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Remerciements 

Lorsque j’ai décidé d’entreprendre cette incursion dans le monde des Lettres, j’ai eu la

chance de rencontrer Véronique Adam qui a su comprendre mes motivations et me

proposer un parcours qui en tienne compte. Depuis, elle a toujours répondu avec

bienveillance (et rapidité !) à mes sollicitations notamment en période de doute profond…

me donnant l’énergie (et des pistes de réflexion) pour continuer. Sans elle, les multiples

contraintes et priorités qui ont jalonné mon parcours auraient eu raison de ma volonté…

Mme Adam, je tiens à vous exprimer l’expression de ma plus profonde reconnaissance.

Je remercie Françoise Lévrier pour avoir accepté de participer à ce jury malgré toutes

les contraintes qui sont survenues. Tristan L’Hermite serait un bon terrain d’étude (aussi !)

pour l’usage des verbes support… Dans les Plaidoyers historiques par exemple, plusieurs

occurrences de « faire + GN » se rencontrent : faire acquisition, besoin, coutume, dessein,

droit, estime, relation, rencontre, satisfaction, vanité.

Ces années sur les « bancs de la fac » ont été l’occasion de découvrir des auteurs certes,

mais aussi des enseignants chercheurs passionnés, capables de transmettre le goût et

l’envie de lire. Combien de fois, au sortir de la fac, ai-je fait un détour par la librairie ou la

bibliothèque ! Olivier Guerrier fait partie de ces personnes.

M. Guerrier, je vous remercie sincèrement d’avoir accepté de changer de siècle le temps

de cette présentation.

Merci à mes collègues de l’IUT, Jean-Marie, Charles et Sylvain qui m’ont donné du

temps…

Et une pensée affectueuse à Frédéric et Marion qui ont suivi (subi ?) au quotidien cet

« été avec Tristan ».

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Sommaire 

Introduction

I – La question des lieux

1. Préambule méthodologique

2. Typologie des lieux

II – Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

1. Éléments de synthèse

2. Un espace fragmenté et liminaire

3. Fermeture et resserrement de l’espace

4. Les fonctionnalités des espaces

III – Espace tristanien et genres

1. Littérature géographique et genre

2. Les lieux dans trois tragédies de Tristan

Conclusion

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« Transformer le Temps vécu en Espace vivant »

François Cheng Vide et Plein

Introduction 

L’espace et le temps se déploient dans un rapport d’interaction perpétuel. Mikhaïl

Bakhtine nomme chronotope « cette corrélation essentielle des rapports spatio-temporels,

telle qu’elle a été assimilée par la littérature1 ». Cependant, il semble que longtemps

l’examen de l’espace ait été inféodé à celui du temps. Le temps a fait l’objet de

nombreuses réflexions et analyses dans des récits de fiction2. Le lien entre littérature et

histoire est fréquemment invoqué. Si l’on parle de roman historique, a contrario, le roman

géographique n’est pas un genre proprement dit et littérature et géographie n’ont été que

trop rarement mises en relation3. Il faut attendre le milieu du XXe siècle pour que les

données de la perception et de la représentation de l’espace-temps se modifient. En effet,

ce n’est que dans les années 1970 que s’opère un réel spatial turn qui abroge la place

subalterne attribuée à l’espace dans la théorie esthétique. Joseph Frank souligne la façon

dont les œuvres du XXe siècle ont rejeté l’organisation temporelle comme principe

directeur :

1 Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Collection tel, Gallimard, 1987, p. 237. 2 En particulier Gérard Genette (Figures I, Paris, Éd. du Seuil, 1966) et Paul Ricœur (Temps et récit, Paris, Éd. du Seuil, 1983). 3 Notamment par les récits de voyage ; un des premiers est d’ailleurs cité par Tristan L’Hermite, li divisament dou monde de Marco Polo, écrit en 1298.

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Introduction

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Modern literary, exemplified by such writers as T.S. Eliot, Ezra Pound, Marcel Proust and James Joyce, is moving in the direction of spatial form. This means that the reader is intended to apprehend their work spatially, in a moment of time, rather than as a sequence.4

Ces « formes spatiales 5» et l’imaginaire géographique ont ainsi su mettre en avant la

dimension spatiale du chronotope.

La théorie de l’espace et ses modalités de représentation se sont alors rationalisées ; la

conjonction de travaux de philosophes comme Gilles Deleuze et de comparatistes a

notamment permis de faire émerger la notion de géocritique pour proposer un modèle

conceptuel de lecture des espaces et de leurs représentations artistiques6. La géocritique est

centrée sur un lieu. Elle étudie les différents points de vue et les évolutions se rapportant à

ce lieu dans les œuvres littéraires, mais aussi leurs interactions mutuelles7. Les études,

cependant, se sont focalisées essentiellement sur des œuvres romanesques modernes

comme l’écrit Isabelle Daunais dans « L'étendue : matière et question du roman » : « On

pourrait multiplier, des débuts du roman à l’époque des Temps modernes jusqu’à

aujourd’hui, les exemples de ces surfaces en attente de parcours –villes, pays, continents–

qui s’offrent, au départ d’un roman, comme même de l’aventure des personnages8 ». Cette

focalisation s’explique peut-être parce que l’on s’accorde à penser que c’est avec la

seconde guerre mondiale et la mise en place de frontières non naturelles et de nouveaux

territoires, que la notion d’espace a pris sa réelle signification ; peut-être aussi parce que le

roman a plus fréquemment recours à la description de lieux et à la manière dont ils sont

habités9.

Toutefois, d’autres époques sont aussi propices à l’investigation géographique. Les

traités des cosmographes de la Renaissance tel André Thevet ou les relations de voyages

d’écrivains géographes malgré eux comme Cabeza de Vaca offrent une littérature où

l’espace occupe une dimension à part entière et justifient le questionnement d’une écriture

géographique. Le XXe siècle n’a donc pas la primeur de la découverte de l’espace et

4 Joseph Frank, The Idea of Spatial Form, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1991, p. 10. 5 Joseph Frank, « Spatial Form: An Answer to Critics », Critical Inquiry, Vol. 4, No. 2, 1977, p. 231-252 6 Michel Collot, « Pour une géographie littéraire », Fabula-LhT, n° 8, « Le partage des disciplines », mai 2011, URL : http://www.fabula.org/lht/8/collot.html. 7 Bertrand Westphal, La Géocritique, Paris, Éditions de Minuit, 2007. 8 Isabelle Daunais, « L’étendue : matière et question du roman », Topographies romanesques sous la direction de Audrey Camus et Rachel Bouvet, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Collection « Interférences », 2011, p.96. 9 Christiane Lahaie, « Entre géographie et littérature : la question du lieu et de la mimèsis », Cahiers de géographie du Québec, vol. 52, n° 147, 2008, p. 440.

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Introduction

7

l’imaginaire géographique peut s’appréhender autant par la lecture du démiurge Alain

Gheerbrant que par celle de Jean de Léry.

Les Principes de cosmographie de Tristan L’Hermite, publiés en 1637, participent de

cette écriture géographique. Le traité comprend une description complète qui énumère les

différentes parties du monde, en particulier celles récemment découvertes. Cependant, ce

n’est pas ce que retiendra Napoléon-Maurice Bernardin dans sa biographie de Tristan qui

n’évoque que très brièvement ce traité et lui préfère l’image de poète disgracié :

Mais le poète, qui croyait à l'influence des astres, répétait avec mélancolie qu'il était né sous une mauvaise étoile, et il est certain que jamais la Fortune ne se joua plus impitoyablement d'un homme.10

Ce n’est pas non plus dans cette œuvre que Tristan parvient à « créer un rapport ouvert de

réciprocité entre le sujet et le monde objectif », à « transformer le Temps vécu en Espace

vivant 11». Les éléments géographiques semblent plus « habités », « vécus » dans d’autres

œuvres telles Le Page disgracié et les Plaidoyers historiques. Les chronotopes de la route,

du seuil ou bien encore de la rencontre jalonnent la narration, dévoilant un auteur souvent

géopoéticien12.

Pourquoi étudier l’espace ? Quelles clés de lecture peut nous amener une telle étude ?

Pour Paul Smethurst « the form of space and time in the novel, the chronotope, can tell us

something about how an author has arranged representational space to convey

conceptions and anxieties about space and time in society13 ». Les formes spatiales

permettraient de transmettre la vision et les craintes de l’auteur ; elles seraient une forme

de communication pour découvrir le monde extérieur mais aussi, peut-être, le monde

intérieur14.

Cela rejoint le point de vue de Michel Collot pour qui « la vision du paysage n'est pas

seulement esthétique, mais aussi lyrique, car l'homme investit dans sa relation à l'espace les

grandes directions significatives de son existence15 ». La recherche du lien entre les

10 Napoléon-Maurice Bernardin, Un précurseur de Racine Tristan L’Hermite sieur du Solier (1601-1655), sa famille, sa vie, ses œuvres, Paris, Alphonse Picard et Fils éditeurs, 1895, p. 573. 11 François Cheng, Vide et Plein : le langage pictural chinois, Seuil, 1991, p. 47. 12 La géopéoetique de Kenneth White (http://www.kennethwhite.org/geopoetique/) cherche à souligner l’existence d’une « pensée géographique », d’une écriture investissant l’espace sur la base d’un rapport sensoriel au lieu. 13 Paul Smethurst, The Postmodern Chronotype: Reading Space and Time in Contemporary Fiction, Amsterdam, Rodopi, 2000, p. 62. 14 Bertrand Levy, « Géographie et littérature. Une synthèse historique », Le Globe, 2006, t. 146, p. 25-52. 15 Michel Collot « Points de vue sur la perception des paysages », Espace géographique, tome 15 n° 3, 1986, p. 215.

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Introduction

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espaces produits par le texte et la conception du monde de Tristan permettrait de proposer

une nouvelle lecture dans laquelle action et discours seraient décentrés et qui s’enrichirait

d’un nouveau paramètre, l’espace et sa sémantique.

Nous faisons l’hypothèse qu’il existe, dans l’œuvre de Tristan, une caractérisation

récurrente des lieux qui amène à la construction d’une géographie, certainement

imaginaire, propre à l’auteur. Lieu, espace, paysage sont nécessaires pour se référer au

monde perçu et le sens que les critiques contemporains leur attribuent pourrait nous ouvrir

l’horizon des œuvres de Tristan. Nous nous proposons donc de nous appuyer sur

différentes critiques, héritières du spatial turn, pour éviter de verser dans une distinction

dichotomique entre les deux principaux topoi, locus amoenus, lieu de plaisance, et locus

terribilis, lieu d’effroi, désert de sable et montagne escarpée. Une analyse statistique des

termes relatifs aux lieux s’adosse également à l’étude stylistique. Les données statistiques

ont permis notamment de connaître la fréquence des toponymes, les zones géographiques

ciblées et de construire un réseau de caractérisants. Trois œuvres sont étudiées en

particulier : les Principes de cosmographie16, les Plaidoyers historiques17 et Le Page

disgracié18. Ce sont trois des quatre œuvres en prose de Tristan. Nous n’avons pas retenu

les Lettres mêlées non pas à cause de leur caractère épistolaire mais plutôt parce qu’elles

nous semblaient très disparates et peu empreintes de repères. Elles sont en effet constituées

d’un mélange d’éloges détaillés de personnalités, de lettres de consolation, de lettres

amoureuses et de lettres héroïques. De plus, aucune lettre n’est datée, le lieu d’expédition

est peu souvent indiqué et les destinataires dissimulés. Pour cerner l’appréhension de

l’espace par Tristan, un inventaire des lieux parcourus par le Page et les personnages des

plaidoyers s’impose. Ces lieux ainsi répertoriés conduisent à une typologie : lieu sauvage,

lieu habité, lieu culturel, lieu recentré et clos, …

16 Tristan L’Hermite, Principes de cosmographie, Œuvres complètes, tome II, édition critique de Françoise Graziani sous la direction de Jean-Pierre Chauveau, Paris, H. Champion, 2002, p. 427-527. Dans la suite, l’édition de référence est celle de Françoise Graziani. Nous indiquons d’abord le nom de l’œuvre abrégé cosmo puis le numéro de page. 17 Tristan L’Hermite, Plaidoyers historiques, Œuvres complètes, tome V, édition critique d’Anne Tournon sous la direction de Roger Guichemerre, Paris, H. Champion, 1999, p. 337-490. Dans la suite, l’édition de référence est celle d’Anne Tournon. Nous indiquons d’abord le nom de l’œuvre abrégé Plaid. puis le numéro de page. 18 Tristan L’Hermite, Le Page disgracié, édition Jacques Prévot, Paris, Gallimard, 1994. Dans la suite, l’édition de référence est celle de Jacques Prévot. Nous indiquons d’abord le nom de l’œuvre abrégé Page, la partie, le chapitre et enfin le numéro de page.

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Introduction

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Ces différents types de lieux participent à la construction d’espaces. Nous verrons s’ils

tendent vers une géographie référentielle ou vers une spatialisation imaginaire. L’espace,

en particulier lorsqu’il s’agit d’un espace intime, semble avoir une fonction déterminée.

Enfin, nous nous interrogerons sur la généricité en tentant d’appliquer nos hypothèses

sur plusieurs œuvres théâtrales de l’auteur. L’extension à trois tragédies nous permettra de

vérifier si l’écriture géographique de Tristan peut se généraliser ou si elle reste spécifique à

un genre. Bien qu’inspirée des travaux de Bertrand Westphal, cette étude n’est cependant

pas purement géocritique ; il faudrait pour cela comparer d’autres œuvres de la première

moitié du XVIIe siècle qui se dérouleraient dans les mêmes types de lieux pour mettre en

évidence des façons communes d’occuper l’espace.

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« Affronter l’espace, c’est donc aller à la rencontre d’une énigme, ailleurs, au-delà des limites du territoire maîtrisable. C’est partir pour soulever le voile qui couvre un mystère. »

Bertrand Westphal Le Monde plausible : Espace, lieu, carte

I – La question des lieux 

Pour « affronter l’espace tristanien » et aller à la rencontre de différents types d’espace

possibles, un repérage précis de tous les lieux s’impose, que ces derniers soient parcourus

ou juste imaginés, décrits ou simplement cités. C’est à partir de cet inventaire que nous

tentons ensuite de construire une typologie commune aux trois œuvres étudiées et à trois

niveaux de granularité. Cependant, il convient auparavant de présenter les concepts et

méthodes utilisés.

1. Préambule méthodologique 

L’originalité de cette étude pourrait se trouver dans la pluralité de l’approche. En effet,

nous nous basons sur des théories issues du domaine littéraire et nous utilisons également

des outils informatiques et linguistiques afin de travailler sur des données statistiques.

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La question des lieux

11

1.1 Terminologie géographique 

Lieu, espace, paysage, horizon… autant de termes nécessaires pour se référer au monde

perçu, pour décrire la terre et donc pour la géographie19. Cette dernière est d’abord

cartographique, avec mappemondes et projections de Mercator… Elle est également

textuelle. En quarante ans, de nombreux termes ont été proposés par les philosophes,

littéraires et géographes pour décrire l’espace avec parfois des interprétations différentes

(comme par exemple pour le « third space »). Aussi la terminologie employée dans cette

étude mérite-t-elle d’être précisée.

1.1.1 Lieu, espace, étendue, paysage 

Pour qualifier les espaces perceptibles, Bertrand Westphal propose deux approches :

« l’une serait plutôt abstraite, l’autre davantage concrète ; la première embrasserait

l’espace conceptuel, la seconde le lieu factuel20 ».

En nous basant sur cette approche, nous dirons qu’un lieu est pris dans le sens de

« place », c’est-à-dire un endroit terrestre spécifique, délimité topographiquement. Il est

concret et unique. Le géographe Mario Bédard rejoint ce point de vue :

Au contraire d’un espace, le lieu, donné, n’est pas un construit idéel. Il est un support précis et délimité, un instituant matériel spatialisé qui se situe à un croisement d’abscisses et d’ordonnées géodésiques grâce auxquelles on peut lui attribuer des coordonnées longitudinales et latitudinales.21

Nous essaierons de repérer le lieu, comme espace « réalisé » dans le texte, par son

toponyme réel ou fictif mais pas seulement car on pourra aussi le relier à une paraphrase ou

un qualifiant. Le lieu par excellence dans notre corpus d’étude est la ville ; elle représente

l’espace habité. On trouve cependant d’autres lieux comme la forêt ou la rive. La

dimension symbolique d’un lieu peut l’amener à devenir un haut-lieu :

Produit social fait de pierre et de terre, un lieu est dit ou devient haut-lieu en égard à l’imaginaire qu’il suscite et à la symbolique qu’on lui reconnaît. De fait, nous qualifions le haut-lieu de concrétion d’espace-temps et d’artifice de condensation.22

Les lieux de mémoire, les lieux exemplaires et les lieux du cœur sont des hauts-lieux. Un

lieu de mémoire a une valeur symbolique nationale, religieuse ou culturelle. Il est le témoin

de ce qui a été et qui est toujours, tel Pompéi ou la tombe du Soldat inconnu. Un lieu

exemplaire est témoin de ce qui est et qui va être. Mario Bédard donne l’exemple de Brest

19 Étymologiquement la géographie consiste en la description (graphen) de la terre (geox). 20 Bertrand Westphal, op. cit., p. 15. 21 Mario Bédard, . «Une typologie du haut-lieu, ou la quadrature d'un géosymbole», Cahiers de Géographie du Québec, vol. 46, n° 127, 2002, p. 51. 22 Ibid., p. 51-52.

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La question des lieux

12

dont le réaménagement témoigne d’une vocation maritime mêlée à une volonté de

modernité. Le lieu du cœur renvoie au sentiment identitaire et très souvent à l’origine.

Si le lieu est un endroit que l’on peut situer et dont on s’approprierait le contenu,

l’espace serait, quant à lui, ouvert, « d’avant le regard ». Ce terme prend alors un sens plus

abstrait, plus général voire générique. Un espace peut se construire par la superposition ou

l’agrégation de lieux : l’espace urbain se construirait à partir des traits récurrents trouvés

dans les villes. Un espace peut alors être utopique et ne faire référence à aucun lieu réel,

tels ces «espaces autres» évoqués par Michel Foucault. Les utopies « sont les

emplacements sans lieu réel. Ce sont les emplacements qui entretiennent avec 1’espace

réel de la société un rapport général d’analogie directe ou inversée. C’est la société elle-

même perfectionnée ou c’est l’envers de la société, mais, de toute façon, ces utopies sont

des espaces qui sont fondamentalement essentiellement irréels23 ». L’espace utopique par

excellence pour le Page serait l’espace offert par la lecture, placé en marge des lieux

socialisés, comme le suggèrent les livres omniprésents du cabinet anglais, de Poitiers et de

Bordeaux24 ainsi que la lecture obsessionnelle (« Je passais les jours et les nuits sur ses

livres, que je ne croyais jamais pouvoir posséder assez longtemps pour en faire des

collections à ma fantaisie25 »). La mémoire du Page constitue un espace lui-même utopique

(« ma mémoire me servait de bibliothèque portative26 »). Elle représente l’espace-refuge,

un espace sans dimension dans lequel tous les voyages sont possibles :

[Je] ne songeai plus qu’à lire dans des livres de géographie et de divers voyages, pour considérer là-dedans la température des climats et la nature et coutume des peuples, que je me proposais d’aller visiter avec mon docte guide, quand il serait venu me reprendre là, selon ses serments.27

Isabelle Daunais parle d’étendue, « plus déterminée que l’espace puisqu’elle relève de la

perception et suppose donc un point de vue, la présence d’un observateur qui en prend la

mesure28 ».

Dans la suite, nous retiendrons le terme « espace » ou « space » plutôt qu’étendue et

retiendrons la notion de point de vue plutôt pour les paysages. En effet, le paysage engage

la question du regard sur une portion d’espace. La notion de paysage sera employée dans

23 Michel Foucault, «Des Espaces Autres», Architecture, Mouvement, Continuité. vol. 5, 1984, p. 46-49. 24 On lui «fit faire une clef pour entrer quand bon [lui] semblerait dans un cabinet plein de beaux livres» (Page, II, XX, p. 190) ; on lui «achet[a] les livres les plus curieux qui traitent de cette matière» (Page, II, XL, p. 233) 25 Tristan L’Hermite, Page, op. cit., II, XXI, p. 192 (nous soulignons) : il est chez Scévole de Sainte-Marthe. 26 Ibid., Page, II, XLVI, p. 242. 27 Ibid., Page, I, XXIII, p. 81-82. 28 Isabelle Daunais, op. cit., p. 96-97.

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La question des lieux

13

le sens contemporain29, l’observation d’un lieu selon un point de vue30. Le paysage

implique une part de subjectivité, celle que tout regard porte sur le lieu. Il doit être vu,

écouté, senti pour être restitué. C’est en quelque sorte l’espace vécu proposé dans la

taxinomie d’Henri Lefebvre. Ce dernier distingue trois types d’espaces. L’« espace conçu »

est celui pensé par les aménageurs, les urbanistes. L’espace dans lequel nous évoluons, qui

fait appel à nos sens, est l’« espace perçu ». Enfin, l’« espace vécu » est « constitué par les

espaces de représentation, autrement dit tous les espaces vécus à travers les images et les

symboles qui l’accompagnent31 ». Il implique un travail poétique au sens de Jean Roudaut :

« Le travail poétique fait être en nommant ; il donne naissance32 ». Dans le roman de

Tristan, on peut déjà noter que, s’il y a beaucoup de lieux, les paysages sont en revanche

moins nombreux. Beaucoup d’endroits ne sont que survolés. Lorsqu’il s’attarde, le regard

est sélectif, tel un prisme qui estomperait certains éléments. Tout se passe comme si

Tristan construisait une sorte de décor autour d’un point de détail, voire d’un objet ou

d’une personne. Le regard se focalise sur des paysages parcellaires, sans recherche

d’exhaustivité. Le « tout » n’est pas restitué, il est à reconstruire, à réorganiser à partir de

ces parties. Paradoxalement, l’auteur parvient à donner un sentiment géographique33 à son

œuvre, sans écriture géographique à proprement parler.

Si l’on peut caractériser l’espace selon sa relation avec les lieux, une autre approche

consiste à caractériser l’espace à partir de son degré de territorialité, d’appropriation. Ainsi,

Gilles Deleuze et Félix Guattari opèrent une comparaison entre espace lisse (espace

nomade) dans lequel la ligne est un vecteur, une direction et espace strié (espace

sédentaire) métrique et hiérarchisé qui mène d’un point à un autre. Ils s’intéressent aux

relations et modifications de l’un vers l’autre : la mer est donnée comme exemple d’espace

lisse, qui cependant a subi progressivement un striage. L’espace lisse, de l’immédiateté et

du contact, est associé à une perception haptique :

Ce qui occupe l’espace lisse, ce sont les intensités, les vents et les bruits, les forces et les qualités tactiles et sonores, comme dans le désert, la steppe ou les glaces […] Ce qui

29 Et non dans le sens classique de tableau : « se dit aussi des tableaux où sont représentées quelques vues de maisons, ou de campagnes. Les vues des maisons royales sont peintes en paysages à Fontainebleau et ailleurs » (Furetière). 30 Michel Collot, op. cit. Pour définir le paysage, l’auteur retient l’idée de point de vue, celle de partie, et celle d’unité ou d’ensemble. 31 Henri Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000, p. 49. 32 Bertrand Westphal, op. cit., p. 129. 33 Pour Michel Chaillou, « pressentir un espace, des sites à reconnaître de mémoire, c’est cela le sentiment géographique, sentiment que toute rêverie apporte sa terre », Le Sentiment géographique, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1989.

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La question des lieux

14

couvre au contraire l’espace strié, c’est le ciel comme mesure et les qualités visuelles mesurables qui en découlent. 34

Dans Mille plateaux, la tension entre espace lisse et espace strié est illustrée en politique à

travers le lien de l’État à la guerre et les questions de déterritorialisation. Nous pourrions

essayer de repérer les espaces striés, centralisés et délimités, dans les textes de Tristan et

vérifier s’ils correspondent à des zones d’influence c’est-à-dire à un lieu où s’exercerait un

pouvoir militaire, politique, religieux ou économique.

1.1.2 Le limen : transgressivité et horizon 

Le lieu serait espace strié alors que l’espace ouvert, non encore perçu serait espace lisse.

Entre les deux, pourrait s’insérer une troisième sorte d’espace, l’espace de contact ou tiers

espace. Le repérage de ce type d’espace, nous paraît important car c’est l’espace de

l’hétérogénéité, où l’on passe de quelque chose à autre chose. Selon Bertrand Westphal,

« le tiers espace est la formulation spatiale de la transgressivité, qui est elle-même un

passage (une transition, etc) et un défi à la norme établie ». Ces lieux pourraient être ceux

où il n’y a plus à se plier aux servitudes de la cour, car comme l’écrit Marc Fumaroli :

Pour Tristan, la « vie en poésie », vie contemplative et peu lucrative, est le dernier refuge du « vivre noblement » contre l’esclavage et les passions basses de la société de Cour.35

Le tiers espace serait comme une frontière poreuse qui relèverait du seuil (limen) et non

de la frontière étanche (limes). Il permettrait le franchissement libre et la mise en contact

de zones hétérogènes. L’espace liminal à traverser semble se rapprocher du chronotope du

seuil de Bakhtine :

En littérature, le chronotope du seuil est toujours métaphorique et symbolique, parfois sous une forme explicite, mais plus souvent implicite. […] lieux où s’accomplit l’événement de la crise, de la chute, de la résurrection, du renouveau de vie, de la clairvoyance, des décisions qui infléchissent une vie entière. 36

En suivant au plus loin la ligne de fuite de l’espace lisse de Deleuze, on pourrait

atteindre un élément hors de portée de l’observateur : l’horizon, ce qui pour Michel Collot

est imaginaire, impossible à cartographier et qui appelle à réinventer la langue. C’est sur

ces « bords » que la dynamique surgit, que l’espace est mouvement. La représentation de

cet espace est alors impossible à figer et donne lieu à des « espaces vécus » hétérogènes,

selon l’œuvre, l’auteur, l’époque.

