etudes de sociologie electorale… · 2013-11-05 · sociologie politique, mais pourvue de ses...

------ CAHIERS DE LA FONDATION NATIONALEDES SCIENCES POLITIQUES

1CHARLES MORAZE, R. B. MAC CALLUMGABRIEL LE BRAS, PIERRE GEORGE

ETUDES DESOCIOLOGIE ELECTORALE

LIBRAIRIE ARMAND COLIN103, boulevard Saint-Michel, Paris. 5°

Extrait de la publication

La Fondation Nationale des Sciences Politiques a ete creee par une Ordonnancedu 9 Octobre 1945. Elle a pour objet de Iavoriser Ie progres et la diffusion desSciences PoIi tiques, Economiques et Sociales.

Son administration et sa direction sont assurees de ia maniere suivante :

Conseil d' Administration:President: M. Andre SIEGFRIED, de l'Academie Fran~aise.

Vice-presidents: MM. Lucien' FEBVRE, ProIesseur au College de France;BRIN, Procureur general ala Cour des Comptes.

MembreB : MM. Andre ALLIX, Recteur de I'Universite de Lyon;Etienne ANTONELLI, Proresseur a la Faculte de Droit de Montpellier;Jules BASDEVANT, Membre de l'Institut, ProIesseur honoraire a

la Faculte de Droit de Paris; Vice-president de la Cour Internationale de Justice;

Wilfrid BAUMGARTNER, President-Directeur General du CreditNational;

BOURDEAU DE FONTENAY, Directeur del'Ecole Nationale d'Admi·nistration;

Jacques CHAPSAL, Directeur de I'lnstitut d'Etudes Politiques derUniversite de Paris.

Bernard CHENOT, Maitre des Requetes au Conseil d'Etat;J ean-J acques CHEVALLIER, ProIesseur a la Faculte de Droit de

Paris;Rene COURTIN, ProIesseur a la Faculte de Droit de Paris;Georges DUHAMEL, de I'Academie Fran~aige;

Paul DURAND, Proresseur a la Faculte de Droit de Nancy;Pierre FOURNIER, Gouverneur Honoraire de la Banque de France;Leon JOUIlAUX, Secretaire General de la C. G. T.Edmond LEBER, Directeur General du Credit Industriel et

Commercial;Gabriel La BRAS, Proresseur a la Faculte de Droit de Paris;Charles MORAZE, Directeur d'Etudes a rEcole des Hautes·Etudes;Leon NOEL, Membre de l'Institut, Amba~sadeur de France;Albert PAUPHILET, Directeur de l'Ecole Normale Superieure;Mario ROQUES, Membre de I'Institut, ProIesseur au College de

France, Directeur d'Etudes a I'Ecole des Hautes·Etudes;Eugene Roy, Directcur General des Acieries de Longwy;Andre SEGALAT, Maitre des Requetes au Conseil d'Etat, Secre.

taire General du Gouvernement;Max SORRE, Proresseur a la Faculte des Lettres de Paris;Paul VIMEUX Secretaire General de Ia Federation Nationale de

la Mutualite Agricole.Admin;straleur : M. Roger SEYDOUX.Becre/aVe general: M. Jean MEYNAUD.

La Fondation assure la publication:10 du Bulletin Analytique de Documentation Politi9,ue, £conomique et Sociale

Conlemporaine, repertoire methodique bimestriel des prrncipaux articles concernantles questions relevant des Sciences Politiques, Economiques et Sociales, ainsi quede la documentation sur les problemes contemporains du meme ordre, publiesdans les revues Iran~aises et etrangeres. (Abonnement : France: 400 Ir. par an;Etranger : 500 fro par an. - Presses Universitaires de France, 108, boulevardSaint Germain, Paris, 6", C. C. P. Paris 3lJ2.33);

20 de tascicules bibliographiques consacres aux principaux aspects des SciencesPolitiques, Economiques et Sociales, a l'intention des etudiants et du IJrand publiccultive. Le premier de ces Iascicules, relatiI a l'histoire des faits pohtiques, economiques et sociaux depuis Ie milieu du XVIII" siecle, a ete publi6 par lesEditions Domat-Montchrestien, 158, rue Saint-Jacques, Paris, 50;

30 de Cahiers publies, sans periodicite reguliere, au nombre de trois ou quatrepar an, par la Librairie Armand Colin, et destines a faire progresser la recherchedans Ie domaine des Sciences Politiques, Economiques et Sociales.

