freud et le sonore

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FREUD ET L'UNIVERS SONORE

Le tic-tac du désir

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I!lustration de couverture:« Métamorphose », encre de Chine et pastelde Tarif MASRI-ZADA.

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Edith LECOURT

FREUDET L'UNIVERS

SONORE

Le tic4ac du dé~r

Éditions L'Harmattan5-7, rue de l'École-Polytechnique

75005 Paris

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PSYCHANALYSE ET CIVILISATIONSCollection dirigée par Jean NADAL

L'histoire de la découverte de la psychanalyse témoigneque démarche clinique et théories issues de champs voi-sins ont concouru, par étayage réciproque, à élaborer leconcept d'inconscient, à éclairer les rapports entre patho-logie et société et à reconsidérer les liens entre le malaisedu sujet singulier et celui de la civilisation.

Dans cette perspective, la collection « Psychanalyse etCivilisations» tend à promouvoir cette ouverture anthro-pologique nécessaire pour maintenir en éveil la créativitéque Freud y a trouvée pour étayer, repenser et élargir lathéorie. Ouverture indispensable aussi pour éviter l'enfer-mement dans une attitude solipsiste qui, en voulant pro-téger un territoire et préserver une identité, coupe en réa-lité la recherche psychanalytique de ses racines les plusprofondes.

Déjà paru:

Rêve de Corps. Corps de Langage, par J. Nadal, M. Pier-rakos, M.F. Lecomte-Emond, A. Ramirez, R. Vintraud,N. Zuili, M. Dabbah.Oralité et Violence, par K. Nassikas.Emprise et Liberté, par J. Nadal, N. Rand et M. Torok,R. Major, R. Dadoun, M.F. Lecomte-Emond, H. Ramirez.La pensée et le trauma, par M. Bertrand.Mot d'esprit, inconscient et événement, par M. Kohn.La diagonale du suicidaire, par S. Olindo Weber.Journal d'une anorexie, par K. Nassikas.Le soleil aveugle, par C. Sandori.Psychanalyse et culture russe,par M. Bertrand.Freud et le sonore, par E. Lecourt.

A PARAÎTRE

La psychanalyse en Hongrie, par E. Brabant.Les fantômes de l'âme, par C. Nacluin.Utopie créatrice. Destin de la pulsion, par M.F. Lecomte-Emond.Langue arabe, corps et inconscient, collectif dirigé parfL Bendahman.

L'Harmattan, 1992@ ISBN: 2-7384-1538-5

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QUELQUES NOTES D'INTRODUCTION

Trop de bruit fait sur l'a-musicalité de Freud a suffi-samment attiré notre attention sur une lacune dans l'inter-prétation des dires freudiens et sur une carence dans lacompréhension du fait musical. Prendre Freud au motlorsqu'il exhibe, dans quelques textes connus, une « non-musicalité », c'est bien le pire tour que l'on puisse jouerau fondateur de la psychanalyse. Il convenait donc de réta-blir le contexte, et aussi d'entendre l'humour dont Freuds'est montré généreux.

Le fondateur d'une technique passant exclusivement parla parole, centrée sur un rapport auditif patient-thérapeute,ne marquait-il pas là un investissement particulier? Com-ment ne pas se demander la façon dont lui-même se situaitdans l'univers sonore des bruits et des musiques?

Une première recherche sur la place accordée à la ques-tion du sonore dans les rêves nous amenait, en 1985, àconstater l'ambiguïté de Freud dans son rapport au sonoreet à la musique, illustrée notamment par la position rigidequ'il a prise à l'égard de l'interprétation de l'entendu dansle rêve. Ceci nous conduisit à élargir notre investigationà plusieurs autres textes. D'observations que nous comp-tions, au début, comme ponctuelles, anecdotiques, nousavons été entraînée à découvrir des passages tout à faitimportants, situés dans les textes pour nous les plus inat-tendus. C'est à ce moment que notre curiosité nous a pous-sée à une lecture « sonore» de l'ensemble de l'œuvre etdes correspondances disponibles 1. Le projet de l'ouvrageest ainsi né.

1. Il s'agissait d'un relevé systématique de tous les mots, noms,expressions et passages ayant un rapport avec l'univers sonore.

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Au cours de cette lecture thématique, nous avons eula satisfaction de découvrir, sous la plume de Freud lui-même, dans une lettre adressée à son ami Fliess, l'affir-mation de l'intérêt particulier qu'il portait à la question« des rapports des sons entre eux ». L'importance donnéeau vocabulaire sonore, l'insistance sur les métaphores sono-res et musicales, dans les textes freudiens, viennent d'ail-leurs étayer cette affirmation.

Mais notre objectif ne s'arrêtait pas à l'exploration del'univers sonore et musical de Freud. En suivant le che-minement des questionnements, des réflexions, des intui-tions freudiennes, dans ce domaine pour lequel il n'ajamais écrit, nous avons trouvé des éclairages, des voiesnouvelles pour la recherche que nous avions déjà engagéesur la place du sonore dans le fonctionnement psychiqueet, particulièrement dans ses mises en formes verbale etmusicale. Cet ouvrage en constitue donc une étape.

Nous avons choisi en « Ouverture» cette formule deFreud:

« L'analyste convoque le patient à une certaine heurede la journée, le laisse parler, l'entend, puis lui parle etle laisse écouter. » (127, 33)

Dans ce texte Freud insiste sur la dimension non visuelledu dispositif psychanalytique: il n'y a rien à voir. Rienà voir de l'analyste pour l'analysant, certes, mais aussipour les collègues qui voudraient assister - en observa-teurs ou en apprentis - à des séances de psychanalyse (enréponse aux demandes qui lui étaient faites).

Laisser parler... entendre, parler... laisser écouter.Tout se passe dans le sonore, dans une alternance de

production et de réceptivité, entre analyste et analysant,symétrie assurée par la position centrale de l'analyste:entendre, parler. Le laisser parler qui engage la liberté deparole, la libre association, est couplé à l'entendre qui sou-ligne tout à la fois la résonance et la neutralité de la récep-tion. Tandis qu'à la parole de l'analyste est assigné unespace-temps d'écho, distance, silence: le laisser écouter.La répétition du terme « laisser» qui encadre cette for-mule en fournit la clef, si longuement forgée (au traversdes explorations et expériences précédentes, de l'électro-thérapie, de la cocaïne, de l'hypnose, des pressions exer-cées sur le patient) : la libre association.

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A interroger « l'entendre» de Freud, au travers de sesécrits théoriques, comme de son expérience personnelle dessons, des bruits, des musiques, c'est justement quelquechose de ce creux de l'audition, ou du négatif de l'écoute,qui apparaît à la source même de la technique de l'inter-prétation psychanalytique. A centrer son activité profes-sionnelle sur la dimension sonore, détournant même leregard pour mieux entendre, Freud nous semble lutter con-tre la séduction des sirènes, allant jusqu'à s'aventurer àen interpréter le chant. Ce n'est pas «le vacarme durefoulé» qui est le plus inquiétant pour l'homme, nousdit-il, mais bien plutôt cette mélodie insidieuse, « la mélodiedes pulsions» qu'il se donne pour objectif de capter autravers et par-delà les intonations si séduisantes du trans-fert. Et dans les atermoiements de la recherche théoriqueentre les destins du voir et de l'entendre - dont nous sui-vrons les étapes -, il semble considérer que plus forte quela fascination du regard est cette captation de l'être.

Mais Freud veut aller plus loin qu'Ulysse, renverser laposition, de passive en active, résister à l'appel ne lui suffitpas, il lui faut capter, LUI, le chant des sirènes.

Pour cela, les expériences thérapeutiques précédentes luiont appris que non seulement le corps devra être mis horsd'état d'agir - allongé sur le divan -, mais le regard soi-gneusement dissocié de l'ouïe, délié de l'objet. Ce dispo-sitif, celui de la cure, témoigne donc de la force del'emprise ressentie par son fondateur, et sa théorisation dece que cette lutte lui a permis de nous faire découvrir denous-mêmes; quête dont la hardiesse et la musicalité nousa séduite.

Nous traiterons dans une première partie, de la placedu sonore dans l'œuvre de Freud, la seconde partie seraconsacrée à ce qu'il nous a livré, dans ses écrits, de sonexpérience sonore et musicale, en cours de route nous par-tagerons nos propres « fantaisies» sur ce sujet.

N.B: Pour pouvoir plus facilement faire correspondre letexte, l'index et les références de l'œuvre et des correspondan-ces de Freud, nous avons numéroté ces textes, par ordre chro-nologique de leurs parutions (en suivant la Gesammelte Werke).Nous avons aussi attribué un numéro, par souci d'homogénéité,aux références extérieures à l'œuvre de Freud que nous avons

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utilisées. Ainsi chaque référence comporte un numéro renvoyantà l'ouvrage ou l'article, suivi d'un autre chiffre correspondantaux pages considérées.

Les mots soulignés dans les citations correspondent au texteoriginal, et sont donc le fait de l'auteur. Toute intervention denotre part est indiquée.

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Première partie

LA PLACE DU SONOREDANS L'ŒUVRE DE FREUD

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I

PLAIDOYER POUR LE BRUIT

Du constat de la sensibilité de Freud aux modesd'expression sonore, à l'analyse qu'il fait des symptômessonores de ses patients; du cri au mutisme; nous chemi-nons, au travers de l'œuvre, jusqu'à l'introduction de lamétaphore sonore comme soutien à l'élaboration théori-que: les concepts de refoulement, de censure, d'Idéal duMoi, de Surmoi, y trouvant une résonance particulière.

1-1 - Se faire entendre

A - Dire tout haut

L'importance du vocabulaire sonore utilisé par Freudne s'applique pas seulement à la désignation de bruits, desons, de musiques. Une grande partie de ces vocables estutilisée au sens propre ou au sens figuré pour exprimerce qui de soi sort ou devrait sortir, « se faire entendre »,et l'écho reçu ou non par l'environnement. Freud se mon-tre très sensible à cet échange sonore. Il se plaindra autantdu « tapage» que du silence. On retrouve dans cette formesonore de l'écriture les traces du tempérament fougueuxde l'auteur.

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1 - Les cris du cœur, les cris du texte

Freud encourage ses amis à exprimer tout haut ce qu'ilspensent tout bas. Il ne supporte pas l'attitude d'un Breuerqui n'a pas le courage de ses opinions, par contre ils'enthousiasme pour la hardiesse de Fliess à qui il écrit:« Pour la constitution il est bon de pouvoir crier tout cequ'on a sur le cœur» (14, 261-262). Plus jeune n'avait-ilpas fait des recommandations dans ce sens à son ami Sil-berstein à propos de son choix amoureux? Il écrivait, le16/8/1873 : « Si Mme L. te propose d'attendre la majo-rité de sa fille pour devenir son gendre, ne refuse pas toutà fait, mais regarde bien l'orpheline qui, je crois, doit êtreaussi à Roznau. Si elle crie beaucoup et a une bonne voixhaute, ce sera une honnête jeune fille, digne de ton amour.Même si elle crie trop, cela ne devrait pas te rebuter; aubout de quelques années, tu pourras parler d'une voixargentine et nommer petit ange la propriétaire de cette clo-chette d'argent. » (174, 68)

Nous reconnaissons, à travers cet usage recommandédu cri, la conception économique d'accumulation et dedécharge, partie importante de la théorie freudienne,comme des ressentis quotidiens de son auteur.

Les textes aussi crient... et non seulement Freud ne semontre pas sourd aux arguments, comme il l'écrira à K.Abraham, mais il lui arrive de percevoir les appels du texte,ainsi écrit-il: « Le travail dont vous m'avez fait cadeau- sur l'éjaculation précoce - est d'aussi excellente qua-lité (...) Il est si transparent qu'il semble réclamer à grandscris une présentation graphique des forces psychiques quis'y entrecroisent et s'y ramifient. » (le 8/5/1916, 166, 240)

Aussi n'est-il pas étonnant que Freud s'attende à ce queses travaux « fassent du bruit» et se montre souvent déçudu peu d'échos qui lui reviennent. Déjà dans ses premiè-res correspondances avec Martha il exprime l'ambition qu'ila de se faire entendre et goûte ses premiers succès: « Pre-mièrement je vais recevoir la préparation de mon beau dia-gnostic - il s'agit d'un cas d'atrophie musculaire avectroubles extensifs de la sensibilité - qui fait ici beaucoupde bruit, de sorte que je pourrai écrire là-dessus un belarticle.» (165, 133) De même il écrit à Abraham le26/12/1908 qu'il s'attend à ce que l'analyse du petit Hansfasse « un vacarme énorme» ! ce qui est bien prendre à

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la lettre un texte centré sur du charivari! (166, 70) Nousreviendrons sur cette étude dans un prochain chapitre. AJung aussi il écrit le 21/11/1901 à propos des étudesmythologiques: « Cela appelle à grands cris que l'on s'enoccupe dignement. » (167, 347) Citons enfin la lettre parlaquelle Freud répond aux félicitations que Fliess lui aadressées pour sa nomination comme professeur extraor-dinaire (professeur associé), le 11/3/1902 : « Voilà doncce que peut faire un titre d'Excellence! même m'appor-ter à nouveau ta voix chère, dans une lettre (...) La Wie-ner Zeitung n'avait pas encore publié cette information,mais le bruit de ma nomination, émanant des bureaux offi-ciels, s'était rapidement propagé. » (14, 306)

2 - Le tapage publique

Mais en dehors de ses travaux personnels, Freudn'apprécie guère ce qui fait trop de bruit! il parle alorsde vanité et va jusqu'à citer à ce propos un vieil adagefrançais qui dit que « ... le bruit est pour le fat... » (165,498). Il dénonce bruit, vacarme, tapage dans le monde desidées (14, 251) et se plaît à penser: « Nous aurons beaudire (...) la voix de l'intellect est basse, mais elle ne s'arrêtepoint qu'on ne l'ait entendue... » (129, 77) Dans une let-tre adressée à son jeune ami Silberstein, le 6/12/1874, ilcopie le catalogue des « objets à mettre aux enchères dansla maison d'un collectionneur» de Lichtenberg, cataloguequi comprend, entre autres objets sonores - l'objet sui-vant : « Une chaise per se (lire probablement: percée). Sil'on y prend place correctement, on entend une douchede sons de timbale et de trompette, qui retentit à traverstoute la maison. Meuble pour un personnage important. »(174, 110-111...)

C'est ainsi qu'il évite systématiquement les discussionslors des congrès, évitement qui n'est pas ici mépris, maisplutôt à la mesure de l'intensité des affects sous-jacentset du risque ressenti à s'exposer. On peut alors s'étonnerqu'il fasse la leçon à Groddeck pour son isolement, danssa lettre du 21/12/1929 : « Je suis peiné de voir que vouscherchez à élever un mur entre vous et les autres lions dela ménagerie congressiste. Il est difficile de pratiquer lapsychanalyse en isolé. Elle constitue une entreprise émi-nemment sociale. Ce serait tellement plus beau si nous

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rugissions ou hurlions en chœur et en mesure, au lieu degrogner chacun pour soi dans son coin. » (165, 388)

Mais rien n'était moins assuré, dans ces assemblées, quela mesure, en l'absence de dompteur et/ou de chefd'orchestre! Du chœur, Freud n'aura d'ailleurs pas, ànotre connaissance, l'expérience, ses goûts musicaux con-firmant son peu d'appétance au groupe, mettent en avantla mélodie, tout au plus, le duo.

Cette lettre à Groddeck n'est-elle pas à entendre commeun écho de celle à Jung, datée du 14/4/1907 dans laquelleil explicite cette attitude de retrait et le félicite d'avoiraccepté à sa place l'exposé au congrès international d'Ams-terdam ? : « On avait de toute évidence en vue un duelentre Janet et moi, mais je hais des combats de gladia-teurs devant la noble populace, j'ai peine à me résoudreà laisser une foule indifférente émettre un vote sur monexpérience, etc. » (167, 79-80).

B - Une voix angélique, émotion et mutisme

« Ta lettre m'émeut comme une voix angélique. » (165,69)

C'est dans la correspondance à Martha que nous trou-vons l'expression la plus directe de la sensibilité émotion-nelle de Freud et des conduites d'évitement ou de paralysiequ'elle provoque. Nous soulignerons ici sa relation avec lerapport que Freud entretient avec le sonore et la musique.Sa sensibilité aux voix est manifeste, particulièrement dansses correspondances, elle s'exprime par des appréciations pré-cises des qualités vocales, mais aussi beaucoup dans la qua-lification affective des tonalités de ces échanges. L'émotionévoquée dans la citation précédente a justement pour ori-gine une telle qualité de ton, au travers de l'écrit, voix média-tisée, et voix idéalisée. Il n'en reste pas moins que cette émo-tion le laisse lui, régulièrement, sans voix, comme il en faitsouvent la confidence à Martha.

Ainsi, dans cette même lettre Freud évoquant deuxsituations pénibles (le suicide de N. Weiss et le jugementde Friedmann), donne des observations très sonores et con-trastées des interventions des protagonistes. Mais le16/12/1883 à propos d'un incident d'antisémitisme dontil est le témoin, dans le train, il remarque son évolution

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personnelle: « ... Un an plus tôt l'irritation m'aurait rendumuet. » (165, 89) On ne peut s'empêcher de penser ici ausouvenir qu'il retrouvera au cours de son auto-analyse del'humiliation subie par son père, et dont ce dernier luiavait fait le récit: son bonnet ayant été jeté dans le cani-veau, il avait dû le rechercher. Freud poursuit son com-mentaire de l'incident: « Je crois cependant m'être con-duit honorablement et m'être servi courageusement desmoyens dont je disposais sans pour autant avoir été gros-sier. Après tout, je ne suis pas un géant, je n'ai pas decrinière à hérisser, pas de mâchoire à faire grincer, pasde voix de stentor, pas même une allure distinguée; toutcela aurait eu un effet plus rapide sur ces canailles. » (165,90) L'énumération de ces manques, notamment sur le plansonore, ne fait que souligner l'intensité de l'indignation,et la difficulté à « se faire entendre» dans un combat jugéinégal.

Si l'indignation peut rendre muet, on retrouve ce mêmemutisme dans les moments agréables. Ainsi écrit-il le18/8/1882: «N'est-il pas terrible que deux êtres quis'aiment, et ne trouvent ni le moyen ni le temps de se ledire, attendent qu'un malheur ou un désaccord leur arra-che les cris de la tendresse? Il ne faut pas être avare deson affection. » (165, 38) Plus tard il écrit ce qu'il aime-rait mais ne peut exprimer: « Je voudrais pousser des criset bondir d'allégresse et surtout être déjà aujourd'hui prèsde toi, mon doux trésor aimé. » (165, 202) Si l'écrituresemble le mettre plus à l'aise cette médiation ne le pro-tège pourtant pas lorsqu'il s'agit des lettres qui lui sontdestinées. Ainsi écrit-il: « Plus tes petites lettres sont ten-dres, plus je deviens muet» (165, 56) ; et encore « ... lajoie me rend muet: je suis si heureux de t'avoir que jeme sens incapable d'exprimer ce bonheur par des mots. »(165, 174)

Ces différentes citations mettent en avant, comme nousl'avons déjà vu précédemment, la question de la mesure,la gestion de l'émotion et de son expression, et cela aussibien dans la relation amoureuse que dans les groupes etassemblées.

Cette correspondance confirme la grande sensibilité deFreud, sensibilité qui souvent le réduit au silence, ou auretrait. Alors la seule voie, pour lui, de « se faire enten-dre », est celle de l'intellect, ses travaux doivent faire

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« beaucoup de bruit ». C'est-à-dire que c'est par l'inter-médiaire de l'écho de ses pensées chez autrui qu'il retrouvele chemin de l'expression. C'est notamment dans la cor-respondance à Jung que se manifeste cette forme d'écho.Mais avant de s'y reporter, revenons à cette première cita-tion : « Ta lettre m'émeut comme une voix angélique. »Car ce n'est pas n'importe quelle voix, la voix de l'angeest musicale, et c'est bien cette qualité qui produit icil'émotion, et le mutisme. Freud nous fournit-là une clefde son rapport à la musique, dans cette association amou-reuse entre féminité et idéalisation (et asexuation). Nousy reviendrons.

C - Jung et les fantômes frappeurs de coups

1 - Un écho

Freud trouve en Jung un écho, il écrit, le 2/9/1907,avoir attendu « qu'une voix sorte de la foule des incon-nus pour répondre à la mienne », et ajoute « cette voixfut la vôtre» (167, 276). Même si cet écho se fait parfoistonitruant! « Oui en vous cela tempête et tonne à nou-veau aujourd'hui et gronde de loin vers moi. » (168, 25)C'est dans la correspondance de Freud avec Jung ques'exprime le plus la vigueur de ce rapport au sonore. Ainsipar exemple, critiquant le travail de Sollier, Freud écrit:« Vous allez trouver que je tonne de nouveau en pape con-tre les hérétiques. Mais puis-je voir les choses de deuxmanières différentes» (167, 90) ; et dans la même lettreil poursuit: « faites-moi bientôt entendre de nouveau duBurghôlzli. Quand Bleuler et vous aurez également admisla théorie de la libido, il devra y avoir un fracas audibledans la littérature» (167, 91). Il ne croyait pas si biendire! Ce « fracas », on le sait, n'eut jamais lieu... (Jungs'étant par la suite séparé de Freud justement à proposde ces positions théoriques).

2 - Un pet sonore

Par contre il arrive plusieurs fois à Freud de repro-cher à Jung de rester trop discret, voire timoré: « Pour-quoi ne l'avez-vous pas dit à haute voix?.. Nous pou-vons prendre notre revanche par l'humour en parlant une

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fois entre nous de ces « pets» lui écrit-il le 31/10/1910,traitant des problèmes avec Bleuler (168, 107). Notons àce propos l'écho à d'autres « pets )), ceux-là écrits en poin-tillés par Freud - fait que souligne D. Anzieu (179, 95)dans la lettre à Fliess du 4/12/1896: «Ma psychologiede l'hystérie sera précédée de ces fières paroles: lntroiteet hic dU sunt (trad. entrez: ici aussi se trouvent les dieux)(...), la résistance par: Mach es kurz !

Am Jüngsten Tag ist nur ein... (trad. Abrège! Le Jourdu Jugement Dernier, il n'y aura qu'un... )), citation deGœthe in Zahne Xenein (Les Xénies apprivoisées) maisdont l'original n'omet pas le pet final! D. Anzieu ajouteque Freud l'utilisera en exergue du chapitre trois consa-cré aux dissidences de Contribution à l'histoire du mou-vement psychanalytique (179, 80). Nous assistons ainsi auxtrois étapes de la production de ce son malséant: en 1896il est à proprement parler « sous-entendu )), sous l'effetde la censure (Anzieu, 179, 113), en 1910 il est émis dansl'intimité de la relation à Jung, tout en désignant non plusles résistances en général mais celles d'un Bleuler, enfin,officialisé en 1914, il est adressé à tous les dissidents dontBleuler fut le chef de file.

Nous trouvons ici la dimension sonore utilisée dans laproblématique de la censure, sur laquelle nous reviendrons,dans deux éléments du plaisir sonore pré-génital: buccalet anal.

3 - Craquements

Nous avons gardé le meilleur pour la fin avec cette let-tre du 16/4/1909 dans laquelle Freud, mi-amusé mi-agacé,se plaît à répondre sérieusement aux observations faites parJung lors de sa dernière visite, à savoir la présence debruits suspects dans son appartement, bruits qui pourraientêtre la manifestation de « fantômes frappeurs de coups )).On sait l'intérêt de Jung pour la parapsychologie et lesexpériences qui s'y rapportent, on connaît aussi la curio-sité de Freud à ce sujet. N'avait-il pas mis en exergue dela Psychopathologie de la vie quotidienne cette citation deGœthe: «Nun ist die Luft von solchem Speek so voll,dass niemand weiss, wie er ihm meiden soli )) (trad. l'airest maintenant si plein d'un tel revenant que personne nesait comment lui échapper), citation de Faust, acte V, scène

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5. Voici la réponse très précise de Freud, gage de sonouverture d'esprit, et de son sens critique: « ... Je crainsà présent de retomber auprès de vous dans le rôle du pèresi je parle de ma relation aux fantômes frappeurs decoups; il me faut cependant le faire, parce qu'il en vaquand même autrement que vous ne pourriez le penser.Je ne nie donc pas que vos dires et votre expériencem'aient fait grande impression. Je me suis proposé d'obser-ver après votre départ, et donne ici les résultats. Dans mapremière chambre cela craque sans cesse, là où les deuxlourdes stèles égyptiennes reposent sur les planches de chênede la bibliothèque, cela est donc trop transparent. Dansl'autre, là où nous l'avons entendu, cela craque très rare-ment. Au début je voulais admettre comme preuve que lebruit si fréquent pendant votre présence ne se fasse plusentendre - mais il s'est manifesté à plusieurs reprisesdepuis lors, jamais cependant en rapport avec mes pen-sées et jamais quand je me préoccupais de vous ou de ceproblème particulier qui est le vôtre. (Maintenant non plus,ce que j'ajoute en guise de défi). Mais l'observation a bien-tôt été dévalorisée par autre chose. Ma crédulité ou dumoins ma disposition à croire a disparu avec la magie devotre présence personnelle ici ; 'il est de nouveau, pour cer-tains motifs intérieurs, tout à fait invraisemblable pour moique quelque chose de cette sorte puisse se produire; lemobilier désenchanté se tient devant moi, comme devantle poète après le départ des dieux de la Grèce, la naturedédivinisée. » (167, 295-296)

Nous soulignerons dans ces passages de la correspon-dance à Jung des thématiques fondamentales du rapportau sonore, la dimension anale, les fantasmes de destruc-tion et de persécution.

Ironie du sort? quelques années plus tard, Freud écrità Abraham, de façon tout aussi sonore sa joie à l'expul-sion de Jung! Le désenchantement est alors complet...

Freud écrit à Abraham, le 25/6/1914 au sujet du Jahr.buch et s'exclame « La bombe a maintenant éclaté» (166,285) et le 18/7 il salue d'un « hourra» le règlement dela situation des dissidents (et de Jung en particulier) : « Jene peux réprimer un hourra. Nous voilà donc débarrassésd'eux! » (166, 188). Jung qu'il lui arrivait de trouveratteint de « fanfaronnite », comme il l'écrit à Ferenczi, etdont la perspective de scission était envisagée, l'année pré-

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cédente, dans une expression sonore plus dépressive etmusicale: « Il est parfaitement possible qu'on nous .enterrevraiment, cette fois, après avoir si souvent et vainemententonné pour nous le chant funèbre. » (lettre à Ferenczidu 8/5/1913, N°393F)

1-2 - Du cri

L'année 1895, année de L'Esquisse d'une psychologiescientifique, et des Études sur l'hystérie, Freud tente unethéorisation du sonore à propos du cri, à partir de sesréflexions sur plusieurs cas cliniques.

Nous présenterons en premier sa réflexion théorique,suivie des illustrations cliniques.

A - Du cri à ['objet, tentative de théorisationdu rapport sonore à ['objet

C'est dès l'Esquisse que Freud développe une réflexionthéorique sur le sonore. Et ceci à partir de l'analyse dedeux opérations: l'expression verbale, et la compréhension.Comparant les processus perceptifs aux processus cogita-tifs, il remarque la faiblesse de ces derniers au regard dudegré de réalité. L'expression aura donc à jouer le rôlede médiation entre le cogitatif et le perceptif, entre réa-lité interne et réalité externe. Freud écrit: « IL doit êtrepossible de reconnaître et de reproduire les processus per-ceptifs grâce à leur association avec les décharges de laperception; mais les frayages produits par la pensée nelaissent derrière eux que leurs effets et non la mémoire.Un frayage de pensée peut, tout aussi bien, se réaliser parun unique processus intense que par dix processus moinsimpressionnants. Or, les indices de décharges par la voiedu langage peuvent servir à pallier cette insuffisance. Ilsportent les processus cogitatifs sur le plan même des pro-cessus perceptifs en leur conférant une réalité et en ren-dant possible leur souvenir. » (15, 376)

Ainsi la production sonore, verbale, constitue-t-elle lepassage à la décharge nécessaire, sur le plan économique,

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cette extériorisation, ce passage à la réalité extérieure etdonc à la perception - par les organes des sens - quivient trouver place, sur le plan topique, dans la tracemnésique.

De la même façon la compréhension est ici définiecomme une opération qui s'exerce à partir du désir, parl'investissement de la perception, dans la visée de l'objet:« Nous avons pu voir déjà (...) qu'au moment où s'ins-taure la fonction du jugement, les perceptions éveillentl'intérêt par suite de leur connexion possible avec l'objetdésiré. Leurs complexes se trouvent ainsi divisés en unefraction non assimilable (1'« objet») et une autre fractionrévélée au moi par sa propre expérience (les « propriétés »,ou activités de l'objet). C'est à cette opération qu'on donnele nom de compréhension (15, 376)

Freud développe ensuite les deux points de contactsexistant entre les opérations de compréhension et d'expres-sion verbale. C'est précisément à cette articulation qu'ilsitue la dimension sonore, notamment le cri, entre émis-sion involontaire et profération.

1 - Des objets qui font crier...

« ... il y a, en premier lieu, des objets (des perceptions)qui font crier parce qu'ils provoquent une souffrance. C'estun fait d'une extrême importance de voir que cette asso-ciation d'un son (donnant également lieu aux images motri-ces des mouvements du sujet lui-même) avec une percep-tion qui est déjà elle-même un complexe, puisse augmen-ter le caractère « hostile» de l'objet et servir à dirigerl'attention vers une perception. Nos propres cris confèrentson caractère à l'objet, alors qu'autrement, et à cause dela souffrance, nous ne pourrions en avoir aucune notionqualitativement claire. Cette association fournit donc lemoyen de rendre conscients des souvenirs pénibles et d'atti-rer sur eux l'attention: la première catégorie des souve-nirs conscients se trouve par là créée. De là il ne reste quepeu de pas à faire pour découvrir le langage. » (15, 377)Nous ne sommes pas d'accord ici avec la « traduction»qu'a cru bon d'ajouter l'éditeur, à ce passage, dans la notede cette même page (traduction de Anne Berman) : « Voicicomment on peut traduire ce passage en employant la ter-minologie ultérieure de Freud: les frustrations subies dans

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la première enfance contribuent en général beaucoup audéveloppement du sens de la réalité. Elles fournissent, enparticulier, à l'enfant une raison de reconnaître, d'identi-fier, la personne qui s'occupe de lui et qui lui procure àla fois satisfaction et frustration. » Cette version « adap-tative » gomme toute l'originalité de ce paragraphe queFreud considérait se rapporter à un fait « d'une extrêmeimportance... »

Le son qui échappe, le cri, lors d'une perceptiondouloureuse:

1) qualifie et intensifie l'affect associé (ici le caractèrehostile), par une sorte de renforcement et par le proces-sus de projection: « nos propres cris confèrent son carac-tère à l'objet ». Et ce mouvement qui « jette» le son, per-met, en retour, et comme en écho, au travers de sa per-ception, l'identification de sa qualité affective;

2) centre l'attention sur cette perception l'élevant aurang de point de repère, de référence, et ce par sa mémo-risation. On pense ici au concept proposé par G. Roso-lato de « signifiant de démarcation» (203).

Ce « travail» psychique est déjà une forme de prisede conscience et se trouve à l'origine des souvenirs cons-cients.

Le travail accompli actuellement par certains musico-thérapeutes, à partir des productions sonores spontanéesde patients psychotiques, pourrait venir illustrer ce premierpoint. Être attentif aux productions sonores émotionnel-les, ou automatiques, de ces patients, leur en faire l'écho,c'est favoriser une prise de repères perceptifs, relationnels,affectifs, sur les situations dans lesquelles elles surgissent.

2 - Des objets sonores

Freud poursuit: «Il existe une seconde catégoried'objets émettant constamment certains bruits, c'est-à-diredes objets dans le complexe perceptif desquels un son jouequelque rôle. Par suite d'une tendance à imiter qui surgitpendant le processus de jugement, il devient possible detrouver une annonce d'un mouvement (exécuté par soi-même) relié à cette image auditive. La série de souvenirsdont nous parlons ici peut, par là, elle aussi devenir cons-ciente. Il faut ensuite associer les sons volontairement émisaux perceptions. Ceci fait, les souvenirs qui surgissent au

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moment où le sujet observe les indications sonores dedécharge, deviennent conscients comme des perceptions etpeuvent être investis... » (15, 377)

La perception auditive elle-même rappelle les expériencesprécédentes notamment les associations sons-images déjàexpérimentées et se rapprochant de la perception actuelle.Alors il est possible de reproduire l'émission sonore pré-cédente (ou une partie seulement), en réponse à la per-ception auditive présente: réponse, comparaison, ajuste-ment. Cette imitation est à la base de la parole commede la musique. Dans ces émissions sonores involontairesou volontaires « les indications sonores de décharge» pren-nent la qualité des perceptions: « Nous avons ainsi décou-vert ce qui caractérise le processus de la pensée cognitive,le fait que l'attention s'applique dès le début aux annon-ces de décharge de la pensée, c'est-à-dire aux signes dulangage. » (15, 377) Ainsi l'expérience que fait le moi nais-sant de ses émissions sonores (ajoutons ici les bruits cor-porels aux bruits vocaux) dans sa relation avec l'objetdésiré constitue la base de cette opération de compréhen-sion et le point de capiton avec le langage verbal.

L'expérience de ces émissions sonores crée les premiers« signifiants de démarcation» (cf. Rosolato), relativementaux affects et aux images auditives (les autres images sen-sorielles y étant plus ou moins distinctement associées),d'une part, et relativement au caractère de « décharge »,d'autre part. L'ensemble de ces associations constitueraient,si cette fois on se rapporte à la théorisation de P.Castoriadis-Aulagnier, une sorte de « pictogramme» (185).

Freud avance ainsi l'idée que l'expression sonore, parle cri, en particulier, serait à l'origine de la différencia-tion affective. Et, au travers de la décharge, l'associationde la perception du cri et de l'affect, permettrait une prisede conscience, et viendrait renforcer l'investissement del'émission sonore à l'origine de la parole.

On pourrait ici ajouter que langage verbal et musique,codes de communication créés à partir de cette même ori-gine sonore de l'affect qualifié, reposent, chacun d'eux,sur un mode de décharge différent:

Le langage verbal développe cette opération dans le sensde la différenciation et de l'abstraction, avec pour maté-riaux essentiels un jeu de hauteurs très limité mais trèscodé, dont le ton, sa qualité sonore, constitue un repère

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essentiel de l'interprétation. La musique cherche à rappe-1er, par les particularités sensorielles sonores, l'instant decompréhension lui-même, et le plaisir de la décharge pro-curée initialement, par des variations métonymiques entrele cri et le mot, variations ayant pour règles l'imitationet la répétition, et pour matériaux les rapports de timbres,de hauteurs, et de durées.

Une illustration de cette interprétation très libre quenous avançons ici pourraît être fournie. par « la psycha-nalyse » que Gustav Mahler entreprit avec Freud, d'aprèsles quelques indications que nous en livre E. Jones. Aprèsplusieurs rendez-vous pris puis décommandés par Mahler,« ils finirent par se rencontrer dans un hôtel de Leyde etpassèrent quatre heures à déambuler dans les rues de laville, pendant lesquelles ils pratiquèrent une sorte depsychanalyse. Bien que Mahler n'eût aucune connaissancede cette dernière, Freud déclara qu'il n'avait jamais ren-contré personne qui la comprît aussi vite ». Ceci nousassure de la satisfaction de Freud quant au travail accom-pli. Jones confirme les résultats cliniques et poursuit cecompte-rendu (réalisé à partir des indications de MarieBonaparte) : « Au cours de la conversation, Mahler déclarasoudain qu'il comprenait maintenant pourquoi sa musiquen'atteignait pas les hauts sommets de l'art. Les passagesles plus grandioses, ceux qui étaient inspirés par les émo-tions les plus profondes, se trouvaient gâchés par l'intru-sion de quelque mélodie banale. Le père de Mahler, per-sonnage sans doute brutal, maltraîtait sa femme et Mah-ler enfant avait été témoin d'une scène de ménage parti-culièrement pénible. La situation lui paraissant intoléra-ble, le jeune garçon s'enfuit de chez lui. Mais à cemoment-là, il entendit, dans la rue, un orgue de Barbariejouer l'air populaire viennois: Ach, du Ueber Augustin.Mahler pensait que le rapprochement entre un sombredrame et un amusement léger s'était à tout jamais fixé dansson esprit et que l'un des états d'âme devait inévitable-ment entraîner la survenue de l'autre. » (177b, 84)

On voit donc ici une situation de violence, dont on peutsupposer qu'elle fut sonore (coups ou cris ?). L'affect dra-matique ressenti est resté lié à cette partie sonore de lasituation, de façon métonymique, et pourrait se retrouvercomme trame dans l'œuvre du compositeur. Mais dans safuite, un second rapport métonymique, par contiguïté, se

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superposa au premier, par l'air populaire entendu à cemoment (air qui est l'expression d'un affect opposé, et/oucomplémentaire, de libertinage), la base commune de cesdeux affects étant une scène primitive, interprétée de façonsadique ou avec légéreté. Nous considérerons donc qu'ils'agit des variations sur un même thème...

B - De patients bruyants, présentationde situations cliniques

1 - Un cri étouffé

Parmi les premiers cas traités par Freud, deux possè-dent dans leur étiologie une rétension de cris (Freud par-lera à leur propos de « névrose de rétention »), ce sontles cas de Mme v. N. et de FrI. Rosalie H.

Le premier de ces cas est présenté en 1892-93 et reprisen 1895, donc la même année que la publication de la ten-tative de théorisation précédente. Mme v. N. « ... se fai-sait remarquer par un bruit singulier qu'elle intercalaitcomme un tic dans sa conversation, et que je décriraiscomme un claquement particulier de la langue avec ouver-ture brusque des lèvres convulsivement serrées» (6, 39).Une note en bas de la page 36 des Études sur l'Hystérieprécise avec humour « ce claquement comportait plusieurstemps; des confrères chasseurs qui l'avaient entendu encomparaient le son final à celui qu'émet le coq de bruyèrelors de l'accouplement ».

Interrogée sous hypnose, la malade rapporte les deuxsouvenirs suivants: « Alors que mon plus petit enfant étaitsi malade, qu'il avait eu des convulsions toute la journéeet qu'il s'était enfin endormi le soir, et alors que j'étaisassise près de son lit et que je me disais: maintenant tudois être tout à fait calme pour ne pas éveiller ta fille,alors... m'est venu pour la première fois le claquement.Cela passa alors; mais lorsque plusieurs années plus tardnous roulions une nuit dans la forêt près de... et qu'ungros orage éclata et que l'éclair frappa un tronc d'arbredroit devant nous sur le chemin si bien que le cocher dutretenir les chevaux et que je me dis: maintenant tu nedois surtout pas crier sinon les chevaux vont s'effrayer,alors - c'est revenu et c'est resté depuis. » (6, 39-40)

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Freud constate qu'il ne s'agit pas d'un tic véritable puis-que cette réminiscence le fit disparaître (critère de distinc-tion appris de Charcot). Il attribue ce type de pathologieà l'action d'une « contre-volonté ». « J'eus donc alors pourla première fois l'occasion de m'expliquer, par la contre-volonté, le surgissement de symptômes hystériques parl' objectivation de la représentation de contraste pénible.La mère épuisée par l'angoisse et les soins au malade sedétermine à n'amener aucun son à ses lèvres pour ne pastroubler l'enfant dans son sommeil apparu si tard. Dansson épuisement la représentation de contraste concomitante- elle le fera malgré tout - se montre la plus forte, elleparvient à l'innervation de la langue, que peut-être le projetde rester silencieuse avait oublié d'inhiber, elle rompt lafermeture des lèvres et elle produit un bruit qui désormais,surtout après une répétition du même processus, se fixepour bien des années. » (6, 40) Ce qu'il résume encore plusloin: « Ce sont les séries de manifestations réprimées, etlaborieusement réprimées, qui ici, par suite d'une sorte decontre-volonté, sont transposées en action quand la per-sonne a succombé à l'épuisement hystérique. » (6, 41)

Il y aurait donc comme un « empire des ombres» danslequel seraient conservées ces représentations. Freud rap-proche cette observation du tic convulsif, précisément, dela coprolalie: «... l'explosion involontaire, ou mieuxcontre-volontaire, des mots les plus orduriers» (6, 42). Ceciest particulièrement intéressant s'agissant de bruits, et doitêtre mis au crédit des intuitions de l'auteur quant à ladimension anale de ces manifestations, dimension que nousavons déjà rencontrée. « La racine de la coprolalie seraitla perception par le malade qu'il ne peut s'empêcher defaire exploser certains sons, le plus souvent un hum, hum.A cela viendrait se joindre la crainte de perdre aussi lecontrôle sur d'autres sons, particulièrement sur ces motsque l'homme bien élevé se garde de prononcer, et cettecrainte conduirait à la réalisation de ce qui est craint. »(6, 42-43) On ne peut s'empêcher ici de penser aux « rap-ports merdologiques » que Freud adresse à Fliess au coursdes mois de décembre 1897 et janvier 1898...

Freud utilise, en contre-point, le cas, cité par Guinon,d'un névrosé adulte « affligé de ce cri : Maria », nom deson amour d'écolier. « Il se mit alors à crier tout haut,au beau milieu des classes, le nom de son adorée, et ce

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nom lui resta comme un tic après qu'il eut dépassé son his-toire d'amour, depuis la moitié d'une vie humaine.»L'explication qu'en donne Freud reste insatisfaisante :« Jepense que cela ne peut guère s'être produit qu'ainsi: l'effortle plus opiniâtre pour tenir le nom secret se retourna, dansun mouvement d'excitation particulier, dans la contre-volonté, et à partir de là le tic persiste... » (6, 43)

Il poursuit, s'agissant de la coprolalie : « Si l'explica-tion de cet exemple est correcte, nous sommes bien tentésde ramener le tic coprolalique véritable au même méca-nisme, car les mots orduriers sont ces secrets que nous con-naissons tous et dont nous nous efforçons sans cesse decacher aux autres la connaissance. » (6, 43).

On sait qu'il faudra encore plusieurs années pour queces secrets, en ce qui concerne Freud, puissent être con-fiés dans l'intimité de sa relation avec Fliess. D. Anzieucite, à ce propos, la lettre du 4/1/1898 : « ... Freud, sti-mulé comme d'habitude par le congrès, envoie à Fliess "len° 2 de mes études drekkologiques (c'est-à-dire merdolo-giques), un très intéressant Journal que je publie pour unseul lecteur. Le n° 1 que j'ai gardé contient des rêvesdégoûtants (Würste) qui t'intéressaient médiocrement; ilsfont partie de mon auto-analyse, qui est encore tâtonnante,entièrement dans l'obscurité". » (179, 204)

Dans la reprise de ce cas, en 1895, Freud ne revientpas sur cette association, par contre il insiste sur la réten-tion du cri qu'il rapporte à la théorie des émotions de Dar-win, en donnant une description plus détaillée du compor-tement de la patiente: «Chez Mme v.N., une partie dessurprenantes manifestations motrices n'était qu'une mani-festation de ses émotions, ce qui se percevait facilementpar une expression de son visage, par un geste d'effroilorsqu'elle tendait ses mains en avant, les doigts crispés,etc.» Freud relève le contraste avec le comportementréservé habituel à cette femme, et il poursuit: « Une autrepartie de ses mouvements symptomatiques était, d'aprèselle, en rapport direct avec ses douleurs; elle jouait sanscesse avec ses doigts (1888) ou se frottait les mains (1889)afin de ne pas devoir crier. Cette motivation fait beau-coup penser à l'un des principes formulés par Darwin pourexpliquer les mouvements expressifs: le principe de la« dérivation de l'émotion» dont il se sert pour expliquerpar exemple le frétillement de la queue du chien. Nous

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remplaçons d'ailleurs le cri, pendant de douloureuses sen-sations, par des innervations motrices d'un ordre différent.Celui qui a décidé, chez le dentiste, de ne remuer ni latête ni la bouche et ne pas faire intervenir ses mains, secontente tout au moins de trépigner. » (10, 71)

Freud reprend la notion de représentation contrastante,tout en l'associant au comportement d'attente anxieusecaractéristique du névrosé. L'épuisement physique ne seraitalors qu'une facilitation à l'expression, par faiblesse. Maiscette dernière explication reste, pour Freud, insatisfaisante ;il ajoute: «J'admets en outre, que c'est l'épouvanted'avoir, contre son gré, fait du bruit qui confère à ce fac-teur une activité traumatisante et qui fait du bruit lui-mêmeun symptôme mnémonique de toute la scène. Oui, je croisreconnaître dans le caractère même de ce tic, fait de sonsspasmodiquement émis et séparés les uns des autres pardes pauses, la trace du processus auquel il doit son appa-rition. Il semble qu'il y ait lutte entre la résolution prisepar le sujet et la représentation contrastante, la volontéantinomique, et que cette lutte ait conféré au tic son carac-tère intermittent et ait réduit la représentation contrastanteà prendre la voie d'une innervation inhabituelle, celle desmuscles commandant l'émission des sons. » (10, 72). Al'origine du cri étouffé, de la rétention, se trouve doncle conflit entre ce qui sera par la suite désigné comme deuxinstances, celle du Surmoi, et celle du ça. Le bruit, commele silence ou encore le mutisme, se font ainsi l'écho dela lutte interne, et de ses cris.

2 - L'accès de cris

Ce cas est soumis à Jung dans une lettre datée du14/4/1907 ; il s'agit d'un jeune homme vu par Freud à Gôr-litz, annoncé pour le Burghôlzli l, premier cas vu à la foispar Jung et par Freud, ce dernier ne se fait que peu d'illu-sion sur les résultats thérapeutiques escomptés mais consi-dère que ce cas présente un intérêt scientifique certain.S'interrogeant sur le diagnostic, Freud écrit à Jung son hési-tation entre obsession, hystérie, rejetant a priori celui dedémence précoce. Jung, par contre, dans sa réponse du 17

1. Burgh6lzli : hôpital psychiatrique proche de Zurich dans lequelJung était médecin-chef.

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courant, s'inquiète des hallucinations de ce patient, les voixmanifestant déjà un clivage profond, et pense, lui, à unpassage possible de ces manifestations obsessionnelles ethystériques à la démence précoce (167, 80 et 83).

Voici comment Freud résume ce cas et en décrit les« accès de cris» : «C'est un individu hautement doué,type œdipien, amour de la mère, haine du père (...),malade dès la onzième année, à la révélation des faitssexuels; le rejet du sexuel est gigantesque, ne peut pas nepas être vu, comme une maison, avait coutume de direCharcot. Ce qui crée des difficultés avec lui et m'a empê-ché de le transporter à Vienne, ce sont des accès de crisquand il se met en excitation (à l'origine ce n'était riend'autre que ses moyens de pression infantiles pour sou-mettre sa mère à sa volonté). A présent un accès se pré-sente ainsi: il se tient debout devant la porte, crie, hurle,rage et crache. Si on contemple la scène on voit au pre-mier coup d'œil - mais un véritable psychiatre ne doitpas voir ce qui n'est pas dans Kraepelin - qu'il frotteavec deux doigts de la main droite un sillon du panneaude la porte, en un mouvement montant et descendant (c'estce que j'ai vu), c'est-à-dire qu'il imite un coït! Quand jelui ai présenté cela après l'accès, il a dit non; et ensuite:les garçons à l'école, eux, le mimaient avec le doigt ainsi(coups dans la main fermée). En faisant cela il compte:deux, trois, quatre, après des pauses assez longues, ce quia bien son sens pour le coït; et en crachant il imite évi-demment l'éjaculation de sperme. Il entend des voix enfaisant cela (qui jouent un rôle pendant ces intervalles, cequi est bien sûr problématique pour le diagnostic mais neparaît pas encore paranoïaque), sa mine est celle de la plusgrande irritation et indignation, bref il est spectateur d'uncoït, contre lequel il réagit avec rage; et si vous considé-rez qu'il a dormi chez les parents jusqu'à sa dixième année,vous pouvez deviner quel couple il épie là. Il joue natu-rellement deux rôles, le spectateur qui a le dégoût etl'homme qui a l'éjaculation. » (167, 80-81) Freud ajouteà ce tableau que s'expriment là des affects refoulés liésau non-développement des organes génitaux, restés infan-tiles chez cet homme.

Dans sa réponse Jung s'interroge sur ces cas de rup-ture avec la réalité, où l'auto-érotisme prend le dessus defaçon « suicidaire », il relève la fréquence de la mastur-

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bation anale. On observe, en effet, que, contrairement auxtics précédents, ces accès de cris constituent des momentsde rupture avec la réalité. Et il est intéressant de noterque c'est dans ce même échange de lettres, autour de ladementia, que Freud se pose la question de l'inaccessibi-lité de ces cas au transfert.

Le cri du nourrisson jette la souffrance à l'oreille (lasienne en premier; et la rend audible aux autres) l'intro-duisant par là-même dans la voie sonore de la parole. C'estd'ailleurs dans ce registre que l'environnement maternel val'interpréter. En même temps cette dramatisation dansl'intensité sonore et sa diffusion corporelle, au maximumde la tension, produit, nous dit Freud, un effet d'écho per-sécutif, dans lequel l'affect est rendu audible.

La rétention du cri, qui accompagne une situation trau-matique, bloque la circulation de l'affect. A cette premièreinterprétation dans le registre économique, Freud ajouteune dimension dynamique, conflictuelle, liée à la présenced'une contre-représentation, à l'origine du symptôme hysté-rique. Le processus de déplacement, que Freud dévelop-pera à propos du rêve est ici déjà manifeste, l'émotion nonexprimée, le cri étouffé, est relayée par le corps (bruits,gestes, mimiques) : le corps « crie» à la place de la voix.

Avec ce dernier cas nous passons du cri retenu, déplacédans le tic sonore, formation de compromis, au cri-objetet à l'hallucination, dans la psychose.

1-3 - Eros est bruyant

A - Le bruit de la vie

C'est en 1913, dans le « motif du choix des coffrets»que Freud développe, à partir des contes, la relation entremutisme et mort. On se rappelle, en effet, qu'il s'agit pourBassanio de choisir sa femme à partir de trois coffrets,l'un d'or, l'autre d'argent, l'autre enfin de plomb. C'estsur ce dernier que se portera le choix de Bassanio quidéclarera à la belle: « Ta simplicité me touche plus que

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la manière d'être tapageuse des deux autres. » Freud com-mente « l'or et l'argent sont "tapageurs", le plomb estmuet, tout à fait comme Cordélia, qui "aime et se tait". »(77, 70)

Cette évocation se trouve d'ailleurs développée, l'annéeprécédente, dans la correspondance à Ferenczi. Freud faitalors le rapprochement entre trois œuvres: la scène du roiLear, cette scène du choix dans Le Marchand de Veniseet l'opéra La belle Hélène d'Offenbach. Il rappelle à cepropos la chanson de Paris (Acte I, scène 7) dont il citeles paroles:

« Et la troisième - oui, la troisième -Restait là et se taisait.C'est à elle que je dus donner la pomme.Toi Calchas tu sais pourquoi. »Et Freud poursuit: « J'ai découvert qu'il s'agissait des

trois sœurs du destin, les Parques, dont la troisième estmuette car elle symbolise la mort (Stekel). L'implacabilitédu destin est transformée en raison du choix. Cordélia,qui aime et se tait, est donc la mort elle-même. La situa-tion de Lear portant le cadavre de Cordélia dans ses bras,est à retourner: c'est le vieil homme qui est dans les brasde la Parque funeste. Les trois Parques sont la Femmedans ses trois figures capitales: celle qui donne la vie, cellequi dispense la volupté et celle qui cause votre perte, ouencore, la mère, l'amante et la terre-mère = Mort. » (lettredu 23/6/1912 à Ferenczi, 176, 407)

Nous observons qu'il s'agit bien ici d'opposer bruit etsilence, tapage à mutisme, opposition qui se résoud en vie-mort. Freud conclut, en effet, de l'étude des contes,comme de l'analyse des rêves, que le mutisme y apparaîtcomme « une configuration de la mort» (77, 71 et 73).Cette pensée se trouve renforcée par l'introduction dansla théorie psychanalytique de la dualité des instincts de vieet des instincts de mort, elle se trouve alors formulée, en1920, de la façon suivante: « ... les instincts de mort opè-rent essentiellement en silence (...) tout le bruit de la vieémane d'Eros» (et de la lutte contre Eros) (120, 218).Reprise en 1923 cette pensée est appliquée à l'oppositionentre pulsion de mort et pulsion de vie: « Les premièrespulsions, qui au fond travaillent sans bruit, poursuivraientle but de conduire à la mort l'être vivant, mériteraient parlà le nom de "pulsions de mort"... » (119, 76).

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Cette métaphore sonore est utilisée par Freud, à nou-veau, à la fin de sa vie, lorsqu'il écrit à Richard Beer-Hofmann, le 10/7/1936 : « ... la vie est passée avec sonbruissement...» (165, 526). Mais avant c'est à l'amieintime, Lou Andréas Salomé, qu'il écrit le 10/5/1925 cettesuperbe lettre sui le vieillissement:

« Une carapace d'insensibilité m'enveloppe lentement;ce que je constate sans me plaindre. C'est aussi une issuenaturelle, une façon de commencer à devenir anorganique.0):1 appelle cela, je crois, la sérénité de l'âge. Cela doitsans doute tenir à un tour décisif dans les relations entreles deux pulsions dont j'ai supposé l'existence. Le chan-gement qui l'accompagne n'est peut-être pas très frappantles qualités elles-mêmes ne sont pas très différentes, maisil manque un certain écho; moi qui ne suis pas musicien,je me représente cette différence comme de mettre ou non.la pédale. » (169, 193) Il s'agit bien sûr de la pédale dupiano, et cette métaphore montre bien la connaissancetechnique que Freud en avait, cette pédale qui permet demoduler la résonance de l'instrument, d'intensifier ou defeutrer le son. Sensibilité et résonance affective sont ici,une fois de plus, associées, chez Freud, à la métaphoresonore et musicale. Et cet assourdissement dû à l'âge vientcomme en écho au mutisme que nous avons trouvéexprimé dans ses lettres de jeunesse, sous le coup de l'émo-tion.

B - Le tic-tac du désir

A trois reprises Freud a émis une interprétation har-die et amusante à la fois, touchant à l'érotisme féminin;il s'agit dans les trois cas de patientes qui se montrent par-ticulièrement sensibles à un bruit spécifique, celui de lapendule.

Le premier cas est publié en 1915. Il s'agit d'une jeunefemme d'une trentaine d'années, jolie, très féminine, quise sentait persécutée par un homme « ... qui l'avait ame-née à lier avec lui des relations amoureuses. Elle affirmaitque cet homme avait abusé de sa complaisance pour faireprendre, par des spectateurs invisibles, des photographiesde leurs tendres ébats; alor.s il était en son pouvoir de

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la couvrir de honte en montrant ces images, et de la con-traindre à ne plus lui résister» (86, 209). Freud fut appeléà la rencontrer à la demande de l'avocat qui, perplexe,souhaitait un avis médical. Cette jeune femme célibataireétait fille unique et le soutien de sa vieille mère, son pèreétant décédé depuis plusieurs années. Occupant un postede responsabilité dans un grand établissement, elle y étaitcourtisée par un employé du même bureau, mais estimaitqu'en raison de facteurs sociaux toute perspective demariage devait être exclue. C'est alors que prit place l'inci-dent suivant: « Comme il lui avait promis de ne lui fairecourir aucun danger, elle finit par consentir à lui rendrevisite, dans la journée, à sa garçonnière. Une fois là, onen vint aux baisers et aux étreintes. Ils s'étendirent l'unprès de l'autre, il admira sa beauté en partie dévoilée. Aucours de cette heure d'amour, elle fut effrayée par un bruitinsolite, semblable à un battement ou à un tintement. Cebruit venait du côté du bureau qui se trouvait en biaisdevant la fenêtre; l'espace entre la table et la fenêtre étaiten partie occupé par un lourd rideau. Elle racontait qu'aus-sitôt elle avait interrogé son ami sur la signification dubruit, et s'était entendu répondre que cela provenait vrai-semblablement de la pendulette posée sur le bureau. »Freud poursuit ce récit: « Comme elle quittait la maison,elle rencontra dans l'escalier deux hommes qui à sa vuechuchotèrent quelque chose. L'un des inconnus portait unobjet enveloppé, paraissant une cassette. Cette rencontrela préoccupa; encore sur le chemin du retour, elle com-bina l'idée que cette cassette pourrait bien avoir été unappareil photographique, l'homme qui la portait un pho-tographe, qui durant sa présence dans la pièce était restécaché derrière le rideau, et le tintement qu'elle avaitentendu le bruit du déclic quand l'homme, ayant trouvéla situation particulièrement compromettante, avait vouluen fixer l'image. » (86, 210, 211)

Ce sont ces idées morbides de persécution qui l'ame-nèrent à s'adresser à un avocat.

