geneviève thibaultles caractéristiques culturelles et religieuses du pérou prennent leurs sources...
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Geneviève Thibault
CARACTÉRISTIQUES D'UN PÈLERINAGE ANDIN : LE CAS D'OTUZCO. PÉROU
Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures
de l'université Laval pour l'obtention du grade de maître ès arts ( M.A.)
Département de Sociologie Faculté des Sciences Sociales
Université Laval
NOVEMBRE 1997
@ Geneviève Thibault, 1997
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À ma famille,
Les caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent
leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca.
Le pèlerinage dYOtuzco est un bon exemple de ce syncrétisme
religieux. Pour étudier ce phénomène religieux, je soulignerai d'abord
les éléments principaux du pèlerinage selon la théorie d'Alphonse
Dupront, un des auteurs importants dans le domaine. Ensuite,
j'exposerai un tableau latino-américain et andin des particularités du
pèlerinage dans cette région du monde.
Dans un deuxième temps, je trace l'historique de l'endroit et du .- - 4
cuite ainsi que la symbolique des groupes qui participent à la fête
pèlerine de la Vierge de la Porte. Je passerai ensuite à l'observation
proprement dite du pèlerinage et de la fête qui l'accompagne.
Finalement, j'analyse le pèlerinage d90tuzco à l'aide des lignes
directrices de Dupront.
En conclusion, j'explique comment le mélange culturel observé à
Otuzco est significatif et je démontrerai certains liens qui peuvent être
faits entre les deux cultures. En dernier lieu, je situe le pèlerinage
d'Otuzco parmi la panoplie de pèlerinages latino-américains, andins et européens.
Plusieurs personnes sont pour quelque chose dans
l'aboutissement de ce mémoire de maWise. J'aimerais remercier
chaleureusement quelques personnes en particulier. Tout d'abord, le
professeur Jacques Zylberberg qui a su diriger les corrections de ce
mémoire avec respect et attention. Également, le professeur Denise
Veillette qui m'a encouragé et aidé dans cette longue entreprise.
J'aimerais remercier tout spécialement la famille Chacon et
Sandoval de Trujillo ainsi que la famille Mas Maldonado dYOtuzco.
Sans ces deux familles, ma compréhension du sujet n'aurait pu me
permettre de compléter ce mémoire. Je les remercie pour avoir
grandement facilité ma recherche sur le terrain et surtout pour avoir
partagé avec tant de générosité leur amour de la Vierge de la porte, de
leur culture, de leur folklore et de leur patrie.
TABLE DES MATIÈRES
Résumé
Remerciements
Table des matières
Index des mots
Liste des cartes
Liste des photos
Liste des figures
Avant-propos
XI
xvi
xvi i
xviii
xix
INTRODUCTION GÉNÉRALE: Pourquoi choisir le pèlerinage de la ................................................................ Vierge de la Porte. ..1
....................................................... Objet d'étude. 1 .
............................................................ Méthode.. .5
1. ÉLÉMENTS POUR UNE ANALYSE THÉORIQUE DU ....................................................................... PELERINAGE. -8
1.1. Non-différenciation entre sacré et profane ........... 8
1.2. Immanence du divin ................... .I......m...........I 0
1.3. Culture panique ............................................. 11
1.4. Culture de masse ........................................... 13
1.5. Le besoin de pèlerinage .......................m........... 15
1.6. La thérapie anti-débordement de Dupront .......... 24
.......... . 2 LES PÈLERINAGES LATIN0 AMERICAINS ET ANDINS 30
2.1. Le religieux inca ....................~.............m......... 30
2.2. Les pèlerinages latino-américains .................... 33
2.3. Principales caractéristiques des pèlerinages andins ....................m..........................mm........ 42
2.4. Le début du culte marial en Amérique ............. 50
2.5. Comparaison entre la théorie de Dupront et celle ............. des spécialistes de l'Amérique latine 52
3 . LE PROFIL LOCAL DU PÈLERINAGE D'OTUZCO ................ 56
........ 3.1. Historique du culte à la Vierge de la Porte 56
3.2. Historique d'Otuzco ....................m.................. 64
................... 4 . LA FÊTE PELERINE ..... ..................m..... ..6 7
4.1. Organisation de la fête .....................m............ 68
6 . CONCLUSION : LE PÈLERINAGE D'OTUZCO: UN PHÉNOMÈNE CULTUREL REPRÉSENTATIF .............. ...w......a~....mm.~....~am . . IO2
...... Un melange de mode et de culture traditionnelle 102
La fonction thérapeutique en Occident et au Pérou ... 105
La place dYOtuzco par rapport aux pglerinages andins. latino-am6ricains et européens ............................... 110
Index des auteurs ....................m............................................ 113
Bibliographie ....................................................................... 114
INDEX
Bandas : Groupe musicaux de type fanfare; ils sont en compétition durant le pèlerinage dYOtuzco.
Balada : Littéralement ''descente". Pour le cas d'Otuzco, bajada signifie le jour de la descente de la Vierge vers le peuple.
Caserios: Unité plus petite que le village comprenant généralement trois ou quatre familles.
Castillo : Château, en français, est utilisé pour désigner un montage de quelques centaines de cuetes. Une fois terminé, le produit final ressemble à un château illumine et en mouvement puisque certaines parties du montage tournent ou s'envoient.
Cajamarca : Ville de quelques milliers d'habitants située à environ 6 heures de route à l'Est d'Otuzco. C'est à cet endroit que Pizarro fit exécuter Atahualpa.
Couete : Petit pétard fait maison dont on se sert pour faire du bruit lors des fêtes. On peut aussi en rassembler plusieurs sans qu'il y ait du bruit, tout simplement pour illuminer un castillo ou un coin de la ville.
Cusco : Ancienne capitale de l'empire inca situé au sud-est du Pérou.
Hermandad : Littéralement "fraternité". Groupe de paroissiens réélus taus les deux ans qui s'occupent d'organiser les différentes fêtes, de mettre en valeur la Vierge de la porte et qui est chargé d'administrer
ses biens. Ils allègent en quelque sorte la tâche du prêtre tout en travaillant en collaboration avec lui.
Huanchaco : Village situé sur la côte à environ 5 km au nord de Trujillo.
Huayno : Danse autochtone qui utilise beaucoup de zapateo et qui est originaire de la partie centrale des Andes péruviennes, soit le département de Huancayo. Elle est donc populaire à Otuzco qui n'est qu'à environ huit ou dix heures au nord.
Imago : Pour Dupront, l'imago est l'image sacrée, l'image du sacré qui devient sacré par ce qu'il représente.
Kjarkas : Groupe bolivien très populaire surtout au Pérou et en Bolivie et qui a la particularité de chanter des thèmes folkloriques et de les rendre accessibles entre autre, par des arrangements musicaux radiophoniques.
Locus sacral : Littéralement lieu sacré. Terme utilisé par Dupront signifiant l'endroit marqué par le sacré. Souvent l'endroit ou le sacré s'est manifesté au tout début. L'endroit qui est aussi le but du pèlerin.
Marinera : Danse originaire de la côte et d'inspiration nettement espagnole.
Mochica : Groupe précolombien du nord péruvien.
Puno : Ville importante du sud-est péruvien situé sur les bords du lac Titicaca. Elle est également une référence culturelle pour les populations quechua et ayrnara.
Sayas : Danse folklorique issue de la jungle bolivienne et qui, grâce aux Kjarkas, est devenue nouvellement populaire un peu partout dans les Andes péruviennes et boliviennes.
Subida : Mot espagnol qui signifie montée. Le jour de la montée veut aussi dire pour Otuzco que la fête tire à sa fin puisque la Vierge de la porte retourne tout au haut de l'église.
Syncrétisme religieux : Mélange de plusieurs éléments de religions différentes.
Zapateo : Mouvement saccadé du pied qui frappe par terre. L'enchaînement de ces coups de pied est appelé zapateo.
Liste des cartes
Carte no. 1 :Situation géographique d'otuzco.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P-2
Carte no. :Carte du département de La Libertad ....... .... .. .... p.3
Liste des photos
Photo no . 1 p :La Vierge durant la procession .......... ... ...... p.57
............. Photo no . 2 :La descente de la Vierge vers le peuple P-77
Photo no . 3 :La danse des gitans ....................................... p.81
.......................................... Photo no.4 :Le défile des noirs p.84
................ Photo no.5 :La pharmacie de la Vierge de la Porte p.94
Photo no . 6 :Prières sur la Place d'armes ........................... p.100
............................. Photo no.7 :Tambour et flûte ..............p. 1 03
Liste des figures
Figure n0.1. Relation entre le sentiment d'appartenance et le . . .......................................................................... religieux.. .p. 1 9
Figure no. 2 :Situation de la religion populaire par rapport à la culture et .............................................. à la religion institutionnalisée.. .p.21
Figure no. 3 :Production de sens et de normes par le pèlerinage: ....................................... véhicule de croyance et de culture.. .p.22
................. Figure no. 4 :Mouvement de la sucialité vers le sacré. p.23
............................ Figure no. 5 :Thérapie anti-débordement.. ....p. 25
Figure no. 6 :Production de sens par la réorganisation de la .............................................................................. réalité. p -28
.. Figure no. 7 :Le pèlerinage par rapport au profane et au sacré.. .p.39
Avant-propos
Lors d'un premier voyage en Amérique Latine en 1991, mon
attention a été immédiatement attirée vers la dualité de la culture à la
fois si proche et si loin de la nôtre. Mon premier contact avec
"l'Extrême Occident" a été pour moi un éveil en même temps que le
début d'une orientation scolaire. En effet, à la suite de mon premier
voyage, j'ai complété mon baccalauréat en science politique en me
spécialisant sur l'Amérique Latine. Cependant, à la fin du baccalauréat,
j'ai senti qu'il y en avais encore trop à apprendre. J'ai donc décidé
d'élargir mon champ d'étude en optant pour la sociologie et en
continuant à la maîtrise.
Par conséquent, je suis entrée au département de sociologie
avec une bonne formation académique acquise durant ces trois
années universitaires à travailler sur différents sujets touchant
l'Amérique Latine. J'avais également une expérience personnelle
importante vu mes quatre voyages au sud du Rio Grande. Au début de
la maîtrise en 1995, j'avais déjà visité le Mexique centrai, le
Guatemala, le Saivador, le Honduras, la République Dominicaine et le
Pérou. Lors de mon avant-dernier voyage au Pérou en décembre 1 994
et janvier 1995, je voyais donc les choses tout autrement. Je m'arrêtais
davantage aux liens et aux conclusions possibles qu'aux détails qui
m'avaient d'abord frappés. Bref, je me suis sentie prête à entreprendre
un travail de longue haleine et plus précis sur cette région du monde
qui me passionne tant : l'Amérique Latine.
J'ai toujours été intéressée par la manière dont les cultures se
rencontrent, s'entremêlent, coexistent, souvent même jusqu'à former
une nouvelle culture. Au Pérou, ce phénomène est particulièrement
remarquable. Le pays étant très diversifié au niveau géographique, il
est étonnant de voir des cultures si différentes coexister dans le même
pays. Tout au long de ce mémoire, je laisserai volontairement de côté,
la culture des noirs péruviens de la côte ainsi que celle des habitants
de la jungle pour me concentrer sur la culture andine et ses influence
métisses.
Le folklore est aussi une véritable passion pour moi. J'ai donc
choisi la religion populaire comme champ d'étude puisqu'elle couvre
une si grande variété d'expressions folkloriques. De plus, il est
particulièrement intéressant d'observer le mélange des cultures à
travers les rites religieux.
INTRODUCTlON : Pourquoi choisir le pèlerinage de la Vierge de la
Porte
Derrière le choix de ce pèlerinage, il existe plusieurs raisons.
Évidemment l'intérêt mais surtout la surprise qu'une si grande et belle
région ne soit pratiquement pas connue du reste du monde. Je tente
donc d'expliquer ces raisons dans les quelques lignes qui suivent.
Cette partie permettra également au lecteur de situer le sujet dans un
cadre géographique, culturel et social.
Objet d'étude
Le Pérou est le troisième pays d'Amérique latine avec le
plus grand nombre de lieux de pèlerinages, soit 106, après le Brésil et
ses 121 sites, et, finalement, le Mexique avec le plus grand nombre de
sites, soit 223.
La religion populaire étant si forte au Pérou, il semblait évident
que ce domaine représentait un enjeu important et devenait par le fait
même, un terrain de recherche très intéressant. À l'intérieur de la
religion populaire, j'ai choisi de travailler sur les pèlerinages parce qu'ils
représentent pour moi l'apogée de la religion populaire, également
pour le côte irrationnel des pratiques qui la composent. Je parle bien
sur du pèlerinage au sens large, c'est à dire accompagné de la fête et
de la procession, sans quoi le pèlerinage ne serait pas complet.
Le pèlerinage en Amérique latine occupe une place très
importante au sein de la culture. II existe au moins un site de
pèlerinage dans chaque région. Le locus sacral représente, comme
nous le verrons plus tard, le centre de la vie religieuse de ces régions.
Le pèlerinage devient donc un élément incontournable dans la
compréhension de la culture latino-américaine.
Carte no.1
Carte géophysique du Pérou.
Sociedad geografica de Lima
2
Le pèlerinage que j'ai choisi d'étudier a lieu en décembre de
chaque année, la ville d'Otuzco située dans le département de La
Libertad qui lui, est situé au nord du Pérou et couvre une partie de la
région de la côte et une partie des Andes. Évidemment, au fil de ma
recherche, il m'a semble impératif de considérer l'histoire de ce
morceau du nord péruvien, ainsi que l'histoire du culte que l'on voue à
la précieuse Vierge de la Porte. J'ai choisi ce coin de pays pour
plusieurs raisons.
Carte no.2.
Carte politique du département de La Libertad.
Sociedad geografica de Lima.
Premièrement, Otuzco est très peu touristique. Mis à part les
jours de fête, cette bourgade reste tranquille et peu connue. Elle est
située dans les Andes, à environ 2600 m. au-dessus du niveau de la
mer et à 75 km à l'est de Trujillo. Sa situation géographique favorise
les contacts entre les autochtones et les métis. D'ailleurs, Otuzco est
un bon exemple de la situation culturelle des villes andines du nord du
Pérou. C'est-à-dire une ville où domine la culture autochtone mais
avec un degré de métissage élevé et de fortes influences de la côte.
On y parle espagnol mais le quechua y est également répandu.
La raison principale qui a fait arrêter mon choix sur Otuzco est le
culte impressionnant que l'on voue à la Vierge de la Porte et qui
culmine durant le pèlerinage de décembre. On vient de très loin pour
rendre hommage à la Vierge mais surtout pour lui demander des
faveurs. Lors de mon premier passage en 1994, je ne pouvais décoder
la gestuelle compliquée des pèlerins. ce qui a vraiment piqué ma
curiosité. Je voyais tous les rites et autres symboliques sans toutefois
en comprendre le sens. Un autre élément qui m'a impressionné est la
façon dont les gens perçoivent la Vierge, c'est-à-dire comme étant tout
à fait vivante et faisant partie de la vie et du peuple.
Au fur et à mesure que je complétais mes lectures, je n'ai pu
m'empêcher de remarquer un élément qui s'est confinné lors de ma
recherche sur le terrain. Cet élément c'est la force avec laquelle la
religion populaire existe par les croyants et pour les croyants. De plus,
elle constitue un ensemble qui touche plusieurs sphères de la vie. Elle
comble particulièrement le manque de sens crée par la routine et la
monotonie qu'apporte la vie quotidienne. En plus de donner un sens à
la vie, la religion se doit de donner un sens aux pratiques qu'elle sous-
entend. C'est précisément ce premier niveau de sens qui sera l'objet
de la présente étude.
Le besoin de cadrer les non-sens de la vie quotidienne dans une
logique qui leur donne du sens est si fortement comblé par la religion
populaire, particulièrement par le pèlerinage, qu'il me semble impératif
d'expliquer le lien qui existe entre le pèlerinage et la production de
sens pour les croyants. Cet aspect de la religion populaire me paraît
fascinant puisque le questionnement sur le sens de la vie représente
un des questionnement fondamental pour nous qui sommes mortels.
D'un autre côté, dans notre univers de sédentaire, le pèlerinage peut
nous sembler absurde. C'est pourquoi, il est impératif de donner un
sens à ce geste qui semble illogique.
Méthode
Pour la partie théorique de ce mémoire, je débuterai par les
grandes lignes de la pensée d'Alphonse Dupront, cet auteur important
en ce qui concerne la religion populaire, et plus particulièrement, les
pèlerinages. Je dégagerai dans ce chapitre, les grandes lignes qui
constitueront la base du cadre théorique que j'utiliserai lors de l'analyse
du pèlerinage dlOtuzco. J'ai tenu à souligner également certaines
notions de Dupront qui m'ont paru importantes. La première est la
notion de besoin et la seconde, la thérapie anti-débordement. Je
terminerai ce chapitre par une confrontation entre la théorie de Dupront
et celle développée par les spécialistes de la région des Andes.
Ensuite, au deuxième chapitre, je ferai un résumé des études qui ont
été menées sur les pèlerinages latino-américains et andins, pour en
dégager les caractéristiques principales.
Au troisième chapitre, nous verrons le côté historique du culte et
de l'endroit ou il a lieu; la petite ville d'otuzco. Je soulignerai ensuite
les caractéristiques de la fête proprement dite puis au chapitre cinq,
j'appliquerai le cadre d'analyse de Dupront sur les données recueillies
sur le terrain. Nous verrons en conclusion les raisons pour lesquelles le
pèlerinage est une institution signifiante. Nous verrons également le
lien qui peut être fait entre te guérisseur et le saint qui guérit.
Finalement, je situerai le pèlerinage dYOtuzco par rapport aux autres
pèlerinages andins et européens.
Bien entendu, pour réaliser ce mémoire, mes références ont été
nombreuses. Les lectures et les travaux que j'ai fais tout au long de
mon baccalauréat ainsi que mes voyages dans ce coin de planète ont
été pour moi une base solide de connaissances et de références. 1
L'oeuvre qui aura marqué le plus mon mémoire est certainement
celle de Dupront, plus particulièrement son livre Du sacré qui traite tout
spécialement de religion populaire et des pèlerinages sous un aspect
socioculturel et théorique entrecoupé de questionnements et de
confrontations nécessaires. Cet auteur m'a fait comprendre
' Entre autres, le premier voyage que j'ai fait à Ohizco, en décembre 1994, m'a beaucoup s w i e pour sûisir k cuiture et me faire des contaas. Lors du deuxième voyage en 1996, j'ai doncété en menire d'approfondir mon sujet
l'importance de la notion de besoin; surtout du besoin de sens.
L'oeuvre de N.Ross Crumrine et dYAlan Morinis, Pilgn'age in Latin
Arne-, ainsi que l'oeuvre de Michael Sallnow, Pilgrims of the Andes.
ont été très précieuses pour moi puisqu'elles touchent la région latino-
américaine et andine plus particulièrement. Elles constituent entre
autres, la base du chapitre qui va suivre.
CHAPITRE 1.
ÉLÉMENTS POUR UNE ANALYSE THÉORIQUE DU PÈLERINAGE
Comme son nom l'indique, nous verrons dans ce chapitre, tous
les éléments nécessaires à l'analyse du pèlerinage d'Otuzco. Nous
aborderons les caractéristiques du pèlerinage selon Dupront (Dupront;
1987,461-66). Ensuite nous verrons la notion de besoin de sens et la
construction de sens produite par le pèlerinage. Finalement, nous
examinerons la notion de thérapie anti-débordement élaborée par
Dupront, puisqu'elle est essentielle à la santé 9, et au bon
fonctionnement de la religion populaire et du pèlerinage. Passons
d'abord à la première des quatre caractéristiques du pèlerinage.
