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Revue Marocaine de Rhumatologie
CAS CLINIQUE
Le pied est un des sites privilégiés des fractures de contrainte et plus particulièrement des fractures de fatigue. Les localisations les plus fréquentes sont les métatarsiens, le calcanéus, le talus [1,2]. Les fractures de contrainte du scaphoide tarsien sont particulièrement rares.
Nous en rapportons un cas révélant une insuffisance osseuse chez une patiente de 36 ans.
OBSERVATION
Mme K.L âgée de 36 ans a été traitée par prednisone (en moyenne 10 mg/jour) depuis l’âge de 21 ans pour un lupus érythémateux. En 2008, une glomérulonéphrite extra-membraneuse a été diagnostiquée et a évoluée malgré le traitement immunosuppresseur vers une insuffisance rénale terminale prise en charge en hémodialyse au début
Fracture du scaphoïde tarsien par insuffisance osseuse : une cause rare de tarsalgie.An uncommon cause of foot pain : The tarsal navicular bone insufficiency stress fracture.
Yassine Azagui, Amine Belmoubarek, Hicham El Yahyaoui , Karim Ahed, Hamza Benameur, Yassir El Andaloussi, Ahmed Reda Haddoun, Mohammed Nechad.
Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologie, Aile 4 CHU Ibn Rochd, Casablanca - Maroc.
RésuméLes fractures de fatigue du scaphoïde tarsien
rapportées dans la littérature sont observées
chez le sportif jeune qui pratique un sport de
façon intensive. Les fractures par insuffisance
osseuse du pied concernent les métatarsiens,
le calcanéus, le talus et exceptionnellement le
scaphoide tarsien.
Nous rapportons un cas de fracture par
insuffisance osseuse du scaphoïde tarsien chez
une patiente de 36 ans, présentant plusieurs
facteurs de risque : corticothérapie pour un lupus
avec insuffisance rénale, hémodialyse depuis
six ans, hyperparathyroïdie sévère. L’imagerie
par résonance magnétique, permit le diagnostic,
qui fut confirmé au sixième mois par la
radiographie montrant un liseré de condensation
perpendiculaire aux travées osseuses.
Les particularités physiopathologiques, cliniques
et thérapeutiques de cette localisation rare sont
évoquées.
Mots clés : Fracture de contrainte ;
Scaphoide tarsien.
AbstractLiterature review shows only few detailed
navicular bone stress fracture case reports :
in young athletes. Insufficiency fracture of the
foot bones involve mainly the metatarsals, the
calcaneus, the talus, whereas tarsal navicular
bone location seems exceedingly rare.
We have a case of a bone insufficiency fracture
of the tarsal navicular bone in a 36-year-
old female patient with many risk factors
of bone insufficiency : long term steroid
treatment for lupus erythematosus, renal
failure, hemodialysis since three years and
severe secondary hyperparathyroidism. Early
diagnosis was established using magnetic
resonance imaging, and confirmed six months
later on radiography, showing typical line of
sclerosis perpendicular to bone trabeculae.
Physiopathological and clinical characteristics
of this uncommon fracture are mentioned.
Key words : Stress fracture; Tarsal navicular
bone.
Correspondance à adresser à : Dr. Y. AzaguiEmail : [email protected]
Disponible en ligne sur
www.smr.ma
Rev Mar Rhum 2014; 28: 48-51
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2010. L’aggravation progressive de l’hyperparathyroïdie secondaire à l’insuffisance rénale a justifiée une parathyroïdectomie en juin 2012, la parathormone intacte (PTHi) étant alors à 940 ng/L (n < 65). En juillet 2012, la patiente avait rapportée une douleur du tarse gauche apparue depuis six mois, de type mécanique, sans traumatisme ni activité physique inhabituelle. L’examen notait une zone douloureuse pré- et sous-malléolaire interne. La radiographie ne montrait ni fracture ni anomalie architecturale du pied. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) montrait une fracture du scaphoide tarsien gauche sous forme d’un trait en hyposignal sur les séquences T1 et T2 (Fig. 1). La scintigraphie osseuse réalisée un mois après l’IRM avait objectivée une hyper-fixation linéaire du scaphoide tarsien gauche ainsi qu’un foyer calcanéen gauche (Fig. 2). Le bilan biologique était le suivant : Calcémie 2,3 mmol/L, PTHi 28 ng/L, 25 OH vitamine D3 17ng/ML (n = 10–75), les marqueurs du remodelage osseux était dans les limites normales basses en rapport avec le taux bas de PTHi : activité phosphatase alcaline 71 (n = 39–105), ostéocalcine 13 ng/ML (n = 7–39). L’absorptiomètrie osseuse bi- photonique à rayons X montrait une densité minérale osseuse diminuée au fémur (0,71 g/cm2, Z-score à –2) et au rachis (0,83 g/cm2, Z-score à –1). Le traitement comportait une immobilisation plâtrée pendant une durée de 45 jours et une augmentation de l’apport calcique et de vitamine D (alfacalcidol 0,25 µg IV trois fois par semaine).
En Mai 2013, la radiographie montrait une bande d’ostéosclérose du scaphoide tarsien typique d’une fracture de contrainte en voie de consolidation (Fig. 3).
DISCUSSION
Les fractures par insuffisance osseuse peuvent survenir lorsqu’une contrainte mécanique modérée survient sur une pièce osseuse fragilisée [2 , 3]; elles s’opposent aux fractures de fatigue qui surviennent sur un os soumis à des contraintes importantes et répétées. Elles sont favorisée par des facteurs généraux : ostéoporose, ostéomalacie, hyperparathyroïdie, ostéopètrose, traitement par le fluor, corticothérapie, polyarthrite rhumatoïde et des facteurs locaux : arthrose, ostéosynthèse, ostéotomie, Algodystophie, maladie de Paget, dysplasie osseuse et radiothérapie [4,5]. Notre patiente a présenté une fracture de contrainte du scaphoide tarsien favorisée par une insuffisance osseuse, cette dernière liée à la
Figure 3 : Radiographie du pied gauche au 6ème mois (incidence oblique) : fracture polaire supérieure du scaphoide tarsien en voie de consolidation.
