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FAUSTINA FIORE (SUR UNE IDÉE DE MARIA-ELISA BIOTTI) ILLUSTRATIONS DE LAURENCE MORAINE D’APRÈS LA SÉRIE « FANTÔMETTE » PAR GEORGES CHAULET FANTÔMETTE et Roman

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FAUSTINA FIORE (SUR UNE IDÉE DE MARIA-ELISA BIOTTI)

ILLUSTRATIONS DE LAURENCE MORAINE

D’APRÈS LA SÉRIE « FANTÔMETTE »

PAR GEORGES CHAULET

FANTÔMETTE

et

Roman

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CHAPITRE 1

« ... et juste au moment où le monstre allait nous manger toutes crues, Fantômette est

arrivée ! Je lui ai sauvé la vie !

- Oh ! »

Des exclamations de surprise et d’admiration fusent dans la cour de récréation. Plusieurs

écolières ouvrent la bouche pour mieux marquer leur étonnement.

En ce lundi qui suit les vacances de Pâques, il fait déjà une température presque estivale dans

la petite ville de Framboisy. Dans la cour se mêlent cris et rires joyeux. En attendant le début

des leçons, les enfants jouent après s’être débarrassés de leurs manteaux qu’ils ont empilés

dans un coin au mépris du proverbe maintes fois répété par leurs parents : (“En avril, ne te

découvre pas d’un fil”). Près de l’entrée, une dizaine de garçons et quelques filles jouent au

ballon. Plus loin, l’attention des enfants est occupée par une partie de saut à l’élastique, un

concours de scoubidous, une marelle au tracé compliqué. Deux ou trois élèves se sont assis

sur les marches qui mènent dans les salles de classe et lisent L’insoutenable légèreté de l’être,

leur leçon d’histoire ou les aventures de Tintin.

Mais le groupe le plus dense est celui qui s’est formé autour d’une grande fille blonde, maigre

comme une aiguille à tricoter, qui harangue la foule du haut d’un saut en plastique retourné –

précaution inutile, puisqu’elle fait déjà une bonne dizaine de centimètres de plus que ses

camarades. Ce matin, Ficelle est exceptionnellement arrivée légèrement en avance, et elle en

profite pour raconter l’aventure qui lui est arrivée pendant les vacances de Pâques, dans le

Bordelais. Autour d’elle, ses camarades l’écoutent, bouche bée, et vaguement jalouses : pour

quelle raison est-ce toujours Ficelle qui a la chance de rencontrer leur idole à toutes ?

Satisfaite de l’effet produit, la grande fille blonde renchérit :

« Parfaitement, c’est comme je vous le dis ! Elle s’était pris les pieds dans une ronce

buissonneuse, et elle s’était bêtement affalanchée sur le sol. C’est alors que j’ai sorti

mon pipeau, et cet espèce de monstre préstonirique... pristhéroïque... présti...

- Préhistorique », intervient Françoise sans lever les yeux de son livre (Arsène Lupin,

gentleman cambrioleur).

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« C’est ça, préhistérique, est devenu doux comme...

- ... un agneau de trois ans ! » Boulotte hausse les épaules. « Tu ne veux pas changer de

disque ? Ça fait une semaine que tu nous racontes toujours la même chose ! Et en plus ce

n’est même pas vrai : c’est Fantômette qui t’a sauvé la vie, pas l’inverse !

- Quoi ? Tu oses avoir le front de pouvoir trouver le courage de soutenir... »

Drrrriiiing !

La cloche, en marquant le début des cours, met fin à la dispute. Les élèves se mettent en rang

devant leur salle de classe. Debout à côté de Ficelle, Françoise entend son amie marmonner

toutes sortes d’imprécations contre les incrédules.

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Les portes donnant sur la cour s’ouvrent l’une après l’autre, et des instituteurs mal réveillés

font entrer des élèves déjà surexcités dans les salles de classe. La cour se vide. Peu à peu, le

silence se fait dans les rangs de la classe de Mlle Bigoudi, où se trouvent Ficelle, Françoise et

Boulotte. Les regards se dirigent vers la porte. Nous sommes lundi matin, et il est huit heures

et demie très exactement.

Et c’est alors que se passe quelque chose d’absolument incroyable.

La porte ne s’ouvre pas.

Perplexité. Suspense. Tension. En fait, c’est presque de la peur qui se lit sur le visage des

écoliers. Mlle Bigoudi en retard, c’est le soleil qui dévie de sa course, c’est la pluie qui tombe

vers le haut, c’est Ficelle qui se tait pendant plus de deux minutes, Boulotte qui suit un

régime, Françoise qui n’a pas la moyenne à un contrôle : l’impensable.

Soudain, alors que l’on entend déjà plus dans la cour que le chant des oiseaux, apparaît le

directeur de l’école. Il passe sans rien dire devant les élèves, sourcils froncés, l’air préoccupé,

et ouvre la porte de la classe. Avec un vague signe de la main indiquant que l’on doit le

suivre, il entre, monte sur l’estrade, attend. Chaque élève prend place dans le silence le plus

complet. Que va-t-on leur annoncer ?

« Mesdemoiselles, messieurs, Mademoiselle Bigoudi étant souffrante, elle ne pourra pas

assurer ses cours ce matin. Voyons, qu’y a-t-il sur le cahier de texte… Ah ! Vous aviez

une leçon de géographie à apprendre, et un exercice de géométrie à faire. Et bien, heu,

personnellement je ne veux pas… je veux dire je ne peux pas vous surveiller, mais

Mademoiselle Françoise Dupont va se faire un plaisir de corriger l’exercice au tableau ;

quant à la leçon de géographie, elle attendra le retour de votre institutrice. Vous resterez

en étude ce matin, et cet après-midi ceux qui le désirent peuvent rester chez eux. »

C’est une véritable explosion qui a lieu à ce moment-là, faite d’hurlements de joie, de cris de

surprise, de bruits de chaises qui tombent parce que l’on s’est relevé trop précipitamment, de

claquement de casiers qui se referment, etc. N’essayant pas de contenir les élèves déchaînés,

le directeur tourne lâchement le dos et s’enfuit.

Dans l’indifférence la plus totale, Françoise monte au tableau et commence à tracer un

parallélogramme ABCD, ses diagonales AC et BD, le cercle R qui a pour centre l’intersection

I des diagonales et pour diamètre AC, le point d’intersection J de la droite BC et du cercle R,

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la tangente T du cercle R au point J, etc. Ce faisant, elle débite des explications que personne

n’entend, sa voix étant couverte par le brouhaha – ce qui ne semble pas, d’ailleurs, la gêner

outre mesure. Lorsqu’elle a brillamment démontré que IJKL est un parallélogramme, elle

retourne tranquillement à sa place. L’étude est en train de battre son plein.

« … jamais arrivé. Elle a une santé de fer !

- Dis plutôt qu’elle est tellement sadique qu’elle ne veut pas nous faire le plaisir de nous

laisser tranquille une seule journée, et qu’elle vient faire cours même quand elle a

quarante de fièvre, corrige quelqu’un.

- Bof… Moi je ne la trouve pas particulièrement sadique… Un peu sévère, peut-être, mais

consciencieuse…

- Parle pour toi ! intervient Ficelle. Elle ne fait que nous donner des punitions, nous mettre

au coin, nous donner des lignes à copier, et nous confisquer nos affaires ! Tiens, rien que

le mois dernier elle m’a confisqué un stylo qui clignote et qui fait pin-pon quand on écrit,

du vernis à ongle bleu assorti à ma barrette violette, une adorable grenouille qui s’appelait

Têtard, et un numéro de France-Flash de l’année dernière !

- Qu’est-ce que tu faisais avec un numéro de France-Flash de l’année dernière ? interroge

Françoise.

- Des avions en papiers. Les vieux journaux sont bien mieux que les neufs pour les avions

en papiers, surtout quand on fait des modèles anciens. Pour faire le Concorde,

évidemment, il vaut mieux un journal du jour…

- Ça ne nous dit pas ce qui arrive à Mademoiselle Bigoudi, rétorque Françoise à mi-voix. Je

me demande…

- Tu ne crois pas qu’elle est malade, comme l’a dit le directeur ? » s’étonne Boulotte qui

s’est assise à côté de son amie, laissant Ficelle pérorer devant le reste de la classe. « Ça

peut arriver, après tout !

- C’est vrai… Mais je trouve qu’il avait un air bizarre en nous annonçant ça… Enfin, je

suppose qu’on verra demain. »

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Le reste de la matinée se passe à spéculer sur les raisons de l’absence de Mlle Bigoudi et –

pour Ficelle – à raconter comment elle a, quelques mois plus tôt, arrêté à elle toute seule une

gigantesque organisation mafieuse en Sardaigne.

* * *

« ... se sont mis en grève surprise cet après-midi. “Ce n’est plus tolérable”, a

déclaré le porte-parole de l’organisation syndicale des éboueurs. “Sous le

prétexte qu’il n’y a plus de directeur, on refuse de nous payer notre salaire. Eh

bien, que Framboisy baigne dans les ordures pendant quelques jours, et je suis

certain que les habitants seront prêts à nous payer, et même mieux qu’avant,

pourvu que nous reprenions le travail !” Selon le vice-président du conseil

d’administration de la Propreté Générale, rien ne peut se faire tant que la

situation de précarité de l’entreprise n’est pas réglée. Rappelons que depuis

que le directeur général, Monsieur Propre, a été renvoyé voici bientôt un mois,

on a découvert que l’entreprise de ramassage d’ordures souffrait d’une

gestion totalement inefficace et menant droit à la faillite, à tel point qu’il a été

impossible de trouver un successeur à Monsieur Propre.

Passons maintenant à la politique internationale. Au Panorama, le Roi

Norberto a reçu la visite officielle de Pastiz Sanzo, Président de la République

du Caramba. Les deux chefs d’État ont décidé de mettre en route un

programme de collaboration économique sud-américaine... »

Fantômette éteint le téléviseur, puis se dirige vers la cuisine pour nourrir son chat.

« Eh bien ! Nous allons vivre dans les ordures ! Charmant ! Remarque, je les comprends,

ces braves gens. S’ils n’ont pas été payés depuis plus de deux mois... Méphisto, arrête

de tourner autour de mes jambes, tu vas me faire tomber ! »

Une bonne assiette de Miaou vient distraire le chat. Fantômette se prépare pour elle-même

une bonne assiette de couscous (en souvenir d’un récent combat contre le Furet), et elle est en

train de porter la première fourchetée à sa bouche lorsque le téléphone sonne.

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« Allô ?

- Allô, ici la merveilleuse Ficelle qui vous parle ! Qu’est-ce que tu as fait, cet après-midi ?

- Oh, pas grand chose. Un peu de karaté, un peu de tir à l’arc, un peu de lancer de couteaux,

un peu d’arabe, un peu d’allemand… et puis j’ai fait le ménage dans mon grenier, j’ai

recousu un ourlet et j’ai terminé Splendeurs et Misères des courtisanes. Et toi ? Tu as

révisé ta géographie ?

- Non, je n’ai pas eu le temps.

- Tu as eu tout l’après-midi de libre !

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- Justement, quand je n’ai qu’une heure de libre je veux bien l’utiliser pour réviser, mais

quand j’ai un après-midi entier, ce serait vraiment du gâchis. Je suis allée à la pêche avec

Jean et Jacques Palissandre. Jacques est toujours aussi désagréable, mais il est parti

dénicher des oiseaux et il nous a laissé pêcher tranquillement. Nous n’avons pas pris un

seul poisson, mais trois chaussures différentes. Jean m’a donné la sienne, c’est gentil, pas

vrai ? Je vais en mettre deux demain, la noire et la marron, je trouve que ça ira mieux

ensemble que si je mettais la marron et la bleue. Quoique la noire et la marron sont toutes

les deux des pieds droits... Et puis la marron est un peu petite pour moi. À moins que je

coupe le bout, ce qui aura le mérite d’aérer mes grands pieds... En fait je pourrais même la

découper complètement et m’en faire des nu-pieds. Tu me diras que ce n’est pas encore la

saison, mais...

- Ficelle, tu permets ? Mon dîner m’attend. Tu me raconteras tout ça demain, à la

récréation. Bonne soirée !

- OK, à demain ! »

Ficelle raccroche, réfléchit deux secondes, puis se tourne vers Boulotte.

« Ça ne me dit pas quelles chaussures je vais mettre demain matin ! Qu’en penses-tu,

Boulotte, la bottine noire, la sandale bleue, le mocassin marron ?

- Tes baskets. On a gym, le mardi matin. Malheureusement ! »

Le mardi, Mlle Bigoudi était de nouveau absente. Le professeur de dessin accepta d’assurer le

remplacement des deux premières heures de cours, et M. Cross, le professeur de gym, prit la

relève. Une fois de plus, les élèves furent libérés en fin de matinée.

« Ah, ce que c’est chouette, la vie, sans la mère Bigoudi ! s’exclame Ficelle en sortant de

l’école. J’espère qu’elle est vraiment malade et qu’elle va être obligée de rester au lit un

bon semestre, ou alors un trimestre, ou au minimum un duestre... Vous faites quoi

maintenant ? J’ai envie d’aller au cinéma. Au Majestic, ils donnent le film de Boris

Brindisi, vous savez, Fantômette contre le Fantôme. Vous venez avec moi ?

- Non, pas moi », répond Boulotte en contournant trois grosses poubelles pleines à ras bord

qui s’alignent sur le trottoir. « D’abord, on l’a déjà vu, ton film, et puis dans le Majorette

Hebdo que nous avons reçu hier, j’ai découvert une recette de cuisine fantastique, à base

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de foie gras, d’ananas, de figues, d’œufs, de crème fraîche, de roquefort, de haricots

blancs et de chair à saucisse : j’ai hâte de l’essayer !

- Et toi, Françoise, tu viens avec moi ?

- Non merci, j’ai à faire.

- Oh, bon, d’accord ! Si Mademoiselle a à faire... rétorque Ficelle, boudeuse.

- Mais tu viendras dîner avec nous, Françoise ? demande Boulotte. Il faut que tu testes ma

recette !

- Heu... entendu, Boulotte. Je vous retrouve ce soir. À bientôt ! »

Et Françoise s’éloigne d’un pas vif, évitant adroitement de glisser sur un monceau d’ordure

qui lui barre le chemin.

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CHAPITRE 2

Drrriiiing !

« La barbe ! grommelle le directeur du groupe scolaire Guy Gnol. On ne peut jamais

travailler tranquillement ! »

Il replie soigneusement l’illustré Pouponette chez les Zoulous dans lequel il était plongé et

décroche le téléphone.

« Allô ?

- Allô ! Bonjour, Monsieur le directeur. Fantômette à l’appareil.

- Fantômette ? »

Les yeux du directeur deviennent aussi ronds que des billes.

« Ah ! Mademoiselle, il m’est difficile d’exprimer la joie qui m’étreint à l’idée que j’ai

l’honneur...

- Merci, Monsieur. Je vous téléphone pour avoir des nouvelles de Mademoiselle Bigoudi.

- Mademoiselle Bigoudi ? répète le directeur, légèrement déçu.

- Oui. Est-elle réellement souffrante, comme vous l’avez expliqué à ses élèves ?

- Oh ! non. J’ai dit ça pour les rassurer. En réalité, elle a disparu, répond le directeur le plus

naturellement du monde.

- Disparu ?

- Oui, c’est horrible, n’est-ce pas ? reprend le directeur sur le ton de la conversation. Elle

n’est pas chez elle, et la concierge ne l’a pas vue depuis dimanche soir. J’espère qu’il ne

lui est rien arrivé de grave... Mais enfin, il est tout de même possible qu’elle ait eu un

accident et qu’à cette heure même elle soit en train de faire faire une dictée au anges, ou

peut-être aux démons, ah ! ah ! »

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La plaisanterie tombe à plat. Au bout du fil, Fantômette se tait, apparemment plongée dans ses

réflexions. Puis elle demande :

« Avez-vous prévenu la police ?

- Bien sûr ! Enfin, je veux dire que j’y ai pensé, ou plutôt, pour être honnête, la concierge y

a pensé, mais ils lui ont répondu qu’il faut au moins 48 heures avant de s’inquiéter lorsque

quelqu’un a disparu... Si tant est que quelqu’un s’inquiète, bien entendu...

- Et avez-vous demandé à la concierge à quelle occasion elle l’avait vue pour la dernière

fois ?

- Heu... Ben... Elle m’a dit qu’elle l’avait vu dimanche soir, ou plutôt c’est ce qu’elle a dit à

ma femme qui est a eu la gentillesse de lui téléphoner lundi matin pendant que je

surveillais ses élèves, de Mademoiselle Bigoudi, je veux dire... Mais elle ne lui a pas dit

dans quelles circonstances.

- Pendant que vous étiez en train de surveiller ses élèves ? Hier matin ?

- Bien entendu ! répond le directeur en faisant l’important. Je ne pouvais pas les laisser

seules, elles n’auraient pas travaillé un seul instant, vous pensez ! Alors je me suis

sacrifié, et n’écoutant que mon devoir, au risque de passer la nuit sur mon travail en

retard...

- Bon, bon, je comprends. Une dernière chose : Mademoiselle Bigoudi habite bien au 12 rue

Laurent-Barre, n’est-ce pas ?

- Absolument.

- Eh ! bien, merci, Monsieur le directeur.

- Attendez, attendez ! J’ai une petite question à vous poser, si j’ose...

- Je vous écoute.

- Alors voilà : plusieurs personnes ont insinué que vous êtes une jeune fille de Framboisy,

et même que vous fréquentez mon école. Si c’est vrai, j’aurais aimé savoir votre nom... en

toute confidence, bien entendu !

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- Oh, Monsieur le directeur, vous faites le modeste, mais je suis certaine que vous l’avez

déjà deviné... Au revoir, et merci pour vos renseignements ! »

Le directeur raccroche pensivement, médite quelques instants, puis murmure :

« Oui, bien sûr, j’ai deviné... enfin, presque... Voyons, ça ne peut pas être Isabelle Potasse,

puisqu’elle a été délivré par Fantômette un jour où elle s’était bêtement fait enlever.