34 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 598. 35 Marc Fumaroli, « Tristan en son temps », Œuvres complètes, tome I, Paris, H. Champion, 1999, p. 38 36 Mikhaïl Bakhtine, op. cit., p. 389.

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La question des lieux

15

Quoiqu’il en soit, l’espace produit par le texte est un artefact dans lequel la référence à

un lieu réel peut être différemment marquée. C’est « un monde virtuel qui interagit de

manière modulable avec le monde de référence et le degré d’adéquation de l’un à l’autre

peut varier de zéro à l’infini37 ». Ainsi la retranscription est plus ou moins fidèle à la

réalité ; l’intention de rapporter des espaces littérarisés à des espaces géographiques est

plus ou moins marquée. L’« espace vécu » serait un monde plausible plutôt qu’un monde

cartographié, questionnant ainsi le rapport entre monde réel et monde représenté. Si ce

dernier est d’une autre nature que le réel, peut-il nous donner à connaître la réalité dans

laquelle nous sommes impliqués ? Existe-t-il une correspondance entre les mondes

imaginaires de la fiction et le monde réel ? Certains philosophes et théoriciens de la fiction

ont tenté de formaliser ces questions en recourant à la théorie des mondes possibles telle

qu’elle a été développée dans les sémantiques de la logique modale38.

1.2 Mondes possibles 

La théorie des mondes possibles permet de décrire un réseau de mondes et peut

s’appliquer à la littérature : une œuvre n’est plus un monde clos mais un monde de

référence à partir duquel sont accessibles d’autres mondes possibles comme des œuvres

référées par l’œuvre initiale ou qui se réfèrent à elle (telles les réécritures).

Initialement cette théorie a été proposée par Saul Kripke pour la logique modale. En

logique classique, toute proposition, telle que « il pleut » (notée A) a une valeur de vérité :

A est soit « vrai », soit « faux ». La logique modale introduit la notion de nécessaire et de

possible. Par exemple, « il est possible (resp. nécessaire) qu’il pleuve » s’écrira A (resp.

A) et aura la valeur de vérité « vrai » ou « faux ». En logique, un monde est la description

de propositions (assertions) et de règles. Une règle représente une inférence que l’on peut

faire à partir de propositions, par exemple « s’il pleut et s’il est nécessaire que je sorte,

alors je prends un parapluie ». Le modèle de Kripke est constitué d’un ensemble de

mondes M={M1, M2, …, Mn} et d’une relation d’accessibilité R. Cette dernière indique

quels sont les mondes accessibles à partir d’un monde donné. Dans ce modèle, A a la

valeur de vérité « vrai » dans un monde M si A est « vrai » dans tous les mondes accessibles

37 Bertrand Westphal, op. cit., p. 168. 38 Nancy Murzilli, De l’usage des mondes possibles en théorie de la fiction, Klesis – Revue philosophique, 2012.

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La question des lieux

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depuis M. A a la valeur de vérité « vrai » dans un monde M si A est « vrai » dans au moins

un monde Mi accessible depuis M.

La sémantique des mondes possibles a été reprise pour l’analyse littéraire afin

notamment d’examiner dans quelle mesure un texte fictionnel peut être un monde possible

pour le lecteur. Le collectif dirigé par Françoise Lavocat39 réunit des articles qui examinent

les aspects principaux de la théorie des mondes possibles afin de les confronter aux textes.

Dans ce contexte, un monde possible peut se définir comme une alternative concevable au

monde réel : durant la durée de la lecture, le lecteur qui entre dans un univers de fiction est

disposé à le tenir pour vrai.

Françoise Lavocat s’appuie sur les mondes possibles pour proposer une typologie des

genres fictionnels. Afin d’éviter de réduire la relation d’accessibilité à une relation

mimétique, elle dissocie l’univers actuel et l’univers de référence. Le « monde de

référence » M est le point de départ de la référence à d’autres mondes possibles, fictionnel

ou actuel. Il s’agit du monde d’un texte, c’est-à-dire l’état des choses projeté par ce texte.

Mf est un monde fictionnel engendré par un autre texte et qui présente l’état des choses en

partie homologue à celui de M. Ma est un monde actuel qui lui est engendré par un texte

factuel. Selon la relation d’accessibilité R entre mondes (R est une relation de signification

qui doit être constitutive et nécessaire) le texte relève40 :

- d’une fiction alternative lorsqu’il existe des relations Ra entre M et les mondes Ma

(comme pour une allégorie),

- d’une fiction autonome lorsqu’aucune relation entre M, Mf et Ma n’est constitutive ni

nécessaire. Le texte contient tous les éléments nécessaires au déroulement de l’histoire.

- d’une transfiction lorsqu’il il existe des relations Rf entre M et les mondes fictionnels

extérieurs Mf. Les mondes possibles du texte sont donc réalisés par d’autres textes. Ces

autres textes peuvent être une suite, une parodie…

Sans aller jusqu’à évaluer leur degré de fiction41, nous pourrions toutefois nous inspirer

de cette classification pour essayer d’identifier des mondes possibles dans les textes de

39 Françoise Lavocat, « Les genres de la fiction. État des lieux et propositions », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010. 40 Ibid., voir la typologie proposée page 29. 41 Pour une étude complète sur les styles de fictionnalité qui émergent au XVIIe siècle, tels le conte et la nouvelle historique voir Christine Noille-Clauzade, « Considérations logiques sur de nouveaux styles de fictionnalité : les mondes de la fiction au XVIIe siècle », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010.

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La question des lieux

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Tristan, puis mettre en évidence les éléments spatiaux de ces mondes et voir comment ils

peuvent aider le lecteur à déchiffrer les événements de son époque :

Prendre, ou feindre de prendre un monde fictionnel pour un monde possible : c’est bien pourtant le geste qui, au seuil de tant de romans, de contes, de drames, ouvre au lecteur avec plus ou moins de solennité l’espace de la fiction. En l’engageant à emprunter la voie nouvelle ouverte par le livre comme une alternative aux routes existantes, il lui promet aussi un sens du monde opaque dans lequel il vit. 42

Nous nous servons de deux plaidoyers particuliers qui déclinent des scénarios similaires

pour illustrer ces relations d’accessibilité entre mondes. Nous examinons en particulier

quels espaces y sont représentés et comment ils fonctionnent.

1.3 Méthodologie informatique 

Notre approche se base également sur un examen statistique du vocabulaire de Tristan

afin d’essayer de mettre en évidence des motifs récurrents. Pour repérer de façon

exhaustive toutes les occurrences spatiales, nous avons procédé à l’étiquetage morpho-

syntaxique des œuvres du corpus, à l’exception des Éléments de cosmographie.

Cet étiquetage a été réalisé à l’aide de l’analyseur treetagger43. Le logiciel fournit en

sortie un fichier texte où chaque ligne est de la forme : mot ETIQUETTE lemme.

L’étiquetage construit est suffisamment complet pour pouvoir ensuite repérer les items qui

nous intéressent, en particulier les noms propres (NAM), les noms communs (NOM), les

adjectifs (ADJ) et les déterminants (DET). À partir de ce fichier de sortie, il a été aussi

possible de reconstruire automatiquement le voisinage d’un élément, par exemple le

voisinage d’un nom pour la recherche de périphrases. En revanche, le tri à l’intérieur

certaines catégories, comme les noms propres, a été manuel. Pour les déterminants,

treetagger différentie les articles (DET:ART) et les possessifs (DET:POS) mais aucune

distinction n’est possible pour les noms propres et les noms communs. Nous n’avons pas

trouvé d’analyseur – opérationnel et d’apprentissage rapide – qui permette de différencier

les types de noms44. Il aurait été intéressant de distinguer les anthroponymes, les

toponymes, les ergonymes… L’automatisation aurait été possible en couplant l’analyseur

42 Anne Duprat, « Des espaces imaginaires aux mondes possibles. Syllogismes de la fiction baroque », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 201, p. 150. 43 Recommandé par Ludovic Tanguy (équipe CLLE-ERSS – Jean Jaurès), freeware, apprentissage très rapide (http://www.cis.uni-muenchen.de/~schmid/tools/TreeTagger/). 44 Le projet de recherche GEONTO porte sur l’extraction d’informations à connotation géographique (http://geonto.lri.fr/), cependant l’investissement nécessaire était démesuré par rapport au besoin.

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La question des lieux

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avec un dictionnaire géographique comme Geonames, mais il n’aurait traité les ambiguïtés

des noms à l’orthographe ancienne comme « Gravesine » pour Gravesend.

Pour la phrase des Plaidoyers « Il me vint entre les mains il y a quelque temps, un vieux

recueil […] », treetagger fournit le résultat suivant :

il PRO:PER il me PRO:PER me vint VER:simp venir entre PRP entre les DET:ART le mains NOM main il PRO:PER il y PRO:PER y a VER:pres avoir quelque PRO:IND quelque temps NOM temps , PUN , un DET:ART un vieux ADJ vieux recueil NOM recueil

Figure 1 : exemple d’étiquetage morpho-syntaxique

J’ai ensuite écrit un programme informatique qui calcule la fréquence des termes. Par

exemple, pour les occurrences des pronoms (étiquette PRO) de la phrase précédente, on

obtiendrait :

il 2 me 1 y 1 quelque 1

Figure 2 : calcul des fréquences d’occurrences par catégorie

Comme exposé précédemment, la caractérisation de l’espace passe par un repérage des

lieux considérés comme des instituants matériels spatialisés. Ce repérage commence donc

par l’examen des noms géographiques qui ont été classés par catégorie : continent/pays,

région, ville, montagne, fleuve, île. La première intuition a été d’attribuer de l’importance à

un nom selon sa fréquence. Il a fallu nuancer cette pondération : ce n’est pas parce que

Rome est citée 20 fois dans les Plaidoyers qu’elle a plus d’importance que Nice qui est une

précision explicitement ajoutée par Tristan lors de sa réécriture. Nous avons donc plutôt

pris en compte le « périmètre d’influence » d’un nom que sa fréquence. Par exemple, la

fréquence du nom « Rome » est modulé avec le nombre de plaidoyers qui se déroulent à

Rome. Dans cette logique, les lieux intertextuels sont considérés comme importants.

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La question des lieux

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Enfin, le contexte d’énonciation a aussi été pris en compte afin de définir si le lieu avait

une connotation littéraire ou mythologique :

Cette réalité topographique et apparemment mimétique doit cependant être nuancée pour certains lieux porteurs de leur origine romanesque ou épique, tel « cet inexpugnable Château des Pucelles, dont il est tant parlé dans les romans ».45

Ce travail sur les noms propres, bien que révélateur de la géographie de Tristan, ne nous

a pas paru suffisant car il omettait les lieux anonymes ou rendus anonymes comme

certaines villes visitées par le Page. Nous avons donc également sélectionné les noms

communs liés à l’espace ainsi que leur voisinage (déterminants et épithètes s’y rattachant).

La langue du XVIIe siècle, par l’usage qu’elle fait des majuscules, brouille un peu ce

travail sur les noms communs. En effet, si l’on compare notre édition du Page avec des

éditions plus anciennes, on peut constater que les anciennes ajoutent des majuscules et ceci

d’une façon qui semble ne répondre à aucune logique. Ainsi le Page arrive dans une

« grande ville marchande, que visite la Seine allant vers la Mer » et quelques lignes plus

loin, il envisage « de passer la mer pour aller voir cet Albion » (Page, I, XVII). Dans quelle

catégorie alors classer cet élément ? Nous n’avons pas tenu compte de ces différences, bien

que, peut-être, le choix de mettre une majuscule ou non sur des éléments géographiques

pourrait être révélateur de sens.

Le voisinage du nom a permis d’isoler des périphrases éventuellement typifiantes et de

mettre l’accent sur certaines villes qui semblent relever du haut-lieu. La « première ville du

monde » évoquée dans le plaidoyer XXXIII pourrait avoir valeur de lieu exemplaire. Nous

avons aussi opéré une distinction entre les lieux topiques, romanesques ou épiques, qui

sont attendus dans de telles œuvres, de ceux nouveaux, construits par Tristan (la rive

norvégienne) ou revisités (la taverne).

Nous avons donc choisi de conjuguer l’analyse statistique avec certaines théories

comme la géocritique pour travailler sur l’espace tristanien. Le tableau qui suit reprend les

termes des concepts retenus (cf figure 3) :

- la notion d’espace strié et d’espace lisse,

- le lien entre les lieux et l’espace qu’ils construisent et notamment les concepts

d’homotopie, d’hétérotopie et d’utopie,

- la théorie des mondes possibles.

45 Véronique Adam, « Le Nom propre dans Le Page disgracié », V. le Flanchec, Styles, P.U. Sorbonne, 2013, p.106.

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La question des lieux

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Lieu Espace Limite et horizon Principale caractéristique

localisé conçu perçu vécu au seuil du regard

Terminologie haut-lieu (lieu de mémoire, exemplaire, du cœur)

homotopie hétéropie utopie

tiers espace

espace strié / espace lisse

Figure 3 : éléments retenus pour une typologie de l’espace

Nous espérons pouvoir répondre à deux questions principales :

- ces concepts plutôt pensés pour des œuvres post-modernes restent-ils pertinents pour

des œuvres antérieures telles celles du XVIIe siècle. Par exemple, peut-on différencier des

espaces selon leur relation avec les lieux réels et arriver à une classification,

- cette caractérisation de l’espace peut-elle amener un nouvel angle de lecture

complémentaire de la stylistique ou de la narratologie.

2. Typologie des lieux 

L’examen approfondi du vocabulaire spatial des trois œuvres en prose a permis dans un

premier temps d’identifier les éléments spécifiques à chaque œuvre en terme d’espace,

ainsi que la tonalité qui se dégage de sa représentation spatiale : une géographie poétique

plus que pédagogique pour la première, une recherche de l’exemplarité pour la deuxième et

une pluralité des lieux et des formes de dépaysement pour la dernière.

2.1 Principes de cosmographie, géographie littéraire ou littérature géographique 

Les Principes de cosmographie se répartissent en trois parties : un Traité de la Sphère,

des Éléments de Géographie et enfin des Éléments d’Astronomie. L’avertissement de

l’imprimeur nous indique que ce :

petit Traité de Géographie est traduit du Latin de Viète par un des meilleurs esprits de ce siècle, qui a pris plaisir à mettre ici en ordre les leçons qui en ont été faites à une belle Demoiselle, avec quantité d’autres choses qu’il a recherchées curieusement pour lui plaire46.

46 Tristan L’Hermite, Cosmo, op. cit., p. 445. Cette description du monde est en effet dédiée à Madeleine de Lavardin.

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Il aurait été très intéressant de pouvoir comparer les deux versions afin de mettre en

évidence les réécritures opérées par Tristan, ce qui est impossible puisque l’Harmonicon

céleste n’a jamais été publié et le manuscrit perdu. De plus, Françoise Graziani dans son

introduction des Principes, indique qu’il est « tout à fait invraisemblable de prétendre

attribuer au mathématicien humaniste les Éléments de Géographie qui occupent le centre

du recueil ».

Elle indique également le côté anachronique et déroutant des Principes qui feignent

d’ignorer l’héliocentrisme alors qu’ils sont ultérieurs aux travaux de Galilée :

Nous avons montré que la Terre comme la plus pesante des Éléments, était au centre de l’Univers, mais à cause que quelqu’un pourrait douter que ce centre ne soit le centre de quantité, mais de gravité seulement, ainsi que nous avons fait la preuve par la pesanteur de la terre, c’est-à-dire que le centre de gravité de l’Univers ne soit le même que le centre de quantité, nous le prouvons ainsi : quelque part que nous soyons, nous voyons la moitié du ciel47

On peut donc s’interroger sur la finalité de ce travail : « il reconstitue une topique et la

renouvelle, en juxtaposant aux noms anciens le nouvel espace poétique ouvert par

l’extension des connaissances géographiques48 ». La fonction pédagogique de cette œuvre

serait alors un prétexte pour « réactiver la science poétique des humanistes, pour lesquels

la connaissance du ciel et de la terre fondait tout un système de relations analogiques et

métaphorique entre les mots et les choses49 ». Cette œuvre serait en cela une œuvre

géopoétique.

2.1.1 Ordonnancement des éléments 

Un inventaire exhaustif des lieux des Éléments de Géographie serait inutile puisque

Tristan parcourt et énumère tous les continents. L’auteur part d’une vue macroscopique du

globe qu’il sépare en trois espaces terrestres et deux espaces maritimes (cf figure 4).

47 Ibid., p. 451. 48 Françoise Graziani, Introduction des Principes de cosmographie, op. cit., p. 429. 49 Ibid., p. 430.

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La question des lieux

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Figure 4 : découpage du globe dans les Éléments de Géographie

Le « vieux Monde » est lui-même composé de trois parties, l’Europe, l’Afrique et

l’Asie. Tristan découpe ensuite l’Europe en huit parties et pour chacune énumère les

« grandes Provinces » qui la composent. La négation de l’héliocentrisme n’est pas la seule

interrogation que suscite ce traité et l’on peut se demander quelle géographie nous est

offerte. En effet, le choix de diviser l’Europe en huit parties entraîne l’effacement de

certains pays. Ainsi, le Portugal est incorporé à l’Espagne, la Suisse à l’Allemagne. Le

regroupement n’est pas original mais l’ordre donné interpelle. Guillaume Sanson fait aussi

ce rattachement. Il divise l’Europe en neuf parties « dont Trois sont situés vers le

Septentrion, Trois vers le Midy, & Trois dans le Milieu des autres » et propose les parties

suivantes50 : les « Isles Britanniques », la Scandinavie, la Moscovie, la France,

l’Allemagne, la Pologne, l’Espagne, l’Italie et la Turquie et précise « nous avons confondu

sous le nom General d’Allemagne comme ayant toujours fait Parties les Pays Bas […], les

Suisses ». On peut noter que l’ordre donné par Guillaume Sanson semble correspondre à

un parcours du nord vers le sud et d’ouest en est. Plus tard, Antoine Baudrand découpe

l’Europe en douze parties et fait une énumération dans l’ordre alphabétique :

Les regions & Royaumes les plus grands de l’Europe sont l’Allemagne, le Dannemarck, l’Espagne, la France, la Hongrie, les isles Britanniques, l’Italie, la Moscovie, la Norvege, la Pologne, la Suede, & la Turquie en Europe.51

50 Guillaume Sanson, Introduction à la géographie – Première partie, Paris, 1681, p. 225. 51 Antoine Baudrand, Dictionnaire géographique et historique, Paris, Denys Mariette, 1705, p. 632.

globe

Terre Mer

vieux Mondenouveau Monde

terre   Magellanique

Mer Océane Mer 

Méditerranée

Europe Afrique Asie

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La question des lieux

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L’ordre donné par Tristan n’est ni alphabétique, ni fait en fonction des points cardinaux. Il

exclut l’Angleterre de la partie européenne. Elle est décrite dans la suite après le Groenland

et l’Islande (cf figure 5). De plus, il efface totalement le nom des « Pays-Bas » en

rattachant à la France orientale les provinces Hollande, Zélande et Gueldres (Cosmo, p.

470). Enfin, bien que non annoncée dans l’énumération initiale, l’Italie surgit quand même

dans la description, entre la France et l’Allemagne. Tristan dessine donc une carte de

l’Europe selon une sorte de zig-zag qui reboucle vers les pays du Nord : Espagne, France,

Italie, Allemagne, Grèce, Illirie, Hongrie, Pologne, Scandie, Groenland, Island (la figure 5

reprend ces noms dans l’ordre). Le cœur de cette spirale pourrait correspondre aux trois

pays du cœur de Tristan, auxquels il attribue une valeur spirituelle et culturelle.

Figure 5 : inventaire des pays du vieux monde

Deux qualificatifs sont essentiellement utilisés dans toutes les descriptions : les rivières

sont toujours « fameuses » et les provinces « grandes ». Tous les pays reçoivent ces deux

qualificatifs à l’exception de deux qui ne sont pas grands, mais « pauvre » pour l’un et

« très grand » pour le second. En Afrique, Billedulgerid est un « pauvre pays » (Cosmo, p.

498) et en Asie, la Perse est une « très grande Province » composée de provinces

« anciennes » (Cosmo, p. 491). Cette amplification pour la Perse se retrouve dans le traité

de Pierre D’Avity de 1665. Cependant, ce dernier explique en quoi ce pays est grand et

ancien alors qu’aucune annotation n’est donnée par Tristan. Pierre D’Avity explique ainsi

Groenland Island

Angleterre …

Mer Océane Mer Méditerranée

Lampadouse Sicile

Nègrepont Candie

Cefalonie Elbe …

Europe

Espagne France

Allemagne Grèce Illirie

Hongrie Pologne Scandie

Asie

Espagne France

Allemagne Grèce Illirie

Hongrie Pologne Scandie

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La question des lieux

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que « cet espace de terre est fort grand, & comprend environ 38. degrez du Levant au

Couchant […]. La médie fut autrefois le païs le plus puissant de l’Asie52 ».

Sans rompre totalement avec les connaissances et traités de l’époque, il semble toutefois

que Tristan ait pris quelques libertés dans sa description du monde. Il se dispense

notamment d’exposé théologique préalable aux descriptions du monde contemporaines :

La même soumission de la géographie à la vérité transcendante du christianisme est proclamée au début du Monde de Pierre d’Avity dont le succès ne se démentira pas tout au long du XVIIe siècle. La première définition qui est donnée du monde est théologique : « Le Monde est pris quelquefois pour Dieu ; mais c’est en couplant ce mot avec celuy Archétype ou Intelligible, à cause des formes et modelles de toutes choses, qui sont en l’entendement divin ». Est ensuite évoqué le Monde angélique, « pour exprimer les trois Hiérarchies et neuf Ordres des Anges », et enfin celui dont traite en propre la cosmographie, et qui est « l’assemblage du Ciel, des Eléments et des choses qu’ils contiennent, créé par la toute-puissance de Dieu, pour sa gloire et le bien des hommes ». L’ordre de l’exposé et la hiérarchie descendante qu’il présuppose, du ciel vers la terre et de l’unité du Créateur à la complexité de la Création, indiquent une attitude de stricte obédience vis-à-vis de l’Église et l’humilité d’un programme descriptif qui se cantonne aux réalités de ce bas monde53.

Un autre élément singulier se lit pour Constantinople qui, selon Tristan, est la ville

d’une province de Grèce alors qu’elle appartient à l’empire ottoman depuis sa chute en

1453. Pierre D’Avity l’énonce clairement dans son traité :

Pource que la capitale ville de l’Empire du Turc est en Thrace, que l’on nomme aujourd’hui Romeli, ou Romanie, j’ai cru qu’il fallait commencer par cette partie54.

La frontière apparaît en filigrane de toutes ces descriptions. Tristan semble se jouer de

celle-ci, en redessinant les limites de l’Europe ou, en repoussant celle de l’Orient. Les

choix opérés dans cette Cosmographie sont donc probablement plus théologiques ou

politiques que géographiques et les frontières entre l’Orient et l’Occident plus limen que

limes.

2.1.2 Les annotations de l’auteur 

Les portions de territoire qui résultent de sa cartographie sont décrites toujours de la

même manière, par l’énumération des villes principales. « La signature cryptée du poète »

peut se deviner dans le dernier nom donné pour la France : Guéret55 (Cosmo, p. 430). Cette

référence à un lieu du cœur est un indice supplémentaire soulignant les libertés

géographiques de l’auteur.

52 Pierre D’Avity, Les estats, empires, royaumes, et principautez du monde, Genève, 1665, p. 1026. 53 Franck Lestringant, « Le déclin d'un savoir. La crise de la cosmographie à la fin de la Renaissance », Économies, Sociétés, Civilisations, 46e année, n° 2, 1991, p. 256. 54 Pierre D’Avity, op. cit., p. 535. 55 Région natale de l’auteur.

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La question des lieux

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Contrairement à un géographe, Tristan donne très peu de détails numériques. Pierre

D’Avity donne par exemple des mesures pour chaque pays :

La Thrace est assise entre le quarante deuxième degré d’elevation du pole, jusques au quarante quatrième, où le plus long jour est de quinze heures, et un quart. Sa longueur contient depuis le quarante septième degré, jusques au trente sixième.56

De telles descriptions ne se rencontrent qu’à deux reprises dans le traité de Tristan :

« Le Détroit de Magellan qui est de 120 lieues de longueur » (Cosmo, p. 466) et « les

Maldives, qui sont situées vis-à-vis du Cap de Comorin à 60 lieues de terre ferme ; ont

d’étendue 140 lieues ; on tient qu’elles sont en nombre 11100, mais cela est incertain »

(Cosmo, p. 504).

Si les villes sont essentielles pour la géographie des lieux, les annotations jointes à

certains éléments topographiques peuvent aussi être des indicateurs. En effet, on peut

remarquer que Tristan s’accorde parfois à ajouter un commentaire sur un élément : un

détail historique ou pittoresque, une référence littéraire… Ces annotations peuvent se

classer en cinq catégories :

- des références à l’Antiquité : romaines, grecques, parfois égyptiennes ; elles sont

historiques (guerres puniques) ou mythologiques (Ulysse).