Pour tout ce qui concerne la redaction des Cahiers, s'adresser a leur Secretaire,M. Fr8n~ois GOGUEL, Chef de Service au Conseil de la Republiqutl, Palais duLuxembourg, Paris, 6". Telephone ; Odeon 95-00.

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CAHIERS DE LA FONDATION NATIONALEDES SCIENCES POLITIQUES

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ICHARLES MORAZE, R. B. MAC CALLUMGABRIEL LE BRAS, PJERRE GEORGE

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~ 246070LIBRAIRIE ARMAND COLIN103, boulevard Saint-Michel, Parie;. 5e


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Text Box

ISBN de la version numérique : 9782724683752

ETpDES DE SOCIOLOGIE ELECTORALE

SOMMAIRE

FRAN~OIS GOGUEL : Avertissement. . . . . . . . . . . . P.2CHARLES MORAZE : Quelques problemes de methode.. . .. 7R. B. Me CALLUM: L'election generale britannique de 1945 .' 20GABRIEL LE BRAS: Geographie electorale et Geographie reli-

gieuse.. . . . . .• . . . . . . . . . . . . . . . . .. 44PIERRE GEORGE: Etude preliminaire des conditions econo

miques et sociales de la vie politique dans une commune dela Seine: Bourg-la-Reine. . . . . . . . . . . . . . .. {\7

Elements de bibliographie sur les etudes de Sociologie electorale. 88


AVERTISSEMENT

La sociologie electorale est une science a ses debuts.Voici plus de trente ans cependant qu'Andre Siegfried en

a pose 'les premiers fondements par la publication de sonmagistral Tableau Politique de Ia France de l'Ouest sous IaIIIe Republique. Malgre les profonds echos que ce livre arencontres, malgre la durable influence qu'il a exercee, aucuntravail d'une envergure comparable n'est pam depuis lors.En d'epit de l'interet scientifique et pratique immenses d'uneetude systematique des conditions dans lesquelles s'exprimel'opinion politique des citoyens et des facteurs d'ordre social,d'ordre economique et d'ordre historique par lesquels peuvents'expliquer ses variations ou ses constantes geographiques,il semble qu'on ait considere que Ie Tableau d'Andre Siegfriedconstituait une reuvre exceptionnelle, rendue possible par lesqualites exceptionnelles de son auteur, et a laquelle il seraitvain de chercher a donner une suite.

Andre Siegfried, dans ses cours du College de France, acependant poursuivi ses recherches et perfectionne sa methode.A mesure que d'autres savants en venaient ase poser eux aussides problemes de sociologie electorale, ou a en proposer l'etudea certains de leurs eIeves, on s'est mieux rendu compte de leur~omplexite. La formation de l'opinion politique depend defaeteurs si nombreux et si divers - geographiques, economiques, sociaux, religieux, historiques, etc. - qu'on ne sauraitcompter parvenir a une explication, valable a la fois pources divers types de societes qui coexistent aujourd'hui enFrance. Avant de generaliser, et de formuler synthetiquementles lois sociologiques de la formation et de l'evolution de l'opi-

·AVERTISSEMENT 3

nion politique, telle qu'elle s'exprime dans les elections, denombreuses recherches de detail devront encore etr~ meneesa bien. Leur methode devra devenir constamment plus rigoureuse.

Le moment est venu de coordonner des efforts encore tropsouvent disperses, de leur imprimer une impulsion nouvelle.La renaissance de l'ecole sociologique fran«;aise, la maitrisea laquelle est parvenu l'ecole geographique, l'interet nouveauqu'on porte de divers cotes a la renais.sance des sciences politiques et, d'une fa«;on plus' generale, des sciences humaines,constituent des conditions particulierement favorables it laconstitution de la sociologie electorale en science antonbme etmajeure, reliee certes it la geographie humaine, comme it lasociologie politique, mais pourvue de ses moyens propres derecherche et d'expression, et dotee d'une methode sure.

C'est la raison pour laquelle la Fondation Nationale desSciences Politiques a decide de consacrer Ie premier de sesCahiers aux etudes de sociologie eIectorale qu'on trouveraci-dessous. '

D'autres suivront. II ne s'agit aujourd'hui que de poser Ieprobleme, et d'indiquer par des exemples comment il pourraetre resolu.