Les deux parties de ce récit se centrent sur l'interpré-tation d'un bruit, comme preuve de la réalité de la persé-cution : un bruit de battement ou de tintement, interprétépar l'ami comme un bruit de pendulette, et par ellecomme celui du déclic de l'appareil photo que semblaientporter les deux supposés complices. Freud a souvent relevé

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l'hyperesthésie sonore du paranoïaque et, plus particuliè-rement, son extrême sensibilité au ton de la voix (14, 136),ce que nous retrouvons dans le présent récit dans le rôlequ'y jouent les paroles chuchotées par les deux hommesdans l'escalier. Ce détail constitue d'ailleurs ici le fil con-ducteur avec le deuxième récit fait par la plaignante, celuid'un épisode précédent: une communication à voix basseentre cet employé et la chef de service, indice, pour lamalade, d'une relation intime entre-eux, sur son compteà elle. Freud reprend à ce propos l'argumentation qui reliehomosexualité et paranoïa: c'est en vertu de sa relationavec l'image maternelle que l'amant devient ici le persé-cuteur. Freud se montre réservé en ce qui concerne l'impor-tance à accorder à ces bruits, il parle d'« incidents for-tuits » utilisés au profit du délire et précise: « Naturelle-ment nous sommes loin de penser que si ce bruit malen-contreux ne s'était pas produit la formation délirante neserait pas apparue non plus. Nous reconnaissons bien plu-tôt derrière cet incident fortuit quelque chose de nécessairequi devait s'imposer d'une manière tout aussi contraignanteque l'idée d'une relation amoureuse entre l'homme aiméet la vieille supérieure élue comme substitut materneL.. »(86, 215) Il fait alors allusion au fantasme de la scène pri-mitive et propose deux hypothèses:

1) L'hypothèse selon laquelle l'interprétation du bruitne serait intervenue que dans l'après-coup de l'idée persé-cutive : « la malade nous avait indiqué, au cours de notrepremière conversation, qu'elle s'était aussitôt enquise dela cause du bruit, et qu'il lui avait été répondu que vrai-semblablement la pendulette posée sur le bureau avait tinté.Je me donne la liberté d'interpréter cette communicationcomme une illusion mnésique. Il me semble beaucoup plusprobable que tout d'abord le bruit ne déclencha chez lajeune fille aucune réaction, et ne lui apparut comme signi-ficatif qu'après la rencontre avec les deux hommes dansl'escalier. La tentative d'explication par le tintement de lapendulette ne fut risquée par l'homme, qui n'avait peut-être pas du tout entendu le bruit, que plus tard, une foisque la suspicion de la jeune fille l'eut assaillit. « Je ne saispas ce que tu as pu entendre là : peut-être la pendulettea-t-elle tinté à ce moment précis, comme elle le fait sou-vent. » Un tel après-coup dans l'évaluation d'impressions,un tel déplacement dans le souvenir sont justement fré-

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quents dans la paranoïa, et en sont un signe caractéristi-que. (86, 216)

2) Freud avance la non-réalité physique du bruit pourl'interpréter comme une projection d'une excitation éroti-que clitoridienne: « Je pourrais me risquer à aller encoreun peu plus loin dans la dissolution du prétendu « inci-dent fortuit» réel. Je ne crois pas du tout que la pendu-lette ait tinté, ou qu'il y ait eu un bruit à entendre. Lasituation dans laquelle se trouvait la jeune fille justifiaitune sensation de battement ou de frottement sur le clito-ris. Voilà donc ce qu'ensuite elle projeta après coup au-dehors comme perception d'un objet extérieur. La mêmechose exactement est possible dans le rêve. » (86, 216-217)

Et Freud donne à l'appui de cette interprétation l'expé-rience d'une autre de ses patientes: « L'une de mes patien-tes hystériques me rapportait un jour un bref rêve de réveilpour lequel aucun matériel d'idées ne voulait se livrer. Lerêve disait: « On frappe », et elle se réveillait. Personnen'avait frappé à la porte, mais la patiente, les nuits pré-cédentes, avait été réveillée par des sensations pénibles depollution, et elle avait donc un motif pour se réveiller aus-sitôt que les premiers signes de l'excitation génitale se fai-saient sentir. On avait donc frappé au clitoris. C'est lemême processus de projection que je voudrais mettre à laplace du bruit fortuit, chez notre paranoïaque. » (86, 217)

Un troisième cas est rapporté en 1916 : « Il s'agit d'unebelle jeune fille de 19 ans, très douée, enfant unique deses parents, auxquels elle est supérieure par son instruc-tion et sa vivacité intellectuelle. » (96, 246) Elle souffred'agoraphobie et de névrose obsessionnelle. Elle présenteun cérémonial de coucher pathologique, tout à fait irra-tionnel qui dure de une à deux heures et terrifie sesparents, et qu'elle justifie par la nécessité de supprimer tou-tes sources de bruit. « Pour réaliser ce but, elle prend tousles soirs, avant le sommeil, les deux précautions suivan-tes: en premier lieu, elle arrête la grande pendule qui setrouve dans sa chambre et fait emporter toutes les autrespendules, sans même faire une exception pour sa petitemontre-bracelet dans son écrin; en deuxième lieu, elle réu-nit sur son bureau tous les pots à fleurs et vases, de tellesorte qu'aucun d'entre eux ne puisse, pendant la nuit, secasser en tombant et ainsi troubler son sommeil. » Elle aquelque peu conscience, nous dit Freud, de la faiblesse de

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ses arguments, et il souligne encore: « Les autres condi-tions du cérémonial n'ont rien à voir avec le besoin derepos. Au contraire: la malade exige, par exemple, quela porte qui sépare sa chambre de celle de ses parents resteentrouverte et, pour obtenir ce résultat, elle immobilise laporte ouverte à l'aide de divers objets, précaution suscep-tible d'engendrer des bruits qui, sans elle, pourraient êtreévités. Mais les précautions les plus importantes portentsur le lit même. L'oreiller qui se trouve à la tête du litne doit pas toucher au bois du lit. Le petit coussin de têtedoit être disposé en losange sur le grand, et la malade placesa tête dans la direction du diamètre longitudinal de celosange. » (96, 246-247) Sans reprendre ici le détail del'analyse, nous soulignerons ce qui concerne le rapport aubruit. Freud développe et explicite l'idée de l'interpréta-tion déjà donnée dans les cas précédents, à propos du tic-tac de la pendule: « Notre malade commence peu à peuà comprendre que c'est à titre de symbole génital fémininqu'elle ne supportait pas, pendant la nuit, la présence dela pendule dans sa chambre. La pendule, dont nous con-naissons encore d'autres interprétations symboliques,assume ce rôle de symbole génital féminin à cause de lapériodicité de son fonctionnement qui s'accomplit à desintervalles égaux. Une femme peut souvent se vanter endisant que ses menstrues s'accomplissent avec la régula-rité d'une pendule. Mais ce que notre malade craignait sur-tout, c'était d'être troublée dans son sommeil par le tic-tac de la pendule. Ce tic-tac peut être considéré commeune représentation symbolique des battements du clitorislors de l'excitation sexuelle. Elle était en effet souventréveillée par cette sensation pénible, et c'est la crainte del'érection qui lui avait fait écarter de son voisinage, pen-dant la nuit, toutes les pendules et montres en marche. »(96, 248)

Dans les trois cas nous observons, à partir de l'inter-prétation donnée par Freud, un déplacement sensoriel, dutactile (excitation clitoridienne), au sonore (tic-tac de lapendule), déplacement soutenu par un rapport symbolique,le battement et sa périodicité. Freud ici encore, tente àminimiser la part du sonore, comme lorsqu'il reprend ledétail des pots de fleurs pour en conclure: « Ses précau-tions contre les bris des vases constituent donc une sortede protestation contre tout le complexe en rapport avec

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la virginité et l'hémorragie consécutive aux premiers rap-ports sexuels, une protestation aussi bien contre la craintede saigner que contre la crainte ,opposée, celle de ne passaigner, Quant aux précautions contre le bruit, auxquelleselle subordonnait ces mesures, elles n'avaient rien, ou àpeu près rien, à voir avec celles-ci, » (96, 249)

Nous considérons qu'il souligne, avec cette dernièrephrase, le processus de déplacement qui porte sur le sonore,sensorialité mise en avant à la place d'une autre et de sadimension traumatique, Nous pensons ici à l'article deW.G, Niederland (200), auteur qui analyse à partir de troissituations cliniques ces déplacements des investissementssensoriels, et leurs significations dans l'histoire des patients.

On peut toutefois objecter au « rien à voir» de Freudque dans nos cultures le bruit, sous la forme du chari-vari, accompagne justement les situations équivoques; cettenotion de charivari sera d'ailleurs reprise et discutée avecle cas du petit Hans. On peut aussi s'étonner que cettefois la notion de fantasme d'écoute, appartenant à la scèneprimitive, n'ait pas été utilisée alors que Freud possède desarguments de l'enfance de la malade, sur la tyrannie exer-cée par celle-ci sur la vie intime de ses parents. Ainsi lesprécautions prises pour tenir leur porte ouverte, précau-tions paradoxales comme le souligne Freud, car suscepti-bles d'engendrer du bruit, peuvent-elles être justement liéesà cette attente de bruits. Éliminer tout bruit parasite estencore une façon de soutenir ce fantasme d'écoute, etl'importance accordée à la place des oreilles - où poserles oreilles - complète le scénario.

On le voit, ces réflexions nous ont amenée à rappro-cher cet investissement particulier du bruit, cette hyperes-thésie, dans les différents cas rapportés par Freud, à l'exci-tation sexuelle et à la scène primitive. Avec le bruit régu-lier, la rythmicité organique - celle des rythmes biologi-ques, celle des menstrues - est évoquée, comme aussi, parl'image de la pendule, l'organisation dans le temps. Ainsicette pendule nous ramène-t-elle à la double polarité vie-mort précédemment rencontrée à propos du bruit.

C - Le rêve est un bruit nécessaire

C'est dans le « leitmotiv» du gardien bruyant, aux por-

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tes du sommeil, entre rêve et réalité, que nous retrouvonsla fonction vitale du bruit.

Ce thème, tout comme celui du non-musicien qui pro-mène ses doigts sur un piano (autre leitmotiv de cetteétude de Freud sur le rêve, et que nous analyserons plusloin), mais d'importance moindre, constitue une secondevoix dans cette partition du rêve. La première voix argu-mente la valeur signifiante du rêve, à la façon d'une musi-que, la seconde se rapporte au bruit, à la perturbation- externe ou interne - à l'alarme donnée, à la vigi-lance.

C'est par cette activité psychique de base, ce fondsonore, que nous sommes protégés du réveil; plus préci-sément : « ... loin d'être, ainsi qu'on le lui reproche, untrouble-sommeil, le rêve est un gardien du sommeil qu'ildéfend contre ce qui est susceptible de le troubler. Lors-que nous croyons que sans rêve nous aurions mieux dormi,nous sommes dans l'erreur; en réalité, sans l'aide du rêvenous n'aurions pas dormi du tout. C'est à lui que nousdevons le peu de sommeil dont nous avons joui. Il n'apas pu éviter de nous occasionner certains troubles, demême que le gardien de nuit est obligé de faire lui-mêmeun certain bruit, lorsqu'il poursuit ceux qui par leur tapagenocturne nous auraient troublés dans une mesure infini-ment plus grande. » (96, 114)

Freud discute la thèse du rêve produit par un stimulusexterne ou interne, il reprend les arguments et exemplesde ses prédécesseurs, dont les rêves faits à la suite de lasonnerie du réveille-matin. Il donne ensuite un exemple per-sonnel, son rêve: « le pape est mort », défense contre unestimulation sonore. « Je m'éveillai un jour, au cœur del'été, au Tyrol, sachant que j'avais rêvé: "Le pape estmort". Je ne pouvais interpréter ce rêve court et nulle-ment visuel. Je me rappelais seulement avoir lu, peu detemps avant, dans les journaux, que Sa Sainteté avait étélégèrement indisposée. Mais, au cours de l'après-midi, mafemme me demanda: « As-tu entendu, ce matin, ces ter-ribles sonneries de cloches? » Je ne savais pas que je lesavais entendues, mais je compris alors mon rêve: ayantbesoin de dormir, j'avais réagi au bruit par lequel cettepieuse population voulait m'éveiller. Je m'en vengeai enpensant que le pape était mort et continuai à dormir sansm'intéresser davantage à la sonnerie. » (25, 204)

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Notons qu'à cette interprétation dans l'actuel, Jonesajoute une information intéressante, à savoir que cette son-nerie de cloches pouvait aussi être associée à un souvenird'enfance, celui du très réputé clocher de Freiberg et del'exclusion de la minorité juive qu'il pouvait symboliser,à cette époque, pour l'enfant Freud.

Freud généralise son observation: « Tous les rêves quise manifestent immédiatement avant le réveil par unvacarme quelconque ne sont que des efforts pour nier lebruit perturbateur, lui donner une autre interprétation etgagner encore quelques instants de repos. » (25, 108-109)Il en conclut: « En un sens tous les rêves sont des rêvesde commodité, faits pour nous permettre de continuer àdormir. Le rêve est le gardien du sommeil et non son per-turbateur. » (25, 205)

Plus précisément, le rêve sert en quelque sorte dedéfense contre toute stimulation sensorielle perturbatrice:« Ou bien l'esprit néglige les sensations qui lui sont don-nées pendant le sommeil (quand leur intensité et leur sens,qu'il comprend, le lui permettent), ou bien le rêve lui sertà les repousser, à les dépouiller de leur valeur, ou enfin,s'il doit les reconnaître, il s'efforce de les interpréter demanière qu'elles forment une partie d'une situation sou-haitée et compatible avec le sommeil. La sensation actuelleest mêlée au rêve de manière à perdre toute réalité. » (25,205)

N'agissons-nous pas de même façon, dans notre viequotidienne, lorsque nous « musicalisons » spontanémentdes bruits perturbateurs?

Dans Le rêve et son interprétation, nous retrouvonscette discussion sur la place du bruit, mais en réservant,à la suite de Burdach, une attention particulière aux bruitsauxquels nous restons particulièrement sensibles, jusquedans le sommeil, comme l'appel de notre nom, les cris denotre enfant, par ex. (26, 105), pour lesquels une partiede l'attention reste vigilante. C'est encore au sujet de cesbruits que Freud est amené à préciser la métaphore sonore,car si le rêve est bien le gardien du sommeil, sa premièrefonction, « ... la seconde est d'interrompre le sommeilquand il le faut. Il est comparable en cela au veilleur denuit consciencieux, dont le devoir est tout d'abord de fairetaire les bruits qui pourraient éveiller la population; maisqui n'hésite pas à remplir le devoir opposé et à mettre tout

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le monde sur pied quand les bruits deviennent inquiétantset qu'à lui tout seul il n'en peut venir à bout. » (26, 106)

Cette image est encore reprise dans l'Abrégé de psycha-nalyse (161, 35), et dans Freud par lui-même (134, 75) souscette forme de « mise en sourdine ».

L'activité onirique se présente ainsi métaphoriquementcomme un bruit de fond qui fait écran aux perturbationsordinaires, maintenant l'esprit réceptif aux signaux d'alarmelorsque le danger se fait pressant. C'est aussi, avec l'imagede la sourdine, la fonction de la pédale du piano, autreimage utilisée par Freud pour signifier le vieillissement, rap-prochement donc entre sommeil et mort. Tout comme lebruit, le rêve est à la fois signe de vie et signalisation etprotection contre sa mise en danger, avec lui le sommeiln'est. pas laissé aux seules pulsions de mort..

Cette attitude de tolérance à l'égard du bruit pertur-bateur, celui du gardien comme celui du gêneur, nous laretrouvons en 1914 dans un passage traitant du refoule-ment. Or n'est-ce pas justement dans le retour du refouléque le rêve puise ses timbres, ses rythmes et ses morceaux?

D - Le vacarme du refoulé

C'est dans les Cinq leçons de psychanalyse que Freudsoutient en 1909, sa « leçon» sur le refoulement d'uneimage sonore.

« J'illustrerai le processus du refoulement et sa rela-tion nécessaire avec la résistance par une comparaison gros-sière. Supposez que dans la salle de conférences, dans monauditoire calme et attentif, il se trouve pourtant un indi-vidu qui se conduise de façon à me déranger et qui metrouble par des rires inconvenants, par son bavardage ouen tapant des pieds. Je déclarerai que je ne peux conti-nuer à professer ainsi; sur ce, quelques auditeurs vigou-reux se lèveront et, après une brève lutte, mettront le per-sonnage à la porte. Il sera "refoulé" et je pourrai conti-nuer ma conférence. Mais, pour que le trouble ne se repro-duise plus, au cas où l'expulsé essayerait de rentrer dansla salle, les personnes qui sont venues à mon aide irontadosser leurs chaises à la porte et former ainsi comme une"résistance". Si maintenant l'on transporte sur le planpsychique les événements de notre exemple, si l'on fait de

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la salle de conférences le conscient, et du vestibule l'incons-cient, voilà une assez bonne image du refoulement. » (48,26-27)

Émotions inconvenantes, paroles déplacées, manifesta-tions bruyantes, tel se présente le contenu de ce qui devraêtre refoulé du discours officiel. Le refoulement, fruit d'une« révolte active» ne résout pas celle-ci, le refoulé gardesa force, voire sa virulence, et peut se montrer encore plusoffensif et perturbant en faisant de l'extérieur cette foisun « vacarme insupportable ». Freud poursuit sa compa-raison en ces termes: « Il est certain qu'en éloignant lemauvais sujet qui dérangeait la leçon et en plaçant des sen-tinelles devant la porte, tout n'est pas fini. Il peut trèsbien arriver que l'expulsé, amer et résolu, provoque encoredu désordre. Il n'est plus dans la salle, c'est vrai; on estdébarrassé de sa présence, de son rire moqueur, de sesremarques à haute voix; mais à certains égards, le refou-lement est pourtant resté inefficace, car voilà qu'au-dehorsl'expulsé fait un vacarme insupportable; il crie, donne descoups de poings contre la porte et trouble ainsi la confé-rence plus que par son attitude précédente. Dans ces con-ditions, il serait heureux que le président de la réunionveuille bien assumer le rôle de médiateur et de pacifica-teur. Il parlementerait' avec le personnage récalcitrant, puisil s'adresserait aux auditeurs et leur proposerait de le laisserrentrer, prenant sur lui de garantir une meilleur conduite.On déciderait de supprimer le refoulement et le calme etla paix renaîtraient. Voilà une image assez juste de la tâchequi incombe au médecin dans le traitement psychanalyti-que des névroses. » (48, 28) L'objectif y est, en effet, de« ramener le refoulé au plein jour », de le réintégrer; telleest, en tout cas, la démonstration faite à ce cours. Elledéfinit clairement deux zônes distinctes, celle du refoulé- du bruit, du désordre - appartenant à l'inconscient,et celle du conscient - du discours et du social. Commeil y a deux niveaux de fonctionnement, le primaire: riresinconvenants, rires moqueurs, bavardages, cris, tapages,produisant un vacarme insupportable; et le secondaire quilui est représenté par le calme, l'attention, le sérieux dela salle de conférence et de la leçon, un discours et uneconduite bien ordonnés. La censure est ici active en la per-sonne d'auditeurs vigoureux (<<appariteurs musclés»aurait-on dit en d'autres temps !), de sentinelles vigilantes.

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E - Le murmure de la censure

C'est avec le rêve des « services d'amour» que Freuddéveloppe sa conception de la censure; ce rêve lui ayantété communiqué en 1915 par Mme H.v. Hug-Hellmuth,il se trouve ajouté en note au texte de L'interprétation desrêves et développé en 1916 dans l'Introduction à lapsychanalyse.

Voici tout d'abord le commentaire qui accompagne sapremière citation, il s'agit dit-il d'un « rêve qui justifiemieux qu'aucun autre ma terminologie. La transpositiondu rêve agit dans son exemple comme la censure des let-tres : elle « éteint» les passages qui lui paraissent subver-sifs. La censure des lettres « caviarde» ces passages, lacensure du rêve les remplace par un murmure incompré-hensible. Il faut savoir que la rêveuse est une dame hautplacée, très bien élevée, âgée de cinquante ans, veuve d'unofficier supérieur mort depuis 12 ans et mère de grandsfils dont l'un se trouve alors sur le front. » (25, 130) Cesprécisions nous préparent au caractère contrastant, voirechoquant du contenu du rêve.

Reprenons dans le détail le récit de ce rêve au contenutrès riche, tel qu'il est rapporté en 1916 : « Elle se rend àl'hôpital militaire NI et dit au planton qu'elle a à parlerau médecin chef (elle donne un nom qui lui est inconnu)auquel elle veut offrir ses services à l'hôpital. Ce disant,elle accentue le mot services de telle sorte que le sous-officier s'aperçoit aussitôt qu'il s'agit de services d'amour.Voyant qu'il a affaire à une dame âgée, ilIa laisse passeraprès quelque hésitation. Mais au lieu de parvenir jusqu'aumédecin en chef, elle échoue dans une grande et sombrepièce où de nombreux officiers et médecins militaires setiennent assis ou debout autour d'une longue table. Elles'adresse avec son offre à un médecin-major qui la com-prend dès les premiers mots. Voici le texte de son discourstel qu'elle l'a prononcé dans son rêve: « Moi et beaucoupd'autres femmes et jeunes filles de Vienne, nous sommesprêtes... aux soldats, hommes et officiers sans distinc-tion... » A ces mots, elle entend (toujours en rêve) un mur-mure. Mais l'expression, tantôt gênée, tantôt malicieuse,qui se peint sur les visages des officiers, lui prouve quetous les assistants comprennent bien ce qu'elle veut dire.La dame continue: « Je sais que notre décision peut paraî-

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tre bizarre, mais nous la prenons on ne peut plus ausérieux. On ne demande pas au soldat en campagne s'ilveut mourir ou non. » Ici une minute de silence pénible.Le médecin-major la prend par la taille et lui dit: « Chèremadame, supposez que nous en venions réellement là... »(murmures). Elle se dégage de son bras, tout en pensantque celui-ci en vaut bien un autre, et répond: « Mon Dieu,je suis une vieille femme et il se peut que je ne me trouvejamais dans ce cas. Une condition doit toutefois être rem-plie: il faudra tenir compte de l'âge, il ne faudra pasqu'une femme âgée et un jeune garçon... (murmures) ; ceserait horrible. » Le médecin-major: « Je vous comprendsparfaitement ». Quelques officiers, parmi lesquels s'entrouve un qui lui avait fait la cour dans sa jeunesse, écla-tent de rire, et la dame désire être conduite auprès dumédecin en chef qu'elle connaît, afin de mettre les chosesau clair. Mais elle constate, à son grand étonnement,qu'elle ignore le nom de ce médecin. Néanmoins lemédecin-major lui indique poliment et respectueusement unescalier en fer, étroit et en spirale, qui conduit aux étagessupérieurs et lui recommande de monter jusqu'au second.En montant, on entend un officier dire: « C'est une déci-sion colossale, que la femme soit jeune ou vieille. Tousmes respects! » Avec la conscience d'accomplir un devoir,elle monte un escalier interminable» (96, 122). Ce rêve sereproduit encore deux fois en l'espace de quelques semai-nes.

Sur le plan topologique la scène se passe dans un hôpi-tal militaire ~ lieu de soin, dans un corps de défense -où cette dame vient offrir ses services - service militaire,devoir, obligation, services d'amour. C'est d'ailleursl'accentuation sonore du mot «service» qui permetd'entendre qu'il s'agit bien du deuxième sens. Une grandepièce sombre, avec une longue table autour de laquelle setrouvent officiers et médecins - salle de garde, tabled'opération (militaire), de conquêtes, matrice envahie... Ladeuxième partie du rêve amène un changement de lieu parun étroit escalier en fer, en spirale qui monte aux étagessupérieurs, de façon interminable, véritable ascension orgas-mique, mais aussi espace organisé en niveaux et hiérarchisé(comme les grades à l'armée). Ce rêve frappe par son insis-tance sur la facilité de se faire comprendre, l'accentuationd'un mot, l'amorce d'une phrase (<<un médecin-major qui

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la comprend dès les premiers mots»), « tous les assistantscomprennent bien ce qu'elle veut dire », la réflexion dumédecin-major « je vous comprends parfaitement» vientencore souligner cette parfaite entente. A demi-mots et au-delà des mots la rêveuse nous communique son plaisir etsa complaisance dans un mode de communication absolu,narcissique. La parole devient en effet superflue lorsqu'onarrive à ce degré d'intimité où les sensations sont privilé-giées. Ces dernières - regards qui en disent long, mur-mures, touchers... - évoquent bien sûr la relation éroti-que. Plus encore, dans ce cas, il semble que ce soient lerapport au corps maternel et la relation incestueuse quisoient ainsi signifiés.

Parmi ces sensations, le sonore tient une place privilé-giée, mais le visuel est aussi bien présent (avec cette imageprécise et si « parlante» des visages des officiers se déga-geant comme sous un projecteur dans l'obscurité de lapièce), de même que la kinesthésie des propres mouvementsde la rêveuse, et le toucher érotique à l'initiative dumédecin-major. Nous nous attarderons plus sur le sonorequi se trouve représenté ici sous de multiples formes: paro-les entendues, paroles prononcées, murmures, silence, éclatde rire et accent mis sur le mot « services».

Ce qui est tout à fait original c'est que Freud fondeson analyse justement sur cet élément sonore, aspect ordi-nairement négligé par lui dans l'analyse des rêves. C'estle seul exemple que nous ayons trouvé dans son œuvre.Son interprétation porte principalement sur cette répétitionde murmures, comme en refrain. Freud remarque à la foisla cohérence et les lacunes du rêve, et avance prudemmentqu'il ne saurait être question d'une véritable interprétation,en l'absence de toute connaissance de la rêveuse et de sesassociations. « Il y a toutefois des allusions, comme celleimpliquée dans les mots services d'amour, qui autorisentcertaines conclusions, et surtout les fragments de discoursqui précèdent immédiatement le murmure ont besoin d'êtrecomplétés, ce qui ne peut être fait que dans un seul sensdéterminé. En faisant les restitutions nécessaires, nous cons-tatons que, pour remplir un devoir patriotique, la rêveuseest prête à mettre sa personne à la disposition des soldatset des officiers pour la satisfaction de leurs besoins amou-reux. Idée des plus scabreuses, modèle d'une inventionaudacieusement libidineuse; seulement cette idée, cette fan-

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taisie ne s'exprime pas dans le rêve. Là précisément oùle contexte semble impliquer cette confession, celle-ci estremplacée dans le rêve manifeste par un murmure indis-tinct, se trouve effacée ou supprimée. » (96, 123).

C'est alors que l'analogie avec la censure de la presses'impose - ce texte est écrit en 1916 - et amène Freudà développer les trois modalités prises par la censure dansles rêves, à l'exemple de ces interruptions de texte, de cesblancs, de ces allusions. Freud applique cette définition dela censure au rêve de cette dame: « Nous disons que lespassages du discours de notre dame qui se trouvent omisou sont couverts par un murmure ont été, eux aussi, vic-times d'une censure. Nous parlons directement d'une cen-sure du rêve à laquelle on doit attribuer un certain rôledans la déformation des rêves. Toutes les fois que le rêvemanifeste présente des lacunes, il faut incriminer l'inter-vention de la censure du rêve. » (96, 123-124) Blancs, subs-titutions, approximations, allusions, la troisième modalitéde la censure est le déplacement du centre de gravité durêve, à partir duquel s'effectue un regroupement des maté-riaux. Freud en fait un des principaux moyens par lesquelss'effectue la déformation des rêves, leur donnant un carac-tère bizarre.

Mais revenons à ce rêve, ce qui y est dit à haute voixpar la rêveuse est le discours surmoïque du devoir et durespect, tandis que l'entendu se fait l'écho des désirs dela rêveuse: c'est de la bouche du médecin-major, uneforme de séduction, et l'assurance donnée d'une compré-hension immédiate et totale et, de la part de l'officier, unhommage rendu à la vieille. Si le texte est ponctué parles trois murmures - comme le souligne Freud - l'action,elle, semble plus articulée autour de deux autres expres-sions émotionnelles: un silence pénible, et un éclat de rire.Toutes deux dépassent par leur intensité, leur degré de réa-lité (hallucinatoire) le niveau de perception du rêve. Ainsila déclaration de la dame, en deux parties ponctuées parun murmure est suivie d'« une minute de silence pénible ».Si nous considérons ceci comme la première partie du rêve,la seconde est la relation avec le médecin-major, réponseactive à la proposition, suivie de la condition posée parla dame, et de son acceptation. A ce dialogue fait suiteun éclat de rire général qui casse la situation et ramènela dame à son projet du début: voir le médecin-chef, elle

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ajoute alors, dans ce mouvement de reprise défensive « afinde mettre les choses au clair ». Mais l'oubli du nom dumédecin marque l'échec de cette reprise et le recours aumédecin-major lui permet d'accomplir effectivement « sondevoir» dans le double sens du rêve. Silence pénible etéclat de rire sont des manifestations plus régressives quele murmure qui tient une place privilégiée et remarquableentre verbal et non verbal, entre l'articulé et l'inarticula-bIe, ce dernier étant ici, comme nous l'avons souligné, idéa-lisé comme plénitude de communication.

Remarquons encore que ces différents niveaux de com-munication sont associés, dans ce rêve, aux situations socia-les duelle et de groupe. Il n'est pas sans importance, eneffet, que les murmures, le silence et les éclats de rire soientl'expression d'un groupe indifférencié, qui, comme lechœur antique, ponctue et commente à sa façon l'actionqui se déroule. Cette dimension renforce et la dramatisa-tion de la scène et l'alternance de moments de dédifféren-ciation, au sens donné par Ehrenzweig (188), appelés déjàpar la première intervention de la vieille dame devant legroupe: « Moi et beaucoup d'autres femmes et jeunes fillesde Vienne, nous sommes prêtes... aux soldats, hommes etofficiers sans distinction... » où se mêlent dans le multi-ple, les âges, les situations sociales, les grades, les sexes.Jusque dans leur dialogue c'est chacun au nom d'ungroupe qu'ils s'expriment. Ce passage central, du collec-tif, se trouve encadré par l'introduction, d'une part, et lafin du rêve, d'autre part, passages où la rêveuse suit undessein personnel. De ce nouveau découpage le silence péni-ble - de mort - constitue le centre. Certes, comme lesouligne Freud, il ne nous est pas possible de développerl'analyse de ce rêve, faute d'information sur la rêveuse etsur ses associations. Toutefois notre intérêt se porte ici surle traitement du sonore. Ce rêve introduit dans l'étude dela déformation du rêve les particularités du traitement del'hallucination sonore. Le murmure est l'équivalent de lacensure de la presse car il casse le discours - alors quele silence et le rire le ponctuent - et substitue au silenceun sonore inarticulé, indifférencié, « collectif », et au cœf-ficient d'ambiguïté maximum, murmure de réproba-tion/murmure de jouissance. Ainsi la censure s'attaque-t-elle aux représentations de mot, non à l'affect, ce que lemurmure exprime et illustre parfaitement. Ce rêve illustre

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aussi trois niveaux du sonore entendu dans les rêves: lesparoles, le murmure et, ce qui lutte aux limites du rêve- par l'intensité émotionnelle -, certains silences et leséclats de rire.

F - Les voix du surmoi

Entre l'apparition de la notion de censure dans la cor-respondance avec Fliess (14, lettre du 22/12/1897) et ledéveloppement qui en est fait dans ce texte, Freud, àl'occasion de l'analyse d'un cas de paranoïa chronique (16)et de sa réflexion sur le délire d'observation du paranoïa-que (82), a montré comment le caractère hallucinatoire desvoix du délirant n'est pas sans fondement, cette dimen-sion sonore étant à l'origine de la formation de l'Idéal duMoi. Idée qui sera reprise en 1923 (120) : « Les maladesse plaignent alors de ce qu'on connaisse toutes leurs pen-sées, qu'on observe et surveille leurs actions; ils sont aver-tis du fonctionnement souverain de cette instance par desvoix qui leur parlent, de façon caractéristique, à la troi-sième personne ("maintenant elle pense encore à cela" ;"maintenant il s'en va"). Cette plainte est justifiée, elledécrit la vérité; il existe effectivement, et cela chez noustous dans la vie normale, une puissance de cette sorte quiobserve, connaît, critique toutes nos intentions. Le délired'observation la présente sous une forme régressive, dévoi-lant ainsi sa genèse et la raison qui pousse le malade às'insurger contre elle. Ce qui avait incité le sujet à for-mer l'idéal du moi dont la garde est remise à la consciencemorale, c'était justement l'influence critique des parentstelle qu'elle se transmet par leur voix; dans le cours destemps sont venus s'y adjoindre les éducateurs, les profes-seurs et la troupe innombrable et indéfinie de toutes lesautres personnes du milieu ambiant (les autres, l'opinionpublique).

De grandes quantités d'une libido essentiellement homo-sexuelle furent ainsi attirées pour former l'idéal du moinarcissique, et elles trouvent, en le maintenant, à se déri-ver et à se satisfaire. L'institution de la conscience moraleétait au fond l'incarnation en un premier temps de la cri-tique des parents et plus tard de la critique de la société;le même processus se répète lorsqu'une tendance au refou-

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lement trouve son origine dans. une défense ou un obsta-cle qui étaient tout d'abord extérieurs. » (82, 100)

Et Freud précise qu'il n'y a pas que dans la patholo-gie que ces voix de la conscience morale se manifestentcomme venant de l'extérieur, il arrive qu'elles s'exprimentégalement dans les rêves, comme l'illustre le rêve des « ser-vices d'amour ». « Si ce censeur est un peu en état d'alertemême dans le sommeil, nous comprendrons que l'auto-observation et l'autocritique, que présuppose son activité,apportent leur contribution au contenu du rêve dans descontenus tels que: maintenant, il est trop endormi pourpenser - maintenant, il - s'éveille. » (82, 101-102)

Ces développements sur le Surmoi nous ramènent, eneffet, à l'analyse du rêve des services d'amour, sur aumoins deux points: un sursaut de vigilance de la rêveuse- à l'éclat de rire des officiers - il s'agit alors pour ellede tenter de « mettre les choses au clair », manifestationexplicite de l'intervention de la conscience morale. Maisnous relevons aussi cet usage particulier du collectif commeinstance surmoïque, à la façon de ces voix, de cette « foulelaissée indéterminée» et que Freud reconnaît dans lapathologie hallucinatoire du paranoïaque. Collectif quioppose dans ce rêve deux groupes de voix, celles des fem-mes à celles des hommes, deux discours et deux morales,soigneusement séparés. De cette opposition la rêveuse cher-che à se dégager en faisant appel au « supérieur» seulcapable de l'aider à une remise en ordre! Ainsi le collec-tif, à ce moment précis, ne suffit plus, cette instance doitêtre personnalisée, et l'est effectivement, dans la rencon-tre avec la loi paternelle. Quelle force désirante est alorsà l'œuvre? Le rêve nous donne l'évocation de la relationincestueuse mère-fils; plus profondément, au travers del'analyse de la forme, nous faisons l'hypothèse d'un désirincestueux fille-mère, relation au corps maternel.

En 1923 (120) Freud insiste sur la dimension acousti-que à l'origine du Surmoi; on se rappelle à ce propos lafaçon dont Yahvé parlait à Moïse au Sinaï avec des coupsde tonnerre! (Exode, 19, 19). Les représentations verba-les sont des traces mnésiques par lesquelles se fait le pas-sage de l'inconscient au préconscient: « Les traces verba-les proviennent principalement des perceptions acoustiques,lesquelles représentent ainsi comme une réserve spécialed'éléments sensibles (la traduction de Laplanche préfère le

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terme "sensoriel") à l'usage du préconscient (.. .). A pro-prement parler, le mot prononcé n'est que la trace mnési-que du mot entendu. » (120, 128-129) Et concernant le Sur-moi Freud poursuit: « ...étant donné le rôle que nousavons assigné aux traces verbales inconscientes qui exis-tent dans le Moi, on peut se demander si le Surmoi,lorsqu'il est inconscient, ne se compose pas de ces tracesverbales ou de quelque chose d'analogue. Notre réponseà cette question sera modeste et réservée: nous dironsnotamment que si le Surmoi ne peut renier ses originesacoustiques, que s'il est vrai qu'il forme une partie du Moiet que ces représentations verbales (notions, abstractions)sont plutôt de nature à le rendre accessible à la conscience,il est également vrai que l'énergie de fixation inhérente àces contenus du Surmoi- provient, non des perceptionsauditives, de l'enseignement ou de la lecture, mais des sour-ces ayant leur siège dans le ça. » (120, 22). Et dans satentative de figuration de l'appareil psychique Freud s'inter-roge : « Peut-être ajouterons-nous que le moi porte une"calotte acoustique" et, comme en témoigne l'anatomiedu cerveau, d'un seul côté? Elle est posée sur lui, pourrait-on dire, de travers» (in traduction Laplanche, 120, 23,237), calotte qui disparaît dans le schéma de 1932 (151).

Le murmure de la censure dans le rêve des « servicesd'amour» constitue - et Freud soulignait déjà l'intérêtde cette image - une condensation particulièrement réus-sie des différentes caractéristiques de cette instance psychi-

. que: zône limitrophe, indéterminée, dans le sonore, maissur le versant du verbal (celui du préconscient), rattachéeau collectif (et à la culture), voix rendue méconnaissablemais inscrite dans l'intimité du corps, enfin, sentimentd'évidence quant à ce qu'elle communique.

Cette métaphore du murmure est d'ailleurs déjà ins-crite dans notre culture. Nous la trouvons dans la Bible,à la fois révélation de Dieu à son élu - le murmure d'unebrise légère par lequel Yahvé se révèle à Elie (I Rois 19,1-2), murmure contrastant avec les éclats avec lesquels ilinterpelle Moïse - et comme en écho, maugréments deses sujets (les nombreux « murmures» du peuple d'Israëlcontre l'Éternel). Le murmure peut d'ailleurs, dans ce cas,être considéré comme le corrélatif de la nuée, autre formede révélation de cette présence divine.

N'est-ce pas cette ambiguïté-même que fustige un autre

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auteur, Kafka, par le bourdonnement du téléphone entreK. le héros de son roman et le Château? Château danslequel P. Citati voit une figuration du territoire divin. Voicicomment ce dernier résume ce passage: « Si nous vou-lons approcher du divin, il est une voie, celle de l'ouïe,conseillée par bien des mystiques qui la préfèrent à celledu regard. Le soir qui suit son arrivée, K. téléphone auChâteau. Lorsqu'il prend le récepteur, il s'en échappe unbourdonnement, un murmure, un bruissement comme K.n'en avait jamais entendu au téléphone. Le Château n'arti-cule pas de paroles distinctes, détachées: il n'organise pasun discours: son murmure « est le murmure indifférenciédu langage» qui précède la parole. « C'était comme si lebourdonnement de voix enfantines innombrables (maismême ce bourdonnement n'en était pas un, c'était plutôtle chant de voix lointaines, extrêmement lointaines) commesi ce bourdonnement se combinait de façon impossible pourdonner une seule voix, voix haute mais forte, qui frap-pait l'oreille comme si elle exigeait de pénétrer plus pro-fondément que dans le piètre organe de l'ouïe. » (...) Quel-ques chapitres plus loin Kafka nous offre une explicationrationnelle de l'étrange ronflement du téléphone: au Châ-teau, les fonctionnaires se servent constamment du télé-phone; et les habitants du village perçoivent dans l'appa-reil ces communications incessantes sous l'aspect de cechant enfantin qui a fasciné K. (186, 255-256). Ce mur-mure devient hallucinatoire jusqu'à persécuter l'animal tapidans son Terrier (titre de cet autre roman de Kafka)« Lorsqu'il s'éveille - son sommeil est devenu extrême-ment léger -, il entend un imperceptible sifflement, quil'offense et le blesse: la beauté du terrier est liée à sonsilence. Tantôt c'est un sifflement, tantôt une sorte dechuintement, tantôt le souffle d'un son; il se produit tan-tôt de brèves interruptions, tantôt de brèves pauses; et ils'aperçoit avec terreur que de quelque côté qu'il tendel'oreille, en haut ou en bas, vers les murs ou vers le sol,il entend le même bruit, qui augmente légèrement d'inten-sité. » (186, 305).

Se mettre à l'écoute des bruits du corps étouffés parl'éducation, la culture, c'est découvrir que, derrière le chaosapparent de ces bruits indésirables - ceux des pulsions- se trouve le « chef d'orchestre» de ce qui est tu. Ilsuit sa partition propre et puise son énergie dans la libido,

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Freud l'a désigné: l'inconscient. Ce bruit n'était doncqu'apparent, l'écoute rapprochée y perçoit une intonation,mélodie dont elle peut deviner les mots. La métaphoresonore offre à Freud des images claires, « percutantes »,à l'appui de sa démonstration. Ce «plaidoyer pour lebruit» concerne le pôle actif de l'expression pulsionnelle,nous verrons dans le chapitre suivant que Freud est moinsà l'aise avec le pôle réceptif de l'excitation sonore.

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II

DE L'EXCITATION

Si l'excitation peut se manifester par l'intensité de la réac-tion sonore, comme le cri étudié précédemment, la ques-tion des rapports entre les sons, soulevée par Lipps, pource qui concerne la musique, et reprise par Freud au niveaudu langage, introduit celle de l'attraction exercée par lessons sur le psychisme. Des paraphasies aux mots d'esprit,Freud ne cessera d'analyser ces rapports, pour, de l'exci-tation auditive, nous amener à considérer le correspondantpulsionnel; ouverture à la dimension fantasmatique, etintroduction du concept de fantasme d'écoute. Mais la sen-sorialité sonore restera comme un pivot, à l'interface desreprésentations de mot et de chose.

II-I - «Relations tonales» et «parenté sonore»

A - Des rapports entre les sons

Freud écrit le 31/8/1898 à Fliess, alors qu'il est plongédans la lecture d'un ouvrage de Lipps: « Je suis arrivéà peu près au tiers de ma lecture et me trouve arrêté parla question des rapports entre les sons qui m'a toujourstroublé, les notions les plus élémentaires me faisant défautà cause de mon manque de sensibilité acoustique. » (14,233) « Trouble» et « manque de sensibilité », ce sont bien

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les expressions utilisées par Freud pour signifier son rap-port aux sons ou à la musique.

A propos de cette période de la gestation de l'œuvre,D. Anzieu indique qu'ayant presque achevé le chapitre sur« les processus psychiques dans les rêves », « écrit commedans un rêve », il envoie celui sur « la psychologie» débutjuillet à Fliess, chapitres « entièrement dicté pas l'incons-cient ». C'est dire l'élan qui l'habitait. Par la suite, aucours de l'été, si l'autoanalyse est marquée par un regainde rêves, les écrits théoriques pâtissent d'un certain blo-cage intellectuel, notamment ce 31 août de la lettre à Fliess,où il ne peut poursuivre sa lecture. « Le livre sur les rêvesstagne, car Freud se sent incapable de relier la psycholo-gie du rêve à la psychologie générale, d'articuler l'incons-cient, le préconscient et le conscient, c'est-à-dire de voirclair dans la métapsychologie malgré la lecture fructueusequ'il fait du livre du psychologue munichois Lipps, Grund-tatsachen des Seelelebens (Les faits fondamentaux de lavie psychique) (1883) où l'affirmation de l'existence de pro-cessus inconscients est solidement étayée» (179, 216-217) ;et cet auteur ajoute: « Lipps est un théoricien de l'incons-cient et Freud y retrouve avec un plaisir mêlé d'une cer-taine déception ses propres principes encore mieux expo-sés » (179, 305). Lipps fera paraître la même année unouvrage sur le mot d'esprit Komik und Humor, einepsychologish-œsthetische Untersuchung, que Freud lira plustard lorsque lui-même se mettra à l'écriture de son ouvragesur le mot d'esprit.

Le trouble dont il est ici question - à propos des rap-ports entre les sons -, pourrait bien être lié justement àcet avancement dans l'autoanalyse, celle des actes manquéset des rêves, en particulier; la première analyse de l'oublid'un nom propre (celui du poète Julius Motens), puis celle,début septembre de l'oubli du nom, de Signorelli, au coursdu voyage en Dalmatie en compagnie de Martha. Quantaux rêves citons les deux rêves autobiographiques du « lionjaune» et de « l'expédition de Nansen », à propos des-quels D. Anzieu écrit: « Ainsi, de plus en plus, dans lesrêves de Freud les représentations de mots prennent le passur les représentations de choses. » (179, 305). Se mani-feste ainsi cette sensibilité à la part acoustique du langage.

Ces précisions mettent en évidence le recoupement dedeux thématiques: celle de la notion d'inconscient, et un

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rapport particulier aux mots par l'intermédiaire de leursmatériaux sonores. Ceci peut nous éclairer sur ce que Freudentend, dans sa lettre du 31 août par « la question desrapports entre les sons ». Plus directement, la consulta-tion des œuvres de Lipps et plus précisément de cetouvrage sur Les faits fondamentaux de la vie psychi-que (198) peut faire avancer notre réflexion. Remarquonstout d'abord que la musique occupe une place importantedans les métaphores, les exemples, illustrations et analy-ses de ce philosophe. Freud dit être arrivé au tiers de salecture. Ce livre comporte six parties subdivisées en cha-pitres, il s'agirait donc de la fin de la deuxième partie.A l'examen de l'ouvrage il apparaît comme évident queFreud s'est arrêté au cours de sa lecture de la troisièmepartie «Die Vorstellungsverlauf und die Vorstellungsve-rhiiltnisse », au chapitre XI qui s'intitule, justement: « DieTonverhiiltnisse » (<<Les rapports entre les sons »), et quidébute à la page 238. Qu'est-ce qui a pu l'arrêter?

Après une première partie générale sur le psychisme,la représentation, la conscience, la volonté, le plaisir, etc.,Freud a pu lire, dans la deuxième partie, des chapitres serapportant notamment aux stimulations et excitations,impulsions venues de l'inconscient (Von Reizen, Von unbe-wussten see/ischen Erregungen). On peut ici imaginer quecette lecture ait interféré dans les matériaux du rêve de« l'expédition de Nansen », rêve qu'il aurait fait à cettepériode, justement par les « rapports sonores» entre rei-zen et reissen-reisen, et, pour ce qui nous concerne, sousl'angle de l'excitation (voir l'analyse qu'en propose D.Anzieu, 179, 304-305).

Le début de la troisième partie consacrée au dévelop-pement des représentations et à leurs inter-relations, com-porte un chapitre sur les rapports de ressemblances ou desimilitudes entre représentations. C'est à sa suite que prendplace le chapitre sur les rapports entre les sons (avant detraiter les relations de contraste, d'opposition, d'extension).Les trois dernières parties de l'ouvrage sont consacrées aufonctionnement des représentations. Que vient faire ici cechapitre sur les rapports entre les sons? L'auteur justifiecette place accordée aux relations « tonales» (il s'agit dessons de la gamme) par leur exemplarité parmi les proces-sus psychiques: « Il n'y a pas de domaine de l'esprit dontla régularité des lois soit à ce point transparente que le

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domaine des tons. En conséquence il n'est que naturel quenous en parlions généralement en premier lorsqu'il est ques-tion des lois du fonctionnement psychique. » (Lipps, 198,273 ; traduction faite par nous-même)

La question des relations entre tons s'y pose sous laforme suivante: à partir de la pensée d'un son « a » ilest d'autant plus facile de passer à un son « b » que « a »et « b » sont dans une relation harmonique, c'est-à-direque le rapport de leurs fréquences est simple (ex. 200/100est un rapport d'octave). Lipps s'oppose à une théoriepurement mathématique ou physiologique, objective, dusentiment d'harmonie. Ce dernier reste, pour l'auteur,essentiellement subjectif. Aussi discute-t-il les théoriesd'Helmoltz et de Wundt. Par exemple, la dysharmonien'est pas simplement une excitation nerveuse désagréabledue aux battements audibles entre deux sons, mais il doity avoir association, pour Lipps, avec le cours continu desexcitations, et des émotions du psychisme. Il y a une rela-tion entre ces processus conscients et les processus incons-cients. Lipps propose la notion de « Klang- » ou « Ton-verwandtschaft », c'est-à-dire de «parenté sonore ». Larelation harmonique entre deux sons est conditionnée parla relation de chacun d'eux à un troisième qui leur soitcommun, le son fondamental. De plus l'harmonie est fon-dée sur la ressemblance entre les composantes de ces tons,et ceci justifie la place de ce chapitre après celui traitantdes relations de similitude entre représentations. Lipps pro-pose de distinguer une parenté sonore indirecte, celle dedeux sons qui font partie des harmoniques d'un son fon-damental commun, et une parenté sonore directe, de deuxsons qui se trouvent au fondement d'un même son har-monique. Que le passage d'un ton à un autre (d'une noteà une autre), pour être perçu de façon harmonique, doiverenvoyer à un troisième, celui-là pas forcément percepti-ble, voici bien une image qui aurait pu attirer l'attentionde Freud; mais a-t-il repris sa lecture? lecture d'un cha-pitre certes rébarbatif.

Si Lipps traite ici clairement des sons musicaux, ména-geant toutefois quelques lignes à un élargissement aux sonsdu langage, on comprend que pour Freud c'est bien l'appli-cation à ce dernier domaine qui est en jeu. Comment com-prendre le pouvoir et l'attraction de la consonance, del'assonance entre deux syllabes, entre deux mots, par exem-

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pIe, sur l'esprit? Le modèle de parenté sonore (harmoni-ques/son fondamental) et psychique (conscient/inconscient)esquissé par Lipps pouvait (aurait pu ?) inspirer le fonda-teur de la psychanalyse et le futur auteur d'un ouvragesur le mot d'esprit.

Si Freud portera essentiellement son attention sur lescontenus sémantiques de ces rapprochements, il n'en serapas moins troublé par cette attraction elle-même,c'est-à-dire la part musicale du rapport entre les sons. Et cetattrait il en constatera la force dans l'observation d'unmalade, observation que nous présenterons maintenant.

B - Diapason

Il s'agit de la seule observation écrite par Freud au sujetd'un enfant idiot (on dirait plutôt maintenant « débile pro-fond », ou encore «handicapé mental» gravementatteint...). Elle se trouve dans la Psychopathologie de lavie quotidienne au chapitre sur les « méprises et maladres-ses» .

Nous y apprenons que Freud avait sur son bureau,pour instrument de travail, un diapason. Voici le texte decette observation: « Sur mon bureau se trouvent déposés,toujours à la même place depuis des années et l'un à côtéde l'autre, un marteau à réflexes et un diapason. Un jourje devais prendre, aussitôt la consultation terminée, un trainde banlieue; très pressé de sortir, afin de ne pas man-quer mon train, je glisse dans la poche de mon pardessusle diapason, à la place du marteau que je voulais empor-ter. Celui qui n'a pas l'habitude de réfléchir sur les petitsincidents de ce genre dira sans doute que la hâte aveclaquelle je faisais mes préparatifs explique et excuse monerreur. Quant à moi, j'ai vu dans cette confusion entrele diapason et le marteau un problème que je me suisappliqué à résoudre. Quel est donc celui qui s'est le der-nier saisi du diapason? Telle est la première question queje me pose. Ce fut, il y a quelques jours, un enfant idiot,dont j'examinais l'attention aux impressions sensorielles etqui fut tellement captivé par le diapason que je ne pusque difficilement le lui arracher des mains. S'ensuivrait-ilque je sois, moi aussi, un idiot? Il semblerait, car la pre-mière idée qui me vient à l'esprit à propos du "marteau"

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(Hammer) est: chamer ("âne" en hébreu). » (27, 189)Ajoutons que l'équivalence entre les deux instruments estaussi le geste de taper, cogner.

Ce jugement, Freud se l'attribuait pour avoir laissé pas-ser le diagnostic d'une lésion organique médullaire. « Laméprise qui m'a fait glisser dans la poche le diapason àla place du marteau pouvait donc recevoir la traductionsuivante: "Imbécile, âne que tu es, fais bien attention cettefois et ne pose pas le diagnostic d'hystérie là où il s'agitd'une maladie incurable, comme cela t'est arrivé il y aquelques années dans la même localité chez ce pauvrehomme l'' » (27, 190) Et cette mise en garde était faiteavec l'instrument qui « donne le ton ». Comme si le Sur-moi, dont Freud souligne la dimension sonore, jouait ici,justement, de celle-ci. Cette observation de l'attrait del'enfant idiot pour le son est devenue classique chez tousceux qui travaillent avec des enfants gravement atteintspsychiquement. Elle est même à l'image d'une premièreexpérience de musicothérapie, lorsque le contact s'établità partir d'un tel son...

Dans l' œuvre de Freud cette image du diapason réap-paraît une autre fois, un peu plus tard, avec cette mêmeforce magnétique: « Il n'est pas nécessaire d'aller cher-cher bien loin pour observer que, si je parle de ce qui estélevé, l'innervation de ma voix se modifie, ma mimiquechange, tout mon maintien cherche à se mettre au diapa-son de la dignité de ce que je représente. » (33, 334)

N'est-ce pas là comme un écho, mais cette fois du côtéde l'élévation, contrastant avec cette fascination de l'idiot?Comme si ce qui c'était passé-là, dans cet instant saisis-sant (cf. le récit fait par le Dr Benoit d'une expériencesimilaire avec une cloche, 180, 41-61), avait quelque chosed'une mise en résonance entre deux êtres, et d'un ques-tionnement sur le diagnostic - sur l'écart d'humanité entrel'idiot et le normal, sur l'étiologie organique et l'incura-bilité qui lui est associée. Alors, prendre le diapason pourvisiter un malade, c'est aussi poser la question de l'étalonde la normalité, du « bon ton ».

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11-2 - Attraction

A - Paraphasies

1 - Rappel historique

Dès le début de ses études médicales Freud manifestesa curiosité intellectuelle en suivant de nombreux cours etconférences, parmi ceux-ci plusieurs se rapportaient audomaine de la perception et de la physiologie acoustique.« Avec un intérêt ardent bien caractéristique, il suit (éga-lement) un cours fait par le zoologue Claus sur la biolo-gie et le darwinisme et un autre sur la physiologie de lavoix et du langage fait par Brücke. Ce fut là son premiercontact avec l'illustre savant qui devait jouer un rôle siimportant dans sa vie» écrit Jones (177a, 40-41). Freudtravailla dans l'Institut de Brücke jusqu'en 1881, n'y ayantà ce moment pas d'espoir de poste. Il y rencontra des assis-tants de Brücke, notamment Joseph Breuer « Médecin pra-ticien et chercheur réputé, Breuer a découvert en 1868 lemécanisme auto régulateur de la respiration contrôlée parle nerf vague et en 1873 les mécanismes réflexes des canauxsemi-circulaires de l'oreille interne réglant l'équilibre », pré-cisions données par D. Anzieu (179, 519). Breuer consa-cra un paragraphe important aux surdités psychiques dansson chapitre des Études sur l'hystérie (10, 26-27). AinsiFreud se trouvait-il dans un environnement scientifique oùles questions du sonore étaient présentes sous l'angle del'audition, de la voix, du langage. Plus tard, en mai 1883,il fit un stage à la clinique psychiatrique de Meynert etcommença à travailler à son laboratoire d'anatomie céré-brale. C'est deux ans après, en 1895 qu'il publie un pre-mier article sur ses travaux concernant les racines du nerfauditif: « Freud décrit les racines du nerf acoustique ety traite des connexions entre le corps olivaire de la mœlleet. la protubérance cérébrale », précisions que nous devonsà Jones (177a, 226). Cet article paraît en juin 1889 in Neu-rologisches Centralblatt. Un second paraîtra sur le mêmesujet en 1890. Il donne des conférences sur l'aphasie en1886 et 1887, et l'année suivante écrit l'article sur 1'« apha-sie» pour le vocabulaire médical dirigé par A. Villaret(Handworterbuch des Gesamten Medizin). Ce travail

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aboutit à la publication en 1891 d'un ouvrage de synthèseconsacré au même sujet. Jones considère que « L'uniqueouvrage neurologique qu'il estimât était celui sur l'apha-sie. La parole ne constituait-elle pas la seule fonctionpermettant de découvrir un lien entre l'esprit et le cerveau,ceci depuis la découverte par Broca de la localisation dulangage dans le lobe frontal?» (177a, 296) Après cerappel historique des études et des premiers travaux deFreud en rapport avec l'univers sonore, nous tenterons dedégager certaines des idées qu'il avance alors dans cedomaine.

2 - Le mot et l'image sonore

Dès l'article de 1888, Freud précisant ce qu'il entendpar « mot », souligne l'origine essentiellement acoustiquedu langage: « Un "mot" n'est pas une représentation sim-ple, mais un complexe qui se compose de quatre éléments,deux sensoriels et deux moteurs. Les deux sensoriels sont:l'image mnésique du mot entendu (représentation acousti-que) et l'image optique du mot vu (écrit ou imprimé) ; lesdeux moteurs: la représentation motrice (des organes dephonation) du mot parlé et la représentation motrice dumot écrit (de la main droite). Le deuxième et le quatrièmede ces éléments ne jouent un rôle que chez le sujet ins-truit. Le langage s'apprend par la voie auditive. » (1, 42).

C'est à partir de la pathologie, notamment l'aphasie,mais aussi, comme nous le verrons les paraphasies etl'écholalie que beaucoup de questions sont posées quantau fonctionnement de perception et de production sonore,et de leurs rapports à la neurologie et à la psychologie.

Cette première définition permet à Freud de situer lesdeux grands types d'aphasie, motrice et sensorielle et«quatre formes pures, à savoir: la surdité verbale, lacécité verbale, l'aphasie motrice (aphémie) et l'agraphie ».(1, 42). C'est en considérant la première, la surdité ver-bale, et l'aphasie hystérique que Freud distingue une étio-logie organique et une autre psychique, à leurs limites setrouvent les « paraphasies ». Freud définit la surdité ver-bale de la façon suivante: « Les malades ne comprennentplus ce qu'on leur dit, malgré une ouïe préservée et uneintelligence normale. Le langage leur sonne comme un bruitconfus. Le vocabulaire dont les malades se servent eux-

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mêmes est préservé. Le plus souvent cependant, la surditéverbale s'accompagne de troubles moteurs du langage, lesdites "paraphasies" qui consistent en l'utilisation par lemalade, à son insu, de mots inappropriés pour exprimerses pensées. Cette paraphasie peut aller jusqu'à rendre lelangage tout à fait insensé et faire croire à une maladiementale. » (1, 43)

Les troubles aphasiques des névrosés se caractérisent,eux, de la façon suivante: « L'aphasie n'est pas toujoursla conséquence d'un processus cérébral matériel; des névro-ses comme l'hystérie et la neurasthénie peuvent égalementprovoquer des troubles aphasiques. L'aphasie hystériqueest purement motrice, en tout cas dans l'état actuel desétudes. Elle se reconnaît pourtant par son intégralité, ouplutôt son caractère d'absolu. Les malades ne sont ici pasréduits à l'usage de quelques mots isolés, ils sont parfai-tement sans parole, même sans voix; aucun son, pas uncri ne peuvent être émis. L'aphasie hystérique est donc enréalité un "mutisme". (...) Le trouble du langage dans ledécours d'une fatigue cérébrale neurasthénique se limite àl'oubli de mots isolés concrets, à l'échange de mots desonorité semblable dans le discours, et se rapproche doncde la paraphasie observée chez le sujet sain. » (1, 45)

Soulignons ici cette incapacité d'expression sonore« aucun son, pas un cri ne peuvent être émis », nous avonsvu précédemment l'importance, pour Freud, de ce moded'expression, et observé la place du mutisme par excèsd'émotion. Dans la neurasthénie Freud décrit une formede paraphasie qui « se rapproche de la paraphasie obser-vée chez le sujet sain» par « échange de mots de sono-rité semblable ». Nous observons dès cette année 1888l'intérêt pris par Freud à ce qu'il appellera plus tard le« rapport des sons entre eux », à l'origine de ses travauxsur le rêve, le mot d'esprit, l'oubli, etc. C'est ainsi toutle programme de recherche de cette première partie del'œuvre de Freud qui est en germe dans ce texte.

Quelques années plus tard il présente dans Contribu-tion à la conception des aphasies (en 1891), une vaste fres-que de l'état de la question. Il précise l'étiologie organi-que de la paraphasie, destruction de la voie d'associationde l'image sonore verbale avec l'image motrice verbale,laquelle « provoque un trouble du langage, la paraphasieavec maintien de la compréhension et de l'articulation des

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mots, à savoir, la confusion des mots et l'incertitude quantà leur emploi ». (3, 55). Mais Freud discute les différen-tes argumentations en faveur de la localisation et insistesur le fait que ce symptôme se rencontre également chezle sujet sain, annonçant un travail à venir sur la question.« Nous réservons pour une discussion ultérieure la ques-tion de la signification à laquelle peut correspondre lesymptôme de la paraphasie (confusion de mot) (n.) Pourle moment, nous ferons remarquer simplement que la para-phasie observée chez les malades ne diffère en rien de laconfusion et de la mutilation des mots qu'une personnesaine peut observer sur elle en cas de fatigue, d'attentiondivisée, d'influence d'affects perturbateurs, ce qui parexemple rend l'écoute de nos allocuteurs si souvent péni-ble. On est tenté de concevoir la paraphasie dans sa dimen-sion la plus large comme un symptôme purement fonc-tionnel comme un signe d'une moindre efficience de l'appa-reil des associations du langage. » (3, 63) Les travaux deAllen Starr n'ont-ils pas montré que la paraphasie peutcorrespondre à des lésions de localisation très différentes?Nous ne reprendrons pas ici ces argumentations qui amè-nent Freud à interroger, à propos des paraphasies, déjàces « ratés» de la vie quotidienne dont il fera plus tardl'analyse dans l'ouvrage qu'il leur a consacré. Pour l'ins-tant il donne une définition classique de la paraphasie,s'appuyant sur les travaux des linguistes et les observationscliniques: « Par paraphasie, nous devons entendre un trou-ble du langage, dans lequel le mot adéquat est remplacépar un autre qui est moins adéquat mais qui maintient unecertaine relation avec le mot juste. Ces relations, nous pou-vons les dépeindre approximativement comme suit, nousréférant aux exposés d'un philologue, Delbrück. Il y aparaphasie quand celui qui parle utilise les mots les unspour les autres qui sont semblables par le sens ou liés parde fréquentes associations, quand, par exemple, il utilise"plume" au lieu de "crayon", "Postdam" à la place de"Berlin". Ou bien lorsqu'il confond des mots de sonoritésemblable, "Butter" pour "Mutter", "Campher" pour"Pamphlet". Enfin, lorsqu'il commet des fautes dans l'arti-culation (paraphasie littérale), quand certaines lettres sontremplacées par d'autres. On est tenté de distinguer ces for-mes variées de paraphasie suivant la région de l'appareildu langage où est introduite la maladresse. Se nomme para-

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phasique de surcroît le fait de fondre deux mots que l'ona l'intention de prononcer en une seule malformation,"Vutter" pour "Mutter" ou "Vater". Et l'on s'est éga-lement accordé à mettre sur le compte de la paraphasietoute circonlocution dans laquelle un substantif déterminéest remplacé par un autre le plus indéterminé possible("Ding", "machine", "chose") ou par un verbe. » (3, 72).On le voit, Freud reste ici prudent, il n'en est pas à pro-poser une signification à tous ces manquements, mais plu-tôt à offrir un bilan des connaissances sur la question, dela même façon qu'il fera, pour le rêve, un chapitre surles travaux précédents.

