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Profession musicologue

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Collection dirigée par Benoît Melançonet Florence Noyer

PProfession

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Nattiez, Jean-Jacques, 1945-Profession, musicologue(Profession)Comprend des réf. bibliogr.

isbn 978-2-7606-2049-0

1. Musicologues. 2. Musicologie - Orientation professionnelle. 3. Ethnomusicologie - Orientation professionnelle. I. Titre. II. Collection: Profession (Montréal, Québec).ml3797.n283 2007 780.72’023 c2007-941163-0

Dépôt légal : 3e trimestre 2007Bibliothèque et Archives nationales du Québec© Les Presses de l’Université de Montréal, 2007

Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide fi nan-cière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour leurs activités d’édition. Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien fi nancier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développe-ment des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

imprimé au canada en août 2007

isbn 978-2-7606-2499-3e

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jean-jacques nattiez

Profession musicologue

Les Presses de l’Université de Montréal

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On trouvera sur le site www.pum.umontreal.ca/musicologue/ les références précises aux sources d’infor mation et aux citations utilisées dans ce livre, ainsi que les exemples sonores qui y sont commentés.

Les fac-similés des exemples 2, 3 et 4 sont repro-duits avec la permission de la Nationalarchiv Der Richard-Wagner-Stiftung de Bayreuth (Allemagne fédérale).

L’auteur remercie chaleureusement pour leurs commentaires et suggestions critiques ses proches, amis, collègues, collaborateurs et doctorants: Marie-Hélène Benoit-Otis, Sylveline Bourion, Marie-Alexis Colin, Lucie Delalande, Rita Ezrati, Nathalie Fernando, Marie-Thérèse Lefebvre, Mart ine Rhéaume, Catherine Steinegger, Caroline Traube, Michel Duchesneau, Jonathan Goldman, Jean Molino et Reno de Stefano.

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P ourquoi avoir accepté avec joie de rédiger une présentation de mon métier? Parce qu’il fait

l’objet d’interrogations constantes de la part du grand public. Lorsque je mentionne ma profession à quel-qu’un, on me demande immédiatement, en général: «Vous jouez d’un instrument?». Je réplique alors: «J’ai fait du piano comme tout le monde» (ce qui est évidemment une exagération!). Si je précise: «Un musicologue, c’est d’abord une personne qui parle de musique et qui écrit sur le sujet», un point d’interro-gation s’inscrit au milieu de la fi gure de mon inter-locuteur. Si j’ai l’audace d’ajouter: «La musicologie, c’est l’étude scientifique de la musique», on ne me comprend plus. Pour la plupart des gens aujourd’hui, la musique, c’est ce que l’on appelait autrefois les musiques de variétés, aujourd’hui la musique popu-laire — la chanson, la musique de danse, les musi-ques pop et rock, le country, le disco, le rap, le tango, la samba, le zouk, etc. —, mais aussi les musiques de fi lm et de télévision, des publicités, des jeux vidéo et des sonneries de téléphone. Depuis que le jazz a été en quelque sorte légitimé par les élites culturelles, je ne crois pas devoir l’ajouter à cette liste. Il représente

Le ou les musicologues ?

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désormais un secteur à part, coincé entre les musi-ques dites savantes et les musiques dites populai-res. La musique, c’est aussi ce fond sonore que nous entendons — plus que nous ne l’écoutons — dans les supermarchés, dans la salle d’attente du médecin ou du dentiste, dans le taxi, sur son baladeur, en faisant la vaisselle. Jusqu’à une date relativement récente, la musique des mélomanes et des musicologues, c’était ce qu’on appelle encore parfois (voyez les diver-ses «Radio-Classique» de par le monde, au Québec comme en France, et sous d’autres noms — souvent «3e programme» — ailleurs en Europe) «la musique classique» que l’on fait généralement débuter avec Monteverdi pour aller, dans le meilleur des cas, jus-qu’au Sacre du printemps de Stravinski. Et comment pourrait-on consacrer une activité scientifique à cet art pratiqué pour procurer plaisir et émotion?! L’incrédulité de mon interlocuteur est à son comble si je précise qu’en tant que musicologue je tra-vaille sur les opéras de Wagner, la pensée de Pierre Boulez et la musique des Inuit. «Wagner? Comme c’est de la musique difficile, on ne retient rien de ses opéras quand, par extraordinaire, on en écoute un. Boulez, qui c’est celui-là? Ah! oui! un compo-siteur de musique… comment déjà, ah! contem-poraine? Celle qui vous déchire les oreilles?! Et puis, la pensée, pourquoi la pensée? Je croyais qu’il s’agissait de musique. Et les Inuit, ils font donc de la musique?!» Car ce n’est pas seulement le fait que la musique puisse faire l’objet d’une activité scientifi quequi dérange. C’est aussi la grande diversité des faits sonores que l’on désigne par le mot «musique» qui étonne, et le grand nombre de domaines que la musi-cologie étudie pour mieux comprendre comment fonctionne la musique, pardon, les musiques.