'"'" '"L'Hude de Charles Moraze sur quelques problemes de methode

a ete provoquee par les retlexions inspirees it son auteur parune enquete approfondie qu'il a entreprise dans un canton deSeine-et-Oise. C'est tout Ie probleme des methodes de recherche, de l'etat d'esprit qui doit etre celui du chercheur - oumieux, de l'equipe de chercheurs -, des moyens d'expressionqu'il est necessaire d'imaginer, que posent cesquelques pages.

...'" ...Le travail de R. B. Mc Callum, professeur it l'Universite

d'Oxford, envisage l'election generale britannique de 1945 sons


4 SOCIOLOGIE ELECTORALE

un angle assez different. M. Mc Callum a ete frappe de ce queles elections generales successives n'ont jamais fait en GrandeBretagne, en tant que telles, I'objet d'etudes serieuses. Voulant combler cette lacune pour celles de 1945, il a etudie lesthemes de la campagne electorale, depouille systematiquementles professions de foi de tous les candidats, releve les traitsessentiels des resultats du vote : ce sont la en effet recherchesindispensables, et auxquelles il serait fort utile de procederen France, quand bien meme notre ambition sera de les completer toujours par une etude approfondie de geographiesociale et de conjoncture economique.

** *Maitre de l'histoire et de la geographie de la pratique reli

gieuse en France, Gabriel Le Bras ne pouvait manquer d'etudier 'ses rapports avec l'opinion politique, depuis longtempsconnus de quiconque a pratique la vie electorale, deja relevesdans l'Ouest parllAndre SIegfried, mais qu'il serajt fort dangereux de simplifier a l'exces : la belle etude de geographieelectorale et geographie religieuse que nous a donnee GabrielLe Bras dresse un precieux tableau synthetique,en memetemps qu'elle attire l'attention sur les points qui devrontetre elucides par les 'chercheurs de demain.. .

** *Quant a I'etude preliminaire des conditions de Ila vie politique

aBourg-la-Reine, a laquelle a procede Pierre George, eIle constitue l'exemple-type de ce que ldoit etre une monographie desociologie electorale : etude minutieuse de la structure sociale,comparaison raisonnee de cette structure avec la repartitiondes divers types d'habitat et des opinions politiques opposees.lci encore, l'ecart entre la repartition de ces opinions, exprimees· dans les divers scrutins, et celIe des conditions socialestelle que l'etablissent les statistiques, pose un probleme·d'expli-


AVERTISSEMENT 5

cation qui. doit provoquer de nouvelles etudes. La question sepose en particulier de savoir dans quelle mesure Ie parallelismeeconomiqueentre la condition des employes et celIe des ouvrierset agents de serv,ices publics s'accompagne d'un parallelismepsychologique analogue. A Bourg-la-Reine en tout cas, plusune section de vote comporte d'employes, plus l'ecart estgrand entre Ie pourcentage general des salaries (fonctionnaires,agents 'de services publics, retraites, ouvriers et employes) etcelui des suffrages d'extreme-gauche. Dans chaque section,Ie pourcentage de ces voix socialistes et communistes serevele, a !'inverse, remarquablement proche de celui dessalaries, employes deduits. II serait sans doute temeraire d'enconclure que Ie monde des employes reste entierement etranger aux, opinions d'extreme gauche. Peut-etre, en realite,sont-ce, aBourg-la-Reine au moins, ceux d'entre les salariesqui ne se tiennent pas pour solidaires du proletariat, quiadoptent deliberement la qualification d'employes, alors queles elements objectifs de leur condition les distinguent a peinedes ouvriers proprement dit.

Quoi qu'il en soit, un probIeme est pose: ici encore des recherches ulterieures s'imposeront.

** *Ce Cahier, nous en avons Ie ferme propos, n'est qu'un debut.

Des theses de droit ou de lettres, des memoires de l'Ecoledes Hautes-Etudes aussi, consacres it. des probIemes d'histoire, de geographie et de sociologie electorales sont en coursd'elaboration. Nous souhaitons aider it. leur publication integrale ou ·partielle.