Toutefois il ne peut pas ne pas se poser de questions...Il s'interroge, par exemple, à propos des aphasiques, surles quelques mots conservés par les patients, pose l'hypo-thèse qu'ils pourraient bien être les derniers mots quel'appareil du langage ait formés avant la maladie, motsqui de ce fait auraient eu une intensité particulière liée àl'état de tension prémorbide. Et il donne à l'appui unexemple personnel: « Je me rappelle que par deux foisje me suis vu en danger de mort, dont la perception cha-que fois se produisit de façon tout à fait soudaine. Dansles deux cas, j'ai pensé: "Cette fois, c'en est fait de moi",et pendant que je continuais à parler ainsi intérieurement,uniquement avec des images sonores tout à fait indistinc-tes et des mouvements de lèvres à peine perceptibles,j'entendis ces mots en plein danger, comme si on me lescriait dans l'oreille, et je les voyais en même temps commeimprimés sur une feuille voltigeant dans l'air. » (3, 112)Au travers de cette hypothèse Freud met en avant l'idéed'un événement traumatique, d'un déclenchement de lamaladie, du symptôme à partir d'une situation fortementchargée émotionnellement. Nous remarquons, pour ce quile concerne, qu'il associe l'hallucination verbale, le visuelet l'écrit; nous avons déjà eu l'occasion de noter l'impor-tance de ce dernier comme médiation, nous le retrouve-rons aussi dans certains des rêves freudiens (comme D.Anzieu le faisait déjà remarquer).

Autre symptôme sonore: l'écholalie pose également leproblème des associations verbales; de la même façonFreud s'en tient à une définition classique, fonctionnelle:« Le phénomène de l'écholalie, de la répétition de ques-tions, semble de toute façon appartenir au trouble asym-

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bolique. Dans la plupart de ces cas, (...) l'écholalie s'avèreêtre un moyen d'obtenir la relation compliquée du motentendu aux associations d'objet au moyen du renforce-ment des sons verbaux. Ces malades ne comprennentnotamment pas directement les questions, mais ils les com-prennent et peuvent y répondre après les avoir répétées. »(3, 133) Ceci l'amène à préciser plus ce qu'il entend parcompréhension: « Sans doute ne devons-nous pas conce-voir la compréhension des mots en cas d'incitation péri-phérique comme simple transmission des éléments acous-tiques aux éléments des associations d'objet. Il semble plu-tôt qu'au cours de l'écoute compréhensive, l'activité asso-ciative verbale soit incitée en même temps, de sorte quenous répétons, en quelque sorte, intérieurement ce que nousavons entendu et que nous étayons alors simultanémentnotre compréhension sur nos impressions d'innervation dulangage. Un degré plus élevé d'attention lors de l'écoutes'accompagnera d'un transfert plus important de ce quia été entendu sur le faisceau moteur du langage. On peutimaginer que l'écholalie se produit lorsque la conductionde l'association vers les associations d'objets rencontre unobstacle. Alors toute l'incitation s'extériorise dans une répé-tition plus forte, à haute voix. » (3, 142). Freud montreici son intérêt pour la réception acoustique, l'écoute, lesrapports entre écoute et production sonore dans la parole,pour en mettre en évidence l'écoute interne. Cette atten-tion aux phénomènes sonores est encore manifestée, dansce même ouvrage, par la très grande fréquence d'utilisa-tion de notions appartenant au domaine du sonore:« image mnésique des sons », « image sonore », « imagesonore des mots », ou encore « image sonore verbale »,«représentation sonore », «associations auditives »,« représentation acoustique », etc. Freud y distingue aussila «représentation de mot» de la « représentationd'objet ». Il précise à ce sujet: « ... la représentation demot est reliée à la représentation d'objet par son extré-mité sensible (au moyen d'images sonores). » (3, 129), c'estbien là faire jouer un rôle clef à cette sensorialité.

Freud met cette image sonore au premier plan lorsqu'ilconsidère que « L'élément visuel ne se trouve pas en rela-tion directe avec les associations d'objets (nos caractèresd'écriture ne sont pas comme ceux d'autres peuples dessymboles directs des concepts, mais, au contraire, des

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symboles de sons). » (3, 142) Ainsi en est-il de l'écriture« ... nous nous voyons écrire, mais nous ne nous voyonspas parler. C'est pour cela que nous sommes capablesd'écrire directement à partir des images sonores avec l'aidedes sensations kinesthésiques et cela sans tenir compte del'élément visuel. » (3, 144-145)

3 - L'apprentissage du langage

L'apprentissage du langage se fait de façon orale etdonc à partir d'images sonores: « Nous apprenons à parleren associant une image sonore verbale à une sensationd'innervation verbale. Lorsque nous avons parlé, nous som-mes en possession d'une représentation motrice de langage(sensations centripètes des organes du langage) de telle sorteque du côté moteur le "mot" est pour nous doublementdéterminé. Des deux éléments déterminants, le premier, lareprésentation d'innervation verbale, paraît posséder, d'unpoint de vue psychologique, la plus petite valeur, voire sonintervention comme facteur psychique peut-être formelle-ment contestée. De plus, nous conservons, après avoirparlé, une "image sonore" du mot prononcé. Aussi long-temps que nous n'avons pas développé plus avant notrelangage, cette deuxième image n'a besoin que d'être asso-ciée à la première, sans devoir lui être nécessairement iden-tique. A ce stade (celui du développement du langageinfantile), nous nous comportons comme des aphasiquesmoteurs, puisque nous associons différents sons verbauxétrangers à un son unique produit par nous-mêmes. » (3,123) Freud analyse ensuite de la même façon détaillée lemécanisme de reproduction et celui de la lecture.

Ce texte nous semble annoncer celui sur le cri que nousavons déjà cité; il confirme l'intérêt et le questionnementde Freud sur les rapports entre les sons.

Nous quitterons cet ouvrage avec cette dernière cita-tion qui souligne encore l'importance de ce domaine pourl'auteur: « L'activité associative de l'élément acoustiquese trouve au centre de la fonction du langage dans sa tota-lité. » (3, 140)

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B - Consonances

Dans le chapitre trois de la Psychopathologie de la viequotidienne consacré à l'oubli de noms et de mots, Freudmet en évidence un mobile affectif, une opération -l'association - et ses deux types de déterminismes: l'unsémantique, le double sens d'un mot, l'autre sensoriel, lamême consonance: « ... je constate presque régulièrementque le nom oublié se rapporte à un sujet qui touche mapersonne de près et est capable de provoquer en moi dessentiments violents, souvent pénibles. (...) Le rapport quis'établit entre le nom et ma personne est un rapport inat-tendu, le plus souvent déterminé par une association super-ficielle (double sens du mot, même consonance) ; on peutle qualifier, d'une façon générale, de rapport latéral. » (27,31) C'est ainsi que l'oubli d'un nom de lieu, Nervi, parexemple, se ramène à l'association suivante: « C'est queNervi sonne comme Nerven (nerfs), et les nerfs constituentl'objet de mes préoccupations constantes. » (27, 31) Freudperçoit dans ce mécanisme une caractéristique égocentri-que de notre fonctionnement psychique qui consiste àramener à soi, au même, ce qui est autre. Et c'est ici quel'association tonale - par consonance, assonance, ressem-blance phonétique (selon les différentes terminologies uti-lisées par Freud) - joue un rôle fondamental. Freuds'étonne de ne pas trouver cette relation tonale dans unexemple rapporté par Ferenczi (27, 36). Par contre, repre-nant l'exemple précédent, il « ... constate que le doublesens d'un mot peut être remplacé par la ressemblancesonore de deux mots» (27, 43). Et cette sensibilité sonorese retrouve aussi dans l'oubli: «Dans une grande série(rangée, file) de cas un nom est oublié, non parce qu'ilappelle à l'éveil, lui-même, de tels motifs, mais parce quepar sa consonance (même son) et sa ressemblance sonoreen "frôle" (effleure) un autre, contre lequel ce motif estdirigé». (27,41)1

1. Nous donnons là une traduction mot-à-mot de ce passage cellede Jankélévitch en ayant méconnu ce vocabulaire sonore. Voici le texteallemand: « In einer grossen Reihe von Fiillen wird ein Name verges-sen, nicht weil er selbst solche Motivewachrujt, sondern weil er durchGleichklang und Lautahnlichkeit an einen anderen streift, gegen densich diese Motive richten. » Jankélévitch propose: «Dans un grand

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Ne retrouvons-nous pas ici clairement la suite de laréflexion engagée en 1888 autour des paraphasies ? Trèsprécisément ce texte parle d'un contact particulier entredeux sons, contact qui surprend par sa légèreté voire soninconsistance: il suffit qu'il y ait « effleurement », con-trastant avec l'importance de son intervention dans le coursde la pensée. On voit que Freud se trouve, sur le planthéorique, à l'articulation de deux courants: l'association-nisme et la théorie dynamique qu'il développera lui-même,le « rapport entre les sons », et le « motif» de l'oubli,généralement considéré comme évitement d'un sentimentpénible. Cette « parenté sonore» superficielle, aurait ainsisa source dans une relation privilégiée non pas avec untroisième son - comme le supposait Lipps, avec le modèleharmonique - mais avec comme troisième élément lemotif, c'est-à-dire le registre du pulsionnel, de l'inconscient.Or Freud a déjà montré que le sonore constitue ici unemédiation privilégiée, celle qui conduit à la parole et à lamusique. Le changement de registre, du rapport sonore,sensoriel, au motif, au souvenir, correspond à la décou-verte de l'inconscient. Le jeu sonore ne devient signifiant,pour l'être humain, que dans cette articulation.

C - La valeur psychique d'un son

Dans le chapitre cinq de ce même ouvrage, consacréau lapsus, se trouvent exposées les préoccupations théori-ques de Freud concernant l'influence qu'exercent entre euxles sons du langage et la façon dont ils interfèrent dansnos pensées. Traitant du lapsus, il est amené à prendreposition par rapport à l'ouvrage paru sur la question en1895, intitulé Lapsus et erreurs de lecture (Versprechen undVerlesen, eine psychologisch-linguistisch Studie) dont lesauteurs sont un linguiste, Rudolf Meringer, et un psychia-tre, Karl Mayer, tous deux professeurs d'université, Freudne citera précisément que le premier. Freud est ici placésur un terrain déjà conquis puisque ces auteurs ont dégagé

nombre de cas on oublie un nom, non parce qu'il éveille lui-même lesmotifs qui s'opposent à sa reproduction, mais parce qu'il se rappro-che, par sa consonance ou sa composition, d'un autre mot contre lequelnotre résistance est dirigée. »

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des règles correspondant aux mécanismes psychiques à l'ori-gine des associations de sons entre mots et phrases. Aprèsavoir distingué un certain nombre de mécanismes telsqu'interversions, anticipations, empiètements, contamina-tions, substitutions, etc., ces auteurs énoncent la règle rela-tive à l'intensité psychique des sons, règle que Freudreprend: « Meringer postule que les différents sons du lan-gage possèdent une valeur psychique différente. Aumoment même où nous innervons le premier son d'un mot,le premier mot d'une phrase, le processus d'excitation sedirige vers les sons suivants, vers les mots suivants, et cesinnervations simultanées, concomittantes, empiétant les unessur les autres, impriment les unes aux autres des modifi-cations et des déformations. L'excitation d'un son ayantune intensité psychique plus grande devance le processusd'innervation moins important ou persiste après ce pro-cessus, en le troublant ainsi, soit par anticipation, soitrétroactivement. » Il s'agit donc de rechercher quels sontles sons les plus importants d'un mot. Ainsi, par exem-ple, dans la recherche d'un mot oublié on peut dire quele premier son qui nous revient est celui-là. De façon plusgénérale Meringer et Mayer ont défini ces valeurs de lafaçon suivante: « Les sons les plus importants sont doncle son initial de la syllabe radicale, le commencement dumot et la ou les voyelles sur lesquelles porte l'accent. »(p. 162) (27, 66-67). On conçoit l'importance de ce pas-sage par rapport au travail d'élaboration en cours chezFreud. Mais là encore la traduction nous fait perdre laqualité sensorielle du texte, ainsi de la troisième phrasedont voici le mot-à-mot : « L'excitation d'un son ayantune intensité psychique plus grande sonne avant (klingt var)ou résonne après (hallt nach) et trouble ainsi le processusd'innervation qui a une valeur moindre (der minderwerti-gen Innervationsvorgang). » Freud sensible à l'analyse deces relations de contact entre sons, réfute pourtant sur sespropres exemples la dernière partie de l'argumentation:il ne retrouve pas cette prévalence du son initial, bien plus,l'exemple de Signorelli (où «elli» renvoie à Botticelli)porte, lui, sur la dernière syllabe. Il reconnaît toutefois queces auteurs n'en restent pas là, puisque lorsque le lapsusn'est pas réductible à des troubles tonaux (de rapports desons) « ... ils ont, eux aussi, cherché sans parti-pris la causedu lapsus en dehors du discours voulu et ils ont illustré

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cette dernière situation à l'aide de très beaux exemples ».(27, 68-69). C'est dire que le débat d'idées est serré,d'autant que Freud rend encore hommage à l'intuition deces auteurs, au seuil de la découverte psychanalytique:

« Par sa théorie des images verbales "nomades", quisont situées au-dessous du seuil de la conscience et qui nesont pas destinées à être formulées en paroles, et par soninsistance sur la nécessité de rechercher tout ce à quoi lesujet pense pendant qu'il parle, la conception de Merin-ger et Mayer se rapproche singulièrement, il est facile des'en rendre compte, de notre conception psychanalytique. »(27, 70), nous avons déjà observé ce phénomène avec lestravaux de Lipps, même si Freud, dans ce dernier cas, n'apas fait le rapprochement.

Meringer et Mayer s'interrogent sur l'égalité de valeurentre deux sons, font le lien entre valeur sensorielle etvaleur sémantique de la façon suivante: « Qu'est-ce quifait l'égalité de valeur des sons, ce n'est pas facile à dire.Je présume que sont d'égale valeur les sons qui ont unesignification psychique à peu près semblable. » (199, 162)Et dans leur petit ouvrage plein d'exemples ces auteurs fontobserver, concernant justement ce rapport entre son etsignification, la façon dont ces lapsus sont « überhort »(sur-entendus, comme dans une « sur-audition ») et quele sens s'en trouve ainsi renforcé: « ... le principal fon-dement de la sur-audition des lapsus réside en ce quel'auditeur est ici très semblable au locuteur et sur-entendsans doute pour le même motif que l'autre fait le lapsus. »(199, 11).

A propos de cette notion de « valeur» notons queFreud utilise cette même idée appliquée au rêve: « On estainsi conduit à penser que, dans le travail du rêve, se mani-feste un pouvoir psychique qui, d'une part dépouille deséléments de haute valeur psychique de leur intensité, et,d'autre part, grâce à la surdétermination, donne une valeurplus grande à des éléments de moindre importance, de sorteque ceux-ci peuvent pénétrer dans le rêve. On peut dès lorscomprendre la différence entre le texte du contenu du rêveet celui de ses pensées; il y a eu, lors de la formationdu rêve, transfert et déplacement des intensités psychiquesdes différents éléments. Cè processus est la partie essen-tielle du travail du rêve. » (25, 265-266) On peut ainsi pen-ser que c'est ce processus de « surdétermination », qui à

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la façon de la « sur-audition », met en valeur le rapportsonore entre les mots, au détriment de la plus grandevaleur psychique du signifiant. Ainsi « il est très remar-quable de voir combien le travail du rêve s'attache peuaux représentations de mot; il est à chaque instant prêtà échanger les mots les uns pour les autres jusqu'à ce qu'iltrouve l'expression qui offre à la figuration plastique leplus de commodité» (98, 135). Dans le cas du lapsus, dumot d'esprit, en particulier, la « valeur sonore» pourraîtbien être un équivalent de la « figuration plastique ».

L'excitation sonore produite par cet effet ne seraitqu'un signe à décrypter, signe d'une excitation, certes, maisau travers de l'oreille, du représentant pulsionnel, appa-remment négligé. Cette voie privilégiée du sonore, des rap-ports des sons entre eux - et la parole comme la musi-que sont construites sur ces rapports - passe par des misesen résonance et des « effleurements ».

Freud dira que la liberté de ces jeux est peut-être àentendre comme l'écho de cette insignifiance accordée jus-tement aux jeux avec les sons, jeux enfantins, plus insi-gnifiants encore, pour notre culture, que l'activité oniri-que elle-même. Nous ajouterons qu'elle appartient, de cefait, à cette aire habituellement non discutée de l'expé-rience, zône explorée par Winnicott avec le concept d'« airetransitionnelle» .

D - L'Action par contact de sons

La notion d'« action par contact de sons» est due àun autre auteur auquel Freud a à se mesurer, le célèbreWilhelm Wundt, dont une partie de l'ouvrage de 1900 (207)est consacrée au langage. Freud reprend l'argumentationde cet auteur. Wundt dégage deux conditions pour la pro-duction d'un lapsus, une condition « positive », faite desassociations de sons, et une condition « négative », pro-duite par un relâchement du contrôle. Il rappelle certai-nes autres règles connues: « Ce jeu de l'association peutse manifester de plusieurs manières: un son peut êtreénoncé par anticipation pour reproduire les sons qui l'ontprécédé; un son qu'on a l'habitude d'énoncer peut venirs'intercaler entre d'autres sons; ou, enfin, des mots toutà fait étrangers à la phrase, mais présentant avec les sons

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qu'on veut énoncer des rapports d'association, peuventexercer une action perturbatrice sur ces derniers. » (27, 73- citation de Wundt p. 371) Mais Freud prend ici posi-tion contre une réduction du lapsus à un déterminisme uni-quement associatif, pour affirmer la dimension proprementdynamique de cette production: « Parmi les exemples delapsus que j'ai moi-même réunis, je n'en trouve guère oùle trouble du langage se laisse réduire uniquement et exclu-sivement à ce que Wundt appelle 1'« action par contactde sons ». Je trouve presque toujours, en plus de J'actionpar contact, une action perturbatrice ayant sa source endehors du discours qu'on veut prononcer, et cet élémentperturbateur est constitué soit par une idée unique, restéeinconsciente, mais qui se manifeste par le lapsus et ne peutle plus souvent être amenée à la conscience qu'à la suited'une analyse approfondie, soit par un mobile psychiqueplus général qui s'oppose à l'ensemble du discours. » (27,74) C'est alors qu'il prend position en définissant un liende dépendance des troubles sonores au motif inconscient:« L'intervention des sons apparaît donc comme un effetde la perturbation produite par une idée inconsciente fai-sant partie d'un ensemble tout à fait étranger. » (27, 76)Poursuivant sa démonstration à partir d'exemples où lesrapports tonaux sont patents, Freud va néanmoins jusqu'àrenverser les termes de l'argumentation et considérercomme seul essentiel à la production du lapsus le motifinconscient: «C'est ainsi que dans les troubles de laparole, qu'ils soient sérieux ou non, mais qui peuvent êtrerangés dans la catégorie des "lapsus", je retrouvel'influence, non pas du contact exercé par les sons les unssur les autres, mais d'idées extérieures à l'intention quidicte le discours, la découverte de ces idées suffisant àexpliquer l'erreur commise. Je ne conteste certes pasl'action modificatrice que les sons peuvent exercer les unssur les autres; mais les lois qui régissent cette action neme paraissent pas assez efficaces pour troubler, à elles seu-les, l'énoncé correct du discours. Dans les cas que j'ai puétudier et analyser à fond, ces lois n'expriment qu'unmécanisme préexistant dont se sert un mobile psychiqueextérieur au discours, mais qui ne se rattache nullementaux rapports existant entre ce mobile et le discours pro-noncé. » Et Freud va plus loin en remettant en cause leprincipe-même de ces lois. «Dans un grand nombre de

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substitutions, le lapsus fait totalement abstraction de ceslois de relations tonales. » Et cette fois encore il recon-naît que Wundt lui-même n'est pas aussi réducteur: « Jesuis sur ce point entièrement d'accord avec Wundt qui con-sidère également les conditions des lapsus comme très com-plexes et dépassant de beaucoup les simples effets de con-tact exercés par les sons les uns sur les autres. » (27, 95-96)Toutefois une phrase vient corriger ce texte de façon inté-ressante : « Pour d'autres lapsus, on peut admettre quec'est une ressemblance tonale avec des mots et des sensobscènes qui est à l'origine de leur production. » (27, 97)

Nous retrouvons là la dimension anale déjà évoquéedans ce rapport au sonore, Freud semble y être sensible,comme si, dans ce cas, il y avait proximité entre repré-sentant de mot et représentant de chose.

Wundt, dans le texte cité, a mis en lumière le relâche-ment particulier de l'attention qui favorise la dispositiond'esprit aux jeux de sons, à l'action par contact de sons.Freud a raison d'insister sur le motif inconscient (et le con-flit d'idées qui en résulte) à l'origine de cet état, mais lerelâchement est aussi capacité d'éprouver le sonore et d'enressentir les affects de plaisir ou de douleur, à les laisser« effleurer », à en éprouver l'attraction... (nous ne som-mes alors pas loin des sirènes I), point sensible de la pro-blématique sonore et musicale freudienne (que nous déve-lopperons dans la dernière partie).

E - Jeux de mots

L'année suivante le problème est reposé à propos duWitz, du mot d'esprit. Les exemples de condensation don-nés par Freud sont très proches de ceux appartenant àl'ouvrage déjà cité de Meringer et Mayer. Tels ces deuxexemples donnés par ces auteurs parmi les « Vorkliinge »(ce qui sonne avant) ou anticipations: «Strang» pour«Sturm und Drang », ou encore «nach Minnsbrück»pour « nach lnnsbrück aus München » (199, 43-44). Lecélèbre « famillionnaire » (exemple du Baron de Rotschild,analysé par Freud) est bien de ce type. Freud précise àson sujet: « Si donc, dans notre exemple, le caractère spi-rituel ne dépend pas du fond même de la pensée, il nous

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faut le chercher dans la forme, dans les termes qui l'expri-ment.» (33, 27-28) Mais il est remarquable qu'il nereprenne justement pas les particularités sonores de cettecondensation.

Par contre il reconnaîtra le rôle de celle-ci dans la for-mation du calembour: « ... il suffit au calembour que lesdeux mots vecteurs se suggèrent l'un l'autre par une res-semblance quelconque: ressemblance générale dans leurstructure, assonance ou allitération, etc. » (33, 71-72) Ilparle même précisément des « Klangwitze », mots d'espritpar assonance, et cite également un exemple où c'estl'accentuation différente des mêmes mots qui modifie lesens de la phrase. Dans la classification proposée par Freud(tableau synoptique p. 65), seules les deux premières caté-gories peuvent être concernées par le jeu sur les sons: lacatégorie 1 concerne le mécanisme de condensation (avecdes mots composites, avec modifications) ; la catégorie 2fait référence à l'emploi du même matériel (mots entierset leurs composantes, interversion, modification légère), lereste de la classification s'appuie sur des effets de sens.

1 - Jeu de sons, jeu de mots, plaisir d'enfance

C'est à propos du mécanisme du plaisir que Freudprend en compte les caractéristiques du jeu de mots: « Latechnique d'un de ces groupes de mots d'esprit (les jeuxde mots) consistait à orienter notre psychisme suivant laconsonance des mots plutôt que suivant leur sens; à lais-ser la représentation auditive des mots se substituer à leursignification déterminée par leurs relations à la représen-tation des choses. » (33, 197) Il poursuit: « De même chezl'enfant, accoutumé à considérer encore les mots commedes objets, nous remarquons la tendance à assigner à uneconsonance identique ou analogue un sens identique, cequi occasionne bien des erreurs dont sourient les grandespersonnes. » (33, 197-198)

Ce plaisir est compris non seulement par cette dimen-sion régressive, mais encore par l'économie d'énergie qu'ilréalise: «Si nous sommes charmés incontestablementlorsqu'un même mot ou un mot phonétiquement voisinnous transporte d'un ordre d'idées à un autre ordre d'idéesfort éloigné (ex. le home-roulard qui transportait de la cui-sine à la politique), on peut à bon droit ramener notre

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plaisir à l'économie d'un effort psychique. » (33, 198) Cetteéconomie se retrouve dans la répétition, autre élément debase de ce plaisir: « De même il est de notoriété publi-que que la rime, l'allitération, le refrain et autres formesde la répartition des sons en poésie, exploitent cette mêmesource du plaisir à retrouver le connu. » (33, 200) Cons-tatant que ce plaisir est plus vif chez l'auditeur que chezl'auteur du mot d'esprit, Freud explique ce phénomène parla levée de l'inhibition: « ... d'après notre conception dumécanisme du rire, nous dirions bien plutôt que l'énergied'investissement employée à l'inhibition est devenue toutà coup superflue, grâce à la production, par la voie desimpressions auditives, de la représentation prohibée, etqu'elle s'est libérée et de la sorte est devenue toute prêteà se décharger par le rire. » (33, 244)

Cette « voie des impressions auditives» est donc bienle vecteur principal, située à l'interface des représentationsde mot et des représentations de chose, son jeu étant assurépar cette ambiguïté même. Ce jeu sonore de mots n'est'-ilpas également présent dans la musique, qui s'entend aussibien du côté de la jouissance sonore pour elle-même, quede l'ambiguïté des sens possibles et, lors même qu'un texteest fixé, du glissement de sens et d'attraction entre le motet le son qui lui est associé. Dans ce contexte on connaîtl'agrippement au texte de certains auditeurs, Freud lui-même, par évitement de ces dérives.

Résumant ses hypothèses concernant la levée de l'inter-dit, Freud revient au jeu de l'enfant (plus tard frappéd'interdit par la critique rationnelle) et conclut: « La pen-sée qui, pour créer l'esprit, plonge dans l'inconscient, nele fait que pour retrouver la retraite de ses jeux d'antanavec les mots» (33, 281-282), c'est-à-dire de cette formede «paraphasie» originelle, et de son non-sens «...n'oublions pas que dans l'esprit le non-sens est un but ensoi, car l'intention de récupérer l'ancien plaisir du non-sens est l'un des mobiles de l'élaboration de l'esprit» (33,292). Nous retrouvons-là aussi les intérêts d'antan deFreud, son questionnement sur les paraphasies du sujetnormal et leur possible signification.

Il nous vient à l'esprit ce jeu avec les textes qui a étéà l'origine de la forme « motet» (de mot) des polypho-nies du Moyen Age occidental, période que nous avonsétudiée pour un travail précédent (193). L'association de

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plusieurs voix sur des textes et des mélodies différentes,dans un chant simultané, ne pouvait que produire une con-fusion de mots et des effets de sens, comme par jeu.L'audition actuelle d'enregistrement de ces musiques laissepercevoir seulement quelques mots se dégageant de ces dif-férentes voix, comme dans un nouveau texte poétique. Oril s'agit-là d'un plaisir - vécu comme subversif par lesautorités religieuses de l'époque - qui dura plusieurs siè-cles ! (principalement du XIe au XIVesiècles). Il semble êtreà nouveau recherché dans quelques œuvres contemporaines.

2 - Modulation phonique, évolution des langues

En 1910 Freud revient sur la question des rapports dessons entre eux par une réflexion sur le sens opposé desmots originaires. Il s'appuie alors sur les Essais de linguis-tique de K. Abel (1884). Cet auteur offrait une hypothèsephylogénétique permettant d'articuler, justement, les axesmétonymique et métaphorique à partir d'un son commun.Nous reprenons ici les citations utilisées par Freud: lesÉgyptiens «... auraient eu coutume de donner d'unemanière générale aux pensées les plus ennemies un seul etmême vecteur phonique, et de lier ce qui s'opposait termeà terme de la façon la plus forte en une sorte d'unionindissoluble? » (p. 9) (56, 53-54). Ainsi « quand le motégyptien ken est destiné à signifier "fort", on place, der-rière sa phonie transcrite alphabétiquement, l'image d'unhomme debout armé; quand le même mot doit exprimer"faible", les lettres qui représentent la phonie sont sui-vies de l'image d'un humain accroupi et nonchalant. D'unemanière analogue, la plupart des autres mots ambigus sontaccompagnés d'images explicatives» (56, 55). L'évolutionde la langue amène une différenciation sonore et élimineles éléments visuels: « Les mots qui sont originairementà double sens se dissocient dans la langue ultérieure cha-que fois en deux mots à sens unique, chacun des deux sensopposés accaparant à lui seul une "modulation" (modifi-cation) phonique de la même racine. » (56, 56) Freud cons-tate que de cette évolution nous avons encore les tracesdans nos langues: « ... en latin, altus signifie haut et pro-fond, sacer, saint et maudit, cas donc où le sens opposéest encore tout entier présent sans modification de la pho-nie. Le changement phonétique destiné à dissocier les oppo-

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sés est attesté par des exemples comme clamare crier -clam doucement, en silence; siccus sec - succus suc. »(56, 57) Cette hypothèse permet ainsi d'avancer dans deuxdirections:

. La relation du son au sens, cette relation se préci-sant par l'intermédiaire d'une différenciation sonore, aucours de l'évolution de la langue, sur l'axe même/opposé,pour lequel G. Rosolato propose le concept de « signifiantde démarcation» (203) ;

. La relation du sonore au visuel, la présence simul-tanée des deux signes étant nécessaire au début, mais lesupport visuel perdant sa fonction au fur et à mesure duperfectionnement sonore, dans un mouvement d'abstrac-tion.

Enfin nous terminerons ce chapitre par un clin d'œilsur le manque de sensibilité sonore de Freud, par un retourà sa lettre à Fliess du 31/8/1898, déjà citée: « ... la ques-tion des rapports entre les sons qui m'a toujours troublé,les notions les plus élémentaires me faisant défaut à causede mon manque de sensibilité acoustique. » (14, 233). Cedernier semble bien démenti, en effet, non seulement parl'importance et la précision des réflexions de Freud sur lesujet, mais plus encore par l'apprentissage qu'il put fairede six langues étrangères! Enfin, et plus anecdotiquement,par cette critique qu'il a faite de la langue françaiselorsqu'il écrivait le 26/11/1885 à Martha: « Phonétique-ment, la langue française est si terriblement pauvre. Cha-que murmure veut dire une douzaine de choses différen-tes, et, après une légère modification, en signifie douzeautres. » (165, 201). Serait-ce une langue « attardée» ?

Ces rapports «troublants» entre les sons, Freud lesdésolidarise de leur support sensoriel, c'est-à-dire de l'exci-tation des sens auxquels ils donnent lieu. Il dénonce eneffet cette attraction pour en rechercher ailleurs la force,prendre distance par rapport à l'axe descriptif choisi parses contemporains, au profit de l'axe dynamique: cetteattraction ne doit être que l'effet d'un investissement par-ticulier venu des profondeurs de l'inconscient. Il ajoute,sans la développer, une hypothèse génétique: la mémoireacoustique étant aux origines de la parole, c'est à la repré-sentation de mot qu'est dévolue la responsabilité du sens,et le jeune enfant joue avec le non-sens de l'objet-son avantde s'inscrire dans le discours et d'en assumer la significa-

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tion. C'est donc l'excitation sonore qui, en quelque sorte,« fait les frais» de cette théorisation, ce jeu enfantin nereprésentant qu'une étape en grande partie dépassée. C'estlaisser bien peu de place à une esthétique.

11-3 - L'entendu et le fantasme d'écoute

A propos des symptomatologies sonores liées aux trou-bles psychiques.

Dès 1893 Freud écrit à Fliess son intuition qu'une ins-cription particulière des choses vues ou entendues concer-nant la sexualité puisse avoir place, à côté du traumatisme,dans l'étiologie des névroses: « En ce qui concerne l'étio-logie sexuelle des névroses, j'entrevois la possibilité de com-bler une autre lacune. Je crois avoir compris la névrosed'angoisse de certains jeunes que l'on croit considérercomme vierge et auxquels l'on ne saurait attribuer aucunabus sexuel. J'ai analysé deux cas de ce genre où se notaitune terrible appréhension de la sexualité avec, à l'arrière-plan, des choses qu'ils avaient vues ou entendues et à moi-tié comprises, donc une étiologie purement émotionnelle,mais toujours de nature sexuelle. » (14, 67) C'est en 1895qu'il soulignera la symptomatologie sonore de cette névrosed'angoisse: « Une expression de cette excitabilité augmen-tée me paraît digne d'être particulièrement soulignée: unehyperesthésie auditive, une sensibilité excessive aux bruits,symptôme qui s'explique certainement par l'intime relationinnée entre les impressions auditives et l'effroi. L'hyperes-thésie auditive se retrouve souvent comme cause de l'insom-nie dont plus d'une forme fait partie de la névrosed'angoisse. » (11, 17) Aussi, se trouvant aphone, Freuds'interroge sur une origine psychologique à ce trouble, enécrivant à Fliess le 6/12/1896 : « ... Je suis en pleine fiè-vre de travail durant dix à onze heures chaque jour et mesens, grâce à cela, en bon état, mais presque aphone.S'agit-il d'une fatigue excessive des cordes vocales ou d'unenévrose d'angoisse? Inutile de chercher une réponse. Ilvaut mieux, comme le conseille Candide, travailler sans rai-sonner... » (14, 159)

En ce qui concerne l'hystérie Freud remarque en 1896

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que « si des expériences graves aussi bien que des expé-riences insignifiantes, des expériences ressenties dans lecorps propre aussi bien que des perceptions visuelles oudes perceptions auditives, doivent être reconnues commeles traumas ultimes de l'hystérie, on pourrait être tentéd'avancer l'interprétation suivante: les hystériques sont descréatures d'une nature bien particulière... » (18, 92-93). Ilcombat à l'époque cette hypothèse et avance la réalitéphysique du trauma: « Il ne s'agit plus dans ces scènesde l'éveil du thème sexuel par le moyen d'une quelcon-que impression des sens, mais d'expériences sexuelles vécuesdans le propre corps, de rapports sexuels (au sens largedu terme). » (18, 95) On sait que la suite de ses travauxcliniques l'amena à discuter encore le thème du trauma-tisme, entre réalité physique et réalité psychique, entre expé-rience corporelle, impression sensorielle et fantasme.

A - Des choses entendues

C'est au cours de sa réflexion sur le traumatisme sexuelinfantile que Freud, guidé par son autoanalyse, est amenéà mettre en cause sa théorie de la séduction, à distinguerréalité physique et réalité psychique, souvenir et fantasme.A propos de ces derniers il soumet à Fliess les avancéesprincipales de sa théorie au cours des mois d'avril et mai1897 (D. Anzieu montre comment l'analyse de ses propresrêves guide Freud dans cette élaboration). Il écrit ainsi le6/4/1897 : « J'ai découvert ce qui me manquait dans leproblème de l'hystérie, c'était une nouvelle source d'oùs'écoule un élément de la production inconsciente. Je veuxparler des fantasmes hystériques qui, chaque fois, je leconstate, se rapportent à des choses que l'enfant a enten-dues de bonne heure et dont il n'a que longtemps aprèssaisi le sens. Fait surprenant, l'âge où l'enfant a acquisces notions est très précoce: à partir de six ou septmois!... » (14, 170) Cette origine sonore du fantasme res-tera au centre de sa théorie. Un mois après, le 2/5/1897Freud poursuit cette élaboration de la notion de fantasme,à propos de l'hystérie, et tente de généraliser son applica-tion aux autres névroses: « J'ai acquis de la structure del'hystérie une notion exacte. Tout montre qu'il s'agit dela reproduction de certaines scènes auxquelles il est par-

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fois possible d'accéder directement et d'autres fois seule-ment en passant par des fantasmes interposés. Ces derniersémanent de choses entendues mais comprises bien plus tardseulement. Tous les matériaux sont naturellement réels. Ilsreprésentent des constructions protectrices, des sublima-tions, des enjolivements de faits servant, en même temps,de justification. Accessoirement, ils peuvent provenir defantasmes masturbatoires. (...) Je me rends compte main-tenant du fait que les trois névroses, l'hystérie, la névroseobsessionnelle et la paranoïa, comportent les mêmes élé-ments (et la même étiologie), c'est-à-dire des fragmentsmnémoniques, des impulsions (dérivant des souvenirs) etdes fabulations protectrices. Mais l'irruption dans le cons-cient, les formations de compromis, c'est-à-dire de symptô-mes, sont différents dans chaque cas. » (14, 173-174)

Cette fonction défensive du fantasme est encore miseen avant dans le manuscrit L qui accompagne cette lettre:les fantasmes « ... édifient, en effet, des défenses psychi-ques contre le retour de ces souvenirs qu'ils ont aussi lamission d'épurer et de sublimer. Élaborés à l'aide de chosesentendues qui ne sont utilisées qu'après coup, ils combi-nent les incidents vécus, les récits de faits passés (concer-nant l'histoire des parents ou des aïeux) et les choses vuespar le sujet lui-même. Ils se rapportent aux choses enten-dues comme les rêves se rapportent aux choses vues. Car,dans les rêves nous voyons mais nous n'entendons pas. »(14, 174-175) Nous discuterons plus tard cette dernièreaffirmation à propos du rêve mais soulignons déjà cettepartition sensorielle entre fantasme et rêve, partition àlaquelle Freud va rester attaché. Deux caractéristiques, l'unesensorielle, l'autre temporelle se trouvent ainsi dégagées:le fantasme est constitué de choses entendues, il est uneconstruction dans l'après-coup. Il est intéressant de noterle rapprochement que fait Freud, à ce propos, avec la para-noïa, le 16/5/1897 : « ... J'ai découvert la source des hal-lucinations auditives dans la paranoïa. De même, dansl'hystérie, les fantasmes sont dus à des choses entenduesmais comprises plus tard seulem~nt. » (14, 177-178)

Son élaboration se poursuit dans les lettres suivantes,ainsi dans le Manuscrit M où il développe les mécanismesde formation des fantasmes: « Les fantasmes se produi-sent par une combinaison inconsciente de choses vécueset de choses entendues, suivant certaines tendances. Ces

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tendances visent à rendre inaccessibles les souvenirs qui ontpu ou pourraient donner naissance aux symptômes. Lesfantasmes se forment par un processus de fusion et dedéformation analogue à la décomposition d'un corps chi-mique combiné. à un autre. Le premier genre de déforma-tion consiste en une fabrication du souvenir par fragmen-tation, ce qui implique un mépris des rapports chronolo-giques (les corrections chronologiques semblent précisémentdépendre de l'activité du système conscient). Un fragmentde la scène vue se trouve ainsi relié à un fragment de lascène entendue pour former un fantasme, tandis que lefragment non utilisé entre dans une autre combinaison. Ceprocessus rend impossible la découverte de la connexionoriginelle. » (14, 180-181). Il est naturel que le fantasme,d'origine sonore, s'inscrive dans le temps, mais justementil s'agit d'un rapport au mépris des conventions, fait derépétition dans l'après-coup, et de fragmentation. Cesdécouvertes l'amènent à une comparaison avec le méca-nisme de la création poétique (Manuscrit N du 31/5/1897),pour notre part, nous remarquons qu'il est en train deretrouver les règles de la composition musicale. Le fan-tasme jouerait ainsi des choses entendues comme d'unmatériel musical.

Freud veut encore préciser l'étiologie des pathologiesmentales à partir de ces distinctions, lorsqu'il écrit le10/3/1898 : « Du point de vue biologique, la voie oniri-que me semble procéder directement des résidus d'une épo-que préhistorique de l'existence (de 1 à 3 ans). C'est à cetteépoque que naît l'inconscient et que se forme l'étiologiede toutes les psycho névroses ; c'est la période que vientnormalement dissimuler une amnésie comparable à l'hysté-rie. Je commence à soupçonner que les rêves résultent dechoses vues à la période préhistorique, les fantasmes, dechoses entendues; les psychonévroses émanent, elles, descènes sexuelles vécues à la même époque. La répétitiondes incidents vécus serait essentiellement une réalisation dedésir. » (14, 218-219)

Nous remarquons qu'au cours de la période 1893-1898Freud introduit dans cette élaboration de la notion de fan-tasme les trois pathologies dans lesquelles il relève unesymptomatologie liée au sonore: la névrose d'angoisse, laparanoïa, l'hystérie.

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B - Scène primitive

Engagé dans sa théorisation, Freud interroge sespatients. C'est ainsi qu'il suggère à Katharina sa proprehypothèse générique: « Si vous ne le savez pas, je vaisvous dire à quoi, moi, j'attribue vos accès. Il y a deuxans, vous avez dû voir ou entendre quelque chose qui vousa beaucoup gênée, que vous auriez préféré ne pas voir. »(10, 100) Freud justifie son assurance dans une note oùil précise que le cas précédent d'une jeune fille souffrantd'angoisse lui avait permis de découvrir une telle causa-lité. Cette jeune personne lui ayant expliqué ainsi ses accèsd'angoisse: « Quand j'étais jeune fille. Je couchais à cetteépoque dans une chambre attenante à celle de mes parents,la porte était ouverte, et une veilleuse brûlait sur la table.J'ai pu voir plusieurs fois mon père entrer dans le lit dema mère et j'ai entendu quelque chose qui m'a beaucoupfrappée. C'est alors que j'ai eu mes premiers accès. » (10,100). Nous avons-là l'origine de la notion de « fantasmed'écoute» qu'il n'utilisera qu'en 1915 (86).

Des renseignements donnés par Katharina viennent con-firmer les suppositions freudiennes: « Il y eut alors entrel'oncle et la tante - Freud précisera plus tard qu'il s'agis-sait, en réalité, des parents de la malade - des scènes péni-bles pendant lesquelles les enfants entendirent des chosesqui leur ouvrirent les yeux sur bien des faits et qu'il eûtmieux valu qu'ils n'entendirent point. » (10, 101). Toute-fois nous remarquerons que les différentes scènes remé-morées feront passer de l'entendu, au vu et au toucher.Si l'entendu apparaît en premier, c'est peut-être parce qu'ilpermet justement de jouer de la présence/absence et dela distance/proximité dans le contact. Cette circulation dela problématique empreintant les chemins des différentssens, est en tout cas un point qui nous semble importantpour comprendre notre fonctionnement.

Freud trouve aussi dans le cas de Dora une confirma-tion de son hypothèse: « Grâce à certains actes sympto-matiques et à d'autres indices, j'eus de fortes raisons desupposer que l'enfant, dont la chambre communiquait aveccelle des parents, avait surpris une visite nocturne de sonpère à sa mère et qu'elle avait entendu, pendant le coït,la respiration haletante de l'homme, déjà court d'haleineà l'état habituel. Les enfants pressentent en pareils cas le

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caractère sexuel de ces bruits inquiétants. » (32, 58-59)C'est d'ailleurs ce même bruit de respiration que nousretrouvons dans l'expérience de « l'homme aux loups ».A l'âge de six ans l'enfant est pris d'une compulsion àexpirer de façon bruyante à la vue des gens dignes de pitiéet à chaque signe de croix: « ... Le patient copiait parlà son père encore au sens primitif, car la respirationbruyante était une imitation du bruit qu'il avait entenduémaner de son père pendant le coït. Le Saint Esprit avait,pour lui, tiré son origine de ce signe de l'excitation sen-suelle chez l'homme. Le refoulement avait fait de cette res-piration un mauvais esprit qui avait encore une autregénéalogie: la malaria dont l'enfant souffrait au temps dela scène primitive. » (102, 374-375) Et nous avons vu dansle chapitre précédent que Freud interprète également l'accèsde cri du malade qu'il adresse à Jung comme une repro-duction de la scène primitive.

Nous observons que c'est la face passive, réceptive dela perception qui est ici mise en avant, tant pour les cho-ses vues que pour les choses entendues, ramenées au trau-matisme sexuel, puisque ces perceptions sont caractériséespar l'incapacité dans laquelle se trouve le sujet immaturede les comprendre, c'est-à-dire de les enregistrer activement.Le fantasme d'écoute serait donc une reconstruction, dansle sens du retournement de la face passive à la face active,l'écoute active se substituant à l'entendu traumatisant -traumatisant par son caractère inévitable, la béance del'oreille, autant que par son contenu. Ne s'agit-il pas d'unesorte de disposition féminine à l'accueil de l'entendu, dontla valeur traumatisante pourrait avoir quelque résonanceavec la problématique de la castration?

C - Le fantasme d'écoute

C'est à l'occasion de la discussion d'un cas de para-noïa en contradiction avec la théorie psychanalytique (plusprécisément avec l'hypothèse d'une étiologie homosexuelle),que Freud utilise précisément la notion de «fantasmed'écoute », notion que nous n'avons pas retrouvée par lasuite. Nous avons déjà présenté, dans « le tic-tac du désir»les particularités cliniques du cas de cette jeune femme,nous n'y reviendrons pas. Mais voici l'analyse qu'en pro-

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pose Freud relativement aux fantasmes originaires: « Éten-due à demi dévêtue sur le divan aux côtés de son amou-reux, elle entend un bruit, comme un tintement, un frap-pement, un battement, dont elle ne connaît pas la cause,mais qu'elle interprète plus tard, après avoir rencontré dansl'escalier de la maison deux hommes dont l'un porte quel-que chose comme une cassette recouverte. Elle acquiert laconviction qu'à la demande de son amoureux elle a étéépiée et photographiée pendant leur réunion intime. (...)L'observation du commerce amoureux entre les parents estune pièce rarement manquante dans le trésor des fantas-mes inconscients qu'on peut découvrir par l'analyse cheztous les névrosés, et vraisemblablement chez tous lesenfants des hommes. Ces formations fantasmatiques, cellede l'observation du commerce sexuel des parents, celle dela séduction, de la castration, et d'autres, je les appellefantasmes originaires, (...). Le bruit fortuit ne joue doncque le rôle de provocation qui active le fantasme d'écoutetypique contenu dans le complexe parental, au point qu'iln'est pas du tout évident qu'on doive l'appeler "fortuit".Comme O. Rank m'en a fait la remarque, ce bruit est bienplutôt nécessairement requis par le fantasme d'écoute etil répète, ou bien le bruit par lequel se trahit le commercedes parents, ou bien encore celui par lequel l'enfant àl'écoute risque de se trahir. » (86, 215-216)

Qu'il y ait, dans la scène primitive, une dimensionsonore toute aussi essentielle que la scène visuelle, et sûre-ment plus favorisée, dans nos habitudes de vie, que cettedernière, nul ne saurait en douter. On peut se demanderpourquoi Freud n'a pas repris cette terminologie de « fan-tasme d'écoute» dans les textes ultérieurs. Parler de « fan-tasme d'écoute» pourrait être entendu presque comme unetautologie, dans la mesure où, nous l'avons rappelé, Freudconsidère l'origine du fantasme comme auditive. Mais lanotion de «fantasme d'écoute» souligne la dimensionactive du comportement d'écoute par opposition à la pas-sivité de l'entendu. Il y aurait ainsi une symétrie possible- à propos de la scène primitive - entre le vu et levoyeurisme, d'une part, l'entendu et le fantasme d'écoute,d'autre part (le terme « écouteurisme » sonnant particu-lièrement mal à l'oreille !)

Les dernières avancées de cette réflexion se trouventdans des textes tardifs: 1937 et 1938. Le premier met en

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évidence l'originepréverbale de ces matériaux: « ... Onn'a pas encore assez apprécié ce caractère peut-être géné-ral de l'hallucination d'être le retour d'un événement oubliédes toutes premières années, de quelque chose que l'enfanta vu ou entendu à une époque où il savait à peine parler.C'est ce qui s'impose maintenant à la conscience, mais pro-bablement de façon déformée et déplacée par l'effet desforces qui s'opposent à un tel retour. » (158, 279) (On serappelle qu'il avait précédemment fait remonter l'approxi-mation jusqu'à l'âge de 6 ou 7 mois). Cette observationest contemporaine de celle qui concerne la dimensionsymbolique dans l'élaboration du rêve: « Le rêve fait unusage illimité du langage symbolique dont la significationreste, pour la plus grande part, ignorée du rêveur. Maisnotre expérience nous permet d'en établir le sens. Ce lan-gage symbolique tire vraisemblablement son origine de pha-ses antérieures de l'évolution du langage. » (161, 30) C'estdonc cette même période qui serait aux origines de nosrêves et de nos fantasmes, période préverbale restée on nesait pourquoi souvent boudée des psychanalystes eux-mêmes.

Enfin, le texte de 1938 reprend, dans l'Abrégé depsychanalyse le processus de formation du fantasme à par-tir des impressions sensorielles de la vie infantile la plusprécoce: « On a dit de l'enfant qu'il était psychologique-ment le père de l'adulte et que les événements de ses pre-mières années avaient, sur toute son existence, des reten-tissements d'une importance primordiale. L'expérienceanalytique confirme cette assertion. C'est pour cette rai-son que la découverte éventuelle d'un événement capitalsurvenu dans l'enfance présente pour nous tant d'intérêt.Notre attention doit être attirée d'abord par les répercus-sions de certaines influences qui, si elles ne s'exercent passur tous les enfants, sont malgré tout assez fréquentes:abus sexuels perpétrés par des adultes, séduction pard'autres enfants un peu plus âgés (frères ou seeurs), et,chose à laquelle on ne s'attendrait pas, impression pro-duite par la participation comme témoin auditif ou visuelà des rapports sexuels entre adultes (entre les parents), celaà une époque de la vie où de semblables scènes sont cen-sées n'éveiller ni intérêt, ni compréhension et ne pas segraver dans la mémoire. Il est facile de montrer combienla réceptivité sexuelle de l'enfant est éveillée par de pareils

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faits et comment alors ses propres tendances sexuelles peu-vent être considérées dans des voies dont elles ne pour-ront plus sortir. Comme ces impressions sont soumises aurefoulement, soit immédiatement, soit dès que leur souve-nir ressurgit, elles fournissent une condition propice àl'éclosion d'une compulsion névrotique qui, plus tard,empêchera le moi de contrôler la fonction sexuelle et lepoussera probablement à se détourner de celle-ci de façonpermanente. » (161, 57)

Freud se montre sensible à cette atteinte, par l'excita-tion sensorielle, de la réceptivité sexuelle de l'enfant chezses patients adultes et en trouve la confirmation directedans le cas du Petit Hans.

II -4 - Charivaris

Nous lirons l'histoire bien connue du "Petit Hans"comme une illustration de l'importance de l'investissementsensoriel sonore chez un enfant de cinq ans, et sa placestructurante dans le fantasme.

C'est la deuxième fois que nous trouvons Freud atten-tif à la part sonore du symptôme, l'insistance du chari-vari, comme, précédemment, le murmure du rêve des « ser-vices d'amour» (murmure de la censure). Rappelons aussique le tapage, sous forme de charivari, se trouve illustrerla notion de refoulement (cf. l'image de la conférence per-turbée). Ces rapprochements ne sont peut-être pas tout àfait fortuits. Car si Freud, nous allons le voir, ne se montrepas satisfait de cette analyse, c'est bien, si l'on en croitJ. Bergeret (181), que la censure - du côté du père deHans et de Freud lui-même - a une place très importante.Les hypothèses avancées par cet auteur invitent à une lec-ture nouvelle de ce cas, lecture guidée par l'interprétationdu charivari comme dénonciation, par l'enfant, du com-portement de sa mère avec le cocher, à Gmunden, faisantécho, chez Freud, à quelque expérience semblable vécueà Freiberg (?), début de sa propre phobie. Il n'est pasnon plus indifférent, pour notre étude, que la famille duPetit Hans soit un milieu artistique, musical et littéraire,très proche de Freud (la mère de l'enfant ayant été analysée

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par lui, et le père étant un de ses disciples). Dans un com-mentaire daté de 1942, Max Graf, le père de l'enfant,« rappelle qu'il demeura un certain temps dans le cerclescientifique de Freud, non en tant que médecin, maiscomme écrivain et comme critique musical (...) M. Grafse souvient d'avoir présenté, au cours de ces réunions, desétudes sur les aspects psychologiques d'œuvres musicalesde Beethoven et de Wagner» (181, 19 et 20).

1 - L'insatisfaction de Freud:

Au cours de l'analyse du Petit Hans nous voyonsFreud, à trois reprises exprimer son insatisfaction quantà la compréhension à laquelle il arrive, avec le père del'enfant, de la question du « charivari ». Ainsi écrit-il :« L'histoire du "charivari" est aussi peu éclaircie que celledes culottes jaune et noire. » (46, 137) L'hypothèse d'uninvestissement auto-érotique de la défécation, reprise parFreud à la page 170 du même texte, est suivie immédiate-ment, par lui-même, de sa mise en doute en ces termes:« Mais, quoi qu'il en soit, ces sources de plaisir n'ont paschez Hans l'importance particulièrement frappante qu'ellesont si souvent chez d'autres enfants. » Freud conclut sonétude sur cette même insatisfaction: « Peut-être eut-on puutiliser la peur de Hans du "charivari fait avec les jam-bes" afin de combler encore des lacunes dans le dossierde notre démonstration... » (46, 189) Il reprend alors, sansconviction, l'autre hypothèse avancée, celle qui, par la cor-respondance «loumf »-enfant, laisserait entendre chezHans la question du plaisir/déplaisir-contrainte pris par lamère dans la mise au monde d'un enfant. Il rappelleensuite qu'il a émis l'hypothèse selon laquelle le petit Hansaurait assisté au coït de ses parents, hypothèse fortementrejetée par le père.

2 - L'interprétation donnée par Jean Bergeret

Voici résumée la situation telle que l'analyse J. Berge-ret, après avoir souligné les lacunes, hésitations, incohé-rences, du texte freudien concernant cette observation:«Pendant que la mère était avec le cocher, la bonnejouait, elle aussi, "au cheval" avec l'autre homme qui lesavait accompagnés (p. 147) et Hans était demeuré seul dansla voiture. Devant un tel spectacle, il ne pouvait plus maî-

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triser son excitation, violente et sexuelle à la fois; le résul-tat de ces deux poussées non négociables sur le registreimaginaire éclatait alors sous la seule forme de résolutionpossible sur le moment, c'est-à-dire une forme somatisée:Hans faisait pipi dans son pantalon pendant que tous ceschevaux fouettés déclenchaient un grand charivari encoredans le fonctionnement imaginaire du Petit Hans. » (181,94-95) Les conséquences sur le développement du petit gar-çon sont celles d'une inscription traumatique: « La façondont la mère aurait rompu le charme, la façon dont ellese serait exhibée à Gmunden, en prenant son plaisir à lafois en dehors du père et en dehors de Hans, c'est-à-direen opposition brutale et provocatrice à leur égard, et, enplus, avec un subalterne qu'elle montre leur préférer, cons-tituerait en soi le traumatisme. » (181, 101) Et encore:« Le facteur traumatisant découle du fait même de cettecarence d'intégration imaginaire à un registre davantagegénital et de l'enregistrement au contraire de la scène vécueà un registre essentiellement violent, menaçant le narcis-sisme. » (181, 195) C'est sur cette violence que Bergeretinsiste: « La phobie de Hans signe l'échec d'une élabo-ration convenable de la représentation de la scène primi-tive. L'agression constituée par un exhibitionnisme desébats d'adultes, survenu de façon trop précoce, trop bru-tale et trop provocatrice et impliquant trop directementl'enfant, semble avoir empêché Hans de construire un fan-tasme ayant valeur opératoire, où figureraient à la fois ledésir et l'interdit. » (181, 211-212)

A - Sensibilité sonore et violence

La première observation que nous ferons concerne lasensibilité du petit Hans pour le sonore. Nous relevons,en effet, une bonne douzaine de bruits différents auxquelsHans réagit et, pour la plupart d'entre-eux, par une forteangoisse. La deuxième observation se rapporte justementà la façon dont cet enfant en parle. On ne peut que s'éton-ner qu'un enfant qui s'exprime avec tant d'intelligencen'utilise, pour nommer ce qui l'intéresse le plus vivement,et fait l'objet de ses frayeurs, le seul mot de « charivari»(ou plutôt « Krawal machen »). D'où vient cette appella-tion générique? Qu'est-ce qui s'oppose à la différencia-

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tion de ces bruits? Ou bien qu'est-ce qui les regroupenécessairement pour cet enfant, faisant de l'ensemble decette observation un véritable jeu du « schmilblic » (enréférence au célèbre sketch) ?

A la première question nous ne pouvons répondre qu'endénonçant l'infléchissement du sens provoqué par la tra-duction française. Le terme de « charivari» est connotéde façon très particulière et ne se trouve généralement pasdans la bouche d'un enfant. On sait, en effet, que dansnotre culture, il s'agit d'un tapage - spontané ou orga-nisé -, manifestation de condamnation d'un désordresocial, moral (liaisons hors mariage, couples considéréscomme mal assortis, cocus, etc.). Le dictionnaire traduitl'expression allemande « Krawal machen » par « faire duchambard », et associe les termes de tapage, chahut,tumulte, boucan. La traduction anglaise a donné « row»,se disputer, faire du raffut, du barouf, du ramdam, etc.

Il est tout aussi remarquable que Maria Torok (1975)ait, elle, repris cette expression sous la forme de « fairescandale» (205, 443). Ce qui reste de commun à ces tra-ductions c'est la notion de bruit intense, de manifestationviolente. Il ne s'agit pas d'un bruit naturel, fortuit, fut-iltrès fort, mais d'une action intentionnelle. Alors est-ce parintuition - si l'on retient l'interprétation donnée actuel-lement par J. Bergeret - que la traduction française aitretenu ce terme, qui est déjà une interprétation, de « cha-rivari » ?

Cet auteur précise à propos du terme allemand: « Enallemand, pour évoquer ce genre de chahut, on emploieplus habituellement le terme de "Katzen Musik" (musi-que des chats), et "Krawal" est surtout utilisé pour dési-gner un vacarme, un chahut général, parfois une bagarre.Cependant, le Volksbrockhaus de 1830 indique que le termede Krawal peut être utilisé en allemand dans le même sensde vacarme de réprobation sexuelle qu'en français; en par-ticulier à la frontière autrichienne. Il s'agirait donc pourHans, comme pour Freud, de marquer par l'emploi de ceterme la dénonciation bruyante (mais sous une forme paro-dique conjuratoire, comme dans une mascarade) de l'actionmaternelle violente dirigée contre le père, tout autant queles conséquences violentes à l'égard de la mère pouvantrésulter de cette action. » (181, 115-116) Et « La phobiede Hans pourrait donc correspondre à un désordre bruyant

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destiné à manifester à sa façon un charivari réprobateuret angoissé à la fois, auquel il se sentirait personnellementimpliqué. » (181, 125). Rappelant les conditions habituel-les des charivaris, Bergeret commente: « Il m'a semblé quetoutes ces conditions se voyaient requises dans l'épisodequi se serait déroulé devant le Petit Hans: le mari absent,des partenaires d'âges différents et de rangs sociaux dif-férents, sont pris en compte dans mon hypothèse concer-nant des exactions libertines dont la mère du Petit Hansse serait rendue coupable, et de façon visible, à Gmun-den. » (181, 114) Nous ajouterons à ce commentaire quele mot « charivari» (Krawal machen) repris de façon sirépétitive et complice par les trois partenaires - le PetitHans, son père et Freud - à la fois dénonce et main-tient, soutient, la censure commune (J. Bergeret recense25 utilisations du terme dans ce texte).

