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POLITIQUEAFRICAINEDirecceur de la publicacion : Alain DUBRESSON.
Rédaccion: Centre d'étude d'Afrique noire Domaine Universitaire - B.P. 101 - 33405Talence. Tél. : 56.80.60.57.Rédacceur en chef: Alain RICARD.Responsables de rubriques: Robert BUIJTENHUIJS(Magazine), Hélène DUFAU (Chronique scientifique), René OTAYEK (Chronique bibliographique).
Secrécariac sous la responsabilité de FrançoiseMAURIAC et Marie-France MALASSIGNÉ.
Comité scientifique: R. BUIJTENHUIJS(Afrika-Studiecentrum, Leiden), F.CONSTANTIN (CREPAO, Université de Pau etdes pays de l'Adour), G. COURADE (MSA,ORSTOM), E. LE BRIS (ORSTOM), E. LERoy (LAJP, Université Paris 1), R. OTAYEK(CEAN-CNRS).
Membres de l'Association des chercheursde politique africaine: D. BACH (CEANCNRS), J.-L. BALANS (lEP-Bordeaux), J.-c.BARBIER (ORS TOM), J.-F. BAYART (CERICNRS), R. BUIJTENHUIJS (Africa-Studiecentmm, Leiden), J. COPANS (École des hautesétudes en sciences sociales), G. COURADE(MSA, ORS TOM), F. CONSTANTIN (CREPAO, Université de Pau et des pays de l'Adour),B. CONTAMIN (IUT-Bayonne), B. CROUSSE(Fondation universitaire luxembourgeoise,Arlon), D. DAR BON (lEP-Bordeaux), C.DESOUCHES (Université Paris 1), Z. DRAMANIISSIFOU, A. DUBRESSON (Université Paris X),Y.A. FAuRE (lEP-Bordeaux), P. GESCHIERE(Université Érasme de Rotterdam), H.GUILLAUME (ORS TOM), G. HESSELING(Afrika-Studiecentrum),P. LABAZÉE (ORSTOM), Z. LAIDI (CE,RI-CNRS), É. LE BRIS(MAS, ORSTOM), E. LE Roy (LAJP, Université Paris 1), A,"'MBEM,&E (Columbia University), J.-F. MÉDÙD(l'Ê'P-Bordeaux), B.
MOURALIS (Université de Lille), M.NGALASSO (Université Bordeaux III), R.OTAYEK (CEAN -CNRS), C. RAYNAUT(CNRS), A. RICARD (CNRS), C. SAVONNETGUYOT (Université Paris VIII), C.M.TouLABoR.
La revue Politique africaine est publiée parl'Association des chercheurs de politique africaine (président: Alain DUBRESSON ; secrétairegénéral: Robert BUIJTENHUIJS; trésorier:Dominique DARBON).Avec le soutien du Centre d'études et derecherches internationales (Fondation nationale des sciences politiques), du Centre derecherches et d'études sur les pays d'Afriqueorientale (Université de Pau et des pays del'Adour), du Centre d'étude d'Afrique noire(Institut d'études politiques de Bordeaux) etde la Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine ; et avec le concours du Centre nationalde la recherche scientifique et du Centre national des lettres.Les opinions émises n'engagent que leursauteurs. La revue n'est pas responsable desmanuscrits qui lui sont confiés.
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Commission pan'caire Tf' 63405.
Le numéro: 75 FF.
POLITIQUE AFRICAINE 34 Juin 1989 ISSN 0244-7827
,#
Etats et sociétés nomadesAndré Bourgeot
et Henri Guillaume
M'Hamed Boukhobza
André BourgeotSalmana Cissê
John G. Galaty
Aden M. Dilleyta
Emmanuel Fauroux
Henri Guillaume
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1930
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5163
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Des nomades en devenir?
Société nomade et État en Algérie
Le lion et la gazelle: États et TouaregsPratiques de sédentarité et nomadisme auMali. Réalité sociologique ou sloganpolitique?
Pastoralisme, sédentarisation et État enAfrique de l'Est
Les Afars: la fin du nomadisme
Bœufs et pouvoirs: les éleveurs du sudouest et de l'ouest malgaches
«L'État sauvage... ~ : Pygmées et forêtsd'Afrique centrale
DOCUMENT_________JKe1 Taddak 83« Le chez soi pour nous, c'est l'eau ~
PISTES
Bernard Ganneet E.K. Ilboudo 89
L'an:é?agement urbain à l'épreuve duquotidien
MAGAZINE
Jean Philippe
Jean-Pascal Daloz
François Constantin
René Otayek
Françoise Raison-Jourde
Filip Reyntiens
Cyprian F. Fisiy
103109111115
119121
127
Le Nigeria au milieu du gué
De l'importance des calendriers
Massacres à la tronçonneuse
Les études africaines en République fédérale d'Allemagne
Tabataba
Cooptation politique à l'envers: les législatives de 1988 au Rwanda
La sorcellerie au banc des accusés
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
Émile Le Briset Christian Coulon 133 Les noces d'or de l'IFAN
François Constantin 136 Informations
LA REVUE DES LIVRES
Collectif 141 Notes de lecture
Résumés 155 Abstracts
AVANT-PROPOS
Des nomades en devenir? ..
DANS de très nombreuses cultures) les sociétés nomades sontPobjet d'une vision dévalorisante reproduite de génération engénération. Elles sont présentées comme résiduelles et connotées
par des caractéristiques négatives: errance) laxisme) prédation... Or cessociétés ont joué un rôle important dans l'histoire des sociétés humaines et notamment dans l'histoire de l'Afrique: place dans l'évolutiondes techniques et des formes d'exploitation des espaces (chasse-collecte)pastoralisme) élevage) agropastoralisme) j rôle économique) politique etrqligieux (commerce transsaharien) formation de pouvoirs centralisés Etats sahélo-soudaniens et djihad peuls, émirats maures) (( confédérations» touarègues - dlffusion de l'islam...).
A l'encontre du large éventail d'idées reçues) le nomadisme s'illustre par une très grande diversité: des activités de production et desmilieux écologiques dans lesquels elles s'exercent)· des systèmes sociauxet économiques (rapports hiérarchiques prononcés)' Touaregs à forte tendance égalitaire - Pygmées).
Mais par delà ces diversités) les sociétés nomades présentent des traitscommuns constitutifs de leur originalité mais aussi de leur marginalité: systèmes de mobilité et de flexibilit~ confrontations aux expansions coloniales marquées par les contacts avec les sociétés européennes)période charnière) à partir du xx' siècle) dans leur évolution.
Génératn'ces d'un nouveau système économique introduisant la logiquecapitaliste) les sociétés européennes ont fondé leurs actions sur la conquête qui visait à contrôler le commerce et à exploiter des ressourcesnaturelles jusque-là peu ou prou utilisées par les populations locales.Ce contrôle passait par celui des populations elles-mêmes (impôt) recensement) introduction de l'agriculture) scolarisation) action sanitaire) j
mais leurs modes de vie) leurs capacités de déplacement rendaient cecontrôle plus aléatoire que dans le cas des sociétés sédentaires. Ces pra-
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AVANT-PROPOS
tiques coloniales ont trouvé leur justification morale dans la missioncivilisatrice que s'est donnée l'Occident dont le système de valeurs devientun référent implicite et permanent.
L'instauration du pouvoir colonial dans les sociétés nomades a oblitéré ou entravé leurs dynamiques internes à travers notamment: l'élargissement ou l'introduction de nouvelles activités économiques et les transformations successives des structures foncières j la désorganisation despouvoirs établis tant au niveau des structures politiques internes qu'àcelui des rapports de force inter-ethniques qui s'exerçaient sur d'autressociétés nomades ou sur des sociétés agricoles j l'instauration de frontières administratives encore relativement souples et perméables au seindes empires coloniaux, mais plus rigides pour celles qui les délimitaient.L'ensemble de ces pratiques visait à réduire, dissiper ou éliminer lesrésistances à l'implantation coloniale afin de mettre en place les ramifications des structures étatiques.
La crise du nomadisme, bien amorcée à l'époque coloniale, s'est accélérée dans les contextes des États-nations contemporains.
Qu'en est-il aujourd'hui de ces sociétés dont l'actualité n'émerge qu'àla faveur de conflits armés frontaliers, de sécheresses et de famines?Quels peuvent être les devenirs d'environ 30 millions d'individus pratiquant pour la plupart le pastoralisme nomade?
L'ensemble des textes de ce dossier met en relie! des situations decrise et de déstructuration. Les nomades dans les Etats-nations voientleurs territoires mutilés par la multiplication et la rigidification de frontières, remaniés par le développement et la diverstfication des formesd'utilisation du milieu naturel (extension de l'agriculture, prospectionet exploitation des ressources minières et forestières...) et de gestion del'espace (ranches, coopératives, unités et codes pastoraux...) ainsi quepar les aménagements d'infrastructures et l'essor du tourisme. Ces facteurs conduisent à une compétition sur le foncier pouvant débouchersur des affrontements physiques. Ces enjeux recouvrent souvent desaspects raciaux qui peuvent être constituttfs de rapports de force politiques nationaux ou internationaux, sources de conflits meurtriers commeen témoignent les événements récents survenus entre le Sénégal et laMauritanie.
Cette remise en cause des territoires, accompagnée d'un relâchementdes liens sociaux, a largement contribué à perturber l'équilibre souventprécaire des écosystèmes. Dans ces conditions, les capacités de ces soctëtésà répondre aux aléas divers (climats, épizooties, acridiens...) ont étéconsidérablement réduites (dernières sécheresses de 1969-1973 et1984-1986). Ces mutations ont provoqué l'introduction des rapports salariaux et monétaires. Désormais, aucune société nomade n'échappe, àdes degrés divers, aux normes de la rentabilité des sociétés industrielles. Mais il y a généralement peu d'investissements dans le foncier et/oudans l'immobilier et dans ce contexte de ré-orientation des finalités dela production, le comportement des éleveurs révèle l'imbrication de deux
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AVANT-PROPOS
rationalités économiques. Celles-ci combinent la production marchande(viande, produits laitiers, laine - incluant les exportations) à IJutilisation du bétail à des fins de stockage (réserves) associé à des valeurssociales de prestige. De nombreux exemples montrent que les éleveurssJinsérent dans les réseaux marchands en fonction dJintérêtsconjoncturaux.
Les situations actuelles se caractén'sent par un tissu dJinteractionsqui combinent les politiques étatiques aux stratégies économiques et politiques des sociétés nomades dont les finalités renvoient souvent fondamentalement à leurs propres intérêts. Pourtant en dépit de leurs capacités dJadaptation et de flexibilité, des pans entiers de la société peuvent disparaître (A. Bourgeot).
Une situation particulièrement originale concerne le détournementdes pratiques de vols de bétail à Madagascar (E. Fauroux). Comptetenu des carences de IJÉtat et des besoins nationaux en viande, les volsprennent en certaines périodes une ampleur considérable, sJinstitutionnalisent et deviennent des éléments constitutifs du marché économique,allant même jusquJà mettre en péril IJexistence des troupeaux.
Les sociétés nomades sJinscrivent aujourdJhui dans des réseaux économiques et politiques de plus en plus vastes qui accentuent leur dépendance face à leurs États-nations et aux rapports inter-étatiques dominés par les rapports entre pays industrialisés et pays du Tiers-monde.
Quelles sont les politiques qui sous-tendent ces évolutions? La sédentarisation est mise en relief par tous les textes. La nécessité pour IJÉtatdu contrôle sur les individus est confortée par les représentations dominantes qui assimilent les sociétés nomades et leurs environnements naturels à des (( Barbaries» (H. Guillaume).
Les processus multiples de sédentarisation vont des (( actes de sédentarité» (S. Cissé) avec pour objectif le retour au nomadisme, à desformes achevées (M. Boukhobza). Accélérées à ~a faveur de périodescritiques (sécheresses, guerres...), les politiques des Etats prônent la sédentan'sation comme seule réponse possible au nomadisme en crise. Or le(( dilemme pastoral» sJexplique plus par la sédentarisation que par lenomadisme (J. Galaty). Ces politiques, unilatérales, ignorent les potentialités régionales, les intérêts et désirs des populations (M.A. Dilleyta,E. Fauroux). L'extension de la sédentarisation (développement de IJagriculture, camps de la famine, déplacements de population...) par le biaisde politiques implicites ou explicites émane directement des autoritésétatiques, ou dJinstitutions internationales et dJONG, y compris parle relais dJONG nationales (S. Cissé).
Toutefois, en fonction des orientations politiques des États et deleur puissance, les projets de sédentarisation peuvent nJêtre quJun desaspects des transformations qui touchent IJensemble des structures socialeset politiques de ces sociétés (M. Boukhobza).
Les États développent des stratégies qui visent IJintégration économique, politique et culturelle et peuvent aboutir à IJassimilation. En
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AVANT-PROPOS
fonction de leurs forces et des enjeux constitués par ces sociétés, les Étatspeuvent s'appuyer sur des individus issus du milieu nomade, participant ainsi à la constitution d'une élite et d'une classe politiques(A. Bourgeot).
Contrôle, sédentarisation, intégration conduisent à des phénomènesde prolétarisation, de paupérisation, d'exode avec formation de bidonvilles. Nombre de nomades deviennent alors des « assistés» dépendantde l'aide internationale ou de familles urbanisées bénéficiant d'occupations rémunérées (A.M. Dilleyta). Ces nouvelles situations peuvent engendrer des processus d'autonomisation de la culture, celle-ci étant récupérée par les États sous des formes folklorisées ou transformée en culture marchande.
Dans ces conditions, quels sont les devenirs potentiels des sociétésnomades?
Par-delà les cas particuliers d'aléas divers, les nomades assurent unepart non négligeable de leur auto-suffisance alimentaire, mot d'ordreprôné par tous les décideurs politiques. Leurs activités peuvent encorecontribuer aux équilibres économiques nationaux et constituer une forcesusceptible de pondérer les mécanismes de dépendance.
Accélérer leur disparition ou leur transformation radicale reviendrait alors à précipiter des processus globaux de déséquilibres (H.Guillaume).
De surcroît, à l'encontre des idées reçues, le nomadisme, notam- .ment sous sa forme pastorale, demeure le meilleur garant contre ladégradation de l'environnement et la désertisation. En effet, ses techniques d'exploitation des ressources naturelles, ses capacités d'occupation humaine et animale de l'espace, témoignent de leur adéquationaux contraintes des zones arides, semi-arides et forestières (J. Galaty).
En fait, les politiques unilatérales qui touchent les sociétés nomades, posent avec acuité le bien10ndé des types de développeme1}t actuels.Leur devenir, mais aussi les conditions d'indépendance des Etats, passent par d'autres stratégies de développement.
A.B.-H.G..
Dossier thématique établi par André Bourgeat et Henri Guillaume
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à l'ordre des Presses du CNRS
[J Mandat-lettre
M. BOUKHOBZA
Société nomade et État en Algérie
LES relations entre la société nomade (1) et les pouvoirspublics présentent en Algérie une histoire particulière dontun bref rappel des grands moments paraît nécessaire pour
comprendre la situation actuelle. .Il est en effet difficile de parler des sociétés nomades et de leur
évolution indépendamment du long processus de déstructuration etde destruction de tous les supports du nomadisme, consécutif auchoc violent du fait colonial.
Très schématiquement, on peut dire que les modes de vienomade (2) et semi-nomade prédominaient en Algérie à la veille deson occupation. Celle-ci ne pouvait renforcer ses assises politiqueet matérielle qu'en détruisant ces modes de vie dont l'existence économique, socioculturelle, voire politique s'organisait sur ce qui allaitdevenir, dans une très large mesure, les terres de la colonisation.
L'agropastoralisme semi-nomade ou Il nomadisme humide Il (3)du Tell a été complètement détruit à la fin du siècle dernier. LeIl nomadisme sec» des Hauts-Plateaux steppiques s'est trouvé progressivement coupé de sa zone de mouvance traditionnelle dans lenord du pays.
La pauvreté des terres et le caractère aléatoire du climat ontdissuadé l'administration coloniale d'initier le développement d'uneagriculture moderne. L'activité alfatière, seule richesse exploitablesans investissement significatif, a constitué le cadre d'interventionprivilégié de la colonisation. Il s'ensuit que durant toute la périodecoloniale, les relations entre l'administration et les nomades étaientanimées par une concurrence conflictuelle dont l'enjeu était l'utilisation d'un même espace. Cette concurrence a donné lieu à l'éli-.mination des communautés nomades du nord du pays et à leur cantonnement dans la steppe et le sud.
En 1962, lors du recouvrement de l'indépendance, le nomadismeen Algérie revêtait deux formes principales.
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ALGERIE
La premlere, la plus significative, qui couvrait et qui couvreencore la steppe (nomadisme sec), a vu son amplitude de déplacement relativement réduite et consistait en un agropastoralisme extensif avorté. Ce type de nomadisme, profondément rongé par plusieurs décennies d'une crise latente, était inexorablement voué à unedisparition progressive.
La seconde forme correspondait au nomadisme saharien (nomadisme aride). Elle présentait encore une certaine vitalité en dépitde signes de désorganisation chronique face à une économie de marché triomphante.
La société nomade à l'indépendance
Il faut préciser que le développement de la colonisation sur leshautes plaines céréalières a entraîné une coupure quasi définitivedes échanges entre les éleveurs de la steppe et la partie nord dupays. Il en a résulté trois conséquences majeures.
En premier lieu, l'impulsion de l'activité agricole et son extension générale sur les terres réservées jusqu'alors exclusivement aupâturage. Cette évolution constitue une réaction des éleveurs pourtenter d'assurer leur survie, en produisant sur leurs propres airesde parcours les céréales nécessaires à leurs besoins. Il est bien évident qu'en raison du caractère aléatoire du climat et de la fragilitédes sols, pour ne citer que ces deux contraintes, la steppe ne pouvait produire suffisamment et régulièrement les quantités de céréales nécessaires. C'est ainsi que plus d'un million d'hectares dans cettezone du pays ont été soumis au soc, réduisant d'autant les superficies des bonnes terres de parcours et obligeant les agropasteurs àréviser complètement leurs habitudes de déplacement. Une relativesédentarisation a progressivement remplacé le mouvement plus oumoins pendulaire nord/sud qui a toujours caractérisé leur activité.
En second lieu, un séjour prolongé des troupeaux sur les terres steppiques a entrainé leur surexploitation et finalement leurdésertification progressive.
(1) En raison de l'approche développéedans les analyses qui suivent, il nous a semblé plus à propos de considérer les communautés nomades comme animées fondamentalement par la même contrainte et la m~me
logique dans les rapports qui les lient à l'Etatmoderne. C'est dans ce sens que l'utilisationdu singulier se justifie.
Il est évident que les communautésnomades appréhendées de l'intérieur (moded'organisation sociale, rapports au sol, valeursculturelles, exercice et reproduction du pouvoir, type d'élevage, cycles migratoires...) présentent des différences parfois très importan-
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tes montrant que le nomadisme est un modede vie d'une extrême richesse. Dans ceneperspective, parler de sociétés nomades (aupluriel) serait plus indiqué.
(2) Le mode de vie nomade, à la veillede la colonisation, embrassait pratiquementtoute l'Algérie; il se manifestait sous des formes différentes allant du grand nomadismesaharien (Rguibat, de la région de Tindouf)au semi-nomadisme à vocation agropastoraledu Tell.
(3) M. Boukhobza, L'agropastoralisme traditionnel en Algérie, Alger, OPU, 1982,458 pages.
M. BOUKHOBZA
En troisième et dernier lieu, un accroissement inconsidéré dela taille du cheptel a rompu définitivement l'équilibre écologiqueen vigueur. A titre d'illustration, la taille du cheptel steppique,qui oscillait autour de trois millions de têtes au début de la colonisation, était probablement au moins trois fois plus élevée quelques années après l'indépendance. Il faut signaler qu'un tel accroissement était favorisé par la politique d'exportation massive versla France, initiée dès la fin du XIX- siècle (un million de têtesannuellement en moyenne) ainsi que par le développement de lalogique de l'économie de marché au cœur de l'économie pastorale.
Par ailleurs, à peine sorti de la sécheresse terrible des années1944-1947, le pastoralisme a été de nouveau durement éprouvé aucours de la guerre de libération nationale (1954-1962). Non seulement le troupeau a subi des destructions massives pour diversesraisons, mais on a également assisté durant cette période à l'accélération du rythme de sédentarisation de tous ceux qui disposaientde suffisamment de moyens pour mener une vie décente. Ainsi doncla société nomade connaissait, à la veille de l'indépendance, un étatéconomique et socioculturel particulièrement déstructuré.
Néanmoins, le niveau atteint par le processus de déstructuration était inégal d'une partie à l'autre du pays, en raison del'ampleur diffèrenciée de la répression subie par les éleveurs nomadeslors de la décennie qui a précédé l'indépendance.
Au début des années soixante, le poids démographique des nomades était relativement significatif, puisqu'il oscillait autour de600 000 personnes. La majeure partie de cette population était situéedans l'Algérie centrale, c'est-à-dire les Hauts-Plateaux steppiques.Au plan économique, cette région concentrait plus des deux-tiersdu troupeau ovin du pays. Quant au sud, son poids dans l'élevageétait relativement faible, si l'on en exclut la production cameline (4).
Dès lors, la domination du fait nomade dans la production ovineaurait dû logiquement conduire à initier une politique active visà-vis de cette forme d'organisation de la société. En fait, la seuleaction de l'État à l'égard du nomadisme a eu lieu incidemment àl'occasion de la mise en œuvre de la révolution agraire (5).
Nomades et pouvoir
Un autre aspect relatif à la situation de la société nomade, plusparticulièrement celle de la steppe, concerne ses caractéristiques
(4) L'élevage camelin ne présentait plus populations.l'intérêt stratégique qu'il avait jadis dans les (5) Cf. infra.échanges et dans le déplacement des
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ALGERIE
socioéconomiques. En effet, il était important de savoir si à la vieillede l'indépendance, l'État algérien allait être confronté à une sociétéorganisée, structurée, consciente de ses intérêts spécifIques ou, aucontraire, s'il allait se trouver en présence d'une poussière d'individus ou de familles, à l'égard desquels il serait difficile de définirune politique active prenant en charge les différents intérêts et contraintes exprimés. Nous pouvons à ce sujet relever un certain nombre de facteurs importants qui ont participé à la lente érosion dela société nomade, situation plus ou moins inconsciemment occultée par les pouvoirs publics.
Parmi ces facteurs, il faut accorder une place essentielle à ladécapitation de la société nomade de ses élites et à la concentration du troupeau, consécutive à la soumission de la société pastorale à la logique du marché. Cette concentration a entraîné, entreautres, la paupérisation partielle ou totale d'un nombre toujours plusimportant de pasteurs, la rupture de l'équilibre économique entreles capacités du milieu écologique et les besoins croissants de lapopulation nomade et enfin un transfert progressif de la possession du troupeau et donc des terres de pacage au profit des éleveurs sédentaires.
Dans les zones à présence nomade significative, les relations entreles pouvoirs publics et les nomades ont toujours été empreintesd'une contestation latente et réciproque. Il faut préciser à ce sujetque cette région du pays (Hauts-Plateaux-Sud) a été jusqu'à la findu XIX· siècle sous l'emprise totale du nomadisme. Celui-ci concernait les 9/10 de la population et dominait directement ou nontoutes les activités économiques.
L'encadrement administratif d'une population mobile et tout àfait hostile à toute forme de sujétion s'est imposé comme un impératif absolu à l'administration coloniale. D'où l'insertion de la sociéténomade dans un réseau de commandement caïdal aussi dense quedestructeur.
Toute contestation de la part des élites nomades était durementet parfois violemment étouffée. Or ce réseau de commandement,généralement issu des tribus influentes, a fini par se trouver coupéde ses bases sociologiques. Les principaux hommes riches en moyenset en influence (Alyan) ont fini par se sédentariser et donc abandonner progressivement leur milieu social et le mode de vie quien était le support.
De ce fait, le nomadisme a été pratiquement dépourvu d'uneélite représentative de ses intérêts spécifiques. Plus grave encore,ces élites en se sédentarisant se sont progressivement désolidariséesde leur milieu d'origine, à l'exclusion de relations à finalité utilitaire, d'ordre essentiellement économique. L'Algérie indépendantea hérité de cette situation et, de par la politique nouvelle instituéeen direction des collectivités locales, l'a démesurément amplifiée.
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M. BOUKHOBZA
En effet, si le caïdat (6) a été supprimé dans les zones à dominante nomade, l'organisation territoriale nouvelle, formalisée et institutionnalisée en 1967, a enserré le pays, d'une manière indifférenciée, dans un système de représentation électif moderne qui évacue toute référence à la société nomade. La commune remplace lestribus constitutives d'une entité ,nomade, l'Assemblée populaire communale remplace la Djamaa (7), et le président de l'Assemblée populaire communale le caïd.
La différence fondamentale entre les deux systèmes réside dansle fait que si durant la période coloniale, tous les responsables étaientdésignés, souvent imposés à la tribu, dans le système postindépendance, la nomination des responsables a lieu par voie électorale. Dans la réalité et du point de vue de l'intérêt de la sociéténomade, cette démocratisation ne se traduit pas nécessairement parune prise en charge de ses spécificités, notamment celles liées àses conditions d'existence. Les nomades constituent, à l'instar dessédentaires, un enjeu électoral pour ceux qui sont appelés à lesadministrer.
Les candidats aux élections ne sont représentatifs a priori nides clivages tribaux ni des clivages liés à l'appartenance sociale. Cesont des affinités de nature politique qui sont privilégiées. Dansune commune cohabitent en général plusieurs tribus ou fragmentsde tribus, souvent démographiquement minoritaires, et des sédentaires. Par la force des règles de la démocratie, les élus doiventleur promotion aux voix des sédentaires, même s'ils ont fait partie, eux ou leurs ascendants, de l'élite nomade.
Dès l<)rs, le système d'encadrement politique, administratif initié par l'Etat algérien, même s'il ne présentait aucune analogie avecles pratiques antérieures, n'a jamais été mû par un souci explicitede prendre en charge les contraintes des spécificités de la vienomade. Une telle situation procède de l'approche idéologique dupouvoir politique sur la manière de gérer la société. La communeest conçue comme la cellule de base de l'organisation administrative. Il n'y a pas d'entités infracommunales. Dans ces conditions,aucune référence à la composition sociale de la commune n'est politiquement concevable.
Au plan organisationnel, on est en présence de deux modèles.Le premier est lié à l'État ou à l'administration, le second relèvede l'encadrement politique (8). Dans l'un comme l'autre, il n'est
(6) Système d'exercice du pouvoir sur lestribus initié par l'administration coloniale etqui consistait à accorder des pouvoirs de contrôle de police, de prélèvement fiscal, d'administration... à des chefs autochtones nomméset révoqués (caïd).
(7) Assemblée de notables ayant un rôleconsultatif.
(8) La restauration de l'État algérien adonné lieu à une imbrication systématiquede l'administration et de l'appareil du partiau pouvoir; il en a résulté un doubleencadrement.
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pas question de structure socioéconomique ou politique prenant encharge les contraintes du nomadisme. La société nomade est doncdissoute dans la communauté nationale et est soumise à toutes lesrègles et dispositions générales destinées à l'encadrer, la gérer, l'organiser ou la promouvoir.
La première de ces conséquences, et sans doute la plus décisive, est le double transfert des troupeaux et donc de l'exploitationdes parcours au profit de sédentaires.
L'élite nomade s'étant progressivement installée en ville, la concentration du troupeau s'est d'abord réalisée au profit de cette élite.Cette concentration a engendré un processus de paupérisation etde salarisation remettant en cause les fondements des valeurs liéesau nomadisme. Il en résulta fatalement l'apparition et le développement d'une nouvelle vision du monde et des rapports sociauxqui l'organisent.
Ainsi en 1966, le salariat avait déjà largement pénétré la sociéténomade. En 1977, on a dénombré 55000 salariés contre37000 éleveurs. En 1987, le niveau de salarisation avait encore sensiblement augmenté.
La concentration se traduit également par une dépossession despasteurs de leurs terrains de parcours traditionnels.
En laminant systématiquement toute capacité économique et culturelle de résistance, la colonisation a fragilisé le système de normes et de valeurs autour duquel s'organisait la vie nomade. Ainsi,l'administration des nomades par un pouvoir ou une administration sédentaire ne pouvait structurer les relations liant les pasteursentre eux et avec l'extérieur, qu'au travers d'une logique où lesintérêts de la société nomade sont plus ou moins évacués.
Ces relations ne sont pas médiatisées par la présence ou l'existence du groupe d'appartenance. La commune, par exemple, n'entretient pas de relations avec une tribu à travers ses représentants,sauf si ces derniers ont la double légitimité, à savoir celle, légale,de l'État et celle, sociale, de la communauté nomade d'appartenance.Mais dans ce cas, ce sont les fractions et familles dont sont issusles responsables locaux qui exercent une espèce de prééminence defait sur les autres composantes de la tribu. Une telle situation renforce les nouveaux clivages au sein de la société nomade, participant ainsi à accélérer son éclatement et à intégrer dans la vie decette société de nouveaux éléments de polarisation.
Par ailleurs, là où la population nomade présente un poids significatif, on relève une compétition intense pour le contrôle du pouvoir local. Il en résulte que le nouveau jeu de la démocratie mobilise périodiquement aussi bien nomades que sédentaires d'une mêmecommune, créant des alliances et des intérêts d'un nouveau genredans lequel la fonction de redistribution des institutions de l'Étatjoue un rôle central.
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M. BOUKHOBZA
Une autre conséquence, non moins importante, concerne, commeon l'a évoqué, le transfert de fait du patrimoine pastoral et de l'utilisation des parcours au profit des sédentaires. D'abord en termesd'effectifs, les nomades des Hauts-Plateaux steppiques sont devenus une minorité dont le poids ne cesse de diminuer avec le temps.Ensuite, la sédentarisation, de plus en plus accélérée depuis la findes années quarante, des pasteurs les plus aisés et les plus influentsa donné lieu à un transfert progressif du troupeau des nomadesvers les citadins. En s'installant en ville, les gros éleveurs ont élargileur activité à d'autres secteurs et ont exploité toutes les occasionspour permettre à leur descendance une mobilité sociale en dehorsde l'activité pastorale (profession libérale, commerce, administration...). C'est ainsi qu'à la fm des années soixante, début des annéessoixante-dix, presque la moitié du cheptel ovin était contrôlée pardes éleveurs pour lesquels le nomadisme avait cessé d'être un moded'existence. Le poids des sédentaires dans l'appropriation du cheptel n'a cessé depuis d'augmenter.
La concentration pastorale aidant, une nouvelle division du travail a commencé à voir le jour et à se renforcer. Le pasteur nomadetend à devenir un salarié, tandis qu'une nouvelle catégorie de propriétaires installés en ville s'adonnent en général à d'autres activités, n'entretenant avec le nomadisme que des relations strictementutilitaires. Dès lors, la nouvelle configuration de la société pastorale procède davantage des déplacements du troupeau à la recherche de bons pâturages que de celui des pasteurs socioéconomiquement organisés.
Cette situation va exacerber d'une manière latente les rapportsdes nomades avec le pouvoir. Il s'agit là d'un autre processus d'éclatement et de parcellisation de l'univers nomade conditionné par ladensification des relations de dépendance structurelle entre l'élevagenomade comme activité professionnelle et le propriétaire sédentairecomme détenteur du capital ovin.
Le processus est bien sûr lent. Il n'exclut en aucune manièrel'existence des gros éleveurs encore nomades, ni encore moins unerésistance de la société nomade au processus de déstructurationinterne à laquelle elle est soumise. Néanmoins, la tendance fondamentale est à la disparition du nomadisme en tant que forme d'existence, de production et de reproduction de tout un art de vivreet du système de relations qui en est solidaire.
La politique d'intégration latente
Les quelques remarques ci-dessus montrent qu'il est difficiled'évoquer une politique explicitement formalisée en direction de lasociété nomade. Néanmoins, on peut considérer à certains égards
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qu'une non-politique est aussi une politique. En fait, tous les effortsconsentis par les pouvoirs publics ont consisté à œuvrer au renforcement de l'intégration sociale de ces populations. La participationdes nomades à la vie politique lors des élections locales ou nationales en est un exemple.
A cet égard, quels sont les axes de cet effort d'intégration? Ils'agit de la politique de scolarisation, de la tentative avortée de réorganisation du système de production pastorale à l'occasion de lamise en œuvre de la révolution agraire et de l'intervention de l'Étatdans le déroulement du procès de réalisation de l'activité pastorale.
S'agissant du premier point, l'État algérien, dès sa restaurationen 1962, a décidé de faire de la scolarisation massive un axe cardinal de sa politique sociale. Il était évident que la scolarisation desenfants nomades posait la question cruciale de la reproduction dela force de travail pastorale et donc ,de la survie du nomadisme.Pour concilier les deux impératifs, l'Etat avait opté pour une cer·taine souplesse. Tout a été mis en œuvre, grâce à un systèmed'internat gratuit, pour assurer une scolarisation normale aux enfantsde nomades. Cependant, il n'y avait pas obligation impérative d'inscrire tous les enfants scolarisables à l'école communale.
L'étude comparée des taux de scolarisation dans les wilayate concernées des Hauts-Plateaux montre l'absence de corrélation netteentre le poids démographique des nomades et le niveau de scolarisation. Outre l'insuffisance de cohérence de la politique scolaire desenfants nomades, une telle situation illustre l'ampleur des destructions potentielles qui minent la société dont ils sont issus.
Wilayate Taux des nomades Taux de scolarisationdans la population (6/13 ans)
El Bayadh 30 0/0 61 0/0Naama 22,2 0/0 840/0Djelfa 11,6 % 75 0/0Laghouat 7,8 0/0 85 0/0M'Sila 3,8 0/0 85 0/0
Moyenne nationale 1,1 0/0 84 0/0
En. effet, la généralisation de la scolarisation des enfants desnomades signifiait l'arrêt de mort du nomadisme. Il aurait fallu sansdoute imaginer d'autres formes de scolarisation, dans l'hypothèsed'une politique active visant le maintien du fait nomade. Cette formeaurait consisté à imaginer des écoles itinérantes de façon à conci-
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lier les contraintes de l'activité pastorale et les exigence~ de la scolarisation nécessaire. Mais telle n'a pas été la logique développéeaprès l'indépendance.
La scolarisation n'a pu, en tout état de cause, que contrarierla logique de fonctionnement de la société nomade. En effet, cettescolarisation procède d'une rationalité moderne qui n'a rien à voiravec le système pastoral traditionnel. La scolarisation des enfantsexclut ces derniers de leur appartenance à la société nomade autriple plan social, culturel et éconOJ:p.ique.
Le second axe d'intervention de l'Etat a eu une dimension essentiellement technico-économique. Malgré son échec, cette actionmérite d'être schématiquement rappelée. .
La mise en œuvre de la réforme agraire (dite révolution agraire),déclenchée en 1972, a donné lieu à plusieurs phases dont l'une concernait explicitement une réorganisation totale de l'activité pastorale. La steppe avait été découpée en zones pastorales dans lesquellesles éleveurs, regroupés en coopératives, devaient organiser leurs activités. Ces coopératives, appelées CEPRA (Coopératives d'élevagede production de la révolution agraire), devaient progressivementêtre généralisées et donc intégrer tous les pasteurs.
