extrait de la publication… · au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de hong...

22
Extrait de la publication

Upload: others

Post on 07-Aug-2020

3 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

Extrait de la publication

Page 2: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

Extrait de la publication

Page 3: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

MAINSTREAM

Extrait de la publication

Page 4: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

DU MÊME AUTEUR

Le Rose et le Noir. Les Homosexuels en France depuis 1968(Le Seuil, 1996 et « Points », 2000)

La Longue Marche des gays (Gallimard, 2002)Theater. Sur le déclin du théâtre en Amérique (La Découverte,

2006)De la culture en Amérique (Gallimard, 2006 et « Champs-

Flammarion », 2011)

Extrait de la publication

Page 5: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

Frédéric MARTEL

MAINSTREAM

Enquête sur la guerre globalede la culture et des médias

Édition revue 2011

Extrait de la publication

Page 6: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

Note de l’éditeur

Ce livre s’appuie sur des sources précises : l’ensembledes notes de bas de page et la bibliographie qui nefigurent pas ici, la liste détaillée des 1 250 personnesinterviewées sur le terrain dans 30 pays pour cetteenquête, l’index des noms et des sociétés cités et de nom-breuses données statistiques et tableaux sur les groupesmédias à travers le monde ont été renvoyés sur le siteInternet qui est le prolongement naturel de ce livre déli-bérément bi-média, papier et Web (voir p. 577 et le sitefredericmartel.com).

Par ailleurs, les mots et expressions en américain, maisaussi en arabe, en japonais, etc., qui sont fréquemmentutilisés dans cet ouvrage, sont répertoriés et explicitésdans le lexique à la fin du livre, p. 567.

© Flammarion, 2010.© Flammarion, 2011, pour la présente édition.

ISBN : 978-2-0812-4958-5

Extrait de la publication

Page 7: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

Prologue

ON NE PEUT PAS imaginer un lieu moins « main-stream » que le Harvard Faculty Club. Ce restaurantréservé aux professeurs est situé sur le campus de la pres-tigieuse université Harvard, dans le Massachusetts, auxÉtats-Unis. L’écrivain Henry James y avait sa maison etaujourd’hui, conservant cet esprit protestant, blanc etmasculin, fait de puritanisme et de nourriture frugale(on mange assez mal au Harvard Faculty Club), les plusgrands universitaires d’Harvard y tiennent conversation.Dans la salle à manger, assis à une table recouverte d’unenappe blanche, je retrouve Samuel Huntington.

Pendant les années où j’ai vécu aux États-Unis etenquêté pour ce livre, j’ai plusieurs fois rencontré Hun-tington, connu dans le monde entier pour son ouvrageLe Choc des civilisations. Son sujet : les civilisationss’affrontent désormais entre elles pour des valeurs, pouraffirmer une identité et une culture, non plus seulementpour défendre leurs intérêts. C’est un livre « opiniona-ted », comme on dit en anglais, très engagé, qui évoquel’Occident et « le reste », un Occident unique face auxautres pays non occidentaux, pluriels. Huntington y sou-ligne notamment l’échec de la démocratisation des paysmusulmans à cause de l’islam. L’ouvrage a été commenté,et souvent critiqué, dans le monde entier.