Voyons maintenant comment ce terme est employé parle petit garçon. Nous pouvons distinguer des « charivaris»d'action et des « charivaris» de réaction. Parmi les pre-miers se trouvent deux catégories:

- taper du pied, trépigner, donner les coups de pied,trotter, sauter, battre, fouetter, et aussi crier (les « hue!hue» du cocher), être en colère; la notion de « tapage»est ici très présente;

- faire «loum! », faire pipi, le bruit de la chassed'eau, c'est-à-dire les bruits liés aux fonctions corporel-les. Parmi les « charivaris» que l'on peut dire de réac-tion nous trouvons: crier (les cris de sa sœur battue), hen-nir (les hennissements du cheval fouetté), les gémissementsde sa mère qui accouche.

Dans cet ensemble de situations, la seule différencia-tion amenée par l'enfant est celle qu'il fait entre « petit»et « grand» charivaris (différence qui correspond à celledes « fait pipi» féminin et masculin). A ce niveau cogni-tif on peut observer qu'il s'agit d'interrogations concer-nant un geste sonore et que l'assimilation faite par l'enfantde ces différents bruits est soutenue par l'hypothèse de based'une similarité des situations évoquées. L'usage d'unmême mot, d'un mot-valise, le « charivari », le tapage, està considérer comme une forme de questionnement adresséà l'adulte quant à cette hypothèse de base. Au niveau pul-sionnel, le dénominateur commun à ces bruits est à la foisl'importance de l'implication corporelle, sexuelle et nar-

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cissique, et la violence de l'affect comme de sa manifes-tation sonore: vacarme, tapage - violence acoustique -,charivari - violence morale et sociale -. La centrationsur cet élément sonore et sur sa dénomination condenseces deux aspects: la fixité, la répétition, l'impossibilitéd'élaborer, d'une part, l'expression des violences subies(sensorielle - acoustique -, affective, morale et sociale)par l'enfant, d'autre part.

B - Voir ou entendre

Voir ou entendre, cette question se rapporte, dans l'his-toire du Petit Hans, à la différence des sexes, à la castra-tion et, bien sûr, au traumatisme lui-même.

L'enfant interroge sur deux modes:- le mode visuel: il s'agit de voir le « fait PIPI»

féminin,- le mode sonore: par l'attention portée au « chari-

vari » et les explications attendues, à ce niveau, de la partde l'adulte. C'est l'approfondissement de l'analyse qui per-met à ce dernier - le mode sonore - d'apparaître, der-rière la question visuelle, et de se. déployer, sans trouverd'ailleurs d'issue favorable. Qu'est-ce qui fait passer de l'unà l'autre, du visuel au sonore? Il semble que ce soit l'échecde l'expérience visuelle. Hans le reconnaît, il a maintes foisobservé le « fait pipi» des petites filles et celui de sa mèreet s'il a renoncé à y voir l'équivalent du sien - suite àl'information donnée par le père - le fait de ne rien yvoir n'est pas concevable I.

De ces recherches il reste une incertitude liée globale-ment au visuel, incertitude qui contraint à répéter indéfi-niment l'expérience: le visuel n'apporte pas la preuve (lesprémices du raisonnement étant fausses). A ce point l'expé-rience visuelle est traumatique. Elle l'est doublement pourle petit Hans, habité par cette scène de Gmunden, dansl'obscurité de la nuit, scène régulièrement démentie parl'adulte. Aussi l'évoque-t-il, par analogie, avec la scène del'accouchement: « Il faisait tout à fait nuit et la cigognel'a mis tout doucement dans le lit, n'a pas fait de bruit

1. Cf. le développement que font Braunschweig et Pain de ce « nonreprésentable» (184).

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du tout avec ses pieds, et puis elle a pris son chapeau,et puis elle est repartie. » (46, 142) Cette scène « tout-à-fait-silencieuse », constitue l'opposée, sur le plan sonore,de la scène du charivari, elle aussi dans l'obscurité.

Ces différentes comparaisons sonores ne sont pas sanscontradictions. Ainsi, au sujet de sa peur de la chassed'eau, Hans dit qu'il a peur du bruit, peur que l'onretrouve d'ailleurs chez beaucoup d'enfants. Pourtant ilprécise un peu plus tard qu'il aime entendre ce « chari-vari » quand il est fort (au début), mais qu'il ne supportepas de rester lorsqu'il est faible (à la fin). On se seraitattendu à l'inverse s'agissant d'intolérance au bruit. Le lap-sus dont il accompagne son commentaire montre, s'il étaitnécessaire, que l'enjeu est bien au-delà de la question del'intensité sonore. Dans ce lapsus Hans substitue le voirà l'entendre: « un charivari fort, j'aime toujours le voir(il se corrige) l'entendre... » (46, 137) ; le voiL.. l'enten-dre... de la scène primitive.

Le Petit Hans isole l'élément sonore des situations, sousla dénomination générique de «charivari », tout en nerenonçant pas à poursuivre son investigation, « il y a cha-rivari et charivari» semble-t-il dire...

Ainsi le récit de l'accouchement s'oppose au charivaride la scène de la chute (mouvement des jambes, bruit),comme à celui de la scène sadique (battre, fouetter, etc.),scènes qui se rapportent aux hypothèses concernant la scèneprimitive. Déjà l'enfant avait différencié un « charivari »grand, fort, d'un « charivari» petit, faible, malheureuse-ment les interventions du père ont à ce moment interrompules associations de l'enfant en l'orientant vers la différencefoumf/pipi.

Il est pourtant remarquable que la seule différencesonore faite par l'enfant corresponde justement à la dif-férence visuelle précédemment utilisée entre le « grand faitpipi» et le « petit fait pipi », avec toutefois une accen-tuation des qualités proprement sonores, par les qualifi-catifs associés de « doux, faible, fort ». Nous avons déjàvu comment l'enfant manifeste sa sensibilité auditive, àpropos de la chasse d'eau dans la différence entre l'atta-que du son et sa chute (différence d'ailleurs musicale, ins-trumentale.. .), sensibilité aux éléments dépressifs (la perte,l'arrêt, la mort).

C'est dire que ces catégories renvoient, selon notre

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hypothèse, à l'interrogation sur la différence des sexes,l'investigation passant du visuel - traumatique ~ ausonore. Car si « on n'y voit rien» du côté du « fait pipi»féminin « on y entend pourtant bien quelque chose» ! Etfort de cette contradiction le Petit Hans va désormais« choisir» de s'en tenir à l'information sonore. L'isola-tion de l'élément sonore servirait ainsi la non-prise encompte de l'information visuelle, trop insoutenable, le PetitHans entend ainsi ce qu'il ne peut voir, élément récon-fortant, car s'il entend bien une différence, dans l'acted'uriner, entre la fille et le garçon, cette différence sou-tient, justement, la dénégation du manque. « Grand cha-rivari », «petit charivari» s'accordent particulièrementdans les moments passés avec sa mère aux W.C., produc-tions sonores, de voix concertantes. Et l'échec visuel n'estrien auprès de ce plaisir triomphant. L'investissement quel'enfant fera de la musique n'est sûrement pas sans lienavec cette difficulté à élaborer l'angoisse de castration.

Ces observations nous amènent à commenter les rap-ports du visuel, du sonore et du verbal dans cette situa-tion. Le détournement opéré par le Petit Hans du visuelau sonore entraîne-t-il avec lui la menace verbale faite parla mère? Freud associe dans le texte la maîtrise de l'ona-nisme et l'intérêt manifesté par l'enfant à l'apprentissagede la musique: « Nous voyons comment notre petit patientdevient la- proie d'une grande poussée de refoulement quifrappe justement ses composantes sexuelles dominantes (1).Il renonce à l'onanisme, il repousse avec dégoût tout cequi lui rappelle les excréments et le fait de regarder d'autrespersonnes satisfaire leurs besoins naturels. » (p. 191) Lanote (1) de bas de page correspond à cette observation con-cernant la musique: « Le père de Hans a même observéque concuremment à ce refoulement une part de sublima-tion se manifeste chez Hans. Dès le début de son étatanxieux, Hans montre une recrudescence d'intérêt pour lamusique et son don musical héréditaire commence à sedévelopper. » (46, 191) On sait que la carrière de Her-bert Graf (le Petit Hans) se déroula essentiellement dansl'art lyrique. « La carrière théâtrale de Herbert Graf débutapar le chant; cette période lyrique fut courte; elle com-mença à l'Opéra de Münster en 1925 dans le rôle de Spa-lanzani des Contes d'Hoffmann. Mais, très vite, H. Grafs'orienta vers la mise en scène et sa première réalisation

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fut un Figaro, toujours à l'Opéra de Münster. » (181, 26)Et G. Bouquerel précise dans l'article qu'il consacre à« Herbert Graf (1903-1973) », qu'il fut l'un des plus grandsmetteurs en scène d'opéra de son temps, sur les scènes lesplus connues, enseigna le chant et la mise en scène et mani-festa un esprit très ouvert et curieux, notamment dans lesdomaines de l'architecture et de la communication (183,67-68). Dans cette carrière, le voir et l'entendre occupè-rent, comme on le constate, la place centrale. On sait aussique le père était un grand amateur de Wagner et de Mahler(ce dernier étant le parrain du Petit Hans). C'est dire quel'intensité dramatique était bien rendue par le sonore, lamusique, dans l'environnement quotidien du Petit Hans.Et J. Bergeret commente ainsi cette carrière: « Si Her-bert Graf a passé sa vie à mettre aussi adroitement enscène, par la suite, les passions amoureuses (des autres),c'est sans doute en raison de son besoin de chercher à satis-faire un auto érotisme précocément perturbé et de réaliserdes fictions correspondant à des scènes amoureuses demeu-rées bloquées en lui au niveau d'hallucinations négativesimpossibles à représenter autrement. » (181, 230-231)

Avant de clore ce chapitre, et loin d'épuiser le sujet,nous citerons cette lettre de Freud à Abraham, annonçantle manuscrit du Petit Hans (le 26/12/1908). Freud, friandsemble-t-il de « charivaris» parle de ses attentes: « L'endé-mie de Charlottenburg est savoureuse. Un foyer analoguesemble exister à Munich et avoir touché les artistes les plusfarfelus et autres personnes semblables. Il arrivera sansdoute un jour ou l'autre qu'un grand vacarme se déclen-che, pourvu que le branle ait été donné quelque part. Maisil ne faut pas s'en réjouir. Toute théorie, en se populari-sant, perd tellement de choses précieuses. » Et il poursuitquelques lignes plus loin: « Je m'attends à ce que l'his-toire du cas de l'enfant de cinq ans, qui ouvrira notre Jahr-buch et dont j'ai les épreuves à corriger, produise des réac-tions de défense qui feront un vacarme énorme. Encorequelques idéaux allemands en danger! » (166, 70)

Scandale que le dévoilement de la sexualité de l'enfant,même si, pour le faire, et afin d'éviter un véritable chari-vari, il est bon de ne pas ébruiter celle des adultes con-cernés... Et la répétition du mot charivari, constituera unesorte de conjuration commune du père, de Freud et duPetit Hans.

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11-5 - Variations: le sonore et le statut de l'excita-tion dans la théorie freudienne

Les développements précédents soulignent la façon dontFreud élabore sa réflexion sur deux qualités de la dimen-sion sonore: l'attraction, la séduction des rapports entreles sons, d'une part, l'excitation provoquée par l'entenduprécoce, d'autre part.

Dans les deux cas l'hypothèse de base est la même, lematériau sensoriel ne serait que le support privilégié d'uneexpression pulsionnelle. Mais si la première peut être dited'origine œdipienne, la seconde touche le sujet dans sonimmaturité psychique, au niveau narcissique. Dans les deuxcas encore, le sujet se trouve passivement agi, excité parle stimulus sonore. Freud centrera beaucoup sa recherchesur le rêve et le fantasme, c'est-à-dire sur le travail d'éla-boration psychique; cette condition première de l'excita-tion sensorielle restant plus attachée, dans sa théorie, ausujet difficile et souvent repris du traumatisme.

Pourtant cette question de l'excitation est déjà celleposée en 1888 dans l'Esquisse d'une psychologie scientifi-que, où Freud tente d'en matérialiser et d'en localiser ana-tomiquement les différents neurones et parcours. Il s'orien-tera alors vers une analyse économique de l'énergie ainsimobilisée et une théorisation de la thérapie par la décharge,la catharsis (comme nous l'avons vu à propos du cri),décharge de l'énergie sexuelle bloquée, dans la névrosed'angoisse, ou du traumatisme lié à la scène primitive, dansl'hystérie.

C'est souligner l'importance qu'il accorde - commefacteur étiologique de maladies mentales - à cette posi-tion passive dans l'excitation subie (de l'intérieur commede l'extérieur). Et, dans cette économie particulière, lesonore tient une place privilégiée. Celle-ci est justifiée parplusieurs hypothèses dont une hypothèse génétique centrale.

A - Perception sonore et immaturité

Il existe un décalage important entre les phases du déve-loppement génétique de l'élaboration de la sensorialitésonore.

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La sollicitation externe arrive sur un terrain immature,c'est-à-dire sans la correspondance interne indispensable autravail d'élaboration psychique. La précocité de la percep-tion sonore - dont nous connaissons maintenant le rôledéjà chez le fœtus - et son décalage par rapport au déve-loppement visuel (de fait plus limité et pauvre avant lanaissance) en font un vecteur particulier de la relation aumonde extérieur, stimulations que le fœtus ne peut enre-gistrer que passivement. Mais Freud n'avait pas à sa dis-position ces nouvelles connaissances.

A cette précocité de la réception sonore fait suite, à partirde la naissance - et donc en décalage temporel - la pos-sibilité de production sonore, et de réponse sonore, essen-tiellement émotionnelle: le cri, dont nous avons pu obser-ver la place que lui donne Freud dans la différenciation del'affect. Ces premières productions sonores pourraient doncêtre considérées comme intimement associées à la mise enplace du répertoire des affects. Le fantasme conjuguerait,justement, ces deux éléments, auditif et affectif.

Ce décalage entre réception et expression sonore ren-force le caractère subi et l'impossibilité de décharge cor-respondante. S'y ajoute le décalage essentiel auquel Freudaccorde la plus grande importance, bien que plus tardif:le décalage entre les capacités réceptives sonores et la maî-trise de l'expression verbale. A ce décalage nous sommestentée d'accorder la qualité de « musical» dans la mesureoù, justement, il y est question des rapports des sons entreeux, rapports qui détermineront - en référence à la cul-ture - leurs destins musical ou verbal. C'est à cettepériode du développement que Freud situe les paraphasiesde l'enfant, à l'origine des calembours. Décalage ainsi nonplus dans la décharge physique, l'expression sonore, maisla décharge psychique, la possibilité de verbaliser le ressenti.

Enfin ces décalages spécifiques à la sphère sonore setrouvent conjugués à la lente maturation du développementsexuel, les excitations s'y rapportant ne trouvant alorsaucune interprétation adéquate, s'exercent sur la face subiede l'excitation - avec son potentiel traumatique - dansla vacuité de l'élaboration psychique. Ainsi la précocité dudéveloppement auditif, la lenteur de l'acquisition de la maî-trise de la parole, peuvent être globalement comparés auxdécalages correspondants au niveau du développementsexuel.

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B - De la jouissance sonore

Il existe des correspondances symboliques entre exci-tation sonore et excitation sexuelle, correspondances dontcertaines ont été utilisées par Freud comme métaphorespour sa construction théorique.

La pulsion, nous l'avons vu, a la violence et l'inten-sité du bruit, de plus elle ne tient pas compte de l'ordreétabli et, tout comme le bruit, elle «fait désordre» !Comme lui elle est extensive à la vie, il vaut donc mieuxlui trouver une issue supportable (cf. la métaphore sonoredu refoulement). Nous retrouvons ici l'insistance de ladimension économique. Sur ce plan la métrique musicalene constitue-t-elle pas un ordonnancement culturel parti-culièrement étudié et appréciable?

Une autre caractéristique du sonore est son intrusivité,sa pénétration, qualité que le mythe de Pan a remarqua-blement illustrée (cf. notre article à ce sujet, 196) : pos-session, pénétration jusqu'à la transe de la panolepsie, auxcrises d'épilepsie, ou l'effroi de la panique. Nous retrou-vons bien là le rapport avec l'excitation sexuelle et l'échoà la théorie du traumatisme chez Freud. Car c'est bien cetteimpréparation qui explique l'effet d'effraction dans lepsychisme de l'enfant. Mais si l'expérience de l'entenduest intimement liée à cette béance de l'oreille, on peut aussiconsidérer que s'y joue quelque chose de la qualité récep-tive de la sexualité féminine.

Ainsi, les difficultés rencontrées par Freud dans l'éla-boration de la théorie du traumatisme (atteinte physiqueou psychique, réelle ou fantasmée) pourraient avoir quel-que lien avec cette dimension et la problématique de lacastration qui lui est attachée.

Une autre dimension génitale de l'excitation sonorevient compléter cet axe de la passivité, sur la face interne,il s'agit de la production involontaire de bruits corporelsqui, à l'image de la pollution échappent au contrôle. Etcomme nous l'avons déjà plusieurs fois évoqué, ces carac-téristiques du sonore trouvent aussi leurs correspondancesaux niveaux oral et anal.

Avec le cri, Freud a abordé directement la face activede l'excitation sonore, cette amplification de la voix qui,dans le plaisir, produit l'enchantement (terme souvent uti-lisé par Freud) du soi, dans la jouissance sonore.

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La représentation:La charge traumatique de l'excitation semble amener

Freud à trouver un terrain plus serein pour l'élaborationthéorique, celui des représentations. Il s'agit là d'un sautqualitatif que lui suggère son intérêt pour les rêves, et quisoutient sa mise à l'index de l'argument avancé par plu-sieurs de ses prédécesseurs concernant le rôle des excita-tionssensorielles dans la détermination de leurs contenus.Nous sommes d'autant plus attentive à ce point que, surle plan sonore justement, cette belle démonstration vaéchouer. C'est ce que nous étudierons maintenant.

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III

VOIR, ENTENDRE,OU DE LA REPRÉSENTATION

La règle de l'entendu du rêve, énoncée répétitivementpar Freud, véritable leitmotiv, constitue un butoir pour lapensée. Par elle Freud consacre l'isolation des deux vec-teurs sensoriels privilégiés, le visuel d'un côté, le sonorede l'autre. Et encore, de cet univers sonore, seule l'abs-traction verbale, sous la forme de la représentation de mot,trouve place dans la théorie.

111-1 - Un bémol à la clé

A - La règle de l'entendu du rêve

Dès 1900 Freud avance un principe qu'il maintiendrajusqu'au bout, principe qui relie les paroles entendues dansle rêve (de façon hallucinatoire) au souvenir de celles-ciappartenant au jour précédent. Ce principe qui pose ainsi,de façon ferme, le réel de l'entendu, fut-il en rêve, nousfrappe par sa place paradoxale dans l'œuvre de Freud. Cedernier ne va-t-il pas là à l'encontre même de sa décou-verte, la réalité psychique, l'inconscient, le travail du rêve?Il y aurait ainsi un secteur sensoriel qui échapperait à cesprocessus. Ce qui étonne c'est le côté péremptoire de cetteaffirmation et la fixité de sa répétition dans l'œuvre. Freudnous a, au contraire, habitués à une élaboration par repri-

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ses successives, c'est-à-dire questionnements, réévaluations,voire corrections. Il semble manifeste qu'il y a là unebutée, ou un point « sourd ».

Voici la première formulation de cette règle, au chapi-tre cinq de L'interprétation des rêves, « le matériel et lessources du rêve », le sonore faisant partie du matériel durêve, au moins dans ce cas précis. Freud énonce: « Quand,dans un rêve, quelque chose a le caractère d'un discours,est dit ou entendu au lieu d'être pensé - on le distingueordinairement sans peine -, cela provient de discours dela vie éveillée. Sans doute, ceux-ci sont traités comme dela matière brute, on les fragmente, on les transforme unpeu, surtout on les sépare de l'ensemble auquel ils appar-tenaient. »(25, 165) Sur ce type de formulation dogmati-que Freud ne reviendra pas, sauf à se répéter. Notons tou-tefois que déjà la deuxième phrase amorce un compromisentre ce qui vient d'être dit et l'ensemble de la théorie,Freud sent bien la contradiction. Il concède donc le dépla-cement et la fragmentation, il va même jusqu'à suggérerune transformation « un peu », mais sans pouvoir inté-grer celle-ci aux processus du travail du rêve, pourtantappliqués à tout autre matériel. Car, si c'était le cas, lapremière formule tomberait d'elle-même.

Les deux procédés ici reconnus sont l'isolation, par ledéplacement dans le temps - de la veille au sommeil -,et l'usage particulier qui est fait de ce matériau sonore:représentation de mot traitée comme représentation dechose suivant les règles de fonctionnement des processusprimaires; et là est bien l'originalité de ce que nousapprend Freud.

B - Restes diurnes

Voyons comment se situe cette première affirmation.Freud commence son chapitre avec un autre principe géné-rai: « ... J'affirmerai d'abord que tout rêve est lié auxévénements du jour qui vient de s'écouler. » (25, 149). Ilinsiste encore plus loin en reprenant: « .., il y a une con-dition qui se retrouve toujours: une partie du contenu durêve doit reproduire une impression récente de la veille. »{25, 162) Cette affirmation se trouve donc soutenue parles rêves à contenu sonore: les paroles entendues en rêve

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ont été entendues dans la réalité, le jour précédent. Plu-sieurs exemples sont donnés, dont deux à contenu sonore,le rêve du boucher, et celui du piano à accorder. Freuda donc pour objectif de démontrer la relation avec les res-tes diurnes, et plus précisément avec le jour précédent lerêve. Il doit y avoir contiguïté entre activité diurne et acti-vité nocturne, les restes diurnes découverts dans le rêveen sont la matérialisation. Mais seuls les exemples con-cernant les paroles entendues traitent d'un réel simplementdéplacé d'un temps à un autre. Ainsi, dans l'exemple sui-vant, le rêve de la bougie: « Elle. place une bougie dansle chandelier; la bougie est cassée, de sorte qu'<rlle tientmal. Les petites filles de l'école disent qu'elle est mala-droite; mais la maîtresse dit que ce n'est pas de safaute. » Commenté par Freud: « L'occasion, dans ce casencore, était réelle; elle a bien mis hier une bougie dansle chandelier; mais celle-ci n'était pas cassée. La symbo-lique ici est transparente... » (25, 167). On voit doncl'usage particulier fait du résidu, transformation en scène,image visuelle, et sa modification. Rien de commun doncavec le renvoi que fait Freud de l'hallucination sonore durêve à la réalité de la perception de la veille, on ne saitrien des dires des petites filles et de la maîtresse. Voiciun autre exemple, le rêve d'une de ses malades, du pianoà accorder: «Son mari demande: "Ne faudrait-il pasfaire accorder le piano ?" Elle: "Ce n'est pas la peine,il faut d'abord le faire recouvrir." » C'est de nouveau larépétition d'un événement réel du jour précédent. Son maria bien demandé cela et elle a répondu de cette manière.Mais pourquoi en rêve-t-elle ? Elle dit bien que ce pianoest une boîte dégoûtante qui donne un mauvais son, queson mari l'avait déjà avant son mariage, etc., mais la solu-tion nous sera donnée par la phrase: « Ce n'est pas lapeine, je m'en vais tout de suite. » (25, 166). Freud porteson investigation sur la réalité des paroles, s'enquiert decelles-ci, au détriment de sa propre technique d'associa-tion. Ne trouvons-nous pas là trace de la façon dont lathéorie du traumatisme a longtemps était à l'origine desquestions précises, insistantes, voire même des suggestions(cf. Katharina) qu'il introduisait dans son travaild'analyse? Et, de la même façon ici, il finit par obtenirla preuve, par la malade, de la réalité du traumatismesexuel, de sa perception sonore.

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Qu'il nous suffise de repérer cet « archaïsme» dans lefonctionnement de sa technique, lorsque Freud ramènesystématiquement l'hallucination sonore du rêve à la réa-lité diurne.

C - Un archaïsme

Voyons comment cet « archaïsme» chemine dans l' œu-vre. Il pose d'emblée un problème de cohérence. Freudreprend plusieurs fois, pour les récuser, les argumentationsde ses prédécesseurs concernant les rêves qui seraient l'effetd'un stimulus extérieur, notamment sonore (les rêves duréveille-matin, par exemple). Comment soutenir, dans lemême temps, un principe qui s'attache tellemënt à relierle sonore du rêve à l'expérience perceptive de la veille?Comment expliquer que ce principe ne s'applique qu'auxparoles et pas aux bruits, aux sons? Alors que sur ce planles exemples montrent, par les expériences de stimulationssonores réalisées sur le dormeur, que le bruit entendu dansle rêve (lorsque c'est le cas) ne correspond pas forcémentau stimulus sonore. Le propre rêve de Freud, « le papeest mort» illustre d'ailleurs ce point puisqu'aux clochesdes églises il substitue, en rêve, ces paroles. Freud demandelui-même explication à ses adversaires: « Les représentantsde la doctrine organique doivent nous expliquer: d'abordpourquoi, dans le rêve, le stimulus externe n'apparaît passous sa forme propre, mais est toujours méconnu (cf. lesrêves liés à la sonnerie du réveil p. 33) ; ensuite pourquoila réaction de l'esprit à ce stimulus méconnu est tellementvariable. » (25, 195) Nous ajouterions: le partisan de ladoctrine de l'origine psychique, inconsciente du rêve,devrait nous expliquer pourquoi fait seule exception à larègle du «travail du rêve» la part sonore verbale?D'autânt que son argumentation porte justement sur cettepart de réalité: « Il est inexact que les éléments du rêvequi proviennent d'impressions réelles ressenties pendant lesommeil (de stimuli nerveux) se distinguent des autres parleur vivacité. Le facteur de réalité n'a aucune valeur pourla détermination de l'intensité des images du rêve. » (25,283-284) Pourquoi donc prend-t-il une valeur lorsqu'il s'agitd'hallucinations verbales? Et comment le déplacement tem-porel, entre souvenir diurne et rêve peut-il à lui seul expli-

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quer la part du rêve dans ce cas? Et puis Freud n' a-t-ilpas aussi écrit: « Des expériences personnelles me porte-raient à croire que le travail du rêve dure souvent plusd'un jour et une nuit, ce qui enlève tout caractère mer-veilleux à ses constructions» (25, 490) ? Alors pourquoitant s'attacher à rapporter au jour précédent la paroleentendue en rêve?

Nous retrouvons le principe de l'entendu du rêve dansle chapitre sur le travail du rêve, justement, à propos dela condensation: « Quand dans le rêve apparaissent desdiscours reconnus comme tels et nettement distincts despensées, on peut toujours considérer que ce sont des sou-venirs de discours réels. Les mots peuvent être restés lesmêmes ou avoir légèrement changé. Il arrive que le dis-cours du rêve soit fait d'une fusion de plusieurs discoursremémorés; les mots sont alors ceux qui ont été communsà tous les discours, leur sens peut être multivoque et plusou moins transformé. Souvent le discours du rêve ne faitque faire allusion à l'événement au sujet duquel il a étéprononcé. » (25, 263) On observe ici, dans la précisionapportée, l'insistance sur ce caractère de réalité. ToutefoisFreud ajoutera, dans l'édition de 1909, une précieuse noteen bas de page: « L'unique exception que j'aie rencon-trée m'a été fournie par un jeune obsédé dont l'intelligence,d'ailleurs remarquable, était demeurée intacte. Les discoursqui apparaissaient dans ses rêves ne provenaient pas despropos précédents, mais correspondaient exactement à sesobsessions, qui pendant la veille se traduisaient tout autre-ment. » (25, 263) Alors faudrait..il être surdoué ou encoreobsessionnel? Comme on le sait ce jeune malade est« l'homme aux rats» ; nous reviendrons sur cette excep-tion.

D - Le rêve ne crée pas

C'est encore dans ce même chapitre sur le travail durêve que Freud reprend ce principe mais en l'articulantcette fois avec une autre question, celle de la création, etune autre règle: le rêve ne crée pas. « ... Le travail durêve ne saurait non plus créer des discours. Dans la mesureoù des discours et des réponses apparaissent dans les rêves,qu'ils soient sensés ou déraisonnables, l'analyse montre cha-

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que fois que le rêve n'a fait que reproduire des fragmentsde discours réellement tenus ou entendus qu'il a emprun-tés aux pensées du rêve et employés à son gré. Non seu-lement il les a arrachés de leur contexte et morcelés, a prisun fragment, rejeté un autre, mais encore il a fait dessynthèses nouvelles, de sorte que les discours du rêve, quiparaissaient d'abord cohérents, se divisent, à l'analyse, entrois ou quatre morceaux. Dans ce nouvel emploi, le sensque les mots avaient dans la pensée du rêve est souventabandonné: le mot reçoit un sens entièrement nouveau. »(25, 357) Ce que le rêve peut faire, c'est jouer sur le sensdes mots, jouer avec leur matériau, mais ces mots ont dûêtre entendus préalablement. Freud ajoute d'ailleurs unenote musicale à ce texte, puisqu'il s'agit d'une patiente quiest hallucinée et entend des chansons, involontairement.Freud met en évidence un jeu sur les mots - les parolesde la chanson - par relation tonale (mais il ne le signalepas) : «fromme Waise» pour «fromme Weise» (<<pieuseorpheline» pour « pieux refrain») ; une réduction entraî-nant une autre signification: « 0 bien heureuse, ô joyeusenuit... » pour « nuit de Noël », laissant ainsi entendre qu'ilpeut s'agir d'une nuit de noces... Freud remarque bien àce propos que « ce même mécanisme de déformation peutaussi se produire sans hallucinations par simple imagina-tion » (25, 357) mais ne poursuit pas l'interrogation surpourquoi donc l'hallucination est-elle nécessaire dans ce caset pourquoi ici passe-t-elle par la musique plutôt que parle texte seul (Freud ne faisant porter son analyse, nousl'avons vu, que sur ce dernier) ?

Il ressort donc de cette citation que le rêve n'utilise quedes mots réellement entendus sur lesquels il peut faire untravail de fragmentation et de synthèse, pouvant être àl'origine d'une modification du sens dU discours entendu.Le rêve qui comporte des paroles entendues se trouve donc,pour Freud, devoir répondre à deux principes: celui d'unrapport nécessaire aux restes diurnes de la veille, et celui,qui vient le renforcer, de l'impossibilité pour le rêve decréer un quelconque discours. Et cette position doit êtretenue alors même que du côté des pensées du rêve, commede celui des autres éléments sensoriels qui le composent,cette règle de la réalité ne jouant pas, une grande libertéest laissée au travail du rêve. Dans ce même paragrapheFreud d'ailleurs le précise, les pensées du rêve (ce qui

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n'apparaît pas comme un discours perçu) sont comme lespensées de la veille « ... elles passent dans le rêve sans subirde changement. (...) Mais tout ce qui apparaît d'unemanière nette comme discours peut être ramené à des dis-cours réels, tenus ou entendus par le rêveur. » (25, 358)Freud donne encore quelques exemples à l'appui de sathèse. Pourtant l'analyse qu'il propose de «l'exemple-type» - puisqu'il tiendra la place de beaucoup d'autresqui donneraient les mêmes résultats (25, 359), celui descadavres brûlés, ne saurait nous satisfaire. En voici le texteet son interprétation: « Une grande cour où l'on brûle descadavres. Il dit: "Je m'en vais, je ne peux pas regarderça." (Pas de discours distinct). Puis il rencontre deux petitscommis de boucherie à qui il demande: "Eh bien! était-ce bon ?" L'un d'eux répond: "Non, guère". Comme s'ils'étaÜ agi de chair humaine. » (25, 359) Freud recherchel'interprétation de la phrase pensée, non entendue, à par-tir de l'évocation de la soirée passée par le rêveur, avecsa femme, chez des voisins considérés comme peu « appé-tissants »: cette pensée se rapporterait ainsi à l'aspectphysique de la dame. Mais, en ce qui concerne les deuxexpressions entendues, elles sont supposées avoir été échan-gées entre le rêveur et sa femme, après le dîner imposépar ces voisins. On ne peut pas dire, contrairement à cequ'affirme Freud, que ce soit là un exemple bien démons-tratif !

Freud applique également cette règle à l'analyse de sonrêve « le navire du petit déjeuner ». Il s'agit d'un long rêveoù Freud se trouve être dans la marine, en pleine guerre,à prévoir une attaque. Voici le paragraphe final compor-tant les expressions sonores: il voit défiler des navires mar-chands... « Alors mon frère se tient à côté de moi et tousdeux nous regardons par la fenêtre vers le canal. Un navirequi passe nous effraie, et nous nous écrions: "Voilà levaisseau de guerre qui vient!" Mais on constate que seulsles vaisseaux que je connais déjà reviennent. Et void venirun petit bateau qui est drôlement coupé: il se termine justeau milieu de sa largeur. Sur le pont de ce bateau on voitdes choses bizarres, qui ressemblent à des timbales ou àdes boîtes. Nous nous écrions tous les deux: "Void lenavire du petit-déjeuner !" » (25, 195-196) Voici la façondont Freud interprète la présence de ces deux exclamations.En ce qui concerne la première, il rappelle le souvenir de

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l'année précédente, à Venise: « On attendait des naviresanglais qu'on allait recevoir solennellement; brusquementma femme s'écria, joyeuse comme un enfant: "Voici lebâtiment de guerre anglais!". En rêve ces mêmes motsm'effrayent. » Et il ajoute entre parenthèses: « (Nous pou-vons constater à nouveau que les discours prononcés enrêve viennent toujours des discours de la veille.) » (25,396-397) Le paragraphe qui analyse la question du « naviredu petit déjeuner» ne tient plus compte de cette règle.Ainsi Freud nous dit: « Mais dans ce "navire du déjeu-ner" il n'y a que le nom qui soit une création du rêve»(sic). Il associe sur un souvenir agréable de son derniervoyage (25, 397-398). Que dire si ce n'est que Freud setrouve empêtré avec ses trois principes:

- un reste diurne du jour précédent (ici de l'année pré-cédente) ou de la veille pris au sens général (par opposi-tion au sommeil) ?

- une parole forcément entendue dans la réalité, pour-tant ici on n'en trouve pas trace.. ?

- le rêve ne crée pas, et voici que pourtant dans lecas présent il crée un nom...

On pourrait reprendre les nombreux rêves à contenusonore qui se trouvent dans L'interprétation des rêves, maisil ne nous semble pas nécessaire d'insister plus sur la fai-blesse de la théorie sur ce point. Nous nous contenteronsde citer encore le rêve de l'enfant qui brûle: « Un pèrea veillé jour et nuit, pendant longtemps, auprès du lit deson enfant malade. Après la mort de l'enfant, il va sereposer dans une chambre à côté, mais laisse la porteouverte, afin de pouvoir de sa chambre, regarder celle oùle cadavre de son enfant gît dans le cercueil, entouré degrands cierges. Un vieillard a été chargé de la veillée mor-tuaire, il est assis auprès du cadavre et marmotte des priè-res. Au bout de quelques heures de sommeil, le père rêveque l'enfant est près de son lit, lui prend le bras, et mur-mure d'un ton plein de reproche: "Ne vois-tu donc pasque je brûle ?" Il s'éveille, aperçoit une vive lumière pro-venant de la chambre mortuaire, s'y précipite, trouve levieillard assoupi, le linceul et un bras du petit cadavre ontété brûlés par un cierge qui est tombé dessus.» (25,433-434) Freud en donne une première explication concer-nant la chute d'un cierge qui aurait provoqué l'incendieprès du cadavre, mais observe « ... qu'il y a eu sans

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aucun doute surdétermination: le discours de l'enfant doitêtre composé de propos qu'il a réellement tenus pendantsa vie, et qui, dans l'esprit de son père, se rattachent àdes événements importants. Il aura dit : « Je brûle» (defièvre, au cours de sa dernière maladie) et, probablementaussi: « Père, ne vois-tu donc pas? » à propos d'un autreévénement que nous ignorons, mais qui devait être émou-vant. » (25, 433) On ne peut qu'être frappé du caractèregrandement spéculatif de ces propositions. Pour resterfidèle à son principe Freud est prêt à inventer des parolesde l'enfant et aussi à élargir l'espace temporel, passant deparoles entendues la veille à des paroles une fois pronon-cées dans la vie de l'individu.

Freud rappelle encore ce principe au chapitre sept dece même ouvrage (25, 441-442). La butée sur ce point estd'autant plus sensible qu'il a, par ailleurs, insisté sur lesprécautions à prendre dans cette démarche d'analyse:« L'étude du rêve, et, d'une façon générale, l'étude d'unefonction psychique quelconque isolée, ne sauraient nousapporter de conclusions touchant la structure et le fonc-tionnement de l'esprit dans son ensemble. Ce but ne peutêtre atteint que par une étude comparative de toute unesérie de fonctions et activités, qui seule permet de déga-ger les éléments constants. Il en résulte que les hypothè-ses auxquelles nous aura conduit l'analyse des processusdu rêve devront être acceptées à titre temporaire, si on peutainsi dire, jusqu'à ce qu'on puisse les rattacher aux résul-tats d'autres recherches, qui, parties d'autres points,s'efforcent d'élucider les mêmes problèmes. » (25, 435)Conseil que nous suivrons!

E - Le rire même

Nous sommes en 1907, année de la parution de Ledélire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen.

Le héros de cette œuvre, Norbert H. rêve de Gradivaassise au soleil en train de faire un nœud coulant pourattraper un lézard. Freud montre que les paroles qu'elleprononce dans ce rêve sont en rapport avec celles de sonpère - traces diurnes - dans la rencontre avec NorbertH. la veille. Il ajoute: « Il est une règle de l'interpréta-tion du rêve qui dit: des propos entendus dans le rêve

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ont toujours pour origine des propos que l'on a entendusou que l'on a tenus soi-même à l'état de veille. Il semblebien que cette règle soit suivie ici, les propos de Gradivasont seulement une modification des propos du vieux zoo-logiste entendus dans la journée. » (37, 221) La démons-tration est donc faite, une fois de plus. Il est toutefoisremarquable qu'il l'élargisse cette fois à une productionnon discursive: le rire. « Le rêve insensé comporte encoreun bref épilogue, dans lequel un oiseau pousse un cri rieuret emporte le lézard dans son bec. Mais Hanold avaitentendu pareil appel rieur après la disparition de Gradiva.Il provenait vraiment de Zoé, qui, par ce rire, se débar-rassait de la sombre gravité de son rôle de personne venuedu monde souterrain. Gradiva s'était réellement moquéede lui. » (37, 232) Ce rire est donc considéré comme unecitation de la veille, passée sans modification dans le rêve,mais alors attribué à l'oiseau (par déplacement).

F - Ça piétine...

Au cours de ces formulations chaque fois répétées onobserve l'hésitation de Freud quant à la clause de « laveille », parfois entendue comme le jour précédent le rêve,ou comme les jours précédents, voire durant la vie del'individu, ou, plus largement encore comme « à l'état deveille» par opposition au sommeil, ce qui laisse évidem-ment place aux probabilités. Ceci nous semble pouvoir êtrerapproché de la conception que Freud a développée de laplace du sonore dans le développement du langage. Eneffet, tout mot a été perçu, entendu, avant que d'être uti-lisé par l'enfant, en ce sens tout mot entendu ou prononcéen rêve ne peut s'y trouver effectivement que s'il a un jourété perçu.

En 1916 (96) Freud reprend le rêve du piano à accor-der, pour illustrer le principe de l'entendu du rêve. Et, par-lant de l'élaboration du rêve, c'est encore la question dela création qui est associée au problème de la place dusonore dans le rêve (96, 357). Freud vient de rappeler leslimites de ce travail: « ... Il ne faut pas exagérer l'impor-tance du travail d'élaboration ni lui accorder une confiancesans réserves. Son activité s'épuise dans les effets que nousavons énumérés; condenser, déplacer, effectuer une repré-

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sentation plastique, soumettre ensuite le tout à une élabo-ration secondaire, c'est tout ce qu'il peut faire, et rien deplus. » (96, 166)

On ne peut être plus clair, il n'y a pas de place icipour le sonore, et encore moins pour une création quel-conque. Dans son insistance Freud trouve encore la néces-sité de rappeler son principe, véritable refrain! : « Le tra-vail d'élaboration ne peut pas davantage composer des dis-cours. A part quelques rares exceptions, les discours enten-dus ou prononcés dans les rêves sont des échos ou des jux-tapositions de discours entendus ou prononcés le jour quia précédé le rêve, ces discours ayant été introduits dansles idées latentes en qualité de matériaux ou à titre d'exci-tateurs du rêve. » (96, 166-167) Ce texte fait écho à celuide 1901 (26, 79) dans lequel il insistait encore plus pourlutter contre la tendance à accorder une positivité - créa-tion, élaboration - au rêve: « On rencontre en vérité dansle contenu du rêve bon nombre d'éléments que l'on seraittenté de prendre pour le résultat d'une activité purementintellectuelle. Mais l'analyse est là pour nous démontrerque ces opérations de l'esprit étaient accomplies déjà dansles pensées latentes du rêve, et que celui-ci n'a fait queles reproduire telles quelles. » (26, 78)

Mais revenons au texte de 1916 pour remarquer quec'est la première fois qu'une place est faite, officiellement,à des exceptions possibles... Freud a eu l'expérience del'analyse de « l'homme aux rats» dont on a vu que c'estla seule exception notée par lui. Par contre on revient àune formulation très restrictive de la notion de « veille »,jour qui précède le rêve. Enfin on trouve ici un retour àune fonction de stimulus externe, celle d'« excitateur durêve ». A quoi bon toute cette argumentation avec lesauteurs précédents si c'est pour réintroduire ici cette pos-sibilité ? A noter qu'un raisonnement du même ordre esttenu à propos du visuel dans L'interprétation des rêves (25,465) où Freud écrit: « ... nous montrerons que cet étatd'excitation est un produit du souvenir, la reviviscenced'une excitation visuelle réelle ».

On semble donc, pour un pas en avant, au-delà de larigidité de fonctionnement de cette règle, la place ouverteà des exceptions possibles, en faire plusieurs en arrière...

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G - L'exception

L'exception reconnue est celle de « l'homme aux rats ».En quoi est-il « exceptionnel»? Freud semble penser àune forme particulière de pathologie lorsqu'il écrit: « Sesdiscours dans les rêves ne se réfèrent pas nécessairementà des discours réels. Les idées inconscientes, en tant quevoix intérieures, ont la valeur de discours réels qu'iln'entend qu'en rêve. » (49, 131) Freud semble ici faire allu-sion aux particularités de la névrose obsessionnelle. Lepatient lui a dit, en effet: « .., J'ai eu l'idée maladiveque mes parents savaient mes pensées, ce que je m'expli-quai en supposant que je les prononçais à haute voix, maissans les entendre moi-même. Je vois là le début de mamaladie. » (49, 39) Et Freud commente ce point de lafaçon suivante: « Il y a même (...) une sorte de forma-tion délirante à contenu bizarre: les parents de l'enfantconnaîtraient ses pensées, car il les exprimerait sans enten-dre lui-même ses paroles. Nous ne nous tromperons guèreen admettant que cette explication tentée par un enfantcomportait un pressentiment vague des phénomènes psychi-ques étranges que nous appelons inconscients, et dont nousne pouvons nous passer pour l'explication scientifique deces manifestations obscures. "Je dis mes pensées sansm'entendre", cela sonne comme une projection à l'exté-rieur de notre hypothèse suivant laquelle on a des pen-sées sans le savoir; il y a là comme une perceptionendopsychique du refoulé. » (47, 205) Est-ce à trop con-sidérer cette « perception endopsychique » comme patho-logique que Freud n'en tient pas compte pour faire avan-cer sa réflexion théorique?

Il y a pour ce patient, doute quant aux limites entreintérieur et extérieur, doute qui porte notamment sur ladimension sonore, la parole intérieure échappant au sujetpour être captée par les autres. Le sonore, comme nousl'avons développé ailleurs (1983, 1985) n'assure justementpas cette différenciation. Ainsi, de même que cet enfantentendait la respiration bruyante de son père pendant lecoït (47, 374-375), bruit qu'il n'était pas censé entendre,bruit qu'il reproduisait de façon compulsive en respirantprofondément et bruyamment, de même ses parentspouvaient-ils - du moins le croyait-il, percevoir ce qui sepassait dans l'intimité de ses fantasmes. Freud ne pense

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pas ici au « fantasme d'écoute », ni a son corollaire per-sécutif. Voici une autre situation sonore pour nous inté-ressante chez ce patient, une scène provoquant la mastur-bation : « ... pendant un délicieux après-midi où il avaitentendu un postillon sonner merveilleusement du cor (bla-sen) dans la Teinfalstrasse, jusqu'au moment où un agentde police le lui défendit, probablement en invoquant quel-que vieux décret de la cour interdisant de sonner du coren ville» (47, 231-232 et 49, 99), car il s'agit bien ici duverbe « blasen », c'est-à-dire « souffler », et souffler ducor (corps), c'est bien souffler bruyamment... Et lorsqu'ilattendait la visite de son père, entre minuit et une heuredu matin, se remettant à étudier (évitant de se masturberà ce moment), n'était-il pas « ... victime de l'illusion quequelqu'un frappait dehors dans le couloir, que c'était sonpère qui voulait entrer dans l'appartement, et que, si onne lui ouvrait pas, voyant là la preuve qu'on ne voulaitpas de lui, il repartait. Il lui arrivait aussi de frapper plu-sieurs fois. Il (le patient) persévéra dans cette pratiquejusqu'au moment où il finit par avoir peur de la naturemaladive de ces idées, et il s'en libéra en se disant que,s'il continuait ainsi, un malheur arriverait à son père» (49,208).

C'est un peu comme si le chemin de la perceptionsonore était inversé: on (ses parents) entend les sons quine sont pas émis (qu'il ne s'entend pas émettre, et qu'iln'émet pas), de même qu'il lui arrive de ne pas être sûrd'avoir bien entendu les sons émis. Comme dans la rela-tion avec son amie: « Par sa compulsion à douter de cequ'il entend, il exprime son doute persistant d'avoir biencompris son amie lors de leur explication: il doute parconséquent qu'il faille considérer les paroles de celle-cicomme une preuve d'affection. » (49, 223) Nous observons,dans ce cas, une sorte de perversion de la fonction audi-tive, qui touche tout particulièrement l'entendu verbal.

En acceptant de faire de ce cas une exception à la règlede l'entendu, Freud semble avoir l'intuition, grâce à cepatient, que sur ce plan les choses sont plus compliquéesqu'il ne le supposait. Certes il rapporte le comportementde son client à la toute puissance des idées: « ... Notrepatient, comme d'autres obsédés, est obligé de surestimerl'effet, sur le monde extérieur, de ses sentiments hostiles,parce qu'il ignore consciemment une bonne part de l'action

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psychique interne de ces sentiments. Son amour - ou plu-tôt sa haine - est vraiment tout-puissant: ce sont juste-ment ces sentiments qui produisent les obsessions dont ilne comprend pas l'origine et contre lesquelles il se défendsans succès. » (47, 252).

Mais de cette toute-puissance des idées, commune à« l'homme aux rats» et aussi, plus généralement, à la pen-sée enfantine, Freud ne va pas jusqu'à imaginer, en dehorsde ce cas, que dans le rêve - dont il souligne pourtantla régression à la pensée infantile - les pensées, les voixintérieures puissent être perçues de façon hallucinatoire(caractéristique qu'il accorde, pourtant, aux images visuel-les). Nous aurions ici tendance à prendre le contre-piedde sa position, et à considérer le commentaire qu'il faitsur ce cas, dans la note rajoutée en 1909, comme une règlede l'entendu du rêve, règle plus vraisemblable que le prin-cipe édicté jusque-là. Nous paraphraserions son commen-taire de la façon suivante (49, 131):

Les (ses) discours dans les rêves ne se réfèrent pasnécessairement à des discours réels. Les idées inconscien-tes - auxquelles nous ajouterons les idées préconscientes- en tant que voix intérieures peuvent y prendre la valeurde discours réels (qu'il n'entend qu'en rêve) entendus enrêve.

Ces idées, méconnues la veille, sous l'action du refou-lement, sont d'ailleurs souvent attribuées à différents per-sonnages du rêve, mais aussi parfois au rêveur lui-même.Et cette « perception endopsychique» pour reprendre lestermes freudiens nous semble aussi fondamentale pour lacompréhension d'autres rêves sonores, comme les rêvesmusicaux à propos desquels nous développerons d'autrestravaux.

H - D'une création ex nihilo

Revenant à L'interprétation des rêves nous retiendronsce passage dans lequel Freud, à propos du rêve de«l'enfant qui brûle» (cité précédemment), rappelle lesdeux caractères du rêve: «L'un est la figuration de lascène comme actuelle et avec omission du "peut-être" ;l'autre la transformation de la pensée en images visuelleset en discours. » (25, 454) Voici que Freud se fait ici son

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propre contradicteur quant à la possibilité pour le travaildu rêve de créer un discours. Certes il n'est pas préciséque ce discours puisse être entendu de façon hallucinatoire.Mais nous retrouvons la problématique liée à la création.

Et dans ce même ouvrage Freud prend pour applica-tion de son principe l'exemple rapporté par Jessen, d'unrêve de musicien: « Un musicien de ses amis entendit unjour en rêve une mélodie qui lui parut entièrement nou-velle. Il ne la trouva que plusieurs années après dans unevieille collection de morceaux de musique qu'il ne se rap-pelle toujours pas avoir eue auparavant entre les mains. »(25, 21) Ainsi, parler de création dans le rêve est une illu-sion, l'entendu du rêve est un entendu de la veille. Cetexemple généralise encore le principe édicté pour les parolesentendues. Freud l'assure encore plus loin dans le texte:« Le travail du rêve ne pense ni ne calcule; d'une façongénérale, il ne juge pas; il se contente de transformer. Onen a donné une description complète, quand on a réuniet analysé les conditions auxquelles doit satisfaire son pro-duit. » (25, 432)

En 1901 Freud insiste sur ce point et non sans contra-diction, il écrit: « On explique aussi, par le travail de con-densation, certaines images spéciales au rêve et que l'étatde veille ignore absolument. Ce sont les figures humainesà personnalité multiple ou mixte, et aussi ces étranges créa-tions composites qui ne se peuvent comparer qu'aux figu-res animales conçues par l'imagination des peuplesd'Orient; mais celles-ci se sont cristallisées une fois pourtoutes tandis que les créations du rêve semblent emprun-ter des formes toujours nouvelles à une imagination iné-puisable. » (26, 45-46) On ne peut être plus clair! Et pour-tant, quelques pages plus loin il revient sur sa position:« Les quatre formes d'activités que nous venons d'indi-quer composent à elles seules le travail du rêve. Nous pou-vons donc définir ce dernier en disant qu'il n'est que letransfert des idées latentes en contenu manifeste. Il s'ensuitque le travail du rêve n'est jamais créateur, qu'il n'ima-gine rien qui lui soit propre, qu'il ne juge pas, ne conclutpas. Son action consiste à condenser, déplacer, et rema~nier, en vue d'une représentation sensorielle, tous les maté-riaux du rêve; il s'y ajoute, en dernier lieu, le travail acces-soire d'ordonnance que nous venons d'indiquer. » (26,77-78, repris dans 96, 157) Et cette contradiction conti-

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mie à cheminer dans l'œuvre, elle donne, en 1923 : « Lespensées latentes du rêve (...) se trouvent condensées defaçon étonnante par le travail du rêve, auquel on auraittout à fait tort d'attribuer un caractère "créateur" ... »(119, 58). Mais cette position peut s'éclaircir si l'on inter-roge les textes sur la création elle-même. On observe quece qui est dit du rêve n'est en fait qu'une application desidées plus générales que Freud porte à la création. Les tex-tes précédents présupposent manifestement la conceptiond'une création qui serait "ex nihilo", or le rêve ne peutillustrer cette conception, car il ne crée pas de rien. C'estainsi le fantasme du créateur tout-puissant qui bloqueraitle raisonnement sur la part créative que peut prendre lerêve. Car le travail de condensation, de synthèse, de con-caténation du matériau sensible, peut effectivement pro-duire des œuvres originales, créer de nouvelles configura-tions, donner du sens, comme le prouvent toutes les œu-vres d'art. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'en musi-que on parle de « compositeur» et de « composition ».Mais pour pouvoir se situer à cette place, il faut aban-donner, justement, la position de toute-puissance. Cettebutée dans les textes de Freud au sujet de l'entendu,notamment, n'est sûrement pas sans relation justement avecla grande idéalisation qu'il se fait de l'artiste et du créa-teur, comme nous aurons l'occasion de le développer ausujet du musicien.

La force de la règle de l'entendu du rêve nous sembleaussi avoir ses fondements dans les travaux précédents deFreud, travaux sur l'aphasie, réflexions sur le sonore à pro-pos du langage. Le langage est transmission (non création)et ce par l'entendu, il préexiste à l'individu qui l'apprend- par l'audition - d'un autre. « Les traces verbales pro-viennent principalement des perceptions acoustiques, les-quelles représentent ainsi comme une réserve spéciale d'élé-ments sensibles à l'usage du préconscient. » Freud pour-suit sa réflexion en montrant qu'à ce niveau les élémentsvisuels et moteurs ont une participation modique, pourconclure: «A proprement parler, le mot prononcé n'estque la trace mnésique du mot entendu. » (120, 188-189)A ce degré de généralité on peut considérer, en effet, quedans le rêve, tout mot perçu ou prononcé a toujours étéau préalable perçu dans la réalité.

Au travers de ces atermoiements, Freud montre qu'il

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ne peut concevoir l'entendu du rêve, et surtout les paro-les hallucinées, que comme précédemment perçus: cetentendu ne saurait se désolidariser de la contrainte du réel.C'est-à-dire que c'est encore cette passivité de l'entendu,dans l'excitation, sur laquelle bloque la réflexion, et quile conduira même jusqu'à repousser ce vecteur sensorielcomme tout à fait accessoire pour ce qui concerne le rêve,nous le verrons au chapitre suivant. Freud ne peut envi-sager la part active du sujet qui sonorise - hallucine -les pensées du rêve, et seul un patient comme « l'hommeaux rats », peut la lui faire entendre, mais pour aussitôtla verser au compte d'une pathologie particulière. Il sem-ble qu'il ne garde de l'expérience sonore de la primeenfance qu'intrusion et « murmure de la censure », en toutcas la dimension Surmoïque de la parole entendue, celle-ci devant nécessairement le poursuivre jusque dans sesrêves. Le sort qu'il réserve au visuel est bien différent, ets'il remarque le jeu possible, sur le plan sonore, dans lepassage des représentations de mot aux représentations dechose, c'est à l'image visuelle qu'il dédie les libertés pri-ses par le rêve.

111-2 - Voir ou entendre en rêve

La problématique de l'entendu dans le rêve se compli-que, pour Freud, des rapports entre le sonore et le visuel.On trouve dans L'interprétation des rêves cette définitiondu matériau utilisé dans l'activité onirique: « Au momentoù l'on s'endort, les "représentations non voulues" appa-raissent à la surface, parce qu'une certaine activité volon-taire (et sans doute aussi critique) est relâchée. On donnehabituellement, comme cause de ce relâchement, la fati-gue. Les représentations non voulues qui surgissent setransforment en images visuelles et auditives. » (25, 95)Cette affirmation de la place des images auditives dansl'activité onirique se retrouve tout au long de l'ouvrage,à la fois répétée - comme une nécessité logique - etinterrogée ou affaiblie. Il est clair, en tout cas, que le « cla-vier» du rêve ne dispose ainsi que des registres visuel etauditif (25, 432) qu'il utilise, en les intensifiant jusqu'à

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faire revivre de façon hallucinatoire les images de la per-ception (25, 461).

Mais le développement des conditions de figurabilité despensées du rêve amène Freud à insister sur le visuel, ainsi:« Une fois que la pensée du rêve, inutilisable sous sa formeabstraite, a été transformée en langage pictural, on trouveplus facilement, entre cette expression nouvelle et le restedu matériel du rêve les points de contact et les identitésnécessaires au travail du rêve. » (25, 292) Et si le sonoreapparaît à nouveau, à propos de la question de la figura-bilité, c'est sous la forme du mot dont Freud vante alorsles possibilités exceptionnelles de condensation et de dégui-sement. A ce propos il précise encore - ce qui est iciessentiel - qu'on ne sait pas si cet élément verbal doitêtre (parmi les possibilités d'interprétation évoquées),« interprété à partir du son du mot» (25, 293) Voici bienle sensoriel sonore à nouveau introduit et sous une formeque nous n'hésiterons pas à désigner comme « substancesonore ».

Prévalence du visuel, possibilité d'images auditives, rôlejoué par les sons, rapports de sons, substance sonore, cons-tituent les éléments d'une réflexion sur la sensorialité dansles rêves, réflexion qui, comme nous le constaterons, resteparfois très hésitante, et même facilement contradictoire.Notons que cette prévalence des excitations visuelles etauditives, et leur relation avec des restes diurnes, se trouvedéjà énoncée par Wundt (207, 363). Freud le cite d'ail-leurs: « Les impressions subjectives visuelles ou auditives,qui, pendant la veille, apparaissent comme un chaos lumi-neux dans notre champ visuel obscur ou comme des tin-tements ou des sifflements dans les oreilles, les excitationssubjectives de la rétine surtout, me paraissent encore jouerun rôle essentiel dans les illusions du rêve. » (25, 36) Mais,tout comme Wundt laisse déjà apparaître une prévalencedu visuel, Freud conclut ce paragraphe par cette mise enplace: « Les images visuelles sont, en effet, l'essentiel denos rêves. La contribution de nos autres sens, même del'ouïe, est moindre et moins constante. » (25, 38)

A - L'assembleur de rimes

La prévalence du visuel est partout présente dans les

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textes de Freud se rapportant au rêve. Outre les passagesdéjà cités, voici quelques-unes de ces affirmations. En 1905,dans Le mot d'esprit, il écrit: « Nous reconnaissons le rêvepar le souvenir, le plus souvent fragmentaire, qui nous enreste au réveil. Le rêve est alors un tissu d'impressions sen-sorielles, le plus souvent visuelles (parfois différentes), quinous ont donné l'illusion d'un événement et auxquelles peu-vent se mêler des processus cogitatifs (le "savoir" dansles rêves) et des manifestations d'ordre affectif. » (33, 264)Freud se montre plus insistant en 1916 lorsqu'il affirme:« On perçoit surtout des images visuelles qui peuvent par-fois être accompagnées de sentiments, d'idées, d'impres-sions fournies par des sens autres que la vue, mais tou-jours et partout ce sont les images qui dominent. » (96,76) On retrouve aussi cette même position en 1923 (119,58), et en 1925 (134, 73).

