françois-xavier eder : missions jésuites au 18e siècle en...

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Acta Ethnographica Hungarica, 50 (1-3), pp. 259-321 (2005) COMMUNICATIONS FRANÇOIS-XAVIER EDER: MISSIONS JÉSlJITES AU I8 e SIÈCLE EN AMAZONIE ACTUELLEMENT BOLIVIENNE (TROISIÈME ARTICLE) : FERTILITÉ DE LA TERRE ET DESCRIPTION DES INDIENS TRANSCRIPTION ETTRADUCfION PAR Joseph LAURE 150 rue Jean-Jaurès, E3-F93470 Coubron, France Abstract: Quality of the soil and description of the Indians of the Jesuit missions in the now Bolivian Amazon basin in the LSth centUly.This article is a transcript and French translation of the chapters 6 to 8 of Book 1 of the Latin manuscript by the Jesuit F. X. Eder on the missions or reductions in the Arnerindian nations of the Moxos and Baures. It is the continuation of the two first articles entitled Lima, Peru, and their inhubuants in the 18th century and Jesuit missions in the now Bolivian Amazon basin in the 18th century, Keywords: Arnazon basin, Amerinds, Baure, Bolivia, Brazil, 18th century, Jesuit missions, Moxo, Reductions, Spanish colonies Après un premier article présentant l'introduction (Dissertation préliminaire sur le royaume du Pérou) intitulé Lima, le Pérou et leurs habitants au 1fr siècle', de la Brève description des missions de la Société de Jésus de la Province du Pérou dite des Moxos par un Père jésuite qui y fut missionnaire pendant quinze ans, à savoir F. X. EDER, et un second article- intitulé Réductions moxos et baures: missions jésuites d'Amazonie bolivienne concernant les cinq premiers chapitres du Livre premier, voici les chapitres' 6 à 8 de ce même Livre premier' de la Brève description de la région des Moxos et de ses habitants parmi lesquels furent fondées puis administrées les missions jésuites de la Province du Pérou. Que le lecteur se réfère aux précédents articles pour la présentation du manu- scrit latin de F. X. EDER, pour la bibliographie et pour la présentation générale des réductions, missions jésuites auprès des Indiens d'Amazonie, actuellement bolivien- ne, ainsi que pour les remerciements. La suite de la transcription du texte latin et sa traduction en français seront publiées au fur et à mesure dans cette revue. 1Acta Ethnographica Hungarica 48 (1-2), pp. 173-247 (2003). 2 Acta Ethnographica Hungarica 49 (3-4), pp. 381-439 (2004). 3 Il Yen a douze. 4 Suivi de deux autres livres. 1216-9803/$ 20.00 © 2005 Akadémiai Kiadô, Budapest

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Page 1: François-Xavier Eder : missions Jésuites au 18e siècle en ...horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/... · bolivienne concernant les cinq premiers chapitres du Livre

Acta Ethnographica Hungarica, 50 (1-3), pp. 259-321 (2005)

COMMUNICATIONS

FRANÇOIS-XAVIER EDER:MISSIONS JÉSlJITES AU I8e SIÈCLE EN AMAZONIE

ACTUELLEMENT BOLIVIENNE(TROISIÈME ARTICLE) : FERTILITÉ

DE LA TERRE ET DESCRIPTION DES INDIENS

TRANSCRIPTION ETTRADUCfION PAR

Joseph LAURE

150 rue Jean-Jaurès, E3-F93470 Coubron, France

Abstract: Quality of the soil and description of the Indians of the Jesuit missions in the nowBolivian Amazon basin in the LSth centUly.This article is a transcript and French translation of thechapters 6 to 8 of Book 1 of the Latin manuscript by the Jesuit F. X. Eder on the missions orreductions in the Arnerindian nations of the Moxos and Baures. It is the continuation of the two firstarticles entitled Lima, Peru, and their inhubuants in the 18th century and Jesuit missions in the nowBolivian Amazon basin in the 18th century,

Keywords: Arnazon basin, Amerinds, Baure, Bolivia, Brazil, 18th century, Jesuit missions,Moxo, Reductions, Spanish colonies

Après un premier article présentant l'introduction (Dissertationpréliminaire sur leroyaume du Pérou) intitulé Lima, le Pérou et leurs habitants au 1fr siècle', de la Brèvedescription des missions de la Société de Jésus de laProvince du Pérou dite des Moxos parun Père jésuite qui y fut missionnaire pendant quinze ans, à savoir F. X. EDER, et unsecond article- intitulé Réductions moxos et baures: missions jésuites d'Amazoniebolivienne concernant les cinq premiers chapitres du Livre premier, voici les chapitres'6 à 8 de ce même Livre premier' de la Brève description de la région des Moxos et de seshabitants parmi lesquels furent fondées puis administrées les missions jésuites de laProvince du Pérou.

Que le lecteur se réfère aux précédents articles pour la présentation du manu­scrit latin de F. X. EDER, pour la bibliographie et pour la présentation générale desréductions, missions jésuites auprès des Indiens d'Amazonie, actuellement bolivien­ne, ainsi que pour les remerciements.

La suite de la transcription du texte latin et sa traduction en français serontpubliées au fur et à mesure dans cette revue.

1Acta Ethnographica Hungarica 48 (1-2), pp. 173-247 (2003).2 Acta Ethnographica Hungarica 49 (3-4), pp. 381-439 (2004).3 Il Yen a douze.4 Suivi de deux autres livres.

1216-9803/$ 20.00 © 2005 Akadémiai Kiadô, Budapest

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260 Joseph LAURE

. .

. Deux pages du manuscrit latin:Dernière page de la Dissertation préliminaire sur le royaume du Pérou

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 261

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Première page de la BI~ve descriplion de la région des Moxos el de ses habitants...

A noter le changement d'écriture

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262 Joseph LAURE

"Îles" (îlots forestiers) au milieu de savanes inondables près de Trillidad (Béni, Bolivie),30 juin 2003 (saison sèche). Cliché de Joseph LAURE

Pour le lecteur, les indications suivantes permettront une meilleure compréhen­sion de la transcription:

? = doute sur la lettre ou le mot du manuscrit (? accolé juste après la lettre oule mot douteux),

... = partie illisible,

(ajouté) = ajouté parce qu'illisible ou manquant,

[à supprimer] = lettres ou mot du manuscrit original à supprimer, par exempleen cas de faute d'orthographe ou de grammaire,

mest transcrit par mm etp par pp,

numéro du cahier (numéroté dans le manuscrit) (ici cahier 7) - numéro de page(non indiqué dans le manuscrit) du cahier de huit pages chacun (ici page 7) et

numérotation des paragraphes (non indiquée dans le manuscrit) identique àcelle de notre traduction en français, suivant en cela la numérotation de la traduc­tion espagnole de Josep M. Barnadas (1985) jusqu'au numéro 147. Par la suite,notre numérotation continue alors que Bamadas ne donne pas de numéro à certainsparagraphes, d'où un décalage entre nos deux numérotations.

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Missions jésuiJes d'Amazonie bolivienne

Amazoniens baures près de Baures (Béni, Bolivie), 28 juin 2003. Cliché de Joseph LAURE

BIBLIOGRAPHIE ADDITIONNELLE CONCERNANT CES CHAPITRES

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D'ORBIGNY, AJcide DessalinesVoyage dans l'Amérique méridionale, 1835-1847.9 volumes.

LAURE, Joseph1987: Les paysans et la crise. Étude de communautés rurales de Bolivie. La Paz, INAN-ORSTOM,

321 p. ; Paris, Collec/ion TDM 36, ORSTOM, 1988.TovAR, Antonio

1961: Catâlogo de las lenguas de Arnérica dei Sur. Buenos Aires, 405 p.

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264 Joseph LAURE

TRANSCRIPTION PAR JOSEPH LAUREDES CHAPITRES 6 À 8 DU LIVRE PREMIER

DU MANUSCRIT IATIN DE F. X. EDER

{Début de la partie du manuscrit avec des corrections (ratures et ajouts).

Brevis Descriptio Regionis et IncolarumInter quas Missiones Soc(ieta)tis IESV Provinc(iœ) Peruanre

erectœ et stabilitœ sunt.

Liber Imus.

Caput 1.De harum Missionum communi loco nomine, itinere ad eas,

et earum divisione.

CaputII.De temperie aëris, ventis, tempestatibus, terrœ( )motibus, œstate, h[y](i)eme,

constellationibus, et rare.

Caput IIIDe Inundationibus, eiusque effectibus.

Caput IV.De Fluvijs, et lacubus.

Caput V.De Varietate pontium.p

(7-7)Caput VI.

De terrœ fertilitate

Non est mihi hic animus regionis illius fertilitatem ex vini, olei, tntlcl,aliarumque id genus rerum copia demo(n)strandi, utpote quarum ne vestigiumquidem reperitur. Certe id universim affirmare ausim, plantas nostrates sivecampestres, sive hortenses, vel non nasci, etsi seminetur semen optimum, sel si

1 Entre accolades {} le rappel des titres des premiers chapitres du livre premier.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne

TRADUCTION PAR JOSEPH LAUREDES ARTICLES 6 À 8 DU LIVRE PREMIER

DU MANUSCRIT DE F. X. EDER SUR LES MISSIONSJÉSUITES AU I8e SIÈCLE EN AMAZONIE

ACTUELLEMENT BOLIVIENNE

[lBrève description de la région des Moxos et de ses habitantsparmi lesquels furent fondées puis administrées

les missions jésuites de la Province du Pérou

LIVRE PREMIER

265

Chapitre 1: De l'emplacement et du nom de ces missions, du chemin pour y aller et deleur répartition

Chapitre 2 : De la température de l'air, des vents, des tempêtes, des tremblements deterre, de l'été, de l'hiver, des constellations et de la rosée

Chapitre 3 : Des inondations et de leurs conséquences

Chapitre 4: Des cours d'eau et des lacs

Chapitre 5: Des différentes façons de traverser les rivières)

Chapitre 6: De la fertilité de la terre

Je n'ai pas l'intention de montrer la fertilité de cette région par son abondance envin, huile, blé et autres produits européens, car de tous ceux-ci on ne trouve trace. Sansdoute, j'affirmerai qu'en général les plantes de chez nous, sauvages ou cultivées, soit negerment pas ici, même si la semence est d'excellente qualité, soit, si elles germent,

1 Début de la partie du manuscrit avec des corrections (ratures et ajouts). Entre accolades [Jle rappel destitres des premiers chapitres du livre premier.

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266 Joseph LAURE

nascantur, intra paucos dies illo œstu ita crescere, ut aut sementem inanemprotrudant, aut nulli omnino usui deselVientes deseri debeant, utpote quœ prœteroblongum virgultum nihil omnino offerant.

162. Seminatur in sylvis.Capite tertio viderit Lector, quantis eluvionibus Regio illa quotannis mergatur,

in qua nihil prœter quasdam sylvas, quas Insulas vocamus, remanet, quœ tamen nonubique ita elevatœ sunt, ut damna gravissima interdum, cum nempe copiosioresimbres depluunt, non patiantur. Pars optima regionis ea est, quam Baures vocant,nunquam hucusque ab aquis damni quidquam experta, utpote quœ uti à MamoreisMissionibus in eo exceditur, quod illarum campi eminentiores sint, ita quoad locasementibus oportuna omnes alias excedit. In his igitur locis eminentioribus, suisinsulis seminatur, non vero in campis. Terra plerumque nigra est, et tactui admodumsuavis.

163. Qua methodo?Circa finem Augusti plerumque Indi futurœ messi prospicere incipiunt. Primo

arbusta minora [ab]secant, dein ad maiores progrediuntur arbores, quas tamen nonomnino p[o]enitus prœcidunt, ne viam alijs prœcludant, sed trunco insistentes,quantum oportet, relinquunt, usque dum omnes in casum pronas se vident. Tum velorituro alicui venta stemendas deserunt, vel ipsi unam, alteramve inflictis securialiquod ictibus stemunt, quœ obvias, et hœ alias usque ad locum prœfixum raroordine, et dimid[y](ij) fere laboris lucro de[YlGi)ciunt.

7-8Cum sic prostratœ, octo, aut plurium dierum spatio utente tune vel maximo sole

exaruerunt, ignem horis meridianis admovent una omnes, qui inter tot aridas, atqueprœgrandes arbores quam horride grassetur, facile conjici potest, qui tarnen ubi ad

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MissiollS jésuites d'Amawnie bolivienne 267

poussent en quelques jours tellement vite à cause de la chaleur qu'elles donnent desgraines vides ou doivent être laissées sur place car elles ne sont strictement d'aucuneutilité, ne produisant rien d'autre que de longues pousses.

162. On sème en forêtAu troisième chapitre de ce livre premier, le lecteur a vu combien sont importantes

les inondations qui chaque année submergent cette région, ne laissant hors de l'eauque quelques forêts que nous appelons îles, qui, cependant, ne sont pas partout suffi­samment élevées pour ne pas souffrir de temps à autre de très gros dégâts, quandtombent des pluies plus abondantes que de coutume. La meilleure zone de cette régionest celle qu'on appelle Les Baures qui jamais, jusqu'à présent, n'a subi de dommagesdus à l'eau, car elle y échappe, comme les réductions du Mamoré, du fait que leurssavanes sont plus élevées en altitude; au point que Les Baures dépassent toutes lesautres zones en endroits propices aux semis. Donc, on y sème dans les lieux les plusélevés que sont les îlots forestiers et non dans les savanes inondables. D'ordinaire, laterre de ces forêts est noire et très douce au toucher.

163. Par quelle méthode?Généralement vers la fin août, les Indiens commencent à penser à la moisson

future. Tout d'abord, ils coupent les arbres les plus petits, ensuite ils s'attaquent auxplus grands, que toutefois ils ne coupent pas complètement, pour qu'en tombant ilsn'empêchent pas l'accès à d'autres arbres, mais ils coupent les troncs juste ce qu'il fautpour que dans leur demi-ehute ils restent tous inclinés. Alors, ils laissent le soin de lesfaire tomber au prochain coup de vent ou bien eux-mêmes en abattent quelques-uns,d'accès facile, de quelques coups de hache. Ces arbres font alors tomber, les uns aprèsles autres, dans un ordre remarquable et jusqu'au dernier, tous les autres, avec commeavantage de faire pratiquement la moitié du travail! Ainsi abattus et exposés en pleinsoleil, ces arbres se dessèchent en huit jours ou plus. Ensuite, vers midi, les Indiensmettent le feu à tous à la fois. On peut facilement imaginer avec quelle vigueur le feu sepropage à tant d'énormes arbres secs. Cependant, quand il arrive à la limite de la forêtqui n'a pas encore été abattue et qui peut-être a été mise en réserve pour être utiliséel'année suivante, il s'arrête de lui-même, sans qu'il soit nécessaire de l'éteindre ou deprendre des précautions. Quel travail et quelle sueur les Indiens durent-ils fournir dansle temps pour préparer la terre de cette façon, et c'est encore le cas maintenant pour lesIndiens non christianisés2! Ami lecteur, tu peux en avoir une idée, parce qu'ilsabattaient les arbres soit grâce à un feu prolongé, soit à l'aide d'une hache de pierre,toute petite.

Par le feu, ne sont réduites en cendres que les plus petites branches, car les troncset les plus grosses branches ne s'enflamment pas. Cependant, ceci n'est pas sans

2 Eder utilise le terme d'infidèles, dans le sens de païens.

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limites sylva:: nondum deiecta::, et ulterius anni usui forte servata:: devenerit, ipsesistitur, quin opus sit vel ex(s)tinguere quidpiam, vel pra::cavere. Quanto laboreVeteres Indi, vel nunc etiarn Infideles parandis hoc modo agris insudaverint, vel indemetire amice Lector, quod mi aut lento igne admoto arbores straverint, aut securilapidea, eaque satis parva.

Hoc igne non rediguntur in cineres, nisi rami minores, arboris truncis una cumcrassioribus ramis nondum igni concipiendo aptis. Nec abs re: cum enim ventis adeovehementibus regia illa obnoxia sit, triticum quod seminant turcicum his velut fulcrisinnititur, ne à vento prosternatur. NuUo aratro, aut alio quovis instrumento terrarnfodiunt, sed cum primum imber aliquis uberior circa Festum S. Francisci Seraphicieam humectavit, ligone ligneo forameUum aperit, in quod decem, interdum etiamquatuordecim grana demittit, ac pede terram admovet. Hac methodo ad distanciamulme, grana ma tritici turcici seminat, quod intra duos menses spicam plenam,teneram licet, at sapidissimam colono porrigit. Crescit mira altitudine, ut ne equesculmen attingas: folia mi latissima, truncus quovis usuali baculo crassior: spica veronon nunquam ad medire ulnre longitudinem.

164. De Cannis [Z](s)a(c)chari.Nescio, qua:: Regio [Z](s)a(c)chari Cannis hanc excedat. Scio Lima::, ac in toto

Regno Peruano, ubi ea:: coluntur, non nisi post tres annos maturari, ac exscindi,atque in [Z](s)a(c)charum e(x)coqui posse. Ouare illis necessarium, si quolibet annoillud conficere velint, uti re ipsa conficiunt, semper ita partiri cannas, ut alire uniusanni, alire duorum, alia:: denique trium a::tatem a::quent. Non ita in Missionibus, ubieas, quas terra::, mense Septembri, aut Octobri mandasti cannas, Maio sequenti, autJunio iarn maturas, et conficiendo [Z](s)a(c)charo idoneas reperies, et quidem adeo,ut nisi acceleres operas, eius ob nimiam maturitatem perdendi periculum subeas.Cannam sa::pe reperi, vidi, atque in manibus habui, qure tres ulnas excedebat,tamque crassam, ut vix manu prehendere potuerim, tam succo plenam, ut dua::earum humero impositre molestiam ali-

8-1(-)quarn intulerint.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 269

intérêt, car comme cette région est sujette à des vents très violents, les Indiens sèmentle maïs3 de façon qu'il puisse s'appuyer sur ces arbres morts servant de tuteurs et qu'ilne soit pas couché par le vent. Ils ne travaillent pas la terre avec une charrue ou unautre instrument aratoire. Mais, vers la Saint François4, dès qu'un orage d'une certaineimportance a humidifié le sol, l'Indien y fait un petit trou avec une houe en bois, danslequel il met dix à quatorze grains de maïs qu'il recouvre de terre avec son pied. C'estainsi qu'à chaque coudéeS (environ 42 cm) le paysan sème du mais, qui au bout dedeux mois lui donne des épis gros, tout en étant tendres et d'un goût excellent. Ce maispousse étonnamment haut, au point que, même monté à cheval, tu n'arrives pas ausommet. Ses feuilles sont très larges, sa tige est partout plus grosse qu'une canne ordi­naire. Enfin, les épis peuvent atteindre une demi-eoudée6 de longueur (environ 21 cm).

164. Des cannes à sucreJe ne connais pas de région meilleure que celle-ci pour la canne à sucre. Je sais

qu'à Lima, ainsi que dans tout le royaume du Pérou où on la cultive, ce n'est qu'aprèstrois ans qu'elle est mûre et peut être coupée pour qu'en soit extrait le sucre. C'est pour­quoi si l'on veut en récolter chaque année, comme c'est le cas, il faut toujours avoir, enlots égaux, des cannes d'un an, de deux ans et de trois ans. C'est différent dans lesréductions, où tu trouves les cannes mises en terre en septembre ou octobre, déjàmûres en mai ou juin suivant et aptes à être transformées en sucre. Mûres au point quesi tu ne les traites pas rapidement, tu cours le risque de les perdre par excès de matu­rité. J'ai souvent trouvé, vu et eu dans mes mains des cannes qui dépassaient troisaunes7 (environ 3,5 mètres), si grosses que je pouvais à peine les prendre dans ma mainet si pleines de sève que j'avais du mal à en porter deux sur mon épaule.

3 Littéralement blé turc.4 D'Assise, Eder dit le Séraphique. Cette fëte a lieu le 4 octobre.S Une coudée ou demi-verge mesure 418 millimètres.6 Eder utilise le terme latin ulna, qui en principe devrait correspondre à brasse (1,67 m) ou braza en

espagnol, pour aune (1,188 m) et pour coudée (418 mm). Suivant le contexte, il est parfois facile de décider àquelle unité de mesure Eder fait référence, mais parfois, comme ici, c'est plus difficile. Barnadas, dans satraduction espagnole (1985), a le même problème et traduit suivant les cas par vara, c'est-à-dire en françaisverge (835,9 mm) au lieu d'aune ou par codo ou media vara, c'est-à-<lire coudée (418 mm) ou demi-verge. Deplus, nous avons parfois des différences dans l'appréciation du contexte pour décider laquelle des deux unitésde mesure est à retenir.