1.1. La nomdifférenciation entre le sacré et le profane.
Dupront traite beaucoup dans son ouvrage Du sacré, de la notion
d'images sacrales. II explique comment ces images donnent la force
au pèlerin pour affronter le pèlerinage et l'espace. II explique
également comment la société se crée des supports pouvant s'adapter
à différentes situations et à partir desquels on fait des associations et
des liens de représentations qui reposent sur ces supports: en
l'occurrence, les images des saints thérapeutes >a. En somme, il
existe dans l'image sacrée, une puissance, une crédibilité qui
nourrissent la ferveur religieuse de façon certaine.
L'image permet également de se rapprocher des puissances
sacrées et surnaturelles, d'en prendre conscience, bref de faciliter le
lien entre la réalité terrestre et divine. Cependant, il existe une certaine
ambivalence autour de l'image sacrale. D'une part, parce que I'image
est tout à fait réelle, palpable et passive, toujours disponible et d'autre
part, parce qu'elle est une image sainte et sacrée donc hors du
commun des mortels.
Autour de I'image religieuse se tissent aussi des liens
organiques. Entre autres, la liaison de vie entre le corps saint et
I'image comme si les deux naissaient de la même source. Elle est
aussi la preuve et la promesse qu'il existe une vie après la mort
puisqu'un saint thérapeute est considéré comme un être vivant dans
l'au-delà. II est déjà mort mais il vit toujours puisqu'il accorde des
faveurs à ceux et celles qui croient en lui ou elle. L'image sacrée
comble un besoin. Elle est source d'émotion, d'exaltation et de piété,
voire de vénération.
Dupront soutient que, dans le cadre institutionnel d'une religion
commune, un vécu religieux différent de la part de certains groupes
peut s'entremêler jusqu'au point de ne constituer qu'un seul culte
composé de deux racines. On parle alors de syncrétisme religieux tel
que vu par les spécialistes de l'Amérique latine. ( Sallnow : 1987,
Cnimrine et Morinis : 1991)
Par contre, même si ['Église catholique inflexible d'Europe ne
faisait aucun compromis au sujet des rites et croyances canoniques,
l'Église catholique d'Amérique se dissociait de cette pensée en
favorisant parfois le syncrétisme religieux dans la mesure où il pouvait
être inséré dans la structure institutionnelle.
Si I'on considère l'importance accordée par la chrétienté et
Dupront à l'image sacré et si I'on considère l'importance accordée par
les spécialistes des Andes, nous sommes en mesure de constater que
le syncrétisme religieux dans cette région semble bien accepté. En
somme, en tant que résultat de syncrétisme religieux andin, le lieu et
I'image représentent tous deux le sacré.'Si I'on considère que l'image
est sacrée parce qu'elle est plus près de la chrétienté et que le lieu
sacré est un élément profane puisqu'il s'éloigne de la chrétienté, il est
donc tout à fait vrai que le sacré et le profane ne font aucune
différence pour la population andine. Comme le mentionne Sallnow,
(Sallnow : 1987, p. 51,52,70) plusieurs prêtres ont accepté des
éléments des cultes précolombiens dans le cadre de la religion
catholique. La question est maintenant de savoir où commence le
sacré et où commence le profane.
1.2. Immanence du divin
Les rites et les symboles, dont nous parlerons plus tard, sont
omniprésents dans la religion populaire et dans le pèlerinage. Tout
comme le divin, ils sont immanents et ils envahissent le locus sacral,
surtout au moment des célébrations. Pour la région des Andes, le divin
' La Iégitimité du sacré provenant du lieu est davantage une caractéristiqye d'origine autochtone et provenant de i'image, eiie est une caractéristique d'origine européenne.
est parfois sacré, parfois profane, mais il demeure toujours divin aux
yeux de la population.
II ne peut y avoir de pèlerinage sans un lieu considéré comme
sacré où le divin semble omniprésent. L'équilibre des forces terrestres
qui émane à cet endroit est une évidence du sacré. L'histoire et le
temps se rencontrent donc dans le lieu sacré par l'entremise des
pèlerins dans une sorte de résultat suprême: la certitude de
l'immanence du divin en ce lieu précis.
1.3. La culture panique
Dupront définit la culture panique en lui attribuant deux
composantes essentielles. La première est la participation quasi
païenne à toutes les forces du cosmique. La deuxième est la
conscience ou la subconscience de l'unité de l'univers (Dupront ;1987,
462).
La culture panique est l'élément le plus intéressant ou du moins
le plus spectaculaire des quatre caractéristiques du pèlerinage selon
Dupront. Le différencie panique représente tout élément qui entre dans
la sphère du panique c'est-à-dire de la culture en son sens spirituel,
abstrait, ép hémere, exalté, primaire et instable. D'après lui, les deux
caractéristiques essentielles du pèlerinage sont l'éphémère t le
différencié panique. Le panique est cette folie dont I'humain est
capable lorsqu'il est en groupe. Ce deraisonnement accompagné d'un
soupçon de raison nécessaire à la vie quotidienne. Pour que la culture
panique puisse exister, la thérapie anti-débordement est absolument
nécessaire. De toute façon, elle est automatique à tout mouvement de
culture panique; comme un réflexe de survie et de saine raison.
En somme, plus la population est satisfaite du sens que donne le
pèlerinage, de la faveur accordée et du bien-être général que lui
apporte le lieu sacré, plus elle est prête à des sacrifices. Plus
l'immanence du divin est présente, plus les fidèles sont portés à se
rapprocher du sacré. Nous pouvons voir ce mouvement comme une
spirale, un mouvement d'enchaînement: "Dans sa pulsion
fondamentale, la société pèlerine est une société d'assouvissement
festif ... plus elle se libère, plus elle est portée encore à se sacraliser - 2 3
( Dupront :1987,409 )
La satisfaction apportée par le côté strictement pèlerin est
augmentée par la fête. L'assouvissement festif est synonyme de
sentiment de liberté acquis par la fête. En d'autres mots, plus la
société se rapproche du profane en se libérant et en se rapprochant de
l'enfant qui se trouve en eux par la fête, plus la croyance et le degré de
participation augmentent. En fait, leur croyance augmente au même
rythme que le degré de satisfaction atteint par le pèlerinage, la
procession et la fête. Voilà un bon sujet de réflexion, vaut-il mieux
privilégier la fidélité à une religion ou la forte croyance au prix de
s'éloigner des doctrines de départ ?
1.4. Culture de masse
... la religion populaire.. . est l'expression privilégiée des
fondements, des besoins, des latences d'une culture ( Dupront , 1987 :
420).
Selon Dupront, la masse religieuse représente une force
anarchique en mal d'âme commune (Dupront ;1987, 462). La culture
de masse est essentielle à la réussite du pèlerinage. Le pèlerinage,
surtout si on I'additionne à la fête qui l'accompagne généralement, est
à mon avis l'expression la plus vive de la culture religieuse de masse.
Cette caractéristique se retrouve d'ailleurs dans les trois autres
caractéristiques de Dupront. En effet, le groupe est présent à chaque
manifestation religieuse où il y a l'immanence du divin, la culture
panique et la non-différenciation entre le sacré et le profane. Par
contre, le pèlerinage existe avec ces particularités culturelles et sa
cohésion distinctive.
La quantité de pèlerins qui fréquente le lieu sacré constitue une
augmentation de crédibilité pour le site, mais aussi et surtout pour les
pèlerins eux-mêmes qui ont besoin de croire et qui veulent croire.
En Amérique latine, la hiérarchie qui existe en dehors du
religieux, se reproduit dans le religieux comme une preuve de plus de
la vie immanente à l'intérieur de la religion populaire. L'utilisation de
masques, de costumes renforce le sentiment de pouvoir. On se moque
des colonisateursy on se défoule, on laisse aller sa frustration face à
l'histoire et face à la société présente.
En analysant deux cas de pèlerinage péruvien, (Arnold : Social
Compass, 1 985) Pierre Arnold explique comment les noirs
s'approprient le pouvoir de rester près du Sefior de los milagros durant
la procession. En octobre de chaque année, ils ont donc leur heure de
gloire. D'ailleurs, ce phénomène d'acquisition de prestige se répète a
plus petite échelle, durant le pèlerinage d'otuzco.
On ne peut vraiment définir la religion populaire puisqu'elle est
tellement éclatée et qu'elle a sa démarche propre. La religion populaire
déploie donc les quatre caractéristiques principales que nous venons
d'aborder tout en se nourrissant des particularités culturelles de
chaque groupe et en produisant de nouvelles. Elle vit donc par elle-
même en restant si près de la culture.
La religion populaire vient le plus souvent de petits groupes et
diffère donc énormément d'un coin à l'autre de la planète. On peut
affirmer que la religion populaire est non doctrinale, non ecclésiale et
non éthique. Elle ajuste l'ordre et ies lois envoyées par Dieu. Elle n'est
pas formellement enseignée. C'est donc la collectivité qui la transmet
selon le degré de conformité du groupe.
1 S. Le besoin de pèlerinage
Pour Dupront, le pèlerinage répond à un besoin. Cette notion est
évidente pour lui. II est important de voir entre autres, à quel point le
besoin de donner un sens à la vie devient un des principaux moteurs
du pèlerinage. La notion de besoin qui est traitée dans ce mémoire fait
donc référence aux besoins spirituels et au besoin de donner un sens
à la vie quotidienne. Nous verrons donc dans cette partie du mémoire,
une foule de besoins satisfaits par le pelerinage et déjà englobés par
ces deux besoins principaux.
Le besoin qui est probablement le plus flagrant lors d'un
pèlerinage est le besoin de s'exprimer, de se laisser aller, de retourner
ne serait-ce qu'un instant en arrière pour toucher à son enfance, de se
donner la permission de vivre la religion à sa façon; tout cela à travers
le pèlerinage, qu'il soit organisé de façon parallèle à l'église-institution
ou autonome. Un autre besoin important qui est comblé par le
pèlerinage est celui de prendre ses distances face au quotidien.
Dupront le formule autrement en disant : "... les formes, attitudes,
actes, gestes par lesquels le pèlerin se détache de la quotidienneté du
stable. ( Dupront, 1 987:88)".
L'humain a aussi besoin de sortir de lui-même. Un des moyens
dont il dispose pour le faire est la fête qui permet de sortir de l'éthique
et des balises dites normales et établies par la société. Avec une
certaine puissance du recours et une confiance en la validité de ce
recours, l'individu aura l'impression d'avoir vécu la sacralité et d'avoir
vraiment été pardonné puisque finalement, après les efforts du
pèlerinage, il l'a mérité. II devrait également acquérir le sentiment
d'être plus avancé dans sa quête d'absolu. dans son rituel de passage
vers lequel il tend. Ce passage d'un monde à l'autre, vers Dieu, est
effectué à travers I'accomplissement des sacralités du pèlerinage.
Le besoin d'éclatement, de renouveau et de rajeunissement, tant
au niveau personnel qu'au niveau socioreligieux, est également comblé
par le pèlerinage. L'énergie collective et organiquement sacrale qui se
crée comble également un besoin semblable à celui satisfait dans
plusieurs rassemblements de la sorte comme les concerts, les
manifestations, etc. La différence est que le pèlerin obtient en prime,
une croyance accrue qui agit comme un baume en fournissant du sens
aux blessures du quotidien. Ce contact bref mais intense avec une
foule croyante agit sur le pèlerin comme une bouffée de crédibilité, une
confirmation que sa foi est en quelque sorte plausible puisque tant de
gens font la même chose que lui.
Vers I'âge de cinq à sept ans, l'enfant vit ce que l'on appelle I'âge
magique ; c'est à dire un âge où les croyances sont à leur maximum et
où la conscience du religieux n'existe pas encore. Ce côté enfant est
donc plus libre de se manifester pendant le pèlerinage. Le besoin
d'espérer est également très présent en Amérique latine. Espérer une
vie meilleure dans ce continent pauvre et voisin géographique et
culturel de l'occident. Espérer également quelque chose de plus grand
qu'une bonne vie terrestre ; espérer quelque chose après la rnorL3 La
vie après la mort est un espoir fondamental et omniprésent dans la vie
des latino-américains en général.
L'efficacité du <<saint thérapeute» joue un grand rôle dans la
légitimité du site de pèlerinage. La croyance populaire spécifique à la
région y est également pour beaucoup. Cette croyance compose un
schéma où tout se tient, en même temps que la légitimité
accompagne le geste pèlerin. Ce besoin de sens fait naître le
pelerinage et la distribution de sens, (venant surtout du CC saint
thérapeute a>) fait tourner la roue. En somme, la vie, particulièrement la
vie de tous les jours, se charge de faire naître des non-sens, et
l'humain cherche à combler ce manque de sens. La religion populaire
devient alors une énorme fabrique de sens dont le pèlerinage est
l'exemple le plus flagrant.
En fait, toutes les religions qui prônent la vie après la mort
physique, comblent ce besoin psychique, essentiel à l'individu de se
croire unique et important. Ce sentiment procure une certaine
jouissance puisqu'il apporte tellement d'espoir. II apporte en fait le plus
grand espoir possible pour nous humains ; celui de vivre éternellement.
De plus, la religion populaire est l'expression sensible du
sentiment d'appartenance. Puisque la fête religieuse représente la
célébration des origines d'un peuple, elle resserre donc les liens entre
Ce dernier élément ne vaut probablement pas pour tous les peuples ; certains ne promettant pas nécessairenient i'immortalité.
les individus. La fête populaire faisant partie intégrante de la religion
populaire et du pèlerinage, le sentiment d'appartenance y est
omniprésent.
Voyons les quatre prochains éléments dans un mouvement
d'ouverture. L'individualisme est immédiatement lié à un sentiment
d'appartenance à soi, de possession de ses moyens. Ce sentiment,
pour les sociétés traditionnelles, n'est qu'une étape vers le sentiment
d'appartenance au groupe. Ce sentiment d'appartenance au groupe
aboutit tôt ou tard vers une philosophie de groupe, un inconscient
collectif, une façon de voir les choses, de penser la culture donc le
spirituel de manière à obtenir une spiritualité culturelle propre au
groupe. Le religieux, en donnant du sens au quotidien et surtout a la
mort, ramène l'individu à considérer sa condition propre, donc à un
certain degré dyindividualisme. J'illustre ce mouvement à l'aide d'une
figure que j'ai développé personnellement.
Figure no.1.
Relation entre le sentiment d'appartenance et le religieux
A l'intérieur du pèlerinage, la fête et la procession jouent un
grand rôle. La fête remplie de symboles, occupe également une
importante fonction d'identification culturelle. Quelle meilleure façon
pour soulager les frustrations et accepter son sort que la fête. La fête
comble en effet ces deux désirs profonds en plus de représenter la
célébration de I'accomplissement ou tout simplement la célébration de
la liberté de faire la fête, de la cassure du monotone quotidien. Ce
jour-là, c'était pleinement la fête parce que tous les besoins pouvaient
être assouvis à la fois ... ( Dupront, 1987 : 380 )
En ce sens, la fête contrebalance le "sérieux" du pèlerinage en
tant que tel. Elle apporte l'insouciance et l'échappement aux
contraintes imposées par le religieux et le monde adulte. L'homme a
aussi besoin de moments où il peut dépasser ses limites et sortir de
lui-même ; bref, se donner la permission de vivre la religion comme
son groupe l'entend.
La fête apporte également du désordre ; un désordre qui, en
Amérique latine, représente un contrepoids à la fixation sur l'ordre. En
effet, la religion populaire est un bon compromis entre le respect vital
de la culture populaire et l'adhésion à la religion institutionnalisée et
imposée par l'Espagne. L'acculturation populaire de la religion
catholique a probablement évité beaucoup de drames en Amérique
latine et même ailleurs dans les sociétés traditionnelles. Ce compromis
dont la fête populaire et le pèlerinage en sont les plus ardents
exemples, a persisté jusqu'à aujourd'hui. Chaque pèlerinage se
développe à sa façon. Soit qu'il se développe en lien étroit avec la
culture locale ou plus près de la religion catholique orthodoxe et
institutionnalisée.
Figure no.2
Situation de la religion populaire par rapport à religion institutionnalisée
la culture et à la
Le pèlerinage est donc un produit en même temps qu'il est un
producteur. C'est-à-dire qu'il est le produit de la culture et de la
croyance en un saint quelconque, mais il est également un producteur
de normes religieuses et de sens. C'est la satisfaction engendrée par
cette production qui permet au pèlerinage de se perpétuer.
La culture fournit des normes qui conviennent au groupe
puisqu'elles sont généralement crées par cette société et pour cette
société. Trop de normes a l'effet d'un manque total de normes. C'est
d'ailleurs à cause de ce besoin de normes que l'humanité tend à
systématiser le sacré. La cuiture produit un certain type de normes tout
comme la croyance produit un certain type de sens ou de non-sens
selon que l'on se trouve au sein de la culture ou à l'extérieur du
groupe.
Dans les deux cas, le résultat est apaisant et rassurant. Le
pèlerinage se situe à l'extrémité de ces deux éléments en ce sens qu'il
est une des expressions les plus flagrantes de la culture et de la
croyance. Le schéma suivant explique comment la nome est à la
culture ce que la croyance est au sens de la vie
Figure no.3 Production de sens et de normes par le pèlerinage: véhicule de
croyance et de culture
Le pèlerinage se bâtit et s'introduit lentement mais sûrement
dans son champ culturel régional. La religion populaire devient donc la
façon ultime de se sentir unis et solidaires. D'ailleurs, Peter Berger
développe cette idée plus en détail (Berger 1972). Ce sacre devient,
tout comme la menace possible envers le groupe, la force la plus
puissante pour tenir le groupe en une entité solide.
De plus, comme nous l'avons vu auparavant au sujet de la culture, le pèlerinage est une façon de vivre sa religion différemment
des autres sociétés ; une particularité de plus au niveau culturel. Le
sacré devient également la conscience ultime que le groupe existe. Ce
graphique illustre bien la façon dont la socialité d'un groupe se
transforme en solidarité jusqu'à apporter, dans son expression la plus
forte, la création d'un sacré commun au groupe et auquel le groupe
peut se raccrocher et se référer.
Figure no.4 Mouvement de la socialité vers le sacré
... mémoire ou prémonition en quelque sorte soit d'une société
de l'originel soit d'une société de fin des temps. La société pèlerine
prend ainsi figure d'une société fraternelle de salut commun. ),
( Dupront, 1987 : 394)
En somme, le pèlerinage avec tous les éléments qu'il comporte,
étant l'expression la plus vivante de la religion populaire, le besoin de
satisfaire ses manques spirituels s'y fait particulièrement sentir.
D'ailleurs, on sent généralement durant les pèlerinages, une certaine
angoisse, une insécurité et une incertitude. On ressent ce malaise
parce qu'en * fait, personne n'est certain que ses voeux seront
exhaussés.
La religion populaire en général et le pèlerinage en particulier
comblent les besoins non satisfaits par la religion institutionnelle. La vie
et la société se chargent constamment de faire naître de nouveaux
non-sens et la religion se charge d'en combler une grande partie. Voilà
précisément pourquoi elle a toujours existé et qu'elle existera toujours.