Dans cette nouvelle approche, le regroupement devait s'effectuer sur une base individuelle occultant ainsi complètement les structures familiales et a fortiori les structures tribales. L'expérience allaitvite être abandonnée en raison des résistances locales multiplesqu'elle soulevait. Il fallait en effet libérer les espaces sur lesquelsdevaient être installées les nouvelles unités de production, trouverles candidats qui acceptent le nouveau système et régler les rapports avec les éleveurs en place. Autant de questions qui n'ont putrouver de solutions adéquates sans créer de tensions socialesincontrôlables.
Si l'expérience n'a pas perduré, elle a néanmoins donné lieuà une appropriation par l'État de toutes les terres de la steppe àvocation pastorale. Ces terres appartenaient depuis toujours aux communautés nomades qui les exploitaient à des fins pastorales ou agricoles. Cette appropriation par l'État du patrimoine foncier des nomades des Hauts-Plateaux a provoqué la rupture de la dernière relation qui liait encore la société nomade à son espace d'expression.D'un bien privé à usage communautaire (terre 'arch), les parcourssont devenus un bien public. L'éleveur qui, au cours de la crisequ'il subissait depuis très longtemps déjà, entretenait encore l'illusion de détenir un territoire pour y organiser sa vie active, estdevenu du jour au lendemain un simple usufruitier d'un patrimoin.e« étranger lI. Au regard d~ la loi, sa présence était simplement tolérée. Or, parallèlement, l'Etat n'a pas développé de politique visantà rationaliser l'utilisation des terres de parcours, à les protéger, àrenforcer leurs capacités fourragères. Il s'en est suivi le redouble-
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ALGERIE
. ment de l'anarchie en matière d'utilisation des terres steppiques etl'exacerbation des mécanismes de déstructuration déjà en œuvre:accroissement inconsidéré de la taille du troupeau, activité pastorale spéculative, mouvement désordonné des troupeaux et des hommes, exploitation systématique de pâturages de bonne qùalité parde nouveaux gros éleveurs équipés en moyens mécaniques... Unetelle situation a accentué tous les défauts du système pastoral endétruisant l'ensemble des relations nécessaires à une vie nomadeorganisée et en soumettant la steppe à une exploitation qui n'a pastardé à remettre en cause ses capacités de reproduction fourragèreet à la condamner à un véritable processus de désertification.
Le troisième type d'intervention de l'État a été plus ou moinsune réaction à ce processus. Il a porté sur un transfert massif d'orgeet de fourrage vers la steppe pour faire face à l'incapacité des parcours à assurer la survie du troupeau.
Cette pratique, commencée en 1972 et généralisée depuis, a étéqualifiée à tort « 'achaba (9) inversée ll. Cette appellation pouvaitlaisser croire que la démarche s'inscrivait dans la logique de la'achaba traditionnelle (10). En fait, cette pratique a eu les effetsopposés aux objectifs visés.
Alors que la 'achaba traditionnelle permettait à la steppe de sereposer à l'occasion d'une mise en défense régulière de trois à quatremois, la 'achaba inversée, en maintenant un troupeau volumineuxsur des terres pauvres en pâturages, a participé à l'accélération dela désertification. Alors que la 'achaba traditionnelle exigeait uneorganisation du mouvement des troupeaux et des familles ainsi queles relations avec les agriculteurs des zones d'accueil, la 'achabainversée a éliminé toute forme de relations entre nomades et entreces derniers et les agriculteurs, soumettant ainsi les pasteurs àl'action de l'administration pourvoyeuse d'aliments de bétail. La'achaba inversée a en fait soumis le pastoralisme à la logique del'administration, à la bureaucratisation de l'activité pastorale.
Aujourd'hui cette pratique a cessé d'être une action localiséedans le temps (lors des années de sécheresse). Elle s'intègre dansl'activité quotidienne des structures spécialisées de distribution d'orgeet de fourrage, implantées dans toutes les zones à vocation d'élevage ovin, soulignant une emprise permanente des représentants del'administration sur la vie économique et socioculturelle de la sociétépastorale: _
Cette analyse succincte montre que les relations entre l'Etat etla société nomade sont à sens unique. Le nomade n'avait ni la capacité ni les moyens de « négocier II sa place. Il devait donc se sou-
(9) Transhumance des troupeaux du sud (10) Migration d'été des troupeaux et desdu pays vers le Tell. hommes vers les zones céréalières du nord.
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mettre à la logique induite par la mise en œuvre du projet national de développement.
Les mécanismes du marché, la salarisation, la concentration,l'encadrement de la société nomade par l'administration à des finsdiverses constituent autant de facteurs d'aliénation et de destruction du nomadisme. A cet égard, les données du dernier recensement illustrent bien cette tendance à la disparition. Il ne reste plusdans toute l'Algérie que quelque 250000 personnes plus ou moinsnomades, alors que vingt années plus tôt, on en dénombrait plusd'un demi-million. Cela signife une régression moyenne absolue de4,3 % l'an.
Il résulte de ce processus une marginalisation évidente de lasociété nomade ou tout simplement de la présence nomade enAlgérie.
Néanmoins, dans certaines wilayate, la part de la populationnomade demeure encore significative: 30 % de la population dansla wilaya d'el Bayadh, 22,2 % dans celle de Naama, 11,6 % danscelle de Djelfa, 7,8 % dans celle de Laghouat, mais uniquement3,8 % dans la wilaya de M'Sila et à peine un peu plus de 1 %dans la wilaya de Tébessa, wilaya steppique ayant connu un rythmede sédentarisation bien plus accéléré.
** *
Les relations entre l'État et les communautés nomades se posenten termes de coexistence de deux logiques différentes. La première,celle de l'État, s'inscrit dans une perspective d'intégration sociale,d'encadrement administratif et de développement économique et culturel. La seconde, celle de la société nomade, se limite à des réactions défensives de préservation. Le nomade reste nomade, non paspar identification à un projet de société, mais parce qu'il n'est pasen situation de changer "de condition sans accepter sa déchéance,c'est-à-dire sans renoncer à son système de normes et de valeursintrinsèques, en s'insérant dans les multiples réseaux de la viemoderne.
La situation algérienne n'est certainement pas représentative dunomadisme au Maghreb. Mais ce qui est certain, c'est qu'elle représente pour les sociétés nomades la perspective la plus probable dansdes pays où le nomadisme est encore vivace (Maroc, Mauritanie,Libye, voire les sociétés nomades du Sahel).
Le nomadisme est par essence une organisation globale. Il nepeut survivre si l'un de ses principes de fonctionnement est remisen cause. Or la logique des Etats du Maghreb contemporain s'inscrit dans un contrôle et une gestion de l'espace et des groupementssociaux qui y vivent. Nombre de facteurs, tels que la soumission
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ALGERlE
à la loi et aux forces du marché, le poids démographique et économique parfois dérisoire que représentaient les nomades, le développement des catégories normatives citadines, participent à l'érosion permanente de la société nomade. Et là où le nomadisme estencore actif, on peut postuler que cela est dû au retard dans laformation du nouvel Etat moderne.
La disparition certaine du nomadisme, dans son expression première, à savoir le mode de vie qui le sous-tend, laisse cependantune place privilégiée à une structuration spécifique des valeurs culturelles qui traversent toute notre société. Et c'est peut-être en cela,que l'on peut dire que les États du Maghreb sont loin d'avoir régléleurs rapports avec les communautés nomades, tant que ces valeursn'auront pas généré d'autres manières de percevoir le monde etd'entretenir des relations de dépendance, d'alliance ou d'opposition.
Au regard de ces tendances, les perspectives paraissent relativement simples. Deux hypothèses peuvent être envisagées. Soit leséleveurs nomades seront sédentarisés après un rétablissement explicitede leurs relations avec ce qui fut leur aire d'expression, tout endéveloppant les conditions d'une révolution technique dans leursactivités et leurs rapports à l'économie moderne. Soit ils seront happés par la logique destructive des mutations de la vie urbaine etdu mouvement spéculatif du marché, jusqu'à leur réduction totaleà la condition de salariés. Les réformes enclenchées dernièrementen direction du monde agricole permettent d'espérer une approchevisant à sauvegarder le savoir-faire pastoral, en réconciliant l'hommeà la terre et en donnant à l'éleveur l'autonomie nécessaire pour assumer un rôle actif dans la promotion de la société.
M'Hamed Boukhobza
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A. BOURGEOT
Le lion et la gazelle .États et Touaregs
DEPUIS une vingtaine d'années, les sociétés touarègues del'ensemble saharo-sahélien (Algérie, Niger, Mali) connaissentdes transformations sensibles conditionnées par les situations
politiques issues des ingépendances respectives, selon des orientations propres à chaque Etat, par des processus économiques et politiques visant à la formation des États-nations délimités par des frontières héritées de la colonisation française.
Ces frontières, flexibles et formelles à l'époque coloniale, permettaient toutefois la reproduction du système pastoral sur de trèslarges espaces nécessaires aux activités de transhumance, à l'élevageextensif et aux échanges caravaniers sahariens et transsahariens. Ellesse sont rigidifiées depuis les indépendances pour finalement aboutir à un récent bornage entre les États riverains.
La totalité de ces sociétés touarègues septentrionales évoluentdans des sites montagneux d'altitude variée et sur des écosystèmesspécialisés, voire hyperspécialisés dans le cas de l'Ahaggar (1). Cesécosystèmes, extrêmement vulnérables, supportent mal des modifications d'ordre territorial (frontières nationales, interdictions d'accèsà des pâturages) ou des variations climatiques trop brutales (sécheresses, inondations). C'est au sein de cet ensemble écologique relativement homogène que le pastoralisme-nomade touareg a été déstabilisé conséquemment aux réorganisations sociales insuflées à l'époque coloniale et au déclin irréversible du trafic caravaniertranssaharien.
Les révélateurs et accélérateurs essentiels de cette crise apparaissent pendant les sécheresses de 1969-1973 et de 1984-1986 ; ellessoulignent la fragilité de ces sociétés qui constituent urie unité culturelle assortie de diversités notoires (2). Cette fragilité révélée a per-
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TOUAREGS
mis aux États, aux institutions internationales, aux organisations nongouvernementales, de se saisir de ces opportunités climatiques etpolitiques pour induire leurs logiques et intérêts dans ces groupessociaux réputés « indépendants », peu contrôlables et quelquefoisturbulents.
Qu'en est-il des Touaregs Kel Ahaggar de l'extrême-sud algérien, des Kel Aïr du Niger septentrional et des Kel Adar del'extrême-nord malien?
Ils sont tous situés dans des espaces sahariens frontaliers et onttous assuré les échanges caravaniers transsahariens. A l'époque précoloniale, ils étaient affiliés, à des « confédérations» politiquementautonomes, circonscrites par des mouvances territoriales conditionnées par des rapports de force militaires. Elles évoluaient sous l'autorité politique et morale d'un Aménokal qui ne disposait pas réellement d'un pouvoir coercitif institutionnalisé ou spécialisé, l'autorisant à un contrôle efficient sur l'ensemble de ses dépendants. Lapériode coloniale a transformé l'essence politique des «confédérations », en les utilisant comme relais aux politiques de lacolonisation.
Du Touareg à l'Algérien: le Touareg algérien
Les processus d'assimilation dans l'État-nation
Peut-on parler de politiques étatiques spécifiques au nomadismeen Algérie et, singulièrement, à l'égard de celui des Touaregs? Sila troisième phase de la révolution agraire fut consacrée aupastoralisme-nomade, il n'y a pas eu de politique particulière miseen œuvre à l'égard des Touaregs, soumis aux mêmes orientationséconomiques et politiques que les autres citoyens algériens.
Pourtant, les spécificités locales (organisation sociale des KelAhaggar, idéologie touarègue, zone montagneuse très aride) ontengendré un type de transition particulier qui a débouché sur unesérie de .mutations mais pas sur des transformations radicalesachevées.
a) au plan économique:Les principaux secteurs économiques dans lesquels prennent
forme ces mutations relèvent essentiellement du tourisme, des travaux de construction divers (travaux publics, chantiers privés), dugardiennage et du développement de l'agriculture.
(1) C. Kilian, Au Hoggar, Paris, Sociétés d'éditions géographiques, maritimes etcoloniales, 1925, 186 p., cartes, photos, planches h.t.
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(2) E. Bernus, Touaregs nigériens. Unitéculturelle et diversité régionale d'un peuple pasteur, üRSTüM, 1981, 507 p., index, cartes,mémoire ORSTOM, nO 94.
A. BOURGEOT
Une typologie de ces activités salariées s'appuyant sur les représentations du travail socialement valorisé ou déconsidéré par l'idéologie touarègue, conduit à distinguer deux catégories. L'une ressort du tourisme et du gardiennage domestique ou d'entreprises,l'autre concerne les travaux manuels (chantiers et agriculture).
L'essor du tourisme à Tamanrasset (Il agences en octobre 1988et 33 dépôts de dossiers depuis cette date) a permis une insertionnon négligeable des Touaregs (guides, chameliers) dans les rapportsmonétaires à travers les locations de dromadaires et de véhiculestout-terrain.
Le dromadaire assure actuellement plusieurs fonctions qui agissent à trois niveaux iII!briqués, mêlant les intérêts de certains KelAhaggar à ceux de l'Etat.
Au niveau économique, le « dromadaire-marchandise» atteste unefonction commerciale qui s'inscrit dans des réseaux de circulationancrés au Niger et au Mali septentrionaux, régions productrices decamelins. Ces réseaux né sont pas sans rappeler les axes caravaniers transsahariens d'antan. En revanche, la diversité des produitsautrefois acheminés se rétrécit au profit d'une spécialisation quirépond à des finalités non plus d'échange mais commerciales, génératrices de la formation d'une nouvelle couche sociale dont les intérêts correspondent à celle issue des appareils d'État.
Au plan psychologique, l'utilisation du dromadaire à des finsde déplacements touristiques confirme les repères identitaires, réactivés par les touristes. Ceux-là viennent pour l'Ahaggar et pour lesTouaregs, eux-mêmes indissociables, dans l'imagerie occidentale, dudromadaire, des méharées et des caravanes. L'ensemble composele tissu de l'imagerie touarègue, assortie de la traditionnelle panoplie: voile de tête, source de « mystère », glaive du « seigneur féodal du désert» etc., autant de clichés qui satisfont l'imaginaired'Occidentaux en mal d'exotisme.
Le Touareg et sa panoplie deviennent ainsi des objets-marchandsvendus dans des sites fabuleux par des agences touristiques prolifiques. Le Touareg, quand il le peut, se prête à ce jeu, ce qui illustre un comportement qui n'est pas antithétique à une approche« progressiste lI, ou pour le moins marchande.
Enfin, au plan des valeurs intrinsèques aux Kel Ahaggar, le dromadaire continue à assurer sa valeur de prestige social, notammentaux moments des festivités (mariages, courses, etc.). Il est toutefois sérieusement concurrencé par la présence de véhicules toutterrain. Des mécanismes d'analogie-substitution s'instaurent, y compris dans les valeurs économiques et de prestige social, entre le dromadaire et le véhicule. Ce dernier est intégré dans les poésies etles chants locaux glorifiant les qualités de couleur, de forme,« d'yeux» (les phares) des voitures, d'habileté et de prestance du
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TOUAREGS
chauffeur, tout comme celles recélées par le dromadaire et son chamelier dont les valeurs sont toutefois en perte de vitesse.
Cette intégration des véhicules dans la littérature orale est, auplan identitaire, parfaitement rassurante, soulignant ainsi des capacités à intégrer et à assimiler, sur leurs valeurs intrinsèques, ce quivient de l'extérieur, provoquant simultanément une course à l'argent.
Quant au gardiennage domestique ou celui qui s'exerce dansles entreprises d'État ou privées, il s'inscrit également dans des rapports salariaux. Ils confèrent un certain pouvoir, celui de garder,donc de protéger, ce qui renvoie directement à l'idéologie de laprotection singulièrement vivante dans la mentalité touarègue. Lesactivités de gardiennage ne sont pas antithétiques aux valeurs socialesinternes aux Kel Ahaggar : elles les corroborent en leur donnantun contenu nouveau tout en confirmant une nature identique à cellede la protection passée et fondée sur un pouvoir guerrier.
Cette confirmation est, à l'évidence, illusoire. Elle repose fondamentalement sur des présupposés idéologiques confortés par larépulsion à l'égard des travaux manuels qui s'inscrivent dans unensemble d'activités salariées idéologiquement très hiérarchisées (tourisme, gardiennage, travaux manuels), ce qui renvoie à une sociétéautrefois très stratifiée.
Les deux autres activités appartiennent aux travaux manuels exercés sur les chantiers communaux, étatiques ou privés et dans l'agriculture. Celle-ci touche immédiatement la structure sociale, l'idéologie «traditionnelles» des Kel Ahaggar, et résulte directement despolitiques étatiques dans ses rapports avec le pastoralisme nomade.
En effet, dans l'organisation sociale touarègue qui précède l'indépendance, les travaux agricoles étaient l'exclusive des affranchis (harratin; sing. hartam), sédentaires noirs, métayers des «hommeslibres» (aristocrates et tributaires), pasteurs-nomades.
Certains esclaves se livraient également à ces travaux qui sontencore, au regard des Touaregs « hommes-libres », assimilés à desactivités serviles réalisées par des hommes de couleur noire.
Le renversement des rapports sociaux issu de la période révolutionnaire et le slogan « la terre à ceux qui la cultivent» contribuèrent à promouvoir l'agriculture et à privilégier les populationsd'agriculteurs au détriment des pasteurs-nomades touaregs qui répugnent à ce type de labeur. L'État algérien offrit à ceux-là les possibilités d'exercer des travaux agricoles dans des centres de culturepréexistants, ou créés, sur leurs terrains de parcours habituels, pérennisant ainsi l'organisation territoriale sur laquelle se superposent lesstructures communautaires composées de lignages.
Cette superposition permet le développement de stratégies communautaires qui se maintiennent, qui recouvrent l'ancienne orga-
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A.BOURGEOT
nisation sociale et qui peuvent ainsi s'opposer aux politiques del'État.
Ne serait-ce pas dans ces stratégies communautaires qui peuvent être mystificatrices du passé, que pourraient préférentiellementapparaître et s'exprimer des formes de régionalismes et de maximalismes divers susceptibles de s'opposer aux pouvoirs étatiques?
Les politiques de développement agricole en milieu pastoral ontpour objet le mode de vie nomade. Leurs effets engendrés par desprocessus économiques et politiques beaucoup plus globaux et structuraux conduisent à la mise en place d'un type particulier d'agropastoralisme suscité par l'État et assorti d'une diversité de travauxsalariés. Quelles en sont les conséquences sur la production pastorale et le mode de vie nomade?
La diversification des activités salariées et l'agropastoralisme provoquent des formes de recomposition économiques et sociales, génératrices de nouveaux clivages.
Au niveau domestique, ces mutations induisent un déplacementdu pouvoir domestique de l'homme vers la femme, contribuant aurenforcement du rôle de la femme dans la société, notamment dansla production pastorale relative aux petits ruminants (caprins etovins).
Le maintien de ce pastoralisme-nomade réduit, de plus en plusassuré par les femmes et les personnes âgées, ne sert-il pas de valeurrefuge (y compris dans la littérature orale qui sécurise), ou de refusinconscient du changement et du mouvement social?
La femme demeure un des pivots de la société « traditionnelle »,la gardienne, la dépositaire des valeurs sociales et culturelles liéesau pastoralisme. Le renforcement du rôle domestique de la femmecrée un nouvel espace social féminin qui s'inscrit dans des processus cathartiques. Ceux-ci vont, paradoxalement, à l'encontre de lanature des rapports hommes-femmes, conditionnée par les valeursarabo-islamiques sécrétées par l'idéologie de l'État. Il s'ensuit desprocessus de redistribution des pouvoirs entre l'homme et la femme.
En revanche, les hommes touaregs insérés dans les rapports salariaux et monétaires sont objectivement placés dans des situationsd'acculturation liées à l'urbanisation galopante. Ceux-là constatentune mort symbolique des anciennes valeurs maintenues par lesfemmes.
Ces mutations recèlent des problèmes qui relèvent de l'ordreidentitaire soumis à une sorte de « brouillage culturel» cependantclarifié par la très grande flexibilité économique et intellectuelle desTouaregs dont les capacités d'adaptation aux évolutions et transformations historiques successives ne sont plus à démontrer.
Le développement agricole a aussi pour conséquence l'extensionde l'habitat fixe incluant des constructions à caractère superfétatoire, recélant de nouvelles formes de prestige et intégrant ainsi des
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TOUAREGS
valeurs sédentaires. Ces facteurs de sédentarisation engagent desmodifications sensibles dans les formes de propriété en enclenchantun mouvement vers l'appropriation privative du foncier et del'immobilier. .
b) au plan politique: du chef au représentant du peuple:Pour des raisons qui relèvent de la géo-politique au moment
de l'indépendance, le jeune État algérien, né après huit années deguerre coloniale, a tenté l'intégration des populations du Sahara central (des Touaregs entre autres) dans la nation en formation.
L'État a procédé à un transfert du « pouvoir communautaire »(l'Aménokalat: chefferie locale) au sein des appareils d'État, touten conservant dans un premier temps l'institution « amenokale »,assurant ainsi une tral}sition sans heurt et un moyen institutionnelde ramification de l'Etat.
Actuellement, les populations du Sahara-central, et donc lescitoyens algériens touaregs, ont un représentant touareg qui incorpore trois fonctions recouvrant deux dimensions, étatique et« corporatiste li :
- une fonction élective en tant que député du département,ce qui le conduit à être l'élu du peuple et non pas des seulsTouaregs;
une fonction politique comme membre du comité central duFLN, contribuant ainsi à l'orientation politique de la nation;
- une fonction informelle d'Amenokal, représentant spécifiquedes intérêts touaregs aux yeux de ceux-ci ou tout du moins pourceux qui continuent à le percevoir comme étant encore le d~ten
teur d'un pouvoir local, autonome de ceux que lui confère l'Etat.Cette dernière fonction caractérise un pouvoir moribond au sein
d'une « institution» (l'Aménokalat) fantôme et fantasmatique, danslaquelle rôde et plane une autorité morale qui peut, selon les cas,se conjuguer à une influence et à une autorité politiques attribuéesgrâce au cumul des deux fonctions officielles précédentes. A travers la concentration de ces trois fonctions et de ces deux dimensions sur une seule personne, les individus et l'ensemble des populations du Sahara central peuvent se reconnaître selon le degré deconscience sociale et politique de chacun, selon la place qu'ils occupent dans la société touarègue et/ou dans la nation algérienne.
Il en découle que cette troisième fonction ne se réduit pas mécaniquement à une simple survivance du passé. Cependant, sa pertinence sociale réside dans son imbrication aux deux autres lui conférant ainsi une efficience politique.
Ce personnage incorporant des référents locaux et nationauxdiversifiés incarne les liens que les politiques étatiques ont tissé avecles pouvoirs locaux afin de les contrôler ou les neutraliser. Cettesituation particulière débouche sur un jeu politique d'une subtilité
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A. BOURGEaT
redoutable, induisant des formes d'immobilisme qui peut permettre de préserver l'ancienne influence, surtout quand les rapportsprotocolaires s'en mêlent.
Dans l'ensemble de ces mutations, les anciennes couches sociales dominantes peuvent encore trouver une place prépondérante.
Cette série de mutations place la société des Kel Ahaggar dansdes situations contradictoires notamment entre les finalités non marchandes de la production pastorale pré-révolutionnaire et la pénétration des rapports marchands et salariaux dans la formation socialetouarègue. Cette contradiction tend à réduire l'économie pastoraleà une économie domestique assurée de plus en plus par les femmes.
En outre, les logiqu\:s de l'État se heurtent aux dynamiquesinternes qui perdurent en combinant des systèmes de productionaux finalités opposées, en s'appropriant des techniques ou des objetsextérieurs qui répondent à leur système de valeurs, créant des processus de recomposition provisoire et partielle qui génèrent l'apparition de nouveaux phénomènes ancrés sur une sorte d'invarianceidéologique. En revanche, les oppositions les plus manifestes s'exercent essentiellement dans le domaine politico-culturel, un des fondements permanents du pouvoir et de ses enjeux.
En définitive, les Kel Ahaggar ont pu disposer d'alternativessociales et de nouvelles perspectives économiques qui, par delà touteappréciation morale ou politique appartenant à un autre ordre deréflexion, ont permis d'éviter un exode que connaissent d'autresgroupes sociaux touaregs constituant une diaspora se réfugiant enAlgérie ou en Libye pour de simples raisons de survie.
Du Touareg à la diaspora touarègue: les Kel Adar du Mali
Par-delà les problèmes culturels, les causes et les conséquencesdes transformations sociales chez les Kel Adar sont tout autres (3).
En effet, l'héritage colonial, incluant la rébellion et la répression qui s'en suivit au début des années soixante, fut destructeur.Les Kel Adar ont évolué dans un « isolat» ethnique et géographique qui a contribué à les placer actuellement dans une situationparticulière (zone pénitentiaire, militaire). A cet héritage, se sontajoutées les sécheresses de 1969-1973 et 1983-1985 qui ont accéléré les processus d'éclatement à travers notamment la disparition,par famine ou épizooties, de nombreuses têtes de bétail.
Dans un contexte de pressions économiques nationales et inter-
(3) A. Bourgeat, « L'herbe et le glaive: mobiliré er flexibiliré ? Bullerin de liaison ORS-de l'itinérance à l'errance. (la notion de ter- TOM, nO 8, octobre 1986, pp.: 145-162.ritoire chez les Touaregs) in Nomadisme:
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TOUAREGS
nationales, de crise généralisée, en l'absence d'alternative de l'État,les sécheresses ont eu des conséquences dramatiques. En effet, unepartie des Kel Adar n'a plus ni les capacités matérielles de sa reproduction sociale ni, a fortiori, les possibilités de disposer d'un processus de transformation du bétail, ce qui provoque un blocage dévalorisant. Le bétail lui-même n'est plus le moyen qui permet d'instaurer la marchandise en tant que rapport social comme dans lecas des Kel Ahaggar d'Algérie.
En outre, la perte de bétail a « libéré» une main-d'œuvre etune force de travail qui sont potentiellement utilisables sous uneforme marchande. Mais la non qualification de cette main-d'œuvreconjuguée à l'inexistence d'un marché du travail ne permet pas, sonutilisation. Ces phénomènes, en l'absence de politique de l'Etat,ont provoqué un éclatement social qui a placé une partie de cettesociété dans les réseaux migratoires orientés vers l'Algérie et instaurés au moment où la production pastorale et les rapports de protection entre Kel Ahaggar et Kel Adar assuraient une fonctionsociale stabilisatrice. Ces réseaux sont actuellement vidés de leurcontenu et s'élargissent à d'autres réseaux constitués par une maind'œuvre à la recherche d'une occupation rémunérée ou d'un travail salarié en Algérie bien sûr, mais aussi en Libye, au Nigeriaet en Côte-d'Ivoire.
Cette situation produit une extraversion obligée et dénaturée dela mobilité et de la flexibilité structurelle des Kel Adar qui se manifeste par une sorte d'errance, illustrant ainsi le résultat d'une rupture et de blocages successifs. Cette situation met en jeu la reproduction du système économique fondé sur les dynamiques internesde ce groupe social et ne favorise pas une insertion dans un autresystème.
Cette situation n'est donc plus un processus de transition quiautoriserait à des formes combinées d'interactions entre deux sytèmes économiques, mais un processus de disparition qui tend à seramifier dans l'ensemble du corps social. La crise économique généralisée, aggravée par le sous-développement et les aléas climatiques,provoque une série d'effets conjugués dont les conséquences peuvent mettre en péril cette société.
Dans ce contexte, le système économique « traditionnel » devient« archaïque» car il ne détient plus les ressources intrinsèques quilui permettraient de s'insérer dans un nouveau système économique. De surcroît, cette insertion n'est pas favorisée par les politiques étatiques. Enfin, cette « archaïsation » du système est sécrétéeen même temps par les modèles de développement, leurs logiques,leurs finalités et leurs capacités à assimiler ou à rejeter les sociétésqui détiennent ou non les possibilités de satisfaire aux besoins de
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A. BOURGEOT
ce «développement» (rentabilité, qualification, production marchande, etc.).
Ces blocages successifs génèrent la formation d'un «lumpennomade li qui évolue paradoxalement dans un « nomad's land li sansnomade ni territoire, si ce n'est celui défini par les frontières héritées de la colonisation.
A l'inverse du cas des Kel Ahaggar chez lesquels il y a desprocessus d'assimilation, certains Kel Adar sont placés dans unesituation de forclusion.
Caravaniers, pasteurs, agriculteurs: les Kel Aïr (Niger)
Les deux exemples précédents constituent des extrêmes. L'un,relatif aux mutations engendrées par les orientations de l'État-nationalgérien; l'autre qui souligne les carences étatiques maliennes àl'égard d'une société déshéritée.
Les agro-pasteurs Kel Owey, et d'une manière plus générale,les Kel Aïr, tiennent une place à part dans cet ensemblesaharo-sahélien.
Le maintien des activités économiques précapitalistes (élevagetranshumant, trafic caravanier qui est la clef de voûte de l'économie des Kel Owey), l'agro-pastoralisme originel, ont permis de conserver une certaine stabilité favorable à la reproduction élargie dusystème, fondée sur l'interdépendance des activités pastorales ou caravanières, selon une répartition souple du travail au sein de la famille.Cette diversité des activités économiques assortie d'une divisionsociale du travail beaucoup plus flexible que dans le cas du pastoralisme nomade des Kel Ahaggar et des Kel Adar, favorise structurellement la reproduction du système.
, Par ailleurs, il n'y a pas eu de politique frontale émanant del'Etat, engageant des mutations économiques visant à satisfaire lesintérêts particuliers de celui-ci. Les interventions étatiques se manifestent par l'instauration d'antennes administratives et techniquesassurant un contrôle, ainsi qu'à travers la réalisation de projets dedéveloppement mis en œuvre par des institutions internationales oupar des ONG.
L'exemple du projet « faune Aïr-Ténéré li initié actuellement parle World Wild Lzfe Fund dans des zones pâturées par des Kel Piirpasteurs nomades et qui vise à la protection de la faune et de laflore, présente un cas intéressant dans le contexte de lutte contrela dégradation de l'environnement au Sahel (5). Il est en effet important qu'un organisme international s'efforce de sensibiliser les popu-
(5) A. Bourgeat, «Projet faune Aïr sion., Niamey, novembre 1988, 29 p.,Ténéré. (WWFIUICN). Rapport de mis- annexes.
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TOUAREGS
lations nomades à la préservation de la faune et de la flore. A cetégard, trois conditions paraissent devoir être remplies.
D'abord, ne pas intervenir sur des présupposés d'ordre idéologique qui consistent à imputer aux pasteurs-nomades des techniques prédatrices « naturelles », sans prendre en considération les circonstances historiques et climatiques qui les conduisent à mutilerla nature. Ensuite, toute intervention qui ne prend pas en considération les spécificités notoires de ces écosystèmes spécialisés dansses rapports avec la rationalité économique et les techniques de production de ces pasteurs et agro-pasteurs, risquerait de provoquerdes déséquilibres dommageables pour la société humaine. Il s'ensuitque le rapport écologie-économie doit être pensé au préalable, avanttoute intervention concrète.
Enfin, toute modification agissant sur le support matériel de lasociété et visant à l'interdiction rigoureuse ou souple de l'exploitation de certaines essences végétales, doit être assortie de propositions de produits de substitution compensatoires à ces interdictions,en donnant les moyens aux populations de se procurer ces produits.
Lorsque ces trois conditions minimales ne sont pas prises enconsidération, le projet se caractérise alors par une approche technocratique qui favorise les ramifications étatiques par le biais deservices techniques qui fonctionnent sur leur propre logique et surdes finalités en adéquation avec les orientations de l'Etat.
En outre, la notion juridique de réserve a-t-elle une validité opératoire et une pertinence écologique dans les pays en voie de développement soumis. à des contraintes multiples? Par delà les connotations péjoratives historiquement et géographiquement typées,n'existe-t-il pas d'autres moyens plus appropriés aux réalités saharosahéliennes? Peut-on préserver faune et flore sans poser simultanément, dans une approche globale des sociétés humaines et animales, le problème de la reproduction sociale? Séparer ces trois éléments revient, ipso facto, à privilégier la faune.
Or la mise en place de deux réserves géographiquement délimitées instaure de facto et de jure (les textes existent) des zonages,c'est-à-dire des zones de spécialisations intervenant sur un écosystèmepâturé déjà hyperspécialisé qui risque de ne pas supporter de nouvelles spécialisations artificielles, voire arbitraires. Ce zonage va d'esten ouest vers les spécialisations suivantes;
• réserve intégrale destinée à protéger des antilopes addax hypothétiques, interdisant l'accès des pâturages ténéréens aux pasteursnomades qui les gardent en réserve lorsque ceux de l'Aïr montagneux ne suffisent plus;
• réserve naturelle nationale qui souligne le souci majeur dela conservation-préservation de la flore. Et les hommes?...
• hors-réserve, c'est-à-dire un espace « fourre-tout» non contrôléqui sera dégradé.
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A.BOURGEOT
Serait-il impossible de concevoir un authentique équilibre entrele maintien de la production pastorale visant à la satisfaction desbesoins alimentaires et sociaux, et le développement de l'environnement incluant la préservation de la faune, en élaborant une sortede « technologie de l'environnement» appropriée aux réalités locales? Ces trois exemples, à des degrés divers et renvoyant à desréalités contrastées, tendent à montrer que les pasteurs-nomadesdétiennent des .capacités à s'approprier ce qui leur convient. Leurflexibilité structurelle leur donne encore une espérance de vie, certes menacée, qui peut être consolidée par leurs tactiques et leursstratégies de l'esquive, difficiles à contrecarrer.
Le rapport au politique, considéré dans l'idéologie dominantetouarègue comme une fonction «noble », facilite l'insertion dansles structures étatiques selon la métaphore «un pied dedans, unpied dehors ». Ceci témoigne des capacités de flexibilité, d'un sensaigu du politique et du pouvoir, qui renvoient à une structure socialetrès hiérarchisée susceptible de se confronter à des rapports de forcepolitique modernes. N'y aurait-il pas de surcroît une idéologie commune, celle du pouvoir, transmise par l'État et les couches dominantes de la société touarègue?
André BourgeotCNRS
Laboratoire d'anthropologie sociale
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S. CISSE
Pratiques de sédentaritéet nomadisme au Mali
Réalité sociologique ou slogan politique ?
LES populations nomades représentent à peine 7 % de lapopulation du Mali mais occupent près des 2/3 du pays.L'une des conséquences de la sécheresse connue au Sahel
depuis 1973 est le bouleversement du mode de vie de ces peuplespasteurs. Ce bouleversement s'est traduit par l'exploitation anarchique des ressources pastorales, là où elles existent encore, des fuites en avant avec l'amplification des mouvements de transhumance,des manifestations spontanées de sédentarisation à travers l'installation aux abords des villages et des villes, la mise en culture decertaines aires traditionnelles de pacage. Ainsi, 288 sites de sédentarisation officiellement reconnus existent dans les seules régionsde Gao et de Tombouctou (1). Ces deux régions regroupent à ellesseules 79,81 % de la population nomade du Mali.