1 Une aune mesure 1,188 mètre.

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270 Joseph LAuRE

165. De Sylvis. et Campis.Jam memini illius continui laboris, quo Indi sive suis sementibus, sive ipsis

Missionis foro, ac plateis invigilare debeant, ne quam primum in sylvas excrescant.At! quis non stupeat sylvarum fertilitatem, in qua tam proceras arbores, tamquerobustas invenia(s), è quibus naviculam etiam duas ulnas latam elaborare possis?arbores, quœ etiam 24 ulnas usque ad proximum ramum numerent? Utinamhumanis usibus essent viciniores, et non tot sive à formicis eas perforantibus, sive àventis validis prosternerentur, emorerenturve. Sylvis non cedunt campi, qui tamenne coli possint, aqme faciunt. IIIi ipsi tam copiosi cineres, qui exusto veteri gramineremanent, terrœ miram fertilitatem conferunt, et forte maiorem, quam nostrisanimalium stercora. Si enim illud, quod passim in campis crescit, gramen sipurisedictum examines, non tam herbam, quam arbustum quoddam indicabis. Folium illilongum, latumque satis, truncus, sive canna, qua.: bacillum, quibus JunioresNobilium filij utuntur, œquat, et pra.:terea in eam excrescit altitudinem, quœhominem equo alto insidentem aut superet, aut œquet.

166. De alijs guibusdam plantis.In ipsis [y](ij)s plantis, aut arbustis, quœ è Regno Peruano allata.:, ibidem felici

eventu excultœ sunt, experti sumus, quantum regio ha.:c vigoris habeat. Habui inmeo horto arbustum piperis turcici, quod cum in Peru, alijsque America.: partibus vixultra unius ulnœ altitudinem crescat, post tres annos in eam arborem excrevit, ut àquodam Hispano Militum Prœfecto, ibidem hospite, arbustum mirante, sex militessub eius ramis considere iussi fuerint, quin ramos capitibus attingerent. Cucumeresin cuiusdam Missionarij horto vidi, qui melopeponis ordinarij magnitudinemœquaverit. Quantum mirarentur Europœi, si poma aurea, aut citrina, quœquacunque anni tempestate reperiuntur, viderent, ac experirentur! qua.: illorummagnitudo, quis succus tam à nostratibus diversus, tamque copiosus? Quibus siad[ylGi)cias sylvas arboribus cacao refertas, cafee etiam, si seminaveris, feraces,tabaca.:, et quidem optimœ, nullique secundœ abundantissimas,

8-2Regionem sane hoc ex capite non despicies.

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Missions jésuites d'Amawnie bolivienne 271

165. Des forêts et des savaness

J'ai déjà mentionné9 le travail continuel que les Indiens doivent fournir pourentretenir leurs cultures ainsi que la place principale et les allées de la mission elle­même pour qu'elles ne retournent pas rapidement à la forêt. Mais qui ne s'émerveilleradevant la fertilité des forêts où tu trouves tant de grands arbres solides avec lesquels tupeux fabriquer des pirogues pouvant atteindre deux aunes (2,4 mètres)10 de large! Deplus, les fûts peuvent mesurer jusqu'à la première branche vingt-quatre aunes (28,5mètres)l1! Si seulement ces arbres étaient plus près pour pouvoir être utilisés, au lieud'être détruits par de si nombreux termites12, qui les minent, ou abattus par des ventsviolents! Les savanes sont aussi fertiles que les forêts, cependant les inondations fontqu'elles ne peuvent pas être cultivées. Même la cendre, en si grande quantité, qui resteaprès que les savanes ont été brûlées, donne à la terre une fertilité remarquable, peut­être supérieure à celle qu'apporte chez nous le fumier des animaux. Car, si tu observesl'herbe que l'on appelle sipurise et qui pousse partout dans les savanes, tu verras qu'elleressemble plus à un arbuste qu'à une herbacée. Ses feuilles sont longues et assez larges,sa tige qui est plutôt une canne, ressemblant au bâton qu'utilisent les jeunes fils desnobles, pousse jusqu'à une hauteur qui égale ou dépasse celle d'un homme monté surun grand cheval.

166. De quelques autres plantesAvec les plantes et les arbustes amenés du Pérou, qui furent cultivés ici avec succès,

nous avons pu nous rendre compte de la fertilité de cette région. J'eus dans mon jardinun plant de piment fort13, qui, alors qu'au Pérou et dans les autres parties de l'Amé­rique dépasse rarement une aune (environ 1,2 mètre) de hauteur, poussa en trois anscomme un arbre. Un Espagnol, gouverneur militaire l 4, logé à la mission et admirant laplante, ordonna à six soldats de se mettre sous ses branches et leurs têtes ne lesatteignaient pas! Dans le potager d'une réduction j'ai vu des concombres de la gran­deur d'un melon ordinaire. Comme les Européens s'étonneraient de voir et de goûterles oranges et les citrons que l'on trouve ici tout au long de l'année! Comme ils admi­reraient leur grosseur et leur jus, si différent de celui des agrumes que l'on rencontrechez nous, et si abondant! Si, en plus, tu ajoutes que les forêts sont pleines decacaoyers, de caféiers également si tu les sèmes, qu'elles produisent du tabac, vraimentexcellent, et qu'elles sont aussi très riches en produits secondaires moins importants,alors, avec raison, d'après ce qui vient d'être dit, tu ne dénigreras jamais cette région.

B Littéralement plaines ou /lanos.• Au paragraphe 115.10 À moins qu'il ne s'agisse de deux coudées (84 cm)?11 Ou vingt-quatre coudées (10 mètres)?12 Littéralementjourmis.1J Eder parle de piment turc, nous dirions piment de Cayenne.14 Dans la suite de son ouvrage, Eder fera plusieurs fois mention de militaires espagnols de passage dans

les réductions. Barnadas (1985, p. 75, note 10) pense qu'ici il s'agit probablement de Alonso Verdugo. Cedernier fut gouverneur de Santa Cruz de la Sierra et vint deux fois dans la région des Baures, en 1760 et en1763.

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272 Joseph LAURE

167. Orizre abundantia.Scio orizam in campo à quodam Missionario seminatam, quinquies intra annumspicam alteri abscissre suffecisse, et gramini altissirno parem excrevisse, adeo ut Indimessores naviculis circumvehi, et messem ipsam è dictis naviculis facere debuerint:adeo nempe aquarum amans est oriza. Prreterea alia, ne nimius sim, cum ex allatislectori facile sit sententiam ferre. Utinam et alia Europ[e](re)orum usibus magisnecessaria tellus illa admitteret, et p[o]ene fructuum multorum feracissima,miseriarum, ac calamitatum omnium non esset feracissima.

Caput VII.Indorum infidelium exterior descriptio.

168. Statura. et color.Indorum statura ordinaria est mediocris, mulieres vero com(m)uniter sunt

parvre: quamvis pro diversitate Nationum alire ab alijs discrepent. Color non niger,uti multi credunt, sed fuscus, illorum prrecipue, qui vestibus carent, cum à solevehementius adurantur. Im(m)o Missionarios novi, qui cum Indis de colore certarepoterant, prrecipue, si nimia albedine antea pollebant. Deinde tamen, cum Indi iamin Missione commode agunt, satis albescunt, prrecipue sequior sexus, utpote quiminus in sole moratur. Im(m)o vidi Nationis MeQue dictre mulieres Europreis paruminferiores, nisi quod ciborum defectu pallidiores fuerint. Creterum id universimaffirmare possum, Indos omnes esse optime formatos, agiles, veloces, nullo corporis,membrorumve vitio deformes. Quod eo magis miratus sum, quo certius noveramsummam Parentum in educandis filijs incuriam, utpote qui canum instar sibi ipsisrelicti, nullis fascijs, nuUis pedum, manuumve vinculis stringuntur: his tamen cautelisEuroprei assecuti hucusque non sunt, ut filios à gibbis, et tot alijs foedis defectibusprreservent, quorum ne umbram per totam Americam, cuius partem non exiguamperagravi, in ullo Indo reperi, im(m)o nec referri ab alijs quibus cum hac super relocutus sum, audivi.

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Missions jésuites d'Amawnie bolivienne 273

167. Abondance de rizJe sais que le riz, planté par un missionnaire dans une savane, donna cinq récoltes

successives dans l'année et poussa chaque fois plus haut au point que les moissonneursindiens durent venir et moissonner en pirogue: en effet, le riz aime énormément l'eau.Après cela et pour ne pas m'étendre outre mesure, je laisse le lecteur qui se fera facile­ment une idée du reste, à partir de ce qui a déjà été dit. Plût au Ciel que cette terre pro­duise aussi d'autres choses plus utiles aux Européens et que, si fertile en d'aussi nom­breuses productions, elle ne le soit pas tant en toutes sortes de misères et de calamités!

Chapitre 7 : Description du physique des Indiens non christianisés

168. Taille et couleurLa taille habituelle des Indiens est moyenne, mais les femmes sont généralement

petites15• Cependant, vu la diversité des nations indiennes, il y a des différences entreelles. Leur teint n'est pas noir, comme beaucoup le croient, mais basané, surtout celuide ceux qui ne portent pas de vêtements, car ils sont très fortement bronzés par lesoleil. Inversement, j'ai connu des missionnaires qui par leur couleur pouvaient rivali­ser avec les Indiens, surtout s'ils brillaient auparavant par leur extrême blancheur.Cependant, quand les Indiens sont déjà bien habitués à la réduction, ils deviennentbeaucoup plus clairs, surtout les femmes 16 car elles s'exposent moins au soleil. J'en aimême vu de la nation appelée Meque 17, peu différentes des18 Européennes, si ce n'estpar un teint plus pâle dû à un manque de nourriture. Par ailleurs, je puis affirmer quetous les Indiens sont en général d'une constitution parfaite, agiles, rapides et sansaucun défaut corporel. Cela m'a d'autant plus étonné que je connaissais parfaitementla très grande insouciance avec laquelle les parents élèvent leurs enfants, abandonnés àeux-mêmes comme des chiens. Ils ne sont pas emmaillotés et n'ont pas les pieds et lesmains fermement ligotés. Pourtant, jusqu'ici, les Européens avec toutes leurs précau­tions ne sont pas parvenus à éviter à leurs enfants les bosses et bien d'autres infirmités,dont je n'ai trouvé trace chez aucun Indien dans toute l'Amérique qu'en grande partiej'ai parcourue; et qui plus est, je n'en ai jamais entendu parler par d'autres personnesavec qui j'ai abordé ce sujet.

15 À titre d'indication, voici en 1985 les tailles moyennes d'adultes de plus de vingt ans de Santa Rita,communauté essentiellement moxo (surtout ignaciano et trinitario) située à 21 km de San Ignacio de Moxos(province Moxos du département du Béni en Bolivie) et à 90 km de Trinidad: 1,647 m pour les hommes et1,525 m pour les femmes (voir bibliographie additionnelle: LAURE 1987).

16 Littéralement: le sexe inférieur.11 Il s'agirait probablement selon Barnadas (1985, p. 77, note 1) des Mequéns, signalés au Brésil et faisant

partie de la famille Tuparl (voir bibliographie additionnelle: TOVAR 1961).18 Littéralement peu inférieures aux.

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274 Joseph LAURE

169. Plerumque graciles.Sunt plerumque corpore graciles, ita ut rarissimus sit, qui ab obeso ventre, ac

maiori pin[q](g)uedine laudari mereatur. Inter mulieres facilius reperies, quas exhoc capite commendes. Nunquam tamen sive

8-3marem, sive foeminam reperi, qure pin[q](g)uioribus Europreis comparari queant.

170. Capilli impexi. ac promissiAntequam [X](Chris)tianos mores addiscant, raro capillos pectunt, quos solutos, utferitatem augeant, plerumque gestant.

171. eorpora pingunt.Corpus duplici colore depingunt, aut potius maculant, inficiuntque. Vnus est rubeus,ex arboris cuiusdam fructu, qui vaginre inclusa grana ruberrima producit, acsotedicta, qure ad solem exsiccata conterunt, contritis aquam, aut oleum cocorumadmiscent, ac tum digito corpus hinc inde, ac faciem ipsam tingunt. Alium coloremijs suppeditat arbor Ionoboco, fructus permagni ferax, cuius succo ad inungendumcorpus utuntur. Is primum n(o)n apparet, at ubi siccatur, obscurus in violaceumvergit, ac nuHis aquis, nulla frictione perditur: sola octo, decemve dierum mora iliumaufert.

172. SculpuntSunt im(m)o Nationes quredam, qure peculiari ferocia alias antecedunt, ex quibusduas ipse habui, nempe Oroto, et Viroco dictas. Hre ad instar illorum, quiIerosolymam quondam peregre profecti brachijs imaginem Salvatoris, aut Crucisinsculpunt, ipsi manus utriusque dorso, ac faciei nunquam delenda crocodil[l]i,simire, aviumve simulacra piscium dentibus acutissimis exsculpunt, ac indeeffluentem sanguinem ollarum fuligine, aut succo ilIo arboris Ionoboco permiscent,quo id assequuntur, ut nisi pellem detrahant, illa obliterare nequeant.

173. Nares. vellabia perforata.Alij cartilaginem medium narium, ori vicinam perforant, et foramini anulum

aliquem, vel filum immittunt, appensis utrinque lapillis, qui dum loquuntur, autincedunt, se se mutuo collidunt, magno eos gestantis gaudio. Alij utrumque labium

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 275

169. Généralement sveltesLes Indiens sont presque toujours minces de corps, de sorte qu'il est très rare de

trouver quelqu'un qui mérite d'être loué19 pour son gros ventre et pour un embonpointimportant. Tu trouveras plus facilement des femmes que tu pourras féliciter à ce sujet.Toutefois, je n'ai jamais rencontré d'homme ou de femme qui puisse rivaliser avec lesplus gros des Européens.

170. Avec de longs cheveux non peignésAvant qu'ils n'adoptent les moeurs chrétiennes, les Indiens se peignent rarement

les cheveux, qu'ils portent presque toujours libres, pour avoir l'air encore plus sauvage.

171. Ils se peignent le corpsC'est avec deux couleurs que les Indiens se peignent le corps, ou plutôt y font des

marques et les colorent. Ils utilisent le rouge, tiré du fruit d'un arbre20, qui donne desgraines très rouges à l'intérieur d'une capsule; ils écrasent ces graines, appelées achiote(rocou), après les avoir séchées au soleil. Puis, après les avoir réduites en poudre, ils lesmélangent avec de l'eau ou de l'huile de coco21, ensuite avec un doigt ils se décorenttout le corps ainsi que le visage. L'autre couleur leur est fournie par un arbre, l'iono­boco, qui donne de très gros fruits dont ils utilisent le jus pour s'enduire le corps. Audébut rien n'apparaît, mais où il a séché, ce jus devient violet foncé et ne part ni à l'eauni en frottant; ce n'est qu'après huit à dix jours qu'il s'en va.

172. Ils se tatouentIl y a même des nations indiennes qui dépassent les autres par leur amour-propre :

j'en ai connu deux, appelées les Oroto et les Viroco. Comme les pélerins qui, partis unjour à Jérusalem, se tatouent sur les bras le Sauveur ou une croix, ces Indiens sescarifient eux-mêmes, avec des dents de poissons très tranchantes, le revers des deuxmains et le visage pour des tatouages indélébiles de crocodiles, de singes ou d'oiseaux.Puis ils mélangent de la suie des marmites ou de ce jus de l'arbre ionoboco au sang quisort. De cette façon, ils arrivent à ce que les tatouages ne puissent s'effacer à moinsd'arracher la peau.

173. Nez ou lèvres percésD'autres se percent, près de la bouche, le cartilage séparant les narines et y intro­

duisent un anneau ou un fil, avec des petites pierres pendantes de part et d'autre de laparoi nasale. Quand ils parlent ou marchent, celles-ci s'entrechoquent pour le plus

19 Comme quoi le jugement de valeur sur l'obésité varie avec le temps et les cultures.20 C'est le rocouyer (achiote en espagnol) ou Bixa orellana, grand arbuste de la famille des Bixacées dont

on tire des graines le rocou, rouge, utilisé comme teinture et comme repel/ent (insectifuge), mais aussicomme colorant naturel des aliments.

21 Il s'agit de fruits de divers palmiers amazoniens qui fournissent de j'huile. Selon Alcide d'Orbigny(voir bibliographie additionnelle), le motacu (Maximiliana princeps), le totai (Cocos totai) et surtout le cuchich(Orbignya phalerata Mart.) sont les principaux.

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276 Joseph LAURE

perforant in medio, cui deinde bacillos in globulum desinentes infigunt, ita ut cumloquuntur, strepitum mutua allisione creent.

174. Aurium magnitudo.Audivi de quadam natione Americana recens ad Ecclesire gremium reducta, [y](ij)sesse usitatum perforare more ab Europreis mulieribus recepto utramque aurem, inquas deinde bacillos semper crassiores infigunt, usque dum foramen eo excrescat, utpisum traduci commode possit. Post modum convolvunt vimen notum, supra modumelasticum, iIIoque dictum foramen replent. Hoc elasticitate sua se se aperit,foramenque sensim auget, ut nucem etiam tra[y]Gi)cere per iIIud queas. Ita iamdiducto foramini appendunt inaurium instar pondus 6 Unciarum, quo pondere, eousque detrahitur auris,

8-4ut etiam humeros attingat.

175. Tibois tricipites.Sed prreferendi sane creteris Indi Tibois dicti, utpote in quibus tria capita videas. Vixnatre prolis faciem, et caput utrinque tabellis stringunt, ut proinde quantum in latumcrescere deberet, id totum in altum excrescat: cum vero portio aliqua eminerecernitur, illam fascia circumligant, ita ut à capite dividatur, et capitis minoris maiorisuperpositi speciem aliquam prreseferat. Hoc iterum stringitur, quousque tertiumprotrudat secundo minus, unde dicta tria capita sat alta: at quia facies, et frons inlatum se se protrudere à tabellis vetita fuit, angustre admodum remanent, et qmeoculos intuentium forte magis, quam ipsa capita offendunt.

176. Alij lividi.Alij denique sunt, qui toto corpore, ac facie, lividis maculis colori fusco intermixtispleni sunt, id quod sanguini illius nationis inhrerere videtur, cum ita in lucemprodeant. Sed quam foedum oculis spectaculum hi bicolores ob[Y]Gi)ciant, vix credipotest.

177. Describuntur alire commis p(ar)tes.

178. Frons.Qui sibi de ampla fronte blandiuntur, velut maioris ingenij, aut capacitatis

indicio, opinionem suam in posterum signis certioribus confirment. Indi enim prout

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 277

grand plaisir de ceux qui les portent. D'autres encore se percent les deux lèvres en leurmilieu, où ils introduisent ensuite des bâtonnets se terminant en boules, de façon quelorsqu'ils parlent celles-ci, en s'entrechoquant, font du bruit.

174. Grandeur des oreillesJ'ai entendu dire d'une nation américaine, récemment amenée au sein de l'Église,

que ses membres avaient l'habitude de se percer les deux oreilles à la mode des femmeseuropéennes, ensuite d'y introduire des bâtonnets de plus en plus gros pour en élargirle trou afin de pouvoir facilement y faire passer un petit pois. Après ceci, on enrouleune baguette spéciale, très flexible, et on l'introduit dans la perforation de l'oreille.Agissant comme un ressort, cette baguette en se détendant augmente peu à peu le dia­mètre du trou jusqu'à ce que tu puisses y faire passer une noix. Ainsi, l'ouverture ayantdéjà été élargie, on y suspend comme pendants d'oreilles des poids de six onces22 (172,5grammes). Soumise à un tel poids, l'oreille s'étire, parfois même jusqu'à atteindrel'épaule.

175. Les Tibois tricéphalesMais les Indiens tibois doivent être nettement mis à part des autres, car tu peux

voir leurs trois têtes. À l'aide de planchettes, ils compriment les deux côtés du visage etde la tête du nouveau-né, afin qu'au lieu de croître en largeur, elle le fasse tout enhauteur. Puis, quand ils voient une partie qui commence à former saillie, ils l'enserrentavec une bande, pour qu'elle se distingue du crâne et s'y superpose, à la façon d'unepetite tête sur une grande. Cette petite tête est à son tour entourée d'une bande jusqu'àce qu'une troisième tête, plus petite que la seconde, apparaisse. D'où les trois têtesindiquées, tout en hauteur. Mais le visage et le front, n'ayant pas pu s'agrandir sur lescôtés à cause des planchettes, restent très étroits: ce qui frappe particulièrementl'observateur, plus encore que les têtes elles-mêmes.