II y aura donc toujours des groupes qui profiteront de la satisfaction de
leurs besoins spirituels "pour se célébrer* comme dirait Durkheim.
1.6. La thérapie anti-débordement selon Dupront
La religion populaire provoque aussi une «puissance de
créativité, spontanée, plus ou moins influencée, lentement auto-
disciplinée, où viennent s'assouvir les besoins plus profonds que ni la
religion établie ni la culture du <c siècle )> ne paraissent pouvoir
satisfaire. ( Dupront, 1987 : 320 )
Figure no. 5
Le besoin d'éviter le débordement par le non-sens est primordial
dans la vie de tous et chacun. Si la réorganisation de la réalité en un
système logique et pratique des croyances, crée un détachement de la
réalité, la thérapie anti-débordement de I'ceuvre de Dupront, vient
automatiquement réduire la panique et l'abstrait produit par ce
détachement. Elle ramène le croyant dans une piste où le détachement
reste sain. Tout comme son nom l'indique, elle empêche le croyant de
déborder dans sa croyance.
En plus de la thérapie anti-débordement de Dupront, nous
verrons également, à titre de complément à la théorie de Dupront, les
Dans les deux cas, on passe d'une réaiité compiiqyée à une réalité simplifiée.
25
notions de Lévi-Strauss qui traite de la thérapie anti-débordement à sa
façon (Lévi-Strauss : 1974). Selon lui, la réorganisation de la réalité en
un système logique de croyances prend tout son sens dans le cadre de
la guérison. Nous verrons donc l'importance de la croyance dans la
guérison ainsi que le rapprochement possible avec le saint ou la sainte
que i'on visite lors d'un pèlerinage.
Voyons d'abord en quoi consiste la thérapie élaborée par
Dupront. Cette thérapie apporte un souffle de raison à une réalité qui
peut paraître absurde à prime abord. On crée donc une réalité pour
satisfaire ses besoins spirituels et pour combler le manque de sens
produit par la réalité quotidienne.
En somme, par association, l'humain se crée une série
d'images qui règlent d'elles-mêmes, les trous laissés par le culte
populaire. Comme rappelle Dupront, « le hasard se fait non-hasard a>.
Étant donné que les accidents et les hasards sont propres à une
société, la religion renforce ici sa caractéristique populaire.
Cassociativité est un réflexe de longue durée d'où sa force et son
succès. C'est un critère essentiel pour que la religion soit vécue
populairement. Elle doit être éclatée pour répondre le plus fidèlement
possible aux besoins d'une population précise.
Le deuxième élément de la thérapie est l'induction. C'est-à-dire
dépasser l'empirisme devant une situation donnée, de voir les choses
d'une manière propre au groupe en utilisant les données acquises au
sein de ce groupe. Étant donné que l'inconscient assimile très bien les
métaphores, ce réflexe est plus souvent inconscient que conscient.
Plus qu'une association, "l'induction consiste à mettre en ordre
l'univers ambiant pour en garder la maîtrise. C'est aussi une façon
pour la population de s'approprier la religion". Cette citation de Dupront
démontre très bien comment l'induction fonctionne.
L'induction se fait induction amplifiante en même temps que
simplifiante, en ce sens qua à partir du cas particulier, elle constitue
des ensembles identiques. II en résulte un univers à la fois maniable et
progressivement déchiffrable : ce qui donne les moyens d'agir en lui"
(Dupront, 1 987 : 290).
Ce schéma simplifie la théorie de Dupront et démontre à quel
point la thérapie est essentielle à la religion populaire et ainsi, au
pèlerinage également. cc L'induction est découverte permanente de la
transcendance dans la chair vive de l'immanence. >> ( Dupront,
1987 :360 ).
Figure no.6
Vie quotidienne C
Donner du sens à la vie peut avoir des effets négatifs comme la
possibilité de s'éloigner de la réalité. En effet, trop de sens se
rapproche du manque de sens. Un peu comme trop de normes se
rapproche du manque de nomes. Cette réorganisation n'est pas sans
effets secondaires par contre, elle est essentielle au bon
fonctionnement de la religion populaire.
Comme Dupront le dit lui-même, par cette thérapie, l'horizontalité
de la religion s'éclaire et s'ordonne. Pour contrer les effets de cette
ascension ou de pulsions qu'elle crée, la religion populaire contient
automatiquement le réflexe anti-débordement. Cette thérapie
comprend ces deux éléments essentiels que sont I'associativité et
l'induction. L'associativité fonctionne en liant en un système relationnel
des faits ou des données qui pourraient être tout simplement le résultat
d'un pur hasard. Cette relation apporte un certain apaisement
puisqu'elle place en système, la réalité autant individuelle que
collective.
CHAPITRE 2:
LES PÈLERINAGES LATINO-AMÉRICAINS ET ANDINS
Comme le souligne Luis Miliones, "même si elles divergent
grandement avant la période de contact avec les Européens, ces
sociétés se sont développées de façon semblable en résultat de leur
expérience commune au sein du système colonial" (Crumrine, Morinis :
1991, p.xiv). Pour cette raison, il est possible de considérer les
pèlerinages latino-américains comme un tout. Quelques notions sur ce
type de pèlerinage s'imposent donc à cette étape du mémoire.
2.1. Le religieux inca.
Le premier culte à s'être installé dans la région andine fut le culte
inca. "Des évidences archéologiques démontrent que le culte Chavin
serait apparut entre 1000 et 800 av. J.C. dans la partie nord des Andes
péruviennes. Ensuite, il se serait rapidement répandu au nord et au
sud par un processus qui s'est probablement complété en
approximativement 100 ans" (Keatinge 1981; Rowe 1967; Willey
1951).
Le culte Chavin représentait le début d'un culte étendu à d'autres
cultures et à d'autres groupes vivants des réalités différentes; un
dénominateur commun, qui stimula considérablement l'activité
économique d'une bonne partie de la région andine (Keatinge; 1981,
184). Avec l'atténuation de l'influence Chavin, il y eut une baisse des
échanges économiques mais ces échanges ne disparurent jamais
complètement (Sailnow; 1987, 21). Jusque vers 800 ap.J.C., les
différents groupes restaient relativement fragmentés mais c'est vers
cette date, qu'on vit l'apparition de deux cultes dominants. Le premier
groupe; les Wari composés de deux groupes; les Chanka et les
Wankas, établirent leur capitale près de la ville que l'on connaît
aujourd'hui sous le nom d'Ayacucho. Le deuxième groupe, était établis
plus au sud-est, s'étendit entre 500 et 1000 ap. J-C. jusqu'à la Bolivie,
le nord du Chili et le sud du Pérou. Ils avaient pour capitale, la ville de
Tiwanaku. Leurs croyances religieuses tout comme leur façon de
conquérir un territoire, s'apparentait grandement à l'empire inca qui
apparut quelques siècles plus tard.
Des études iconographiques suggèrent que les croyances
religieuses du peuple de Tiwanaku étaient basées sur un dieu soleil,
une déesse de la terre, une déesse de l'eau ainsi que sur un dieu de la
température associé au tonnerre et aux éclairs (Sallnow; 1987, 25).
Durant le vers 1438, un retour en force de la culture Wari culmina
en une grande bataille entre la confédération des Chankas et les Incas
de la vallé de Cusco. Le victoire des lncas relança une conquête
militaire pour tenter de soumettre tous les groupes des Andes. A
mesure que les lncas étendaient leur empire, ils assemblèrent
graduellement les mythes d'origines et de dynastie à partir des
obstacles qu'ils rencontraient (Sallnow; 1987, 35)?
Les conquêtes militaires ou, comme s'était souvent le cas, les
capitulations paisibles, étaient pour les Incas, l'évidence de la
suprématie de leurs dieux sur ceux de leurs sujets. Le cuite solaire des
Incas fut rendu universel par l'établissement dans les capitales
provinciales, de petites versions du temple du soleil établis à Cusco
(Bandera; (1 557) 1965; 161 ; Cobo (1 653, livre 12. chap.35) 1956,
92: 1 36).
Malgré la fiction de la suprématie religieuse inca, les centres de
pèlerinages régionaux étaient respectés et même craint par les
empereurs de Cusco (Rowe; 1946, 265). La religion inca était centrée
sur la nature et sur la vie apportée par l'agriculture. Ainsi, leur
calendrier était une fusion entre l'ancien calendrier agricole et de
I'ancien calendrier utilisé par les habitants de la vallée de Cusco. Le
calendrier solaire était utilisé seulement pour l'administration de ('État
(Sallnow: 1 987, 38).
L'Empire inca était divisé en quatre suyu ou régions: Le
Chinchasuyu au nord-ouest, I'Anüsuyu au nors-est, le Qollasuyu au
sud-est et le Kuntisuyu au sud-ouest (Sallnow;I 087, 37). Le cosmos
inca et centré sur Cusco était continuellement restmcturé en une série
de rites annuels. Le but de ces rituels était de célébrer la naissance du
' Par exemple, selon Molina de C u x o qui fut un des premiers observateurs du 16- siècle, Les hcas bâtirent un mythe selon lequel le dieu créateur aurait dehuit la première race d'humains à cause de leur désobéissance. Ce mythe était évidemment très utile pour aider à maintenir Pordre.
soleil. D'autres types de rituels comme le Qhapaq Hucha, avaient pour
but d'expier les fautes du groupe. Ces rites servaient également pour
évaluer les walc'as (sites de pèlerinages) provinciaux et pour réviser
leur rang social commun. Ils étaient souvent tenus avant une guerre ou
durant une fête du solstice (Zuidema; 1982, 425-26).
Lorsque l'on examine l'évolution des différents empires
précolombiens. on note qu'à travers 2500 ans allant des Chavin
jusqu'aux Incas, il y eut une subordination progressive de la religion
face à la politique ainsi qu'une domestication graduelle des cultes et de
la prêtrise afin de servir les intérêts du pouvoir en place (Rowe; 1976).
Vers la fin du 15' siècle, certains problèmes internes comme
l'expansion de la classe exempte de taxes et la tendance à régler les
successions de pouvoir par des guerres civiles ont contribué à affaiblir
l'intégrité de l'empire (Sallnow; 1987, 41). Les Espagnols surent mettre
ces faiblesses à leur avantage, ce qui eut pour effet d'accélérer le
processus de conquête.
2.2. Les pèlerinages latino-américains
L'Amérique latine est parsemée de sites sacrés de
pèlerinages qui attirent des milliers de pèlerins. En examinant de plus
près les différentes études qui ont été faites sur la religion populaire
dans les Andes, on remarque quelques caractéristiques qui sont très
révélatrices. D'abord, le pèlerinage latino-américain s'apparente
généralement aux pèlerinages religieux qui ont lieu un peu partout
dans le monde. Cependant. il est unique par son type de syncrétisme.
En effet, la tradition pèlerine latino-américaine serait le seul
phénomène du genre à couvrir une telle multitude d'origines différentes
( Cnirnrine et Morini; 1991, 1'4).
D'abord, ces pèlerinages sont officiellement catholiques mais les
pratiques qu'on y observe sont d'origines variées : soit africaines,
précolombiennes ou encore d'autres origines religieuses. Le pèlerinage
tel que nous le comprenons possède différentes significations. II s'agit
généralement d'un voyage entrepris dans le but d'atteindre un site
sacré pour des raisons religieuses. II est important de comprendre la
difficulté que l'on peut rencontrer pour d'élaborer un cadre théorique
susceptible de s'appliquer à tous les pèlerinages. Nous n'avons qu'à
penser aux exceptions culturelles, aux degrés d'intensités qui varient
d'une culture à une autre, etc.
La raison de cette difficulté est donc très simple. Le pèlerinage
ne peut être étudié en dehors de sa base culturelle. Ce n'est pas un
phénomène isolé et indépendant de la culture. II en fait partie. C'est
d'ailleurs pour cette raison que le pèlerinage est autant signifiant pour
la culture. Étant donné qu'il est l'expression d'une culture et d'une
religion populaire, il est très solidement relié à l'environnement culturel
dans lequel il baignee6 Comme le souligne Crumrine, le pèlerinage
ce belongs to the culture (Cnirnrine, Morinis, 1991: 4). 11 appartient en
Le terme . pèlerinage * désigne le pèlerinage dans son ensemble. C'est-à-dire comprenant le voyager les di&renentes activités sur Ie site sacré, la fête et la procession.
34
fait à une culture religieuse puisque le pèlerinage est la maison des 7 Cieux sur terre >> pour décrire le pèlerinage.
II est bien connu que les religions se fondent, se juxtaposent,
s'entremêlent, se croisent et s'influencent. De nouveaux pèlerinages
diminuent en importance pendant que d'autres grandissent, tout
comme d'autres formes de dévotions religieuses*. Comme le pèlerinage
représente une institution dynamique, il est normal qu'il soit en
constant changement. Toutes les caractéristiques qui englobent le
pèlerinage, en font une institution en soi. Voyons comment Morinis et
Crumrine décrivent le pèlerinage et en soulignent l'importance :
En tant qu'entité institutionnelle ayant ses propres droits, c'est un
tableau de figures géographiques, de processus sociaux, d'artefacts
culturels, de croyances, de rituels, de spiritualité, de psychologie, de
littérature, d'art, d'architecture ainsi que d'autres facteurs. Par le fait
même, les tendances utilisées pour tisser ce tissu social sont tirées de
façons de penser beaucoup plus générales, de comportement, de
communication, d'histoire, de transport, d'administration et de conflit
tirés du contexte social au sens large. Le pèlerinage est une création
humaine plutôt unique, et remarquable. (Cnimrine,Morinis:l991, p.9)
' Traduction libre de Home of heaven on earth. a Traduction libre de cette citaoon originale : As an institutional whole in its own right. L is a rich
tapestry of geographical features, social processes, cultural artifam, belief, ritual, spirituality,
psychology, literature, art, architecture and other factors. Then too, the ttireads woven into this
Dans ce chapitre, nous verrons d'abord ce que Crumrine et
Morinis ainsi que les auteurs qui ont écrit dans Pilgnimage in Latin
Ametfca ont souligné comme caractéristiques du pèlerinage latino-
américain. Par la suite nous nous pencherons plus précisément sur le
pèlerinage andin avec le livre de Michael J. Sallnow, Piigrims of the
Andes, qui comprend également le travaii de plusieurs autres auteurs.
Nous terminerons par quelques précisions sur le culte à Marie en
Amérique.
Le pèlerinage joue en Amérique latine un rôle particulièrement
important pour la société. D'abord, du point de vue religieux, les sites
qui composent les pèlerinages sont les centres de catholicisme les
plus vénérés de la région. Du point de vue social, le pèlerinage peut
renforcer l'identité du groupe ainsi que l'importante relation qui existe
entre le groupe de croyants et le pouvoir protecteur de Dieu.
Le pèlerinage latino-américain est si important qu'il peut devenir
un symbole national s'il est identifié avec l'État. Par contre, si le
pèlerinage est identifié contre l'État, les pratiques qui l'entourent
peuvent être perçues comme étant subversives pour le pouvoir en
- - .. -- - - -- - - -
cloth are drawn from wider patterns of alought, behavior, communication, history, transport,
administration, and conflict in the broader expanses of the social field. The pilgrimage is a rather
unique, and remarkable, hurnan creation.
place. En somme, Crumrine et Morinis soulignent que la place du
pèlerinage en Extrême-Occident >>', donne à cette étude, toute son
importance. ( Crumrine, Morinis : 1991, p. 17)
En Amérique latine, la religion gravite entre deux pôles. D'un
côte, I'influence catholique venant d'Europe et de l'autre, l'influence
autochtone. Tous les pèlerinages latino-américains se situent entre ces
deux pôles allant du plus pur catholicisme au paganisme total.
Certaines caractéristiques de la religion précolombienne se sont
greffées, adaptées aux caractéristiques catholiques. Un mélange des
deux religions s'est alors produit sur l'ensemble du continent.
Pour cette raison, même si la réalité andine crée un contexte
religieux spécifique, il est possible de faire certains rapprochements
entre différentes réalités de ce continent. Certains auteurs comme
Mary Lee Nolan, voient surtout des traits espagnols dans les
pèlerinage latino-américains ( Crumrine, Morinis ; 1991, 19-49). Par
contre, d'autres comme H.R. Harvey, font ressortir les elementç
autochtones de ce qu'est devenue la religion populaire au fil des
siècles ( Crumrine, Morinis : 1991). Nous verrons donc un éventail des
caractéristiques communes des pèlerinages latino-américains et
surtout andins, sur lesquelles tous les auteurs s'entendent. Les
caractéristiques de participation d'un groupe au pèlerinage sont
Expression popularisee par Alaui Rouquié dans son livre &ztroduction à l'Extrême-Occident.
37
généralement un reflet assez exact des structures sociales dominantes
ou en réaction à celles-ci.
En ce qui concerne la région des Andes, la caractéristique qui
demeure la plus constante est l'emplacement sacré. II regroupe en
effet, tous les idéaux collectifs du groupe. Le site du pèlerinage est, par
définition, un site sacré qui a reçu sa légitimité, entre autres, par la
certitude et le consensus social d'une présence sacré en ce lieu précis.
A partir d'une manifestation quelconque du divin, comme une
apparition par exemple, le lieu obtient la présence magnifiée du sacré,
ce qui lui confère une place à part dans la participation à la religion
populaire.
Morinis et Cnimrine apportent plusieurs éléments importants. Le
premier est la place centrale qu'occupe le pèlerinage par rapport au
sacré et au profane. Le terme centrale ne signifie pas le centre d'un
cercle mais bien du milieu sur une ligne médiane entre deux pôles ;
l'un étant le sacré et l'autre le profane. Le pèlerinage joue le rôle
d'intermédiaire entre le divin sacré et le profane sacré. Ce schéma de
Cnimrine et Morinis i'illustre bien.
Figure no.7
Le pèlerinage par rapport au profane et au sacré
Le profane est au pèlerinage ce que te pèlerinage est au sacré
1 . I . 2 . 3 w 2
(Cnimrine et Morinis:1991, p.11)
Les pèlerinages ne sont pas des rites de passage dans le sens
strict du terne (naissance, mariage, initiation, etc.). Ils font toutefois
partie d'une certaine forme de passage en ce sens qu'ils constituent un
processus de transformation de l'individu. Le croyant ressort du
pèlerinage changé par rapport à sa situation d'avant le pèlerinage.
L'évolution de l'individu lors des rites de passage se produit au niveau
du statut social tandis que la transformation pèlerine se produit sur un
niveau personnel comme la spiritualité, la santé et i'état mental.
Comme Dupront, Crumrine voit le pèlerinage d'un point de vue plutôt
fonctionnaliste.
Par le pèlerinage, les croyants peuvent accéder aux sources de
pouvoir susceptibles de contrôler leur destin. Sur le plan individuel, le
pèlerinage influence la foi ou le futur du croyant. En effet, ils croient
souvent qu'il leur sera impossible d'atteindre leur but sans l'aide du
saint thérapeute. Cette perspective fonctionnaliste a influencé les
différents modèles de pratiques pèlerines et même la nature des sujets
de leur vénération.
Le pèlerinage possède dans la grande majorité des cas, une
autre fonction : celle de médiateur entre le ciel et la terre. Pour cette
raison et parce qu'ils sont considérés comme des intermédiaires entre
le commun des mortels et Dieu et son fils, Marie et les saints sont
souvent les sujets de la vénération des pèlerîns. II est facile de voir ce
cc sentier d'accès au pouvoir P de Dieu par le pèlerinage comme ayant
quelque chose à voir avec l'accès au pouvoir intérieur. Transformer
son futur passe par la transformation de soi.
