĂ©ran, Ă  Riyad,au Caire, Ă  Mumbai ou Ă  Beijing, une contre-sociĂ©tĂ© under-ground, dĂ©calĂ©e, risquĂ©e et merveilleuse. Une crainte et unepromesse. Jamais l’expression « les Mille et Une Nuits » ne m’aparu Ă  la fois si inquiĂ©tante et si gay friendly.

*

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C’EST EN JORDANIE, en Arabie Saoudite, en Iran, Ă  Cuba, auBrĂ©sil, en Chine, en Russie, en Inde, en Afrique subsaharienne,et bien sĂ»r aux États-Unis et en Europe, et au total dans une cin-quantaine de pays, que cette enquĂȘte a Ă©tĂ© menĂ©e depuis huitans. Gay friendly ou pas du tout « friendly », grĂące aux avancĂ©esou en dĂ©pit des rĂ©sistances, les nations visitĂ©es montrent qu’unerĂ©volution est bel et bien en cours. Une libĂ©ration gay est enmarche, accĂ©lĂ©rĂ©e ou forcĂ©e, par temps de mondialisation et debasculement numĂ©rique. Et un phĂ©nomĂšne majeur, encore peudĂ©crit, se dĂ©roule sous nos yeux : la globalisation de la questionLGBT 1.

L’« American gay way of life » exerce une influence dĂ©cisivesur cette Ă©volution qui a lieu parallĂšlement sur cinq continents.C’est donc par les États-Unis qu’il me faut dĂ©buter ce livre.On y verra le rĂŽle majeur jouĂ© par la culture gay amĂ©ricaineet comment les États-Unis nourrissent les imaginaires des acti-vistes du monde entier. Paradoxalement, l’AmĂ©rique apparaĂźtainsi, pour beaucoup de gays, non pas tant comme une nationimpĂ©rialiste que comme le symbole culturel, depuis Stonewall,de leur libĂ©ration.

L’attaque de la discothĂšque le Pulse Ă  Orlando, en Floride,en juin 2016, et le mouvement de solidaritĂ© internationalqu’elle a suscitĂ©e, attestent Ă©galement de cette influence amĂ©ri-

caine. C’est pour cela que j’ai choisi de commencer ce prologuepar deux rĂ©cits que tout oppose : un attentat homophobecommis par un musulman sur le sol amĂ©ricain (le Pulse) ; uncafĂ© arabe qui hisse le Rainbow flag et Ă©rige le mode de viegay amĂ©ricain en terre musulmane (le Books@CafĂ©). Deux sym-boles paradoxaux, s’il en est, pour le meilleur et pour le pire,de la globalisation LGBT.

Cette mondialisation de la question gay, trĂšs amĂ©ricanisĂ©e,ne se traduit pas nĂ©cessairement par une uniformisation :l’Union europĂ©enne et l’AmĂ©rique latine sont d’autres pĂŽles de

1. LGBT : Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres. (Pour tous lesmots ou expressions en langue Ă©trangĂšre et les sigles, voir le Lexique Ă  la finde ce livre.)

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rĂ©fĂ©rence et la diversitĂ© LGBT se rĂ©vĂšle, sur le terrain, infinie.Les « line dances » des bars gays de cow-boys Ă  Chicago ; lessoirĂ©es gays de tango Ă  Buenos Aires et de samba Ă  Rio ; les« habitaciones » gays Ă  Cuba ; les Ă©quipes gays de Dragon BoatingĂ  Singapour ; les karaokĂ©s, « snacks » et les « love hotels » gaysĂ  Tokyo ; les transsexuels opĂ©rĂ©s lĂ©galement en Iran ou le mili-tantisme homosexuel arabe qui continue l’Ɠuvre du poĂšte musul-man AbĂ» NawĂąs, attestent, comme on le verra, une incroyablediversitĂ©. Les homosexuels sont de plus en plus globalisĂ©s, souventtrĂšs amĂ©ricanisĂ©s, mais ils restent profondĂ©ment ancrĂ©s dans leurpays et leur culture. Partout dans le monde, les gays semblentdevenir identiques – et pourtant ils sont partout diffĂ©rents. Partemps de globalisation, ouverture et enracinement ne sont pasantinomiques. Il y a un « Global Gay » – mais il y a aussi denombreux « Local Gay ». Les singularitĂ©s locales de la vie gay,l’absence d’homogĂ©nĂ©itĂ© des communautĂ©s LGBT sont fasci-nantes, mĂȘme quand elles se font sous le mĂȘme drapeau.