Des la prochaine .annee scolaire, l'Institut d'Etudes Politiques de l'Universite (de lParis inscrira (d'autre part it. sonprogramme, dans Ie cadre d'un imseignement general sur laSociete fran~aise :contemporaine, it. cote de la Sociologie dela pratique religieuse, quelques le~ons sur la Sociologie:de lavie 'politique. ,

De son cote, pour icreer un lien entre chercheurs, pour



permettre la confrontation de leurs resultats, des difficultesde methode auxq~elles ils .se heurtent et des moyens qu'ilsimaginent pour les resoudre, la Fondation des Sciences Politiques a provoquela creation d'un Centre d'Etudes Scientifiques de la Politique Inierieure qui, sous la presidence d'AndreSiegfried, fonctionnera it partir de la rentree universitairede 1947. Les travaux effectues sous les auspices de ce Centretrouveront tout naturellement dans un futur Cahier leurlieu d'expression. Le travail ne fait que commencer; il y abeaucoup it faire. Nous voudrions que la publication de cespremieres Etudes de sociologie electorale attirat l'attention deschercheurs sur un champ d'etudes encore neuf et plein depromesses, et suscitat de nouvelles vocations.

FRANQOIS GOGUEL.


qUELQUES PROBLEMES DE METHODE

Le meilleur moyen de prouver l'excellence d'une methodeserait d'en fournir des .exemples d'application. Et j'auraisprefere pouvoir donner ici l'etude reelle d'un probIeme poli-tique que de presenter ces commentaires. .

Mais peut-etre trouveront-ils grace si Ie lecteur veut biencroire qu'ils sont Ie fait d'un homme ayant mis la main a lapate, comme on dit, et bien decide a ne pas se contenter deproclamer peremptoirementdes avis non eprouves.

Nous ne risquons pas d'etre peremptoires. Si cet articleparait, c'est que Ie veritable article, celui que nous voulionspresenter, n'est pas pret, prec-isement a cause de difficultesinattendues de realisation, de methode. Tout nous engagea la prudence et nous eMeigne, en outre, qu'en matiere d'investigation scientifique rien de definitif en fait de methode nepetit etre proclame.

II faut etre prudent dans la critique et patient dans l'attenteet, si les sciences sociales doivent deploreI', par rapport au,xsciences physiques et naturelles, un retard consiq.erable, c'estque peut-etre elles ont trop souvent voulu tout remettre enquestion, qu'elles ont trop souvent aussi presente de hativesconclusions comme detinitives et redigees en forme de veritesuniverselles.

Et nous voici amene a reprendre ici notre dialogue avecM. Siegfried. On n'apas assez dit !'importance du momentqu'ont marque a la fois Ie Tableau de la France de l'Ouest etles etudes geographiques de linguistique. Venus des deuxextremites de l'horizon intellectuel, MM. Mario Roques etSiegfried se rencontraient en une commune methode. L'un,



heritier de la patiente, austere et eprouvee tradition de laRecherche et de la Decouverte de I'Histoire par Ie fait dulangage, eprouvait Ie besoin de traduire en cartes, langueset dialectes porteurs d'histoire. L'autre, voyage~r, .observateur, ayant acquis la connaissance des hommes dans Ie sillaged'un etonnant homme d'action, improvisait une representation du fait politique qui elle aussi tendait a traduire enlangage geographique les vieilles traditions qui composentla liberte politique contemporaine.

Annees capitales que ces annees d'avant 14 ou cette rencontre eut du etre Ie prelude a une renovation de I'histoireet de la geographie, aune reforme de la recherche des sciencessociales et de l'enseignement, a une renovation de la sectiondes sciences historiques et philologiques ,des Hautes Etudescomme" de.,1'Ecol.eude& Sciences, Politiques.

Vidal de La Blache n'eut-il pas He appele a soutenircet effort?

Vint la guerre, cette guerre a peine achevee, et ce doubleeffort fut interrompu, personne ne put attacher acette doubledecouverte l'interet qu'elle merit:rit. Personne en France nes'avisa d'en tirer les consequences. De cette carence, helas,les bibliographies ne sont que trop la preuve. En vain, Ietheme etait-il remis a I'honneur par Lucien Febvre (La terreet ['evolution humaine). Les trente annees dernil~res ont Heun trou dans Ie developpement rationnel de la pensee et desinstitutions scientifiques fran<;aises. Les causes de cette interruption devront etre eclaircies. Le fait demeure ': nous noustrouvons aujourd'hUi au point OU nous etions voici trente ans.