Comme le pèlerinage reste un bon moyen de transformation, il
est logique d'affirmer que le fonctionnalisme et la spiritualité du
pèlerinage ne sont pas séparés. L'accès au pouvoir intérieur passe par
le pèlerinage. Dans un contexte de rituel, le pèlerinage socialise donc
cet accès et le rend malléable.
R.H. Harvey est un des auteurs qui a participe à Pilgrimage in
Latin America, (Crumrine et Morinis : 1991 , p. 91 -1 08). 11 apporte des
précisions sur l'analyse du fait pèlerin dans cette région du globe, plus
précisément sur les populations autochtones qu'il étudie au Mexique. II
souligne entre autres que les groupes autochtones qu'il étudie sont
catholiques mais seulement dans la mesure où les rites et dogmes
catholiques se rapprochent de leurs anciennes croyances. II fait aussi
remarquer que si la principale motivation pour participer à un
pèlerinage est religieuse, cependant les païens autant que les
chrétiens, demandent des faveurs et participent au pèlerinage puisque
la présence sacré ne discrimine pas.
De son côté, Walter Randolph Adams note l'importance des
informations extra-religieuses qui peuvent être tirées des pèlerinages.
... un pèlerinage et les performances qui le composent,
établissent des faits politiques, sociaux et économiques qui peuvent
être décodés pour en tirer de l'information historique sur les cultures en
questions durant le pèlerinage (Adams pour Crumrine et Morinis;
W9I,l2O)
De son côté, Mary Lee Nolan, dans sa contribution au même
ouvrage, affirme que les racines européennes des pèlerinages latino-
américains sont évidentes et que l'on peut apercevoir de fortes
ressemblances entre les deux régions ( Crumrine et Morinis : 1 991,20).
Les légendes et les types de cultes sont également très similaires dans
les deux régions. Les ccclienteles pèlerines" sont aussi semblables
quant au sexe, aux classes sociales et à l'âge. L'adoration des reliques
et l'importance accordée à la vénération du site naturel ainsi que les
histoires, légendes et apparitions sont communes aux deux régions.
Elle note également que la Vierge Marie fut l'objet premier de dévotion
dans la majorité des sites de culte au sud du Rio Grande.
Peu après la conquête espagnole, les missions religieuses
européennes toléraient les pratiques religieuses qu'ils jugeaient
suffisamment proches du culte chrétien. Pour cette raison, certaines de
ces pratiques païennes se confondent aujourd'hui avec des pratiques
chrétiennes.
Même si le culte marial est moins populaire en Amérique latine
qu'en Europe, il n'en reste pas moins qu'il est le culte le plus populaire
dans les deux régions. En effet, le culte à la Vierge s'est développé
plus rapidement dans l'Ouest de l'Europe que dans l'Est. Plusieurs
sites de pèlerinage qui étaient voués à la dévotion des saints et qui
dataient d'avant 1100, sont devenus des sites de pèlerinage
marianistes après cette date.
2.3 Principales caractéristiques des pèlerinages andins
II est certain que la conception différente que nous avons du
temps et de l'espace rend la compréhension du pèlerinage andin plus
difficile. Pour mieux comprendre, nous verrons d'abord un bref
historique du syncrétisme religieux dans la région des Andes.
Avant l'arrivée des Espagnols et avant le début du syncrétisme
religieux au Pérou, le système religieux inca était très semblable à son
système politique. C'est-à-dire qu'il était centralisé avec une diffusion
uniforme des Rtes et de l'idéologie inca à travers tout le royaume. En
fait, les sites de pèlerinage constituaient des ressources politiques
d'une importance telle que les groupes aspirant au pouvoir se devaient
de les considérer.
Le système artificiellement unifié des sites de pèlerinage
étatiques, provinciaux et locaux était un grand exploit pour les Incas,
mais aussi une source permanente de faiblesse. Cette faiblesse joua
évidemment en faveur des Espagnols. En effet, les Incas laissaient tel
quel les sites de pèlerinage des différentes ethnies déjà en place. Cet
élément de liberté culturelle incitait les membres à regagner de
I'autonornie dans ce domaine.
ia rencontre entre le catholicisme et la religion inca a donné lieu
vers le milieu du seizième siècle, à de nouvelles représentations
religieuses qui se sont affirmées et renforcées avec le temps.
J'ajouterai que le besoin de religion et de culte, autant du côté inca que
du côté catholique, ont facilité l'intégration et l'assimilation de l'un dans
l'autre.
L'autonomie régionale qui régnait avant l'invasion espagnole mit
du temps à disparaître après l'invasion. Cette autonomie subsista
même après la deuxième vague d'invasion espagnole. Au lieu de briser
les anciens cultes par la centralisation, les Espagnols utilisèrent en
plus la rivalité inter-régionale et la compétition en implantant leurs
saints et leurs saintes. En effet, il y avait, une grande rivalité, voir
même une compétition entre les différentes divinités allouées à chaque
village.
II existait un énorme fossé entre ces divinités et les anciens lieux
sacrés précolombiens. La religion devint donc très liée au social et au
politique. Le statut du village dépendant grandement de la popularité
du patron ou de la patronne du village ainsi que de l'importance de la
fête qui y était rattachée. C'était en résumé les résultats du choc des
deux religions qui se produisit avec l'arrivée des Espagnols au Pérou.
Voyons maintenant les caractéristiques du pèlerinage andin
proprement dites.
Première caractéristique
Une première caractéristique repose dans la motivation des
pèlerins à faire le voyage. Contrairement aux autochtones des Andes,
le concept de purification des péchés représente une motivation très
importante pour les chrétiens. La notion de péché existait pour les
autochtones mais, pour eux, le pèlerinage était davantage une réunion,
une rencontre ayant comme prétexte la fête.
La solidarité d'une telle rencontre est exprimée dans l'échange
de biens matériels, dans les sentiments intenses et dans les relations
avec les entités auxquelles ils demandent une faveur ou qu'ils
remercient pour une faveur déjà ac~ordée.'~(luis Millones pour
Crurnrine et Monnis : 1991 , p. xv).
Deuxième caractéristique
Une deuxième caractéristique importante est la dualité qui existe
entre la proximité culturelle entre le pèlerinage et le pèlerin versus la
pression d'efficacité qui est exercée par le pèlerin sur le site sacré ;
surtout sur l'image sacrée." Parce que les pèlerins deviennent si
familiers avec le pèlerinage, ils sont en mesure de manipuler certaines
10 11 est à noter que radon de demander et de remercier ne sont pas des éléments exdusivement andins. Ils font égaiement partie du pèlerinage cathoiique. Dans cette citation, l'accent est mis sur l'importance de k rencontre- 11 L'image sacrée d'un pèleiinage Iatïno-américain peut tout a& bien représenter Marie, le Christ, un saint ou une sainte. Il existe plusieurs autres images sacrées comme des éléments de la nature, mais qui ne sont pas l'objet de pèierinages.
ficelles culturelles du centre sacré. Par contre, l'image sacré doit
toujours rester efficace et se différencier suffisamment des autres
images sacrées pour se faire accepter et gagner la légitimité d'un site
de pèlerinage exceptionnellement saint. Ces tendances opposées sont
surtout remarquables en ce qui concerne l'image sacrée puisqu'elle est
le début et le centre du site sacré.
Troisième caractéristique
II est typique en Amérique latine, de trouver un site sacré qui soit
né d'une apparition ou d'une image de bois ou de pierre qui prenne
soudainement vie. Ces sites de pèlerinage sont souvent centrés sur un
fait en particulier, celui de la réalité vitale et omniprésente du divin à
cet endroit précis. Le sacré y est immanent comme le souligne
Dupront. Les pèlerins de ce site peuvent donc clamer la sacralité et
l'efficacité de leur site. Ces croyances sont la source d'une foule de
légendes qui font planer une auréole de merveilleux autour de chaque
divinité.
La tradition pèlerine précolombienne ne faisait pas exception à la
fameuse théorie. de Durkheim. En effet, cette tradition consistait
principalement en la célébration des origines du peuple ou de la nation.
Ces peuples croyaient en la puissance de la nature et à son pouvoir de
décision sur le déroulement des événement^.'^ Leurs sites sacrés se
composaient de lacs, de montagnes, de rivières et de terres sacrés.
U Cet élément s'est kmsposé par la suite sur les saints e t les représentantes de Marie. On a dors a-ué aux images saaées emmenées d'Europe, un pouvoir typiquement andin que ces divinités ne possédaient même pas sur leur propre territoire. On leur a en effet attribué ce pouvoir de changer Le futur d'une collecîivité.
Quatrième caractéristique
Les séries de contes, poèmes, chansons, récits de guérisons et
de miracles, est une caractéristique très importante pour les pèierins.
Cette forme de légitimation agit comme un lien entre la population et le
centre sacré. De plus, elle représente une base culturelle et religieuse
locale à laquelle le groupe peut se référer.
Cinquième caractéristique
Une cinquième caractéristique est la provenance de la légitimité.
En effet, les sites de pèlerinages andind3 sont historiques en ce sens
qu'ils doivent leurs origines à un événement spécial, souvent un
moment de danger social, mais surtout parce qu'ils sont en mesure
d'affecter radicalement le destin de la communauté ou d'un individu et
ce, positivement ou négativement.
Sixième caractéristique
La popularité du site de pèlerinage à l'extérieur de la
communauté est à l'origine des conflits entre les cultes. Cette forme de
compétition est en effet inévitable étant donné la structure même du
système religieux. Le citoyen considère généralement le saint de son
village comme étant le plus efficace de tous les saints. À partir de ce
moment, il tente de faire grandir sa popularité à l'extérieur du village,
ce qui entre en conflit avec l'orgueil et la fierté des habitants des
villages voisins et ainsi de suite. C'est du moins ce qui se passait
U Dans la notion de * site de pèlerinage m, on sous-entend un environnement saaé, faiçant partie de la nature.
durant la période qui suivit l'arrivée des Espagnols. Avaient-ils imaginé
que ce système ferait grandir les tensions interethniques à l'intérieur de
l'Empire et faciliterait ainsi leur suprématie ? En effet, les fidèles ainsi
occupés aux rivalités interrégionales tardaient davantage à se rebeller
contre le pouvoir étatique.
Ces caractéristiques valent encore de nos jours. Par exemple,
l'objet sacré de plusieurs sites latino-américains de pèlerinages est
d'abord légitimé par un lieu sacré tout comme pour l'ancien culte
précolombien ou la nature était sacrée d'abord et avant tout. Même au
niveau du groupe proprement dit, une certaine rivalité s'installe. La
hiérarchie qui prévaut au sein des fidèles crée des divisions de nature
ethnique, économique ou autre."
Pour cette raison, il fut très difficile pour les prêtres, à tout le
moins au début de la conquête, d'avoir une influence significative sur
les croyances des Incas. En effet, même en détruisant et en brûlant les
momies incas, les sites et les objets sacrés, ils ne pouvaient rien faire
contre une montagne ou un lac.
"Cela, les conquérants n'ont pu arriver à le faire. Les campagnes
contre l'idolâtrie avaient commencé tard, plus de 50 ans après la
'' A Otuzco, par exemple, la a hennandad est un groupe privilégié qui reste très près des affaires de la Vierge et par le fait même, qui jouit d'un prestige certain.
conquête, les habitudes de pluralisme religieux avaient déjà commencé
à établir'^" (Sallnow : 1 987, 51 ).
Malgré cela, le modèle andin de pèlerinage fut remplacé en
grande partie par le modèle catholique de pèlerinage. On retrouve
donc après la grande crise de 1560, un chambardement complet du
système religieux mis en place par les Incas
En effet, les constituantes ethniques furent coupées, les
autochtones déplacés, l'administration relocalisée et les dévotions
religieuses en sont arrivées à se centrer sur un saint patron du village
ou de la paroisse. Les différentes communautés cultivèrent avec
ardeur leur culte à cette nouvelle divinité distribuée arbitrairement, ce
qui devint par la suite l'indice de leur rang social et de leur prestige.
La stratégie des prêtres ne fut donc pas d'essayer de changer les
divinités précolombiennes mais bien de les adapter, de leurs donner un
nouveau nom, de plaquer un nouveau modèle d'idolâtrie sur l'ancien.
Pour ce faire, ils utilisèrent un langage connu de la population locale
des liens entre les divinités d'avant et d'après la conquête. Ainsi,
Pachamama devint Marie, Pachatata devint Dieu, etc.
Par conséquent, une septième caractéristique des sites de
pèlerinages andins est de posséder des éléments catholiques tout en
'S Traduction libre de ce texte original : This the extirpaton signally failsd to do. The concerted campaigns against idolatry had begun late, more Vian fifty years after the conques and a habit of
religious pluralism had already begun to establish itseif.
restant typiquement andins par l'emplacement du site sacré. Par
exemple, les symboles religieux, l'engagement clérical et les icônes
peuvent très bien sembler catholiques, quand l'emplacement du site
est historiquement sacré, unique et reconnu; on a ici un parfait
exemple de site de pèlerinage andin où des autochtones païens
croient pratiquement autant que les métis catholiques.
Pour le fidèle, la différence devient mince et imprécise entre une
source catholique de croyance comme la Vierge de la Porte et une
source andine de croyance comme le Cholocday, la montagne qui
surplombe Otuzco. Cette différence n'existe pratiquement pas. Cet
ensemble a informé, au fil des siècles, les croyances andine.
II décrit même la façon dont un paysan utilisait des sites
catholiques pour expliquer un espace religieux pré-inca. Comme on
peut le constater après avoir lu ces caractéristiques, les deux facettes
des sites catholiques et andins sont constamment reliées. Par
exemple, on additionne une icône chrétienne avec un décor significatif
pour le paysan, et c'est la naissance du site sacré andin.
Le pèlerinage andin est un bon moyen d'explorer le sentiment
d'identité et la résistance culturelle d'une population. En effet, à travers
ses allégeances et ses engagements, on peut plus facilement retracer
l'idéologie, les valeurs et les croyances de la société andine.
2.4. Le début du culte marial en Amérique
Un premier facteur de la popularité de Marie en Amérique est
l'identification syncrétique que les autochtones ont faite des divinités
espagnoles sur leurs divinités. Cette identification qui s'établit dès les
premières années donne à la Vierge Marie une place religieuse toute
spéciale au sein de la population andine. Un exemple commun
d'identification syncrétique, est l'image de Dieu tel que nous
l'entendons dans la chrétienté qui fut rapidement associé au soleil.
Marie, quant à elle, fut associée en Amérique comme en
Espagne, aux esprits de la nature comme les montagnes, les lacs, les
rivières, les sources. II n'y a aucun doute que l'utilisation de ces images
fut encouragée par le clergé, surtout par les Augustins pour qui leur
fondateur avait laissé les bases d'une telle stratégie d'évangélisation
(Gilbert 1980, 12).
Reportons-nous une fois de plus au milieu du XVIe siècle. Le
deuxième élément qui ressort lors de la première phase de la
régionalisation des cultes dans les Andes centrales est que la grande
majorité des cultes est basé sur des images de Marie. On explique ce
phénomène entre autres par la popularité croissante qu'obtenaient les
images de Marie en Espagne à l'époque et ce, depuis le deuxième
siècle. ( Lee Nolan pour Crumrine et Morinis: 1991, p.26 ). Par contre,
d'autres auteurs comme Turner et Turner affirment que la première
dévotion mariale associé à un site de pèlerinage s'est produite au 5'
siècle ( Turner et Turner; 1978, 155). Entre autre à cause du
mouvement de population de ['Espagne vers l'Amérique latine, la
popularité de Marie s'est grandement propagée au nouveau monde.
En fait, la popularité de la dévotion mariale était devenue une force
révolutionnaire de changement du modèle pèlerin en Europe de l'Ouest
( Sallnow; 1987, 27). Cette popularité fut accentuée avec le vide que
laissa le départ de la population arabe de l'Espagne (Christian; 1976,
61). La dévotion toute particulière que lui portaient les Espagnols
donnait à Marie un prestige tout spécial aux yeux des autochtones.
En fait, durant la période allant de 1530 à 1779, 730h des sites de
pèlerinage formés en Europe étaient dédiés à la Vierge Marie (Lee
Nolan pour Crumrine et Morinis; 1991, 31). Les sites de pèlerinage
latino-américains sont encore les plus nombreux de nos jours (Sallnow;
1987, 49). Malgré le symbolisme universel de la vierge dans la
théologie chrétienne, le champ andin dans lequel elle est entrée était
non-impérial c'est-à-dire que le statut régional de la religion autochtone
était relié à des paysages particuliers et habités par des peuples
specifiques16 (Sallnow : 1 987, 71 ).
Les images mariales furent acculturées dans un champ culturel
autochtone. En somme, elles furent adoptées par la population plus
rapidement que les images du Christ parce qu'elles étaient plus près
'' Tradudon libre de ce texte original : Despite the universal symbolism of the virgin in the chnstian theology, therefore, the synsyncretic field that she entered in the Andes was the non- imperial, regional stratum of native religion, that attaching to parücular landscapes inhabited by specific peoples.
du peuple et de leurs croyances." Comme le dit MacKay : "He came
as the Lord of Death and of the life that is to be; she came as the
Sovereign Lady of the life that now is" (Mackay, 1932, 102). Dans cette
perspective, le pèlerinage d'Otuzco est donc tout à fait de son temps
puisqu'il date du début de la colonie et qu'il est dédié à la Vierge Marie.
2.5. Comparaison entre ia théorie de Dupront et celle des
spécialistes de l'Amérique latine
Pour Dupront, comme pour les spécialistes de l'Amérique latine,
il est évident que la nature représente une source importante de la
religion populaire ( Sallnow 1987 : 75-99 ). La seule différence sur ce
point entre le pèlerinage européen chrétien et le pèlerinage autochtone
péruvien est l'importance du degré de légitimation que la nature a
conservé avec les siècles.
Pour certains auteurs comme Sallnow et Arnold, le pèlerinage est
vu comme un rapport de force entre différents groupes; une façon
d'exprimer les conflits. Pour d'autres comme Lee Nolan, les grandes
tendances pèlerines observables à travers l'Amérique latine sont la
preuve que les autochtones, et ensuite les métis, ont réagit de façon
très semblable face au christianisme.
V II était facile et logique de trouver des ressembhces entre Marie et N Pachamama ., la terre mère.
Le catholicisme et les croyances incas partent tous deux d'un lieu
spécialement sacre. Par contre, pour les autochtones, le lieu demeure
sacré principalement par la nature, même après plusieurs décennies,
voire plusieurs siècles. Pour la religion catholique, le personnage
religieux prend davantage d'importance avec les années et ce, même
si la source du sacré a débuté avec un événement qui a transmit le
sacré de la nature à l'objet.
En somme, les sociologues spécialisés sur la région des Andes
ainsi que Dupront ne se contredisent pas vraiment, ils traitent tout
simplement d'aires culturelles différentes. Certains éléments culturels
ou historiques produisent une expérience religieuse différente. Par
exemple, la relation que les peuples andins et européens,
entretiennent avec le pouvoir est totalement différente. L'appropriation
du pouvoir dont nous avons déjà discuté est primordiale dans la région
andine. En Europe, cette notion s'applique plutôt au niveau personnel
et non pas au niveau du pouvoir du groupe.
Par contre, lorsque l'on traite de la spécificité d'un cas comme
Otuzco où même d'un lieu plus général comme la région des Andes,
les différences sont si grandes que les auteurs des deux camps ne
traitent tout simplement pas des mêmes facteurs culturels. Par
exemple, le syncrétisme religieux omniprésent dans les Andes est
énormément réduit en Europe si l'on compare les deux régions.