- des références littéraires (Marco Polo, Roland furieux) ou onomastiques (la Floride),

- des références religieuses (colonie protestante au Brésil)

- des remarques d’ordre économique (souvent liées à la pêche),

- enfin des considérations historiques, ethnographiques ou des précisions

géographiques.

La carte qui suit donne les positions géographiques de ces annotations (cf figure 6)57.

On peut constater qu’elles sont essentiellement rattachées aux pays d’Europe et centrées

sur le monde méditerranéen. L’espace lié au pouvoir est largement représenté, à travers

les lieux guerriers (Angleterre, Sicile), politique (Italie) ou religieux (Égypte, Arabie,

Amérique, mer Méditerranée). C’est un espace strié, aux fortes verticalités : les murailles

se dressent, des forteresses sont bâties, les promontoires investis. L’espace culturel bien

que tout aussi référentiel semble plus ouvert, lisse : c’est un fleuve chanté par les poètes

grecs, une étendue tartare décrite par Marco Polo... À leurs côtés, les lieux pittoresques

semblent là pour divertir, le lecteur, le dépayser : un volcan, un pays désert « rempli de

56 Pierre D’Avity, op. cit., p. 535. 57 Toutes les annotations sont recensées dans le tableau de l’annexe A.1.

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La question des lieux

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Sauvages », une fontaine. Ils sont souvent rattachés à des éléments naturels : îles, vallées

ou fleuves. Inversement, le côté artificiel des lieux de pouvoir et des lieux culturels est

accentué par des noms de villes et de provinces.

Figure 6 : répartition par type des annotations dans les Éléments de Géographie (carte effectuée avec Philcarto58)

2.2 La réécriture des Plaidoyers 

En 1643, Tristan L’Hermite publie pour la première fois une œuvre singulière qui ne

ressemble à rien de ce qu’il a produit auparavant : Les Plaidoyers historiques. À quarante-

deux ans, c’est déjà une figure d’auteur reconnue depuis 1637 avec sa tragédie La

Mariane59. Il s’agit de sa dernière œuvre en prose après la Cosmographie, les Lettres

mêlées et Le Page.

Les Plaidoyers sont constitués de trente-sept histoires de délits ou de litiges entre deux

personnages. Chaque histoire est rapidement exposée puis les protagonistes argumentent et

justifient leur acte.

58 Logiciel développé par un Professeur de géographie de l’Université de Bordeaux (http://philcarto.free.fr/). 59 Voir à ce sujet Sandrine Berregard, Tristan L'Hermite, «héritier» et «précurseur», Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2006, p. 257-264.

Fait avec Philcarto * 26/07/2014 11:47:03 * http://philcarto.free.fr

Effectif total

7 [MLT]

4 [USA]

3 [BRA]

2 [GBR]

1 [SWE]

Antiquité

Economie

Littéraire

Religieux

Autres

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La question des lieux

27

Il ne s’agit pas d’une forme d’écriture nouvelle, puisque l’histoire courte existe déjà

grâce aux nouvelles italiennes de Boccace60. Ni le thème, les histoires tragiques, ni les

éléments relatés ne sont originaux. Avec les adaptations des Novelle de Matteo Bandello,

Pierre Boaistuau est un précurseur et introduit en France l’histoire tragique dès le milieu du

XVIe siècle ; la thématique est reprise par François de Belleforest, puis par Jean-Pierre

Camus61.

En effet les formes brèves de narration issues de l’héritage des fabliaux médiévaux et du Décaméron de Boccace (1349-1351, traduit en France dès le XVe siècle) sont nées au XVIe siècle en même temps que la langue française, et elles font donc partie des formes traditionnelles d’écriture quand arrive le XVIIe siècle. […] Pierre Boaistuau et François de Belleforest sélectionnèrent parmi les nombreux récits les plus épouvantables pour les offrir au public français, et de là le genre des « histoires tragiques », récits de faits divers atroces, qui continua à plaire au XVIIe siècle.62

Les plaidoyers donnent une forme d’histoires tragiques certes plus animée, grâce aux

discours des accusateurs et des accusés, mais ils ne sont pas inédits puisqu’inspirés de

déclamations déjà publiées soixante ans auparavant par le poète flamand Alexandre van

den Buschen, dit Le Sylvain.

Les Plaidoyers ont été longtemps rangés dans la catégorie des œuvres mineures :

Les plaidoyers historiques, malgré les deux, ou peut-être trois éditions qu’ils ont obtenues, méritent encore moins de nous arrêter. Ce n’est pas que, comme le pense l’abbé Goujet, Tristan ait été simplement « l’éditeur » de cet ouvrage. Il a revu, repoli et même remanié en entier tous les plaidoyers […] et bien que la main de Tristan se reconnaisse d’un bout à l’autre de ce volume, qu’il a su habilement ajuster au goût du jour, il n’en est point l’auteur ; il n’en est guère que l’arrangeur.63

Tristan part de cent retranscriptions d'événements réels présents ou antiques. Que fait-il

de cette réalité ? La comparaison des épitomés et des plaidoyers montre que la réécriture

ne se limite pas à un simple « arrangement ». La reconstruction propose un univers non

déterministe qui sous un apparent libre arbitre oriente le lecteur…

Pour mettre en évidence le travail de reconstruction de Tristan et les principaux

changements opérés, nous avons relevés les éléments suivants dans les plaidoyers64 : le

numéro de l’épitomé correspondant, un bref résumé de l’histoire, les principaux

protagonistes, d’éventuels indices d’époque et/ou de lieux, l’ordre des interventions (qui

60 Boccace, Le Décaméron, Classiques Garnier, 1994. 61 Voir l’article de Dietmar Rieger dans Tristan et la prose narrative de son temps : la fiction, Cahiers Tristan l’Hermite, XXXIV, 2012. 62 Nathalie Grande, « Du long au court : réduction de la longueur et invention des formes narratives, l'exemple de Madeleine de Scudéry », Dix-septième siècle, n° 215, 2002, p. 264. 63 Napoléon-Maurice Bernardin, op. cit., p. 565-566. 64 Le tableau complet se trouve dans l’annexe B.1.

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La question des lieux

28

fait le premier plaidoyer), le thème traité et enfin d’éventuelles remarques sur la

construction.

Un relevé a été aussi effectué sur les cent épitomés65.

L’analyse morpho-syntaxique permet quelques remarques sur la temporalité et la

localisation des plaidoyers. Les indices qui permettent de situer l'histoire dans son époque

sont rares. Ils concernent trois plaidoyers consécutifs se déroulant dans l'Antiquité : pl.

XXXIII, pl. XXXIV et pl. XXXV. Le déictique « aujourd’hui » employé à sept reprises,

contribuerait plutôt à rendre le récit contemporain du lecteur. Le lexique des plaidoyers est

principalement composé d’éléments relevant soit de la sphère familiale (« père », « mère »,

« fils »), soit de la sphère juridique (« loi », « juge », « justice »). Lieux intimes et lieux de

pouvoir semblent donc se côtoyer dans cette œuvre. Pour les identifier, nous avons

travaillé avec les références spatiales relevées dans les plaidoyers :

Référence Fréquence Angleterre 1 Antioche 1 Artois 1 Asie 2 Berne 1 Constantinople 5 Europe 2 Flandres 5 France 6 Gènes 1 Grèce 2 Italie 5 Milan 1 Nice 1 Orléans 1 Padoue 2 Raguse 2 Rome 20 Sparte 1 Suisse 1 Toscane 4 Tournai 1 Tunis 1 Venise 2

Figure 7 : références géographiques des Plaidoyers

65 Le tableau complet se trouve dans l’annexe B.2.

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La question des lieux

29

Les régions françaises et limitrophes sont le plus souvent évoquées. Rome apparaît dans les

plaidoyers de l’époque antique (huit fois dans le plaidoyer XXXIII et huit fois dans le

suivant). Antiquité et monde méditerranéen sont donc bien représentés à l’instar de la

Cosmographie.

75% des plaidoyers ne sont ancrés dans aucun lieu. Ils ne contiennent aucune indication

qui permettrait de les localiser. Dix-huit histoires sont même totalement privées de toutes

indications spatiales, temporelles et sociales. On sait seulement qu’il s’agit, d’un homme et

de sa femme ou d’un père et de ses fils et donc que le délit (adultère, meurtre, naissance

d’un bâtard) s’est passé au sein de la maison familiale. Nous verrons, avec les mondes

possibles, que Tristan donne une fonction particulière à ce type d’espace.

Après avoir relevé tous les noms propres correspondant à des références géographiques

(tableau de la figure 7), nous examiné leur emploi et nous n’avons retenu que ceux qui

localisaient l’histoire, en écartant notamment ceux qui servaient d’argument d’autorité

dans les plaidoiries, comme « ce grand personnage de Sparte » qui est cité en exemple dans

le plaidoyer XXXI. Ainsi, seuls les lieux ou pays de neuf plaidoyers sont identifiables :

Gènes (pl. I / épitomé 79), Nice (pl. III / épitomé 53), Tournai et les Flandres (pl. XIII /

épitomé 2), le Piémont (pl. XVI / épitomé 87), l’Espagne (pl. XIX / épitomé 35), Padoue

(pl. XX, le seul plaidoyer créé par Tristan), Berne et la Suisse (pl. XXIII / épitomé 27),

Padoue et le Sénat de Venise (pl. XXVII / épitomé 81), Constantinople (pl. XXVIII /

épitomé 95).

Quatre d’entre eux restent inchangés par rapport aux épitomés. Il s’agit de :

- l’épitomé 2 : « il feignit mener sondit fils à Tournay, mais passant par la forest le feit

pendre » (p. 6 ; nous soulignons)

- l’épitomé 27 : « Il advint au pays des Suysses, qu’un villageois estant monté sur les

tuilles de sa maison […] le demandeur appellant devant la seigneurie de Berne dit »

(p. 91).

- l’épitomé 81 : « En Padoa y avoit un chirugien excellent sur tous ceux de son age,

[…] il luy vint un grand desir d’ouvrir un homme vif pour bien cognoistre le mouvement

du cœur, parquoy presenta plusieurs requestes au Senat de Venise » (p. 193).

- et pour finir l’épitomé 87 : « Un gentilhomme Piedmontois avoit quelque querelle, ou

au moins tomba en l’indignation d’un grand Sieur dudit païs » (p. 238).

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La question des lieux

30

Tristan a précisé le lieu pour deux autres. La fonction sociale (« marchand espagnol ») a

été précisée dans le plaidoyer XIX : « La loy des esclaves est encor’ en Espaigne, […],

qu’un homme […] » (épitomé 35, p. 111). Le plaidoyer XXVIII précise la ville et indique

qu’un juif veut « faire ajourner à Constantinople un marchand chrétien » alors que

l’épitomé ne donnait que le pays (« Un juif veut faire adjourner un marchant, Chrestien, en

Turquie, pour neuf cents escuz » (épitomé 95, p. 238). Comme pour la Cosmographie,

Constantinople devient le lieu où se cristalliserait l’opposition entre monde occidental et

monde oriental.

Enfin, Tristan a changé le lieu pour deux derniers plaidoyers. Le plaidoyer III est

transposé en France. On passe d’une abbesse de Naples qui va en Sicile et qui est vendue

en Barbarie (épitomé 53) à « une religieuse de Nice […] élue pour être Abbesse vers

Monaco […] vendue à terre à une maquerelle de Tunis ». Quant au premier plaidoyer,

l’action se passe entre Raguse, Gènes et Constantinople, alors que le Sylvain n’avait donné

aucune précision, indiquant juste une opposition entre chrétien et turc (épitomé 79, p. 188).

L’espace des Plaidoyers est donc lié au pouvoir et à la famille. Il est plus souvent

incarné qu’explicitement situé. Certains lieux sont des lieux politiques par nature, comme

Rome. D’autres lieux voient leur nature amplifiée ou même définie par les personnages qui

les habitent : des généraux, un comte … On peut noter que toutes les formes de pouvoir

sont incarnées dans le plaidoyer III (guerrier, religieux, social) et réunies dans un lieu

dysphorique : la maison close de Tunis. La ville de Constantinople, utilisée dans deux

plaidoyers amplifie le clivage Occident/Orient, monde chrétien/monde musulman. Enfin,

un tiers espace semblent se construire par juxtaposition de villes portuaires (Gènes, Nice,

Raguse) ; cet espace met en contact plusieurs catégories sociales (paysan, médecin,

marchand).

2.3 De l’orphelin au bâtard, itinéraire d’un Page disgracié 

Le repérage des lieux dans Le Page peut s’effectuer en fonction de l’itinéraire parcouru

par le protagoniste. Pour Marthe Robert66, on trouve deux types d’enfant dans le roman,

celui de l’enfant trouvé qui s’imagine issu d’une famille royale et celui du bâtard qui

relègue le père dans un royaume de fantaisie. Tristan paraît, dans son dépaysement social et

spatial, s’approprier les deux figures.

66 Roman des origines et origines du roman, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1977.

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2.3.1

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La question des lieux

32

déréaliser le voyage : un écho épique avec la traversée en bateau s’associe à une image

poétisée du pays. Imaginaire, symbolique et réel sont ainsi étroitement imbriqués. À

Rouen, le Page fait la connaissance d’un philosophe alchimiste qui commence à l’initier à

sa science. Bien que ce personnage ne réapparaisse jamais dans le roman, il devient une

figure récurrente : celle de l’autorité, du père que le page-orphelin va tenter de retrouver.

Arrivé à Londres, il est chargé de l’instruction d’une jeune Anglaise dont il tombe

amoureux (flèche 3 de la figure 8). C’est à ce moment qu’il est une seconde fois

« dépaysé » en se faisant passer pour le fils d’un marchand décédé. Il a perdu à la fois ses

parents et son identité… Le Page commence ainsi sa régression sociale en passant du statut

de fils de gentilhomme à celui de fils de bourgeois. Cette invention est comme un signe

annonciateur. Elle prend des accents réalistes lorsque, face à de nouveaux problèmes, le

Page est accusé d’empoisonnement et doit fuir Londres (flèches 4 et 5 de la figure 8). En

effet, en Norvège, il devient marchand de peaux : « Et de seigneur et de prince imaginaire

que j’avais été, je me vis effectivement marchand » (Page, II, V, p. 159). Après avoir vécu

de quelques négoces, il retourne en France (flèche 6 de la figure 8).

Si la figure du père disparaît très tôt dans le récit, elle se retrouve dans le personnage de

l’alchimiste, figure d’autorité qui initie le Page. Toute cette période est donc hantée par

cette figure fantôme, les choix d’Ariston étant régis par l’obsession de revoir ce

personnage. Les pérégrinations du Page, la recherche de l’alchimiste et la mélancolie de sa

perte sont donc indissociables et le mouvement se confond avec la nature même du

philosophe, errant lui aussi :

je voulais à quelque prix que ce fût regagner Londres, pour essayer d’apprendre quelques nouvelles de ce philosophe errant qui ne partait point de mon esprit. Puis j’espérais de trouver bientôt en ce lieu quelque navire de trajet qui me repasserait en France, d’où je gagnerais l’Italie avec le peu de bien que j’avais68.

2.3.2 Errance en France : construction d’une identité culturelle 

De retour en France, Ariston prend le « chemin de Paris » : Calais, Dieppe, Rouen

(flèche 1 de la figure 9). La volonté de retrouver l’alchimiste se fait moins insistante. La

figure de l’orphelin qui s’invente un père cède le pas à la figure du pícaro, obsédé par

l’argent et la nourriture. Le Page devient le bâtard de Marthe Robert, partant à la conquête

du réel et jumeau des personnages des Plaidoyers historiques, tel le plaidoyer XXV

68 Ibid., II, IX, p. 166 ; nous soulignons.

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La question des lieux

33

mettant en jeu un bâtard contre les deux fils légitimes ou le plaidoyer IX évoquant des

orphelins mutilés, soumis au bon vouloir d’un mendiant.

À rebours, la formation d’une figure galante ou relevant de l’honnête homme se lit dans

les souhaits et l’éducation du goût d’Ariston : désireux de « réussir un jour aux belles-

lettres », il n’exclut pas les arts lors de sa quête (Page, II, XLVII, p. 246). Aussi envisage-t-

il de rejoindre l’Italie (flèche A de la figure 9) : « je m’apprêtais à prendre mon vol vers

l’Italie » (Page, II, XII, p. 174). Une dichotomie semble s’instaurer entre pays nordiques et

pays du Sud, entre moyens de transports possibles (bateau, chevaux) et transport

imaginaire (vol), par conséquent entre voyage réel et voyage spirituel, entre un paysage

naturel et un cadre culturel. À l’opposition des pôles, la conjonction des villes : entre

Rouen et Paris, le Page se fait détrousser au jeu par des imposteurs et, à nouveau sans un

sou, fait demi-tour (flèche 2 de la figure 9). La mélancolie imprègne toujours la dynamique

du voyage et se décline avec un changement de moyen de transport : « je m’en retournai

tout mélancolique vers la ville dont j’étais parti le matin ; et deux jours après j’y vendis

mon cheval pour entreprendre quelque autre voyage à pied » (Page, II, XII, p. 174). La

structure géographique du voyage devient alors plus aléatoire : par hasard, le narrateur

arrive à Orléans (flèche 3 de la figure 9). Il projette alors d’aller à Saint-Jacques de

Compostelle (flèche B de la figure 9).

Le passage suivant pointe le travail de reconstruction fictionnelle et symbolique a

posteriori de l’auteur : éléments prosaïques et éléments poétiques se croisent sur un

chemin réel (« chemin d’Orléans ») et un chemin virtuel (« la voie de lait ») dans une mise

en scène pathétique :

Par hasard, ce fut sur le chemin d’Orléans que me fit aller ce transport ; et comme je tournais les yeux vers le Ciel, lors que la nuit fut venue, pour lui demander raison de tant de disgrâces ou pour le supplier de les adoucir, j’y vis paraître cette vaste blancheur qui procède d’une nombreuse confusion de petites étoiles, et qu’on nomme la voie de lait. Je pris cet objet à bon augure ; je me ressouvins qu’on appelait aussi cela le chemin d’un saint, et je me proposai de me conduire jusqu’en ce petit royaume où son corps glorieux est honoré69.

Même si ce projet est vite abandonné, il révèle l’attirance du narrateur pour les lieux

religieux et les foyers intellectuels. Ce parcours spirituel s’inscrit en filigrane du parcours

réel.

69 Ibid., II, XIX, p. 187 ; nous soulignons.

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La question des lieux

35

douleur se ressent dans l’inventaire dysphorique des pertes : « il s’y perdit beaucoup de

braves gens» (Page, II, XLIX, p. 248), « nous perdîmes beaucoup plus de gens » (Page, II,

LIII, p. 255), « ce fut en ce malheureux siège que mourut un de mes meilleurs amis » (Page,

II, LII, p. 255). L’évocation a posteriori de ces lieux fait ressurgir des sentiments pénibles

pour le narrateur : «Je ne saurais me ressouvenir sans que je renouvelle mes larmes» (Page,

II, LII, p. 255). La mélancolie devient plus générale et se propage au rythme des pas du

Page.

Quête géographique et quête intérieure se clôturent de concert ; le narrateur parvient

enfin à retrouver son identité et à faire valoir ses qualités de poète :

Ce fut ainsi qu’après tant de courses vagabondes, je revins au lieu où j’avais été nourri ; mes parents furent ravis de me voir et d’apprendre qu’avec quelque réputation, je m’étais remis à la Cour71.

La figure de l’auteur se construit donc progressivement et entre en contraste avec

l’espace environnant qui a contrario est parcellaire et fragmenté.

Bien que les trois œuvres soient en prose, elles n’en demeurent pas moins hétérogènes

tant par leur forme (traité, histoire courte et roman) que par leur thème. Les lieux mis en

scène semblent eux aussi variés. Ceux des Principes de cosmographie sont explicitement

nommés ce qui permet de les situer. Chaque pays est décrit selon le même procédé

amenant à des lieux de structure homogène mais aussi à une impression de discontinuité,

de simple juxtaposition. Dans Le Page disgracié, les lieux restent souvent imprécis ou

associés à un point de détail. Ils sont reliés à un parcours géographique donnant une

impression de continuité mais aussi de lieux hétérogènes. Dans les Plaidoyers historiques,

les lieux sont anonymes, ils ont un point commun qui les unie, ils ont été le lieu d’un délit.

On pourrait y voir un seul lieu, résultant d’une superposition de tous les lieux.

.

71 Ibid., II, XLVIII, p. 247 ; nous soulignons.

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36

« Écrire n’a rien à voir avec signifier, mais avec arpenter, cartographier, même des contrées à venir »

Gilles Deleuze et Félix Guattari Mille plateaux

II – Fragmentation et esthétisation pour des 

espaces fonctionnels 

Les œuvres étudiées semblent désigner et utiliser l’espace différemment. Cependant, il

est possible de mettre en évidence des caractérisations spatiales communes : une certaine

liberté par rapport à la géographie réelle qui amène à une construction plus poétique et

imaginaire de l’espace, une impression omniprésente d’espaces striés et fragmentés ainsi

qu’une certaine focalisation sur les espaces fermés, circonscrits.

1. Éléments de synthèse 

Deux éléments sur les choix géographiques de Tristan se dégagent de cette étude : les

trois œuvres ont des lieux en commun qu’ils soient géographiquement repérables ou plus

hétérotopiques et la ville y est un lieu important.

Villes et châteaux sont des critères de découpage de l’espace, ils permettent de

distinguer sauvage et habité. Dans la Cosmographie, une région est déserte lorsqu’il n’a ni

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Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

37

ville, ni château comme l’Hamogitinie en Pologne (Cosmo, p. 480) ou la Tartarie déserte

qui « est ainsi appelée à cause qu’il n’y a ni villes ni châteaux » (Cosmo, p. 493). Les

scènes du Page et des Plaidoyers se passent la plupart du temps dans des villes. Beaucoup

d’entités géographiques nommées correspondent à des villes et la fréquence des substantifs

« ville » et « château » est non négligeable (63 pour « ville » et 36 pour « château »). La

forêt est moins présente par le nombre d’occurrences (10 occurrences de « forêt » et 15

de « bois ») mais aussi par le nombre de fois où elle occupe une place dans l’histoire.

Cependant, elle joue un rôle particulier et identique dans les trois œuvres : c’est le lieu de

la perte, du dénuement. Le Page se cache dans « une grande forêt » et le comte de Flandres

exécute son fils dans la forêt. Dans la Cosmographie, les toponymes énumérés sont

rattachés à des forêts à une seule reprise pour caractériser la Moscovie ; Tristan parle des

forêts de Quéférinie et Mordua plutôt que de provinces et il ajoute, pour la Russie déserte

que « le peuple habite dans les forêts et paie tribut au grand Duc de Moscovie » (Cosmo,

p. 490). Cet aspect tient du topos pour les lieux lyriques ou épique et n’est pas surprenant

dans le cas du Page. Il est plus original pour le plaidoyer puisque le lieu prend une

coloration politique. Tristan déporte le lieu de l’exécution qui est généralement un endroit

urbain et artificiel : une place, une pièce de château… Il le naturalise par l’intermédiaire de

la forêt.

Les lieux rencontrés dans les trois œuvres n’ont pas une intersection vide, bien au

contraire. Tous les pays, régions et villes cités dans les Plaidoyers sont des éléments

référencés dans la Cosmographie. La géographie du Page se retrouve également dans la

Cosmographie. Seules quelques villes françaises sont absentes : Clairac, Coutras, Gaillac,

Grand-Pressigny, Moncontour, Montauban et Pont-de-l’Arche. La Cosmographie pourrait

alors servir d’atlas et aider à déchiffrer les indications brouillées de Tristan.

Deux plaidoyers se déroulent dans le nord de l’Europe : en Suisse pour un villageois qui

tombe d’un toit et en Flandres pour la pendaison du fils du comte. Cette région de l’Europe

est aussi rapidement évoquée par le Page qui envisage « de visiter les Pays-Bas et la

Hollande » (Page, I, XXIV, p. 85). En revanche, comme signalé précédemment, les Pays-

Bas sont absents dans le traité de géographie.

On peut alors remarquer que les Plaidoyers semblent se concentrer autour du bassin

méditerranéen alors que les lieux du Page sont davantage répartis sur le continent. Quand

l’action d’un plaidoyer peut être située, par une référence géographique situant l’origine

d’un protagoniste ou localisant le délit, elle se déroule le plus souvent autour de la

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Méditerranée : le sud de la France, l’Italie, l’Espagne, la Turquie et la Croatie pour les

controverses contemporaines, la Grèce et Rome pour les faits antiques (cf figure 10). Le

monde méditerranéen joue aussi un rôle dans la géographie du page : c’est le lieu des

transports imaginaires, l’espace dédié à la spiritualité et la culture.

L’Angleterre et la Norvège restent des espaces singuliers du Page.

Figure 10 : synthèse des lieux européens rencontrés dans Le Page disgracié et les Plaidoyers historiques (carte effectuée avec Philcarto)

Enfin, Tristan crée de nouveaux espaces en instaurant un brouillage hétérotopique (nous

y reviendrons) et en mêlant références mythologiques et références réelles, à l’image

d’Ovide dans le chant XIV des Métamorphoses. Ovide propose en effet, par des références

à Homère et à Virgile, un cheminement entre géographie italienne réelle et lieux

imaginaires72. De nombreuses annotations dans la Cosmographie font référence à des

mythes et à des œuvres littéraires. L’intertextualité légendaire imprègne ainsi la

72 Voir l’article d’Hélène Casanova-Robin « Éléments pour une analyse du paysage dans le livre XIV des Métamorphoses d’Ovide », Journée d’étude et de recherche sur le Livre XIV des Métamorphoses d’Ovide organisé par A. Videau, tenue à l’Université Paris Ouest-Nanterre le 9 mars 2011 (publié en ligne sur le site http://claro.hypotheses.org/).