Annie Barbemolle, qui avait été mêlée à cette histoire des poupées, il y a quelques

temps ? Colette Legrand, la petite du Clos des Fougères ? Ou bien est-ce que, comme le

soupçonne le jeune Armand Talo, Fantômette serait un garçon ? »

* * *

Fantômette sort de sa villa, franchit le portail d’un bond, saute sur un cyclomoteur rouge qui

l’attendait devant la grille, et démarre. Cinq minutes plus tard, elle gare son véhicule et

s’engage, du pas de quelqu’un qui se promène, dans la petite rue Laurent-Barre.

Depuis le carnaval de l’année dernière, où quatre Fantômettes de pacotille se sont disputé le

premier prix à un concours de cotillons, les framboisiens ne s’étonnent plus de voir circuler

un espèce de lutin vêtu de jaune, rouge et noir, ne soupçonnant jamais qu’il puisse s’agir de la

véritable aventurière. La concierge du numéro 12 est en train d’essayer de faire tenir un sac

d’épluchures de légumes en équilibre sur le tas d’ordures qui entoure la seule poubelle de

l’immeuble. C’est une petite femme ronde et joviale, qui sourit gaiement en apercevant

Fantômette.

« Bonjour, Mademoiselle la justicière ! Quel plaisir de vous rencontrer ! Êtes-vous en

train de pourchasser de dangereux bandits ?

- Mais oui, ma bonne dame ! Figurez-vous qu’après avoir volé le Régent et la couronne de

Charlemagne, je viens d’apprendre que le Furet avait des visées sur le célèbre Collier de la

Reine... Mais il se cache peut-être dans une poubelle, auquel cas je vais avoir bien du mal

à l’attraper !

- Ah ! la la ! Franchement ! À quoi ça rime-t-il, cette grève ! Regardez : ça fait à peine 24

heures, et on est déjà envahis !

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- Vous avez bien raison. Sans compter qu’il commence à faire chaud, et que ça sent

mauvais ! Cela doit d’ailleurs incommoder vos locataires ?

- Oh, il y en a bien un ou deux qui font des histoires, mais ça va... Ils se rendent bien

compte que ce n’est pas ma faute, à moi ! Par contre, heureusement que la petite dame

proprette du second n’est pas là en ce moment. Elle aurait été rudement pas contente, elle

qui est si maniaque !

- Ah bon ?

- C’est comme je vous le dis. Il faut la voir, le matin, quand elle part donner ses cours à

l’école, dans sa jupe plissée toute bien repassée ! Et chez elle, c’est toujours impeccable.

Pas un grain de poussière, rien qui dépasse. Oh, ça, c’est une dame sérieuse, et je ne peux

pas m’en plaindre.

- Mais elle n’est pas là en ce moment, vous dites ? Elle est en vacances ?

- Oh, non, d’ailleurs en général même pendant les vacances elle reste ici, elle prépare ses

cours et elle corrige les copies... C’est pas une vie, allez...

- Mais alors, dit Fantômette qui s’impatiente, où est-elle ?

- Chez sa sœur, qui est malade.

- Sa sœur ? »

Face à cette information, Fantômette commence à se demander si elle n’avait pas tort de

s’inquiéter. Si Mlle Bigoudi a été appelée auprès de sa sœur malade, quoi de plus naturel

qu’elle y soit allée, malgré les leçons à donner ? Et si sa sœur est dans un état inquiétant, quoi

de moins étonnant, même de la part d’une personne aussi consciencieuse, qu’elle ait oublié de

téléphoner au directeur pour le prévenir ?

« Oui, une dame qui habite Goujon-sur-Épuisette. Je le sais parce qu’elle écrit tous les ans

à Noël et à Pâques, et j’ai regardé le cachet de la poste... Elle est aussi venue ici, pas

souvent, mais je m’en souviens bien : elle ressemble beaucoup à ma locataire, mais en

plus âgé. Elle n’est pas mariée non plus – j’ai bien vu qu’elle ne portait pas d’alliance.

Toutes les deux, elles passent toujours une ou deux semaines ensemble en été, quelque

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part à la campagne. Une fois elles étaient allées à Guéthary, j’ai bien vu ce nom sur les

billets de train, par transparence à travers l’enveloppe. C’est où, ça, Guéthary ?

- Sur la côte Basque. J’y ai passé des vacances avec mes amies, un été... Bref, sa sœur est

malade ?

- Oui. En tous cas c’est ce qu’a dit le chauffeur. »

Fantômette sursaute.

« Le chauffeur ?

- Oui, le chauffeur de la grande voiture noire qui est venue la chercher...

- Elle est montée dans une voiture qui est venue la chercher ?

- Oui. La voiture s’est garée devant la porte, juste sous le panneau de stationnement interdit,

et il y a ce monsieur qui est descendu, et qui m’a dit comme ça : “C’est bien ici qu’habite

Mademoiselle Bigoudi ? Elle doit venir tout de suite, sa sœur est malade.” Alors moi je

suis montée la prévenir, voyez-vous, et j’ai trouvé ma locataire en train d’écrire dans un

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cahier, j’ai jeté un coup d’œil après pendant qu’elle était en train de se préparer, mais

c’était juste un cahier de calcul... Bref, elle a pâli, elle a préparé un petit sac de vêtements

et elle est partie tout de suite avec le monsieur.

- Et comment était-il, ce monsieur ?

- Ah, ça, je ne saurais pas vous le dire, parce qu’il portait un chapeau qui était

complètement enfoncé sur ses yeux, comme un gangster de la télévision, et puis

visiblement il avait un gros rhume, il n’arrêtait pas de se moucher et il tenait sans cesse

son mouchoir devant son visage. Par contre, j’ai bien remarqué qu’il avait des vêtements

très chics, et une cravate de la même marque que monsieur le président de l’assemblée des

copropriétaires, qui est toujours si bien habillé. Il faut dire qu’il peut se le permettre : à

part les trois premiers étages ici, il possède aussi...

- Et la voiture, coupe Fantômette, comment était-elle ?

- Heu... grande, et noire...

- De quelle marque ?

- Moi, vous savez, les voitures...

- Vous n’avez pas remarqué le numéro d’immatriculation, par hasard ?

- Le numéro qui est écrit à l’arrière, vous voulez dire ? Ben non, pourquoi faire ? » La

concierge fronce les sourcils. Elle a beau être passablement bavarde, toutes ces questions

commencent à l’intriguer.

« Pourquoi est-ce que vous me demandez ça ?

- Heu... pour rien, pour rien », répond Fantômette qui redoute les braillements d’excitation

que risquerait de provoquer la révélation de son identité.

« Je joue à être Fantômette, c’est tout... merci, en tous cas, et au revoir ! »

Et, tournant le dos, elle s’éloigne en courant, laissant la concierge perplexe.

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CHAPITRE 3

Sonnerie de la porte d’entrée : deux coups brefs, un coup long. Ficelle se précipite pour

ouvrir, et Boulotte sort de la cuisine en coup de vent.

« Françoise ! Tu es en retard ! On n’attend plus que toi ! À table !

- Mais...

- À table, toutes les deux ! Ou mon soufflé au saumon et à l’oseille va redescendre ! Allez,

tout de suite, j’ai dit ! »

Ficelle et Françoise s’assoient sans répliquer. Il ne fait pas bon contredire Boulotte lorsqu’il

s’agit de cuisine. Un soufflé “grand comme le Cumulus” (dixit Ficelle) est apporté sur la

table, et les deux amies l’entament joyeusement, prodiguant moult compliments à la

cuisinière. Le dîner se poursuit agréablement, Boulotte détaillant la recette du moindre plat

qu’elle met sur la table, et Ficelle racontant avec de grands éclats de rire le film que ses deux

amies ont déjà vu. Boulotte vient d’apporter un reblochon, une brique de brebis, un gouda au

cumin et un époisses lorsque Françoise se lève.

« Je peux utiliser votre téléphone ? Je suis sûre qu’après le fromage, Boulotte a prévu au

moins un ou deux desserts, et si j’attends de rentrer chez moi il sera trop tard...

- Ça dépend, répond Ficelle en faisant l’importante. Déclinez les raisons de votre appel, le

nom de votre interlocuteur, son adresse et la durée prévisionnelle de la conversation, s’il

vous plaît. Tu vas parler à qui pourquoi pendant combien de temps où ça ?

- À la sœur de Mademoiselle Bigoudi, ma grande.

- Quoi ? » s’exclament en même temps Ficelle et Boulotte.

En quelques mots, Françoise explique qu’elle est inquiète pour leur institutrice, dont la

disparition ne lui paraît pas naturelle. Elle raconte ensuite qu’elle a profité de l’après-midi

pour aller interroger la concierge de son immeuble, ce qui d’ailleurs justifie son retard, la

concierge étant très bavarde.

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« Encore plus que toi, ma grande. En tous cas, j’ai réussi à apprendre que Mademoiselle

Bigoudi est montée dimanche soir dans une grande voiture noire dont le chauffeur

venait de lui expliquer que sa sœur était malade.

- Elle a une sœur ? » interroge Ficelle, ahurie. Il ne lui est jamais venu à l’esprit que son

institutrice est une personne à part entière, avec une vie privée, et qu’elle ne disparaît pas

comme une bulle de savon à chaque fois qu’elle sort de l’école.

« Oui.

- C’est peut-être vrai, qu’elle est malade ? hasarde Boulotte.

- Ça ne tient pas debout. Je me demande quand est-ce que les gens cesseront de se faire

prendre à ce truc vieux comme le monde ! Si elle avait été malade, la sœur en question

aurait pu téléphoner, tout simplement. Il n’y a aucune raison pour qu’elle ait envoyé une

voiture avec un chauffeur. D’autant plus que d’après ce que j’ai pu comprendre, ce n’était

pas un taxi, et l’homme était beaucoup trop bien vêtu pour être un commissionnaire.

- Mais si elle avait été très très malade ? suppose Ficelle.

- Alors elle serait à l’hôpital, et Mademoiselle Bigoudi aurait également été prévenue par

téléphone. Et s’il y avait eu urgence, ils auraient envoyé une ambulance, pas une voiture

de luxe ! De toutes façons, c’est pour ça que je veux téléphoner à sa sœur, pour vérifier

mon hypothèse. J’ai trouvé son numéro dans un annuaire, à la poste. »

Quelques secondes de silence. Boulotte se dit qu’elle réfléchira mieux à tout ça quand son

estomac sera vraiment plein, et elle entame allègrement le plateau de fromage. Ficelle, elle,

est tiraillée entre deux sentiments contraires : son espoir que l’institutrice ne soit jamais

retrouvée, et la passion qu’elle nourrit pour tout ce qui ressemble à un mystère. Finalement,

c’est la curiosité qui l’emporte.

« Bon, d’accord, tu peux téléphoner... Ou plutôt, non, c’est moi qui vais le faire.

- Tu es sûre de savoir quoi dire ?

- Tu me prends pour une cervelle pleine de trous ? D’ailleurs, c’est MON téléphone. »

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Françoise hausse les épaules et lui tend le morceau de papier sur lequel elle a écrit les

coordonnées de la sœur de leur institutrice. Ficelle décroche, compose le numéro. Françoise

s’empare de l’écouteur auxiliaire.

Une sonnerie, deux sonneries. Puis une voix sèche se fait entendre.

« Allô ? Ici Mademoiselle Bigoudi. J’écoute ! »

Ficelle ouvre la bouche comme un poisson hors de l’eau, puis raccroche précipitamment,

complètement paniquée. Françoise se tourne vers elle, sourcils froncés.

« Mais enfin, qu’est-ce qui te prend ?

- Mais tu n’as pas entendu ? C’était Mademoiselle Bigoudi ! C’était elle ! Elle m’a

sûrement reconnue !

- Comment veux-tu qu’elle t’ait reconnu, tu n’as rien dit ! intervient Boulotte.

- Justement, quand elle me pose une question de géographie ou d’arithmétique, je ne dis

jamais rien ! Elle va être furieuse ! Elle va me faire copier cent fois “ne pas déranger les

institutrices qui sont en visite dans leur famille”, à tous les temps et à tous les modes !

- Mais enfin, grande andouille, ce n’était pas notre institutrice ! dit Françoise, agacée.

- Ah ! bon ? Mais elle a dit...

- C’était sa sœur ! Elle n’est pas mariée non plus, et elle a le même nom, voilà tout ! Passe-

moi ce téléphone. Cette fois, c’est moi qui appelle. »

Penaude, Ficelle obtempère.

Quelques secondes plus tard, Françoise entre en conversation avec la “Bisgoudi”, comme la

surnomme intérieurement Ficelle. Dès les premiers mots de la conversation, il est évident que

celle-ci n’a aucune idée de l’endroit où est sa sœur ; elle semble également plutôt étonnée que

cette jeune inconnue qui lui téléphone lui pose avec autant d’insistance des questions sur son

état de santé. Pour ne pas inquiéter inutilement la brave dame, Françoise se garde bien de lui

parler de la disparition de sa sœur, et invente rapidement une petite histoire pour justifier son

appel :

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« Je suis la fille d’une ancienne élève de Mademoiselle Bigoudi, votre sœur, et ma mère

m’a beaucoup parlé de son institutrice bien aimée… (derrière son dos, Ficelle et

Boulotte font en parfaite synchronisation une horrible grimace). J’aurais bien voulu la

connaître directement, et en trouvant une Mademoiselle Bigoudi dans l’annuaire j’ai

pensé que c’était vous. »

Le mensonge est assez piteux, mais la vieille fille le gobe avec délice.

« C’est vrai ? Je suis bien contente. La tâche de ma sœur est tellement ingrate ! Vous ne

croiriez jamais ce qu’elle me raconte sur certains de ses élèves. Je ne la vois pas

souvent, mais quand nous passons des vacances ensemble elle me régale toujours

d’anecdotes incroyables. Croiriez-vous, par exemple, que l’une de ses élèves a

récemment apporté une lunette en classe, avec laquelle elle a passé plusieurs heures à

dévisager son institutrice, racontant ensuite à la récréation que le nez de ma sœur

ressemblait à une courgette ? »

Nouvelle grimace de Ficelle. Françoise, de sa voix la plus mielleuse, enchaîne :

« Oui, bien sûr, je comprends… Mais enfin, je suis certaine que beaucoup de gens

admirent votre sœur autant que ma mère le fait. Elle n’a probablement aucun ennemi,

n’est-ce pas ?

- Des ennemis ? Non, certainement pas !

- Si elle en avait, elle vous en aurait parlé ?

- Bien entendu. Geneviève me raconte tout ce qui se passe d’important dans sa vie. »

Ficelle fait une moue d’incompréhension. Qui est cette Geneviève qui surgit dans la

conversation ? Boulotte, qui partage l’écouteur avec elle, lui souffle à l’oreille :

« L’instit !

- Hein ? Tu veux dire Mademoiselle Bigoudi ? Tu crois qu’elle a un prénom ? »

Mais déjà, La “Bisgoudi” continue à raconter :

« Elle me raconte tout, je vous dis. Tenez, par exemple, il y a une vingtaine d’années elle

avait eu un prétendant… Eh ! bien, c’est vers moi qu’elle s’était tournée pour la

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conseiller sur la conduite à tenir. Comme ce jeune homme n’était que surveillant alors

qu’elle-même était institutrice, je lui avais recommandé de le repousser, ce qu’elle avait

fait. Vous voyez bien qu’elle me dit tout ! »

En entendant cette anecdote, une nouvelle idée a germé dans l’esprit de Françoise. Elle

interroge :

« Mais après avoir été éconduit, ce monsieur a dû être bien amer, non ?

- Ah, oui, certainement, mais enfin tant pis pour lui ! Enfin, nous nous écartons du sujet. Le

fait est que même si bien peu de gens comprennent la grandeur d’âme de Geneviève, qui a

sacrifié sa vie à éduquer des vauriens, elle n’a certainement aucun ennemi, à ma

connaissance en tous cas. Ecoutez, ma petite, je vais vous donner son numéro de

téléphone, vous devriez lui parler directement. Ça lui fera plaisir que l’une de ses

anciennes élèves se souvienne d’elle au point de donner à sa fille envie de la rencontrer ! »

Françoise remercie, se fait dicter un numéro qu’elle ne note pas, remercie à nouveau, souhaite

une bonne soirée à la bonne dame, la remercie encore une fois de lui avoir consacré ces

quelques minutes, et raccroche. Aussitôt, Ficelle l’interroge :

« Je n’ai rien compris à son histoire. Qu’est-ce qu’il prétendait, ce monsieur qui était

surveillant ?

- Il prétendait à sa main.

- Hein ?

- Il lui faisait la cour, si tu préfères !

- Quoi ? »

Yeux ronds, bouche bée, dans une attitude figée, Ficelle est l’image même de la stupéfaction.

Elle met plusieurs secondes à se reprendre. Lorsqu’elle recouvre l’usage de la parole, c’est

pour s’exclamer d’une voix suraiguë :

« Tu… tu ne veux pas dire qu’il était AMOUREUX d’elle ?

- C’est exactement ce que je veux dire, ma grande. Enfin, en tous cas il voulait l’épouser.

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- Mais enfin, ce n’est pas possible !

- Et pourquoi ? »

Ficelle ouvre et referme plusieurs fois la bouche, apparemment incapable de formuler ses

idées. Sourcils froncés, Boulotte réfléchit également sur l’incroyable révélation. Elle

murmure :

« Elle est vieille, d’abord…

- Pas tant que ça, répond calmement Françoise. Elle s’habille comme une vieille, c’est vrai,

et puis avec ses lunettes et son chignon… Mais enfin, ce n’est pas demain qu’elle va

prendre sa retraite. Et puis je vous signale qu’il y a vingt ans, elle était certainement moins

vieille qu’aujourd’hui !

