Évaluation de la qualité des soins en pneumologie : enjeux et perspectives

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939 Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 939-41 © 2007 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Doi : 10.1019/200720119 Éditorial Évaluation de la qualité des soins en pneumologie : enjeux et perspectives C. Chouaïd article de Vibert [1] sur l’assurance qualité dans un laboratoire d’épreuves fonctionnelles respiratoires clôt la série consacrée à l’évaluation de la qualité des soins en pneumolo- gie [1-11]. Ces articles ont clairement confirmé l’implication des pneumologues dans le domaine de l’évaluation. Les démarches sont multiples et concernent aussi bien les prati- ques [3, 6, 9, 11] que l’évaluation des organisations et des résultats [2, 7]. La méthodologie a été largement abordée [5] ainsi que les conséquences de nouveaux concepts comme la performance des établissements de soins [8]. À travers cette série on s’aperçoit du chemin parcouru depuis une vingtaine d’années avec en particulier les premières conférences de con- sensus de l’ANAES et les premiers audits de pratiques clini- ques [12]. Quels sont les enjeux maintenant pour les pneumolo- gues comme tous les professionnels de santé qui doivent être abordés ? Tout d’abord l’évaluation et l’amélioration des pra- tiques professionnelles. La démarche est maintenant bien codifiée [13] et va devenir rapidement une obligation pour tous. En pratique, il s’agit d’identifier des critères de qualité correspondant à des éléments simples et opérationnels de bonne pratique. Leur mesure doit permettre d’évaluer la qua- lité de la prise en charge d’un patient et d’améliorer les prati- ques, notamment par la mise en œuvre et le suivi d’actions visant à faire converger la pratique réelle vers une pratique de référence. La sélection de ces critères procède d’une démar- che fondée sur les preuves prenant en compte les recomman- dations disponibles. Ces critères doivent représenter des éléments importants de la pratique ; ils doivent être mesura- bles, acceptables et formulés sans ambiguïté. Dans ce cadre la SPLF a élaboré des référentiels sur le dossier médical en pneumologie, l’asthme, la BPCO et le cancer bronchopul- monaire. Il serait souhaitable que ce travail soit maintenant étendu à d’autres domaines de la pratique pneumologique : pathologie infectieuse, en particulier les pneumonies aiguës communautaires [14] et le syndrome d’apnée du sommeil. [email protected] Réception version princeps à la Revue : 17.07.2007. Acceptation définitive : 17.07.2007. Correspondance : C. Chouaïd Service de Pneumologie, Hôpital Saint Antoine, 184 rue du faubourg Saint Antoine, 75012 Paris. Service de Pneumologie, Hôpital Saint Antoine, Paris, France. L’

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Page 1: Évaluation de la qualité des soins en pneumologie : enjeux et perspectives

939Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 939-41 © 2007 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservésDoi : 10.1019/200720119

Éditorial

Évaluation de la qualité des soins en pneumologie : enjeux et perspectives

C. Chouaïd

article de Vibert [1] sur l’assurance qualité dans unlaboratoire d’épreuves fonctionnelles respiratoires clôt la sérieconsacrée à l’évaluation de la qualité des soins en pneumolo-gie [1-11]. Ces articles ont clairement confirmé l’implicationdes pneumologues dans le domaine de l’évaluation. Lesdémarches sont multiples et concernent aussi bien les prati-ques [3, 6, 9, 11] que l’évaluation des organisations et desrésultats [2, 7]. La méthodologie a été largement abordée [5]ainsi que les conséquences de nouveaux concepts comme laperformance des établissements de soins [8]. À travers cettesérie on s’aperçoit du chemin parcouru depuis une vingtained’années avec en particulier les premières conférences de con-sensus de l’ANAES et les premiers audits de pratiques clini-ques [12].