Partout, les Rainbow flags sont hissĂ©s, mais chacun militesous sa propre banniĂšre. C’est certain : les activistes gays s’orga-nisent. En AmĂ©rique latine, oĂč l’on milite dans certaines capi-tales depuis longtemps pour la « diversidade sexual », ils ontmĂȘme un temps d’avance. En Chine, en Afrique du Sud et Ă Cuba, ils ont gagnĂ© ces derniĂšres annĂ©es d’importantes batailles.

Le combat fait rage aussi en Russie et Ă  l’est de l’Europe, oĂčl’Union europĂ©enne veille au grain, et aux États-Unis mĂȘme,oĂč le « same-sex marriage » est devenu rĂ©alitĂ© en juin 2015grĂące Ă  une dĂ©cision historique de la Cour suprĂȘme. LesNations unies avancent aussi, lentement mais inexorable-ment. Partout, de nouveaux acteurs Ă©mergent et cette enquĂȘtede terrain vise Ă  leur donner la parole. Aussi dĂ©cisifs soient-ils,les activistes LGBT ne sont pas les seuls Ă  mener la bataille :des patrons de start-up et des gĂ©rants de cafĂ©s, des avocats, desjournalistes, des animateurs de tĂ©lĂ©vision, des diplomates, desartistes et des milliers d’anonymes agissent aussi. En devenant« cool » et connectĂ©s, les gays font entendre leur voix. Leursubculture devient dominante. Leurs modes communautairessĂ©duisent les masses. Leurs commerces passent du ghetto au

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« hip ». Comment la culture gay, hier underground, est devenuemainstream : c’est ce renversement dĂ©cisif qu’il faut Ă©galementraconter.

Ailleurs, en milieu hostile, oĂč le « cool » devient – hĂ©las –synonyme de « jail » – la prison et parfois la peine de mort –,les gays et les lesbiennes rĂ©sistent aussi. Au Moyen-Orient, enAfrique Ă©vangĂ©liste et en Asie musulmane – les trois rĂ©gionsdu monde les plus dangereuses pour les gays –, je les ai vus sebattre mĂȘme quand ils sont devenus les ennemis des islamistesou des fondamentalistes. En Iran, en Arabie Saoudite, au Qatar– et dans les quinze pays musulmans oĂč j’ai enquĂȘtĂ© –, mais aussien Chine, Ă  Cuba, en Afrique subsaharienne, j’ai dĂ©couvert leurcapacitĂ© stupĂ©fiante Ă  « se dĂ©brouiller », Ă  se jouer des dictatures,en dĂ©pit des arrestations, des persĂ©cutions, des chantages, parfoisde la menace de pendaison ou de lapidation. Donner la paroleĂ  ces militants courageux « ordinaires » – qui sont en fait extra-ordinaires – est aussi l’un des objectifs de ce livre.

Dans cette globalisation en cours de la question gay, un élé-ment déterminant est en train de tout accélérer : Internet etles réseaux sociaux. Isolés hier, les homosexuels sont désormaisconnectés les uns aux autres, et cette révolution est, comme onle lira dans les pages qui suivent, la plus considérable de toutes.

En dĂ©finitive, c’est une vĂ©ritable gĂ©opolitique de la question

gay qui apparaĂźt dans ce livre. Nous sommes en train de passer,en Europe et en AmĂ©rique, de la pĂ©nalisation de l’homosexualitĂ©Ă  la pĂ©nalisation de l’homophobie. Hier, il Ă©tait difficile d’ĂȘtreouvertement homosexuel ; aujourd’hui, il devient difficile d’ĂȘtreouvertement homophobe. Renversement historique inouĂŻ, si l’ony songe. Au mĂȘme moment, dans une tout autre partie dumonde, les assassinats d’homosexuels se multiplient. Comme enIrak et en Syrie, oĂč l’organisation État islamique a fait de l’homo-sexualitĂ© une obsession morbide dans les annĂ©es 2014-2016. LĂ ,les victimes, soupçonnĂ©es d’ĂȘtre gays, sont gĂ©nĂ©ralement – selonun rite barbare d’une grande lĂąchetĂ©, formatĂ© pour YouTube –prĂ©cipitĂ©es du haut d’un immeuble les yeux bandĂ©s avant d’ĂȘtreachevĂ©s Ă  coups de pierre et lapidĂ©s par la foule. Une dizainede pays musulmans conservent dans leur droit la peine de mort

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Ă  l’égard des homosexuels. Et mĂȘme sur le sol amĂ©ricain, l’atten-tat homophobe du Pulse, avec lequel j’ai choisi de commencerce livre, nous rappelle la fragilitĂ© de la libĂ©ration gay jusquedans le pays qui la symbolise le mieux.