- Mais elle est moche ! proclame Ficelle (qui se croit, quant à elle, d’une beauté

insurpassable malgré ses cheveux filasses, son nez trop long et son corps osseux).

- Pas tant que ça non plus. Si elle s’arrangeait un peu mieux… Et puis de toutes façons, tu

n’as jamais vu des gens moches se marier, dis-moi ?

- Heu… non… pas dans les magazines, en tous cas… Mais voyons, elle est méchante !

- Elle est sévère, voilà tout. Ses méthodes ne sont peut-être pas très novatrices… Elle

pourrait être un peu plus compréhensive… se permettre un sourire de temps en temps…

Bref, quoiqu’il en soit, le fait est qu’un jour quelqu’un a voulu l’épouser, et qu’elle a

refusé. Vous comprenez l’importance de cette nouvelle ?

- Heu… non… » répond Ficelle. Boulotte secoue la tête, perplexe.

« Ce prétendant humilié est le seul ennemi que connaisse notre institutrice, déclare

Françoise. Or, nous avons désormais la preuve qu’elle a été enlevée, puisque sa sœur se

porte comme un charme.

- Ah, oui, c’est vrai, l’enlèvement ! » reprend Ficelle qui avait totalement oublié la raison

de l’appel de Françoise. « Tu as vraiment l’intention d’enquêter pour retrouver notre

instit ? Je te préviens, tu te passeras de mon aide incomparaître !

- Incomparable ?

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- Parfaitement ! Moi, je n’ai pas envie de la retrouver, la mère Bigoudi ! Et puis d’abord, ce

n’est pas vrai que le prétendant est son seul ennemi.

- Ah non ?

- Non. Il y a aussi moi !

- Ah, oui, bien sûr. Mais tu ne l’as pas enlevée, que je sache ?

- Tu ne peux pas en être sûre, pas vrai ? Et même si ce n’est pas moi, c’est peut-être un

autre élève qu’elle a torturé sans pitié, comme moi !

- Peut-être… répond distraitement Françoise.

- Bon, si vous avez fini, on peut peut-être prendre le fromage et le dessert, maintenant ?

suggère Boulotte. On réfléchit mieux l’estomac plein… »

Mais la soirée n’apporte aucune nouvelle idée. Peut-être parce l’estomac des trois filles, non

pas plein mais surchargé, les invite plutôt à aller se fourrer dans leur lit !

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CHAPITRE 4

Le mercredi, les élèves n’ont pas cours. Pourtant, les élèves de Mlle Bigoudi se rassemblent à

10h, depuis bientôt deux mois, pour répéter la pièce de fin d’année. L’année dernière, la pièce

représentait les dieux et déesses de l’Olympe ; cette année, pour faire contrepoint à ce

spectacle païen, on a décidé de monter une adaptation de la Divine Comédie, de Dante – le

résultat étant certainement comique, à défaut de divin. Entre les deux, Ficelle a également

monté son propre spectacle, “Fantômette, t’es chouette”, en incarnant avec succès le rôle

principal.

En se rendant à l’école ce mercredi-là, cependant, Ficelle a soudain des doutes. En l’absence

de leur institutrice, qu’en sera-t-il du spectacle ? Ficelle s’est beaucoup battue pour obtenir le

rôle de Béatrice, ravie de damer le pion à Boulotte et Françoise, respectivement pécheresse

(par gourmandise, évidemment) et petit démon. Boulotte est également très satisfaite de son

rôle qui lui permet de grignoter tout au long de la représentation sans jamais se faire

gourmander1.

En arrivant dans la cour, Ficelle et Boulotte constatent que leur inquiétude est justifiée. Ne se

trouvent là qu’une poignée d’élèves qui ne sont venus que par acquis de conscience ou,

comme Ficelle, dans l’espoir que les répétitions auront tout de même lieu. Françoise en fait

partie.

Le directeur fait son apparition à 10h08, avec l’air bourru de quelqu’un que l’on vient

d’empêcher de terminer sa grasse matinée. En quelques mots, il enjoint aux élèves de

retourner chez eux sans plus attendre. Grognement des intéressés.

« Mais… et la pièce de théâtre ? Si nous ne répétons pas, nous ne serons jamais prêts à la

fin de l’année ! argumente timidement Ficelle.

- Ah, ça, je n’y peux rien, ce n’est pas moi qui vais me mettre à vous faire réciter des

inepties… je veux dire que je ne connais rien à l’art dramatique, moi, et que j’ai une

montagne de choses à faire, donc vous vous passerez de cette répétition ! D’ailleurs, si

Mademoiselle Bigoudi ne revient pas dans les quelques jours qui viennent, c’est une

remplaçante qui prendra le relais, et la représentation sera annulée. »

1 En temps normal, Mlle Bigoudi gourmande souvent la gourmande – autrement dit, elle gronde souvent

Boulotte. (Note amusée de Ficelle)

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Exclamations indignées de la part des élèves.

« Ah, mais non, on ne va pas annuler le spectacle ! proteste Ficelle.

- Mes enfants, ça vous pend au nez, si je puis dire ! On ne va certainement pas demander à

une remplaçante de faire des heures supplémentaires le mercredi matin ! Je m’étonne que

Mademoiselle Bigoudi perde son temps à… enfin, bref.

- Monsieur, dites… et la sortie au musée d’Orsay qui est prévue pour dans dix jours ?

demande Zézette, une petite rousse qui ne se sépare jamais de son transistor de poche.

- Ah bon, vous aviez une sortie de prévue ? Eh bien, annulée, elle aussi, bien entendu. Je

suis désolé, mais… »

Les cris de protestations lui coupent la parole. Mlle Bigoudi a en effet décidé de donner à ses

élèves des notions de culture ; elle les a déjà emmenées au Louvre voir les antiquités

égyptiennes, au Centre Georges Pompidou admirer les Matisse, au musée d’Art Futuriste de

Framboisy applaudir les œuvres de Popovitch, au Musée médiéval Gontran-Gaétan saliver

devant le diadème de Berthe aux grands pieds, et le Musée d’Orsay est le prochain sur la liste.

Malgré la rédaction peu engageante qui s’ensuit inévitablement (“Vous avez visité un musée,

racontez vos impressions”), les élèves apprécient beaucoup ces sorties mensuelles. Surtout

Ficelle, qui est persuadée d’avoir une âme très artistique.

Avec un dernier haussement d’épaules d’impuissance, le directeur s’éloigne. Suivie de ses

deux amies, Françoise s’avance pour le rattraper, lorsqu’il semble lui-même se raviser et se

diriger justement en direction du trio. Arrivé devant elles, il semble hésiter un instant, puis

s’adresse à Ficelle :

« Mademoiselle, arrêtez-moi si je me trompe, mais il me semble avoir vu plus d’une fois

votre nom dans la presse aux côtés de celui de Fantômette, est-ce exact ? Lors de la

prise d’otages en Armonika, par exemple... Ou quand France-Flash cherchait le trésor de

la Babouche... »

À la fois fière et confuse, Ficelle rougit jusqu’aux oreilles, puis approuve vigoureusement de

la tête.

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« Absolument, Monsieur ! C’est incroyable, mais elle est toujours là quand il m’arrive

quelque chose ! On dirait presque qu’elle me protège… Je me souviens même que je lui

ai demandé pourquoi, une fois, et elle m’a juste répondu “Cherchez, cherchez, vous

finirez peut-être par trouver une explication, à la fin”. Ça doit être tout simplement parce

que je suis une fille superbement valable, et qu’elle se rend bien compte que ce serait

une perte pour l’humanité s’il m’arrivait quelque chose… »

Le directeur sourit, l’air complice.

« Ou peut-être qu’il y a une raison plus… secrète… Il serait amusant que Fantômette se

dissimule sous les traits d’une cancre… mais je ne veux pas être indiscret. Je voudrais

simplement vous montrer quelque chose. Comme ça, si vous la voyez, vous pourrez lui

en parler ! » ajoute-t-il en clignant de l’œil2.

Ficelle ne comprend pas très bien l’insinuation, et pourtant ce n’est pas la première fois qu’on

la prend pour son idole : récemment encore, la grande fille a été enlevée par le chef d’un parti

politique qui croyait ainsi mettre Fantômette hors d’état de nuire. Quoiqu’il en soit, elle ne se

sent plus de joie à l’idée qu’on puisse supposer qu’elle rencontre familièrement son idole, et

suit le directeur sans rechigner. Ses deux amies lui emboîtent le pas.

Les trois filles pénètrent dans le bureau du directeur. Ce dernier s’assoit à sa table, ouvre un

tiroir, en sort une toupie confisquée à un élève, un roman (Les 3D à l’hôtel flottant), et enfin

une lettre.

« Voyez. J’ai reçu ça ce matin. »

La grande fille sort une feuille de l’enveloppe, encadrée par Françoise qui grille d’impatience

et par Boulotte qui déplie soigneusement le papier d’un caramel. À première vue, il s’agit

d’une lettre administrative, tapée à la machine, et adressée au directeur. Mais son contenu est

un peu surprenant :

2 Comme je l’ai déjà dit ailleurs, on pourrait se contenter de dire “en clignant“, parce que quand on cligne

c’est toujours un œil ! (Note de Ficelle extraite de ses Evidences du Français)

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« Madame, Monsieur,

J’ai l’honneur de vous informer que jai enlever la vieilles bique et que vous ne

la revéré pas de sito. Si vous prévener la police il risk de lui arrivé maleure.

Alor oublier-là et trouver une remplacente !

En restant à votre disposition pour tout renseignement complémentaire, je

vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, mes salutations distinguées.

Un ami qui vou veux du bien. »

« Mais qu’est-ce que c’est que cette lettre ? murmure Françoise, pensive. Une blague ?

- Je ne crois pas, répond le directeur qui a entendu. Il s’agit de toute évidence de

Mademoiselle Bigoudi, qui a bel et bien disparu. Et depuis que j’ai reçu cette menace, je

n’ose plus prévenir la police…

- Vous ne l’avez pas encore prévenue ?

- Heu… non. Vous ignorez sans doute que quelqu’un doit avoir disparu 48 heures avant de

prévenir la police. Mademoiselle Bigoudi a été vue pour la dernière fois chez elle

dimanche soir…

- … et donc on aurait pu prévenir la police hier soir, n’est-ce pas ? »

Le directeur s’agite inconfortablement sur sa chaise.

« Certes… vous avez raison, et je vous félicite pour votre capacité de calcul mental. Mais

voilà, le fait est que… heu… eh bien, pour tout vous dire, il y avait une partie de

football très intéressante à la télévision hier soir, et… voilà… ça m’est sorti de

l’esprit. »

Françoise, indignée, se retient de faire le moindre commentaire. Soudain, Ficelle, qui pendant

cette conversation était plongée dans l’étude de la lettre, s’écrie triomphalement :

« Mais il y a une faute d’orthographe, dans cette lettre !

- Une ? demande Françoise ironiquement.

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- Mais oui ! Regarde, il a écrit “revéré”, alors qu’il aurait fallu écrire “revérez”, avec un Z

au bout ! C’est la deuxième personne du pluriel, et il faut toujours mettre un Z, sauf

lorsqu’il faut mettre un S ! C’est Mademoiselle Bigoudi qui l’a dit !

- Il n’y a pas seulement une faute, mais plusieurs, explique Françoise patiemment. Presque

une à chaque mot. Pour tout dire, on dirait une de tes dictées ! Qui a pu écrire un truc

pareil ? »

Comme, de toute évidence, personne n’est capable de répondre à cette question, Françoise

profite de l’occasion pour poursuivre sa propre piste, et demande au directeur le nom de la

personne qui faisait office de surveillant dans l’école il y a environ une vingtaine d’années.

Celui-ci est un peu étonné de la question, mais il ne fait aucune difficulté pour répondre :

« C’était Monsieur Fabien Surqueoui. Je m’en souviens très bien, c’était un garçon

charmant, qui s’entendait d’ailleurs fort bien avec votre institutrice. Enfin, au début du

moins. Il est resté ici à peu près cinq ans, et puis il a démissionné, il y a juste dix-huit

ans. Je ne peux pas me tromper, c’était juste au moment de la finale de la Coupe du

monde qui a opposé la Turbanie et le Banana... Pourquoi cette question ?

- Pour rien, merci. Savez-vous où il habite ?

- Il me semble qu’il est allé vivre à Paris quelques temps, et qu’il a suivi des cours pour

adulte à l’université, avant de revenir s’installer quelque part aux alentours de Framboisy.

Je l’ai rencontré devant le Majestic, il y a quelques mois. J’étais d’assez mauvaise

humeur : j’avais prévu d’aller voir Ivanhoé contre Robin des Bois, mais quelqu’un avait

volé la pellicule. Je l’ai rencontré en sortant, et il m’a invité à prendre un tilleul dans un

café. J’ai refusé.

- Un tilleul ? demande Boulotte, étonnée.

- Oui… Vous savez, il est… enfin, cela n’a aucune importance. » Le directeur se lève.

« Merci d’être venues dans mon bureau, mesdemoiselles, et (se tournant vers Ficelle) si

vous croisez Fantômette, demandez-lui de bien vouloir enquêter sur la disparition de

Mademoiselle Bigoudi… mais discrètement, attention ! Je ne voudrais pas que le ravisseur

mette ses menaces à exécution ! J’aurais tous les parents sur le dos… Enfin, merci de

votre aide, et bonsoir ! »

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Les trois jeunes filles sont poussées aimablement vers la porte qui se referme derrière elles.

Aussitôt, le directeur se dirige vers une armoire, l’ouvre, écarte les dossiers suspendus qui

dissimulent une télévision, et se plonge avec délice dans son feuilleton préféré, les

invraisemblables aventures de l’intrépide Zorotte (une aventurière toujours fourrée dans des

situations épouvantables, mais qui s’en sort automatiquement, le sourire aux lèvres).

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CHAPITRE 5

« L’affaire est claire. C’est d’une simplicité biblique ! » affirme Ficelle.

Les trois filles sont sorties de l’école et elles se dirigent lentement vers la place Théodore-

Théodule. La petite ville de Framboisy, si charmante d’ordinaire, présente désormais un

aspect sordide. À chaque pas, on trébuche contre des sacs poubelles mal fermés, des papiers

gras, des cartons remplis de bouteilles en plastique et de boites de conserves, des immondices

de toute sorte. Loin de bénir le soleil radieux, les habitants en viennent à espérer un temps gris

et surtout froid pour atténuer un peu l’odeur tenace qui s’échappe de toutes ces ordures.

Devant les restaurants ou à proximité de la rue où se tient quotidiennement le marché, les

senteurs de pourriture sont si suffocantes qu’il faut retenir sa respiration.

« L’affaire est claire, répète la grande fille. Il suffit de trouver qui a écrit cette lettre, et

nous tenons le coupable !

- C’est plus facile à dire qu’à faire ! objecte Françoise.

- Toi, ma petite, tu ne seras jamais une grande détectiveresse, comme moi : tu te rends trop

facilement. Voyons. Que pouvons-nous déduire de cette lettre ?

- Tout d’abord, qu’elle a été postée à Framboisy même, au bureau de poste du sud de la

ville : pour preuve, le cachet de la poste. Ensuite, qu’elle a été tapée à la machine.

Troisièmement, que le ravisseur poursuit une vengeance, puisqu’il ne demande pas de

rançon. Quatrièmement, que celui qui a écrit cette lettre a une connaissance très imparfaite

du français. Un enfant de sept ans pourrait écrire comme ça. À moins que... » Françoise

s’interrompt, pensive.

« À moins que quoi ? » demande Boulotte en ouvrant un paquet de petits gâteaux.

« Je ne pense pas que ce soit un enfant. Les formules de début et de fin viennent tout droit

d’un manuel de correspondance d’affaire. On les a peut-être même recopiées d’après de

vraies lettres officielles. Un enfant n’aurait pas l’idée de faire ça. D’ailleurs, je ne vois

pas un enfant s’attaquer à notre institutrice – je sais », ajoute-t-elle rapidement,

devançant Ficelle qui ouvrait déjà la bouche, « certains pourraient en avoir envie, mais

ils n’oseraient pas, elle leur fait beaucoup trop peur ! D’ailleurs, parmi ses élèves

actuels, il n’y a que toi qui écris aussi mal – et encore !

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- Et donc, ta conclusion ? demande Ficelle dédaigneusement.

- C’est un adulte qui veut faire croire qu’il s’agit d’un enfant, ou qui veut nous dérouter par

cette orthographe aberrante. Je ne vois pas d’autre explication. À moins que... » Elle se

tait à nouveau.

« Quand tu aurais fini tes “à moins que”, préviens-nous ! On ne va pas aller loin avec tes

idées, ma petite Françoise. Je sais quoi faire, MOI !

- Vraiment ?

- Absolumineusement ! Je vais aller voir toutes les papeteries de Framboisy, et je vais leur

demander s’ils reconnaissent l’encre de la machine à écrire. Et je mettrais la main sur le

ravisseur !

- On va faire le tour de toutes les papeteries ? s’inquiète Boulotte. Il y en a plein !

- C’est vrai, mais il faut être persévéreuse quand on veut mener une enquête ! Et puis tu

sais, les papeteries vendent souvent des paquets de bonbons...

- Bon d’accord, je veux bien.

- Qu’en penses-tu, Françoise ? »

Françoise est en train d’examiner la lettre, et elle est plongée dans ses pensées. Finalement,

elle murmure :

« Ce n’est pas si bête... »

Ficelle se redresse, très fière d’elle. Françoise reprend :

« Non, ce n’est pas si bête, ton idée. Mais ce n’est pas du côté de l’encre qu’il faut aller

chercher.

- Ah bon ?

- Non. Ce qui pourrait te donner un indice, c’est le papier. »

Elle reprend la lettre et la déplie.

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« Regarde. Que remarques-tu ?

- Heu... Il est de bonne qualité... Sauf qu’il y a un coin qui manque, là...

