exercice sur la synesthesie

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Souvenir mauve Elle regarde sur l’étagère la petite bouteille mauve en forme d’étoile et les étincelles de ce récipient commercial d’une odeur familière lui font entendre une voix : « Tu vas casser ta tête !», son père lui avait hurlé cet après-midi là, dans la cour de grand-mère. Mais être agenouillée dans la petite balançoire pendue au vieil arbre de lilas n’était pas simplement une épreuve de courage : cette position lui faisait penser aux demoiselles japonaises qui rêvaient à l’ombre des cerisiers roses dans les peintures qu’elle avait vues un jour. Elle serrait dans ses mains les deux cordes de la balançoire pendant que le nectar des lilas dansait le tango avec le vent sur sa peau et dans ses cheveux. Cette danse pénétrait ses narines élargies jusqu’au bout et elle sentit ses paupières descendre sous l’effet de cette drogue douce au goût de miel. L’air était mauve et Papa ne le savait même pas. Elle a voulu mettre un peu plus d’élan dans ce vol de balançoire en se penchant, en sortant sa poitrine au dehors du cadre formé par les deux cordes. Elle a sentit le goût doux acide de l’air et même les petites taches de couleur des lilas sur la pointe de sa langue, juste avant de perdre son équilibre et de plonger dans la poussière. Ses palmes ont beaucoup souffert pour avoir paré la chute et sa joue gauche, elle aussi, quand Papa l’a giflée en signe de « Je te l’avais dit ». Papa l’avait avertie de ne pas perdre son équilibre. De ne pas se balancer trop dans la vie. C’est ce qu’elle a fait toutes ces années d’incertitudes et de gifles plus douloureuses que celle de Papa. Les gifles de maturité qu’elle a reçues à cause de ses jeux avec l’équilibre.

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Page 1: Exercice sur la synesthesie

Souvenir mauve

Elle regarde sur l’étagère la petite bouteille mauve en forme d’étoile et les étincelles de ce récipient commercial d’une odeur familière lui font entendre une voix : « Tu vas casser ta tête !», son père lui avait hurlé cet après-midi là, dans la cour de grand-mère. Mais être agenouillée dans la petite balançoire pendue au vieil arbre de lilas n’était pas simplement une épreuve de courage : cette position lui faisait penser aux demoiselles japonaises qui rêvaient à l’ombre des cerisiers roses dans les peintures qu’elle avait vues un jour. Elle serrait dans ses mains les deux cordes de la balançoire pendant que le nectar des lilas dansait le tango avec le vent sur sa peau et dans ses cheveux. Cette danse pénétrait ses narines élargies jusqu’au bout et elle sentit ses paupières descendre sous l’effet de cette drogue douce au goût de miel. L’air était mauve et Papa ne le savait même pas. Elle a voulu mettre un peu plus d’élan dans ce vol de balançoire en se penchant, en sortant sa poitrine au dehors du cadre formé par les deux cordes. Elle a sentit le goût doux acide de l’air et même les petites taches de couleur des lilas sur la pointe de sa langue, juste avant de perdre son équilibre et de plonger dans la poussière. Ses palmes ont beaucoup souffert pour avoir paré la chute et sa joue gauche, elle aussi, quand Papa l’a giflée en signe de « Je te l’avais dit ». Papa l’avait avertie de ne pas perdre son équilibre. De ne pas se balancer trop dans la vie. C’est ce qu’elle a fait toutes ces années d’incertitudes et de gifles plus douloureuses que celle de Papa. Les gifles de maturité qu’elle a reçues à cause de ses jeux avec l’équilibre.

Elle regarde maintenant le parfum de lilas sur l’étagère de ce magasin. Dans une demi-heure elle aura sa première interview d’embauche. Elle quitte le magasin, la petite bouteille en forme d’étoile dans son sac, en resplendissant une odeur mauve et douce dans la rue.

« Quelle est, à votre avis, votre plus grande qualité ? »Elle sait ce qu’elle va répondre. « Je suis une personne équilibrée, je crois ».