176. D'autres Indiens bleuâtresEnfin, il y a d'autres Indiens qui sont couverts sur tout le corps, y compris le

visage, de tâches bleuâtres à côté d'autres de couleur noirâtre. Ceci semble être hérédi­taire dans le sang de cette nation, car ils naissent ainsi. Mais la laideur que confèrentces deux couleurs est à peine croyable23 •

177. Description d'autres parties du corps

17824 • Le frontCeux qui sont fiers d'avoir un front large, comme signe d'une très grande intel­

ligence ou de capacités supérieures, devront à l'avenir confirmer leur opinion d'eux-

22 Une once est le seizième de la livre espagnole et pèse 28,75 grammes.23 Nous ne savons pas à quels groupes d'Indiens fait allusion Eder dans ces deux derniers paragraphes.24 Barnadas (1985, pp. 79-81) ne numérote pas ce paragraphe ni les dix suivants.

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278 Joseph LAURE

summe stupidi omnes, ita pariter omnes amplissima fronte, quœ invidiam provocarepossit, gaudent.

179. Oculi.Oculi non oblongi, ut nostrates, sed p[o]ene rotundi, at n(o)n parvi: angulo enim illo,quo lacrymœ confluunt, et quo oculus aliquantum diducitur, Indi prorsus carent.Cœterum oculos habent vivaces, nigros, et summe perspicaces, ut proin sœpe ipsostigridibus contulerim, cum expertus sim noctu eos minima quœque in obscurissimisetiam sylvis, in quœ certo impegissem, caute advertisse, quœ tamen ego, etiammonitus nondum videbam, fueritque opus manus in opem evocare.

180. Supercilia.Supercilia admodum pauca, quœ etiam magno studio, et dolore, quoties succrescunt,evellunt.

181. Barba.Idem paucis illis barbœ pilis faciunt: pilos enim, nisi in capite, alere nolunt. Unde fit,ut eos undique extirpent.

182. Indicium amoris.Scio mulieris maritum amantis indicium, et munus esse, pilos illos, qui infra brachiacopiosiores ipsis etiam crescunt, cum ipse interdiu pro more in lectulo suo decumbit,singillatim evellere.

183. Nares.Nares habent compressas, ac obtusas:

184. Mentum.partem vero inferiorem menti aliquantum prominentem, ut non parum ad simiœmentum accedere videantur.

8-5185. Os. et dentes.Os plerumque sat amplum, diductumque: labia (ru)bra, maiuscula: dentesalbissimos, quod mirum, cum os nunquam el(av)ant, sed maiores, et molis etiamnostris pares, inter se tam bene unitos, ut unus ab alio œgre intemosci queat.Gingivœ illorum ruberrimœ, ut san[q](g)uinem protrudere videantur.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 279

mêmes par des signes plus convaincants. En effet, les Indiens, tous stupides au plushaut point, sont également tous contents de leur très large front qui serait à envier!

179. Les yeuxIls n'ont pas les yeux allongés comme les nôtres, mais presque ronds, pas petits

cependant. En fait, chez les Indiens l'angle situé près du canallacrimal manque totale­ment, ce qui élargit pas mal l'oeil. Par ailleurs, ils ont des yeux vifs, noirs et extrême­ment perçants. C'est ainsi que j'ai souvent comparé les Indiens à des tigres pour avoirfait l'expérience que, de nuit, même dans les forêts les plus sombres, ils enlevaient avecprécaution les plus petites choses contre lesquelles j'aurais sûrement buté, et que moi jene voyais pas, même quand on me les avait signalées, et qu'il fallait ôter avec la main.

180. Les sourcilsChaque fois qu'ils repoussent, les Indiens s'épilent avec grand soin et souffrance

les sourcils qu'ils ont extrêmement peu fournis.

181. La barbeIls font de même avec leur peu de barbe, car ils ne veulent pas se laisser pousser de

poils si ce n'est sur la tête. C'est pourquoi, ils se les arrachent partout ailleurs.

182. Marque d'amourJ'ai constaté que pour une femme c'est une marque d'amour envers son mari et

une obligation que de lui épiler un à un les poils qui lui poussent plus abondammentsous les aisselles, et ceci quand l'homme, selon la coutume, se repose de jour dans sonhamac.

183. Le nezLes Indiens ont le nez étroit et aplati.

184. Le mentonLa partie inférieure de leur menton est plutôt proéminente, ressemblant ainsi

fortement à un menton de singe.

185. La bouche et les dentsEn général, ils ont la bouche assez grande et allongée, des lèvres rouges et plutôt

grosses, des dents très blanches25 , ce qui est remarquable car ils ne se les nettoientjamais, plus grandes que les nôtres et même semblables à nos molaires, bien serrées lesunes contre les autres au point qu'il est difficile de les différencier. Leurs gencives sontsi rouges qu'on dirait qu'elles saignent.

25 La situation semble avoir changé. En effet, en 1985, chez les Moxas de Santa Rita (déjà citée) nousavons, en général, trouvé une dentition en mauvais état (LAURE 1987).

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280 Joseph LAURE

186. Di~itiDigiti manuum sunt breviores nostrat(i)bus, pnesertim minimus. Huius digiti

indicio produntur omnes, etsi Hispani perfecti iudicentur. Certe nisi uterque Parensquatuor ut minus generationibus ab omni Indici seminis permixtione remotus sit,digitus minor vicino admotus, non pertinget usque ad vicini digiti supremumarticulum, sed infra ilIum hrerebit.

187. Pedes.Pedes, cum calceis nunquam adstringantur, libere, sive III longum, sive III latumexcrescunt.

188. Capilli.Capillos habent nigerrimos, asperos, qui tergum p[o]ene attingunt, et in ilIis maximacura, ac sol(l)icitudo.

189. Ungunt oleo.Hos srepe oleo ex amygdalis cocorum prius tostis inungunt, idque triplici de causa:primum, ne assurgant, sed proni, et speculi instar lucentes iaceant: tum ut restuantessolis radios infringant, caputque refrigerent, ac demum ut pediculos y(el) perimant,y(el) arceant, et pulverem, aliasque capitis f[oe](re)ces facilius in fluvio eluant.Videtur enim oleum ilIis id prrestare, quod nobis smigma: unde vidi, quod si interdiuterram foderunt, ut pulverem corpori inhrerentem p[o]enitus excutiant, se se totos inlittore fluvii prius ungunt, fricantque, ac demum in fluvium descendunt. Poenagravissima, et qure non nisi ob insigne aliquod delictum ipsis infligitur, est, capillosvel ad humeros prrecindere: quod sane n(o)n raro miratus sum in hominibus, quicum tantam capillorum curam prre[se]ferunt, ut vel unum, quem forte pectineextrahunt, sol(l)icite domi sure custodiant, reliquis pilis per corpus reliquum sparsisadeo infensi sint, ut eos maximo cum dolore evellant. Causam huius diversitatissciscitanti respondit unus quidam, pilos corporis non esse longos: unde si superciliaumbilicum attingerent, ea non minus, ac capillos capitis excolerent.

8-6190. Ouomodo numerent?

Dicitur communi proverbio, quod qui pauca habet, ea brevi numeret. Et forte exhoc fonte Indos numeri deficiunt, cum quod numerent, non habeant, nisi gradusmiserire, et egestatis re(s)ci[n]s(c)ere velint. Nonnullre nationes numerum sextumattingunt; qure hunc excedat, nullam reperi, nisi adhibita periphrasi, qure apud meos

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 281

186. Les doigtsLes doigts de leurs mains, tout particulièrement l'auriculaire, sont plus courts que

ceux des nôtres. Par cette caractéristique du petit doigt, on reconnaît tous les Indiens,même s'ils ressemblent pour le reste à de parfaits Espagnols. Car, à moins d'être dedeux parents sans aucun mélange avec du sang indien depuis au moins quatre géné­rations, on a le petit doigt, plus court que l'annulaire, qui n'arrive pas jusqu'à ladernière phalange de ce dernier, mais reste en dessous de l'articulation.

187. Les piedsComme leurs pieds ne sont jamais enserrés dans des chaussures, ils grandissent

librement en longueur et en largeur.

188. Les cheveuxLes Indiens ont des cheveux rugueux très noirs qui atteignent presque le bas du

dos et auxquels ils apportent très grands soin et attention.

18926• Les Indiens s'enduisent d'huileIls enduisent leurs cheveux d'huile d'amandes de palmiers amazoniens, amandes

préalablement grillées, ceci dans un triple but: d'abord pour qu'ils ne se relèvent pas,mais tombent droit et restent brillants comme des miroirs, ensuite pour qu'ils atté­nuent les ardents rayons du soleil et leur rafraîchissent la tête, enfin surtout, poursupprimer ou éloigner les poux et pour se débarrasser plus facilement dans le fleuve dela poussière et des autres saletés de la tête. En effet, il semble qu'ils utilisent l'huilecomme nous le faisons d'un liniment. C'est ainsi qu'après avoir bêché la terre pendantla journée et dans le but de s'enlever complètement la poussière adhérente à leur corps,j'ai vu qu'au bord du fleuve ils s'enduisaient d'abord tout le corps d'huile et s'enfrictionnaient, puis qu'ensuite seulement ils descendaient dans le fleuve. Une peinetrès sévère, qui ne leur est infligée qu'en cas de délit particulièrement grave, consiste àleur couper les cheveux, par exemple jusqu'aux épaules. Ce qui m'a souvent beaucoupétonné chez les hommes, c'est qu'alors qu'ils apportent autant de soin à leur chevelureau point que, par exemple, s'ils s'arrachent un cheveu en se peignant avec énergie, ils leconservent avec précaution chez eux, ils soient aussi irrités contre les autres poilsdisséminés sur le reste de leur corps et se les arrachent en se faisant très mal. La raisonde cette différence de traitement, qui pose problème, réside dans le fait que les poils ducorps ne sont pas longs, me répondit quelqu'un. C'est ainsi que si les sourcils atteig­naient le nombril, les Indiens les soigneraient aussi bien que leurs cheveux.

190. Comment comptent les Indiens?Un proverbe dit : qui a peu, le compte vite. C'est peut-être pourquoi les Indiens

manquent de chiffres, car ils n'ont rien à compter, à moins qu'ils ne cherchent à con­naître les degrés de leur misère et de leur dénuement. Quelques nations comptent

26 Barnadas (1985, p. 81) reprend ici sa numérotation et attribue le numéro 174 à ce paragraphe.

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282 Joseph LAURE

h<ec erat. Pro numero septimo dicebant: duo ex alia manu. Pro decimo, amb<emanus, easque interroganti eodem tempore apertas, et digitis protensis monstrabant.Pro undecimo, unum è pede. Pro decimoquinto: unum pedem, cui ab alterotantillum separato apertam utramque manum interdum imponebant. Prodecimosexto: unum ex alio pede. Pro vigesimo: unus homo, simulque et manusprotendebat, et pedem utrumque à terra paululum, oculis eo retortis, elevabat. Eth<ec numerandi methodus, hic etiam terminus.

191. Domus Barbarorum.Nationes ill<e, qu<e domos adhuc barbar<e exstruunt, illas arcendis ciniphibus, et

culicibus potius, quam commoditati aptant. Structura earum rotunda est, quatuor,aut quinque ad summum ulnarum diametri, in qua tota Familia, id est duodecimetiam capita degunt. Altitudo totidem ulnis constabit; pro tecto gramen. Porta[è](e)x eodem gramine palis alligato, [f] eaque tam exigua, ut non nisi manibus,pedibusque rependo ingrediaris: fenestra nulla. Parietes usque ad tectum vix uln<ealtitudinem superant, suntque è sepibus luto iIIitis. In Indicum palatium, in quo prodignitate habitent [y](ij), qui tantopere Indos extollunt, ut etiam Europ<eisanteponant, non alia de causa, nisi quod inter illos primigeniam naturam reperiant, àqua heus! quot nihil profuturis lacr[y](i)mis nos abscessisse deplorant.

192. Indi suppellex.Sed quid maiores <edes ap(p)etat, cui vel ad hanc implendam suppel(l)ex deest?

Si enim Natio ea est, qu<e vestibus utitur, unam quisque habet, quam totam sivevigil, sive donniens indutam habet. Ea autem est vel ex fibris cert<e arboris, quamEcsomoboco vocant, quamque alibi describam, vel è gossypio instar indusij absquemanicis confecta. Huic accedit Iectus ille Indicus, pendulus, Hamaca dictus, quem,cum surgit, reponit. Adde unam, alteramve ollam, totidem pro asservando potu Idequo tardiusl cant(h)aros, sagittarum fascem, et arcum, et suppellectilem omnemconscripsisti.

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jusqu'à six; mais je n'en ai trouvé aucune qui dépasse ce chiffre, si ce n'est en utilisantdes périphrases qui étaient les suivantes chez mes Indiens27 • Pour sept, ils disaient:deux de l'autre main. Pour dix: les deux mains, et ceux que l'on interrogeait les présen­taient ouvertes avec les doigts tendus. Pour onze: un d'un pied. Pour quinze: un pied,sur lequel, légèrement séparé de l'autre, ils mettaient parfois les deux mains ouvertes.Pour seize: un de l'autre pied. Pour vingt: un homme, et en même temps l'interlo­cuteur présentait ses mains et soulevait légèrement de terre ses deux pieds, en lesfixant du regard. Voici leur manière de compter et également ses limites.

191. Habitation des Barbares28

Ces nations, qui sont encore barbares, construisent des habitations en les adaptantplus pour éloigner les moustiques et les autres insectes que pour leur commodité. Leurforme est ronde, d'un diamètre de quatre ou, tout au plus, cinq aunes (soit de 4,75 àpresque 6 mètres) où vit toute la famille, pouvant atteindre douze personnes. La hau­teur est identique au diamètre; comme toit, des palmes tressées29 • La porte, égalementfaite de palmes fixées par des bouts de bois, est si étroite que tu ne peux entrer qu'àquatre pattes. Il n'y a pas de fenêtre. Les parois qui vont jusqu'au toit dépassent à peineune aune (1,2 mètre) et sont constituées de claies enduites de boue séchée. Dans detels palais devraient habiter ceux qui portent aux nues les Indiens, au point de lespréférer aux Européens, pour l'unique raison qu'ils retrouvent en eux la nature origi­nelle ; celle-là dont ils se lamentent que nous nous soyons éloignés30 : larmes inutiles,hélas!

192. Avoir d'un IndienMais pourquoi désirerait-il une maison plus grande, celui à qui manque de quoi la

meubler? En effet, dans le cas où une nation utilise les vêtements, chacun en possèdeun seul qu'il porte nuit et jour. Par ailleurs, cet habit qui ressemble aux longueschemises sans manches est confectionné soit en fibres obtenues de l'écorce d'un arbreque les Indiens appellent echomoboco et que je décrirai plus loin, soit en coton31• À cevêtement s'ajoute ce fameux lit indien, appelé hamac, que l'on suspend et que l'onrange en se levant. Ajoute une ou deux marmites, tout autant de vases pour conserverla boisson dont je parlerai par ailleurs, un carquois plein de flèches, un arc et tu aurasdécrit tout l'avoir d'un Indien.

27 Essentiellement des Baures.28 Dans le sens utilisé par les Grecs et les Romains, à savoir tout peuple étranger. Ici Eder mentionne les

nations indiennes qui ne sont pas encore intégrées dans des réductions.29 Littéralement du chaume.30 Comme le remarque Barnadas (1985, p. 82, note 17), Eder est loin de partager le mythe du bon

sauvage.31 Provenant d'un arbre d'Amazonie. Pour l'echomoboco, voir le paragraphe 308.

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193. Ratio vivendi.Aliœ Nationes sunt, quœ nullibi sedem fixam habent, ideoque domibus carent.

Fortassis hic modus Naturalistis modernis magis arridebit. Ubi copiosa animalia, autpiscium abundantiam reperiunt, ibi sedem figunt sub arboribus, et quousque famesnon urget, morantur. Fugatis vero animalibus,

8-7aut exhausta lacuna; eadem abundantius alibi quœsituri, di(sc)edunt. Mulieresinterea parandis cibis, et potui copioso coquendo incumb(e)nt: matutino enimtempore viri venantur; piscanturve; à meridie pota(n)t usque in seram noctem, autsequentem diem. En! quam naturalis annum iucu(n)de transigendi methodus.

194. Avium educatio.Reperiuntur apud Infideles sat multi canes, et gallinœ. Sed plerumque psit(t)acisomnis generis, alijsque avibus abundant, quarum nempe plum[m]is saltaturi caput,manus, ac pedes ornent.

195. Polygamia.Polygamia apud omnes omnino Americœ nationes viget, et tanta libertate, ut paremadhuc ei, quod sciam, non audiverim. Arbitrarium eni(m?) est cuilibet, in( )dies aliasalijs substituere, augere, vel minuere numerum, alteri suas mulieres, dummodo ipsœassentiantur, abducere: at non illi adhuc subiectas violare, nisi odium incurrere velit,aut interdum apud non nullos vitre etiam certum discrimen.

196. De civilitate Infidelium.Ex omnibus Missionum Peruanarum Nationibus unica erat, qure se, civilitatis, et

humanitatis aliqua specie à brutis diversam testata est. Ea est Natio Baures dicta:Erat quippe decenter vestita, quod alijs paucissimis usitatum:[:] incolebat domos,seminabat stabiliter non solum triticum turcicum, sed et alia quredam hortensia: ethodiedum omnium Missionariorum opinione ex humaniore facie, et nescio quibusalijs externis indicijs inter millenos alios se vel unus Baure prodet.

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193. Façon de vivreIl y a d'autres nations qui n'ont ni résidence, ni domicile fixes. Peut-être cette

façon de vivre plairait davantage aux naturalistes modernes32• Aux endroits où cesIndiens trouvent des animaux ou des poissons en grande quantité, ils s'installent sousles arbres et y restent jusqu'à ce que la faim les oblige à partir. Dès que les animaux ontdisparu ou que les poissons des mares sont épuisés, ils s'en vont les chercher ailleurs oùils sont plus abondants. Dans l'intervalle, les femmes préparent avec soin de lanourriture et, en abondance, de la boisson. C'est que le matin les hommes chassent oupêchent; mais à partir de midi jusqu'à tard dans la nuit ou jusqu'au lendemain matinils boivent. Voici la façon la plus naturelle de passer agréablement le temps!

194. Élevage d'oiseauxChez les infidèles33, on trouve d'assez nombreux chiens et poules. Mais presque

toujours, il y a beaucoup de perroquets de toutes sortes et de nombreux autres oiseaux,dont les plumes servent en effet à orner la tête, les mains et les pieds de ceux qui vontdanser.

195. PolygamieChez absolument tous les peuples d'Amérique, la polygamie est très répandue, et

avec une liberté de moeurs que, jusqu'à présent, je n'ai entendu mentionner nulle partailleurs. En effet, chacun peut à sa guise, d'un jour à l'autre, changer de femmes, aug­menter ou diminuer leur nombre, et même les céder à un autre, à condition qu'ellessoient consentantes. Mais il ne peut pas violer celles qui ne lui ont pas encore étéattribuées, s'il ne veut pas encourir la haine ou même, dans certains cas, prendre ungrand risque pour sa vie auprès de beaucoup de gens.

196. De la civilisation des infidèlesDe toutes les nations des réductions péruviennes, une seule, par une sorte de

civilisation et d'humanité se montrait différente des autres restées sauvages. C'est celledes Baures34• Le fait est qu'ils se vêtaient avec décence, ce que très peu d'autres Indiensavaient l'habitude de faire, qu'ils habitaient des maisons, semaient avec constance, nonseulement du maïs, mais aussi d'autres légumes. Et encore aujourd'hui, de l'avis detous les missionnaires, par son visage plus humain et par je ne sais quels autres indicesde son physique, un Baure, même seul, se distingue d'entre des milliers d'autresIndiens.

32 Eder fait ici allusion aux admirateurs et défenseurs des peuples sauvages restés très proches de lanature. Comme beaucoup de sédentaires, Eder a beaucoup de mal à comprendre les nomades, surtout s'ilssont restés sauvages.