Ce livre de terrain, inquiet et optimiste Ă  la fois, est en finde compte une autre histoire de la mondialisation en marche.Par le prisme de la question gay, il est possible de voir surgirl’esprit du temps : la mutation des modes de vie, l’individua-lisme sexuel, la redĂ©finition du mariage, l’universalisation desDroits de l’homme, le pouvoir de l’éducation et de l’universitĂ©,l’émancipation parallĂšle des femmes et des gays, les nouveauxprescripteurs culturels entre subculture et mainstream, les res-sorts du marchĂ©, du commerce et du tourisme, l’urbanisationet l’émigration de masse, enfin les effets dĂ©cisifs du tĂ©lĂ©phoneportable, des tĂ©lĂ©visions satellitaires, d’Internet et des rĂ©seauxsociaux. Fil rouge de l’évolution des mentalitĂ©s, la question gaydevient ainsi un bon critĂšre pour juger de l’état d’une dĂ©mo-cratie et de la modernitĂ© d’un pays.

Une conviction anime cette longue enquĂȘte : les droits desgays au niveau international sont en train de devenir une ques-tion des Droits de l’homme. La dĂ©pĂ©nalisation universelle del’homosexualitĂ© avance, portĂ©e par le mouvement gay, desgouvernements progressistes et la sociĂ©tĂ© civile. Raconter cette

histoire est une forme de contribution Ă  ce combat, afind’encourager ceux qui se battent sur cinq continents et de mobi-liser ceux qui veulent les aider. Je crois qu’on peut encore racon-ter le monde Ă  travers de longues enquĂȘtes de terrain et essayerde faire bouger les choses avec un livre.

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Les Rainbow flags flottentsur les quartiers gays

BRETT EST UN « NEW YORK CITY BOY ». Gay, new-yorkais, sexy,funky, dĂ©jantĂ© : on dirait qu’il est sorti d’une chanson des PetShop Boys. Lorsque je l’ai rencontrĂ©, Brett Ă©tait « bartender »,c’est-Ă -dire serveur, au Big Cup. Le matin, il suivait des coursde musique Ă  la New School. L’aprĂšs-midi, il gagnait sa viecomme « personal trainer » dans une salle de fitness. Le soir, il tra-vaillait dans ce cafĂ© gay de Chelsea, l’un des principaux « gaybor-hoods » de New York, comme on appelle parfois les quartiers gays– un nĂ©ologisme qui agrĂšge les mots « gay » et « neighborhood ».

Tee-shirt dĂ©lavĂ© Abercrombie & Fitch, Converse All Star,jean dĂ©chirĂ©, cheveux mi-longs coiffĂ©s-dĂ©coiffĂ©s, yeux exagĂ©rĂ©-ment bleus, Brett Ă©tait gay vingt-quatre heures sur vingt-quatre.Il sortait « tous les soirs ». Sa rĂšgle de vie : « No straight peopleafter 8 pm » (Pas d’hĂ©tĂ©ros aprĂšs 20 heures). Lorsque je le voismaintenant dans son premier clip sur Logo, la chaĂźne LGBTde MTV, ses cheveux sont devenus plus longs, son allure sembleplus assurĂ©e, mais il a conservĂ© cette attitude « indie » si amĂ©-ricaine, celle de l’indĂ©pendant qui veut devenir cĂ©lĂšbre.« Aujourd’hui, je suis musicien et gay. J’ai choisi de faire moncoming out sur Logo. Et j’ai Cleanin’ Out My Closet, commele chante Eminem. »

Brett vit l’« American gay way of life ». Il Ă©volue au cƓur dela subculture gay new-yorkaise : les petits cabarets de rock