Ces manifestations de « sauve-qui-peut» ont-elles pu bénéficierde la part des autorités de programmes cohérents dénotant l'existence d'une politique nationale relative aux nomades? Quelles enont été les conséquences dans le milieu nomade et ont-elles induitun cadre institutionnel, des mesures sociales et économiques légalisant, entérinant, voire provoquant des actes de sédentarisation (2) ?
Processus de sédentarisation et contexte institutionnel
Des structures nationales et des organisations non gouvernementales s'occupent ou se sont occupées des problèmes de sédentarisa-
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tion. Ces principales structures nationales sont: le service de l'élevage, le service social, le mouvement coopératif. Elles bénéficientgénéralement de l'appui d'organisations internationales ou interviennent à travers des opérations de développement dont plus de lamoitié du financement est extérieur.
Certaines ONG maliennes peuvent être reconnues comme structures nationales, ou tout du moins locales, intervenant dans le processus de mise en place et d'encadrement des sites de sédentarisation; mais elles jouent le plus souvent le rôle de relais des ONGétrangères, permettant ainsi de draîner des fonds vers telle ou tellepopulation cible (3).
Ainsi, les structures nationales comme les ONG localess'appuient généralement sur des fonds extérieurs pour intervenirdans les processus de sédentarisation. C'est le cas par exemple duservice de l'élevage avec le projet CADE (Centre d'appui et de développement de l'élevage) à Gao et du projet ODEM (Opération dedéveloppement de l'élevage dans la région de Mopti) visant à mettre en place des unités pastorales. Tel est le cas également des directions régionales des actions coopératives de Tombouctou et de Gaoainsi que celui des Amis du Sahel, une ONG nationale. La direction des Affaires sociales agit généralement de concert avecl'UNICEF.
Des ONG étrangères sont également très actives en la matière;la création du village de Tin Aïcha (4) sur les bords du lac Faguibine, l'obligation faite aux nomades sinistrés du Gourma de se fixeraux abords des mares et des puisards pour planter choux et saladecontre un sac de semoule de blé par mois, dénotent la multiplicitédes approches en la matière. Toutefois, qu'il s'agisse des structures locales, nationales ou étrangères, deux cas peuvent se présenter:
- parer au plus pressé en sauvant ce qui peut l'être à traversune aide d'urgence. Dans ces conditions, ce ne sont pas les besoinsressentis par les populations nomades qui comptent, mais ceux perçus à travers le prisme déformant de la famine. Le «food for work »appliqué dans le Gourma par une ONG étrangère illustre ce cas;
- appliquer une technologie pensée et nourrie ailleurs sans enmaîtriser les contextes politique et administratif et sans en cernerles implications sociologiques. La mise en place des associations pastorales servira d'exemple dans l'illustration de ce deuxième cas.
MALI
(1) Cf. J'étude entreprise par l'OMBEVI(Office malien de bétail et de viande) etfinancée par le CRDI (Centre de reche.rchepour le développement international), ElUdesur la sédentarisation des nomades au Mali,Bamako, OMBEVI, juin 1988, 76 p. multigr.(rapport provisoire).
(2) Cf. Projet de réhabilitation sociale des
vICtImes de la sécheresse en zone lacustre,Bamako, OMBEVI, 1978.
(3) Cf. K.A. Mariko, Analyse des activités des organisations non gouvernementales dansles pays membres du CILSS, multigr., 1984.
(4) Le village de Tin Aïcha a été créépar une ONG américaine, American FriendsService Committee Quakers.
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MALI
Les c.nesures d'urgence
Les nomades ayant tout perdu, leurs troupeaux et leur fierté,se trouvent regroupés pendant les dures années de sécheresse dansce que l'on a pris l'habitude d'appeler des «camps de sinistrés»où une distribution plus ou moins régulière de vivres permet demaintenir en vie les plus résistants. Pour effacer cette image humiliante, certains « sinistrés» sont interceptés avant d'atteindre cescamps et réinstallés dans des « villages » créés de toute pièce (village de Tin Aïcha) ou maintenus dans leur aire traditionnelle depacage (la mare de Ouinerden dans le Gourma central). Les rapports du nouveau village avec son environnement physique et socialrestent souvent mal définis, quand ils le sont, et déterminent doncdès le départ un certain nombre de problèmes insurmontables. Lesite du nouveau village comme l'espace environnant, étant inhabités et sans maître, sont tout de suite revendiqués par d'autres groupes qui mettent en avant leur droit traditionnel d'usage, encorevivace au Mali. Si, d'aventure, ces derniers ont été consultés pourl'installation du nouveau village, leurs efforts tendront alors à réduireles nouveaux villageois en une clientèle économique (métayage) oupolitique. Dans certains sites (Sanfatou, arrondissement central deGourma Rharous), l'animosité entre les deux groupes peut déboucher sur des batailles rangées conduisant à la mort d'hommes.
A l'intérieur du village constitué, passée l'euphorie des premiersmoments d'installation, les habitants essaient de réinscrire dans leursdifférents rapports leur statuts et positions sociales antérieurs. Ainsi,dans l'unité pastorale de Kita, existe une tension sourde entre lesfamilles d'origine noble et celles de souche servile. Une telle tension est ravivée par le fait que, dans les nouveaux sites, le travailmanuel considéré comme dérogeant par une certaine catégorie socialeest obligatoire pour tout le monde. D'où un certain nombre de problèmes dans la désignation de l'autorité représentant le village. Cettereprésentation est d'autant plus difficile que l'administrationmalienne considère dans la pratique ces nouveaux sites comme desregroupements temporaires: les différents habitants continuent derecevoir leur feuille d'impôt de leur administration d'origine. Ainsi,le groupe Kel Tamacheq Akotaff, fixé à Kakagnan, dans le Deltaintérieur du Niger, continue de dépendre administrativement del'arrondissement de Léré, à 350 km de là, et non de Djialloubé,sur le territoire duquel il réside.
Par ailleurs, les besoins réels des villageois échappent souventaux créateurs des nouveaux sites de sédentarisation. Ainsi, lademande d'ânes, qui par leurs multiples fonctions étaient trèsutiles aux villageois de Tin Aïcha, a été refusée, tandis qu'unepaire de moutons ou de chèvres, dont l'entretien dépassait lesmoyens des sinistrés, a été imposée, ce qui a créé d'autres problèmes.
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S. CISSE
La notion de « food for work» relève d'une moralité très peuchrétienne mais demeure intéressante si le « work » en question estentrepris dans le but de résoudre un problème réel. Cependant,les jardins potagers qui se sont implantés autour d'un certain nombrede mares du Gourma en 1985-1986 et dont l'existence conditionnel'obtention de sacs de semoule, sont révélateurs de l'impact d'unetelle pratique : tous les adultes ayant préféré quitter la zone, quelques vieillards et de jeunes enfants étaient obligés de planter deschoux et de la salade et de défendre le soir venu, au péril de leurvie, ces plantations contre des troupeaux d'éléphants.
A côté de ces cas de sédentarisation provoqués, encadrés ou suivis par des institutions officielles, il en existe d'autres qui sont lefait de chefs charismatiques des fractions; ceux-ci, par leur ascendant, poussent leur entourage à la sédentarisation à travers des pratiques agricoles _ou artisanales, une assistance financière pouvant êtredemandée à l'Etat et aux ÛNG.
Les associations pastorales
Les sociétés nomades au Mali étant essentiellement pastorales,l'intervention du service d'élevage apparaît normale dans une crisegénéralisée de ces sociétés (5). L'idée ayant sous-tendu cette intervention remonte à la fin des années soixante-dix et porte sur lamise en place des associations pastorales. Celles-ci, en permettantà des groupes de gérer des unités écologiques déterminées, devaiententraîner à la longue le ralentissement de la mobilité et de la fixation totale ou partielle des campements (6).
Cependant, pour diverses raisons et même si quelques-unes peuvent paraître solides au plan économique, ces tentatives ont échouésur un point: la reconnaissance administrative avec tout ce que ceciimplique n'a jamais pu être effective (7). La sédentarisation desnomades, pour être réelle, doit bénéficier de cette reconnaissancemais suppose par ailleurs la modification profonde de la manièred'être du nomade et du cadre administratif (8). En fait, les sédentarisations observées jusqu'à présent ne tirent pas un trait sur uncertain nombre d'antagonismes et de contradictions antérieures mais
(5) Cf. Identification d'une opéralion deréhabilitation d'éleveurs nomades sinistrés dansla région de Gao, Bamako, Direction nationale de l'élevage, 1981, muitigr.
(6) Cf. A. Bourgeot, «Pasture in theMalian Gourma: Habitation by Humans andAnimais " in The Future of Pastoral Peoples,Ottawa, CRDI, 1981.
(7) Cf. S. Cissé, « Les unités pastorales:l'élevage transhumant en question ou lesquestions posées par l'élevage., Nomadic
Peoples, nO 11, oct. 1982, Montréal, McGillUniversity.
(8) Cf. S. Cissé, «Sedentarization ofN omadic Pastoralists and Pastoralization ofCuitivators in Mali " in The Fulur~ of Pastoral Peoples, op. cit.
- «L'avenir du pastoralisme dans leDelta intérieur du Niger (Mali): agriculture,élevage ou agropastoralisme " Nomadic Peopies, n° 8, nov. 1981, Montréal, McGillUniversity.
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MALI
au contraire les amplifient. Seule une politique nationale peut eneffet en cerner les contours et trouver une solution durable etnon pas l'humeur et la bonne volonté des bailleurs de fonds etde quelques acteurs officiels. Ces dispositions se traduisent finalement par le tâtonnement et la mésaventure.
La multiplicité des institutions s'occupant de la fixation desnomades, la prolifération de leurs approches en matière de sédentarisation ne révèlent pas seulement la complexité du problèmemais essentiellement l'absence de politique en la matière. Des acteshumanitaires d'urgence et de l'aventurisme pragmatique, il ressortd'une part que les données sociologiques et historiques sont ignorées et d'autre part que l'administration malienne en tant que telleest à la traîne.
L'impact de la sédentarisation
Un certain nombre de contraintes sont inhérentes à la sédentarisation. Le nouvel espace du nomade sédentarisé ainsi que sontemps n'ont plus de fonction sociale mais restent une âpre réalité physique mesurée, confinée et hostile. Les hommes et les femmes qui s'organisent dans cet espace essaient de reconduire lesanciennes hiérarchies, de ressusciter les ancienne~ valeurs mais sansles moyens et les objectifs d'antan qui en servaient de support.
Ainsi, le nouveau cadre socio-territorial ~st difficIlement intégré en ce sens qu'il est en rupture avec tout l'~lér;tage cultureldu nomade qui reste néanmoins vivace dans la mental.~~ des gensmais aussi dans leurs relations avec les différentes administrationsmaliennes (9). Cette contradiction est difficilement vécue par lenomade nouvellement sédentarisé. Qu'il s'agisse par exemple desKel Tamacheq nobles ou des anciens serviteurs, les rapports avecle nouveau milieu sont ambigus: les anciens rapports de «servage" ou même ceux plus récents de clientélisme disparaissentmais de nouveaux rapports ne se mettent pas facilement enplace (10).
L'unité pastorale de Kita, créée et organisée par l'ODEM,glisse subrepticement en unité agropastorale mais les bâtiments«administratifs" construits en pisé cachent mal les tentes qui sontet demeurent les lieux privilégiés de rencontre des habitants.
(9) Cf. S. Cissé, Gestion intégrée des ressources de l'élevage dans le Gourma: approche théorique et problèmes politiques dans lamise en route du processus de gestion, Bamako,CIPEA, 1984, document interne, mulligr.
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(10) Cf. Organisation des éleveurs des fractions tamacheq de Karwassa pour la mise enplace d'associations pastorales, Sévaré, ODEM,1984, multigr.
S. CISSE
Les systèmes de production pastorale pratiqués jusque-là ne peuvent pas être maintenus dans un espace sédentaire (11). Deux ordresde difficultés apparaissent dans la pratique de l'élevage par lenomade candidat à la sédentarisation:- le manque d'animaux et la limitation des capacités de chargedes pâturages sont les premiers facteurs conduisant les nomades versles sites de sédentarisation. Ces problèmes sont rarement résolusdans l'environnement du nouveau site;- les moyens financiers fournis par le service encadreur sont généralement insuffisants ou soumis à des conditions d'obtention inaccessibles au nomade sinistré. Le tableau ci-dessous indique la natureet le degré d'importance des contraintes liées à la pratique de l'élevage dans les nouveaux sites de sédentarisés.
ENQUÊTE GROUPE-FRÉQUENCE DES CONTRAINTES LIÉES ÀL'ÉLEVAGE (12)
Ordre d'importanceNature des contraintes
1 2 3
Manque d'animaux 30,8 10 8,3Manque de pâturage 20,8 26,7 25Moyens financiers 17,7 16,7 0Manque de points d'eau 9,6 16,7 8,3Manque d'encadrement 5,8 13,3 8,4Autres contraintes 7,7 16,7 50
L'adoption d'autres systèmes de production, en l'occurrencel'agriculture ou le maraîchage, passe en outre par la maîtrise destechniques culturales et des conditions sociales de la production:la bonne terre étant déjà occupée, le nomade candidat à la sédentarisation est ou accepté sur des terres de faible valeur agricole ouréduit en un métayer taillable à merci. Par ailleurs, le néo-
(II) Cf. S. Cissé, Les structures socialeset économiques des systèmes de production animale du Gourma, Bamako, CIPEA, 1983,document interne, multigr.
- Phase exploratoire d'une étude des systèmes de production animale dans le Gounnamalien: synthèse des études sectorielles et besoins
de recherche future, Bamako, CIPEA, 1983,document interne, multigr. .
- • Is a Grazing Association Possible inthe Sahel Area of Mal~ West Africa ?. Seminar Paper, Madison, USA, University ofWisconsin Ext., december 1983, multigr.
(12) Ibid., note l, p. 55.
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MALI
agriculteurs, les nomades sédentarisés n'ont ni la technicité ni lematériel adéquat pour réaliser des rendements suffisants li (13).
Le manque de matériel, l'insuffisance d'intrants agricoles et lemanque de ressources financières constituent les principales préoccupations des groupes nouvellement sédentarisés.
Par ailleurs, d'un point de vue sociodémographique, la familleconjugale nomade - généralement moins étendue que celle d'unsédentaire - peut difficilement répondre aux besoins en maind'œuvre nécessités par la mise en valeur agricole d'une parcelle.
ORDRE D'IMPORTANCE DES CONTRAINTES LIÉES AUX ACTIVITÉS SOUHAITÉES (14)
Ordre d'importanceNature des contraintes
1 2 3
Équipement matériel, intrant 30 23,5 12,9Ressources financières 23,3 17,6 19,4Manque d'eau 16,7 19,6 6,5Manque d'animaux 16,7 15,7 9,7Manque de terres fertiles 3,3 3,9 3,2Manque d'encadrement 3,3 11,8 9,5Manque de pâturages 1,7 3,9 6,5Présence de prédateurs 1,7 2 9,7Autres contraintes 3,3 2 22,6
Ces contraintes, techniques et économiques, peuvent hypothéquer pour toujours les chances de réussite d'un candidat à lasédentarisation.
Ces difficultés économiques se rencontrent aussi chez les candidats à la sédentarisation dans des sites urbains et semi-urbains :l'artisanat, apanage des femmes, et le commerce se heurtent généralement aux mêmes maux : approvisionnement et débouchés. Mêmedes groupes soutenus et encouragés par des opérations de développement, Kita par exemple, butent contre ces problèmes; les produits d'élevage, point de départ de l'artisanat et du commerce, sefont rares à cause de la sécheresse qui a réduit considérablementles abattages d'animaux. La gratuité de la matière première ayant
(13) Ibid., note l, p. 58.(14) Ibid., note l, p. 53.
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S. CISSE
disparu, les coûts de production s'élèvent, d'où la réduction desclients potentiels.
• LERE
REGION de MOPTI60 100 ...., 1
Campements ou villages?
L'absence de maîtrise de cette sene de contraintes expliquel'échec de plus d'un village de sédentarisés et l'abandon d'un cer·tain nombre d'aires de pâturages qui avaient été réoccupées par cesderniers d'une manière permanente. En effet, c'est en vue d'attirerl'aide nationale ou internationale que des groupes en difficulté sesont constitués en village et ont réoccupé ces aires de pâturages.La relève n'est jamais assurée d'une manière satisfaisante: la priseen charge et la gestion des actions par les bénéficiaires débouchentle plus souvent sur une baisse de rendement et un abandon de sitespar une très grande partie de la population.
En fait, la sédentarisation est généralement envisagée par beau·coup de nomades comme transitoire. Aussi, dès qu'ils parviennentà acquérir quelques chèvres, se retrouvent·ils en brousse derrièreelles, ce qui conduit à la cessation de l'aide au groupe. En effet,l'agriculture et le maraîchage qu'on s'est évertué à leur apprendre,l'artisanat qu'on a incité à développer, sont mal maîtrisés sur leplan technique et mal acceptés sur le plan social. Même si ces pra·tiques sont intégrées et adoptées, les contraintes foncières, les dif·ficultés de marché et le vide institutionnel poussent nos nouveauxmaraîchers à reprendre le bâton du pâtre derrière quelques têtesde bétail.
Les habitudes de sédentarisation existent au Mali, mais cancer·
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MALI
nent essentiellement des individus et rarement des familles. Ellessont généralement imputables à des raisons sociales (mis au bandu groupe d'origine), religieuses (fixation à un point donné en vued'un rayonnement religieux) ou même économiques (entreprendreune activité lucrative dans un village ou dans un centre commercial).
La sédentarisation en masse a elle aussi historiquement existé;c'est le cas de la fixation des Peuls dans le Delta intérieur du Nigeren 1818. Cette sédentarisation était d'ordre politique, même si elleavait été justifiée par l'économie agropastorale de l'époque. La sédentarisation en masse de ces dernières années est liée quant à elleaux conséquences de la sécheresse et est le résultat de processusdifférents: reconversion des camps de sinistrés en occupation permanente, décision concertée de se fixer à cause de l'impasse de l'élevage nomade et de son impossibilité à satisfaire les besoins dugroupe, décision de- groupes de s'installer sur un de leurs parcoursou de s'approprier un espace.
Les problèmes - d'ordre économique, financier mais aussi technique, politique et administratif - rencontrés par les uns et lesautres font qu'il s'agit davantage de campements de sédentarité quede villages de sédentarisation. Dans ces conditions, si une politique nationale relative à la sédentarisation des nomades existe, ils'agit en fait essentiellement d'une politique de suivi et d'encadrement de camps qui se font et se défont suivant l'importance dela pluviosité et des interventions financières extérieures.
Salmana CisséMinistère de l'Environnement
et de l'Élevage, Bamako
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Pastoralisme, sédentarisationet État en Afrique de l'Est
iJ.-G. GALA TY
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ETANT donné les épreuves terribles qu'ont subies les nomades en Afrique au cours des deux dernières décennies, iln'étonnerait personne que la sédentarisation soit envisagée
comme une solution viable face à un dilemme d'apparence insoluble. Elle est soit un objectif principal, soit une conséquence inévitable de la plupart des programmes et des politiques concernantla population pastorale dans. la majeure partie des pays de l'Afrique orientale, y compris l'Ethiopie, le Kenya, la Tanzanie et leSoudan. Toutefois, elle représente bien davantage qu'une politiquevisant la préservation de l'environnement et le développement économique, car elle s'inscrit aussi dans une logique politique présupposant la «mise en captivité» (1) d'un des paysannats d'Afriquele plus insaississable, indépendant et intransigeant. La sédentarisation, en tant que politique et pratique, représente autant la causeque la réponse au dilemme pastoral.
Contrairement à la plupart des réfugiés africains, pour qui l'installation dans des camps provisoires ou dans des communautés permanentes semblerait nécessaire, voire appropriée, les réfugiés nomades souffrent moins du déracinement que de l'enracinement. Alorsque le réfugié sédentaire est «contraint de partir », le réfugié nomadeest « contraint de rester », le premier étant « poursuivi », le deuxième« mise en captivité ». La zone aride, et surtout l'élevage extensifrendent la conversion à une vie sédentaire extrêmement difficile.
Les États africains et les organismes de développement ne peuvent plus ignorer les tragédies que subissent les pasteurs-nomadesdepuis une vingtaine d'années. Peu d'observateurs fiables ont étésurpris lorsque, après les crises récurrentes des années soixante et
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AFRIQUE DE L'EST
soixante-dix, une autre grande tragédie sahélienne s'est produite aumilieu des années 80, touchant les populations pastorales du Malià L'Éthiopie, et du Soudan à la Tanzanie. Les « camps de la faim lI,
où l'on subvenait aux besoins immédiats, étaient trop fragiles poursupporter une population fixe. Les sites retenus l'avaient été plusen fonction de leurs facilités d'accès aux réseaux de distributionque de leurs ressources productives.
Considérer la sédentarisation comme la solution au dilemme pastoral actuel en Afrique provient d'idées reçues relatives aux origines et aux causes de ces crises alimentaires récurrentes en zone arideou semi-aride. Les symptômes en sont: l'épuisement des pâturages, la détérioration des terres, la décimation des troupeaux et lafaim. Les causes ne résident pas pour autant tout simplement dansdes facteurs climatiques, démographiques ou économiques. A ceux-ciseraient associés l'imprévoyance des pasteurs qui agrandissent leurstroupeaux pendant les périodes fastes et l'accroissement des populations humaines et animales qui représenteraient une surcharge quel'écologie fragile des terres arides ne supporterait plus dès que lapluviosité et les pâturages font défaut. De ce point de vue, la mobilité est mauvaise, car elle permet aux éleveurs de maintenir destroupeaux plus grands que les ressources locales n'autorisent; laréponse en est la sédentarisation. Mais, les crises des zones aridesen Afrique proviennent fondamentalement du dilemme de la sédentarisation et non pas du nomadisme, car les conditions de la réussite de la transhumance se trouvent réduites en raison de l'existence des enclos, des frontières administratives de plus en plus rigides, et de l'accès restreint aux pâturages et sources d'approvisionnement en eau pendant la saison sèche. La sédentarité avait atteintles terres arides en raison d'un trop-plein de populations dans lesrégions plus humides, ce qui devait entraîner une concurrence pourles terres à la fois agricoles et pastorales. Peu d'attention a été portésur la situation tragique que vivent ceux qui tentent de cultiver'sur des terres sèches alimentées par des eaux de pluie et dont lesrécoltes ne réussissent que trop rarement, sinon cette stratégien'aurait pas été proposée comme solution aux problèmes dupastoralisme.
Néanmoins, comme S. Sandford l'observe, « il n'y a pas une seuleet unique réponse universellement valable qui pourrait trancher laquestion pour ou contre la sédentarisation des nomades» (2). Les
* Les recherches au Kenya ont été conduites grâce au soutien de la NSF (USA),
, SSHRC (Canada), FCAR (Québec), et en'relation avec l~ l:lureau of EducationalResearch» de J'Umversitê Kenyatta.
(1) Goran Hyden, Beyond Ujamaa inTanzania: Underdevelopment and an Uncap-
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tured Peasantry, Berkeley et Los Angeles,University of California Press, 1980.
(2) Stephen Sandford, Management ofP. • Development in the Third World,Chltctiter et New York, John Wiley et Sons,1983.
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politiques unilatérales de sédentarisation, qui doivent être distinguées des processus de sédentarisation, manquent souvent de fondement ; l'enjeu est le bien-être des communautés qui sont les pluspauvres parmi les pauvres. Mais, paradoxalement, ces communautés apparaissent au regard des pouvoirs publics, de leur voisinageet même à leurs propres yeux, comme étant dans une situationd'aisance, farouchement indépendantes et rarement demandeuses dechangements que d'autres pourraient leur infliger.
La sédentarisation : étude de cas et clarification
Lorsqu'il s'agit de mobilité et de sédentarisation, il convientde distinguer trois variables: les pasteurs qui utilisent des pâturages sur leur passage et ceux qui pâturent durablement les ressources végétales; la mobilité des troupeaux et des foyers; lespasteurs «purs» et les agropasteurs qui combinent des activitéspastorales et agricoles. Nous reprenons trop souvent les clichésidéalisés: à l'image des nomades se déplaçant constamment avecleurs troupeaux et assurant essentiellement leur survie par des produits animaux s'oppose l'image des paysans cultivant la terre surlaquelle ils habitent, subvenant presque totalement à leurs besoinsgrâce à leurs récoltes. Ce modèle bipolaire est utilisé pour expliquer combien les pasteurs dépendent de leurs troupeaux et poursouligner leurs difficultés à se convertir à la production agricole.Cependant, un grand nombre de pasteurs est engagé dans l'agropastoralisme caractérisé par la combinaison de l'élevage et d'activités agricoles saisonnières assorties d'obligations relatives au champcultivé.
S. Sandford a estimé que sur les 500 à 600 millions de personnes qui évoluent dans les régions arides du monde, il y en a 30à 40 millions qui vivent dans des économies fondées sur l'animal,la plupart étant des pasteurs nomades. La majeure partie des autresmaintiennent des troupeaux en combinaison avec des économies agricoles. Il se peut que 20 à 25 millions de cette première catégoriepastorale vivent en Afrique,)a plupart d'entre eux dans les paysd'Afrique de l'Est (Soudan, Ethiopie, Kenya, Somalie) et beaucoupd'autres dans les zones sahéliennes du Tchad, du Niger, du Maliet de la Mauritanie. Au sein de ces pays et d'autres encore nombreux, des millions de têtes de bétail demeurent entre les mainsd'agropasteurs qui subissent les contraintes et les conséquences néfastes d'une mobilité du troupeau de plus en plus réduite. En effet,chez les agropasteurs kipsigi, sukuma et kamba, la détérioration des'sols est d'autant plus accentuée qu'il y a présence simultanée d'élevage et d'agriculture (3).
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AFRIQUE DE L'EST
Par commodité, distinguons les processus de sédentarisationIl spontanée Il, Il assistée Il, et Il forcée Il. L'installation Il spontanée Il
n'est pas forcément inopinée, irréfléchie ou réactionnelle. Au regardde l'histoire, il est possible de voir des « marées montantes et descendantes Il de peuples pasteurs et non-pasteurs sur des terres plusarides, et celà, au fur et à mesure que des individus et des groupes se mettent à pratiquer des activités sédentaires dans certainesconditions, reprenant des activités nomades lorsque ces conditionschangent. Certes, le Il rejet Il de populations excédentaires vers descommunautés sédentaires devient ainsi historiquement indispensable aux moments de pénurie, mais ces Il laissés pour compte Il
seraient plûtot ce que P. Salzman désigne comme des « nomadesen liste d'attente Il (4) qui reprennent la vie pastorale dès que leurpropre situation et celle de leurs confrères s'améliorent. Les formes les plus importantes de sédentarisation spontanée sont caractérisées par /'aut%calisation à proximité des ressources permanentes (eau d'abreuvement, pâturages d'altitude, sites agricoles), des centres de commerce où des négociants, des écoles et des cliniquessont souvent installés. Les réfugiés peuvent être motivés pour chercher des zones d'une plus grande sécurité, bien des zones où sedistribue l'aide alimentaire. Récemment, Hyden estimait qu'en 1982,300000 sur un million de réfugiés en Somalie s'étaient installésen dehors des camps de réfugiés auxquels ils étaient censés se rendre, pour s'installer chez des parents. En effet, l'histoire des dislocations et des recompositions des groupements pastoraux souligneque ce processus de « réaffiliation » spontanée s'est avéré un mécanisme décisif de survie des peuples pasteurs en temps de crise économique ou politique. Divers cas de processus de sédentarisation« spontanée Il existent comme chez des agr9-pasteurs ursi nouvellement regroupés dans la vallée de l'Omo en Ethiopie du Sud et subissant des pressions de l'environnement ou chez les chameliers Rendille, groupement pastoral plus spécialisé occupant une région trèsaride du Kenya septentrional et cherchant d'une part à se protèger de l'insécurité militaro-politique et d'autre part à avoir accèsaux services sociaux (6).
La sédentarisation « assistée» est une réponse à qes opportunités ou des programmes à court terme offerts par l'Etat, les orga- .nismes de développement, les Églises ou d'autres organisations nongouvernementales. Destinée à parer au plus urgent, l'aide alimen-
(3) P. Brandstrom, J. Hultin, et J. Linds·trom, Aspects of Agropastora/ism in EastAfTiro, Uppsala, Institut scandinave d'étudesafricaines, 1979 (Research Report nO 51).
(4) P. Salzman, «Introduction: The Processes of Sedentarization as Adaptation andResponse., InP. Salzman, ed., When
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Nomads Sm/e, New York, Praeger, 1980.(6) M. O'Leary, «Changing responses to
drought in Northern Kenya: The Rendilleand Gabra Livestock Producers., Nairobi,Programme international sur les zones ari·des (IPAL), manuscrit.
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taire est souvent fournie à des centres désignés, qui deviennent lessites de Il camps de la faim» dans lesquels affiuent les réfugiés enproie à la famine. En réalité, ce processus conduit volontairementou non à la sédentarisation, car il attire les nomades d'une vasterégion à un point de ralliement. Toutefois, lorsque l'aide alimentaire est insuffisante, ce processus d'attraction peut s'avérer fatal,car les sous-alimentés sont détournés des activités productives etréduits à un statut de quémandeurs et d'assistés. Tandis que lesresponsables de ces campements tentent souvent de décourager lesfoules de réfugiés qui peuvent submerger un campement dépourvude ressources alimentaires suffisantes, une politique qui ne vise, parexemple, qu'à l'alimentation des enfants affamés en bas âge.. immobilisera en l'occurrence toute une famille obligée ainsi de rester àla périphérie du campement. Mais la plupart du temps, une sociétépropre au campement s'y développe, marquée par des liens dedépendance plus ou moins avouables ou admissibles: d'abord, l'inavouable dépendance de la survie du centre sur l'existence de clientsaffamés ayant besoin d'aide alimentaire, médicale et de sécurité;ensuite, la tendance normalement avouée des administrateurs de campements à définir leur clientèle, obligeant les individus à se présenter au campement en personne et à y rester. Le point critiqueici, c'est le processus selon lequel l'approvisionnement en alimentsmotive le choix de l'installation dans un endroit où la productionet le potentiel de développement économique à long terme sontfaibles.
Parmi les Turkana du nord-ouest du Kenya, les campementsd'aide alimentaire furent délibérément transformés en centres dedéveloppement économique dans le cadre d'un programme du type« travailler pour manger li, organisé par le Programme alimentairemondial, qui préconisait le travail obligatoire sur des ouvrages d'irrigation en échange de nourriture. Malheureusement ceux-ci étaientsouvent mal-situés et leurs potentiels de production mal-évalués;il n'y avait souvent pas de nourriture à donner et les revenus deschamps irrigués n'étaient distribués qu'irrègulièrement, mettant ainsile programme dans la position d'un exploiteur involontaire de « travail forcé li (7). Néanmoins, l'État et les organismes de développement l'ont considéré d'une valeur inestimable pour promouvoir lasédentarisation locale des nomades turkana, et, en dépit des lacunes du programme lui-même, il y eut des ressentisments lorsquedes individus s'éclipsaient pour réapparaître plus tard ou reprenaientleurs anciennes activités d'élevage. D'une façon analogue, en So-
(7) R. Hogg, « Changing Perceptions ofPastoral Development : A Case Study fromTurkana district, Kenya. in D. Brokensha
and P. Little, eds., Anthrop%gy of Changeand Deve/opment in East Afn'ca, Boulder etLondon, Westview Press, 1988.
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AFRIQUE DE L'EST
malie au cours des années soixante-dix, il fut assigné aux « campsde la famine» une mission à long terme de sédentarisation desnomades, qui devaient s'adonner soit à l'agriculture, soit à la pêche.Les hommes en bonne santé disparaissaient un à un des listesd'effectifs des campements, n'y laissant que femmes et enfants. Avrai dire, les hommes partaient reconstituer leurs troupeaux, tandis que les autres membres de la famille devaient s'approvisionnerautrement en attendant. Dans ces cas-là, les nomades furent « accusés li d'être responsables de l'échec de ces camps proposés, par lebiais de la sédentarisation, comme solution à long terme du dilemmepastoral, tandis qu'en réalité, le potentiel d'un développement réussi
. sur ces sites était minime (8). Mais, ces échecs de la sédentarisation furent bien évidemment autant de succès pour faire revivreles éleveurs! Il y a tout de même d'autres cas où la mise à disposition de services, et des opportunités économiques, ont eu des résultats positifs. Au cours de ce siècle, les missions implantées en zonespastorales sont immanquablement devenues les lieux où s'installaientles pasteurs démunis qui devaient adopter simultanément « la houeet le livre ». Chaque comptoir de commerce en zone aride devientainsi un point d'installation permanente ou provisoire des éleveursles plus défavorisés, qui entretiennent de petits cheptels à la périphérie du village, tout en s'adonnant à des cultures marginales ouau salariat. A. Hjort a relaté comment la croissance d'une communauté de «squatters li Turkana installée autour de la petite villed'Isido au Kenya, a été liée aux possibilités d'embauche offertespar un avant-poste colonial militaire. Des Somalis s'étaient également installés dans la mêm petite ville, attirés par des possibilitésde négoce (9). Les Missions ont également ouverts des centres dedéveloppement J,?astoral dans les régions Maasai du Kenya et parmiles Borana de l'Ethiopie du Sud, fournissant aux communautés environnantes des médicaments vétérinaires, des races améliorées, etc..,Dans ces cas-là, les services offerts créent des centres autour desquels les gen§ s'installent de façon plus ou moins durable afin d'yavoir accès. Etant donné la dramatique croissance démographiquedans la zone semi-aride de l'Est africain, il y a surpopulation encours et la sédentarisatism qu'elle soit spontanée ou rendue possible par l'assistance des Etats ou des agences de développement serade plus en plus importante. Mais qu'importe la réponse des nomadesaux possibilités qu'on leur offre; de tels centres ne représententpas de modèles universels capables de résoudre l'épineux problèmepastoral, mais plutôt des palliatifs pour les membres des communautés en voie de marginalisation.
(8) D. Aronson, «Kinsmen and Com- Dependeney and Change: The Ilgira Sam-rads: Towards a C\ass Analysis of the burn of Northern Kenya., in J. Galaty andSomali Pastoral Seetor., Nomadic Peoples, P. Salzman, eds., Change and Development inn° 7, 1980, pp. 14-23. Nomadic and Pastoral Societies, Leiden, Brill
(9) A. Hjort, «Ethnie Transformation, Press, 198 \.
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Le débat politique porte le plus directement sur les formes desédentarisation « planifiée Il, puisqu'elles doivent être programmées,approuvées, financées, mises en œuvre et évaluées, c'est-à-dire toutce qui relève d'une politique explicite à l'égard de communautés(( cibles Il. Il faut cependant distinguer les programmes de « clôture Il,
qui requièrent une exploitation plus intensive des pâturages, d'unesédentarisation « forcée Il dans laquelle il peut y avoir recours à lacœrcition pour empêcher que les unités domestiques se déplacent.