Cependant, les Allemands batissaient la geopolitique; lesRusses adaptaient la pensee de Marx aux necessites geographiques; la France, elle, se perdait ou bien dans l'eruditionvaine et sans but, ou bien dans la geographie generale etsans base.

Ainsi, nous autres chercheurs de 1947, au moment d'aborderl'etude scientifique de la politique fran<;aise, n'avonsd'autreressource que de nous adresser au bon vieux livre precurseur.

QUELQUES PROBLEMES DE METHODE 9

M. Siegfried a ameliore sa methode, ses etudes meridionalesen sont la preuve. "Il ne l'apas renouvelee parce qued'aucun cote une aide specifique ne lui a ete donnee. Ni lasociologie, ni l'economie politique, ni la methodologie philosophique ne lui ont rien apporte qui vaille, ni surtout, belas,la cartographie OU la statistique.

Simiand, doux et tninquille obstine, s'enferrait presquejusqu'it sa mort dans la lumiere brillante de 1900 au lieud'accepter la realite (on narguait la realite comme la guerrequ'on "esperait dettUlte en refusanbd'¥ penser).:Marc Bloch,venu trop tard et trop tot arrete, parlait bien mais n'ecrivaitqu'it peine cet Essai magistral publie it Oslo et que meme laBibliotheque nationale ue possede pas.

De ce fait, M. Siegfried" ne peut pas aujourd'hui parler"un langage tres different'de celui qu'il parlait lors de la publication de son Tableau politique de la France de l'Ouest.

Et ce langage est it peu pres Ie suivant : it considerer lesfaits electoraux dans leur ensemble, ils paraissent confus,desordonnes, eminemment irrationels et peu susceptiblesd'etudes scientifiques. Mais des qu'on tache de proceder it desregroupements, qu'on reclasse en deux tendances fondamentales les variHes des programmes et des etiquettes, tendanceau maintien et tendance au progres, ou si l'on veut utiliserIe langage des couleurs, tendance au blanc, tendaIice au rouge,alors tout s'eclaire et la realite politique manifeste une continuite, une perseverance it toutes sortes de vicissitudes historiques qui marque definitivement les pays et les hommes etdetermine en eux des constantes liees aux plus invariablescaracteres de la geographie : Ie relief, Ie climat, la nature dusol ou la vegetation;

Idee passionnante et qui se verifie, en effet, it chaque experience nouvelle. Qui d'entre nous n'a ete seduit par la lecturede ce texte, ou mieux encore, par l'expose toujours imancequ'en fait Son auteur. Qui ne s'est amuse pour son canton ousa circonscription, ou it propos d'une election ou d'un referendum, itgriffonner une petite carte pour eprouverleplaisir



de voir reapparaitre les donnees fondamentales de la politique frtm<;aise et en commenter les variations de frange?

Mais Ie fait scientifique n'a pas pour but Ie plaisir toujourspret de la confirmation. Refaire cent fois l'experience desvases communicants ou celIe de Torricelli n'ajoute pas uneseule confirmation aux principes qu'elles verifient,et lanaivete des commentaires qu'apres M. Siegfried une multitude de journalistes ont fait de Son principe me fait pensera celIe de ce chef de gare japonais de L'Honorable partie decampagne qui montre avec fierte au noble visiteur etrangercomment on fait partir un train.

Si les sciences de la nature avaient eucette tranquilleassurance, nous en serions encore au « rien ne se perd, rien nese c~ee )) que la theorie atomique ,dent de si brutalem:entcondamner aux yeux de tous. Les sciences de la nature doiventleurs decouvertes au souci des savants de ne pas negliger Iepetit detail qui, dans un ensemble qui parait constant, IJarie. .Ainsi fit Le Verrier. Ainsi pour expliquer un petit fait, unfait minuscule, Einstein a bouleverse un monde et la questionprealable que poserent ses adversaires ne fait que marquerla difference entre la routine et la science creatrice. Cettequestion prealable Hait, en efIet, celle de savoir s'il valaitla peine de se torturer I'espritpour expliquer de si minusculesdifferences entre l'experience prevue et I'experiencereelle.

Cette question prealable est celIe justement a laquelle jevoudrais repondre en ce qui concerne la geographie politique.