Fait avec Philcarto * 11/09/2014 09:42:56 * http://philcarto.free.fr

Effectif total

47 [327 Angleterre]

38 [312 France]

7 [432 Turquie]

5 [309 Espagne]

3 [313 Grèce]2 [308 Danemark]

Plaidoyer

Page

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Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

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topographie réelle. La noyade d’Aristote associé au fleuve Euripe le rend dangereux

(Cosmo, p. 462). Le mythe de Dédale est évoqué pour la Crète « ici était le labyrinthe de

Dédale » (Cosmo, p. 485).

Tristan convoque aussi le mythe de Dédale dans Le Page. Il revisite le jardin pour en

faire un dédale dans lequel il s’égare volontairement : « nous nous étions égarés bien avant

dans ce grand jardin […] nous étions assis sur l’herbe auprès d’une fontaine fort solitaire et

qui était au centre d’un petit dédale » (Page, I, XXXVI, p. 115)73. Tristan opère également

une distorsion de la géographie par les livres. En jouant avec la double interprétation de

« au-dessus », il propose une nouvelle géographie : « je mis la Jérusalem beaucoup au-

dessus de Troie et de Carthage » (Page, II, XLVI, p. 243).

2. Un espace fragmenté et liminaire 

Les descriptions parcellaires et liminales donnent une impression de lieux épars et

morcelés ; ils semblent également perdre de leur référentialité pour nous orienter vers des

espaces symboliques.

2.1 L’eau, élément délimitateur 

L’espace tristanien semble « strié » selon un critère essentiel : l’eau. Mers, fleuves et

rivières sont omniprésents dans les Éléments de Géographie. Les traversées maritimes

cadencent les dépaysements du Page disgracié. De même, la mer Méditerranée sépare le

monde barbare du monde chrétien dans les Plaidoyers.

Dans son traité de géographie, Tristan accorde aussi une grande place aux îles. Il est

d’ailleurs redondant et contradictoire dans sa description lorsqu’il traite des îles de la mer

Méditerranée : il fait une première description de 14 îles (Cosmo, p. 464-465) puis il fait

une nouvelle description différente plus loin (Cosmo, p. 482). Sur les 35 annotations que

nous avons relevées, onze concernent des îles. L’Angleterre est rangée dans la catégorie

des îles de la Mer Océane et non dans celle de l’Europe. Le caractère insulaire de ce pays

est aussi mis en exergue dans Le Page : « [d]es amants de cette île » (Page, I, XXVI, p. 87),

« illustres maisons de cette île » (Page, I, XLVI, p. 144), « dans une île où » (Page, I, XLVI,

73 Deux autres évocations de ce mythe se trouvent plus loin : « Ne vous désespérez point toutefois de sortir de ce dédale » (Page, I, XLV, p.141) et « vous avez été déjà l’Ariane qui m’a retiré d’un fâcheux dédale, et vous serez encore le phare qui me conduira dans le port » (Page, II, III, p.154).

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Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

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p. 144), « faire promptement sortir de l’île » (Page, II, IV, p. 156), « en cette île cruelle »

(Page, II, IX, p. 166). L’île, ainsi débarrassée de sa référence toponymique, « devient un

pays mythique, protégée par son insularité même, qui va lui permettre de commencer une

nouvelle vie74 ».

Tristan n’a pas repris l’ordre des épitomés. On peut remarquer que, dans ce nouvel

ordonnancement, les trois premiers plaidoyers ont un élément commun : la présence de la

mer. Dans le premier plaidoyer, un jeune garçon s’embarque pour Constantinople où il est

vendu à un turc. Le deuxième plaidoyer traite le cas d’un fils qui est fait prisonnier lors

d’un voyage :

le fils ménager et chéri de son père fit un voyage sur la mer, et fut enlevé par des Corsaires de Barbarie75.

Enfin, la religieuse française du troisième plaidoyer est enlevée et prostituée par une

« maquerelle de Tunis ». La mer méditerranée devient un espace transgressif, celui du

passage du monde chrétien au monde barbare.

L’eau est aussi présente à travers les villes, éléments importants dans la géographie

tristanienne, puisqu’un certain type de ville est majoritairement représenté : les ports et les

villes côtières. Ainsi, dans la Cosmographie, sur les cinq villes annotées, trois le sont en

tant que ports : Colopasgo et Morga en Suède, « bourgs sur la côte, fameux pour la pêche »

(Cosmo, p. 481) et Ligourne en Italie. Les ports fonctionnent comme un tiers espace ; ils

sont des lieux de mixité sociale et de rencontre d’adjuvants. C’est dans un port que le Page

fait la connaissance du philosophe ou que le jeune garçon du premier plaidoyer part avec

un médecin de Raguse.

2.2 Déréalisation et indétermination des lieux 

Tristan semble également chercher à rendre les lieux plus anonymes. Les références

topographiques sont moins explicites et demandent un décryptage du lecteur, rendant ainsi

la géographie plus fictionnelle76.

74 Jean Serroy, « L’amante anglaise : Tristan et l’Angleterre dans Le Page disgracié », Cahiers Tristan L’Hermite n° 10, 1988, p. 23-28. 75 Tristan L’Hermite, Plaid., op. cit., p. 373. 76 Pour Christiane Lahaie, « le lieu référentiel peut se voir « déréalisé » ses attributs de base étant atténués ou magnifiés, jusqu’à le rendre plus ou moins mythique » dans « Entre géographie et littérature : la question su lieu et de la mimèsis » (p. 440).

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Par exemple, dans Le Page, le jeu stéganographique, instauré par les noms des

personnages (Gélase rappelant la gélodacrye, Ariston anagramme de Tristan) se prolonge

avec la géographie. En effet, s’il est possible de retracer les vagabondages du Page, ce

n’est pas grâce à Tristan qui dissimule le plus souvent le nom des villes et des régions. Il

ne cite jamais par exemple la province de la Marche mais écrit plutôt :

J’avais délibéré de me conduire en la province où je suis né, pour ne revenir plus à la Cour jusqu’à je fusse si grand que l’on ne me parlât plus de verges77.

Il y a très peu de noms réels dans les Plaidoyers et Le Page. Généralement les villes

restent indéfinies : « une ville où je me proposais de passer » (Page, II, XXII, p. 195), « une

certaine ville » (Page, II, XXX, p. 209). Quelquefois, Tristan se limite à des périphrases

allusives. Ainsi, Rome est-elle « la première ville du monde » (plaidoyer XXXIII),

Bordeaux se dissimule-t-elle derrière « une superbe ville où l’on ne traitait pas de petites

affaires » (Page, II, XXXVII, p. 225) et plus loin « cette fameuse cité, où le flux et reflux de

la mer et le courant d’un fleuve orgueilleux enrichissent un si beau port qu’il est avoué

d’un des plus beaux astres » (Page, II, XXXVII, p. 225). Rouen est « une grande ville

marchande, que visite la Seine allant vers la mer » (Page, I, XVII, p.62) puis plus loin,

devient « cette fameuse ville, qui fut autrefois la capitale d’un petit royaume, et qui est

aussi florissante pour les lettres et pour les arts, qu’opulente pour la marchandise qu’on y

voit arriver de tant de lieux » (Page, II, XI, p. 168). La forêt de Fontainebleau est « un bois

d’assez grande étendue » (Page, I, XVI, p. 61).

L’écriture de Tristan tend donc à déconnecter son récit de la géographie réelle. Il met en

place un brouillage hétérotopique qui vise à desserrer le lien entre le toponyme et le lieu

fictif. Pour Bertrand Westphal, « lorsqu’un tel brouillage se produit, la connexion entre réel

et fiction se fait précaire. Le référent devient le tremplin à partir duquel la fiction prend son

envol78 ». Ce brouillage aurait une finalité donnée dans Le Page, offrant ainsi une lecture

plurielle. Il en aurait aussi une pour les Plaidoyers, celle de proposer un monde acceptable

pour le lecteur.

Tristan nous suggèrerait deux lectures possibles du Page :

- un récit dans un monde fictionnel où les lieux seraient caractérisés mais non situés. On

perçoit par exemple que le Page est dans une ville animée ou dans un lieu menaçant, mais

on ne peut le localiser précisément.

77 Tristan L’Hermite, Page, op. cit., I, XV, p. 58 : c’est la province de la Marche. 78 Bertrand Westphal, op. cit., p. 173.

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Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

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- le second type de lecture nécessite un travail d’investigation dans lequel le lecteur doit

chercher à situer sur la carte les endroits visités, à partir des indices distillés çà et là par

l’auteur. En effet, parfois, on ne sait pourquoi, la narration se fait précise, par exemple pour

« cette superbe ville d’Édimbourg, dont on [lui] avait dit autrefois tant de merveilles, et qui

devait pour lors être [son] asile » (Page, II, II, p. 152). Pourtant les lieux nommés ne

paraissent pas plus chargés d’histoire ou de symbolique que ceux qui restent indéterminés.

Il s’agirait alors d’aiguiller à nouveau, et temporairement, le lecteur… Par exemple, lors du

retour en France, chaque ville est à nouveau nommée : « Enfin je sortis de Plymouth en

assez bonne santé et pris le chemin qui conduit à Londres […]. Je donnai à deux bateliers

tout ce qu’ils me demandèrent pour les faire ramer diligemment jusqu’à Gravesine, et là, je

pris des chevaux pour aller à Douvres » (Page, II, X, p. 167). Ce passage souligne

également, une fois encore, l’étroite relation entre la mélancolie du Page et les

changements de lieux, Ariston est en « assez bonne santé ». Il semble également que le

changement d’espace conditionne le moyen de transport : à l’aller le Page prend un bateau,

au retour il est à cheval. Plus tard, il est à pied pour aller à Poitiers.

Le brouillage hétérotopique voulu dans Le Page a été faussé par le frère de Tristan,

Jean-Baptiste L’Hermite, qui a instauré un troisième type de lecture : une lecture où toutes

les clés de déchiffrement sont données, où le lien avec la géographie réelle est immédiat.

Par exemple, la clé n°7 relie « cette fameuse ville […] qu’opulente pour la marchandise » à

Rouen. Jean-Baptiste L’Hermite a ainsi contribué à faire glisser Le Page disgracié vers un

consensus homotopique « qui suppose que dans la représentation du référent s’agence une

série de réalèmes et que le lien soit manifeste79 ». Apparaît donc une tension entre

hétérotopie et homotopie. Deux types de géographie coexistent dans Le Page disgracié.

Une géographie que l’on peut qualifier de située dans le sens où les lieux du roman

peuvent être placés sans ambiguïté sur une carte. Et une géographie plus fictionnelle, celle

qui a été initiée par l’auteur, qui laisse plus de liberté à l’imagination et instaure une

complicité avec le lecteur. Dans un premier temps, les clés données par Jean-Baptiste

L’Hermite nous ont permis de retracer l’itinéraire du Page (figures 8 et 9). Nous avons

ainsi pu situer un premier voyage en Europe. Celui-ci est circulaire tel le temps de

l’enfance. Le second voyage, dans la moitié ouest de la France, ressemble plus à une

errance, un vagabondage picaresque.

79 Ibid., p 170.

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Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

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Le même brouillage se retrouve dans les Plaidoyers. Ainsi, pour parler du « bordeau »,

Tristan reste évasif, comme pour respecter la bienséance : « un lieu public », « un lieu où

des personnes bien pudiques n'auraient fait que verser des pleurs », « celles qui ont

seulement passé en ces lieux ». Dans l’épitomé 2, « bois » et « forêt » sont toujours

précédés de l’article déterminé. Dans le plaidoyer XIII, réécriture de l’épitomé 2, le bois

devient indéterminé (« dans un bois »). Lors des réécritures, Tristan opte ainsi parfois pour

l’indéterminé, peut-être afin « de mettre en meilleur langage que n'avait fait un certain

auteur80 » ces « sujets extraordinaires » ou peut-être également pour séparer le lieu de son

endroit, proposer une abstraction par des périphrases typifiantes. Les lieux ne seraient plus

caractérisés par leur situation topographique mais par leur fonction :

- le lieu dédié au secret, au complot : « En un lieu secret avec du poison »

(plaidoyer XII), « lieu secret pour boire une coupe de poison » (plaidoyer XXXV),

- le lieu refuge : « [u]n lieu d’asile » (plaidoyer XXVII), « de sûrs asiles pour les gens

de bien » (plaidoyer XIII).

Cette réécriture accentue la difficulté d’établir une vérité historique qui pourrait

s’obtenir par l’authenticité des faits relatés81. Aucune attestation d’authenticité historique

n’est donnée par l’auteur dans son avis au lecteur ni dans son adresse à M. de Caumartin.

Les plaidoyers eux-mêmes, nous l’avons vu précédemment, ne contiennent que peu de

références temporelles ou géographiques. Ainsi 73% des plaidoyers ne présente aucune

indication qui rattacherait l'histoire à un lieu précis ou à une époque donnée.

Tristan semble donc avoir effacé les éléments qui amèneraient les Plaidoyers vers une

réalité historique et a contrario aurait conservé voire augmenté la réalité morale82. Il

s’agirait alors d’une recherche de vraisemblance, de bienséance même, sans attestation

d’authenticité historique.

2.3 Poétisation 

L’espace se strie, s’affranchit de tout référent et semble également se littérariser par une

écriture poétique dans laquelle le lieu perd sa fonction pragmatique.

80 Tristan L’Hermite, Plaid., op. cit., p. 364. 81 Pour une confrontation entre histoire et roman au XVIIe siècle, voir Frank Greiner, « La confrontation de l’histoire et du roman : Fancan, Sorel, Lenglet-Dufresnoy », Dix-septième siècle, n° 239, 2008, p. 311-338. 82 Nous nous basons sur la typologie de Joël Zufferey : la vérité historique, la vérité anthropologique et la vérité morale, dans Le Discours fictionnel : autour des nouvelles de Jean-Pierre Camus.

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Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

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2.3.1 Topoï géographiques, poésie géographique 

Tristan convoque plusieurs topoï qui donnent lieu à des espaces codifiés et génériques.

On rencontre ainsi, héritées de l’époque médiévale, des scènes de taverne, lieu de

beuverie et de duperie : « Il me parla d’aller boire pinte avec lui dans un cabaret du bourg

où le vin était excellent » (Page, II, XV, p. 180.), « retourne au cabaret » (plaidoyer XIV).

Cependant, ce topos n’est pas prégnant, l’auberge est plutôt un lieu de convergence ; s’y

rencontrent non seulement bourgeois et barbares, mais aussi des intellectuels tel

l’alchimiste. Le lieu topique emprunté au roman comique est ainsi singularisé.

Le topos de la mer est aussi présent à plusieurs endroits. Lorsque le Page prend le

bateau pour Londres, il subit un grain. La tempête est censée mettre le héros à l’épreuve ;

dans notre cas, celui-ci, malade, reste à l’intérieur du bateau… Le topos épique est lui aussi

estompé. La mer serait plutôt «l’horizon fabuleux» de Michel Collot, c’est-à-dire ce qu’il y

a au-delà du point « moi-ici-maintenant », ce qui ne se donne pas à voir, mais à imaginer83.

Locus terribilis et locus amoenus font bien sûr partie de ces lieux communs84. Le Page

traverse une forêt sombre et aux bruits inquiétants : « le bruit continuel que faisaient

certains animaux qu’on me dit depuis être des bœufs sauvages » (Page, II, I, p. 147). Il doit

y passer deux nuits et en sort avec soulagement. De nombreuses occurrences du lieu

idyllique composé de nature verdoyante et d’eau rafraîchissante se retrouvent au moment

où le roman prend une tonalité pastorale, c’est-à-dire pendant la période anglaise. Chaque

moment est prétexte à promenade dans ces lieux : « un grand verger », « une petite

rivière », « une fontaine fort solitaire85 », une grotte86 pavée de coquillages et tempérée par

une source. Par ailleurs, les lieux topiques et poétiques sont rendus clairement

romanesques grâce à plusieurs métaphores géographiques, telle la métaphore filée du

naufrage, qui dénote dans son emploi sylleptique à la fois l’amour d’Ariston pour la jeune

fille anglaise et sa fuite maritime à venir :

Ainsi, mon amour en voguant avait le vent et la marée, et je voyais déjà le port, lorsqu’il s’éleva des vents contraires, qui me firent perdre ma route et me portèrent sur des écueils où je faillis à faire naufrage.87

83 Michel Collot, L’Horizon fabuleux, XIXe siècle, Paris, Librairie José Corti, 1988. 84 L’expression locus amoenus est employée pour la première fois dans le XIVème livre de l’Encyclopédie d’Isidore de Séville, d’après E.R. Curtius, La littérature européenne et le moyen Âge latin, PUF, 1956, p. 313. 85 Tristan L’Hermite, Page, op. cit., I, XXXVI, p. 114 et p. 115. 86 Ibid., I, XXXVIII, p. 121. 87 Ibid., I, XXXVI, p. 115.

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Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

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2.3.2 Les pays : évocations et descriptions 

Aux côtés de ces lieux mythiques et poétisés, Tristan fait intervenir de nombreux pays ;

tous les continents sont évoqués. La référence à l’Amérique se fait par une métonymie

pittoresque. Le nain Anselme, acteur de farces dans le château du Grand-Pressigny, est lié

aux indiens d’Amazonie : « sans oublier que le nain en avait usé comme les Topinamboux,

et les Margajats, qui font bonne chère de leurs ennemis quand ils les peuvent avoir morts

ou vifs » (Page, II, XXVIII, p. 206). Cette référence aux indiens d’Amazonie est aussi

présente dans le paragraphe consacré au Brésil de la Cosmographie : « Ici demeurent les

Taupinamboutz et Margaiatz » (Cosmo, p. 509). Ariston opère un voyage médiatisé par le

biais des personnes qu’il rencontre la plupart du temps dans les auberges. Il s’agit

notamment d’un Polonais et d’Allemands, émergence d’espaces incarnés. L’espace vécu,

tel qu’Henri Lefebvre le définit, ne passe donc pas uniquement par la perception :

Là-dedans il y avait quelques étrangers qui faisaient le tour du royaume et qui devaient y séjourner trois ou quatre jours pour considérer à loisir les singularités de la ville. Je me mis avec eux à table d’hôte, et ne trouvai point que ces Allemands fussent joueurs ni qu’ils fissent les extravagants comme le Polacre, qui m’avait gagné mon argent.88

Le Page rencontre dans cette même auberge « un certain petit homme, bossu devant et

derrière » dont le parent a vécu « vingt-trois ans dans le Sein Persique avec des marchands

arabes, faisant ordinairement sa demeure à Ormus, où il s’était rendu plus arabe que les

naturels du pays » (Page, II, XII, p. 175).

Les pays nordiques sont aussi convoqués avec le cavalier Montagne qui :

avait vu toutes les dernières guerres du Nord, et se vantait avec quelque apparence de vérité qu’il avait eu l’honneur de boire à la santé du Roi de Danemark dans le gobelet de ce prince, qui ne commandait jamais cette sorte de hardiesse qu’aux plus hardis de ses soldats, et dont la valeur s’était hautement signalée. Il avait fort bien appris le langage de ces pays froids et n’en avait pas oublié les exercices.89

Ces pays ne sont pas vraiment décrits. Tristan se contente de donner quelques

indications stéréotypées et exotiques. Ainsi, le Danemark fait partie de « ces lieux

sauvages et froids » (Page, II, V, p. 159). L’étrangeté du lieu tient dans un détail

dysphorique et le plus souvent le narrateur se focalise sur un élément exemplaire du

pays90 : par exemple, il s’enfuit d’une « île où les ordres sont si bons et tous les ports si

bien éclairés » (Page, I, XLVI, p. 144). Cet art de l’allusion pittoresque est soutenue par

88 Ibid., II, XII, p. 174. 89 Ibid., II, XLII, p. 236. 90 Notons qu’au début du XVIIème siècle, un paysage désigne un pays, un tableau mais aussi un élément, un accessoire du tableau (d’après le dictionnaire d’Edmond Huguet). C’est ce troisième aspect qu’illustrerait Tristan.

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Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

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l’usage répété de prétéritions : « je ne m’amuserai point à vous dire », « il n’est point

nécessaire de vous dire91 ». Les ellipses dans les descriptions estompent les longues

distances et accélèrent la narration. Le lecteur retiendra du voyage du Page en Norvège

qu’il a été dangereux mais il n’aura pas de détails.

Cette censure, à visée romanesque, n’est en aucun cas due à une ignorance puisque

Tristan se montre capable de décrire de façon très précise le monde dans les Principes de

cosmographie. Elle participe davantage d’une géographie dramatique et d’une volonté de

glisser dans l’espace sans s’y attarder mais en gardant un souvenir mémorable de ce

passage. La traversée de la Manche pour revenir en France est tout aussi condensée. Sous

prétexte d’évidence (« vous savez bien »), ce dernier voyage en mer, tout comme les deux

premiers, ne sera pas narré.

Il n’est point nécessaire de vous dire ici la fortune que nous courûmes, en ce petit trajet de Douvres à Calais. Vous savez bien que ce passage est assez périlleux en de certains temps, et combien les vagues s’élèvent sous un grain de vent dans cette marche. Il est question de vous conter des choses plus particulières et plus plaisantes.92

Ce procédé procure au lecteur une impression de description en creux qui le préserve de

l’ennui. Il reconnaît Tristan comme savant géographe et délimite le roman comme un lieu

d’histoire agréable plutôt que des paysages. Le narrateur ne manque d’ailleurs pas de nous

signaler son érudition. Il semble plus enclin à asseoir sa connaissance géographique qu’à

parler de son expérience géographique, l’hyperbole contrastant alors avec l’art de l’ellipse :

Auparavant que de me voir en sa maison, j’avais appris beaucoup de choses de la géographie, et ç’avait été moins pour tirer de l’utilité de cette connaissance que pour faire vanité des grands effets de ma mémoire. Je pouvais dire sans hésiter sept ou huit mille noms de provinces, de royaumes et de principautés, de villes, de fleuves, de côtes et de montagnes. Je fis adroitement avertir le prince mon maître que je savais ces choses-là et que, s’il lui plaisait que j’étudiasse la description des lieux, je serais bientôt capable de l’informer, quand il me le commanderait, de l’assiette de tout un pays, et de tous les gués et de tous les passages. 93

Même dans la Cosmographie, qui se voudrait un ouvrage didactique, la géographie se

fait parfois lyrique. L’espace naturel est valorisé, en insistant sur le caractère cyclique du

temps de ces lieux. Au Groenland, le « Printemps est perpétuel » et en Islande, le mont

Hecla « jette incessamment des flammes » (Cosmo, p. 482 ; nous soulignons) ; l’île sainte

Hélène renferme une fontaine « de laquelle l’eau ne se gâte jamais ». L’écriture poétique se

réalise parfois au détriment de l’exactitude et de la pertinence des descriptions puisque,

91 Tristan L’Hermite, Page, op.cit., II, V, p. 158. 92 Ibid., II, X, p. 167 ; nous soulignons. 93 Ibid., II, XL, p. 232-233.

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Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

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selon la note du bas de la page 504, Louis Moreri qui consacre un long article à sainte

Hélène dans son Grand dictionnaire historique indique que « les eaux douces qu’on y

trouve ne sont pas agréables à boire : il y en a qui ont un goût de mine de fer ». La

conversion euphorique pourrait alors souligner la nature non corrompue des lieux naturels.

3. Fermeture et resserrement de l’espace 

Tout se passe comme si l’espace était circulaire. L’itinéraire du Page est une boucle qui

part de la cour et revient à son point de départ. Cette impression se retrouve dans la

Cosmographie. La dernière annotation du traité concerne la ville de Philipopolis : « Chica,

ou pays des Géants […] ; c’est ici où le roi d’Espagne à fait bâtir la forteresse de

Philipopolis94 ». Elle fait écho à la ville de Thrace citée dans la première partie des

Éléments de géographie.

3.1 Un espace centripète 

L’examen approfondi des éléments géographiques nous permet de proposer trois classes

de lieux et trois niveaux différents : les pays, les villes, les « lieux autres ».

La classe des pays se trouve au niveau macroscopique et se divise en deux groupes :

lieu prosaïque versus lieu spirituel. Dans Le Page disgracié, les pays du Nord sont associés

aux déplacements physiques du protagoniste, à son parcours social. Les pays du Sud,

associés aux déplacements imaginés, correspondent à son parcours mental. Le côté

prosaïque du nord apparaît également dans la Cosmographie. L’accent est mis sur les

aspects économiques des îles du Nord : Terre-Neuve est « fameuse à cause des bancs

proches de là où l’on pêche la morue » (Cosmo, p. 506), de même la Norvège possède des

« bourgs sur la côte, fameux pour la pêche » (Cosmo, p. 481).

Les villes sur lesquelles le narrateur du Page s’attarde semblent avoir des connotations

symboliques : elles représentent un espace politique comme Paris, ville d’exercice du

pouvoir, un espace guerrier comme Saint-Jean d’Angely et Clairac, un espace socio-

économique comme Bordeaux, ville marchande «carrefour» ou un espace spirituel comme

94 Tristan L’Hermite, Cosmo, op. cit., p. 510 : Philipopolis a été bâtie par Philippe II (1527-1598) pour garder détroit de Magellan.