On ne peut évidemment pas analyser chaque région de
pèlerinage de la même façon. Aussitôt que l'on dépasse le niveau
théorique, la spécificité de chaque région, voire de chaque pèlerinage
prend le dessus. Pour le pèlerinage d'Otuzco, j'ai procédé de façon
très typique étant donné quYOtuzco est l'archétype du pèlerinage andin,
c'est-à-dire marqué de syncrétisme religieux.
Personnellement, mon opinion par rapport à Dupront et aux
spécialistes latino-américains et andins, se place quelque part entre les
deux théories, tout comme mon sujet. En effet, le cas d'Otuzco étant
un paifait mélange de culture européenne et autochtone, les deux
écoles de pensée me sont également utiles. Indépendamment du
relativisme culturel, Dupront nous offre une saisie remarquable de la
religion populaire à la base. De leur côté, Sallnow, Crurnrine, Morinis et
Lee Nolan offrent les éléments essentiels à la compréhension des
particularités culturelles régionales.
Otuzco subit de plus fortes influences occidentales qu'un lieu de
pèlerinage de la zone de Cuzco ou Puno à cause de sa proximité avec
la côte. II n'est toutefois pas complètement côtier comme, par exemple,
au département de Piura. Ce village occupe donc une position
statégiquement intéressante.
Ce phénomène de religion populaire implique le pèlerinage
comme moyen d'identification du groupe. C'est justement ce qui est
intéressant dans l'idée de construction de sens : elle se présente
universellement et peut s'appliquer à toutes les populations puisque
toutes les populations cherchent à donner du sens à leurs actions. Le
besoin de donner un sens à la vie, et surtout à la mort, est en quelque
sorte un réflexe de santé mentale propre à l'être humain en général.
CHAPITRE 3. LE PROFIL LOCAL DU PÈLERINAGE D'OTUZCO
Nous verrons dans ce chapitre, les parties historiques
nécessaires à la compréhension du pèlerinage. C'est-à-dire l'historique
du culte à la Vierge et l'historique de la fête qui ne sauraient être traités
séparément. Nous verrons ensuite l'évolution de la ville d 'Otuzco.
3.1. Historique du culte à la Vierge de la Porte
I I est si surprenant de voir qu'une si petite statue puisse être
l'objet de tant de demandes, de croyances et d'histoires. La statue de
la Vierge de la porte est très petite. Elle ne mesure pas plus d'un mètre
et cinq centimètres. Ce qui fait sa grandeur, c'est le piédestal sur
lequel elle se tient et qui est haut de deux mètres quatre-vingt. Elle
possède un grand clou de fer pour soutenir ses mains et les faire
bouger, selon les objets qu'elle tient. En dedans de la statue de cèdre
serait placée une image de la vierge. Mais cela, personne n'ose encore
le vérifier. Le croissant qu'elle a devant elle et qui est le symbole
propre aux images de Marie, est fait d'argent pur. Elle en possède
plusieurs sans parler de ses 500 manteaux (au minimum) et de ses
innombrables bijoux et perruques.
Photo no.1
La Vierge de la Porte durant la procession
Durant la procession, la vierge est illuminée et accompagnée
d'odeurs d'encens et d'une grande fanfare. On se presse pour la voir
de plus près et on se bouscule pour pouvoir la porter puisqu'on croit
que ces efforts seront certainement récompensés.
L'historique et la légende qui entourent la Vierge sont
définitivement les éléments Iégitimateurs de son pouvoir. L'historique
de la Vierge de la Porte est plutôt compliqué à cause des nombreux
noms qu'elle et sa prédécesseur, la vierge de l'Immaculée-Conception,
ont portés. Pour s'y retrouver, nous devons nous référer à la vierge
ayant pour nom les mots Porte, Porteria ou encore Inter. C'est que la
vierge de l'Immaculée-Conception existait avant la Vierge de la Porte.
On a parfois superposé leurs noms, ce qui a brouillé quelque peu les
cartes. Le culte parallèle des deux vierges débuta vers 1570, année de
la première fête de la Vierge de la Porte, et se tenina vers 1940,
année où I'on célébra pour la dernière fois, le huit décembre, la fête de
1'1 mmaculée-Conception.
À l'époque du début de l'influence espagnole au Pérou, la
coutume héritée de l'Espagne était que chaque village devait se choisir
une patronne ou un patron afin d'obtenir sa protection. II était
également très fréquent que la statue du protecteur ou de la protectrice
ait un substitut qui puisse être emmené en procession durant les jours
de fête. Les gens dYOtuzco choisirent la vierge de I'lmmaculée-
Conception peu après la fondation du village. Les premiers écrits sur la
vierge de l'Immaculée-Conception datent de 161 1 où I'on rencontre
dans le livre de baptême de la paroisse, l'énoncé suivant : "En la villa
de la lmmaculada de Otuzco, bauticé, ..." Ce sont les pères augustins
qui, au cours des siècles, ont su organiser et perpétuer le culte à la
Vierge de la Porte.
Le culte à la Vierge de la Porte est donc très influencé par la
culture espagnole et par l'Église catholique. Toutefois, les symboles
païens et les rites éloignés de la religion institutionnalisée qui
composent ce culte qui est l'objet de mon étude, démontrent qu'il s'agit
ici d'un mélange de croyances et de traditions. Par exemple, il existe
une légende pour expliquer la naissance de la vierge de I'lmmaculée-
Conception.
Elle serait apparue près d'une petite lagune de la rivière. On
l'emmena dans le temple du village mais la nuit elle revenait toujours
près de la lagune. Les habitants du village ont alors pense qu'elle
aimait ce site et une nouvelle église fut construite à cet emplacement.
Pendant la construction, la lagune s'est asséchée peu à peu. C'est
ainsi que I'on raconte la légende selon laquelle la Vierge serait
devenue <c magique 3,.
Selon la courte histoire davantage plausible que I'on peut lire
dans certains manuscrit^'^, le début du culte à la vierge a plutôt
commencé de la façon suivante. Une église a bel et bien été construite
pour Notre-Dame de l'Immaculée-Conception entre 1545 et 1550. 11 y a
même eu une confrérie de I'lmmaculée-Conception jusqu'en 1 940. En
1570, l'Espagne fit don d'une nouvelle statuette représentant
1' l mmaculée-Conception. Cependant, cette image était très espagnole
dans ses traits et son style.lg
On lui fit donc une remplaçante toute latino-américaine que I'on
appela Inter. Selon ce que I'on en sait, des pirates seraient venus vers
1600, par l'Océan Pacifique depuis les côtes de l'Équateur jusqu'à
celles du Pérou. Sachant que les pirates étaient arrives à Trujillo, la
population d'Otuzco, inquiète, prit I'lnter (ou remplaçante) de la vierge
de l'Immaculée-Conception qui était à l'intérieure de l'église pour
'" Dont la Reseiia historica de Fidei Homa- " Feuiiiet historique et programme officiel de la Hermandad.
l'emmener sur le dessus de la porte de l'église où elle resta pendant
trois jours. Ils croyaient ainsi se protéger."
Les pirates, pour une raison que l'on ignore, sont alors repartis
vers le large en laissant la population de la région de Trujillo, dont fait
partie Otuzco, saine et sauve. On construit donc une enclave spéciale
pour que I'lnter de la vierge puisse rester au-dessus de la porte de
l'église, étant donné qu'il existait déjà une vierge, celle de I'lmmaculée-
Conception, qui occupait déjà la place centrale à l'intérieure de l'église.
L'Inter, comme ont l'appelait à l'époque, reçut plusieurs noms par la
suite dont Notre-Dame de la Conception de la porte, Vierge de la
porteria puis plus tard, de Vierge de la Porte.
De cette façon, le culte à la Vierge de la Porte débuta lentement
mais sûrement en se développant toujours jusqu'à devenir ce qu'il est
aujourd'hui. Peu après ce qui fut considéré comme le miracle des
pirates, on construit une nouvelle église pour adorer I'lnter de
I'lmrnaculée-Conception qui avait sauvée toute la région contre les
envahisseurs. Lentement, la vierge de l'Immaculée-Conception perdit
de I'importance et le culte à la Vierge de la Porte grandit de plus en
plus, à mesure que se multipliaient les miracles.
En 1664, l'évêque du diocèse, Juan de la Calle y Heredia émit un
décret stipulant que la fête officielle de la Vierge serait le 15 décembre
de chaque année et qu'elle serait précédée par I'octavaine2'.
a Feuillet historique de k hermandad ainsi que la Reseiia historica de Fidel Horna. n L'octavaine est exactement comme la neuvaine avec un jour en moins. C'est une tradition qui avait lieu en décembre de chaque année à Otuzco j u q e vers les années 1950.
Cependant, cette octavaine avait débuté bien avant d'être reconnue de
la sorte, soit vers 1570. Le culte prit alors de la force et c'est en 1943,
lors du troisième congrès eucharistique national du Pérou, que la
Vierge reçut le couronnement canonique et le titre de reine de la paix
universelle qui vint s'ajouter à celui de patronne du Nord du Pérou. La
Vierge de la porte est l'une des 18 vierges au monde à avoir reçu le
couronnement pontifka" tout comme la vierge de Lourdes en France
et celle de Guadalupe au Mexique. Depuis ce 27 octobre 1943, on
célèbre chaque année le couronnement de la vierge.
Aujourd'hui, l'authentique vierge de l'Immaculée-Conception, qui
date de 1550, a été placée au fond du cœur de l'ancienne église qui
sert maintenant de Musée de la Vierge de la Porte. On célébra la fête
de l'Immaculée-Conception pour la dernière fois le huit décembre
1940. Cette extinction du culte à l'Immaculée-Conception ne laissa que
la Vierge de la Porte comme représentante de la ville dYOtuzco ainsi
que comme objet de culte.
Cette fête en l'honneur de la Vierge est devenue la troisième plus
importante après celle du quinze décembre et la semana santa
(pâques). L'image de la Vierge de la Porte est la seule au monde à
posséder un chapitre spécial à la Basilique Saint-Pierre-de-Rome. Cet
événement eut un grand retentissement dans tout le Pérou mais
surtout un impact certain sur la croyance des fidèles qui ne cessait
d'augmenter. La popularité de la Vierge prit également beaucoup
n Le couronnement pontifical est accordé par le Pape à une vierge qui est i'objet d'une forte aoyance et que l'on croit Ia source de plusieurs mirades. Dans ce cas-ci, Pévêcpe de l'endroit fut d&igné en remplacement du Pape pour l'obtention du titre et de la couronne.
d'ampleur à cette époque. C'est également à partir de ce moment que
débuta la célébration de I'octavaine ayant pour but de se rappeler les
proches décédés durant l'année. Cette fonction a perdu de
l'importance avec les années pour s'éteindre complètement vers le
milieu du XX' siècle.
Le premier épisode qui démontra la force de la Vierge et qui fait
maintenant partie de la légende eut lieu durant le passage à
l'indépendance du Pérou. Les habitants dYOtuzco s'étaient déclarés
depuis le début en faveur de l'indépendance du Pérou. Ne voulant pas
faire cause commune avec les rebelles, ils durent affronter en 1821 les
troupes régulières du colonel Santa Cruz venu pour les soumettre. Les
habitants d'Otuzco implorèrent l'aide de leur Vierge et plusieurs se
réfugièrent dans l'église où des prêtres lui dirigeaient des prières. On
croit que plusieurs des tirs dirigés vers la porte principale n'avaient
aucun effet, ce qui permit aux troupes Otuzcaines de remporter la
bataille. Ce fut une grâce que les gens ont attribuée à la Vierge de la
Porte.
Plus tard, en 1868, la ville dYOtuzco devint le centre des
opérations du général Jose Balta lorsque ce dernier prit la décision de
vaincre le gouvernement Prado. Il promit de donner un superbe
manteau a la Vierge si celle-ci lui accordait la victoire. Finalement, le
colonel Balta l'emporta les troupes du gouvernement Prado. Par la
suite, il remplit sa promesse et donna un magnifique manteau à la
Vierge pour la remercier de la faveur accordée.
Plus près de nous, le pape Jean Paul II a également visité la
Vierge en 1985. En 1986, les festivités de la Vierge de la Porte sont
passées au calendrier religieux du pays. II existe autre part, plusieurs
répliques de la Vierge de la Porte. Les villes d'Arequipa au Pérou,
Chimbote, Trujillo et Cajabamba ont également une réplique de la
vierge.
On croit que le secret du pouvoir de la Vierge réside dans son
regard et dans ses mains. En fait, tout ce qui n'est pas recouvert de
tissu est considéré comme étant le corps de la Vierge, donc plus
puissant. C'est logique puisque les manteaux de la Vierge sont
changés presque tous les jours et parfois même, pendant les festivités,
deux fois par jour. Malgré cela, plusieurs pèlerins pratiquent le rituel du
manteau. C'est-à-dire que le croyant fait la file derrière l'endroit où est
située la Vierge. II s'agenouille sur un banc entre deux rangées de
cierges dédiés à la Vierge et on lui met sur les épaules un des
manteaux que la Vierge a récemment portés. La personne se
recroqueville complètement sous le manteau, la tête baissée et elle
prie. On croit que les prières ont de biens meilleures chances d'être
entendues de cette façon.
Le pèlerinage vers Otuzco ne se fait pas à longueur d'année
comme par exemple en Europe. On vient plutôt à Otuzco en
décembre, dans le but précis d'assister à la fête et à la procession,
comme s'il s'agissait d'une récompense pour les efforts fournis.
Dans cette région où la foi évangéliste se propage de plus en
plus, les fidèles se font un peu moins nombreux à chaque année.
Toutefois, cette baisse est très lente. On note que quelques dizaines
de fidèles de la région dYOtuzco optent pour la foi évangéliste à chaque
année. Cependant, en ce qui concerne le pèlerinage, le principal
résultat de ce phénomène est la baisse des fonds venant des caserios
23 voisins. La fête de la Vierge doit compter de plus en plus sur le
financement privé de compagnies ou de familles venant, par exemple,
de Trujillo qui est situé à l'extérieur des zones responsables du
financement des festivités.
3.2. Historique dYOtuzco
CC L'histoire légendaire est la logique même de I'irrationneb.
( Dupront, 1987 : 41 6 )
Otuzco détient la réputation de ville religieuse étant donné
l'ancienneté et l'importance du culte que l'on voue à la Vierge. Cette
petite ville est située au pied du Cholocday, à 2638 mètres au-dessus
du niveau de la mer et à 75 kilomètres à l'Ouest de Trujillo, capitale du
département de La Libertad.
Pour les habitants dYOtuzco, le Cholocday est considéré comme
leur montagne protectrice. Comme Dupront et Sallnow l'ont mentionné
précédemment, cette montagne qui fait partie de la chaîne des Andes
" Regroupement de maison de fermiers. Un peu comme un minuscule village. Phsieurs casmos entourent généraiement un f i g e .
constitue une
rivière Mochic
sacrée.
partie de l'espace sacré des environs. Par contre, la
qui traverse la ville n'est pas perçue comme une entité
Toute l'histoire d'Otuzco est marquée par plusieurs échanges
avec d'autres cultures. La culture Gallinazo (500 ans av. J-C.) de Viru
sur la côte et la culture Mochica (O à 500 ans ap. J-C.) ont influencé
des les débuts, le développement d'otuzco. En 1480, la ville dJOtuzco
fut incorporée à l'empire inca mais cette période ne dura que 55 ans.
En 1525, les Espagnols prirent le contrôle de la ville. II est très
intéressant de remarquer qulOtuzco est encore de nos jours, influencé
par la culture de la côte. Cet élément est d'ailleurs très évident durant
le pèlerinage de décembre.
Les quatre fondateurs sont Juan de San Pedro, Juan del Canto,
Juan Ramirez et Antonio Lozano. Puisque ces Augustins venaient
d'Orozco en Espagne, on en déduit que de là viendrait le nom
dYOtuzco qui se serait déformé avec les siècles. Ces mêmes religieux
fondèrent également l'autre ville importante de la région, Huamachuco,
quelques années plus tard, soit en 1953."
L'Ermite qui fut le premier bâtiment d'importance érigé à Otuzco
fut également la cellule germinale du village. Elle fut évidemment
construite par les Augustins, confrérie dominante à l'époque dans cette
région. Cependant, avant la fondation d'Otuzco en 1545, il existait au
sud-ouest de l'actuelle ville. un petit regroupement de maisons de
" TÏré de la Resefia historica de Fiel Horna.
55
briques de boue qui étaient reliées par des rues tortueuses. Des
siècles plus tard, soit en 1890, il fut confirmé par une loi qu90tuzco
devenait la capitale de la province dYOtuzco, divisant ainsi la grande
province de Huamachuco en deux parties: la province de Huamachuco
et la province de Marcabal y Otuzco qui porte maintenant le nom de
province d' Otuzco.
CHAPITRE 4.
LA FETE PÈLERINE
La religion, bien qu'elle ne soit pas le seul, est un instrument de
reproduction et de légitimation du système de normes que la société se
donne ( Zylberberg : Social Compass IWO, 1 ). La religion populaire
bouleverse les normes déjà établies et, souvent, les sociétés hésitent
devant le changement. C'est pourquoi on voit, comme dans le cas
d'Otuzco, une situation de syncrétisme religieux qui fait surface. Ce
syncrétisme est surtout évident au niveau des symboles.
Calendrier des fêtes d'Otuzco :
27 octobre : Fête du couronnement de
la Vierge de la porte.
Du 1 au 11 décembre : Préparation
logistique et spirituelle pour la fête.
12 et 13 décembre : Arrivée des
pèlerins et début des activités.
14 décembre : Jour de la bajada.
15 décembre : Jour de la procession.
Aussi le jour le plus important de
l'année
Du 16 au 18 : Départ des pèlerins et fin
des activités.
Du 19 au 30 : Quelques marchands
restent à Otuzco.
31 décembre et 1 janvier : Fêtes du
Jour de l'An. La Vierge est emmenée
sur son piédestal au-dessus de la porte
de l'église.
Première semaine de mai : Fête
d10tuzco
4.1. Organisation de la fête
Otuzco rend hommage à la Vierge de la Porte depuis 1570
, mais la fête officielle date de l'autorisation de l'évêque de Trujillo,
monseigneur Juan de la Calle y Heredia qui fut donné en décembre
1664. En 1996, l'année de ma recherche sur le terrain et de la
rédaction de mon mémoire, nous en étions donc à la 426' édition de la
fête à la Vierge de la Porte. Avant, la neuvaine avait beaucoup
d'importance, mais depuis une vingtaine d'années, c'est la fête qui
prend toute la place. En effet, comme je le mentionne plus haut, on
participe au pèlerinage dans le but précis d'assister à la fête et à la
procession. D'ailleurs, comme Dupront le fait remarquer, le pèlerinage
à pied se fait de plus en plus rare. De nos jours, on vient à Otuzco
surtout en autobus.