- Exactement. Et tu constateras également que le format est étrange. C’est du format A4

auquel on a découpé une bande en haut, et un coin en bas à gauche. Et pourquoi ?

- Parce qu’il y avait des gribouillis à ces endroits-là ?

- Presque. En haut, se trouvait le nom d’une société, avec son adresse. Et en bas, le logo de

cette société. C’était du papier à en-tête auquel on a ôté tout ce qui pouvait être reconnu.

- Et donc ?

- Et donc, à supposer que ce papier ne vienne pas de Paris ou d’ailleurs, il faut aller voir

l’imprimerie de Framboisy et demander à voir leurs modèles de papier à en-tête, puis

trouver quelle est l’entreprise qui a commandé du papier de ce style au cours des derniers

mois. »

Ficelle s’illumine.

« Ah ! Je savais bien que ce serait facile comme tout, grâce à mon idée super-géniale !

Nous allons nous rendre à l’imprimerie de ce pas.

- Et le prétendant ? objecte Boulotte. On avait dit qu’on lui rendrait visite cet après-midi.

- Ah, oui, c’est vrai, le prétendant... »

Ficelle réfléchit en plissant les yeux, ce qui lui vaut de manquer de se prendre les pieds dans

un sac poubelle abandonné et de tomber au milieu des épluchures de légumes.

« La barbe ! Ce que ça peut être agaçant, ces ordures partout ! Quand nous aurons

retrouvé Mademoiselle Bigoudi, nous enquêterons au sujet de la gestion de l’entreprise

de ramassage de poubelle, comme ça nous rendrons service à l’humanité et on nous

mettra une statue sur la place Théodore-Théophile, juste en face de celle de Barnabé

Barbemolle, celle que le Furet a voulu faire sauter. Heu... qu’est-ce que je disais ?

- Tu parlais du prétendant, souffle Françoise. Ou plutôt tu allais en parler.

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- Ah oui, c’est vrai. Heu... qu’est-ce qu’on fait ? Au fond, on n’a aucune preuve qu’il a

quelque chose à voir avec tout ça, n’est-ce pas ? À part le fait que c’est le seul ennemi

potable de Mademoiselle Bigoudi ?

- Potentiel, corrige Françoise.

- Oui, enfin c’est le seul qui ait une mobilité pour ce crime.

- Un mobile ?

- Oh, tu me casses les pieds, Françoise ! »

Au bout de quelques secondes passées à se gratter le nez (signe d’une intense concentration),

Ficelle déclare :

« Eh ! bien, rien ne nous empêche de faire les deux ! Nous allons d’abord aller à

l’imprimerie, et après le déjeuner nous irons en vélo chez le prétendant. J’ai dit ! »

Ayant dit, la grande fille part à grands pas majestueux, avant de glisser sur une peau de

banane qui passait par là.

* * *

La visite à l’imprimerie ne donna aucun résultat. Les trois filles eurent la malchance de

tomber sur un employé mal-embouché qui écouta leur demande d’un air agacé, puis qui leur

rétorqua d’un ton sec que ces informations étaient confidentielles. Il ne daigna même pas

répondre à Ficelle lorsque celle-ci lui expliqua qu’elle comptait trouver dans la liste de leurs

clients un ravisseur d’institutrice potentiel, et il consentit tout juste à tendre de mauvaise grâce

quelques modèles de papier à en-tête à Françoise qui les réclamait.

Boulotte eut bien de la peine à convaincre Ficelle d’aller déjeuner. Armée d’un sac poubelle,

la grande fille, d’une humeur massacrante, avait décidé de prendre d’assaut l’imprimerie.

Les trois filles convinrent de se retrouver après le déjeuner, avec leurs vélos, devant le garage

Patouillard, rue des Pois-Réchauffés, puis Françoise rentra chez elle. Ficelle suivit Boulotte,

avec une seule consolation : l’idée que, quelques heures plus tard, elle allait voir de ses

propres yeux une véritable curiosité… un homme qui avait trouvé du charme à Mlle Bigoudi !

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CHAPITRE 6

Il est une heure et quart de l’après-midi lorsque Fantômette, juchée sur son cyclomoteur,

arrive en face de l’imprimerie.

Celle-ci se trouve à l’est de Framboisy, au cœur d’une zone semi-industrielle qui contraste

désagréablement avec les ruelles pittoresques et les environs champêtres de la petite ville. Pas

d’habitations dans cet endroit, mais des hangars, des hypermarchés, des usines, et de grandes

bâtisses qui contiennent toutes sortes d’industries. L’une d’elle est l’imprimerie. C’est un très

grand bâtiment en béton, au toit plat agrémenté de quelques cheminées, et dont les hautes

fenêtres sont toutes munies de barreaux. Ce tableau peu attrayant est rendu encore plus

sinistre par la présence d’immenses poubelles trop pleines entourées par des tas d’ordures

variées. Sans même parler de l’odeur, qui commence à se faire tenace.

À cette heure-ci, les rues sont complètement vides. Les ouvriers sont tous rassemblés à la

Cantine de Jojo, les cadres au Terroir fleuri, et chacun reprend des forces après une matinée

de travail. Les portes de l’imprimerie sont closes ; un petit tableau, à côté de la sonnette,

indique que l’accueil est fermé entre 13h et 15h.

Fantômette gare son cyclomoteur dans une ruelle latérale, puis contourne l’imprimerie. Sur

l’arrière du bâtiment, elle trouve une gouttière.

« Bon, ça m’a l’air solide. Allez ma petite ! Un peu de gymnastique… ça me réveillera ! »

Elle se met à escalader aussi agilement qu’un chat. Quelques minutes plus tard, la voilà sur le

toit. Courbée aussi bas que possible, pour ne pas se faire remarquer au cas où quelqu’un

viendrait à passer dans la rue, elle parcourt l’espace, et découvre avec joie ce qu’elle espérait

trouver : un vasistas.

À tout hasard, elle tire sur la poignée, mais bien entendu le vasistas ne s’ouvre pas.

« Il est munie d’une jolie serrure, à ce que je vois… bon, ça devrait aller. La seule chose

qui n’irait pas du tout, ce serait qu’il y ait aussi un verrou à l’intérieur. Essayons… »

Elle sort de sa poche un petit appareil en métal ressemblant vaguement à un allume-gaz. Elle

introduit la tige dans la serrure et appuie sur un bouton. Quelques déclics, puis la serrure cède.

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« Quel as, ce Rocamadour ! Je me demande ce qu’il est devenu… Tiens, Œil-de-Lynx me

réclamait l’autre jours les carnets où j’ai relaté mes aventures les moins importantes,

mais je ne crois pas lui avoir donné celui qui parle de cet inventeur aussi génial que

malhonnête... Il faudra que j’y pense... »

Elle soulève le vasistas avec précautions. Pas d’échelle au-dessous, mais le sol n’est qu’à

deux mètres. Fantômette se laisse glisser, jusqu’à ne se retenir que par les mains, le corps

pendant dans le vide. Puis elle lâche prise et atterrit souplement sur le sol.

« Bon ! Me voici dans la place. Trouver les archives, maintenant. »

Certaine de ne pas être dérangée, elle cherche les escaliers, descend au rez-de-chaussée, arrive

dans un immense hangar contenant des rotatives, ces machines gigantesques qui permettent

d’imprimer plusieurs milliers d’exemplaires de livres en un temps record. Le long du mur,

elle aperçoit une petite porte, l’ouvre.

« Ah ! Je crois bien que je brûle ! »

Elle se trouve dans un grand bureau dont les murs sont couverts par des étagères pleines de

classeurs et de dossiers suspendus. Elle se met à farfouiller.

« Voyons... d’après les modèles que m’a donnés ce monsieur aimable comme une porte de

prison, tout à l’heure, le papier à lettre utilisé par le ravisseur correspond au type C42.

Où diable se trouvent les factures ? C’est ça, peut-être ? Non, ça ce sont les catalogues

de toutes les années... Tiens, c’est intéressant, ça ! Le papier à lettre de type C42

n’existe que depuis deux ans. Voilà qui va me faciliter la tâche ! Bon, et ces factures,

alors ? Ils devraient mettre de petits écriteaux... Ah, ça y est, j’ai trouvé ! »

Les factures étant classées par ordre chronologique, Fantômette commence par celles de

l’année en cours et cherche le nom des entreprises qui ont commandé le papier à lettre de type

C42 au cours des deux dernières années. Elle rassemble une liste de douze noms : la

manufacture de mirlitons, les Galeries Farfouillette, l’entreprise de ramassage d’ordures

Propreté Générale, le magasin de téléviseurs Lampion...

« Bien ! Voilà une piste. Même si la manufacture de mirlitons, à elle seule, emploie des

centaines de personnes, et si n’importe lequel des employés pourrait avoir utilisé du

papier à lettre... Bah, c’est un début, quoiqu’il en soit. »

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En sifflotant Moi, j’aime les pom-pom-pommes de terres frites, Fantômette plie le papier sur

lequel elle a recopié les noms des entreprises et s’apprête à sortir du bureau. C’est alors qu’un

bruit frappe son oreille.

Dans le couloir, comme pour lui faire écho, quelqu’un est en train de siffler J’suis folâtre, j’ai

le pied dans le plâtre.

Fantômette n’a que le temps de faire demi-tour et de plonger derrière un bureau avant que la

porte ne s’ouvre et que quelqu’un ne pénètre dans la pièce. Ce quelqu’un, c’est le directeur,

qui s’installe confortablement dans son fauteuil – heureusement sans apercevoir Fantômette –

et qui commence à feuilleter France-Flash.

« Aïe aïe aïe ! Voilà qui ne m’arrange pas du tout ! Qu’est-ce que je fais ? J’attends qu’il

ressorte ? »

Elle attend, cinq, dix, quinze minutes. Le directeur ne bouge pas.

« Ah, mais c’est agaçant ! Je ne peux pas rester là trois heures ! Il me faudrait l’effaceur

du Professeur Potasse… »

Elle hésite encore un peu, puis se décide.

« J’y vais ? Allez, je tente. Après tout, il n’y a aucune raison pour qu’il ait un revolver

caché dans son tiroir. Je ne risque pas grand-chose. »

Elle se redresse soudain, surgissant comme un diable hors de sa boite. Le directeur fait un

bond sur sa chaise et la regarde, yeux et bouche ronds comme des soucoupes. Fantômette lui

adresse un magnifique sourire tout en dents blanches.

« Bonjour Monsieur ! Je vous demande bien pardon, je voulais visiter la cathédrale, mais

j’ai dû me tromper de chemin… Eh ! Bien, je ne vais pas vous déranger plus longtemps.

Bonne lecture ! Ne manquez pas Enfer et Damnation, le feuilleton d’Œil-de-Lynx, en

page 12 ! »

D’un bond, elle est hors du bureau. Dédaignant la trappe, elle se précipite droit vers la porte

principale, l’ouvre, et pique un sprint jusqu’à son cyclomoteur. Lorsque, quelques minutes

plus tard, une voiture de police arrive sur les lieux pour enquêter sur “le drôle de voleur

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masqué” qui a cruellement agressé le directeur et tenté de dérober une rotative, Fantômette

s’est éloignée depuis longtemps.

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CHAPITRE 7

« Ben alors, qu’est-ce qu’elle fait ? Comment ose-t-elle faire attendre la splendide

Ficelle ? »

Boulotte hausse les épaules en signe d’ignorance, puis cale délicatement son vélo contre le

mur avant d’extraire de son sac un pain au chocolat dans lequel elle donne un joyeux coup de

dents. Soudain, une jeune fille brune vêtue d’un jean et d’une chemise blanche apparaît,

pédalant en danseuse sur sa bicyclette. Ficelle l’accueille en râlant ferme :

« Françoise ! Ce n’est pas trop tôt ! On avait dit deux heures et demie ! Mais

Mademoiselle s’était endormie, sans doute ?

- Non, précieuse Ficelle. Mademoiselle est en retard car elle s’est procuré ceci. »

Elle tend un papier à Ficelle qui le parcourt.

« Manufacture de mirlitons, Galeries Farfouillette, Propreté Générale... Qu’est-ce que ça

veut dire ?

- C’est la liste des entreprises qui utilisent le même papier à en-tête que le ravisseur, ou qui

l’ont utilisé. Je suis retournée à l’imprimerie, et j’ai... convaincu le directeur de me laisser

fouiller dans ses archives.

- Ah, Françoise, tu es presque aussi géniale que moi !

- Je suis flattée...

- On va quand même chez Fabien Surqueoui ?

- Absolument ! D’autant plus que c’est en dehors de la ville, et que j’ai plutôt envie de

m’éloigner de l’odeur qui commence à nous envahir...

- Ah la la ! s’exclame Boulotte, ne m’en parle pas ! Ça sent tellement mauvais que ça me

coupe presque l’appétit !

- Voilà qui devient sacrément préoccupant ! »

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Les trois amies montent sur leur vélo et pédalent avec entrain. Elles ont trouvé l’adresse de

Monsieur Surqueoui dans l’annuaire : il habite au sud de Framboisy, dans un coin très isolé.

Elles sortent de Framboisy, s’engagent sur la route de Fouilly, dépassent l’exploitation

agricole du fermier Alfred, traversent un petit bois, demandent leur chemin à un brave homme

sur un tracteur. D’après ses indications, elles suivent un petit sentier non goudronné qui

s’enfonce dans la forêt, et parviennent enfin au Domaine de Gaïa, puisque c’est ainsi que se

nomme l’habitation de l’ancien prétendant de l’institutrice.

Le chemin de terre débouche sur une petite clairière au centre de laquelle se tient une petite

maison d’un seul étage, en pierres grises, avec un toit de chaume. On y accède par une petite

allée recouverte de cailloux sur laquelle sautillent deux ou trois moineaux, apparemment

habitués à fréquenter l’endroit. Sur la droite, un puit entouré de trois seaux en bois. Derrière,

une étable, avec un grand tas de foin dans lequel est planté une fourche ; sur le côté, quelques

clapiers et un poulailler. Trois ou quatre poules se promènent d’ailleurs en toute liberté sur

l’herbe. À gauche, à la lisière du bois, un petit enclos où l’on aperçoit deux vaches, un

mouton et un âne qui paraissent cohabiter en harmonie. Tout au fond, un verger / potager que

l’on devine bien tenu et généreux. Pas une voiture, pas un tracteur, pas une tondeuse pour

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troubler ce charmant tableau. Le seul appareil agricole que l’on aperçoit est une charrue en

bois et métal, comme on en voit dans les musées des arts et traditions populaires.

Après avoir déposé son vélo dans l’herbe, Ficelle examine les lieux comme un général le

terrain d’une bataille, puis prend la parole d’un ton solennel :

« Écoutez, l’homme est peut-être un dangereux malfaiteur, et même si ce n’est pas lui qui

a enlevé Mademoiselle Bigoudi, il est tout de même fou à lier. La preuve, il a voulu

l’épouser. Je vais y aller toute seule, et je vais lui dire que je me suis perdue, pendant

que vous restez ici pour couvrir mes derrières. S’il se montre menaçant, remontez sur

vos vélos et allez chercher du secours, d’accord ? Alors j’y vais ! »

Sans attendre de réponse, Ficelle s’approche de la porte de la maison, prodigieusement fière

de son courage. Elle cherche une sonnette, n’en trouve pas, fait résonner le heurtoir. Quelques

secondes plus tard, la porte s’ouvre, et un petit homme, énergique, souriant, et aux cheveux

déjà gris, l’accueille avec enthousiasme.

« Bonjour Mademoiselle ! Vous êtes la bienvenue, vraiment ! Cela fait si longtemps que

j’attendais... Ah, oui, je suis content de vous voir ! »

Interloquée, Ficelle est incapable de se rappeler le discours qu’elle avait préparé. L’homme

enchaîne :

« Comment vous nommez-vous ?

- Heu... Ficelle...

- Ficelle ! Comme s’est joli ! Quant à moi, appelez-moi Fabien. Pas de “maître” entre nous,

je vous prie.

- Mais Monsieur...

- Et encore moins de “Monsieur” ! rappelez-vous toujours cela, Ficelle : devant l’immensité

de la nature qui nous entoure, nous sommes tous égaux. Comment êtes-vous venue

jusqu’ici ?

- Heu... en vélo...

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- Magnifique ! Splendide ! Vous appliquez mes leçons avant même de me connaître ! Moi

aussi, je circule exclusivement avec ma bicyclette. Je l’ai fabriquée tout seul, en

récupérant ce qui pouvait encore servir sur d’anciens vélos que des personnes sans

scrupules avaient jetés à la ferraille... Bon, elle n’est pas flambant neuve, et il lui arrive de

perdre des pièces, mais enfin elle ne m’a pas coûté un sou, et surtout elle ne pollue pas !

Mais donnez-vous la peine d’entrer, je vous prie. Que désirez-vous boire ? Un tilleul ? »

Ficelle est tellement ahurie par cet accueil qu’elle en a oublié jusqu’à la raison de sa visite.

Elle reste sur le pas de la porte, indécise. Pendant ce temps, Françoise et Boulotte ont jugé que

l’homme ne semblait pas vraiment dangereux, et elles ont décidé de s’approcher. Fabien les

aperçoit :

« Mais vous êtes trois ! Trois d’un seul coup ! Mais c’est merveilleux ! Mais il faut fêter

ça ! Il doit me rester une bouteille de jus d’orties, quelque part, je la sors tout de

suite ! Entrez, entrez ! »

Et il leur tourne le dos, les laissant devant la porte. Les trois amies s’interrogent du regard,

puis Françoise hausse les épaules et pénètre à l’intérieur de la maison.

Les trois filles se retrouvent dans une grande pièce encombrée de meubles et de toutes sortes

d’objets. Au centre, un immense tapis multicolore où sont éparpillés des coussins, des livres,

deux ou trois tasses, un pull, un violon, quelques stylos, un tire-bouchon, un jeu de cartes,

plusieurs bougies, un bâtonnet d’encens sur son socle, une statuette représentant une déesse

de la fécondité, un canif... Malgré le désordre, la pièce à beaucoup de charme, avec des

meubles en bois naturel, deux larges fenêtres, des murs en pierres aux poutres apparentes, une

large cheminée.