La sédentarisation forcée est habituellement liée à la menace politique que représente souvent les populations nomades ou transnationales ainsi qu'à la nationalisation des grandes aires de parcours.Les programmes de sédentarisation forcée ont généralement rencontréde vives résistances de la part des populations locales et ont provoqué des chutes dramatiques de productivité. Ils s'inspirent moinsdu désir de développ~r le potentiel productif de l'élevage que dumotif de consolider l'Etat et ne représentent que la méthode la plusradicale dans toute une panoplie de mesures visant à assurer le contrôle politique sur les pasteurs. nomades.
Pour ce qui concerne l'Ethiopie, la nationalisation postrévolutionnaire des grandes aires de parcours n'avait pas toujoursconduit à un changement effectif dans l'expression des droits pastoraux locaux, surtout dans les grandes aires de parcours méridionales occupées par les Borana, les Guji et les Arsi, tous oromophones. Dans le nord, les ravages de la guerre et de la famine ontconduit à la réimplantation forcée des agropasteurs du Tigre dansde nouveaux villages situés à l'ouest selon un programme qui tientapparemment compte de l'appauvrissement des terres et de l'économie dans le nord ainsi qu'aux politiques de déplacement de populations soutenant la Résistance au gouvernement éthiopien. En Tanzanie, les éleveurs ne représentent qu'un cas particulier dans le programme national de «villagisation Il entrepris au cours des annéessoixante-dix, pendant lequel des ménages paysans éparpillés et deshameaux furent regroupés dans des centres de négoce, d'administration et de services sociaux. le regroupement des paysans en villages devenait de plus en plus cœrcitif au fur et à mesure que laparticipation locale s'avérait loin d'être enthousiaste, les cases deséleveurs étant parfois incendiées. Pour ce qui concerne les Maasai,pasteurs nomades plus spécialisés, des villages densement peuplésétaient particulièrement inappropriés, compte tenu de la difficultéà garder de grands troupeaux dans un seul centre résidentiel. Parla suite, le programme fut modifié pour les éleveurs, les villagesétant désormais formés de petits regroupements de foyers voisinsdistants de 0,8 km les uns des autres (10,11).
Moins directement cœrcitifs, mais néanmoins exhaustifs, les programmes de clôture des grandes aires de parcours furent effectuésau Kenya et au Botswana, la ~erre étant subdivisée en parcelles de
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AFRIQUE DE L'EST
propriété individuelle ou collective. Dans les deux districts maasaidu Kenya, des ranchs Il individuels li et Il collectifs li furent délimités aux cours des années 70 et 80; les déplacements des troupeauxdevaient en principe y être circonscrits (12). Bien que la clôturedes ranchs collectifs mesurant jusqu'à 100 000 acres de superficieen moyenne (13) n'implique pas forcément l'installation d'un foyer,le processus a permis la définition des droits fonciers de telle façonqu'il a stimulé le mouvement de sédentarisation. Les Il rancheurs li
individuels, propriétaires de 2 000 acres en moyenne chacun, n'ontpas cessé de profiter des avantages des ranchs collectifs auxquelsils sont associés par ailleurs. Dans le même temps, les membresinstruits et entreprenants du ranch collectif se sont « arrogés» enfait des parcelles individuelles par des investissements en maisonsfixes, routes et puits, faisant par la suite la demande de reconnaissance d'un droit foncier individuel sur leurs portions. Une véritable ruée sur la terre s'en est suivie. C'est ainsi que l'établissementdes Il groupements li s'est transformé petit à petit en enclos individualisés sédentaires, au fur et à mesure que des demandes ont étéprésentées lors de la mise en place de foyers permanents ou semipermanents. Dans la plupart des cas, les troupeaux ont pu continuer à se déplacer selon des accords tacites. Toutefois, la distancequi sépare les foyers du cheptel a conduit à réduire davantage l'accèsà une source d'alimentation pastorale, l'ironie déroutante étant queles enfants ayant accès aux écoles et aux cliniques soient plus malnourris que les jeunes gardiens de troupeaux.
Dans plusieurs des cas précédents, la sédentarisation devrait êtreenvisagée comme le cas extrême des processus de déplacements limités dans l'espace plûtot qu'un état établi, définitivement achevé ounon. La sédentarisation n'est pas seulement un processus quis'enclenche à la suite d'une intervention de l'État ou d'un organisme dans le monde de vie nomade; elle est en fait partie intégrante du pastoralisme en tant que processus social en zone aride.Aujourd'hui, le plus souvent, l'expérience de la sédentarisationcomme celle d'ailleurs de la « renomadisation » est à la fois volontaire et spontanée. Elle constitue une réaction à une économie défavorable, une réponse aux possibilités offertes par la création de campements et de centres de négoce en zones arides urbanisées et parla généralisation de l'agriculture. Tandis que la liberté de choix offert
(10) D. Ndagala, «Operation Impamati :The Sedentarization of the Pastoral Maasai "Nomadic peoples, nO 10, 1982.
(11) L. Parkipuny, «Sorne CrucialAspects of the Maasai Predicament " in A.Coulson, ed., African Socialism in Pracrice:rhe Tanzanian Expen"ence, Nottingham, Spo-
. kesman, 1979.(12) J. Galaty, «The Maasai Group
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Ranch: Politics and Development in an African Pastoral Society., in P. Salzman, ed.,W7Jen Nomads Seule, New York, Praeger, 1980.
(13) J. Galaty, «Scale, Politics and Cooperation in Organizations for East AfricanDevelopment " in D. Atwood and B. Baviskar, eds., Who Shares? Coopera rives andRural Developmenr, Delhi, Oxford UniversityPress, 1988, pp. 282-308.
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aux nomades est souvent restreinte en raison des circonstances, desprogrammes et de la politique de l'État, la cœrcition explicite aeu tendance à rester sporadique et indirecte.
Mobilité contre sédentarité
Dans le débat sur la sédentarisation, l'enjeu ne réside pas dansle maintien ou l'abandon des pratiques de mobilité des troupeauxet des hommes car les pasteurs exercent ces deux possibilités selonl'époque et le lieu. Il faudrait en réalité déterminer quel rôle lesagents du changement devraient jouer pour encourager, faciliter ouempêcher de tels comportements. Dans quelle mesure les politiquesde développement et d'assistance aux pasteurs peuvent-elles servirle but de la sédentarisation, compte tenu des logiques sous-jacentesà la mobilité et à la sédentarité?
La mobilité sous-tend la pratique du pastoralisme, ce qui représente dans un environnement hostile la mise en œuvre d'une stratégie de subsistance fondée sur des produits et des apports provenant des animaux domestiques. Comme le constate N. DysonJudson (14), en soulignant notamment les modalités d'apport en protéines, c'est uniquement grâce aux animaux dosmestiques, rarementà la chasse, que la zone aride devient habitable pour l'espècehumaine.
D'un point de vue technique, le nomadisme comprend la mobilité des troupeaux et des foyers. En zone très aride, il est plus efficace d'amener le bétail vers la végétation plutôt que l'inverse, en raison
. de la faible densité et de la distribution éparse des ressources surles grandes aires de parcours. Le bétail fait quotidiennement un circuit qui va du foyer aux pâturages en passant par un point d'eau.Les foyers se déplacent à la suite du bétail pour obtenir ce dont ilsont besoin, garantir à leurs membres l'accès à la principale sourcede nutrition (animaux de lactation et d'abattage), fournissant aussila main-d'œuvre nécessaire à l'entretien efficace du troupeau (15). Sile déplacement du troupeau est restreint, ils manquent de nourriture ; si le déplacement des foyers est restreint, ils manquent de nourriture. En outre, l'immobilité du foyer empêche la répartition efficace de la force de travail, ce qui influe sur la production. De plus,si le déplacement animal est empêché ou restreint, l'utilisation équilibrée des ressources végétales est rompue, provoquant une surex-
(14) N. Dyson-Hudson, «Strategies ofResources Exploitation among East africanSavannah Pastoralists., in D. Harris (ed.),Human Ecology in Savannah Environmenls,London, Academie Press, 1980.
(15) L. Sperling, «Laber Recruitmentamong East African Herders : The Samburuof Kenya " Labour, Capital and Society, 18(1), pp. 68-86.
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ploitation de certaines aires et la sous exploitation des autres. Il enest de même pour ce qui concerne la main-d'œuvre humaine, laquelle,en cas de sédentarisation des foyers, pourrait être à la fois sur-exploitéeet sous-exploitée, les individus au foyer restant quasi inactifs, tandisque les gardiens de troupeau sont surchargés de travail.
Les droits socialement réglés en ce qui concerne les ressourcespastorales sont légitimés par leur exercice régulier. En zone aride,ce n'est que grâce à leurs déplacements périodiques que les communautés dispersées arrivent à reproduire les grandes lignes del'ordre politique. D'une façon analogue, le pastoralisme comportesouvent la mise en commun de la force de travail des parents etdes voisins, coopération rendue possible par les déplacements périodiques et coordonnés des foyers. Cette mobilité des foyers est unestratégie qui permet la création et la consolidation des liens deparenté et des rapports sociaux, la réorganisation spatiale des foyerset la coopération dans le travail, ainsi que le partage des ressources et la redistribution du bétail et de la nourriture (prêts de vacheslaitières, dons, ...).
En somme, le nomadisme à travers sa pratique extensive de l'élevage est une stratégie quasi indispensable à l'occupation humainedes zones arides. D'un point de vue économique, chaque déplacement des troupeaux et des hommes devrait représenter un gain dansla productivité animale, quantifiable en termes de santé animale,d'engraissement et de production laitière; en revanche, l'impossibilité de se déplacer à un moment critique ou approprié provoqueraune diminution de la productivité animale, mesurable en termesde santé, de poids et de production laitière. Ces phénomènes portent non seulement sur le bien-être des troupeaux mais égalementsur celui des gens, qui dépendent de leurs animaux pour leur propre santé et leur nourriture. Les arguments en faveur de la sédentarisation en tant que politique sont essentiellement d'ordre écologique, économique, administratif et social. Les projets de développement réalisés sur les aires de parcours en Afrique de l'Est, ontpermis la création de nouveaux points d'approvisionnement d'eau,l'ouverture de pâturages sous-exploités et la mise en place d'un pastoralisme relativement moins mobile. En même temps, la construction des routes et l'extension du commerce à travers toute la zonearide, ont fourni les moyens d'une diversification économique assortied'une main-d'œuvre salariée et d'un secteur informel grandissantqui s'implante dans chaque interstice de communication etd'habitation.
D'un point de vue écologique, il faut envisager le rapport entreune croissance illimitée des troupeaux, les famines périodiques provoquées par des sécheresses épisodiques, et la détérioration progressive dans la qualité de l'environnement des aires de parcours. Ilest admis que la seule solution pour préserver les aires de parcours
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réside dans la modification du système foncier pastoral, la prévention de la croissance illimitée des troupeaux, la sédentarisation denomades au sein d'agglomérations à l'écart de l'économie pastorale,la subdivision des aires de parcours en parcelles privées entretenues par les familles afin d'en « responsabiliser» la gestion, et enfinle contrôle des déplacements des troupeaux qui favorise leur croissance. L'aspect économique de cet argument souligne que les pasteurs détiennent un mode de subsistance riche en énergie, et queleur orientation non commerciale les amène à entretenir des animaux théoriquement non productifs, entraînant une surcharge desressources limitées des aires de parcours, sans les rendements correspondants. De ce point de vue ({ clôture» et sédentarisation conduisent à une utilisation plus efficace et effective des terres.
Il est cependant loin d'être évident que les zones de gestionnomade se dégradent plus rapidement que celles de gestion sédentaire, puisque les dégradations les plus importantes de l'environnement se rencontrent à la périphérie des centres commerciaux, àproximité des routes , dans les parties défrichées et cultivées desaires de parcours, et dans les pâturages objets d'un agropastoralismesédentaire. En fait, l'introduction de l'agriculture pluviale en zonearide s'est avérée un élément majeur dans le déclin des aires deparcours, en raison de l'érosion des champs rendus plus vulnérables et de l'obligation des troupeaux à pâturer des terres plus marginales. La commercialisation accrue du bétail, loin de représenterun palliatif par le biais de l'élimination du surplus d'animaux, produit en fait le résultat inverse, c'est-à-dire, l'augmentation du cheptelgrâce aux réinvestissements des bénéfices et la satisfaction des besoinsde subsistance. Les éleveurs mettent en effet sur le marché un grandnombre de têtes de bétail, destinées à l'approvisionnement des centres urbains des nations de l'Afrique de l'Est, ainsi qu'à l'exportation vers l'Europe (dans le cas du Botswana) et le Moyen-Orient(à partir de la Somalie, du Kenya et du Soudan).
D'un point de vue administratif, les pasteurs et agropasteursoccupent des régions frontalières qui, en raison de leur rattachements éclatés, sont receptives aux mouvements sécessionnistes (lecas de l'Érythrée), irrédentistes (le cas de la SomaJie), ou culturelsnationaliste (le cas des Oromo), qui menacent l'Etat. L'argumentselon lequel les pouvoirs publics ne peuvent servir les nomades quedans la mesure où ils sont fixés a été avancé de la façon la plusexplicite par la Tanzanie; c'est à cette condition que les pasteurspeuvent bénéficier des services sociaux, commerciaux, médicaux etvétérinaires. Mais trop souvent, la sédentarisation n'apporte guèreen réalité d'amélioration dans la qualité de la vie mais plûtot undéclin.
Les conditions de mode de vie nomade en Afrique de l'Est sesont améliorées là où les ressources valorisées par les éleveurs ont
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été disponibles; par exemple, avec la disponibilité en médicament,>vétérinaires et en bains dans le cadre du programme de reconstitution du cheptel chez les Turkana (16), avec l'accès grandissant au.~
enchères de bétail et aux marchés en Tanzanie, ainsi qu'avec lerécent abandon du contrôle des prix de la viande au Kenya. Lorsque les troupeaux se déplacent à leur guise à travers les aires deparcours, les ressources sont exploitées au mieux et la productivitédes pâturages est maintenue. Les grandes interrogations sur la viepastorale restent posées et aggravées par la sédentarisation unilatérale. Le défi politique n'est pas d'adapter les nomades à des sytèmes préconçus de sédentarité, mais de renforcer au mieux la viepastorale. Cette option exige une participation des pasteurs nomades à la culture et à l'économie nationales ainsi qu'une latitude demouvement sur leurs aires de parcours extensives.
Traduit de l'anglaispar Suzan Asch
(16) R. Hogg, 1988, op. cit.
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John G. GalatyUniversité McGil~ Montréal
A.-M. DILLEYTA
Les Afars· la fin du nomadisme
OPPOSITION ville-campagne, conflits de générations, choc descultures, désordres politiques et calamités naturelles récentes ont accentué la marginalisation et l'asphyxie des socié
tés nomades ou semi nomades. Pourtant l'organisation, la cultureet les valeurs de ces sociétés comptent incontestablement, en dépitde certaines apparences, parmi les plus riches.
« A la marginalisation croissante~ on peut trouver deux raisonsprincipales. La première est politique: éleveurs et nomades, organisés en tribus, ont le plus souvent été assimilés à des rebelles, à desbandits parfois, par les administrations coloniales et celles qui ontsuivi. Mobiles, on a tenté de les sédentariser, autonomes, on a tentéde les intégrer dans de nouvelles structures nationales (...). La seconderaison de la périphérisation des pasteurs réside dans le déclin économique d'un élevage dont les produits sont de plus en plus marginalisés sur le marché mondial» (1).
En République de Djibouti et en Éthiopie, on veut réduire laproblématique des semi-nomades afars à un choix radical entre lamodernité et la tradition. Ce choix doit être refusé non pas pourdes raisons idéologiques mais à cause d'un État moderne qui veutignorer et transformer des systèmes de production qui ont pu depuisdes siècles maintenir un équilibre entre les exigences du nomadisme(transhumance) et les aléas naturels.
S'il doit y avoir changement, il doit partir de l'intérieur et nonêtre greffé sur le corps social intéressé.
Cette démarche s'appuie sur le fait que la société traditionnelle,bien qu'elle doive changer, voire muter, est capable d'assumer leschangements sans perdre ses spécificités.
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Malheureusement, dans la plupart des pays africains, les politiques étatiques visent à la destrueturation des sociétés nomades jugéesimproductives et réfractaires (sédentarisation forcée, grands projetsagricoles...).
Les Afars ou Danakil (2)
La population afar, estimée entre 800 000 et 1 million de personnes, occupe, de la mer Rouge aux pentes des Hauts-Plateauxéthiopiens, un triangle quasi identique géographiquement, à la« Dépression dankali » et dont les sommets sont Massawa (en Erythrée), Ankobar (choa) et Djibouti à l'est, avec une superficie avoisinant 160000 km2•
Les Afars, dont les 8/10 vivent en Éthiopie et le reste en République de Djibouti, constituent à l'origine un peuple de pasteursnomades entièrement dépendants de l'existence de points d'eau etde pâturages. C'est sur ces données écologiques qu'est édifiée leurstructure sociale. Celle-ci implique une forte interdépendance desménages, des campements et des tribus.
Leur économie et leur organisation sociale sont conditionnéespar quatre types de dépendance:
mutuelle entre les différentes composantes sociales;à l'égard du bétail, leur seule source de sécurité économique;à l'égard des pâturages qui doivent être suffisants;à l'égard de la mobilité.
Il existe une dimension socioculturelle afar dont l'histoire estlargement autonome. Pendant des millénaires, cette société a franchi quelques ,seuils de changements, notamment le passage d'unesociété sans Etat à une société avec sultanats.
Contrairement à certains sociologues ou écrivains de passage quidistinguent les Afars du nord et ceux du sud, on trouve chez cepeuple le sentiment aiguisé d'appartenance à une même communauté ethnique: unité de langue, de mode de vie et respect d'unemême institution (Mada).
Le «triangle afar » comprend une vingtaine de grandes chefferies ayant une structure politico-sociale qui combine deux typesd'organisation: territorial et tribal.
Nous ne prendrons ici que l'exemple de deux chefferies: le Sultanat d'Awsa (en Éthiopie) et les Sultanats de Rahayto et Tadjourah (en République de Djibouti). Avec le Sultanat d'Awsa - héritier historique du « Royaume d'Adal » (3), possédant une force poli-
(1) Note du Comité de rédaction, Produc- (3) D'o.ù est partie, au XVI- siècle, l'inva-rion pasrorale er sociéré, Paris, nO 20. sion de l'Ethiopie.
(2) En arabe (sing: Dankali).
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tique réelle et seule chefferie à détenir la plupart des terres cultivables, nous tenterons dans un premier temps de poser la problématique relative aux deux systèmes de production qui se sont trouvésconfrontés: celui de la société afar fondée sur le pastoralisme etcelui de l'économie éthiopienne, intégrée au système mondial et calquée sur le modèle occidental. En fait, hier repliés sur eux-mêmes,ignorés du pouvoir monarchique de Hailé Selassié, se contentantd'une autonomie pervertie par le sultan Ali Mirah, les Afars decette région sont restés aux marges de la société moderne.
En second lieu, les exemples des Sultanats de Tadjourah et deRahayto, les plus anciennement institutionnalisés, serviront de complément pour présenter les chocs culturel, politique et juridique quise sont manifestés entre la société traditionnelle et la société marchande de modèle occidental. Un antagonisme est apparu au niveaudes structures sociopolitiques fondées sur des règles coutumièresancestrales et très ancrées dans la mentalité de la population. Unedualité de juridiction oppose le droit traditionnel au droit occidental. Un droit adapté aux impératifs du présent peut-il émerger?
Les nomades afars et l'État éthiopien
En Éthiopie, le rapport conflictuel entre les semi-nomades afarset l'État ne relève pas de l'ordre idéologique mais d'une dualitéde systèmes antagonistes qui s'affrontent essentiellement sur la juridiction de la propriété foncière et sur le mode de vie.
Les Afars ont toujours été tenus à l'écart de la vie politiqueen partie à cause de leur réputation guerrière. Quelle que soit l'opinion politique du pouvoir central, ils s'y opposent dès que l'Étattente d'établir un contrôle plus important sur leur territoire. Enoutre, ils ont toujours manifesté une résistance active à tout ce quiest susceptible de mettre en péril leur autonomie, c'est-à-dire, àterme, leur mode de vie traditionnel.
En fait, cette opposition illustre fort bien la difficulté à concilier l'intérêt de l'État éthiopien pour le développement rural aveccelui des Afars qui visent à conserver l'intégrité de leurs terres ancestrales. Pendant des millénaires, la société afar a dû préserver sonidentité par la guerre mais, de nos jours, ce moyen ne saurait empêcher la pénétration des changements exogènes.
Actuellement, l'État existe et s'impose sans se soucier d}! systèmesocioculturel traditionnel. Mais pour asseoir son autorité, l'Etat éthiopien a eu les plus grandes difficultés à transformer le mode de viedes populations afars, de surcroît dans un pays où l'antagonismereligieux est encore\ vivace. Les maladresses et .les méthodes utilisées ppr l'Étpt (n1onétarisation, utilisation des' terres pour l'agriculture
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sur des sols expropriés), n'ont fait qu'aggraver la situation de cespopulations semi-nomades. Cette nouvelle situation a provoqué lerepli des Afars sur leurs traditions au lieu de leur intégration danscette modernité accaparante.
L'État éthiopien, n'ayant pas saisi que la structure traditionnelle n'est pas un frein au développement mais au contraire uneforce à utiliser, a appliqué des recettes qui se sont déjà révéléesnéfastes ailleurs: la sédentarisation forcée et le passage brutal del'élevage à l'agriculture comme seule alternative au développementdes nomades. En général, les nomades ne sont guère associés auprocessus de planification et la conception des projets s'en ressent.
De l'autonomie â l'exclusion
Les relations entre le monde afar et l'Éthiopie impériale sonttrès anciennes et depuis longtemps conflictuelles. Si le système impérial a admis implicitement, depuis le XVIe siècle, une large autonomie au bénéfice des semi-nomades afars, ces rapports se sont rapidement envenimés à partir des années cinquante. Depuis, l'incompatibilité entre les deux systèmes a trouvé son expression la pluséloquente dans la partie de bras de fer livrée dans la vallée del'Awash qui dispose d'un potentiel hydraulique important.
En 1962, le gouvernement créa l'AVA (Awash Valley Authority)qui était « chargée de coordonner l'activité de divers ministères, depromouvoir l'agriculture industrielle, de prévoir les infrastructuresnécessaires, et d'une manière générale, de faire tout ce qui peutêtre nécessaire à la bonne utilisation et au développement des ressources de la vallée d'Awash li (4). Toujours sans tenir compte dessemi-nomades afars réticents et incompétents pour les activités agricoles, les études de faisabilité préconisaient des grandes plantationsde coton et de canne à sucre. Les premières entreprises (étrangères) s'y installèrent pour pratiquer des c1.!ltures industrielles (sucre,coton). Ces projets très rentables pour l'Etat éthiopien ont été conduits sans se préoccuper des populations régionales, en utilisant unemain-d'œuvre allogène originaire des hauts plateaux. Cette exploitation agro-industrielle a permis à l'État de repousser de plus enplus les nomades des bords du fleuve Awash et de rendre plus difficiles leurs conditions de vie. Pour atteindre les objectifs de l'AVA,l'État chercha à séduire le pouvoir en place. Il réussit à corromprele Sultan de l'Awsa (Ali Mirah) qui exerçait une forte autorité surses sujets, en lui octroyant une part des actions. Celui-ci avaitd'abord cherché à s'oppos<;r à la progression des plantations maisne pouvant affronter un ,Etat renforcé par l'empereur Haïlé Sel-
(4) L. Bondestam, «People' and Capita- pia., The Journal 0/ Modern A/rican Studies,lism in the Nonh-Eastem Lowlands of Ethio- " 12,3 (1974), pp. 423-439.
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lassié, il avait préféré céder sans se soucier des répercussions decette politique: éloignement des nomades de leurs points d'eau,interdiction de l'accès aux meilleures terres, introduction d'une économie monétaire.
On peut remarquer que le Sultan de l'Awsa, contrairement àceux de Tadjourah et de Rahayto qui sont seulement garants desinstitutions, détient une autorité absolue jouit d'une réputation dedespote car à l'origine son pouvoir s'est établi sur un coup de force.son attitude face à la politique éthiopienne demeurait donc décisive car il détenait l'avenir de ces populations: fallait-il continuerà vivre en autarcie et défendre ses terres contre toute pénétrationétrangère? Il est vrai que les semi-nomades afars, qui ont toujourseu une attitude réfractaire à toute tentative de pénétration ayantdes visées colonisatrices néfastes pour leur mode de vie, ne pouvaient plus s'opposer à un État qui avait réussi une «amharisation » des ethnies limitrophes; fallait-il céder à une politique ignorant l'avenir des nomades? Ce n'était pas non plus une solution.Finalement, on vit se développer deux phénomènes sociaux parallèles mais opposés: d'une part, une classe sociale aisée se constitua autour du sultan Ali Mirah et des grands propriétaires de plantation qui devinrent les soutiens actifs de la politique gouvernementale malgré leur opposition d'origine. D'autre part, se développaun appauvrissement généralisé de la population afar de la régiondans le contexte de la pollution de l'eau du fleuve Awash et del'érosion accélérée des sols, situation qui conduisit à la grande faminede 1973. Il se créa en même temps des petits centres urbains dontles Afars devinrent économiquement dépendants.
Issu de la révolution éthiopienne de 1974, le gouvernement militaire provisoire s'interrogea sur l'attitude à adopter vis-à-vis du Sultande l'Awsa. Toutes tractations devait prendre en compte à la foisla complexité du comportement de la chefferie afar et l'importancestratégique de son territoire traversé par le seul axe routier qui relieAddis-Abeba au port d'Asab et dont l'intérêt s'est accru depuis laguerre en Érythrée.
Ce gouvernement, encore faible et instable, ne chercha pas àpréserver les particularités des nomades mais il commit les mêmeserreurs que son prédécesseur, laissant à Ali Mirah le soin de faireaccepter aux Mars la réforme agraire de 1975 et lui donnant letemps de transformer ses propriétés en terres collectives.
Le sultan, constatant qu'il ne pouvait tirer aucun profit de cettesituation et conscient de la destrueturation irréversible de sa société,s'exila en 1976; les terres furent nationalisées.
Dès son avènement, le nouveau gouvernement s'est affirmé àl'égard des systèmes juridique et politique désorganisés, en introduisant une économie marchande monétarisée qui s'est généraliséeet une agriculture utilisant les meilleures terres de la vallée de
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l'Awash. Au début, les pouvoirs publics ont tenté une sédentarisation forcée des nomades de la région (Somalis, Afars, Boranas) etun développement intensif des activités agricoles. Mais il semblebien que ce projet, sans nuances, portait les conditions de son propreéchec. En effet, au lieu de créer des points d'appuis agricoles àun élevage en difficulté, il érigea en dogme la sédentarisation etaccorda la priorité à l'agriculture sur l'élevage.
Sans engager un débat, on peut regretter que le gouvernementmilitaire éthiopien ait rejeté à priori la vocation pastorale de larégion, au lieu de chercher à réorganiser et à rationaliser l'élevageen profitant de la diminution provisoire du cheptel provoquée parla famine de 1973. Les autorités politiques auraient dû comprendre que la sédentarisation n'est pas l'aboutissement forcé du nomadisme, ni nécessairement la solution immédiate lors des crisesclimatiques.
Vaincus, les Afars furent contraints d'accepter un mode d'exploitation individualiste qui s'est substitué aux pratiques traditionnelles collectives régissant la conservation des sols, des pâturages, desarbres et des eaux. Ainsi, les structures de la famille élargie et lespratiques de gestion prudente des ressources se sont en partie effondrées. L'autorité des collectivités locales, qui auraient pu éventuellement prendre des mesures politiques pour lutter contre la mauvaise exploitation des ressources si les structures familiales n'yavaient pas suffi, a été de plus en plus battue en brèche.
En fait, la politique économique favorise les villes et encouragela fourniture aux consommateurs urbains de produits alimentaireset de combustibles bon marché. La monétarisation croissante entraînades changements marqués au niveau des institutions sociales puisque la famille élargie, qui constituait traditionnellement la principale unité de production, fut soumise à des pressions internes. Lesjeunes se rendirent compte qu'ils pouvaient subvenir à leurs besoinsou à défaut trouver des emplois relativement lucratifs, ce qui entamaprogressivement l'autorité par des chefs coutumiers.
Quelle alternative ? Quelles possibilités?
« Les Afars savent que)eur survie dépend de leur capacité de s'intégrer dans la logique de l'Etat sans pour autant y perdre leur identité.Cela est possible, à condition que l'État sache se servir et revaloriserleur expérience et leurs structures sociales qui sont encore assezvivantes (...) » (5).
(5) M. Makahabano, «Le dernier carrédes Danakil., Actuel Développement, nO 71,mars-avril 1986, p. 54.
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Ce point de vue d'un journaliste illustre la complexité du problème et le corollaire qui en découle. Les semi-nomades afars doivent s'adapter et prendre conscience de la conjoncture pour manifester leur souci de contribuer au développement économique etsocial du pays.
Au lendemain de la révolution, les Afars, doutant des conséquences d'un soulèvement aux finalités incertaines, ont pris les armespour défendre leurs terres. Après plusieurs années de lutte armée,de destruction et de sabotage des axes routiers par les maquisardsafars, le gouvernement prôna le dialogue. Cette guerre ne lui rapportant rien et consciente de l'invulnérabilité d'une guérilla évoluant sur son terroir, l'autorité centrale opta pour un compromisavec de jeunes intellectuels regroupés au sein d'un seul parti. Contrairement aux caprices et à la démagogie du sultan Ali Mirah, cetteélite afar, qui a compris la logique de l'État moderne, a acquisdémocratiquement des responsabilités dans la région occupée. Ainsi,présente-t-elle au pouvoir d'Addis-Abeba des revendications senséeset adaptées. D~vouée à la cause afar, elle s'efforce d'être l'intermédiaire entre l'Etat éthiopien dont elle est la représentation politique et les nomades afars qu'elle veut appuyer pour sortir del'impasse.
En tout état de cause, il faut souligner que tout programmede développement qui ne prend pas en compte les populations concernées est vouée à l'échec. D'autant plus que l'approche des problèmes pastoraux et du développement en zones nomades, a reposésur une vision paternaliste et un esprit de réhabilitation de populations jugées comme arriérées, défavorisées et qu'il fallait avant toutsédentariser pour les amener sur la voie du progrès.
L'autonomie régionale
Actuellement, avec la Constitution de 1987, le redécoupage administratif de 1987, et compte tenu de l'importance stratégique dela région, le gouvernement préfére jouer pleinement la « carte afar ».
En fait, Asab a été la première région à bénéficier d'une autonomie régionale. Au-delà des visées politiques qui consistent à contrecarrer l'Érythrée, l'État éthiopien a préféré mettre les Afars deson côté, ceci pour des raisons de sécurité dans une région tampon qui verra son importance croître avec l'extension du port d'Aslibet le projet de chemin de fer destiné à le relier à Addis-Abeba.
Les limites politiques de cette autonomie n'étant pas encore connues, il apparaît que la responsabilité du développement et du changement reste au niveau des Afars eux-mêmes. Ils doivent pleinement profiter de cette situatipn inespérée pour bâtir un programmede développement intégré. Etant les mieux placés pour comprendre les rouages de l'économie pastorale et les éléments décisifs pour
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l'adapter à la situation actuelle, il leur revient de formuler des objectifs qui réconcilient leurs « particularismes» et les orientations générales fixées par l'État.
L'émergence de nouvelles structures devra donc s'opérer à partir de la société traditionnelle et sous sa tutelle; le vrai défi consistera, en définitive, à mettre en complémentarité les conditionsfavorisant le développement de l'élevage, activité traditionnelle, avecl'agriculture par:- la mise en place d'infrastructures importantes (puits, cliniques...),- la formation des éleveurs (agriculture, santé vétérinaire, santéhumaine, constructions, gestion coopérative, etc.),
la scolarisation d'une région jusque-là délaissée,l'amélioration des pâturages, formation aux techniques nouvelles,commercialisation des produits laitiers, etc.
Les nomades afars à Djibouti
Le mode de vie et les mœurs des nomades afars de la République de Djibouti et ceux de l'Éthiopie sont similaires, voire identiques. Mais les rapports que le~ Afars de Djibouti ont entretenusau cours de l'histoire avec l'Etat (français au début, djiboutienensuite) sont très différents du cas éthiopien. Contrairement àl'Éthiopie où il y a eu tentative de #mainmise de l'État sur les nomades, à Djibouti, la dualité entre l'Etat et les nomades est plus subtile, car elle oscille entre un mépris manifeste dû à une incompréhension totale pour ce qui est de la France, et une absence de propositions et de planification de la part de la République de Djibouti.
Dès l'installation des Français à Odock en 1862, il s'est instauré entre les nomades afars et les administrateurs métropolitainsune incompréhension d'ordre socioculturel, juridique et religieuxqui ne s'est, depuis, jamais estompée.
Le colon français qui avait de l'Africain l'image du cultivateurde l'Afrique de l'Ouest ou du berger maghrébin a eu du mal àsituer ces nomades « farouches lI, indépendants, ne se pliant à aucuntravail manuel et nomadisant entre les territoires éthiopien et djiboutien au mépris des frontières établies. Les premiers contacts entreles représentants de l'Empire français et les nomades afars furentrudes. Les quelques massacres de marchands aventuriers et d'administrateurs impétueux (Lambert assassiné le 5 juin 1859, l'administrateur Bernard, en janvier 1935 à Moraito dans le sud-ouest) ontdéfinitivement conféré aux nomades une image de guerriers indisciplinés et farouches. Depuis lors, les Français n'ont jamais plusréellement tenté d'intégrer cette population dans leur système administratif.
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De ce fait, le nomade afar qui, depuis des millénaires, a instauré une juridiction, une tradition et un code de vie spécifiqueet respecté par tous, est resté tel, fidèle à ses mœurs ancestrales.L'exemple le plus frappant de ce fossé est, qu'en plus de deux siècles de colonisation, les missionnaires français (et ils furent nombreux!) ne sont arrivés à christianiser aucun Afar. ..
Une installation « déguisée »
C'est seulement à travers les chefferies traditionnelles que laFrance s'est imposée et a réussi à attirer progressivement le nomadevers les centres urbains. Dès son arrivée, celle-ci signa un traitéd'amitié et de coopération avec les autorités locales, en respectantles structures en place. Dès le début, la politique coloniale visait,en fait, sur le long terme, à réduire la puissance guerrière et politique des Afars.
Pour ce faire, les Français ont donc joué la carte de la sédentarisation à travers un programme politique teinté d'humanisme etde paternalisme. La puissance coloniale a institué, en premier lieu,un système de rémunération pour les chefs coutumiers (makaban)et le sultan. Ayant ainsi convaincu tous les notables nomades, ellea progressivement encouragé, après la guerre, la sédentarisation enmettant en place des infrastructures modernes: écoles et dispensaires qui rendirent les villages plus attrayants pour la jeune génération. Ces mesures s'accompagnèrent évidemment d'une sensibilisation à la culture occidentale: introduction de nouvelles valeurstelles la liberté individuelle et la monétarisation, adoption des comportements administratifs, mise en place d'un système politique calqué sur le modèle occidental (mais qui, à la Chambre des députés,utilise les structures traditionnelles par la représentation de toutesles tribus), incorporation des nationaux dans les différents corps del'armée...
