exotisme esthetique et ontologie chez levinas

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Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cités. http://www.jstor.org Exotisme esthétique et ontologie Author(s): Jacques Taminiaux Source: Cités, No. 25, : Une philosophie de l'évasion (2006), pp. 87-100 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40621269 Accessed: 22-08-2014 18:41 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. This content downloaded from 132.248.197.194 on Fri, 22 Aug 2014 18:41:53 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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El artículo analiza la concepción de la ética en la filosofía de Emmanuel Levinas

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    Exotisme esthtique et ontologieAuthor(s): Jacques Taminiaux Source: Cits, No. 25, : Une philosophie de l'vasion (2006), pp. 87-100Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40621269Accessed: 22-08-2014 18:41 UTC

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  • Exotisme esthtique et ontologie Jacques Taminiaux

    Nous voudrions proposer ici quelques remarques sur la rflexion qu'Em- manuel Levinas a consacre l'uvre d'art au moment o sa pense personnelle commenait tracer avec nettet les voies qui allaient la requrir pendant plusieurs dcennies.

    Etant donn le caractre central, dans cette pense, du rapport autrui et de l'exigence thique qu'il impose, les tudes de plus en plus nombreuses qui paraissent son sujet tendent souvent marginaliser cette rflexion sur l'art. Et lorsqu'elle est prise expressment pour thme d'ana- lyse celle-ci tend tre rgie par la question du rapport de l'esthtique l'thique. Sans contester le moins du monde l'importance de cette ques- tion, nous prendrons pour thme un autre rapport qui prcde et sous- tend celui qui vient d'tre voqu, savoir le dbat critique que le philo- sophe fut amen engager avec les fondateurs du mouvement phnom- nologique auquel il devait sa formation : Husserl et Heidegger.

    Comme ce dbat s'est nou de faon dcisive dans l'immdiat aprs- guerre, il impose de prter une attention toute particulire aux crits de cette poque. C'est eux d'ailleurs que l'on doit sous la plume de Levinas les analyses les plus explicites du statut de l'uvre d'art. Elles se trouvent dans deux textes. D'abord dans une section de De l'existence l'existant, ouvrage paru en 1947 qui constitue la premire rplique du philosophe l'ontologie fondamentale de Heidegger et aussi l'gologie transcendan- tale de Husserl. Ensuite dans un article paru l'anne suivante dans Les Temps modernes sous le titre La ralit et son ombre , article qui

    Cits 25, Paris, PUF, 2006

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    Exotisme esthtique et ontologie

    Jacques Taminiaux

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    Dossier: Emmanuel Levinas. Unephibsophie del vasion

    prolonge les analyses que comporte le livre de 1947, et ce la faveur d'une sorte de discussion assez allusive de certaines thses de Sartre et de Merleau-Ponty, responsables alors l'un et l'autre et pour ainsi dire solidai- rement de la rception franaise de la phnomnologie allemande.

    Nous centrerons ici nos remarques sur le livre de 1947, rservant une tude ultrieure l'analyse de l'article de 1948.

    S'agissant du livre de 1947, il convient d'abord de rappeler brivement les traits essentiels de la dmarche qui s'y articule. Levinas lui-mme signale en avant-propos qu'elle a un caractre prparatoire car elle ne fait que prluder des recherches plus vastes guides par la formule platonicienne plaant le Bien au-del de l'tre , recherches qui, prcise-t-il, seront consa- cres au Temps et la Relation avec Autrui, comme mouvement vers le Bien . Autant dire que les pages qui dans le premier livre portent sur l'uvre d'art s'inscrivent dans une problmatique conue dlibrment comme pralable la rflexion qu'une dcennie plus tard Totalit et Infini consacrera la relation thique. Mais la cible principale de cette rflexion venir est dj annonce en 1947 avec la plus grande prcision. L'avant- propos stipule en effet que le mouvement qui conduit un existant vers le Bien n'est pas une transcendance par laquelle l'existant s'lve une exis- tence suprieure mais une sortie de l'tre et des catgories qui le dcrivent : une ex-cendance (p. 1 1 de l'dition Fontaine, Paris, 1947). Ces mots ne laissent planer aucun doute : la cible principale de la rflexion qui se dve- loppera au-del de la problmatique du livre de 1947 est Heidegger. Il s'agira dans cette rflexion annonce, guide par la formule platonicienne sur le Bien, de faire pice l'coute que lui prtait le penseur allemand. Celui-ci en effet n'hsitait pas dans le sillage de Sein und Zeit, en particulier dans Vom Wesen des Grundes, se rclamer lui aussi de la mme formule nonce par Platon dans La Rpublique, mais en interprtant Yagathon comme la transcendance du Dasein . Il crivait ce propos : L'essence de Xagathon consiste dans la puissance (Mchtigkeit) de soi-mme en tant que hou heneka ; en tant que le dessein de... il est la source de la possibilit comme telle (p. 40-41, d. Klostermann, Francfort, 6ste Auflage, 1973). Cela quivalait soustraire la formule de Platon toute vise thique, la centrer sur l'ipsit ontologique de l'existant humain et donc lui faire dire que le Dasein existe dessein de soi et de soi seul.