Déjà, leur hôte revient, une bouteille à la main.

« Ne restez pas debout, voyons ! Installez-vous ! »

Donnant l’exemple, il attrape un coussin et s’assoit par terre. Avec un peu d’hésitation, les

trois filles l’imitent. L’homme se met alors à fouiller fébrilement autour de lui :

« Voyons, où l’ai-je mis ? S’il n’est pas dans la cuisine, il doit être ici...

- C’est cela que vous cherchez ? demande Françoise en lui tendant le tire-bouchon.

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- Tout à fait ! Quel esprit d’observation ! Tenez, ayez l’amabilité de prendre quatre verres

dans le buffet, là, derrière vous... »

Françoise s’exécute. Ficelle s’enhardit alors à poser une question :

« Heu... Monsieur...

- Fabien, vous dis-je ! Mais vous ne m’avez pas présenté vos camarades, il me semble ?

- Heu... Eh ! bien, ça c’est Françoise, et ça c’est Boulotte. Dites, Monsieur... Je veux dire

Fabien... Comment saviez-vous que nous allions venir ?

- Je ne savais pas que vous viendriez précisément aujourd’hui, bien entendu, mais j’espérais

bien avoir l’honneur de votre visite dans les jours qui suivent. Vous ai-je dit que vous

étiez les premières ? Cela fait déjà deux semaines que l’annonce est parue dans les

journaux, et je commençais presque à m’inquiéter... » explique leur hôte gaiement en

tendant à chacune un verre rempli d’un liquide verdâtre peu engageant.

« L’annonce ?

- Oui, bien sûr. C’est par l’annonce que vous m’avez trouvé, n’est-ce pas ? Cela ne peut pas

être par mon livre, puisqu’il n’est pas encore paru ! À vrai dire, je me demande même s’il

va paraître, j’ai encore reçu trois refus d’éditeurs ce matin même... Avouez que c’est un

peu décourageant ! Mais cela ne fait rien, enchaîne-t-il avec un grand sourire. Vous êtes

là, vous, et les leçons vont pouvoir commencer ! »

En entendant le mot “leçons”, Ficelle, horrifiée, esquisse un mouvement de retraite. Mais

Fabien Surqueoui continue déjà :

« Enfin, quand je dis leçons, c’est un bien grand mot. Qui suis-je pour vous apprendre ce

que tout être humain sait instinctivement ? Non, il s’agit plutôt d’un centre de

réflexion... Ah, je suis tellement heureux que vous soyez enfin venues ! Tout va bien,

Boulotte ? »

Contrairement à ses deux amies, plus circonspectes, Boulotte a commis l’erreur d’avaler une

grande gorgée de jus d’orties, et elle est à peu près en train de s’étrangler. Ficelle lui donne

une grande claque dans le dos, non sans avoir auparavant déposé précautionneusement son

verre aussi loin d’elle que possible. Françoise prend alors la parole :

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« Écoutez, Monsieur...

- Fabien !

- Eh ! bien, Fabien, si vous y tenez, il doit y avoir une erreur. Nous n’avons vu aucune

annonce, et nous ignorons de quoi vous voulez parler. Essayons d’éclaircir ce

malentendu... »

En entendant ces mots, le sourire de Fabien a fondu comme neige au soleil. Son visage a

d’abord marqué l’incrédulité, puis la consternation. Son air désolé fait tellement peine à voir

que Ficelle, n’écoutant que son bon cœur, déclare héroïquement :

« Oh, Monsieur, ne soyez pas si triste ! Si vous y tenez absolument, nous y viendrons, à

vos leçons... à condition que ce ne soit pas trop long, et que vous ne me donniez pas de

verbes à copier... » Ficelle réfléchit un instant. « Mais ce sont des leçons de quoi,

d’abord ? De mathématiques ? »

Tout à sa tristesse, Fabien ne répond pas tout de suite. Il lève sur Ficelle un regard accablé,

pousse un profond soupir, et lâche enfin :

« D’écologie.

- Ah bon ? Qu’est-ce que c’est ? L’art d’être économe et logique ?

- Non, Mademoiselle. L’art de ne pas laisser la planète dépérir. »

Fabien a répondu ces mots avec tant de dignité que Ficelle, qui n’est pas plus avancée, n’ose

pas demander d’autres explications. C’est Françoise qui reprend la parole :

« Voilà pourquoi il n’y a pas le moindre appareil électrique dans cette pièce ! Cela m’avait

frappée en entrant. Ces bougies, cette cheminée...

- Précisément, Mademoiselle. Pour tout vous dire, je ne suis même pas raccordé au réseau

électrique. Je prends mes douches à l’eau froide, je cuisine sur un poêle, je joue de la

musique et me passe ainsi d’électrophone... et livres et journaux remplacent

avantageusement la télévision. Quoique je ne répugne pas d’aller au cinéma de temps en

temps...

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- L’écologie, c’est quand on veut sauver la nature, interdire la chasse aux baleines et aux

éléphants, et faire circuler moins de voitures pour qu’il y ait moins de pollution, c’est ça ?

demande Boulotte.

- Tout à fait, répond Françoise.

- Alors je suis pour ! répond impétueusement Ficelle. Je suis contre les chewing-gums

collés sur les sièges des cinémas, contre les usines qui fument et contre les marées noires !

Une année, nous avons combattu des bandits qui voulaient faire échouer un pétrolier en

Bretagne, vous savez ? Même que les journaux ont dit que c’était la stupétonnante Ficelle

qui avait sauvé la situation ! Vous voyez, nous sommes avec vous ! »

Fabien Surqueoui sourit.

« J’apprécie votre enthousiasme, Ficelle ! » Il fait une courte grimace. « Même si, je dois

l’avouer, j’aurais préféré une véritable élève...

- Et si vous nous expliquiez ce que c’est que cette histoire de leçons et d’élèves ? » suggère

Françoise.

En quelques mots, Fabien Surqueoui explique que la passion de l’écologie lui est venue alors

qu’il habitait à Paris, où il avait repris ses études après avoir démissionné de sa fonction de

surveillant à l’école de Framboisy. Au bout de quelques années durant lesquelles son seul

contact quotidien avec la nature consistait à arroser tous les jours un géranium sur son balcon,

il avait tout quitté et a acheté ce qu’il avait baptisé le “Domaine de Gaïa”, c’est à dire une

vieille maison en pierre en très mauvais état entourée de quelques hectares de terrains en

friche. Pendant des années, il avait travaillé avec ardeur, remettant la maison sur pied,

installant un réservoir d’eau de pluie, élevant des animaux, bêchant son potager...

« Mais même si je produis la majeure partie des mes aliments, et même si j’en vends

quelques-uns sur le marché, je me suis rendu compte qu’il me fallait une autre source de

revenus... J’avais eu l’espoir d’écrire des livres sur l’écologie, mais tous mes manuscrits

me sont refusés les uns après les autres. Le mois dernier, j’ai eu l’idée de fonder une

sorte d’école où je pourrais enseigner aux jeunes gens comment vivre en phase avec la

nature et non en guerre contre elle. J’ai passé une annonce dans les journaux, mais pour

l’instant personne n’a répondu... » Il soupire. « Bah, ce n’est pas grave, je trouverai une

solution. Je suis tout de même content que vous soyez venues. Je vais en profiter pour

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vous montrer ma dernière invention : avec un vieux vélo d’appartement, j’ai créé une

machine qui me permet de produire ma propre électricité ! Il me suffit de pédaler

pendant trois heures pour accumuler suffisamment d’énergie pour pouvoir écouter la

radio pendant cinq minutes. N’est-ce pas formidable ? Le seul inconvénient, c’est que la

machine est tellement bruyante que quand elle est en fonction, je n’entends pas un mot

de ce qui est dit à la radio, mais je pense réussir à régler ce problème un de ces

jours... Et puis si vous voulez, je vais vous donner deux œufs chacune, mes poules m’ont

gâté ce matin. Vous voyez que vous avez bien fait de venir ! » Fabien Surqueoui se tait

brusquement, réfléchit un instant et pose soudain la question : « Mais au fait... si ce n’est

pas pour les leçons, pourquoi êtes-vous venues ? »

Françoise, qui à ce stade de la conversation a totalement écarté l’idée de la culpabilité de

Fabien Surqueoui, le met en quelques mots au courant de la disparition de Mlle Bigoudi.

« ... et nous sommes venues nous voir dans l’espoir que vous puissiez nous donner une

piste... puisque quelqu’un nous a dit que vous... que vous la connaissiez, autrefois »,

achève-t-elle avec tact.

Fabien pousse un nouveau soupir.

« Hélas, pauvre Geneviève ! Je la connaissais, certes, mais cela fait plusieurs années que

je ne l’ai pas vu. Je ne vois pas du tout comment je pourrais vous aider. À ma

connaissance, elle n’a jamais eu aucun ennemi.

- Bien, excusez-nous de vous avoir dérangé.

- Mais pas du tout, pas du tout ! Au contraire, venez donc me trouver de temps en temps,

cela me fera plaisir... Et cela vous fera du bien d’échapper à la pollution de la ville.

- Oui, surtout en ce moment ! renchérit Ficelle.

- Pourquoi ?

- Vous n’avez pas entendu parler de la grève des éboueurs ? Depuis deux jours, l’air est

irrespirable à Framboisy !

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- Ah, si, j’en ai eu vent – si je puis me permettre ce mauvais jeu de mot – en lisant

Framboisy-matin... Tout cela suite à l’exécrable gestion de Monsieur Propre, le directeur,

si je ne me trompe pas ?

- C’est bien ça.

- Cela n’a rien d’étonnant... Je me demande même comment il a pu tenir quelques mois

sans que personne ne découvre qu’il n’était absolument pas qualifié pour ce poste ! » Il

sourit. « C’était un garnement de première catégorie, autrefois... Je l’ai bien connu, il était

écolier à l’école Guy Gnol lorsque j’y étais surveillant. Geneviève – pardon,

Mademoiselle Bigoudi – ne pouvait pas le souffrir. Il ne venait en classe que pour y faire

le pitre. »

Françoise s’est brusquement figée. D’une voix excitée, elle demande :

« Vous dites que c’est un ancien élève de Mademoiselle Bigoudi ? Et qu’ils s’entendaient

mal ?

- Je le crois bien ! Ses résultats scolaires étaient lamentables. Il détestait son institutrice – il

ne l’appelait jamais autrement que “la vieille bique”... »

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CHAPITRE 8

Il est près de minuit. Pas un bruit ne trouble la petite ville déjà profondément endormie – ou

presque pas : les ronflements de Madame Petipois, les rugissements des motos des fêtards, les

grésillements d’un poste de radio allumé à plein volume ne suffisent pas à troubler le sommeil

des framboisiens, qui dorment tranquillement, conscients qu’ils sont d’avoir cette supériorité

sur le reste de la population mondiale : chaque nuit, un ange gardien habillé en diablotin veille

sur eux.

Avec son bonnet noir, ses collants noirs, sa cape noire qui masque son justaucorps jaune,

Fantômette glisse comme une ombre jusqu’au cours d’eau qui traverse Framboisy : l’Ondine.

Arrivée sur la rive, elle sort de sous sa cape un paquet large et plat, et commence à assembler

divers éléments entre eux avec des gestes vifs et précis. Nul besoin de lumière : il y a

longtemps que l’aventurière s’est habituée à y voir dans l’obscurité aussi bien qu’un chat.

Tout en travaillant, la justicière récite à voix basse un poème de son invention :

« Sur le cadran noir de ma montre

Le nombre 12 est affiché.

Il est minuit. Je suis tout contre

Le tronc d’un olivier penché.

Les bandits, bien sûr, je les guette

Attention ! Gare à Fantômette ! »

Quelques minutes plus tard, la justicière dépose sur l’eau un kayak dans lequel elle se faufile.

Pagaie à la main, elle commence à ramer dans le plus grand silence.

En fin d’après-midi, elle a pris la précaution d’aller jeter un coup d’œil sur la propriété de M.

Propre, et elle a pu remarquer plusieurs choses. D’abord, que la propriété est entourée d’un

mur très haut et donc difficilement franchissable. Ensuite, que juste derrière la grille d’entrée

se trouve une sorte de hutte dans laquelle se tient probablement, de jour comme de nuit, un

gardien armé. Enfin, que le grand jardin derrière la maison donne sur le cours d’eau, où le

mur est remplacé par une simple grille assez basse. On a sans doute voulu préserver la vue, et

on a jugé qu’il y avait peu de risques que quelqu’un arrive par là. On a eut tort.

Fantômette a aussi remarqué une quatrième chose, au cours de l’après-midi : sous un porche

était garée une grosse voiture noire.

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Tout en pagayant, Fantômette se remémore le résultat de ses recherches sur M. Propre. En

feuilletant la collection des journaux de la bibliothèque, elle a fini par trouver un article

retraçant la carrière de l’ex-directeur de l’entreprise de ramassage d’ordures :

« Monsieur Gérard Propre vient d’être renvoyé de la direction de l’entreprise

de ramassage d’ordures de Framboisy, la Propreté Générale. On sait que

Monsieur Gérard Propre était le fils de Monsieur Thomas Propre, l’ancien

directeur. Quand celui-ci a pris sa retraite, son fils a été nommé à sa place.

Monsieur Thomas Propre était l’un des fondateurs de cette entreprise. Il avait

toujours élevé son fils dans l’idée que ce dernier le remplacerait un jour. Les

piètres résultats scolaires du jeune Gérard ne l’avait pas arrêté : quand il

s’avéra que son fils, à 10 ans, savait à peine lire et écrire, il retira ce dernier

de l’enseignement public et lui fit subir une scolarité à domicile. Mais il

semble à présent que cette nouvelle forme d’enseignement ne lui fut pas plus

profitable.

C’est finalement la découverte d’anciens cahiers de classe prouvant l’extrême

manque de culture du directeur qui causa le scandale. Comment explique-t-on

que Monsieur Gérard Propre ait pu rester à la tête de cette entreprise pendant

plusieurs mois sans que son incompétence ne soit révélée ? Comme tous les

directeurs, il n’écrivait jamais rien lui-même, confiant le soin de dépouiller et

de rédiger le courrier à sa secrétaire ; et bien entendu, la comptabilité était

tenue par un expert. Malgré tout, les décisions prises par Monsieur Propre en

matière de gestion se sont avérées désastreuses. L’entreprise a investi une très

grosse somme dans l’achat de camions neufs et en surnombre, alors que les

anciens étaient encore fonctionnels. Monsieur Propre a même insisté pour que

son nom soit gravé en lettres d’or sur ces camions... »

Il est minuit dix lorsque Fantômette atteint la grande maison. Dans le plus grand silence, elle

approche son kayak de la rive, le dissimule sous des roseaux, l’attache à une grosse pierre

pour que le courant ne l’emporte pas.

Encore quelques secondes pour escalader la grille, et elle se trouve dans le jardin.

« Bien ! Maintenant, il s’agit de se faire plus silencieuse qu’une souris et de ne pas attirer

l’attention du garde... »

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Heureusement, pour l’instant ce dernier doit se trouver dans sa hutte, devant la grille, c’est à

dire de l’autre côté de la maison. Il ne peut donc pas voir Fantômette, du moins jusqu’à sa

prochaine ronde.

Au pas de course, elle traverse le jardin, remarquant au passage qu’il est fort mal tenu (arbres

non taillés, mauvaises herbes partout, pelouse non tondue, etc.). Elle atteint enfin le mur de la

maison. L’entrée principale se trouve de l’autre côté, ainsi que la majorité des fenêtres ; de ce

côté-ci, quelques rares fenêtres à l’étage, et une grande porte vitrée au rez-de-chaussée

(probablement pour permettre de passer du salon au jardin). Cette dernière est protégée par un

solide volet d’où aucune lumière ne filtre.

« Inutile de tenter par là... Voyons plutôt les fenêtres. »

Par chance, l’une d’elle est entrouverte. Mais comment l’atteindre ? Fantômette avise alors un

grand arbre dont les branches touchent presque le mur au niveau du premier étage. L’arbre est

assez éloigné de la fenêtre en question, mais une étroite corniche fait le tour de la maison.

« Grimper à l’arbre, atteindre le bout de la branche en espérant qu’elle ne casse pas,

sauter, marcher sur la corniche jusqu’à la fenêtre ouverte, au risque de me rompre les

os... La routine, quoi ! Ensuite, entrer dans la pièce, sachant que si la fenêtre est ouverte

c’est probablement parce que c’est une chambre à coucher, et qu’il y a toutes les

chances qu’il y ait quelqu’un à l’intérieur... Visiter la maison, en espérant qu’il n’y ait

pas de chien, pas de parquet qui grince, que Monsieur Propre soit endormi, qu’il n’ait

pas le sommeil trop léger... Et tout cela peut-être inutilement, car après tout, je n’ai

aucune certitude, et même s’il est coupable qui me dit qu’il a enfermé Mademoiselle

Bigoudi chez lui ? Quel métier ! »

Avec un soupir, Fantômette entreprend d’escalader l’arbre. Elle a atteint la première branche

lorsqu’elle entend un bruit qui la fait s’immobiliser immédiatement.

C’est un bruit de pas.

Heureusement, dans l’ombre, Fantômette est invisible. Elle se ramasse sur elle-même,

s’enveloppe de sa cape, et regarde vers le bas. Un homme est en train de contourner

silencieusement la maison.

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« C’est le garde qui fait sa ronde... Oh ! Mais... Si Mademoiselle Bigoudi est ici, cet

homme doit certainement savoir où elle se trouve ! J’ai une petite idée... »

Juste au moment où l’homme passe sous l’arbre, Fantômette bondit.