Une faible part de la population a migré vers les yilles et lesvillages, attirée par ces « bienfaits de la civilisation occidentale ».Les villages antiques, comme Tadjourah dont la population s'estsédentarisée depuis l'époque des denses relations commerciales avecla péninsule arabique, l'Abyssinie et les autres pays, ont vu rapidement accroître leur population.
Création de la ville de Djibouti
La future capitale, Djibouti, créée en 1888, était habitée dansses premières décennies par une population allogène composée decommerçants (yéménites, européens, juifs, asiatiques...) et des habitants de la cité millénaire de Zeila qui l'ont complètement abandonnée pour cette jeune ville en devenir. Mais les travaux de cons-
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truction de la ville, du port et du chemin de fer reliant Djiboutià Addis-Abeba (qui a duré de 1897 à 1917), ont vu converger unnombre croissant de nomades. Pas en très grand nombre, toutefois, car ce n'est pas en quelques décennies que l'on change unmode de vie ancestral. La preuve la plus significative du refus parle nomade de la vie sédentaire et du travail manuel est la construction du chemin de fer; les Français, ayant en vain tenté
.d'embaucher des Afars et des Issas, furent obligés de faire appelà une main-d'œuvre étrangère venue de Somalie.
n en alla de même pour la scolarisation qui n'a connu del'ampleur dans le territoire que très tardivement (dans les annéescinquante). C'est en effet, à partir de cette période que les nomades affiuèrent très progressivement vers les villages et la capitale,constatant à travers les premiers conquérants des villes, les avantages de l'enseignement, du travail urbain et de la monétarisation.Les premiers bénéfices de la scolarisation se firent ressentir avecles titulaires des diplômes (CEP) gagnant aisément leur vie et ayantacquis des postes de responsabilité aux côtés des « Blancs "~, ce quiincita les parents à mettre leurs enfants (uniquement des garçons)à l'école des colons.
L'autre facteur d'attraction de la ville est que, la société nomadeétant très solidaire, l'individu qui y part tenter sa chance envoieà sa famille, restée en brousse, de l'argent utilisé pour accroîtrele troupeau, acheter des denrées alimentaires d'origines urbaines(huile, conserves, riz...), besoins nouveaux pour le nomade qui secontentait auparavant de sa nourriture de base: lait de son troupeau, galettes de dourah (échangé en Éthiopie contre le sel) et occasionnellement viande. Ainsi, les familles, n'ayant aucun de leursmembres en ville et désirant acquérir ce «surplus» émanant desvilles, se sentirent obligées d'envoyer le plus jeune ou le plus entreprenant de leurs enfants à Djibouti. Les Afars, ainsi progressivement «coupés» de leurs traditions, se trouvèrent donc plus quejamais dépendants de la ville, de l'administration centrale et d'unflux monétaire d'origine urbaine.
Une urbanisation « outrancière Il
Mais il faut souligner que le nomade, même sédentarisé, continue à respecter un pouvoir coutumier garant des institutions quine manquent ni de cohésion, ni de justice.
L'administration française n'a jamais cherché à transformer cettestructure politique dans sa forme d'origine afin de mieux s'en servir comme au temps d'Ali Aref. Au premier exode rural suscitépar « l'attrait du neuf », suivit à partir des années soixante-dix uneseconde phase due aux bouleversements écologiques. La désertification s'aggravant, la grande majorité des nomades se regroupèrent
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sur les grands axes routiers, formant ainsi des petits villages disséminés dans tout le pays. Les pâturages aux alentours des villagesétant insuffisants et les troupeaux de plus en plus restreints, cesnouveaux sédentaires étaient désormais entièrement dépendants, poursubsister, de leurs familles urbanisées. Parfois, ce sont les organismes de secours internationaux qui alimentent ces communautéstransformées en « assistés ».
La République de Djibouti n'a malheureusement pas pris véritablement en charge l'enjeu du nomadisme. Elle s'est limitée à réaliser un nombre important de forages aux alentours des « nouveauxvillages li et à assurer un minimum d'infrastructures (dispensaires,écoles, etc.). Après dix ans d'indépendance, aucune politique spécifique pour le maintien du mode de vie et de la culture des nomades, n'a été conçue. Rien n'a été fait non plus pour que la sédentarisation de ces populations s'effectue dans des conditions favorisant l'insertion à la vie moderne, en leur proposant des possibilités d'activités agricoles ou de pêche.
Ceci est regrettable car l'unique exemple de périmètre agricole,celui de Mouloud où une vingtaine de familles nomades a été priseen charge pour développer l'agriculture, a réussi. A Djibouti, ilexiste bien un organisme semi-public de prêt à des taux très avantageux, destiné notamment aux agriculteurs et aux coopératives(Caisse de développement de Djibouti) et qui a investi depuis 19821 600000000 francs Djibouti (environ 40000000 FF). Mais 15 %seulement sont allés à l'agriculture, contre, par exemple, 38 % àl'habitat. De surcroît, ces fonds, souvent investis sans études préalables et sans encadrement d'agriculteurs néophytes, ne donnent pasles résultats escomptés, les réalisations ne dépassant pas le stadedu petit jardin potager privé.
Ignorant l'agriculture, sans formation et encore moins encouragés, les nomades ne travaillent pas la terre; ils embauchent unemain-d'œuvre agricole peu coûteuse de réfugiès en provenanced'Éthiopie (Oromos) qui, parallèlement, garde le cheptel survivant.Ainsi, des communautés n'ont aucun statut: ni nomades, niagriculteurs.
En Éthiopie ou en République de Djibouti, le problème dessemi-nomades afars semble être plus celui de la préservation de l'avenir que celui d'un développement immédiat bien aléatoire dans lesconditions techniques et surtout économiques actuelles. Il apparaîtindispensable d'empêcher toute nouvelle dégradation du potentielagro-pastoral afin de ne pas créer une situation irréversible, rendant vaine toute tentative ultérieure de développement.
L'aide des pays donateurs et des organismes internationauxpublics ou privés ne doit plus se limiter à des dons mais évoluerdans le sens d'une politique judicieuse de redressement et de déve-
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loppement. Sinon, elle ne fera que se rendre complice d'une politique attentiste coupable qui n'a que trop duré.
Il faut s'appuyer sur les dynamiques traditionnelles des communautés nomades pour favoriser les adaptations nécessaires et éviterqu'elles ne deviennent des squatters déchus autour des bidonvilles.
Si l'on ne veut pas rechercher les réponses adéquates aux problèmes politiques et économiques, ainsi qu'aux catastrophes naturelles et à leurs conséquences, les sociétés nomades et semi-nomadesde la région risquent, à terme, d'être totalement détruites et dedisparaître.
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Bœufs et pouvoirs
Les éleveurs du sud-ouest et de l'ouestmalgaches
AUSSI loin que remontent les traditions orales (vers la findu xv· siècle environ) les groupes d'éleveurs de bœufs dusud-ouest et de l'ouest de Madagascar, au foyer originel
commun dans une région montagneuse du sud-est, ont manifestéune forte propension à l'expansion territoriale et politique. L'accroissement du troupeau reposait plus sur le pillage de troupeaux voisins que sur la recherche patiente des meilleures techniques de ges-tion du troupeau. .
La force expansive de ces petits groupes reposait sur trois fondements principaux :
- les pratiques guerrières, sous la conduite d'un chef-souverainau pouvoir absolu, utilisées à des fins de pillage contre les autreséleveurs ou contre les communautés d'agriculteurs;
- l'efficience magique, marquée par la présence auprès de tousles chefs importants d'un ombiasy (1) dont le savoir reposait surdes apports islamiques alors récents. Ses pratiques étaient considérées comme trè\suPérieures à celles de tous les « magiciens-sorciers»locaux ;
- une efficacité « idêologico-politique », Les ombiasy semblentavoir favorisé la mise en place ou l'affermissement d'un systèmede croyances religieuses, marqué par l'importance de la communication avec les ancêtres lignagers, le sacrifice cérémoniel du bœufétant l'élément médiateur essentiel de cette communication. Mais,pour agréer aux ancêtres, les bœufs sacrifiés devaient impérativement répondre à certains critères concernant la couleur de robe,la forme des cornes ..., ce qui nécessitait un troupeau de dimension considérable. Le troupeau royal assurait cette garantie, main-
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MADAGASCAR
tenant ainsi l'harmonie des rapports entre vivants et ancêtres et,par là même, la prospérité des vivants.
Grâce à ces atouts majeurs, les groupes d'éleveurs, partis dusud-est, essaimèrent d'abord dans le sud et le sud-ouest de Madagascar. Les chefs-souverains, initialement liés par d'étroits liens deparenté, tendirent à se partager un espace encore peu encombré,pour donner naissance à des dynasties familiales, souvent antagoniques malgré le souvenir de leurs origines communes. C'est l'évolution historique des unités socio-politiques ainsi constituées qui adonné naissance aux groupes « ethniques» (2) du sud et de l'ouestmalgaches: Antandroy, Bara, Mahafale, Masikoro et Sakalava.
Les systèmes de production mis en œuvre par ces groupes reposaient pour l'essentiel sur l'élevage.
Mais sur ce schéma commun, de notables différenciations apparurent avec le temps. La plus importante concerne la stabilité del'occupation de l'espace, marquée chez les Mahafale, partielle chezles Bara et plus faible chez les Antandroy.
D'autres groupes, au contraire, choisirent la mobilité et sont résolument exogames, tels par exemple les Masikoro, et plus nettementles Sakavala. Au moment même où les Mahafale se fixaient surleur territoire, les Sakalava entreprenaient un grandiose et lent mouvement de migration qui devait les conduire à occuper tout l'ouestde Madagascar, jusqu'à l'extrême nord.
Au plan historique, le nomadisme des Sakalava s'exprime parune tendance à migrer sur une longue période vers le nord, à larecherche de nouveaux pâturages dans des régions moins peuplées.Actuellement, il se manifeste de deux façons principales.
D'abord, une courte période de mobilité autour de la résidenceprincipale, qui pousse certains membres du lignage à suivre le trou
. peau vers de nouveaux pâturages. Leur absence peut durer de quelques mois à quelques années.
Ensuite, une longue mobilité qui correspond à l'essaimage natureldes lignages. Pour des raisons qui tenaient autrefois à la taille dutroupeau et qui tiennent plutôt aujourd'hui à une densité humainetrop grande dans un espace relativement surutilisé, les groupes lignagers sakalava se scindent fréquemment. Ces deux mobilités engendrent une apparente stabilité de l'habitat (on retrouve les mêmes
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(1) Ombiasy : devin-guérisseur, discrètement omniprésent dans tous les actes de lavie économique et sociale rurale àMadagascar.
(2) Ainsi que l'ont signalé plusieursauteurs, l'utilisation de la notion d'ethnie estpaniculièrement malencontreuse dans ces casparticuliers. Nous ne nous y sommes ralliésici que par souci de simplification. L'unité
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de ces groupes est idéologico-eulturelle (conception religieuse partagée d'une communication symbolique avec les ancêtres et aveccertains éléments de la surnature; idée quel'harmonie de cette communication est lacondition du succès des entreprises humaines) et surtout politique (marquée par lareconnaissance de l'autorité absolue dusouverain).
E. FAUROUX
lignages dans les mêmes villages plusieurs décennies après) quis'accommode d'une certaine instabilité au niveau des individus (peude personnes naissent et meurent dans le même village).
La marche vers le nord a permis aux Masikoro et aux Sakalava de constituer d'importantes unités politiques, de grands royaumes qui, à certaines époques, comptèrent parmi les plus puissantset les mieux organisés de Madagascar (3). Ces systèmes politiquesétaient parfaitement adaptés à ce mode de vie pastorale et n'exigeaient pas de structures répressives. Aucun embryon de bureaucratie n'existait, la cohésion était fondée principalement sur une idéologie cérémonielle totalement reconnue par tous. Ces systèmes garantissaient dans une très large mesure la prospérité matérielle dugroupe et maintenaient un fort consensus autour du souverain...Les unités de résidence sakalava vivaient, en fait, dans une totaleindépendance, à l'exception de celles qui résidaient à proximitéimmédiate de la cour.
Ce sont donc des groupes d'éleveurs très peu policés que rencontrèrent les armées coloniales françaises pacifiant l'ouest malgache. Les difficultés d'ordre militaire réglées, il fallut tenter de fairerentrer tous les autochtones dans le cadre administratif commun.Les choses se passèrent assez mal et les Sakalava ne tardèrent pasà acquérir une réputation détestable auprès des premiers administrateurs, réputation qui prévaut aujourd'hui encore.
Les Sakalava
Dans tous les rapports administratifs, les Sakalava apparaissentcomme porteurs d'à peu près tous les défauts: paresseux (parceque répugnant aux tâches agricoles et fuyant les emplois salariés),rebelles à la scolarisation, peu sensibles à l'action des missionnaires. De surcroît, ce sont de très mauvais contribuables : ils viventà l'écart des circuits monétaires, n'hésitant pas à disparaître dansla forêt lorsqu'on leur demande de payer; peu dociles, ils ne participent pas aux corvées de travaux publics et sont à peine respectueux des autorités administratives. Enfin et surtout, ils sont toujours prêts à voler des bœufs malgré la sévérité de la répression.
Par ailleurs, après quelques espoirs initiaux précocement déçus,il fut rapidement évident que les immensités du sud-ouest et del'ouest ne se prêtaient guère à des projets de grande colonisation.Les terres n'y étaient guère fertiles, à l'exception d'un petit nombre de vallées où existaient quelques possibilités d'agriculture inten-
(3) Pour l'histoire du royaume Marose- lique à Madagascar, Paris, ORSTOM, 1988,rana, voir J. Lombard, Le Royaume sakalava 151 p.menabe. Essai d'analyse d'un syslème poli-
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MADAGASCAR
sive; et la sécheresse y était partout menaçante. La mauvaise réputation des autochtones accroissait encore l'aspect répulsif de la régionpour tout effort cohérent de_colonisation agricole.
Le Menabe finit cependant par bénéficier d'un début de miseen valeur, notamment à partir des années vingt, lorsque la haussedes cours du pois du Cap rendit cette culture très rémunératrice.L'effort productif fut massivement accompli par des immigrantsvenus des hautes-terres ou du sud-est. Cependant, le comportementdes Sakalava ne fut pas tout à fait celui que l'on pouvait présager.Ils s'intéressèrent vivement à la culture du pois du Cap, soit enrecrutant des métayers, soit en cultivant même directement sur lesterres de décrue, le long des cours d'eau. En fait, l'histoire économique des Sakalava montre qu'ils participent au marché dès quecelui-ci leur donne les moyens d'acquérir des bœufs en quantitésignificative. Ils s'en<désintéressent dans tous les autres cas.
Les booms agricoles successifs connus par l'ouest de Madagascar ont cependant fini par avoir des conséquences dommageablespour les éleveurs sakalava autochtones. Peu attachés au sol ou àun terroir agricole, peu disposés à combattre pour la possession dela terre, ils ont fini par céder de larges parties de leur territoiresous la poussée d'immigrants très liés aux valeurs foncières et àla logique marchande.
Après avoir été cruellement affaibli par une succession de durescrises mais prêt à d'importants efforts pour une « normalisation »,l'ensemble du monde rural malgache se trouve, à la fin des annéesquatre-vingts, dans une situation de forte transition. Les sociétésd'agropasteurs de l'ouest malgache, malgré leur marginalisation géographique et sociologique, n'ont pas échappé au mouvement général.
Les transformations de la société sakalava résultent actuellementdu jeu d'un ensemble très complexe de dynamiques d'origines diverses. Cette complexité permet cependant d'identifier dès à présentdeux sous-ensembles.
Le premier résulte de choix politiques effectués au plus hautniveaq, qui vont déterminer les formes d'impacts extérieurs (actionde l'Etat, rapports villes-campagnes, pénétration de l'économiemoderne...) sur les communautés traditionnelles d'éleveurs.
Le second est constitué par les différentes dynamiques développées chez les Sakalava pour répondre à ces influences externes.
Pouvoir central et sociétés agro-pastorales de l'ouest: évolutionrécente
L'attitude de l'État malgache à l'égard des sociétés pastoralesde l'ouest paraît se situer en continuité à peu près absolue aveccelle des derniers temps de l'administration coloniale. Un sérieuxeffort de modernisation agricole avait été entrepris dans un petitnombre de vallées alluviales, l'accent étant mis sur le riz et le coton.
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E.FAURDUX
Hors des zones aménagées, la politique a consisté, faute demoyens, à abandonner les gens à leur sort en tentant cependantd'agir sur la production par les prix agricoles. Les effets de cettepolitique étaient sévèrement biaisés par l'action des collecteurs indopakistanais, souvent experts dans l'art de s'approprier les surplusmonétaires résultant d'une hausse des cours. Le gouvernement, dèsles premières années de l'indépendance, tenta donc de nationaliserle collectage sous diverses formes {Il Syndicat des communes li, puisintervention de grandes sociétés d'Etat). L'échec.fut à peu près total,notamment à cause d'énormes problèmes de trésorerie et d'un manque chronique de véhicules aptes à affronter les mauvaises pistesrurales...
Dans ce contexte, des facteurs essentiels, mais beaucoup plusconjoncturels, sont apparus au cours des quinze dernières années.
Tout d'abord, les très graves difficultés affrontées par l'État malgache ont été fortement ressenties au niveau local. L'appareil locald'État, déjà peu présent à l'époque coloniale, s'est progressivementdétérioré au point de quasiment disparaître pendant les années «noires li (au début des années quatre-vingts). Dans certaines régionsisolées, les situations socio-économiques marquées par la quasiinexistence des rapports avec le pouvoir central ne sont pas sansrappeler celles qui prévalaient à l'époque précoloniale. L'effacement·de la force publique a conduit à l'apparition de bandes de pillards,efficaces et dangereux, capablès d'attaques frontales contre des villages d'éleveurs. Le butin pouvait parfois être constitué par la totalitédu troupeau des parcs du village. L'insécurité, en devenant chronique, eut aussi pour effet un recul significatif des surfaces cultivées, notamment dans les parties les plus éloignées des terroirsvillageois.
Cette aggravation de la faiblesse de l'État a conduit le monderural de l'ouest (et sans doute aussi de beaucoup d'autres régionsisolées) à se transformer, pendant quelques années, en une sorted'archipel, chaque île étant constituée par une microrégion - voireune simple communauté villageoise - qui tendait à retourner àl'autosuffisance alimentaire et à l'autonomie tout court.
A partir de 1986-1987, pourtant, la tendance s'est inversée etl'existence d'un pouvoir central est devenue moins imperceptible:quelques travaux d'infrastructure ont été entrepris, les fonctionnaires locaux ont commencé à être payés avec moins d'irrégularité...Mais c'est surtout l'organisation d'opérations Il coup de poing li, malgré (ou à cause) d'énormes «bavures lI, qui a contribué à ramenerles vols à leur niveau culturellement incompressible (4).
(4) Certains vols de bœufs ne relèventpas du banditisme organisé mais constituentune sone d'épreuve imposée aux jeunes hommes pour affirmer leur virilité et leur cou
rage. L'importance quantitative de ces volsest faible et leurs effets tendent à s'annuler:le volé d'aujourd'hui sera le voleur dedemain.
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MADAGASCAR
Par ailleurs, grâce à la libéralisation du système de collectagedes produits agriq)les, une masse monétaire a été de nouveau injectée dans les circuits villageois; beaucoup de terroirs ont recommencéà étendre leur production au-delà des stricts besoins de l'autoconsommation. Le paddy en particulier se vend bien et les pouvoirspublics recommencent à recevoir des collectivités locales des demandes d'aide pour la construction d'ouvrages d'hydraulique agricole.
Si l'intervention de l'État demeure très modeste, elle a pourtant cessé d'être inexistante car des liens très ténus tendent à s'établirentre les diverses îles des archipels d'auto-subsistance et de quasiautogestion qui s'étaient constitués auparavant.
Dans le même mouvement, l'influence de la ville s'est manifestée à nouveau. Elle est souvent ressentie négativement par lemonde rural régional et encore plus nettement par les groupesd'éleveurs.
L'évolution des rapports ville-campagne
Madagascar connaît un problème majeur dans l'approvisionnement de ses villes en viande, et notamment en viande de bœuf.Cela tient principalement au fait que les groupes qui élèvent desbœufs ne le font pas pour le marché, mais seulement pour satisfaire de complexes stratégies sociales communautaires qui reposentsur le sacrifice cérémoniel ostentatoire des bœufs lignagers (5). Quelques bêtes sont commercialisées dans des circonstances relativementexceptionnelles (besoins monétaires imprévus, périodes de soudure,bêtes inesthétiques ou volées, etc.). Dans ces conditions, le marchéest très irrégulièrement et très insuffisamment approvisionné. Parailleurs, les variations de cours ne peuvent pas avoir, sur l'offre,l'impact escompté car il n'existe pas un véritable marché. Les volsà grande échelle contribuent ainsi à une sorte de commercialisation forcée. Il existe de véritables vols à la commande en vued'approvisionner le marché (6): certains gros intermédiaires bénéficient des complicités nécessaires pour « blanchir» les bœufs volésqui leur sont remis, et adressent périodiquement aux voleurs deleur réseau des commandes détaillées.
En situation « normale », cette ponction, malgré ses très gravesinconvénients, contribue finalement à adapter, tant bien que mal,l'offre à la demande. En période de crise, d'insécurité aiguë, lamachine devient folle et tourne trop vite. Les réseaux parallèles de
(5) Ces aspects sont étudiés par S. Tourette dans le cadre' d'une thèse de doctoratd'économie rurale (Montpellier, Faculté dedroit et science économiques) : c La commercialisation des bovidés dans le sud-ouest deMadagascar '.
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(6) Voir en particulier E. Fauroux (éd.),Le bœuf dans la vie économique et sociale dela vallée de Maharivo, TuléarlMontpellier,MRSTDIORSTOM, décembre 1987,240 p.
E.FAURDUX
commercialisation deviennent trop efficaces. Ils sont connus de touset tous y ont recours: les bandits «professionnels », le volé quia besoin de reconstituer son troupeau, le jaloux qui cherche à sevenger, le jeune homme qui a besoin d'un peu d'argent pour sesstratégies matrimoniales... C'est sans doute ce qui s'est produit de1979 à 1983 avant le début des opérations « coups de poing ». Lesvols ont alors atteint une telle intensité que l'existence même destroupeaux de l'ouest fut mise en péril.
Le système de production pastoral « traditionnel» a autrefoissécrété, dans l'ouest malgache, des institutions monarchiques complexes et puissantes qui, cependant, n'ont guère eu de prolongements dans les systèmes agropastoraux qui sont apparus ultérieurement. Il semble même exister une inadéquation manifeste entreles formes de pouvoir actuellement sécrétées par ces nouveaux systèmes et les formes modernes, notamment électorales, que prend lepouvoir politique dans un État contemporain.
Dans le Menabe, par exemple, il est patent que les Sakalavane participent pas activement à la vie politique locale, notammentau niveau des collectivités décentralisées.
D'une part, ils se désintéressent d'instances qui ne gèrent quedes problèmes peu importants pour eux, concernant surtout desbourgs ruraux dans lesquels ils sont très minoritaires.
D'autre part, ils n'avaient guère, autrefois, les moyens de constituer des réseaux de clientèle dépassant le cadre de leur groupe(mais, on l'a vu, cette situation est sans doute en train de changer).
Enfin, leur niveau scolaire est en général sensiblement inférieurà celui des Ambaniandro (7) et à celui d'autres groupes locaux qui,à ce titre, accèdent plus aisément aux postes de responsabilité.
La réalité du pouvoir régional dans le Menabe central est trèslargement détenue par un groupe connu sous le nom un peu péjoratif de « Timangaro » (traduction libre: « les malins»). Il ne s'agitpas à proprement parler d'un clan ou d'un groupe familial maisplutôt d'un réseau contrôlé par un groupe de personnes originaires du village vezo (8) de Bosy. Ce groupe a pour caractéristiquescommunes d'avoir parmi ses ancêtres éloignés des commerçants antalaotres (9), et parmi les plus proches des traitants étrangers, réunionnais (depuis 1850 environ), français ou grecs (depuis la fin duXIX- siècle). Habitués aux contacts avec les étrangers, il a constitué l'un des premiers points d'appui de la pénétration française dansl'ouest. L'administration coloniale a ainsi été amenée à installer ausein de ce groupe l'une des toutes premières écoles françaises de
(7) Ambaniandro : terme générique pourles habitants des hautes terres, les Merina etles Vakinankaratra.
(8) Vezo : pêcheurs de mer de la côteouest.
(9) Antalaotres : commerçants islamisésen contact avec les côtes du nord-ouest et del'ouest malgaches depuis des époques trèsanciennes.
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MADAGASCAR
Madagascar. L'école de Bosy a été une remarquable pépinière d'auxiliaires administratifs « indigènes li et le lieu de création d'une tradition d'accès à la Fonction publique. Les chefs de canton ou lesinstituteurs ruraux des années 1930-1940 sont devenus des cadressupérieurs de l'administration malgache après l'indépendance. Danstous les gouvernements successifs, les postes-clés de la région, certains postes ministériels ou de très haute administration, ont étédétenus par des Timangaro qui ont ainsi pu tisser un remarquableréseau de clientèle qui leur permet un contrôle efficace sur toutela région de Morondava.
Ce contrôle régional timangaro s'exprime au moins par:• une mainmise foncière sur toutes les zones aménagées ou en instance d'aménagement, notamment dans la périphérie urbaine deMorondava, qui enlève aux Sakalava toute possibilité d'acquisitionde bonnes rizières;• l'existence d'un réseau de clientèle structuré qui permet de réserver toutes les places importantes, dans la Fonction publique, lessociétés nationalisées et les entreprises locales, à des gens qui acceptent les conditions d'appartenance à ces réseaux. Il s'agit essentiellement d'occuper des fonctions urbaines subalternes et d'y assurerla diffusion et la réalisation des mots d'ordre émanant des niveauxles plus élevés du réseau. Les éleveurs sakalava, même lorsqu'ilsdeviennent agriculteurs, ne remplissent jamais ces conditions.
Il n'y a que quelques Sakalava de la région qui occupent unefonction politique notable. Le député sakalava actuel a eu, en fait,un itinéraire très particulier, sa famille ayant quitté sa communautéd'origine pour vivre près de la ville.
Les avancées du monde moderne, sous leurs formes les plusdiverses, ont toujours été perçues de façon négative par les éleveurssakalava et cela par référence à un fait: la prospérité du troupeauest presque toujours mise en péril par les intrusions modernes.L'attribution de concessions, les aménagements hydro-agricoles tropimportants, la construction de nouveaux axes routiers impliquentl'apparition de cultures durables sur des superficies importantes etdonc de nouveaux enjeux fonciers, ainsi que l'arrivée de nouveauxgroupes d'immigrants qui vont mettre en péril la prospérité du troupeau et provoquer d'inévitables conflits. Par expérience, les Sakalava savent qu'ils sortent rarement vainqueurs de ces affrontements.En effet, le droit foncier moderne donne toujours la préférence àune mise en valeur effective par des cultures, au détriment de vaguesdroits de parcours qui ne s'accompagnent d'aucune mise en valeurostensible.
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E.FAUROUX
Des stratégies différentielles
A la fin des années 1980, face aux nouvelles données qui leursont imposées, les Sakalava pasteurs mettent en œuvre trois typesde stratégies d'adaptation.
Les systèmes de production
Les conditions géographiques de rouest malgache laissent encored'immenses espaces disponibles permettant de trouver de nouveauxpâturages pour les troupeaux, à condition de s'écarter des zonesdéjà occupées. La migration à courte ou moyenne distance devientainsi la stratégie la plus simple pour les Sakalava désireux de maintenir leur mode de vie envers et contre tout. Un tel déplacementpermet à la fois de retrouver des pâturages (voués pour des raisons écologiques à la dégradation) et de se rapprocher de ce quireste de la forêt où cueillette et chasse constituent encore des compléments alimentaires.
Un autre type d'adaptation concerne la transformation destechniques pastorales relatives notamment au mode de gardiennageet aux formes de transhumances saisonnières (10).
L'insécurité a conduit ces éleveurs à choisir entre deux solutions extrêmes pour le gardiennage de leurs troupeaux. Quelquesuns ramènent leurs bêtes tous les soirs dans les parcs proches duvillage où elles sont soigneusement surveillées. D'autres, au contraire, laissent leurs bœufs en liberté dans la forêt; ces derniersdeviennent ainsi trop craintifs et trop rebelles pour se laisser approcher et, surtout, pour se laisser conduire en troupeau, par des inconnus. Ainsi, le risque encouru concerne le vol de quelques unitésde bétail et non celui de la totalité du troupeau, comme c'est parfois le cas dans les parcs villageois. Les villages isolés préfèrentgénéralement cette seconde solution.
Par ailleurs, la sécheresse croissante oblige souvent les propriétaires de bœufs à les ramener en saison sèche à proximité d'eauxpermanentes, c'est-à-dire près des villages. Autrefois, seules les bêtesdestinées au sacrifice ou épisodiquement au piétinage des rizièresétaient reconduites au village.
Le récent développement de la riziculture est la principale innovation technique des éleveurs sakalava. Contrairement à leur imagemythique, ils produisent du riz depuis longtemps, probablementmême depuis les temps précoloniaux, grâce à l'assistance techni-·que de leurs alliés d'alors, Betsileo ou Antaisaka. Une série de disettes, proches de la catastrophe, au début des années 1980 et sur
(10) Cf. L. RakalOmalala, in E. Fauroux(éd.), op. cit., pp. 67-72 et 160-167.
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MADAGASCAR
tout une très nette hausse des cours du riz les ont conduits à développer cette production. La vente de leurs surplus en riz demeureactuellement la seule possibilité avouable de se procurer des bœufs.
L'idéologie cérémonielle
Le rôle cérémoniel des bœufs avait été fixé à une époque degrande prospérité, quand l'immense troupeau royal garantissait àtous les sujets de trouver, le moment venu, la bête disposant descaractéristiques requises. En situation de pénurie, quand la plupartdes troupeaux lignagers ne dépassent guère une dizaine de têtes,et quand beaucoup n'ont plus de bœufs, il n'est alors plus possible de respecter les règles traditionnelles. Pourtant, la place occupée par le bœuf dans l'idéologie sakalava demeure intacte.
Des ajustements ont été opérés dans les cérémonies. Les moinsimportantes ont purement et simplement disparu ou sont devenuestrès rares. D'autres s'accomplissent avec un nombre restreint de bêtessacrifiées, celles-ci pouvant même parfois être remplacées par dela viande achetée dans le commerce, de l'alcool ou de l'argent. Enfin,les plus importantes (la circoncision, par exemple) sont différéesafin de laisser au groupe le temps d'accumuler le nombre de têtesindispensable (11).
La solution la plus originale consiste dans la recomposition derapports de clientèle, selon un schéma peut-être éphémère.
La nouvelle structuration interne des unités villageoises
La diminution des troupeaux ne frappe pas la totalité des lignages. Dans un village, ou dans une micro-région, on rencontre presque toujours un mpanarivo (12) dont la richesse en bœufs n'a pasdiminué ou s'est même très sensiblement accrue au cours des dernières années. Ces mpanarivo tendent souvent à gérer leur troupeau de façon très « généreuse ». Ils confient, par exemple, quelques têtes à des villageois démunis en autorisant ceux-ci à les utiliser pour leurs cérémonies lignagères, sans contrepartie immédiate.Les bénéficiaires de ces largesses sont reconnaissants: ils se mobilisent spontanément pour protéger le troupeau de leur bienfaiteurcontre d'éventuels voleurs, ils accourent pour travailler ses rizièresquand il en fait la demande. Dans une situation où la force detravail est plus rare que la terre, il s'agit là d'un avantage considérable. L'évolution récente a fait apparaître une coïncidence à peuprès absolue entre richesse en bœufs et richesse en rizières. Ces
(11) Cf. F. Delcroix, Crise de l'élevage ettransformations de l'organisation cérémonielledans la vallée de la Mahari'VO, Paris, EHESS,
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mai 1988, 145 p.(12) Mpanarivo : riche, avec la connota
tion péjorative de «richard •.
E.FAUROUX
nouveaux mpanarivo ne sont généralement pas les héritiers directsdes anciens riches. Leur émergence semble en corrélation avec lesvols de bœufs: ils ne sont pas forcément eux-même des voleurs,mais c'est peut-être grâce à l'appui d'ombiasy redoutés que leurstroupeaux sont moins volés ou pas volés du tout.
L'apparition d'une catégorie de notables «spontanés» sakalavasemble s'accompagner d'une émergence d'un sentiment de «sakalavité», d'un renouveau de leur identité au niveau politique régional.
Deux voies semblent ainsi ouvertes.Les mpanarivo ont les moyens de manier la corruption, ce qui
leur ouvre de très nombreuses portes autrefois résolument ferméesaux Sakalava. On peut sans doute prédire la prochaine apparitionde certains d'entre eux à de réelles responsabilités au niveau descollectivités décentralisées.
L'agressivité à l'égard des immigrants, autrefois à peu près nulleou inopérante, se cristallise dans une résurgence des vieilles institutions sakalava : c'est ainsi que le tromba (13) a connu un « boom»récent et permet aux vivants de recevoir des injonctions provenant« directement» de leurs anciens souverains. De même, à la suitedu récent fitampoha (14), divers cultes rendus aux tombeaux despremiers souverains sakalava, à Maneva et Ilaza (près de la petiteville de Mahabo), ont connu un soudain regain. A Mahabo, une«association d'intellectuels sakalava» (enseignants, fonctionnaires)organise des réunions, regrette ouvertement la marginalisation desSakalava dans leur propre pays et laisse entrevoir une prochaineexpression politique de ses revendications.
Confrontés à une crise générale du monde rural et aux gravesdifficultés de l'élevage traditionnel, longtemps marginalisés par rapport à tous les pouvoirs, les éleveurs de l'ouest et du sud-ouestmalgaches n'ont cessé d'élaborer des solutions en vue d'assurer lapérennité d'un mode de vie faisant la 'part la plus large à l'élevagedu bœuf.
Emmanuel FaurouxORSTOM
(13) Tromba : cérémonies de possessionau cours desquelles le possédé (une femmele plus souvent) reçoit un esprit et parle enson nom. Cet esprit peut être un ancêtreroyal, ou un personnage, pas forcémentimportant, mort dans des circonstances tragiques, par noyade en particulier.
(14) Fitampoha : cérémonie au cours delaquelle les souverains de l'ouest malgacheréactualisent leur pouvoir en immergeantdans l'eau pure d'un fleuve les reliques desanciens souverains. Le dernier Fitampoha duMenabe a eu lieu en septembre 1988 prèsde Belo-sur-Tsiribihina.