Ce qui m'interesse, ce n'est pas de generaliser a la France(a I'Europe et au moude), election apres election, la methodede M. Siegfried. Je laisse ce soin aux bons eIeves, aux espritscultives, soucieux d'un intelligent delassement et je leurgarantis d'avance Ie succes. Qu'ils fassent pour n'importequelle periode I'effort d'abstraction que fit Ie Maitre et ilsaboutiront au resultat que lui~meme a proclame pour la premiere fois en 1913. Ce resultat est acquis, definitivementacquis, mais ce resultat D,e peutcontenter Ie savant car, s'il



explique un aspect de notre nouvelle discipline, il n'en expliquequ'un aspect.

Et nous redisions des Ie debut, il ne suffit pas a justifier;a expliquer cette extraordinaire diversite et·cette apparenteconfusion qui sautent aux yeux (comme disait Simiand) quandon aborde l'etude d'une carte politique, l'etude surtout d'uneevolution politique.

On con~oit aisement que si nous avions voulti nous contenterde la mt;me methode, du mt;me procMe, nous n'aurions pasaujourd'hui a presenter CEl long et ennuyeux article. Maisjustement, nous cherchons autre chose. Et nous demandonsun delai, car il importe de presenter une autre chose qui aitune solidite comparable a ce que nous a presente l'initiateur.Et cela n'est pas aise.

** *On peut faire un Atlas historique de la politique fran<;aise

fonde sur cette idee qu'il y aune psychologie de gauche et unepsychologie de droite. De meme, on peut faire une histoiresociale en affirmant qu'il y a toujours des riches et des pauvres,des puissants et des miserables. De meme, on peut faire unehistoire des idees et des religions sur la notion du bien et dumal.

Mais on peut ne pas accepter cette explication universellecomme suffisante. Elle a un caractere que j'hesiterai d'autantmoins a qualifier de conservateur au sens profond du mot(je veux dire qu'il signifie alors que l'humanite est immuabledans son destin et dans sa vocation), j'hesiterai d'autantmoins done qu'un certain, materialisme' lui aussi a pose cedilemme a travers toute l'histoire economique, et c'est ence sens peut-etre que M. Labrousse a pu feliciter M. Siegfriedde son marxisme.

Mais Ie marxisme a evolue. II n'est plus aujourd'huice qu'lletait voici un siecle; c'est que l'etude qu'il comportait desfaits et des principes a ete plus vigoureusement poussee qu'enaucun autre domaine.


** *Ce qui nous interesse, ce n'est pas Ie fait que telle region

vote blanc, telle autre rouge, c'est de savoir pourquoi. Lamethode actuelle me fait .cette reponse : Ie programme politique ne joue qu'un role infime, la nature du terrain un rolepreponderant; j'en doute.

La reponse quia pulvis es peut satisfaire un moraliste desabuse, elle ne peut satisfaire un chercheur. J'ajoute qu'ellen'est pas vraie en ce sens qu'elle ne correspond pas it la veritehumaine vivante, mais seulement it une verite abstraite etconventionnelle. Car, bien entendu, l'electeur interroge nerepondra jamais qu'il vote conservateur parce que sa fermeest en terrain granitique. Or, Ie sentiment qu'exprime (m~me

encore) l'electeur est-il moins important que la realite geologique de son sol na~al ? Au nom de quel materialisme premarxiste ou pseudomarxiste allons-nous sacrifier Ie premierit la seconde? Dira-t-on qu'inconsciemment, l'electeur subitl'influence de son sol, it travers 1'0rganisation sociale? maisque cette influence reste decisive? Cette affirmation est denature metaphysique1 La continuite decouverte dans Ie passen'est, en matiere d'homme, nullement garantie pour l'avenir.Il est possible qu'une petite exception jugee negligeable etsystematiquement ecartee lors de la constitution des enquetessoit justement l'annonce d'une transformation de demainqu'ons'interdit de prevoir. Je raisonne en hypothese, maisje cherche.

Alors, si lions ecartons cette position metaphysique, quelleposition prendre? Precisement, nous y voici : il ne faut prendredans l'observation des faits aucune position.