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Le vaste champ musical

En fait, il me faut répondre à la question: «Mais à quoi sert le musicologue?» qui, tel l ’oiseau de Minerve, se met au travail une fois les œuvres ache-vées. Son rôle est de contribuer à permettre au plus grand nombre de prendre conscience de la diversité des phénomènes que recouvre le terme «musique». J’ai parlé plus haut des musiques populaires, des musiques d’ambiance, du jazz, de la musique clas-sique. La liste était incomplète: la musicologie s’in-téresse aussi aux musiques dites de tradition orale, celles des chasseurs-cueilleurs comme les Pygmées africains, ou des chasseurs-pêcheurs comme les Inuit, ou aux musiques qui ressemblent assez peu aux musiques européennes classiques, mais qui, comme elles, font l’objet de théories élaborées: les musiques du monde arabo-musulman ou les musiques de cour ou de théâtre en Asie (Inde, Corée, Viêt-nam, Chine, Japon). Toutes ces musiques sont étudiées par une branche particulière mais essentielle de la musico-logie: l’ethnomusicologie. Pourquoi «essentielle»? Parce que si, aujourd’hui, de plus en plus de gens sont convaincus qu’il faut inclure dans la musicolo-gie l’étude des musiques pop et de variétés, ne serait-ce que parce qu’elles représentent 90 ou 95% de la musique qui se joue dans le monde, si une petite niche est accordée à l’étude du jazz dans un nombre grandissant de départements de musicologie ou de conservatoires, l’étude des musiques qui intéressent l’ethnomusicologue nous met en présence de types de musique qui sont souvent tout à fait étrangers à notre culture. Sait-on qu’en Papouasie-Nouvelle Guinée un musicien produit une musique, pour nous étrange, en attachant par une patte à un brin de paille un coléoptère qui est maintenu devant sa

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bouche entrouverte au moment où il tente de s’envo-ler? Le son musical obtenu — oui, musical — résulte des vibrations produites par les ailes de l’animal et ces vibrations varient en fonction des différents degrés d’ouverture de la cavité buccale qui sert de résonateur! Et que dire des «jeux de gorge» des Inuit du Nouveau-Québec et du Nunavut (Canada) qui utilisent à la fois l’expiration et l’inspiration de la voix, en ouvrant ou en fermant la bouche, alors que, dans le chant tel que nous le connaissons dans le monde occidental, que l’on pense à «Au clair de la lune» ou à un air d’opéra italien, on n’utilise que deux de ces quatre possibilités: l’expiration et la bouche ouverte. La respiration est considérée comme un «bruit» nécessaire, mais qu’il faut masquer au maximum… Les femmes inuit, elles, fondent ce genre de musique sur l’articulation naturelle de la respiration. (On peut entendre un enregistrement de jeu de gorge sur le site www.pum.umontreal.ca/musicologue/.)

Retenons une première conclusion de cet inven-taire et de ces exemples: le musicologue se doit de n’exclure a priori aucun domaine, aucun genre, aucun type particuliers de musique. Deuxième conclusion: un des objectifs du travail musicologi-que, c’est d’accéder à toutes les formes de musique, afi n de mieux comprendre, ne serait-ce qu’anthro-pologiquement, ce qu’est la musique.