33 C'est-à-dire les Indiens non christianisés.34 Auprès desquels Eder a passé quinze ans.

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197. Domus Hospitum.Moris erat pneterea, dedicare ad excipiendos hospites domum separatam ad idmuneris extractam, qure tota storeis, et non nullis sellulis, [y](ij)s fere, quibus apudnos sutores utuntur, non absimilibus instructa erat: et vasa ea, in quibus hospitipropinabant, varijs plum[m]is erant ornatissima. Imo si forte erat ex nobilioribus,lectum ilIum Hamaca, in quo dorrniret, ultro deferebant: nemo enim ex tota hacNatione super humo somnum capiebat, quod tamen hodiedum etiam pluribuscommune erat. Pingebant iam tum stylo ligneo Baures suas vestes succo cuiusdamarboris corticis excocto, qui primum flavus, iniecto vero luto est nigerrimus.

198. Illorum Reguli.Nec deerant huic nationi sua Capita, quos Arama hodiedum vocant, quorum filiusmaior hrereditario iure in regendo certo familiarum numero Patri defunctosuccedebat, alijs filijs subditorum catalogo adscriptis, at semper cum aliquadistinctione, et veneratione. Is, qui Arama erat, nihillaborabat, utpote cui sub-

8-8(-)diti omnes copiosissimam sementem parabant, et messem suo tempore domibusinferebant. Onus unicum Aramre ilIud erat, ut quotidiano potu suos largissimereficeret, quibus potantibus ipse in lecto bestire instar ad distinctionem reliquorumiacebat.

199. Eorum authoritas.Neque erat nomen inane, aut umbra vana. Si emm quempiam è subditis

sublatum volebat, id creteris insinuabat, qui srepe vix bene percepta Aramrevoluntate mortis reum sive sagittis, sive ligneis ilIis frameis, Macana dictis extemplo èvivis tollebant. At ne id pro libidine faceret, eligebatur quotannis messis tempore àsubditis unus aliquis è Senioribus, qui Aramam indignum quid iubentem corrigeret,et plebi apud ilIum instar Advocati patrocinaretur. Arduum erat hoc munus, etpericuli plenum. Si enim Aramre addictior plebem negligere, cuisque apud Aramamcausas negligentius agere deprehendebatur, à plebe in proxima potationeoccidebatur: Si vero huic contra Aramam faveret ardentius, pari opportunitate iussuAramre à subditis perimebatur.

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197. Maison pour les hôtesDe plus, c'était la coutume de réserver une habitation séparée prête pour héberger

des hôtes. Cette case était entièrement tapissée de nattes et meublée de quelques petitstabourets, presque identiques à ceux dont, chez nous, se servent les cordonniers. Enoutre, les coupes dans lesquelles les invités buvaient, étaient toutes décorées de plumesde différentes couleurs. Et même, si par hasard l'hôte était de très haut rang, on luiapportait en plus ce fameux lit appelé hamac pour dormir. Car personne dans toutecette nation baure ne dormait par terre, ce qui cependant était encore courant chezbeaucoup d'autres peuples. En ce temps-là, les Baures décoraient leurs vêtements avecune tige pointue en bois, enduite du suc extrait par décoction de l'écorce d'un arbrespécial. Cette préparation, tout d'abord jaune, devient très noire quand on y ajoute del'argile.

198. Les chefs chez les BauresCette nation avait même des chefs que, jusqu'à aujourd'hui, l'on appelle arama. Le

fils aîné succède de droit au père défunt dans le commandement d'un certain nombrede familles; ses frères rejoignent ses autres sujets, tout en gardant une certaine distinc­tion et dignité. Celui qui était arama ne travaillait pas, car tous ses sujets lui prépa­raient de très abondants semis et, le moment venu, lui apportaient à domicile larécolte. Le seul devoir de l'arama était, chaque jour, de réconforter copieusement lessiens avec de la boisson. Pendant que les autres buvaient, pour se distinguer d'eux, ilrestait couché dans son hamac comme un animal.

199. Autorité de leurs chefsEt cette charge d'arama n'était pas simplement honorifique et sans pouvoir. Car s'il

voulait faire périr un de ses sujets, HIe faisait savoir aux autres, qui souvent, même sansavoir bien compris la raison de la sentence à mort, décidée par l'arama, ôtaient sur-Ie­champ la vie à l'accusé au moyen de flèches ou de lances en bois appelées macana.Mais pour que le chef ne fasse pas cela par caprice, chaque année à l'époque des récol­tes on élisait un ancien parmi les sujets, chargé de corriger l'arama au cas où il ordon­nerait un châtiment immérité. C'était le défenseur du peuple auprès du chef. Maiscette charge était difficile et risquée. Car s'il était perçu comme étant trop en faveur del'arama, ne prenant pas suffisamment soin du peuple et plaidant mal les causes de cedernier auprès du chef, ce défenseur était tué par le peuple à la première beuverie.D'un autre côté, s'il favorisait par excès de zèle le peuple au détriment de l'arama, cedernier, à la même occasion, le faisait supprimer par ses sujets.

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200. Matrimonia.Hi ut ita dicam Baurenses Reguli in matrimonijs in eundis suas etiam, quas usu

induxerant, leges habebant. Mulier principalis enim, seu illa, cuius filij in dignitatePatri succedere poterant, alterius itidem Aramœ filia esse debebat, quam sibi certoanatum numero, et lapillis albis perularum more elaboratis, ac perforatis, quos colloappensos gerebant mulieres, desponsabat. Gaudebat hœc pari fere cum marito apudsuos authoritate. Utrique dabantur bini famuli, illi quidem viri, qui venationi, acpiscationi incumberent, huic duœ puellœ, quœ ipsam in parando cibo, ac potuiuvarent, erantque mariti concubinœ prœter alias quamplurimas. Die Matrimonij ineundi, deferebatur in lecto sponsa illa principalis à Juvenibus Aramarum filijs,saltabant subditi, et hospites[,] abundabant cibi ex conquisitis prius animalibus, potusoctiduo usque in ultimam ebrietatem protrahebatur. Verum post tantum rerumapparatum nihil in Matrimonio stabile: sat erat, prœplacuisse aliam, aut non esseperitam in parando potu, alias esse iam seniorem, ut canis instar domoe[YlGi)ceretur. Naturœ lumen principium rebus dare potest, at nisi aliud à vera fidepetitum accedat, reperiemus Principes maximos, maximi nominis Imperia gravitererrasse, turpissimaque humanitati stigmata inussisse.

9-1Caput VIII.

Indorum, quoad animi proprietates descriptio.

§I.Referuntur aliquœ

201. Indi definitio.Rem arduam sane aggredior, in qua studentum crisim vix fugiam. Si enim ea,

quœ annis quindecim observavi, inter se confero, tantam rerum oppositionemreperio, ut qua ratione Indum definiam, omnino ignorem. Sola[t](c)io mihi sunt illi,qui cum quadraginta, aut plures etiam annos apud ipsos ex[e](i)gere, ultro fatentur,se in( )dies minus assequi, qua potissimum ratione describendus esset. Idem estHispanorum de suis iudicium. Dicam tamen, quod sentio, et Indi descriptionempotius, quam definitionem hanc Lectori propono. Indus est animal imperfectumhabens intellectum radicalem, et remotum, non vero expeditum, cuius defectumsupplet sensuum interiorum, et exteriorum maior capacitas. Num vera atque apta sithœc Indi descriptio, Lector ex ijs, quœ sub[ylGi)ciam, iudicabit. Cœterum id adverto,esse non nullos, maxime ex ijs, qui ratione muneris frequentius cum Missionario

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200. Mariages des chefsCes roitelets baures, comme je les appelerai, pour leurs mariages, avaient aussi

leurs règles, fixées par la coutume. En effet, l'épouse principale, c'est-à-dire celle dontles enfants pourraient succéder à leur père dans le commandement, devait égalementêtre fille d'un autre arama qui la promettait en mariage contre un nombre déterminéde canards et de petites pierres blanches perforées, polies, en forme de petites poires,que les femmes portent en collier. Cette épouse jouissait presque de la même autoritéque son mari auprès de ses sujets. Chaque époux recevait deux serviteurs: le mari,deux hommes qui se chargaient de la chasse et de la pêche, la femme, deux jeunesfilles qui l'aidaient dans la préparation de la nourriture et des boissons, tout en étantdes concubines du mari, en plus de bien d'autres. Le jour des noces, cette premièreépouse était amenée dans un hamac par des jeunes gens, fils des arama, les sujetsdansaient et les invités avaient de la nourriture en abondance provenant d'animauxchassés auparavant et mis en commun, la beuverie se prolongeait pendant huit joursjusqu'à l'ivresse la plus totale. En réalité, malgré tant de préparation et de festivités, lemariage n'était nullement solide: il suffisait qu'une autre plaise plus au mari, quel'épouse ne soit pas experte dans la préparation des boissons ou qu'elle soit devenueplus âgée, pour qu'elle soit chassée du foyer comme un chien. La loi naturelle peutcertes éclairer les choses de ses principes, mais si d'autres découlant de la vraie foi neles complètent, nous trouverons les plus grands princes, les empires les plus prestigieuxs'égarer gravement et déshonorer l'humanité des fautes les plus infâmes.

Chapitre 8 : Description des qualités et défauts du caractère des Indiens

I. En voici quelques traits

201. Définition de l'IndienJ'aborde ici un sujet très difficile et j'éviterai difficilement la critique des connais­

seurs. En effet, si je compare tout ce que j'ai observé pendant quinze ans, j'y trouve tantde choses contradictoires, que je ne sais vraiment pas comment je pourrais définir unIndien. Mais, c'est pour moi un soulagement de savoir que ceux qui ont vécu quaranteans ou même plus chez eux reconnaissent aussi que, chaque jour qui passe, ils saventde moins en moins comment en donner une première définition. Il en est de même dujugement des Espagnols sur leurs Indiens. Je dirai cependant ce que j'en perçois et jepropose au lecteur plutôt une description qu'une définition proprement dite. L'Indienest un animal imparfait qui a une intelligence foncière, mais cachée et pas vraimentvive; défaut qu'il pallie par des sens, intérieurs et extérieurs, très développés. Mainte­nant, après avoir pris connaissance des faits que je vais présenter, le lecteur jugera sicette description de l'Indien est juste et correcte. Du reste, j'attire l'attention sur le faitqu'il y en a quelques-uns, surtout parmi ceux qui, par leurs fonctions, passent le plus detemps avec le missionnaire, à qui s'applique assez bien la définition classique de

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agunt, quibus solita hominis definitio sat bene competit: et non dubito, temporumdecursu, ac frequentiori hominum commercio eos perfectiorem rationis usumassecuturos. Nec deerant Patres, quibus in mentem venerat non nullos in civitatesHispanorum mittere, qui deinde reduces alijs Magistri forent. Sed oberat eoromconsilijs magna nimis distancia, oberat Indorum Patriam deserentium moestitia, qmemortem plerisque attulisset, oberat frigoris rigor, qui certo omnes, utpote éestuicontinuo assuetos, tumulo intulisset: oberant alia, eaque maximi momenti obstacula,qUée nisi spretis, atque neglectis quam plurimis decretis Regijs, superari nonpoterant.

202. Guam in sententia varius.Quidcunque illi narretur, illico illius assensum consequitur. Et quamvis mille

mendacijs crassissimis, ac summe patentibus fabulam repleas, licet puer sit, qui illamnarret, nihil reperiet, quod vel momento assensum retardet. Veniat illico alter, quirem totam diverso modo proponat, eandem fidem apud eundem reperiet. Hancfacilitatem cum séepe apud me perpenderem, hoc iudicium tuli: illos nunquam ullirei solide assentiri, aut dissentiri, sed intellectum quietum omnino in neutrampartem inclinari, eo, quod assensum aut dissensum elicere vel ignoret, vel omninonegligat. Hinc nulla apud eos fides, sed neque probrum ullum

9-2rem stipulatam, aut promissam negare, alteri dare, datamve adimere, aut permutarenon requisito etiam Domini beneplacito, quod pro more aut supponunt, aut noncurant.

203. Potus avidissimi.Passio, qUée illis supra alias omnes dominatur, est summa illa, et p[0 ]ene

incredibilis erg[o](a) potum suum propensio. Scio Nationes varias in Europa vinoaddictissimas: at si cum Indorum in Csicsam suam propensione comparentur,succumbent. Hanc si propines, Indum ad omnia expeditissimum, ad ardua qUéequepromptum, ex inimico amicum, servum, immo mancipium habebis.

204. Parum continentes.Sunt proclives erga sequiorem sexum, et facile malis amicitijs implicantur: id tamenillis dandum laudi, quod ultra annum éetatis trigesimum illas non producant, ut

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l'homme35• De plus, je ne doute pas qu'avec le temps et des contacts plus suivis avec devrais hommes, ils ne parviennent à développer l'usage de leur raison. D'ailleurs, plu­sieurs Pères pensèrent en envoyer quelques-uns dans des villes espagnoles, pour qu'àleur retour ils soient des maîtres pour les autres. Mais, à ces projets faisaient obstacle latrès grande distance, l'abattement des Indiens dû au fait qu'ils auraient laissé leurpatrie, ce qui les aurait mené pour la plupart à la mort, la rigueur du climat qui lesaurait certainement tous conduits à la tombe, habitués qu'ils sont à un climat toujourstrès chaud, et bien d'autres empêchements, très importants, qui n'auraient pu êtresurmontés qu'en bafouant et ignorant d'innombrables décrets royaux.

202. D'un avis combien changeantQuoi que l'on raconte à un Indien, il l'approuve sur-le-champ. Et bien que tu

émailles l'histoire de mille mensonges, des plus gros et des plus manifestes, ou que cesoit un enfant qui la raconte, il ne trouvera rien qui retarde, ne serait-ee qu'un moment,son assentiment. Si, aussitôt après, vient quelqu'un d'autre qui présente les chosesd'une façon totalement différente, il rencontrera le même crédit auprès du mêmeIndien. Après avoir souvent réfléchi à cette facilité à tout croire, je suis arrivé à laconclusion que jamais les Indiens n'approuvent ou ne désaprouvent fermement quel­que chose: ils laissent leur esprit tout à fait indifférent dans une position neutre, soitparce qu'ils ne savent pas choisir entre accord et désaccord, soit parce que cela leur estcomplètement égal. D'où, chez eux, le manque de parole, mais aussi l'absence de gêneà refuser une chose annoncée ou promise, à la donner à quelqu'un d'autre, à reprendreun cadeau ou à le changer, sans qu'ils aient besoin de l'accord du propriétaire qu'ilssupposent acquis selon leur coutume ou dont ils n'ont cure.

203. Très portés sur la boissonLa passion qui les tient, bien plus que toutes les autres, est cette très forte et donc

presque incroyable inclination pour leur boisson. En Europe, je connais des peuplestrès attachés au vin, mais comparés aux Indiens avec leur penchant pour la chicha(bière de maïs), ils sont battus sans rémission! Si tu offres de la chicha à un Indien, tule verras disposé à tout, y compris aux tâches les plus pénibles, d'ennemi il devient ami,serviteur et même esclave.

204. Peu continents36

Les Indiens sont très attirés par le sexe féminin37 et facilement empêtrés dans desamitiés mauvaises. Mais, il faut cependant leur savoir gré qu'après trente ans ils ne les

35 À savoir animal rationnel, comme le fait également remarquer Barnadas (1985, p. 87, note 1).36 Ce paragraphe n'est pas numéroté par Barnadas (1985, p. 88). Mais Eder lui donne bien un titre dans

son manuscrit original latin, contrairement à ce qu'écrit dans sa note 5 Barnadas qui a surtout travaillé surune transcription, non publiée, faite par un Hongrois.

37 Littéralement inférieur.

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p[0 ]ene otiosum sit in sacro p[oe](re)nitentire tribunali huiusmodi retatis hominemhac super re interrogationibus fatigare; statim enim reponet, se amplius non essepuerum.

205. Qure de C[oe](re)libatu opinio.Illud hic adiungam, qure illorum de C[oe](re)libatu opinio, quis sensus. Nihil in

scholis etiam peritissimis Facultatum Magistris tam arduum, tamque vires intellectusprretergrediens, quam ipsis C[oe](re)libatus. Hic hrerent, hoc illis mysteriorumomnium obscurissimum, hic nodus, quem hucusque solvere in vanum conati sunt.Vir absque muliere, res est, quam dum oculis suis intuentur, credere possibilemnolunt. Credo non esse diem, qua inter se consilia hoc super Ach[y](i)lli non ineant.Testis srepe fui colloquiorum, qure ipsi me ex occulto audiente habuerunt: et cumnocte quadam longius, atque acrius de ea re discrepassent, unus eorum rem omnemdissolvit, dicens, Patres non posse esse viros, sed mulieres. Huic sententire tanquamoraculo, qure nempe opinione illorum omnia dubia è medio tollebat, omnesplenissime assenserunt. Certo, eos nulli labori, aut diligentire pepercisse, ut per faset nefas certiores redderentur, cuius speciei homo sit, qui uxore carere posset. Aliasex me quresierunt, utrum Patrem habuerim ? cumque ego pariter scire vellem eorummentem, cur hrec interrogent, quresivi?

9-3et non sine risu audivi, id ipsis in mentem venisse: esse è mulieribus quasdam, quresacerdotes duntaxat parerent, quin ad hos gignendos Viro commiscerentur. Institiquo fundamento id ipsis occurrere potuisset ? responsum tuli, se bene meminissenarrasse me non ita pridem de Virginibus, qure uti nos Uxoribus, ita ipsre carerentViris, solique Deo in Mo(n)asterijs vacarent. Narraveram nempe ipsis NostrarumMonialium conditionem, et vivendi modum. Has ergo Jesuitarum, quos nempe unicenorunt Infideles reque, ac Xtiani, Matres, et quidem sine Patre, esse censebant. Atcum me et Patrem, et Matrem habere dixissem, im(m)o Fratres, eosque matrimonioiunctos, amplius, quam hucusque hreserunt, spemque mysterium assequendip[o]enitus amiserunt. Quanta hinc Missionarij accedat restimatio, facile quisqueassequetur: ex hoc enim capite censent illi eos alterius speciei, ac conditionis esse, adquam ipsi pervenire nequeant. Faxit Deus, ut opinionem hanc, omnis subiectionisfontem, illibatam servent, qui in illorum vinea laborant: utprimum enim eos paressibi resciverint, cessabit restimatio, subiectio desinet, regnabit desolatio.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 293

continuent pas, au point qu'il est à peu près inutile en confession38 d'importuner unhomme de cet âge par des questions sur ce sujet; car, aussitôt, il répondra que depuislongtemps il n'est plus un enfant.

205. Leur avis sur le célibatIci, il faut que je complète ma description par l'idée et le jugement qu'ont les

Indiens sur le célibat. Dans les écoles, même pour les professeurs les plus éminents desuniversités, il n'y a aucun sujet aussi difficile et dépassant d'autant les possibilités del'intelligence, que la question du célibat pour les Indiens. Ici, ils sont arrêtés. C'est poureux le plus impénétrable des mystères: voici un noeud que, jusqu'à présent, ils tententen vain de dénouer. De leur point de vue, un homme sans femme est une choseimpossible. Je crois qu'il n'y a pas un jour où ils ne se réunissent pour débattre à cesujet, véritable talon d'Achille. Écoutant sans me faire voir, je fus souvent témoin deces réunions entre eux. Même, une nuit, alors qu'à ce propos, plus longuement qued'habitude, ils marquaient leurs désaccords de façon également plus animée, l'un d'euxmit fin à la discussion, en disant que les missionnaires ne pouvaient pas être deshommes, mais des femmes. Tous se rallièrent pleinement à cette affirmation, reçuecomme un oracle, qui à leur avis dissipait en effet tous leurs doutes. Cependant, ils nes'épargnèrent aucun effort ni peine pour être, par tous les moyens possibles, mieuxfixés sur l'espèce d'homme qu'est celui qui peut se passer de femme. Une autre fois, ilsme demandèrent si j'avais un père. Et comme, je voulais savoir pourquoi ils meposaient cette question, je les ai interrogé à mon tour. Et ce n'ai pas sans sourire quej'ai entendu ce qu'ils avaient en tête, à savoir qu'il existait des femmes, qui justementdonnaient naissance à des prêtres, sans avoir eu de relation avec un homme pour lesconcevoir. J'insistai pour savoir sur quoi ils se basaient pour penser cela. Ils me répon­dirent qu'ils se souvenaient très bien de ce que je leur avais raconté peu de tempsauparavant au sujet de vierges dans des monastères, consacrées à Dieu seul, quin'avaient pas d'époux, de même que nous n'avons pas d'épouse. En effet, je leur avaisparlé des ordres de nos moniales et de leur mode de vie. Ainsi, ils croyaient que cesreligieuses étaient, sans l'intervention d'hommes, les mères des jésuites, qui sont effec­tivement les seuls prêtres que les Indiens, chrétiens comme païens, connaissent. Maisquand je leur ai dit que j'avais un père et une mère, et même des frères qui étaientmariés, ils furent plus que jamais dans la confusion et ils perdirent totalement l'espoirde comprendre ce mystère. Chacun peut imaginer quelle grande estime du mission­naire en découle: en effet, les Indiens croient alors que les Pères sont d'une espèce etd'une condition, différentes des leurs, auxquelles eux-mêmes ne peuvent parvenir.Fasse Dieu que ceux qui travaillent dans sa vigne auprès des Indiens, conserventintacte cette opinion, source de toute soumission! Car, dès que les Indiens décou­vriront que les missionnaires sont comme eux, leur grande estime cessera, leur soumis­sion disparaîtra et la désolation règnera.