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H. OUILLAUME
« L'État sauvage... )) :Pygmées et forêts d'Afrique centrale
LES Pygmées: des populations peu nombreuses - quelquescentaines de milliers d'individus (leur recensement restant trèsaléatoire) - mais disséminées à travers l'immense forêt tro
picale humide de l'Atlantique aux grands lacs, dans huit États (1).Epiphénomène? Si l'on peut oser l'emploi d'un tel terme quand
il s'agit du devenir d'hommes, ces sociétés peuvent désormais paraître pour certains d'un intérêt subsidiaire. Chasseurs-eolleeteurs nomades pour nombre d'entre eux (2), les Pygmées - ne serait-ce quepar l'effet cumulé de leur nombre et de leur archaïsme - ne constituent pas à l'évidence un enjeu politique ou économique au mêmetitre que de nombreuses sociétés africaines de pasteurs-nomades, souvent en proie à de dramatiques crises consécutives à la fois à desbouleversements économiques, politiques et à des aléas climatiques.Mais en dépit de leur aspect résiduel et de leur marginalité, les
.communautés pygmées sont exemplaires de certaines mutations contemporaines que cpnnaissent les sociétés nomades, des relations decelles-ci avec les Etats-nations et des finalités de ces derniers. Enoutre) leur prise en compte ouvre inéluctablement sur la questiondes politiques globales qui déterminent aujourd'hui le devenir desvastes régions qu'elles parcourent. Il existe en effet une étonnantehomologie entre ces sociétés humaines et leur milieu naturel, tantdans les représentations qui en sont données que dans leur confrontation avec le monde environnant et leur destin actuel. Réminiscence à certains égards de modes de vie ancestraux, les Pygméesn'en sont donc pas moins pleinement dans le siècle (3).
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PYGMÉES
Des sociétés fluides et à forte tendance égalitaire
Beaucoup de communautés pygmées ont maintenu jusqu'à récemment un mode de subsistance original basé sur l'acquisition de ressources spontanées, c'est-à-dire non domestiquées, par le biais dela chasse, essentiellement masculine, et de la collecte, principalement féminine. Leur système de production, fort dépouillé en supports matériels mais riche en savoirs, ne comporte ni l'agricultureni la métallurgie.
La vie dans son ensemble est caractérisée par diverses formesde mobilité et de flexibilité, éléments structuraux de ces sociétés (4)et capitaux pour comprendre leurs transformations actuelles:
- mobilité des campements : quelques huttes éphémères de 20 à30 individus se déplaçant dans le sous-bois en fonction notammentde la raréfaction des ressources sauvages; processus de rassemblement et de dispersion des campements axé sur les grandes chassescollectives de portée économique et sociale; flexibilité dans l'occupation de l'espace et l'appropriation commune de ses richesses; fluxdes individus et instabilité dans la composition interne des groupes domestiques,...
Ces principes de souplesse et de fluidité dans l'organisation dela société et son inscription dans l'environnement sont liés à deuxparamètres fondamentaux: la prégnance limitée des rapports de filiation et la combinaison de facteurs relevant des conditions techniques, sociales et naturelles de la production que l'on peut schématiser comme suit:la polyvalence technique, entre individus de même sexe et entrefamilles nucléaires; la coopération dans le travail, impérative etomniprésente depuis la complémentarité du couple jusqu'au regroupement des camps lors des grandes chasses collectives et à l'exécution des polyphonies vocales, symbole de cette propension àl'action collective; l'instantanéité des activités de production, favorable à la circulation des individus dont la limitation principaleest la nécessité du maintien d'une force de travail suffisante pourla mise en œuvre de la coopération; l'écosystème forestier dontla composition permet aux hommes de retrouver ailleurs, en cas
(1) Gabon, Guinée équatoriale, Came·roun, RCA, Congo, Zaïre, Burundi, Rwanda.
(2) A l'exception de groupes comme parexemple les Batua du Burundi, du Rwandaet du Zaïre, potiers et sédentarisés depuislongtemps.
(3) Les situations présentées ici - obli·gatoirement de manière parfois schématique- concernent principalement le Congo et la
ReA mais traduisent généralement des tendances rendant compte d'évolutions dansd'autres pays d'Afrique centrale.
(4) H. Guillaume, «Mobilité et flexibilité chez les chasseurs-collecteurs pygméesAka., in Nomadisme: mobilité et flexibilité?, A. Bourgeot, H. Guillaume eds, Bulletin du département H, ORSTOM, nO 8,1986.
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PYGMÉES
de départ, des disponibilités matérielles sinon identiques du moinscomparables.
- Mobilité des hommes et des groupes domestiques, largefaculté de choix individuel combinée à l'impérieuse obligation decoopérer, les sociétés pygmées sont fondées, non sur des structures et des ordres rigides et fermés mais sur un continuum de fluctuations, des règles d'ouverture et de renouvellement permanentsdes relations sociales.
Ces processus sont également générateurs de tendances à l'égalité sociale. La société ne comporte ni système politique centralisé, ni organisation du pouvoir. Seuls existent des pôles de prééminence (aîné, maître de la grande chasse, devin-guérisseur) dontl'attribution repose plus sur les qualités individuelles que sur unsystème de dévolution héréditaire contraignant et dont l'autoritéqu'ils confèrent est limitée à leur seul champ de compétence respectif. Nul ne peut transformer ses savoirs en privilèges ou monopoles, nul n'est à l'abri de la récusation de ses proches. Le contrôle social s'exerce en permanence sur les limites et la reproduction des pouvoirs.
Ainsi, ces sociétés sont, sur plusieurs plans, à l'antithèse dessociétés d'agriculteurs péri-forestières voisines: faible différenciation socialelhiérarchisation, fort clivage aînés/cadets; entités parentales ouvertes et instables/organisation lignagère, profondeur généalogique; atomisation du pouvoir centralisation de l'autorité;transformation limitée du milieu et opérée dans le momentprésent/pratiques agricoles déprédatrices et enracinées dans le temps.
Ce mode de vie de populations ancestralement intégrées à laforêt tropicale est bien évidemment aujourd'hui en pleine déstructuration et en crise. Mais les conditions du passage actuel de l'univers forestier à l'État-nation ne peuvent être comprises sans évoquer quelques aspects de la longue histoire des contacts entre lessociétés pygmées et leur environnement humain. A l'identique dela perception durablement établie des forêts tropicales comme espaces vierges et non transformés par l'action de l'homme (alors quedes modes culturaux remontant à plusieurs milliers d'années y sontdésormais attestés), les Pygmées ont longtemps été considéréscomme des sociétés figées, totalement autarciques, auréolées d'une41 virginité culturelle li, .•• le mythe du cocon forestier. Or le maintien, pour nombre de communautés, d'un mode de subsistanceencore largement basé jusqu'aux années soixante-dix environ surle nomadisme et la chasse-collecte ne doit pas masquer les changements et les tensions engendrées (antérieurement ou simultanément aux influences des administrations coloniales, missions religieuses, entrepreneurs, autorités étatiques) par des relations nouées
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H. GUILLAUME
avec les sociétés d'agro-chasseurs et d'agriculteurs (souvent de CIVI
lisation bantoue) (5).
L'idéologie de la domination, l'histoire d'une dépendance
Durant une très longue période, sans doute de plusieurs siècles dans certaines régions, les relations entre les Pygmées et leursvoisins ont pris la forme d'un rapport d'association reposant surune réciprocité équilibrée de services: troc de produits de la métallurgie et de l'agriculture contre produits forestiers sauvages etactions symboliques sur les puissances surnaturelles de la forêt.Mais ces échanges basés sur l'accord des deux parties comportent néanmoins, au détriment des Pygmées, un ferment inégalitaire constitué par la supériorité technologique de leurs partenaires (maîtrise de la métallurgie principalement) et sa dimension idéologique. Le poids de l'idéologie de la domination développée parces derniers et relative à des systèmes de production antinomiques, est déterminant pour comprendre l'histoire des relations extérieures des Pygmées, jusqu'aux pratiques même des pouvoirs étatiques contemporains. Des habitudes mentales sont profondémentenracinées, intériorisées. Les Pygmées se voient conférer dans l'imaginaire collectif un statut ambivalent: êtres civilisateurs maisdéchus, relégués à la forêt et donc sauvages (du latin silvaticus,de silva, forêt), dans un état intermédiaire entre le monde deshumains et celui des animaux (ils seraient associaux et immoraux,vagabonds, puisant sans discernement dans le stock des ressources naturelles, ...). La même ambivalence affecte la forêt tropicale,tant dans les représentations des sociétés d'agriculteurs que danscelles des colonisateurs européens: espace luxuriant, riche en ressources végétales et animales mais également dangereux, refuge demonstres et de puissances maléfiques. Pygmées et forêts sont vouésà être socialisés et soumis à l'ordre culturel. Cette finalité moralisatrice sous-tendra et justifiera systématiquement toutes les actionsentreprises à l'égard des chasseurs-collecteurs nomades, aujourd'huiencore.
La dépendance technique initiale (dans certaines régions, ellesera plus tard amplifiée matériellement et idéologiquement parl'introduction chez les Pygmées d'un nouveau moyen de production - le filet de chasse - détenu par leurs voisins) s'accompagne du maintien d'une large autonomie économique et sociale basée
(5) H. Guillaume, • Les relations extérieures des chasseurs-colleeteurs pygméesAka., in • Encyclopédie des Pygmées Aka.Techniques, langage et société des chasseurs-
cueilleurs de la forêt centrafriaJine., S. Bahuchet et J.M.C. Thomas eds, Paris, SELAF,vol. 3, sous presse.
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PYGMÉES
sur l'intermittence des relations de troc et leur effet limité surles finalités de leur économie domestique. Cette dépendance connaît par la suite un élargissement favorisé par la constitution auxXVIIIe et XIXe siècles de réseaux commerciaux liés notamment àl'essor de la traite atlantique. Conjointement aux échanges traditionnels, les Pygmées développent des activités de production déterminées par l'extérieur et dépassant les seuls prélèvements aléatoires sur le fruit des activités quotidiennes. Ils contribuent à la fourniture de ressources naturelles destinées aux nouveaux marchés,soit directèment (ivoire, peaux d'animaux, ...), soit indirectementcomme au début du XX· siècle pour le caoutchouc sauvage. A lasupériorité technologique, les sociétés sédentaires ajoutent leur contrôle sur ces nouveaux réseaux d'échange. Elles sont les intermédiaires obligés pour l'accès des communautés nomades à ces circuits dont l'influence ira grandissante. Ce monopole, qui s'est développé jusqu'à nos jours, est central pour saisir les conditions actuelles d'inscription des Pygmées dans leur environnement économique et politique.
Forts de cette domination, les sédentaires visent à asservir leschasseurs-collecteurs pygmées en tentant d'institutionnaliser unedépendance sociale et politique. D'associés, ils deviennent «maîtres li et se posent en tuteurs et pères sociologiques; ils sont pourleurs dépendants les «pères du village». Mais, excepté quelquessituations de fort assujettissement et malgré une réelle dépendance,cette entreprise d'asservissement n'a jamais abouti. En effet, leurscontrepouvoirs (magico-religieux, clefs de l'univers forestier) et leurscapacités de mobilité et de flexibilité inhérents à leur dynamiquesociale ont permis aux Pygmées de préserver une liberté organiquement liée à la vie forestière.
Un seuil décisif est franchi à partir des années soixante avecl'expansion de l'agriculture commerciale (café et cacao principalement). Dès lors, les prestations demandées aux Pygmées tendentà reposer de moins en moins sur leurs savoirs et leurs activitéssylvicoles. Mais cette évolution continue à s'inscrire dans le cadrede leurs relations directes avec les sociétés sédentaires pour lesquelles ils deviennent une main-d'œuvre nécessaire pour assurerle développement des superficies consacrées aux cultures de rente(abattage et débroussage pour les hommes, aide aux semis et ausarclage pour les femmes, participation de tous aux récoltes). Ceprocessus s'accompagne de profonds changements,· plus ou moinsavancés selon les régions, en fonction du degré d'implication dansla production agricole. En particulier: la régression du nomadisme(avec baisse d'efficience de la chasse et de la collecte conduitssur des espaces plus limités), les villages d'agriculteurs devenantle centre de gravité à proximité desquels les campements font desséjours de plus en plus prolongés pouvant aller jusqu'à la fixa-
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H. OUILLA UME
tion complète; l'érosion des mécanismes de coopération sapés pardes tendances à l'individualisation consécutive à l'introduction dansl'économie marchande et symbolisée par l'utilisation personnelle del'argent, contrepartie nouvelle aux travaux sur les plantations; l'éclatement des réseaux de dépendance traditionnels, tout agriculteur tendant à devenir un «patron» potentiel (mais bien souvent anciennes et nouvelles formes de dépendance se combinent). Ce glissement des Pygmées dans l'espace agricole n'a pas pour corollairel'accession à une production autonome. IÎ existe des communautésdétentrices de cultures vivrières, voire de rapport, comme au Cameroun ou dans le nord-ouest du Congo (situation qui entraînent deprofondes acculturations sans pour autant effacer les barrières idéologiques), mais c'est avec difficulté généralement, que les Pygméesdeviennent propriétaires de plantations. Ce blocage s'explique parl'antinomie déjà évoquée de systèmes de production difIerents ainsique par les obstructions d'agriculteurs inquiets de perdre leur monopole, notamment pour les cultures commerciales.
Les nouvelles relations fondées sur l'exploitation directe de laforce de travail et la dissolution des liens des Pygmées avec leurunivers forestier tendent donc à élargir la domination des sociétéssédentaires qui s'opère dans trois domaines majeurs: les techniques,les échanges et désormais la production. Ces évolutions interviennent indépendamment d'une emprise directe de l'État car les sociétéssédentaires servent en quelque sorte de relais ou pour le moinsd'intermédiaires aux politiques étatiques qui n'ont pas les communautés nomades pour cible mais dont ces dernières subissent leseffets par contrecoup.
Le postulat: sédentarisation = libération
Les processus de fixation amorcés dans le cadre même des rapports chasseurs-collecteurs nomades/agriculteurs sédentaires correspondent parfaitement aux objectifs des États dont les autorités (etles citoyens) combinent encore souvent les ancestrales représentations idéologiques dévalorisant les Pygmées avec le principe étatique de l'étroit contrôle sur les individus. L'État s'accomode maldu nomadisme et des nomades.
Le mobile avancé est que la sédentarisation, symbolisée parl'abandon de la hutte pour la case en pisé, permettra aux Pygméesd'une part de sortir d'une condition primitive, quelque peu déshonorante pour un État moderne, et d'autre part de se libérer dujoug de leurs voisins, dépendance inacceptable pour des États quise veulent démocratiques. Mais le poids de l'idéologie et des habitudes mentales profondément ancrées, reste important... Le dernier
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PYGMÉES
recensement général de la population en République populaire duCongo (1984) (6) ne classe-t-il pas les Congolais en deux catégories, à savoir: « non pygmée » 1« pygmée » affirmant ainsi la marginalité d'une communauté constituant en même temps un référentidentitaire pour le reste de la communauté nationale! Dans l'évocation publique des Pygmées, la distanciation est perceptible sousdes formes multiples. Ainsi, «à plusieurs reprises, le maréchalMobutu a donné l'exemple en approchant personnellement lesPygmées... » (7). Cette marginalité de populations passablement matures et nécessitant donc le tutorat n'est-elle pas également illustréedans l'épitaphe même du faire-part de décès d'un père missionnaireayant effectivement consacré une grande partie de sa vie à lutterpour les « déshérités» : «le Père des Pygmées... quarante-huit ansde sacerdoce dont quarante-deux à côté des lépreux et desPygmées» (8).
Dans les années 1930-1940 déjà, l'administration coloniale française avait initié dans le Moyen-Congo une Il politique d'apprivoisement» à l'égard des Pygmées perçus comme « frustres» et « vagabonds» mais aussi « naïfs» et « doux », à l'image du bon sauvage.Cette entreprise, qui prenait place dans « l'œuvre civilisatrice» ques'octroyaient les colonisateurs mais qui répondaient aussi à la logique étatique et au souci de faire participer l'ensemble des populations à la « mise en valeur» des territoires, passait par la « stabilisation », la fixation des communautés nomades. Elle se solda pardes résultats limités et contraires aux objectifs affichés en favorisant l'emprise des agriculteurs sédentaires.
Actuellement, il existe plus des actions~ symboliques et ponctuelles, dénotant néanmoins la finalité des Etats, que de véritablespolitiques en direction des Pygmées. Il en est ainsi semble-t-il auZaïre avec l'insertion des Pygmées dans les appareils d'État (Forces armées) ou dans les activités politiques (19 au total ont participé en mai 1984 au Deuxième congrès extraordinaire du MPR).En RCA, « la campagne d'intégration des Pygmées» a principalement donné lieu en 1988 à l'émission de deux timbres postes portant ce mot d'ordre et représentant l'équipe de football des Pygméesde Nola.
A côté d'actions visant la fixation (production agricole, scolarisation, soins de santé), souvent conduites par des missions religieusesou des ONG, la sédentarisation croissante est souvent une conséquence secondaire des politiques d'expansion de l'agriculture commerciale et d'industrialisation retenues pour les zones forestières etpéri-forestières. En RCA et au Congo, les Pygmées commencent
(6) Recensement général de la population etde l'habitat de 1984, Brazzaville, ministère duPlan et de l'Économie, RP Congo, juin1987.
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(7) Un courant irréversible pour l'intégration sociale des Pygmées, dépêche AZAP,31.01.85.
(8) Le Monde, 14 septembre 1988.
H. GUILLAUME
à s'employer dans les huileries et les exploitations forestières oùils occupent des postes non qualifiés et constituent une main-d'œuvreau taux d'absentéisme élevé, trait lié (comme pour le passage à l'agriculture) aux antagonismes entre le travail salarié et leur anciensystème de production. Cette voie leur permet de sortir des circuits économiques contrôlés par les agriculteurs mais au prix d'unerupture radicale de leur mode de vie et de leurs valeurs traditionnelles. Un peu partout les processus de fixation amènent lesPygmées à bénéficier de possibilités nouvelles et à satisfaire de nouveaux besoins (accès aux marchés et aux boutiques de commerçants,fréquentation des dispensaires, scolarisation, ...) mais dans des conditions de déracinement et de transplantation brutale. Plus qu'unatout permettant de s'adapter à ces mutations, leur flexibilité structurelle, assortie d'un dispositif technique limité et d'une faible différenciation sociale, est peut-être en train de constituer pour lesPygmées un handicap d~ns ce contexte de confrontation directe àdes sociétés et des Etats aux logiques et fonctionnementsantagoniques.
Dans les meilleurs des cas, la sédentarisation favorise une certaine autonomie retrouvée sur le plan économique avec pour contrepartie l'acculturation et l'uniformisation culturelle en guise d'intégration. Dans les pires des situations - elles sont nombreuses la sédentarisation aggrave la dépendance, transformant les Pygméesen journaliers agricoles ou en manœuvres forestiers intermittents,sous-prolétariat intégrant les communautés nationales par le niveaule plus bas, nouvelle forme de marginalité. Plusieurs exemplesdémontrent que c'est dans le cadre du maintien d'activités forestières combinées à une petite agriculture vivrière que les communautés s'engagent sur la voie d'une libération des rapports de domination et d'une maîtrise économique, tout en préservant leur identité et leur équilibre social.
Mais y a-t-il encore place pour les Pygmées en forêt? Euxmêmes ne constituent aucun enjeu véritable; en revanche ils sontvictimes des immenses intérêts représentés par leur environnementnaturel. Or les forêts sont l'objet d'un abattage et d'une exploitation grandissants et jusqu'à présent systématiques et intempestifsdans la plupart des cas. Certaines sont encore peu exploitées et constituent un riche potentiel économique. Ainsi, celles du nord-Congodont 8,5 millions d'hectares sont exploitables et qui deviennent unepriorité dans le contexte actuel de récession de l'économie pétrolière (9). Les plans d'aménagement et d'exploitation voient à ce propos de manière révélatrice la participation du Brésil, coopérationSud-Sud s'appuyant sur les liens historiques des deux continents,
(9) La forêt congolaise, Brazzaville, minis- à l'épreuve de la crise., Marchés Tropicaux,tère des Eaux et Forêts, 1981. «Le Congo pp. 769-773, 24.03.1989.
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PYGMÉES
la similitude de problèmes de développement dans des milieux écologiques comparables et le savoir-faire technique maîtrisé à grandeéchelle notamment en Amazonie... Du côté centrafricain, le mêmebloc forestier est progressivement mis en coupe et d'importants travaux d'infrastructure sont en projet comme la « route du 4e parallèle li qui rejoindra Bangui à Kribi sur la côte camerounaise. Or,de surcroît l'on connaît partout la force attractive de l'ouvertured'axes routiers sur les nomades qui tendent à se concentrer et àse fixer à leurs abords.
Devant de tels enjeux et de telles stratégies de développementpour les zones forestières, toute issue alternative pour les Pygmées- autre que la ~édentarisation totale - paraît illusoire. Perceptionset finalités des Etats à l'égard de ces sociétés nomades, conceptiondu développement et intérêts économiques actuels se rejoignent.Pygmées et forêts paraissent donc voués, dans un destin commun,à subir inexorablement «socialisation li et «domestication li.
Henri GuillaumeORSTOM
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Dovld Robl-.
La guerre sainted'al-Hajj Umar
Un Document capitalpour l'histoire
de l'Afrique de l'Ouest
AI-Hajj Umar Tai, connu dans la littérature sous le nom d'El Hadj Omar,est une des figures dominantes de l'histoire ouest-africaine au XIX· siècle. De1852 à 1862, il se tailla un immenseempire au Soudan occidental. Avec destroupes recrutées au Fouta-Djalon etsurtout en Sénégambie, il lança un jihad(guerre sainte) contre les royaumesmalinké et bambara du Tamba, du Kartaet de Ségou.
Éd. Karthala(16 x 24), 424 p. - 230 F
« Le chez soi pour nous, c'est l'eau ,))
Cet entretien a été réalisé chez les Tamashek par J.-M. Yungle 30 novembre 1988, et traduit cc au pied de la dune ». Il nousa impressionné.
Le choix des extraits et leur édition ont également été réaliséspar J.-M. Yung : ils illustraient plus particulièrement les conclusions des enquêtes réalisées au Mali dans le cadre d'une missiond'évaluation de l'hydraulique pastorale. Les objectifs de cette mission étaient d'apprécier les besoins en eau et les possibilités dela participation financière des populations puis d'apporter lesgaranties foncières et institutionnelles à de tels investissements.
Les conclusions, d'une grande dignité, nous ont interpellés:cc on a reçu tellement de missions, tellement de promesses, tellement de grands chefs que l'on commence à douter ».
Si nous avons cherché, par les solutions préconisées, à répondre aux besoins ainsi révélés, nous avons également voulu ne pasdécevoir une telle attente et faire connaître cet appel.
* Extraits d'un entretien effectué dans le Karwassa auprès de membres d'un clan Tamashek, les Kel Taddak. Document présenté par Étienne Le Roy.
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L'EAU
" Notre préoccupation essentielle c'est l'eau"
« Nous croyons que la première préoccupation de l'homme c'est d'avoirun chez soi et chez soi, pour nous, c'est l'eau. Ce sont les puits. C'est à partir de là que l'on peut lutter pour notre reconstitution. Notre reconstitutiona pour base l'eau et le cheptel. Nous ne pouvons rien pour l'eau. Le cheptel,on peut le reconstituer avec le temps. C'est cette année, à cause de la pluviométrie, que nous avons commencé à croire à nouveau que nous pouvons revivre, renouer avec l'espoir. Il
" Avant quand les choses étaient bien équilibrées"
« Avant quand les choses étaient bien équilibrées, on vivait dans une île,satisfaits de notre vie, mais le cours du temps a amené les déséquilibres... Il
« Avant, en hivernage au moment du nomadisme, on suivait le plateaudu Gurma vers Hombori. On avait des chevaux, des chameaux porteurs, destroupeaux. On se rendait aux cures salées de Insagaran, de Dimamou. Enseptembre, on se rendait dans les zones des lacs Niangaye, Sere Yamou. Puisen février, mars, on descendait dans les bourgouttières de Sindingue, de Moptiet de là on quittait en juin, juillet et on repartait à Hom bori. Il
« Maintenant on ne bouge pas d'ici. Nous y sommes toute l'année... Il
" Quand la catastrophe est venue à nous "
« Voici la genèse de notre situation. Il
* La sécheresse
« Quand la catastrophe est venue à nous, la population a éclaté. On estparti en exode vers le sud de Rharous à iCI~ nous sommes partis vers le sud.On est allé trouver des peuples chez eux et on a perturbé leurs façons de vivre.Nous avons exploité leurs puits, leurs pâturages, leurs terroirs. Parfois, çaa frisé la bagarre... Notre bétail est presque complètement mort vers le sudet lorsque l'hivernage est arrivé, nous étions au dernier stade de notrerésistance. Il
« C'est comme quelqu'un qui a un tison entre les mains: l'amour du pays,l'exode. Je vais vous avouer, nous avons perdu la tête. Certains sont partisen exode en Lybye, en Algérie, au Nigeria, en Côte-d'ivoire au sud du Mali.Mais nous sommes revenus ici par amour de notre milieu et de notre élevage.Nous sommes convaincus de pouvoir renouer avec l'élevage; animal par anima~ l'espoir nous est revenu. li
* La réduction de l'espace pastoral
« Tout avait commencé par la dégradation de cette vallée du Fleuve, laproilfération des cultures et l'inondation qui ne venait plus. Les pâturagesont diminué, de mauvaises plantes se sont développées... Avant il y avaitdes espaces vides, maintenant il y a partout des peuplements nouveaux. Des
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DOCUMENT
villages sont apparus, les bourgouttières sont devenues des Tlzzeres. Dans leSéno, les gens de la montagne sont descendus et ont pris possession des terres.Alors, on a choisi cet endroit pour l'occuper et ne plus le quitter. »
« Nous sommes un peuple en réhabilitation "
* Vulnérabilité
« L'inventaire de nos dtfficultés serait trop long car nous sommes un peuple en réhabilitation. Mais il y en a une qui tranche: elle s'appelle l'eau
un puits. »
* Maladie
« Les gens ont atteint un degré de baisse du revenu tel qu'ils sont exposésà tout. Ils ne disposent plus de bêtes pour tirer l'eau, de bêtes pour aller chercher des céréales, de revenus pour se vêtir. Ça se manifeste au niveau desmaladies avec le froid. »
* Défaut d'héritage
« L'ashiuf (dotation en pré-héritage) a maintenant disparu. Il est rare.Ça a disparu en 1985. Ça avait déjà diminué en 1972. »
* Difficultés pour se marier
« La pratique de la taggalt - la dot - est restée mais le fond est parti.Avant on donnait 20 génisses, maintenant 2 ou 3. Il est fréquent que les jeunes ne puissent plus se marier car on ne peut plus honorer les engagements. »
* La résistance - cc Nous remercions l'ODEM .. (1)
« Nous nous sommes refusés à l'éclatement mais nous sommes à la croiséedes chemins. Ceux qui sont partis à l'intérieur du Malz~ on les a récupérés.Ceux qui était en mauvaise situation à l'extérieur du Mali sont revenus... »
« La communauté du disponible qui reste ici, c'est ce qui nous fait vivre.Par exemple moi j'ai 3 vaches laitières. Je partage le lait avec les famillesdémunies. Si je vends un anima~ j'achète du grain, je le partage avec desfamilles démunies sans le vendre ou soumettre les autres à une quelconquerécompense. Tout le monde utilise mon chameau de transport. »
(1) Office pour le développement de l'élevage dans la région de Mopti, dont le siègeest à Sévaré.
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L'EAU
Le projet
* Stabilisation
«Les cycles de nomadisation auxquels nous étions habitués sont rompus,maintenant nous sommes quasiment stables ici.
* Organisation de l'espace
«Nous avons partagé notre territoire: l'est est réservé pour la saisonchaude, les mois de mars/avri~ mai/juin. L'ouest est pâturé de novembre àmars. L 'hivernage, tout est en pâture, mais en s'éloignant le plus possiblejusqu'à 40 kilomètres sauf les laitières qui restent...
« Nous allons commencer à cultiver car ça aide à conserver le cheptel. »
* Hospitalité et ouverture de l'espace
«D'autres éleveurs viennent ici, des Tamashek, des Peuls, des Maures.Ce sont les animaux qui ont quitté le delta. Tant qu'il ny a pas d'eau dansles mares, ils pivotent autour des puits ici. Nous sommes obligés de les accepter pour les pâturages et l'eau. Ils viennent demander si on les accepte. Chacun est accepté s'il n'apporte pas de désordre. Il y a un ordre. Chacun doitaccepter la place qu'on lui donne, ne pas couper la forêt, respecter l'aire detranshumance, là il est accepté. »
« Avec nos voisins en mai/juin on va chez eux car la nappe ici est tarie.Les animaux titubent, n'arrivent plus à aller aux pâturages. Les animauxse couchent, ne peuvent plus se relever. Eux viennent chez nous en juin/jui//etcar ils manquent de pâturages. Ce sont nos voisins. Avant de forer le puitson menait la même vie qu'eux. Ils nous ont toujours acceptés au bord du lac. »
* Hospitalité et impératifs financiers
« On ne demande rien pour payer l'eau. C'est défendu de vendre l'eau.Ce n'est pas conforme au Coran. On n'a pas le droit de vendre l'eau. Onfait payer pour chaque vache. Là on le fait car c'est pour pouvoir obtenirun puits. »
* Besoin d'une aide
« Nous avons rompu avec le nomadisme et décidé de nous implanter définitivement ici. Il faut que les conditions d'occupation du territoire soient remplies, qu'il y ait des points d'eau. »
« Les paysans qui cultivent obtiennent quelque chose de leurs efforts. Pournous éleveurs qui n'avons presque plus de chepte~ nous savons que la restauration est possible et qu'elle sera plus rapide si nous sommes assistés danscette restauration... li
« La tête de stabilité c'est l'eau. Nous et vous réunis et les bonnes volontés, nous croyons qu'en résolvant le problème de l'eau, nous parviendrons àrestaurer le cheptel. li
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DOCUMENT
« On a fondé tellement d'espoirs. Mais on doute, on a reçu tellement demissions, tellement de promesses, tellement de grands chefs que l'on commenceà douter. »
« Les gens croient qu'on a des moyens que l'on ne veut pas meUre à contribution. Nous sommes disposés à laisser dénombrer notre chepte~ ce que nousavons, animal par animal par l'ODEM et à eux de dire ce que nous sommes capables de donner comme contribution pour l'eau. »
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B. GANNE ET E.K. ILBOUDO
L'aménagement urbain à l'épreuvedu quotidien
Retour sur deux opérations-pilotes du PNUD auBurkina Faso
CüMME beaucoup de pays africains, et peut-être même plusque d'autres, le Burkina voit survenir sur son terrain unemultitude de projets en provenance de l'aide extérieure, pro
jets variés aux effets divers qu'il n'est en fait pas très aisé d'apprécier, surtout sur le long terme, vu le manque de temps ou le manque de recul accompagnant le plus souvent ce genre d'intervention.Sitôt achevé, sitôt évalué: combien d'« opérations-pilotes» ou deli projets expérimentaux" n'ont-ils pas été pressés de sceller de lasorte leur indubitable rationalité, par crainte de la voir peut-êtrese dissiper?
Depuis quelques années, on a certes commencé à réfléchir, ycompris au niveau des institutions officielles, sur les limites de cesystème d'aide par projet (1). Raréfiant les subsides, la crise et plusencore les réorientations de la Banque mondiale prônant un typed'intervention moins centralisé et public et plus privé et diversifié, ont abouti peu à peu à mettre en lumière les blocages inhérents à ce type d'opération: logiques trop bureaucratiques plaquéesde l'extérieur sur des réalités qui leur échappent; souci trop granddu bouclage à court terme et de la rentabilité immédiate de l'opération par rapport à sa viabilité à plus long terme; apports massifs de moyens extérieurs (argent, équipements) décourageant souvent le suivi et la prise en charge des interventions par les bénéficiaires laissés seuls face à des montages pensés en un autre contexte et sur un autre registre, etc. (2).
Peu à peu, s'est ainsi accréditée l'idée, bien relayée par ailleurspar les ONG, qu'il convient de développer des projets moins glo-
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AMÉNAGEMENT URBAIN
baux et moins formellement ambitieux, mais plus concrets et plusproches des réalités, permettant donc une meilleure implication desacteurs directement concernés: n'est-ce pas cette participation quiconstitue en fait le meilleur garant de l'utilité des projets et, parconséquent, le meilleur gage de leur pérennité?
Particulièrement sensible en Afrique en ce qui concerne notamment l'aide agricole et rurale (où les échecs étaient, il est vrai, peutêtre encore plus flagrants que dans d'autres domaines, ne serait-ceque du fait de la très forte polarisation des projets sur ces secteurs),cette évolution touche maintenant les autres champs d'intervention,et notamment l'urbain. Des grandes villes qui, compte tenu del'ampleur des développements qu'elles connaissaient, polarisaient pendant un temps l'essentiel des projets, on est progressivement passéà des Il établissements humains» (comme dit le langage « onusien»)de taille plus restreinte voire franchement petits, peut-être avec lesecret espoir, en réduisant la taille des champs d'intervention, demieux se rapprocher des groupes sociaux qu'il importerait maintenant d'impliquer plus directement. La « participation» devint ainsile maître-mot de tout nouveau projet (et, il faudrait ajouter, lesésame de nombre de financements ...) et l'axe majeur de toute unesérie d'opérations-pilotes chargées de concrétiser ces nouvellesperspectives.
C'est entre autres dans ce cadre que, dès le début des annéesquatre-vingts, fut développé par le PNUD (Programme des Nationsunies pour le développement) via la CNUEH (Centre des Nationsunies pour les établissements humains) dans ce qui s'appelait encorela Haute-Volta, une série d'interventions-pilotes sur trois centressecondaires, afin d'expérimenter de nouvelles méthodes d'aménagement. Le but poursuivi consistait à opérer une certaine amélioration de l'habitat par une utilisation plus efficace des ressourceslocales et une participation effective des populations, tout en mettant au point de nouveaux instruments de gestion permettant dedoter les instances politiques d'une certaine autonomie de moyensdans la poursuite de leur politique d'aménagement. Outre la réalisation d'un certain nombre d'équipements, un des axes majeur dechacune de ces opérations consistait, entre autres, à intervenir surd'importantes zones d'habitat spontané imbriquées dans le tissuurbain afin d'aboutir à un espace loti restructuré. A Fada N'Gourmaet Gaoua, les deux villes qui retiendront notre attention, ces opérations ont été pour l'essentiel réalisées en 1981 et 1982 (les par-
(1) Cf. en particulier B. Lecomte, L'aidepar projet: limites et alternatives, Paris,OCDE, 1986 et A. Lalau-Keraty et G. Prady,Les petits projets et l'évaluation, une questiond'angle de vue, Paris, AMIRA, 1987, brochure nO 53.
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(2) Sur ces points, cf. B. Lecomte, ibid.,ch. 5, «Les cinq dilemmes de la coopération: Projets/Problèmes, Ressourcesd'aide/Ressources propres, RentabilitéNiabilité, Modèle occidental/Style propre de développement, Immixion/Souveraineté-.
B. GANNE ET E.K. ILBOUDO
celles ayant été distribuées respectivement en août 1981 et juin1982); un premier rapport d'évaluation a par ailleurs été réalisédès 1983.