    crire comme le fait Levinas dans l'avant-propos du livre de 1947 que la formule platonicienne ne signifie nullement un mouvement de trans- cendance conduisant l'existant d'une existence infrieure une existence

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  • suprieure, c'est donc dnoncer l'coute heideggrienne de la formule, coute qui se soutient d'un partage essentiel entre l'inauthenticit de l'existence quotidienne prisonnire de l'ontique et l'authenticit ontolo- gique consistant pour le Dasein transcender ce mode d'tre pour n'tre plus que soi, en propre, face sa mort indclinable. Ds 1947 c'est le refus de ce partage, donc de l'ossature de l'ontologie fondamentale au sens heideggrien, qu'annonce Levinas lorsqu'il prcise que l'ex-cendance qu'il entend opposer la transcendance heideggrienne est une sortie de l'tre et des catgories qui le dcrivent . Mais il ajoute que cette sortie, dont il reporte l'investigation des recherches ultrieures, a ncessairement un pied dans l'tre ou implique, comme il dit, une position dans l'tre , position laquelle se limite le thme de l'ouvrage intitul De l'existence l'existant (p. 11). Si donc la relation thique - puisque c'est elle qui est l'enjeu de l'excendance - ne peut tre aborde dans les catgories de l'ontologie heideggrienne qui la mconnat absolument et qui, pour cette raison, ne peut selon Levinas se dire fondamentale, il ne s'agit nullement pour autant de dsavouer toute prtention ontologique et de considrer que la distinction tre-tant mise en avant par Heidegger est nulle et non avenue. Au contraire, l'ouvrage de 1947 souligne d'entre de jeu l'impor- tance de cette distinction et s'avoue par le fait mme tributaire de l'ensei- gnement de Sein und Zeit Mais une chose est de reconnatre l'importance de la distinction impose aux philosophes par Heidegger, autre chose est d'avaliser tel quel le sens que celui-ci lui prtait.

    Le titre mme de l'ouvrage de 1947 est cet gard extrmement signifi- catif. De toute vidence le syntagme De l'existence l'existant nonce une distinction entre tre et tant, tmoignant ainsi d'une dette envers Heidegger. En effet la question heideggrienne du sens de tre en tant qu'il se distingue de l'tant, puisqu'elle rejaillit sur celui qui la pose, sur le Dasein, inaugure une enqute analytique sur le mode d'tre de celui-ci, enqute qui, partir de ce qu'il est de prime abord et le plus souvent parmi d'autres humains et du commerce qu'il entretient avec des tants non humains, s'lve vers qui il est dans son exister le plus propre, de sorte que le mouvement de cette enqute pourrait juste titre se rclamer du syntagme : de l'existant l'existence . Le titre inverse choisi par Levinas n'est donc pas seulement post-heideggrien, il est aussi anti-heideggrien.

    Il va de soi qu'une telle inversion n'a rien de formel et que les termes que relie le syntagme lvinassien ne sauraient, dans l'enqute laquelle il prside, garder intact le sens qu'ils avaient dans l'enqute heideggrienne.

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    Exotisme esthtique et ontologie

    Jaques Taminiaux

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    Dossier: Emmanuel Levinas. Une philosophie de lvasion

    C'est bien pourquoi, suite avant-propos que nous venons de commenter, Levinas prend soin dans une brve introduction de prciser que son travail sur la position de l'existant dans l'tre cherche appro- cher l'ide de l'tre en gnral dans son impersonnalit pour analyser ensuite la notion du prsent et de la position o, dans l'tre impersonnel surgit, comme par l'effet d'une hypostase, un tre, un sujet, un existant (p. 18). Dans cette citation, tous les mots font mouche, et prennent pour ainsi dire le contre-pied de l'analytique heideggrienne. Chercher approcher l'ide de l'tre en gnral dans son impersonnalit c'est faire pice Heidegger pour qui il s'agit au contraire de se dgager de l'anonymat d'un mode d'tre initial o chacun est n'importe qui pour approcher l'tre eu gard au pouvoir-tre le plus propre du Dasein. De mme, prtendre que l'existant surgit de cette impersonnalit dans un prsent qui marque sa position, c'est faire pice l'insistance inverse de Heidegger sur le caractre projectif du Dasein et son ouverture un avenir qui loin d'tre une position retarde est une ngation radicale. Et enfin caractriser ce surgissement d'un existant dans l'impersonnalit de il y a par le terme a' hypostase, c'est faire pice l'insistance inverse avec laquelle Heidegger souligne le caractre essentiellement ek-statique du Dasein.