Extrait de la publication

Page 8: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

MAINSTREAM8

Au cours du déjeuner à Harvard, j’interroge Hunting-ton sur sa grande théorie, sur la culture de masse, sur lenouvel ordre international depuis le 11 septembre et surle monde comme il va. Il me répond quelques banalitésd’une voix chancelante, n’ayant visiblement rien à diresur la culture mondialisée, avant de me demander– question que tout le monde pose aux États-Unis – oùje me trouvais le 11 septembre. Je lui dis que j’étais cematin-là à l’aéroport de Boston, précisément à l’heureoù les dix terroristes embarquaient sur les vols AmericanAirlines 11 et United Airlines 175 qui devaient s’écraserquelques minutes plus tard contre les deux tours duWorld Trade Center. Le vieil homme – il a 80 ans –devient songeur. Le 11 septembre, ce fut un cauchemarpour les États-Unis et l’heure de la consécration pourHuntington, dont les thèses sur la guerre culturelle mon-diale ont paru tout à coup prophétiques. J’ai l’impressionqu’il commence une sieste alors que nous finissons ledéjeuner (il est mort quelques mois après nos entretiens).En silence, je me mets à regarder les tableaux de maîtressur les murs du Harvard Faculty Club. Et je me demandecomment cet homme élitiste, symbole de la hauteculture, a-t-il pu comprendre les enjeux de la guerre descultures ? A-t-il seulement vu Desperate Housewives, lasérie que tout le monde regarde à ce moment-là auxÉtats-Unis et dont deux des héroïnes s’appellent Kaylaet Nora Huntington ? Je n’ose lui poser la question : jesais que Samuel Huntington, dans sa rigidité puritaine,n’est guère porté sur l’« entertainment » – le divertisse-ment. Ce qui constitue justement le sujet de ce livre.

QUELQUES SEMAINES PLUS TARD, je me retrouve dansle bureau de Joseph Nye, alors président de la Kennedy

Extrait de la publication

Page 9: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

PROLOGUE 9

School, la prestigieuse école de science politique et dediplomatie, également sur le campus d’Harvard. Pleind’énergie à 70 ans, cet ancien vice-ministre de la Défensede Bill Clinton est également engagé dans la guerre cultu-relle mondiale. Mais alors que les idées d’Huntington ontpréparé l’ère Bush, celles de Nye annoncent la diplomatied’Obama. Nye a mis en valeur les « interdépendancescomplexes » des relations entre les nations par temps demondialisation et a inventé le concept de « soft power ».C’est l’idée que, pour influencer les affaires internationaleset améliorer leur image, les États-Unis doivent utiliser leurculture et non plus seulement leur force militaire, écono-mique et industrielle (le « hard power »). « Le soft power,c’est l’attraction, et non pas la coercition, m’explique JoeNye dans son bureau.Et la culture américaine est au cœurde ce pouvoir d’influence qu’elle soit “high” ou “low”,que ce soit de l’art ou de l’entertainment, qu’elle soitproduite par Harvard ou par Hollywood. » Nye, aumoins, me parle de la culture de masse mondialisée etsemble bien renseigné sur le jeu et les dynamiques desgroupes médias internationaux. Il poursuit : « Mais le“soft power”, c’est aussi l’influence à travers des valeurs,comme la liberté, la démocratie, l’individualisme, le plu-ralisme de la presse, la mobilité sociale, l’économie demarché et le modèle d’intégration des minorités auxÉtats-Unis. C’est aussi grâce aux normes juridiques, ausystème du copyright, aux mots que nous créons, auxidées que l’on diffuse dans le monde que le “power” peutêtre “soft”. Et puis, bien sûr, notre influence est renforcéeaujourd’hui par Internet, par Google, YouTube, My-Space et Facebook. » Inventeur de concepts à succès, Nyea défini la nouvelle diplomatie de Barack Obama, dontil est proche, comme devant être celle du « smartpower », la combinaison de la persuasion et de la force,du « soft » et du « hard ».

Page 10: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

MAINSTREAM10

Pour opposées qu’elles soient, ces théories célèbres deHuntington et Nye sont-elles finalement si pertinentes enmatière de géopolitique de la culture et de l’information ?Les civilisations sont-elles inexorablement entrées dansune guerre mondiale des contenus ou bien dialoguent-elles plus qu’on ne le croit ? Pourquoi le modèle américainde l’entertainment de masse domine-t-il le monde ? Cemodèle est-il américain par essence, est-il reproductibleailleurs ? Quels sont les contre-modèles émergents ?Comment se construit la circulation des contenus à traversle monde ? La diversité culturelle, qui est devenue l’idéolo-gie de la mondialisation, est-elle réelle ou va-t-elle se révé-ler un piège que les Occidentaux se sont tendu à eux-mêmes ? C’est à ces questions autour de la géopolitique dela culture et des médias que ce livre s’intéresse.