- Alternances:

Pourtant, à d'autres moments, une certaine prudencepar rapport à cette question qu'il semble considérer alorscomme non résolue, amène Freud à des affirmations plusnuancées. Ainsi, en 1916, dans le chapitre traitant de latransformation d'idées en images visuelles, il écrit: « ...Les images visuelles ne sont pas la seule forme que revê-tent les idées. Il n'en reste pas moins que les images visuel-les jouent un rôle essentiel dans la formation des rêves. »(96, 159-160) Nous observons, particulièrement dansL'interprétation des rêves, à plusieurs reprises les hésita-tions de l'auteur à ce sujet, hésitations manifestes dans laforme alternante de ses positions. Ainsi, par exemple, dansce passage où il affirme la priorité des images visuelles:« De tous les raccords possibles aux pensées essentielles durêve, ceux qui permettent une représentation visuelle sonttoujours préférés. » (25, 296) Et Freud en propose unexemple ... sonore! : « Si l'on songe au rôle que jouentles jeux de mots, les citations, les chansons et les prover-bes dans la vie des gens cultivés, on supposera que desdéguisements de cette espèce servent souvent à représen-ter les pensées du rêve. » (25, 297) Un autre exemple decette alternance se trouve dans le même ouvrage dans unpassage où Freud insiste sur le visuel et semble ne plusprendre en considération le sonore: « La direction dans

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laquelle se poursuit la condensation du rêve est prescrited'une part par les relations ordinaires préconscientes despensées du rêve, d'autre part par l'attraction des souve-nirs visuels de l'inconscient. » Mais, quelques lignes plusloin nous lisons: «Les représentations qui transfèrentleurs intensités l'une sur l'autre sont dans les relations lesplus lâches et elles sont unies par des associations que notrepensée méprise et qu'elle n'emploie que dans les jeux demots. Ainsi, des associations par homophonie et par asso-nance sont considérées comme l'équivalent des autres. »(25, 507) Homophonie, assonance, voilà bien la sphèreauditive à l'œuvre et, précisément, à partir de la substancesonore des mots. Cette dernière est portée exemplaire deces éléments habituellement méprisés ou insignifiants, auservice du refoulement. Cet argument nous semble, eneffet, des plus intéressants. Dans Le rêve et son interpré-tation Freud prendra à ce propos la métaphore de « ...l'assembleur de rimes, qui trouve dans la concordance dessons l'unité souhaitée» (26, 44). Il est alors clair pourl'auteur que: « L'inconscient tisse ses liaisons autour desimpressions et des représentations du préconscient quel'attention n'a jamais distinguées parce que indifférentes,ou qu'elle a bientôt abandonnées. » (25, 479) La substancesonore des mots fait partie de cette réserve. Et nous avonsvu précédemment que Freud va jusqu'à envisager l'inter-prétation à partir du son du mot (25, 293). Mais ce der-nier passage nous renseigne aussi sur la difficulté à éla-borer le vécu sonore: paroles considérées sous l'anglesémantique et/ou sonore (rapport parole/bruit), ou bienencore - comme le soulignent d'autres exemples - misesen musique (rapport parole/musique). Dans cette indiffé-renciation relative des plages bruit/parole/musique, onpourrait ici entendre que les « déguisements» utilisés parl'inconscient puiseraient beaucoup de leurs ressources, fai-sant ainsi un usage privilégié des zônes limitrophes, peudifférenciées (c'est déjà ce que nous avancions en 1985).

B - Du rêve manifeste, I 'hallucination

Les questions semblent se bousculer, en 1916 Freudexprime directement ses interrogations à ce sujet: « Le plussouvent, les événements dont se compose le rêve ont la

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forme visuelle. Les excitations fournissent-elles une expli-cation de ce fait? S'agit-il vraiment dans le rêve de l'exci-tation que nous avons subie? Mais pourquoi le rêve est-il visuel, alors que l'excitation oculaire ne déclenche unrêve que dans des cas excessivement rares? Ou bien, lors-que nous rêvons de conversation ou de discours, peut-onprouver qu'une conversation ou un autre bruit quelcon-que ont, pendant le sommeil, frappé nos oreilles? Je mepermets de repousser énergiquement cette dernière hypo-thèse. » (96, 82-83)

Plus précisément, à propos des rêves de réveil rappor-tés par Hildebrandt, Freud écrit: « Le rêveur ne recon-naît pas la sonnerie du réveille-matin (celle-ci ne figured'ailleurs pas dans le rêve), mais il en remplace le bruitpar un autre et interprète chaque fois d'une manière dif-férente l'excitation qui interrompt le sommeil. Pourquoi?A cela il n'y a aucune réponse: on dirait qu'il s'agit làde quelque chose d'arbitraire. Mais comprendre le rêve,ce serait précisément pouvoir expliquer pourquoi le rêveurchoisit précisément tel bruit, et non un autre, pour inter-préter l'excitation qui provoque le réveil. » (96, 80) Freuden est convaincu: il n'y a rien d'arbitraire dans le rêve.Aussi ajouterions-nous à ces questions qu'on devrait pou-voir comprendre pourquoi le rêve utilise, à certainsmoments, chez certains individus, des images visuelles, desproductions ou perceptions sonores, des sensations tacti-les, cœnesthésiques, kinesthésiques ou encore olfactives...Mais Freud fera un sort lapidaire à ce type de questionslorsqu'il écrira, dans ce même volume, à propos de la réa-lisation de désirs infantiles: «

'"Nous avons appris que

le travail d'élaboration des rêves consiste essentiellementen transformations d'idées en événements hallucinatoires.Cette transformation constitue un fait énigmatique; maisil s'agit là d'un problème de psychologie générale dontnous n'avons pas à nous occuper ici. » (96, 198) !

On comprend que Freud fonde sa recherche surl'analyse du contenu latent et procède ainsi à une réduc-tion méthodologique: « Nous décidons de nous préoccu-per le moins possible du rêve manifeste. Il va de soi quece rêve manifeste présente toutes sortes de caractères quine nous laissent pas entièrement indifférents. » Et il énu-mère: la cohérence, l'intelligibilité, la clarté, l'intensitédes perceptions sensorielles, les émotions qu'il suscite. Il

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reprend: « Ne croyez pas que nous tenions pour rien cettediversité infinie dans le rêve manifeste; nous y pourronsglaner, au contraire, nombre d'éléments propres à nousfaciliter l'interprétation. Mais, pour le moment, nous lais-serons cette question de côté, quitte à y revenir plus tard. »(151,16) Ainsi, à d'autres moments, ces aspects formelssont-ils reconnus comme part entière du travail d'élabo-ration du rêve: «Le "rêve" n'est pas autre chose quel'effet du travail d'élaboration; il est donc la forme quece travail imprime aux idées ,latentes. » (96, 167)

Dans ces positions successives on reconnaît les diffi-cultés à mettre en évidence, distinguer, et articuler, pourFreud, à propos du rêve, les effets de l'inconscient et lestraces du travail du préconscient.

Pourtant, il reviendra justement sur cette question, àpropos de l'intensité de certains éléments du rêve, dans letravail de condensation, d'une part, et de la régression versle mode de pensée hallucinatoire, d'autre part. Ainsi, con-cernant la condensation, il présente l'intensité sensoriellecomme la résultante de ce travail: «Les intensités desdiverses représentations paraissent capables de s'écouler enbloc et elles vont d'une représentation à l'autre, si bienqu'il se forme des représentations pourvues de grandesintensités. Comme ce processus peut se renouveler plusieursfois, l'intensité de toute une suite de pensées peut finale-ment s'accumuler sur un seul élément représentatif. C'estlà la compression ou condensation, que nous avons ren-contrée dans le travail du rêve. Elle est la principale res-ponsable de l'impression d'étrangeté que le rêve produit;nous ne connaissons, en effet, rien d'analogue dans la viepsychique normale accessible à la conscience. Nous con-naissons sans doute des représentations qui sont le nœudou le résultat final de longues chaînes de pensées et ont,comme telles, une grande importance psychique, mais cettevaleur ne se manifeste par aucun caractère sensible, acces-sible à la perception interne; ce qu'elles représentent nedevient pas pour cela plus intense. Dans le processus decondensation, toute la cohésion psychique est transposéeen intensité du contenu représentatif. C'est comme lors-que je mets en italique ou en caractères gras un mot quime paraît particulièrement important pour la compréhen-sion d'un texte. En parlant, je prononcerais ce même motplus haut et plus lentement que les autres, j'insisterais. »

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(25, 506) A ce niveau encore le visuel occupe une placede choix puisque: « La direction dans laquelle se pour-suit la condensation du rêve est prescrite d'une part parles relations ordinaires préconscientes des pensées de rêve,d'autre part par l'attraction des souvenirs visuels del'inconscient. Le résultat du travail de condensation estd'obtenir les intensités nécessaires pour faire irruption dansle système perceptif. » (25, 507) Or cette condensation estretrouvée de la même façon dans les contenus sonores etmusicaux des rêves.

La comparaison du rêve aux hallucinations des mala-des mentaux est utilisée par Radestock pour justifier la pré-férence donnée à certaines sensorialités, Freud le cite dansce passage: « La plupart des hallucinations et des illusionsse rapportent (dans la maladie mentale) à la vue, à l'ouïeet à la cœnesthésie. L'odorat et le goût sont, comme enrêve, rarement intéressés. » (25, 85) Il ne s'agit que d'unconstat, et Freud n'ira pas plus loin dans l'analyse de lapart prise par les différentes sensorialités dans le rêve.Pourtant cette piste de la pathologie le conduirait, suivantses propres travaux, à l'hystérie, pour le visuel, à la para-noïa, pour le sonore. Concernant l'hystérique, il écrivaiteffectivement en 1893 : « ... L'hystérique se comporte dansses paralysies et autres manifestations comme si l'anato-mie n'existait pas, ou comme si elle n'en avait nulle con-naissance. (...) Cette conception n'est pas fondée sur uneconnaissance approfondie de l'anatomie nerveuse mais surnos perceptions tactiles et surtout visuelles. » (8, 55-56)Voici donc où nous retrouvons cette prévalence du visuel.Celle-ci sera confirmée dans les Études sur l'hystérie dansle chapitre consacré à la psychothérapie de l'hystérique,lorsque Freud décrit la méthode sans recours à l'hypnose,et la nécessité alors de vaincre les résistances des maladescontre le retour de représentations le plus souvent péni-bles. Il écrit: « Le retour des images nous donne généra-lement moins de peine que celui des idées. L'analyste amoins de difficultés, à ce point de vue, avec les hystéri-ques - qui sont le plus souvent des visuels - qu'avecles obsédés. » (10, 226) A noter que dans ce dernier casse trouve « l'homme aux rats» que Freud aura plus tardà analyser.

Quant à l'importance du sonore, de l'entendu dans laparanoïa, nous avons déjà eu l'occasion de reprendre des

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passages s'y rapportant. Mais nous citerons ici celui duManuscrit K (lettre à Fliess du 1/1/1896) qui suggère deschemins sensoriels différents pour le contenu du refouléet pour l'affect: «Nous soupçonnons qu'il existe diffé-rentes formes (de la maladie) suivant que seul l'affect aété refoulé par projection ou bien, en même temps quelui, le contenu de l'incident. Le retour de ce qui a étérefoulé peut aussi comporter soit l'affect seul, soit cetaffect accompagné du souvenir. Dans ce dernier cas, le seulque je connaisse bien, le contenu de l'incident revient, soitsous la forme de pensées surgissant tout à coup, soit souscelle d'hallucination visuelle ou de sensations. L'affectrefoulé semble chaque fois revenir sous forme d'halluci-nations auditives. » (14, 135) Voici bien une hypothèse quirejoint les éléments de théorisation présents dans le pas-sage sur le cri. L'affect serait défini à partir d'une expé-rience sonore et cette liaison resterait ainsi privilégiée. Onpourrait penser que l'entendu du rêve corresponde juste-ment, comme on a pu le constater dans le rêve des « ser-vices d'amour» à un retour émotionnel (accentuations deparoles, murmures, cris, etc.) et/ou à cet effet de conden-sation énoncé plus haut. Mais Freud n'a pas développécette piste comparative entre pathologies mentales et hal-lucinations dans les rêves nocturnes, il avait une plusgrande ambition, celle de mettre en évidence les règles uni-verselles du fonctionnement psychique dans les rêves.

C - L'image s'impose

Dans plusieurs des citations reprises précédemment leterme « image visuelle» apparaît. Et il semble dans cer-tains textes que le concept d'« image» renvoie à lui seulau visuel, ou encore, autre terminologie utilisée par Freud,à la dimension « plastique» du rêve. Mais on se rappelleque Freud a aussi beaucoup parlé d'« image sonore» dansson texte sur l'aphasie. Intermédiaire, dans son usage, estla notion de « figure », comme nous le constatons dansle long développement que Freud lui consacre: «On aremarqué avec raison qu'une des particularités essentiellesdu rêve apparaît dès le moment où l'on s'endort et peutêtre mise au nombre des phénomènes qui introduisent lesommeil. L'activité intellectuelle de la veille est faite,

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d'après Schleiermacher (p. 351), de concepts et non d'ima-ges. La pensée du rêve est presque toute faite d'images;on peut remarquer que le sommeil s'annonce en quelquesorte par la diminution progressive de l'activité volontaire;en même temps des représentations involontaires, quiappartiennent toutes à la classe des images, s'imposent ànous. L'impossibilité d'une activité volontaire représenta-tive et l'émergence d'images, habituellement liée à ces étatsde désagrégation, sont deux caractères qui persistent dansle rêve et que son analyse psychologique nous fera accep-ter comme deux traits essentiels. Pour ce qui est de cesimages - des hallucinations hypnagogiques -, noussavons que leur contenu même est identique à celui desimages du rêve.

Le rêve pense donc surtout par images visuelles, maisil n'exclut pas les autres images. Il emploie aussi des imagesauditives, et, dans une mesure plus restreinte, des impres-sions provenant des autres sens. Bien des choses sont seu-lement pensées ou représentées par des restes d'images ver-bales, comme dans la veille. Toutefois, seuls les élémentsqui se comportent comme des images, c'est-à-dire qui res-semblent plus à des perceptions qu'à des figures mnési-ques, sont caractéristiques du rêve. Si nous laissons de côtétoutes les discussions bien connues des psychiatres sur lanature de l'hallucination, nous pourrons déclarer, avec tousles auteurs informés, que le rêve « hallucine », qu'il rem-place les pensées par des hallucinations. De ce point devue, il n'y a pas de différence entre les figures visuelleset les figures auditives; on a remarqué que, lorsqu'ons'endort avec le souvenir d'une suite de sons, cette mêmemélodie se transforme en hallucination pendant le som-meil ; si l'on se réveille à demi, ce qui peut arriver à diver-ses reprises, la figure mnésique, plus discrète et qualitati-vement différente, reparaît à la place de la mélodie (25,51-52) ; voici bien considéré cette fois un rêve musical!

Dans un premier temps la qualité d'« image» sembleêtre liée à la qualité perceptive opposée aux « figures mné-siques ». Il est difficile de déterminer ce que Freud entendpar là. Mais, dans la mesure où il fait habituellementdépendre la mémoire de l'appartenance au langage, on peutfaire l'hypothèse d'une opposition - qui sera reprise plustard - entre représentations de chose (<<image », hallu-cination), et représentations de mot (souvenirs, « figures

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mnésiques ») ; n'utilise-t-il pas en 1913 la comparaison durêve avec un système d'écriture comme les hiéroglyphes (71,199) ?

Cette dimension perceptive se trouve aussi dans le pro-cessus de déplacement: «Le déplacement est, en effet,presque toujours de l'espèce suivante: une expression abs-traite et décolorée des pensées du rêve fait place à uneexpression imagée et concrète. On voit bien l'avantage etdonc le but de cette substitution. Ce qui est imagé peutêtre figuré dans le rêve, on peut l'introduire dans unescène, alors qu'une expression abstraite est aussi difficileà représenter qu'un article de politique générale par uneillustration. » Cette matière visuelle est plus adaptée au tra-vail du rêve. C'est la figuration qui permet le passage despensées du rêve au contenu du rêve: « De tous les rac-cords possibles aux pensées essentielles du rêve, ceux quipermettent une représentation visuelle sont toujours pré-férés... » (25, 195-196)

Cette pensée visuelle ad' ailleurs ses limites: «.. .L'étude des rêves et des fantaisies préconscientes, d'aprèsles observations de J. Varendonck, est de nature à nousdonner une idée assez exacte de cette pensée visuelle, ennous montrant que ce sont surtout les matériaux concretsdes idées qui, dans la pensée visuelle, deviennent conscients,tandis que les relations, qui caractérisent plus particuliè-rement les idées, ne se prêtent pas à une expression visuelle.Les images constituent donc un moyen très imparfait derendre la pensée consciente, et l'on peut dire que la pen-sée visuelle se rapproche davantage des processus incons-cients que la pensée verbale et la précède par son ancien-neté, tant au point de vue phylogénétique qu'ontogénéti-que. » (120, 188-189) Voici qui est dit, la pensée visuelle,plus archaïque, correspond à la régression temporelle etformelle du rêve; et ici encore la référence aux travauxd'Abel (dimension phylogénétique) conforte la position deFreud.

D - Régression: matériaux infantiles

Freud découvre que le mode de pensée du rêve corres-pond à la pensée infantile, de même que le rêve est, surle plan pulsionnel, réalisation du désir infantile. Entre veille

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et rêve il y a donc un mouvement régressif (ou régrédient),et la dimension visuelle correspondrait justement à cetinfantilisme. Nous reprendrons quelques-unes des formu-lations par Freud de cette caractéristique régressive des ima-ges sensorielles, principalement visuelles, composant le rêve.Dès 1897 Freud écrit à Fliess, après une remarque sur lasensibilité olfactive de l'hystérique: « La façon dont toutse répartit dans le rêve montre que les divers groupes desensations ont bien des rapports avec la stratificationpsychologique et le mécanisme de l'anesthésie hystériqueen subit sans aucun doute l'influence directe.» (14,164-165) Mais il ne reprendra pas cette notion de stratesà partir des sensorialités, pour ne garder que la régressionaux images visuelles. En 1907 c'est à Jung qu'il écrit le23/5, à propos de la paranoïa: « Ce qui est égalementcaractéristique de la paranoïa, c'est que la régressions'efface autant; l'idée de ce qui est désiré est perçuecomme mot entendu, et non comme image visuelle; elleprovient donc, par renforcement, des processus de pensée.Les hallucinations visuelles, certainement secondaires,m'échappent encore, cela ressemble à une régression secon-daire. » (167, 97) Cette réflexion serait-elle applicable aurêve?

L'entendu du rêve serait-il la manifestation d'unerégression moindre d'une « strate» supérieure à celle desimages visuelles? Pourtant l'analyse du rêve des « servi-ces d'amour» ouvrait une palette plus riche.

En 1905 Freud écrit, sur « les rapports de l'esprit avecle rêve et l'inconscient» : «L'Élaboration du rêve (...)soumet les matériaux cogitatifs, qui lui arrivent sur lemode optatif, à un traitement tout à fait singulier. Elletranspose d'abord l'optatif en présent, remplaçant le"puisse-t-il être" par "cela est". Ce "cela est" est des-tiné à la représentation hallucinatoire, à ce que j'ai dési-gné comme la "régression" de l'élaboration du rêve; c'estla voie qui conduit des pensées aux images de la percep-tion, ou bien de la région des formations cogitatives àcelle des perceptions sensorielles. (...) Sur cette voie, quiest contraire à la direction que suit le développement descomplications psychiques, les pensées du rêve acquièrentun caractère visuel; il en résulte une "situation" plasti-que, qui sert de noyau à l'''image onirique" manifeste. »(33, 269-270) De la même façon le rêve et le mot d'esprit

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reviennent aux jeux sonores, ces « Jeux d'antan avec lesmots» (33, 282).

Cette même transformation est décrite, en 1916, de lafaçon suivante: « Dans le travail d'élaboration, il s'agitévidemment de transformer en images concrètes, de pré-férence visuelle, les idées latentes conçues verbalement. Or,toutes nos idées ont pour point de départ des images con-crètes ; leurs premiers matériaux, leurs phases préliminai-res sont constituées par des impressions sensorielles ou, plusexactement, par les images-souvenirs de ces impressions.C'est seulement plus tard que les mots ont été attachésà ces images et reliés en idées. Le travail d'élaboration faitdonc subir aux idées une marche régressive, un dévelop-pement rétrograde et, au cours de cette régression, doitdisparaître tout ce que le développement des images-souvenirs et leur transformation en idées ont pu apporterà titre de nouvelles acquisitions. » (96, 165) Ceci est éga-lement repris en 1932 (151, 27). De fait ce mode d'expres-sion porte les marques de l'infantile: « Le nouveau moded'expression présente de nombreux traits qui nous sontinintelligibles. Nous avons dit qu'il remonte à des états,depuis longtemps dépassés, de notre développement intel-lectuel, au langage figuré, aux relations symboliques, peut-être à des conditions qui avaient existé avant le dévelop-pement de notre langage abstrait. C'est pourquoi nousavons qualifié d'archaïque ou régressif le mode d'expres-sion du travail d'élaboration. » (96, 184) Ce développe-ment nous conduit à la formulation bien connue: « ...Tous les rêves sont des rêves infantiles, travaillant avec desmatériaux infantiles, des tendances et des mécanismesinfantiles. » (96, 198)

De ces textes sur ce mouvement régressif il se dégage,pour ce qui nous concerne, deux idées:

- le retour aux matériaux et modes d'expressioninfantiles,

- la prévalence du visuel, par son archaïsme.Or, parmi ces matériaux et modes d'expression infan-

tile, on connaît la place importante qu'occupe le sonoresous toutes ses formes, du bruit à la musique, et Freuds'y est montré sensible, à propos des jeux sur les sons desmots. La prévalence du visuel ne peut être de cette façondémontrée, contrairement à ce que Freud avance ici. Toutau contraire, ce passage nous inviterait à s'intéresser plus

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à ces matériaux et modes d'expression enfantins, dont levisuel n'est qu'une forme, pour mieux en comprendre laplace et le fonctionnement dans le psychisme.

Nous devons encore ajouter, à ces considérations surla figurabilité, deux compléments intéressants: les consi-dérations sur le langage symbolique et sur les « affinitéssensorielles ».

1 - Souvenirs d'enfant, symboles visuels:

Freud écrit en 1938 : « Le rêve fait un usage illimitédu langage symbolique dont la signification reste, pour laplus grande part, ignorée du rêveur. Mais notre expériencenous permet d'en établir le sens. Ce langage symboliquetire vraisemblablement son origine de phases antérieuresde l'élaboration du langage. » (161, 30) Ceci fait bien sûrallusion à la précocité des inscriptions psychiques, et aussiau texte d'Abel, à l'écriture égyptienne, sur l'axe phylo-génétique. Soulignons toutefois que les symboles visuelsapparaissent, dans cette théorie, comme plus primitifs queles signes sonores.

C'est de façon plus péremptoire qu'en 1904 Freud déve-loppant sa théorie des « souvenirs-écrans» fait du visuelle seul mode d'expression de cet archaïsme dans le rêve:« Les souvenirs des adultes portent, on le sait, sur desmatériaux psychiques diurnes. Les uns se souviennentd'images visuelles; leurs souvenirs ont un caractère visuel.D'autres sont à peine capables de reproduire les contoursles plus élémentaires de ce qu'ils ont vu : selon la propo-sition de Charcot, on appelle ces sujets «auditifs» et« moteurs» et on les oppose aux « visuels». Dans lesrêves, toutes ces différences disparaissent, car nous rêvonstous de préférence en images visuelles. Pour les souvenirsd'enfance, on observe, pour ainsi dire, la même régres-sion que pour les rêves: ces souvenirs prennent un carac-tère plastique visuel, même chez les personnes dont les sou-venirs ultérieurs sont dépourvus de tout élément visuel.C'est ainsi que les souvenirs visuels se rapprochent du typedes souvenirs infantiles. » (27, 59-60) Freud appuie cetteargumentation de son expérience personnelle: « En ce quime concerne, tous mes souvenirs d'enfant sont uniquementde caractère visuel; ce sont des scènes élaborées sous uneforme plastique et que je ne puis comparer qu'aux tableaux

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d'une pièce de théâtre. » (27, 59) Et pourtant il oublie làune scène répétitive de ses souvenirs d'enfance, scènesonore dont il fait part à Fliess, dans sa lettre du15/10/1897. A la suite d'un rêve où sa bonne d'enfantl'incitait à voler des pièces de monnaie pour les lui don-ner, Freud se rappelle, au cours de son auto-analyse: « ...une certaine scène me revint à l'esprit, une scène qui,depuis vingt-neuf ans, surgissait quelquefois dans mon sou-venir conscient, sans que j'aie pu la comprendre. La voici :je hurle comme un désespéré parce que je n'arrive pas àtrouver ma mère. Mon frère Philippe (de vingt ans plusâgé que moi) ouvre un coffre et moi, voyant que ma mèrene s'y trouve pas non plus, je crie davantage encorejusqu'au moment où, svelte et jolie, elle apparaît dansl'embrasure de la porte. » Freud associe à ce sujet: « ...J'avais dû entendre dire que cette dernière (la bonne) avaitété enfermée et croire que ma mère avait subi le mêmesort ou plutôt qu'elle avait été "coffrée", suivant une desexpressions plaisantes toujours chères à mon frère main-tenant qu'il a 63 ans. » (14, 197) On sait, en effet, quela bonne avait été renvoyée et « coffrée» pour vol.

Voilà bien un souvenir où le sonore tient une bonneplace à côté des images visuelles, et principalement sur leversant de l'affect. Nous verrons d'ailleurs dans la troi-sième partie de l'ouvrage qu'un certain nombre de ses rêvesont des contenus sonores. Freud n'a pas envisagé la pos-sibilité de symboles sonores - dont la musique - aumême titre que les symboles visuels.

2 - Une attraction sélective

Pour en venir au second point annoncé, reprenonsL'interprétation des rêves. Nous voyons pointer, à partirde l'idée de régression, une nouvelle hypothèse: « Dansle cas des rêves, la régression est peut-être aussi facilitéepar la cessation du courant « progrédient » qui, le jour,s'écoule des organes des sens; dans les autres cas de régres-sion, un renforcement des autres motifs de régression doittenir lieu de cette facilitation. Il faut noter aussi que, dansces formes pathologiques de la régression, aussi bien quedans le rêve, le transfert d'énergie doit être différent dece qu'il est dans la régression normale, puisqu'il aboutità un investissement hallucinatoire total des systèmes per-

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ceptifs. Ce que nous avons dit, en analysant le travail durêve, la prise en considération de la figurabilité, pourraitêtre mis en réalité sur le compte d'une attraction sélectivequ'exercent, au contact des pensées du rêve, des évoca-tions visuelles vives. » (25, 466) Et nous notons un peuplus loin: « ... le rêve est en somme comme une régres-sion au plus ancien passé du rêveur, comme une revivis-cence. de son enfance, des motions pulsionnelles qui ontdominé celle-ci, des modes d'expression dont elle a dis-posé. » (25, 467)

Cette notion d'« attraction sélective» est moins réduc-trice que les formulations précédentes et, de ce fait, laisseouverte la discussion. Celle-ci a déjà pris place avec lestravaux faits ces dernières années sur le jeune enfant, etplus encore sur le fœtus. Si le visuel domine le rêve, l'argu-ment du « plus archaïque» s'accorde peu, actuellement,avec ces nouvelles connaissances. Aussi cette notiond'« attraction sélective» pourrait-elle être plus utile...Freud,nous l'avons vu, a montré un intérêt particulier aux rap-ports entre les sons dans les phases d'acquisition et de pertedu langage. Et si on ne parlait pas, à l'époque, d'« audi-tion fœtale », on ne pouvait ignorer, dans le comporte-ment de l'enfant, cet investissement du sonore corporel etenvironnemental, support fondamental à une possibilité deparole.

Mais cette notion d'« attraction sélective» necorrespond-elle pas, justement, comme en écho sur le planvisuel, aux notions de « rapports tonaux » et de « valencesonore », notions que nous avons étudiées précédemment?Attraction des sons, attraction des images, produisant desassociations particulières, parfois même des bizarreries, nerépondant pas aux règles de la logique et de la rationa-lité, c'est dans cette sensorialité que le désir trouve un sup-port à son expression, produisant des « sur-auditions» oudes « sur-visions », phénomènes de brillance allant parfoisjusqu'à figer la mémoire.

E - Un rêve de type auditif

On se rappelle que le 31/10/1897 Freud s'interroge surle sonore produit dans le rêve et écrit à Fliess: « Penses-tu que les paroles prononcées par les enfants dans leur

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sommeil fassent partie de leurs rêves? Si tel est le cas,je puis te raconter un tout dernier rêve de désir, celui qu'afait à Aussee la petite Anna, âgée de un an et demi. Elleavait été malade le matin et on l'avait mise à la diète toutela journée. Cette indisposition avait été attribuée à des frai-ses. Pendant la nuit, elle énonça tout un menu: "Faises,faises des bois, flan, bouillie !"... » (14, 201)

Freud affirme qu'on ne peut pas parler de « type audi-tif » en ce qui concerne les rêves, tous visuels, et voici qu'ilnous présente - certes quelques années après - le rêvede « pur type auditif» presque comme une évidence, entout cas sans commentaires! Rappelons aussi ce rêve faitpar le Petit Hans (à l'âge de quatre ans et demi), trèscourt, tel que l'enfant le raconte lui-même à son père:« Tu sais, cette nuit j'ai pensé: Quelqu'un dit: "qui veutvenir avec moi ?" Alors quelqu'un dit: "Moi". Alors ildoit lui faire faire pipi. » (46, 104) Freud commente:« D'autres questions montrent clairement que tout élémentvisuel manque à ce rêve, qu'il appartient au pur "typeauditif". » (46, 104) Toutefois, il donne ce rêve commeillustration de la règle des paroles entendues la veille.

Ces contre-exemples ne font que souligner l'embarrasdans lequel Freud se trouvait concernant ce domaine dusonore. C'est que voir ou entendre en rêve ne pose passimplement le problème d'un choix sensoriel, ou mêmed'une « attraction» particulière, mais bien plus fondamen-talement, pour Freud, détermine une conception de lareprésentation qui définit les rapports de l'inconscient aupréconscient! conscient.

111-3 - Fantaisie: rêver dans le noir

Freud se montre ainsi embarrassé, encombré même parcette dimension sonore au point de considérer les parolesentendues dans le rêve comme une redite, à peine défor-mée par l'écho, de celles de la veille. Nous touchons peut-être ici l'axe narcissique de l'expérience onirique, avec lesdifférences et les complémentarités du miroir et de l'écho(192), entre le face-à-face visuel et la répétition sonore.

Si le passage du jour à la nuit marque profondément,

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jusqu'à la privation, l'expérience visuelle, le sonore, lui,n'y est pas atteint de la même façon, et sa temporalité,sa répétiÜvité, deviennent un support de la permanence,voire un point d'appui au déni de la séparation et de laperte, exprimé alors dans la vivacité du rêve sonore.

Paradoxale cette scène du rêve, dans le noir, compo-sée essentiellement d'images visuelles, insistance de cetteproduction visuelle par le psychisme, qui apparaît commeune défense de la pensée contre l'obscurité, projection d'uncode figuratif sur ses ombres. Noir de la nuit, noir de lacécité, noir du deuil, noir propice aux images les plus foi-sonnantes, débauche visuelle que certains de nos rêves, ima-ges kaléidoscopiques du moi. Déni de la perte et présenti-fication de l'objet dont l'image visuelle témoigne de la pré-sence, à portée de vue; création d'un « trompe-regard»(par opposition au trompe-I' œil que nous offrent certainspeintres), illusion, Narcisse. Obscurité de la scène origi-nelle dont la vision ne renvoie que le désir propre, obscu-rité aussi du rapport à la mère, mais obscurités sonores.

Avec la prévalence du visuel dans le rêve, il y auraitdonc un retournement sensoriel, effet de l'insistance dudésir, de la maîtrise de l'objet perdu de vue, de l'emprisedu regard comme maintien de la présence et de la sépara-tion physique (la vision, à partir de la naissance). Enfin,le silence de la nuit est rendu par l'image - on dit « sagecomme une image », celle de l'enfant endormi, opposé à1'« enfant de la nuit» que Freud nous a révélé.

Le sonore, en rêve, serait porteur des signes de vita-lité de l'objet' non détruit, par-delà la séparation etl'absence, offrant même une disposition à l'organisationtemporelle des ressentis et à leur possible retour. Plus natu-relle, dans le noir, la sensorialité sonore épouse les per-manences et les répétitions biologiques et cosmiques; lejour, la nuit. Elle se trouve particulièrement sollicitée lors-que le sujet ferme les yeux et s'immobilise; elle est alorsle seul vecteur demeuré ouvert à la communication aumonde, beaucoup d'insomniaques pourraient en témoigner.Cette ouverture, involontaire (et parfois camouflée par desboules Quies, ou encore le casque d'écoute d'un walk-man...), peut alors entrer au service et de l'agrippementà l'objet, et de l'angoisse persécutive, nourrissant la vigi-lance et peut-être certains rêves sonores. Produire des bruitsen rêve c'est encore être actif plutôt que de s'abandonner

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à l'imprévisibilité de l'incursion sonore. Entendre de lamusique en rêve c'est aussi s'accorder la présence bienveil-lante et durable de l'objet (ou/et remplir un vide sonorepersécutif). Dire en rêve, c'est plus précisément encores'assurer de la maîtrise des messages de ce monde, la maî-trise sensorielle se double alors d'un support sémantique,même si c'est encore pour en jouer.

Enfin, le sonore, signe de vie, est aussi porteur, parson intensité, de la vivacité de la pulsion (les bruits cau-chemardesques, les musiques d'élation, les rires et les pleursentendus en rêve en sont l'expression), et ce d'autant que,comme le souligne Freud, le sonore, vecteur privilégié del'affect est aussi le canal utilisé par le Surmoi. Certains« rappels à l'ordre» peuvent ainsi se faire entendre jus-que dans les rêves, comme en témoignent les propres rêvesde Freud.

Mais, pour être à la disposition du rêveur, les maté-riaux visuels, sonores, ou d'autres sensorialités (car tou-tes sont concernées), doivent avoir été préparés, mis enréserve. Freud reste très discret sur ce préalable.

Tandis que le statut de l'excitation semble s'épuiserentre les réflexions sur la pulsion (versant interne) et letraumatisme (versants externe et interne), nous l'avons vu,Freud, par un saut qualitatif, en vient à privilégier leniveau plus abstrait de la représentation. Il l'affirme, lerêve n'est pas un produit des excitations subies par lerêveur, il est une activité psychique à base de représenta-tions. Un peu' comme si ces deux niveaux pouvaients'exclure. Dans le passage suivant de leur Vocabulaire, J.Laplanche et J.B. Pontalis relèvent cette ambiguïté du con-cept de pulsion: «Tantôt c'est la pulsion elle-même quiapparaît comme" ... le représentant psychique des excita-tions qui proviennent de l'intérieur du corps et atteignentl'âme" ; tantôt la pulsion est assimilée au processus d'exci-tation somatique et c'est elle alors qui est représentée dansle psychisme par des "représentants de la pulsion" ceux-ci comprenant deux éléments: le représentant-représentationet le quantum d'affect. » (191, 411)

L'originalité de cette position a justement été cette miseen évidence de la séparation de l'affect et de la représen-tation, à la base du refoulement. Et si « la représentationserait plutôt ce qui, de l'objet, vient s'inscrire dans les"systèmes mnésiques" », comme le proposent ces auteurs

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(191, 415), « ... les représentations de chose, qui caracté-risent le système inconscient, sont dans un rapport plusimmédiat avec la chose (...) le point ultime où l'objet estindissociable de ses traces, le signifié inséparable du signi-fiant », mais « il est difficile de concevoir dans la penséefreudienne de trace mnésique pure, c'est-à-dire une repré-sentation qui serait totalement désinvestie, aussi bien parle système inconscient que par le système conscient. (191,415) Enfin, ces auteurs ajoutent: « On sait que Freud nese représente pas la mémoire comme un pur et simpleréceptacle d'images, selon une conception strictement empi-rique, mais parle de systèmes mnésiques, démultiplie le sou-venir en différentes séries associatives et désigne finalementsous le nom de trace mnésique, moins une' 'impressionfaible" restant dans une relation de ressemblance avecl'objet, qu'un signe toujours coordonné avec d'autres etqui n'est pas lié à telle ou telle qualité sensorielle. Danscette perspective, la Vorstellung de Freud a pu être rap-prochée de la notion linguistique de signifiant. » (191, 415)

Si nous avons cité ces différents passages c'est qu'ilsprécisent les difficultés de la théorie sur ce point. Partantde cette abstraction Freud laisse vacante l'élaboration pré-cédente, et d'autant plus vacante qu'il définit et différen-cie représentation de chose et représentation de mot à par-tir, justement d'une séparation entre éléments visuels et élé-ments acoustiques, séparation qui fait écho à celle entrereprésentation et affect... mais ces niveaux ne se corres-pondent pas aussi simplement.

Le travail dù rêve défini par Freud est bien le pôle leplus actif de l'activité onirique, se déployant entre ces dif-férents niveaux, entre l'inconscient et le systèmepréconscient-conscient. Ce travail suppose l'ensemble de cescomposantes différenciées et disponibles. Cette centrationsur le pôle actif peut être rapprochée de la nécessité, pourFreud, de s'opposer aux interprétations mécanistes desauteurs précédents. Mais nous avons aussi eu l'occasiond'observer, par l'intermédiaire de l'expérience sonore, sadifficulté à appréhender la passivité. On peut, en effet,considérer un autre plan, appelons-le « réceptif» - moinsactif - où ce qui est en jeu est non le contenu du rêve,non le travail du rêve qui l'a. produit, mais la dispositionà rêver elle-même. L'expérience courante montre qu'il ya une aptitude à rêver, l'expérience clinique en donne des

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exemples dans la pathologie. Ainsi, caractérisant l'expé-rience onirique des psychotiques, S. Resnik écrit: « ...Rêver ou avoir conscience de rêver est déjà chez le psycho-tique le signe d'un développement, d'un progrès. Celarévèle la capacité de distinguer l'objectum du subjectum,la veille du rêve, situation qui anticipe la réflexion collo-quiale de la veille. » (202, 218)

Mais c'est Bion qui a attiré l'attention sur les qualitéset fonctions de la disposition à rêver, disposition à un étatréceptif-actif. «Mon énoncé selon lequel l'homme doit"rêver" l'expérience émotionnelle en cours, aussi biendurant son sommeil qu'à l'état de veille, sera donc refor-mulé comme suit: la fonction alpha de l'homme, dans lesommeil ou à l'état de veille, transforme les impressionsdes sen,s liées à une expérience émotionnelle en éléments-alpha qui s'assemblent à mesure qu'ils prolifèrent pour for-mer la barrière de contact. Cette barrière de contact, quisuit ainsi un processus continu de formation, marque lepoint de contact et de séparation entre les éléments cons-cients et les éléments inconscients et est à l'origine de leurdistinction. La nature de la barrière de contact dépend dela nature des éléments-alpha emmagasinés et de leur modede relation. » (182, 34-35)Et W. R. Bion caractérise, unpeu plus loin, les éléments-alpha et les éléments-bêta dela façon suivante: « Les éléments-alpha comprennent desimages visuelles, des schèmes auditifs, des schèmes olfac-tifs, et ils sont susceptibles d'être employés dans la pen-sée vigile inconsciente, les rêves, la barrière de contact, lamémoire. (...) Mais le concept d'élément-bêta inclut les seu-les impressions des sens, l'impression des sens comme partiede la personnalité qui éprouve cette impression des sens,et l'impression des sens comme chose en soi à laquelle cor-respond l'impression des sens. » (182, 43) Lorsque Freudparlait de l'influence de cette dernière sur le contenu durêve, il précisait qu'il n'y avait d'impression que de ce qui,des perceptions, retenait l'intérêt du sujet, et correspon-dait ainsi à un investissement, signifiant par là qu'il neconsidérait pas d'impression automatique, indifférente etneutre. C'est aussi ce que le développement du très jeuneenfant nous laisse appréhender des empreintes de l'objetd'amour, toile de fond de la construction psychique.

Pour rêver, il faut avoir en réserve des matériaux dis-ponibles. Il y aurait une sorte de.« coque» du rêve (ou

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matrice) composée des résidus de traces mnésiques pré-verbales fortement saturés sur le plan sensoriel et affec-tif, et cela de façon indifférenciée, matériau composant lescouches les plus profondes, les plus compactes; les cou-ches supérieures seraient, elles, composées de matériaux deplus en plus différenciés et, ainsi, rendus disponibles aurêveur. Cette empreinte (au sens fort donné par K. Lorenzet leséthologistes), sensori-motrice-affective, serait celle lais-sée par l'objet, dans ses caractéristiques les moins acces-sibles à la fonction alpha (Bion). Tandis que les éléments« travaillés» dans le rêve appartiendraient en général, auxcaractéristiques de l'objet qui ont pu être mises en circu-lation et appropriées par le rêveur, dans un mouvementnarcissique, auto-érotique. Ce premier « travail », à la faceinterne de la coque du rêve, correspond au travail de trans-formation des éléments-bêta en éléments-alpha, au niveaule plus archaïque exploré par Bion. Et, pour ce faire, ilnécessiterait la médiation d'un autre psychisme, travailtransitionnel (celui de la mère, celui du thérapeute). Ceséléments rendus disponibles devront être encore suffisam-ment désexualisés pour passer la barrière entre inconscientet préconscient, afin d'être rendus mobiles et mis au ser-vice de la pensée du rêve. Nous rejoignons ici la penséede J. Guillaumin à propos des éléments du préconscient,lieu de stockage des traces verbales, largement désexuali-sées et socialisées, rendues à leur origine collective. A ceniveau les traces sonores, et même la musique semblentencore très empreintes de ces composantes (ce qui peutpeut-être expliquer les difficultés que nous avons à les abor-der, voire parfois les gênes dans cette tentative d' élabora-tion). Voici ce qu'en dit cet auteur: «(...) L'existenced'autres formes d'apprentissages, également commises aupréconscient, n'est guère douteuse: automatismes logiquessans support verbal et surtout "savoir-faire", techniquesde tous ordres reposant sur des codes définis, que le Moirappelle à lui dès qu'il en a besoin, dans les mêmes con-ditions que le langage. Le point est d'importance car ilsuggère que la fonction de cette instance est en fait de con-server pour le Moi toutes les conduites, automatisées etcodées, que le sujet a empruntées par l'identification deses objets, en les désexualisant, c'est-à-dire en les tenantà distance de la représentation du but premier du désirqui l'a porté à se les approprier ce qui lui permet de les

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intégrer à sa personnalité, comme instruments du Moi, sansen remettre en jeu constamment la légitime possession àl'occasion de la fantasmatisation. » (189, 153-154)

Aux éléments sensoriels, sonores, sont associés, dansle rêve, des traces archaïques de l'empreinte, traces pou-vant donner des impressions confuses ou massives, car nontravaillables, traces dont la vivacité ou la pauvreté pour-ront déterminer certaines particularités du rêve. S. Resnikfait référence à certaines d'entre elles lorsqu'il écrit: « Lareprésentation du rêve, la présence et l'intensité dramati-que de la scène onirique, contiennent les métaphores et lesformes symboliques que la présence ou l'absence de l'objetont déterminées. » (202, 221)

Il apparaît ainsi que la présence de rêves sonores, oumusicaux, peut être l'effet de ce travail d'appropriationde codes, d'éléments suffisamment désexualisés pour êtreutilisés par le préconscient à l'intérieur du rêve. En con-trepartie, on peut penser que l'absence de certains éléments,de certaines sensorialités, ou leur participation confuse, obs-cure, puissent venir des propriétés de l'empreinte de l'objetperdu et donc des qualités du deuil consécutif à la perte.C'est en ce sens que nous citerons encore J. Guillauminpour le rapprochement qu'il fait de la trace mémorielleretrouvée, du souvenir, au processus de deuil. Nous obser-vons, en effet, qu'au noir et au silence de la nuit - lamort - s'opposent les productions du rêve, animation,réactualisant des traces de l'objet. « ... Il semble permisde dire que le processus de deuil et celui du souvenirs'effectuent tous deux par l'intermédiaire d'un certain aban-don de la finalité active des pulsions au profit de leur butpassif. Il faut que le Moi découvre ou élabore un certainplaisir à éprouver, au sens de se soumettre, d'accepter,comme un fait à quoi il ne peut rien - sinon dans la rêve-rie -, les marques imprimées en lui par l'objet passé.

Alors seulement, il cessera de souffrir de ne pouvoirdécharger son désir: car, à la différence de celui à butactif, le désir à but passif, lui, peut encore s'exercer àl'égard des traces. Il suffit de les laisser s'évoquer dansle Moi et de refaire ainsi l'expérience en quelque sorteauto érotique de les re-sentir présentes. La fonction du nar-cissisme est vraisemblablement dans cette affaire de ren-dre agréable une telle mutation en faisant apparaître au

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Moi comme une victoire secrète sur les blessures de l'indi-viduation et de la perte objectale, voire de la bisexualitépsychique, la faculté qu'il se donne de s'affecter lui-mêmeà volonté de ses propres expériences passées. C'est-à-direde contenir souverainement assez en lui-même, selon unordre qui ne dépend plus actuellement de l'extérieur, lepouvoir d'éprouver l'image et le pouvoir de l'activer. Dou-ble pouvoir passif et actif, qui lui donne ensuite celui dese tourner vers son avenir avec toutes ses armes. » (189,148-149)

Si nous avons cité ce passage, c'est que ce même plai-sir à éprouver nous semble nécessaire à l'activité onirique,à cette disposition à rêver, aux qualités des traces quiseront évoquées, notamment aux qualités sonores, dontnous avons relevé la face réceptive. Qualités et disponibi-lité des caractéristiques de l'empreinte de l'objet, et éla-boration du processus de deuil, s'associent pour spécifierles données sensori-motrice-affectives du rêve, des pluscompactes et indifférenciées - absentes du travail du rêve- aux plus disponibles et transformables, «jouables»dans le contenu manifeste du rêve.

L'expérience clinique de l'analyse de groupe nous a ren-due attentive à ce qui, de la composition du sensoriumdu groupe (195) fait écho à ces processus dont le paysagesensoriel du rêve serait la résultante.

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Deuxième partie

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EXPÉRIENCE SONOREET MUSICALE DE FREUD

I

LE SONORE DANS LES RÊVESDE FREUD

Les rêves de Freud, à contenus sonores, sont l'occa-sion de tenter d'aller au-delà de l'application qu'il nouspropose de la règle de l'entendu; de la considérer plutôtcomme une sorte de pancarte brandie: « Ici, il n'y a rienà associer! »

Les chapitres précédents nous ont familiarisés avecl'importance que revêt pour Freud la nécessité de se faireentendre, la volonté et le courage de dire à haute voix ceque l'on pense tout bas, et, en tant qu'auditeur cette fois,la sensibilité qu'il montre aux qualités de voix, aux tona-lités affectives qu'elles font percevoir, aux rapports sono-res entre les mots, enfin. Il n'est donc pas étonnant detrouver dans ses propres rêves cette dimension auditive,celle des paroles entendues de façon hallucinatoire. Nousavons retenu, parmi les rêves de l'autoanalyse, ceux quicomportent cet élément perceptif. Ils sont au nombre deonze, et se situent entre 1895 et 1900, en voici la liste:

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- « l'injection faite à Irma» (24/7/1895), premier rêvede l'autoanalyse,

- « mon fils, Ie myope... Auf Geseres - Auf Unge-seres» (début janvier 1898),

- le « château au bord de la mer» ou le « navire dupetit déjeuner» (10-11 mai 1898),

- la « salle avec machines» ou la « maison desanté », ou le rêve de « malhonnêteté» (mai 1898),

- « Hollthurn» (18-19/7/1898),- le « Comte Thun» (août 1898),- les « Trois Parques» (sept-octobre 1898),- «Non vixit» (fin octobre 1898),- « 1851 et 1856 », dernier rêve de l'autoanalyse pro-

prement dite (juillet 1899 ?),- la « table d'Hôte» (octobre 1900),- enfin, on notera encore un rêve à contenu sonore,

ajouté dans une édition ultérieure et daté du 1er octobre1910, rêve des trois filles et de Savonarole (25, 151, note2: 1).

Comme on peut d'emblée le constater, la grande majo-rité d'entre eux (sept) ont été faits entre janvier et octo-bre 1898, année particulièrement riche de l'autoanalysesystématique - avec, au cours de cette période, presqueune vingtaine de rêves rapportés, analysés. Les rêves sono-res y représentent donc une bonne proportion! Rappelonsque l'analyse de l'ensemble de ces rêves a permis d'avan-cer dans la découverte de la sexualité infantile et dans celledu fantasme de la scène primitive.

Notre recherche nous amène, naturellement, à nousinterroger sur les passages sonorisés de ces rêves. Mais surcette voie se dresse un obstacle considérable: celuiqu'oppose la fameuse règle de l'entendu du rêve. Freud,bien sûr, l'applique à ses propres rêves, interrompant oubloquant ainsi tout courant associatif à propos de cet élé-ment sensoriel. Freud se contente donc de démontrer lavalidité de la règle, en recherchant parmi les restes diur-nes les paroles entendues dans le rêve. Là doit se termi-ner l'analyse, car l'entendu, comme nous l'avons vu, n'estconsidéré que comme répétition du réel. Ne possédant ainsiaucune association de Freud à propos des contenus sono-res de ses rêves, nos possibilités d'investigations restentlimitées. Toutefois, nous aborderons successivement lespoints suivants:

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A - Du déjà entendu, application de la théorie;démonstration de la règle de l'entendu,

B - Le sonore dans la structure du rêve: articulation,C - De quatre regards..., voix et regard,D - L'insistance de l'affect, de rêve en rêve Nous ter-

minerons ce chapitre par l'analyse d'un rêve non passonore mais sur le sonore: «Hearsing ».

Dans les récits de ces rêves nous mettrons en italiqueles parties sonores (celles qui sont entendues dans le rêve).

A - Du déjà entendu, application de la théorie

La plan acoustique des rêves de Freud sonne commeune réponse à la discussion - qu'il reprend dans le cha-pitre consacré à la littérature sur le rêve - sur la placedu sonore dans les rêves.. Freud fait la démonstration, surses propres rêves, que le sonore du rêve ne correspond pasà une réponse simple à un stimulus sonore externe, de laréalité, perçu pendant le sommeil - aucun de ses propresrêves ne répond à un tel stimulus -, et le rêve « le papeest mort» (qui ne contient pas d'élément sonore), démon-tre la résistance du rêveur à ce type de perturbation.

Bien plus, semble-t-il avancer, dans cette poursuite oni-rique de la discussion, c'est parfois par un élément sonorehallucinatoire que s'introduit le rêve, voire même une imagesonore qui, habituellement, appelle le réveil: les rêves«Non Vixit» et « Hollthurn » illustrent ce point. Le récitdu premier commence ainsi: « Je suis allé la nuit au labo-ratoire de Brücke et, après un léger coup à la porte,j'ouvre au (feu) Pr Fleischl qui entre avec plusieurs étran-gers et qui, après quelques paroles, s'assied à table. » (25,359) Le second débute dans une gare: « Dans la nuit du18 au 19 juillet, je voyage sur la ligne du Sud et j'entendsannoncer dans mon sommeil: "Hollthurn, dix minutes". »(25, 388) Un coup à la porte, une annonce de gare, cesont là des signaux sonores d'éveil utilisés ici, paradoxa-lement, comme introduction au rêve. Comme si, par cettemise en sons, le rêve pouvait se prémunir de la réalité,déjouer les sens (on pense à celui qui met son walkmanpour ne plus être perturbé par les bruits environnants...).Freud a bien dit que le gardien du sommeil pouvait avoirà faire lui-même du bruit!

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Dans la discussion avec ses prédécesseurs Freud, nousl'avons vu, ne fait que déplacer le principe de réalité dustimulus: il ne s'agit pas d'un entendu actuel mais d'unentendu passé, celui de la veille.

Nous avons déjà noté l'utilisation qu'il fait de son rêve« le château au bord de la mer» dans cette argumenta-tion, nous n'y reviendrons pas. Dans l'analyse du rêve« mon fils le myope », Freud distingue une création demot: « Ungeseres », mot sur lequel il associe, tandis quepour les autres paroles prononcées, il retrouve des élémentsde la veille. Ainsi les paroles inclues dans le titre de cerêve renvoient-elles à une anecdote rapportée par un col-lègue. Une mère affolée devant la reprise d'une affectiondes yeux chez son enfant, affection guérie d'un côté pourapparaître à l'autre, appela le médecin qui fit cette obser-vation : « Vous en faites un Geseres ! Il a guéri d'un côté,il guérira bien de l'autre. »

Freud poursuit: « Mon ami, entre-temps, m'avait expli-qué ses vues sur la signification biologique de la symétriebilatérale, et il avait commencé une phrase avec ces mots:"Si nous avions un œil au milieu du front comme lecyclope...". Cela conduit au discours du professeur dansle rêve-prologue: "mon fils, le myope..." » (25, 377).Ainsi, tous les mots prononcés dans ce rêve ont-ils étéretrouvés dans des paroles de la veille, et trouvent là leurexplication. Freud reconnaît pourtant implicitement, avec« Ungeseres », qu'il y a des éléments sonores du rêve àinterpréter, puisqu'il s'y prête lui-même. Par contre, pourquatre de ces onze rêves, il n'y aura aucune analyse desparoles entendues ou prononcées. Il s'agit des rêves sui-vants : « 1851 et 1856 » (Freud ne fait aucune allusion auxquestions posées dans ce rêve), « les trois Parques» et « latable d'Hôte », pour lesquels il ne poursuit pas une analysedont il juge les éléments trop personnels. Enfin, il utilisele rêve « la salle aux machines» pour illustrer les moda-lités de la négation dans le rêve. En ce qui concerne « latable d'Hôte », il est intéressant de noter que, non seule-ment il n'y a pas référence à un entendu précis de la veille,mais il y. décèle un raisonnement contraire: « Quand unepersonne a l'air de compter sur les services d'autrui sansse donner par elle-même le moindre mal, en quels termesa-t-on coutume de la réprimander? On lui dit: "Croyez-vous que nous soyons ici pour vos beaux yeux?" De sorte

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que les paroles prononcées dans mon rêve par Mme E.L. :"Vous avez toujours eu de si beaux yeux", ne signifientautre chose que "Ce qu'on en fait, c'est pour l'amour devous; vous avez toujours eu gratuitement ce que vous dési-riez." Bien entendu, c'est le contraire qui est vrai. » (25,19-20)

C'est à propos du rêve de « l'injection faite à Irma»que la démarche d'analyse est la plus précise et, de ce fait,les éléments sonores s'y trouvent traités. Ainsi les premiè-res paroles de Freud: « Si tu as encore des douleurs, c'estde ta faute» donnent lieu au commentaire suivant:« J'aurais pu lui dire cela éveillé, je le lui ai peut-être dit»(25, 101), on est encore là dans la pure spéculation...Quant aux plaintes d'Irma, Freud retrouve bien dans cerêve le comportement plaintif habituel de sa patiente, maisil s'étonne du contenu de ces plaintes et ajoute,: « Ce choixde symptômes du rêve me surprend, je ne me l'expliquepas pour le moment. » (25, 101) Vient l'intervention deLéopold: «elle a une matité à la base gauche», Freudne considère pas ici cette parole en tant que telle, il serappelle simplement « le souvenir d'un cas où la soliditéde Léopold m'avait particulièrement frappé» (25, 105).Enfin, la réflexion du Dr M. « C'est une infection, maisça ne fait rien. Il va s'y ajouter de la dysenterie et le poi-son va s'éliminer », est commentée de la façon suivante:« Cela me paraît ridicule au premier abord, mais je pensequ'il y a lieu de l'analyser attentivement comme le reste. »(25, 105) Il associe sur des discussions de diagnostics pouraboutir, sur le plan sonore, à une relation de consonanceentre deux mots: dysenterie (une expérience avec un deses patients) et diphtérie (terme utilisé dans le rêve). Freudajoute encore un commentaire à propos de l'expression« cela ne fait rien» qu'il rapporte à une conversation entrele Dr M. et un confrère. Ce dernier, appelé auprès d'unmalade très atteint, par un confrère très optimiste, lui avaitfait remarquer que le malade avait de l'albumine dans lesurines. « Le confrère ne se troubla pas et répondit tran-quillement : "Cela ne fait rien, mon cher confrère, l'albu-mine s'éliminera !" Il n'est donc pas douteux que ce frag-ment du rêve est une raillerie à l'adresse des confrères quiignorent l'hystérie. » (25, 107)

Nous trouvons donc dans cette analyse, à la fois larecherche de l'entendu de la veille (ci-dessus), et, sur

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d'autres parties sonores, un travail associatif - qui aboutità une relation de consonance -, ou encore l'aveu d'uneperplexité.

C'est aussi à une relation de consonance qu'aboutitl'analyse du rêve «Non Vixit », bien que la première asso-ciation soit visuelle, et non plus sonore, puisque cetteexpression renvoit à un texte écrit. « Je passai longtempssans trouver l'origine du "non vixit" que j'emploie dansle rêve; mais je m'aperçus que ces mots avaient été clairsdans le rêve, non pas en tant qu'entendus ou prononcés,mais en tant que vus. Je sus alors aussitôt d'où ilsvenaient. Sur le socle du monument de l'empereur Joseph,à Vienne, on lit ces belles paroles: "Saluti patriae vixit,Non diu sed totus". » (25, 360-361)

Ses associations l'amènent aux souvenirs d'enfance, avecson neveu John, souvenirs de bagarres: « Ce doit être lesouvenir de cette scène d'enfance qui a transformé nonvivit en non vixit, car, dans la langue des enfants, battrese dit wichsen ; le travail du rêve ne méprise pas ces sor-tes de relations. » (25, 362) Mais Freud ne s'interroge passur le processus par lequel le rêve est passé du visuel ausonore.

Le rêve « le Comte Thun» semble à la fois servir dedémonstration à la règle de l'entendu, et venir la contre-dire. Il la démontre dans la mesure où Freud retrouve,effectivement, des paroles de la veille, et la contredit, dansla mesure où il démontre aussi que ce matériau sonore aété soumis à un travail de transformation. Voici le courtrésumé qu'il en donne: « Je prends un fiacre et me faisconduire à une gare. Je dis au cocher qui me reprochede le surmener: "Je ne puis évidemment pas faire avecvous le trajet du train." Tout se passe, en effet, commesi j'avais accompli avec lui déjà une partie du parcoursqu'on fait ordinairement par le train. » (25, 367) Freudassocie cette partie de rêve à un souvenir de la veille, sou-

.venir qui concerne son frère: « J'avais, dans la journée,refusé de l'accompagner en Italie ("Je ne puis pas faireavec vous le trajet du train"), et ce refus était une sortede réponse à son reproche habituel que dans nos voyagesje le surmenais... » (25, 368) Il poursuit: « J'avais dit àmon frère: "Le voyage que tu fais par la Ceinture, tupourrais le faire avec moi par le train de l'Ouest." Toutela confusion du rêve est due au fait qu'il a remplacé "train

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de ceinture", par "voiture", ce qui réunit les figures demon frère et du cocher. Et j'obtiens quelque chose quin'a aucun sens, qui paraît inexplicable et qui est presqueen contradiction avec mes précédentes paroles ("je ne puispas faire avec vous le trajet du train"). » (25, 368) Freudmontre comment cette absurdité est le résultat du travaildu rêve.