    Il n'est pas tonnant dans ce contexte que Levinas avoue explicitement dans l'introduction du livre de 1947 que ses rflexions, encore qu'elles s'inspirent dans une large mesure - pour la notion de l'ontologie et de la relation que l'homme entretient avec l'tre - de la philosophie de Martin Heidegger (...) sont commandes par le besoin profond de quitter le climat de cette philosophie et par la conviction que l'on ne saurait en sortir vers une philosophie qu'on pourrait qualifier de pr- heideggrienne (p. 19). Puisque la rflexion de Levinas est commande par le besoin de quitter le climat de la philosophie de Heidegger, on peut prsumer que l'inspiration qu'il dit en retirer consistera non pas avaliser la notion que Heidegger avait de l'ontologie et de la relation que l'homme entretient avec l'tre mais au contraire en dnoncer les partis pris et donc envisager tout autrement la relation avec l'tre.

    cet gard, le titre mme du chapitre dans lequel figurent les pages sur l'art est trs significatif. Existence sans monde , voil bien un intitul rebelle puisque tout l'enseignement de Sein und Zeit se soutient de l'quivalence entre existence et tre-au-monde. Aussi bien le chapitre dont il s'agit est-il prcd de deux autres dans lesquels ne manquent pas les

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  • signes de rsistance aux vues de Heidegger. Rappelons les plus marquants d'entre eux.

    Ds le dbut du premier chapitre, Levinas s'exprime avec force en des termes qui d'emble trahissent cette rsistance : La relation avec un monde n'est pas synonyme de l'existence. Celle-ci est antrieure au monde. Dans la situation de la fin du monde se pose la relation premire qui nous rattache l'tre. Et il ajoute aussitt, comme pour souligner que ce qu'il vise chappe la problmatique heideggrienne du souci et de la rsolu- tion, que l'tre auquel la disparition du monde nous rend vigilants (...) est le fait qu'on est, le fait qu' il y a de sorte que la relation dont il s'agit ne s'opre nullement en vertu d'une dcision et que l'vnement dans lequel elle consiste s'accomplit en dehors de tous les actes qui consti- tuent la conduite de la vie et leur est pralable (p. 26).

    La rsistance se confirme peu aprs, lorsque Levinas en contre-cho manifeste aux premires pages de l'introduction de Sein und Zeit crit : (...) la question de l'tre : qu'est-ce que l'tre ? n'a jamais comport de rponse. L'tre est sans rponse. La direction dans laquelle cette rponse devrait tre cherche est absolument impossible envisager. La question est la manifestation mme de la relation avec l'tre. L'tre est essentiellement tranger et nous heurte. Nous subissons son treinte touffante comme la nuit, mais il ne rpond pas... (p. 28). l'inverse la Seinsfrage heidegg- rienne ouvrait d'emble une problmatique dont l'enjeu n'tait nullement tranger ni nocturne puisqu'elle se disait recherche d'une rponse conue comme l'claircissement jusqu' la transparence (Durchsichtigkeit) d'un sens d'ores et dj familier une comprhension dont chaque Dasein est titulaire, recherche dont la temporalit intrinsque du Dasein imposait la direction. Les propos de Levinas signifient donc que, selon lui, le fameux cercle hermneutique cher Heidegger n'est nullement la mesure de la relation de l'existant l'tre.

    C'est bien pourquoi peu aprs, en opposition nette au conatus essendi dont le souci heideggerien est une variante, il crit que la lutte pour un avenir , le souci que l'tre prend de sa dure et de sa conservation , ne permet pas de saisir la relation de l'existant avec son existence la profondeur qui nous intresse (p. 29). Un tel souci, en effet, concerne une existence dj constitue et se situe au-del de l'opration par laquelle un existant nat l'existence. La possibilit qu'a ce souci de faire retour sur soi, de rflchir, suffit prouver qu'il s'est dj loign de cette opration, lui est devenu extrieur et risque donc de l'oblitrer.

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    Exotisme esthtique et ontologie

    Jacques Taminiaux

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    Dossier: Emmanuel Levinas. Une philosophie de l'vasion