Figure 2 : Scintigraphie osseuse du pied gauche (face) : hyperfixation d’allure linéaire du scaphoide. Petit foyer adjacent du calcanéum.
Figure 1 : IRM du pied gauche, incidence sagittale pondérée en T1 : fracture duScaphoide tarsien.
Fracture du scaphoïde tarsien par insuffisance osseuse : une cause rare de tarsalgie.
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corticothérapie prolongée et à l’hyperparathyroïdie secondaire à l’insuffisance rénale.
Les fractures de contrainte du pied concernent rarement le scaphoide tarsien.
Greaney et al [6] avaient indiqués chez des recrues militaires une fréquence de 2 % de fracture du scaphoide tarsien sur 839 fractures de fatigue des membres inférieurs diagnostiquées après scintigraphie osseuse ; l’atteinte du talus est évaluée à 5,5 % dans la même étude. Deux cas de fractures de fatigue du scaphoide tarsien ont été signalés dans une autre série de 1338 fractures de fatigue du pied et du tiers inférieur de jambe chez des recrues militaires [7]. Pour Hasselman [8], l’atteinte du tarse, os naviculaire et cunéiformes a représentée 1 % des fractures par insuffisance osseuse (FIO) du pied. L’atteinte des os du pied représente 5 % à11% des FIO selon le mode de recrutement des patients [9,10].
Mais c’est Torg et al [11] en 1982 qui avait publié la série la plus importante de 21 cas et dégageait les caractéristiques essentielles de cette affection.
Cliniquement, la fracture du scaphoïde tarsien peut être latente, comme dans notre cas. Parfois, elle se traduit par des douleurs modérées médiale du pied, de rythme mécanique, aggravées par la marche et l’effort physique intense. La douleur peut être intense et nécessite une prise encharge urgente [12]. L’examen clinique peut parfois retrouver un œdème, une tuméfaction locale ou une douleur à la palpation osseuse.
En cas de fracture des os courts, riches en os trabéculaire, les radiographies précoces montrent rarement une solution de continuité ou une réaction périostée [12] ; les lignes de condensation, traduction du processus de réparation, sont tardives et inconstantes.
La superposition des os du tarse rend le diagnostic radiographique difficile et nécessite une incidence oblique pour dégager le scaphoide tarsien [12]. Chez notre patiente, la radiographie standard initiale du pied n’objectivait pas de fracture et le retard diagnostic était de 6 mois.
La scintigraphie peut être très évocatrice par deux particularités présentes dans notre cas : Une hyper-fixation d’aspect linéaire perpendiculaire à la direction des travées osseuses et la présence d’autres foyers d’hyperfixations [12]. En tomodensitométrie [12], l’os présente à ce niveau un aspect en anneau dense sur les coupes perpendiculaires au grand axe du pied : La fracture va se traduire par une rupture partielle ou complète de cet anneau. Il est important d’utiliser des fenêtres très larges pour détecter les fractures
débutantes au sein de la sclérose. L’IRM [14] est parfois moins performante que la tomodensitométrie pour visualiser la fracture qui peut être masquée par un œdème médullaire; les séquences en T1 après gadolinium entraînent un hypersignal de l’œdème facilitant ainsi la visualisation du trait de fracture qui reste en hyposignal. Chez l’enfant, l’IRM permet d’écarter les difficultés d’interprétation de la scintigraphie liées à l’hyperfixation physiologique des épiphyses [14]. Sur le plan physiopathologique, l’arche interne du pied dont le scaphoïde tarsien est la clé de voute, est sollicitée en compression tant lors de l’attaque du pas, lors de la course que lors des mouvements de varus-supination du pied (Le jambier postérieure y joue un rôle important). Aussi, une zone de concentration de stress se constitue au niveau de ce scaphoïde et aboutit à une fracture de fatigue. Cette zone siège au niveau le moins vascularisé du scaphoide tarsien, c’est-à-dire au tiers moyen comme l’ont montré des études micro-angiographiques [15].
Le diagnostic différentiel de la fracture de fatigue du scaphoïde tarsien se discute essentiellement avec la tendinite du jambier postérieure, l’entorse du ligament latéral interne, la fracture de fatigue du premier métatarsien et l’entorse de la Chopart.
Le traitement dépend de l’ancienneté de la fracture, une fracture vue précocement c’est-à-dire avant la sixième semaine se traite orthopédiquement: Botte plâtrée sans appui pendant 8 semaines. Le traitement chirurgical par vissage est indiqué en cas de fracture ancienne.
Notre patiente présentait une fracture ancienne du scaphoïde tarsien de 6 mois, le traitement fut orthopédique vue les tares associées chez la patiente contre-indiquant la chirurgie. Le résultat fonctionnel était cependant satisfaisant.
CONCLUSION
La fracture du scaphoide tarsien par insuffisance osseuse est rare. Sa rareté tient peut être à sa méconnaissance. Toute fracture du coup de pied ne cédant pas aux traitements habituels avec des radiographies normales doit faire suspecter une fracture de fatigue du scaphoïde tarsien et conduire à la scintigraphie.
DéCLARATION D’INTéRêT
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.
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Y. Azagui et al.CAS CLINIQUE
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Revue Marocaine de Rhumatologie
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