Voyons bien comment les choses se passent en realite.L'observateur, par souci realiste de simplification, negligetel detail, resume et grossit, generalise. L'approximationqu'il recherche lui paralt honnetement suffisante. Toujoursdans ·le meme esprit, il regroupe en tendances. Le fait-il parsouci de metaphysique? Nullement, son intention n'est que



d'etre clair.:Etre clair: menace qui a si bien pese sur les scienceshumaines qu'elles sont devenues Ie refuge des discours academiques. :Etre clair paraissait si bien l'oppose de toutes metaphysiques que celles-ci, par souci de ne pas paraitre atteintespar Ie septicisme qui accompagnait la clarte, se sont ingenieesit torturer la langue pour paraitre profondes. Le malheurest que la metaphysique obscure etait un pretexte it ne paspenser, un jeu affecte de vocabulaire ~ependaIit que la clartequi ne veut etre metaphysique, l'est pourtant sans Ie savoircomme la prose de M. Jourdain.

C'est Ie moment de rappeler avec Descartes que, enmatiere scientifique, toute revue doit etre generale. Nousn'avons Ie droit de rien dedaigner sous peine de, faire disparaitre Ie progres scientifique. Nous l'avons indique pour lessciences physiques. Nous devons souligner que l'effet de cetteerreur contre la methode a eu de plus grandes repercussionsencore sur la geographie politique, car celle-ci s'est interditde nous expliquer la difference entre Ie bonapartisme et Ieradicalisme, par exemple, et que la geographie electoraleactuelle eclaire tout mais ne nous apporte aucune IUmleresur l'essentiel : les variations des mentalites politiques et lesrapports avec les variations de regime.

Ainsi, Ie projet d'Atlas de M. Siegfried ne comporte pasl'election de 48 (il commencerait en 49) parce que 48 est uneannee d'unanimitt';. On ne peut ici definir droite et gauche.Le resultat est que Ie savant qui, voulant saisir it l'etat naissant la psychologie de l'electeur de suffrage universel (et noussavons tous, chercheurs de sciences humaines, it quel pointcet etat nai$sanf est d'uninteret primordial) ne trouvera danscet atlas complet rien qui l'ai.de en s~m travail.

Et cela au nom de cette question de principe que seulel'opposition droite-gauche, blanc-rouge, est interessante. Jene veux pas paraitre I'homme des perpetuelles et paradoxalescritiques, mais j'ai Ie sentiment qu'au contraire cette electionde 48 doit etre une des plus interessantes it l'etude car sondetail rendra la reaction de tous les cantons de France it !'idee.

SOCIOLOGIE ELECTORALE. 2


encore tres depouillee de tout contenu pratique, de republique.

Par un singulier paradoxe, c'est la methode qui nous affirmeque Ie programme importe peu, qui neglige la seule electionqui se soit faite sans programme.

Dans Ie meme ordre d'idee, il n'est pas douteux que, detoutes les eLections de la fin du xvme, c'est la premiere qui, ajuste titre, a ete la plus etudiee car c'est de beaucoup la plusutile a l'histoire. Elle apporte une vue g{merale de la France,les autres n'apporteront plus que des reactions et des programmes.

Donc mefions-nous de la position metaphysique qui s'ignore;mefions-nous de cette clarte trop systematiquement chercheequi voile la verite et nous impose un dogme. Tout dogmeeclaire ainsi la conscience du croyant. II simplifie lui aussiet apporte de claires reponses aux plus singulieres questions.Nous preferons la verite a la clarte.

Ce qu'en definitive on opposera a notre desir de veritetotale ce sont des raisons terriblement pratiques: il est plusdifficile de faire une carte de la verite mouvante et diverseet immensement fragmentee que des tendances simplifieeset regroupees. II est plus facile de dessiner un canton rougeet un canton blanc que de dessiner la variete reelle des votes.

Je reponds d'abord ceci. Si mes instruments ne suffisentpas a mQn etude, c'est a la perfection de 4es instruments queje travaillerai d'abord. Mais je me refuse a accepter un postulat qui trahit la verite a cause de la mediocrite de mon

" instrument.Le probfeme n'est pas. de savoir quelle simplification il taut

apporter a fa realite pour qu'elle soil cartographiabfe; if est desavoir quef pertectionnement if taut apporter a fa cartographiepour qu'elle puisse exprimer fa realite.