    Aussi bien Levinas prvient-il que les tats mme lesquels il entend saisir l'vnement de naissance qui l'intresse - savoir la fatigue et la paresse - sont de ceux auxquels une analyse de philosophie pure ne s'est jamais attaque pour la raison qu'ils ne peuvent tre abords ni comme des contenus de conscience anims d'une intention ni comme des jugements (p. 30-32). Il va de soi que l'analyse husserlienne de l'inten- tionnalit des Erlebnisse est ici vise. Mais l'analytique du Dasein ne l'est pas moins puisque en de et l'encontre du doublet du cercle de la proccupation quotidienne et du cercle du souci authentique, Levinas qui mentionne expressment Heidegger sur ce point fait valoir propos de la paresse un autre cercle qui n'est nullement celui des projets quotidiens ni davantage celui du pouvoir-tre authentique car il consiste pour l'existant non pas tre au bord du nant mais tre embarrass par le trop plein de lui-mme (p. 36). crire comme le fait Levinas ce propos que la paresse est dans sa plnitude concrte une abstention d'avenir , et mme qu'elle est fatigue de l'avenir et prciser, ce sujet, puisqu'elle est condamne au prsent et encombre de sa charge, qu' elle annonce peut-tre qu' un sujet seul, l'avenir, un instant vierge, est impossible (p. 39-40), c'est contester la prtention qu'avaient tant Y innere Zeitbe- wusstsein husserlienne que la temporalit existentiale heideggrienne d'accder au rang de Grundbetrachtung.

    Il n'est ds lors pas indifferent dans ce contexte - nous voil dj dans les parages de notre thme - que ce soit des artistes, potes et romanciers (Rimbaud, Baudelaire, Valry, Gontcharoflf), et non pas des philosophes que Levinas fasse appel pour ponctuer son analyse.

    Mais avant d'en venir aux pages les plus explicites sur l'art, il convient, puisqu'elles figurent dans un chapitre intitul Existence sans monde , de rappeler l'essentiel du chapitre qui le prcde car il traite longuement du monde auquel l'uvre d'art est cense s'arracher. On sait que ds le dpart, le concept de monde joue un rle central dans la pense heidegg- rienne et qu' partir d'un certain point de son itinraire Husserl consacra une grande attention au Lebenswelt. Impossible de scruter ici en quelque dtail le dbat avec Heidegger et Husserl nou par Levinas dans le long chapitre de De l'existence l'existant sur Le monde , dbat dont l'intitul mme de la premire section du chapitre - Les intentions - prouve le caractre central.

    S'agissant de Husserl qu'il suffise ici de relever d'abord que Levinas ne manque pas de lui reprocher d'attribuer intention un sens neutra-

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  • Us et dsincarn (p. 56) au lieu d'y reconnatre l'apptit joyeux pour les choses et la sincrit du dsir dont il se plat souligner la lacit et le contentement (p. 64). De relever ensuite que tout en se rclamant de la rduction phnomnologique, de la fameuse epoch qu'il mentionne explicitement, c'est sans doute le dfaut de la manire dont Husserl la pratiquait qu'il vise lorsqu'il crit : Autre chose est de se demander quelle est la place du monde dans l'aventure ontologique, autre chose de chercher cette aventure l'intrieur du monde lui-mme (p. 64). Entendons-nous. Lorsque Lvinas insiste sur la luminosit qui pntre notre intentionalit, lorsqu'il crit que ce qui vient du dehors - illumin - est compris, c'est--dire vient de nous (p. 75) et parle ce propos d'un enveloppement de l'extrieur par l'intrieur, qui est la structure mme du cogito et du sens , c'est bien l'enseignement de Husserl sur la rciprocit de la cogitatio et de son cogitatum, des noses et de leur nome, qu'il avalise ; mais cet aval a des limites qui tiennent ce que le cercle de l'ipsit ne saurait tre le dernier mot de la description de l'intentionalit. Ce sont ces limites qui sont en cause lorsque Lvinas crit : L'intention que Husserl analyse soit dans ses spcifications, soit dans ses combinaisons avec d'autres intentions, doit tre dcrite dans son mouvement propre (p. 72). C'est ce mouvement propre que Lvinas fait valoir lorsqu'il dcle au cur mme du cercle de l'ipsit ce qu'il appelle l'vnement d'une suspension, d'une epoch, suspension qui consiste ne pas se commettre avec les objets , ou comme il dit encore, introduire au sein de l'tre, la possibilit de se dtacher de l'tre , un quant soi qui est un intervalle dans l'exister (p. 79). Un tel intervalle ne fait, selon lui, qu'amplifier la rsistance l'tre anonyme apparue dans l'analyse de la fatigue.

    S 'agissant de Heidegger, sa tentative de sparer la notion du monde de la notion d'une somme d'objets est salue par Lvinas comme l'une des plus profondes dcouvertes (p. 64). Mais il lui reproche d'avoir, par la distinction qu'il rcuse de l'inauthenticit de la proccupation quoti- dienne et de l'authenticit du souci de soi, par la prrogative ontologique attribue celui-ci, mconnu le caractre essentiellement lac de l'tre dans le monde et la sincrit de l'intention (p. 68). Procdant une vri- table rhabilitation du monde de la quotidiennet, il en souligne, l'encontre de Heidegger, la fonction ontologique positive : la possibilit de s'arracher l'tre anonyme (p. 69). Et c'est en vertu de cette rsis- tance il y a qu'il peut crire, avec insistance, l'adresse de

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    Exotisme esthtique etontolofie

    Jacques Taminiaux

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    Dossier: Emmanuel Levinas. Une philosophie del vasion

    Heidegger : Notre existence dans le monde, avec ses dsirs et son agita- tion quotidienne, n'est donc pas une immense supercherie, une chute dans l'inauthentique, une vasion de notre destine profonde (p. 80).