Elle atterrit sur l’homme, un pied sur chacune de ses épaules. Sous le choc, l’homme

s’effondre sans pousser un cri. Avant qu’il ait eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait,

Fantômette a dégrafé sa cape, l’a enroulée autour de la tête de l’homme en guise de bâillon, et

a dégainé son poignard qu’elle pointe entre les omoplates de son adversaire.

« On ne bouge plus ! Sage... »

Elle vérifie rapidement que l’homme ne porte pas d’arme au côté, trouve un gourdin, l’en

déleste. Obéissant, l’homme ne fait pas le moindre geste. Fantômette lui adresse la parole :

« Mon bon Monsieur, je vais vous ôter cette cape de la figure, mais je vous préviens : le

moindre cri, le moindre geste suspect, et je vous embroche. Je veux simplement vous

poser une ou deux questions. Après quoi, si vous êtes gentil, je ne vous ferai aucun mal.

D’accord ? »

Elle enlève sa cape. Le garde, apparemment hébété par ce qui lui arrive, se laisse faire sans

réagir, restant à genoux. Dans l’obscurité, il est impossible de distinguer ses traits. Sans le

quitter des yeux, et sans baisser son poignard, Fantômette le contourne pour lui faire face, et

commence à l’interroger :

« Voilà les faits, mon cher Monsieur. Il y a trois jours, votre maître a enlevé une dame

d’âge mûr. Peut-être même était-ce vous qui lui avez servi d’homme de main ? Peu

importe. Ce que je veux savoir, c’est où se trouve Mademoiselle Bigoudi. »

La réponse du garde est tout à fait surprenante.

« Où se trouve Geneviève ? Mais c’est ce que j’aimerai bien savoir ! »

Plus encore que ses mots, c’est la voix qui étonne l’héroïne.

« Mille pompons ! Est-ce que par hasard... »

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Rapide comme l’éclair, l’aventurière fouille dans l’une des poches secrètes de sa tunique et en

sort une minuscule lampe de poche, à peine plus grande qu’un morceau de sucre mais très

puissante. Elle l’allume et la braque sur le visage du garde.

« Mille millions de mille pompons... Mais vous êtes... vous n’êtes pas le garde !

- Mais non, Mademoiselle. Vous êtes Fantômette, n’est-ce pas ? Je me nomme Fabien

Surqueoui, pour vous servir.

- Mais que diable faites-vous là ?

- Eh bien, la même chose que vous, il me semble. J’enquête sur la disparition de

Mademoiselle Bigoudi. Sachez que j’ai acquis la certitude qu’elle a été enlevée par

Monsieur Propre. Figurez-vous que cet après-midi, j’ai reçu la visite de trois jeunes

filles... »

Et il se met à raconter en détails la visite des trois amies. Fantômette l’interrompt

impatiemment :

« Oui, oui, très bien, mais pourquoi êtes-vous venu ici cette nuit ?

- L’une des trois jeunes filles, la dénommée Françoise, je crois, m’a déconseillé de prévenir

la police. Elle a parlé d’une lettre dans laquelle le ravisseur menaçait Geneviève de

représailles au cas où la police interviendrait... Sans compter que nous n’avions pas de

véritable preuve. La jeune Ficelle aurait voulu intervenir immédiatement pour délivrer son

institutrice, qu’elle semble aimer tendrement, mais Françoise a fermement refusé... Elle a

dit qu’il fallait trouver une meilleure solution. La jeune Ficelle parlait d’ailleurs de

chercher à vous mettre au courant, disant que vous, vous sauriez quoi faire. C’est elle qui

vous a contactée, n’est-ce pas ?

- Oui... enfin, non... Enfin, peu importe. Mais cela ne me dit pas pourquoi vous êtes venu,

malgré ce que je... malgré les conseils de Françoise !

- Ma foi, même si cette jeune fille avait raison en disant que c’était dangereux, il m’a

semblé qu’il fallait tenter quelque chose. Vous ignorez sans doute que je connaissais

Mademoiselle Bigoudi, autrefois... Et que même si je ne l’ai pas revue depuis fort

longtemps, elle garde dans mon cœur une place de choix !

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- Bon, très bien. Mais comment êtes-vous entré ?

- Figurez-vous que sur le flanc nord de la maison se trouve un gigantesque amas d’ordures

de toutes sortes... C’en est d’ailleurs étonnant : la grève des éboueurs ne dure pas depuis si

longtemps ! Je me suis demandé s’ils n’avaient pas refusé de venir vider les poubelles

chez leur ancien patron, qu’ils ne doivent pas porter dans leur cœur... Si vous voyiez, ça,

Mademoiselle ! Ce gredin mélange tout ! Même les bouteilles de verre ne sont pas triées !

Quand on sait qu’il est si important de trier le verre ! Vous savez que de tous les éléments

non biodégradables, il n’y a rien de pire que le verre ? Par comparaison, la nature mettrait

seulement quelques siècles à faire disparaître une bouteille en plastique, alors qu’une

bouteille de verre...

- Oui, oui. Donc, vous avez escaladé le tas d’ordure pour passer par-dessus le mur. Et quel

était votre plan ?

- Heu... tâcher de pénétrer dans la maison, et chercher Geneviève... »

Fantômette réfléchit quelques instant, puis propose :

« Eh ! bien, puisque nous avons le même but, unissons nos forces. Ecoutez, j’ai une idée :

je vais... »

Mais Fabien Surqueoui l’attrape soudain par le bras :

« Chut ! »

Fantômette se retourne vivement. À quelques dizaines de mètres, au fond du jardin, deux

silhouettes marchent vers eux.

Fantômette réfléchit à toute vitesse, puis chuchote :

« Deux gardes... on va les prendre par surprise. Cachez-vous derrière le tronc d’arbre. À

mon signal, bondissez sur celui de gauche et immobilisez-le assez vite pour qu’il n’ait

pas le temps de sortir son arme. Vous y arriverez ?

- Oui, oui, répond Fabien dans un souffle. J’ai étudié le Ju-Jitsu, le Taï Chi, et aussi le tir à

l’arc japonais, mais en l’occurrence...

- Chut ! »

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Les deux individus ne sont plus qu’à quelques pas, avançant avec précaution dans l’obscurité.

Fantômette fronce les sourcils et pense :

« Au fait, pourquoi n’allument-ils pas leur lampe de poche ? Ce serait plus logique...

D’ailleurs, l’un de ces gardes est bien petit, quoique corpulent... Mille pompons ! Est-ce

que par hasard... »

Elle n’a pas le temps de se poser plus de question : Fabien Surqueoui vient de surgir de sa

cachette avec un grand cri.

« Bonzaï ! Heu, je veux dire Banzaï ! À vous celui de droite, Fantômette ! »

Ce disant, il attrape l’un des deux supposés gardes, et d’un mouvement de ju-jitsu assez bien

exécuté, il l’envoie valser par-dessus son épaule. La victime retombe à plat dos sur l’herbe en

poussant un cri strident. Fantômette se jette sur Fabien pour l’empêcher de faire une autre

prise :

« Arrêtez, mille pompons ! Ce n’est pas un garde ! C’est cette grande abrutie de Ficelle !

Et l’autre doit être Boulotte ! Ne craignez rien », dit-elle à l’adresse de la grande fille, en

l’aidant à se relever. « Je suis Fantômette, et ce monsieur est Fabien Surqueoui. Nous

vous avons attaqué par erreur...

- Ouin ! » pleurniche Ficelle une fois remise de sa frayeur. « Vous m’avez fait mal,

Monsieur ! J’ai fait un retournement dans l’air, comme une crêpe, sauf que je ne suis pas

retombée dans une poêle ! Et d’abord...

- Taisez-vous ! » ordonne soudain Fantômette d’un ton si péremptoire que tout le monde

fait silence à l’instant.

Au premier étage, la fenêtre qui était entrouverte vient de s’illuminer. Fantômette n’a que le

temps de pousser tout le monde sous l’ombre d’un arbre et de leur faire un signe impératif

pour leur interdire de bouger. La fenêtre s’ouvre en grand.

« Qui est là ? » interroge une voix d’homme.

Bien entendu, personne ne lui répond. L’homme semble hésiter un instant, puis disparaît.

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« Il risque de descendre voir ce qui se passe. Il faut que nous sortions d’ici, vite !

s’exclame Fantômette d’une voix pressante. Par où êtes-vous rentrées ? demande-t-elle à

Boulotte.

- Ben... par la grille... elle n’était pas fermée.

- Hein ? Et le garde ?

- Garde ? Quel garde ?

- La cabane du garde ? Elle est vide ?

- Où ça, cabane du garde ? »

Fantômette fait un geste d’impatience.

« Pas le temps de faire un dessin ! Devant la grille, il y a une petite cahute où devrait se

tenir un garde. S’il n’y a personne, peut-être pouvez-vous aller vous cacher là-bas !

- Inutile, intervient Fabien Surqueoui. Dans cette obscurité, il suffit que nous montions à un

arbre, ou même tout simplement que nous nous cachions dans un fourré, et il ne nous

retrouvera jamais. »

À la seconde où ces mots sont prononcés, le jardin s’illumine.

Il existe de nombreux jardins où quelques lampes sont disséminées parmi les arbres, ce qui

permet d’y circuler commodément la nuit. Mais le propriétaire des lieux a visiblement voulu

faire mieux que le commun des mortels. Chaque arbre, chaque buisson contient une ampoule

très puissante.

Tout le monde s’est figé. On y voit désormais comme en plein jour. C’est Fabien Surqueoui

qui reprend la parole le premier :

« Mon Dieu, c’est épouvantable ! Avez-vous idée de la consommation d’électricité que

nécessite une illumination pareille ? Mais cet homme est un criminel !

- S’il a enlevé Mademoiselle Bigoudi, c’est un criminel de toutes façons, objecte Boulotte.

- C’est lui, c’est sûr ! reprend Ficelle. Il faut nous cacher, vite ! Mais je ne sais pas où...

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- Fantômette a parlé d’une cabane du garde...

- Ah, oui, devant la grille ! On y va ? »

Et Ficelle s’élance sur le sentier qui contourne la maison, suivie de Boulotte et de Fabien,

pour se retrouver au bout de quelques pas avec un nouveau personnage.

C’est un homme assez jeune, aux traits épais, au crâne déjà en partie chauve, à la mâchoire

carrée et obtuse. Il est vêtu d’un élégant pyjama signé Cierre Pardin, et chaussé de pantoufles

de fourrure véritable qui provoquent aussitôt le courroux de Fabien Surqueoui.

Courroux silencieux, car M. Propre tient à la main une carabine pointée vers les visiteurs.

Docilement, et sans même qu’il soit nécessaire de le leur demander, Ficelle, Boulotte et

Fabien lèvent les bras.

« Qu’est-ce que vous faites là tous les trois ? » aboie M. Propre, menaçant.

« Comment ça, tous les trois ? demande Ficelle. Vous êtes encore pire que moi en calcul,

vous savez ? Pourtant, c’est facile, jusqu’à dix vous pouvez même compter sur vos

doigts. Moi je suis le numéro 1, bien sûr. La rondelette est la numéro 2, le gentil

Monsieur est le numéro 3, et... »

Ficelle se retourne et reste sans voix.

Fantômette a disparu.

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CHAPITRE 9

Au moment où les lumières se sont allumées, Fantômette a compris qu’ils allaient se faire

prendre. Laissant les trois autres parlementer, elle s’est vivement reculé, puis s’est mise à

grimper dans un arbre à toute allure. Évitant soigneusement de se placer devant le spot et de

créer ainsi une ombre suspecte, elle s’est tapie contre le tronc, en espérant que le bandit

n’aurait pas la mauvaise idée de lever les yeux.

De là-haut, elle entend Ficelle qui enseigne patiemment au monsieur à compter sur ses doigts,

et cherche à se faire aussi petite que possible.

« Mille pompons ! Cette grande perche est bien capable de dire... »

Oui, elle en est capable.

« Mais où est passée Fant... Aïe ! »

Apparemment, Fabien a marché sur le pied de Ficelle pour la faire taire. Il l’interrompt :

« ... Fantassin ? Mon inséparable compagnon, mon petit écureuil apprivoisé ? Fantassin,

où es-tu ? »

Monsieur Propre grommelle quelque chose entre ses dents, puis Fantômette l’entend

distinctement tonner :

« Je sais pas ce que vous fichez là, mais vous aurez pas dû venir ! Allez, marchez devant !

Je vais vous enfermer à la cave avec la vieille bique... Et faites pas les malins, ma

carabine est chargée ! »

Des bruits de pas qui s’éloignent. Fantômette se détend quelque peu, attend quelques

secondes par sécurité, puis entreprend de descendre de l’arbre.

« Bon ! Au moins, maintenant, je sais que c’est bien lui le coupable, et que Mademoiselle

Bigoudi est ici ! Il s’agit à présent de délivrer tout le monde... Il a dit à la cave... Allons-

y ! »

Fantômette redescend de l’arbre, grimpe sur celui qu’elle avait repéré à son arrivée. Puis, en

rampant, elle commence à avancer le long de la branche qui s’étend vers le mur.

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« La dernière fois que j’ai fait ça, c’était au-dessus d’une clôture électrifiée. Cette fois, je

risque seulement de me casser deux ou trois jambes... allez, la vie est belle ! »

Alors qu’elle n’a plus que deux pas à faire, Fantômette entend un craquement sinistre.

Risquant le tout pour le tout, elle s’élance et réussit à s’agripper à la rambarde d’une fenêtre...

hélas fermée.

« Il s’agit de ne pas traîner, il risque de remonter se coucher d’un moment à l’autre... »

Sans prendre le temps de souffler, elle commence alors à marcher aussi lentement que

possible sur la corniche qui fait le tour de la maison, en s’efforçant de ne pas regarder vers le

bas.

Cinq minutes plus tard, elle a atteint la fenêtre ouverte et s’est glissée à l’intérieur de la

chambre de M. Propre.

Ce qui fait supposer à Fantômette qu’il s’agit bien de sa chambre, c’est tout d’abord le fait

que M. Propre est apparu à cet endroit au moment où il a entendu du bruit à l’extérieur, et

ensuite le fait qu’une masse confuse au centre de la pièce ressemble vaguement à un lit – lit

dont les draps ressemblent à des serpillières, lit sur lequel on aurait entassé du linge sale en

guise de couverture, lit dont l’un des pieds, cassé, a été remplacé par une pile de boites de

conserves sur lesquelles on aperçoit encore des traces de nourriture, mais enfin lit quand

même. Pour le reste, la chambre ressemble plutôt à un capharnaüm, ou à l’appartement de

Ficelle les jours où elle est en forme, et Fantômette doit se frayer un chemin parmi les

vêtements froissés, les paquets de petits gâteaux vides, les illustrés (ceux avec beaucoup

d’images et très peu de texte) déchirés, et divers objets hétéroclites, comme une ancienne

calculatrice qui ne fonctionne plus, un pèse-lettre en forme de grenouille, des chaussures

dépareillées et défoncées, etc. De toute évidence, M. Propre a licencié tout son personnel

depuis son propre renvoi, et il n’y a chez lui pas plus de femme de ménage que de garde ou de

jardinier.

Sans prendre le temps de faire des réflexions sur la manière dont l’occupant des lieux tient sa

maison, Fantômette sort de la chambre, erre quelques minutes dans le couloir, et finit par

atteindre les escaliers. Elle n’a pas osé allumer sa lampe de poche, mais la lueur diffuse qui

tombe d’un vasistas lui suffit pour ne pas trébucher sur les objets épars qui continuent à

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joncher le sol. Elle commence à descendre silencieusement les escaliers. C’est alors qu’un

bruit fait résonner toute la maison.

Un coup de feu.

« Mille milliards de mille millions de mille pompons ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Il n’a

tout de même pas... Mais où est donc cette maudite cave ? »

Abandonnant toute précaution, Fantômette dévale les escaliers à toute allure. Mais ceux-ci

s’interrompent au rez-de-chaussée, devant la porte principale de la maison. À droite, le salon ;

à gauche, une porte entrouverte qui mène dans la salle à manger. Fantômette s’efforce

d’ignorer le sentiment d’urgence qui s’est emparé d’elle et de réfléchir logiquement.

« Je n’ai pas le temps de me mettre à tout visiter ! Voyons... L’entrée de la cave doit être

dans la cuisine... Et logiquement, celle-ci doit se trouver à proximité de la salle à

manger. Vite ! »

Elle s’élance vers la gauche, traverse en courant la salle à manger plongée dans la pénombre,

ouvre la porte qui se trouve à l’autre bout de la pièce. Elle se retrouve dans une grande cuisine

dans un état de désordre et de saleté repoussant. La cuisine n’est pas éclairée, si ce n’est par la

lumière diffuse qui tombe de la fenêtre. Mais en face de l’aventurière se trouve une autre

porte, et sous cette porte filtre de la lumière.

Fantômette s’avance rapidement, pose la main sur la poignée de la porte...

Et c’est alors que la poignée se met à tourner.

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CHAPITRE 10

« Dites, M’sieur... il y a des rats, dans votre cave ?

- Silence ! »

Ficelle se tait quelques secondes, partagée entre son horreur des rats et sa terreur du bandit

qui, une carabine pointée dans son dos, la force à descendre avec ses compagnons d’infortune

dans un escalier tortueux. Finalement, elle reprend timidement la parole :

« Mais au moins, il n’y a pas d’araignées ?

- Silence, j’ai dit ! »

Ficelle se tait. Elle n’est pas la seule à se faire du soucis : Boulotte est très angoissée à l’idée

que la cave est peut-être une cave à vin et non une cave garde-manger, auquel cas elle pourrait

bien mourir de faim. Quant à Fabien Surqueoui, il se demande tout simplement ce que M.

Propre compte faire d’eux, et ce qu’il a fait de Mlle Bigoudi. “Je vais vous enfermer dans la

cave avec la vieille bique...” Au moins, elle est vivante, se dit-il pour se consoler. Mais M.