On ne peut, à mon sens, exercer pleinement la profession de musicologue si on ignore ou si on exclut a priori certains secteurs des musiques de nos contrées, et si on n’admet pas la légitimité d’étudier l’ensemble des manifestations musicales présentes sur la planète, dans le passé comme dans le présent. En effet, à moins d’une interdiction de nature politi-que comme ce fut le cas en Iran dans les débuts de la

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révolution islamique ou en Afghanistan sous le règne des talibans, toute culture humaine possède une forme quelconque de musique, et ce, même si, dans la langue du groupe considéré, le mot «musique» n’existe pas. Il n’est pas nécessaire de savoir qu’on fait de la musique pour en produire. La musique est un phénomène universel qui se développe chez l’en-fant à partir de l’âge d’un an et demi, au moment où elle se distingue du langage verbal, c’est-à-dire lorsque le bébé émet des sons pour communiquer et d’autres pour le plaisir. Il est fascinant de constater que l’on a pu observer une distinction analogue chez les animaux capables d’utiliser des sons pour com-muniquer (certaines espèces de singes, d’oiseaux et de mammifères). Une zoomusicologie est en train de naître.

Étudier les structures et les styles musicaux

La musicologie doit donc s’intéresser à toutes les formes possibles de musiques. Mais elle doit aussi se préoccuper de tous les aspects de la musique, et pas seulement du son. La musicologie s’intéressera à ce que, pour cette raison, Jean Molino a appelé «le fait musical total». Qu’entend-il par là? Ce qu’étudie la musicologie, ce ne sont pas seulement les sons et les structures d’une sonate, d’un opéra, d’une chanson rock ou d’une musique africaine, c’est aussi l’étude de ses contextes (historique, social, culturel) et des stratégies de production (composition, interpréta-tion) et de perception auditive. Que contient le «fait musical total»?

D’abord, un matériau musical de base, étudié par ce que l’on appelle, dans la francophonie, la «théorie musicale». Mais savoir quels sont les intervalles dont est faite une mélodie (l’écart entre deux notes), les

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divers types de rythmes et de mesures (la valse est à trois temps, par exemple), les tonalités (les gammes de sept notes, dans notre culture, sur lesquelles les œuvres sont fondées), apprendre à lire les notes d’une partition et de donner leurs noms à l’audition, tout cela ne relève pas de la musicologie. Il en va de même, à un niveau plus élevé, de l’étude de l’har-monie, c’est-à-dire des règles d’enchaînement des accords, puis de celles du contrepoint (l’art de super-poser deux ou plusieurs lignes mélodiques en tenant compte des contraintes harmoniques) et des princi-pes de l’orchestration (l’art de combiner tels ou tels instruments). Il s’agit là de l’enseignement de base donné dans les cours de solfège, puis dans les classes d’écriture, aux jeunes apprentis musiciens en fonc-tion de leur spécialisation future. Je ne me souviens même pas avoir entendu prononcer le mot «musico-logie» lorsque, enfant puis adolescent, je fréquentais le conservatoire de province où j’ai appris le solfège et l’harmonie, parallèlement à des cours de piano et de clarinette.

Au-delà de ces connaissances premières, le musi-cologue tente de répondre à des questions beaucoup plus complexes. S’il s’intéresse aux sons et qu’il a quelque goût pour les mathématiques et la physique, il pourra se spécialiser dans l’étude de l’acoustique musicale et tenter de savoir comment sont produits les sons, comment ils se propagent, de quoi ils sont faits et comment ils sont perçus, ce qui, dans cette vaste sous-discipline, entraîne autant de spécialisa-tions. Elle est plus avancée dans certains pays que dans d’autres, comme dans les pays germanophones où elle est souvent une discipline obligatoire dans la formation du musicologue historien et de l’ethno-musicologue.

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S’il s’intéresse à la structure des œuvres et à leurs caractéristiques stylistiques, il deviendra un analystede la musique, ce que, dans le milieu anglophone on appelle un «music theorist» (à ne pas confondre avec le professeur qui enseigne la «théorie musicale» de base dont j’ai parlé plus haut) et il sera confronté à des modèles d’analyse aussi nombreux, divers et complexes que ceux que l’on peut rencontrer en lin-guistique ou en théorie littéraire.