Quels sont les enjeux maintenant pour les pneumolo-gues comme tous les professionnels de santé qui doivent êtreabordés ? Tout d’abord l’évaluation et l’amélioration des pra-tiques professionnelles. La démarche est maintenant biencodifiée [13] et va devenir rapidement une obligation pourtous. En pratique, il s’agit d’identifier des critères de qualitécorrespondant à des éléments simples et opérationnels debonne pratique. Leur mesure doit permettre d’évaluer la qua-lité de la prise en charge d’un patient et d’améliorer les prati-ques, notamment par la mise en œuvre et le suivi d’actionsvisant à faire converger la pratique réelle vers une pratique deréférence. La sélection de ces critères procède d’une démar-che fondée sur les preuves prenant en compte les recomman-dations disponibles. Ces critères doivent représenter deséléments importants de la pratique ; ils doivent être mesura-bles, acceptables et formulés sans ambiguïté. Dans ce cadre laSPLF a élaboré des référentiels sur le dossier médical enpneumologie, l’asthme, la BPCO et le cancer bronchopul-monaire. Il serait souhaitable que ce travail soit maintenantétendu à d’autres domaines de la pratique pneumologique :pathologie infectieuse, en particulier les pneumonies aiguëscommunautaires [14] et le syndrome d’apnée du sommeil.

[email protected]

Réception version princeps à la Revue : 17.07.2007. Acceptation définitive : 17.07.2007.

Correspondance : C. Chouaïd Service de Pneumologie, Hôpital Saint Antoine, 184 rue du faubourg Saint Antoine, 75012 Paris.

Service de Pneumologie, Hôpital Saint Antoine, Paris, France.

L’

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C. Chouaïd

Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 939-41 940

Il serait également intéressant d’avoir un retour des praticienssur l’utilisation dans la vraie vie de ces référentiels. En effet,ceux-ci loin d’être figés ont vocation à évoluer, en fonctiondes données de la littérature mais aussi des limites éventuelle-ment identifiées par les praticiens qui les utilisent.

Un second enjeu important est la nécessaire simplifica-tion des méthodes. Les contraintes importantes qui pèsent surl’activité clinique (niveau élevé et légitime d’exigence despatients, tâches administratives et conséquences de la démo-graphie médicale) imposent la mise en place de démarchespragmatiques pour l’évaluation de la qualité des soins. LaHaute Autorité de Santé a parfaitement pris conscience decette nécessité et depuis peu privilégie, à côté des démarchesplus classiques, des projets adaptés aux contraintes des clini-ciens [15-17]. Ainsi, classiquement l’élaboration et la mise àjour des recommandations pour la pratique clinique (RPC)nécessitent une démarche méthodologique rigoureuse et expli-cite pour aboutir à des recommandations valides et crédibles.Elles sont consommatrices de temps et exigent des ressourceset une expertise importante. Depuis plusieurs années, différen-tes organisations dans le monde développent et publient desRPC sur différentes problématiques de santé, avec des métho-des de développement de plus en plus communes et conver-gentes au cours du temps. C’est pour cela que l’HAS préconisel’adaptation de RPC existantes chaque fois que cela est possi-ble [15]. Il s’agit ainsi de tirer profit des documents existantsen évitant la duplication des efforts dans l’élaboration etl’actualisation des RPC. Ces RPC doivent bien sûr être adap-tées au contexte local (besoins, priorités, législation et ressour-ces du contexte d’utilisation) sans en altérer la validité.

L’utilisation de recommandations professionnelles parconsensus formalisé [16] répond également à ces contraintesde temps et de pragmatisme. Il s’agit d’une démarche qui con-siste à rédiger, à partir de l’avis et de l’expérience pratique d’ungroupe de professionnels, des recommandations pour unensemble de situations cliniques élémentaires et concrètes. Lesconclusions de l’analyse préalable de littérature concernant lethème à traiter sont généralement insuffisantes en elles-mêmeset à l’origine d’une controverse et d’une hétérogénéité des pra-tiques. Les propositions de recommandations sont rédigéespar un « groupe de pilotage ». Elles sont soumises à l’avis d’ungroupe de professionnels appelé « groupe de cotation ». L’avisde ce groupe est formalisé en utilisant une échelle visuellenumérique discontinue, graduée de 1 à 9, et le degré d’accordou de désaccord entre les professionnels du groupe de cotationest mesuré. Les résultats d’une première cotation sont discutéspar ce groupe lors d’une réunion, qui est suivie d’une secondecotation permettant de sélectionner les recommandations.Les règles de conservation des recommandations à retenir sontfixées a priori. Une phase de relecture, facultative, par untroisième groupe peut compléter ce processus. Un des préala-bles est une bonne connaissance du thème traité par les pro-fessionnels sélectionnés soit parce qu’ils sont experts du thèmeou qu’ils ont une pratique régulière dans ce domaine. Cetteméthode permet de modéliser l’avis des professionnels interro-