Passées les premières évolutions, quel bilan tirer en fait de cesopérations? Au niveau de leur contenu même tout d'abord, ainsiqu'à celui de leurs objectifs? Et qu'en est-il en particulier du modèleparticipatif développé ? Quel enjeu avaient représenté ces opérations ?Avec quel impact sur l'habitat, le foncier et l'urbain et quel effetd'entraînement sur les pratiques locales? Telles sont quelques-unesdes questions que l'on peut se poser (3).
Le projet
Lancé dès 1978, le projet PNUD (4) visant les trois centressecondaires de Fada N'Gourma, Gaoua et Léo entendait développer un programme d'amélioration de l'habitat en cinq points: restructuration d'un quartier populaire d'habitat spontané; construction d'un certain nombre d'équipements; établissement de schémasstratégiques d'aménagement; assistance à la promotion d'organisations populaires de développement communautaire; promotion etutilisation de méthodes de construction et de matériaux locaux.
On a peu de données concernant le choix même des villes; lesprincipales raisons techniques avancées concernent l'éloignement deces centres de la capitale, éloignement doublé d'un relatif isolementvu l'état à l'époque des voies de communication (la routeOuagadougou-Fada, par exemple, ne sera bitumée qu'après). Ilparaissait donc intéressant de tenter de « revitaliser)} quelque peuces centres qui, par rapport à d'autres localités parfois même inférieures en taille, semblaient particulièrement démunis au niveaunotamment de leurs activités.
Avec un peu plus de 13000 habitants en 1975, la ville de FadaN'Gourma (5), située à l'est du pays, présentait cette particularitéde ne posséder ni structure commerciale très développée, ni activités artisanales très affirmées. L'essentiel du commerce de bétail sepassant à l'extérieur de la ville, Fada se cantonnait essentiellementà assurer son rôle de centre administratif et de services, en particulier dans les domaines de la santé et de la formation.
(3) Recherche effectuée en 1986 et 1987par le G1ysi en collaboration avec le CNRST(IRSSH) et ('Université de Ouagadougoudans le cadre du programme «Coopérationet développement. du ministère des Relations extérieures: cf. B. Ganne, E. I1boudo,J.-B. Ouedraogo, A. Ouattara, G. Compaore,Évolution récente des villes moyennes du Burkina Faso: investissements publics et politiques
de développement à Koudougou, Banfora, Ouahigouya, Kaya, Fada N'Gourma, Gaoua, rapport G1ysi, mars 1988, 336 p.
(4) N° UPV-78-102.(5) Nous reprenons ici les données con
nues au moment de la mise en œuvre dulotissement. En 1985, la population de Fadase montait à 20414 habitants, soit un tauxannuel d'évolution de 4,6 "lo par an.
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Complètement enclavée au sud-ouest du pays, à plus de 400 kmde la capitale et ne comptant en 1975 qu'un peu plus de8000 habitants (6), Gaoua, pour sa part, semblait marquée par unedouble structure de regroupement: constituée d'un côté par un rassemblement de type villageois (dans une région où le système d'organisation sociale marqué par une occupation très extensive de l'espace,ne fait pas du village, contrairement en particulier au nord du Burkina, l'unité de base organique de la vie sociale) et doublée d'unesérie d'équipements administratifs, elle ne possédait qu'une structuration urbaine élémentaire et très peu d'activités; les quelquescommerces et activités artisanales observées sur place étaient d'ailleurs essentiellement le fait d'« étrangers» à la région.
Le projet « Habitat » entendait articuler ses interventions au travers d'une série d'équipements: outre donc la mise en place danschaque ville d'un lotissement doté de ses assainissements, il prévoyait à Fada la construction d'une école de 6 classes et de sesannexes, et la réalisation à Gaoua d'un centre de SMI (Santé maternelle et infantile) ainsi qu'un réaménagement du marché. Une enveloppe d'une cinquantaine de millions de f CFA était prévue danschaque ville pour couvrir ces opérations, l'estimation finale du coûtdu projet s'élevant finalement à Fada à 63 millions de f CFA (dont43 millions environ pour le lotissement et l'assainissement et20 millions pour l'école et ses annexes) et à 51 millions à Gaoua(dont 21 millions pour le lotissement-assainissement, 21 égalementpour la rénovation du marché et 9 millions environ pour le centreSMI) (7).
En dépit des problèmes posés, en particulier au niveau du réaménagement du marché de Gaoua dont les boxes restent vides fauted'avoir respecté, semble-t-il, le système d'organisation socio-spatialà base de proximité-concurrence des boutiquiers, nous ne reprendrons pas ici le bilan de l'impact de ces autres équipements, pourmieux nous focaliser sur la mise en place des lotissements. Comment se présente aujourd'hui chacun des lotissements à l'intérieurde l'espace urbain? Quel a été l'impact du système de participation mis en œuvre? Qu'en est-il des outils expérimentés pour permettre une certaine autonomie d'intervention des échelons locauxdans l'aménagement? En quoi la succession récente de changementspolitiques a-t-elle interféré sur le déroulement de l'opération et lamise en place des lotissements?
(6) La population de 1985 était de9 441 habitants, soit une augmentation endonnées rectifiées (cf. notre étude, pp. 8 ss.)de 1,4 0J0 par an.
(7) Source : «Fonds de roulement pour
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l'amélioration des établissements humains dansles centres urbains secondaires du BurkinaFaso., monographie de projet réalisée pourl'Année internationale du logement des sansabri, CNUEH, mai 1986.
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L'état des lieux cinq ans après
Différents de par la taille et de par la situation urbaine qu'ilsoccupent, les deux lotissements de Fada N'Dori à Fada N'Gourma(798 parcelles) et du quartier 1< Chefferie li à Gaoua (375 parcelles)présentent, cinq ans après la date de remise des parcelles (août 1981à Fada et juin 1982 à Gaoua), une physionomie voisine quant àla structure d'ensemble d'occupation des parcelles: lors de nosenquêtes, effectuées précisément fin 1986 à Fada et début 1987 àGaoua, le taux de mise en valeur, calculé à partir de la proportionde parcelles effectivement construites, se situait seulement dans lesdeux cas un peu au-dessus de la moitié (415 parcelles construitespour Fada sur 798, soit une proportion de 52 0/0; 206 sur 375 àGaoua, soit environ 55 %).
Si l'on se souvient de plus que, compte tenu des constructionsexistant antérieurement (puisque l'opération s'applique à des quartiers à rénover et qu'un des objectifs affichés du projet consisteaussi à tenter une opération tenant compte le plus possible de l'existant), environ 15 % des parcelles à Fada et plus de 20 % à Gaouaavaient pu conserver leur ancien bâti lors de la redistribution officielle des lots, on constate que, dans les deux cas, ce sont seulement 35 % environ de toutes les parcelles - et moins de la moitiédes parcelles vides effectivement distribuées - qui ont reçu en faitde nouvelles constructions depuis le début du lotissement. Les deuxprojets n'apparaissent pas ainsi au cœur de mouvements urbainsd'envergure et restent marqués, cinq ans après, par un taux d'occupation finalement faible.
Par ailleurs, pratiquement 80 % de ces constructions nouvellesont été effectuées au cours des deux ou trois premières années suivant le lancement de l'opération et 20 % seulement au cours dela période équivalente suivante (8). Passée si l'on peut dire la phasede mise en service, le rythme de construction et d'occupation semble donc s'être presque comme effondré; il conviendra de dire unmot sur les causes de ce phénomène qui ne sont effectivement pasuniquement locales.
Quoi qu'il en soit, ces similitudes d'ensemble ne doivent pascacher les différences importantes marquant chacune des deuxopérations.
(8) Un pointage effectué en novembre1984, soit pratiquement à mi-période entrele début de l'opération et nos propres enquêtes, dénombrait une proportion totale de
43 % de parcelles construites à Fada et 48 0/0à Gaoua, soit 28 % de nouvelles parcellesconstruites sur les 35 % observéesaujourd'hui.
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La rénovation du quartier « Chefferie )) à Gaoua
Jouxtant pratiquement le centre-ville de Gaoua, le quartier« Chefferie », - c'est son nom et tout un symbole - a certes étéchoisi, comme il a été dit, pour répondre aux importants problèmes de ruissellement et, partant, d'assainissement qui marquaientcette zone, située entre deux collines, peut-être plus fortement qued'autres parties de la ville. Dans une région connue de plus pourson indépendance et sa grande méfiance face aux interventions despouvoirs centraux, quels qu'ils soient, l'évidence de ces contraintes avait l'intérêt de permettre d'intervenir sur le quartier le plusancien de la ville, peuplé essentiellement de vieilles familles autochtones sans l'aval desquelles il aurait peut-être été difficile d'intervenir ailleurs... Le choix du quartier en quelque sorte « historique»de la ville comme support de l'intervention-pilote à mener ne devaitpas, à notre sens, s'avérer sans implication: dans le contexte defaible dynamisme d'ensemble de la ville, n'est-ce pas là en effetque réside une partie des causes des blocages enregistrés? Simplement parce que l'on intervenait en fait sur une zone en partie« réservée li ... Une série d'indices semble en tout cas converger ence sens.
Que l'on considère en effet les systèmes d'occupation aussi bienque les types d'occupants ou les diverses stratégies de mise en valeur(ou de non-mise en valeur...), tous ces différents traits semblent bienrenvoyer au même type de caractère finalement très contrôlé de cettezone.
On constate en tout cas que, hormis la réorganisation de l'existant et l'aménagement de quelques équipements, la restructurationdu quartier « Chefferie li n'a pas entraîné localement de mouvementstrès importants ni contribué à impulser de dynamiques particulières au niveau de l'habitat et du logement. Le quartier semble eneffet plutôt marqué par une absence d'enjeux; ou peut-être l'enjeuest-il précisément de préserver le statu-quo d'occupation...
On remarquera tout d'abord que c'est essentiellement dans lesilôts situés en périphérie du lotissement, de l'autre côté d'une routeséparant traditionnellement cette zone du quartier « Chefferie li proprement dit, que les constructions nouvelles, ainsi d'ailleurs queles quelques locations (on n'en compte qu'une vingtaine sur toutel'opération) se sont concentrées. La zone centrale quant à elle restel'apanage des grandes familles résidant là antérieurement. Peu denouvelles constructions «étrangères >, semblent en tout cas s'êtrerisquées là... même si l'on remarque par ailleurs dans cette zonela part importante de parcelles non mises en valeur.
Il est à cet égard intéressant de noter que ces parcelles sonteffectivement non occupées par le fait soit d'attributaires autochto-
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nes habitant sur les parcelles directement contiguës ou situées àproximité dans le quartier, soit carrément d'« inconnus» oud'« étrangers lI. Sur les 169 parcelles non construites que comptaiten effet l'opération lors de nos enquêtes début 1987, 52 étaientdirectement le fait d'habitants du quartier (dont 30 résidant sur lesparcelles contiguës), 51 relevaient d'attributaires « extérieurs» résidant en Côte-d'Ivoire ou dans d'autres régions du Burkina, et 49d'attributaires déclarés « inconnus », tant au niveau des sources oralesque des documents écrits. Tout semble se passer un peu dans cecas comme si l'ancien quartier, une fois pris ses propres garantiesd'occupation, n'avait finalement toléré à l'intérieur de lui-même quedes attributaires plutôt lointains...
Ce sont bien en effet la pression et les stratégies familiales quisemblent avoir prévalu là, pour garantir en quelque sorte le foncier. Les entretiens réalisés montreront clairement comment, pourobtenir le maximum de lots, tous les membres d'une grande famille,y compris parfois les invalides ou ceux n'ayant pas les moyens demettre en valeur leur. parcelle, s'étaient entendus pour déposer chacun une demande. Certains groupes familiaux se retrouvent ainsiavec cinq ou six parcelles sans avoir d'ailleurs pour autant modifiél'organisation des concessions pour tenir compte de la trame imposéepar le lotissement (des cheminements prévus continuent ainsi parexemple de se heurter. .. à des habitations). Et, au contraire de ceque l'on observera par exemple dans certaines zones de Fada, ilne s'agit pas là d'accumuler pour revendre. La stratégie de ces attributaires semble plus simplement de garantir le regroupement dela famille dans le quartier et d'éviter son éparpillement. Et, a contrario, peu d'attributaires de cette zone possèdent d'autres parcelles dans d'autres quartiers de la ville même de Gaoua.
Prépondérance donc des grandes familles défendant en quelquesorte leur espace à l'intérieur d'un contexte local ne semblant pasvouloir remettre en question cette situation. La faible dynamiqued'ensemble du projet semble en tout cas bien trouver une bonnepart de son explication dans le choix du quartier et le mode d'attribution des parcelles. Le faible niveau de mise en valeur des parcelles renvoie moins ici à quelque manque d'initiatives ou de moyensqu'à une stratégie tout à fait active de préservation... Pour n'êtrepas comme dans d'autres centres un enjeu actif direct de spéculation (au contraire de Fada par exemple, on est frappé à Gaoua parle faible nombre de transactions ayant eu lieu sur les parcelles depuisle lancement de l'opération), l'espace n'en constitue pas moins dansle cas du quartier « Chefferie» un enjeu social important. Ça n'estpas par manque d'enjeu que l'opération « Chefferie» semble avoirtrès tôt marqué le pas à Gaoua (d'autres nouveaux lotissementsn'ont-ils d'ailleurs pas été réalisés sur la ville pratiquement justeaprès ?). La réforme agro-foncière de 1984-1985 paraît en tout cas
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avoir peu contribué là à freiner une opération déjà aussi fortementrégulée. Qu'en est-il de la situation observée à Fada?
Le lotissement de Fada N'Dori
D'une taille pratiquement double de celui de Gaoua, le lotissement de Fada N'Dori connaît, ainsi qu'on l'a noté, un taux de miseen valeur global des parcelles de 52 %, taux encore inférieur à celuide Gaoua. Compte tenu de l'écart existant entre parcelles construiteset parcelles habitées, c'est vraisemblablement moins d'une parcellesur deux du lotissement qui, en 1987, se trouvait réellement habitée, le ralentissement des constructions nouvelles ayant par ailleursété là aussi considérable (200 parcelles construites entre 1981 et1984, contre 74 seulement au cours des deux années suivantes, soitune moyenne annuelle tombant d'environ 70 mises en valeur paran à 37...). Il est vrai que la situation de départ était relativementdifférente.
Il ne s'agissait pas en effet comme dans le cas de Gaoua d'unvieux quartier central, mais plutôt d'une zone périphérique occupée de façon seulement très extensive. Situé en bordure du barrage, mais de l'autre côté de la ville, ce secteur constituait de pluscomme une sorte de pôle d'attraction pour une série de quartiersspontanés en train de se développer dans toute cette autre partiede la ville. C'était donc en fait l'occasion de canaliser ainsi l'extension urbaine, les 800 parcelles de l'opération représentant à ellesseules près de 60 % d'augmentation de tout le secteur loti urbainexistant.
Vu donc la fonction d'accueil assignée à l'opération et l'importance du nombre de nouvelles parcelles créées - lequel dépassaitcette fois largement les besoins en espace des seules familles déjàinstallées sur le site -, il fut décidé d'adopter un double type deprocédure dans l'attribution des lots. On distingue ainsi d'une partles résidents ou anciens propriétaires des terrains à qui devait êtreautomatiquement attribuée une parcelle (ou même deux si leurfamille dépassait dix personnes), au prix unitaire de 25 000 f CFA(mais seulement 20 000 si la famille avait participé aux travaux collectifs); d'autre part, les autres candidats habitant à Fada dans lenon-loti, qui, inscrits sur une liste, seraient finalement tirés au sort(la redevance étant alors de 75000 f CFA).
Ce double système d'attribution n'est pas sans importance pourcomprendre la suite des événements. En effet, si la stratégie d'occupation de certains résidents - et en particulier des familles réellement installées sur le site - peut reprendre certains des traits enregistrés précédemment à Gaoua, celle des nouveaux attributaires
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venus de l'extérieur pourra s'avérer tout autre. Une des grandesdifférences entre les deux opérations sera l'importance - en dépitmême des interdictions formelles - des cessions et reventes intervenues depuis la distribution des parcelles, à des prix pouvant atteindre de 6 à 10 fois la redevance perçue (laquelle restait dans biendes cas toujours impayée). L'opération de Fada se situe ainsi dansun contexte autrement spéculatif que celle de Gaoua; les raisonsde la non-mise en valeur des parcelles devront également être autres.Disons un mot des diverses stratégies qui semblent s'entrecroiser.
Nous ne parlerons que peu des anciennes familles résidentesqui, comme à Gaoua, et compte tenu du fait que le plan d'organisation entendait respecter le plus possible l'existant, ont pu opérersans peine un certain redéploiement, quitte à s'étendre et à se réorganiser. Certes, un certain nombre de familles ont pu, comme dansle quartier « Chefferie », profiter de l'occasion pour « arrondir» leurespace en faisant attribuer des parcelles aux membres de la familledémunis ou émigrés depuis longtemps ailleurs. Certes aussi, ces nouveaux espaces ainsi gagnés sont loin d'être toujours réellement occupés et peuvent aboutir à voir perdurer dans certains îlots du lotissement nombre de parcelles vides à côté de zones toujours plusfortement densifiées. Il n'en reste pas moins que si les familles résidentes peuvent ainsi contribuer à un certain « gel» des terrains àleur profit, elles semblent l'avoir fait ici dans une proportion plutôt moindre qu'à Gaoua; d'autant que certaines n'ont pas hésitéà rétrocéder quelques-unes des nouvelles parcelles acquises pourfinancer par exemple une partie des nouvelles constructions. Ce dernier cas est loin d'être isolé. C'est d'ailleurs la stratégie adoptéepar d'anciens propriétaires non résidents quelque peu démunis, maisattributaires de parcelles sur le lotissement au titre de leurs anciensdroits, et amenés, lorsqu'ils recevaient par exemple deux parcellesdu fait de leur nombreuse famille, à vendre l'une pour équiperl'autre; quitte d'ailleurs à louer ensuite la nouvelle habitation età continuer de résider en non-loti...
C'est ce même type de démarche qui semble avoir animé defaçon générale les attributaires de parcelles tirées au sort; très peude parcelles ainsi attribuées seraient en tout cas au moment del'enquête de résidence à leur nouveau propriétaire:
- soit que celui-ci, ne disposant pas de moyens suffisants, aitété effrayé à l'idée d'acquitter une redevance trois fois plus élevéeque pour les résidents et se soit immédiatement «débarrassé» dela parcelle en la rétrocédant de façon avantageuse avant même qued'en avoir acquitté les droits;
- soit qu'ayant réussi à y investir, il ait préféré réserver èettenouvelle construction à la location.
La tendance générale pour les attributaires non résidents connus (car là aussi comme à Gaoua, mais dans une proportion cepen-
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dant nettement inférieure, on ignore qui sont certains attributaires, voire où sont certains autres) consiste à rester sur la parcellequ'ils occupent à l'extérieur de la zone, en partlculier en non-loti,afin d~ préserver les droits ainsi acquis de fait, surtout dans la perspective de nouvelles opérations: les projets ne sont-ils pas précisément amenés à tenir compte en premier lieu des occupants des sitesà aménager? Nombre d'attributaires de parcelles de Fada N'Doricontinuent ainsi d'habiter les secteurs non lotis en bordure immé.diate de l'opération, bénéficiant des quelques équipements réaliséstout en préservant leur double chance au niveau foncier. Dans untel contexte, loin de canaliser vers le lotissement une partie de lapopulation urbaine éparse, le système d'attribution des parcelles semble opérer un effet inverse, amenant plutôt à perpétuer le problèmequ'à le résoudre.
Une -troisième série de facteurs, plus conjoncturels cette fois,va également contribuer à freiner le développement du lotissement :la suspension des loyers en 1985 suivie de la mise en œuvre denouvelles réformes concernant le foncier, le tout aggravé par ce quel'on nomme la Il conjoncture li (ou la crise).
On a noté plus haut, en effet, l'importance des cessions et acquisitions de parcelles ayant de fait, et en dépit des interdictions, marqué le lotissement de Fada: un travail entrepris sur un échantillon restreint nous a montré que pratiquement 114 des parcellesavaient fait l'objet de transactions (dont environ 113 des parcellestirées au sort et 115 de celles attribuées au titre de résidents), cequi est loin de représenter un phénomène marginal. L'essentiel deces transactions avait été effectué au cours des trois premières annéesdu lotissement, dont certaines très rapidement, à des prix oscillantentre 100 000 f et 200 000 f CFA. 2/5 des acquéreurs se trouvaientdéjà installés sur l'opération et se procuraient ainsi une parcelleindépendante de leur résidence en vue de la location; 3/5 étaientconstitués' ô'acquéreurs complètement extérieurs à la zone, essentiellement fonctionnaires ou commerçants, visant également à investiren vue de la location, quitte comme on l'a vu à rester eux aussi
." .en non-loti; certains se trouvent même avoir acquis de la sorte àFada~N'Dori plusieurs parcelles. Compte tenu cependant des investissements à opérer, un certain nombre d'acquéreurs prévoyaient
/ de réaliser progressivement leurs investissements. Les mesures économiques adoptées en 1985 concernant la suspension des loyers puisle contrôle et l'imposition ~e ceux-ci à partir de 1986 (114 devant
. être directement reversé à l'Etat selon une procédure spéciale impliquant que l'on se déplace chaque mois pour acquitter cette redevance), ceci sans même parler de l'incertitude économique et politique de la période, virent quasiment aussitôt sombrer tous ces projets. La mise en. place de la nouvelle législation foncière et les incertitudes créées autour des notions de cc propriété li ou de Il conces-
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sion li des terrains (l'État restant seul propriétaire du sol et 'les usagers ne pouvant être que des li concédants li) ne semblent Pllsavoircontribué depuis à relancer les opérations.
Problèmes cumulés donc pour le lotissement de Fada.'N'Dorivoyant se conjuguer les difficultés liées à la mise en place mêmedu lotissement et au manque de contrôle des diverses stratégies foncières locales avec les incidences des nouvelles mesures politicoéconomiques dans le domaine du foncier et de. l'habitat. Si leesystème de contrainte relativement lâche de mise en place du lotissement n'a pas permis d'attirer sur la zone, comme il était visé,les populations attributaires des parcelles, en alimentant plutôt touteune série de transactions, les nouvelles rigueurs de la législationsemblent bien avoir contribué à dissuader ceux qui envisageaientde construire de donner suite à leurs projets d'investissement) lesdeux mouvements se cumulant successivement pour contribuer enquelque sorte à li geler li davantage l'opération.
Impact urbain limité donc de ces deux lotissements-pilotesn'ayant finalement pas réussi à se développer autant qu'il était espéréni à fixer comme souhaité les populations des quartiers spontanésauxquelles le projet s'adressait.
Qu'en est-il des deux autres axes principaux du projét; la participation populaire et la mise en place d'un fonds de roulementdevant doter les collectivités territoriales locales d'une certaine autonomie d'intervention dans les opérations d'aménagement?
Participation populaire et mise en place du fonds deroulement
Ces deux points peuvent être traités simultanément dans' 'lamesure où le projet prévoyait que la participation des familles auxtravaux des lotissements devait se traduire par un moindre coût dela redevance à verser pour obtenir le permis urbain d'habiter (9).Nous ne reprendrons ici que quelques aspects de ces montages.Disons d'un mot que la multiplication des systèmes d'incitation nesemble pas avoir précisément contribué à emporter l'adhésion, contribuant même à brouiller davantage le recouvrement des contributions et la mise en place du fonds de roulement.
De toute façon, la li participation populaire li proposée consistait moins en une association aux objectifs ou au montage mêmedu projet qu'en une demande de contribution directe aux tr.avauxde terrassement, de bornage ou d'assainissement. Compte tenu de
(9) Une réduction de 850 f CFA parjournée de travail devait ainsi être comptéeà Gaoua, la redevance perçue à Fada étant
pour sa part ramenée de 25 000 à 20 000 fCFA pour les familles ayant participé auxtravaux.
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plus des ambiguïtés entretenues au départ, ayant pu, par exemple,laisser croire que, pour les familles participant aux travaux, les parcelles pourraient être obtenues gratuitement, on ne saurait êtreétonné de la désillusion qui s'empara très vite des premiers volontaires lorsqu'il fut clair que ce seraient d'autres règles du jeu quiprévaudraient. Face à la désaffection qui se faisait jour, les promoteurs de l'opération tentèrent alors de continuer de mobiliser l'intérêten mettant parallèlement sur pied un autre système d'incitation basésur la distribution de vivres du Programme alimentaire mondial.Mais, exclusif du premier (soit l'on optait pour le décompte desjournées sans prendre de vivres, soit l'on prenait les vivres sansque la journée soit alors décomptée), ce système acheva en faitd'embrouiller des calculs qui s'avéraient déjà loin d'être clairs... Sil'on ajoute à cela la perte des carnets de décompte, l'on réaliserasans peine combien le système de «participation li a pu tournercourt, même si l'on met parfois en avant le cas unique de cettefamille de Gaoua qui a pu, en 52 journées de travail ainsi données, couvrir pratiquement le coût de la redevance...
La collecte de la redevance (et donc la mise en place du fondsde roulement) n'a pas été non plus sans souffrir de ces ambiguïtés. Après avoir tout juste commencé de s'amorcer un peu danschacune des deux villes, le système de recouvrement s'est en effetassez rapidement arrêté de fonctionner. Jusque fin 1986, date denos enquêtes, environ Il % seulement des sommes totales à percevoir ont été recouvrées à Gaoua et 15 % à Fada. Si l'on analyseces versements, on remarque qu'à Gaoua, 7 % seulement des bénéficiaires de parcelles ont ainsi acquitté en totalité la redevance et20 % de façon partielle : ce sont donc 80 % des attributaires quin'ont rien versé du tout... Cette dernière proportion semble sensiblement du même ordre à Fada. Très faible taux de recouvrementdonc de la redevance parcellaire avec cependant un point intéressant à noter à Gaoua dans la mesure où une partie des 2 millionsde f CFA perçus a effectivement servi à la mise en place d'un nouveau lotissement dans la ville; mais sans que le même type de procédure se trouve là reconduit, voyant du même coup disparaîtrele début d'autonomie acquise.
Les raisons de l'échec des recouvrements et de la mise en placedu fonds de roulement sont multiples, la contestation de fait dela redevance se cumulant avec la série de litiges développés parles systèmes de décompte successifs liés à la « participation populaire li ainsi qu'avec l'absence de gestion claire, et ce, tant au planfinancier que politique du système mis en place.
On constate ainsi - et cela se comprend - que ceux qui n'ontpas payé la redevance se situent en particulier parmi les attributaires résidant déjà sur le terrain avant la mise en œuvre du lotissement. Parmi ceux qui ont payé la redevance, on trouve par contre
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dans les deux cas une part non négligeable d'attributaires de parcelles encore vides résidant hors de la région; sans doute ces attributaires «extérieurs Il, plus au fait d'ailleurs des nouvelles règlesdu jeu dans la mesure où il s'agit souvent de fonctionnaires,entendaient-ils de la sorte mieux « s'assurer Il dès le départ des terrains ainsi obtenus. Quant aux résidents antérieurs, forts de leursdroits acquis de premiers occupants, ils se soucient assez peu eneffet d'avoir à s'acquitter maintenant de droits leur octroyant le permis d'habiter... Dans ces conditions, la contestation ne peut qu'êtreencore plus forte de la part des familles ayant commencé à participer aux travaux... Les incertitudes du système de gestion ont faitle reste, la fluctuation des interlocuteurs institutionnels chargés desrecouvrements (Trésor, Mairie, Domaines...) ne permettant pasd'assurer un suivi tant des dossiers que des rentrées: documentsdisparus, listes égarées, voire fonds détournés comme à Fada, n'onten tout cas pas contribué à clarifier la question des sommes duespas plus d'ailleurs que celle de la destination des fonds... Le problème de la maîtrise et du contrôle du fonds de roulement apparaît en tout cas comme un problème loin d'être réglé. Les fluctuations politiques venues donc s'ajouter aux contradictions propresdéveloppées dans la mise en œuvre de l'opération semblent bienavoir ainsi parachevé le blocage de la situation.
** *
Au terme de ces quelques points de bilan sur les deux lotissements de Fada et Gaoua, on comprend peut-être mieux l'intérêt
. qu'il y a à pouvoir revenir après un certain temps sur des opérations présentées globalement comme sans problème lors des premières évaluations.
Opération-pilote, les deux lotissements de Fada N'Dori et duquartier Chefferie entendaient l'être à plus d'un titre, ainsi que nousl'avons vu, en tentant de mieux associer les populations à la réalisation même du lotissement, en tenant compte autant qu'il étaitpossible dans les aménagements de la trame d'occupation existante;en tâchant surtout d'initier un système de recouvrement devant donner aux communes les moyens de développer ultérieurement unepolitique d'aménagement autonome; ceci tout en permettant unerénovation importante de certains quartiers qui, sans s'apparenterpurement et simplement à de l'habitat spontané, s'avéraient jusque-lànon lotis, et en favorisant l'instauration de toute une nouvelle trameurbaine capable de canaliser le développement urbain, modéré maisréel, de ces centres secondaires.
Cinq ans après la distribution des parcelles, on remarque entout cas que ces divers objectifs sont loin d'être atteints. Manque
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de prise en compte des stratégies des acteurs sociaux, poids spécifique de la conjoncture liée aux incertitudes politiques du moment,en sus des contradictions mêmes de l'opération au niveau de sespropres montages: sans que ceci s'avère irréversible, les opérationsde Fada et Gaoua paraissent en tout cas plutôt en voie de s'enliser. La conjoncture politique propre du Burkina et la mise en placede la réforme agro-foncière semblent bien dans ce cas n'avoir jouéqu'à la marge dans le faible développement d'opérations déjà fortralenties par le jeu de forces et de processus mal contrôlés. Conçucomme un nouveau mot d'ordre censé exorciser peut-être ces difficultés, 1'« impératif participatif» ne paraît en tout cas pas avoir permis l'amorce de nouveaux systèmes d'organisation plus induits.L'intérêt des opérations-pilotes n'est-il pas précisément de permettre de manifester ce type de blocage plutôt que de le dissimuler?Et l'intérêt des villes moyennes où, sur d'autres registres, les interventions d'aménagement n'en demeurent pas moins problématiquesque dans les grands centres, de mieux le révéler?
Bernard GanneCNRS - Groupe lyonnais
de sociologie industrielleE.K. Ilboudo
ESSEC - Ouagadougou
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-NIGERIA
AFRIQUEORIENTALE
AFRICANISME
MADAGASCAR
RWANDA •--CAMEROUN ---Le Nigeria au milieu du gué?
T OUTE crise économique marque la fin d'une époque et
permet l'émergence de nouvellesrègles du jeu. Le Nigeria n'échappepas à cette loi: l'acuité des problèmes dans lesquels il se débat depuisbientôt cinq ans, ne doit pas masquer l'importance des changementsque l'économie de ce pays connaîtdepuis la mise en place du PAS(Programme d'ajustement structurel)en 1986. Ce programme lancé aumoment où la Fédération était dansun état de quasi banqueroute semble être entré dans sa phase ultime,celle où sa réussite se joue.
L'inflexion libérale de la politique économique, timide au débutde la prise de pouvoir du présidentBabangida, en raison de l'hostilitéde l'opinion publique, s'est nettement accentuée. Après le relatif desserement de la dette extérieure, legouvernement s'est attaqué aux problèmes de fonds de la société et del'économie nigérianes en optant eneffet pour une dérégulation libérale.Ses interlocuteurs dans les négocia-
tions internationales reconnaissentses efforts. Les discussions concernant le rééchelonnement de la dette,dramatiques en 1986, sont presquedevenues désormais une opérationroutinière; des accords viennentd'être signés récemment avec leClub de Paris et avec le Club deLondres. La Banque mondiale et leFMI se sont engagés à accorder denouveaux prêts. De son côté, l'Étatnigérian a commencé à remboursersa dette; la Banque centrale ahonoré les échéances des billets àordre qu'elle avait émis. Plus de2 milliards de dollars ont ainsi étéremboursés. Il est vrai aussi quedepuis 1986, cette dette était passéde 23 à 29 milliards de dollars.
Le rééchelonnement conditionnele retour à l'équilibre des paiementsextérieurs, mais n'apporte pas desolution à la question du finaI}cement des investissements. L'Etatnigérian n'a plus la possibilité depoursuivre sa politique ambitieusede développement car il consacreses moyens réduits au colmatagedes déficits, à l'entretien des infras-
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tructures et à l'achèvement desgrands projets de la décenniepassée.
L'inflexion libérale
Le secteur privé est donc sollicité. L'appel aux capitalistes nigerians, les mesures d'encouragementau rapatriement des fonds illégalement placés à l'étranger n'ont pasproduit de vague d'investissements.Cet attentisme était prévisible car ladifficulté du contexte économiqueactuel n'est pas un facteur favorable pour l'investissement productif.Pour les Nigérians désireux d'investir, l'investissement foncier urbain,interdit aux étrangers, est actuellement le meilleur placement car iloffre la meilleure couverture contrela dépréciation de la monnaie etpermet de prendre position en casde reprise de la construction. Larelance de l'investissement productif dépend donc des investisseursétrangers. Ce constat expliquel'accentuation de la politique libérale. Après la mise en place dumarché des devises et la suppression des licences d'importation, lalibéralisation des prix industriels, lasuppression des offices de produitsagricoles et le retour de la commercialisation internationale des denréesau secteur privé, le gouvernementa annoncé d'autres mesures de dérégulation. Certaines sont mineures,mais d'autres constituent de vraiesrévolutions pour la sociéténigériane.
Au rang des mesures mineures,il faut citer la réunification des tauxde change entre le marché interbancaire des fonds de devises autonomes· (appelés ainsi parce que,gagnés en exportant, leurs détenteurs peuvent en disposer libre-
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ment) et le marché officiel deschanges. La dépréciation de la nairaest plus accentuée sur le premiermarché que sur le marché officielen raison de la pénurie de devises.Le gouvernement a cherché à plusieurs reprises à uniformiser lestaux entre ces deux marchés en plafonnant la marge des banques intervenant sur le marché des fondsautonomes. Cette mesure a provoqué l'asséchement du marché interbancaire et la réanimation du marché noir, devenu alors plus lucratif. Le gouvernement a réagi enmettant en place un autre systèmeselon lequel le marché interbancaire(Interbank Foreign Exchange Market)fournit la quotation journalière dela monnaie entre deux séancesd'enchères sur le marché officiel.Ce système a provoqué l'alignementdes taux sur le marché interbancaireet a donc accentué la dévaluation dela naira. L'activité de changeur dedevises a été aussi réglementée dansun esprit libéral pour officialiserl'activité des changeurs de rues etéviter les passages illégaux de devises entre marchés.
Au rang des mesures administratives typiquement nigérianes, ilfaut citer la double tarification ducarburan t selon le caractère« privé lt (0,60 naira le litre desuper) ou «commercial lt du véhicule (0,42 naira le litre. pour lestaxis et les bus). Trois compagnies:Unipetrol, African Petroleum etNational ont été désignées pour distribuer le super «commercial lt.