À la différence des historiens de la musique dont j’évoquerai le travail dans un instant, les analystes de la musique envisagent les structures des œuvres et l’organisation des styles moins du point de vue historique que du point de vue synchronique. De quoi s’agit-il? Les œuvres de la musique occidentale se distribuent en général selon des genres distincts: s’agit-il d’une sonate, d’un intermezzo, d’une ouver-ture, d’un poème symphonique, d’une musique de film, d’une musique de danse? On reconnaît dans chacun de ces genres des formes précises. La «forme sonate» est la plus célèbre d’entre elles en raison non seulement de l’importance que la sonate a pris comme genre, mais de l’utilisation de cette forme dans d’autres genres à l’âge classique, comme les symphonies, les concertos et même les opéras. On la divise traditionnellement en trois parties: l’exposi-tion, composée en principe, de deux thèmes contras-tés, leur développement et leur réexposition — dans lesquelles l’enchaînement des tonalités suit des prin-cipes précis. Mais une œuvre appartient aussi à un style: baroque, romantique, impressionniste, etc. Il y a des styles en musique comme il y a des styles en peinture ou en architecture.

Toutefois ces recherches analytiques ne portent pas que sur les musiques classiques. Le spécialiste des musiques populaires, même si ce n’est pas cela

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qu’il fait le plus souvent, peut étudier leurs struc-tures. Dès que l’ethnomusicologue s’intéresse à des cultures musicales très différentes des nôtres, ce qui est pour nous élémentaire doit faire l’objet d’inves-tigations scientifiques poussées. Quelles sont les structures rythmiques complexes utilisées dans la musique africaine? J’écoute un chant inuit ou indien, et je m’aperçois que l’échelle utilisée n’est pas faite de sept notes, comme dans la musique classique occi-dentale, mais de cinq. Il s’agit d’échelles qualifi ées, pour cette raison, de pentatoniques, mais quelle est la hauteur exacte de chacune de leurs notes? L’ethnomusicologue peut se doter d’outils techni-ques très sophistiqués, du sonagramme à l’ordina-teur, pour tenter de les déterminer. Et quelles sont, à la différence de la pratique harmonique à la base de la musique classique occidentale, les types de poly-phonies utilisés en dehors de l’Occident ou chez les paysans de Corse ou de Sardaigne? Bien entendu, les ethnomusicologues et les spécialistes des musiques populaires peuvent se préoccuper d’analyser struc-tures, formes et styles des répertoires qui les intéres-sent (les musiques latino-américaines se distinguent clairement des musiques asiatiques; on reconnaît en Amérique du Nord bien des styles différents de musiques indiennes; la musique pop anglaise n’est pas la musique pop nord-américaine), et un petit nombre de grands ouvrages témoignent de cette orientation. Précisons qu’elle ne représente pas, en tout cas à l’heure actuelle, la majorité des préoccu-pations de ces deux secteurs de la musicologie où les points de vue dominants sont, respectivement, ceux empruntés à l’anthropologie et à la sociologie.

De façon générale, le musicologue féru d’analyse s’attaque à la complexité structurelle du matériau musical, dans nos cultures comme dans les autres.

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L’histoire de la musique

J’ai parlé jusqu’à présent des structures musica-les. Mais la musicologie se consacre à bien d’autres dimensions du «fait musical total», et d’abord les contextes où la musique se déploie. J’en distinguerai trois: le contexte historique, le contexte culturel et le contexte social.