Propre risque de l’avoir maltraitée – peut-être en la laissant dépérir dans le noir. Sinon,

pourquoi l’aurait-il enlevée ?

Cependant, au fur et à mesure qu’ils descendent, les apprentis détectives perçoivent des sons

étranges. Vraiment très étranges. Des rires, des applaudissements, de la musique, qui laissent

Fabien Surqueoui complètement perplexe.

Enfin, l’escalier en spirale se termine devant une porte fermée par deux solides verrous.

Suivant l’ordre de M. Propre, Fabien tire ces verrous et ouvre la porte.

Le bruit qui perçait à travers la porte remplit soudain tout l’espace sonore. Il s’agit tout

simplement d’une magnifique télévision à l’écran géant placée contre un mur, et dont le

volume est poussé à fond.

Contre le mur opposé, Mlle Bigoudi est assise sur une chaise à laquelle elle est menottée. Elle

sursaute à l’arrivée du monde. Ses traits sont horriblement tirés.

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« Geneviève ! » s’exclame Fabien Surqueoui en se précipitant vers son ancienne amie,

d’une voix très forte pour couvrir le bruit de la télévision. « Que vous est-il arrivé ? Que

vous a fait ce vaurien ? »

Ficelle, elle, a à peine remarqué son institutrice. Ses yeux ont immédiatement été attirés par

l’écran, et elle semble au comble de la joie.

« Oh ! Vous avez vu ? C’est mon programme préféré, L’île de la séduction ! C’est

formidable ! Moi qui étais justement bien embêtée de ne pas pouvoir le suivre, ce soir !

Regardez, lui, là, c’est Victor... Il est mignon, vous ne trouvez pas ? Et elle, c’est Anne,

sa copine... Ah, vous êtes drôlement gentil, Monsieur le bandit, de nous laisser la

télévision allumée pour qu’on ne s’ennuie pas !

- Gentil ? » rugit M. Propre. « Gentil, moi ? »

Il éclate d’un rire homérique, pendant que Mlle Bigoudi, qui semble à bout de force, lui lance

un regard de haine.

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« Demandez-lui, à la vieille bique, si elle me trouve gentil ! Ah, je suis l’élève le plus nul

de sa carrière ? Ah, je suis tellement idiot que je pourrais même pas être éboueur, car

“ce métier lui-même requiert un minimum d’attention” ? C’est ça qu’elle racontait à

mon père quand j’étais petit ! Eh ! bien voilà, je vous prouve que moi aussi, j’ai une

cervelle ! J’ai inventé une vengeance, que même en cherchant cent ans vous l’auriez pas

trouvée ! »

Fabien s’est penché sur Mlle Bigoudi. Cette dernière confirme, tête baissée, les paroles du

bandit.

« Je n’en peux plus… Cette télévision est allumée, volume poussé à fond, depuis que ce

vaurien m’a enlevée, dimanche soir ! Il m’a tout fait subir... tout... » La voix de Mlle

Bigoudi tremble. « Steve le milliardaire... Hangar Story... Le chaînon faible... La ferme

des inconnus... tout, je vous dis ! Je n’en peux plus... Je n’en peux plus... »

Mlle Bigoudi, des larmes dans les yeux, semble au bord de la crise hystérique. Ficelle ne

comprend pas très bien où est le problème – la vengeance de M. Propre lui semble bien

sympathique – mais son institutrice a l’air si mal en point qu’elle se garde de faire le moindre

commentaire. D’ailleurs, elle est ahurie. Voilà que son institutrice, non contente d’avoir un

prénom, une sœur et un prétendant, est prête à pleurer !

C’est Fabien qui reprend la parole, s’adressant à M. Propre :

« Mais enfin, quel est votre but ?

- Je vais lui faire payer, c’est tout !

- Ce chenapan prétend qu’il a à se venger de moi », explique sèchement Mlle Bigoudi à qui

la fierté a fait redresser la tête. « Apparemment, son renvoi a été causé par la découverte

de l’un de ses anciens cahiers de classe, où l’on a pu remarquer son niveau déplorable. Sur

l’une de ses dictées, j’avais inscrit : “Si la sauvegarde de la langue dépendait d’individus

tels que vous, nous en serions tous réduits au langage des signes”. Il ne méritait guère

mieux ! »

Fabien lève les yeux au ciel. Ficelle plisse le front, cherchant à se rappeler sur lequel de ses

propres cahiers elle a lu récemment une appréciation de ce genre.

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« Mais au fait, reprend Mlle Bigoudi, que faites-vous là, tous les trois ? Mesdemoiselles

Ficelle et Boulotte, votre comportement est des plus choquants. À une heure pareille,

vous devriez être au lit depuis longtemps ! Vous risquez de vous endormir, demain, en

classe – cela ne serait pas la première fois, hélas ! Et vous, Monsieur Surqueoui, j’espère

que vous n’êtes pas venu dans l’intention de jouer les héros et de m’arracher aux griffes

de ce garnement... Ce serait du plus haut ridicule ! »

Ficelle et Boulotte baissent la tête. Fabien pousse un profond soupir. M. Propre sourit

cruellement, puis commente :

« Si c’était ça votre idée, ben c’est raté… Je vous l’ai dit que vous aurez pas dû venir !

Tiens, toi, la grosse, ramasse cette corde, là-bas, et ligote tes deux copains. Allez ! Plus

vite que ça ! »

Tremblante, Boulotte s’empresse d’obéir. Ficelle se met à plaider :

« Dites, Monsieur, vous n’allez pas nous faire de mal, n’est-ce pas ? Surtout à moi ! Je

suis jeune, et je peux encore servir ! Et puis je suis quelqu’un de très important ! Je suis

la rédactrice en chef du journal Le Suréminent, et je viens de terminer un grand article

où je raconte comment Fantômette a arrêté un terrible brigand grâce mon revolver en

plastique et à un paquet de caramels mous donné par Boulotte ! Et ce n’est pas tout ! J’ai

reçu la médaille de platine du Haut Mérite du Royaume de Synovie, et le Grand Cordon

Rouge et Noir de Bravibravo !

- Moi aussi ! s’exclame Boulotte tout en serrant bien la corde autour des poignets de son

amie.

- Oui, mais moi je les ai plus mérités que toi. Et puis vous savez, insiste la grande fille, je

suis aussi une grande poétesse... Tenez, écoutez ça :

« C’est moi Ficelle

Que je suis belle !

J’ai la tête comme un œuf

Et j’aime beaucoup le bœuf. »

- Je t’ai déjà dit de te taire ! » rugit M. Propre.

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Pour appuyer ses propos, il dirige sa carabine vers le plafond et fait feu. Dans cette petite cave

aux murs nus, le bruit est assourdissant. Quelques morceaux de plâtre tombent sur la tête de

Mlle Bigoudi, qui ne semble pas s’en rendre compte. Terrorisée, Ficelle ferme son clapet. Elle

est d’ailleurs bien vite distraite par l’aventure palpitante qui se déroule sur l’écran devant ses

yeux.

L’opération “ligotage” continue dans le silence, si l’on excepte les rugissements de la

télévision (“Et oui, mesdames et messieurs, le suspense est insoutenable ! Victor va-t-il rester

fidèle à Anne, ou bien va-t-il se laisser tenter par les charmes de Claire ? On l’applaudit bien

fort !”)

Quand Boulotte a terminé, M. Propre la ligote à son tour, puis adresse quelques questions à

Fabien Surqueoui. Sans trahir le secret de la présence de Fantômette, ce dernier lui apprend

que c’est l’expression “la vieille bique” qui leur a donné l’indice recherché, mais qu’il

n’existe aucune preuve contre lui et que la police n’est au courant de rien. L’ayant écouté, M.

Propre réfléchit quelques instants, puis il déclare :

« Vous me gênez... Si je vous laisse partir, vous allez forcément bavarder. Et je ne peux

pas vous garder indéfiniment... » Il fronce les sourcils, puis conclut : « Je vais me

débarrasser de vous. Mais il faut que ça ait l’air d’un accident... comme ça, si jamais les

flics me retrouvent, je pourrais toujours dire que je voulais seulement vous garder

prisonniers quelques jours. » Il pense intensément, visiblement sans résultat, puis ajoute

brusquement : « Je vais forcément trouver quelque chose, je suis tellement intelligent !

Je reviendrai bientôt. En attendant, faites vos prières ! »

Il se retourne, sort, claque la porte derrière lui.

Quelques minutes de silence (tout relatif, bien entendu, car Anne est en train de plaider à

grand renfort de sanglots : “Victor, brise pas tout ! Pense à nous, à notre avenir !”).

Finalement, le programme se termine, et c’est au tour de Boulotte d’être hypnotisée par les

spots publicitaires qui lui présentent successivement des chips hypocaloriques, du chocolat

sans sucre, du nougat allégé, et un produit minceur au goût de blanquette de veau à

l’ancienne.

Ficelle se démène sur sa chaise, essaie sans succès de briser ses liens, se contorsionne, et se

met finalement à pleurnicher :

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« Ouin ! Je suis très inconfortable ! J’espère qu’il ne va pas nous laisser ici pendant trop

longtemps !

- Probablement pas, répond lugubrement Fabien Surqueoui. Si personne ne vient nous

aider, notre sort va être vite réglé...

- Pourquoi vous dites ça ? proteste Ficelle qui n’a pas écouté les menaces du bandit,

occupée qu’elle était par les histoires de cœur de Victor.

- Vous n’avez pas entendu ? Monsieur Propre a l’intention de nous faire disparaître dans un

“accident”...

- Quoi ? Mais pourquoi ? Et comment ?

- Pour que nous ne le dénoncions pas. Comment, je ne le sais pas encore... Mais je suppose

qu’il pourrait nous noyer, par exemple. Il lui suffirait de mettre en scène une inondation

dans la cuisine. Toute l’eau viendrait remplir la pièce ou nous sommes, puisque nous

sommes au-dessous du niveau du sol... »

En entendant ces mots, Ficelle et Boulotte pâlissent. Mlle Bigoudi reste insensible. Le

programme télévisé vient de changer, et c’est maintenant le célèbre comique Labétiz qui

prend la parole dans l’émission Le Little Deal. Il est visible que l’institutrice est à bout de

force, et que la mort lui semble une douce perspective comparée à la torture à laquelle elle est

exposée.

Ficelle est la première à reprendre la parole, hurlant encore plus fort que le présentateur :

« Bah, ces histoires de noyades, moi je n’y crois pas. Figurez-vous que ça m’est déjà

arrivé deux fois, cette histoire. Une fois dans une espèce de grotte sous-marine

amenuisée, non, amanègée...

- Aménagée ! » corrige sèchement Mlle Bigoudi, sortant brièvement de son apathie.

« C’est ça, aménagée, où j’étais attachée à un banc pendant que la marée montait. Et une

autre fois dans une galerie où passait une rivière... Eh bien, dans les deux cas quelqu’un

est venu nous sauver alors que l’eau m’arrivait déjà jusqu’au cou. Un peu plus, et elle

m’aurait rempli la bouche ! Vous vous rendez compte ! Je n’aurais pu plu... plus pu

parler !

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- Très ennuyeux, en effet, répond Fabien Surqueoui en souriant.

- Tenez, si j’avais mon pendule, celui que j’ai trouvé dans une pochette surprise, ou alors du

marc de café, ou un jeu de Tarot, ou bien une table de spiritualité...

- Spiritisme ! intervient à nouveau Mlle Bigoudi. Quelles âneries, Ficelle ! Comment

pouvez-vous croire à des choses pareilles ?

- Heu... en tout cas, si j’avais mon matériel, je suis sûre que je vous le dirai comme je vous

le dis : Fantômette va nous délivrer !

- Fantômette ? » Mlle Bigoudi fronce les sourcils. « Elle est donc également là, cette jeune

personne masquée qui passe à combattre les bandits le temps qu’elle devrait consacrer à

parfaire son éducation ?

- Oui, elle est là, et elle va nous sauver !

- Si elle arrive à pénétrer dans la maison, objecte Fabien, et à nous retrouver avant que

Monsieur Propre ne revienne, ce qu’il risque de faire d’un moment à l’autre !

- Mais non, mais non. Et d’ailleurs...

- Regardez ! » interrompt Boulotte.

Tout le monde suit son regard. La porte est en train de s’ouvrir.

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CHAPITRE 11

Vive comme l’éclair, Fantômette a fait un bond en arrière, puis a reculé précipitamment de

quelques pas vers l’un des murs de la cuisine, du côté où la porte ne s’ouvre pas. En

s’entrebâillant, la porte a dessiné un triangle de lumière sur le sol de la cuisine. Le cœur

battant, Fantômette voit apparaître la silhouette de M. Propre. Ce dernier avance la main qui

ne tient pas la carabine, tâtonne le mur, trouve l’interrupteur.

Et allume la lumière.

La cuisine est assez spacieuse, et Fantômette a eu le temps d’aller se plaquer contre un mur.

Cependant, elle est désormais parfaitement visible. Dans une fraction de seconde, M. Propre

va lever les yeux et la voir...

Non, pourtant. Il reste à l’aventurière une chance. Sans remarquer sa présence, le bandit s’est

retourné vers la porte et est occupé à pousser le verrou.

Impossible de lui sauter dessus : avant que Fantômette n’ait fait trois pas, M. Propre l’aurait

repérée et aurait eu le temps de braquer sa carabine sur elle. Fantômette fait un pas de côté,

s’accroupit derrière une poubelle malodorante et cesse de bouger (et de respirer), en espérant

que M. Propre soit suffisamment distrait pour ne pas l’apercevoir – et qu’il ne décide pas

d’aller se chercher un casse-croûte.

Et le miracle arrive. Après avoir soigneusement fermé la porte de la cave, l’homme traverse

tranquillement la cuisine sans penser à regarder autour de lui, ouvre la porte de la salle à

manger, éteint la lumière, et passe dans l’autre pièce.

Fantômette pousse un soupir de soulagement.

« Ouf ! Il était moins une ! Mon bonhomme doit être un peu myope... je lui offrirai des

lunettes, ça lui sera utile, en prison. »

Dès que la lumière filtrant sous la porte menant à la salle à manger s’est éteinte, Fantômette se

redresse, court vers la porte, ouvre le verrou, et commence à descendre les escaliers.

Le même bruit qui a intrigué Fabien Surqueoui frappe son oreille.

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« Qu’est-ce qui se passe, là-dessous ? Une assemblée ? J’entends des applaudissements...

De la musique, maintenant ? J’ai déjà entendu ce générique quelque part... Ah, j’y suis,

ce doit être l’une de ces émissions télévisées qu’affectionne Ficelle. Mais pourquoi

diable Monsieur Propre leur a-t-il mis la télévision – et pourquoi si fort ? »

Le meilleur moyen pour obtenir une réponse à ces questions est d’ouvrir la porte qu’elle

trouve en bas de l’escalier en spirale. Ce qu’elle fait en tirant les verrous.

Son apparition est saluée par un hurlement de terreur, puis par un hululement d’excitation.

« Ah ! Je savais bien, moi, que Fantômette allait venir nous délivrer ! Je vous l’avais bien

dit ! Pas vrai, Boulotte, que je l’avais dit ? »

Sans prendre garde au verbiage de la grande Ficelle, Fantômette jette un rapide coup d’œil sur

les prisonniers pour s’assurer que personne n’a été blessé par le coup de feu qu’elle a entendu.

Puis elle tire son poignard et s’empresse de couper les liens de ses amis, pendant que Fabien

Surqueoui la met brièvement au courant des circonstances de la détention de Mlle Bigoudi et

des menaces de leur ravisseur.

Une fois délivrés, Boulotte fouille dans sa poche pour y récupérer une barre de chocolat,

Ficelle se met à faire des bonds de joie, et Fabien Surqueoui se précipite pour aller éteindre la

télévision. Le silence soudain fait du bien à tout le monde. Mlle Bigoudi relève la tête et

s’adresse à Fantômette, d’une voix un peu sèche :

« Merci, Mademoiselle, d’être venue à mon secours, mais je crains fort que cela ne soit

aussi inutile que téméraire. Comme vous pouvez le constater, je ne suis pas attachée,

mais menottée ; je doute que votre poignard se montre d’une quelconque efficacité. »

Sans répondre, Fantômette extrait son ouvre-porte de sa poche. Quelques instants plus tard,

tout le monde est libre. Vexée, Mlle Bigoudi pince les lèvres.

« Maintenant, il s’agit de ne pas traîner ! Filons vite ! »

La petite troupe s’empresse d’obéir, et gravit les marches rapidement. La cuisine, puis la salle

à manger sont traversées sans encombres. Fantômette marche devant, aussi silencieuse et

gracieuse qu’un chat, sa lampe de poche braquée devant elle, les oreilles aux aguets. Ficelle la

suit ; cette dernière essaie d’imiter la justicière, et se courbe en deux dans l’attitude qu’elle

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croit être celle de toute personne désirant faire peu de bruit ; ses yeux sont plissés (sans doute

selon le principe des jeunes enfants – pour ne pas être vu, il suffit de ne rien y voir soi-

même) ; elle essaie d’aller le plus vite possible, tout en marchant sur la pointe des pieds, ce

qui manque de la faire tomber plus d’une fois. Derrière elle, Fabien Surqueoui avance

tranquillement, tout en regardant autour de lui et en faisant des commentaires à voix très basse

(“Du plastique partout ! Quelle horreur ! Et ça, là-bas, par terre, ce n’est tout de même pas

une véritable peau d’ours ? Regardez-moi cette télévision : elle est en veille au lieu d’être

éteinte, ce qui gaspille pas moins de 50 watts sur une année – 15 milliards de Kwatts au

niveau national ! Et ce pull… Une marque de vêtement réputée pour faire travailler les

enfants dans les pays pauvres !”). Mlle Bigoudi, elle, ne fait aucun commentaire ; le front

haut, les lèvres serrées, la démarche saccadée, elle a l’air très digne malgré son extrême

fatigue. Boulotte ferme la marche, en croquant le plus silencieusement possible dans une

pomme qu’elle a trouvée sur la table de la cuisine.