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hybride plus ou moins louches, le thĂ©Ăątre Off-Off-Broadway,les showcases expĂ©rimentaux annoncĂ©s sur les sites alternatifs,les galeries d’art dĂ©calĂ©es sur les campus, la nuit urbaine trashet tout ce qu’il appelle la scĂšne « queer ». Il bouge constammentd’une soirĂ©e Ă  l’autre, d’un quartier Ă  l’autre. Un jour, il estdans un bar de travestis de la Bowery, Ă  East Village, si bienphotographiĂ©s par Nan Goldin ; un autre soir, c’est un club« arty » de Hell’s Kitchen oĂč est projetĂ© Tarnation, un film gayunderground ; parfois, il finit la soirĂ©e dans un restaurant vĂ©gĂ©-tarien de Chinatown qui propose, au sous-sol, une « open-micsession », oĂč les artistes alternatifs peuvent prendre le microlibrement. Allers-retours non-stop : Brett passe son temps surla ligne A du mĂ©tro, montant et descendant, entre Chelsea, EastVillage, Greenwich Village et Hell’s Kitchen – les quatre prin-cipaux quartiers gays de New York.

LE BIG CUP ÉTAIT DANS LES ANNÉES 2000 la vitrine tranquillede la communautĂ© gay de Chelsea. C’est un petit cafĂ© « dejour » sur la 8e Avenue avec des murs peints en violet et degrosses fleurs colorĂ©es, dĂ©co overkitsch. On n’y sert pas d’alcool.Toute une microsociĂ©tĂ© s’y retrouve, parfois « under-age »,notamment les jeunes entre 18 et 21 ans, l’ñge Ă  partir duquel

la consommation d’alcool est autorisĂ©e et les bars accessibles.Des Ă©tudiants y potassent, avachis sur de larges fauteuils de cuir.Des « bio queens » s’y approvisionnent en jus de fruits frais ouboissons vitaminĂ©es Odwalla, Naked et VitaminWater. Unjeune Portoricain, un brin queeny, fait la folle en compagnied’un Mexicain en situation illĂ©gale, barbu et qui ne se soucieguĂšre de ne pas avoir de papiers (ils seraient 15 millions de clan-destins latinos comme lui aux États-Unis). Un jeune frais Ă©mouludu Dakota du Sud est encore tout Ă©merveillĂ© d’avoir pu quittersa famille et s’installer Ă  New York. C’est l’AmĂ©rique en minia-ture, l’AmĂ©rique par Ă©chantillons, une AmĂ©rique composĂ©e deminoritĂ©s et de diversitĂ© depuis que la Cour suprĂȘme des États-Unis a Ă©rigĂ©, dans sa cĂ©lĂšbre dĂ©cision « Bakke » de 1978, la« diversitĂ© culturelle » au rang de nouvelle matrice de la sociĂ©tĂ©.

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Ce faisant, et plus globalement, cette « diversitĂ© culturelle » vapeu Ă  peu devenir l’idĂ©ologie de la mondialisation.

Au Big Cup, la musique est « low key », plus intime et dis-crĂšte que dans les bars. On y feuillette les journaux alternatifsThe Village Voice, The Onion, Vice, Time Out New York et sasection « Gay & Lesbian », et des dizaines de gratuits gays oĂčsont annoncĂ©es d’innombrables soirĂ©es. À la diffĂ©rence deschaĂźnes comme Starbucks, Caribou Coffee ou The Coffee Bean& Tea Leaf, le Big Cup est un Ă©tablissement familial et local,qui tente de prĂ©server une vie de quartier et une tradition du« Mom and Dad’s cafĂ© » (bien qu’ici les patrons soient uncouple gay plutĂŽt de type « Dad and Dad’s cafĂ© »). Brett sertau comptoir des milk-shakes, du thĂ© vert, du cafĂ© americanoen « refill » (on peut se resservir Ă  volontĂ©), des bagels avec ducream cheese de la marque Philadelphia et, bien sĂ»r, des pĂątis-series amĂ©ricaines typiques, le carrot cake et le New Yorkcheesecake. Salaire : 4 dollars de l’heure, sans les tips – les pour-boires qui font le reste. « People who tip are cool », lit-on surune petite boĂźte de fer posĂ©e sur le comptoir (« les gens quilaissent un pourboire sont sympas »). Au Big Cup, commeailleurs dans les cafĂ©s, bars et restaurants de New York, on nefume plus depuis 2003. Alors on se retrouve sur le trottoir, surla 8e Avenue, et c’est tout un spectacle.