Ce qui est peut-être le plus enseigné dans les classes de musicologie, c’est l’histoire de la musique. Il y a bien des façons de la concevoir, et je n’entrerai pas ici dans les détails (comme pour l’histoire tout court, savoir comment écrire l’histoire de la musique fait l’objet d’un secteur spécifi que de réfl exion: l’his-toriographie). Mais énumérons les nombreuses pré-occupations possibles de l’historien de la musique, même si, qu’on se rassure, un seul musicologue ne fait pas tout cela! Un historien de la musique (occi-dentale) la découpe en périodes (le Moyen Âge, la Renaissance, l’époque baroque, l’époque romanti-que, ou des périodes plus courtes — de la mort de Beethoven aux révolutions de 1848, par exemple); ces périodes sont souvent caractérisées par des styles (le style concertant, le style galant, le style impres-sionniste, etc.), tout cela en faisant des distinctions entre les pays, les régions, éventuellement les écoles; il sélectionne un certain nombre de compositeurs (Machaut, Josquin, Bach, Haendel, Mozart, Haydn, Beethoven, Wagner, Verdi, Brahms, etc.) et d’œu-vres considérés comme représentatifs (on a parlé de «canons» de l’histoire de la musique); il explique le déroulement de l’histoire de la musique par des données extérieures aux œuvres elles-mêmes: la bio-graphie et la psychologie du compositeur, les forces sociales agissant au cours de la période considérée, les acteurs de la vie musicale dans une ville, une région, un pays donnés et à un moment précis, les

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idées dominantes, y compris les conceptions esthé-tiques, caractéristiques de cette période; il découvre des œuvres oubliées dans des archives, il les trans-crit et les édite pour les mettre en circulation (une musicologue montréalaise, Élisabeth Gallat-Morin, a retrouvé un important «livre d’orgue» du xviie siècle dans la bibliothèque du chanoine Lionel Groulx, avec des œuvres d’un compositeur majeur de l’épo-que, Nicolas Lebègue); il vérifi e si certaines œuvres ont bien été écrites par le compositeur que l’on dit (L’adagio pour clarinette et quintette à cordes, attri-bué à Wagner, et enregistré avec son nom par Neville Mariner, est en fait d’Heinrich Joseph Baermann); il se demande si la Symphonie dite inachevée de Schubert est bien inachevée, alors qu’on possède les esquisses du troisième mouvement et qu’il existe quelques hypothèses solides quant à l’existence d’un quatrième mouvement; il dresse le catalogue aussi complet que possible des œuvres d’un compositeur (lorsque, à la radio, l’annonce du titre d’une œuvre de Mozart est suivie de la mention «Koechel 550», il s’agit du numéro donné par Ludwig Koechel à sa Symphonie en sol mineur, no 40, dans le premier cata-logue qui lui a été consacré en 1862 et que d’autres chercheurs ont complété par la suite); il établit les éditions critiques des œuvres, tentant de faire la dif-férence entre ce qu’on lit dans le manuscrit original et dans les diverses versions gravées et imprimées qui en ont été diffusées; il peut encore s’intéresser à l’histoire de l’interprétation et étudier, en parti-culier, ce que l’on appelle en anglais la performance practice qui est à l’origine, dans la seconde moitié du xxe siècle, du spectaculaire renouveau d’intérêt pour la musique baroque et la recherche de ce que l’on a appelé «les interprétations authentiques» (souvent contestées aujourd’hui).

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Toutes ces activités de recherche du musicologue historien font appel à des méthodes et à des princi-pes qui ne sont pas propres à la musicologie. Comme on le voit ou le devine, il lui faut aller puiser dans l’histoire tout court, l’histoire de l’art, des institu-tions, de la philosophie, de l’esthétique, de la littéra-ture, des langues, des religions, de la danse; il lui faut pratiquer la philologie (l’étude des diverses versions d’un même texte), la paléographie (l’étude des nota-tions), la diplomatique (l’étude des manuscrits), la bibliographie (l’étude des types de livres imprimés), l’archivistique.

S’il y a clivage entre historiens de la musique et analystes de la musique, c’est parce qu’il n’est pas rare de lire des histoires de la musique dans lesquel-les les aspects proprement musicaux font l’objet de descriptions ou de paraphrases verbales, sans que l’auteur ait recours à une seule note de musique. Est-il nécessaire de préciser que, de toutes les pro-ductions de la musicologie historique, ce sont les biographies qui ont le plus la faveur du public? Et s’il arrive à l’historien de citer telle ou telle œuvre, ou telle partie d’œuvre, c’est à titre d’exemple pour illustrer son propos, et non, comme c’est le cas pour l’analyste de la musique, pour montrer comment une œuvre est structurée et organisée de la première à la dernière note. L’histoire de la musique a longtemps été considérée comme l’objet essentiel, parfois exclu-sif, du travail musicologique, ce qui explique que, souvent, dans les pays de langue anglaise, musicology soit synonyme de la seule musicologie historique, et, un important philosophe et musicologue allemand, Theodor Adorno, a pu affirmer: «La musique est historique de part en part.»