gés en fonction de leur expérience pratique, sur un ensemblede propositions élémentaires décrivant une stratégie de priseen charge donnée mais aussi d’expliciter et de quantifierl’accord ou le désaccord entre les membres d’un groupe deprofessionnels. Une autre méthode, que la HAS souhaite valo-riser, est le staff-EPP [17]. Il s’agit de formaliser certaines réu-nions de service (staffs), à l’occasion desquelles sont présentéset discutés des dossiers de patients. Dans la plupart des cas,l’organisation et le contenu de ces réunions sont peu formali-sés. La formalisation, peut par exemple comprendre une revuede dossiers préalablement sélectionnés de manière explicitepar l’équipe avec un questionnement (modalités de prise encharge, diagnostic, traitement, pronostic, iatrogénie, qualité etefficience des soins, cas clinique, etc.), une revue bibliographi-que et une discussion entre professionnels. L’ensemble doitpermettre d’apprécier la validité, l’utilité et l’applicabilité desréférences sélectionnées pour répondre aux questions posées.Des actions d’amélioration peuvent être mises en place selondes modalités explicites (rédaction/actualisation de protocoles,chemin clinique, audit, suivi d’indicateurs, enquête de satis-faction patient, etc.).

Le dernier enjeu concerne la valorisation ou la contrac-tualisation lié à la qualité. Il s’agit d’un concept mis en placedepuis quelques années surtout en Angleterre et en Amériquedu Nord qui est fondé sur une valorisation financière del’organisation ou plus souvent de l’individu qui produit de laqualité (pay for performance ou P4P) [18]. Depuis 2005, denombreuses publications dans les journaux les plus presti-gieux ont montré l’applicabilité de ce concept [19-24] et lar-gement discuté les résultats. Contrairement à ce que l’onpourrait penser (et heureusement d’une certaine manière)plus d’argent, y compris au niveau individuel, ne permet pasforcément d’obtenir plus de qualité. Ainsi une étude récente[24] a analysé l’impact d’un programme de P4P chez 334médecins généralistes de la région de Rochester. Elle montreune amélioration entre 1999 et 2004 des critères de qualité deprise en charge de la maladie diabétique mais sans que lesauteurs puissent formellement lier cette amélioration au pro-gramme d’incitations financières (à l’exception peut être ducritère « examen annuel ophtalmologique » qui augmente de7 % par an après la mise en place du programme). De même,l’évaluation de la prise en charge de l’infarctus après la mise enplace d’un vaste programme de P4P mis en place en 2003dans les hôpitaux du groupe Centers for Medicare & MedicaidServices (CMS) donne des résultats mitigés [23]. L’étude, detype observationnelle, analyse la prise en charge de 105 383patients hospitalisés pour infarctus selon les recommanda-tions de l’American College of Cardiology/American HeartAssociation (ACC/AHA). Il s’agit de patients admis entrejuillet 2003 et juin 2006 dans 54 hôpitaux du groupe CMSand 446 hospitaux. Les résultats montrent une très discrèteamélioration de 2 indicateurs sur 6 (prescription d’aspirine àla sortie et conseils de sevrage tabagique) dans les hôpitauxavec incitation financière, mais sans différence sur la mortalitéintra hospitalière.

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Qualité des soins

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La mise en place d’un système de part variable pour lesalaire des praticiens hospitaliers de certaines spécialités, psy-chiatres et orthopédistes dans un premier temps, pneumolo-gues dans un second temps, va permettre aux pouvoirspublics d’expérimenter ce concept dans le système de santéfrançais. Il appartiendra alors aux professionnels et en particu-lier à leurs sociétés savantes de mettre en place les outils per-mettant de garantir une équité de prise en charge des patients.

Références

1 Vibert JF : Assurance et management de la qualité en EFR. Rev MalRespir 2007 ; 24 : 1025-34.

2 Fraisse P : Évaluation de la prise en charge en pneumologie : tubercu-lose. Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 643-59.