Malgré tout, selon mes estimations, il reste environ 7% des
pèlerins qui se rendent encore à Otuzco à pied. Le reste des pèlerins
se rend en autobus. II s'agit de soixante quinze kilomètres dont environ
les derniers cinquante kilomètres composent l'ascension dans les
Andes. Les pèlerins mettent en général deux jours à se rendre à
Otuzco ce qui les contraint à passer une nuit à la belle étoile. Comme
plusieurs pèlerins sont sur le chemin durant cette période, trouver de
l'hébergement devient très difficile. De plus, les nuits sont encore
fraîches en ce début d'été et peuvent même devenir froides si on se
trouve à dormir le moindrement en altitude. La difficulté du chemin est
accentuée par le passage de nombreux autobus et camions qui
parcourent à une vitesse de tortue cette route très dangereuse, étroite
et non pavée à 70%. En fait, presque chaque année à l'époque du
pèlerinage, la route d'Otuzco fait des victimes.
Toutefois, l'ambiance de la fête est toujours très intense,
chaleureuse, et la qualité des activités varie très peu d'une année à
l'autre. Plusieurs comités et clubs participent à I'organisation de la fête.
Fidèle à la tradition bureaucratique espagnole, chaque personne au
sein de chaque groupe possède des tâches précises et chaque groupe
s'occupe de sa propre série de tâches au sein de cette grande
hiérarchie compliquée. Cependant, il existe trois groupes principaux
organisateurs. D'abord le comité des caserios, ensuite le comité de la
Hermandad puis, finalement le Comité central.
II est important de signaler d'abord que chaque caserio ou petit
groupe de fermiers de la province d'Otuzco participe à tour de rôle à la
fête. Un caserio est une unité plus petite que le village et regroupe
quelques familles. Généralement, de six à huit caserios participent a
l'organisation de la fête chaque année. La province d'Otuzco comptant
35 caserios, chacun devant mettre la main à la pâte environ à tous les
cinq ou six ans.
Évidemment, certains caserios sont plus riches ou plus peuplés
que d'autres. La qualité de chaque fête joue grandement sur ce
facteur. Pour la partie de la population qui n'est pas particulièrement
croyante ou dévote et qui participe à la fête davantage pour le plaisir
que pour l'aspect religieux, le fait de savoir quels caserios organiseront
la fête cette année-là est très important puisque c'est l'indice le plus
révélateur de la qualité de la fête. Par exemple, la deuxième fois que
j'ai assisté à la fête en 1996, les organisateurs étaient des caserios
plus pauvres et les gens se plaignaient, les commerçants surtout, du
peu de gens qui étaient venus cette année-là et des mauvaises
recettes qu'ils avaient réalisées.
Les caserios s'occupent généralement d'engager les bandas et
d'organiser certaines activités qu'ils choisiront durant l'année précédant
la fête. Mis à part les caserios, la Hermandad est un autre groupe
organisateur qui joue un rôle relativement important pour la Vierge et
pour Otuzco. Ce groupe existe depuis 1950 et a joué un grand rôle
dans l'amélioration de l'environnement religieux de la ville, autant au
niveau de l'architecture qu'au niveau spirituel. C'est ce groupe qui a fait
les pressions nécessaires pour que soit construit l'imposante église
actuelle à la gloire de la Vierge de la Porte, qui peut contenir jusqu'à
trois mille fidèles. Plusieurs y dorment également durant les jours de
fête.
La Hermandad s'occupe également de gérer les biens de la
Vierge comme l'argent qui lui est donné, ses manteaux et les ex-votos
qui sont parfois d'une grande valeur. Une nouvelle Hemndad est élue
chaque deux ans et est composée d'environ onze membres. Ceux-ci
ont d'abord pour mission de promouvoir l'évangélisation dans toute la
province, de faire connaitre la Vierge de la Porte et de promouvoir ses
bienfaits et sa gloire et, finalement, d'aider à l'organisation des trois
fêtes importantes qui se déroulent à O t u ~ c o ~ ~ . En somme, ils donnent
un appui à la paroisse. Finalement, le Comité central des festivités est
composé chaque année de la Hemandad en place, des représentants
des caserios désignés, du prêtre et parfois de la municipalité.
La fête de la Vierge serait toutefois de bien moindre qualité sans
tous les dons qui sont faits. En effet, par amour de la Vierge mais
surtout pour s'attirer ses faveurs, presque la moitié des pèlerins offre
des cadeaux à la Vierge de maintes façons. Le cadeau le plus
prestigieux est très certainement d'offrir un manteau. Elle ne le portera
qu'une journée, parfois même en temps de fête qu'une demi-journée.
La famille qui fait confectionner un manteau et qui l'offre en 1997 devra
souvent attendre deux ou trois années avant de le voir sur les épaules
de la Vierge. Plusieurs d'entre eux sont exposes au musée de la
Vierge situé dans l'ancienne église juste à côté de l'actuelle église. Ils
sont recouverts de pierres semi-précieuses ou même précieuses et le
travail qui est mis pour chacun est très méticuleux et impressionnant.
La fête du printemps en mai, la Pte du couronnement en octobre et k fête principale en décembre.
On peut aussi offrir un casüiI8, ce qui est moins coûteux. Les
autorités ne pourraient pas se payer autant de casüiios s'il n'y avait pas
les dons des particuliers. On peut également payer une bandas pour
les quelques jours de festivité tout comme on peut acheter un petit
ballon gonflable avec ou sans publicité dessus. Ces ballons sont
souvent des confections faites à la main qui s'envolent à l'aide d'une
flamme importante à la base du ballon et qui finit souvent par brûler le
chef d'œuvre avant qu'il n'aille bien loin. En fait, plusieurs ne volent
pas très loin. On en brûle près de dix par soir de fête. Finalement, la
dernière façon d'offrir un présent à la Vierge est cette fois beaucoup
plus populaire. C'est à dire qu'on offre ça force en portant la Vierge
durant un certain moment de la procession. II faut même se battre pour
pouvoir porter la Vierge tellement il y a de gens désireux d'assurer
cette honorable souffrance.
Un nombre impressionnant d'activités se déroule durant la fête.
Certaines sont donc relativement nouvelles, certaines autres
n'apparaîtront au programme qu'une fois. II faut mentionner que
plusieurs groupes sociaux ou sportifs profitent de la quantité
impressionnante de gens qui se réunissent à Otuzco durant la fête
pour organiser leur événement et ainsi bénéficier d'un plus grand
retentissement. Pour éviter la confusion, je ne parlerai que des
Castillo signifie château en espagrtoL Les châteaux du pèlerinage d'Otuzco sont constitués de bambous assemblés et articulés de f-on à pouvoir bouger lorsqu'on les brûle le soir venu. Ils sont également remplis de petits feux d'artifices qui illuminent la Place d'armes et qui partent dans tous les sens. ils sont généraiexnent haut d'environs 10 mètres et on en brûie de huit a douze chaque soir du 13 au 15 décembre ainsi qu'au jour de i'an et à la fête d'octobre. Cette pratique n'est pas exclusive à Otuzco.
activités religieuses et des autres activités qui sont bien implantées
dans le programme de la fête, c'est-à-dire depuis plus de dix ans.
La fête en honneur à la Vierge de la porte se déroule
principalement du 12 au 16 décembre. Je précise principalement parce
que du premier au 1 1 décembre, certaines activités sont organisées
dans le but d'affirmer la foi catholique dans la ville. La neuvaine de la
Vierge a également lieu du quatre au 12 décembre. II s'agit davantage
d'un restant de l'histoire puisque auparavant cette neuvaine gagnait
beaucoup plus de fidèles qui maintenant s'en tiennent à la fête et au
pèlerinage.
De même, les 17 et 18 décembre, alors que la très grande
majorité des fidèles ont quitté le site, le peu de gens qui reste participe
à des prières comme par exemple un saint rosaire que l'on complète
sur l'autel de la Vierge. On participe également à une messe spéciale
appelée Action de grâce pour apporter le bonheur à tous les pèlerins
qui ont participé à la fête. La fête se termine en principe le 16
décembre, cependant quelques activités peu importantes sont au
programme jusqu'au 18 décembre, après quoi la vie reprend son cours
normal. Voyons maintenant comment se déroule la fête en détail.
4.2. Déroulement de la fête
Comme le mentionnait Dupront précédemment, lorsque le pèlerin
aboutit au locus sacral, il voit toutes sortes d'imagos qui caractérisent
ce lieu et qui font reconnaître au pèlerin qu'il y a bel et bien des formes
extraordinaires en ce lieu qui unit le commun des mortels et le
surnaturel ou divin.
Le terme locus sacral désigne l'endroit où s'accomplit le but du
pèlerin. II est reconnu pour avoir été le site d'une manifestation
surnaturelle, légendaire ou d'un miracle. Quant au terme "imago", il
désigne la représentation de l'objet sacral. C'est par l'imago que la
communication passe. Souvent cette image est idolâtrée et c'est
précisément ce qui en fait un culte vertical. Plusieurs portent sur eux
une image de la Vierge de la porte et ce, tout au long de l'année. Que
ce soit dans un porte monnaie ou comme pendentif, au devant de la
voiture ou de l'autobus, dans le salon de la maison ou dans un
commerce, la Vierge de la Porte représente la chance. Ces images de
la Vierge sont considérées comme étant sacrées.
4.2.1.12 décembre : début de I'atrivée des pèlerins.
La fête proprement dite commence sans aucun doute le 12
décembre qui est également le dernier jour de la neuvaine. Quelques
activités sont organisées, surtout en soirée. C'est aussi le jour où les
pèlerins qui désirent assister à toute la fête, arrivent. Plusieurs
personnes sont déjà arrivées pour pouvoir participer à toutes les
activités du lendemain. Les prix des billets d'autobus pour se rendre à
Otuzco commencent à augmenter et les cris des vendeurs de cierges
se font entendre de plus en plus fort. Ils profitent en effet d'une
compétition encore faible alors que la majorité des vendeurs n'arrive
que le treize décembre.
4.2.2.13 décembre : le jour de l'aube.
Le treizième jour de décembre est le premier jour où des activités
se déroulent pratiquement sans arrêt. II s'agit d'une journée à
caractère musical où chaque banda se présente. Un des éléments
important de la fête est le fameux concours de bandas qui dure du
début à la fin et pendant lequel chaque groupe tente de jouer plus fort
et mieux que les autres pour augmenter son prestige et sa
rémunération lors d'éventuels événements futurs. C'est à la banda qui
pourra faire danser le plus de pèlerins, animer le plus la foule, se faire
entendre en des endroits et des moments inusités pour faire parler
d'elle le plus possible.
C'est aussi le premier jour où l'on brûle des castillos ou des feux
d'artifices qui sont sans aucun doute la marque de la fiesta un peu
partout en Amérique latine. Tôt le matin, on procède au début d'une
série de messes données en l'honneur de la Vierge. Quelques activités
sportives comme le marathon au Chologday et la finale de soccer ont
aussi lieun. Ces épreuves sportives apportent une autre dimension au
pèlerinage. Le marathon se déroule tout autour de l'immense
montagne du Chologday. Puisque qu'Otuzco est située en altitude, ces
épreuves sont plutôt éprouvantes
t Ces épreuves sporîives apportent une autre dimension au pèierinage. Le marathon se déroule tout autour de Yimense montagne du Chologday. Otuzco étant situé en altitude, cette épreuve est plutôt éprouvante.
Les organisateurs profitent également du nombre important de
fidèles pour disputer la finale régionale de soccer. En plus du marathon
et de la finale de soccer, le concours de danse fait maintenant partie
de la fête. En effet, la popularité croissante des troupes de danse
folkloriques s'est répercutée sur le programme de la fête et depuis
maintenant quelques années, les danses folklonque~ font partie de la
compétition.
Durant I'après-midi du 13 décembre, il y a le Grand défilé de
l'Aube où toutes les bandas qui participent au concours défilent en
jouant dans les rues pour terminer à la Place d'armes. Le soir venu, un
spectacle avec animation a lieu sur cette même Place d'armes. Au
même moment, on fait brûler des couetes, on lance des petits feux
d'artifices et des petits ballons dirigeables. Vers onze heures, on
commence à brûler les castilos qui se consumeront jusque très tard
dans la nuit et quelques bandas font danser la foule. Le dia del alb#
est aussi le jour où a généralement lieu la Grande Danse ou Gran
baile.
Mot espagnol signtaant ' le jour de l'aube."
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4.2.3.14 décembre : jour de la bajada.
Photo no.2
La descente de la Vierge vers le peuple
Cette photo représente le premier grand événement des
festivités : la descente de la Vierge vers le peuple. Ici, elle touche
presque la foule après avoir descendu tranquillement pendant environ
3 heures. On voit très bien la porte de laquelle elle est partie et qui est
également à l'origine de son nom. Un deuxième élément d'intérêt
observable sur cette photo sont les fameux castillos de bambous qui
seront brûlés quelques heures plus tard.
Le jour de la bajada est le deuxième jour plus important après le
jour central, le lendemain. Le mot bajada signifie descente. L'activité
principale de la journée est donc la descente de la Vierge vers le
peuple c'est-à-dire qu'à l'aide d'un mécanisme de poulie, on fait
descendre la Vierge de son abri vitré situé en plein milieu de la partie
supérieure de la façade de l'église. Elle y restera trois jours en tout. ce
qui constitue le plus long séjour de la Vierge parmi le peuple. La Vierge
sort deux autres fois par année. Une première fois lors de la Semana
Santa, une deuxième fois lors de la fête de son couronnement en tant
que vierge reconnue par le saint père qui se déroule le 27 octobre et,
une dernière fois, durant la fête de la Vierge en décembre.
Le jour de la bajada est aussi celui où les différents groupes
foiklorÏques et musicaux se rencontrent sur la Place d'armes. La
bajada dure environ de trois à quatre heures. Pendant tout ce temps,
les différentes bandas jouent pour la Vierge et les différents groupes
folkloriques comme les gitans et les noirs dansent devant la Vierge, à
tour de rôle. On vient en quelque sorte saluer la Vierge. C'est le
moment où la Place d'armes est remplie à craquer.
Le quatorze décembre est généralement le jour du fameux
Burrocrofl qui a lieu depuis maintenant plus de trente ans. Pour cet
événement. la foule se réunit sur la colline pour assister à cette course
à dos d'âne. C'est une course assez comique à la fin de laquelle on
désigne I'âne le plus rapide et I'âne le plus lent. C'est aussi un
événement très populaire auprès des autochtones. La nuit tombée, on
brûle à nouveau une vingtaine de castillos et les différentes bandas
font de leur mieux pour attirer le plus de danseurs et d'intéressés
possibles. Elles alternent les marineras et les huaynos pour faire voler
les mouchoirs tout le tour de la Place d'armes.
29 Burro veut dire âne en espagnol La course d'âne est donc la traduction EttéraXre du Bwocros.
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4.2.4. 15 décembre : jour central. Le jour central est évidemment le
jour le plus important de la fête puisque c'est le jour de la procession.
La journée commence par des prières et la messe puis c'est le tour
des bandas de s'exécuter sur la Place d'armes." En fin d'après-midi on
célèbre la messe la plus importante de fête à laquelle les autorités sont
invitées. Vers trois heures de l'après-midi, tous les groupes présents à
la fête et plusieurs pèlerins ainsi que des religieux se rassemblent sur
la Place d'armes d'où partira la procession. Elle durera jusque vers
minuit. Parmi les groupes présents on trouve les gitans et les noirs, les
colla&', les cusquefioç, différentes bandas et plusieurs fidèles désireux
d'obtenir une faveur.
4.2.5. 16 décembre : jour de la vénération. Le jour de la vénération
est un jour plutôt triste et vide. La ville est très sale, la majorité des
gens sont partis ou partiront tôt. Les gens font la file pour embrasser la
Vierge puisque la foule est beaucoup moins nombreuse et qu'il ne
reste que quelques heures avant de replacer la Vierge en haut de la
porte centrale. On en profite pour la toucher, surtout aux mains, et pour
l'embrasser. On apporte aussi plusieurs objets pour les faire toucher à
la Vierge (photo, mouchoir, chapelet). Ils auront ainsi un pouvoir
spécial.
' Les bandas sont des fanfares qui sont très populaires, du moins au Pérou. mes sont très présentes pendant Le pèlerinage et ce, jour et nuit. Leur but est de se faire remarquer le plus possible pour gagner le concours pour ainsi augmenter la valeur du prodiain contrat
Les collas sont un groupe qui imite les Collas de i'époque précolombienne.
En après-midi, c'est la subida ou remontée de la Vierge vers son
emplacement habituel. À peine le dixième des gens qui ont assisté à la
bajada sont également présents lors de la subida ce qui est très
significatif. II est en effet normal que l'on s'intéresse bien davantage à
la descente de la Vierge vers soi et à son rapprochement plutôt qu'à
son départ, son retour vers le monde intouchable et abstrait.
4.3. La symbolique des groupes présents
La notion de symbole de Lévi-Strauss est facilement associable à
la même notion vue par Dupront. De plus, les résultats de mes
recherches sur le terrain m'ont permis de découvrir l'importance du
symbole dans l'explication des différents phénomènes pèlerins dont fait
partie le cas dYOtuzco.
Ce qui frappe d'abord l'étranger qui assiste à un pèlerinage, c'est
la quantité de symboles qui lui semblent incompréhensibles, que ce
soit des symboles associés au folklore, aux danses, au visuel, aux
n'tes, etc. Celui qui comprend les symboles du pèlerinage est
davantage en mesure de faire des liens plus subtils et plus pertinents.
4.3.1. Les gitans
Photo no.3
La danse des gitans
Les groupes de gitans comme celui que I'on voit ici sont les
groupes les plus nombreux. Leurs costumes aux couleurs voyantes et
leurs danses simples sont présentés en offrande à la Vierge, tout
comme les chants du groupe des noirs.
Au Pérou, il n'existe pas de groupe que I'on peut considérer
comme des gitans. L'idée que I'on se fait des gitans nous vient
d'Espagne et ne correspond pas à une réalité locale. Les noirs existent
au Pérou mais surtout dans la région de Piura, sur la côte au nord de
Trujillo. Les noirs qui se présentent à Otuzco sorit des métis ou des
autochtones qui se déguisent en noirs avec du cirage a chaussure et le
costume s'apparentant à celui des esclaves noirs du siècle passé.
Offrir son enfant n'est bien sûr qu'un symbole ayant souvent peu
de conséquences en dehors des fêtes et du pèlerinage d'otuzco.
L'enfant qui s'est fait offrir à la Vierge restera gitan ou noir toute sa vie
et se déguisera de la même façon à chaque fête. Mais dans les deux
cas, il s'agit de métis, le plus souvent dans le besoin, pour qui les
parents ont cru bon d'attirer les faveurs de la Vierge en lui offrant leur
enfant. II peut s'agir aussi de familles qui ont plusieurs enfants ou
d'une mère qui élève seule son ou ses enfants. Ainsi la Vierge
protégera cet enfant comme s'il s'agissait du sien.
Pour la remercier, ils portent le costume de gitans ou de noirs
selon ce que leurs parents ont décidé, et défilent, dansent et chantent
pour la Vierge pendant toute la fin de semaine. Devenus adultes, ces
gens vont souvent lui offrir à leur tour, leurs propres enfants. Les noirs
et les gitans sont également présents dans d'autres occasions durant
l'année mais dans une proportion tres minime comparativement à la
fête de décembre.
Les gitans forment un groupe tres organisé de danseurs et de
chanteurs qui fut fondé il y a environ quarante ans. La caractéristique
première de cette fête n'est pas la danse comme par exemple, à la fête
de La Virgen de la Candelada =. C'est à dire que leurs pas sont
Cette fête se tient en février de chaque année à Puno, sur les bords du lac Titicaca. C'est le plus grand festival de danses autochtones de toutes la région andine.
simples et davantage conçus pour la marche en procession. Leurs
chants tout comme ceux des noirs sont davantage élaborés et très
révélateurs. La première fois que l'on a vu des gitans à la fête c'était en
1942. Ils étaient de Laredo, une petite ville au nord-ouest de Trujillo et
qui vit principalement de l'industrie de cannes à sucre.