SUR LA PLAGE DE JUHU à Mumbai – le nouveau nomde Bombay en Inde –, Amit Khanna, P-DG de RelianceEntertainment, un des plus puissants groupes indiens deproduction de films et de programmes télévisés, et quivient de racheter une partie du studio américain Dream-Works de Steven Spielberg, m’explique la stratégie desIndiens : « Il y a ici 1,2 milliard d’habitants. Nous avonsl’argent. Nous avons l’expérience. Avec l’Asie du Sud-Est, nous représentons un quart de la population duglobe, avec la Chine un tiers. Nous voulons jouer unrôle central, politiquement, économiquement, mais aussiculturellement. Nous croyons au marché global, nousavons des valeurs, les valeurs indiennes, à promouvoir.Nous allons affronter Hollywood sur son propre terrain.Non pas simplement pour gagner de l’argent, mais pouraffirmer nos valeurs. Et je crois profondément que nous

Page 11: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

PROLOGUE 11

serons capables de réussir. Il va falloir compter avecnous. »

Quelques mois plus tard, je suis en Égypte, au Libanpuis dans le Golfe, avec les dirigeants du groupe Rotana.Fondé par le milliardaire saoudien Al Waleed, Rotanavise à créer une culture arabe : son siège est à Riyad,ses studios de télévision à Dubaï, sa branche musicale àBeyrouth, sa division cinéma au Caire. La stratégie cultu-relle multimédia et panarabe du groupe consiste, elleaussi, à défendre des valeurs et une vision du monde. Elles’appuie sur des milliards de dollars provenant d’Arabiesaoudite et une audience potentielle d’environ 350 mil-lions d’Arabes (peut-être 1,5 milliard si on l’élargit à tousles musulmans, notamment en Asie du Sud et du Sud-Est). « Nous allons mener cette bataille », me confirmentles patrons du groupe Rotana.

Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tourde Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeantcommuniste, qui préside aux destinées du groupe eSun,un géant du cinéma et de la musique en Chine continen-tale et à Hong Kong. « Nous avons 1,3 milliard de Chi-nois ; nous avons l’argent ; nous avons l’économie la plusdynamique du monde ; nous avons l’expérience : nousallons pouvoir conquérir les marchés internationaux etconcurrencer Hollywood. Nous serons le Disney de laChine. »

Au quartier général de TV Globo à Rio de Janeiro, ausiège de la multinationale Sony à Tokyo, chez Televisa àMexico et Telesur à Caracas, au siège d’Al Jazeera auQatar, avec les dirigeants du premier groupe de télécom-munications indonésien à Jakarta, au siège de ChinaMedia Film et de Shanghai Media Group en Chine, j’aientendu, pendant les cinq années de cette enquête, desdiscours assez similaires. On inaugure aujourd’hui unnouvel écran de cinéma multiplexe chaque jour en

Page 12: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

MAINSTREAM12

moyenne en Chine, en Inde et au Mexique. Il y a 2000chaînes de télévision en Chine. Et plus de la moitié desabonnés à la télévision payante se trouvent désormais enAsie. La guerre culturelle mondiale est bel et bien décla-rée. À mesure que de nouveaux géants apparaissent dansl’économie mondiale – la Chine, l’Inde, le Brésil, maisaussi l’Indonésie, l’Égypte, le Mexique, la Russie –, leurproduction de divertissement et d’information s’accroîtégalement. C’est l’émergence de la culture des paysémergents.