Le quartier du Big Cup s’appelle Chelsea – une dizaine de« blocks », guĂšre plus, situĂ©s entre la 14e et la 23e Rue et quisont bordĂ©s Ă  l’est et Ă  l’ouest par la 6e et la 10e Avenue. C’estun quartier gay moderne et embourgeoisĂ©. Non pas tant un« village », refermĂ© sur lui-mĂȘme et ses petites rues, mais ce quej’appelle un « cluster » (regroupement), traversĂ© par de largesavenues, et plus ouvert. Dans les restaurants de Chelsea, commeau Viceroy, au Pastis ou Ă  l’Empire Dinner, on croise descouples gays Ă©panouis, la quarantaine, barbe-de-trois-jours-poivre-et-sel-façon-George-Clooney, cravate avec col dĂ©grafé« casual Friday », dĂ©jĂ  fiers d’avoir rĂ©ussi leur vie dans la banque,la finance ou l’immobilier « affinitaire ». Hier, dans le GreenwichVillage des annĂ©es 1970, le mouvement gay se voulait radical etanticapitaliste. On provoquait. On faisait de la guĂ©rilla. À Chelsea

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aujourd’hui, on ne conteste plus le pouvoir : on consomme, onveut ĂȘtre gay dans l’armĂ©e, on se marie et on espĂšre mĂȘme ĂȘtreĂ©lu au CongrĂšs. On veut le pouvoir.

À Chelsea, la communautĂ© gay ne se limite plus aux bars etaux restaurants : elle inclut des dizaines d’agences de voyages spĂ©-cialisĂ©es, des boĂźtes de communication et des cabinets d’avocats.Les assureurs et les agents immobiliers, les traders et les lob-byistes, les vĂ©tĂ©rinaires et mĂȘme les pasteurs de paroisses gays,tous ont pignon sur rue. Le revendeur de caleçons, briefs blancs,trunks, boxers et autres tighty whiteys de la marque Calvin Kleina fait fortune sur la 7e Avenue. Le nom du magasin : Oh MyGod ! Il a compris, avant les autres, que l’« attitude » comptedĂ©sormais plus que la mode. MĂȘme le caviste du quartier meten avant l’édition spĂ©ciale, couleur arc-en-ciel, d’Absolut Vodkaqui cible le public gay dans une de ses publicitĂ©s explicitementen faveur du mariage gay : « Mark, will you mary me ? – Steve. »

À tous les coins de rue : un Rainbow flag. Depuis que l’artistede San Francisco Gilbert Baker a imaginĂ© en 1978 ce drapeaugay constituĂ© de six bandes horizontales (gĂ©nĂ©ralement rouge,orange, jaune, verte, bleu et violette), le Rainbow flag estdevenu le symbole mondial de la cause LGBT. À Chelsea, ilest hissĂ© Ă  la vitrine des cafĂ©s, des librairies, des petits « delis »– ces supĂ©rettes de proximitĂ©, si frĂ©quentes dans les grandes

villes d’AmĂ©rique du Nord – et des hĂŽtels gay friendly. AuChelsea Pines Inn, dĂ©libĂ©rĂ©ment communautaire, chaquechambre est Ă  l’effigie d’une diva du cinĂ©ma. Ailleurs, les « bou-tique hotels » arborent aussi le Rainbow flag pour paraĂźtre plusfriendly, mĂȘme quand ils sont hĂ©tĂ©ros. Le drapeau gay est frĂ©-quemment dĂ©ployĂ© depuis les fenĂȘtres des particuliers.

Et puis, bien sĂ»r, il y a la nuit, qui demeure la marque defabrique de Chelsea : les clubs sont concentrĂ©s un peu Ă  l’écart,Ă  l’ouest de la 10e Avenue, prĂšs de la Hudson River, dans unquartier d’entrepĂŽts, d’anciens abattoirs et de grossistes, oĂč leshabitations sont rares – ce qui Ă©vite opportunĂ©ment les risquesde tapage nocturne. Ce quartier – le Meatpacking District –s’est toutefois embourgeoisĂ© depuis, grĂące notamment (ou Ă cause) de la transformation d’une ancienne ligne de chemin de

No d’édition : L.01EHQN000950.N001DĂ©pĂŽt lĂ©gal : juin 2017