3 DebrIx I, Gounant V, Milleron B : Évaluation des pratiques en cancé-rologie pulmonaire : analyse de la littérature. Rev Mal Respir 2006 ;23 : 660-70.

4 Girault C, Tamion F, Beduneau G : Évaluation des soins et pneumo-pathies nosocomiales en réanimation. Rev Mal Respir 2006 ; 23 :4S27-3.

5 Vergnenègre A : Les méthodes de l’évaluation de la qualité des soins.Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 3S47-60.

6 Roche N : Qualité des soins dans la BPCO. Rev Mal Respir 2006 ;23 : 6S44-56.

7 Le Pimpec-Barthes F, Bagan P, Hubsch JP, Bry X, Pereira Das Neves JC,Riquet M : Évaluation en chirurgie thoracique. L’impact de la spécia-lisation et de l’effet volume sur les résultats du traitement chirurgicaldu cancer ; resécabilité, mortalité postopératoire et survie à longterme. Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 13S73-85.

8 Chouaid C, Hejblum G, Guidet B, Valleron AJ : Évaluation de laqualité des soins et performance hospitalière. Rev Mal Respir 2006 ;23 : 13S87-98.

9 Barlési F, Doddoli C, Greillier L, Dutau H, Astoul P : Fibroscopiepour le diagnostic de cancer du poumon : Évaluation des pratiques.Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 4S17-26.

10 Benhamou D : Évaluation des soins et pneumopathies aiguës com-munautaires. Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 183-96.

11 Godard P, Bourdin A, Chanez P : Évaluation de la qualité des soinsdans l’asthme. Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 197-204.

12 ANAES : Antibiothérapie en pratique clinique dans les infections desvois aeriennes. Rev Pneumol Clin 1999 ; 55 : 127-54.

13 HAS : Guide méthodologique. Élaboration de critères de qualité pourl’évaluation et l’amélioration des pratiques professionnelles. Paris,Mai 2007 ; 17p.

14 Bratzler DW, Nsa W, Houck PM : Performance measures forpneumonia : are they valuable, and are process measures adequate?Curr Opin Infect Dis 2007 ; 20 : 182-9.

15 HAS : Méthode et processus d’adaptation des recommandations pourla pratique clinique existantes. Paris, Février 2007 ; 51p.

16 HAS : Guide méthodologique. Bases méthodologiques pour l’élabo-ration de recommandations professionnelles par consensus formalisé.Paris, Janvier 2006, 37p.

17 HAS : Staff-EPP. Guide méthodologique. Paris Décembre 2006, 4p.18 Lindenauer PK, Remus D, Roman S, Rothberg MB, Benjamin EM,

Ma A, Bratzler DW : Public reporting and pay for performance inhospital quality improvement. N Engl J Med 2007 ; 356 : 486-96.

19 Levin-Scherz J, DeVita N, Timbie J : Impact of pay-for-performancecontracts and network registry on diabetes and asthma HEDISmeasures in an integrated delivery network. Med Care Res Rev 2006 ;63 : S14-28.

20 Pines JM, Hollander JE, Lee H, Everett WW, Uscher-Pines L,Metlay JP : Emergency department operational changes in responseto pay-for-performance and antibiotic timing in pneumonia. AcadEmerg Med 2007 ; 14 : 545-8.

21 Spinelli RJ, Fromknecht JM : Pay for performance: improving qualitycare. Health Care Manag 2007 ; 26 : 128-37.

22 Pham HH, Schrag D, O’Malley AS, Wu B, Bach PB : Care patternsin Medicare and their implications for pay for performance. N Engl JMed 2007 ; 356 : 1130-9.

23 Glickman SW, Ou FS, DeLong ER, Roe MT, Lytle BL, Mulgund J,Rumsfeld JS, Gibler WB, Ohman EM, Schulman KA, Peterson ED :Pay for performance, quality of care, and outcomes in acute myocar-dial infarction. JAMA 2007 ; 297 : 2373-80.

24 Young GJ, Meterko M, Beckman H, Baker E, White B, Sautter KM,Greene R, Curtin K, Bokhour BG, Berlowitz D, Burgess JF : Effectsof paying physicians based on their relative performance for quality.J Gen Intern Med 2007 ; 22 : 872-6.