    Relevons enfin qu'aux deux matres du mouvement phnomnologique Levinas reproche d'avoir mconnu ce qui chappe la luminosit de la conscience, l'en-de de l'tre-au-monde, il y a anonyme, le verbe innommable la nuit duquel l'existant s'arrache par l'hypostase et merge comme substantif.

    Nous voil au seuil des pages sur l'uvre d'art. Voici comment elles sont annonces au terme du chapitre sur le

    monde : pour aborder de face la notion centrale de ce travail, celle de l'existence anonyme (...) il faut nous approcher d'une situation o la libert l'gard de l'tre que malgr leur sincrit l'intention et le savoir maintiennent, se heurte l'absence du monde, l'lmentaire (p. 80). Les pages sur l'art concernent cette absence . C'est elle que visent l'intitul existence sans monde de mme que le sous-titre exotisme , comme le confirme la premire phrase du chapitre : Nous pouvons dans notre relation avec le monde nous arracher au monde.

    * * *

    tant donn tout ce contexte qu'il tait indispensable de rappeler, on peut prsumer que ces pages se dmarqueront la fois de l'enseignement de Husserl et de celui de Heidegger ainsi que de leurs hritiers et qu'elles n'aborderont l'uvre d'art ni en termes husserliens d'intentionalit ni en termes heideggeriens d'institution d'un monde et de mise en uvre de la vrit.

    C'est bien ce que Levinas souligne avec force au dbut de son analyse de exotisme : Les choses se rfrent un intrieur en tant que parties du monde donn, objets de connaissance ou objets usuels, pris dans l'engrenage de la pratique o leur altrit ressort peine. L'art les fait sortir du monde, les arrache, par l, cette appartenance un sujet (p. 83).

    Voyons donc en quoi consiste cet arrachement que vise la notion d'exotisme prise au sens tymologique. Il tient ce que, selon Levinas, mme dans l'art le plus raliste - photographie, peinture d'une situation, rcit d'un vnement - l'interposition d'une image entre la chose et nous a pour effet d'arracher la chose la perspective du monde , lui

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  • confrer une altrit telle que disparat l'appel un intrieur, une prise de possession - pratique ou thorique -, appel qui caractrise les choses du monde. Le dsintressement esthtique ne consiste pas seulement neutraliser cette prise de possession des choses mais modifier radicale- ment leur contemplation. Celle-ci ne porte plus comme elle le fait dans la sphre de l'tre-au-monde sur des formes qui assurent une prise nos intentions utilitaires ou conceptuelles ; au contraire elle se rapporte des choses qui demeurent en elles-mmes, dnudes, dpouilles de leurs formes mondaines, dans l'extriorit pure de la non-transmutation de l'extriorit en intriorit que les formes accomplissent (p. 84-85).

    L'impression esthtique associe cette contemplation doit, elle aussi, tre entendue littralement. Dans la perception qui nous rfre au monde la sensation est la hyl d'une morph ( le son est le bruit d'un objet, la couleur colle la surface des solides, le mot (...) nomme un objet ) et par le fait mme elle est emporte dans le circuit objet-sujet. Voil ce que l'art interrompt. Le mouvement de l'art consiste quitter la perception pour rhabiliter la sensation, dtacher la qualit de ce renvoi l'objet. (...) et c'est cet garement dans la sensation, dans Yaisthesis, qui produit l'effet esthtique. Mais cet effet n'est pas une subjectivation, car dans l'art la sensation ressort en tant qu'lment nouveau. Mieux encore elle retourne l'impersonnalit d'lment (p. 85-86).

    Cependant cet lment, encore que susceptible de liaisons et de synthses comme le son musical ou comme les couleurs des tableaux, n'est pas le matriau d' objets de degr suprieur ; c'est comme pur vnement qu'il s'impose, car il va jusqu' se refuser la catgorie du substantif (p. 86-87). Ainsi en est-il du mot en posie. Encore qu'ins- parable du sens le mot dans le pome ne dirige plus le sens vers des objets mais le ramne la matrialit et la musicalit du son et comme son voisinage avec d'autres mots en multiplie le sens et le rend ambigu, il en vient fonctionner non plus comme vecteur d'objectivit mais comme le fait mme de signifier (p. 87).