38 Littéralement au saint tribunal de la pénitence.

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294 Joseph LAURE

206. Proni ad hilaritatem.Si quid in Indis invidia dignum, illud est constans animi hilaritas, et ad

iucunditatem propensio. Sive enim rebus omnibus abundet, sive summa egestateprematur, bene, aut male valeat, sit satur, vel fame, sitique tabescat, pronissimum inrisum habebis. Irruat adversarios, emoriantur cum Uxore filij, obruatur vehe­mentissimis doloribus, faciem non mutat. Mira sane animi constantia, vel potiusstupiditas, qme ex paulo post adducendis patebit amplius. Ceeterum ut ad prioraredeam, tanto affectu iocis, lusui, saltui dediti sunt, ut si anno integro [y](ij)sdemvacare possent, nec teedio, nec molestia ulla afficerentur. Patres ipsos, nisi hilares, etserenos videant, aut timent, aut aversantur: At si eos festis suis interesse videant, sisibi placere testentur, si ea fovere, atque etiam urgere pergant, nihil erit, quod nonipsi quoque summa cum celeritate, ac gaudio exequantur. Reputant enim Indi, cumMissionarium domi heerentem, aut facie ad modestam gravitatem compositacernunt, ipsi omnia displicere, cum averso ab ipsis animo esse, se, suaque contemni,nihilque esse, quod ipsi gratum, iucundumque preestari possit. Suspicioni succeditMissionarij contemptus, supina in rebus omnibus pigritia,

9-4oblocuciones, murmura, et fugee ad proximas sylvas non leve periculum.

207. Famis. et miseriarum patientes.Quam parvo labore Indis constaret virtutum studium, ex nativa eorum maxime

ardua queeque perferendi facilitate colligitur. Quamvis enim suapte natura sintvoracissimi, et reipsa oportunitatem aliquam nacti usque ad stuporem edant, si deinnihil pree manibus habeant, mira facilitate ieG)unium in plures dies protrahent, quinvel verbo, vel laboris soliti omissione indicium illius prodant, minus conqueriaudiantur. Nota erat Missionarijs omnibus voracitas certee Nationis, Canizianadictee, quee reliquas omnes superabat: Sex hujus nationis Indi unius noctis spatiobovem integrum assum absumpsere: et tamen fateri pariter debeo eos famem ferreita novisse, ut palmam omnibus preeriperent, etsi graviori etiam labore vacandumesset. Tanta illos crastinee diei cura angit, quanta nos hesternee: Si pree manibushabet, quod edat, unica refectione, sed quee [nuspiam] (nusquam) interrumpitur,diem transigit.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 295

206. Toujours prêts à rireS'il y a quelque chose à envier aux Indiens c'est bien leur bon caractère, toujours

égal, et leur penchant naturel à la gaieté. En effet, qu'il regorge de tout, qu'il souffre dudénuement le plus complet, qu'il soit en bonne ou mauvaise santé, rassasié ou torturépar la faim et la soif, tu trouveras toujours l'Indien porté à rire. Qu'il ait de gravesdifficultés, que ses enfants et sa femme décèdent, ou qu'il soit en proie à de trèsviolentes douleurs, son visage n'en laissera rien paraître. Vraiment étonnante est cetteconstance dans l'humeur, ou plutôt cette stupidité, qui sera plus évidente après ce quisera dit un peu plus loin39• Du reste, en revenant à ce que j'ai déjà dit antérieurement,les Indiens s'adonnent avec tant de passion aux jeux, aux divertissements, à la danse,que s'ils pouvaient s'y consacrer toute l'année, ils ne montreraient aucun ennui oudéplaisir. S'ils ne voient pas également les Pères joyeux et sereins, ils en ont peur ous'en éloignent. En revanche, s'ils les voient assister à leurs fêtes, s'ils constatent qu'ils yprennent goût, et si les missionnaires vont encore plus loin en encourageant ces fêtes etmême en les soutenant, il n'y aura plus aucune tâche que les Indiens n'exécuterontpersonnellement avec la plus grande rapidité et avec plaisir. Car ils se disent, quand ilsvoient un missionnaire rester dans sa maison ou avec une mine grave, que tout déplaîtà ce Père, qu'il a de l'aversion pour eux, qu'il les méprisent, ainsi que tout ce qui lesconcerne, et qu'il n'y a rien qu'il puisse trouver agréable et à son goût. Au manque deconfiance, succèdent le mépris du missionnaire, une continuelle résistance passive, desreproches, des murmures et le risque non négligeable d'une fuite des Indiens vers laforêt voisine.

207. Endurant la faim et l'adversitéLe fait que la pratique des vertus leur coûterait si peu de peine, proviendrait de

leur très grande facilité innée à tout supporter. En effet, si par la suite ils n'ont plus rienà se mettre sous la dent, bien que par nature ils soient absolument insatiables, profitantvraiment de toutes les occasions pour manger jusqu'à n'en plus pouvoir, ils jeûnentpendant plusieurs jours avec une étonnante facilité, sans en rien montrer par la paroleni par l'abandon de leurs tâches habituelles ni encore moins en se plaignant. Pour tousles missionnaires, célèbre était le solide appétit d'une nation, appelée Canisienne4o, quidépasse celui de toutes les autres: en une seule nuit, six Indiens de cette nationmangèrent rôti un boeuf entier. Cependant, je dois également dire qu'ils supportent lafaim d'une façon telle qu'il est reconnu qu'ils remportent la palme sur tous les autres,même s'ils doivent accomplir un travail très pénible. Ils se soucient du lendemainautant que nous d'hier: s'ils ont suffisamment à manger, ils passent la journée en unseul repas ininterrompu.

39 Dans les paragraphes suivants.40 Caniziana dans le texte latin. Il s'agit très probablement des Canichana (voir note 10 de Barnadas,

1985, p. 90) qui se trouvent dans la Province Mamoré du Département du Beni en Bolivie.

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296 Joseph lAuRE

208. Dolores. nihil curant.At, quod mirum sane, pari, qua famem tolerantia acerbissimos dolores, morbos,

ac ipsam etiam mortem ferunt. Accidit, et utinam non tam frequenter, prrecipuecum templum extruerem, ut, quamvis prolixe, et summa cura omnibus invigilarem,atque continuo periculis obviarem, digitos, iam pedum, iam manuum, colurnnarum,aut aliorum gravissimorum lignorum pondere comprimerent, quos proindenecessum fuerat abscindere circa vicinum fracti membri articulum, ac profluentemsanguinem sistere. Et cum nec chirurgus rerum peritus, nec instrumenta prremanibus essent, res tota cultro aliquo obvio conficiebatur, venis goss[i](y)pio ardentiadustis. Verum, quis describat Indi in tam prolixa, ac poenosa operationepatientiam? nemo, prreter ipsum pedem, aut manum tenebat, et quidem tantaconstantia, ut lignum aliquod scindendum, adurendumque exhibere videretur, quinvellivissimo indicio dolorem testaretur.

209. Nec mortem.Pari animi fortitudine, aut inertia mortem ipsam prrestolatur. Ingrediatur unus

aliquis domum, in qua tres, aut 4 Indi decumbant, et eorum unus cum morteluctatur, creteris bene valentibus. Constet insuper eundem vehementissimis colicre,aut alterius morbi doloribus exagitari. Interrogentur singillatim, num aliquidsentiant: non reperiet, qui se vel regrotum fateatur. Ad Mortis nuntium tam parummutatur, ac si is ad eum minime

9-5spectaret. Anima ipsa, videtur non tam unita, quam adiuncta duntaxat esse Corpori,à quo mira facilitate seiungitur, ut proinde supremas illas cum agone luctantiumangustias non meminerim me in ullo intra quindecim annorum spatium reperisse,etsi per id tempus omnibus prresens adfuerim. Ego quidem huius rei originemNuminis providentire adscripsi, Infe(r)norum hostium vires, quibus facile succum­berent, retundentis; opinioni vero huic temporis decursu firmius adhresi, cumquosdam, qui morti vieini gravissime decubuerant, recuperata valetudine inter­rogassem, num suggestiones aliquas pravas, num angustias animi, num aliquempavorem, tredium, metumve experti fuissent? asseverarunt unanimes, se prorsuspacatos fuisse, ac quietos, nihil sibi in mentem venisse(,) neque mortem se quidquamaut formidasse, aut in posterum formidare.

§ II.Prosecutio eiusdem Capitis.

Ex ijs, qure hucusque retuli, viderit Lector, [quemJ (quod) tetrum chaosIndorum intellectum involvat. Nec abs re: si enim interdum aliquod maioris capa­citatis indieium exhibent, id potissimum in ijs rebus elucescit, e quibus ipsi aliquod

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Missions jésuites d'Amawnie bolivienne 297

208. Ils ne font pas cas de la souffranceMais il est vraiment admirable qu'ils supportent les douleurs les plus aiguës, les

maladies et même la mort avec la même constance qu'ils endurent la faim. En parti­culier, quand je construisais l'église, bien que je veillasse attentivement, avec le plusgrand soin, à tout et que je prévinsse continuellement des accidents, il arriva que soientécrasés des doigts des mains ou des pieds par le poids des colonnes ou d'autres partiesen bois très lourdes: plût au Ciel qu'il n'en eût pas été aussi souvent ainsi! Alors, ilfallait couper ces doigts à l'articulation la plus proche de la partie fracturée, tout enarrêtant le sang qui coulait. Mais, comme il n'y avait ni chirurgien compétent en lamatière, ni instrument adéquat sous la main, tout se faisait à l'aide du premier couteaurencontré et en cautérisant les vaisseaux sanguins avec du coton enflammé. Vraiment,qui pourrait décrire la patience de l'Indien subissant une telle opération si longue et sidouloureuse. En effet, personne, sinon le patient lui-même, tenait le pied ou la main,sans laisser paraître le moindre signe de douleur et avec une telle force de caractèreque, vraiment, il semblait que c'était un morceau de bois qu'on allait couper et brûler.

209. Ils supportent de même la mortIls attendent la mort avec la même force de caractère ou le même détachement.

Quelqu'un entre dans une maison où il y a trois ou quatre Indiens couchés, tous enbonne santé, excepté un qui lutte contre la mort. En plus, ce dernier est accablé par ladouleur très violente d'une colique ou d'un autre mal. Si l'on demande à chacun d'euxs'il souffre de quelque chose, personne ne dira qu'il est malade. À l'article de la mort, ilne se trouble pas, comme s'il ne s'agissait pas de lui. On dirait que son âme n'est pasunie, mais seulement juxtaposée à son corps, duquel elle se sépare avec une étonnantefacilité. C'est pourquoi, je ne me souviens pas, pendant les quinze années passées là­bas, avoir rencontré chez quelqu'un ces très grandes angoisses des agonisants; or,pendant tout ce temps, j'ai été présent auprès de tous les mourants. Il est vrai que, moi­même, j'ai attribué l'origine de leur attitude à la Providence divine qui repousse lesforces des ennemis provenant de l'enfer, auxquelles les Indiens succomberaient facile­ment. Effectivement, au cours de tout ce temps, j'ai de plus en plus fermement adhéréà cette idée, surtout qu'en demandant à ceux qui retrouvaient la santé, après avoir ététout près de la mort, s'ils avaient eu des idées noires, ressenti des angoisses de l'esprit,des frayeurs, une répulsion ou quelque crainte, unanimement ils me répondaient qu'ilsavaient été tout à fait sereins et paisibles, que rien ne leur était venu à l'esprit qui leurait fait craindre la mort ou qui leur fasse avoir peur pour l'avenir.

II. Suite du chapitre 8

Avec ce que j'ai rapporté jusqu'ici, le lecteur peut entrevoir quelle terrible con­fusion envahit l'esprit des Indiens. Et cette affirmation n'est pas sans fondement: car,si parfois ils font montre d'une plus grande capacité, ceci arrive surtout quand ilsespèrent quelque avantage pour eux-mêmes. Mais c'est ce que font aussi les animaux,

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298 Joseph LAURE

commodum sibi sperant: quod cum et animalia faciant, parum inde laudis in ipsosredundare potest. Quare non abs re dixi, esos esse animalia imperfecta, non veroirrationalia, si nempe eorum discursum attendamus. Cuius rei etsi pIura argumentaafferre possem, nolo Cat[h]alogum separatum texere, cum id ex ipsa narrationepassim colliget Leetor.

210. Parvi maioribus. mulieres viris prrestant.Id quotidiana experientia compertum, pueros Viris iam matrimonio iunctis

prrestare: ut proinde plerique Missionarij sedulo urserint pueros, qui vel musica:, velcuilibet alteri arti addiscenda: addicti erant, ut in illa progressus necessariosquantocius facerent, certi plerosque sibi subscri(p)turos, ubi tempore ineundimatrimonij fuerint; alios vero pigerrimos canem instar retrocessuros. Mulieresingenio viros excellunt, inter quas habui non paucas, qua: ioci causa interdum verboaliquo lacessita: responsum et sale, et pipere conditum reddiderunt.

9-6211. Amore nesciunt.

Quam cara omnibus Patria, amici, Uxor, et filij sint, ipsa p[o]ene animaliadocent. Communis eerte omnium hominum opinio ea est, ut hominem, qui aliquidnon amet, dari posse negent. At Indus is est, qui leges ipsas natura: à ca:terisdiversas habere videtur. [Nuspiam] (Nusquam) reperire potui signum aliquod, quo,more reliquorum mortalium, amorem suum in Uxorem, filiosve, testarentur.Premitur non raro fame, et ultima egestate Parens, Mater gravissime decumbit, etqui opem ferat, habet neminem. Quid filius? quid filia? qui humaniores sunt, fortead eos invisent semel, sed opem ut ferant, ut egestati subveniant, ut a:grisopitulentur, cura: Missionarij incumbit. Paria Parentes filijs reddunt. Quoties incidiin reduees è copiosa piscatione filios, qui cum promiscue in obvios dissipassent sibinon necessarios pisees, Parentum fame laborantium, seniove confectorum imme­mores fuere? quoties alios eum Uxore opipare pro more suo edentes vidi, qui fame,et morbo p[o]ene enectis filijs ne buccellam quidem propinarunt, cum tamensuperesset plurimum, quod suis gallinis, aut annatibus pro[YlGi)eere, quam filijsporrigere maluerunt ?

212. Pra: miseria comedunt terram.Hinc fit, ut paIvuli quotidie reperiantur per Missionis compita, aut sterquilinia,

qui cum, quo famem sedarent, habuissent nihil, terram cibi instar edere compulsisunt. Hinc pallor, venter tympani instar turgidus, durusque, facies, et corpus totumtam ex(s)angue, ut spectro potius, quam homini similes esse videantur. Neque tamenPatema viscera moveri se sentiunt: et nisi Missionarius hosce miseros in suorumfamiliarium numerum adoptaret quantocius, actum de illorum vita erat. Et eumà plerique Parentum incuria, inertiave in hoc certum vita: amittenda: perieulum

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 299

ce qui est bien peu en faveur des Indiens. C'est pourquoi j'ai dit, non sans raison, qu'ilsétaient des animaux imparfaits, mais pas irrationnels si nous prêtons effectivementattention à leur discours. Bien que je puisse apporter plus d'un argument à ce sujet, jen'ai pas l'intention d'en dresser une liste à part, car le lecteur peut très bien la faire, englanant ça et là des éléments dans mon récit.

210. Par leurs talents, les jeunes dépassent les adultes et les femmes les hommesPar l'expérience de tous les jours, on constate que les jeunes garçons surpassent en

talents les hommes déjà mariés. C'est pourquoi, la plupart des missionnaires pous­saient soigneusement les enfants qui étaient en train d'apprendre la musique ou unautre art, pour qu'ils fassent le plus vite possible les progrès nécessaires, certains que laplupart d'entre eux en resteraient au point où ils en étaient quand ils se marieraient, etque d'autres, les plus paresseux, régresseraient comme le font les chiens. Les femmessont supérieures aux hommes par leur esprit. J'en ai vu beaucoup qui étaient parfoisprovoquées en paroles par jeu et qui répondaient avec finesse et esprit caustique.

211. Ils ne connaissent pas l'amourEn général, les animaux eux-mêmes montrent combien doivent être chers la patrie,

les amis, l'épouse et les enfants. Certes, tous les hommes croient généralement qu'il nepeut exister un être humain qui n'aime personne. Eh bien, l'Indien est cet être, quisemble avoir ses propres lois naturelles, différentes de celles des autres humains.Jamais, je n'ai trouvé le moindre signe, par lequel les Indiens témoignaient de leuramour pour leur épouse ou leurs enfants, comme le font les autres mortels. Souvent lepère souffre de la faim et du plus complet dénuement, la mère est couchée très grave­ment atteinte, et ils n'ont personne qui leur porte secours. Et le fils? Et la fille? Ceuxqui sont les plus bienveillants iront peut-être les voir une fois; mais leur porter secours,soulager leur extrême pauvreté, soigner les malades, tout ceci est à la charge dumissionnaire. Les parents agissent de même avec leurs enfants. Combien de fois n'ai-jepas vu des fils revenir d'une pêche abondante qui gaspillaient sans raison les poissonsdont ils n'avaient pas besoin, sans penser à leurs parents souffrant de la faim ou épuiséspar les ans! Que de fois n'en ai-je pas observé d'autres manger copieusement, selonleur habitude, avec leur épouse, sans même offrir une petite bouchée à leurs enfantspresque morts de faim et de maladie! Enfin, quand il leur restait beaucoup de nour­riture, ils préféraient la jeter à leurs poules ou à leurs canards plutôt que la donner àleurs enfants!

212. De misère ils en arrivent à manger de la terreC'est pourquoi on trouve tous les jours de jeunes enfants aux carrefours et dans les

dépotoirs de la mission, qui, n'ayant rien pour apaiser leur faim, sont amenés à mangerde la terre. D'où leur pâleur, leur ventre gonflé et dur comme un tambour, avec levisage et tout le corps si livides qu'ils ressemblent plus à des fantômes qu'à deshumains. Et pourtant cela ne remue en rien les entrailles de leurs parents. De plus, sile missionnaire ne prend au plus vite chez lui ces enfants misérables, il en est fini deleur vie. Ainsi, comme, jour après jour, la plupart d'entre eux risquent manifestement

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300 Joseph LAURE

in( )dies delabantur, cum ab ijs nullum commodum unquam percipiant, nullumamoris, aut beneficij minimi indicium experti sint, atque ex adverso vitam, domum,victum, vestem, lectum, et alia omnia Missionario debeant, neque illis indignantur,neque huic unquam grati animi testimonium demonstrant, sed et illos, et hunc pari,id est, nullo affectu prosequuntur, ut proinde, nisi unico proximi amore id faciatMissionarius, mercedis spem aliam sibi promittere nunquam possit.

9-7213. Non sunt truculentiId bonum, eos esse à natura mltlsslmre condi[t](c)ionis; unde non memml meaudivisse unquam, Indum quid acerb[i]us sive in Uxorem, sive in filios, im(m)o necin canem Domesticum, ut ut meritum, intentasse. Si enim ab ipsa hac conditione nonmitigaretur, cum amoTis expers sit, ac ignarus, srevissimre qureque scenre non raroofferrentur. Optabam srepe, im(m)o hortabar etiam pro muneris mei ratione, utDomesticorum suorum vitia ea qua decet prudentia corrigerent; verum surdis mecanere et vidi, et dolui: naturam quip(p)e licet furca expellas, tamen redibit;prresertim quando intellectus spissis tenebris involvitur.