Face à l’entertainment américain et à la culture euro-péenne, ces nouveaux flux mondiaux de contenus com-mencent à peser. C’est toute une nouvelle cartographiedes échanges culturels qui est en train de se dessiner. Lesstatistiques de la Banque mondiale et du FMI ne lesmesurent guère encore, celles de l’Unesco les passent soussilence (ou reprennent les chiffres de la propagande chi-noise ou russe), quant à l’OMC, elle les mêle à d’autrescatégories de produits et de services. Personne n’a encorepris la mesure de cet immense bouleversement en cours– ni mené l’enquête de terrain pour « couvrir » la nou-velle bataille mondiale des contenus.

Ces nouveaux rivaux pour l’Occident seront-ils desennemis culturels ? Les prédictions sur le « choc des civi-lisations » sont-elles pertinentes ? En Asie, en Amériquelatine, au Moyen-Orient, en Afrique, la croissance pro-gressive d’industries puissantes dans l’audiovisuel etl’information pose des questions nouvelles qui dépassentles schémas anciens. Je parlerai d’ailleurs ici d’« industriescréatives » ou d’« industries de contenus », expressionsqui incluent les médias et le numérique, et que je préfèreà celle, trop connotée, datée et aujourd’hui imparfaited’« industries culturelles ». Car il ne s’agit plus simple-ment de produits culturels, il s’agit aussi de services. Passeulement de culture, mais aussi de contenus et de

Page 13: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

PROLOGUE 13

formats. Pas seulement d’industries, mais aussi de gou-vernements en quête de soft power et de micro-entre-prises en recherche d’innovations dans les médias et lacréation dématérialisés.

Au contact de ces groupes de communication plané-taires, souvent dirigés par de nouvelles générations demanagers et d’artistes d’une jeunesse déconcertante, ondécouvre les problèmes complexes d’interdépendanceavec les États-Unis, l’attraction et la répulsion que leurmodèle suscite, les tensions entre une affirmation identi-taire régionale et une quête de succès mondial, les diffi-cultés à défendre des valeurs dans un monde où lescontenus sont en train de devenir globaux. Beaucoupd’inégalités apparaissent aussi, entre des pays dominantset des pays dominés : certains émergent comme produc-teurs de contenus, d’autres sont submergés par les fluxculturels mondiaux. Pourquoi le Liban s’en sort bien etpas le Maroc ? Pourquoi Miami et pas Buenos Aires,Mexico et pas Caracas ? Pourquoi Hong Kong et Taïwanet pas encore Beijing ? Pourquoi le Brésil et pas le Portu-gal ? Pourquoi de plus en plus les cinquante États améri-cains et de moins en moins l’Europe à 27 ?

Au-delà des réponses simplistes imaginées au HarvardFaculty Club, il fallait enquêter sur le terrain. Pendantcinq années, j’ai donc sillonné la planète, faisant le tourdes capitales de l’« entertainment », interrogeant plus de1 250 acteurs de ces industries créatives, dans 30 pays àtravers le monde. Ce que j’en ai rapporté est à la foisinédit, fascinant et inquiétant. C’est une enquête sur laguerre mondiale pour les contenus. Et cette guerre adéjà commencé.

** *

Extrait de la publication

Page 14: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

MAINSTREAM14

MAINSTREAM EST UN LIVRE sur la géopolitique de laculture et des médias à travers le monde. Cet ouvragesur la mondialisation de l’entertainment s’intéresse à ceque font les peuples quand ils ne travaillent pas : à cequ’on appelle leurs loisirs et leurs divertissements – onparle souvent d’« industries de l’entertainment ». En meconcentrant sur ces industries qui produisent des conte-nus, des services et des produits culturels, je mets l’accentsur la quantité, et non pas seulement sur la qualité. Jeparle ici des blockbusters, des hits et des best-sellers.Mon sujet n’est pas l’« art » – bien qu’Hollywood etBroadway produisent aussi de l’art –, mais ce quej’appelle la « culture de marché ». Car les questions queposent ces industries créatives en terme de contenus, demarketing ou d’influence sont intéressantes, mêmequand les œuvres qu’elles produisent ne le sont pas. Ellespermettent de comprendre le nouveau capitalisme cultu-rel contemporain, la bataille mondiale pour les contenus,le jeu des acteurs pour gagner du soft power, l’essor desmédias du Sud, et la lente révolution que nous sommesen train de vivre avec Internet. Ce faisant, je tente desaisir ce que l’écrivain Francis Scott Fitzgerald appelait,à propos d’Hollywood, « the whole equation », l’en-semble du problème : l’arithmétique de l’art et del’argent, le dialogue des contenus et des réseaux, la ques-tion du modèle économique et de la création de masse.Je m’intéresse au business du show-business. J’essaye decomprendre comment on parle, à la fois, à tout le mondeet dans tous les pays du monde.