Encore une fois, je n’ai pris mes exemples que dans la musique occidentale. Ce serait une grave

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erreur de penser que les autres domaines du champ musical échappent à l’investigation historique. Il y a une histoire du jazz comme il y a une histoire des musiques populaires. Il y a aussi une dimension his-torique dans les répertoires qu’étudient les ethnomu-sicologues. Trop longtemps, les anthropologues — et les ethnomusicologues les ont suivis — ont vécu avec le mythe des sociétés sans histoire, celles que Lévi-Strauss a qualifi é de «froides». C’est inexact. Il est certes plus difficile de reconstituer l’histoire des musiques de tradition orale en raison de l’absence de documents écrits, mais l’ethnohistoire nous a appris que, à travers le témoignage des informateurs sur le terrain, notamment des anciens, il était possible de remonter très loin dans la chronologie. Les musiques dites d’art du monde arabo-islamique, de la tradition juive et des sociétés asiatiques sont accompagnées de traités et de documents qui permettent d’en recons-tituer l’histoire. Et il y a aussi une histoire des théo-ries musicales: le traité d’harmonie de Schoenberg ne ressemble pas au traité d’harmonie de Rameau, et cela n’est pas sans incidence sur l’histoire des œuvres et des styles qui s’en sont inspirés.

La sociologie et l’anthropologie de la musique

L’histoire n’est pas le seul contexte qui permette de tenter d’expliquer les créations et les pratiques musi-cales. Les sciences humaines distinguent entre les contextes sociaux et culturels, et il y a, chez les musi-cologues, des chercheurs qui se spécialisent dans la sociologie de la musique et d’autres qui attachent la plus grande importance à l’environnement culturel. Les premiers sont essentiellement des historiens de la musique ou des spécialistes du jazz ou des musi-ques populaires. Les seconds sont, dans l’immense majorité des cas, des ethnomusicologues.

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Sans entrer dans le détail des différents courants qui traversent chacune des branches de la musi-cologie évoquées ici, il est possible de dire que les approches sociologiques et anthropologiques de la musique reposent le plus souvent sur une même idée: elles considèrent société et culture comme des totalités globales où tout se tient et dans lesquelles la musique s’explique par ses liens avec ces totalités. Ou bien elles affi rment qu’il y a une relation déter-ministe entre la société ou la culture d’un côté, et la musique de l’autre: la musique est le produit de la société (c’est la thèse marxiste) ou de la culture (c’est la thèse de l’anthropologie musicale); ou bien il y a homologie entre structures socioculturelles et struc-tures musicales (c’est la thèse structuraliste). Dans les deux cas, la tentation est grande de se contenter de décrire le contexte social ou culturel où se déploie une musique ou un répertoire, pour penser en avoir saisi la nature profonde. Deux slogans, constamment cités par les ethnomusicologues que l’on peut quali-fi er de «culturalistes» — ce sont les plus nombreux — résument bien leur position: ils défi nissent l’ethno-musicologie comme l’étude de «la musique dans la culture» ou de «la musique comme culture».

Les stratégies compositionnelles, créatrices, interprétatives et perceptives

La musicologie se préoccupe de ce qu’on peut appeler les stratégies ou les conduites qui produisent la musique, ou qui sont déclenchées par elles.

Il y a d’abord les stratégies compositionnelles oucréatrices. Mais comment les connaître? Les voies sont multiples. On peut les induire de l’observation des pratiques et des œuvres. On peut les déduire de l’analyse des esquisses laissées par les compositeurs

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Table des matières

Le ou les musicologues ? 9

De l’investigation historique 31comme enquête policière

L’enquête ethnomusicologique 59 comme expérience humaine et exploration de l’inconnu

Diffi cultés et bonheur 71de la profession de musicologue

Lectures complémentaires 73

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Ce livre a été imprimé au Québec en septembre sur les presses de Marquis imprimeur.

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