214. Sunt mendaces.Amoris expertes, mendacijs sunt eximij adeo, ut Areopagitis Judicibus negotium

facesserent. An vero hrec eorum tam continua mendacia culpre gravitatem attingant,dubito, cum adverterim eos id respondere, quod primum non menti, sed lingureoccurit: neque verentur sibi ipsis eodem momento contradicere, aut etiam mendaciodetecto effusissime ridere, et ridendo Missionario palam fateri, se aut ioco, auttentandi causa mentitos. Quam nihili hanc mentiendi facilitatem restiment, indeevincitur, quod passim, quidcunque ipsis dicatur, etiam interdum à Patre, illicoadag[y](ij) instar reponant, mentiris, mendax es, quin inde ullus offendatur. Quisnon videat, quanta labore constet delictum aliquod detegere, et reum ad ingenuamejus confessionem pertrahere ? Ut ut enim indicia aggeras, testes advoces, im(m)orem ipsam furto sublatam apud eundem reperias, nihil evinces, se furem, se reum[g?] identidem pernegabit, etsi indicijs omnibus assentiatur. Quod tunc adconvincendum reum inire assuevi consilium, id erat: eum remotis testibus alloqui, etnihil dubitans de delicto, causam duntaxat, cur id admiserit, ex eo blande qurerere:subridebat tunc Indus, rem fatebatur, et eodem risu sciscitabatur, qua via idresciverim? tum pari animi tranquilitate, qua delictum confessus est, subdebat, se idfacere prorsus noluisse; se iam scire, furtum esse peccatum(,) se illud horrere, acproinde rem non esse furatum, sed duntaxat abstulisse, idque ex mero rei desiderio,non vero nocendi cupiditate. Perpendat qurero Lector, quale hoc tribunal, qualeindicium, quis in rebus interdum serijs

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 301

de perdre la vie à cause du manque de soins et de la négligence de leurs parents, dontils ne reçoivent jamais la moindre aide, ils ne font pas l'expérience d'une marqued'amour ni d'un bienfait, si petit soit-il. Par contre, ils doivent au missionnaire la vie, letoit, la nourriture, les vêtements, le coucher et tout le reste. Ces enfants ne sont pasindignés par leurs parents; pas plus qu'ils ne témoignent jamais d'une marque degratitude envers le missionnaire. Vis-à-vis des uns comme de l'autre, ils ont la mêmeattitude, c'est-à-dire qu'ils ne manifestent aucun sentiment; c'est pourquoi, si le mis­sionnaire n'agissait pas uniquement par amour du prochain, il pourrait toujoursattendre en vain une autre récompense.

213. Ils ne sont pas sévèresC'est bien qu'ils soient, par nature, d'un caractère très doux; aussi, je n'ai pas

souvenir d'avoir jamais entendu dire qu'un Indien ait été très dur à l'égard de sonépouse ou de ses enfants, ni même avec un de ses chiens, y compris quand cela eût étéjustifié. Car, si l'Indien n'était pas rendu doux par ce type de caractère, comme il nedonne ni ne reçoit d'amour, on verrait fréquemment des scènes de grande violence.Souvent, en raison de ma charge, j'ai demandé, mais aussi vivement conseillé qu'ilscorrigent, avec la prudence nécessaire, les défauts des leurs; or j'ai constaté et déploréque je m'adressais à des sourds. De fait, chassez le naturel, il revient au galop, surtoutquand l'entendement est enveloppé d'épaisses ténèbres.

214. Ils sont menteursIgnorant l'amour, les Indiens sont d'éminents menteurs, au point qu'ils auraient

donné beaucoup de travail aux juges de l'Aréopage41 • Mais, je doute que leursmensonges continuels constituent de graves fautes, car j'ai remarqué qu'ils répondaientla première chose qui leur venait, non pas à l'esprit, mais au bout de la langue. De plus,ils n'hésitent pas à se contredire presque au même moment ou encore à éclater de rire,si leur mensonge est découvert, et à avouer sans détour au missionnaire moqueur qu'ilsont menti par jeu ou pour essayer. Le fait qu'ils répondent machinalement à tous ceuxqui leur adressent la parole, fût-ce le Père, par un "tu mens!" ou "tu es un menteur!"sans que personne ne se sente offensé, montre qu'ils ne font aucun cas de cette prédis­position à mentir. Chacun peut se rendre compte du travail nécessaire pour élucidern'importe quel délit et pour obtenir de son auteur des aveux sincères. Car, bien que tuaccumules les preuves, que tu cites des témoins et même que tu retrouves l'objet voléchez le suspect, tu n'obtiendras rien de ce dernier qui persistera à toujours nier être levoleur et le coupable, même s'il admet toutes les preuves. Alors, pour convaincre lecoupable à reconnaître sa faute, j'avais l'habitude d'utiliser le procédé suivant: je luiparlais sans témoin et, sans douter de sa culpabilité, avec douceur je lui demandaisseulement la raison pour laquelle il avait commis ce délit. Alors l'Indien souriait,avouait et avec le même sourire demandait comment je l'avais su. Ensuite, avecla même tranquillité d'esprit avec laquelle il avait confessé son délit, il ajoutait qu'il

41 Premier tribunal d'Athènes qui siégeait sur la colline consacrée au dieu Arès.

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302 Joseph LAURE

9-8procedenti modus? an non risu, admirationeque digni tam senes pueri? quo nonrobore, qua fortitudine, et patientia, ut ista quotidie prompto animo perleras, opus?Neque reputet quis, litem, etsi nullius momenti esse videatur, pro arbitrio, aut renon optime inspecta dirimi posse: si enim alteruter litigantium secum sinistre actumsuspicetur, se contemni à Patre reputabit, eaque secum consilia inibit, qme nonminus Judici, quam toti s<epe Missioni damnum, aut perniciem sunt allatura, utipaulo infra videbitur.

215. Ad furta proclives.Res, qu<e s<epissime in iudicium veniunt, sunt minoris momenti furta, earum

nempe rerum, qu<e absum[m]i possunt, ut platani, ~, triticum turcicum, et hissimilia. Res enim maioris <estimationis non facile attingunt; eas vero, quas ad Patremspectare norunt, aut ad Ecclesiam, omnino nunquam: ut proinde huius portée innulla, quod sciam Missione, obser[r]at<e unquam fuerint, im(m)o nec cist<e ill<e, inquibus ea, qu<e ornatui altarium deserviunt, reponebantur, etsi non pauca ipsissurnrnopere arriderent. IlIa vero, qure juxta superius dicta furto obnoxia esse dixi,tanta libertate sibi prreripiunt, ut iam usu, et consuetudine firrnata diceres. Certe siquis se alterius sementem pr<eterivisse narret, quin maturum iam platani racemumsustulerit, aut binas ad minus Yucre radices, auditorum omnium admirationem,im(m)o risum provocabit, neque unum ex omnibus reperiet, qui dictis ipsius fidemhabeat. Contigit, ut familiari colloquio ipsis quadam die Protoparentum nostrorumpeccatum proponerem; quod ubi avidis primum auribus excepissent, adverti eos vixrisum tenere potuisse. Cumque in risus causam indagarem, reposuerunt, se idemfacturos fuisse, eo quod oculis intueri fructum maturum, bonum, ac elegantem, etnon etiam decerpere, ipsis videretur impossibile: si enim is Dei erat, eumque ipsevoluisset, oportebat Protoparentes provenire.

216. Timidi principio. sed postmodum srevi.Ut pueros ubique videas, aut pueris deteriores, merum in adeundis periculis

inspiciamus. Ego quidem cum illis ne quidem contra passeres congredi auderem.Verum est eos, cum de periculis adhuc futuris, remotisque agitur, esse audacissimos:tune inimicum uno ictu conficiunt, et in frusta discerpunt; at scio etiam nationemcuiusdam Missionis, quom

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 303

n'avait absolument pas voulu le commettre, qu'il savait que le vol est un péché dont ilavait horreur, et que c'est pourquoi il n'avait pas volé, mais seulement pris l'objet parsimple envie et pas du tout dans l'intention de faire du tort à autrui. Je souhaite que lelecteur considère attentivement quel est notre tribunal, quelles sont nos preuves etquelle est notre façon d'avancer dans des affaires parfois sérieuses. Mais, est-ce que desi grands enfants ne méritent-ils pas sourire et admiration? Quelle vigueur, quelleénergie et quelle patience ne faut-il pas pour, quotidiennement, mener à bien tout celaavec entrain? Mais que personne ne pense qu'on peut trancher un différend de façonarbitraire ou sans l'examiner à fond, même s'il semble n'être d'aucune importance.Car, si l'un des deux plaignants se figure que l'on a mal agi envers lui, il pensera que lePère le méprise et il commencera à ruminer cette idée, source de préjudice ou mêmede perte, non seulement pour le juge, mais souvent aussi pour toute la mission, commenous le verrons un peu plus loin42 •

215. Enclins au volLes affaires qui le plus souvent viennent en jugement sont des vols de peu

d'importance, c'est-à-dire concernant ce qui peut être consommé, comme bananes,manioc, maïs et autres denrées du même genre. En effet, les Indiens ne portent pasvolontiers la main sur les objets de plus grande valeur et jamais sur ceux qu'ils saventappartenir au missionnaire ou à l'église; c'est pourquoi les portes de cette dernière,dans aucune réduction, à ce que je sache, n'ont jamais été fermées à clé, pas plus queles coffres contenant les ornements des autels, bien que beaucoup de ces ornementsleur plussent au plus haut point. Quant à ce que je viens juste de citer comme étantobjet fréquent de vol, les Indiens le prennent avec tant de liberté, que tu dirais que celaest maintenant encouragé par l'usage et la coutume. Certainement, si quelqu'unraconte, qu'en passant près d'un champ d'autrui, il n'a pas pris un régime de bananesdéjà mûres, ni même deux tubercules de manioc, il suscite l'étonnement et même lerire de tous les auditeurs. Et personne ne croit ce qu'il a dit. Un jour, il arriva que jeracontai, au cours d'une simple conversation, l'histoire du péché originel de nospremiers parents. Au début les Indiens écoutaient très attentivement, puis je me suisrendu compte qu'ils pouvaient à peine se retenir de rire. Et comme je m'enquérai dumotif de leur rire, ils me répondirent qu'ils auraient agi de même que nos premiersparents, parce qu'avoir sous les yeux un beau fruit mûr et appétissant, sans le cueillir,leur paraissait impossible. Enfin, si ce fruit appartenait à Dieu et qu'Ille voulait pourLui seul, Il aurait dû en avertir nos premiers parents.

216. Timides au début, mais redoutables par la suiteÀ supposé que tu les voies tout le temps comme des enfants ou inférieurs à ceux-ci,

regardons de près leur peur à affronter le danger. En ce qui me concerne, avec eux, jene me risquerais même pas à toucher un de leurs oiseaux! Tant il est vrai que, quand il

42 Voir le paragraphe 228, avant-dernier paragraphe de ce chapitre 8.

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304 Joseph LAURE

10-1tamen cceteris omnibus robore, ac constantia prcestare opinio erat, viso in sylvisunico Indo Infideli fugam tam prcecipitem arripuisse, ut Patrem ipsum, qui eossistere conabatur, cceco impetu in terram deiecerint, eumque solum reliquerint, abInfidelibus, si supervenissent vel trucidandum vel capiendum. Alias decreverat certaIndorum natio Pa(trem) occidere, cuius rei nuntium ad ip(sum) prcemiserant.Aderant tempore opor(tuno) quinquaginta circiter, plumis more (f)estivo omati, etsagittis annati, et fo(r)u(m) saltantes ingressi sunt. Misso iterum (n)unti(o), qui seadesse diceret, Patrem à tugurio suo in forum evocant. Venit Pater, sdop(et)ifistulam rubigine ob(duc)ta(m), davi, ac reliquis necessariis rebus (d)esti(t)utammanu portans: iam propior (f)actus eos interrogat, quid vellent: resumunt, te sagittisconficere. Bene equidem, inquit Pater, at si(n)ite me prius mea quoque armaful(gitrui)bus onerare. Consentientibus illis, (e)xtrahit Pater septem glandesplumbeas, .yrg.? enim pulveris nihil aderat, easque inspicientibus illis(, ac?) solerternumerantibus(,) sclop(et)o immittit: (t)um, paratus sum, inquit, et sdop(et)um in(h)ostem dirigit: nescio utrum id (v)iderent, tam prcecipiti nempe fuga (im)petuosiso(v?)ibus, apud quos deinde amo(r)em, revere(nti)am, et ob[e](œ)die(nti)am adomnia promptissimam expertus est. Verum, quam initio timidi, et pusillanimes, tamscevi, ac inhumani progressu temporis fiunt, maxime si cedere inimicum advertant.Experti sunt id Lusitani, qui munimentum Hispanorum in Missionibus aggressi sunt,uti in Dissertatione narravi. Cum enim illud in vanum aliquot horis oppugnassent,veriti auxiliares copias, quas quidam adventare dicebat, fugam prcecipitemarripuerunt. Vix id viderant Indi Hispanorum in prcesidio socij, quand[e](o) eosinsecuti sunt, non alijs armis, quam securibus armati, ac tanta barbarie in ipsa sivemorientium, sive iam mortuorum cadavera scevierunt, ut modum, ac humanitatemomnem sint prcetergressi, quin ab ullo detineri, aut mitigari potuissent.

217. Sunt capacitatis valde limitatce.Qui capacitatem Indorum ex eorum artefactis metiri voluerit, gravissime sibi ipsi

imponet: etsi enim quiquid videant, affabre imitentur, uti alibi fusius referam, tamendexteritas illorum tam exigua est, ut etsi mille eiusdem artis specimina elaboret, nihildiverti ultimo operi admisceat, ut proinde eodem modo, quo primum tentavit,

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 305

s'agit de danger, même futur et lointain, les Indiens sont très audacieux: ils détruisentalors l'ennemi d'un seul coup et le mettent en pièces. Cependant, je connais aussi desIndiens d'une réduction d'une nation qui, pourtant, était censée dépasser toutes lesautres par sa force et sa fermeté, prendre la fuite dans la forêt, à la vue d'un seulpaïen43, si précipitamment que, dans leur empressement aveugle, ils renversèrent lePère qui tentait de les arrêter et le laissèrent tout seul, au risque d'être tué ou enlevépar les païens si d'autres arrivaient. Une autre fois, les Indiens d'une nation avaientdécidé de tuer le missionnaire. Pour l'en informer, ils lui envoyèrent un messager. Lemoment venu, environ cinquante hommes ornés de plumes de fête et armés d'arcs etde flèches arrivèrent en dansant sur la place. Ils lui envoyèrent de nouveau un messagerpour lui dire qu'ils étaient là et pour le faire venir de sa hutte à la place. Le Père arriva,portant à la main un canon de fusil rongé par la rouille et dépourvu de chien et desautres pièces nécessaires. Alors, s'avançant, il leur demanda ce qu'ils voulaient. Ils répé­tèrent: te tuer avec nos flèches. D'accord, répliqua le missionnaire, mais auparavantlaissez-moi aussi charger mon arme avec des munitions. Les Indiens y consentirent, lePère sortit alors sept balles en plomb, car il n'avait pas de poudre, que tous regardaientattentivement et comptaient minutieusement; puis il les introduisit dans son fusil. Jesuis prêt, dit-il alors, en dirigeant son arme vers l'ennemi. Ses impétueuses ouaillesprirent la fuite si rapidement que je ne sais pas s'ils virent le fusil! Par la suite, le Pèretrouva auprès d'eux affection, crainte respectueuse et obéissance empressée en tout.Mais, en vérité, autant ils sont timides et pusillanimes au début, autant au cours dutemps ils deviennent redoutables et cruels, surtout s'ils voient l'ennemi lâcher prise.Les Portugais l'apprirent à leurs dépens, quand ils attaquèrent un fortin des Espagnolssitué dans la zone des réductions, comme je l'ai raconté dans la Dissertation pré­liminaire44

• En effet, alors qu'ils l'attaquaient en vain depuis quelques heures, craignantl'arrivée de troupes ennemies de secours que quelqu'un disait approcher, ils prirentprécipitamment la fuite. À peine les Indiens, qui étaient avec les Espagnols dans lagarnison, virent la retraite des Portugais, qu'ils les poursuivirent, sans autres armes quedes haches, et se déchaînèrent avec une égale barbarie sur les corps des moribondscomme de ceux qui étaient déjà morts, dépassant toute borne et toute marqued'humanité, sans que personne ne puisse les retenir ni les calmer.

217. Dotés de capacités très limitéesCelui qui voudrait apprécier les capacités des Indiens à partir de leur artisanat,

s'impose une très lourde tâche. Car, même s'ils savent imiter avec art tout ce qu'ilsvoient, comme je l'expliquerai plus amplement ailleurs45 , leur habileté est cependant silimitée que, même s'ils exécutent mille fois la même pièce, ils ne la modifieront enrien jusqu'à la dernière copie; c'est ainsi que de la même façon qu'ils ont fabriqué lapremière oeuvre, ils achèveront la dernière, à moins que quelqu'un ne leur apprenne

43 Littéralement infidèle, au sens de n'ayant pas lafoi (chrétienne).44 Paragraphe 76.45 Au chapitre 5 du livre 3.

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ultimum perficiat, nisi ab alio novi quid edoceatur. Unde artes omnes parum, autnihil incrementi ab ijs adquirerent.

218. Vitae neglectus.Sed nullibi magis patet, quam ex asse ipsis conveniat data descriptio, quam ex

illa negligentia vitam ipsam tuendi. Quoties eorum, qua: in mea Missione expertussum, recordor, vix non dubito, an vel animalium appellatio ipsis iure competat.Scimus enim, qua solertia ha:c non solum vitae, sed et valetudinis, conservanda:adlaborent, quo conatu pericula eius amittenda: aut pra:vertere, aut declinarenorint. In Missionibus, utpote ubi inter tot inimicos continuo agunt, id melius, quamalibi palpatur. Quis enim mulum, aut equum inducet unquam, ut viam, qua fortenocte pra:cedenti transierat tigris, ipse quoque aut insistat, aut saltem transiliat?pellem cum vita sibi eripi patietur, quam ut propius vel vestigio terra: impressoaccedat. Quis turmas vaccarum, aut equorum pascentium à pra:cipiti fuga contineat,si allatum vento tigridis odorem percipiant, etsi ha:c forte tribus passum millibusabsit?

10-2Quis canem sitientem potare videbit, si conditum illis aquis sentiat Crocodil[l]um?Et tamen animalibus stupidiores Indi non solum cavere, aut sibi prospicere, sed neaperta quidem, certissimaque pericula devitare noront. Et ne rem exagerare videar,bina exempla dabo, quorum ego testis fui.

219. Exemplum t[y](i)gridis.Redibant ex quodam itinere bini Indi mei pedites, cumque silvulam quandamingressi fuissent, ubi noctem agere decreverant, lectulos suos, sive Hamacasarboribus aptant, atque quietem aliquam capturi sole nondum occiduo decumbunt.Aderat in vicinia tigris, qua: oportunitatem hauriendi humani sanguinis, quem pra:aliis omnibus appetit, clanculum accedit, atque ex improviso Indum decumbentemassilit. Sed irnpetu nimio pra:tersilijt lectum, in quem pedibus duntaxat impegit, utproinde Indum in terram effuderit. Clamore uterque Indus tigridem terruit, ac ininteriora sylva: compulit. Quis non credat Indum hunc tam feliciter elapsumsecuriora qua:sivisse, cum id nulla labore facere potuisset: aderant enim non longeduodecim Indi equites, qui eum cum socio iam prius invitaverant ad coenam, quaipsi carebant? quis non exemplo socij lectum in arborum cacuminibus, quo nempetigris sequi nequivisset, alligasset? nequaquam: eodem loco decubuit, ubi et àreduce tigride misere occisus, discerptusque fuit, ac dein à reliquis in Missionemdeportatus, illatus tumulo.

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quelque chose de nouveau. C'est pourquoi, tous les arts n'ont que peu, ou pas du tout,progressé grâce à eux.