Les industries créatives ne sont plus aujourd’hui unsujet seulement américain : elles sont un sujet global.Cette enquête m’a donc conduit à Hollywood mais aussià Bollywood, à MTV ainsi qu’à TV Globo, dans les ban-lieues américaines à la découverte des multiplexes sinombreux et en Afrique subsaharienne où il y a si peu

Extrait de la publication

Page 15: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

PROLOGUE 15

de cinémas, à Buenos Aires à la recherche de la musique« latino » et à Tel-Aviv pour comprendre l’américanisa-tion d’Israël. Je me suis intéressé au plan de conquête deRupert Murdoch en Chine et au plan de bataille desmilliardaires indiens et saoudiens contre Hollywood. J’aitenté de comprendre comment se diffusent la J-Pop etla K-Pop, la pop japonaise et coréenne, en Asie, et pour-quoi les séries télévisées s’appellent « dramas » en Corée,« telenovelas » en Amérique latine et « feuilletons duramadan » au Caire. J’ai accompagné les lobbyistes desagences culturelles et des studios américains en assistantà leurs auditions au Congrès, et suivi Robert Redforddevant le Sénat américain. Mais j’ai passé plus de tempsencore dans les grands ghettos noirs des États-Unis. J’aisuivi la production du Roi Lion sur Broadway avec lepatron de Disney et le tournage d’un film de Bollywoodà Mumbai, interrompu par des chimpanzés. J’ai enquêtédans les territoires occupés de Cisjordanie et deGaza pour comprendre la place et l’importance desmédias et des chanteurs arabes, rencontré le service depresse du Hezbollah pour pouvoir visiter Al Manar, sachaîne de télévision à Beyrouth-Sud. Et en interrogeantles chefs du bureau d’Al Jazeera à Doha, à Beyrouth, auCaire, à Bruxelles, à Londres, à Jakarta et même à Cara-cas, j’ai voulu savoir si le fondateur de la chaîne, l’émirdu Qatar, avait raison de dire : « Nous croyons aumariage des civilisations, pas au conflit des civilisations. »

Mon sujet est donc vaste puisqu’il embrasse, sur cinqcontinents, à la fois l’industrie du cinéma et de lamusique, le divertissement télévisé, les médias, mais aussil’édition, le théâtre commercial, les parcs d’attractions etmême les jeux vidéo et les mangas. Pour comprendre lesmutations fondamentales que ces secteurs traversent, celivre a également, comme ligne de fond, la questionnumérique. Dans cet ouvrage, on ne visitera ni Google,

Extrait de la publication

Page 16: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

MAINSTREAM16

ni Yahoo, ni YouTube (qui appartient au premier), niMySpace (qui appartient à Murdoch) – c’est un choix.Ce qui m’intéresse ce n’est pas Internet en lui-même,mais comment Internet révolutionne, en creux, le secteurdes industries créatives. Partout, en Arabie saouditecomme en Inde, au Brésil ou à Hong Kong, j’ai rencon-tré ceux qui construisent les industries créatives numé-riques de demain. Entrepreneurs optimistes, et souventjeunes, ils voient dans Internet des opportunités, unmarché, une chance, quand en Europe et aux États-Unis,mes interlocuteurs souvent plus âgés, y voient unemenace. C’est une rupture de génération – et peut-êtrede civilisation.