Le fondateur de ce groupe de gitans est monsieur Mantilla33 qui
a tout simplement eut l'idée de se déguiser de cette façon et, par la
suite, la tradition s'est perpétuée. Maintenant, on compte en moyenne
vingt groupes différents de gitans qui portent sensiblement les mêmes
vêtements aux couleurs brillantes de rouge et de bleu ciel. Ils sont
surtout originaires de Trujillo, de Powenir (en banlieue), de Laredo, de
Chimbote et aussi d'otuzco. Les gitans sont d'abord et avant tout des
danseurs tandis que les noirs sont surtout des chanteurs. Les femmes
sont un peu plus nombreuses dans les groupes de gitans et les
hommes un peu plus nombreux dans les groupes de noirs.
Le détail qui m'a le plus frappé chez les gitans est ce fameux
miroir qu'ils portent tous, hommes et femmes, en plein au milieu du
front. Ce miroir a la forme d'un soleil, ce qui n'est pas sans rappeler
l'ancien objet du culte des Mochicas, présents dans la région, puis des
Incas également présents avant que les Espagnols conquièrent le
Pérou.
" Monsieur Mantiila était très actif dans la municipalité de Laredo dans les années 1970.11 a décidé de former un groupe de gitan original et dans les années qui suivirent, plusieus autres groupes l'imitèrent tout simplenient
4.3.2. Les noirs
Photo no.4
Le défilé des noirs
On aperçoit sur cette photo un des groupes de noirs qui défile très près
de la Vierge. Le visage noir, le chapeau noir et l'habit de jute sont les
principaux éléments du costume.
Dû au fait qu'ils étaient enchaînés à l'origine, le groupe des noirs
se démarque surtout par leurs chants. Les estimations que l'on est en
mesure de faire par rapport à leurs débuts se basent justement sur
leurs chants. Le groupe des noirs n'est pas le plus ancien groupe
participant à la procession, mais il est plus ancien que celui des gitans.
Grâce aux chansons qu'ils chantent toujours et qui se sont
relativement bien conservées, on estime qu'ils sont en fait apparus
vers 1860-6V. À l'époque, les noirs qui étaient encore esclaves, se
battaient pour leur libération. La date du début de la participation des
noirs au pèlerhage correspond à l'application de la loi sur l'esclavage.
Etant croyants et dévots à la Vierge de la Porte, ils lui ont attribué ce
mi racle.
C'est pourquoi maintenant, on peut les voir défiler vêtus de leur
sac de jute retenu par une chaîne. Ils ont aussi souvent une chaîne
aux mains. Dans cette région, contrairement au département de Piura
plus au nord, les noirs sont pratiquement inexistants. Chacun doit donc
se peindre le visage avec du noir à chaussure et ce, au minimum
pendant les deux jours principaux de la fête, soit le 14 et le 15
décembre. Se peindre en noir et en être fier dans un pays où cette
couche de la population est perçue comme la plus basse est très
surprenant.
De plus, un peu comme pour le Sefior de los Milagros à Lima, les
noirs sont ceux qui défilent le plus près de la Vierge. (1s sont un peu
ses protecteurs et ne laissent aucun autre groupe danser près d'elle.
Ceux qui sont près de la Vierge durant la procession marchent a
reculons. Ils chantent et sifflent en marchant à reculons, des chants qui
racontent la gloire de celle qui les a sauvés.
34' EIement emmené par Fidei Horna qui se base sur i'époque de l'acceptation de la loi abolissant, du moins judiciairement, i'exlavage au Pérou.
Voici un exemple de quelques couplets qui sont encore chantés
sur un ton monotone, par les noirs, durant la procession du 15
décembre:
Petite vierge immaculée
tu possèdes mon amour
dans mon cœur bien gardée
je remmène partout où je vais
Petite vierge immaculée
Bénie es-tu Marie
Bénie es-tu chère dame
en ce jour glorieux
Vierge Marie de la Porte
reine de tout le Pérou
aux aveugles tu donnes la vue
aux malades la santé
Vierge mère de la Porte
nous te demandons par grande
nécessité
que le travail ne nous manque
point
c'est l'existence du pauvre
4.3.3. Les autres groupes
Les Collas sont du point de vue du coup d'oeil, les plus
impressionnants. C'est aussi le groupe le plus ancien que I'on
connaisse ayant participé aux festivités. Au tout début, ils portaient
tous des pièces d'argent et d'or, autant sur leur costume que dans leur
coiffure. Ces pièces ont été remplacées par des pièces de monnaies
habituelles. Ils étaient également très organisés. Leur mission était de
rappeler aux gens la capture, et la mort d'Atahualpa. La majorité des
gens croit que le nom Collas venait d'un groupe portant le même nom
et vivant dans la région de Puno. Cependant, à Otuzco, on croit plutôt
que le nom Collas viendrait en fait du nom que portaient les maîtresses
ou femmes d'Atahualpa qui a d'ailleurs été exécuté à Cajamarca à
environ 80 kilomètres au nord dYOtuzco. Aujourd'hui, ce groupe
contient également des hommes et ils s'en tiennent aux chants. Leur
tenue vestimentaire est nettement d'influence inca.
Plusieurs autres groupes folkloriques participent au pèlerinage ou
ont jadis joué un rôle important. Les Huanchaqueras étaient un groupe
de dévotes qui ont participé jusqu'en 1924 aux pèlerinages dYOtuzco.
Elles venaient depuis Huanchaco à dos d'âne. Ce voyage prenait au
moins deux jours puisque Huanchaco est situé un peu plus loin que
Trujillo, sur la côte. II y avait aussi les Caiiasteros qui se consacraient
à danser avec leurs fameuses couronnes de plume paon. Pour ce qui
est des groupes que I'on peut voir présentement, il y a les Pieles rojas
(peaux rouges) apparus depuis peu et qui jouent le rôle de demi-
autochtones, demi-diables. C'est le groupe le plus récent à participer à
la fête puisqu'ils n'y sont que depuis environ trois ans. Ils ont
l'apparence des Incas traditionnels, ils chantent et dansent peu. Du
point de vue esthétique, ils sont toutefois intéressants.
CHAPITRE 5.
ANALYSE DU PÈLERINAGE D'OTUZCO SELON LES ÉLÉMENTS
THÉORIQUES DE DUPRONT
Les quatre caractéristiques du pèlerinage selon Dupront sont
évidemment tirées d'exemples à caractères européens. Le cas
dYOtuzco fait partie de la longue liste de pèlerinages latino-américains
où le syncrétisme religieux donne un mélange culturel de chrétienté et
d'américanisme autochtone. II s'agit donc d'un cas assez typique où le
cadre opératoire de Dupront, même s'il est adéquat, ne suffit pas à
encadrer la totalité des éléments importants du pèlerinage. Ces
éléments suivront donc le cadre théorique qui englobe tout de même la
très grande majorité des caractéristiques dYOtuzco.
5.1. Non-différenciation du sacré et du profane
J'ai remarqué des exemples concrets dont parlait Alphonse
Dupront lorsqu'il traitait de la perception qu'ont les fidèles à l'égard de
la Vierge. La très grande majorité des gens qui participent aux
pèlerinages voient la Vierge comme étant vivante. On lui refait une
beauté à chaque matin. On lui met une nouvelle perruque, on la
débarrasse de toutes les offrandes sur son manteau, on la change de
tenue, on la nettoie tout comme s'il s'agissait d'un être vivant.
Lors de la procession, les porteurs de chaque côté alternent le
ballant l'un après l'autre dans un but tout à fait pratique. Ce
mouvement crée l'impression que la Vierge marche réellement. On
sent vivement que plusieurs personnes sont fortement touchés
lorsqu'elle passe près d'eux. Un autre facteur accentuant le caractère
vivant de la statue et qui était nouveau en cette année 1996 c'est
l'ajout d'un animateur durant tous les événements où la foule était
rassemblée. Lors de la bajada par exemple, un animateur muni d'un
micro et d'énormes amplificateurs parlait de la force et de la gloire de
la Vierge. Entre chaque intervention, il répétait Si, se siente, la
viergen esta presente m. 35
Pour ce qui est de la fête en général, nous pouvons remarquer
que le matin de chaque jour de fête est consacre à la prière en groupe
et à la messe. Comme si le côté religieux organisé avait été repoussé
aux petites heures où peu de gens sont debout. En fait, un peu moins
du tiers des fidèles qui participent au pèlerinage de façon sérieuse et
consciente participe aux activités religieuses matinales.
Pour les peuples occidentaux qui sont surtout chrétiens, la non-
différentiation du sacré et du profane est plus facilement ciblée. C'est-
à-dire que tout ce qui n'est pas chrétien ou qui s'y rapproche en portant
d'autres noms, est profane. Pour les autochtones, le sacré et le
profane font partie du même ensemble religieux. Le sacré agissant
pour le bien et le profane agissant contre le mal.
Dans le cas dYOtuzco, la non-differentiation du sacré et du
profane s'applique très bien au cadre de Dupront en ce sens que tous
Mots espagnol pour : Oui. on le sent, la vierge est présente.
90
les gestes et symboles qui meublent le pèlerinage et qui semblent
profanes, pour nous chrétiens se mêlent avec des gestes et coutumes
typiquement chrétiens hérités des Espagnols. En fait, la religion
chrétienne est davantage détachée de la vie quotidienne que la
croyance d'origine autochtone. La religion populaire est donc
entrelacée et indissociable de la vie quotidienne de la région ; elle en
fait partie. Par exemple, la photo de la Vierge agit comme un fer à
cheval ou une patte de lapin. Elle est croyance populaire en même
temps que croyance institutionnalisée. On l'accroche au rétroviseur, on
porte son médaillon au cou. On lui adresse une prière avant
d'entreprendre un voyage, petit ou grand, etc.
Le sacré et le profane se confondent à l'extérieur du pèlerinage
comme nous venons de le voir mais aussi et surtout durant le
pèlerinage. II existe plusieurs exemples pour illustrer davantage cette
caractéristique. Tout au long de la fête, on peut voir des femmes
pleurer face à la Vierge, on peut entendre des histoires de superstition
qui n'ont rien à voir avec la représentation dogmatique de la religion
catholique.
En fait, la majorité des religions allient un certain nombre de
superstitions avec un culte supposé strictement religieux. " En somme,
la non-différenciation du sacré et du profane touche autant le
pèlerinage que la vie quotidienne hors du pèlerinage. En ce sens, la
non-différenciation n'est que la continuation des habitudes de tous les
jours. Elle est surtout rattachée à la superstition et touche, à l'intérieur
36 La question ici est de savoir ou commence et ou finit le syncrétisme religieux.
91
du pèlerinage, la perception de la Vierge ainsi qu'une partie des
symboles et des rites."
5.2. Immanence du divin
Pour Dupront comme pour Lévi-Strauss, une des fonctions de la
religion populaire est d'approvisionner le groupe en objet, en images et
en adaptations de croyance capable de rapprocher le sacré vers le
commun des mortels. L'importance de voir, de sentir et de toucher la
religion à travers les objets ou les sites sacrés prend tout son sens
dans la religion populaire. C'est ce que Dupront appelle lui-même une
cc nécessite de chair et d'os .(Dupront ; 1987, 91). C'est aussi un
besoin et une exigence de la société que la religion populaire réussit
bien à remplir. Même si la religion populaire est entre autres basée sur
ce besoin, elle est aussi beaucoup plus que cela.
Dans le cas d'otuzco, on croit en l'immanence du divin à cet
endroit pour plusieurs raisons. D'abord, à cause de la légende
miraculeuse de la Vierge qui revenait constamment à la source une
fois la nuit venue. Cet épisode est le premier élément qui est resté très
présent dans l'esprit des gens. Il sert un peu de naissance 1, de la
Vierge. Ensuite, i l y eut l'épisode des deux victoires de guerres. L'une
contre les pirates et la deuxième contre les troupes du général Prado.
Ces épisodes font maintenant partie de la légende à cause de la
participation de la Vierge à la victoire.
Nous pouvons indure dans les rites, tous les efforts qui sont faits pour plaire à la Vierge pour attirer ses faveurs. Par exemple, celui de se déguiser en noir ou en gitan, de protéger la Vierge durant k procession, de lui O& une panoplie de cadeaux, etc.
En troisième lieu, il y a tous les petits épisodes plus récents de
faveurs accordées par la Vierge. On souligne généralement quelques
cas en particulier dont on note soigneusement le nom, la date et
d'autres détails susceptibles d'augmenter la légitimité du cc miracle >S.
Dans chaque brochure, chaque fascicule, chaque programme et
chaque livret qui parte de la Vierge ou de la fête, ces faveurs
accordées sont relatées jusque dans les moindres détails."
De cette façon, ii est pratiquement impossible de douter du
pouvoir de la Vierge. Elle devient définitivement miraculeuse aux yeux
de tous. Ceux qui n'étaient pas au courant de ses exploits récents
augmentent leur croyance. En somme, l'immanence du divin depuis le
début du culte est produite dans ce cas par l'image sacré autant que
par le lieu. L'immanence du divin et l'historique qu'elle comporte,
devient donc la source de la croyance.
-- - -- - - - -
3a Dans le programme du pèlerinage de 1996, on peut lire à la page. ..
93
Photo no. 5
La pharmacie de la Vierge de la Porte
Le nom
plusieurs
pharmacie
sortes se
Porte.
de la Vierge représente
un porte-bonheur. Comme
, plusieurs commerces de
donnent le nom de Vierge
Par exemple, les ventes qui augmentent considérablement durant
le pèlerinage ne sont pas sans attirer bon nombre de gens qui,
autrement, n'auraient pas fait le voyage. Que ce soit les dizaines et les
dizaines de vendeurs de cierges ou de feuillets de programmation ou
de chants, que ce soit les résidents dlOtuzco qui possèdent une
boutique, que ce soit les vendeurs informels qui offrent les chaînes ou
le cirage noir à chaussure dont tout les noirs ont besoin pour se
PC ce'
tout
de
peindre la peau," les vendeuses de sucreries typiques qui multiplient
par dix le chiffre de leurs ventes habituelles, iI y a beaucoup d'argent à
faire avec un tel pèlerinage. Souvent même, les besoins économiques
passent avant cette fameuse vertu que l'on vient aussi chercher dans
le pèlerinage.
A la lumière de ces éléments économiques, on serait porté à
croire que l'immanence du divin à Otuzco, est relative. II semblerait
cependant que malgré les bénéfices hors du religieux comme le pur
plaisir de la fête ou les gains économiques, qu'il est évident pour tous
que le site d'Otuzco est sacré. D'une part parce que la vierge de
l'Immaculée-Conception a choisi de s'y manifester au tout début,
d'autre part, parce que les deux sauvetages favorisés par la Vierge de
la Porte ont suscité une multitudes d'autres miracles reconnus.
L'endroit où se trouve la Vierge est donc légitimé et reconnu comme
étant sacré. II est sacré par le lieu en tant que tel et sacre par la
présence de la Vierge.
Mis a part la manifestation de la Vierge à cet endroit précis et les
deux miracles principaux touchant la communauté entière d'otuzco,
une troisième raison de considérer Otuzco comme sacré selon moi est
l'abondance de pèlerins et de croyants qui participent, ce qui augmente
la crédibilité du culte et du lieu de façon moderne et concrète. Plus il y
a de gens, plus il y a de possibilités de réaliser d'autres miracles qui
contribueront à faire tourner la roue. Nous n'avons qu'à penser à ce qui
-- - -
La grande majorité des gens qui participent comme gitans ou noirs sont en fait des métis de la côte ou des autochtones. Chacun doit donc se peindre le visage.
se produirait si pour une raison ou pour une autre, plus de la moitié des
pèlerins ne se présentaient pas lors de l'une de ces fêtes. La
population en général tendrait à croire que l'cc efficacité a> de la Vierge
diminue.
Quoi que très autochtone dans ses coutumes et dans son
caractère culturel, le pèlerinage d'Otuzco me semble fortement
influencé par son patrimoine religieux relativement récent. Ce
phénomène nous est plus clairement révélé par cette deuxième
caractéristique de Dupront qu'est l'immanence du divin. II est clair pour
les saciologues andins que le sacré vient de l'historique du lieu plus
que tout. Or, dans le cas dYOtuzco, il est certain que cet élément joue
un très grand rôle mais !e sacré dans ce cas-ci vient bel et bien de la
Vierge. Sans la Vierge de la Porte, la place d'armes dYOtuzco
n'attirerait probablement pas de pèlerins. II est certain que le
Cholocday possède une signification spéciale pour la population, mais
il est vu davantage comme un protecteur passif que comme un lieu
sacré proprement dit. II existe bel et bien un mélange de deux sources
de légitimation et de croyances au sujet du pèlerinage dYOtuzco.
La dimension religieuse vient donc davantage de la Vierge, de sa
légende et surtout des miracles dont elle est capable selon les
croyants. C'est surtout cet aspect du divin à Otuzco qui rapproche ce
culte de ses cousins catholiques européens.
5.3. Culture panique
Rappelons d'abord que la culture panique est la folie dont
l'humain est capable lorsqu'il est en groupe. En d'autres mots, un
besoin de déraisonnernent spirituel qui est propre au groupe et à sa
culture et qui est si évident à l'intérieur de la religion populaire.. II existe
une foule de symboles qui piquent la curiosité de quiconque n'est pas
initié et qui font partie de cette fête. Ces symboles se retrouvent dans
les vêtements, les décorations, la musique, les chants, les gestes, les
activités en général et même dans les personnes qui participent à cette
fête. J'expliquerai donc dans cette partie, les symboles les plus
pertinents et les plus révélateurs de la fête en général. Ensuite, je
parlerai des symboles que portent avec eux les différents groupes qui
font partie de la fête d'Otuzco.
La fête dure généralement toute la nuit pour recommencer très
tôt le matin. On peut donc affirmer sans trop se tromper qu'elle est
continuelle du 12 jusqu'au 15 décembre au soir. II y a toujours
quelqu'un pour jouer de la musique dans les rues, ne serait-ce que du
traditionnel tambour et la flûte qui l'accompagne. II y a toujours
passablement de monde dans les rues à toute heure du jour et de la
nuit.
Évidemment, la foule devient suffisamment dense à certains
moments au point que personne ne puisse aller dans quelque direction
que ce soit. Tout cela fait en sorte que l'ambiance qui s'installe dans la
ville est quasi hystérique. Même les gens les plus raisonnables sont
poussés à vivre dans cette ambiance qui les touche jusque dans leur
maison. En effet, presque toutes les maisons d'Otuzco se transforment
en auberge une fois la fête venue. II règne donc une certaine
désorganisation tout au long de la fête. Pratiquement aucun horaire
n'est respecté, certaines activités mineures de la fête sont reportées et
parfois même annulées, d'autres s'y rajoutent.
Chaque sens est sollicité durant la fête qui clôture le pèlerinage.
L'ouïe sert pour la musique presque constante et pour les typiques
couetes qui sont le signe latino-américain que c'est jour de fête.