Nous terminerons ce paragraphe avec l'analyse du rêve« Hollthurn ». Rappelons-en le début: « Dans la nuit du18 au 19 juillet, je voyage sur la ligne du Sud et j'entendsannoncer dans mon sommeil: "Hollthurn, dix minutes. "Poursuivant son rêve, Freud associe ce nom aux holothu-ries (mollusques) vus dans un musée d'histoire naturelle,et puis aux valeureux de la Contre-Réforme en Autriche,dont ce musée pouvait conserver les restes. Il voit cemusée, et des femmes portant des corbeilles de fruits surle quai, il hésite à descendre du train. Il se trouve ensuitedans un autre compartiment avec d'autres voyageurs, dontun couple d'Anglais qu'il imagine être frère et sœur. Ilaimerait se mêler à leur conversation qui porte sur deslivres se trouvant sur les étagères, il lit ces titres: Wealthof Nations, Matter and Motion (de Maxwell). Freuds'éveille et raconte: « Pendant que je transcris, il me vientà l'esprit un fragment du rêve que ma mémoire a vouluomettre. Je dis d'un certain ouvrage au couple du frèreet de la sœur: "It is from... " mais je me corrige: ''Itis by..." L'homme fait à sa sœur la remarque: "Mais,il l'a bien dit." » (25, 388, c'est ici la traduction utiliséepar D. Anzieu, 179, 268-269)

Nous observons que la parole est donnée, en premier,à un anonyme - employé des chemins de fer -, puis aurêveur lui-même, et enfin, à l'homme du couple anglaisqui, lui, paradoxalement, s'exprime dans la langue durêveur, en allemand; Freud ne s'en étonne pas. Le ren-versement des langues (l'anglais pour Freud, l'allemandpour l'Anglais) s'ajoute donc ici à la sonorisation des paro-les. Le texte de ces dernières consiste en une incorrectionde langue, réparée, correction attestée par un tiers. Voyonsmaintenant la façon dont Freud justifie ces paroles. Ence qui concerne le nom de Hollthurn donné à la station,nom qui n'existe pas, Freud en restera à son associationavec les « holothuries ». Nous sommes quand même unpeu loin d'une répétition pure et simple d'un entendu

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récent... A la lecture des autres rêves, nous nous sommespermis d'associer, quant à nous, sur la référence faite auPrince Hal de la pièce Henri IV de Shakespeare, pièce citéepar Freud à propos du rêve «Non Vixit », donc égalementen rapport avec l'usage fait par lui d'une langue étrangère,usage incorrect, dans les deux cas. Voici ce passage: « Par-tout et toujours dans le monde où il y a hiérarchie et avan-cement, le chemin est ouvert à des désirs qu'il est néces-saire de réprimer - le Prince Hal de Shakespeare ne peutéchapper à la tentation, au chevet de son père malade, devoir si la couronne lui sied. » (25, 413) D. Anzieu situecette scène plus précisément: «Il s'agit d'une scène del'Acte 4, d'Henri IV, deuxième partie. Le roi Henri IV estallongé, mortellement malade; il a fait placer sa couronnesur son oreiller. Le prince Hal, qui est l'héritier, entre etpropose de le veiller; les autres fils et seigneurs se reti-rent; le roi Henri s'endort. Le prince Hal exprime sa ten-dresse filiale pour le mourant, met sur sa tête la couronnequi lui est due et sort. » Au réveil du roi, le prince ne peutqu'implorer le pardon. Le roi lui pardonne, en effet. D.Anzieu poursuit: « Freud a sans doute été sensible là aucombat entre l'ambition et la dévotion filiale, ainsi qu'auxsentiments de culpabilité du fils pour avoir souhaité la mortde son père, combat et sentiments qu'il a revécus lui-mêmedans son autoanalyse. » (179, 334-335) Ne retrouve-t-on paslà clairement le problème de la succession qui appartenaitdéjà au contenu manifeste du rêve du « navire du petitdéjeuner» ? Nous remarquons, en effet, que, par asso-nance, Hollthurn se rapproche de « Hal turn» ce qui vou-drait dire, en anglais - cette langue n'est-elle pas indiquéepar le rêve? - : « le tour de Hal », signifiant bien parlà une problématique de la succession. Ce récit de rêve setrouve donc encadré par des paroles en anglais venant sou-ligner les problématiques de l'origine ('jrom"/Hby"), etde la succession.

Notons encore que dans ces deux rêves: «Non Vixit»et «Hollthurn », l'usagé d'une langue étrangère vientcomme masquer le meurtre (fantasmatique) du père.

Avec sa règle de l'entendu du rêve, et ses applications,Freud nous dit, en quelque sorte que, « sur l'entendu, iln'y a pas lieu d'associer ». Est-ce à dire que l'entendu estabsorbé, non digéré, et se retrouve tel quel, à l'intérieurdu rêve, comme le loup du « Petit Chaperon Rouge» dans

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le ventre de la grand-mère? C'est ce que nous croyonscomprendre. Nous avons observé, dans ces deux rêves,«Non Vixit» et « Hollthurn », que la dimension sonoreest, à la fois, relayée et soutenue par l'écrit et la lecture,notamment la lecture en une langue étrangère. On peutse demander si cette façon de fixer la parole par l'écrit,dans le rêve, n'est pas au service d'une protection, unmoyen de ne pas détruire la représentation de mot.D. Anzieu, par l'analyse de la place de la vue et de l'écritdans les rêves de l'autoanalyse, fait observer que Freud« court-circuite (n.) l'étape du langage parlé ». Nous cite-rons ici cette analyse car elle nous semble, sur certainspoints, venir conforter notre hypothèse. Voici ce qu'il écrità propos des quatre rêves de Rome (rêves faits en janvier1897 et qui ne comportent pas d'éléments sonores) : « Lastructure qui leur est commune - un paysage dans la pre-mière partie, des noms propres ou des inscriptions dansla seconde partie - consiste en ce que la vue débouchedirectement sur l'écriture. Pourquoi dans le rêve sur Irma,dans celui sur la mort du père, dans ces quatre rêves deRome la vue se trouve-t-elle privilégiée sur tous les autressens? Alors que l'ouïe est essentielle dans l'apprentissagede la parole, la vue devient prédominante dans celui dela lecture; puis, avec le passage de la lecture à l'écriture,la vue contrôle non pas les mouvements de la main, maisles graphies qui en résultent. Les mouvements disposentces graphies sur la feuille d'après un modèle non plus visuelet externe mais abstrait et interne. Écrire, compter sup-posent la constitution d'un espace mental, dérivé duschéma corporel et venant remplacer l'espace imaginaire,projection du corps fantasmé. Ainsi la forme d'intelligencequi a fait de Freud un créateur consiste en la transcrip-tion directe de ce qui est "vu", c'est-à-dire de ce qui estintuitivement saisi; c'est ce qui donne à ses "vues", malgréle "brouillard" qui entoure leur objet, une clarté et unenetteté dont il s'étonne lui-même dans ses rêves. Ce fai-sant, il court-circuite une étape, à laquelle la majorité desindividus reste par contre fixée, l'étape du langage parlé.L'entendu, le bain de paroles, l'expression orale n'ont jouéjusqu'ici, ne joueront par la suite qu'un rôle mineur dansles rêves de Freud. S'il assigne la verbalisation du vécucomme règle aux patients pendant les séances de psychoa-nalyse, lui-même fonctionne autrement. Les rêves qu'il fait

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comme patient de son autoanalyse, il en rédige le texte,il en enregistre par écrit les associations immédiates et leslignes directrices de l'interprétation. On peut s'aventurerà comprendre dans cette perspective le choix du sujetauquel Freud a consacré en 1891 son premier ouvrage,Contribution à la conception des aphasies: l'impossibilitéde parler ne serait-elle pas venue s'inscrire, au début desa carrière scientifique, enfin devenue autonome, commel'aveu d'une négativité à assumer afin d'aller plus loin:renoncer à parler pour se consacrer à écrire. (...) Freud,en raison de ce surinvestissement de la vue et de l'écri-ture et de cette capacité de penser, sans étape intermédiaire,selon le second niveau de symbolisation du langage, celuidu langage écrit, non plus parlé, et selon la forme supé-rieure de ce second niveau - l'écriture non plus la lec-ture -, Freud donc a directement transcrit le code pro-pre à l'inconscient, code implicite dans ce qu'il voyait àla fois sur lui et sur ses malades. » (179, 131-132)

Nous soutenons ici l'hypothèse du « Petit ChaperonRouge », c'est-à-dire que le fait, pour le rêveur, de ne pou-voir sonoriser ses pensées (dans le cas présent il les visua-lise ou les écrit), peut, dans certains cas, être lié à un fan-tasme oral d'absorption, de destruction. Ne reviendrait alorsque le «non digéré »... La règle de l'entendu du rêveaffirme, en tout cas, cette non-digestion: la pensée ne peutalors que répéter ce qui lui reste étranger (ou se déplacersur ce type de discours). Cette règle correspondrait à ces cas.

B - Le sonore dans la structure du rêve: articulation

Ce sont plus particulièrement les implications du sonoredans la forme et la structure du rêve qui seront mainte-nant analysées. Nous tenterons de repérer la placequ'occupe cet entendu, les caractères de ce qui est ainsirendu audible dans la trame du rêve, comme « présentdans le présent », par la dimension hallucinatoire. Car sile rêve est bien une actualisation, par l'utilisation halluci-natoire de la perception, le sonore met en avant - con-trairement à la scène visuelle - l'instant fugitif de l'audi-tion. On assiste de plus à un dédoublement de la scèneen deux plans perceptifs, visuel, sonore (auxquels se super-posent parfois les plans du toucher, de l'odorat, etc.).

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Placé au début ou à la fin du rêve (ex. «Mon fils,Ie myope », «Auf Geseres, auf Ungeseres »), au encoreen son centre (ex. « la salle aux machines », « le ComteThun»), le sonore - ici la parole entendue - constitueun passage, entre rêve et sommeil, ou entre deux momentsdu rêve. Cette notion de passage est redoublée par le rap-port vie/mort qui nous est apparu, dans ces rêves (commedans celui des « services d'amour »), comme caractéristi-que. Le sonore concerne le vivant; Freud, nous l'avonsvu au début de cet ouvrage, l'a bien spécifié. Ses rêvesen apportent la confirmation: la parole entendue vientsouligner le caractère bien vivant (pour le désir) du per-sonnage concerné, tandis que le silence et le mutisme cou-vrent ce qui se rapporte à la mort (ex. le silence d'Ottodans « l'injection faite à Irma », celui de P. dans « NonVixit », enfin, celui du père dans « 1851-1856 »). C'estce dernier rêve que nous évoquerons maintenant. Il cons-titue, en effet, une sorte de mise en scène du vivant, prin-cipalement du rêveur lui-même. En voici le récit: «Jereçois une lettre du Conseil municipal de ma ville nataleconcernant les frais d'hospitalisation, en 1851, nécessitéspar une attaque chez moi. Cela me paraît très comique,car, d'abord, en 1851 je n'étais pas né, et en second lieumon père, à qui cela pourrait se rapporter, était déjàmort. Je vais le trouver dans la chambre à côté où ilest couché et je le lui raconte. A mon grand étonnement,il se rappelle qu'en 1851 il s'était un jour enivré et futconduit au poste ou enfermé. C'était au temps où il tra-vaillait pour la maison T... "Tu as donc bu aussi ?" luidemandai-je. "Et tu t'es marié aussitôt après ?" Je cal-cule que je suis, en effet, né en 1856, ce qui me paraîtsuivre immédiatement.» (25, 371, in D. Anzieu, 179,396)

Dans ce rêve les réponses éventuelles du père ne sontpas représentées, ni audibles, puisqu'il est mort. L'énigmedes chiffres à laquelle nous conduit le rêve est exclue duplan sonore. Celui-ci met en avant le dialogue vivant/mort,questions/silence, et ce dans la continuité des rêves précé-dents. Mais cette fois il s'agit du père lui-même. Si l'accentest mis sur la sexualité du père (enivrement/mariage) -côté de la vie - c'est pour, par un savant calcul, arriverà la procréation, naissance de Freud, filiation - rapportmort/vie.

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Ainsi se dégage, au niveau de la structure du rêve, lafonction d'articulation tenue par l'entendu. Sur le plan dela forme, par ailleurs, il s'agit bien aussi d'articuler, puis-que le sonore utilisé est, dans tous ces cas, la parole.

C - De quatre regards, voix et regard

Nous intéressant particulièrement au matériau sensorielde ces rêves, nous avons relevé l'association de l'entenduet d'une certaine qualité de regard dans quatre de ces onzerêves. Il s'agit de « L'injection faite à Irma », du « Châ-teau au bord de la mer », de «Non Vixit» et, enfin, de« La table d'Hôte ». Aussi avons-nous choisi de les étu-dier plus précisément. Comme pour les rêves précédem-ment cités, nous ne reprenons pas l'interprétation globalede ces rêves (renvoyant le lecteur à Freud lui-même, et àl'ouvrage de D. Anzieu (179», nous ne retiendrons quel'aspect particulier qui nous occupe ici.

1 - Le rêve de « l'injection faite à Irma» (24/7/1895)

Voici le récit que nous reprenons de la traduction uti-lisée par D. Anzieu (E. Rosenblum) : « Un grand hall -de nombreux invités que nous recevons (ou: concevons)- Parmi eux Irma que je prends aussitôt à part, commepour répondre à sa lettre et lui faire le reproche qu'ellen'a pas encore accepté « ma solution ». Je lui dis: uSitu éprouves encore des douleurs, ce n'est réellement quede ta faute. " Elle répond: uSi tu savais ce que Fai à pré-sent comme douleurs dans la gorge, à l'estomac, à l'abdo-men, je me sens nouée. " Je suis effrayé et je la regarde.Elle paraît pâle et bouffie. Je pense que j'omets quandmême finalement quelque chose d'organique. Je l'entraîneà la fenêtre et je regarde dans sa gorge. Elle se montrerécalcitrante comme les femmes qui portent un dentier. Jeme dis: elle n'en a pourtant pas besoin. Elle ouvre alorsbien la bouche et je trouve à droite une grande tache etailleurs je vois de remarquables formations frisées qui res-semblent visiblement aux cornets du nez et qui portent delarges eschares blanc grisâtre. J'appelle vite le Dr M. quirépète l'examen et le confirme... Le Dr M. paraît très dif-férent d'à son habitude, il est très pâle, il boite et n'a pas

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de barbe au menton... Mon ami Otto se trouve à présentaussi aux côtés d'Irma et mon ami Léopold la percute par-dessus son corset et dit: HElle a une matité en bas, à gau-che", et indique qu'une partie de la peau est infiltrée àl'épaule gauche (ce que je sens comme lui malgré le vête-ment). M. dit: "Pas de doute, c'est une infection, maiscela ne fait rien,. il s'y ajoutera encore une dysenterie etle poison va s'éliminer..." Nous savons immédiatementaussi d'où provient l'infection. Mon ami Otto lui a fait,il y a peu de temps, alors qu'elle se sentait mal, une injec-tion avec une préparation de Propyl, Propylen... acide pro-pionique... triméthylamine (dont je vois la formule impri-mée en caractères gras devant moi). On ne fait pas de tellesinjections si à la légère... Il est probable également quela seringue n'était pas propre. » (25, 99-100) D. Anzieu faittrès justement remarquer la richesse sensorielle de ce rêve:« Il convient de relever la présence de sensations gustati-ves (la liqueur d'ananas), olfactives (l'odeur d'amyle, lapuanteur implicite des suppurations nasales), chromatiques(les eschares blanc-grisâtre et, sans doute, la couleur rouge-violet des cornets), cœnesthésiques ("je me sens nouée"),tactiles (il la percute... ; ce que je sens comme lui malgréles vêtements). Cette richesse sensorielle, assez typique deFreud, contraste avec le fait que la plupart des rêves cou-rants sont faits surtout de sensations visuelles et secondai-rement de sensations auditives. Certes la vue, dans ce rêve,est importante (voir la gorge d'Irma) et deux dialogues ysont entendus (le dialogue Freud-Irma, la discussion entreFreud, le Dr M., Otto et Léopold). Mais l'image visuelleterminale est très particulière: c'est la vue d'une inscrip-tion (la formule de la triméthylamine), c'est-à-dire une lec-ture, un déchiffrement. » (179, 66)

Reprenons ces deux dialogues, la parole y est donnéeà Freud et Irma, tout d'abord, à Léopold et le Dr M.ensuite. Nous constatons qu'ils encadrent le rêve. Otto quisera l'accusé final n'est pas rendu audible, ce rêve le con-damne, en effet, au profit d'Irma, d'abord accusée parFreud de ne pas se laisser soigner, et surtout de Freud.Mais ces deux dialogues sont de tons et de contenus dif-férents. Le premier est un dialogue relativement intime,tandis que le second fait intervenir deux « experts» pourun constat scientifique. Ainsi ce qui est dit « tout haut»c'est, premièrement, que ce n'est pas de la faute de Freud

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si Irma souffre, mais de la sienne, et, deuxièmement,l'énoncé du diagnostic de la maladie et sa confirmation.Entre ces deux dires il y a pourtant un sous-entendu:l'erreur de diagnostic de Freud, lui qui se basait sur uneétiologie psychique est démenti par le savoir des experts:c'est organique, et Irma a bien raison de se plaindre... D.Anzieu fait ici le rapprochement avec le constat de la gros-sesse de Martha, grossesse non désirée du sixième enfantde la famille Freud.

Se trouvent ainsi sonorisés la façon dont Freud cher-che à se disculper (son désir) et, en symétrie - dans letexte du rêve - un constat scientifique; le «sous-entendu» des dialogues venant renverser la première pro-position. Freud ferait mieux de s'en tenir au discours scien-tifique plutôt que de s'aventurer au gré de son intuition.Les interventions des quatre protagonistes de ces dialoguessont sous la forme de constats, objectivent des points devue. Cette sonorisation constitue ainsi une mise à distancepar rapport aux pensées du rêve, et un discours sur le dis-cours. Remarquons encore que ce degré d'abstraction (onpourrait dire aussi de professionnalité) semble s'opposerà ces regards dont la force de pénétration (qui sonde au-delà des résistances), ne fait que redoubler l'intrusion cor-porelle (voir l'intérieur du corps, injecter). De plus, sousle regard de Freud, Irma et Otto apparaissent pâlissants ;ce même regard dissolvant que nous retrouverons dans lesrêves «Non Vixit» et « la table d'Hôte ». Ces énoncésprofessionnels - en écho aux préoccupations de la veille- pourraient-ils venir masquer, ou protéger de l'abîme oùnous plongent ici les regards?

2 - Le rêve du « château au bord de la mer» ou du« navire du petit déjeuner» (10-11 mai 1898) :

Ayant déjà commenté certains aspects de ce rêve dansle chapitre consacré à la règle de l'entendu du rêve, nousen résumerons maintenant la première partie, pour en venirà l'association du regard et de l'entendu.

Un château au bord de la mer, le rêveur se trouveauprès du gouverneur affecté à la garnison. Ils se trou-vent en état de guerre et craignent l'arrivée de navires enne-mis. Le gouverneur décide de se retirer, « il respire diffi-cilement », sa femme malade se trouve avec les enfants

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dans le château. Il donne ses dernières instructions puismeurt. Le rêveur se trouvant désormais en charge du com-mandement, observe de la fenêtre la circulation des navi-res. La seconde partie du récit associe le frère du rêveurde la façon suivante: « Puis mon frère se tient à côté demoi et nous regardons tous deux vers le canal par la fenê-tre. A la vue d'un navire, nous nous effrayons et nousécrions: avoilà le navire de guerre qui vient". Mais ilapparaît que seuls reviennent les mêmes navires que je con-nais déjà. Maintenant arrive un petit navire, drôlementcoupé, c'est-à-dire qu'il se termine au milieu de sa largeur ;sur le pont on voit des choses étranges, qui ressemblentà des timbales ou à des boîtes. Nous nous écrions, commed'une seule voix: aC'est le navire du petit déjeuner"{Frühstückschiff}.» (25, 395-396, in D. Anzieu, 179,256-257)

Nous avons, dans ce rêve, plusieurs manifestationssonores: vraisemblablement un bruit corporel « il respiredifficilement », et deux cris, ces derniers clôturant le rêve.Dans les trois cas ce sont des sons qui échappent au con-trôle. On notera toutefois que la distance sonore vient iciredoubler la distance visuelle. Le texte sonore est très. suc-cint, comparativement à la richesse des pensées du rêve.Le premier élément sonore n'a manifestement pas pu être« travaillé », mis en mot, voire en jeu de mots comme lefait si fréquemment Freud. C'est une trace restée archaï-que, trace du corps exprimant directement la souffrance,la mort, et/ou la jouissance. Les deux cris sont des salu-tations aux navires, navire de guerre, navire du petit déjeu-ner, navires familiers. Il s'agit donc de deux types de rela-tions à la mer(e) : relation sadique, relation nourricière (crid'effroi-cri de guerre/cri de contentement). A la peur sus-citée par le navire de guerre, s'oppose l'entente, l'accordparfait entre les deux frères - ou la relation fusionnelle- et le plaisir à l'accueil du navire coupé (castré) et nour-rICIer.

Soulignons qu'il s'agit du seul rêve freudien de l'autoa-nalyse qui comporte ainsi une expression sonore si pro-che du corps: respiration, cris. Nous associons cette carac-téristique à l'évocation d'une relation archaïque à la mère.Cette évocation se fait ici à bonne distance de la fenêtre,à portée du regard, regard complice, partagé par les deuxfrères.

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3 - Le rêve « Non vixit » (fin octobre 1898) :

En voici le récit: « Je suis allé la nuit au laboratoirede Brücke et, après un léger coup à la porte, j'ouvre auPr Fleischl qui entre avec plusieurs étrangers et qui, aprèsquelques paroles, s'assied à sa table. Puis suit un deuxièmerêve: Mon ami FI. (Fliess) est venu discrètement à Vienneen juillet; je le rencontre dans la rue en conversation avecmon ami P. (Paneth) et je vais avec eux en un lieu quel-conque où ils sont assis l'un en face de l'autre commeà une petite table, et moi au petit côté de la petite table,devant. FI. parle de sa sœur et dit: "En trois quartd'heure, elle était morte", et puis quelque chose comme:"C'est le seuil". Comme P. ne le comprend pas, FI.s'adresse à moi et me demande combien de ses affairesj'aurai donc communiqué à P. A la suite de quoi, saisid'affects curieux, je veux communiquer à FI. que P. (nepeut même rien savoir du tout parce qu'il) n'est mêmepas en vie. Mais je dis, remarquant l'erreur moi-même:NON VIXIT. Je regarde alors P. d'une manière péné-trante, sous mon regard il devient blême, flou, ses yeuxdeviennent d'un bleu maladif - et enfin il se dissout. J'ensuis extraordinairement ravi: et je comprends maintenantqu'Ernst Fleischl n'était lui aussi qu'une apparition, un« revenant» (en français dans le texte) et je trouve toutà fait possible qu'une telle personne n'existe qu'aussi long-temps qu'on le veuille, et qu'elle puisse être éliminée parle désir de l'autre. » (25, 359-360, in D. Anzieu, 179,329-330)

Les bruits sont relativement rares dans les rêves deFreud, voici pourtant que ce rêve est introduit par « unléger coup à la porte ». Il s'agit d'une visite de nuit d'ungroupe conduit par le Professeur Fleischl. Une fois encorece qui habituellement provoque le réveil - un coup à laporte - est ici utilisé comme entrée dans le rêve. Maisce n'est que dans le rêve qui suit que des paroles sontentendues, celles de Fliess parlant de la mort de sa sœur,à Paneth, puis l'intervention de Freud au sujet de ce mêmePaneth. Ce dernier n'est donc pas audible, ce qui est logi-que puisqu'il est mort, et le professeur Fleischl lui-mêmesera assimilé à un revenant. On se rappelle que dans lerêve concernant Irma, Otto, le condamné, était le seul àne pas être entendu. Le « léger» coup à la porte, la nuit,

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est donc celui du revenant (la notion de « Schwelle », deseuil, s'y rapporte peut-être aussi). Le sonore ~st ici cen-tral, dans le récit, et dans sa signification. Le texte sonoreinsiste sur la rapidité de la mort « en trois quarts d'heure,elle était morte» et « Non vixit » (de « vixit non did» :n'a pas vécu longtemps). Cette même rapidité se retrouve,sous le pouvoir du regard, dans la dissolution du revenant,ce dernier, J. Paneth possible rival pour Freud, n'a-t-il pasété jusqu'à imposer sa présence à ses survivants par ce« coup» à la porte? C'est à ce propos que les associa-tions de Freud le mènent à la scène où le prince Hal serevêt de la couronne de son père, Henri IV, mortellementmalade (scène déjà évoquée), mais ce dernier se réveille,« revient à lui »...

On doit encore remarquer que ce rêve, introduit parun bruit, centré sur la parole entendue, se termine sur cepouvoir dissolvant, destructeur du regard. Ce sentiment detoute-puissance du regard n' a-t-il pas accompagné les expé-riences d'hypnose des premières années du clinicien? Cerêve semble exprimer quelque nostalgie d'un recours simagiquement efficace.

4 - Le rêve de la « table d'Hôte» (octobre 1900) :

« Une société, table ou table d'hôte... On mange desépinards. Mme B.L. est assise à côté de moi, se tourneentièrement vers moi et pose familièrement la main surmon genou. J'éloigne la main dans un mouvement dedéfense. Alors elle dit : "Vous avez toujours eu de si beauxyeux. H Je vois alors vaguement quelque chose comme ledessin de deux yeux ou le contour d'une paire de lunet-tes. » (26, 52, in D. Anzieu, 179, 459)

C'est la seule fois, dans ces rêves, que la séduction estdirectement rendue audible. Toutefois ce passage par lesonore marque justement la séparation corporelle (éloigne-ment de la main, brouillage de la vue comme dans unemise à distance) La sur-présence de Mme E.L. est ici mani-festée par le toucher et la disponibilité kinesthésique, ladéfense entraîne un éloignement progressif. D. Anzieu faitremarquer ici, derrière le contenu manifeste, les « beauxyeux », la présence d'un « mauvais œil » qui, comme dansle rêve précédent, a un pouvoir dissolvant: « L'importancecroissante du mauvais œil se marque à la dégradation pro-

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gressive de la représentation des beaux yeux. Freud ditd'abord: "je vois vaguement", signe qu'il n'a pas ou n'aplus de bons yeux. Puis il voit des yeux non plus réels,mais dessinés. Enfin le dessin représente non plus des yeux,mais seulement le contour d'une paire de lunettes. On con-naît le lien entre l'oralité et le regard qu'un Geza Roheimétablira par la suite en étudiant les croyances des primi-tifs au mauvais œil et les rites destinés à le conjurer. Lamère est pour le nourrisson à la fois un sein qui allaite,une bouche qui parle, un œil qui regarde: le rêve de la"table d'Hôte" a mis en image successivement ces troisfonctions ». (179, 475)

On notera d'ailleurs que, sur le plan sensoriel, ce rêveest caractéristique, on pourrait le comparer à une scènevue au « zoom» d'un appareil de cinéma, avec d'abord,de loin l'imprécision de la scène, puis un centrage sur cha-que perception - et une sonorisation - et ensuite un éloi-gnement avec une vue de plus en plus floue. Le maximumd'intensité est mis sur le toucher et sur l'entendu. C'estla première fois, dans les rêves rapportés, que la repré-sentation visuelle a, comparativement si peu de présence,et surtout d'efficacité. Elle est remplacée par la mise envaleur de son organe, l'œil. Aussi, et contrairement à notreimage du « zoom », ces particularités des perceptions dece rêve peuvent le faire rapprocher de la situation de proxi-mité maximum dans laquelle se trouve, justement, le bébéau sem.

Ce rêve nous semble faire écho à celui du « navire dupetit déjeuner », dans lequel un regard à bonne distancepermettait de jouer l'ambivalence (navire de guerre/naviredu petit déjeuner, cri de peur/cri de joie), tandis qu'icila proximité avec l'image maternelle, la rencontre desregards se fait menace de dissolution. Par contre c'est aussidans ce dernier rêve que nous trouvons le seul énoncéintime de ces rêves à contenus sonores, dont nous avonsrelevé le niveau d'abstraction, voir de professionnalisation.Il semble y avoir un redoublement entre l'expérience acous-tique et l'expérience visuelle, entre le regard et la paroleentendue, entre le miroir et l'écho, pour Freud, sur le plannarcissique, au niveau d'une problématique orale. Isolerle regard, dans l'expérience hypnotique, ou isoler la paroledu regard dans la cure, constitueraient ainsi des moyenstechniques, professionnels, de maîtrise de leurs impacts

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relationnels - possiblement redoublés lorsque associés -,des dérives pulsionnelles.

D - L'insistance de l'affect, de rêve en rêve

La lecture chronologique du discours sonorisé dans cesonze rêves (on pourra se reporter à la récapitulation quien est faite en Annexe), laisse se dégager la permanenced'une certaine tonalité affective. Freud n'a-t-il pas soutenului-même que le sonore constitue un canal privilégié del'affect?

Il a aussi souligné l'intérêt de ne pas isoler un rêve dela dynamique psychique qui se manifeste, elle, insistante,dans la répétition: « Souvent un second rêve permet depréciser la signification du premier et de faire progresserson interprétation. Parfois toute une série de rêves qui s'estdéroulée à travers des semaines ou même des mois a unfond commun et il faut alors la soumettre à une interpré-tation d'ensemble. » (25, 446) Au niveau du contenu mani-feste, le texte sonore de ces rêves est un texte très redon-dant, centré sur la disculpation. L'ensemble de ce discours,dispersé sur les onze rêves, pourrait être entendu commeun grand plaidoyer. Freud s'y trouve accusé (ex. dans « lestrois Parques» : « en quoi ces (dessins, bandes...) turquesvous regardent-ils? »), plaide non coupable, fait interve-nir des témoins (ex. dans « la salle aux machines» : « ...mais c'est un homme honnête »), reconnaît ses fautes (ex.dans « Hollthurn » : « It is from... It is by», et aussi dans«Non Vixit »), garde l'espoir d'« être du bon côté », c'est-à-dire non voué aux lamentations (<<Auf Ungeseres »)infernales. Et cette série se termine par un rêve de séduc-tion, séduction dont il tente de se défendre «la tabled'Hôte»: «J'éloigne la main dans un mouvement dedéfense ».

Alors on peut se demander, quant au contenu latent- et même si ce n'est là que pure spéculation, en l'absencede tout élément associatif de Freud sur ce point - surquoi portent ces accusations. Question des origines, del'enfant fait à Martha (cf. « l'injection faite à Irma »), àl'enfant du père conçu dans l'ébriété (<<1851 et 1856 »),question de la filiation et de la rivalité œdipienne (thèmeque l'on peut trouver sous-jacent à la plupart de ces rêves),

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mais aussi de la séduction maternelle, incestueuse, peut-être celle de ce dernier rêve sonore (<<la table d'Hôte ») ?

On comprend que Freud ait pu conclure de son autoa-nalyse (et donc de ses propres rêves) que le sonore y tienneune place plus secondarisée que le visuel, la généralisationqu'il en fait est, elle, discutable.

E - Variation

« Hear-sing» : fantaisie pour deux voix

C'est à la lecture de l'analyse que propose D. Anzieudu rêve de Freud intitulé « Hearsing » que nous est venuecette « fantaisie ». Nous avons perçu: « hear» (entendre)- « sing» (chanter)...

Mais reprenons tout d'abord le récit de ce rêve etl'analyse que Freud en donne lui-même: « Au cours d'unlong rêve confus, qui paraît avoir pour centre une croi-sière, le nom de la prochaine station est HEARSING, lasuivante s'appelle Fliess. Ce dernier mot est le nom de monami de Berlin. Je suis souvent allé le voir. Le mot Hear-sing est fabriqué à la manière des noms de villages desenvirons de Vienne qui s'achèvent souvent en -ing : Hiet-zing, Liesing, Müdling (= Medelitz, « mea delicia », c'est-à-dire meine Freude, ma joie) ; EARSING rappelle aussil'anglais Hearsay (ouÏ-dire) et signifie calomnie, ce quidévoile l'occasion du rêve: une poésie lue dans les Flie-gende Bliitter et où il est question d'un nain calomniateurHSagter Hatergesagt" (Dilil, Alildit). En rapprochant lasyllabe finale -ing du nom de Fliess, on obtient Vlissin-gen, nom du port où mon frère débarque quand il vientd'Angleterre. On appelle ce port en anglais Flushing, cequi en cette langue signifie aussi rougir et rappelle les mala-des qui ont de l'éreutophobie (j'en traite en ce momentquelques-uns) ; une publication récente de Bechterev surcette névrose m'a été désagréable» (25, 258-259). D. Anzieucommente ainsi le rêve: « Jamais un rêve de Freud n'aatteint cette concision dans le rébus et cette évidence dansla syntaxe », et voici son interprétation: « Une premièresyllabe autour de laquelle s'organisent la plupart des per-mutations onomastiques du rêve est sing, qui veut dire« chanter» (singen en allemand, to sing, en anglais) (Hear-

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sing, Vlis-singen) avec ses variantes zing (Riet-zing, Lie-sing) et shing (Flushing). Une seconde syllabe Fli seretrouve dans "Fliess", "Fliegenden BHitter", "Vlissingen"et "Flushing". Nous pouvons maintenant trouver le sensdu rêve. Par rapport à Fliess et son œuvre scientifique,il exprime un sentiment dépréciatif que nous connaissonsbien: j"'entends-dire" beaucoup de critiques sur lui, cri-tiques que je partage; je suis un "nain calomniateur" àson égard; son œuvre me fait' 'rougir". Le désir infan-tile sous-jacent se rapporte vraisemblablement à des jeuxde nature plus ou moins homosexuelle: Freud la fille (D.Anzieu a rappelé le féminin Freude et l'allusion, en alle-mand, aux filles de joie), les délices, "la station où monfrère touche", la rougeur au visage, la chaleur de l'érec-tion. » (25, 341-342) D. Anzieu considère les jeux de motsen relation avec les jeux sexuels, et montre encore que,dans cette « croisière», Fliess est une seconde escale deson voyage de découvreur. « Enfin, la psychanalyse est pré-sente en tant que technique: trouver ses délices (meineFreude) à entendre dire (hearsay), n'est-ce pas la défini-tion même du psychanalyste? » (25, 342)

Après avoir redonné ce contenu de notre lecture, voicimaintenant notre propre écoute. Nous ne pouvions pas,en effet, rester sourde à un tel appel sonore, même s'ilvient d'un rêve qui ne comporte justement pas d'halluci-nation sonore.

Nous y avons de plus été encouragée par la découvertede ce qui pourrait bien en être la toute première partition,dédiée, celle-là, non à Fliess, mais bien à un tout jeuneami, puisqu'il s'agit d'Eduard Silberstein, ami de jeunessede Freud. Ce dernier a dix-sept ans lorsqu'il lui écrit le28/9/1873 pour le remercier du coup de main qu'il a bienvoulu donner aux préparatifs de voyage de la familleFreud: « Tu possèdes mille petits talents, qui sont tousau service de l'amitié. J'ai décidé d'examiner chacun endétail sur ce qu'il pense de toi, mais écouter en détail cequ'on dit de toi me donne presque trop de travail, car àchaque phrase on décline le nom d'Eduard aux six cas dela déclinaison: "Eduard", "d'Eduard", "à Eduard", "ôEduard", "de la part d'Eduard". Je te remercie de toutcœur de tes innombrables amabilités qui ont si bien faitqu'à présent on te célèbre à l'envi et que cela résonne àdes oreilles curieuses comme si on criait ton prix sur un

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marché. Je sais très bien que tout ne doit pas être misà mon crédit, il s'en faut de beaucoup, et que je ne suismoi-même qu'une planète qui ne doit la lumière et la grâcequ'à la proximité d'un soleil, cependant combien de foisnous laissons-nous imposer quelque chose qui se révèleaprès coup une possession précieuse? Qu'il en soit ainside toi en ce qui me concerne. » (174, 75-76) Et s'il fallaitencore mettre l'accent sur la qualité de ce duo - préci-sons qu'Eduard Silberstein est musicien, violoniste -, nousrendrions la parole à Freud lui-même, dans cette autre let-tre adressée à son ami le 11/12/1874, réponse aux préoc-cupations de santé de ce dernier: « Espérons que ta tristepensée d'un thabès qui a laissé sa trace dans ta dernièrelettre a depuis longtemps perdu son empire sur toi; quela mélancolie qui m'a regardé de ses petits yeux de bichebruns à travers tes aimables lignes n'a été que passagère.A présent, en tout cas, je ne serais pas en mesure de tesuivre et de chanter la deuxième voix dans les lamenta-tions de Jérémie. » (174, 114)

On reconnaît dans le rêve « Hearsing » comme dansces lettres à Silberstein la même sensibilité de Freud aubruit qui se fait autour des autres, et dont nous avons déjàeu l'occasion de parler au début de cet ouvrage. Mais sur-tout nous ne pouvons qu'être frappée par le parallélismede ces « partitions », dans lesquelles la répétition du nom(Fliess, Eduard) constitue le refrain.

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Voici maintenant la partition de cette fantaisie pourdeux voix:

Hear-sing

thème:hear! sing! : entends! chante!hear, sing: entendre, chanter...earsing: entendre siffler les oreilles...

Ire voix

Hear.....................sing sing sing Vlissingen

(FI)Hietz- (F)lies-Fliess

Traduction: entendre... chanter...chanter...chanter lenom de Fliess

MODLING

2e voix

Hear.....................say (ear)sing sing

lies (lesen)Fliegende Bliitter

Traduction: entendre siffler les oreilles des ouï-diresdes calomniateurs, et en rougir.

Flushing

Cette interprétation très libre fait ressortir les deux voixcontemporaines, simultanées, qui chantent chez Freud,représentant ses affects contradictoires vis-à-vis de Fliess:ses succès remportés (entendre chanter son nom, ses louan-ges), première voix, les critiques et calomnies dont il faitl'objet, deuxième voix, à laquelle Freud s'associe égale-ment, au moins en partie.

Nous avons utilisé trois pôles: Hearsing/say (chan-ter/dire), Modling, et Vlissingen (dont la consonance ren-voie à « chanter Fliess »). Nous nous sommes permis derapprocher « Modling» de « Modelling» en anglais, ou« Modellierung » en allemand, action de modeler. Cettefaçon de « se modeler sur » pourrait bien évoquer l'inten-sité de l'attachement de deux voix, celle de Freud à celle

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de Fliess, sur un mode homosexuel (que vient redoublerla place du frère). Mais en même temps l'ambiguïté jouesur le nom de Freud de telle façon que la première voix,de louange, pourrait toute entière le concerner « entendrechanter... ma joie (meine Freude), mon nom... fait mesdélices ». Ces derniers se trouvent au croisement sémanti-que des louanges de Fliess, calomnies contre Fliess, etlouanges à Freud, (association faite par Freud entre Mod-ling et Medelitz), narcissisme à plusieurs échos.

Pour garder un vocabulaire musical on dira que lesaccords se font sur « hearsing », « liesing », et « Vlissin-gen ». Contrairement aux précédents le nom de Modlingne constitue pas un accord musical, il n'a d'ailleurs quepeu de rapport sonore avec l'ensemble. Il s'inscrirait direc-tement sur l'axe sémantique. Nous distinguons en effet clai-rement, dans ce rêve, deux axes, l'un qui est un jeu sonoreet rythmique (assonances et répétitions), parfaite illustra-tion de ses premières recherches sur les rapports entre lessons, l'autre est sémantique. Malgré cette très forte pré-sence du sonore, il ne semble pas que ces noms, ces sonsaient été entendus du rêveur de façon hallucinatoire; Freudn'en parle pas; ceci venant contredire le sens même de« hearsing» (entendre chanter).

Trois niveaux d'expression se trouvent ici pour la pre-mière fois réunis: dire, chanter, écrire; tandis que ladimension réceptive est soulignée par la répétition du verbeentendre et... la surdité du rêveur !

Sur le plan purement sonore nous observons ceci: -un jeu par listing de timbres: tous les ing, tous les ear(ir), tous les ies (is) et tous les Flie (fli). Soit quatre tim-bres pour les familles instrumentales, timbres qui corres-pondent tous les quatre à des hauteurs de sons dans l'aigu(i), soit à un seul registre vocal. Le jeu ne porte pas, eneffet, sur les hauteurs (et ne donne pas lieu à une vérita-ble mélodie), mais bien sur les timbres; à l'opposé de ceque l'on peut ubserver généralement en musique. A ce jeude timbres s'ajoute un jeu sur les durées, sur les valeurssyllabiques, avec trois catégories: les mots à deux sylla-bes (hearsing, hearsay, Modling, flushing), à trois sylla-bes (Vlissingen, Fliegenden), et à une syllabe (lies, Hietz,Fliess). A ces timbres et ces rythmes, il faut encore asso-cier la répétition (notamment, sur «sing »). Il s'agiraitdonc, musicalement, d'une fantaisie pour deux voix et petit

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ensemble, composé, par exemple, de violon, flûte traver-sière, hautbois et piccolo - jouant tous un accompagne-ment plus rythmique que mélodique, limité au registre aigu(celui de l'enfant, celui du cri, comme aussi de la femme).

Dans ce rêve Freud se laisse aller au plaisir du rap-port des sons entre eux, rapports de timbres, de rythme(cette assise temporelle permet le jeu), c'est-à-dire à cettedimension proprement musicale de l'univers sonore, siabsente dans ses autres rêves. Séduction à l'origine de cesglissements de sons qui l'ont toujours préoccupé, et aux-quels il a su si magistralement nous rendre attentifs, voirevigilants, comme pour ne pas s'y laisser prendre, justement.Notons aussi qu'on assiste ici, par ce jeu de sonorités etde rythmes, à une sorte de « manducation» (cf. M.Jousse) I du nom de Fliess, dans un rapport absorp-tion/rejet. Comme si une trop grande activité orale bar-rait la route à l'audition. Et nous allons le voir dans lechapitre suivant, la musique non entendue du rêve setrouve, abstraite, utilisée sous la forme de métaphore, pourl'interprétation, justement du rêve, dans une mise à dis-tance et une instrumentation propres à la position active,défensive (restée, elle, « non jouable »).

Mais avant nous évoquerons, en contrepoint, l'expé-rience de Kafka, dont l'hypersensibilité maladive au bruitallait jusqu'à atteindre, justement, ces rapports entre lessons de la langue - tout comme Freud - qu'il dépei-gnait ainsi: « Pas un mot - ou presque - écrit par moine s'accorde avec l'autre, j'entends les consonnes grincerles unes contre les autres avec un bruit de ferraille et lesvoyelles chanter en les accompagnant comme des nègresd'Exposition. » (Kafka, Journaux, La Pléïade, III, p. 11)Nous sommes ici à la limite de la langue réduite à ses sons,c'est-à-dire, à la limite des processus secondaires et des pro-cessus primaires, des représentations de chose.

Mais, si l'on en croit son biographe, P. Citati, cen'était que pour être plus centré sur la quête musicale tellequ'elle apparaît finalement non à l'homme, mais à l'ani-mal (privé de parole), dans le roman Recherches d'un chienpar l'orchestre des chiens. Voici ce passage résumé par cetauteur: « La musique arrivait de toutes parts, d'en haut,

1. JOUSSE M. - Le parlant, la parole et le souffle, Paris, Galli-mard, 1978.

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d'en bas, de tous les côtés, entourant le jeune chien, l'inon-dant comme une mer, l'écrasant comme une pierre,l'anéantissant et claironnant cet anéantissement, si prochequ'elle en était déjà lointaine, pareille à une fanfare à peineperceptible. Le chien se laissa bouleverser, c'était la musi-que démoniaque de Kierkegaard, la musique dionysiaquede Nietzsche, la voix de la séduction. Mais dans l'orches-tre des sept chiens il distingua, vers la fin, quelque chosequi dépassait tous les sons, et peut-être même la littéra-ture et les formes d'expression humaine: "un ton clair,sévère, toujours égal à lui-même, un ton venant inaltérédu bout du monde, peut-être la véritable mélodie au milieudu vacarme", vibrait et lui fit plier les genoux. C'étaitl'expérience extrême excédant toutes les limites, à laquelletous risquent de succomber. » (186, 312-313)

La séduction ressentie par Freud au niveau des sonsde la langue, plus abstraits, devenue jeu d'écriture, luiépargne cette expérience des limites, Freud ne succombepas à la musique!

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II

LE MUSICIEN, CE RIVAL

Parler des rapports que Freud entretint avec la musi-que c'est pour nous, on l'aura compris, beaucoup plus quede s'attacher à isoler et suivre à la lettre les quelques cita-tions où il exhibe une non-musicalité (165, 473-74 et 284 ;169, 193 ; 174, 241-242) - citations qui ont déjà été l'objetde plusieurs articles -, mais d'interroger l'ensemble de sonœuvre, de ses correspondances accessibles pour dégager cequ'il en est de l'investissement (positif et négatif) particu-lier qu'il en a fait dans sa vie et son œuvre.

Freud et la musique, c'est en tout premier la relationde Freud à sa mère « très musicienne », qualificatif quel'on doit à Jones, sans plus de commentaires d'ailleurs.On peut en tout cas imaginer que des mélodies chanton-nées accompagnaient les gestes et déplacements de cettemère. On remarque, en effet, que Freud fredonne et citefacilement les airs qu'il connaît, tout comme il se montreparticulièrement sensible aux mélodies, mélodies qu'ilattend dans les opéras de Mozart, qu'il apprécie aussi chezWagner (dans les Maîtres chanteurs) et encore chez Verdi(Carmen, par ex.), dont il regrette le manque au théâtrelorsqu'il assiste à une représentation du Mariage de Figaro.

Ce caractère mélodique se retrouve dans toute l'œu-vre, et jusque dans l'observation répétée que les airs quinous passent par la tête font partie de ces actes apparem-ment insignifiants, ouvertures sur l'inconscient. Plus encore,lorsque Freud utilise lui-même la métaphore musicale, c'estde nouveau en mélodiste qu'il se situe. S'il a beaucoupcité des mélodies simples, des airs connus, des chants popu-

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laires, ces métaphores nous révèlent, elles, l'ambition d'unmusicien professionnel qui, par sa voix, par son jeu ins-trumental, participe à une polyphonie dont il précise lesdeux voix principales. Cette deuxième voix nous la ren-controns dans ses amis, l'écho de Fliess, celui de Jung,et celui de Lou Andréas Salomé (pour ne citer que ceuxpour lesquels nous avons des documents qui évoquent cetteparticipation musicale). Cette relation privilégiée et conti-nue à l'élément mélodique de la musique constitue ainsila face positive du rapport de Freud à la musique. Maisnous anticipons là sur les chapitres à venir.

L'autre face, elle nettement conflictuelle, est le rapportque Freud entretient avec le musicien, comme, plus large-ment, avec l'artiste. Il s'agit moins ici de la musique quede la personne du musicien, de l'usage particulier qu'il estseul capable de faire de la musique, du pouvoir fantas-matique qui s'en dégage. Nous pouvons, sans trop pren-dre de risque, parler d'un rapport envieux. Nous avonssur ce point les traces de deux conflits ouverts.

A - Le piano de la sœur cadette

Le premier conflit offert à notre connaissance est celuique dénonce Jones, conflit qui amena la mère de Freudà renoncer à faire apprendre le piano à l'une de ses sœurs.On sait que Freud, tout en ayant un bureau à lui, consi-dérait insupportable et donc préjudiciable à ses études(argument essentiel, on le sait, pour ses parents), les gam-mes de la petite sœur. Plus qu'une hypersensibilité au bruit- qu'il considéra, nous l'avons vu, comme un symptômede la névrose d'angoisse - on peut y percevoir unehumeur irascible et tyrannique, que nous interpréterons,dans une première approche, comme la réaction à la per-ception de ce qui, pour lui, pouvait constituer une riva-lité insupportable. Si une de ses sœurs devenait musicienne,ne risquait-il pas de se trouver détrôné dans le cœur desa mère? N'a-t-il pas souvent répété la force de pénétra-tion et le caractère tout à fait privilégié de la communi-cation artistique, regrettant amèrement d'y être le plus sou-vent extérieur? Jones nous permet aussi d'observer lafaçon dont - au lieu de féliciter sa sœur Rosa (de qua-tre ans sa cadette) du succès remporté par son jeu mu si-

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cal - il lui fait la leçon sur les risques que comporte lefait d'accepter de tels compliments! (177a, 23) Notons àce sujet que Jones se contredit pùisqu'à propos de l'inci-dent du piano, il indique que personne de la fratrie ne feradésormais de musique... (s'identifie-t-il au défi freudien ?).Plus tard la réflexion qu'inspire à Freud le don musical dupetit Kreisler est tout à fait du même registre, en voici lerécit rapporté par Jones: « Un autre épisode de son séjourà Paris mérite d'être rapporté. A Vienne, les siens luiavaient demandé d'aller voir la femme de leur médecin defamille qui se trouvait à Paris et habitait rue Bleue, ce qu'ilfit. "Cette pauvre femme a un fils de dix ans qui, aprèsdeux ans d'études au conservatoire de Vienne, y a reçu lepremier prix et y révéla des dons extraordinaires. Mainte-nant, au lieu de mettre discrètement un frein à l'enfant pro-dige, le malheureux père surmené et qui a une maison pleinede gosses, a expédié le petit et sa mère à Paris pour qu'ilentre au Conservatoire et y ait un prix. Imagine un peules frais, la séparation, la dislocation du ménage." Le petitgarçon qui ne suivit pas ces conseils s'appelait Fritz Kreis-1er! Quelques années plus tard, il donnait un concert auSteinway Hall, à New York. » (177a, 208) On sent bienici la force de l'envie face à ce qu'il considère comme unprivilège dont il se sent dépourvu.

Ceci nous ramène, bien entendu, aux questions que l'onpeut se poser sur la relation à sa mère. Séduit par la mélo-die, il se raidit jusqu'à parfois se rendre comme inacces-sible - sourd - à l'échange musical, c'est-à-dire qu'ilrésiste à toute position active, celle, justement, du musi-cien. Nous avons déjà constaté, dans le rêve de la « tabled'Hôte », que la parole séductrice « vous avez toujourseu de si beaux yeux », hallucinée, entraînait l'effacementprogressif de l'objet, sa destruction. La mélodie de la voixne possède-t-elle pas un pouvoir encore plus pénétrant etd'autant plus dangereux, dans cette relation incestueusemère-fils? (Il nous semble que Kafka l'a bien exprimé,et c'est pour cela que nous l'avons cité en contre-pointde l'expérience freudienne.)

B - Max, le séducteur

Avant de poursuivre notre réflexion, revenons au

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deuxième incident qui met en scène un musicien. Il s'agitde la première crise de jalousie de Freud, dans sa rela-tion amoureuse avec Martha. Celle-ci ne se laissait-elle pascharmer par son cousin, Max Meyer? Cousin musicien quilui chantait ses propres compositions (don qu'avait aussil'ami de jeunesse de Freud que nous avons déjà évoqué,Eduard Silberstein). A ce rival musicien Freud réagit vio-lemment, comme le précise encore Jones: «Un certainMax Meyer, de Hambourg, cousin de Martha, avait étél'objet de ses préférences avant qu'elle ne connût Freud,ce qui suffit à déclencher, pour la première fois, la jalou-sie de Freud. Non sans malice, sa propre sœur renforçace sentiment en lui décrivant l'enthousiasme qu'avait sus-cité chez Martha une certaine mélodie composée et chan-tée par Max. » (177a, 122). Elle sera condamnée à le con-sidérer dorénavant comme « Monsieur Meyer »... Cettesituation se reproduisit toutefois avec un autre artiste, FritzWahle, non-musicien.

Freud exprime comme un sentiment d'impuissancedevant ce pouvoir de l'artiste comparé au scientifique qu'ilest, Jones le cite dans ce passage: « Je pense qu'une hos-tilité générale règne entre les artistes et les chercheurs plon-gés dans les détails d'un travail scientifique. Nous lesavons, l'art donne aux premiers une clef leur permettantde pénétrer aisément dans les cœurs féminins, tandis quenous autres demeurons embarrassés devant. cette étrangeserrure, et sommes obligés de nous torturer l'esprit pourdécouvrir la clef qui convient. » (177a, 123)

C'est bien sur le plan sexuel que se situe cette compa-raison, prise d'un autre texte: « Un artiste abstinent cen'est guère possible; un jeune savant abstinent ce n'estcertainement pas rare. » (39, 40) Le rapport à l'art est iciintimement lié à la relation à la femme, et c'est à cettequalité particulière pénétrante, séductrice, profonde, de lacommunication artistique que va l'envie de Freud. «Al'instar du névrosé, l'artiste s'était retiré de la réalité insa-tisfaisante dans ce monde imaginaire (Phantasiewelt), mais,à la différence du névrosé, il savait trouver le chemin quipermettait d'en sortir et de reprendre pied dans la réalité.Ses créations, les œuvres d'art, étaient des satisfactions fan-tasmatiques de vœux inconscients, tout comme les rêvesavec lesquels elles avaient également en commun ce carac-tère de compromis, car elles aussi devaient éviter d'entrer

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en conflit ouvert avec les puissances du refoulement. Mais,à la différence des productions du rêve, asociales, et nar-cissiques, elles étaient conçues pour que d'autres hommesy participassent, elles pouvaient susciter et satisfaire chezceux-ci les mêmes motions de désirs inconscients. En outre,elles se servaient du plaisir que procure la perception dela beauté formelle comme d'une "prime de séduction". »(134, 109-110; voir aussi 48, 60)

On trouve dans toute son œuvre cette idéalisation dupouvoir de l'artiste et, jamais autant que pour la musi-que, il n'exprime, jusqu'à l'exhiber son incapacité. Maissi Freud trouve la nécessité de répéter qu'il n'est pas musi-cien (entendu « professionnel »), c'est bien, semble-t-il pardépit!

L'expérience clinique nous amènerait à faire l'hypothèseque cette qualité esthétique est ici liée, pour l'enfant, àune sensibilité et un don de pénétration psychique de lamère, pouvant être vécu comme intrusion (cf. P. Casto-riadis-Aulagnier, La violence de l'interprétation, 185), et/oucomme demeuré inaccessible et inappropriable.

Freud, tout en se plaignant de son manque de sensibi-lité artistique, n'aura de cesse que de rivaliser avec ce pou-voir de pénétration psychique - de l'hypnose à la psycha-nalyse -, relation qui sera toutefois moins conflictuelleavec le poète - Freud écrit - qu'avec le musicien. Freudreconnaît, en effet, plus sereinement la supériorité du poète.N'a-t-on pas là à faire avec la médiation de la parole etde l'écrit, peut-être sous l'influence paternelle qui a mar-qué son développement intellectuel?

Voici ce qu'il écrit à Fliess de sa difficulté à percevoirla dimension esthétique. C'est, en effet, dans une relationamicale comme celle-ci, que cette difficulté peut devenirun handicap, Freud semble en avoir pris conscience lorsde cette visite à Nuremberg: «

'.'J'espère cette fois péné-

trer un peu plus avant dans l'art italien. Je commence àsaisir ton point de vue: tu recherches non point ce quiprésente un intérêt culturel, historique, mais la beauté abso-lue; dans une harmonie de forme et d'idée et dans les sen-sations essentiellement plaisantes de couleur et d'espace.A Nuremberg, j'étais loin encore de le comprendre. » (14,190, le 18/8/1897)

Lorsqu'il aborde le Moïse de Michel-Ange, Freud croitdevoir justifier sa démarche: « Je précise préalablement

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qu'en matière d'art, je ne suis pas un connaisseur, maisun profane. J'ai souvent remarqué que le contenu d'uneœuvre d'art m'attire plus fortement que ses qualités for-melles et techniques, auxquelles pourtant l'artiste accordeune valeur prioritaire. On peut dire que pour bien desmoyens et maints effets de l'art, l'intelligence adéquate mefait au fond défaut. Je dois dire cela pour m'assurer unjugement indulgent sur mon essai. Les œuvres d'art n'enexercent pas moins sur moi un effet puissant, en particu-lier les créations littéraires et les sculptures, plus rarementles peintures. J'ai été ainsi amené, en chacune des occa-sions qui se sont présentées, à m'attarder longuementdevant elles, et je voulais les appréhender à ma manière,c'est-à-dire me rendre compte de ce par quoi elles fonteffet. Dans les cas où je ne le peux pas, par exemple pourla musique, je suis presque inapte à la jouissance. Une dis-position rationaliste ou peut-être analytique, regimbe alorsen moi, refusant que je puisse être pris sans en mêmetemps savoir pourquoi je le suis et ce qui me prend ainsi. »(83, 87) C'est peut-être là l'analyse la plus développée queFreud nous accorde de cette résistance en lui. Et c'est bienle manque de distance possible à l'effet musical - la sujé-tion produite - qu'il place à l'origine de cette résistance.Ce terme de « sujétion» qui nous vient en écrivant ceslignes, Freud l'a utilisé à propos de l'état amoureux fémi-nin. Ce n'est peut-être pas qu'une coïncidence, on peutse demander s'il n'y a pas aussi, dans l'expérience musi-cale, pour Freud, quelque rencontre impossible avec sa pro-pre position féminine (1).

Nous avons parlé de plus grande sérénité dans le rap-port à l'écrivain, en voici une illustration: dans le textesur la Gradiva, Freud dit de l'écrivain que « ... la des-cription de la vie psychique de l'homme est bien sondomaine le plus spécifique; il a été de tout temps le pré-curseur de la science et par là aussi celui de la psycholo-gie scientifique» (37,184). En même temps nous notonsque Freud se place très précisément sur le même terrainet donc affirme - dans cette reconnaissance de l'autre -sa propre position rivale.

Nous terminerons ce chapitre en évoquant trois autressituations.

La rivalité à propos de la musique apparaît de façonexplicite dans un autre passage, lorsque Freud donne

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l'exemple de deux frères rivaux dont l'un, le plus jeune,mais le plus doué pour la musique, abdique ses études auprofit de l'aîné. Freud cite cette anecdote après avoirdonné l'exemple de deux frères jumeaux dont l'un dutrenoncer à ses conquêtes féminines devant les succès deson frère, et devint homosexuel. Nous avons là en con-densé les différents thèmes qui émergent de cette problé-matique. Freud généralise ici cette question de rivalité:« Chez des frères ou sœurs qui ne sont pas jumeaux lemême désistement joue également un grand rôle dansd'autres domaines que celui du choix amoureux. Le frèreaîné cultive par exemple la musique et s'y distingue; leplus jeune, beaucoup plus doué pour la musique, inter-rompt bientôt ses études musicales malgré son envie deles poursuivre, et on ne peut plus lui faire toucher un ins-trument. » (109,257-258, note 3) Nous retrouvons claire-ment exprimé le parallèle entre la rivalité masculine pourune femme, la tentation homosexuelle, et le don artisti-que. Mais aussi le désistement dont il s'agit ne peut quenous rappeler celui de la sœur cadette de Freud qui dutrenoncer à la musique pour permettre à l'aîné de déve-lopper son travail d'interprète psychanalyste.

Cette concurrence peut aller jusqu'à atteindre Freud surson propre terrain. Nous avons déjà parlé de la relationqu'il eut avec Gustave Mahler, venu le voir pour traiterun problème d'impuissance, justement. Freud gardera unetrès haute opinion de son patient; c'est en tout cas ce quenous en communique Jones: «Bien que Mahler n'eûtaucune connaissance de cette dernière (la psychanalyse),Freud déclara qu'il n'avait jamais rencontré personne quila comprît aussi vite. » (177b, 83-84) Alors que deviendraitle psychanalyste si le musicien venait à se mêler de psycha-nalyse ?

C - D'un pouvoir qui fait rêver

De sa relation avec son ami de jeunesse Eduard Sil-berstein, le violoniste, nous ne savons pas grand-chose,nous avons rapporté plus haut ce que leurs échanges épis-tolaires nous ont laissé. Mais dans une lettre à sa fiancéeMartha, datée du 30/6/1882, et citée par Jones, Freud évo-que avec romantisme ce pouvoir particulier de l'artiste

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musicien ou poète. Il n'est pas indifférent que ce texteprenne place dans une lettre d'amour, les relations deFreud à la musique se situant bien sur ce terrain.