    Dans ce contexte, Levinas ne cache pas son insatisfaction devant l'en- seignement phnomnologique classique. Se rfrant un article du Jahr- buch fr Philosophie und phnomenologische Forschung (IX) dans lequel Eugen Fink analyse la perception d'un arbre peint, Levinas reproche cet hritier intellectuel de Husserl de considrer le tableau comme un monde irrel, neutralis, suspendu et non point profondment marqu d'exo- tisme et, par consquent, arrach sa rfrence un "dedans", c'est--dire

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    Exotisme esthtique et ontologie

    Jacques Taminiaux

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    Dossier: Emmanuel Levinas. Une philosophie de l vasion

    ayant perdu sa qualit mme de monde . Une chose est de prtendre que ce que dpeint le tableau diffre du monde peru parce qu'il le neutralise et de considrer ds lors que la fonction esthtique de la peinture tient cette mise en suspens, autre chose est de considrer que cette fonction dans ce qu'elle a de positif tient la prsentation de la ralit dans sa nudit exotique de ralit sans monde, surgissant d'un monde cass (p. 87-88). Le seul fait pour le tableau, quel qu'il soit, d'tre une dcoupe limite arbi- trairement arrache l'horizon du monde visible offert nos prises thori- ques et pratiques, fait dont l'enseignement phnomnologique classique de Husserl et de Fink ne tient pas compte, garantit cette fonction positive.

    S'agissant du rapport l'hritage de Husserl, on notera aussi que par son insistance sur la sensation l'encontre de la perception, et sur la rupture de l'interaction avec le monde produite par la reprsentation artis- tique grce l'interposition entre nous et ce qu'elle reprsente d'une image sur laquelle s'arrte la contemplation, l'analyse lvinassienne de l'uvre d'art prend le contre-pied de celle que Merleau-Ponty lui consa- crait la mme poque. Lorsque Levinas concde que le tableau, la statue, le livre sont des objets de notre monde mais prend soin d'ajouter qu' travers eux, les choses reprsentes s'arrachent notre monde (p. 84), ses propos sont aux antipodes de ceux que tenait Merleau-Ponty la mme poque en s'inspirant de la description husserlienne de la percep- tion. C'est ainsi que l'avant-propos de la Phnomnologie de L perception, aprs avoir soulign que l'inachvement de la phnomnologie husser- lienne tenait ce qu'elle s'tait donn pour tche de rvler le mystre du monde et de la raison , s'empressait d'attribuer la mme exigence de conscience , et la mme volont de saisir le sens du monde ou de l'histoire l'tat naissant des uvres comme celle de Balzac, celle de Proust, celle de Valry ou celle de Czanne (p. XVl). Dans le sillage de sa critique du prjug du monde inspire par Yepoch husserlienne de l'atti- tude naturelle, Merleau-Ponty saluait alors dans l'uvre de Czanne un effort analogue celui qu'il menait dans sa propre phnomnologie. De part et d'autre, disait-il, il s'agit de rveiller la perception et de djouer la ruse par laquelle elle se laisse oublier comme fait et comme perception au profit de l'objet qu'elle nous livre et de la tradition rationnelle qu'elle fonde ( Le doute de Czanne , in Sens et non-sens, Nagel, p. 24-25).

    L'exotisme sur lequel insiste Levinas est tout autre chose que ce rveil de l'intentionalit primordiale du rapport au monde. Il consiste au contraire rompre avec celle-ci.

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  • On pourrait certes objecter Levinas que le fait de mise nu par l'uvre d'art d'une ralit qui chappe la corrlation sujet-objet consti- tutive de notre rapport au monde est une fonction aussitt dissimule par cet autre fait, mondain celui-l, que les uvres apparaissent bien vite comme l'enveloppe d'une intriorit. Ne dit-on pas, non sans raison, que le peintre exprime l'me des choses ou des paysages ainsi que la personna- lit de ceux dont il fait le portrait ? N'est-on pas en droit de parler de surcrot d'un monde de l'artiste , de dire qu'il existe un monde de Delacroix comme il existe un monde de Victor Hugo (p. 89) ? Certes. Mais justement il ne s'agit pas pour Levinas de nier cette reprise perma- nente du fait brut de il y a par la mondanit ; il s'agit avant tout de contester que cette reprise soit la fonction esthtique positive de l'uvre.

    Et de souponner du mme coup que l'accent mis, en vertu de cette reprise, sur l'me des choses ou de l'artiste, ptit d'un double rduction- nisme, car le dni de il y a , c'est--dire d'un en-de du monde, s'y emmle avec le dni de l'altrit d'autrui, c'est--dire d'un au-del du monde. Sur ce dernier point, c'est un autre versant de l'enseignement phnomnologique classique qui est la cible allusive de Levinas lorsqu'il crit : Par la sympathie avec cette me des choses ou de l'artiste, l'exo- tisme de l'uvre est intgr dans notre monde. Et il en est ainsi tant que l'altrit d'autrui demeure un alter ego, accessible la sympathie (p. 89). Nul doute que ces propos ne visent l'analyse du rapport autrui que dve- loppent les Mditations cartsiennes de Husserl, ouvrage que Levinas avait contribu traduire ds 1931 et propos duquel il avait fait remarquer dans un article de 1940 que la problmatique husserlienne de la constitu- tion de l'intersubjectivit se dveloppe partir du solipsisme de la monade. Solipsisme, prcisait-il, qui ne nie pas l'existence d'autrui, mais dcrit une existence qui, en principe, peut se considrer comme si elle tait seule (cf. L'uvre d'Edmond Husserl , in En dcouvrant l'exis- tence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1994, p. 48).