218. Négligents de leur vieEn définitive, les exemples que les Indiens donnent eux-mêmes de la négligence

avec laquelle ils veillent sur leur propre vie, sont encore ce qu'il y a de plus convaincant.Chaque fois que je me remémore ce dont j'ai été témoin dans ma mission, je ne medemande plus avec peine si l'attribut d'animaux leur convient avec raison. En effet,nous savons avec quelle ingéniosité les animaux prennent soin, non seulement de leurvie, mais aussi de leur santé, et avec quels efforts ils savent éviter ou prévenir lesdangers qui les menacent. Mieux qu'ailleurs, c'est dans les réductions, qu'on peutobserver cette adresse, car les animaux y sont continuellement au milieu de beaucoupd'ennemis. Qui donc arrivera à faire prendre par un mulet ou un cheval un chemin oùest passé d'aventure la nuit précédente un tigre46 ? Ou la monture s'arrêtera ou ellesautera par-dessus le sentier. Elle se laissera arracher la peau et la vie plutôt que des'approcher des traces du tigre laissées sur le sol. Qui arrêtera au pâturage la fuiteéperdue de troupeaux de vaches ou de chevaux qui ont senti l'odeur du tigre, amenéepar le vent, même s'il est à trois mille pas? Qui donc a jamais vu boire un chienassoiffé, s'il a repéré un crocodile caché dans l'eau? Et pourtant les Indiens sont plusstupides que les animaux, car ils ne savent pas être sur leurs gardes ni se protéger niéviter les dangers les plus certains, pas même les plus évidents. Et, pour qu'on ne croiepas que j'exagère, je vais donner deux exemples dont j'ai été témoin.

219. L'exemple du tigreDeux de mes Indiens revenaient à pied d'un voyage. Alors qu'ils entraient dans une

petite forêt, ils décidèrent d'y passer la nuit. Ils tendirent entre des arbres leur hamac,qui leur sert de lit, et s'y étendirent pour prendre quelque repos au soleil couchant.Dans les environs, errait un tigre qui s'approcha en catimini, profitant de cette occasiond'avoir du sang humain, qu'il préfère à tout autre. Alors, inopinément, il s'élança versun des Indiens couchés. Mais, d'un bond trop puissant, il sauta par dessus le hamacqu'il ne heurta qu'avec ses pattes, faisant ainsi tomber l'homme à terre. Par leurs cris,les deux Indiens firent fuir le tigre et le chassèrent au plus profond de la forêt. Tout lemonde va croire que cet homme, qui s'en était sorti si heureusement, irait chercher unlieu plus sûr, ce qu'il pouvait faire sans difficulté: en effet, tout près de là, se trouvaientdouze Indiens à cheval qui juste auparavant les avaient invités, lui et son compagnon, àpartager leur souper, car les deux n'en avaient pas. Qui n'aurait pas tendu son hamacau sommet des arbres, où le tigre ne pouvait pas l'atteindre, comme le fit son com­pagnon? Pas du tout, il reprit la même place pour dormir, où il fut horriblement tué etmis en pièces par le tigre qui était revenu. Par la suite, ses restes furent ramenés par lesautres Indiens à la mission, où ils furent enterrés.

'6 Il s'agit du jaguar (Panthera onca).

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220. Exemplum c(r)ocod[r]il[l]i.Alter pisces qua:siturus exierat, et locum à crocodil[l]is notum sibi delegit.

Pisciam genus, quod qua:rebat, Motiyo vocatur, quod in ripa: cavemis degens,manibus extrahitur, ut proinde aquis immergi piscatorem sit necessum. Vix inceperatIndus mergi, quando ex adversa fluvij parte pra:grandis crocodil[l]us adnatabat:E(x)tulerat fessus sub aquis Indus caput, et viderat monstrum ferox, quidque sibisperandum esset, optime intellexit. Interea substitit bestia. Mergitur secundo Indus,accedit vicinius crocodil[l]us, iterumque viso super aquas Indo ha:ret. Nihilo cautiorIndus, cum ab piscatione sua non desisteret, licet iam proximum inimicumintueretur, quem facillime fugere poterat littori vicinus, tandem cum iterumemergeret, ab hoste captus

10-3est primo per latus, deinde per brachium: verum cum cultro aitera manu continuofatigaret bestia: caput etiam subter (a)quas, quo cum iteratis vicibus submerserat,rata moriturum, brachium à reliquo corpore avulsit, quod dum c(r)ocod[r]il[l]usdentibus comminuit(,) Indus feliciter aitera manu in littus enatavit, et una (cu)mpiscibus suis pedes ad Missionem redivit, sequenti die moriturus. Piura id generisexempla in medium afferre possem, nisi ad alia properarem. Videat interea Lector,num ha:c sint indicia hominis, aut animalis vitam suam amantis? Utinam tamfunestis eventibus sapere didicissent reliqui. Sed ha:c illos non movent; ea, quasolebant antea securitate periculis se obtrudunt, eodem fato plures quotannispereunt, et peribunt. Verum quidem est, neminem esse, qui viso simili infortunionon accuset miseri incuriam, audaciam improbet, temeritatem disertissimeexag(g)eret, et fatum vix non probet: sed verba sunt, quibus aerem verberant, et qua:is, qui omnium maxime hodie peroravit, altera die forsan promerebitur, et inproprium Caput provocabit.

§ III.Continuatio eiusdem Capitis

221. Proclives ad libidinem.Quam cautos oporteat esse Parentes coram prolibus, quam coram pueris verbis,

gestuque modestos etiam eos, quibus per matrimonij leges piura licita sunt, exemplo,nullis lacr[y](i)mis satis deplorando probant Indi illarum partium. Neque enim exalio fonte dimanat tanta, tamque pra:matura in pueris lascivia, quam à Parentumsuorum, atque ca:terorum omnium cum Uxoribus suis agendi licentia. Unde mos illeapud oornes Missionarios obtinuit, ut quamprimum statutos à iure annos attingis-

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 309

220. L'exemple du crocodileUn autre Indien était sorti à la recherche de poissons et il choisit un endroit connu

pour ses crocodiles. L'espèce de poissons qu'il cherchait est le motiyo47 qui vit dans lesanfractuosités des berges et que l'on pêche à la main; mais, pour cela, il fauts'immerger complètement. L'Indien avait à peine plongé sous l'eau que, de l'autre rive,un énorme crocodile se mit à nager vers lui. À bout de souffle, le pêcheur sortit la têtede l'eau et, voyant le monstre féroce, comprit parfaitement ce qui l'attendait. Sur cesentrefaites, l'animal s'arrêta. L'Indien plonga une seconde fois, le crocodile se rapp­rocha et guetta à nouveau le pêcheur qu'il avait vu hors de l'eau. L'Indien ne fut en rienplus prudent, car il n'abandonna pas sa pêche, bien qu'il vît maintenant proche sonennemi et qu'il pût très facilement fuir, étant près de la berge. À la fin, au moment oùil sortit à nouveau de l'eau, le pêcheur fut happé par son ennemi, tout d'abord par lecôté puis par un bras. Mais, pendant qu'il frappait sans arrêt la tête de la bête avec lecouteau qu'il tenait dans l'autre main, y compris sous l'eau où le crocodile l'entraînaplusieurs fois dans le but de le noyer, le reptile lui arracha du reste du corps le premierbras qu'il déchiqueta ensuite avec ses dents; alors, l'Indien réussit à se sauver, ennageant avec son autre bras jusqu'à la rive, puis, d'une traite, avec ses poissons, il revintà pied à la réduction où il mourut le lendemain. Je pourrais encore donner plusieursautres exemples du même genre, si je ne voulais passer rapidement à d'autres sujets.Pendant ce temps, que le lecteur considère si ces faits sont des marques d'un hommeou d'un animal attaché à la vie. Si seulement, par ces accidents mortels les autresIndiens apprenaient à être prudents! Mais ils ne sont pas impressionés par cesévénements: ils continuent à affronter le danger avec la même insouciance qu'aupa­ravant. Ainsi, avec la même fatalité, tous les ans meurt et continuera à mourir un grandnombre! Certes, il est vrai qu'il n'y a aucun Indien qui, témoin d'un tel malheur, nereproche à la victime sa négligence, ne désapprouve très clairement et expressémentson audace, et qui, en général, n'approuve son sort. Mais ce ne sont que des paroles enl'air et celui qui parle le plus aujourd'hui, demain peut-être méritera ces mêmesreproches et les attirera par sa conduite.

III. Seconde suite du chapitre 8

221. Penchant pour le sexeLes Indiens de ces régions, dont l'exemple est à déplorer avec des larmes jamais

suffisantes, prouvent combien vigilants doivent être les parents en présence de leurprogéniture, combien ils doivent être réservés dans leurs paroles et leurs attitudes enprésence de leurs enfants, même ceux pour qui beaucoup de choses sont licites selonles lois du mariage. Car, la si grande et si précoce lasciveté des enfants n'a pas d'autre

47 Nom baure Qui serait une espèce d'anguille d'après Eder (paragraphe 441).

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310 Joseph LAURE

sent, iungerentur: quin tamen inde, in copiosa etiam Missione assequeremur, mSI

rarissime, ut Virgines nuptiarum diem attingerenl. Id tamen in tanta morum pra­vitate, in tanta intellectus crecitate, laude dignissimum habent, quod a consanguinea,ut ut sit remota, summopere abhorreant, nec unquam illicita inter se haberecomercia deprehensi fuerinl. Certe, cum sponsalibus iungendis assisterem, stoma­chum, et bilem non semel moverunt, cum se repudiarent mutuo non alio ex Capite,quam quod consanguinitatem in aliquam, etiam remotissimam, et vix improbolabore detegendam,

10-4intercedere somniarent, cui nec amplissima illa dispensandi facultate obviarepoteram, ipsis, qui naturam pro Duce habent, assentiri nolentibus.

222. Culpam inepte à se removen(t).Sunt et in hoc sane lepidi, quod culpam de se, ut ut levem, fateri recusenl.

Perdat Indus quidpiam, aut frangat, nunquam dicet, se id perdidisse, fregisseve, sedculpam in rem ipsam deperditam, fractamve conijciet, dicetque: securis, hamus, acusse perdidit, vas, olla, cantarus2 se fregil. Et quamvis diem indagando exigas, eumqueurgentissimis qurestionibus urgeas, eandem cantionem repetel.

223. Sunt superbi.Quis in tanta hominum ruditate superbiam qurerat? quis elatioris spiritus

fundamenta inquirat? hanc tamen hrereditatem à Protoparente omnes Posteriaccepisse videntur. Contingat dissensionem aliquam inter duos exoriri, et illico quidquisque norit, in publicum prodil. Hic remulum contemnet legere, scribereveignarum: alter musicre peritiam oggeret: ille se sacristam, aut fabrum iactabit, aliusse officio aliquo condecoratum esse, aut fuisse obijciet; erit denique, qui si aliudmemorire non occurrat, se olim à Missionario his, et his laudibus omatum aut dicet,aut mentietur, idque tam gravi supercilio identidem obambulans repetet, ut alterquis eversum à se Ottomannorum imperium, orbemve subactum crepare possel.Nihil tam parvum, unde laudum, elationis, ac restimationis materiam non emendicel.Neque est, quod illum ea propter pudore afficiat: unde srepe non alia de causaPatrem adit, quam ut Cat[h]alogum laudum suarum summa serenitate enarret,ingeminans in singula momenta, se esse [X](chris)tianre legis observantissimum,prudentem, maturi indicij, et quidquid laude apud ipsos dignum reputatur.

2 Latinisation par Eder du mot espagnol cântaro.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 311

source que la licence avec laquelle leurs pères, ainsi que tous les autres hommes,agissent avec leurs épouses. D'où cette coutume, qui s'est établie chez tous les mis­sionnaires, de marier les jeunes au plus tôt dès qu'ils atteignent l'âge nubile. Maismême ainsi, y compris dans une grande réduction, nous ne sommes parvenus que trèsrarement à ce que les jeunes filles arrivent vierges le jour de leurs noces. Cependant,avec des moeurs si dépravées et un si grand aveuglement de l'esprit, ils doivent êtrevivement félicités d'avoir en horreur la consanguinité, même la plus éloignée, et den'avoir jamais été surpris dans des relations illicites48• Il est vrai que, présent aumariage de fiancés, plus d'une fois, j'ai eu l'estomac retourné et des accès de bile parceque les promis se refusaient l'un à l'autre, pour l'unique raison qu'ils s'imaginaiententrer dans une consanguinité, même extrêmement éloignée et à peine perceptibleaprès une recherche obstinée. Mais ils ne voulaient pas l'accepter, eux qui ont pourguide la nature, bien que je pusse facilement supprimer cet obstacle grâce à mon trèslarge pouvoir de dispense.

222. Les Indiens nient maladroitement leurs erreursEt à ce sujet, ils sont très étonnants, car ils refusent de reconnaître leurs fautes, si

légères soient-elles. Qu'un Indien perde une chose ou la casse, jamais il ne dira qu'il l'aégarée ou brisée, mais il rejette la faute sur l'objet perdu ou cassé en déclarant: lahache, l'hameçon, l'aiguille s'est perdue; le vase, la marmite, la cruche s'est brisée. Etmême si tu passes la journée à enquêter et que tu l'accables de questions pressantes, ilrépètera chaque fois le même refrain.

223. Ils sont fiersChez ces gens, qui donc ira chercher de la fierté dans tant de rudesse? Qui décou­

vrira les bases de leur très grand orgueil? Cependant, il semble que tous lesdescendants d'Adam l'ont reçu en héritage. Qu'éclate une dispute entre deux Indienset, aussitôt, l'un et l'autre le font savoir sur la place publique. L'un méprisera sonadversaire pour ne pas savoir lire ou écrire, l'autre étalera son habileté en musique, l'unse vantera d'être sacristain ou artisan, l'autre opposera qu'il est, ou a été, chargé d'unefonction particulière. Enfin, il prétend ou invente, si rien d'autre ne lui vient à l'esprit,qu'il sera un jour investi de ces charges par le missionnaire, avec tous les honneursafférents, et il va partout en le répétant souvent avec une si grande fierté que l'autre enarrive à affirmer sans cesse que c'est lui qui a détruit l'Empire Ottoman ou soumistoute la terre. Il n'y a rien de si petit où l'Indien ne trouve motif de gloire, d'exagé­ration et de valorisation. De même, il n'y a rien qui lui fasse honte. C'est pourquoi, il vasouvent voir le Père, uniquement pour lui réciter, en toute sérénité, une énumérationdétaillée de ses propres louanges, répétant à chaque instant qu'il observe très bien la loichrétienne, qu'il la connaît, qu'il fait preuve de sagesse et qu'il réfléchit à tout ce qui,chez eux, est digne d'éloge.

48 C'est à dire homosexuelles.

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312 Joseph LAURE

224. Intellectus tardi.Alter defectus, quo plerique omnes laborant, est ilIa tarditas, qua rem sibi

propositam percipiunt. Licet enim res eis summa claritate enucleetur, licet adducta ère obvia similitudine declaretur, firmetur exemplis, et sa:pe [y](ij)sdem p[o]eneverbis inculeetur, promittere sibi Pater nondum potest, eos rem assecutos esse. Undeoportet in concionibus, qua: diebus Dominicis, festivis, aut Quadragesima: temporead ipsos dicuntur, Patrem esse summe sol(l)icitum, ut paucissima dicat, eaquerepetitis vicibus identidem inculeet. Contigit in quadam Missione, ut Pater dieDominico ad suos dicere decreverit discursum, quo, quanti facere deberent divinamgra-

10-5tiam, demonstrare conatus est. Erat Pater et capacitatis suorum, et idiomatis itagnarus, ut vulgo Demosth(e)nes diceretur. Et ut suis rem clarius proponeret,similitudinem à Juvene Inda desumpsit, quam veste, et ornatu ex ijs nugis, quas ipsimaximi faciunt, composito ob oculos posuit: quresi(v)it, an si talem iuvenemcernerent, non mirarentur, et elegantissimam pra:dicarent? tum subdidit, fingite àvicinia prodire latro[m](n)em, omni humanitate destitutum, qui hanc tam ornatam,tam omnibus caram Juvenem veste, ac mundo muliebri spoliet, calcibus, et pugnisimpetat, vulneribus plurimis sauciet, ac per sordes raptatam, semimortuamrelinquat. Quam diversa à priori hrec Juvenis, aiebat Pater! quis illam nunc laudet,cui placeat? tum quam puleros nos, et Deo gratos gratia faciat, quam foedos, cumilla privamur, tanto conatu pro ratione Auditorum suorum id demonstravit, ut reipsaiudicaverit Pater, prout ipse mihi testatus est, suos rem omnem ad amussimintellexisse. At non duravit hoc gaudium. Vix enim Missam finierat, quando videtsibi obviam venire turbam Iudicum, et Satraparum, prre rabie vix non frendentem, etclaves carceris quantocius petentem. Territus tanto restu Pater, interrogat, in quemfinem ea[m](s) vellent? an quid novi, et insoliti evenerit, quod ipsos tanto numerocollegisset? Utique, reposuit is, qui creteros dignitate anteibat: Indum ilIumlatronem, qui tam pulera:, tamque ornata: iuveni manus violentas iniecit, incarcerem proximo die ulteriori poena puniendum compingere volumus. Quid hisauditis senserit Pater, quo fructu, ac solatio ager tam siccus excoli debeat, lectoriiudicandum relinquo.

225. Laudari et se. et sua appetunt.Etsi tam pauca sint, ob qua: laudem aliquam mereantur, tamen et se, et sua

laudari nimium quantum appetunt. Unde si ipsi in mentem veniat rem quampiam, utut sordidam, Missionario offerre, eam oportet admittere, eaque etiam uti, nisi velitIndum in m[oe](a:)rorem con[y]Oi)cere, qui suo tempore in vindictam degeneret.Quanta

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 313

224. Lents à comprendreLa plupart d'entre eux ont un autre défaut, à savoir cette lenteur à saisir ce qui leur

est expliqué. Car, bien que quelque chose leur ait été explicité très clairement, expliquégrâce à une comparaison avec autre chose d'évident, complété par des exemples etsouvent répété avec presque les mêmes mots, le missionnaire n'est pas encore sûr queles Indiens l'aient compris. C'est pourquoi il faut que dans ses sermons du dimanche,des fêtes et du carême, qu'il leur fait, le Père soit très soucieux de dire peu de choses etde les redire souvent à de fréquentes reprises. Il arriva dans une mission qu'undimanche le prêtre décida de faire à ses ouailles un sermon, par lequel il entreprit dedémontrer combien ils devaient estimer la grâce divine. C'était un Père si au fait despossibilités et de la langue de ses paroissiens qu'on l'appelait couramment Démos­thène. Et pour exposer plus clairement son sujet, il choisit de comparer la grâce divineà une jeune Indienne qu'il présenta à leurs yeux, habillée et parée des atours toutsimples que les meilleurs artisans confectionnent. Il leur demanda si, apercevant unetelle jeune fille, ils ne l'admireraient pas et ne la trouveraient pas très élégante. Puis ilajouta: imaginez maintenant que des environs s'avance un brigand, dénué de toutehumanité, qu'il dépouille cette jeune fille, si bien habillée et si chère à tous, de sesvêtements et de sa parure féminine, qu'il la roue de coups de poings et de pieds, qu'illui inflige de nombreuses blessures et l'abandonne à demi-morte en la jetant au milieudes détritus. Comme cette jeune fille est à présent différente de la première, dit lePère! Maintenant, qui va faire cas d'elle? À qui va-t-elle plaire? Avec un tel effort pours'adapter à ses auditeurs, cette histoire devait en effet leur montrer comment la grâcede Dieu nous rend beaux et agréables à Lui, mais comment nous devenons laids devantLui quand nous en sommes privés. Car le missionnaire pensait vraiment, comme il mel'a certifié lui-même, que ses paroissiens avaient tout très bien compris. Mais sasatisfaction ne dura pas. Car, à peine avait-il fini de dire la messe, que le prêtre vitarriver vers lui une foule de juges et de meneurs en fureur exigeant sur le champ lesclés de la prison. Le Père, effrayé par un tel tumulte, demanda dans quel but ilsvoulaient ces clés et si quelque chose d'inhabituel venait de se produire qui expliquaitleur rassemblement en si grand nombre. Tout à fait, répondit le dignitaire qui était entête des autres, nous voulons mettre en prison ce brigand, qui avec violence porta lamain sur cette jeune fille, si belle et si élégante, pour lui infliger demain un châtiment.Je laisse au lecteur le soin d'imaginer ce qu'a pu penser le missionnaire en entendantces paroles. Quels fruits espérer d'un champ d'évangélisation aussi aride? Quelleconsolation en attendre?

225. Ils apprécient qu'on fasse cas d'eux et de leurs objetsBien que les motifs de louange soient très peu nombreux, les Indiens, cependant,

apprécient énormément qu'on les loue et qu'on prise leurs objets. C'est pourquoi, si àl'un d'eux vient l'idée d'offrir au missionnaire quelque chose, même du plus mauvaisgoût, il faut que le Père l'accepte et également l'utilise, s'il ne veut pas plonger ledonateur dans une profonde tristesse qui, avec le temps, pourrait dégénérer en ven­geance. À ce sujet, combien de choses le missionnaire doit souvent accepter et souffrir!