« Dans un pauvre village, situé au pied du Kahlenberget auquel son vin a donné le nom de Grinzing, se trouveune petite maison basse pareille à toutes celles qui l'entou-rent. Est-ce parce qu'un grand homme, il y a longtempsde cela, y a séjourné, un maître qui sut arracher aux cœursdes hommes leurs secrets ou qui parvint à exprimer pardes paroles ou par des sons ce que l'on imaginait indici-ble - Beethoven ou Lenau, par exemple? Ou bien encoreparce qu'un événement capable de faire sauter toutes lesbarrières et de libérer toutes les passions s'est produit dansce petit coin? Mais le fait est qu'il y a un sort sur cettepauvre maisonnette, et je ne passais devant qu'avec répu-gnance et rarement, sans pouvoir m'en expliquer la rai-son. » (177a, 139) Freud a souvent observé en lui ces« barrières» et plus particulièrement concernant la musi-que. Mais n'est-ce pas là justement le signe que sesmoments d'insensibilité sont à interpréter, non à prendreau pied de la lettre, comme des manifestations défensivesqui n'ont pour écho que la force de ce qui se trouve, parcette musique, mobilisé?

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III

LE RÊVE EST COMME UNE MUSIQUE,LEITMOTIV

« ... l'homme qui, ignorant lamusique, laisse courir sesdoigts sur les touches d'uninstrument... »

Dans ce leitmotiv, Freud entend par « non-musicien »,l'inexpert en musique, celui qui, comme lui, ne possèdepas de formation instrumentale. La maladresse de l'inex-périmenté en musique est donc le thème de ce leitmotivqui jalonne l'œuvre de 1900 à 1917. Ce thème, comme unrefrain, apparaît ainsi sept fois, dans quatre textes diffé-rents. C'est une métaphore qui a dû toucher Freud pourqu'il l'utilise si régulièrement, pour la combattre, dans sonargumentation relative au rêve (25, 75, 113 et 119; 26,15 ; 29, 10 ; 96, 72 et 76). Ce thème se retrouve encore,mais cette fois transposé (33, 517), au niveau du specta-teur non averti d'un concert de musique moderne (premièredifficulté), dérouté par les gesticulations du chef d'orchestre(deuxième difficulté). De façon tout à fait remarquable,ce thème est, enfin, en 1916, par deux fois renversé enson contre-thème: le virtuose (96, 19 et 113). Nous cons-tatons bien là l'importance de cette métaphore pour Freud.

Pour l'analyse de ce leitmotiv, nous partirons de sa pre-mière présentation (25) : « On pourrait dépeindre assez bience que les représentants des sciences exactes pensent de lavaleur des rêves, par la très vieille comparaison avec

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l'homme qui, ignorant la musique, laisse courir ses doigtssur les touches d'un instrument. Selon cette conception,le rêve serait entièrement dépourvu de sens: comment lesdoigts de cet ignorant pourraient-ils produire un morceaude musique.» (25, 75) Cette «vieille» comparaison,empruntée à Strümpell, est citée par Freud un peu plusloin dans ce même texte (25, 196). Tout en soulignant quele rêve n'y est présenté que comme l'effet du hasard, Freudsitue plus précisément l'argumentation de cet auteur: « Lerapport entre le contenu du rêve et les stimuli d'où il pro-vient donne à Strümpelll'occasion de la comparaison sui-vante (p. 84) : "C'est comme si un homme qui ignoraitentièrement la musique laissait courir ses dix doigts sur lestouches d'un piano." » (25, 196) Ainsi le rêve n'est pasle produit logique d'un stimulus extérieur (bruit, lumière,pression, etc.) ou intérieur (faim, soif, etc.), il n'a pas designification, il n'est que l'effet du hasard.

L'instrument est ici précisé, il s'agit du piano, commenous le laissait supposer la facilité de laisser courir lesdoigts sur les touches. Une nouvelle variation sera don-née dans le texte de la Gradiva : à la question: le rêvea-t-il un sens? Freud répond: «La science répond parnon, elle considère l'acte de rêver comme un processuspurement physiologique, derrière lequel il n'y a donc pasà chercher de sens, de signification, d'intention. Des sti-muli corporels joueraient au cours du sommeil sur l'ins-trument psychique et amèneraient ainsi à la conscience telleou telle des représentations, privées de toute cohésionpsychique. Les rêves ne seraient que des soubresauts maisne seraient nullement comparables à des mouvementsd'expression de la vie psychique. » (34, 141)

Celui qui, sans être formé musicalement, se hasarde àtoucher un instrument de musique classique, tel que lepiano, pour peu qu'il ait une sensibilité musicale, ressentun fort sentiment d'incapacité, de frustration, voired'impuissance à s'exprimer. Freud en a-t-il fait l'expériencelorsque le piano de la sœur était encore dans l'apparte-ment? Ou s'est-il contenté de sa critique acerbe des« résultats» de sa sœur? En tout cas ce sentiment vientprofondément et répétitivement rythmer sa réflexion surle rêve. Ces multiples reprises l'amèneront, nous l'avonsdéjà annoncé, au renversement du thème, renversement quicoïncide avec le sentiment profond - cette deuxième voix

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déjà audible en 1900 - que le musicien du rêve c'est Freudlui-même, et dans l'interprétation de ses partitions, il estvirtuose, et même, ajoutons-nous, le premier et peut-êtrele seul virtuose!

D'ailleurs, plus que la maladresse du débutant, l'inhi-bition du jeu instrumental sera par lui-même interprétéecomme symbolique, dans les rêves comme dans la névrose,de l'onanisme. Dans ce cas c'est encore presqu'exclusive-ment de piano dont il est question. Cette présence para-doxale, dans l'œuvre, de cet instrument - puisque c'estlui-même qui l'a fait disparaître de l'appartement - a icil'insistance de la culpabilité.

Sur le plan instrumental, une exception importante, tou-tefois, se trouve dans la référence faite à Hamlet (29, 15),où l'instrument incriminé est la flûte, plus précisément leflageolet. Plus que de dénoncer le chaos des sons produits,c'est ici l'humiliation du joueur qui est mise en avant. Pourse permettre de jouer il faut avoir appris, c'est aussi laleçon qui concerne l'analyse. Ainsi, ne rien savoir sortirde son instrument - impuissance -, se targuer de pou-voir en jouer seul, sans l'aide de quelqu'un - onanisme-, sont les deux contenus symboliques principaux de cestextes.

Le rêve ne serait pas que le produit d'une excitationde type masturbatoire, car le rêve est le résultat d'une acti-vité psychique « élevée et compliquée ». .

Le non-musicien, c'est aussi lui, lui qui doute encorede sa capacité, de l'aboutissement de sa recherche, lui quitâtonne souvent sur les touches de ses malades, et qu'onaccuse de se faire ainsi plaisir à bon compte. Lui qui n'apu supporter les doigts de sa sœur sur le piano et quis'attache à cette image, dans sa recherche, comme dansla nécessité de prouver que lui est capable de faire plusque du bruit et de l'auto-satisfaction (cf. notre paragra-phe sur ce thème). Et l'on entend ici que le jeune garçon,Sigmund, exprimait dans cette tyrannie à l'égard du jeupianistique de sa sœur, quelque chose de son désarroidevant la castration (problématique à laquelle il sera trèssensible dans l'analyse du Petit Hans). Il faut bien, en toutcas, qu'il y ait plus qu'un caprice enfantin pour que cetteexigence ait eu l'écho de ses parents, de sa famille, et sur-tout de sa mère musicienne. Violence de l'affect que nousretrouvons dans la répétition de la scène (citations précé-

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dentes auxquelles il faut ajouter celles qui concernent lepiano en général). Ne plus voir le piano, ne plus enten-dre le bruit fait par sa sœur, c'était ainsi tenter d'éloi-gner l'affect douloureux. Freud n'a-t-il pas fait observerà plusieurs reprises que les enfants, curieux des chosessexuelles, entendent les bruits différents de l'acte d'uriner,entre le féminin et le masculin? (ce que nous avons vudans l'analyse du Petit Hans). Ce bruit très désagréableet insatisfaisant devenait ainsi associé, par son appartenanceà la sœur, à la castration, et à la culpabilité liée à l'ona-nisme. Ce que Freud retrouvera dans l'analyse de certainspatients musiciens inhibés dans le jeu musical. On com-prend, dans ces conditions, la place fondamentale de lamusique et son handicap originel.

Freud avance dans la réflexion que jalonne ce leitmo-tiv, avec deux arguments:

- Le rêve n'est pas un produit aléatoire, j'ai faitobserver les régularités et mis en évidence les règles quile façonnent; les sons produits ne sont pas imprévisibles,bien plus ils se répètent: « La comparaison de l'activitéqui se manifeste dans les rêves, avec les effets obtenus parune main inexperte en musique, ne nous est plus icid'aucun secours, parce que le clavier touché par cette mainrend toujours les mêmes sons, qui n'ont pas besoin d'êtremélodieux, toutes les fois que le hasard fera promener lamain sur ses touches. » (96, 76) Il ne s'agit donc pas d'unemain inexperte, ce que produit cette main est déterminé,insistant.

- Les rêves d'enfants viennent à l'appui de ce qu'iln'y a pas ici de hasard, le rêve a un sens, il est l'accom-plissement d'un désir. C'est alors que de façon, semble-t-il involontaire, Freud renverse le thème en celui de l'habilemusicien: « Le rêve n'est pas un chaos de sons discor-dants issus d'un instrument frappé au hasard, il n'est pasdépourvu de sens, il n'est pas absurde; pour l'expliquer,il n'est pas nécessaire de supposer le sommeil d'une par-tie de nos représentations et l'éveil d'une autre. C'est unphénomène psychique dans toute l'acception du terme, c'estl'accomplissement d'un désir. Il doit être intercalé dans lasuite des actes mentaux intelligibles de la veille: l'activitéintellectuelle qui le construit est une activité élevée et com-pliquée. » (25, 113) Dans la première phrase, faite toutede négations successives « le rêve n'est pas... », Freud con-

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tre toutes les théories précédentes. Le rêve est une œuvreenfantine, certes, mais une œuvre, qui, comme tout actepsychique, a un sens.

Nous avons donné, en 1985 (193), une analyse de lafaçon dont Freud, au travers de cette double négation « lerêve n'est pas un chaos de sons discordants» manifestesa conception du rêve comme une œuvre musicale. Voicila « traduction» que nous en proposions: « le rêve n'estpas le contraire de la musique », soit: « le rêve est unemusique, c'est une activité psychique signifiante, fondéesur le désir inconscient, et faisant l'objet d'une élabora-tion secondaire ». Ce renversement du thème se retrouveégalement dans un passage relatif aux actes manqués etaux actions automatiques: «Le promeneur, qui sait àpeine où il va, n'en suit pas moins le bon chemin et arriveau but sans tâtonnements. Le pianiste exercé laisse, sansy penser, retomber ses doigts sur les touches justes. Il peutnaturellement lui arriver de se tromper, mais si le jeu auto-matique était de nature à augmenter les chances d'erreur,c'est le virtuose dont le jeu est devenu, à la suite d'unlong exercice, purement automatique, qui devrait être leplus exposé à se tromper. » (96, 19) Remarquons queFreud associe son activité favorite, la promenade, à cetexemple du virtuose pianiste. Nous avancerons quelquespas de plus en disant que le rêve est une partition à déchif-frer et que seul un musicien averti sait en donner les inter-prétations (car de toute œuvre musicale il y a de multi-ples interprétations possibles).

Au travers de ce leitmotiv, Freud donne aussi à enten-dre quelque chose de sa conception de la musique. Il s'agitd'une activité que l'on ne peut aborder en dilettante, quinécessite un apprentissage de haut niveau. Activité qui esttoute entière centrée sur l'interprétation, le déchiffrementdu sens, aboutissement d'un travail psychique complexe.Et cela bien que le résultat final puisse sembler, pourl'ignorant, aisé: les notes semblent couler automatique-ment des doigts du virtuose, voire facilement abordablepar tout un chacun, donnant l'impression qu'il suffiraitde laisser courir ses doigts sur le piano. On comprend aussique ce haut niveau d'exigence le tenait lui d'autant plusà l'écart de la musique.

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IV

FREUD, VIRTUOSEDE L'INTERPRÉTATION

A - Aria: le mélomane

Le répertoire des citations musicales que nous avonsrelevées dans l'œuvre de Freud pourra surprendre (cf.annexe). D'autant que l'on y trouve non seulement des œu-vres classiques entendues à l'opéra, des chansons populai-res, des œuvres évoquées par les patients, mais encore desairs utilisés par Freud à des fins interprétatives.

C'est dire qu'il était loin de négliger cet art. On remar-quera surtout que Freud est un mélodiste et, plus précisé-ment encore, qu'il fait partie de ces mélomanes (Platonlui-même) pour lesquels musique et paroles doivent néces-sairement rester associées. Ainsi regrettera-t-il l'absence demélodies lors de la représentation théâtrale du Mariage deFigaro (165, 205).

De même que seuls les airs sont cités, et rappelés parleurs paroles, lorsqu'une musique surgit dans les associa-tions d'un malade, ce sont les paroles qui retiennent l'atten-tion de Freud et lui servent de matériau à interpréter. Uneseule fois il évoquera la possibilité, qu'il réservera au musi-cien professionnel, que la musique elle-même véhicule unsens décryptable - justement cette part qui lui échappe.Mais ce côté hermétique est aussi reconnu à la peinture(cf. le Michel Ange). Nous l'avons déjà vu, Freud préciseà Fliess que la forme, la beauté esthétique et donc ce quifait la spécificité d'un mode d'expression artistique, lui res-tent en partie inaccessibles.

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Si la mélodie est le paramètre musical le plus appréciéde Freud, le rythme reste un élément peu évoqué, mêmesi, de par ses relations avec les durées, les périodes, ilappartient à un domaine investi intellectuellement, notam-ment pendant la relation avec Fliess, dont on connaît lesélaborations théoriques sur ce thème. C'est à propos dumasochisme que Freud parle du rythme comme pouvantêtre le facteur qualitatif qui semble encore échapper à lacompréhension de cette pathologie: « Il semble que nousressentions l'accroissement et le décroissement des gran-deurs d'excitations directement dans la série des sentimentsde tensions et il n'est pas douteux qu'il existe des tensionss'accompagnant de plaisir et des détentes déplaisantes.L'état d'excitation sexuelle est l'exemple le plus frappantd'une augmentation d'excitation qui s'accompagne ainsi deplaisir, mais il n'est certainement pas le seul. Plaisir etdéplaisir ne peuvent donc pas être rapportés à l'accroisse-ment ou à la diminution d'une quantité que nous appe-lons tension d'excitation, encore qu'ils aient beaucoup àvoir avec ce facteur. Il semble qu'ils ne dépendent pas dece facteur quantitatif, mais d'un caractère de celui-ci, quenous ne pouvons désigner que comme qualitatif. Nousserions beaucoup plus avancés en psychologie si nous pou-vions indiquer quel est ce caractère qualitatif. Peut-êtres'agit-il du rythme, de l'écoulement temporel des modifi-cations, des montées et des chutes de la quantité d'excita-tion ; nous ne le savons pas. » (127, 288)

1 -' Les voix:

Avec la mélodie c'est aussi le plus souvent la voix quiest préférée. On se rappelle ici que cet intérêt était pré-sent dès le début de sa carrière (les cours suivis, l'ouvragesur l'aphasie). De façon générale Freud se montre très sen-sible aux qualités vocales, et les nombreuses références quenous avons trouvées comportent une proportion non négli-geable d'appréciations vocales, voix d'hommes, voix defemmes, en conférences, dans les rencontres mondaines,dans les relations intimes et, bien sûr, en concert. MaisFreud observe aussi sur sa propre voix: «Il n'est pasnécessaire d'aller chercher bien loin pour observer que, sije parle de ce qui est élevé, l'innervation de ma voix semodifie, ma mimique change, tout mon maintien cherche

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à se mettre au diapason de la dignité de ce que je repré-sente. » (33, 334)

Nous donnerons deux exemples qui se trouvent parmiles compte-rendus que le jeune Freud fait à sa fiancée Mar-tha : le premier concerne la cérémonie d'enterrement deson ami N. Weiss (mort par suicide). Freud décrit ainsila scène: « Ta lettre m'émeut comme une voix angélique(...) Devant la tombe ouverte s'est élevé un grand cri dis-cordant réclamant la vengeance, aussi injuste, aussi bru-tal que s'il l'avait poussé lui-même. (Il s'agit de l'inter-vention de Friedmann.) Ensuite, il a clairement accusé labelle famille d'avoir porté le coup fatal. Il a dit tout celad'une voix claironnante, une voix de fanatique et avecl'ardeur d'un juif violent et sans pitié. (...) La faible voixde Pfungen se perdit dans les échos des accusations vio-lentes du juif. » (165, 75-76) Freud donne ici une repré-sentation sonore très sentie où chaque voix est caractéri-sée, se détachant sur un fond sonore (grand cri, échos)violent et discordant.

A l'opposé, Freud ayant assisté à la représentation deThéodora de Sardou, exprime son enthousiasme pour lejeu de Sarah Bernhardt en ces termes (nous ne reprenonsque ce qui concerne sa voix): «Mais le jeu de cetteSarah! Dès les premières répliques de cette voix vibranteet adorable, il m'a semblé que je la connaissais depuis tou-jours (...) Et puis, cette façon d'enjôler, d'implorer,d'étreindre. » (l77a, 196)

2 - Le concert:

Voici maintenant comment Freud transmet ses impres-sions de concerts ou de spectacles sonores. Tout d'abordnous citerons le compte-rendu fait à E. Silberstein d'unescène dans une auberge à Trieste (23/4/1876) : « Un petitjeune homme avec un accordéon et une femme avec uneguitare, qu'elle portait dans un méchant sac. Le jeunehomme était tout petit; il alla se faufiler jusqu'à un bancet produisit l'essentiel du bruit. La pauvre femme, proba-blement sa mère, avait une face si pâle (avec des yeux baset un nez pointu), elle avait un air si misérable, grattaitsi convulsivement son instrument au milieu de ses accès detoux, que nous avons été enclins à voir là une vraie misère,chose en somme pas si rare en ce monde. » (174, 196)

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Nous avons choisi un deuxième récit, écrit de Rome,le 22/9/1907, et adressé à sa famille, c'est une lettre trèsvivante qui décrit -. sur deux pages - avec beaucoup deprécisions l'ambiance dans laquelle il se trouve, ce qu'ilvoit, entend de sa chambre d'hôtel située sur la PiazzaColonna. En voici quelques extraits sonores: «Sur laPiazza Colonna, derrière laquelle je demeure comme vousle savez, quelques milliers de personnes s'assemblent tousles soirs. L'air du soir est vraiment délicieux. C'est à peinesi l'on connaît le vent à Rome. Derrière la colonne, surune estrade, un orchestre militaire joue tous les soirs et,à l'autre bout de la place, est tendu un écran sur le toitd'une maison; la "Societa Italiana di Fotoreclami" y pro-jette des vues. » (165, 281) A ces réclames sont associéesdes annonces, des documentaires, des courts métrages.Freud est pris au jeu et prolonge ainsi la soirée. « Ceuxqui se promènent deux à deux ou undici dodici restent tantqu'il y a de la musique et du cinéma. » Parmi ces récla-'mes se trouve celle de La Fermentine : « La Fermentine,elle, ne gêne pas les gens; dans la mesure où leur socia-bilité le leur permet, ils se tiennent debout de façon à voirdevant eux et à écouter la musique derrière eux, de la sorteils sont comblés. (oo.) On peut, en outre, s'installer dansle voisinage de l'orchestre sur des chaises de paille, et lesgens du peuple s'assoient volontiers sur le rebord de pierredu monument. (oo.) Quand l'orchestre s'arrête, chacunapplaudit bruyamment, même ceux qui n'ont pas écouté.De temps en temps, d'affreuses clameurs retentissent danscette foule généralement calme et plutôt distinguée. Ellessont poussées par six à dix gamins vendeurs de journauxqui apportent l'édition du soir d'un journal et se ruentsur la place, hors d'haleine, tel le messager de Marathon,comme si les nouvelles qu'ils apportent devaient mettre finà une attente devenue intolérable. » (165, 282). Freud suitle spectacle de sa fenêtre d'où il entend aussi très bien lamusique. On sent bien dans cette lettre le plaisir qu'il prendà participer à cette ambiance. Ces extraits d'un texte pleind'humour nous présentent un Freud mêlé aux musiqueset spectacles populaires et qui, de plus, fait partager à sesproches ces moments de détente.

Le dernier exemple que nous donnerons se situe à lamême période, deux jours plus tard seulement, toujoursà Rome, et retrace une représentation de Carmen. De ce

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concert, Freud, cette fois encore, adresse à sa famille unrapport circonstancié de quatre pages! Nous ne citeronsque quelques extraits en rapport avec la dimension musi-cale du spectacle. Nous y observons deux tonalités, l'unetrès descriptive et piquante, celle de l'observateur, l'autreplus sentie et personnelle, correspond aux émotions. Decette soirée Freud part avant le dernier acte car il n'appré-cie pas le côté pesant - notamment de l'interprète de Car-men (Krethchen Reich), parfois même à la limite de la vul-garité, pour un Viennois: « Je pouvais fort bien me repré-senter la fin, Don José avait déjà laissé éclater sa fureuret avait jeté Carmen par terre deux fois. » (165, 226) .Pour-tant Freud éprouve intérêt et plaisir à retrouver certainesde ses mélodies favorites. Mais voilà un extrait de la trèspittoresque description qu'il fait de l'orchestre Romain:« Les musiciens de l'orchestre se trouvent au niveau desfauteuils et n'en sont séparés par rien; l'emplacement étaitpresque vide lorsque je suis arrivé. Seul un monsieur cons-ciencieux d'un certain âge essayait son violon qu'il n'avaitvisiblement pas eu le temps d'accorder et d'astiquer chezlui. D'autres arrivèrent peu à peu, les plus jeunes recti-fiaient bien vite le pli de leur pantalon avant de s'asseoir,ils sortaient leurs instruments, les astiquaient, en assem-blaient les parties et en tiraient les sons les plus discor-dants. Je soupçonne certains d'entre eux d'avoir, en outre,apporté du dehors de petits sifflets susceptibles d'être uti-lisés sous le prétexte de créer une atmosphère. Une tren-taine de musiciens plus ou moins chevelus ont fini par êtreréunis; parmi eux se trouvait une fille pas jolie mais jeuneet brune qui s'est installée devant une grande harpe dorée,qu'on eût dit sortie d'un livre d'images. La sœur de laharpiste, à en juger par sa ressemblance, était assise devantmoi au premier rang encore vide des fauteuils, quant àla jeune artiste elle semblait s'entendre très bien avec tousles plus jeunes membres de l'orchestre. Un seul des musi-ciens avait l'air d'un Bavarois un peu ivrogne qui se seraitégaré en Italie, les autres avaient de bonnes têtes deRomains. Chacun d'eux avait, sur son porte-musique, unesorte de boîte en fer-blanc recouverte d'un morceau dedrap vert. J'espérais que quelque éclairage électrique s'allu-merait derrière cet appareil étrange, puis un homme fit sonapparition, il portait une lourde charge de partitions surlesquelles était écrit le titre Carmen; il les distribua aux

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musiciens, au petit bonheur à ce qu'il m'a semblé. Enfin,le chef d'orchestre apparut, grand et élégant, mais man-quant de sveltesse, avec l'allure d'un maître d'hôtel quiinspirerait confiance. Il demeura quelques instants sur sonestrade, tournant le dos au public, sans bouger, il se pré-parait apparemment pour la suite, c'était le calme avantla tempête. Puis soudain, tout se déclencha, les lumièresdes musiciens s'allumèrent vraiment et tous les flâneurs del'orchestre se mirent au travail avec ardeur, la jeune filleelle-même pinçait sa harpe et ne riait que durant les entrac-tes. » (165, 284) Freud arrive ainsi à nous tenir en haleine,dans cette description minutieuse des préparatifs, sans nousoffrir un seul son... musical. Ce n'est que deux pages plusloin que notre curiosité à ce niveau trouve quelqueréponse: « Escamillo avait belle figure, malheureusementsa voix n'était qu'un murmure, si bien qu'on ne reconnutl'air qu'il chantait que lorsque le chœur le reprit. Vouspouvez facilement deviner qu'ils n'ont pas mis de sour-dine lorsqu'il s'est agi du grand air, la marche du Toréa-dor, bien entendu. Le chef d'orchestre répartit conscien-cieusement ses coups de baguette des deux côtés, j'en avaisles oreilles remplies. A vrai dire, les magnifiques mélodiesont été bien mises en valeur, mais le tout avec une cer-taine vulgarité tapageuse et accompagné de quelques plai-santeries que je ne connaissais pas. (...) Je suis encore restépour le troisième acte car j'aime beaucoup la musique quiaccompagne la scène des cartes. » (165, 286) Qu'aurait étéce compte-rendu s'il était resté jusqu'à la fin!

3 - Le chantonnement :

Freud aborde à plusieurs reprises, avec intérêt, la ques-tion du chantonnement, qu'il place au même titre que lesactes manqués, les lapsus, etc. (25, 184-185 ; 27, 239 ; 62,150 ; 96, 49 et 94; 119, 56-57 ; 173, 84; 174, 291-292),mais aucun de ces passages ne donne lieu à développement.Freud remet ce travail de décryptage à d'autres: « Celuiqui, comme Jung (Uber die Psychologie der Dementiapraecox, p. 62, 1907) ou comme Maeder (Une nouvellepsychologie: Freud et son école, Cœnobium, Lugano,1909), veut bien se donner la peine de prêter attention auxairs que, sans le vouloir et souvent sans s'en apercevoir,telle ou telle personne fredonne, trouvera presque toujours

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qu'il existe un rapport entre le texte de la chanson et unsujet qui préoccupe la personne en question. » (27, 239)Mais cette fois encore il n'est question que des paroles,non de la musique elle-même, comme si les premières pou-vaient en être isolées. La musique trouve place, toutefois,dans un autre passage, mais c'est au musicien d'y enten-dre quelque chose... Il n'est pas indifférent que ce textese trouve dans un paragraphe concernant la question del'interprétation: « De même des mélodies qui nous pas-sent par la tête sans raison apparente se révèlent à l'analysecomme étant déterminées par une certaine suite d'idées etcomme faisant partie de cette suite qui a le droit de nouspréoccuper sans que nous sachions quoi que ce soit de sonactivité. Il est alors facile de montrer que l'évocation enapparence involontaire de cette mélodie se rattache soit àson texte, soit à son origine. Je ne parle pas toutefois desvrais musiciens au sujet desquels je n'ai aucune expérienceet chez lesquels le contenu musical d'une mélodie peutfournir une raison suffisante à son évocation. Mais les casde la première catégorie sont certainement les plus fré-quents. Je connais un jeune homme qui a été pendantlongtemps littéralement obsédé par la mélodie, d'ailleurscharmante, de l'air de Pâris, dans La Belle Hélène, et celajusqu'au jour où l'analyse lui eut révélé, dans son inté-rêt, la lutte qui se livrait dans son âme entre une "Ida"et une "Hélène". » (96, 94)

Dans certaines circonstances, le chantonnement peutavoir une fonction défensive, c'est le cas du chantonne-ment dans l'obscurité: « Lorsque celui qui chemine dansl'obscurité chante, il nie son anxiété, mais il n'en voit paspour autant plus clair. » (137, 12)

Freud lui-même chantonnait, et pas seulement de façondéfensive, mais plutôt, comme en témoigne la citation sui-vante, dans l'intimité et avec affection. Il échange avecMarie Bonaparte des expériences avec des animaux domes-tiques et écrit, le 6/12/1936 : « Souvent, en caressant Jofi,je me suis surpris à fredonner une mélodie que je con-nais bien, quoique je ne sois pas du tout musicien: l'ariade Don Juan: un lien d'amitié nous unit tous deux. »(165, 473-474) Communication sonore, musicale, avec unêtre dépourvu de parole, son chien. S'il arrivait à Freudde douter de la justesse de sa voix, il semble, si l'on encroît P. Gay, que ce fut confirmé par sa fille Anna (178,

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193). Ceci ne vient que témoigner de l'importance du rap-port entre les sons, et de ce difficile « accordage » musical.

Nous terminons ce portrait du mélomane avec l'enthou-siasme exprimé par Freud dans cette lettre à Fliess datéedu 12/12/1897 : « Dernièrement j'ai pris un immense plai-sir à entendre les Maîtres Chanteurs... On ne trouve dansaucun autre opéra de vraies idées traduites en musiquegrâce à l'association d'une harmonie d'accent et d'une pen-sée teintée d'affectivité. » (14, 211)

B - Freud musicien, virtuose de l'interprétation

Nous arrivons à l'aboutissement de notre itinérairesonore et musical dans l'œuvre de Freud. Le chemin barrévers la musique - en raison, nous semble-t-il, notamment,de sa dimension incestueuse - a obligé Freud à un longdétour et à une mise à l'épreuve permanente (la compa-raison avec les artistes), jusqu'à s'assurer la place du pre-mier interprète, virtuose de l'instrument psychique. Désor-mais il peut rivaliser de profondeur et d'adéquation avecla communication artistique, fut-elle musicale. Lui qui n'apas appris le piano, connaît toutes les touches de l'instru-ment psychique - qu'il a lui-même exploré, dont il adéfini la structure - sait, comme nul autre, le faire son-ner (peut-être comme sa mère savait « toucher» son cœurd'enfant ?)

Freud musicien, virtuose, semble avoir été un fantasmedont nous retrouvons les traces dans l'œuvre.

« ... J'ai affirmé, non sans bonnes raisons, que cha-cun de nous possède dans son propre inconscient l'instru-ment avec lequel il est capable d'interpréter les manifes-tations de l'inconscient chez l'autre. » (73, 192) Cet ins-trument a été comparé, sur le plan sonore, avec le com-biné du téléphone. Freud met là en avant la fonctiond'interprète de l'analyste: « En résumé, l'inconscient del'analyste doit se comporter à l'égard de l'inconscient émer-geant du malade comme le récepteur téléphonique à l'égarddu volet d'appel. De même que le récepteur retransformeen ondes sonores les vibrations téléphoniques qui émanentdes ondes sonores, de même l'inconscient du médecin par-vient, à l'aide des dérivés de l'inconscient du malade quiparviennent jusqu'à lui, à reconstituer cet inconscient dont

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émanent les associations fournies. » (68, 66) Mais, si « cha-cun de nous possède» cet instrument, comme tout instru-ment musical, il demande un apprentissage technique dontles adeptes de la « psychanalyse sauvage» croient pouvoirfaire l'économie. Freud les met en garde avec cette méta-phore musicale qui le conduit jusqu'à endosser lui l'habitdu musicien soliste: «Une erreur me semble être fortrépandue parmi mes collègues. Ils croient que rechercherl'origine des symptômes, supprimer les manifestations mor-bides grâce à cette méthode d'investigation est chose aiséeet allant de soi. (...) Ce n'est point chose facile, en effet,que de jouer de l'instrument psychique. En pareille occa-sion je ne puis m'empêcher de penser à un célèbre névroséqui, il est vrai, n'a jamais été soigné par un médecin etn'a existé que dans l'imagination d'un poète, je veux parlerd'Hamlet, prince de Danemark. Le roi charge deux cour-tisans, Rosenkranz et Gueldenstern, de suivre le prince, dele questionner et de lui arracher le secret de sa mélanco-lie ; il les repousse. Alors on apporte sur la scène des fla-geolets. Hamlet s'empare d'un de ces instruments etdemande à l'un de ses bourreaux d'en jouer, ce qui, dit-il, est aussi facile que de mentir. Le courtisan refuse enalléguant qu'il ne sait pas se servir d'un flageolet et commeil s'obstine dans son refus, Hamlet s'écrie: "Sangdieu !Croyez-vous qu'il soit plus facile de jouer de moi qued'une flûte? prenez-moi pour l'instrument que vous vou-drez, vous pourrez bien me froisser. Mais vous ne saurezjamais jouer de moi." » (29, 15)

Voici le texte exact de cette dernière partie (Hamlet,acte III, scène 2), encore plus explicite: « Voyez donc dansquel mépris vous me tenez! Vous voudriez jouer de moi,vous donner l'air de connaître mes touches, arracher lecœur même de mon secret, faire chanter la plus basse etla plus aiguë de mes notes - mais ce petit instrument,qui contient tant de musique et dont la voix est si belle,vous ne savez pas le faire parler. Croyez-vous, par Dieu,que je sois plus simple qu'une flûte? Prenez-moi pourl'instrument qu'il vous plaît, vous aurez beau tracasser tou-tes mes cordes, vous ne tirerez pas un son de moi. » (204)

Pour faire chanter l'inconscient, il y faut un appren-tissage, une technique; la psychanalyse est la seule à ouvrirla voie à son interprétation.

Freud en fait la démonstration. Il correspond avec

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Fliess au sujet d'une patiente que ce dernier lui a adres-sée et lui en donne les nouvelles suivantes:

- le 7/10/1901 : « J'ai eu, il y a trois semaines, lavisite de Mme D. que tu m'as envoyée, j'aurais donc dût'écrire à son sujet il y a longtemps. C'est naturellementtout à fait la personne dont j'ai besoin, un cas constitu-tionnel grave auquel toutes les clés s'adaptent et où tou-tes les cordes répondent. Il est à peine possible d'agir surelle sans la faire souffrir, elle aime trop endurer et infli-ger la souffrance, mais la réussite devrait être assurée etdurable. » (14, 301) Dans ce contre-transfert très positif,nous passons ainsi du flageolet à l'instrument à cordes.Un mois plus tard il écrit encore:

- le 2/11/1901 : «Tout concorde bien, cette foisencore, tout au moins avec mes vues les plus récentes, etl'instrument obéit volontiers aux doigts qui s'en servent. »(14, 302) On sent l'interprète parfaitement à l'aise et satis-fait de son jeu instrumental, de sa performance musicale.

Associations musicales

Il arrive aussi à Freud d'utiliser ses propres associa-tions musicales pour l'interprétation. Nous en donneronsdeux exemples. Le premier date de 1895 ; Freud rapportel'observation suivante: « Obs. X - Folie du doute, craintedes papiers - Une jeune femme, qui avait souffert descrupules après avoir écrit une lettre, et qui dans ce mêmetemps ramassait tous les papiers qu'elle voyait, donnaitcomme explication l'aveu d'un amour que jadis elle ne vou-lait pas confesser. A force de se répéter sans cesse le nomde son bien-aimé, elle fut saisie par la peur que ce nomse serait glissé sous sa plume, qu'elle l'aurait tracé sur quel-que bout de papier dans une minute pensive I. » (12, 43)Freud nous renvoie à cette note (1) dont voici le contenu:« Voir aussi la chanson populaire allemande: Auf jedesweisse Blatt Papier mocht ich es schreiben : Dein ist meinHerz und soli es ewig, ewig bleiben » (12, 43), soit, enfrançais: sur chaque feuille de papier blanc je souhaitel'écrire: Mon cœur est à toi et doit le rester toujours,toujours!

La seconde situation est celle de Mme P.J., élève can-tatrice. On remarquera que Freud ne se contente pas durécit fait par la patiente, il lui demande de rechanter le

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passage, en séance, et lui-même répond par une associa-tion musicale: l'air du page.

« Mme P.J., 27 ans n'a connu de vie conjugale quependant trois mois. Son mari, voyageur de commerce, aété obligé de la quitter peu de temps après leur mariageet est encore absent depuis plusieurs semaines. Il lui man-que beaucoup et elle s'ennuie de lui. Elle avait été canta-trice ou plutôt avait étudié pour le devenir. Afin de pas-ser le temps, assise au piano, elle chantait en s'accompa-gnant quant elle fut soudain saisie d'un malaise digestifavec vertiges, oppression, angoisse et paresthésie cardia-que. Elle crut devenir folle. Quelques instants plus tard,elle se souvint d'avoir mangé ce matin-là des œufs auxchampignons et s'imagina être empoisonnée. Mais lemalaise ne tarda pas à se dissiper. Le jour suivant, sadomestique lui raconta qu'une des locataires de la mai-son était devenue folle. A partir de ce moment, l'idéeangoissante et obsédante qu'elle aussi allait sombrer dansla folie ne la quitta plus. » A la suite de cet exposé Freudfait part de ses hypothèses quant à l'étiologie sexuelle deces accès d'angoisse. « Je m'attends à trouver ceci : elleavait la nostalgie de son époux, c'est-à-dire de ses rapportssexuels avec lui; une idée lui vient à l'esprit et provoqueun affect sexuel, puis une défense contre cette idée; Mme

P.J. s'effraye et établit une fausse corrélation ou unefausse substitution. Je l'interroge sur les circonstances quientourèrent l'incident: quelque chose a dû lui rappeler sonmari. Elle était en train de chanter la séguedille du pre-mier acte de Carmen: "Dans les remparts de Séville... "Je lui fais répéter cet air dont elle ne connaît même pasexactement les paroles. "A quel endroit pensez-vous quel'accès a débuté 1" Elle l'ignore. J'appuie sur son frontet elle me dit alors que ce fut après avoir chanté toutela mélodie. La chose paraît possible. Les paroles ont peut-être suscité les pensées. Je lui dis qu'avant l'accès certai-nes idées devaient lui être venues à l'esprit dont elle nese souvenait peut-être plus. En effet, elle ne se rappellerien, mais la pression de la main (sur le front) donne"mari" et "nostalgie". J'insiste encore et elle finit par pré-ciser que cette nostalgie est un besoin de caresses sexuel-les. "Je croirais volontiers que votre accès n'était qu'unétat d'effusion amoureuse. Connaissez-vous l'air dupage 1"

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Voi che sapete che cosa è amor,Donne, vedete s'io l'ho nel cor... 1

Il devait y avoir autre chose encore, une sensation dansle bas-ventre, un besoin spasmodique d'uriner. Elle le con-firme. L'insincérité des femmes se marque d'abord par uneomission de symptômes sexuels caractéristiques, lorsqu'ellesdécrivent leur état. Ainsi, il s'était bien agi d'un orgasme. »(14, 122-123) Freud essaiera d'aller plus avant dans cetteanalyse, jusqu'à retrouver des scènes plus anciennes, maiscette pression fera fuir la patiente.

Notons aussi qu'il utilise une évocation musicale lors-que, le 30/12/1912, il écrit à Ferenczi son sentiment surles difficultés du mouvement psychanalytique: « J'émergeà l'instant du Don Juan (suite à l'annulation du rendez-vous de ma patiente du soir). Au moment de la scène dufestin: "Cette musique me paraît extraordinairement con-nue", j'ai fait une bonne application à la situation pré-sente. Oui, cette musique aussi me paraît très connue. J'aivécu tout cela bien avant 1906, les mêmes objections, lesmêmes prophéties, les mêmes proclamations disant quedésormais j'étais un homme fini. Il en est allé autrement. »(176, 479)

2 - Amitié

Sur un mode plus intime, l'année précédente, il répondà Ferenczi tourmenté par le transfert qu'il a fait sur Freudet dont il ressent culpabilité, désir d'indépendance, et atta-chement filial. Voici cette réponse du maître et analyste,réponse dont on appréciera la chute musicale: « ... Je con-nais, bien entendu, vos "troubles liés aux complexes" etj'admets volontiers que je préférerais un ami indépendant;mais, si vous faites de telles difficultés, il faut bien queje vous adopte comme fils. Votre lutte libératoire n'avaitpas besoin de s'accomplir dans de telles alternances derévolte et de soumission. Je crois que vous souffrez aussiun peu de la crainte du complexe qui s'est attachée à lamythologie du complexe selon Jung. L'homme ne doit pasvouloir exterminer ses complexes, mais se mettre en accord

1. MOZART, Les noces de Figaro, air du Chérubin, Acte II. N.B.cette deuxième citation vient de l'exclamation de Leporello, Acte II,scène 3 du Don Giovanni de Mozart, mélodie appartenant aux Nocesde Figaro.

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avec eux, ce sont les chefs d'orchestre qualifiés de son com-portement dans le monde. » (176, 330)

Il n'est que dans une relation d'amitié féminine queFreud quitte cette position d'interprète soliste, qu'il occupeavec ses patients, pour se risquer, avec Lou AndreasSalomé, à associer sa voix, dans l'harmonie d'un parfaitduo. Ayant tardé à répondre à son amie, Freud s'en excuseet poursuit: « Mais comme je vous écris enfin aujourd'hui,je constate avec satisfaction qu'il n'y a rien de changé dansnos relations à propos de quelque thème que ce soit. J'atta-que une mélodie - généralement très simple - vous repre-nez à l'octave au~dessus ; je sépare l'un de l'autre et vousréunissez ce qui a été séparé en une unité supérieure;j'avance silencieusement les conditions de notre limitationsubjective et vous attirez explicitement l'attention dessus.Dans l'ensemble, nous nous sommes compris et sommesdu même avis. A ceci près que j'ai tendance à exclure tousles avis, moins un, et vous plutôt à les inclure tous lesuns et les autres. » (169, 228-229)

Freud écrit ces lignes en 1930, il a 74 ans. Une foisde plus nous retrouvons le mélodiste, et le plaisir qu'ilgoûte à cette musique est, cette fois, de dimensionpolyphonique.

3 - Interpréter

Car si Freud est sensible, comme nous l'avons vu, auvacarme et au tapage du refoulé (48, 26-28), s'il saisit lesindices derrière le murmure de la censure (96, 122), sontravail d'analyste est, par l'interprétation, d'en faire émer-ger une mélodie. Travail qu'il compare encore, à proposdu rêve, au violoniste virtuose, Giuseppe Tartini(1692-1770). Cet homme destiné aux ordres eut une viedébauchée (dont un mariage secret) et se trouva ainsi pros-crit. Il dut se réfugier à Assise. Voici ce que précise, àson sujet, le Larousse de la musique: « On dit que c'estlà qu'il jouait derrière un rideau pour ne pas être reconnu,faisant l'admiration des auditeurs par sa sonorité, et qu'ilreçut des leçons d'un franciscain tchèque. C'est là aussique le diable lui serait apparu pour lui suggérer l'effet ins-trumental qu'il devait exploiter dans la sonate dite du"Trille du diable". » (206, Vol. II, 1537) Voici mainte-nant la citation de Freud: « Quand le rêve poursuit et

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achève les travaux de la veille et découvre des idées dequelque valeur, nous n'avons qu'à retirer le déguisementdû au rêve, qui est le résultat du travail du rêve et la mar-que de l'assistance de forces obscures venues du fond del'âme (cf. le diable dans le rêve de la sonate de Tartini).Le travail intellectuel lui-même est l'œuvre des forcespsychiques qui en accomplissent un semblable pendant lejour. Même dans les créations intellectuelles et artistiques,il semble que nous soyons portés à trop surestimer le carac-tère conscient. » (25, 520)

L'analyste qui a de l'oreille sait discerner le Trille duDiable et l'interpréter. Freud revendique pour lui ce talentlorsque, mis en difficulté par les dissensions successives deses disciples, il doit reconnaître le caractère incompatiblede la théorie junguienne. Il écrit, en 1914: «Ainsi setrouve édifié un nouveau système éthico-religieux qui, toutcomme le système adlérien, fut obligé, pour se donnercohésion et consistance, d'interpréter dans un sens nou-veau, de déformer ou d'écarter les données concrètes del'analyse. En réalité, on n'a perçu, de la symphonie dudevenir universel, que la partie chantée par la civilisation,mais on est resté sourd à la mélodie des instincts, malgréson intensité primitive. » (80, 149)

Freud est bien incontestablement l'interprète, virtuose,de cette « mélodie des instincts », mélodie qu'il a su enten-dre et nous faire percevoir, par-delà rideaux et déguise-ments, dans la polyphonie de notre psychisme. Savoir enjouer est une conquête qui a transformé notre culture.

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CONCLUSION

FALLAIT-IL L'ÉBRUITER?

Par son interrogation sur l'affinité de l'esprit pour lesrapports entre les sons, Freud tenait une clé qui pouvaitle conduire au-delà de la névrose. Mais cette piste est res-tée à l'état d'ébauche, malgré les nombreuses reprises dontnous nous sommes faite l'écho, dans son œuvre, elle jouaitpeut-être sur une corde trop sensible de son instrument.Il lui a préféré le domaine plus abstrait de l'élaborationfantasmatique qui, tout en utilisant le répertoire del'entendu, apporte la distance nécessaire, par rapport auxinvestissements pulsionnels (amour/haine, vie/mort). Etencore, de cet entendu, Freud retient essentiellement laparole, même si son intuition le guide aussi, par moment,vers les dimensions orale ou anale du sonore, qui la pré-cèdent et l'accompagnent. Ainsi, sa réflexion sur le cri desouffrance, l'amène à pointer comment l'articulation se faitentre expression sonore et affect, chez le nourrisson, surle mode projectif, « paranoïde », terme que nous emprun-tons, bien entendu, non à Freud mais à la théorie de M.Klein.

Si, à ce moment, la mère (l'entourage maternel) est per-çue comme possiblement destructrice, à l'opposé, et, pourFreud particulièrement, la mélodie de la voix produit uneffet massif de séduction dont il semble que seull'accro-chage et le retour au mot puisse permettre d'échapper. Caril n'y a pas que certains bruits agressifs, dérangeants, quipuissent être perçus de façon persécutive, la plus bellemélodie peut avoir le même effet, conduire à cette limiteà ne pas dépasser.

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Ces deux pôles - cri, mélodie - correspondent, enpartie tout au moins, à l'alternance absence/présence dela mère et à son vécu schizo-paranoÏde par l'enfant, vécudont M. Klein a été la théoricienne.

C'est cette vigilance qui conduit Freud à l'interpréta-tion : il ne faut pas se laisser aller aux ondes des sirè-nes, à cette vacuité de l'oreille où des rapports de sonsviennent résonner de façon si séduisante. Même « flot-tante », l'attention veille. Non, il ne suffit pas d'avoir desoreilles pour entendre - l'Évangile l'a bien dit - ; etFreud s'est très tôt intéressé aux surdités verbales pourlesquelles il écrit en 1888 : « ... malgré une ouïe préser-vte et une intelligence normale (...) le langage leur sonnecomme un bruit confus », il découvrait là l'origine de laparaphasie. L'écoute psychanalytique est une écoute active,en éveil, elle ne se laisse pas bercer par la voix séduc-trice de la patiente hystérique. Elle nomme le transfert,le désigne, l'interprète. L'interprétation est une mise enparoles de ces bruissements de l'être (de ses mélodies sua-ves à ses bruits assourdissants). On peut ainsi penser quela difficulté de Freud à se laisser aller à une position pas-sive face à l'audition, a été un moteur de sa découvertede l'interprétation.

Freud répond à l'effet mélodique par la parole, et,même lorsqu'il s'agira d'interpréter la musique, il ne pourraaller au-delà du texte verbal. Il ne peut, lui-même, s'appro-prier, par l'apprentissage, ce « pouvoir» musical et, inca-pable d'en maîtriser les effets, il cherche à s'en défendre.Ainsi réagit-il, comme il le précise lui-même, au premier« effleurement» (14, 211, et 96, 423). Enfant il tenteramême d'éliminer une telle source d'excitation embarras-sante, en l'occurence, le piano de sa sœur. Touché par lamélodie, plus que par toute autre composante musicale,Freud, tout en prenant distance, nourrit son imaginaire dela métaphore musicale. Celle-ci vient illustrer les princi-pales étapes de son élaboration théorique, jusqu'à le con-sacrer, lui, musicien de la psyché.

Contrairement à l'écoute musicale, l'attention flottanteproduit une forme d'écoute qui ne se laisse pas pénétrer- aux prises à la séduction, elle en suit prudemment lescontours -, comme l'observait déjà F. Perrier (201). Elleoppose à la vacuité de l'oreille - à la merci des sirènesd'un alanguissement mortifère - l'activité interprétative,

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tout comme le fantasme d'écoute, nous l'avons observé,se substitue au trauma de l'entendu.

Éprouver l'entendu sans trop d'angoisse, y percevoirl'écho de l'objet perdu, ne peut se faire qu'à partir d'uneexpérience sonore originelle suffisamment élaborée, c'est-à-dire différenciée, rendue appropriable, et désexualisée.Ces conditions ne semblent pas avoir été remplies pourFreud, qui écrit d'ailleurs en 1931 : « Tout ce qui toucheau domaine de ce premier lien à la mère m'a paru diffi-cile à saisir analytiquement, blanchi par les ans, sembla-ble à une ombre à peine capable de revivre, comme s'ilavait été soumis à un refoulement particulièrement inexo-rable. » (149, 140) De notre analyse de la façon dontl'entendre est traité dans l'œuvre de Freud, deux obsta-cles principaux à cette élaboration semblent se dégager:l'avidité orale menaçant l'objet de destruction (absor-ber/être absorbé, ou englouti), la séduction, intrusive, per-sécutive, aspects que le mythe des sirènes illustre bien. Lesprincipaux moyens de défense mis en œuvre sont, nousl'avons constaté, l'isolation, du regard, de l'ouïe, et encore,de celle-ci, la parole sera soigneusement détachée des autresperceptions sonores et musicales - demeurées des élémentsen partie inassimilables; et l'abstraction, car seuls lesniveaux de la représentation et du langage verbal assurentla distance qui préserve à la fois l'objet et le sujet.

Si passivité, réceptivité et dépendance s'enracinent, pourl'enfant, dans la relation à la mère, ces qualités se retrou-vent dans l'expérience sexuelle, par la façon dont cettecomposante féminine, réceptive (et liée à la problématiquede la castration), est intégrée dans le développement sexuelde l'homme comme de la femme. Nous avons cru pou-voir discerner, dans l'insistance avec laquelle Freud meten avant la dimension visuelle, et le côté actif du rêve -le travail du rêve -, les traces de cette autre face, pourlui difficilement élaborable, notamment dans la théorie. Ils'agit de la face réceptive dans l'excitation, de l'audition- en particulier musicale -, comme aussi de cette mêmequalité, dans la disposition au rêve. Cette dimension del'écoute, prend ici des résonances au niveau homosexuel,comme au niveau maternel, et cela à partir des emprein-tes laissées par l'objet perdu.

C'est ainsi d'un véritable défi lancé aux sirènes queFreud est conduit à identifier, avec le miroir du rêve, l'écho

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interne, caisse de résonance pulsionnelle de la séduction,pour en capter la mélodie et en transmettre l'interpréta-tion. C'est par celle-ci, l'interprétation psychanalytique,qu'il se donne l'accès à cette part du psychisme qu'il con-sidérait être l'apanage des seuls artistes, et qui est aussil'accès à une communication aux origines de l'esprit.

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Chaque référence est indiquée dans le texte par deux chif-fres: le premier correspond au numéro de l'article ou del'ouvrage, le second, aux pages citées.

L'édition allemande, Gesammelte Werke, sera notée« a.w. ».

I - Références freudiennes

A - Œuvres

1 - 1888 - Aphasie, in VILLARET, Handworterbuch dergesamten Medizin, Stuttgartd in Contribution à la conceptiondes aphasies, Paris, P.U.F., 1983 (trad. Van Reeth), 41-45.

2 - 1890 - Traitement psychique (traitement d'âme), Psychis-che Behandlung (Seelenbehandlung), G. W. V, 289-315, inRésultats, idées, problèmes, I, Paris, P.U.F., 1984, (trad. M.Borch. Jacobson, P. Kœppel, F. Scherrer), 1-24.

3 - 1891 - Contribution à la conception des aphasies, ZurAuffassung der Aphasien, Paris, P. U.F., 1987 (83) (trad. C.Van Reeth).

4 - 1892 - Pour une théorie de l'attaque hystérique, en col-laboration avec Josef BREUER, Zur Theorie des hysterischenAnfall, G. W. XVII, in Résultats, idées, problèmes I, 1984(trad. J. Altounian, A. et O. Bourguignon, P. Cotet, A.Rauzy), 25-28.

5 - 1892 - Notice « III », G. W. XVII, in Résultats, idées,problèmes I, Paris, P.U.F., 1984, (trad. J. Altounian, A. etO. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy), 29-30.

6 - 1892-93 - Un cas de guérison hypnotique avec des remar-ques sur l'apparition de symptômes hystériques par la« contre-volonté », Ein Fall von hypnotischer Heilung nebst

199

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Bemerkungen über die Entstehung hysterischer Symptomedurch den « Gegenwillen », G. W.I, in Résultats, idées, pro-blèmes I, Paris, P.U.F., 1984, (trad. J. Altounian, A. et O.Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy), 31-44.

7 - 1893 - Charcot, G. W.I, in Résultats, Idées, problèmesI, Paris, P.U.F., 1984, (trad. J. Altounian, A. et O. Bour-guignon, P. Cotet, A. Rauzy), 61-74.

.8 - 1893 - Quelques considérations pour une étude compara-

tive des paralysies niotrices organiques et hystériques, G. W.I,in Résultats, idées, problèmes, Paris, P.U.F., 45-60.

9 - 1894 - Les psychonévroses de défense, die Abwehr-neuropsychosen, G. W.I, in Névrose, psychose et perversion,Paris, P.U.F., 1973 (trad. J. Laplanche), 1-14.

10 - 1895 - Études sur l'hystérie, Studien über Hysterie,G. W.I, Paris, P.U.F., 1967 (1956), (trad. M. Bonaparte).

Il - 1895 - Qu'il est justifié de séparer de la neurasthénieun certain complexe symptomatique sous le nom de « névrosed'angoisse », Uber die Berechtigung von der Neurasthenieeinen bestimmten Symptomen komplex aIs « Angstneurose »abzutrennen, G. W.I, in Névrose, psychose et perversion,Paris, P.U.F., 1973 (trad. J. Laplanche), 15-38.

12 - 1895 - Obsessions et phobies, G.W.I, in Névrose,psychose et perversion, Paris, P.U.F., 1973, 39-46.

13 - Zur Kritik der « Angstneurose », G. W.I.

14 - 1895 - La naissance de la psychanalyse, 1887-1902, Ausden Anfdngen der psychoanalyse, London, Imago, 1950,Paris, P.U.F., 1979 (1956), (M. Bonaparte, A. Freud, E. Kris)comprenant: les lettres à W. Fliess 1887-1902.

15 - 1895 - Esquisse d'une psychologie scientifique, Entwurfeiner Psychologie, in La naissance de la psychanalyse, Paris,P.U.F., id., 307-396.

16 - 1896 - Nouvelles remarques sur les psychonévroses dedéfense, Weitere Bemerkungen über die Abwehrneuropsycho-sen, G. W.I, in Névrose, psychose et perversion, Paris,P.U.F., 1973, (trad. J. Laplanche), 61-82.

17 - 1896 - L'hérédité et l'étiologie des névroses, G. W.I, inNévrose, psychose et perversion, Paris, P.U.F., 1973, (trad.J. Laplanche), 47-60.

18 - 1896 - L'étiologie de l'hystérie, Zur Atiologie der Hyste-rie, G. W.I, in Névrose, psychose et perversion, Paris, P.U.F.,1973, (trad. J. Bissery et J. Laplanche), 83-112.

19 - 1897 - La paralysie cérébrale infantile, G. W.I, in Con-

200

Page 201: Freud Et Le Sonore

tribution à la conception des aphasies, Paris, P.U.F., (trad.Van Reeth), 39-41.

20 - 1898 - La sexualité dans l'étiologie des névroses, DieSexualitat in der Atiologie der Neurosen, G. W.l, in Résul-tats, idées, problèmes l, Paris, P. U.F., 1984, (trad. J. Altou-nian, A. et O. Bourguignon, G. Garon, J. Laplanche, A.Rauzy), 75-98.

21 -. Uber Sexualitat in der Atiologie der Neurosen, G. W.l.

22 - 1898 - Sur le mécanisme psychique de l'oubli, Zumpsychischen Mechanismus der Vergesslichkeit, G. W.l, inRésultats, idées, problèmes l, id., 99-108.

23 - 1899 - Sur les souvenirs-écrans, Uber Deckerinnerungen,G. W.l, in Névrose, psychose et perversion, Paris, P. U.F.,1973, (trad. D. Berger, P. Bruno, D. Guérineau, F. Oppe-not), 113-132.

24 - 1899 - Une prémonition onirique accomplie, Eine erfüllteTraumahnung, G. W. XVII, in Résultats, idées, problèmes l,Paris, P.U.F., 1984, (trad. J. Altounian, A. et O. Bourgui-gnon, - P. Cotet, A. Rauzy), 109-112.

25 - 1900 - L'interprétation des rêves, Die Traumdeutung,G. W. II et Ill, Paris, P.U.F., 1967 (1926), (trad. Meyerson,Berger).

26 - 1901 - Le rêve et son interprétation, Uber den Traum,G. W. II et III, Paris, Gallimard, 1985 (1925), (trad.H.Legros).

27 - 1904 - Psychopathologie de la vie quotidienne, ZurPsychopathologie des Alltagslebens, G. W. IV, Paris, P.U.F.,1967 (1923), (trad. S. Jankélévitch)

28 - 1904 - La méthode psychanalytique de Freud, DieFreudsche psychoanalytische Methode, G. W. V, in La tech-nique psychanalytique, Paris, P.U.F., 1953, (trad. A. Ber-man), 1-8.

29 - 1904 - De la psychothérapie, Uber Psychotherapie,G. W. V, in La technique psychanalytique, Paris, P.U.F., 1953,(trad. A. Berman), 9-22.

30 - 1904-1905 - Trois essais sur la sexualité, Drei Abhand-lungen zur Sexualtheorie, G. W. V.

31 - 1905 - Mes vues sur le rôle de la sexualité dans l'étiolo-gie des névroses, Meine Ansichten über die Rolle der Sexua-litat in der Atiologie der neurosen, G. W. V, in Résultats,idées, problèmes l, Paris, P.U.F., 1984, (trad. J. Altounian,A. et O. Bourguignon, G. Garan, J. Laplanche, A. Rauzy),113-122

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Page 202: Freud Et Le Sonore

32 - 1905 - Fragment d'une analyse d'hystérie (Dora), Bruchs-tück einer Hysterieanalyse, G. W. VIII, in Cinq psychanaly-ses, Paris, P.U.F., 1954, (trad. M. Bonaparte, R.M. Lœwens-tein), 1-92.

33 - 1905 - Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient,Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten, G. W. VI,Paris, Gallimard, 1981 (1930), (trad. M. Bonaparte, M.Nathan).

34 - 1905-1906 - Personnages psychopathiques à la scène,Psychopathische Personen auf der Bohne, in Résultats, idées,problèmes l, Paris, P.U.F., 1984, (trad. J. Altounian, - A.Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy), 123-130.

35 - 1906 - L'établissement des faits par voie diagnostiqueet la psychanalyse, Tatbestandsdiagnostik und Psychoanalyse,X G. W. VII, 3-15, in L'Inquiétante étrangeté, Paris, Galli-mard, 1985, (trad. B. Féron), 9-28.

36 - 1907 - Les explications sexuelles données aux enfants,Zur sexuellen AufkHirung der Kinder, G. W. VII, in La viesexuelle, Paris, P.U.F., 1977 (1969), (trad. D. Berger), 7-13.

37 - 1907 - le délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jen-sen, Der Wahn und die Triiume in W. Jensens « Gradiva »,G. W. VII, 31-124, Paris, Gallimard, 1983, (trad. P. Arhex,R.M. Zeitlin), 137-252.

38 - 1907 - Actions compulsionnelles et exercices religieux,Zwangshandlungen und Religionsübungen, G. W. VII, inNévrose, psychose et perversion, Paris, P.U.F., 1973, (trad.D. Guérineau), 133-142.

39 - 1908 - La morale sexuelle civilisée et la maladie nerveusedes temps modernes, Die « Kulturelle » Sexualmoral und diemoderne nervositiit, G. W. VII, in La vie sexuelle, Paris,P.U.F., 1977-1969, (trad. D. Berger), 28-46.

40 - 1908 - Les théories sexuelles infantiles, Uber infantileSexualtheorien, G. W. VII, in La vie sexuelle, Paris, P.U.F.,1977 (1969), (trad. J.B. Pontalis), 14-27.