    Parce qu'il importe, selon lui, d'viter ce double rductionnisme, Levinas salue les efforts conduits par la peinture et la posie modernes afin de conserver la ralit artistique son exotisme, d'en bannir cette me, laquelle les formes visibles s'assujettissent, d'enlever aux objets reprsents leur servile destine d'expression (p. 89). Que l'on se proccupe, comme la peinture dite abstraite d'aprs guerre, du jeu pur et simple de couleurs et de lignes, destin la sensation ou de l'introduction d'une corres- pondance entre objets (...) trangre la cohrence du monde , ou que

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    Exotisme esthtique etontolone

    Jacques Taminiaux

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    Dossier: Emmanuel Levinas. Une philosophie de l vasion

    l'on ait, comme le surralisme, le souci de confondre les divers plans de la ralit en introduisant un objet rel au milieu d'objets ou de dbris d'objets peints , dans toutes ces recherches l'intention est commune de prsenter la ralit dans une fin du monde et en soi (p. 89-90).

    Et si l'on objecte que la libert de ceux qui mnent toutes ces recher- ches procde de l'imagination cratrice ou du subjectivisme de l'artiste , donc confirme les prrogatives que Y ego s'attribue dans son rapport au monde, c'est qu'on refuse d'admettre qu'il ne s'agit nullement de substi- tuer une mise en perspective une autre, une vision rare une vision commune, une prise nouvelle sur le monde une prise ancienne.

    Prcisment parce que la sensation l'y emporte dlibrment sur la perception, il faut dire de cette peinture moderne qu'elle est une lutte avec la vision . Levinas crit avec force : Elle cherche arracher la lumire les tres intgrs dans un ensemble. Regarder est un pouvoir de dcrire des courbes, de dessiner des ensembles o les lments viennent s'intgrer, des horizons o le particulier apparat en abdiquant. Dans la peinture contemporaine, les choses n'importent plus en tant qu'lments d'un ordre universel que le regard se donne comme une perspective. Des fissures lzardent de tous cts la continuit de l'univers. Le particulier ressort dans sa nudit d'tre (p. 90).

    Alors que la perception investit tous ses objets d'un sens specifiable, les apprhende comme des reprsentants d'un genre, et donc gnralise, Xaisthesis picturale, au contraire, particularise. De mme, tandis que la perception subordonne la hy la morph, ce qui justifait l'importance que Merleau-Ponty attribuait la psychologie de la forme, Yaisthesis picturale, au contraire, se soustrait la prsance de la forme et donc matrialise. Non qu'elle prenne parti pour la matire contre l'esprit, car c'est en de de cette antithse classique qu'elle fonctionne comme une mise nu du monde en nous imposant des lments nus, simples et absolus, boursoufflure ou abcs de l'tre . Levinas crit ce propos : Dans cette chute des choses sur nous, les objets (...) atteignent comme un paroxysme de leur matrialit. Malgr la rationalit et la luminosit de ces formes prises en elles-mmes, le tableau accomplit l'en-soi mme de leur existence, l'absolu du fait mme qu'il y a quelque chose qui n'est pas, son tour, un objet, un nom ; qui est innommable et ne peut appa- ratre que par la posie. Notion de matrialit qui n'a plus rien de commun avec la matire oppose la pense et l'esprit (p. 91), car la matire ici dcouverte n'est nullement le thme intelligible d'un systme

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  • appel matrialisme ; c'est, l'tat brut, le fait mme de Vil y a (p. 92).

    Notons pour conclure les signes les plus manifestes de divergence entre l'analyse lvinassienne et l'interrogation heideggrienne sur l'origine de l'uvre d'art.

    La fonction de dcouverte que Heidegger attribue l'uvre d'art n'est nullement celle d'une existence sans monde . C'est dans le sillage de l'analytique de l'tre-au-monde, rgie par la distinction de la quotidien- net et de l'authenticit, que son analyse se dveloppe pour attribuer la techn de haut rang qui est celle des crateurs le pouvoir d'instituer un monde au sens authentique du mot qui concerne le projet le plus propre du Dasein. Ce pouvoir manifeste comme dit Heidegger la puissance interne de la comprhension humaine de l'tre, de la vue de la lumire {Vom Wesen der Wahrheit, GA 34, Francfort, Klostermann, 1988, p. 63), tandis que la techn qui rgit les proccupations quotidiennes s'en tient des buts qui dtournent de Pipsit. Loin de pointer vers un en-de de l'tre-au-monde chappant absolument aux prises de l'existant, c'est donc un surcrot de prise que l'uvre fait appel. Cela tant, il est frappant de constater que toute la constellation des notions qui animent l'analyse heideggrienne - comprhension, lumire, vrit, dcision rsolue, puis- sance - est aux antipodes de celles que nous venons de souligner dans l'analyse lvinassienne.