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Lyon et Orléans. Les villes deviennent des points sur la carte, reliés entre eux par les

déplacements du Page, mesurables et mesurés : « en moins de douze ou quatorze heures je

fis vingt-sept ou vingt-huit lieues » (Page, I, XVI, p. 62), « L’armée fit bien quarante

lieues » (Page, II, L, p. 249). En cela, on pourrait reconnaître l’espace strié de Gilles

Deleuze, délimitant des territoires et des frontières difficiles à franchir. Il faut franchir des

canaux de vingt-deux pieds de large, les défenses des remparts, des barricades. Cependant,

les déplacements erratiques du Page, parfois physiques, parfois imaginaires, ont tendance à

atténuer ce striage et à faire apparaître non plus des points mais des directions (vers le

nord, vers Paris, vers le sud).

Les villes des plaidoyers sont aussi des espaces associés au pouvoir. Toutefois, il est

difficile de les étudier selon la théorie de Gilles Deleuze. En effet, l’objectif de cette

dernière est surtout d’examiner les passages entre espace strié et espace lisse ou encore les

déterritorialisations et reterritorialisations et il semble difficile de mettre en évidence de

telles transformations dans les Plaidoyers.

Enfin, à un niveau de granularité plus fine, nous rencontrons des « lieux autres ». Ces

endroits souvent clos sont des lieux dans les lieux (chambre, cave), des lieux marginaux

(rive norvégienne, tour) ou secrets. Ils hébergent l’imaginaire. Ce sont des hétérotopies au

sens de Michel Foucault, puisqu’on peut les considérer comme des localisations physiques

de l’utopie.

Prenons l’exemple du voyage en Norvège. Le bateau marchand n’arrive pas dans un

port mais en « cet endroit de la côte de Norvège » (Page, II, V, p. 158). Le lieu reste réel, à

la différence de l’utopie, cependant sa localisation est brouillée. Il habite une « cabane à la

mode du pays » et devient sur « cette plage » à la fois marchand, seigneur et conteur. Cette

juxtaposition donne une impression d’espace hétérogène, mêlant contraintes réelles

(survenir à ses besoins) et imaginaire. C’est aussi un lieu de crise identitaire qui peut être

considéré comme un tiers espace dans lequel on ne s’attarde pas.

Lorsqu’il est accusé d’empoisonnement, le Page est enfermé « dans une vieille tour qui

était séparée de tout le reste du bâtiment » (Page, I, XLV, p. 140). La tour est un lieu à

l’écart de la société qui opère une sorte de rupture avec le temps réel (« j’expérimentai

combien les heures sont longues »). Espace de liberté et d’emprisonnement semblent

paradoxalement s’y juxtaposer : « J’eus de vastes chambres à me promener et l’escalier

libre jusqu’à la porte d’en bas ».

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Le cabinet anglais ou la chambre à Rouen du Page sont des lieux empreints de

merveilleux. C’est dans une chambre d’auberge, depuis son lit, dressé pour « voir mieux,

par l’ouverture de deux rideaux » (Page, I, XVII, p. 64), que le Page observe l’alchimiste

fabriquer de l’or. Cette première découverte est décisive pour le Page. Elle se passe dans

un lieu clos, dans une ambiance de clair-obscur qui oscille entre merveilleux et étrange. La

découverte de l’amour, se fait aussi dans un lieu intime. Ce dernier est longuement décrit :

J’entrai avec elle, et deux de ses demoiselles dans un cabinet magnifique ; sa lambrissure était faite avec un merveilleux artifice, et parmi l’or et l’azur dont elle éclatait, on voyait de petites peintures agréables et bien finies. Sur une espèce de cordon qui régnait tout à l’entour de ce cabinet, on apercevait de toutes les plus rares et les plus précieuses gentillesses qui se tirent du sein de la mer : d’un côté, vous voyiez de grandes conques de nacre ; de l’autre côté c’étaient des vases de terre sigillée admirablement bien fabriqués, et mêlés avec des porcelaines transparentes, quelques petites figures d’or ou d’argent doré, posées sur leur piédestal d’ébène, et qui étaient autant de chefs-d’œuvre de quelques célèbres sculpteurs. Il y avait encore en ce beau réduit deux grands miroirs où l’on se pouvait voir tout entier ; et proche de cinq ou six carreaux de velours posés les uns sur les autres, sur qui cette belle s’assit, il y avait une longue tablette d’argent suspendue avec des cordons d’argent et de soie, et où je vis quantité de beaux livres arrangés.95

L’image d’une chambre idéale se dessine selon un procédé d’ekphrasis. L’auteur

construit un lieu doublement réflexif. Le microcosme reflète le macrocosme avec la mer,

des objets concaves et une mise en abîme grâce aux deux miroirs. C’est également un écho

à la poésie de Tristan et en particulier à La Mer des Vers Héroïques. Le lieu, ainsi

reconstruit dans la mémoire du Page, perd sa référence à la réalité et prend une dimension

symbolique. C’est un lieu parfait et apparemment sûr comme devrait l’être le coffre dans

lequel Ariston met le portrait de sa belle. Cependant, même idéalisés, la chambre et plus

généralement le lieu clos ne sont pas toujours des asiles sûrs et peuvent devenir funèbre

comme nous le verrons dans La Mort de Sénèque.

Un dernière hétérotopie possible est la cave de la maison de Montauban que le Page

attaque avec d’autres soldats (Page, II, L, p. 251-252). C’est un lieu qui, bien qu’inséré

dans l’espace guerrier, semble le neutraliser. On y fait la fête avec du vin de Gaillac, à la

recherche d’un trésor. L’illusion arrive avec la nuit, comme le soir où le Page croit voir

l’alchimiste sortir de l’or d’une poêle. Ici il croit sortir de l’or de pots de grès.

95 Ibid., I, XXIV, p. 84.

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3.2 Saillance d’éléments 

Tristan semble souffrir de « myopie relative96 » lorsqu’il décrit un lieu. Il le réduit à un

élément. Ainsi, Poussol est la ville « en laquelle l’usage de la boussole a été premièrement

inventée » (Cosmo, p. 473)

Nous avons vu que le regard du Page réduit les régions à des villes. L’espace entre ces

villes est ignoré, il est parcouru elliptiquement : « Je ne vous dirai point quelles montagnes

je franchis ni quels ruisseaux je passai avant que de voir cette ville capitale de l’Écosse97 ».

Dans ce passage, la vision est convoquée, le Page « aperçoit » la ville d’Édimbourg. On

croit voir se dessiner la ville à l’horizon, comme si le temps de la narration ralentissait. Ces

moments sont rares dans le roman. Cela se reproduit lorsque le Page arrive à Poitiers :

« cette grande cité que nous voyions déjà d’assez près » (Page, II, XIX, p. 188). La seule

ville sur laquelle le narrateur semble vraiment poser son regard est Bordeaux :

Je vis en cet agréable séjour beaucoup de singularités merveilleuses ; on m’y fit observer un marais desséché par de grands travaux et non sans une prodigieuse dépense, où la boue et les voiries, par l’artifice des humains, avaient été transformés en gazons fleuris et, bref, où l’on avait tiré tout ce qu’on s’imagine de plus délicieux pour la vue et pour l’odorat, de tout ce qu’il y a de plus sale et de plus infect.

J’y vis un tombeau de pierre, soutenu de quatre piliers de même étoffe, qui se remplissait d’eau, durant le croissant, en regorgeait en pleine lune, et se trouvait sec en son défaut. Mille superbes édifices s’y présentèrent à mes yeux pour me faire admirer leur belle structure98.

Synesthésie et hyperbole jalonnent la description pour tendre vers une conversion

euphorique. Le laid se métamorphose en espace positif. Tous les sens sont sollicités : la

vue, l’odorat avec le passage de la boue aux gazons fleuris, l’ouïe avec le bruit de l’eau. Le

regard se fait insistant. La description sert d’écrin pour mettre en valeur l’activité de

l’homme, son œuvre. Les artères de la ville sont évoquées, ce qui pourrait donner une

impression d’étendue, d’ouverture, mais très vite, le narrateur se focalise sur le tombeau.

Avec Tristan, l’espace n’est jamais en expansion. Nous pouvons remarquer une continuité

formelle dans l’œuvre de Tristan. Le tombeau correspond au type d’objets qu’on retrouve

ailleurs dans l’œuvre tristanienne : « Toutes les formes creuses ont le même aspect et sont

composées de deux mêmes substances, eau et pierre. L’union des formes creuses et de

l’univers euphorique en est d’autant plus forte99 ». L’emboîtement des objets semble ainsi

96 Expression employée par Marc Brosseau dans son étude de la représentation des lieux dans les récits courts et non descriptifs (p.425) 97 Tristan L’Hermite, Page, op. cit., II, II, p. 152. 98 Ibid., II, XXXVII, p. 226. 99 Véronique Adam, Images fanées et matières vives : cinq études sur la poésie Louis XIII, Grenoble, ELLUG, 2003, p. 267.

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prolonger la fermeture des lieux. Dans Le Page, beaucoup de contenants entrent en jeu : le

tombeau mais aussi les fioles de l’alchimiste dans la chambre de l’auberge, le pot de

graisse rempli de pièces d’or dans la cave, le coffre d’acier dans le cabinet anglais…

Des espaces pittoresques, beaucoup d’évocations, peu de descriptions… Inutile donc de

chercher dans la prose de Tristan de longues évocations des pays traversés, évacués

également les panoramas époustouflants. Le lecteur ne trouvera que quelques gros plans

disposés çà et là au fil de l’écriture. La représentation de vastes étendues est absente : pas

de mer, pas de campagne, pas de paysage-tableau. Une région est réduite à un trait, elle

passe par l’évocation d’une ville ou même d’un monument. Souvent, la ville elle-même se

resserre sur un lieu clos, une scène d’intimité. Tout se passe comme si le cercle privé

contaminait l’espace public.

4. Les fonctionnalités des espaces 

Les lieux réels et identifiables participent à la construction de deux types d’espaces :

l’espace privé et l’espace public (la ville, la cour et les lieux similaires). À l’horizon de

cette géographie apparemment réelle, se dévoile une géographie plus imaginaire et

symbolique, scindée entre l’espace privé, lieu réflexif, et l’espace public, aux polarités

multiples.

4.1 Espace et dépaysement 

La fonction première de l’espace tristanien est le dépaysement, dans les deux

acceptions du début du XVIIème siècle. « Dépayser » consiste à « faire sortir quelqu’un de

son pays natal ». C’est aussi « faire changer de pays à un homme qui y est habitué, pour lui

faire perdre ses connaissances, pour le mettre en lieu où il soit deguisé et inconnu100 ».

La préface des Éléments de Géographie augure ce dépaysement :

S’il te faut que tu aies voyagé tu trouveras ici de quoi rafraîchir ta mémoire, et de quoi faire de seconds voyages, qui te coûteront moins d’argent et de peine que les premiers ; et quand ton humeur ou tes affaires ne t’auraient pas permis de voir d’autres pays que ton lieu natal, si tu veux apprendre les noms de beaucoup de peuples, de beaucoup de Mers,

100 Dictionnaire universel contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts, par Antoine Furetière (1690). Ces deux sens sont aussi attestés dans le Dictionnaire de la langue française du XVIème siècle d’Edmond Huguet.

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Fleuves, Montagnes, Iles, Promontoires, Royaumes, Provinces et Cités, tu n’as rien qu’à prendre la peine de lire.101

Si l’on examine les annotations qui zooment souvent sur un détail pittoresque, aucune ne

porte sur la France. Le nombre d’annotations croît en fonction de la distance ou du

dépaysement.

Dans Le Page, le dépaysement semble omniprésent et peut se décliner selon quatre

formes. Un dépaysement géographique apparaît lorsqu’Ariston entreprend un périple qui le

conduit dans plusieurs contrées européennes. Deux directions opposées se côtoient, l’une

est une trajectoire qui part vers le Nord, avec l’Angleterre, l’Écosse et la Norvège, l’autre

est un regard vers des pays méridionaux comme l’Italie ou l’Espagne. C’est pour le

narrateur un transport à la fois physique et imaginaire. Le dépaysement est aussi d’ordre

social. Ariston cherche à se « forger une fausse généalogie » (Page, I, XVII, p. 62). Il passe

du statut de page à celui de marchand. Jusqu’à dix-huit ans, il cherche à reconquérir sa

place dans la société de cour, désireux d’obtenir une reconnaissance d’auteur102. Une autre

forme de dépaysement s’opère sur le plan psychologique. Tristan, au travers de ce

personnage et par un récit à la première personne, retrace le début de sa vie. Comme le fera

plus tard Jean-Jacques Rousseau dans ses Confessions, l’auteur tente d’expliciter les

événements qui l’ont corrompu et qui ont favorisé sa mélancolie. Les premières

réprimandes injustifiées de son précepteur, toujours dans « l’impatience de trouver quelque

nouvelle couleur pour [le] punir103 », l’auraient conduit au jeu, à la violence et à la fuite. À

la fois cause et conséquence de son errance, la mélancolie semble indissociable de

l’espace : le Page change « de façon de vivre » parce que « l’étude [lui] avait donné tant de

mélancolie qu’[il] ne la pouvai[t] plus supporter » (Page, I, IV, p. 28). La mélancolie

instaure la dynamique du voyage : « m’abandonnant aux transports de cet excès de

mélancolie, je sortis de la ville sans autre dessein que d’aller où mes pas me conduiraient »

(Page, II, XIX, p. 187). Elle est aussi une conséquence de son errance et s’amplifie à

chaque déplacement : c’est à contrecœur que le Page quitte Rouen, laissant ainsi

l’alchimiste qu’il ne reverra jamais. Les états d’âme d’Ariston motivent ses déplacements

et chaque changement de lieu est prétexte à un changement de décor et d’atmosphère,

instituant enfin pour le lecteur un dépaysement générique. Une déambulation picaresque

suit une romance pastorale ; c’est ensuite le tour d’historiettes restituées sur le ton de

101 Tristan L’Hermite, Cosmo, op. cit, p. 444 ; nous soulignons. 102 « Cher Thirinte, c’est où finit le dix-huit ou dix-neuvième an de ma vie » écrit le narrateur à la fin du roman (Page, II, LV, p. 262). 103 Tristan L’Hermite, Page, op. cit., I, XI, p. 48 (« nouvelle couleur » : faux-semblant, prétexte).

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l’entretien. Dans ces différents contextes, la « campagne » tranquille et les tumultueuses

« villes » convoquées au début du roman104 sont bien présentes mais parfois de façon

ambiguë. Le jardin, cadre pastoral par excellence, héberge non une idylle amoureuse mais

l’initiation de l’alchimiste. Les villes accueillent l’errance du Page qui, désargenté et sans

protecteur, va d’auberge en auberge, au gré de ses affres. Dépaysements géographique,

social, psychologique et générique sont étroitement imbriqués et mêlés.

4.2 Espace public (politique, religieux, social) 

Le monde de Tristan se scinde en espace public et espace intime ; cependant leur

occupation dans l’espace littéraire n’est pas la même. L’espace public, délaissé par Tristan,

est minimisé, voire évacué. Les controverses des Plaidoyers sont certes publiques mais

concernent essentiellement la sphère privée. Le Page ne semble apaisé que dans des lieux

intimes.

4.2.1 Espace politique : les lieux d’exercice du pouvoir 

Dans Le Page, le pouvoir politique est concentré sur un lieu : Paris et sa cour. Il agit

comme un pôle d’attraction pour le Page qui revient toujours « vers la ville capitale du

royaume » (Page, II, LV, p. 262). C’est pourtant à la cour que le Page apprend « les

mauvais exemples, que [lui] donnaient beaucoup de jeunes gens libertins, qu’[il] voyai[t]

dans la maison » (Page, I, IV, p. 29). Le pouvoir guerrier s’exerce de façon plus diffuse.

Les villes écrasées par le pouvoir se succèdent sans jamais être nommées : Saint-Jean

d’Angely qui « arrêta quelques jours » le roi (Page, II, XLIX, p. 248) puis Clairac « qui

avait réputation d’être forte, [et qui] ne fut pas sitôt rendue que beaucoup d’autres à son

exemple embrassèrent l’obéissance » (Page, II, L, p. 249), et enfin Montauban : « Lorsque

cette ville rebelle eut été prise, notre camp s’alla poser devant une autre beaucoup plus

forte » (Page, II, LIII, p. 255).

Le burlesque voile le paysage épique. En effet, à Montauban, le Page est blessé. Mais

c’est par un coup de pelle donné par « un habitant de la ville rebelle » (Page, II, L, p. 251).

Le Page se réfugie alors dans une cave.

4.2.2 Espace social : les lieux de faux‐semblants et de perversion 

Le Page disgracié s’inscrit dans un mouvement incessant. Pourtant le Page est passif et

subit les événements. Il parcourt de longues distances mais il en émane une impression de

104 Ibid., I, III, p 26.

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rétrécissement de l’univers. Les espaces ouverts sont comme synthétisés dans un espace

plus réduit, celui de la ville. Le regard ne s’attarde jamais sur la ville et sans transition, le

Page se retrouve dans un endroit clos : la maison du paysan, la cour, le château du Grand-

Pressigny…

Ce nouveau lieu reste public ou du moins hors du cercle intime mais il devient clos.

Comme la ville, il n’est pas détaillé. Aucune description de l’architecture ou de la

disposition des pièces n’est donnée. Seule une impression en émane : celle d’un endroit

propice au mensonge, à la dissimulation. Par exemple, le château du Grand-Pressigny est le

lieu d’historiettes burlesques. Les animaux envahissent l’espace : c’est le moment où

dindon, perdrix, chat et singe s’invitent dans la narration. Les personnages qui

interviennent sont grotesques : le nain Anselme, le gros garçon jardinier, la boulangère, les

deux fripons Gélase et Maigrelin. L’espace est perverti par les personnages qui l’habitent :

le beau se métamorphose en farces et mensonges. Le Page semble être à la recherche d’un

lieu sûr, un asile : « je m’allais jeter entre les bras de ces personnes puissantes, près de qui

j’étais en un sûr asile » (Page, I, V, p. 31), « je ne manquai pas à la première occasion à

recourir à ce royal asile » (Page, I, VI, p. 34), « arrivé en ce doux asile » (Page, I, XXXVII,

p. 119), « qui devait pour lors être mon asile » (Page, II, II, p. 152).

4.3 Espace privé, éthique et leçon 

Si l’espace privé du Page est le lieu de l’apprentissage (l’instruction dans le cabinet de

la jeune fille anglais, les lectures dans la bibliothèque de Scévole de Sainte-Marthe), c’est

aussi dans les Plaidoyers un lieu qui se doit d’être un exemplum, au sein duquel la

dimension morale de personnages génériques et intemporels est évaluée.

4.3.1 Typologie des épitomés 

À partir du relevé des principales caractéristiques des cent épitomés, en particulier des

types de protagonistes et de leurs éventuelles dénominations ainsi que de l’époque et du

thème de l’histoire, nous avons pu établir une classification en neuf catégories : les

histoires se déroulant à l’Antiquité (époque romaine et grecque), celles qui font intervenir

des figures de pouvoir dans un milieu public (roi, tyran) ou dans la sphère familiale (père

biologique, parent adoptif, mari ou maître) et a contrario celles où le protagoniste n’est pas

une figure de pouvoir (personnages de la classe populaire). À ces cinq catégories

principales, s’ajoutent les histoires guerrières, religieuses et celles qui heurtent la

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bienséance (viol, suicide). Nous avons également classé les plaidoyers selon ces neuf

catégories. Le tableau ci-dessous synthétise le nombre d’épitomés et de plaidoyers pour

chaque catégorie :

CATEGORIE EPITOMES PLAIDOYERS époque lointaine 24 4 figure de potestas – cercle privé 29 21 figure de potestas – cercle public 10 1 milieu guerrier 8 1 milieu religieux 4 1 non postestas – cercle public 7 3 non potestas – cercle privé 6 1 non bienséance 7 0 autre 5 4

Table 11 : classification des épitomés et des plaidoyers

La sélection de Tristan resserre l’éventail des histoires. Comme Jean-Pierre Camus, il

ignore les grandes histoires et délaisse les rois et héros pour se focaliser sur les « petites

histoires ». De plus, il écarte les thèmes liés aux viols et aux suicides. On peut penser que

Tristan enlève les histoires où le clivage bon/méchant est trop évident. En effet, alors que

Le Sylvain inclut de nombreuses figures de tyran105, il semblerait que Tristan les fuit : une

seule occurrence du substantif « tyran » subsiste ; elle est dans le plaidoyer XIII, seul

plaidoyer conservé de la catégorie « figure de potestas – cercle public ».

Ainsi, la recomposition semble orientée à des fins d’unification. Les plaidoyers forment

un ensemble homogène fait en vue d’une unité cohérente où la majorité des histoires (57%)

concerne une discorde dans le milieu familial entre une figure d’autorité et un ou plusieurs

autres personnages et plus particulièrement un litige père/fils, mari/femme ou

maître/esclave.

4.3.2 Brouillage des codes 

Tristan donne une certaine cohérence à son œuvre par le choix des histoires mais aussi

par leur organisation. L’examen de l’ordre des plaidoyers effectué par Anne Tournon nous

conforte dans cette idée :

Ce duel symbolique, s'il rappelle en écho les autres affrontements, sert aussi la structure de l'œuvre et montre le travail du conteur : elle permet une liaison thématique et justifie l'ordre de certains plaidoyers.106

105 Elles apparaissent dans les épitomés 2, 3, 8, 10, 11, 45, 46, 50, 64 et 69. 106 Anne Tournon, introduction des Plaidoyers historiques, op. cit., p. 355-357.

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Toutefois, deux plaidoyers posent problèmes ; les plaidoyers III et XX sont discordants

par rapport à notre hypothèse de recomposition. En effet, le troisième plaidoyer est une

conjonction de tous les critères écartés dans les autres textes : les lieux sont explicités

(Nice, Monaco, Tunis), la bienséance est mise à mal (l’histoire se passe dans une maison

de prostituées), les personnages appartiennent au milieu religieux et guerrier (c’est un

soldat qui est tué par la religieuse) et l’histoire choisit la bienséance contre la

vraisemblance (il est difficile de penser que la jeune religieuse puisse passer plusieurs mois

sans être contrainte de se prostituer). Quant au seul plaidoyer original et entièrement créé

par Tristan (pl. XX), il est totalement hors-sujet. C’est le seul qui ne se déroule pas dans un

tribunal ; le thème galant est un écho à l’Astrée. C’est un sujet de prédilection de Tristan

que l’on trouve déjà dans l’épisode anglais du Page disgracié. Sa position en milieu

d’œuvre perturbe ainsi le lecteur qui s’attend à un changement de tonalité alors qu’il n’en

est rien.

À l’exception de ces deux plaidoyers et comme relevé dans la classification, la

reconstruction de Tristan recentre l’œuvre sur la famille et ses dissensions. Le lecteur est

plongé dans le noyau familial et confronté à des problèmes liés à l’argent et au sexe. Le

travail de récriture au sein de chaque histoire ajoute un prisme nouveau : le contenu est

remanié, les évocations pathétiques effacées et toute modalité axiologique évitée. On

pourrait alors penser que l’auteur veut proposer des histoires plus exemplaires

qu’historiques :

Intricately mixed with elements borrowed from the actual world, fiction calls our attention to the nonactual, to the invisible, and to the exemplary107.

Le terrain est dès lors habilement préparé mais Tristan laisse au lecteur la liberté de

peser le bien et le mal grâce aux controverses et à une certaine absence de parti-pris. Ce

libre arbitre est autorisé en particulier grâce aux mondes possibles qui cohabitent au sein

d’un même plaidoyer mais aussi grâce aux échos entre plaidoyers.

4.3.3 Les mondes possibles intra‐plaidoyer et inter‐plaidoyers 

Nous faisons l’inventaire des mondes possibles engendrés par deux plaidoyers afin

d’imaginer l’effet qu’ils pourraient avoir sur le lecteur. Le plaidoyer VIII parle «d’un

curieux impertinent qui voulut répudier sa femme » :

Un homme de jalouse humeur fit solliciter sa femme par un de ses valets, et se servit de tant d'artifices pour ébranler sa chasteté qu'enfin la femme dit oui, comme il était caché

107 Thomas Pavel, «Fiction and Imitation», Poetics Today, vol. 21, n° 3, Fall 2000, p. 539.

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derrière eux. Le mari paraît à ce mot, lui fait de furieuses reproches, puis assemble tous ses parents pour l'accuser d'adultère, afin de la répudier.

Les fabliaux et les comédies relatant des histoires de cocufiage sont les textes de

référence. Le plaidoyer modifie légèrement le schéma-type : le mari pousse sa femme à la

faute et pose lui-même la question des mondes possibles (sa femme doit/peut être

infidèle).

L’exposition des faits donne un premier monde possible, c’est le monde de référence M.

C’est le plus objectif car le liminaire est assez neutre et le jugement rendu n’est pas

indiqué. Toutefois, par rapport à l’épitomé, Tristan accentue le caractère jaloux du mari.

Les constantes dans ce monde sont le mari, la femme, l’amant et les parents de femme. Les

propositions sont, entre autres, « le valet tente de séduire la femme » (A), « le mari accuse

d’adultère sa femme » (B), « la femme est infidèle » (C), « il est possible que la femme soit

infidèle » (A) et « il est nécessaire que la femme soit infidèle » ( A).