41 - 1908 - Les fantasmes hystériques et leur relation à labisexualité, Hysterische Phantasien und ihre beziehung zurBisexualitiit, G. W. VII, in Névrose, psychose et perversion,Paris, P.U.F., 1973, (trad. J. Laplanche, J.B. Pontalis),149-156.

42 - 1908 - Caractère et érotisme anal, Charakter und Ana-lerotik, G. W. VII, in Névrose, psychose et perversion, Paris,P.U.F., 1973, (trad. D. Berger, P. Bruno, D. Guérineau, F.Oppenot), 143-148.

43 - 1908 - Le créateur littéraire et la fantaisie, Der Dichter

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Page 203: Freud Et Le Sonore

und das Phantasieren, G. W. VII, 213-223, in L'inquiétanteétrangeté, Paris, Gallimard, 1985, (trad. B. Féron), 29-50.

44 - 1909 - Le roman familial des névrosés, Der Familienro-man der neurotiker, G. W. VII, in Névrose, psychose et per-version, Paris, P.U.F., 1973, (trad. J. Laplanche), 157-160.

45 - 1909 - Considérations générales sur l'attaque hystérique,Allgemeines über den hysterischen Anfall, G. W. VII, inNévrose, psychose et perversion, Paris, P.U.F., 1973, (trad.D. Guérineau), 161-166.

46 - 1909 - Analyse d'une phobie chez un petit garçon de5 ans (le Petit Hans), Analyse der Phobie eines fünfjahrigenKnaben, G. W. VII, in Cinq psychanalyses, Paris, P.U.F.,1954, (trad. M. Bonaparte, R.M. Lœwenstein), 93-198.

47 - 1909 - Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle(l'homme aux rats), Bemerkungen über einen Fall vonZwangsneurose, G. W. VII, in Cinq psychanalyses, (trad. M.Bonaparte, R.M. Lœwenstein), 199-262.

48 - 1909 - Cinq leçons sur la psychanalyse, Uber Psychoa-nalyse, G. W. VIII, Paris, Payot, 1950, (trad. Y. Le Lay),5-65.

49 - 1909 - L 'homme aux rats, Journal d'une analyse, Paris,P.U.F., 1989 (1974), (trad. E. Ribeiro Hawelka).

50 - 1910 - Pour introduire la discussion sur le suicide. Con-clusion de la discussion sur le suicide, Zur EinleitungderSelbtsmord-Diskussion, Schlusswort der Selbstmord-Diskussion, G. W. VIII, in Résultats, idées, problèmes l, (trad.J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy), 131-132.

51 - 1910 - Contributions à la psychologie de la vie amou-reuse: Un type particulier de choix d'objet chez l'homme,Beitrage zur Psychologie des Liebeslebens : Uber einen beson-deren Typus der Objektwahl beim Manne, G. W. VIII, in Lavie sexuelle, Paris, P.U.F., 1977 (1969), (trad. J. Laplanche,D. Berger), 47-80.

52 - 1910 - Le trouble psychogène de la vision dans la con-ception psychanalytique, Die psychogene Sehstôrung inpsychoanalytischer Auffassung, G. W. VIII, in Névrose,psychose et perversion, Paris, P.U.F., 1973, (trad. D. Gué-rineau), 167-174.

53 - 1910 - Perspectives d'avenir de la thérapeutique analyti-que, Die zukünftigen Chancen der psychoanalytischen The-rapie, G. W. VIII, in La technique psychanalytique, Paris,P.U.F., 1953, (trad. A. Berman), 23-34.

54 - 1910 - A propos de la psychanalyse dite « sauvage »,

203

Page 204: Freud Et Le Sonore

Uber « wilde» Psychoanalyse, G. W. VIII, in La techniquepsychanalytique, (trad. A. Berman), 35-42.

55 - 1910 - Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, eineKindheitserinnerung des Leonardo da Vinci, G. W. VIII, Paris,Gallimard, 1927, (trad. M. Bonaparte).

56 - 1910 - Sur le sens opposé des mots originaires, Uberden Gegensinn der Urworte, G. W. VIII, 214-221, in L'inquié-tante étrangeté, Paris, Gallimard, 1985, (trad. B. Féron),47-60.

57 - 1910 - Exemples révélateurs de fantasmes pathogèneschez des névrosés, Beispiele des Verrats pathogener Phanta-sien bei Neurotikern, G. W. VIII, in Résultats, idées, problè-mes l, Paris, P.U.F., 1984, (trad. J. Altounian, A. Bourgui-gnon, P. Cotet, A. Rauzy), 133-134.

58 - 1911 - Formulations sur les deux principes du cours desévénements psychiques, Formulierungen über die zwei Prin-ziepen des psychischen Geschehens, G. W. VIII, in Résultats,idées, problèmes L Paris, P.U.F., 1984, (trad. J. Laplanche),135-144.

59 - 1911 - Remarques psychanalytiques sur l'autobiographied'un cas de paranoïa (Dementia Paranoïdes), (Le PrésidentSchreber), Psychoanalytische Bemerkungen über einen auto-biographisch beschriebenen Fall von Paranoïa (Dementia para-noïdes), G. W. VIII, in Cinq psychanalyses, Paris, P.U.F.,1954, (trad. M. Bonaparte, R.M. Lœwenstein), 263-324.

60 - 1911 - La signification de l'ordre des voyelles, Die Bedeu-tung der Vokalfolge, G. W. VIII, in Résultats, idées, problè-mes, Paris, P.U.F., 1984, (trad. J. Altounian, A. Bourgui-gnon, P. Cotet, A. Rauzy), 169.

61 - 1911 - Grande est la Diane des Ephésiens, Gross ist dieDiana der Epheser, G. W. VIII, in Résultats, idées, problè-mes l, (trad. J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A.Rauzy), 171-174.

62 - 1911 - Rêves dans le folklore, Traume im Folklore, inRésultats, idées, problèmes, l, (trad. J. Altounian, A. Bour-guignon, P. Cotet, A. Rauzy), 145-168.

63 - 1912 - Contributions à la psychologie de la vie amou-reuse: II Sur le plus général des nibaissements de la vieamoureuse, Beitrage zur Psychologie des Liebeslebens: IIUber dic" allgemeinte Erniedrigung des Liebeslebens, G. W.VIII, in La vie sexuelle, Paris, P.U.F., 1977 (1969), (trad.J. Laplanche, D. Berger).

64 - 1912 - Sur les types d'entrée dans la névrose, Uber neu-rotische Erkrankungstypen, G. W. VIII, in Névrose, psychose

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et perversion, Paris, P.D.F., 1973, (trad. J. Laplanche),175-182.

65 - 1912 - Pour introduire la discussion sur l'onanisme, con-clusion de la discussion sur l'onanisme, Zur Einleitung derOnanie-Diskussion, Schlusswort der Onanie-Diskussion, G. W.VIII, in Résultats, idées, problèmes, l, Paris, P.D.F., 1984,(trad : J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy),175-186.

66 - 1912 - Le maniement de l'interprétation des rêves enpsychanalyse, Der Handhabung der Traumdeutung in derPsychoanalyse, G. W. VIII, in La technique psychanalytique,Paris, P.D.F., 1953, (trad. A. Berman), 43-49.

67 - 1912 - La dynamique du transfert, Zur dynamik derDbertragung, G. W. VIII, in La technique psychanalytique,Paris, P.D.F., 1953, (trad. A. Berman), 50-60.

68 - 1912 - Conseils aux médecins sur le traitement analyti-que, Ratschlage für den Artz bei der psychoanalytischenBehandlung, G. W. VIII, in La technique psychanalytique,(trad. A. Berman), 61-71.

69 - 1912 - Totem et tabou, Totem und Tabou, G. W. IX,Paris, Payot, 1923 (1980), (trad. S. Jankelevitch).

70 - 1912 - Note sur l'inconscient en psychanalyse, EinigeBemerkungen über den Begriff des Dnbewussten in derPsychoanalyse, G. W. VIII, in Métapsychologie, Paris, Galli-mard, 1968, (trad. J. Laplanche, J.B. Pontalis), 175-187.

71 - 1913 - L'intérêt de la psychanalyse, Das Interesse anPsychoanalyse, G. W. VIII, in Résultats, idées, problèmes l,Paris, P.D.F., 1984, (trad. P.L. Assoun), 187-214.

72 - 1913 - Deux mensonges d'enfants, Zwei Kinderlügen,G. W. VIII, in Névrose, psychose et perversion, Paris, P.D.F.,1973, (trad. D. Berger, J. Laplanche), 183-188.

73 - 1913 - La disposition à la névrose obsessionnelle. Dnecontribution au problème du choix de la névrose, Die Dis-position zur Zwangsneurose, G. W. VIII, in Névrose, psychoseet perversion, Paris, P.D.F., 1973, (trad. D. Bergert, P.Bruno, D. Guérineau, F. Oppenot), 189-198.

74 - 1913 - Le début du traitement, Zur Einleitung derBehandlung, G. W. VIII, in La technique psychanalytique,Paris, P.D.F., 1953, (trad. A. Berman), 80-104.

75 - 1913 - Matériaux des contes dans les rêves, Marchens-toffe in Traumen, G. W. X, in Résultats, idées, problèmes l,Paris, P.D.F., 1984, (trad. J. Altounian, A. Bourguignon,P. Cotet, A. Rauzy), 215-222.

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Page 206: Freud Et Le Sonore

76 - 1913 - Un rêve utilisé comme preuve, Ein Traum aIsBeweismittel, G. W. X, in Névrose, psychose et perversion,Paris, P.U.F., 1973, (trad. D. Guérineau), 199-208.

77 - 1913 - Le motif du choix des coffrets, Das Motiv derKastchenwahl, G. W. X 24-37, in L'inquiétante étrangeté,Paris, Gallimard, 1985, (trad. B. Féron), 61-81.

78 - 1913 - Expériences d'exemples tirés de la pratique analy-tique, Erfahrungen und Beispiele aus der analytischen Praxis,G. W. X, in Résultats, idées, problèmes I, Paris, P.U.F.,1984, (trad. J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A.Rauzy), 223-226.

79 - 1913 - De la fausse reconnaissance (déjà raconté) aucours du traitement psychanalytique, Uber Fausse Reconnais-sance (<<Déjà raconté ») wahrend der psychoanalytischenArbeit, G. W. X in La technique psychanalytique, Paris,P.U.F., 1953, (trad. A. Berman), 72-79.

80 - 1914 - Contribution à l'histoire du mouvement psycha-nalytique, Zur Geschichte der psychoanalytischen Bewegung,G. W. X, Paris, Payot, 1936, (trad. S. Jankélévitch), 67-155.

81 - 1914 - Remémoration, répétition et élaboration, Erin-nem, Wiederholen und Durcharbeiten, G. W. X, in La tech-nique psychanalytique, Paris, P.U.F., 1953, (trad. A. Ber-man), 105-115.

82 - 1914 - Pour introduire le narcissisme, Zur Einführungdes Narzissmus, G. W. X, in La vie sexuelle, Paris, P.U.F.,1969 (1977), (trad. J. Laplanche), 81-105.

83 - 1914 - Le Moïse de Michel-Ange, Der Moses des Miche-langelo, G. W. X 172-201, in L'inquiétante étrangeté, Paris,Gallimard, 1985, (trad. B. Féron), 83-125.

84 - 1914 - Sur la psychologie du lycéen, Zur Psychologiedes Gymnasiasten, G. W. X in Résultats, idées, problèmes I,Paris, P.U.F., 1984, (trad. J. Altounia, A. Bourguignon, P.Cotet, A. Rauzy), 227-232.

85 - 1915 - Pulsions et destins des pulsions, Triebe undTriebschicksale, G. W. X in Métapsychologie, Paris, Galli-mard, 1968, (trad. J. Laplanche, J.B. Pontalis), 11-44.

86 - 1915 - Communication d'un cas de paranoïa en contra-diction avec la théorie psychanalytique, Mitteilung eines derpsychoanalytischen Theorie widersprechenden Falles von Para-noïa, G. W. X, in Névrose, psychose et perversion, Paris,P.U.F., 1973, (trad. D. Guérineau), 209-218.

87 - 1915 ( ?) - Le refoulement, Die Verdrangung, G. W. Xin Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968, (trad. J. Laplan-che, J.B. Pontalis), 45-63.

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88 - 1915 ( ?) - L'inconscient, Das Unbewusste, G. W. X, inMétapsychologie, Paris, Gallimard, 1968, (trad. J. Laplan-che, J.B. Pontalis), 65-123.

89 - 1915 - Observations sur l'amour de transfert, Bemer-kungen über die Ubertragungsliebe, G. W. X, in La techni-que psychanalytique, Paris, P.U.F., 1953, (trad. A. Berman),116-130.

90 - .1915 - Considérations actuelles sur la guerre et sur lamort, Zeitgemasses über Krieg und Tod, G. W. X, 323-355,in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1970, (trad. S. Jan-kélévitch), 235-268, nouvelle traduction, 1981, 9-39.

91 - 1915 - Éphémère destinée, Verganglichkeit, G. W. X, inRésultats, idées, problèmes l, Paris, P. U.F., 1984, (trad. J.Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy), 233-236.

92 - 1915 - Vue d'ensemble des névroses de transfert, un essaimétapsychologique, Ubersicht der Ubertragungsneurosen,Paris, Gallimard, 1986, (trad. P. Lacoste).

93 - 1916 - Quelques types de caractère dégagés par le tra-vail psychanalytique, Einige Charaktertypen aus der psychoa-nalytischer Arbeit, G. W. X, 364-391, in L'inquiétante étran-geté, Paris, Gallimard, 1985, (trad. Bourguignon, Cherki,Cotet), 135-17.

94 - 1916 - Une relation entre un symbole et un symptôme,Eine Beziehung zwischen einem Symbol und einem Symptom,G. W. X, in Résultats, idées, problèmes l, Paris, P.U.F.,1984, (trad. J. Altounia, A. Bourguignon, P. Cotet, A.Rauzy), 237-238.

95 - 1916 - Parallèle mythologique à une représentation obses-sionnelle plastique, Mythologische Parallele zu einer plastis-chen Zwangsvorstellung, G. W. X, 398-400, in L'inquiétanteétrangeté, Paris, Gallimard, 1985, (trad. B. Féron), 127-133.

96 - 1916 - Introduction à la psychanalyse, Vorlesungen zurEinführung in die Psychoanalyse, G. W. XI, Paris, Payot,1965, (trad. S. Jankélévitch).

97 - 1917 - Sur les transpositions de pulsions plus particuliè-rement dans l'érotisme anal, Uber Triebumsetzungen, insbe-sondere der Analerotik, G. W. X, in La vie sexuelle, Paris,P.U.F., 1969 (1977), (trad. D. Berger), 106-112.

98 - 1917 - Complément métapsychologique à la doctrine desrêves, Metapsychologische Erganzung zur Traumlehre, G. W.X, in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1952 (1968), (trad.J.P. Briand, J.P. Grossein, M. Tort), 125-146.

99 - (1915 ?) - Deuil et mélancolie, Trauer und Melancholie,

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G. W. X, in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1952 (1968),(trad. J.P. Briand, J.P. Grossein, M. Tort), 147-174.

100 - 1917 - une difficulté de la psychanalyse, Eine Schwie-rigkeit der Psychoanalyse, G. W. XII, 3-12, in L'inquiétanteétrangeté, Paris, Gallimard, 1985, (trad. B. Féron), 173-187.

101 - 1917 - Un souvenir d'enfance de « poésie et vérité »,Eine Kindheitserinnerung aus Dichtung und Wahrheit, G. W.XII, 15-26, in L'inquiétante étrangeté, Paris, Gallimard, 1985,(trad. B. Féron), 189-207.

102 - 1918 - Extrait de l'histoire d'une névrose infantile(l'homme aux loups), Aus der Geschichte einer infantilen Neu-rose, G. W. XII, in Cinq psychanalyses, Paris, P.U.F., 1954,(trad. M. Bonaparte, R.M. Lœwenstein), 325-420.

103 - 1918 - Contributions à la psychologie de la vie amou-reuse: III le tabou de la virginité, Beitriige zur Psychologiedes Liebeslebens : III Das Tabu der Virginitiit, G. W. XII,in La vie sexuelle, 1969 (1977), (trad. J. Laplanche, D.Berger).

104 - 1918 - Les voies nouvelles de la thérapeutique psycha-nalytique, Wege der psychoanalytischen Therapie, G. W. XII,in La technique psychanalytique, Paris, P.U.F., 1953, (trad.A. Berman), 131-141.

105 - 1919 - « Un enfant est battu », contribution à la con-naissance de la genèse des perversions sexuelles, Ein Kind wirdgeschlagen, G. W. XII, in Névrose, psychose et perversion,Paris P.U.F., 1973, (trad. D. Guérineau), 219-244.

106 - 1919 - L'inquiétante étrangeté, das Unheimliche, G.W.XII, 229-268, Paris, Gallimard, 1985, (trad. B. Féron),229-268.

107 - 1919 - Doit-on enseigner la psychanalyse à l'universitéX, in Résultats, idées, problèmes I, Paris, P.U.F., 1984, (trad.J. Dor), 239-242.

108 - 1919 - Introduction à « la psychanalyse des névrosesde guerre », Einleitung zur « Zur Psychoanalyse der Kriegs-neurosen », G. W. XII, in Résultats, idées, problèmes l, Paris,P.U.F., 1984, (trad. J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet,A. Rauzy), 243-248.

109 - 1920 - Sur la psychogenèse d'un cas d'homosexualitéféminine, Uber die psychogenese eines Falles von weiblicherHomosexualitiit, G. W. XII, in Névrose, psychose et perver-sion, Paris, P.U.F., 1973, (trad. D. Guérineau), 245-270.

110 - 1920 - Association d'idées d'une enfant de quatre ans,Gedankenassoziation eines vierjiihrigen Kindes, G. W. XII, in

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Page 209: Freud Et Le Sonore

Résultats, idées, problèmes l, Paris, P.U.F., 1973, (trad. D.Guérineau), 259, 260.

111 - 1920 - Sur la préhistoire de la technique analytique,Zur Vorgeschichte der analytischen Technik, G. W. XII, inRésultats, idées, problèmes l, Paris, P.U.F., 1973, (trad. D.Guérineau), 255-258.

112 - 1920 - Au-delà du principe du plaisir, Jenseits des Lust-prinzips, G. W. XIII, 3-69, in Essais de psychanalyse, Paris,Payot, 1970, (trad. S. Jankélévitch), 7-82, nouvelle traduc-tion, 1981, 40-115.

113 - 1920 - Rapport d'expert sur le traitement électrique desnévrosés de guerre, Gutachten über elektrische Behandlungder Kriegsneurotiker, in Résultats, idées, problèmes l, Paris,Payot, 1970, (trad. S. Jankélévitch), 249-254.

114 - 1921 - Psychologie collective et analyse du Moi, Mas-senpsychologie und Ich-Analyse, G. W. XIIL 71-161, in Essaisde psychanalyse, Paris, Payot, 1970, (trad. S. Jankélévitch),83-176, nouvelle traduction, 1981, 117-217.

115 - 1921 - Psychanalyse et télépathie, Psychoanalyse undTelepathie, G. W. XVII, in Résultats, idées, problèmes II,Paris, P.U.F., 1985, (trad. B. Chabot), 7-24.

116 - 1922 - La tête de méduse, Das Medusenhaupt, G. W.XVII, in Résultats, idées, problèmes II, Paris, P.U.F., 1985,(trad. J. Laplanche), 49-50.

117 - 1922 - Rêve et télépathie, Traum und Telepathie, G. W.XIII, in Résultats, idées, problèmes II, Paris, P.U.F., 1985,(trad. J. Atounian, A. et O. Bourguignon, G. Goron, J.Laplanche, A. Rauzy), 25-48.

118 - 1922 - Sur quelques mécanismes névrotiques dans lajalousie, la paranoïa et l'homosexualité, Uber einige neuro-tische Mechanismen bei Eifersucht, Paranoïa und Homosexua-liUit, G. W. XIII, in Névrose, psychose et perversion, Paris,P.U.F., 1973, (trad. D. Guérineau), 271-282.

119 - 1923 - «Psychanalyse» et «théorie de la libido »,« Psychoanalyse» und «Libidotheorie », G. W. XIII, inRésultats, idées, problèmes II, Paris, P.U.F., 1985, (trad. J.Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy), 51-78.

120 - 1923 - Le Moi et le Ça, Das Ich und das Es, G. W.XIII, 235-289, in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1970,(trad. S. Jankélévitch), 177-234, nouvelle traduction, 1981,219-275.

121 - 1923 - L'organisation génitale infantile, Die infantileGenitalorganisation, G. W. XIII, in La vie sexuelle, Paris,P.U.F., 1969 (1977), (trad. J. Laplanche), 113-116.

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Page 210: Freud Et Le Sonore

122 - 1923 - Remarques sur la théorie et la pratique de l'inter-prétation du rêve, Bemerkungen zur Theorie und Praxis derTraumdeutung, G. W. XIII, in Résultats, idées, problèmes II,Paris, P.U.F., 1985, (trad. J. Laplanche), 79-92.

123 - 1923 - Une névrose diabolique au XVIIes., Eine Teu-felsneurose im Siebzehnten Jahrhundert, G. W. XIII, 317-353,in L'inquiétante étrangeté, Paris, Gallimard, (trad. B. Féron),265-315.

124 - 1923 - Josef POPPER-L YNKEUS et la théorie du rêve,Josef POPPER-LYNKEUS und die Theorie des Traumes,G. W. XIII, in Résultats, idées, problèmes II, Paris, P.U.F.,1985, (trad. A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy).

125 - 1923 - La disparition du complexe d'Œdipe, Der Unter-gang des Œdipuskomplexes, G. W. XIII, in La vie sexuelle,Paris, P.U.F., 1969 (1977), (trad. D. Berger), 117-122.

126 - 1924 - La perte de la réalité dans la névrose et dansla psychose, Der Realitatverlust bei Neurose und Psychose,G. W. XIII, in Névrose, psychose et perversion, Paris, P.U.F.,1973, (trad. D. Guérineau), 299-303.

127 - 1924 - Le problème économique du masochisme, Dasekonomische Problem des Masochismus, G. W. XIII, inNévrose, psychose et perversion, Paris, P.U.F., 1973, (trad.J. Laplanche), 287-298.

128 - 1924 - Névrose et psychose, Neurose und Psychose,G. W. XIII, in Névrose, psychose et perversion, Paris, P.U.F.,1973, (trad. D. Guérineau), 283-286.

129 - 1924 - Petit abrégé de psychanalyse, Kurzer Abriss derPsychoanalyse, G. W. XIII, in Résultats, idées, problèmes II,Paris, P.U.F., 1985, (trad. J. Altounian, A. Bourguignon,P. Cotet, A. Rauzy), 97-118.

130 - (1924 ?) - Nachschrift zur Analyse des kleinen Hans,G. W. XIII.

131 - 1925 - Note sur le « Bloc-notes magique », Notiz überden « Wunderblock », G. W. XIV, in Résultats, idées, pro-blèmes II, Paris, P.U.F., 1985, (trad. J. Laplanche, J.B. Pon-talis), 119-124.

132 - 1925 - La négation, Die Verneinung, G. W. XIV, inRésultats, idées, problèmes II, Paris, P.U.F., 1985, (trad. J.Laplanche), 135-140.

133 - 1925 - Quelques conséquences psychologiques de la dif-férence anatomique des sexes, Einige psychische Folgen desanatomischen Geschlechtsunterschied, G. W. XIV, in La viesexuelle, Paris, P.U.F., 1969 (1977), (trad. D. Berger),123-132.

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Page 211: Freud Et Le Sonore

134 - 1925 et 1935 - Sigmund Freud présenté par lui-même,Selbsdarstellung, G. W. XIV, 33-96, et G. W. XVI, 31-34,Paris, Gallimard, 1984, (trad. F. Cambon).

135 - 1925 - Résistances à la psychanalyse, Die Widerstandegegen die Psychoanalyse, G. W. XIV, in Résultats, idées, pro-blèmes Il, Paris, P.U.F., 1985, 125-134.

136 - 1925 - Quelques additifs à l'ensemble de l'interpréta-tion des rêves, Einige Nachtrage zum Ganzen der Traumdeu-tung, G. W.I, in Résultats, idées, problèmes Il, Paris, P.U.F.,1985, (trad. A. Balseinte, J.G. Delarbre, D. Hartmann),141-152.

137 - 1926 - Inhibition, symptôme et angoisse, Hemmung,Symptom und Angst, G. W. XIV, Paris, P.U.F., 1951 (1986),(trad. M. Tort).

138 - 1926 - La question de l'analyse profane, Die Frage derLaienanalyse (1926), Nachwort zur « Frage der Laienanalyse »(1927), G. W. XIV, 209-296, Paris, Gallimard, 1985, (trad.A. et O. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy).

139 - 1926 - Psycho-Analyse, G. W. XIV, in Résultats, idées,problèmes Il, Paris, P.U.F., 1985, (trad. R. Rochlitz),153-160.

140 - 1927 - Le fétichisme, Fetichismus, G. W. XIV, in Lavie sexuelle, Paris, P.U.F., 1969 (1977), (trad. D. Berger),133-138.

141 - (1927?) - Nachtrag zur Arbeit über den Moses desMichelangelo, G. W. XIV.

142 - 1927 - L'avenir d'une illusion, Die Zukunft einer Illu-sion, G. W. XIV, Paris, P.U.F., 1971 (1980), (trad. M.Bonaparte).

143 - 1927 - L'humour, Der Humor, G. W. XIV, 383-389,in Le mot d'esprit et ses rapports avec /'inconscient, Paris,Gallimard, 1930, (1981), (trad. M. Bonaparte, M. Nathan),399-408.

144 - 1928 - Un événement de la vie religieuse, Eine religiô-ses Erlebnis, G. W. XIV, in L'avenir d'une illusion, Paris,P.U.F., 1971, (trad. M. Bonaparte), 95-100.

145 - 1928 - Dostoïevsky et le parricide, Dostojewski und dieVatert6tung, G. W. XIV, in Résultats, idées, problèmes II,Paris, P.U.F., 1985, (trad. J.B. Pontalis), 161-179.

146 - 1929 - Malaise dans la civilisation, Das Unbehagen inder Kultur, G. W. XIV, in Revue Française de Psychanalyse,1970, 34, 1, 9-80.

147 - 1930 ~ Prix Gœthe 1930 - Allocution prononcée à la

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Page 212: Freud Et Le Sonore

Maison de Gœthe à Francfort, Gœthe-Preis 1930 - Anspra-che im Frankfurter Gœthe-Haus, G. W. XlV, in Résultats,idées, problèmes II, Paris, P.U.F., 1985, (trad. A. Balseinte,O. Garet), 181-186.

148 - 1931 - Des types libidinaux, Uber libidinose Typen,G. W. XlV, in La vie sexuelle, Paris, P.U.F., 1969 (1977),(trad. D. Berger), 156-159.

149 - 1931 - Sur la sexualité féminine, Uber die weiblicheSexualitât, G. W. XlV, in La vie sexuelle, Paris, P.U.F., 1969(1977), (trad. D. Berger), 139-155.

150 - 1931 - L'expertise de la Faculté au procès Halsmann,Das Fakultiitsgutachten im Prozess Halsmann, G. W. XlV, inRésultats, idées, problèmes II, Paris, P.U.F., 1985, (trad. A.Balseinte, J.G. Delarbre, D. Hartmann), 187-190.

151 - 1932 - Nouvelles conférences sur la psychanalyse, NeueFolge der Vorlesung zur Einführung in die Psychoanalyse,Paris, Gallimard, 1936, (trad. A. Berman).

152 - 1932 - Sur la prise de possession du feu, Zur Gewin-nung des Feuers, G. W. XVI, in Résultats, idées, problèmesII, Paris, P.U.F., 1985, (trad. J. Laplanche, J. Sédat),191-196.

153 - 1932 - Ma rencontre avec Josef POPPER-L YNKEUS,Meine Berührung mit Josef POPPER-LYNKEUS, G. W. XVI,in Résultats, idées, problèmes Il, Paris, P.U.F., 1985, (trad.J.G. Delarbre), 197-202.

154 - 1933 - Pourquoi la guerre? Warum Krieg? G. W. XVI,in Résultats, idées, problèmes II, Paris, P.U.F., 1985, (trad.J.G. Delarbre, A. Rauzy), 203-216.

155 - 1935 - Nachschrift zur Selbsdarstellung, G. W. XVI.

156 - 1935 - La finesse d'un acte manqué, Die Feinheit einerFehlhandlung, G. W. XVI, in Résultats, idées, problèmes Il,Paris, P.U.F., 1985, (trad. R. Rochlitz), 217-220.

157 - 1936 - Un trouble de mémoire sur l'Acropole (Lettreà Romain Rolland), Eine Erinnerungstorung auf der Akro-polis (Brief an Romain Rolland), G. W. XVI, in Résultats,idées, problèmes II, Paris, P.U.F., 1985, (trad. M. Robert),221-230.

158 - 1937 - Constructions dans l'analyse, Konstruktionen inder Analyse, G. W. XVI, in Résultats, idées, problèmes II,Paris, P.U.F., 1985, (trad. E.R. Hawelka, U. Huber,J. Laplanche), 269-282.

159 - 1937 - L'analyse avec fin et l'analyse sans fin, Die end-liche und die unendliche Analyse, G. W. XVI, in Résultats,

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Page 213: Freud Et Le Sonore

idées, problèmes II, Paris, P.U.F., 1985, (trad. J. Altounian,A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy), 231-268.

160 - 1938 - Le clivage du Moi dans le processus de défense,Die Ichspaltung in Abwehrvorgang, G. W. XVII, in Résultats,idées, problèmes II, Paris, P.U.F., 1985, (trad. R. Lewinter,J .B. Pontalis), 283-286.

161 - 1938 - Abrégé de psychanalyse, Abriss der Psychoa-nalyse, G. W. XVII, Paris, P.U.F., 1949 (1978), (trad. A.Berman).

162 - 1938 - Some elementary lessons in psycho-analysis,G. W. XXVII, in Résultats, idées, problèmes II, Paris, P.U.F.,1949, (trad. B. Chabot), 289-295.

163 - 1938 - Résultats, idées, problèmes, Ergebnisse, Ideen,Probleme, G. W. XVII, in Résultats, idées, problèmes II,Paris, P.U.F., 1949, (trad. J. Altounian, A. Bourguignon,P. Cotet, A. Rauzy), 287-288.

164 - 1939 - Moïse et le monothéisme, Der Mann Moses unddie monotheistiche Religion, G. W. XVI, Paris, Gallimard,1948.

B - Correspondances

165 - Correspondance 1873-1939, Briefe 1873-1939, Paris, Gal-limard, 1966 (1979), (trad. A. Berman).

166 - FREUD S., ABRAHAM K - Correspondance1907-1926, Paris, Gallimard, 1969, (trad. F. Cambon, J.P.Grossein).

167 - FREUD S., JUNG C.G. - Correspondance I 1906-1909,Paris, Gallimard, 1975, (trad. R. Fivaz-Silbermann).

168 - FREUD S., JUNG C.G. - Correspondance II1910-1914, Paris, Gallimard, 1975, (trad. R. Fivaz-Silbermann).

169 - LOU ANDREAS-SALOME - Correspondance avec Sig-mund Freud, suivie du Journal d'une année (1912-1913),Paris, Gallimard, 1970, (trad. L. Jumel).

170 - Correspondance de Sigmund FREUD avec le pasteurPFISTER 1909-1939, Paris, Gallimard, 1966, (trad. L. Jumel).

171 - FREUD S., ZWEIG A. - Correspondance 1927-1939,Paris, Gallimard, 1973, (trad. L. Weibel).

172 - FREUD S., WEISS E. - Lettres sur la pratique psycha-nalytique, Toulouse, Privat (Rhadamanthe), 1975, (trad. J.Etoré).

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Page 214: Freud Et Le Sonore

173 - La correspondance entre FREUD et LAFORGUE1923-1937, in Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1977, 15,233-314.

174 - Lettres à Eduard SILBERTSEIN 1871-1881, in S.FREUD, Lettres de Jeunesse, Paris, Gallimard, 1990, (trad.C. Heim).

175 - Lettres à Emil FLUSS, in S. FREUD, Lettres de Jeu-nesse, Paris, Gallimard, 1990, (trad. C. Heim).

176 - S. FREUD, S. FERENCZI - Correspondance1908-1914, Tome I, Paris, Calmann-Levy, 1992, (trad. groupede traduction du Coq Héron).

C - Biographies

177 - E. JONES - La vie et l'œuvre de Sigmund Freud, Paris,P.U.F., 1969 (1975), 3 volumes:

177a (vol. I); 177b (vol. 2); 177c (vol. 3).

178 - P. GAY - Freud, une vie, Paris, Hachette, 1991 (ver-sion anglaise 1988).

II - Autres auteurs cités

179 - ANZIEU D. - L'auto-analyse de Freud et la décou-verte de la psychanalyse, Paris, P.U.F., 1959 (3e ed. 1988).

180 - BENOIT P. - Chroniques médicales d'un psychanalyste,Paris, Rivages, 1988.

181 - BERGERET J. - Le « Petit Hans» et la réalité ouFreud face à son passé, Paris, Payot, 1987.

182 - RION W.R. - Aux sources de l'expérience, Paris,P.U.F., 1979 (ed. anglaise 1962).

183 - BOUQUEREL G. - « Insight at the opera» ou encoreun souvenir d'enfance du Petit Hans, in La psychologie cli-nique à Villetaneuse, Université Paris-Nord, Laboratoire depsychologie clinique et sociale, 1980, 63-88.

184 - BRAUNSCHWEIG D., FAIN M. - La nuit, Ie jour,Essai psychanalytique sur le fonctionnement mental, Paris,P.U.F., 1975.

185 - CASTORIADIS-AULAGNIER P. - La violence del'interprétation, du pictogramme à l'énoncé, Paris, P.U.F.,1975 (1981).

186 - CITATI P. - Kafka, Paris, Gallimard, 1989 (trad. J.B.Para, 1987).

214

Page 215: Freud Et Le Sonore

187 - COURT R. et al. - L'effet trompe-l'œil dans l'art etla psychanalyse, Paris, Dunod, 1988.

188 - EHRENZWEIG A. - L'ordre caché de l'art, Essai surla psychologie de l'imagination artistique, Paris, Gallimard,1974.

189 - GUILLAUMIN J. - Un avenir pour la répétition, inNouvelle Revue de Psychanalyse, 1977, 15, 139-162.

190 - JOUSSE M. - Le parlant, la parole et le souffle, Paris,Gallimard, 1978.

191 - LAPLANCHE J., PONTALIS J.B. - Vocabulaire dela psychanalyse, Paris, P.U.F., 1967 (1968).

192 - LECOURT E. - Le sonore et les limites du soi, Bulle-tin de Psychologie, 1983, XXXVI, 360, 377-382.

193 - LECOURT E. - La musique, le groupe et l'inconscient,une écoute analytique entre parole et musique, Thèse pourle Doctorat ès Lettres, 1985, Université Lyon 2 (Dir. R. Kaës),2 volumes.

194 - LECOURT E. - L'enveloppe musicale, in ANZIEU D.,Les enveloppes psychiques, Paris, Dunod, 1987, 199-222.

195 - LECOURT E. - Caractéristiques groupales et indica-tions thérapeutiques: « sensorium de groupe» et emboîte-ments d'enveloppes, Revue de Psychothérapie Psychanalyti-que de Groupe, 1990, 14, 57-78.

196 - LECOURT E. - Le dieu Pan; grand excité-excitateur,de la pulsion au psychique, Psychologie médicale, 1991, 23,6, 709-714.

197 - LECOURT E. - Ouverture pour une approche métapsy-chologique de la musique, Bulletin de Psychologie, 1992, àparaître.

198 - LIPPS T. - Grundtatsachen des Seelenlebens, Bonn,Verlag von Friedrich Cohen, 1912.

199 - MERINGER R., MAYER K. - Versprechen und Ver-lesen, Stuttgart, G.J. Gôschensche Verlagshandlung, 1895.

200 - NIEDERLAND W.G. - Early auditory experiences, bea-ting fantaisies, and primal scene, The Psychoanalytic Studyof the Child, XIII, 471-504.

201 - PERRIER F. - La musique déjouée, Musique en Jeu,1972, 9, 94-101.

202 - RESNIK S. - La mise en scène du rêve, Paris, Payot,1984.

203 - ROSOLATO G. - Éléments de l'interprétation, Paris,Gallimard, 1985.

215

Page 216: Freud Et Le Sonore

204- SHAKESPEARE - Hamlet, Paris, Gallimard, folio1069, 25-213, ed. 1978 (trad. Y. Bonnefoy).

205 - TOROK M. - Histoire de peur, le symptôme phobi-que: retour du refoulé ou retour du fantôme? in ABRA-HAM N., L'Écorce et le Noyau, Paris, Aubier Flammarion,1975 (1978), 434-446.

206- VIGNAL M. (dir.) - Larousse de la Musique, vol. Iet II, Paris, Larousse, 1982.

207 - WUNDT W. - VOlkerpsychologie, eine Untersuchungder Entwicklungsgesetze von Sprache, My th us und Sitte,Vol. I : Die Sprache, Leipzig, Wilhelm Engelmann, 1900.

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ANNEXE I

LE TEXTE SONORE DES RÊVESDE L'AUTO-ANALYSE DE FREUD

1) Le rêve de « L'injection faite à Irma» (24/7/1895) :

« Je lui dis: Si tu éprouves encore des douleurs, ce n'estréellement que de ta faute. Elle répond: Si tu savais ce que j'aià présent comme douleurs dans la gorge, à l'estomac, à l'abdo-men, je me sens nouée. (...) Mon ami Léopold la percute par-dessus son corset et dit : Elle a une matité en bas, à gauche...M. dit: pas de doute, c'est une infection, mais cela ne fait rien;il s'y ajoutera encore une dysenterie et le poison va s'élimi-ner... »

2) Le rêve « Mon fils, le myope... Auf geseres - Auf ungese-res» (début janvier 1898) :

« ... Un professeur de notre université que je connais dit:Mon fils, le myope... (...) Le garçon lui refuse le baiser maisdit, en lui tendant la main en guise d'adieu: Auf Geseres, età nous deux (ou à l'un d'entre nous) : Auf Ungeseres. J'ai l'idéeque ce dernier propos signifie une préférence. »

3) Le rêve du « Château au bord de la mer» ou du « naviredu petit déjeuner» (10-11 mai 1898) :

« ... Il respire difficilement et veut s'éloigner (...)A la vue d'un navire, nous nous effrayons et nous écrions:

Voilà le navire de guerre qui vient. (...)(Arrive un petit navire drôlement coupé) : Nous nous écrions,

comme d'une seule voix: C'est le navire du petit déjeuner. »

4) Le rêve de la « salle avec machines» ou de la « maison desanté» ou de la « malhonnêteté» (mai 1898) :

« ... A une porte, un autre domestique nous reçoit et dit en

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me montrant: C'est celui-là que vous avez amené,. mais c'estun homme honnête. »

5) Le rêve « Hollthurn » (18-19 juillet 1898) :

«'"

Je voyage sur la ligne du Sud et j'entends annoncer dansmon sommeil: Hollthurn, dix minutes. (...) Je dis d'un certainouvrage au couple du frère et de la sœur: It is from... maisje me corrige: It is by... L'homme fait à sa sœur la remar-que: Mais, il l'a bien dit. »

6) Le rêve du « Comte Thun» (août 1898) :

« Je circule dans un fiacre à une place et je lui donne l'ordred'aller à une gare. Je ne peux faire avec vous le trajet sur lavoie ferrée lui dis-je après qu'il a fait une objection, comme sije l'avais surmené. »

7) Le rêve des « Trois Parques» (sept octobre 1898) :

« .., Il demande: en quoi ces (dessins, bandes...) turquesvous regardent-ils? Mais nous sommes ensuite d'assez bonsamis. »

8) Le rêve «Non Vixit)} (fin octobre 1898) :

« ... Un léger coup à la porte (...) FI. parle de sa sœur etdit : En trois quarts d'heure, elle était morte, et puis quelquechose comme: C'est le seuil (...)

Mais je dis, remarquant l'erreur moi-même: Non Vixit.»

9) Le rêve « 1851/1856 » (juillet 1899?) :

« ... Tu as donc bu aussi? lui demandai-je. Et tu t'es mariéaussitôt après? Je calcule que je suis, en effet, né en 1856, cequi me paraît suivre immédiatement. »

10) Le rêve de la « table d'Hôte» (octobre 1900) :

« .., Elle dit: Vous avez toujours eu de si beaux yeux. »

Autre rêve (rapporté dans une édition ultérieure) :

Il) Le rêve de Savonarole (1/2 octobre 1900)

« En regardant un des objets, je dis :C'est moi qui vousl'ai donné. »

218

Page 219: Freud Et Le Sonore

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ANNEXE II

INDEX MUSICAL

Nous rapporterons ici les références correspondant aux cita-tions musicales, aux musiciens, aux instruments de musique,trouvées dans l'œuvre et les correspondances de Freud.

A

Accordéon 174, 196

air de musiqueair du page (Noces de Figaro, Acte II, Mozart) 14, 122air des Noces de Figaro: « S'il veut la dame Monsieur le Comte(bis) Le guirariste sera moi» 25, 184-85air de Pâris (La Belle Hélène, Offenbach) 94, 96, et aussi 176,407 :« Et la troisième - oui la troisièmeRestait là et se taisait.C'est à elle que je dus donner la pommeToi Caldas tu sais pourquoi ». (Acte I, scène 7)air de Leporelle (Don Giovanni Acte I, scène 4, Mozart) 63,168 ; 165, 286 - marche du Toréador (Carmen) ; et aussi 176,479 : - Cette musique me paraît extraordinairement connue»(Acte II, scène 3)air de la Flûte enchantée (Mozart) 177a, 196air populaire viennois: «Ach, du lieber Augustin» 177b, 84air de Don Juan: 165, 473-74; 177c, 241-42air dans la tête 27, 239; 62, 150; 96, 49; 119, 56-57 ; 177b,84; 177c, 291-92et chantonner: 25, 184-85 ; 96, 49et fredonner: 27, 239; 48, 42; 165, 473-74Auf jedes weisse Blatt Papier (air) 12, 43.

219

Page 220: Freud Et Le Sonore

B

BEETHOVEN 177a, 139La Belle Hélène 77, 71 ; 96, 94; 176, 407

c

ça fait toujours plaisir (Y. Guilbert) 171, 115cantatrice 10, 135-36; 165, 285)cantique 25, 357CARMEN 14, 122; 165, 60-61 et 283-286, 177b, 40chanson, chant 3, 138; 12, 43 ; 14, 167; 25, 167, et 178,et295-297, et 357 ; 27, 97 ; 49, 185 ; 62, 148 ; 114, 99-100; 165,510; 171, 115chanteur 27, 45 ; 103, 78; 114, 146chef d'orchestre 25, 294; 33, 317; 165, 284; 177b 40, 176, 330chœur 25, 229 ; 27, 89-90 ; 59, 314-15 ; 96, 270; 134, 83-84 ;165, 286 et 388 ; 171, 108clarinette 25, 81clavier 25, 319; 26, 10; 96, 76 et 113CLEMENTI 25, 319cloche 11, 17 ; 25, 30 et 34 et 204 ; 165, 285 ; clochette: 167,141compositeur 25, 32concert 25,139; 114, 146; 138,31Conservatoire de musique 177a, 208Les Contes d'Hoffman 106, 225cor 14, 228 ; 47, 231-32 ; 49, 99 ; 106, 219cymbale 114, 110; 174, 110-111

D

diapason 27, 189; 33, 334Die Welt wird schoner (chant) 171, 115DON JOSE in CARMEN 165, 285DON JUAN 14, 296; 25, 423 ; 165, 473-74; 168, 63 ; 176, 479 ;177a, 196don musical 46, 191 ; 165, 115Duo des Lettres (in Noces de Figaro) 165, 304

E

ESCAMILLO (in CARMEN) 165, 286

220

Page 221: Freud Et Le Sonore

F

FAUST: le chœur des esprits 59, 314-15FIDELIO (Beethoven) 25, 331-32FIGARO (Mozart) 25, 185 et 188 et 423flageolet 29, 15flûte 29, 15LA FLÛTE ENCHANTÉE 175, 247; 176, 81

G

Gradus ad Parnassum (Clementi) 25, 319grelot 14, 54; 25, 34Mme GROSS (cantatrice) 165, 285guitariste 25, 184-85; 174, 196GUILBERT Yvette 165, 441-42; 171, 115

H

harpiste 165, 279 et 284

I

instrument 15, 302 ; 25, 75 et 113 ; 29, 15 ; 73, 192; 96, 72 ;109, 257-58; 157, 143; 165, 284Ihr jührt ins Lebens (air) 25, 331-332ln meinen Herzen (air) 49, 185

J

jeu musical 10, 136; 96, 141-42; 137, 4JOACHIM (violoniste) 165, 279

K

KATCHEN REICH (in CARMEN) 165, 285

L

leçon de chant 10, 136; 165, 95livret d'opéra 165, 205LISZT 165, 206

221

Page 222: Freud Et Le Sonore

M

Les Maîtres Chanteurs (Wagner) 14, 211 ; 49, 177 ; 83, 172MAHLER G. 177b, 84mélodie 25, 21 ; 48, 42; 80, 149; 96, 49 et 76 et 94; 119,56-57 ; 165, 205 et 286 et 473-74 ; 169, 229; 177a, 196 ; 177b,84; 177c, 241-42MICAELA (in CARMEN) 165, 285-86morceau de musique 10, 138; 25, 21 et 75MOSCHELES 25, 219MOZART 14, 122; 165, 304musicien 10, 107 ; 25, 21 et 294-95 ; 96, 94 et 113 ; 165, 473-74et 284; 169, 193; 177c, 241-42musique 10, 29-30 et 32 ; 14, 211 ; 25, 75 et 196 ; 26, 10; 27,35 ; 33, 317 ; 39, 30-31 ; 46, 191 ; 49, 125 ; 59, 267 ; 83, 172 ;96, 72 et 76; 109,257-58 ; 177b 39-40et 84 et 101 ; 165, 184 et281-83 et 484

N

Ne le racontez pas dans Askalon (air) 165, 510Niebelungen (chant des) 109, 268NOCES DE FIGARO 14, 122; 25, 184-85; 165, 304Nous vivons libre (air) 10, 78Nul feu, nul charbon (air) 25, 295

o

OFFENBACH 106, 225opéra 14, 211 ; 25, 331 ; 27, 45 ;34, 126-27 ; 49, 177 ; 106, 225 ;165, 184 et 205 et 283-86opérette 165, 316orchestre 25, 294-95 et 294 et 331 et 370; 165, 184 et 281-82et 183-86; 177b, 39-40;orgue de Barbarie 177b, 84

p

air de Pâris 96, 94piano 10, 136-37; 14, 122; 25, 166 8 et 196 et 252 et 319 ;52, 172; 96, 141-42; 137, 4

222

Page 223: Freud Et Le Sonore

Q

Quand la reine de Suède (air) 25, 167

R

les Remparts de Séville 14, 122rêve musical 25, 21 et 34 et 184-85 et 294 et 331 et 520RICHTER Hans 25, 294Rosen, Tulpen, Nelken (air) 25, 188rythme 10, 29-30; 27, 67 et 117 ; 96, 142-43 et 152; 127, 288 ;165, 341-42 et 177a, 349-50

s

Sonate de Tartini 25, 520La Soularde (chanson d'Y. Guilbert) 165, 442symphonie 80, 149

T

Tannhiiuser (Wagner)TARTINI 25, 520Te Deum 165, 508timbale 174, 110-111trompette id.

176, 214)

u

Undid dodid 165, 281 et 303

v

le Vaisseau Fantôme 176, 226VERDI 165, 279violon 52, 172; 174, 200-201

w

WAGNER R. 25, 294 et 370; 176, 214

223

Page 224: Freud Et Le Sonore
Page 225: Freud Et Le Sonore

~--"~"~----~~~-~~~~

-- ~~-=~~-~=~--~ ~-- -- --- -- -"---------- -- -- - -___ u__u_ __

INDEX

INDEX DES NOMS DE PERSONNESCITÉS DANS LE TEXTE

(à l'exception de Freud)

A

ABEL Ko, 75, 124, 127ABRAHAM Ko, 14, 19, 93,

213, 215ANNA, 130, 187ANZIEU Do, 19, 28, 54, 55,

59, 63, 78, 147, 148, 149,150, 151, 152, 153, 155,156, 157, 160, 161, 214

B

BARON DE ROTSCHILD, 72BASSANIO, 31BECHTEREV, 160BEER-HOFMAN Ro, 33BEETHOVEN L., 86, 174,

214, 220, 221BENOIT Po, 58, 214BERGERET Jo, 85-89, 93, 214BERMAN Ao, 22, 199-215BERNARDT Sarah, 183BION WoRo, 134, 135, 214BLEULER Eo, 18, 19

BONAPARTE Mo, 25, 187,199-215

BOTTICELLI, 68BOUQUEREL Go, 93, 214BRAUNSCHWEIG D., 90,

214BREUER J., 14, 59, 199BROCA, 60BRUCKE B.W., 59, 143, 156BURDACH, 40

c

CALCAS, 32CANDIDE, 77CARMEN, 117, 183, 185, 191,

219, 220, 222CASTORIADIS-AULAGNIER

Po, 24, 171, 214CHARCOT, 27, 30, 127, 200CITATI Po, 51, 165, 214CLEMENTI, 221CLAUS Co, 59CORDELIA, 32COURT Ro, 215

225

Page 226: Freud Et Le Sonore

D

DARWIN, 28DELBRUCK, 62DIEU, Yahvé, 49, 50DON JOSE, 185DON JUAN, 187, 192, 219,

220DORA, 81, 201

E

EHRENZWEIG A., 47, 215ELIE, 50ESCAMILLO, 186, 219

F

FAIN M., 90, 214FAUST, 19, 221FERENCZI S., 19, 20, 32, 66,

192, 214FIDELIO, 221FIGARO, 93, 167, 181, 192,

219, 220, 221, 222FLEISCHL, 143, 156FLIESS W., 8, 14, 19, 27, 28,

48, 54, 76, 77, 78, 122, 125,128, 129, 156, 160, 161,162, 163, 164, 165, 168,171, 181, 182, 188, 190, 200

FLUSS, 214FRIEDMANN, 16, 183FrI. Rosalie H., 26

G

GAY P., 187, 214GOETHE, 19GRADIVA, 107, 108, 172,

176, 202GRAF H., 92, 93GRAF M., 86GRODDECK G., 15, 16

226

GROSS, 221GUELDENSTERN, 189GUILBERT, 221GUILLAUMIN J., 135, 136,

215GUlNON, 27

H

HAMLET, 177, 189HANOLD, 108HANS (petit), 14, 38, 85-93,

130, 177, 178, 203HELENE (La Belle), 32, 187,

219, 220HELMHOLTZ H., 56HENRI IV, 148, 157HILDEBRANDT, 119HOFFMANN, 88, 220HUG-HELLMUTH H., 43

I

IRMA, 142, 145, 149, 150,151, 152, 156, 159, 217

J

JANET, 16JANKELEVITCH S., 66,

199-215JENSEN W., 107, 202JEREMIE, 162JESSEN, 113JOACHIM, 221JOHN, 146JONES E., 25, 40, 59, 60,

167, 168, 169, 170, 172, 214JOSEPH, 146JOUSSE M., 165, 215JUNG C.G., 15, 16, 18, 19,

29, 30, 82, 125, 168, 186,192, 213

Page 227: Freud Et Le Sonore

K

KAFKA F., 51, 165, 169KATCHEN REICH, 221KATHARINA, 81, 101KIERKEGAARD, 166KLEIN M., 195, 196KRAEPELIN, 30KREISLER F., 169

L

LAFORGUE, 214LAPLANCHE 1., 49, 132,

199-215LEAR, 32LENAU, 174LEOPOLD, 145, 152, 217LEPORELLO, 192LICHTENBERG, 15LIPPS T., 53-57, 66, 69, 215LISZT, 221LORENZ K., 135LOU ANDREAS SALOME,

33, 168, 193, 213

M

MAEDER, 186MAHLER G., 25, 93, 172,

222MARTHA, 14, 16, 54, 76,

153, 159, 170, 172MAYER K., 67-69, 72, 215MAXWELL, 147MERINGER R., 67-69, 72,

215MEYER M., 169-170MEYNERT, 59MICHEL ANGE, 171, 181,

206Mme D., 190Mme E.L., 145, 157Mme P.l., 190Mme v.N., 26, 28MOISE, 49, 50, 171, 206, 213

MOSCHELES, 222MOTENS 1., 54MOZART, 167, 192, 219, 221,

222

N

NARCISSE, 131NIEDERLAND W.G., 38,215NIETSCHE F., 166NORBERT H., 107

o

OFFENBACH, 32, 219, 222OTTO, 150, 152, 153, 156

p

PAN, 96PANETH, 156, 157PERRIER F., 196, 215PFUNGEN, 183PLATON, 181PONTALIS 1.B., 132, 199-215Prince HAL, 148, 157

R

RADESTOCK, 121RANK O., 83REICH K., 185, 221RESNIK S., 134, 136, 215RICHTER, 223ROHE lM G., 158ROSA, 168ROSENBLUM E., 151ROSENKRANZ, 189ROSOLATO G., 23, 24, 76,

215

s

SARDOU, 183SAVONAROLE, 142, 218

227

Page 228: Freud Et Le Sonore

SCHLEIERMACHER, 123SHAKESPEARE W., 148, 216SIGNORELLI, 54, 68SILBERSTEIN E., 14, 15,

161, 162, 170, 172, 183, 214SOLLIER, 18STARR A., 62STEKEL, 32STRUMPBELL, 176

T

TARTINI G., 193-194, 223TOROK M., 88, 216THUN, 142, 146, 150, 218

u

ULYSSE, 9

228

V

VARENDONCK J., 124VERDI G., 167, 223VIGNAL M., 216VILLARET, 59, 199

W

WAGNER R., 86, 93, 167,222, 223

WAHLE F., 170WEISS N., 16, 183WINNICOTT, 70WUNDT W., 56, 70-72, 116

216 '

z

ZOE, 108

Page 229: Freud Et Le Sonore

~~~---~--~~~ -- ~~~-~-~--~~--~~---~ -- -~ , -- -

TABLE DES MATIÈRES

Quelques notes d'introduction...................

PREMIÈRE PARTIELA PLACE DU SONORE

DANS L'ŒUVRE DE FREUD

l - PLAIDOYER POUR LE BRUIT...........

1-1 - Se faire entendre 13A - Dire tout haut 13

1 - Les cris du cœur, les cris du texte . 142 - Le tapage publique . . . . . . . . . . . . . . . . 15

B - Une voix angélique, émotion et mutisme... 16

C - Jung et les fantômes frappeurs de coups.. . 181 - Un écho 182 - Un pet sonore 183 - Craquements 19

1-2 - Du cri 21A - Du cri à l'objet, tentative de théorisation

du rapport sonore à l'objet... . . . . . . . . . . . . . . .1 - Des objets qui font crier . . . . . . . . . . .2 - Des objets sonores......................

B - Des patients bruyants, présentation de situa-tions cliniques...............................1 - Un cri étouffé..........................2 - L'accès de cris... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1-3 - Eros est bruyant........................

--~ --

7

13

212223

262629

31

229

Page 230: Freud Et Le Sonore

A - Le bruit de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . .B - Le tic-tac du désir........................C - Le rêve est un bruit nécessaire. . . . . . . . . . . .D - Le vacarme du refoulé....................E - Le murmure de la censure. . . . . . . . . . . . . . . .F - Les voix du Surmoi.......................

II - DE L'EXCITATION .....................

11-1 - « Relations tonales» et « parenté sonore»A - Des rapports entre les sons...............B - Diapason.................................

11-2 - Attraction..............................A - Paraphasies ..............................

1 - Rappel historique.......................2 - Le mot et l'image ........3 - L'apprentissage du langage..............

B - Consonances.............................C - La valeur psychique d'un son.............D - L'action par contact de sons..............E - Jeux de mots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1 - Jeu de sons, jeu de mots, plaisird'enfance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .2 - Modulation phonique, évolution deslangues. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

11-3 - L'entendu et le fantasme d'écoute........A - Des choses entendues.....................B - Scène primitive. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .C - Le fantasme d'écoute.....................

11-4 - Charivaris..............................1 - L'insatisfaction de Freud................2 - L'interprétation donnée par J. Bergeret...

A - Sensibilité sonore et violence. . . . . . . . . . . . . .B - Voir ou entendre.........................

11-5 - Variations: le sonore et le statut del'excitation dans la théorie freudienne. . . . . . . . . . . .

230

313338414348

53

535357

595959606566677072

73

75

7778

8182

8586868790

94

Page 231: Freud Et Le Sonore

A - Perception sonore et immaturité.. . . . . . . . . .B - De la jouissance sonore. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

9496

III - VOIR, ENTENDRE, OU DE LAREPRÉSENTATION 99

III-l - Un bémol à la dé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99A - La règle de l'entendu du rêve 99B - Restes diurnes 100C - Un archaïsme 102D - Le rêve ne crée pas . . . . . . . . . . . . . .. 103E - Le rire même. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 107F - Ça piétine .. .. . .. .. .. .. .. . .. .. . .. .. ... 108G - L'exception 110H - D'une création ex nihilo. . . . . . . . . . . . . . . . .. 112

111-2 - Voir ou entendre en rêve 115A - L'assembleur de rimes. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 116B - Du rêve manifeste, l'hallucination 118C - L'image s'impose 122D - Régression; matériaux infantiles.. . . . . . . . .. 124

1 - Souvenirs d'enfant, symboles sensoriels... 1272 - Attraction sélective . . . . . . . . . . . . . .. 128

E - Un rêve de type auditif 129

111-3 - Fantaisie: rêver dans le noir 130

DEUXIÈME PARTIEL'EXPÉRIENCE SONORE

ET MUSICALE DE FREUD

I - LE SONORE DANS LES RÊVES DE FREUD 141

A - Du déjà entendu, application de la théorie. 143B - Le sonore dans la structure du rêve;articulation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 150C - De quatre regards, voix et regard.. . . . . . . .. 152

1 - Le rêve de « L'injection faite à Irma»... 1522 - Le rêve du « Château au bord de lamer» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 154

231

Page 232: Freud Et Le Sonore

3 - Le rêve «Non Vixit» 1564 - Le rêve de la « table d'Hôte» 157

D - L'insistance de l'affect, de rêve en rêve 159E - Variation: «Hear-sing », fantaisie pourdeux voix. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 160

II - LE MUSICIEN, CE RIVAL 167

A - Le piano de la sœur cadette 168B - Max, le séducteur.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 169C - D'un pouvoir qui fait rêver. . . . . . . . . . . . . .. 173

III - LE RÊVE EST COMME UNE MUSIQUE,LEITMOTIV. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175

IV - FREUD, VIRTUOSE DEL'INTERPRÉTATION 181A - Aria: le mélomane 181

1 - Les voix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1822 - Le concert. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1833 - Le chantonnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 186

B - Freud musicien, virtuose de l'interprétation. 1881 - Associations musicales . . . . . . . . . . . .. 1902 - Amitié 1923 - Interpréter 193

CONCLUSION: Fallait-il l'ébruiter? . . . . . . . . . . . . 195

199BIBLIOGRAPHIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

ANNEXE I : Le texte sonore des rêves del'autoanalyse de Freud 217

ANNEXE II : Index musical de l'œuvre et descorrespondances de Freud. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 219

INDEX des noms de personnes . . . . . . .. 225

TABLE DES MATIÈRES 229

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N° d'Imprimeur: 39966 - Dépôt légal: avril 2007 - Imprimé en France