    Relevons encore trois signes confirmant cette divergence. Tandis que Heidegger invite ses auditeurs et lecteurs dpasser l'esth-

    tique qu'il relgue, mille lieues de l'tre, dans la caverne de la quotidien- net, de ses vcus et de ses petits plaisirs, Levinas l'inverse s'appesantit sur la sensation et l'effet esthtique qu'elle procure pour y reconnatre une porte ontologique de premire importance : la mise nu de PU y a.

    Tandis que Heidegger s'inspire de Hegel pour attribuer des uvres grecques telles que le temple, la statue du dieu, la tragdie, le privilge d'une grandeur par rapport laquelle toute l'histoire de l'art occidental ne serait qu'un lent dclin devenu extrme chez les modernes, Levinas vite d'argumenter en termes historiques et ce qu'il salue dans Part moderne n'a rien d'une apothose, puisqu'il s'y agit de la nudit de Vil y a.

    Quant la seule uvre picturale sur laquelle Heidegger ait dissert, le fameux tableau de Van Gogh, on cherche en vain dans son analyse quelque attention ce que Levinas salue dans la peinture moderne : l'irruption de l'lmental et de la matrialit. Loin de faire signe vers

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    Exotisme esthtique et ontologie

    Jacques Taminiaux

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    Dossier: Emmanuel Levinas. Unephhophie del vasion

    l'innommable, hors monde, ce tableau est considr par Heidegger comme une illustration servant d'adjuvant une enqute idtique, puis- qu'il permet de dcouvrir l'essence de l'outil, la fiabilit (Verllichkeit), entendue comme corrlation entre un monde, c'est--dire un projet, et une terre, c'est--dire la base de ce projet, lequel a pour titulaire un exis- tant dsignable : une paysanne.

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    Article Contentsp. 87p. 88p. 89p. 90p. 91p. 92p. 93p. 94p. 95p. 96p. 97p. 98p. 99p. 100

    Issue Table of ContentsCits, No. 25 (2006) pp. 1-206Front Matterditorial: S'vader [pp. 1-5]DOSSIER: Emmanuel Levinas. Une philosophie de l'vasionPrsentation [pp. 9-12]Emmanuel Levinas (1906-1995) : un philosophe du XXe sicle [pp. 13-24]Paganisme et philosophie de l'hitlrisme [pp. 25-39]C'est la guerre [pp. 41-54]L'vasion non rve ou la responsabilit [pp. 55-67]De l' au-del de l'tre l' autrement qu 'tre : le tournant lvinassien [pp. 69-75]Levinas lecteur de Derrida [pp. 77-85]Exotisme esthtique et ontologie [pp. 87-100]Discussion avec l'ontologie (Levinas et Merleau-Ponty) [pp. 101-110]Bibliographie des ouvrages rcents sur Emmanuel Levinas [pp. 111-112]

    GRANDS ARTICLES INDITSPrsentation [pp. 115-115]L'asymtrie du visage [pp. 116-124]Prsentation [pp. 125-125]La comprhension de la spiritualit dans les cultures franaise et allemande (1933) [pp. 126-137]

    LEXIQUELexique lvinassien [pp. 139-148]

    DBAT: La mmoire de l'esclavage et ses drivesPrsentation. L'esclavage colonial : un pass qui ne passe pas ? [pp. 151-152]Les errances de la mmoire de l'esclavage colonial et la dmocratie franaise aujourd'hui [pp. 153-163]Le droit la mmoire [pp. 164-166]Le Comit pour la mmoire de l'esclavage [pp. 167-169]Esclavage, citoyennet, crime contre l'humanit [pp. 170-173]Le dbat public autour de l'esclavage : conflits de mmoires et tensions sociopolitiques [pp. 174-177]Sur l'histoire et la mmoire de l'esclavage ? [pp. 178-180]Comment transmettre le souvenir de l'eschvage ? Excs de mmoire, exigence d'histoire... [pp. 181-185]Des limites de la mmoire historique franaise de l'esclavage [pp. 186-189]Bibliographie sommaire sur la traite et l'esclavage colonial [pp. 190-191]Annexe: Les historiens et la guerre de mmoires [pp. 192-193]

    RECENSIONSReview: untitled [pp. 195-197]Review: untitled [pp. 197-199]Review: untitled [pp. 199-202]

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