Il est très proche du monde engendré par le texte du Sylvain. Dans l’épitomé 28, le mari

est « caché en un jardin » et la femme cèdera « la premiere fois que son mary yra aux

champs108 ». Tristan a gommé ces allusions présentant ainsi le prototype du mari

indépendamment de sa fonction sociale (les champs faisant penser au paysan). Le cadre

dans lequel se déroule la scène devient lui aussi indéterminé.

Dans le plaidoyer du mari, la femme infidèle a fauté plusieurs fois. Ce premier

plaidoyer donne un monde fictionnel Mf1. Il contient les mêmes propositions que M. En

prenant l’analogie comme relation d’accessibilité R, le lecteur peut passer d’un monde à

l’autre. Toutefois, dans Mf1, la proposition C est vrai ; donc C est vrai dans M.

Ce sont les parents de l’épouse qui répondent ensuite au mari. L’épitomé propose

plusieurs alternatives justifiant le comportement de l’épouse (ce qui ajouterait plusieurs

propositions si l’on voulait représenter l’état de ce monde) :

mais aussi ne pourrez vous nier, que l’impudicité consiste au fait, non pas en une parolle dite sans sçavoir à quelle intention : que sçavez vous si elle lui promettoit de peur d’estre forcee, se voyant seulle ? ou pour vous faire cognoistre l’infidelité de votre serviteur, et par ce moyen conserver vostre honneur et le sien et ne nyons aussi qu’elle ait promis au premier qui l’a requise

Le plaidoyer est plus catégorique : l’épouse est innocente, elle a fait croire qu’elle

cédait. Tristan rend donc la représentation du monde plus simple que dans l’épitomé ; il se

débarrasse des inférences inutiles :

108 Alexandre Van Den Buschen, Epitomes de cent histoires tragicques, Paris, 1581, p. 93.

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Elle a fait semblant d'accepter les offres de son service, mais elle ne l'a point effectivement reçu dans son lit. Ce OUI dont tu veux si fort exagérer l'infamie, est un mot qui ne t'a point apporté de préjudice. Il n'a été prononcé que pour se moquer d'un mari jaloux qui n'avait de honte d'offenser une honnête femme.

Ce second plaidoyer donne un autre monde fictionnel Mf2 tout aussi accessible depuis

M ; toutefois, la valeur de vérité change pour C qui devient faux, induisant ainsi que C

est faux dans M. L’épouse est donc peut-être infidèle mais pas nécessairement.

Et maintenant si le valet était un homme riche ? Tristan nous propose de visiter cette

alternative au travers d’autres mondes possibles. En effet, le plaidoyer XV « D'un homme

riche qui mourut amoureux d’une femme vertueuse, à laquelle il laissa tout son bien par

testament ; ce qui donne occasion d’accuser sa femme d’adultère » projette un monde

fictionnel Mf3 accessible depuis M. C’est toujours la relation d’analogie qui fonctionne :

Mf3 est composé des mêmes constantes (le mari, la femme et l’amant) et des mêmes

propositions « l’amant tente de séduire la femme » (A), « le mari accuse d’adultère sa

femme » (B) et « la femme est infidèle » (C). On passe seulement d’un amant pauvre à un

amant riche :

Un homme ayant une belle femme alla faire un long voyage, sans la mener avec lui. Durant cette absence un étranger fort riche vint loger près de la maison de cette femme, et ne l'eut pas si tôt vue qu'il en devint fort amoureux. Après beaucoup de soins rendus en vain et de présents offerts inutilement, le riche amant, perdant espérance d'être aimé, perdit aussi le désir de vivre, et se sentit saisi d'une fièvre ardente, qui le conduisit au tombeau. Avant de rendre l'esprit, il donna tout son bien à cette belle et chaste femme, et coucha expressément ces mots dans son testament, « pour l'avoir trouvée chaste et vertueuse». Le mari est averti du bien dont sa femme a fait acquisition avant son retour, et cela lui fait concevoir une telle jalousie qu'étant arrivé en sa maison, il accuse sa femme d'adultère

Comme pour le plaidoyer précédent, le discours du mari et celui de l’épouse engendrent

d’autres mondes fictionnels Mf4 et Mf5. Le lecteur a donc à sa disposition plusieurs mondes

possibles reliés entre eux. Tristan a revu l’espace de ce plaidoyer : le mari part en voyage

mais on ne connaît plus la destination (Jérusalem pour l’épitomé).

En restructurant les épitomés, Tristan contribue à rendre les plaidoyers « adaptables »

au monde réel du lecteur (Ma), facilitant les échanges entre Ma et les mondes textuels.

Se dessine ainsi une « constellation référentielle qui varie pour chaque œuvre109 ». Dans

la constellation des Plaidoyers (qui projette le monde possible de référence M) se trouvent

109 Françoise Lavocat, op. cit., p. 28.

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Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

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des mondes textuels actuels, comme celui projeté par les épitomés du Sylvain Ma1 (ou Mf1

selon que l’on considère les épitomés comme factuels ou fictionnels) ou des œuvres

historiques Ma2. On trouve également des mondes fictionnels Mf1, en particulier ceux

projetés par les histoires tragiques qui reprennent des histoires très ressemblantes sur des

sujets comme l’adultère, le mari jaloux, le viol. Par exemple dans la cinquième histoire de

Pierre Boiaistuau, Dideco séduit et abuse Violente ; cette dernière est ensuite condamnée

pour l’avoir tué d’une manière sauvage110. Pour le monde M, ces références ne sont pas

toutes des relations de signification absolument nécessaires (les relations référentielles Rf

et Ra définies par Françoise Lavocat). En effet, par rapport aux épitomés, Tristan a

supprimé nombre de relations référentielles. En enlevant beaucoup de références à des

personnages historiques et en situant les faits dans le monde contemporain du lecteur111, la

connaissance d’œuvres textuelles extérieures n’est pas indispensable pour comprendre le

plaidoyer : le lecteur n’a plus à connaître le destin des personnages cités dans l’épitomé

tels Suzanne Hebrée ou Flora Thais (lien de M vers Ma2). De même, la connaissance de

l’œuvre du Sylvain n’est pas indispensable car les Plaidoyers historiques n’en sont qu’une

écriture méliorative112 (lien de M vers Ma1).

La relation entre M et le monde actuel pourrait jouer un rôle herméneutique. Les

plaidoyers, en proposant plusieurs interprétations du monde réel, permettraient, comme

Anne Duprat le suggère, de guider le lecteur dans sa compréhension de « l’humaine

condition ».

Tristan recentre l’espace de ces mondes dans la sphère privé (en supprimant les

épitomés qui se déroulent hors de cette sphère). Tout se passe comme si Tristan cherchait à

placer ces situations dans un espace suffisamment impersonnel pour que le lecteur puisse

se l’approprier. Il enlève les éléments qui pourraient trop caractériser le lieu, par exemple,

le mari est derrière les amants, mais on ne sait plus où.

En revanche, lorsque les événements sont très particuliers, comme pour l’abbesse

prostituée, l’enfant devenu poison oriental ou le comte de Flandres, Tristan opère à

l’inverse. Il ajoute des repères par rapport aux épitomés. Les lieux sont situés ou précisés

110 Pierre Boiaistuau, Histoires tragiques, Paris, Honoré Champion, 1977, p.167. 111 Tristan emploie des déictiques comme « aujourd’hui » (sept occurrences), « maintenant » (six

occurrences) ou encore « ici » (six occurrences). 112 Cela serait différent, par exemple, pour une écriture parodique.

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Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels

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par rapport à la géographie du lecteur. L’abbesse est de Nice, le comte à Tournai et le

marchand vend l’enfant à Constantinople.

L’espace tristanien n’est pas tendu vers l’horizon mais plutôt comme replié sur lui-

même, comme une spirale qui entraînerait les éléments en son centre. D’un paysage ouvert,

vaste, on glisse systématiquement vers un espace resserré. Beaucoup d’espaces clos

peuvent s’observer. Ce sont des chambres, des tombeaux, des objets creux qui au départ

semblent des hétérotopies positives mais qui peuvent se transformer en espaces funestes.

On ne rencontre pas ou peu d’espaces lisses, insaisissables dans sa globalité et dans

lesquels la notion de frontière serait absente. Les espaces hors de portée du pouvoir

semblent être plutôt des données discrètes113.

113 Analogie mathématique. Les données discrètes, par opposition aux données continues, sont quantifiables.

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« L'autre doit à son tour, d'un tranquille visage,

Émailler tout le paysage, » Tristan L’Hermite

Stances

III – Espace tristanien et genres 

Nous avons dans un premier temps porté notre étude sur les textes en prose de Tristan

L’Hermite. La caractérisation de l’espace dans ce type de texte s’est faite selon trois

critères : les types de lieux participant à la construction de l’espace, le lien entre ces lieux

et l’espace ainsi construit et enfin, le caractère acceptable de ces espaces.

1. Littérature géographique et genre 

Nous avons pu constater que la ville est un lieu qui joue un rôle important, en particulier

dans Le Page. Elle opère une dichotomie entre espace naturel et espace non naturel.

L’espace naturel n’est pas très présent ; cependant quand il entre en jeu, souvent, il est mis

en valeur par des conversions euphoriques. L’espace artificiel, quant à lui, peut se

comparer à des espaces triés. Ce sont des zones délimitées, lieu d’exercice d’un pouvoir

qu’il soit politique, religieux ou guerrier.

Nous nous sommes focalisés sur l’espace « vécu », c’est-à-dire celui conceptualisé à

travers les images et symboles qui l’accompagnent, à travers les descriptions des

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Espace tristanien et genres

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écrivains114. Il peut émerger de la juxtaposition ou de l’agrégation de différents lieux. Nous

avons cherché la relation des lieux vers l’espace. Nous avons mis en évidence des

homotopies où il n’y avait aucun brouillage entre l’espace réel et sa représentation, des

hétérotopies et une utopie, en la mémoire du Page. Tristan semble opérer un brouillage

hétérotopique en effaçant certaines références ou en rendant difficilement localisables

certains endroits Cette absence de références rend la question du genre plus complexe.

Ainsi, Le Page s’écarte de l’autobiographie, il joue avec le roman précieux qui apprécie

l’art du secret et des devinettes et semble échapper à une topographie réelle pour s’ancrer

dans un univers fictionnel. Le lecteur est parfois conduit dans des hétérotopies. Ces

espaces sont marginaux ou s’ils sont à l’intérieur de la société, obéissent à des règles autres

et peuvent rompre avec le temps réel. Ce sont aussi parfois des espaces de crise,

notamment de crise identitaire pour le Page.

Parfois, il y a si peu d’entités géographiques nommées dans le texte que l’espace

devient indéfinissable. Cet effet de neutralité se trouve dans plusieurs plaidoyers. Nous

nous sommes alors demandé quel rôle pouvait jouer des espaces atopiques sur la

perception du lecteur. L’étude de mondes possibles projetés par certains plaidoyers fait

penser à une recherche d’exemplarité plutôt qu’à un effet de fiction.

Il serait intéressant à présent de chercher si certains types d’espace mis en évidence

dans les textes en prose se retrouvent dans des œuvres d’un genre différent, le théâtre par

exemple, d’autant que le caractère exemplaire du lieu tragique y est plus prégnant que sa

fonction fictionnelle.

Christiane Lahaie suggère qu’une « géocritique théâtrale est envisageable, pour peu que

l’on tienne compte des spécificités mimétiques mais aussi évocatrices du genre115 ». Deux

éléments peuvent être pris en compte : « l’espace dramatique » construit à partir des

dialogues et « l’espace scénique ». L’espace scénique possède quelques propriétés du lieu

représenté. Comme il reste iconique, il est plus souvent suggéré que décrit. Nous

n’écartons cependant pas l’examen des indications textuelles scéniques présentes dans les

œuvres.

114 Pour mémoire, Henri Levebvre distingue l’espace vécu, de l’espace conçu et de l’espace perçu (sensation immédiate et non médiatisée). 115 Lahaie Christiane, « Éléments de réflexion pour une géocritique des genres », Épistémocrique, vol. IX, 2011.

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Espace tristanien et genres

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2. Les lieux dans trois tragédies de Tristan 

Nous avons effectué un repérage géographique dans trois tragédies La Mariane, La

mort de Sénèque et Osman, en suivant la même méthodologie que pour les œuvres en

prose. Elles sont considérées comme les plus représentatives du théâtre de Tristan. Les

deux autres tragédies Panthée et La Mort de Chrispe, n’amenant pas de nouveaux lieux, ne

nous ont pas paru essentielles : l’empire perse de Cyrus II sous l’antiquité (539 avt J.-C.)

pour la première et Rome sous le règne de l’empereur Constantin Ier (326 ap. J.-C.) pour la

seconde. Nous avons travaillé à partir de l’analyse morpho-syntaxique des discours pour

lister les occurrences de noms de lieux ; nous n’avons pas inclus pour ce traitement les

épitres.

2.1 La Mariane 

Tristan a pris l’histoire de Mariane des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe comme

il le précise dans son avertissement au lecteur : « Quiconque a lu Josèphe, […] sait assez

quelles ont été les violences d'Hérode, qui furent fatales aux Innocents, et particulièrement

à cette Illustre Mariane, dont il avait usurpé le lit et la liberté, avec la Couronne de Judée ».

Hérode, roi de Judée de 37 avant J.-C. à 4 avant J.-C., est follement épris de sa femme

Mariane, qui le méprise d’autant plus que ce dernier a fait assassiner son frère Aristobule.

Devant se rendre à Rhodes, le tyran ordonne à son serviteur Soesme de tuer Mariane s’il ne

revenait pas. À son retour, il apprend que Mariane a été informée de cet ordre et soupçonne

alors un adultère entre elle et Soesme. Hérode, incité par sa sœur Salomé qui a fomenté le

complot, soupçonne sa femme de vouloir attenter à ses jours. Jaloux et suspicieux, il en

vient à la condamner à mort.

La pièce se déroulant à Jérusalem, la plupart des noms propres servent à situer la

région : Arménie, Égypte, Palestine, Judée.

Pays / Continent  Région    Ville    Fleuve/Mer…    Île   

Afrique  1 Judée  2 Jérusalem  3 Euphrate  1  Rhodes  1

Arménie  1     Rome  2 Jourdain  2     

Égypte  1         Nil  1     

Palestine  1         Tibre  1     

Figure 12 : les noms de lieux dans La Mariane

Jérusalem est un espace ambigu, à la fois lieu de domination par un barbare, Hérode, et

lieu de naissance de la religion chrétienne. La dualité de cet espace se révèle par sa

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comparaison avec d’autres pays. La tyrannie d’Hérode et Jérusalem, incarnées par

Mariane, sont d’abord comparés à l’Afrique : « Va monstre plus cruel que tous ceux de

l'Afrique » (IV, VI, vers 1385). L’Afrique, pays des barbares au temps de Tristan, semble

une convocation presque anachronique. C’est ensuite par l’intermédiaire d’Aristobule que

Jérusalem est confrontée à Rome : « Que dans la Palestine on élevait un homme / Qui

valait bien les dieux qu'on adorait à Rome » (vers 415-416, II, I). Le lieu chrétien,

singulier, s’oppose ici à l’espace païen, pluriel.

On peut constater une forte présence de l’eau notamment avec l’évocation de

l’Euphrate, du Jourdain, du Nil et du Tibre. La présence de l’eau se conjugue avec la mort

notamment dans le rêve que fait le roi Hérode. Ce dernier se réveille en sursaut au début de

la pièce, il vient de rêver du frère de Mariane qu’il a fait noyer :

Je me suis trouvé seul dans un bois écarté, Où l'horreur habitait avec l'obscurité, Lorsqu'une voix plaintive a percé les ténèbres, […] Mes pas m'ont amené sur le bord d'un étang, Dont j'ai trouvé les eaux toutes rouges de sang ;116

On retrouve dans ce rêve la topique du locus horribilis. La forêt et les ténèbres sont

cependant associées à un autre élément : l’eau. Contrairement à l’eau claire des rivières et

fontaines évoqués dans les œuvres précédentes, ici, c’est un marais, où l’eau est stagnante

et corrompue. Nous retrouvons cet aspect dans les autres tragédies.

Le marais est aussi utilisé pour transformer Jérusalem, l’amener à un espace strié, mais

avec des verticales plongeantes (« gouffre », « abîme »), c’est un espace dans lequel on

s’enfonce et on se noie :

De tout Jérusalem ne faites rien qu'un gouffre, Qu'un abîme infernal, qu'un palud plein d'horreur,

Les éléments naturels transforment l’espace artificiel. Les lieux du pouvoir sont ainsi

naturalisés par une métaphore fluviale, Rome et « la colère du Tibre », Jérusalem et « le

Jourdain libre », comme pour les rapprocher des lieux pittoresques de Cosmographie ou

pour atténuer la nature politique de ces lieux :

Et j'ai mille secrets par où le Jourdain libre N'a point à redouter la colère du Tibre.

Le lieu de pouvoir peut être aussi contaminé ; ainsi le Jourdain, fleuve biblique et lieu de

pèlerinage chrétien accentue le pôle religieux de Jérusalem. L’évocation du Tibre peut être

une résurgence de la poésie de Du Bellay (« Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre

116 Tristan L’Hermite, La Mariane, Paris, Augustin Courbé, 1637, I, III, vers 93-102.

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Latin117 »), mais aussi un écho à L’Astrée (« ce grand Cleomir, qui pour vostre service

visita si souvent le Tibre, le Rhin, et le Danube118 »). Nous verrons que l’on retrouve aussi

ces fleuves dans Osman. Le théâtre de Tristan met donc en scène des lieux topiques repris

de textes historiques, religieux et littéraires. Cette pratique intertextuelle se rencontre aussi

dans Le Page et plus implicitement dans la Cosmographie par le biais de certaines

annotations. La symbolique induite par l’intertextualité entraîne ainsi une modification du

type de lieu initial. Sans être explicitement écrit, la religion imprègne l’espace dans lequel

se joue la scène.

La mise en scène d’une passion amoureuse conduisant Hérode au crime et à la folie

donne à voir un personnage double, d’un côté un mari violent dont la jalousie conduit à

l’assassinat et de l’autre une figure despotique de l’Orient. Il semble donc intéressant

d’étudier à la fois l’évocation des lieux amenant à la construction de l’espace oriental et les

« lieux autres » relevant plus de la sphère privée. Ainsi, le lieu de rencontre entre Mariane

et Alexandra semble une hétérotopie. Il n’est pas nommé, seules quelques indications

spatiales dénotent un espace instable, transgressif : « ce lieu », « par où ? », « de ce côté »

(alors que Tristan a précisé dans les arguments les autres lieux : la chambre d’Hérode, la

chambre de Mariane et la prison). Il devient un espace dans lequel les règles changent, où

la mère condamne et où s’opère une inversion des valeurs de vérité : « Vous vivrez

innocente, et je mourrai coupable ».

Le corps de Marianne pourrait être lui aussi considéré comme un espace. Un espace

qu’Hérode veut prendre comme il veut prendre Jérusalem. Il le disloque et commence par

séparer le couple mythique de l’Androgyne formé par Aristobule et Marianne. Puis il lui

coupe la tête (« d’un prompt éclair d’acier lui fit voler la tête »). Le corps se perçoit

comme un espace fragmenté qui sera réunifié après la mort.

2.2 La Mort de Sénèque 

La pièce se déroule dans l’Antiquité, comme pour La Mariane mais l’action se situe ici

du côté de l’Occident, à Rome. La tragédie retrace la mort du philosophe Sénèque après

que Néron l’a accusé de faire partie d’une conspiration menée par Pison (65 après J.-C.).

Alerté par son capitaine de flotte Procule, Néron interroge des conjurés soupçonnés de

vouloir le tuer. Il commence par une jeune affranchie, Épicaris, qui résiste à la torture. Il

117 Joachim du Bellay, Les Regrets, 1558, p. 98, 31 (recherche effectuée avec la base Frantext). 118 Honoré d’Urfé, L'Astrée, t. 1, 1ère partie, livres 3, 1612, p. 84 (recherche effectuée avec la base Frantext).

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obtient la liste des conjurés en questionnant Natalis puis le sénateur Sévinus qui cèdent à la

peur ; le nom de Sénèque est dans la liste. Pressé par sa femme Sabine Poppée, qui jalouse

les richesses de Sénèque, Néron ordonne à Sénèque de se tuer.

Rome, citée de nombreuses fois, est associée à un « brasier » et « un grand marais de

sang mêlé de cendre » (vers 402). L’alliance antithétique de l’eau et du feu est ici revisitée.

L’eau est corrompue et Rome est un « grand marais ». Tristan utilise le même procédé que

dans La Mariane pour transformer Rome en espace naturel, mais il en fait un espace

négatif. L’évocation de l’incendie de Rome par Néron se situe dans le discours emphatique

d’Épicaris. Rome est aussi personnalisée pour faire référence au peuple lorsque Sabine

s’instruit de la mort de « cette peste de cour » :

Qu'a dit en te voyant cet honneur de Cordoue Que Rome admire tant, que tout le monde loue ? (vers 1770)

Pays / Continent  Région    Ville    Fleuve/Mer…    Île   

Égypte  1     Cordoue  1 Euphrate  1   

Italie  1     Micène  3 Tibre  1   

Orient  2     Rome  14        

      Rome (Champ de Mars) 

1        

      Rome (Jardin de Mécène) 

1        

      Troie  1        

Figure 13 : les noms de lieux dans La Mort de Sénèque

Le monde oriental est peu présent dans les références : il s’agit « du blé qui vient

d’Égypte » et « des poisons d’Orient / Dont la douce rigueur fait mourir en riant 119» qui

survient dans un dialogue où Poppée tente de persuader Néron de tuer Sénèque. La

seconde occurrence d’Orient fait surgir tout le monde oriental dans un lieu clos et

macabre ; nous y reviendrons.

Les jardins de Mécène sont le lieu où Néron est instruit du complot et où il interroge les

conspirateurs. C’est aussi dans les jardins que les conspirateurs se réunissent. Ils semblent

donc être un espace pluriel qui a perdu sa fonction habituelle (rêverie, scène galante) pour

devenir à la fois un lieu dédié au secret et un lieu d’exercice du pouvoir. Alors que jusqu’à

présent l’espace du complot était fermé, il devient ouvert, visible de tous et fusionne de

façon étrange à l’espace qu’il veut combattre. Il s’agirait alors d’inverser le sens de ce lieu

119 Cette association peut rappeler le poison du premier des Plaidoyers Historiques, « D’un enfant rousseau qui fut vendu par un médecin de Raguse, à un médecin turc, qui en fit du poison ».

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générique de la poésie lyrique et de la pastorale et de faire du locus amoenus un lieu

politique120.

Il est possible également de voir un espace tiers, hétérotopique, en la rive de Misène :

Épicaris semble y avoir une autre identité (elle est courtisane, comme le Page est marchand

sur la rive de Norvège) : « Voudrais-tu dénier qu'un soir sur une rive » (vers 807) puis

« Elle quitta Micène, et se jeta dans Rome » (vers 868)

Enfin, la chambre dans laquelle se tue Sénèque, par sa description, fait penser au cabinet

de la jeune fille anglaise dans Le Page. Ekphrasis, synesthésie et jeu de miroir conduisent à

donner à ce lieu une dimension symbolique. Mais là encore, on assiste à une inversion, la

chambre comme lieu amoureux, devient un lieu macabre. Une situation similaire survient

dans Le Page avec le « royal asile121 » qu’est la chambre dans laquelle le jeune Duc

d’Orléans meurt. Dans La Mort de Sénèque, le sentenier qui rapporte le suicide commence

ainsi :

Nous sommes avec lui passés dans une chambre Où l'air qu'on respirait n'était rien qu'esprit d'ambre ; Ce n'étaient en ce lieu qu'ornement précieux Dont l'éclat magnifique éblouissait les yeux ; Que meubles d'Orient, Chefs-d'oeuvre d'une adresse Où l'art débat le prix avecque la richesse ; Que miroirs enrichis et d'extrême grandeur.

Le lieu est clos. Il sollicite le plaisir des sens, la vue et l’odorat. Alors qu’il devrait être

sombre et lugubre, il n’est que merveille et esthétisme. Avec le jeu des grands miroirs et

des objets orientaux qui envahissent l’espace, il devient un microcosme qui reflète tout

l’Orient. Interrompu par Sabine Poppée, le sentenaire reprend :

Un vaste bassin d'or, où des eaux odorantes Ornaient de leur parfum mille pierres brillantes, N'y faisait éclater une valeur sans prix Que pour y recevoir son sang et ses esprits.

En multipliant les détails, le lieu se fragmente et néanmoins semble homogène en reliant

des objets similaires : brillants, orientaux et creux ou clos. Le lieu devient lumineux ; les

richesses effectives et figuratives s’entremêlent (« son sang et ses esprits »), faisant du

corps de Sénèque un double du lieu. L’unité fusionnelle du lieu que l’on rencontre ici ne se

trouvait pas dans le roman, Ariston restant un élément hétérogène de la chambre. De la

description de la chambre funèbre de Sénèque émane un haut-lieu, à la fois de mémoire et

du cœur. Il pourrait devenir également un lieu exemplaire d’une mort chrétienne ? Les

120 Voir à ce sujet Laurence Giavarini, La distance pastorale, Paris, Vrin, 2010, qui montre que les lieux de la pastorale sont devenus des moyens de réfléchir sur le pouvoir. 121 Tristan L’Hermite, Page, I, VI, p. 34.