Je tiens a cette proposition avec autant de fermete queDescartes tenait a une proposition que les invraisemblablessuppositions des sceptiques ne pouvaient ebranler.. Je ne me sensabsolument pas pret a faire de la fausse



metaphysique parce que c'est commode; par principe, jecritique, comme Descartes.

Cette rigueur, il faut Ie reconnaitre, ne facilite pas beaucouples realisations pratiques. Elle ne rend ni les exposestres clairs, ni les reflexions simples, ni les elabprations rapides;et peut-etre aurais-je renonce a attaquer de front toutes lessections des sciences humaines si je n'etais pas assure qu'ilreste, en dehors de mon ecole, beaucoup d'hommes qui, Dieumerci, ont des soucis moins exigeants. Mais je pense que simon projet signifiait deja que de la methode dependent nosconclusions, que tout naturellement, comme j'ai pu dejal'ecrire, Ie chercheur trouve dans ces conclusions Ie pastulatqu'il a inconsciemment introduit dans sa methode, je n'auraipas perdu mon temps.

Ainsi l'observateur qui, pour representer plus aisementun faiteIectoral Ie simplifie en opposition droite-gaucheetdeclare ensuite que cette opposition est un fait permanentde la vie politique fran<;aise me fait penser aun physicien qui,se contentant d'une mediocre machine pneumatique pouretudier Ie vide affirmerait qu'il reste toujoJrs dans l'espacedes traces d'oxygene et d'azote. .

Tout representer est donc pour commencer notre pastulatinitial; et tout representer concretement, car Ie plus petitdebut d'abstraction suppose une orientation metaphysique.

Et ceci suppose deux choses : tout savoir - et pouvoir Iemontrer. '

** *Tout savoir d'ufi sujet, ou plutot ici d'une surface geogra

phique, suppose qu'on ne se hasardera pas a trop embrasser~

II faut renoncer pour Ie debut a envisager la France entiere,ou meme une circonscription tout entiere. Un petit groupede communes s~ra d'abord amplement suffisant, assezgrand pour que des phenomenes d'ensemble se degagent,assez petit pour que chaque homme puisse avoir sa part denos preoccupations.


· .....

16 SOCIOLOGIE ELE;CTORALE

Chaque homme, dira-,t-on I queUe aventure. Etudierez-voustous les Frant;ais de 48 a nos jours? Millenaires a myriadesde benedietins I

Bien evidemment des simplifications dans l'etude et l'exposede ces resultats seront necessaires. Mais ces simplificationsne doivent pas etre dominees par des considerations etrangeresau fait meme etudie. Elles doivent se degager d'une etudetotale des conditions concretes de la vie politique. Je ne mesentirai en securite que lorsque cette etude totale aura etefaite, une ou plusieurs fois. Par la suite, on. acceptera, enconnaissance de cause, des postulats necessaires a la reussitematerielle d'un Atlas.

Au moins saura-t-on ce que ce sont ces postu~ats et en tiendrons-nous compte dans l'exploitation des conclusions. Aumoins saura-t-on a quel point il faut reprendre Ie travail si unde nos postulats se revele mal choisi. On fera consciemmentla stylisation faite trop souvent inconsciemment. .

Cette premiere etude detaillee et concrete que je voisnecessaire ne sera donc pas l'ebarrche d'un travaIl generalise;ce sera l'experience d'ou. se degageront des principes de travail.Ces principes ainsi auront une justification plus solide ques'ils etaient purement et simpl~ment tires de considerationssur l'etat actuel de la cartographie.

Bien entendu, degager des regles de simplification entrainera une prise de position metaphysique et nous aurons Iaencore une methodologie a ecrire qu'il faudra modifier au gredes decouvertes de l'esprit. Notre Atlas, une fois acheve,ne vaudra pas pour l'eternite. Mais pouvons-nous pretendreepuiser d'un coup la science nouvelle que M. Siegfried aproposee voici trente ans? D'autres cherchetus reformerontce que nous auronspropose. Ce qui importe surtout c' est dene pas nous contenter d'un provisoire insuffisant sous pretexte que tout est provisoire. Car c'est cette attitude memequi est contraire a l'esprit scientifique. Elle eut maintenuJ'humanite au stade des cavernes.

Concluons: c'est precisement parce que l'reuvre d'initiateur


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AT{NALESÉcoNoMrEs - socrÉTÉs clvlLlsAlroNs

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G. LEFEBVRE

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