Devant l’ampleur du sujet, le parti pris de ce livre estde se concentrer sur l’enquête de terrain : sur les per-sonnes que j’ai interviewées et sur les endroits où je suisallé. D’où le choix, qui m’est peu familier, d’une rédac-tion à la première personne pour montrer que l’enquêteen marche est aussi le sujet de ce livre. Je parle de ce quej’ai vu. Je me fie prioritairement à des sources de pre-mière main – non pas à des informations de secondemain, puisées dans les livres ou dans la presse. J’assumedu coup les impasses, innombrables, que ce choiximplique, privilégiant les questions originales et récur-rentes d’une industrie à l’autre plutôt qu’un travailexhaustif. Par exemple, je développe des cas d’étude surles groupes Disney ou Rotana, décris la Motown, Tele-visa ou Al Jazeera, et les réseaux de Rupert Murdochou de David Geffen, parce qu’ils sont représentatifs del’entertainment et de la culture mainstream, maisj’évoque seulement en passant Time Warner, Viacom,Vivendi ou la BBC, alors qu’ils sont essentiels et que j’yai mené également l’enquête. C’est un choix difficile etqui tient largement au format et à la méthodologied’enquête de ce livre. Je pense d’ailleurs que l’analyse

Extrait de la publication

Page 17: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

PROLOGUE 17

des industries créatives gagne à ne pas se limiter à leuréconomie. J’ai une grande admiration pour la sociologieaméricaine, sa valorisation de l’observation rigoureuse duterrain et sa multiplication des entretiens. Enfin, j’aivoulu écrire cet ouvrage sur l’entertainment de manière« divertissante » – en écho avec le sujet même du livre.

L’enquête donc, mais aussi la réflexion. Si ce livre estd’abord un récit, ses analyses sont regroupées en conclu-sion, alors que ses sources et ses innombrables donnéesstatistiques figurent sur le site Web qui le prolonge. Sou-vent, les professionnels des industries créatives que j’airencontrés sur le terrain m’ont fait part de leurs intui-tions, et parmi eux, nombreux sont ceux qui ont aussi,comme je l’ai deviné, un agenda. Mais j’ai rencontré peude personnes qui, par temps de mondialisation et de bas-culement numérique, avaient une vision : ce livre tentede produire, dans sa conclusion, cette vision géopoli-tique globale.

J’ai cependant rencontré un problème de taille aucours de mon enquête : l’accès à l’information. Que lessources soient rares en Chine du fait de la censure d’État,je l’imaginais ; qu’il soit difficile de monter à l’avance desrendez-vous à Mumbai, à Rio ou à Riyad, je l’ai vitecompris ; mais je n’avais pas imaginé qu’il soit aussi diffi-cile d’enquêter aux États-Unis, dans les majors du disqueet les studios hollywoodiens. Partout, j’ai dû multiplierles demandes d’interviews et mon « casier » journalis-tique a été passé au peigne fin par des personnes chargéesdes « Public Relations », les fameux « PR people ». Sou-vent, l’information était verrouillée en interne par ledépartement « communication », et en externe par uneagence spécialisée, à laquelle on me renvoyait. Il m’a fallulongtemps pour comprendre que ces « PR people », dontje pensais naïvement qu’ils étaient là pour faciliter lacommunication, étaient en fait là pour l’empêcher, non

Page 18: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

MAINSTREAM18

pour la diffusion de l’information mais pour sa réten-tion. Et j’ai été mieux accueilli chez Al Jazeera et Telesur– la télévision de Chávez au Venezuela – que chez Foxet ABC.