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derniers gestes de Sénèque font penser au baptême chrétien. S’ajoute à cela l’évocation

d’ « [u]n vieux Cilicien aux bonnes mœurs instruit/ Un Prophète nouveau dont la doctrine

pure /Ne tient rien de Platon, ne tient rien d'Épicure » (vers 704). On peut aussi voir dans

ce lieu une relecture de la mort des saints dont on dit aussi que le corps embaume et est

éclatant à leur mort.

2.3 Osman 

La tragédie d’Osman relate un drame oriental mais, à la différence de La Mariane, il est

contemporain. Les lieux ne sont plus topiques et institués mais modernes, dont le sens est

encore imprécis et réduits à des lieux barbares. Tristan nuance cet état de fait, en rendant

Osman conforme au modèle du héros tragique, plus occidentalisé. Il s’agit de l’épisode qui

précède la mort d’Osman, fils d’Ahmet Ier, qui en 1618, à l’âge de quatorze ans, devient

sultan de l’empire ottoman. En 1622, de retour à Constantinople, après avoir été contraint

de signer un traité avec la Pologne, Osman reproche sa défaite à ses officiers et aux

janissaires. Il décide de former une nouvelle armée en Égypte et prétexte pour cela un

pèlerinage à Médine. Mais les janissaires, informés du dessein d’Osman, se révoltent. Dans

la pièce, Osman étouffe une première révolte en effectuant une sortie du sérail avec

quarante capigis, gardiens de la porte du sérail. Cependant, le mufti furieux de l’affront

qu’Osman a fait à sa fille en la renvoyant (parce qu’il la trouve moins belle que sur le

portrait qu’on lui avait donné), appelle à nouveau à la révolte. Osman meurt dans les rues

de Constantinople, mis en pièce après un courageux combat contre les janissaires. Comme

le fait remarquer Napoléon-Maurice Bernardin, Tristan construit une figure de héros

courageux et frappé d’une mort digne alors que la vérité historique est autre puisqu’il

meurt dans la forteresse des Sept-Tours, étranglé par ses gardiens :

Tristan, tout en respectant scrupuleusement les grandes lignes de l’histoire, a su néanmoins, par de légers, mais habiles changements, élever Osman à la majesté du héros tragique122

Bien que la pièce de passe dans et autour du palais de Constantinople, les références au

monde occidental sont assez nombreuses. L’empire ottoman semble se heurter à l’espace

européen, par l’intermédiaire de la Pologne. Se dessine alors un espace limité, aux

frontières difficiles à franchir : des murs avec la forteresse d’Ouchin (Khotin de nos jours)

et de larges cours d’eau avec le Niester (aujourd’hui, le Dniestr)

122 Napoléon-Maurice Bernardin, op. cit., p. 475.

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Quel fut devant Ouchin ce courage bouillant, Qui les a fait passer pour un corps si vaillant ? Le Niester tint pour faux tout ce qu'on en raconte, Il rougit de leur sang bien moins que de leur honte ;123

Comme Jérusalem, la Pologne se voit liée à un fleuve. En remplaçant l’eau par le sang,

cette association laisse toutefois présent l’aspect guerrier de l’espace. Le fleuve

ensanglanté, récurrent chez Tristan, n’est pas original. Pierre Boaistuau dans Le Théâtre du

monde (1558) écrit ainsi : « à peine trouverez vous aujourd'huy region en l'Europe qui ne

soit teincte de sang humain, ne mer ou fleuve qui n'en rougisse ». On le retrouve également

dans la poésie de Théophile de Viau « le fleuve de son lict alors fit un cercueil,/ qui de vos

ennemys fut le sanglant accueil,124 ».

Pays / Continent  Région    Ville    Fleuve/Mer…    Île   

Asie  4  Thrace  1  Byzance  2 Bosphore  1   

Egypte  1      Caire  5 Danube  1   

Pologne  2      Cracovie  1 Niester  2     

        Mecque  1 Nil  1     

        Médine   2 Rhin  1     

        Ouchin  1        

Figure 14 : les noms de lieux dans Osman

Le monde oriental est de fait présent dans la pièce par les références à l’Asie, aux villes

orientales (Byzance, La Mecque, Le Caire, Médine) et à l’eau (Bosphore, Nil). Cependant,

nous pouvons nous interroger sur la ville de Constantinople. Elle n’est désignée que par

son ancien nom de cité grecque, Byzance. C’est d’abord Osman qui la cite :

Et le Perse animé, le Russe et le Cosaque, Qui vont forcer Byzance à la première attaque, Et donner tout en proie à leurs cruels efforts, N'auront pas le loisir de piller nos trésors

Puis Orcane :

Et c'est prendre à témoin la puissance divine D'une mauvaise foi que Byzance devine, Et qui sous la couleur d'un voile spécieux A paru dès l'abord toute claire à nos yeux125.

Le lieu semble lié au mensonge : le Niester, incarnation du monde occidental, dénonce

la fausseté du monde oriental qui n’est qu’une illusion, un « voile spécieux ». L’Orient

serait donc le monde du faux et tout se passe comme si Tristan cherchait à prolonger cette

fausseté. Cette impression peut se confirmer par l’étude de deux autres références La

123 Tristan L’Hermite, Osman, Paris, G. de Luynes, 1656, vers 111-114. 124 Théophile de Viau, Œuvres poétiques : 1re partie, 1621, p. 174 125 Tristan L’Hermite, Osman, op. cit., I, I, vers 81-85 et IV, IV, vers 1193-1196.

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Espace tristanien et genres

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Mecque et Médine. En effet, comme la majorité des villes citées dans les œuvres de

Tristan, on les retrouve dans la Cosmographie, dans la partie traitant de l’Arabie :

Les villes principales sont Mecha, fameuse à cause de la sépulture de Mahomet, Medina-Tanalby, fameuse à cause de la naissance de Mahomet (Cosmo, p. 491).

Dans cette annotation, l’auteur donne de fausses indications, erreur que Pierre D’Avity

ne commet pas :

les Perses & Arabes appellent la ville de la sepulture du faux Prophete Mahomet, Medina el Naby: c'est à dire peuple du Prophete. Et quand ils vont en pelerinage à la sépulture, bien qu'ils disent qu'ils aillent à la Meque, toutefois c'est à Medina el Naby, car ce n'est pas une même chose, que ces deux villes estans bien esloignee l'une de l'autre.126

On pourrait penser à une lecture de seconde main de Tristan, rectifiée quelques années

plus tard, puisque Tristan ne fait plus la confusion dans Osman et situe bien le tombeau à

Médine :

Vous excitez en vain cette rumeur mutine, Lorsque je veux partir pour la Sainte Médine : Vers le sacré tombeau je porterai mes pas, Que vos séditions ne retarderont pas. 127

Cependant, comme nous avons vu que Tristan avait déjà pris quelques libertés dans la

Cosmographie, nous pouvons peut-être penser qu’il s’agit d’une confusion volontaire,

d’autant plus que Tristan latinise le nom de La Mecque, comme pour l’occidentaliser. Il la

désigne par son nom en latin vulgaire : Mecha. Johann Jacob Hofmann (1635-1706) dans

Lexicon Universale qui comme d’Avity situe le tombeau de Mahomet à Médine, écrit :

vulgo la Mecque, Gallis, la Meccha Italis, civitas Arabiae Felicis, quam Saraceni incolunt, Mahumeticae superstitionis caput. […]. a Medina Tanalbia in Meridiem, ibi sepulchrum Mahumetis.

Les deux lieux primordiaux de la religion musulmane sont donc décrits de façon

imparfaite, tendant à minimiser l’importance du monde arabe.

Tristan aurait pensé également l’espace comme le lieu d’un pouvoir oriental disloqué :

Osman doit sortir du sérail pour faire régner l’ordre. Au contraire, au début de la pièce, Osman peut espionner et donner ses ordres cachés, comme son successeur Mustafa caché voire enfermé, derrière une « fausse fenêtre », ou les sultans des autres tragédies orientales contemporaines. Cette fausse fenêtre désigne le sérail comme lieu d’illusion et d’arbitraire du pouvoir. […] Le choix scénographique de Tristan entraîne l’apparition d’un espace compartimenté, en plusieurs lieux visibles ou invisibles. […] La multiplication des lieux invisibles aux yeux d’Osman déstabilise sa puissance et l’empire,

126 Pierre D’Avity, op. cit., p 1059. 127 Tristan L’Hermite, Osman, op. cit, vers 1121-1124.

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Espace tristanien et genres

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signale la faillite de ce pouvoir totalitaire qui en vient à fuir son propre panoptique pour voir ce qui a lieu dans sa ville128

Le lieu est moins important en lui-même que pour sa fonction de surveillance, de regard

sur le reste de la ville. L’ubiquité d’Osman est transférée sur ceux qu’il observait depuis

son panoptique. Il semble ne plus pouvoir faire illusion, être moins oriental :

L'âme du grand Acmat dans une voûte obscure, Si l'on en croit les tiens, en a fait un murmure, S'est plainte bassement de quoi l'on est entré Pour ôter une enseigne à son turban sacré :129

La sépulture d’Ahmet Ier est à l’opposé de la chambre-tombeau de Sénèque. Le lieu funeste

oriental est sombre et triste, à l’image d’une « voûte obscure ».

Comme la chambre de Sénèque, l’espace est fragmenté en de multiples lieux.

L’appartement de la sœur, celui d’Osman, la maison du mufti, la façade du sérail (et son

balcon) et la place compartimentent l’espace. Ils sont hétérogènes par leur fonction

(surveillance, asile, combat,…) mais aussi par leur granularité : la façade n’est qu’un

morceau alors que la maison du mufti est « un tout » autonome. Les lieux d’Osman se

démarquent ainsi des deux autres qui semblent plus homogènes et unifiées. La Mariane se

jouent essentiellement dans des pièces closes notamment les chambres d’Hérode et de

Mariane. La Mort de Sénèque présente des espaces fusionnés en un seul. Cette

caractéristique distingue Tristan des pièces classiques qui tendent vers unité de lieu et le

rapproche du roman pour lequel l’espace fragmenté est assez typique.

2.4 Similitudes et nouveautés 

Dans les tragédies, on ne parcourt pas une géographie de pays comme dans le roman,

c’est plutôt l’espace du palais qui est arpenté. On se contente alors d’évoquer un voyage

pour Osman ou des lieux, tout en restant dans un microcosme.

Les espaces mis en scène sont des espaces liés au pouvoir : Jérusalem, Rome,

Constantinople… Ce sont des espaces politiques représentés comme des lieux de faux

semblants et d’arbitraire : « Car les amis de Cour, ces mouches des Palais, / Dans les

adversités ne nous suivent jamais : » (Osman, V, VI, vers 1519-1520). Il s’agit d’une

caractéristique récurrente dans toutes les œuvres étudiées. Plus important encore, l’espace

128 Véronique Adam, « Mon turban n’a plus sa couronne : la désorientation du monde ottoman », A. Duprat, dir., Orient baroque / Orient classique, variations esthétiques du motif oriental (XVIe-XVIIe siècle), Actes du colloque international du Groupe Orient (CORSO-Paris IV), Tunis, 2-5 mai 2008, Paris, Bouchène, 2010 p. 143. 129 Tristan L’Hermite, Osman, op. cit., vers 1205-1208.

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Espace tristanien et genres

72

apparaît fragmenté. Il peut être découpé par toutes sortes d’éléments naturels, artificiels ou

symboliques : des frontières naturelles comme le Jourdain, des murailles comme le sérail

de Constantinople et même des lignes imaginaires lorsque Jérusalem devient un gouffre.

Cependant, l’espace est souvent relié à un élément réflexif, un fleuve, des miroirs, une

fenêtre. Cette caractéristique se trouve également dans le roman. On a donc un espace dont

l’unité semble brisée, mais qui se duplique par un jeu de réflexion.

En revanche, l’espace du théâtre est davantage connoté culturellement. L’Occident et

l’Orient sont représentés dans les textes en prose mais sous une forme antithétique,

d’opposition. Dans la tragédie, l’Occident semble contaminer l’Orient notamment par un

réseau symbolique intertextuel dans lequel s’inscrivent les lieux. Il imprègne le monde

oriental de La Mariane et d’Osman.

Une autre particularité réside dans les nombreuses dualités de lieux qui s’opposent

sémantiquement : clos/ouvert, lumineux/sombre, singulier/multiple… Ce manichéisme

serait dicté par le côté exemplaire et modélisant du théâtre ; ce qui expliquerait qu’il est

moins présent dans les textes narratifs.

Si le conflit entre deux familles est un thème commun au théâtre, Tristan lui apporte une

originalité en déportant ce conflit sur des lieux qu’ils modifient. Ainsi, Tristan semble

pouvoir rendre l’espace théâtral polymorphe. L’espace du pouvoir est représenté dans les

œuvres en prose de Tristan par les villes et la Cour. Il est souvent utilisé dans le théâtre

pour mettre en scène le conflit, c’est un « palais à volonté » ou une pièce du sérail. Dans

les tragédies, Tristan déplace cet espace en le reliant à un élément naturel, un fleuve

comme le Jourdain. Cependant, si les éléments naturels métamorphosaient jusqu’à présent

la laideur en espace positif, dans la tragédie ils opèrent une conversion dysphorique, Rome

devient un marais, Jérusalem un abîme infernal. D’autres espaces sont transformés. Par

exemple l’espace du secret n’est plus clos mais ouvert. C’est aussi une originalité du

théâtre de Tristan que de chercher à changer la fonction convenue d’un espace.

Les lieux se complexifient. L’Orient, selon le prisme occidental est un espace du

mensonge. Tristan se libère de ce stéréotype. L’Orient est représenté dans la chambre de

Sénèque par une multitude d’objets réfléchis à l’infini par les miroirs, ce qui brouille sa

représentation. C’est aussi pour l’espace d’Osman, un lieu qui n’est pas unitaire et dont la

désorientation s’accentue avec un sultan qui se tourne dans toutes les directions, l’Europe,

l’Égypte et l’Arabie.

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« Ainsi je commençai à me dépayser, et n’ayant aperçu jusqu’alors que des arbres et la tranquillité de la campagne, je vins à considérer les divers ornements et le tumulte d’une des plus célèbres villes du monde »

Tristan L’Hermite Le Page disgracié

Conclusion 

Le Page aurait-il pu rencontrer son philosophe ailleurs qu’à Rouen ? Aurait-il pu

devenir marchand dans un autre pays que la Norvège ? Pourquoi le mari qui accuse sa

femme d’adultère ne va-t-il pas aux champs ? L’étude des espaces et la sémantique que la

critique moderne leur associe peuvent donner des éléments de réponse. Il fallait une ville

portuaire, un tiers espace à la frontière poreuse pour cette rencontre ; de même, le Page ne

pouvait séjourner que dans un pays nordique lors de sa crise identitaire. La représentation

de l’espace, ou plutôt, sa caractérisation d’un point de vue géocritique, peut être un

paramètre de lecture à part entière et avoir une fonction dans l’œuvre. Cela semble bien

fonctionner pour les trois œuvres en prose étudiées. Les détails géographiques pointés par

l’auteur dans la Cosmographie permettre d’évaluer le degré d’étrangeté de ces lieux (il n’y

a aucune annotation pour la France) et leur donne une connotation souvent politique et

religieuse. Dans Le Page nous avons pu associer les trajectoires et les villes aux diverses

formes de dépaysement du Page. Enfin, la réécriture de l’espace des Plaidoyers en tentant

de le rendre anonyme et neutre, sert l’exemplarité que Tristan semble avoir voulu mettre en

valeur. Les polarités est et ouest sont présentes dans les trois œuvres (Le Page présente

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Conclusion

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plutôt un axe nord/sud mais avec toutefois une incursion de l’Orient incarné par l’homme

bossu rencontré dans une auberge). La représentation tristanienne l’accentue et brouille la

frontière entre les deux ; Constantinople semble cristalliser cette tension.

L’espace dramatique reprend cette cristallisation entre Occident et Orient, en

intensifiant l’aspect religieux qui semble s’immiscer dans l’espace politique. Ce dernier est

fragmenté, composé d’une multitude d’éléments à l’image du microcosme oriental produit

dans la chambre funèbre de Sénèque. Les corps d’Osman et de Mariane, contrairement à

celui de Sénèque, sont découpés et dissociés et pourraient être une représentation de

l’espace oriental.

Pour continuer cette étude sur la représentation de l’espace, nous pourrions sélectionner

quelques espaces caractéristiques de l’œuvre de Tristan et les comparer avec des textes

d’auteurs du premier dix-septième siècle. D’un point de vue méthodologique, la base

Frantext pourrait être utilisée pour repérer certains lieux.

La description de Bordeaux est assez surprenante pour essayer de chercher d’autres

représentations de cet espace. C’est un des rares lieux dans lequel ce sont les éléments

artificiels qui valorisent l’espace naturel. Constantinople, espace fragmenté et complexe,

lieu de tension entre monde occidental et monde oriental, serait également un terrain

d’étude intéressant. L’extension à d’autres œuvres permettrait ainsi une approche

réellement géocritique.

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Bibliographie 

1. Corpus de travail et œuvres connexes

L’HERMITE Tristan, Principes de cosmographie, [1637], Œuvres complètes, tome II, édition critique sous la direction de Jean-Pierre Chauveau, Paris, H. Champion, 2002, p. 427-527.

L’HERMITE Tristan, Le Page disgracié, [1643], édition Jacques Prévot, Paris, Gallimard, 1994.

L’HERMITE Tristan, Plaidoyers historiques, [1643], Œuvres complètes, tome V, édition critique sous la direction de Roger Guichemerre, Paris, H. Champion, 1999, p. 337-490.

L’HERMITE Tristan, La Mariane, Paris, Augustin Courbé, 1637.

L’HERMITE Tristan, La Mort de Sénèque, Paris, Toussainct Quinet, 1645.

L’HERMITE Tristan, Osman, [1646], Paris, G. de Luynes, 1656.

VAN DEN BUSCHEN Alexandre, Epitomes de cent histoires tragicques, Paris, 1581.

2. Études critiques sur Tristan L’Hermite et son œuvre

ADAM Véronique, « Mon turban n’a plus sa couronne : la désorientation du monde ottoman », A. Duprat, dir., Orient baroque / Orient classique, variations esthétiques du motif oriental (XVIe-XVIIe siècle), Actes du colloque international du Groupe Orient (CORSO-Paris IV), Tunis, 2-5 mai 2008, Paris, Bouchène, 2010 p. 129-148.

ADAM Véronique, « Le Nom propre dans Le Page disgracié », V. le Flanchec, Styles, P.U Sorbonne, 2013, p. 99-114

BERNARDIN Napoléon-Maurice, Un précurseur de Racine Tristan L’Hermite sieur du Solier (1601-1655), sa famille, sa vie, ses œuvres, Paris, Alphonse Picard et Fils éditeurs, 1895.

BERREGARD Sandrine, Tristan L'Hermite, « héritier » et « précurseur », Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2006.

RIEGER Dietmar, « “Ie vous recite la pure verité de ceste Histoire”. Authentification et fictionnalité dans les Histoires tragiques (Rosset et Parival) », Tristan et la prose narrative de son temps : la fiction, Cahiers Tristan l’Hermite, XXIV, 2012.

SERROY Jean, « L’amante anglaise : Tristan et l’Angleterre dans Le Page disgracié », Cahiers Tristan L’Hermite n°10, 1988, p. 23-28.

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Bibliographie

76

3. Critique littéraire

BAKHTINE Mikhaïl, Esthétique et théorie du roman, Paris, Collection tel, Gallimard, 1987.

DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix, Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980.

PAVEL Thomas G., ”Fiction and Imitation”, Poetics Today, Volume 21, Number 3, Fall 2000.

ROBERT Marthe, Roman des origines et origines du roman, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1977.

SMETHURST Paul, The Postmodern Chronotype: Reading Space and Time in Contemporary Fiction, Amsterdam, Rodopi, 2000.

4. Travaux sur l’espace

BROSSEAU Marc, « L’espace littéraire en l’absence de description : un défi pour l’interprétation géographique de la littérature », Cahiers de géographie du Québec, vol. 52, n° 147, 2008, p. 419-437.

COLLOT Michel, « Points de vue sur la perception des paysages », Espace géographique, tome 15 n° 3, 1986, p. 211-217.

COLLOT Michel, L’Horizon fabuleux, XIXe siècle, Paris, Librairie José Corti, 1988.

COLLOT Michel, « Pour une géographie littéraire », Fabula-LhT, n° 8, « Le partage des disciplines », mai 2011, URL : http://www.fabula.org/lht/8/collot.html, page consultée le 27 août 2014.

DAUNAIS Isabelle, « L’étendue : matière et question du roman », Topographies romanesques sous la direction de Audrey Camus et Rachel Bouvet, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Collection « Interférences », 2011, p.95-104.

FOUCAULT Michel, «Des Espaces Autres», Architecture, Mouvement, Continuité. vol. 5, 1984.

FRANK Joseph, The Idea of Spatial Form, Rutgers University Press, New Brunswick and London, 1991.

FRANK Joseph, “Spatial Form: An Answer to Critics”, Critical Inquiry, vol. 4, n° 2, 1977, pp. 231-252.

LAHAIE Christiane, « Entre géographie et littérature : la question du lieu et de la mimèsis », Cahiers de géographie du Québec, vol. 52, n°147, 2008, p. 439-451.

LAHAIE Christiane, « Éléments de réflexion pour une géocritique des genres », Épistémocrique, vol. IX, 2011.

LEFEBVRE Henri, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000.

LEVY Bertrand, « Géographie et littérature. Une synthèse historique », Le Globe, 2006, t. 146, p. 25-52

WESTPHAL Bertrand, La Géocritique, Paris, Éditions de Minuit, 2007.

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Bibliographie

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5. Travaux sur les mondes possibles

DUPRAT Anne, « Des espaces imaginaires aux mondes possibles. Syllogismes de la fiction baroque », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010, p. 149-170.

LAVOCAT Françoise (dir.), Usages et théories de la fiction : le débat contemporain à l'épreuve des textes anciens (XVIe-XVIIIe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.

LAVOCAT Françoise (dir.), La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010.

LAVOCAT Françoise, « Les genres de la fiction. État des lieux et propositions », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010.

MURZILLI Nancy, De l’usage des mondes possibles en théorie de la fiction, Klesis – Revue philosophique, 2012.

NOILLE-CLAUZADE Christine, « Considérations logiques sur de nouveaux styles de fictionnalité : les mondes de la fiction au XVIIe siècle », La théorie littéraire des mondes possibles, Paris, CNRS éditions, 2010, p. 171-188.

6. Travaux sur les histoires tragiques

GRANDE Nathalie, « Du long au court : réduction de la longueur et invention des formes narratives, l'exemple de Madeleine de Scudéry », Dix-septième siècle, n° 215, 2002.

ZUFFEREY Joël, Le Discours fictionnel : autour des nouvelles de Jean-Pierre Camus, Leuven, Peeters, 2006.

7. Œuvres géographiques

CABEZA DE VACA , Relation de voyage, Actes Sud, Léméac, 2008.

DE LERY Jean, Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, Paris, Le Livre de Poche, 2008.

GHEERBRANT Alain, Orénoque-Amazone, Paris, Folio, 1993.

THEVET André, La Cosmographie universelle, Paris, Pierre L’Huillier et Guillaume Chaudière, 1575.

8. Histoires tragiques

BOCCACE, Le Décaméron, Classiques Garnier, 1994.

BOIAISTUAU Pierre, Histoires tragiques, Paris, Honoré Champion, 1977.

9. Autres travaux

ADAM Véronique, Images fanées et matières vives : cinq études sur la poésie Louis XIII, Grenoble, ELLUG, 2003.

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Bibliographie

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BÉDARD Mario,. « Une typologie du haut-lieu, ou la quadrature d'un géosymbole », Cahiers de Géographie du Québec, vol. 46, n°127, 2002, p. 49-74.

CASANOVA-ROBIN Hélène, « Éléments pour une analyse du paysage dans le livre XIV des Métamorphoses d’Ovide », Journée d’étude et de recherche sur le Livre XIV des Métamorphoses d’Ovide organisé par A. Videau, tenue à l’Université Paris Ouest-Nanterre le 9 mars 2011 (publié en ligne sur le site http://claro.hypotheses.org/).

CHAILLOU Michel, Le Sentiment géographique, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1989.

CHENG François, Vide et Plein : le langage pictural chinois, Paris, Seuil, 1991.

D’AVITY Pierre, Les estats, empires, royaumes, et principautez du monde, Genève, 1665.

GIAVARINI Laurence, La distance pastorale, Paris, Vrin, 2010.

GREINER Frank, « La confrontation de l’histoire et du roman : Fancan, Sorel, Lenglet-Dufresnoy », Dix-septième siècle, n°239, 2008, p. 311-338.

LESTRINGANT Frank, « Le déclin d'un savoir. La crise de la cosmographie à la fin de la Renaissance », Économies, Sociétés, Civilisations, 46e année, N. 2, 1991, p. 239-260.

SANSON Guillaume, Introduction à la géographie – Première partie, Paris, 1681.

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Table des illustrations 

Figure 1 : exemple d’étiquetage morpho-syntaxique ..................................................... 18 

Figure 2 : calcul des fréquences d’occurrences par catégorie ........................................ 18 

Figure 3 : éléments retenus pour une typologie de l’espace ........................................... 20 

Figure 4 : découpage du globe dans les Éléments de Géographie .................................. 22 

Figure 5 : inventaire des pays du vieux monde .............................................................. 23 

Figure 6 : répartition par type des annotations dans les Éléments de Géographie ......... 26 

Figure 7 : références géographiques des Plaidoyers ...................................................... 28 

Figure 8: voyage du Page en Europe du Nord ................................................................ 31 

Figure 9 : voyage du Page en France .............................................................................. 34 

Figure 10 : synthèse des lieux européens rencontrés dans Le Page disgracié et les

Plaidoyers historiques ......................................................................................................... 38 

Table 11 : classification des épitomés et des plaidoyers ................................................ 55 

Figure 12 : les noms de lieux dans La Mariane .............................................................. 63 

Figure 13 : les noms de lieux dans La Mort de Sénèque ................................................ 66 

Figure 14 : les noms de lieux dans Osman ..................................................................... 69 

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80

Annexes 

Annexe A : Principes de cosmographie  

A.1 Relevé des 35 annotations dans les Éléments de Géographie. 