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314 Joseph LAURE

10-6ex hoc Capite srepe Missionarium admittere, et pati oporteat; Sile[nti]o prreterea. Idsolum dico, quod cum in tanta navigatione nihil à mari, aut à solito navium piceillitarum foetore, navigantibus tam infenso, passus sim, in Missionibus ea reperi,qure invictum stomachi robur non semel everterunt. Quantum vero ipsis placeat, sires suas alijs arridere aut et(ia)m deservire videant, multis experimentis edoctussumo Incidit mihi fistulas illas, quas ipsi è cannis confectas prre saltu suo adhibent,diebus Natalitijs, musicre, quam Pastorella artis periti vocant, adaptare: cumquesecundum artem eas scidissem, atque organo aptassem, binos iuvenes elegi, qui ènotis musicis reliqua musica instrumenta dictis flautis sociarent. Placuit id tantopereIndis, ut omnem reliquarum Missionum musicam contempserint, festaque ipsaNativitatis Domini nova nomine à flautis, quas Epuquiraseco vocant, desumpto festaEpuquirasecea deinceps nominaverint.

226. Subdoli. et astuti.In tantis tenebris videtur interdum vires suas velle exerere intellectus, atque

luce, aliquo saltem intervallo temporis frui. At srepe optandum est, ut suis tenebrisinvolutis potius hrereant, quam ut luce illa, potiantur. Cum enim natura propriopondere ad malum nonnisi propendeat, et aliunde in ipsis principia fidei, autdecentire vix radices agant, fit, ut ubi ipsis radius aliquis maioris lucis assurgit, eo adse tenebris amplius, et amplius immergendos abutuntur. Cuius rei veritatem eventussequens edocebit. Cum primum baptizantur, maiori vigilantia incumbuntMissionarij, ut veterum vitiorum sensim obliviscantur. Quibus tamen cum ipsi vacarevellent, quam primum novum Parochum à Superioribus assignatum accipiunt, illiusanimum, fortitudinem, constantiam, aut vero desidiam, metum(,) et con[n]iventiamexperiri volunt, ut sciant, quocum res sibi sit, et an pro arbitrio vitam instituendi[re]spes affulgeat. Testis sum eventus, quem explorandi novi Parochi causa modo satisastuto excoxerunt. Potum copiosissimum paraverant, quem hora noctis octava,congregati ad unum omnes in rede cuiusdam è primis Magnatibus, magno tumultu,et clamore epotare aggressi sunt. Submisere duos, qui id Parocho

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 315

Cela étant dit, je me tais. Je n'ajouterai que ceci: au cours de mes longs voyages enbateau j'ai supporté le mal de mer et la puanteur habituelle des navires enduits de poix,si gênante pour les passagers, mais dans les réductions je suis tombé sur des choses qui,plus d'une fois, m'ont retourné l'estomac, d'une solidité jusque là invaincue. En demultiples occasions, j'ai pu me rendre compte combien les Indiens apprécient de voirque leurs objets plaisent aux autres et même leur servent. Pour les fêtes de Noël, ilm'est arrivé d'adapter leurs fifres, qu'ils fabriquent à partir de roseaux et utilisent pourleurs danses, pour la musique de la pastourelle49 comme les spécialistes l'appellent. Jeles ai raccourcis avec soin, puis les ai fixés à l'orgue. Ensuite, j'ai choisi deux jeunesqui, avec des morceaux de musique connus, associèrent les autres instruments à cesflûtes. Ceci plut tant aux Indiens qu'ils délaissèrent toute musique des autres réduc­tions et même qu'ils appelèrent la fête de la Nativité du Seigneur du nom de ces flûtesqu'ils nomment epuquiraseco. Ainsi, ils appelèrent désormais Noël la fête epuquirasecea,c'est-à-dire des flûtes.

226. Rusés et astucieuxAu milieu de tant de ténèbres, on dirait parfois que leur intelligence veut montrer

ses possibilités et même jouir de la lumière, du moins pour un moment. Mais, il estsouvent préférable qu'ils restent dans leurs ténèbres plutôt que de jouir de cettelumière. En effet, comme la nature, de son propre poids, penche uniquement vers lemal et que, d'autre part, chez les Indiens les principes de la foi et de la bienséance sontà peine enracinés, il arrive que quand apparaît un rayon d'une lumière plus forte, ils enfont mauvais usage pour se plonger de plus en plus dans les ténèbres. Les faits suivantsmontreront la véracité de ce qui vient d'être dit. Dès qu'ils les ont baptisés, les mission­naires doivent veiller par dessus tout à ce que, peu à peu, les néophytes ne pensent plusà leurs anciens vices. Cependant, comme ils souhaitent s'y adonner, dès qu'ils reçoiventun nouveau curé nommé par ses supérieurs, ils veulent tester son caractère, soncourage, sa fermeté et, d'un autre côté, sa paresse, sa crainte, son indulgence, poursavoir à qui ils ont à faire et si apparaît un espoir de pouvoir vivre à leur guise. Je suistémoin de la façon, assez astucieuse, dont ils s'y prirent pour mettre à l'épreuve unnouveau curé. Ils avaient préparé de la boisson en très grande quantité qu'à huit heuresdu soir, tous réunis dans la case d'un des grands chefs, ils se mirent à boire avec grandtumulte et force cris. Ils envoyèrent discrètement deux messagers qui annoncèrent labeuverie au curé et lui certifièrent que les Indiens avaient décidé de le tuer s'il venaitpour y mettre fin. Le missionnaire reçut le message au début de son pauvre souper.Alors qu'il aurait pu le terminer rapidement, minutieusement il le fit traîner enlongueur pour gagner du temps afin de bien réfléchir comment se tirer d'embarras, soiten y allant, soit en restant. Il était le seul non-Indien dans la réduction, se défendre par

49 Musique provençale, avec fifres et tambourins, toujours jouée en Provence pour les processions à lacrèche de Noël. Le traducteur, provençal, a pu constater en 1986 dans un village à majorité moxo, Santa Rita(à 21 km de San Ignacio de Moxos et à 90 km de Trinidad) que d'autres danses provençales sont toujoursutilisées, par exemple la danse des cordelles.

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10-7nuntiarent, atque pro certo affirmarent, Indos statuisse Pat(r)em, si eo ipsosdissipaturus advenerit, occidere. Audivit nuntium Missionarius sub pauperis c[o]emeprincipium, quam cum momento finire potuisset, studiose protraxit, ut tempusdeliberandi nancisceretur, an eo ir(e), an vero manere expediret. Unicus in Missioneerat, armis se tueri erat Missionem perdere, domum illam ducentis fere Indis, a potucalentibus refe(r)tam subire, qui vel saliva hominem obruere poterant, res videbaturuti periculi, ita temeritatis piena, et quo salva conscientia executioni dari possedubitabatur. Verum si non ibat, peiora instabant: proclamassent Patrem timidum,crevisset audacia, temeritas, vitia ornoia pullulassent, Missio in ultimam perniciemcon[ylGi)ciebatur. Statuit itaque Missionarius eo ire, Deoque, cuius causamtuebatur, innisus, Indos aggredi, et expellere. Hic et deliberationis, et c[o]enre finis.Expectaverant interea bini illi nuntij, qui ubi Patrem versus illam domum irevidissent, eo relicto, uti condixerant, socios potantes prremonuerunt. Hi tuncobser[r]atis portis auxerunt c1amorem, tumultum, et insolentiam. Non erat facilisingressus: sed vi adhibita deiecit portam Missionarius, intravit, se ipsorum oculisobiecit. At mira sive Dei providentia, sive Indorum pusillanimitas, aut potiusutrumque. Vix bene senserunt vocem Missionarij, quando impetu in utramqueportam facto, velut si mortem certam sibi incumbere sensissent, dilapsi sunt ventop?rius, et anirni fortitudinem, in Patre deinceps et mirati, et veriti sunt.

227. Secreti incapaces.Dicitur communiter, mulieres, et pueros secreti esse incapaces. Sed his merito

anteponi merentur Indi. Quidquid enim ipsi sive audiant, sive videant, intra horrequadrantem cunctis enarrant. Unde magna cum cautela coram ijs Missionariusprocedat, oportet: quamvis nec sic ab illis se liberabit, utpote qui pro libitu mendaciasrepe noxia spargunt, quibus populus ornois constematur. Sed quam nihil inter ipsossecreti, tanta cura in occultandis Patri rebus suis, ut nisi aliquem muneribusdevinciat, aut à parvulis adhuc innocentibus veritatem expiscetur, aliunde nihilunquam resciet.

228. Ad fu~am proni.At nihil est, quod animum maiori animo torqueat, quam ille pruritus, et fugiendi

in pristinas sylvas facilitas. Nihil est, quod obicem ipsis afferre queat. Abundet rebusomnibus in Missione, habeat domum, Uxorem, filios, munus honoratum, restima­tionem Patris, et quidquid demum

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Missions jésuites d'Amazonie bolil'Ïe/me 317

les armes était perdre la vie, entrer dans cette case remplie de presque deux centsIndiens échauffés par la boisson, qui de plus pouvaient vous vomir dessus, paraissaitaussi dangereux que téméraire et c'est pourquoi, en toute conscience, il hésitait à lefaire. Mais s'il n'y allait pas, ce serait pire: les Indiens proclameraient partout que lePère était un peureux; leur audace et leur témérité augmenteraient, tous leurs vices sedévelopperaient et la mission courrait à sa perte totale. C'est pourquoi, le prêtre décidad'y aller et, comptant sur Dieu, dont il allait défendre la cause, d'affronter les Indienspour les faire sortir. Ce fut la fin de sa réflexion et de son souper. Les deux messagers,qui avaient attendu pendant tout ce temps, voyant le Père se diriger vers cette case, lequittèrent et s'en furent avertir leurs compagnons en train de boire, comme ils enavaient convenu avec eux. Alors, ceux-ci, après avoir verrouillé les portes, augmentèrentleurs cris, leur vacarme et leur arrogance. Il n'était pas facile d'entrer; mais le mis­sionnaire, ayant recours à la force, enfonça une porte, entra et se présenta devant eux.Du moins, extraordinaire fut la Providence divine ou la pusillanimité des Indiens, ouplutôt les deux à la fois. Car, à peine reconnurent-ils la voix du missionnaire, quand ilcognait contre les deux portes, que d'abord ils se dispersèrent en coup de vent, commes'ils sentaient qu'une mort certaine allait s'abattre sur eux, et qu'ensuite, chez le Père,ils admirèrent et respectèrent avec crainte sa force de caractère.

227. Incapables de garder un secretC'est un lieu commun de dire que les femmes et les enfants sont incapables de

garder un secret. Mais, sur ce sujet, les Indiens les dépassent: car, tout ce qu'ils voientou entendent, dans le quart d'heure qui suit, ils le racontent à tout le monde. C'estpourquoi, devant eux, le missionnaire doit agir avec grande prudence. Mais, mêmeainsi, il n'est pas à l'abri d'eux, car souvent ils colportent, selon leur fantaisie, desmensonges malveillants qui affolent toute la population. Et si entre eux rien ne restesecret, en revanche ils prennent soin de cacher au Père ce qui les concerne; au pointqu'il ne saurait jamais rien, s'il n'achetait l'un d'eux par des cadeaux ou recherchait lavérité auprès d'enfants encore innocents.

228. Toujours prêts à s'enfuirMais rien ne les tourmente plus que cette tentation permanente et cette facilité à

s'enfuir dans la forêt où ils vivaient auparavant. Un Indien peut tout avoir dans laréduction, demeure, épouse, enfants, charge publique, estime du missionnaire et toutce qu'il peut souhaiter; mais habitué à posséder peu de choses, s'il est invité, ne serait­ce que d'un seul petit mot, par un autre songeant à s'enfuir, il laisse tout et s'en va.Ensuite, quand le Père ou ses envoyés, partis à sa recherche, le retrouvent, souventpresque mort de faim ou ayant des difficultés à survivre, s'ils l'interrogent sur la raisonde sa fuite, il répond qu'il ne s'est pas enfui, mais qu'il a seulement suivi celui quil'invitait à partir. Cependant, si sur l'heure il est appelé par un autre Indien pour partir,il s'enfuira à nouveau. La forêt est leur patrie, dont ils ne perdent jamais l'amour ainsi

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10-8appetere potest paucis assuetus Indus, si ab aliquo fugam meditante invitetur velunico verbulo, relictis omnibus discedet. Dein ubi eum vel Pater, vel missiexploratores assecuti fuerint, sa:pe fame, et miserijs p[0 ]ene enectum, interrogatusfuga: causam, reponit se n(o)n fugisse, sed secutum duntaxat invitantem. Attamen sieadem hora ad eandem ab alio evocetur, iterum fugiet. Sylva: ipsis Patria sunt,qua(rum) amorem cum libertate coniunct(um) nunquam amittunt. Vnde utli(ber)tatem illam vagandi, atque pro (ar)bitrio more brutorum vivendi appetant,continuis munusculis, (ac?) humanitate p[o]ene nimia supplem(entum?) (li?)bet. Etrevera, quanta cum gustu degant, palpatur: licet enim m(eliora) in Missionibushabeant quoad o(mnia?) si vel octiduo ipsis in sy(1vis) morari concedatur, redeunt,ut p[o] (ene) dignosci possint, tantum robur, v(el) et faciei colorem mutant. Hin(c) utquando aliquis morbus Epide(mus) inter eos grassatur, quantociu(s) Missionarij eosin sylvas comp(el)lant, ubi absque ulla medicina a:gri convalescunt, et reliqui àmorbo pra:servantur. Multo magis id faciet, si res qua:dam à Patre sibi negata fuit,aut si reprehensione aliqua acriori ab illo sapere edoctus fuit. Im(m)o ea arripiuntinterdum consilia ob verbum aliquod, aut reprehensionem iustam, quorum damnaannis integris reparari nequeunt. Fuit certe, qui ob negatum sibi ex gravissimis causislocum quendam, quem ipse pro tugurio sibi extruendo delegerat, nocte intempesta,cum Auster horridus ingruere coepisset, domui meo, et Ecclesia: ignem admovit: etcum omnia è ligno compacta essent, gramineque tecta, pauca intra momenta ipsiCalices, ca:teraque supellex omnis, tum Ecclesia:, tum domestica, im(m)o Missiotota igne absumpta sunt. Plures alij paria experti sunt tum Patres, tum Indi, venenoclam porrecto ob unum acerbius verbulum, ob rem aliquam denegatam sublati.Missio, qua: mea: cura: commissa fuit, pra:ter plurimos fuga dilapsos, et reductos,ter incendio conflagravit, alias una nocte tota Missio à quodam mihi familiarissimoIndo, in sylvas abducta fuit non alia de causa, quam quod ei officium certum, adquod erat ineptissimus, denegarim; alias denique ab eodem porrectum mihivenenum fuit, quod tamen detectum faciliter declinavi. Im(m)o experientia certumest, non paucas ita animo exasperari, ac concidere, ut se in lectum animo moriendideponant, et absque ullius morbi indicio re ipsa moriantur. Cautius cum ijs, ac cumspeculis agere oportet, et insurgentes in momenta singula animi igniculos suffocare,si erumpens inde incendium evitare velit.

229. Mulierum propensiones.Addam pro coronide huius capitis qua:dam de mulieribus. Ha:, uti ubique,

ornatus sunt avidissima:, qui tamen in sylvis valde exiguus erat, et eorum desideriolonge inferior: nempe lapilli aliquot albi perforati, ut filum traduci posset,quibusdam parvulis limacibus immixti, colloque appensi. Cum vero incederent,

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 319

que celui de la liberté. Comme ils recherchent cette liberté d'aller où bon leur sembleet de vivre à leur guise comme le font les bêtes sauvages, il faut la remplacer pour leurplaire par d'incessants petits présents et par une bienveillance presque excessive. Effec­tivement, on peut toucher du doigt avec quels plaisir et profit ils vivent en forêt. Car,bien que dans les réductions ils aient, en tout, de meilleures choses, si on leur permetd'aller vivre en forêt, ne serait-ce que huit jours, ils reviennent revigorés et avec descouleurs, au point d'en être à peine reconnaissables. Aussi, quand une épidémie sedéclare parmi les Indiens, les missionnaires envoient au plus vite les malades en forêt,où ils se rétablissent sans aucun médicamentSO, et cela évite qu'ils contagionnent lesautres. Un Indien s'enfuira bien plus facilement encore, si le Père lui a refusé quelquechose ou l'a mis hors de lui par un reproche plus dur que ce qu'il estime raisonnable.Parfois même, ils prennent cette décison de s'enfuir à cause d'un seul mot ou d'unreproche justifié, dont les cicatrices subsistent pendant des années. Oui, un Indien àqui, pour des raisons très sérieuses, l'on avait refusé un endroit où il voulait construiresa case, en pleine nuit et alors que commencait à souffler un auster51 terrible, mit lefeu à ma maison et à l'église. Comme toutes les constructions étaient en bois, avec destoits en chaume, en peu de temps les calices eux-mêmes et tout le mobilier, de l'églisecomme de la maison, et même toute la mission, furent détruits par le feu. Beaucoupd'autres personnes, tantôt des missionnaires, tantôt des Indiens, ont subi des repré­sailles du même genre et furent emportés par le poison qui leur fut administré encachette pour une simple parole plus cinglante que d'habitude ou pour avoir refuséquelque chose. Dans la mission dont j'ai eu la charge et qui fut incendiée trois fois, j'aivu beaucoup d'Indiens fuir puis revenir. Une autre fois, toute la réduction fut emmenéede nuit dans la forêt par un Indien très proche de moi, pour l'unique raison que je luiavais refusé un poste pour lequel il n'était pas du tout fait. Un autre jour enfin, cemême Indien me présenta du poison que, cependant, j'ai facilement évité, car je l'avaisdécouvert. Bien plus, l'expérience a montré que beaucoup d'Indiens sont tellementirrités et abattus dans leur esprit, qu'ils se mettent dans leur hamac avec l'intention demourir et que, sans symptôme d'aucune maladie, ils perdent réellement la vie. Il fautles traiter avec beaucoup de précautions, tout comme des miroirs, et apaiser sur lechamp les petits échauffements grandissants de leurs esprits, si l'on veut éviter par lasuite un violent incendie.

229. Qualités et défauts des femmesPour finir ce chapitre, je vais ajouter quelques traits concernant les femmes. Celles­

ci, comme partout ailleurs, aiment énormément les parures qui, en forêt, sont cepen­dant fort limitées et bien en dessous de leurs envies. Elles possèdent tout justequelques petites pierres blanches, perforées, qu'elles peuvent enfiler, combiner avec de

50 Eder semble oublier la pharmacopée traditionnelle des Indiens.51 Ou surazo, vent froid du sud.

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iactabant corpora, ut nempe mutua lapillorum, ac limacum allisione strepitumaliquem, ipsis gratissimum ederent.

11-1Sunt summe inconstantes(,) quamvis si viris pares dixerim, sat dixi. Vitam plerumqueplus, quam viri protrahunt, etsi his plus regrotent. Indole vero, et animi candore,pietate, sinceritate, viro excellunt: nequ(e) sunt tam pigritire dediti, uti communiterviri. Id unum omnes earum dotes obfuscat, quod viris suis adeo se sub[ylGi)ciant, utipsis c(0 )mplacendi studio peccandi ansam qurerant, et in propriam domum, quotiesmarito arridet, deducant.

(fin du chapitre 8)

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 321

petits escargots et porter en collier. Donc, quand elles marchent, elles remuent leurcorps pour qu'ainsi les petites pierres, en s'entrechoquant avec les coquilles d'escargots,produisent un bruit qui leur est très agréable. Les femmes sont extrêmement volages;mais, si j'avais dit qu'eUes sont comme les hommes, j'en aurais dit suffisamment!D'ordinaire, elles vivent plus longtemps que les hommes, même si eUe tombent plussouvent malades qu'eux. Sans aucun doute, elles dépassent les hommes par leurcaractère ainsi que par la candeur, la piété et la sincérité de leur âme; de plus, elles nesont pas aussi portées à la paresse, comme le sont en général les hommes. Mais uneseule chose obscurcit toutes leurs qualités, c'est qu'elles sont soumises à leur mari aupoint que, dans leur zèle pour le satisfaire, eUe se mettent en quête pour lui de l'occa­sion de pécher et la lui conduisent dans leur propre demeure autant de fois qu'il en aenvie.

(fin du chapitre 8)