Enfin, la petite troupe atteint la porte d’entrée. La porte est verrouillée, mais par chance M.

Propre a laissé la clef sur la serrure. Fantômette ouvre silencieusement, se glisse à l’extérieur,

suivie par les autres.

Une fois dans le jardin, Ficelle perd toute retenue et se met à courir de toutes ses jambes vers

la grille, suivie péniblement par Boulotte qui a tout aussi hâte de quitter les lieux. Le jardin est

toujours violemment éclairé, et on y voit parfaitement bien.

Et c’est alors que la tragédie se produit.

Un coup de feu résonne soudain, et Boulotte s’effondre sur les graviers.

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CHAPITRE 12

Ficelle, Fantômette et Fabien Surqueoui poussent en même temps un grand cri, tandis que

Mlle Bigoudi porte ses mains à sa bouche dans un geste horrifié. Mais avant qu’ils aient pu se

précipiter, la silhouette de M. Propre apparaît sur l’allée.

« Halte ! On ne bouge plus ou je tire de nouveau ! »

Il s’approche de la petite troupe consternée, carabine pointée vers eux. Ficelle, qu’en temps

normal un pistolet en plastique suffit à terroriser, semble à peine remarquer ce qui se passe.

Ses yeux sont fixés sur le corps inerte de son amie.

« On essayait de s’enfuir, pas vrai ? On croyait que j’étais dans ma chambre, en train de

dormir, c’est ça ? Et celle-ci, c’est “Fantassin”, je présume ? Le petit écureuil

apprivoisé, n’est-ce pas ? Non, mais vous me prenez pour un imbécile ? Vous croyez

que je n’ai jamais entendu parler de Fantômette ? Et maintenant, vous espériez quoi ?

Courir prévenir la police, c’est ça ? » À chaque phrase, le ton est un peu plus haut. « Et

toi, la vieille bique, tu croyais vraiment que tu allais t’en tirer comme ça ? C’est à cause

de toi que j’ai perdu mon boulot, tu voulais aussi m’envoyer en prison ? » La colère de

M. Propre monte comme la lave d’un volcan. « Mais vous vous trompez, tous ! Je ne

suis pas un imbécile, je suis très intelligent ! Et pour vous le prouver, je vais me

débarrasser de vous, tout de suite ! La sale gamine qui se prend pour une héroïne

d’abord ! La vieille bique ensuite ! Et les autres après ! » Il braque résolument sa

carabine sur Fantômette. « Adieu, Fantômette ! »

La contraction de son visage indique qu’il s’apprête à tirer. Avec angoisse, Fantômette

comprend que sa dernière heure est arrivée.

C’est alors qu’un événement inattendu se produit. Ficelle se baisse brusquement, ramasse une

poignée de cailloux, et, avec rage, la lance à toute volée sur l’aspirant assassin.

« Ah, non ! Vous avez tué Boulotte, et maintenant vous voulez tuer Fantômette ! Vous

n’êtes qu’un méchant vilain ! »

La pluie de cailloux, dont certains ont frappé son visage, a détourné la concentration du bandit

pendant quelques secondes. Assez pour que Fantômette ait le temps de s’approcher et de

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lancer un coup de pied précis qui vient frapper la carabine du bandit. L’arme lui tombe des

mains et est vivement ramassée par la justicière qui la braque à son tour sur l’homme.

« Assez plaisanté, maintenant ! On lève les bras ! »

Piteusement, le bandit s’exécute.

Silence. Maintenant que le danger est écarté, l’esprit de chacun des acteurs de cette scène se

tourne à nouveau vers la tragédie qui vient de les frapper. Fantômette, qui doit tenir M. Propre

en respect, ne peut pas courir vers Boulotte, même si elle n’a pas d’autre désir.

« S’il te plaît, Boulotte, bouge… Ce n’est pas possible… »

Au cours de sa carrière, l’aventurière a connu plusieurs moments d’angoisse et de

découragement, mais jamais rien de comparable à ce qui l’étreint à présent.

« Mais quelle justicière est-ce que je suis, si voilà le résultat ? Je cours à la rescousse du

moindre inconnu, et je suis incapable de protéger ma meilleure amie… Si elle meurt, ce

sera entièrement ma faute ! C’est moi qui l’ai mise en danger en l’entraînant dans cette

enquête ! Et comment ai-je pu négliger de vérifier que le passage était libre avant de les

laisser tous sortir de la maison ? C’est moi qui devrais être couchée là ! Oh, Boulotte ! »

Tandis que l’aventurière rumine ces sombres pensées, avec l’impression de vivre un véritable

cauchemar, Fabien Surqueoui se dirige lentement vers le corps inerte de Boulotte pour voir

s’il y a encore quelque chose à faire.

Après son action aussi téméraire qu’irréfléchie, Ficelle est redevenue passive. Boulotte a

toujours été son amie la plus proche, la seule qui l’ait supportée dans toutes les circonstances.

Ficelle n’a jamais été aussi triste, même le jour où, croyant Fantômette morte “pour de bon”,

elle a résolu de porter des chaussettes noires en signe de deuil. Une larme coule le long de sa

joue.

Mlle Bigoudi est venue la rejoindre, et après quelques instants de lutte intérieure, elle passe

un bras réconfortant autour des épaules de la grande fille. Loin de se rebeller, Ficelle, qui sent

les sanglots la gagner, cache son visage contre l’épaule de son institutrice.

C’est dans cette position touchante, presque maternelle, que le cri de Fabien Surqueoui vient

les surprendre.

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« Mais elle n’a rien du tout !

- Comment ça, rien du tout ? » demande Mlle Bigoudi en s’écartant précipitamment, de

l’air de quelqu’un qui vient de donner une pièce charitable à un mendiant et qui le voit

monter dans une Mercedes.

« Mais non ! confirme Fabien Surqueoui. La balle ne l’a pas atteinte ! Elle a trébuché,

voilà tout ! »

Ficelle, qui s’est avancée, ne peut que constater que c’est la vérité. Boulotte, l’air un peu

éberlué, est en train de se redresser.

« Ça va, ma grosse ?

- Heu… oui, oui, ça va… Et ne m’appelle pas ma grosse.

- Mais pourquoi tu ne bougeais pas ?

- Ben… Je crois que je me suis un peu cogné la tête, je n’ai pas tout de suite compris ce qui

m’arrivait… Et puis quand j’ai compris, Monsieur Propre parlait de tuer tout le monde, et

alors…

- Et alors, continue Ficelle d’un ton furieux, tu as cru bon de te faire passer pour morte pour

qu’il ne te tue pas de nouveau ? Tu devrais avoir honte ! Tu aurais dû te relever et te faire

tuer bravement avec nous ! Et moi qui versais stupidement des larmes de crocodiles ! » La

grande asperge se reprend. « Mais en fait, j’ai toujours su que c’était une blague et que tu

ne pouvais pas être morte. Et je n’étais pas triste du tout ! », ajoute-t-elle en essuyant ses

larmes avec une chaussette qui lui sert de mouchoir. « De toute façon, avec toute cette

graisse, la balle n’aurait jamais réussi à arriver jusqu’au cœur…

- Quoi ? Dis-donc, il me semble… »

Un cri de Fantômette interrompt la dispute naissante.

« Hé ! là ! Revenez ! Arrêtez-vous ou je tire ! »

Profitant de la distraction générale, M. Propre s’est élancé vers la grille avec la vitesse d’un

lapin poursuivi par un chasseur. Voyant que son cri reste inefficace, et se refusant à utiliser

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l’arme dont elle dispose, Fantômette jette rageusement la carabine par terre et se met à courir

derrière lui.

M. Propre est terrorisé. Sans bien savoir où aller, il ouvre la grille et se met à courir sur la

route. Fantômette n’est déjà plus très loin de lui. Affolé, il regarde autour de lui et avise,

appuyé contre le mur de sa propriété, la bicyclette de Fabien Surqueoui. Il s’empresse de

l’enfourcher et de se mettre à pédaler de toutes ses forces.

Impuissante, Fantômette le regarde s’éloigner à toute allure, entourée de Ficelle et Fabien

Surqueoui qui l’ont rejointe à la course.

Mais M. Propre n’a pas fait plus de vingt mètres lorsque soudain, on le voit lever

désespérément les deux bras.

« Tiens ? Qu’est-ce qu’il brandit, ce bandit ? » demande Ficelle.

Fantômette a beau avoir de bons yeux, elle se pose la même question. C’est Fabien Surqueoui

qui leur fournit la réponse :

« Ah, je sais ! C’est le guidon !

- Quoi ?

- Ben oui… Je vous avais dit que mon vélo est un peu difficile à manier…

- Au point de perdre son guidon ? C’est un morceau de ferraille, alors ! déclare Ficelle avec

tact. Enfin, je ne dis pas ça pour vous vexer, Monsieur ! Mais si c’est vous qui l’avez

réparé, vous êtes aussi bon mécanicien que je suis membre de l’Accalmie Française !

- L’Académie ?

- Regardez ! » les interrompt Fantômette.

Effectivement, ce qui est en train de se passer vaut le coup d’œil. Après avoir fait encore

quelques mètres les deux bras en l’air (comme un vainqueur du Tour de Marne-et-Oise, sauf

que ces derniers n’ont pas, en général, un guidon dans une main, mais deux doigts en V), M.

Propre s’est mis à zigzaguer et même à tanguer sur sa capricieuse monture. Bras désormais

écartés, dans le vain espoir de retrouver son équilibre, il oscille de plus en plus, tente de se

redresser, et finit par sortir de la route, fonçant à toute allure vers le mur de sa propriété.

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C’est un heureux hasard qui sauve son crâne (dur comme du bois, selon Mlle Bigoudi) d’une

fracture certaine. Le vélo a quitté la route juste à l’endroit où se dresse l’énorme tas d’ordures

qui a permis à Fabien Surqueoui de franchir le mur et de pénétrer dans la propriété. C’est au

milieu des sacs poubelles éventrés par les chats que le bandit plonge à présent la tête la

première…

Sous le choc, le fragile édifice d’ordures s’effondre brutalement, enterrant vivant l’ancien roi

des éboueurs de Framboisy !

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ÉPILOGUE

« ... et alors, n’écoutant que mon courage à deux mains, j’ai ramassé un énorme roc qui

traînait et je l’ai lancé de toutes mes forces sur le bandit. Après, j’ai ramassé sa carabine,

et je lui ai dit : “Haut les mains et bas les pattes ! Sinon je vous transforme en passoire

trouée !” Et il est tombé à genoux et m’a supplié de l’éparpiller...

- Épargner, corrige Françoise.

- Oui, c’est ça, épargner. Et moi, dans ma grande magnatitude, je lui ai dit... »

L’histoire se répète. Une semaine très précisément après le début de cette aventure, Ficelle, en

attendant que la cloche du lundi matin marque le début des cours, est encore en train de

raconter comment elle a sauvé la vie à Fantômette. C’est aujourd’hui que Mlle Bigoudi doit

revenir de son absence, le jeudi et le vendredi ayant été employés (selon le conseil du docteur,

et malgré les protestations de l’intéressée qui ne voulait pas négliger ses devoirs) à récupérer

le sommeil en retard et à reprendre des forces.

Laissant la grande fille discourir, Françoise s’approche de Boulotte qui termine son troisième

petit-déjeuner (un pain au chocolat fourré au caramel).

« Salut Françoise ! Tu veux un croissant à la confiture ? Il m’en reste un.

- Non, merci. On ne peut pas l’arrêter, hein ?

- Ah, ça tu peux le dire ! Tu aurais dû l’entendre, le lendemain de la capture de Monsieur

Propre... En rentrant le soir elle était trop fatiguée pour parler, mais le lendemain elle est

allée débiter son histoire à tous les voisins !

- Elle a dû les lasser...

- Penses-tu, ils ont l’habitude. Ils sont déjà bien contents qu’elle ait cessé de parler à la

fenêtre dans un porte-voix, comme après l’histoire de Radio-Framboisy... Et tu te souviens

quand elle avait été enlevée par Hindrapour ? Elle avait organisé une conférence... Ça

avait eu du succès, d’ailleurs. Il y avait eu Madame Petipois, les deux gamins du

fromager, et le chat de la Mère Michel.

- Oui, c’est vrai, je me souviens.

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- Et puis, tu sais, pour une fois, c’est presque vrai, ce qu’elle raconte...

- Ah bon ?

- Mais oui. Bien sûr, elle n’a pas arraché les chaînes de Mademoiselle Bigoudi, ni menacé

le bandit avec une carabine, mais elle a vraiment sauvé la vie de Fantômette. Je crois

qu’elle n’en est pas encore revenue elle-même... »

Boulotte, qui a terminé sa viennoiserie, s’essuie les mains sur une serviette en papier, puis va

la jeter dans la poubelle de la cour. Elle revient en disant :

« C’est tout de même plus agréable quand les poubelles ne débordent pas !

- Ça, c’est sûr... »

Ficelle a terminé son récit et vient de rejoindre ses deux amies.

« Bah ! Moi, je l’avais prédit depuis le début, que la grève des éboueurs ne durerait pas et

qu’ils allaient bientôt trouver un nouveau directeur. C’était évident !

- Et tu avais aussi deviné qui ce serait, grosse maligne ? l’interroge Françoise.

- Bien sûr ! Maintenant, grâce à Fabien Surqueoui, on va avoir l’entreprise de ramassage

d’ordures la plus performante de tout le pays, ce sont les journaux qui l’ont dit ! Avec son

projet de recyclement généralisé, on ne va plus gaspiller la moindre miette de plastique

breveté ! C’est du tout cru !

- Est-ce qu’il va aller habiter dans la villa de Monsieur Propre, comme on le lui a proposé ?

demande Boulotte en se tournant vers Françoise.

- Non, il a refusé. Il a dit qu’il préférait rester au Domaine de Gaïa, maintenant qu’il allait

avoir les moyens de l’entretenir. Mais comme cadeau de bienvenue, devinez ce que le

conseil d’administration a tenu à lui offrir ?

- Quoi donc ?

- Un vélo ! D’occasion, bien entendu – il aurait poussé des hurlements si on avait acheté un

vélo neuf alors qu’il y a des vieux vélos encore fonctionnels qui sont envoyés à la casse...

Mais en tous cas, c’est un vélo très confortable et qui marche parfaitement. Et ce qui est

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amusant, c’est que Mademoiselle Bigoudi a reçu presque le même cadeau de la part des

parents d’élèves, qui sont bien soulagés qu’elle soit revenue.

- Qu’est-ce que c’est ?

- Un tandem.

- Un tandem ? Un vélo à deux places ? Mais qu’est-ce qu’elle va en faire ? »

La sonnerie ne permet pas à Françoise de répondre à Ficelle. Les élèves se mettent en rang.

Mais une fois de plus, la porte reste fermée.

Cependant, avant que les élèves n’aient le temps de s’inquiéter, la grille de la cour s’ouvre et

laisse passer une Mlle Bigoudi légèrement essoufflée, mais avec de meilleures couleurs qu’on

ne lui a vues depuis longtemps.

« Je vous prie de m’excuser, Mesdemoiselles et Messieurs... Monsieur Fabien Surqueoui a

tenu à m’accompagner à l’école ce matin pour fêter ma reprise, mais un pneu crevé nous

a fait perdre du temps. »

Ce disant, elle a ouvert la porte de la classe et est allée s’installer au pupitre, pendant que les

élèves entrent en classe.

« Mademoiselle Françoise Dupont, pourriez-vous me passer le cahier de textes ? Merci.

Voyons... Ah, oui, je me souviens. Mademoiselle Ficelle, veuillez monter sur l’estrade

et réciter votre leçon de géographie, je vous prie. »

Ficelle se lève aussi rapidement qu’un escargot asthmatique, se dirige vers le tableau en

traînant des pieds, et commence :

« Heu... Les Alpes prennent leur source sur le Mont Gerbier-des-Joncs... elles se jettent

dans l’Océan Pacifique... Heu... »

Mlle Bigoudi la laisse bredouiller quelques minutes de plus sans manifester la moindre

surprise, puis l’interrompt :

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« Cela peut suffire. Je constate qu’une fois de plus, vous n’avez pas fait votre travail à la

maison. Vous me copierez donc trois fois cette leçon – et sans utiliser de papier carbone,

s’il vous plaît. »

Penaude, la grande fille tente de protester :

« Mais Mademoiselle... Avec les événements de la semaine, ça m’est sorti de la cervelle...

Et pourtant, j’ai une cervelle très efficace, vous savez ? Mais...

- Mais pas pour le travail scolaire. Soit dit en passant, sachez que pour les êtres humains, le

mot correct est cerveau, et non cervelle. Et j’en profite pour attirer votre attention sur le

fait que sauver la vie des gens ne vous donne en aucun cas le droit de négliger vos devoirs.

Vous pouvez regagner votre place. » L’institutrice se tourne vers une autre victime :

« Mademoiselle Zézette, veuillez venir nous parler de la Loire. »

Ficelle retourne à sa place, et se rassoit pesamment, tout en murmurant :

« La barbe ! Si j’avais su, je ne l’aurais pas délivrée ! »

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TABLE DES MATIERES

CHAPITRE 1 ............................................................................................................................. 2

CHAPITRE 2 ........................................................................................................................... 10

CHAPITRE 3 ........................................................................................................................... 16

CHAPITRE 4 ........................................................................................................................... 23

CHAPITRE 5 ........................................................................................................................... 29

CHAPITRE 6 ........................................................................................................................... 33

CHAPITRE 7 ........................................................................................................................... 37

CHAPITRE 8 ........................................................................................................................... 46

CHAPITRE 9 ........................................................................................................................... 55

CHAPITRE 10 ......................................................................................................................... 58

CHAPITRE 11 ......................................................................................................................... 65

CHAPITRE 12 ......................................................................................................................... 68

ÉPILOGUE .............................................................................................................................. 73

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