L'odorat sert pour l'odeur de cierges durant le jour et l'odeur de feu
durant la nuit à cause de tous ces castillos qui brfilent. Le goût sert
pour déguster les fameuses pâtisseries d'otuzco qui sont identifiées
avec le souvenir de la Vierge, même si elles sont confectionnées à
longueur d'année. Le toucher est sollicité précisément lorsque le
pèlerin peut enfin toucher la Vierge après une longue attente de
plusieurs heures. Finalement, la vue qui sert à graver dans sa
mémoire, l'image réelle de la Vierge. Léo Moulin souligne l'importance
des cinq sens dans l'expérience sociale (Moulin; 1975)
La culture panique est omniprésente à Otuzco comme dans la
grande majorité des fêtes, surtout des fêtes religieuses. La dureté de la
vie quotidienne est en proportion inverse avec l'intensité du paniquea lors de la fête. Il semble que le pèlerinage et la fête qui s'ensuit se
40 Dans ce contexte, paniqye est pris au sens ou Dupiont Yentend, c'est-à-dire comme un déraisonnement spmtud propre au groupe et à sa dture.
complètent dans la production de sens pour le pèlerin. Le pèlerin a
autant besoin de religion qu'il a besoin de fête. Les deux servent en fait
à donner du sens à la vie quotidienne. La religion donne du sens plus
abstrait, spirituel et global tandis que la fête sert à décrocher de la
monotonie et de la misère, tout cela dans un but très concret de
célébrer et de vivre les rares excès permis.
Sur la photo suivante, on peut remarquer que la foi touche autant
les autochtones que les métis. En effet, la foule est composée presque
autant d'autochtones des alentours que de métis venus de la côte. On
les voit ici qui prient tous ensemble au milieu des grands cierges qui
brûlent.
Photo no.6 Prières sur la Place d'armes
5.4. Culture de masse
En ce qui concerne cet aspect, la culture religieuse catholique et
la culture autochtone se ressemblent beaucoup. En fait, toutes les
religions ont besoin d'une foule pour avoir l'impression de consensus et
de célébrations (Canetti ;1986). Au risque de me répéter, le pèlerinage
est le plus fidèle exemple, le plus fidèle rassemblement des
caractéristiques religieuses d'un peuple et en particulier de la religion
populaire. Bien qu'il existe des pèlerinages qui s'exercent tout au long
de l'année, on vient généralement chercher davantage qu'une
rencontre avec le sacré.
La rencontre avec ses semblables qui expérimentent les
mêmes sentiments, les mêmes épreuves et les mêmes
questionnements est egalement importante. Pour cette raison, le
pèlerinage est profondément dépendant de la culture de masse. Dans
le cas d'otuzco, l'aspect culture de masse est d'une importance telle
que le pèlerinage devient conditionnel à cette caractéristique. Cette
importance est due au fait que la fête est au centre de cette expérience
pèlerine. Encore ici, la fête, bien qu'elle soit religieuse et dédiée à la
Vierge de la Porte, reste une fête avec son côté célébration du
peuple et cc cassure du quotidien 3). La non-différentiation s'y fait
donc particulièrement sentir.
CONCLUSION : LE PÈLERINAGE D'OTUZCO: UN PHÉNOMÈNE
CULTUREL REPRÉSENTATIF
II est bon de rappeler encore une fois que le pèlerinage est le
plus fidèle représentant de la religion populaire. La religion populaire vit
avec le peuple, elle en fait partie intégrante. Puisque c'est une
institution vivante et qu'elle est si représentative de la culture
religieuse, elle est extrêmement susceptible de changements.
Le mélange de mode et de culture traditionnelle
La mode est un des éléments qui influence beaucoup le pèlerinage.
Puisque le pèlerinage est une institution populaire, il est vivant et vit au
rythme des influences qui le composent et qui changent constamment.
Cela malgré des éléments d'une stabilité impressionnante comme les
légendes qui forment la légitimité du culte ou certains rites qui existent
depuis fort longtemps. À Otuzco, le rite des Collas est un bon exemple.
Comme nous l'avons vu plus haut, les Collas furent parmi les premiers
groupes à figurer à la procession.
La mode musicale affecte également le pèlerinage. Le groupe
folklorique les Kjarkas a composé depuis quelques années, plusieurs
sayas4'qui étaient suffisamment radiophoniques pour être diffusées sur
les postes de radio à la mode et non pas seulement durant les
émissions folkloriques. Plusieurs autres groupes andins se sont donc
mis à composer des sayas. Ce rythme se danse si bien que
'l Musicpe folkbrique au rythme originaire de la jungle bolivienne.
102
groupes de folklore se multiplient. Ce phénomène ne se produit pas à
un rythme effarant mais on peut apercevoir un regain d'intérêt certain
pour les groupes de danse et de musique folklorique. J'ai noté que ce
phénomène était fort, surtout dans le département de La Libertad.
Nous avons ici un exemple de tradition musicale qui a traversé
les modes. I l s'agit du traditionnel tambour et flûte de la région. La
coordination est de mise puisque les deux instruments sont joués
simultanément par la même personne.
Un aspect de la danse qui est également un bon exemple de
tradition qui traverse les modes est la relation et la popularité entre la
marinera et le huayno. Ces danses sont égaiement un exemple sans
pareil du mélange culturel qui existe durant cette fête. En effet, la
marinera et le huayno sont les deux danses les plus populaire à
Otuzco. Elles sont cependant tres différentes et elles ne se côtoient
que très rarement. La marinera est une danse de style très espagnol
qui vient de la côte péruvienne. Elle a deux branches, soit la marinera
limefia (de Lima) et la marinera trujillana (de Trujillo). Otuzco étant
situé près d'un des deux noyaux où l'influence de la marinera est fort
c'est-à-dire Trujillo. li est fort surprenant de voir que I'on danse la
marinera dans les Andes. En fait, je n'ai jamais vu la marinera dansée
ailleurs que sur la côte.
Quant au huayno, il est originaire de la région de Huancayo,
située au sud du département de La libertad. C'est une danse très
autochtone avec beaucoup de zapateo (coup de pied) que I'on a
adaptée puisqu'elle se danse à Otuzco sur la même musique que la
marinera dont on a modifié le rythme. Cette version Otuzcaine du
Huayno se danse également avec le fameux mouchoir normalement
utilisé pour danser la marinera. Cette alternance de huaynos et de
marineras est tres représentative d'Otuzco en ce sens que la grande influence de la côte, représentée par la marinera, se mélange avec la
culture andine représentée par le huayno, qui prédomine normalement
à Otuzco.
II existe aussi le côté vestimentaire de la mode. Voici un exemple
qui explique bien comment le pèlerinage est vivant et comment il
évolue rapidement. En 1991, un chef de groupe de gitans respecte
s'était blessé aux yeux peu avant les festivités. II a donc été obligé de
porter des verres fumés tout au long de la fête pour ménager ses yeux
le plus possible. Cannée suivante, quelques chefs de groupe de gitans
l'ont imité et cet accessoire est bientôt devenu l'accessoire des chefs
de groupes de gitans. À la fête de 1996, près de 90 % des chefs de
groupes de gitans portaient des verres fumés avec leurs costumes.
La mode touche même la Vierge elle-même. En effet, elle avait
l'habitude de porter le traditionnel manteau rouge. Cependant, depuis
environ vingt ans, elle porte de plus en plus souvent des manteaux
d'autres couleurs. Par exemple, durant les festivités de 1996, elle a
porté durant le jour de la procession, un superbe manteau vert clair. Le
lendemain, elle a porté un manteau jaune tout aussi joli. C'était plutôt
surprenant puisque la plupart des images, les statues, les pendentifs
que l'on possède de la Vierge sont encore tous rouges. On ne s'y
attend donc pas.
La fonction thérapeutique en Occident et au Pérou
Que ce soit la croyance au sein de la religion populaire, de la
religion institutionnalisée ou de la croyance en un chaman ou en un
guérisseur, la croyance reste la croyance avec son même pouvoir de
donner un sens à ce qui n'en aurait pas autrement.
La croyance est le moteur du pèlerinage. C'est elle qui donne du
sens aux rites et aux actions symboliques qui ont lieu durant
l'événement. Elle est élaborée selon une histoire propre à chaque
société et elle est perpétuée par la société à mesure que le temps
ajoute de la crédibilité au culte.
Dans la région des Andes, la magie et les croyances
precolornbiennes s'entrecroisent et se fondent avec le 'culte chrétien
pour créer l'omniprésence du syncrétisme religieux. Elles ont une
même fin et font partie d'un même processus de création et de
perpétuation.
Puisque l'efficacité d'une pratique ou d'une autre se trouve
souvent dans la croyance que le fidèle ou le patient possède envers le
guérisseur ou le saint thérapeute, il est tout à fait plausible de penser
que le même mécanisme s'opère dans les deux situations.
En effet, le phénomène de la magie est en quelque sorte,
dépendant du consensus collectif. Sans ce consensus qui produit une
certaine pression sur le groupe et qui, du même coup, règle et stabilise
la vie du groupe, la magie perdrait sa force. Cette croyance en certains
mythes répond à des questions qui ne pourraient trouver de réponse
autrement. Elle réduit donc le stress causé par le non-savoir, le néant
et le non-sens. Elle rend la vie plus acceptable et la souffrance plus
tolérable.
Certaines expériences collectives, comme la guerre par exemple,
peuvent devenir intolérables pour l'humain et sa conscience. Le but de
la construction collective d'un schéma pouvant expliquer ces
expériences négatives est de finir par les tolérer. II n'est donc pas
question pour quiconque de ne pas participer à ces schémas comme
celui de la croyance religieuse.
Pour certaines sociétés traditionnelles, cela signifie la croyance
aux sorciers. Lévi-Strauss démontre bien que l'important dans le
domaine magique n'est pas l'acte magique en tant que tel mais bien
les moteurs te màgiques )B des actions. L'acte magique n'est rien, sans
la source du magique. D'un point de vue plus scientifique, disons que
ces gestes font naître la croyance qui est souvent source de guérison.
Que le patient croit que le chaman se sert de la magie pour guérir ou
qu'il sache que sa croyance en des pouvoirs externes peut l'aider,
l'important dans les deux cas est de croire.42
La société devient alors collaboratrice du guérisseur et, en
échange, ce dernier lui fournit une satisfaction créée par un système
qui donne au groupe la vérité, leur vérité : le sens.
L'attitude du groupe est plus importante que les échecs et les
succès du sorcier aux yeux de la reconnaissance du malade. La même
chose vaut pour le saint thérapeute. Pour cette raison, les fois où les
requêtes ont échouées ont peu d'importance. C'est la population qui
décide en quelque sorte si le saint thérapeute ou le guérisseur est
efficace.
La reconstruction d'une partie de la vérité par le groupe pour la
survie sains des esprits qui le composent fait en sorte que tous y - -
rai effectivement remarguer que plusieurs personnes durant le pèlerinage sont convaincues que c'est la foi qu'ils ont en la vierge qui les sauvera ou qui fixa en sorte que leun faveurs seront accordés. Ils sont très conscients que la vierge ne peut rien pour eux si iis n'y croient pas.
croient et que tous veulent y croire. C'est ce que Lévi-Strauss appelle
le processus de reconnaissance ou le consensus social. Le fait de ne
pas croire constituerait une attaque contre le groupe, une attaque
contre le bon fonctionnement spirituel et moral du groupe. Voilà
pourquoi ce système se maintient par lui-même. Le sorcier ou le saint
thérapeute n'ont même pas besoin de se justifier tellement le groupe
veut croire en lui. On a besoin d'eux pour constamment faire tenir en
place les morceaux du casse-tête reconstitué.
Ce sont les représentations que le chaman véhicule qui
déterminent la modification des fonctions organiques. Chaque individu
accumule ses expériences antérieures et les organise dans une
structure particulière remplie de lois, qui brouillent la réalité. Ici, la
structure est beaucoup plus importante que le vocabulaire.
L'homme exige de la croyance qu'elle lui fournisse un système
de référence. La valeur dépendra du sentiment de sécurité et de
satisfaction apportée au groupe. J'ajouterai que puisque la pensée
magique peut se comparer à la religion populaire, celle-ci a la même
fonction de fournir un système de référence. De plus, le pèlerinage
joue le même rôle que la cure chamanique en répondant à une
demande par l'entremise du saint thérapeute. En fait, l'univers du
groupe est reconstruit et réaffirmé à chaque cure ou encore à chaque
pèlerinage ou les faveurs ont été accordées.
La pensée magique nous paraît incongrue parce qu'elle cherche
à faire tenir ensemble des éléments qui ne tiendraient pas dans une
structure dite logique. Elle a du sens pour une société qui veut y croire
mais non pour une autre. En somme, la pensée magique ou le
système de référence religieux qui prévaut dans une société peut
paraître tout à fait insensé pour une société voisine parce qu'elle ne
possède pas le même système de référence.
Le fidèle comme le patient ont tous deux besoin de voir l'objet de
leur croyance. Que ce soit le guérisseur ou le saint thérapeute, le
besoin de visualiser la religion est primordial.
La satisfaction intellectuelle peut être fournie par le guérisseur
comme par le saint thérapeute. La visualisation de l'objet de croyance
compte parmi les éléments de la satisfaction religieuse. Dans les deux
cas, la source ou I'objet de la croyance, ( il s'agit ici du saint ou du
guérisseur), ne sont que des accessoires dans le processus de
croyance. Dans la religion populaire, c'est en fait le groupe qui
organise sa croyance. Le saint ou le guérisseur en restent le centre
mais demeurent tout à fait passifs. A la merci de la réussite de ce
qu'on leur demande mais le plus souvent des signes ou des symboles
que personne ne contrôle et, surtout, de l'interprétation qu'on en fera.
On est également en mesure de noter un peu partout dans le monde
qu'une situation économique défavorable joue en faveur du saint
thérapeute ou du guérisseur.
La seule différence importante entre les deux thérapeutes est le
rôle davantage actif du guérisseur. II donne des explications au groupe
contrairement à la statue sacrée qui ne parie pas. Le groupe joue donc
un rôle d'interprétation beaucoup plus grand dans le cas du saint
thérapeute.
La place du pèlerinage d90tuzco par rapport aux pèlerinages
andins, latino-américains et européens
Comme nous avons vu plus tôt, Otuzco possède très
certainement des caractéristiques tout à fait andines. Toutefois, sa
situation géoculturelle, l'importance du culte et son histoire font
ressortir plusieurs éléments qui placent le cas d'Otuzco assez près des
pèlerinages européens. Le but de ce mémoire n'est évidemment pas
de donner une étiquette à ce pèlerinage. Par contre, il est intéressant
de classer les différents éléments qui font dYOtuzco un pèlerinage tout
à fait syncrétique. Selon moi, ce cas particulier représente un exemple
très balancé de syncrétisme religieux.
Dans leur cadre local respectif, les sites de pèlerinages important
tendent à émerger et à se développer de façon distinctive du saint
patron ou de la sainte patronne.
Cet exemple de caractéristiques du pèlerinage andin démontre
une fois de plus qu'otuzco n'est pas uniquement tournée vers ses
racines précolombiennes lorsqu'il s'agit de puiser dans ressources
culturelies. Par exemple, la Vierge de la Porte est bel et bien l'objet de
culte. Deuxièmement, l'emplacement du haut lieu saint se situe dans
l'église même et non pas dans la nature près d'un lac ou d'une
montagne sacrée. Troisièmement, il y a bel et bien des activités hors
du sentier religieux prescrit ainsi que des croyances reconnues comme
étant hors des doctrines catholiques, mais la proximité des autorités
religieuses chrétiennes tout comme le déroulement général de la fête
fait avantage référence au catholicisme qu'aux traditions typiquement
andines.
Un des buts importants de ce mémoire, tout comme son titre
l'indique, est d'attirer l'attention sur le sens de la vie et de la
quotidienneté qui est donné partiellement mais tout de même de façon
importante, par le pèlerinage même. Peu importe certaines
ressemblances avec le culte catholique lui-même ou avec les
traditions religieuses précolombiennes, l'important est la fonction de
production de sens que remplit le pèlerinage. Cette fonction peut très
bien se produire à travers un pèlen'nage, que se soit dans la foi
catholique ou animiste, en autant que la croyance soit présente.
Comme nous l'avons déjà exposé pour le cas dlOtuzco, la
croyance prend sa source davantage dans la foi catholique. Des
indices comme l'emplacement du centre du culte (l'église ou locus
sacral), l'importance de la Vierge et de ses images ( ou imago selon
Dupront ) et des messes. Par contre, la légende des débuts magiques
de la Vierge, le grand respect du peuple pour le Chologday, protecteur
naturel du village et souvent mentionné dans les textes religieux ainsi
que la présence non négligeable d'autochtones participants au
pèlerinage ou même à la procession nous rappelle qu'il y a plus que le
catholicisme institutionnel lors de cet événement.
Je
coupure
me dois de mentionner l'importance sociale du pèlerinage et la
concrète du quotidien qu'un tel événement représente pour un
fidèle. II s'agit d'un aspect important du pèlerinage et qui le deviendra
sans doute encore plus avec les années. Effectivement, on remarque
en consultant les horaires de fêtes des années passées, que les
compétitions sportives ainsi que les danses qui ont lieu chaque soir ont
prit énormément d'importance par rapport au but principal qui est de
visiter la Vierge et de s'abandonner aux dévotions en lui demandant
des faveurs ou en la remerciant.
Malgré tout, la bajada et la grande procession sont les activités
principales et elles le resteront sans doute pour plusieurs décennies
même si le côté social du pèlerinage qui s'est développé durant le
dernier quart de siècle, est appelé à se développer encore davantage.
Puisque la religion populaire est le résultat de la croyance, la suwie du
pèlerinage comme producteur de sens est assurée.
En fait, le pèlerinage peut rendre service de deux façons.
D'abord, il agit pour les pèlerins comme une source de croyance
fournie à travers le saint ou la sainte qu'ils viennent visiter ou adorer.
Cette croyance est probablement la source de plusieurs guérisons
physiques ou mentales. Ensuite, le pèlerinage produit pour tous ceux
qui y croient, un sens à la vie et une coupure dans leur quotidien. De
plus, le pèlerinage latino-américain représente une excellente
mosaïque d'éléments qui forme un tout et qui est le seul à pouvoir
exprimer la culture ambiante de façon si évidente.
Index des auteurs
Adams, Walter Randofph: 41.
Arnold, Pierre: 14.
Berger,Peter: 22.
Canetti, Elias: 100.
Crumrine, Ross et Monnis, Alan: 7,9,30,34-41,44,45,51,54.
Dupront, Alphonse: 5,8,1 1-13,15,20,24-28,39,52,54,86190,92,96,1 11.
Durkheim, Émile: 45.
Harvey, H.R.: 37,40.
Homa Cortijo, Fidel Honorato: 59,60,65,86.
Lee Nolan, Mary: 50,60.
Lévi-Strauss, Claude: 26,80,92,107,108.
Millones, Luis: 30, 44.
Moulin, Léo: 98.
Sallnow, Michael J.: 6,9,10,31-33,36,47,48,51,52,54.
Zylberberg, Jacques: 67.
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Zylberberg, Jacques : Social Compass, 90, 1.
Documents divers
J'ai également utilisé une série de documents n'ayant pas d'auteurs particuliers ni de maison d'éditions si ce n'est que quelques commanditaires. Les titres de ces fascicules sont les suivants:
lnmaculada Viruen de la Puerta: Bodas de Oro de su Coronacion Canon ica: Prog rama oficial.
Programa general; Gran feria regional 1996 en honor a la lnmaculada Virgen de la puerta.
Vamos cantando al Sefior.
Otuzco capital de la fe y la feria regional del norte 1996.
2/ & Sb-
O 1993. Applied Image. Inc. All Rlghts Rese-