Endroit Type de lieu

Rattachement

Type d’annotation

Détail page

Egypte occidentale

province Égypte antiquité Pyramides - Déserts où demeuraient les anciens Hermites

500

Cinéraïque province Égypte antiquité Temple de Jupiter Ammon 500

Ayavan province Éthiopie historique Occupation et appartenance 501

Côte des Safres

province Éthiopie Pays désert, « rempli de Sauvages »

501

Iles de l’Ascension (ste Hélène)

île Iles de l’Afrique

lyrique Bon port - fontaine 504

Sainte croix (Brésil)

province Amérique méridionale

religieux Nom - Fort de Coligny 509

Caribana province Amérique méridionale

Occupation et nom 509

Chica province Amérique méridionale

Forteresse de Philipopolis 510

Cubaga île

Amérique septentrionale - Iles Barlonent

économie Pêche de perles 508

Virginie province

Amérique septentrionale - Nouvelle France

Peuple sauvage, habite des cabanes de paille

506

Ile de Terre îles

Amérique septentrionale - Nouvelle France

économie Pêche à la morue 506

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Annexes

81

Jaccasu (ou Floride)

province

Amérique septentrionale - Nouvelle France

étymolo-gique

Découverte le jour de Pâques - 2 colonies françaises

506

Arabie Heureuse

province Arabie religieux Naissance et sépulture de Mahomet

491

Palestine province Sirie religieux Villes de Sodome et Gomorre 489

Tartarie province Tartarie étymolo-gique

Hordes signifie assemblée (en langue tartare)

493

Tartarie Catasisquy

province Tartarie littéraire Marco Polo 494

Tartarie province Tartarie religieux Nom de religion 493

Mingrelye province Turcomanie économie Pays « peu habité à cause de la grande quantité d’Esclaves qu’on en tire »

488

Escosse province Angleterre antiquité Muraille des Pictes bâtie par les Romains

483

Sudgales province Angleterre mythologi-que

Pays du prophète Merlin 484

Tempé fleuve Grèce antiquité Célébré par les poètes anciens 478

Bosnie province Illirie étymolog-ique

Vient du fleuve Bons 479

Ligourne port Italie contemporain

Séjour du Duc de Toscane 473

Poussol ville Italie Lieu d’invention de la boussole 473

Lorette ville Italie religieux miracle 473

Morga port Suède contemporain

Connu pour la pêche 481

Détroit de Nègrepont

détroit Mer Méditerranée

antiquité Noyade Aristote 462

Candie île Mer Méditerranée

mythologi-que

Labyrinthe de Dédale 485

Ile de Lampadouse

île Mer Méditerranée

religieux littéraire

Miracle / Lieu du Roland Furieux 465

Elbe (ou Cosmopolis)

île Mer Méditerranée

religieux Résidence de l’ordre des chevaliers de Saint-Étienne

485

Valcomparo vallée Cefalonie (île)

antiquité mythologi-que

Ithaque, pays d’Ulysse 485

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Annexes

82

Val di Massaro

vallée Sicile (île) antiquité guerrier

Promontoire de Lilybée (guerres puniques)

485

Val di Notto vallée Sicile (île) Antiquité guerrier

Promontoire de Pachin 485

Groenland île Mer Océane lyrique « printemps perpétuel » 482

Island île Mer Océane lyrique Le mont Hecla « jette incessamment des flammes »

482

A.2 Inventaire exhaustif des régions autres que l’Europe 

 

Asie

Natolie Turcomanie

Sirie Perse

Moscovie Tartarie

Les Indes La Chine

Afrique

Barbarie Biledulgerid

Sarra Guinée Zaïde

Éthiopie Supérieure

Éthiopie Inférieure

Amérique Septentrionale

Terre Septentrionale

Canada Nouvelle

Espagne Californie

Iles de Barlonent

Nouvelle Grenade

Amérique Méridionale

Castille de l’Or Caribana

Sainte Croix Plata Chica Chili Péru

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Annexes

83

Annexe B ‐ Plaidoyers historiques 

B.1 Synthèse des 37 plaidoyers 

épitomé

plaidoyer

histoire personnages

indice d'époque

indice de lieux

1er plaidoyer

2e plaidoyer

thème construction particulière

79 1 enfant vendu par un médecin à un autre médecin de Constantinople qui le transforme en poison

enfant - médecin

"sequins" Raguse / Gènes et Constantinople

la mère de l'enfant

le médecin

atteinte à l'intégrité corporelle (meurtre)

différence avec épitomé

42 2 fils ménager libéré par le fils prodigue contre l'avis du père

père - 2 fils

"corsaires de Barbarie"

le père le fils ménager

problème d'héritage

53 3 religieuse contrainte à la prostitution et voulant réintégrer son ordre

2 religieuses

Nice et Tunis

l'autre religieuse

quelqu'un en faveur

religion

89 4 Diogène qui ne veut pas rendre un manteau prêté

Aristaque et Diogène le Cynique

"Diogène le cynique"

Aristaque Diogène vol suppression de la loi (qui était en début) + interventions inversées

60 5 capitaine (sans bras) trompé qui veut que son fils le venge

père et fils

le père le fils adultère + problème d'héritage

43 6 homme présentant ses deux fils de 3 ans à sa femme (fils et bâtard)

mari et femme

la femme le mari litige sur reconnaissance ou tutelle d'un enfant

discours de la mère différent

38 7 sculpteur faussement accusé de vol qui a les 2 mains coupées

Eliens et Athéniens

"sculpteur Phidias" (soit 490-430 avt JC)

les Athéniens

les Eliens atteinte à l'intégrité corporelle

28 8 un mari tentant sa femme avec un serviteur

mari et femme

le mari les parents de la femme

adultère (avéré) de la femme

rend l'adultère explicite

86 9 un homme qui mutile des enfants pour mendier

l'homme le mendiant

"réponse pour le mendiant"

atteinte à l'intégrité corporelle

moins atroce que dans épitomé

6 10 un manchot qui frappe un officier qui demande que sa main soit coupée

un officier et un manchot

l'officier atteinte à l'intégrité corporelle

31 11 un juge qui pend un criminel et paye 3000 écus

le juge - les parents du criminel

les parents

le juge atteinte à l'intégrité corporelle

effacement figures symboliques

75 12 père accusant son fils d'avoir voulu l'empoisonner

père et fils

le père le fils atteinte à l'intégrité corporelle (tentative de meurtre)

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Annexes

84

2 13 Comte de Flandres qui fait pendre son fils, cause indirecte de la mort d'un enfant d'une marchande de fruits

Liederic + fille d'un roi de France

Comte de Flandres / Tournai

les Flammands

le Comte de Flandres

atteinte à l'intégrité corporelle (meurtre du fils)

long car histoire préalable donnée avant les faits

66 14 un homme qui se fait crever les yeux pour recevoir 10 onces d'or

magistrat et aveugle

le magistrat

l'aveugle duperie + atteinte à l'intégrité corporelle

effacement du lieu (le mari revenait de Jérusalement)

65 15 mari jaloux qui accuse sa femme d'adultère parce qu'un homme lui laisse sa fortune

mari et femme

le mari la femme adultère FAUX de la femme

87 16 homme cru mort qui demande son bien à sa libération

homme fils et seigneur ennemi

gentilhomme piémontais (Italie)

le gentilhomme

les possesseurs de son bien

problème d'héritage

AJOUT : jugement donné à la fin

40 17 femme qui se jette du haut de sa maison croyant son mari mort (duperie) ; son père la déshérite car elle ne veut pas quitter son mari

femme et son père

la femme son père duperie du mari + problème d'héritage

57 18 femme d'un fils accusé à tort par le frère d'adultère ; le mari meurt de l'avoir cru ; le père demande alors au fils d'épouser sa veuve

père, deux fils et bru

le fils qui ne veut pas épouser sa belle-soeur

le père faux adultère juif précisé dans titre (rien dans épitomé)

35 19 marchand espagnol qui laisse son héritage à deux fils issus de 2 esclaves : aîné doit faire les parts, puîné doit choisir; aîné met mère d'un côté et biens de l'autre

deux fils marchand espagnol (Espagne)

le puîné l'aîné problème d'héritage

20 gentilhomme qui fait la cour à une veuve qui en préfère un autre plus riche - se plaint ensuite d'être délaissée par ce dernier

veuve et deux prétendants

Padoue la veuve le premier Cavalier (cite le second "Seigneur Jules")

thème galant CREATION

9 21 homme qui tue sa femme dont les deux enfants meurent par accident

mari et femme

les parents de la femme

les parents du mari

atteinte à l'intégrité corporelle (meurtre)

13 22 fils voulant déshériter un frère , ivre, qui avait frappé son père

deux fils le frère qui accuse

le frère accusé

problème d'héritage

loi citée en début + évcation Noé, Alexandre

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Annexes

85

27 23 villageois qui tombe du toit et tue un passant dont le fils demande justice (jugement rendu = fils tombe de son toit sur le villageois)

villageois, fils du mort et juges (subalternes)

Suisse (seigneurie de Berne)

le fils les juges jugement problématique

21 24 dans une famille juive - Sadoc qui viole femme étrangère de son frère Gamaliel qui le tue ainsi qu'un autre de ses frères

frères les frères Gamaliel atteinte à l'intégrité corporelle (viol et meurtre)

second plus long (beaucoup d'exemples) - juif ajouté dans le titre

29 25 deux frères qui héritent et doivent donner 1000 écus à un bâtard mais maison brûle. L'aîné accepte de donner quand même au bâtard mais cadet refuse

père, deux enfants et un troisième

les enfants légitimes

le bâtard problème d'héritage

47 26 fils qui accuse -à tort- son frère d'avoir tué son père qui revient à temps pour sauver son fils mais ce dernier ne veut pas pardonner à son frère (père menace de le déshériter)

père et deux enfants

le père le fils problème d'héritage

loi énoncée au début

81 27 chirurgien qui ouvre le corps à vif un soldat - dénoncé par un de ses assistants

chirugien chirurgien de Padoue - sénat de Venise

le chirurgien

le Procureur de la République

atteinte à l'intégrité corporelle (meurtre)

95 28 juif qui demande une livre de chair à un chrétien qui le remboursait en retard ; si en prend plus ou moins on lui coupe la tête

un juif et un chrétien

Constantinople

le juif le chrétien

jugement problématique

98 29 père qui déshérite son fils et donne ses biens à ami ; quand meurt, le fils veut récupérer son bien

2 pères, fils du premier père et enfants de l'autre

le fils déshérité

les héritiers

problème d'héritage

24 30 marchand qui a un fils de son esclave mais qui ne veut pas affranchir cette dernière

père le marchand

le juge litige sur reconnaissance ou tutelle d'un enfant

loi énoncée au début

80 31 père et fils condamnés : celui qui décapite l'autre est gracié (mais juge exécute le fils)

père et juges

le père les juges jugement problématique

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Annexes

86

70 32 grand-père qui enlève son petit-fils avant qu'il ne soit empoisonné par la marâtre

le grand-père et le père

le grand-père

le père litige sur reconnaissance ou tutelle d'un enfant

97 33 Papirius qui veut exécuter Quintus Fabius Rutilianus

dictateur et général de Cavalerie

romain Rome Fabius Papirius atteinte à l'intégrité corporelle (condamnation à mort)

90 34 une des 3 fils de Fabius Ambuste ayant tué chef gaulois - gaulois demande leur mort

peuple gaulois, peuple romain

romain Gaule les gaulois

les romains

atteinte à l'intégrité corporelle (meurtre)

44 35 romain exilé qui s'empoisonne avec sa femme (elle meurt et lui revendique son héritage)

mari et famille de la femme

romain Rome les parents

le mari problème d'héritage

71 36 père qui déshérite son fils parricide parce que absout (même voix pour et contre)

père et fils

le père le fils problème d'héritage

loi énoncée au début

19 37 un homme condamné à mort qui récuse son juge

homme et juge

le criminel

le juge jugement problématique

B.2 Synthèse des épitomés 

Les épitomés grisés sont ceux retenus pour les plaidoyers N° PRINCIPAL

PROTAGONISTE AUTRES PERSONNAGES

HISTOIRE THEME

1 Quintus Fuluius sénateurs de Capua Antiquité (romain/grec)

2 comte de Flandres roy de France Puissants (roi/tyran)

3 Pacuuius sénateurs de Capua Antiquité (romain/grec)

4 homme Prince veut l'héritage Puissants (roi/tyran)

5 Spurius Seruilius peuple de Rome Antiquité (romain/grec)

6 manchot un Officier soldat/guerre

7 soldat devient sénateur et chef d'armée

soldat/guerre

8 Censeurs Romains Mamercus Antiquité (romain/grec)

9 mari tue sa femme par colère

celui : homme

10 Caius Seruslius Spurius Melius Antiquité (romain/grec)

11 femme du Tyran Puissants (roi/tyran)

12 homme offense un prêtre Religion

13 celui qui veut hériter

veut hériter celui : homme

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Annexes

87

14 homme prend le cheval d'un prêtre

Religion

15 homme soldat/guerre

16 femme veut laisser son mari protagoniste : femme

17 homme tue son ennemi mais aussi un passant

celui : homme

18 Sergius Verginius romain/grec

19 homme condamné et refuse son premier juge

celui : homme

20 soldats après la mort de leur chef

soldat/guerre

21 Gamaliel ses frères (Sadoc) celui : homme

22 homme jouit d'une fille et épouse sa sœur

Femme (viol/abus)

23 une maison à abattre

la maison est le lieu d'un crime

Autre

24 homme couche avec une esclave

celui : homme

25 lieutenant général monarque qui perd la bataille soldat/guerre

26 2 hommes juge exécutés et innocents celui : homme

27 homme tombe de sa maison et tue un passant

celui : homme

28 homme tente sa femme pour la répudier

celui : homme

29 fils bâtard demande son héritage celui : homme

30 chevalier de Rhodes

veut entrer en religion Religion

31 juge paie pour faire pendre quelqu'un

Autre

32 hommes (peuple) veulent déposer leur Roi

Puissants (roi/tyran)

33 Athéniens Thébains Antiquité (romain/grec)

34 homme accuse quelqu'un qui meurt en prison

celui : homme

35 fils d'un esclave veut déshériter son frère

celui : homme

36 Milciades Callias Antiquité (romain/grec)

37 fils est déshérité de son père

celui : homme

38 Phidias Eliens Antiquité (romain/grec)

39 fils défend sa mère celui : homme

40 femme mari qui a voulu la tuer

protagoniste : femme

41 SAUT

42 prodigue et son frère

père celui : homme

43 mari femme celui : homme

44 mari femme celui : homme

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Annexes

88

45 père abandonne ses deux enfants gémeaux nourris par un autre

Antiquité (romain/grec)

46 fils roi tyran frappe son père Puissants (roi/tyran)

46 esclave maître et fils celui : homme

47 fils père ne veut pas libérer son frère

celui : homme

48 père fils déshérite son fils (qui a épousé une fille du capitaine des corsaires)

celui : homme

49 soldat on veut le priver de l'honneur de sa victoire

soldat/guerre

50 homme couche avec la femme d'un tyran pour le tuer

Puissants (roi/tyran)

51 grand-père le petit-fils adopte son petit-fils celui : homme

52 femme impudique protagoniste : femme

53 femme prostituée qui veut devenir religieuse

Religion

54 frère force sa sœur à tuer son violeur

Femme (viol/abus)

55 père un de ses 2 fils qui tombe amoureux de la jeune mariée de son père

donne sa fiancée à son fils

celui : homme

56 homme femme blessée (belle-mère du fils) - enfant de 3 ans (témoin)

Trouvé mort - soupçon sur le fils ou le facteur (amant de la marâtre)

celui : homme

57 homme veut contraindre son fils à épouser sa belle-sœur

celui : homme

58 femme empoisonne son beau-fils et accuse sa fille

protagoniste : femme

59 Laminius (prêteur romain)

décapite quelqu'un sur demande d'une femme lubrique

Antiquité (romain/grec)

60 homme sans main fils déshérite son fils pour ne pas avoir voulu tuer sa mère infidèle

celui : homme

61 deux filles violées l'une veut la mort de son violeur, l'autre se marier avec

Femme (viol/abus)

62 un romain déshérité par son père car va à la guerre

Antiquité (romain/grec)

63 violeur apaise le père de la fille mais pas le sien

Femme (viol/abus)

64 mari femme tyran tué par mari (qui ensuite répudie sa femme)

Puissants (roi/tyran)

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Annexes

89

65 mari femme qui hérite du riche

riche qui meurt d'amour pour la femme et mari jaloux

celui : homme

66 homme se fait crever les yeux pour de l'argent

celui : homme

67 fils déshérité part à la guerre et revient victorieux

soldat/guerre

68 fille violée veut la mort du violeur puis un mariage

Femme (viol/abus)

69 homme veut être remboursé de sa maison (brûlée avec un tyran)

Puissants (roi/tyran)

70 grand-père prend son petit-fils

soupçonne la marâtre d'empoisonner ses petits-fils

celui : homme

71 fils accusé d'avoir voulu tuer son père (est libéré par égalité des voix)

celui : homme

72 fils s'oppose à son père et devient capitaine général d'armée

soldat/guerre

73 père perd sa fille accuse la mère d'empoisonnement et d'adultère

celui : homme

74 Romulus Rémus tue son frère Antiquité (romain/grec)

75 fils accusé de vouloir empoisonner son père

celui : homme

76 homme magistrat refus de l'enterrer

se suicide et le magistrat refuse de l'enterrer

Autre

77 serviteur de Lucullus (sénateur romain)

rend son maître fou Antiquité (romain/grec)

78 mère tue sa fille pour avoir tué son frère

protagoniste : femme

79 mère enfant rousseau tué par turc

Autre

80 fils père accepte de décapiter son père et pas inversement (accusés de crime de lèse-majesté)

celui : homme

81 chirurgien de Padoue

tue un homme pour voir son cœur

Autre

82 riche grec pauvre qui doit donner sa fille (prise contre son gré)

Antiquité (romain/grec)

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Annexes

90

83 femme aveugle veut retenir son fils

père pris par des pirates corsaires

protagoniste : femme

84 riche Grec pauvre à qui il brûle la maison

Antiquité (romain/grec)

85 Agamemnon sa fille Iphigénie Antiquité (romain/grec)

86 homme recueille des orphelins et les mutilent

celui : homme

87 gentilhomme Piemontais qui redemande ses biens

fils qui croyait son père mort

Autre

88 les Horaces, 3 frères romains

tuent 3 décures et la sœur

Antiquité (romain/grec)

89 Diogène veut garder manteau

Aristache Antiquité (romain/grec)

90 3 fils de Fabius combattent contre gaulois

Antiquité (romain/grec)

91 jeune homme se déguise en habit de fille pour jouir d'une nonne

Femme (viol/abus)

92 Dom Ferrand Espagne - époque de Charles Quint (1500-1560)

Puissants (roi/tyran)

93 matrones romaines accusées d'empoisonner les sénateurs

Antiquité (romain/grec)

94 comte de Flandres (Baudouin)

pend 3 gentilshommes voleurs

Puissants (roi/tyran)

95 juif chrétien veut chair du chrétien, en Turquie

celui : homme

96 Palamède accusé de vouloir trahir les grecs

Antiquité (romain/grec)

97 dictateur romain (Lucius Papirius)

voulant condamner maître des chevaliers (Quintus Fabius)

Antiquité (romain/grec)

98 fils déshérité veut récupérer les biens de son père (après la mort de l'héritier)

celui : homme

99 deux citoyens torturés

débiteur et créditeur coupables de parjure

celui : homme

100 harangue de Tite Live : Titus Quintius - guerre

Antiquité (romain/grec)

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Annexes

91

B.3 Relevés des toponymes 

NOM fréq. lien avec Cosmo

Angleterre 1 Antioche 1 p. 487/488 Artois 1 Asie 2 Berne 1 p. 476 Constantinople 5 p. 478 Europe 2 Flandres 5 France 6 Gènes 1 p. 472 Grèce 2 Italie 5 Milan 1 p. 473 Nice 1 p. 470 Orléans 1 p. 472 Padoue 2 p. 473 Raguse 2 p. 479 Rome 20 p. 473 Sparte 1 p. 477 Suisse 1 Toscane 4 Tournai 1 p. 471 Tunis 1 p. 498 Venise 2 p. 473

Annexe C – Le Page disgracié 

NOM fréq. lien avec Cosmo Albion 1 Angleterre 13 Douvres 2 p. 483 Gravesines 2 NON Londres 21 p. 483 Plymouth 5 p. 483 (Plemuth) Tamise 2 p. 483 Flandres 1 tissu p. 471 (province de France occidentale)Chine 1 boîte carrée p. 496 Danemark 2 p. 481 Écosse 6

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Annexes

92

Edimbourg 6 p. 483 Orcades 1 p. 463 (île de la mer océane)

Pucelles (château des) 1 arrivée à Edimbourg

Espagne 5 p. 468 Pont-de-l'Arche 1 NON Calais 2 p. 471 (province : Picardie) Coutras 2 bataille religion NON Dieppe 2 p. 471 (province : Normandie) France 10 Gaillac 1 tonneau de vin NON Moncontour (bataille de) 1 bataille religion NON Orléans 1 p. 472 (province : Beausse) Paris 6 p. 471 (province : Isle de France) Pyrénées 1 p. 469 Seine 1 p. 469 St Denis bataille p. 471 (province : Isle de France) Hollande 1 p. 470 (province de France orientale) Pays-Bas 1 NON Ormus 1 p. 492 (en Perse) Irlande 3 p. 484 (Hibernie) Limerick 1 p. 484 (Limerich) Italie 3 p. 472 Norvège 4 p. 480 Jérusalem 1 livre du Tasse p. 489 (Hierusalem en Judée) Moscovie 1 p. 489

Carthage 1 livre Enéide p. 498 (Cartage dans le royaume de Tunes)

Troie 1 livre Enéide p. 487 ("les ruines de Troye la grande")Europe 3 Inde 10 Coq d’Inde p. 495 Noé (arche de) 1 Orient 1 Terre Sainte 1 St Jean de Compostelle 1 p. 468 (en Galice) Allemands 3 Anglais 7 Danois 1 Florentin 1 Français 9 Grecs 1 Mantouan 1

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Table des matières 

Remerciements .................................................................................................................. 2 

Sommaire .......................................................................................................................... 3 

Introduction ....................................................................................................................... 5 

I – La question des lieux ................................................................................................. 10 

1. Préambule méthodologique ..................................................................................... 10 

1.1 Terminologie géographique ............................................................................... 11 

1.2 Mondes possibles ............................................................................................... 15 

1.3 Méthodologie informatique ............................................................................... 17 

2. Typologie des lieux ................................................................................................. 20 

2.1 Principes de cosmographie, géographie littéraire ou littérature géographique . 20 

2.2 La réécriture des Plaidoyers .............................................................................. 26 

2.3 De l’orphelin au bâtard, itinéraire d’un Page disgracié .................................... 30 

II – Fragmentation et esthétisation pour des espaces fonctionnels ................................. 36 

1. Éléments de synthèse .............................................................................................. 36 

2. Un espace fragmenté et liminaire ............................................................................ 39 

2.1 L’eau, élément délimitateur ............................................................................... 39 

2.2 Déréalisation et indétermination des lieux ........................................................ 40 

2.3 Poétisation ......................................................................................................... 43 

3. Fermeture et resserrement de l’espace .................................................................... 47 

3.1 Un espace centripète .......................................................................................... 47 

3.2 Saillance d’éléments .......................................................................................... 50 

4. Les fonctionnalités des espaces ............................................................................... 51 

4.1 Espace et dépaysement ...................................................................................... 51 

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Tables des matières

4.2 Espace public (politique, religieux, social) ....................................................... 53 

4.3 Espace privé, éthique et leçon ........................................................................... 54 

III – Espace tristanien et genres ...................................................................................... 61 

1. Littérature géographique et genre ........................................................................... 61 

2. Les lieux dans trois tragédies de Tristan ................................................................. 63 

2.1 La Mariane ........................................................................................................ 63 

2.2 La Mort de Sénèque ........................................................................................... 65 

2.3 Osman ................................................................................................................ 68 

2.4 Similitudes et nouveautés .................................................................................. 71 

Conclusion ...................................................................................................................... 73 

Bibliographie .................................................................................................................. 75 

Table des illustrations ..................................................................................................... 79 

Annexes .......................................................................................................................... 80 

Annexe A : Principes de cosmographie ...................................................................... 80 

A.1 Relevé des 35 annotations dans les Éléments de Géographie. ......................... 80 

A.2 Inventaire exhaustif des régions autres que l’Europe ....................................... 82 

Annexe B - Plaidoyers historiques ............................................................................. 83 

B.1 Synthèse des 37 plaidoyers ............................................................................... 83 

B.2 Synthèse des épitomés ...................................................................................... 86 

B.3 Relevés des toponymes ..................................................................................... 91 

Annexe C – Le Page disgracié .................................................................................... 91