Face à cette omerta, qui parle alors ? Tout le monde,bien sûr : les dirigeants des majors parlent de leursconcurrents, les indépendants des majors, les uns en« off », les autres pour un dialogue en « backgroundinformation only » sans possibilités de les citer (tous lesentretiens utilisés dans ce livre sont de première main etles propos en off ont été évités, sauf cas justifié et alorsprécisé dans le texte). Les syndicalistes parlent, les créatifsparlent, les agents et les banquiers parlent (lorsqu’il s’agitde sociétés cotées en bourse, j’ai eu aussi accès aux chif-fres réels). Tout le monde parle par ego, par goût pour lapublicité, surtout lorsqu’on sait trouver les bons canauxd’accès pour contourner les « PR people ». Au fond, si laChine censure l’information pour des raisons politiques,les majors américaines la censurent pour des raisonscommerciales, un film ou un disque étant un produitstratégique du capitalisme culturel. Le résultat est un peule même : une culture du secret et souvent du mensonge– et ce parallèle avec la Chine communisante n’est pas àla gloire des États-Unis.

Reste une question centrale : quelle est la place dumodèle américain dans mon enquête, et quel est le rôleparticulier des États-Unis dans les secteurs de l’entertain-ment et des médias à travers le monde ? Leur puissanceest évidente et leur machine culturelle dans les flux decontenus mondiaux est pour l’heure imbattable. C’est cequ’on pourrait appeler, en renversant une formule deChe Guevara, l’« Amérique avec un A majuscule ». C’estpar les États-Unis qu’il me fallait donc commencer cetteenquête et tenter de comprendre comment fonctionnel’entertainment à Hollywood et à New York, mais aussi

Extrait de la publication

Page 19: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

PROLOGUE 19

à Washington à travers ses lobbys, à Nashville et à Miamidans l’industrie du disque, à Detroit où a été généraliséela pop music, dans les grandes banlieues où ont étéinventés les cinémas multiplexes et sur les campus desuniversités où se fait la recherche et le développementd’Hollywood. Avant de décrire la mondialisation de laculture et la nouvelle guerre des contenus sur cinq conti-nents – la seconde partie de ce livre –, il faut commencerpar comprendre l’incroyable machine américaine à fabri-quer des images et des rêves, celle de l’entertainment etde la culture qui devient « mainstream ».

C’est aux États-Unis, dans un avion qui me conduisaitde Los Angeles à Washington, que j’ai eu l’idée d’intitu-ler ce livre Mainstream. Le mot, difficile à traduire, signi-fie littéralement « dominant » ou « grand public », ets’emploie généralement pour un média, un programmede télévision ou un produit culturel qui vise une largeaudience. Le mainstream, c’est l’inverse de la contre-culture, de la subculture, des niches ; c’est pour beau-coup le contraire de l’art. Par extension, le mot concerneaussi une idée, un mouvement ou un parti politique (lecourant dominant), qui entend séduire tout le monde.À partir de cette enquête sur les industries créatives etles médias à travers le monde, Mainstream permet doncd’analyser la politique et le business qui, eux aussi,veulent « parler à tout le monde ». L’expression « culturemainstream » peut d’ailleurs avoir une connotation posi-tive et non élitiste, au sens de « culture pour tous », ouplus négative, au sens de « culture de marché », commer-ciale, ou de culture formatée et uniformisée. C’est aussil’ambiguïté du mot que j’ai aimée, avec ses différentssens ; un mot que j’ai entendu dans la bouche de cen-taines d’interlocuteurs à travers le monde qui, tous,cherchent à produire une culture mainstream, « commeles Américains ».

Extrait de la publication

Page 20: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

MAINSTREAM20

Et c’est à ce moment-là, en arrivant à Washington,au début de cette longue enquête sur la circulation descontenus mondialisés, que j’ai fait la connaissance del’un des plus célèbres promoteurs de la culturemainstream : Jack Valenti.

Extrait de la publication

Page 21: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées
Page 22: Extrait de la publication… · Au cours d’un autre voyage, au 19e étage d’une tour de Hong Kong, je rencontre Peter Lam, un dirigeant communiste, qui préside aux destinées

Dépôt légal : mai 2011

Extrait de la publication