Cette mesure qui a pour objectif dene pas augmenter outre mesure lecoût des transports pour la population apparaît à priori difficile à faireobserver au Nigeria. Outre les carburants, le réajustement des tarifspublics s'est poursuivi selon desformules modulées afin d'éviter defaire payer (trop) le consommateur
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final. Ont été concernées les communications téléphoniques internationales (700 % de hausse), la location de lignes de communicationsinternationales spécialisées (1 500 à2400 %), les billets d'avion internationaux (65 à 100 %). Le tarifdouanier a été réaménagé pourdiminuer les taxes sur les pièces desvéhicules assemblées au Nigeria.L'interdiction d'importer des produits alimentaires est maintenue.
Certains organismes publicsvont être supprimés ou rendus ausecteur privé partiellement ou totalement. Le décret du 5 juillet 1988précise le périmètre de privatisation : 67 sociétés seront privatisées,Il sociétés seront rendues à unfonctionnement concurrentiel total,14 sociétés à un fonctionnementconcurren!iel partiel. La participation de l'Etat sera réduite dans lesbanques, les cimenteries et dans denombreuses sociétés publiques. Legouvernement a déjà mis' en venteune société de distribution pétrolière et une industrie agroalimentaire. La liste des entreprisesne comporte pas, loin s'en faut, quedes entreprises aussi profitables etattractives: il faut donc s'attendreà ce que le programme s'étende audelà du délai de 12 mois que s'estfixé le gouvernement pour privatiser ces entreprises. Depuis 1970,l'accent était mis sur l'étatisation del'activité économique. Ce décret ymet un terme et enclenche un mouvement inverse.
La mesure majeure, spectaculaire, annoncée le 14 janvier 1989par le président Babangida, concerne la suppression de la règle del'indigénisation du capital des entreprises instituée par la loi de 1977.Mis à part 40 secteurs à «bassetechnologie li appartenant principalement au secteur tertiaire, Nigerians et étrangers pourront créer des
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sociétés «selon la composltlon ducapital qui leur conviendra li. Lestatu quo demeure pour les banques, les assurances, la prospectionpétrolière et minière. Le gouvernement a inauguré aussi une nouvelleprocédure en offrant à des entreprises désireuses d'investir au Nigeriadans les secteurs productifs la possibilité de racheter une partie de ladette publique libellée en devises(Debt Equities Swap). Cette procédure par le jeu de la décote et dela dévaluation de la naira donneune prime à l'investisseur étranger.
Cette libéralisation est un réelsigne d'encouragement pour lesinvestissements étrangers. Le gouvernement l'a diflèrée jusqu'aumoment où son évidence pour lesuccès de la privatisation du secteurpublic est apparue.
La marche forcée vers la nouvelle société nigériane
Cette nouvelle politique économique modifie considérablement laposition des acteurs de l'économienigériane. La population rurale etl'agriculture retrouvent un contextede production plus favorablepuiqu'il n'y a pratiquement plusd'arrivage de produits alimentairesimportés en raison de la dévaluationde la monnaie et des interdictionsd'importation. Les paysans engagésdans des cultures de rente bénéficient d'excellents prix pour leursproduits car ceux-ci sont recherchésen raison des devises qu'ils procurent. Mais après deux années excellentes pour toutes les productionsagricoles, les récoltes de l'année1988 ont été moins bonnes en raison d'une pluviométrie moinsfavorable.
Le Plan d'ajustement structurel
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affecte principalement la classemoyenne urbaine car il a provoquérapidement des effets négatifs sur lerevenu et la consommation de cettepopulation sans susciter encored'effets positifs. Pendant l'année1987, la population urbaine nigériane s'est montrée relativement disciplinée. L'année 1988 a vu destroubles sociaux violents que legouvernement a réprimé durement:fermeture des universités en févrieret en avril à la suite de manifestations étudiantes contre la hausse desproduits pétroliers, grève desemployés de banques et d'assurances en avril, grève des enseignantsen juillet et interdiction du syndicat des enseignants, licenciement de4 000 employés de la Nigerian Railways Company, grève des cheminotsde Lagos en août, grève des cadresde la Nigerian Electric Power Authority en octobre, licenciement de5 000 salariés des Nigerian Telecommunications en novembre, endécembre grève des dockers deLagos et licenciement de2 500 salariés de Nigeria Airways.
Le gouvernement a réussi chaque fois à contrôler l'agitationsociale en faisant très peu de concessions et en se montrant trèsferme sur le service public. Desmesures symboliques ont été prises :condamnation à la prison à vie deonze cadres grévistes de la NigerianElectric Power Authority à l'originede la grève qui avait privé Lagosd'électricité. Il faut rappeler aussique le président Babangida a faitexécuter les officiers qui avaientprojetés un coup d'état contre lui.Lors du 3e anniversaire de son arrivée au pouvoir, le Président adécrit l'opposition à son gouvernement et les manifestations contre sapolitique comme des tentatives desabotage du programmeéconomique.
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Cette fermèté se manifeste aussidans la conduite de la procédure duretour du pouvoir aux civils. Leshommes politiques de l'ancienrégime demeurent exclus de candidature. L'Assemblée constituantequi a commencé à débattre de lafuture constitution s'est vu assignerun cadre de travail précis et interdire de discuter d'un certain nombre de thèmes. Prévu pour 1992, ceretour témoigne de la volonté dedonner de nouvelles institutions auxpays et de susciter une nouvellegénération d'hommes politiques nonimpliqués dans les délices de l'économie mixte pétrolière. Libéralisation économique et regénérationpolitique vont ainsi de pair car lasociété nigériane doit être capablede sélectionner une élite sur sacompétence. Sans trop le fairesavoir, le président Babangida aainsi lancé une véritable révolutionsociale pour le pays. La fermetédont il fait preuve ne pourra êtrelongtemps maintenue que si lapopulation commence à apercevoirles signes tangibles de la réussitedes réformes économiques.
Le fardeau moral de la dettecommence à changer d'épaules
Depuis 1985, la plupart de cesréformes ont été mises en œuvrepour satisfaire les exigences duFMI et de la Banque mondiale.Des conditions très dures ont étéimposées à des pays comme leNigeria en raison de leur mauvaisegestion. Ces réformes étaient certainement nécessaires pour apurer lasituation économique et corriger lescomportements spéculatifs d'unegrande partie de la population. Sil'impéritie passée de l'administration nigériane est indéniable, on
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commence cependant à mieuxanalyser les causes réelles del'endettement.
Les conséquences de l'effondrement du système de Bretton Woodsen 1971 ont été masquées par lechoc pétrolier. Le recyclage despétro-dollars a permis aux grandesbanques internationales de fairecroître leur,s prêts de 20 à 30 % paran à des Etats n'accordant qu'uneattention distraite à leur gestion,notamment à leur déficit intérieuret à leur secteur public pléthorique.Le Nigeria était dans ce cas. Lesbanques prêtaient car le pétroleétait un produit dont le prix nepouvait que monter. Le FMIdemandait aussi aux banques defaire leur devoir en prêtant desfonds acquis essentiellement sur lemarché de l'Eurodollar alimenté parles déficits du budget américain.
Les responsabilités de cette crisefinancière sont donc multiples etceux qui crient le plus fort sur lascène internationale contre lesretards de paiement de la dettenigériane oublient souvent les profits considérables qu'ils ont réalisésavec le recyclage des pétro-dollars.Les milieux économiques internationaux commencent à s'en rendrecompte d'autant plus vivement queles potentialités de développementdu pays ne pourront être mis envaleur si celui-ci épuise toutes sesressources pour honorer ses engagements passés. Remettre purement etsimplement les dettes de cettepériode serait cependant un actecontraire à la morale des affaires età la sécurité du crédit, mais un rééchelonnement plus souple consentien fonction des efforts faits par leNigeria s'impose.
Le retournement du marchépétrolier devrait faciliter l'évolutiondes opinions sur l'économie nigériane. Ces dernières années, les bas
prix du brut l'avaient fait oublier,mais le pétrole revient maintenantsur la scène internationale. Lademande mondiale est repartie,timidement en 1986 et 1987, plusvite en 1988 (+ 4 % au dernier trimestre 1988). La production desUSA n'est plus à un niveau suffisant pour satisfaire la croissance dela demande intérieure du premiermarché mondial. La concurrencedes autres énergies s'est émoussée;la part de marché des pays NOPEPstagne alors que celle de l'OPEP acru de 6 % par an depuis un an. Laconjoncture pétrolière se retourne etles pays NOPEP sont en passe des'entendre avec les pays OPEP surun prix de rérerence.
Pour le Nigeria cela a plusieursconséquences positives :
- les cours se stabilisent à unbon niveau,
- son quota OPEP a augmenté(il passe de 1,301 à 1,355 millionsde barils/jour),
- il bénéficie de ses effortsd'investissements dans le raffinageet la pétrochimie,
- ses réserves de pétrole et degaz sont considérables; le gazjusque-là peu développé est là pourprendre le relais des hydrocarburesliquides car le projet de liquéfactiondu gaz (Bonny Light) avance.
L'économie du Nigeria entret-elle en phase de retournement?
L'insuffisance de la productionintérieure par rapport à la demandeest une donnée essentielle de l'économie nigeriane depuis son lndépendance. La politique d'investissements publics massifs de la période1975-1980 a essayé d'y remédier envoulant jeter les bases amont d'unsystème industriel puissant et inté-
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gré (acièrie, sidérurgie, raffinage etpétrochimie). Ces investissementsn'apportent pas à court terme desolution au déséquilibre de lademande; ils l'accentuent même carils insufflent des revenus supplémentaires. Ce contexte éclaire lapolitique industrielle des années75-80 et celle appliquée actuellement: la volonté de contrôler toutela production industrielle d'amonten aval a été néfaste pour le Nigeria parce que les Nigériansn'avaient ni la capacité technique nila volonté d'investir. Les industriesaval capables de satisfaire lademande finale ne sont pas crééesparce que les Nigérians ne s'y sontpas intéressés et parce que les sociétés étrangères n'ont pas voulu partager le pouvoir et la gestion desentreprises comme l'entendait la loide nigérianisation du capital.L'inflexion libérale est certainementle résultat des pressions de la Banque mondiale et du FMI, mais elleest aussi l'acceptation lucide de laréalité économique nigériane. Partradition historique, l'élite de cepays se tourne plus volontiers versle commerce, l'intermédiation avecle pouvoir politique que versl'industrie. Jusqu'à présent, ce comportement exprimait une certainerationalité économique car lesretours sur investissement étaientplus forts dans le négoce desinfluences que dans les entreprisesde production!
Les réformes pratiquées visent àfaire changer ce contexte. Lesindustriels étrangers, surtout ceux
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qui sont déjà implantés au Nigeria,commencent à s'en rendre compte.Le coût de la main-d'œuvre y estdevenu un des moins élevé d'Afrique de l'Ouest. La dévaluation dela naira a atteint un niveau tel quele risque de change pour les investissements étrangers disparaît.L'inflation s'est accélérée en 1988mais a cependant été contenue.Depuis la mise en place du Pland'ajustement structurel et en dépîtde toutes les difficultés rencontrées,la somme cumulée des devises vendues aux enchères ou puisées dansles fonds autonomes dépasse10 milliards de dollars. A celas'ajoute le remboursement de ladette. Sur le plan des échangesinternationaux, l'économie du Nigéria compte toujours.
L'analyse de l'emploi des devises achetées sur le marché des changes montre une légère augmentationde l'achat des matières premières,une stabilité de ceux des machineset des produits finis et une régression des transferts d'invisibles. Cetindice comme ceux des productionssectorielles ne peuvent pas encorenous faire conclure à une repriseéconomique, mais nous pouvonsdire que la phase d'assainissementdu système industriel et de disparition des entreprises non viables touche à sa fin. La nouvelle donneéconomique en place, l'année 1989révèlera les stratégies de chacun. LeNigeria demeure plus que jamais lelaboratoire économique de l'Afriquede l'Ouest.
Jean Philippe
MAGAZ1NE]
De l'importance des calendriers
L a fonction première d'uncalendrier est évidemment
d'indiquer la succession des jours,des mois, voire des !etes à souhaiter. Il peut de plus avoir une vocation esthétique, être un élément dedécoration.
Nous avons toujours été frappéspar la surabondance des calendriersau Nigeria, que ce soit dans lesbureaux ou dans les habitations privées. Il est ainsi fort courant d'entrouver une demi-douzaine, accrochés aux cloisons d'une même pièceet nous avons pu en compterjusqu'à dix-sept, pas moins, dans lesalon d'un homme d'affaires/cheftraditionnel. Cette profusion, cetétalage semblent suggérer qu'ilsremplissent un rôle autre que strictement utilitaire.
Il faut dire que dans ce pays,toute institution, compagnie, association, tout syndicat, mouvementreligieux ou club qui se respectefait imprimer son calendrier. Mêmeau plus profond de la brousse, dansun village difficile d'accès, l'Oba(monarque) vous montrera et quisait vous donnera - si vous êtesconsidéré comme un visiteur important - son calendrier de l'année encours, un rien maculé peut-êtremais où figurent sa photographie etcelle de ses principaux chefs...
En fait, exhiber un grand nombre de calendriers revient surtoutpour les Nigérians à montrer ostensiblement, à afficher le capital relationnel dont ils disposent. Tel qui,entre un tableau le représentant en
train de recevoir une distinctionquelconque et la photographie de safille en toge, le jour de sa «graduation », placera le « superbe» calendrier offert par une ambassadeétrangère ou une multinationale,fera savoir à ses visiteurs qu'ilentretient peu ou prou des rapportsavec celle-ci.
L'on mettra systématiquementsur les murs de son échoppe ou desa salle de séjour les calendriers dessociétés auxquelles on appartient ouque l'on dirige et l'on sera comblési l'on peut y ajouter ceux des principales industries de l'endroit, desbanques, des compagnies d'assurance, celui - officiel - de l'undes vingt-et-un États ou mieuxencore (si toutefois l'on n'est pashostile au régime militaire enplace), celui de la Fédération quivante les bienfaits de la politiquedu «Conseil gouvernemental desforces armées ».
Pour certaines élites, déployertoute une série de calendriers d'origines variées (secteur économique,Eglises, université, administration,têtes couronnées, milieu sportif,presse, etc.) est un bon moyen demarquer la pluralité de leursintérêts.
Le nec plus ultra est assurémentd'avoir sa propre image ou celle ·deson patron sur le calendrier. La plupart des cercles, des communautésfont reproduire la photographie deleurs membres les plus éminents etil est toujours de bon ton de montrer à votre hôte que vous l'avez
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reconnu sur le calendrier qui trônederrière lui. La disposition des éfigies.de chacun et leur taille respective peuvent d'ailleurs susciter unevéritable. compétition. Un jour quenous faisions remarquer à un cheftraditionnel que son portraitcôtoyait 'heureusement celui d'unroi très important et très connu surle calendrier d'un club philanthropique, il répondit qu'il regrettaitamèrement qu'on n'ait pas fait à1'« Oba» les honneurs de la placecentrale et de l'agrandissement. Onavait préféré mettre en vedette leplus généreux bienfaiteur du club(en l'occurrence une riche femmed'affaires de Lagos, gratifiée del'appellation obligeante de «ClubMatron ») et il s'était plaint, d'ailleurs sans grand résultat, de ce qu'iltenait pour une scandaleuse erreurde préséance, l'argent paraissantplus apprécié que le titre traditionnel, aussi prestigieux soit-il.
Le goût pour les calendriers seretrouve dans toutes les couches dela société. Ainsi un ouvrier sera fierde rapporter à la maison celui de« sa » firme, laquelle, en lui versantun salaire régulier contribue à Îairede lui un dominant chez les dominés, a fortiori en ces temps de criseéconomique aiguë. De même, nousobservons chaque année avec quelleimpatience les employés subalternesde l'université attendent la distribution des calendriers qui prouverontà leur entourage qu'ils font euxaussi partie, tout comme ses enseignants et ses plus hauts dignitaires,de la célèbre institution. Quant auxdomestiques, nous avons remarquéqu'ils devaient bien souvent se contenter des calendriers des annéesécoulées, que leur «Master» aurabien daigné finalement leur céder,pour la décoration de leur «boy'squarter». Certains chercheront parfois à revendre ceux qui leur sont
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donnés et ils trouveront acquéreurcar c'est un article relativementconvoité.
Mais si accumuler les calendriers et les meUre en évidence participe d'une stratégie plus ou moinsconsciente de mise en scène de soimême, d'auto-valorisation, le faitpour certains d'en offrir peut aussirépondre à des buts bien précis etintéressés. Beaucoup d'institutionsl'ont bien compris, qui distribuentgénéreusement en janvier les éphémérides estampillés de leur imagede marque à leurs clients privilégiésou à des personnalités dont ilspourraient avoir à requérir le soutien ou les services.
Alors que nous faisions récemment la tournée des «notables»d'une ville moyenne de l'ouest duNigeria, nous fûmes étonnés deretrouver presque systématiquementchez ces derniers le calendrier officiel de l'une des universités les plusimportantes du pays. Interrogés àce sujet, nos hôtes nous apprirentque c'était le Vice-chancelier (Président) de l'université qui le leuravait personnellement envoyé et ilss'en montraient d'autant plus flattés, que la plupart d'entre euxn'entretenaient pas ordinairementde rapports très poussés avec lemonde académique, toujours auréoléd'un certain prestige. Il faut direque l'on prête à ce Vice-chancelierl'intention de se présenter à l'élection au poste de gouverneur del'État, prévue en principe au débutde l'an prochain...
Nous ferons, pour terminer,mention d'une attitude assez atypique qui consiste à dénigrer lescalendriers et à les considérercomme absolument indignes de participer à la décoration d'un intérieur. On la trouve chez une bourgeoisie très aisée, sans douteinfluencée par les salons européens
et qui préfère garnir ses murs detableaux, de gravures ou de batiks.
En tout cas, nous qui n'avonsjamais cru indispensable d'ornernotre living-room d'un calendrierquelconque, échappons rarement à
MAGAZIN~
cette perpétuelle question: maiscomment peut-on ne pas avoir decalendrier?
Jean-Pascal ,Daloz
Massacres à la tronçonneuse
E NTRE 100 et 500 éléphantsont été abattus au Tsavo de
février à septembre 1988; les optimistes disent qu'il reste encore 500rhinocéros au Kenya (d'autresdisent moins d'une centaine); il Yen avait environ 20 000 en 1969;on en avait dénombré 2 500 dansune réserve tanzanienne en 1976,mais seulement 51 en 1988 (WeekryReview, 16/9/88, 23/9/88, 4111188).
«L'ivoire est cruel. ~ Les rondeurs de la force tranquille deBabar sont semble-t-il plus attendrissantes aux âmes pures européennes que les allures de vieux tankrapiécé du «rhino~, plus encoremenacé, mais pas assez esthétiquesans doute pour susciter «uneaction-de-mobilisation-médiatiqueciblée ~. Sont encore moins porteurs(de ce point de vue), mais toutaussi menacés d'extinction, quelquespeuples pasteurs ou chasseurscueilleurs, comme ces Iks inconnusdont C. Turnbull a porté témoignage ambigu.
La politique de conservation dela faune en Afrique orientale et australe repose encore pour une partsur l'expulsion de leur espace vital(au sens premier du terme) de quel-
ques populations dont le mode de(sur)vie a été décrété incompatibleavec l'intérêt supérieur de la zoologie et de l'industrie du tourisme.Bovins trop herbivores, lances etescopettes meurtrières ont étéexpulsés; éléphants et rhinos onteu assez d'herbe, mais trop de 4 x4, de Kalachnikov, et de Mac Culloch. D'ici peu, il y aura beaucouptrop d'herbe dans les réserves ...Cadavres et os s'accumulent dansles savanes et dans les politiques de« protection ~ élaborées par lesexperts de la conservation, les autorités publiques et les gestionnairesdu tourisme international.
L'héritage colonial
Dans la continuité de la périodecoloniale, la politique des parcs
. nationaux et réserves est la résultante de la rencontre de l'indiscutable autorité de la Parole scientifique, parfois associée à une prospective humaniste maladroite (protégerun patrimoine naturel pour lesgénérations futures en sautant pardessus les générations immédiatement présentes), de la quête
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[4FRIQUE ORIENTALE
anxieuse du profit, si possible endevises (par une gestion commerciale intensive des réserves) et dubesoin de repos des guerriers destemps modernes (les cadres dynamiques stressés par le béton de laCity). A l'époque, l'hédonismed'une minorité (blanche) fortunéetrouvait son exutoire dans la jouissance cynégétique ou visuelled'espaces étendus décrétés (selon lesnormes fixées par le colonisateurlui-même) «vacants », dans la disponibilité d'une main-d'œuvre (africaine) décrétée «non civilisée» etdonc peu rémunérée, dans la sérénité de celui qui sait pouvoir compter sur l'autorité publique pourfaire respecter l'ordre (colonial).Cela signifie notamment expulserles irréductibles «indigènes» quipersistent à parcourir les lieuxcomme s'ils étaient chez eux avecdes troupeaux d'une indécente maigreur broutant l'herbe des grandsherbivores qu'ils vont même parfoisjusqu'à tuer pour les manger sansdemander la moindre permission(c'est-à-dire sans payer la moindretaxe). Le savant s'indigne, le gestionnaire verbalise, tandis que leclient applaudit, mais n'écarte pasl'idée de voir quelqu'indigène,pourvu qu'il soit entre MerylStreep et Robert Redford.
L'expropriation
Le principe ayant été posé del'incompatibilité en matière d'usagedes terres entre paysan ou pasteuret faune sauvage, on déduisit quela conservation des richesses de laNature passait par l'élimination del'homme ordinaire. Il avait suffi quele bilan empirique de quelques siècles de coexistence de fait (certespas toujours pacifique) soit nié parquelques experts dont l'assurance
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était à la mesure des incertitudes deleur science écologique. Et puis,poser la question de savoir pourquoi c'est avec l'apogée de la colonisation que la situation se révèletellement précaire qu'il apparaîtnécessaire de créer des « réserves»eût été faire preuve d'impertinencesubversive; on préféra y voir unenouvelle preuve de la supériorité du« civilisé» qui sait prévoir à longterme, sans s'attarder sur le fait quele problème apparaît à court terme,que parce qu'avec l'homme blanc,des moyens de destruction de masseont été introduits dans ces espaces,bouleversant des équilibres précaires. En fait de prévision, on enétait déjà aux remèdes. Et commepour les élites de la société coloniale, le mal ne pouvait venird'elles, elles décidèrent en toutelogique (et sauf rares exceptions)d'expulser l'autochtone et d'attirertoujours plus de clients « civilisés ».Le bilan aujourd'hui est éloquent:le déclin de la faune accompagne ledéveloppement de la réglementationrépressive.
Il est encore difficile de faireadmettre que dans des espacesouverts, une politique de conservation n'a de chances de réussir quesi elle rencontre un soutien populaire sur le terrain. La politiqued'expulsion empêchait une telleadhésion; celui qui est exproprié nedevient pas spontanément l'auxiliaire du système ou de la cause quil'a opprimé, au contraire. Or il estcelui qui connaît le mieux leslieux; associé à la politique de protection, il aurait pu en devenir lesurveillant efficace; mais ceci a ététrop souvent oublié. Bien plus, lesentiment d'aliénation a été encoreaccentué par les exigences supposées de la rentabilité. Sous prétexted'améliorer le rendement commercial, l'autorité publique nationale
s'est affacée au profit d'entrepreneurs privés expatriés, plus expertsen gestion hôtelière qu'en gestionfaunistique, mais capable de drainerpar des circuits multinationaux uneclientèle privilégiée pour qui l'aventure n'exclut pas le confort. Double contradiction car à côté du lodgedoté d'un confort et de services parfaits où consomment et paressentdes émanations d'un monde capitaliste (et parfois sud-africain) quotidiennement vilipendé par des politiciens nationaux, la population duvillage voisin attend toujoursl'adduction d'eau, l'électricité,l'hygiène publique, le minimum desurvie parfois, services dont la prestation est toujours ajournée au nomde la nécessaire austérité dans uncontexte global de pénurie.
Ici, on interdit à la populationde clôturer (ça gêne les migrations),là, on s'oppose à l'éradication de lamouche tsé-tsé (les troupeauxdomestiques pourraient se développer au détriment de la faune sauvage), partout, on lui restreint sonterritoire alors que la pressiondémographique locale et nationales'accroît (d'où des problèmesd'espace et d'approvisionnement),partout, on lui fait des histoiresparce qu'il a tué quelque fauve quidétruisait ses champs. Les dieuxsont tombés sur la tête.
Banditisme et destabilisation
Le ridicule a fini par tuer, parfois avec des raffinements d'abjection: des grands herbivores, desIks, des gardes trop zélés, quelqueshommes de main de trafiquantssans scrupules (pléonasme), pasencore des gouvernements, même si«l'autorité publique ~ est ensérieuse difficulté. Chacun à safaçon constate que la conservation
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du milieu cède devant la Loi duMilieu, stimulée par la répression(interdiction de la chasse, de lavente de trophées...); comme souvent, la prohibition sur fond de fragilité de l'autorité augmente lavaleur de la demande, doublée parle prix du risque, et aiguis~ l'imagination des affairistes; l'Etat n'apas les moyens matériels d'un contrôle strict; parfois aussi sa détermination est affectée par l'implication de notabilités influentes (<< ledéputé de Songea a été condamnéà neuf ans de prison, le juge l'ayantreconnu coupable de détention illégale de 105 défenses d'éléphantsd'une valeur totale de 2,490 millions de shillings. ~ - Daily News,22/4/88) et de réseaux internationaux élaborés, puisque l'on retrouveouvertement à l'étranger (pays duMoyen et d'Extrême-Orient) lesproduits des entreprises de braconnage industriel (<< les autorités deDar es Salaam ont intercepté 184défenses d'éléphants sur le pointd'être exportées illégalement parl'ancien ambassadeur d'Indonésie. ~
- Daily News, 19/1189).On en arrive même à formuler
l'hypothèse que ce braconnageindustriel est une stratégie non seulement affairiste, mais aussi politique, l'objectif pouvant être le financement d'une action subversive(l'UNITA et la filière sud-africainedu «blanchissement ~ [!] del'ivoire), la déstabilisation discrèted'un gouvernement contesté par desfactions revanchardes, quand ce neserait pas une forme nouvelle desubversion internationale (filièressomalis au Kenya - Africa Analysis, 30/9/88). Les succès ponctuellement remportés amènent à penserque l'autorité peut être efficace(<< Au cours des trois dernièresannées, 39 braconniers venant deZambie ont été tués au cours
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(AFRIQUE ORIENTALE
d'escarmouches avec les gardes zimbabwéens.» - Southern AfricanEconomist, 113, 617/88) ; ce qui conduit à se demander pourquoi il n'enest pas toujours ainsi. La crédibilité de l'État à l'impuissance sélective est donc menacée d'extinction;le chef ou le notable qui ne respecte pas la règle qu'il a eu le loisir d'élaborer n'est plus respectable; les forces de l'ordre sont deslions de papier (<< Massacre à Meru.Des braconniers attaquent l'enclosgardé des rhinos blancs du Parcnational de Meru et tuent les 5 animaux. » - Week(y Review, 4/11188).
Retour aux sources: autogestion locale et responsabilitécollective
Toute politique volontaristesuppose pour réussir un groupesocial porteur puissant et influent.Face à l'internationale du braconnage, ni le Wildlife Lobby élitiste,ni les entrepreneurs voyagistes, niles administrations de l'environnement ne font le poids.
Il faut chercher ailleurs la solution et peut-être revenir au point dedépart, au temps où la société faisait de la conservation sans lesavoir, c'est-à-dire spontanément,localement, «populairement ».L'imagination recréatrice est ainsi àl'œuvre, par exemple au Zimbabwe.Outre les mesures d'urgence auxeffets aléatoires (ramassage et parcage sous surveillance étroite desrhinos) et (comme cela se fait aussiau Kenya) les élevages expérimentaux traitant la faune sauvage enressource alimentaire et donc àvaleur nutritionnelle et marchande(<< mangez du lion ! ») dont les effetsà long terme sont mal connus(impact écologique, transformationsgénétiques - le bume aux hormo-
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nes !), les bases d'une politique dedécentralisation de la gestion ontété posées. Organisées en coopératives à participation individuellevolontaire, les communautés de basedeviennent propriétaires de lafaune, en assurent la gestion dansla perspective de la réalisation (etdonc du partage entre coopérateurs)des bénéfices tirés de l'exploitationtouristique et commerciale (programme Campfire, adopté au Zimbabwe en 1986). Les résultats decette politique d'intéressement susceptible de garantir la reproductiondu cheptel se font toutefois attendre au Zimbabwé (sur des bases différentes, des résultats ont pu êtreobtenus au Kenya, à Amboseli); ily a des résistances à la mise enplace du dispositif, tenant autant del'inertie bureaucratique que de conflits d'intérêts et des difficultés dela mobilisation populaire.
L'imagination à domicile neconstitue cependant qu'une partiede la réponse. Le trafic d'ivoire estune activité internationale millénaire. La lutte contre le banditismequi en dérive aujourd'hui doit êtreà cette mesure. La responsabilitédes États où entrent librement lesproduits du braconnage est directement impliquée; au premier rangd'entre eux, le Japon et les « quatre dragons» marient assez bientechnologies de pointe, artisanat traditionnel et absence de scrupulesécologiques pour faire des affaires.Mais il serait encore trop facile detransférer la seule responsabilité dutrafic sur les champions du libéralisme débridé ou sur les artisansexploités qui travaillent l'ivoire dansles échoppes extrêmes orientales.Cet artisanat, semble-t-il, prospèreparce que de génération en génération, de Tartarins en Bidochons, sereproduit dangereusement l'espècedes aventuriers en charters dont les
terrains de chasse de prédilectionsont les étalages des (( Curios Il ou« Souvenirs », où, armés de billetsverts, ils pistent le bibelot exotiquequi, du haut du guéridon du vestibule, attestera, pour les générationsfutures, de leur ataviquemédiocrité (1).
François Constantin
(1) Il serait bon de relire (et pas seulement de regarder les images) sur cesproblèmes:
1MAGAZINE;
- ARHEM (K.) Pastoral Man in theGarden of Eden. The Maasaï of the Ngorongoro Convertion Area, Tanzania, Uppsala,SIAS, 1985.
- MAVENEKA (L.) ed. «Noah, Noah,where are you now • (Cover Story), SouthernAfrican Economist, 1 (3), 6-7/1988.
- PARKER (1.), AMIN (M.) Ivory Crisis,Londres, Chatto & Windus, 1983.
- PENNY (M.) Rhinos, endangered Species, Londres, Christopher Helm, 1987.
- Ross (K.) Okavango, Jewel of theKalahan; Londres, BBC Books, 1987.
- YEAGER (R.), MILLER (N.M.) Wildlife, Wild Death. Land Use and Survival inEastern Africa, Albany, SUNY Press, 1986.
A
Les études africainesen République fédérale d'Allemagne
PRÈS celui de Christian Coulon sur l'Espagne, cet article traitant del'Allemagne fédérale est la poursuite de la série d'études que
Politique africaine entend consacrer aux recherches africanistes dans les paysoù celles-ci, pour diverses raisons, sont peu développées ou mal connues à l'extérieur. Au gré des circonstances et des rencontres, notre revue souhaite ainsicontribuer à la connaissance de travaux et de problématiques qui méritentd'être mieux connus par la communauté africaniste.
De tous les pays de l'Europe del'Ouest, l'Allemagne fédérale estpeut-être celui où l'on a le plus dedifficultés à se faire une idée relativement précise des recherches africanistes qui y ont cours. Réelle, labarrière que constitue la langue n'explique pas tout. Le problème tientsans doute davantage au manque de« visibilité lt de ces recherches d'unepart, et, d'autre part, à la dispersiondes structures qui s'intéressent àl'Afrique d'un point de vue scientifIque. Quoi qu'il en soit, prévautl'impression que l'africanisme (?)allemand est en crise. Les facteursqui y concourent sont nombreux.
Sur un plan de politique générale, l'Afrique est d'un intérêt relativement mineur pour la diplomatie allemande. A l'inverse de ce quis'est passé en France, la colonisation allemande - beaucoup pluslimitée dans le temps et dansl'espace que la française ou la britannique - n'a pas engendré unintérêt scientifique soutenu pourl'Afrique noire (1). Une exceptionest toutefois à faire en ce qui con-
(1) Que cet intérêt ait, en France et enGrande-Bretagne, suivi parfois des desseinspolitiques et idéologiques est incontestable,mais cela ne change rien à la question quinous préoccupe ici.
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>:.:lA:..:..F:..:;RI:.;:c::.:It:..:.N::.::Is::.;.M::.::E:.-..... l
cerne la linguistique; nous yreviendrons. Aujourd'hui, en dépitd'un effort culturel, par le biaisnotamment des instituts Goethe,l'Afrique occupe encore une position assez marginale dans la politique extérieure de la RFA.
Cette marginalité se reflète dansle champ scientifique. En Allemagne, l'africanisme jouit d'une légitimité scientifique encore plus faible qu'en France, surtout dans ledomaine de la science politique.Non seulement est-il dévalorisant des'affirmer africaniste, mais en plus,une telle spécialisation, très aléatoirecompte tenu du poids de la tradition universitaire allemande, débouche très souvent sur une voie degarage, avec tous les problèmesd'ordre professionnel que l'on imagine. Pour pouvoir s'intéresser légitimement à l'Afrique, il faut doncfaire preuve, au préalable, d'unecompétence scientifique «généraliste li et travailler prioritairementsur les systèmes politiques occidentaux, le fédéralisme allemand,l'Europe ou les démocraties populaires. Alors, accessoirement, onpeut faire de l'africanisme...
Pourtant, des structures quis'intéressent à l'Afrique, il enexiste; elles sont cependant, sinonnombreuses, du moins très éparpillées. L'éclatement est une des conséquences de la structure fédéralede l'État. Étant libre dans une assezgrande mesure de sa politique scientifique, chaque Land dispose, dansle cadre universitaire, d'une« ouverture li sur l'Afrique; mais,compte tenu de la faiblesse deseffectifs mobilisables, il en résulteune dispersion des potentialitésdommageable à un réel développement de l'africanisme. La conséquence en est que chaque université, ou presque, a «son li africaniste (ou présumé tel) mais qu'il n'y
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a pas (hormis le cas de Bayreuthdont nous reparlerons) un pôle universitaire africaniste et, à plus forteraison, une coordination des recherches entreprises.
Parallèlement aux structuresuniversitaires, il existe des organismes, en nombre élevé, orientés totalement ou partiellement sur l'Afrique noire. Dans le premier cas, ilconvient de ranger l'Institut fürAfrika-Kunde (Institut d'études africaines), fondation publique relevantde la double tutelle du gouvernement fédéral et de l'État de Hambourg et liée au ministère fédéraldes Affaires étrangères. Seule fondation allemande travaillant surl'Afrique noire selon une approched'Area Studies, l'Institut für Afn'kaKunde est l'un des nombreux départements qui forment l'imposant Institut d'Outre-Mer (übersee Institut),organisme doté de moyens assezconsidérables et qui, outre l'Afriquenoire, s'intéresse de très près auMaghreb par le biais du DeutschesOrient-Institut. A mi-chemin entrele public et le privé figurent ensuiteles quatre fondations émanant desquatre grands partis politiques allemands (en attendant la cinquième,celle des Verts, en cours de création). Leur but est de promouvoirle rayonnement international duparti et, dans cette perspective, ellesdisposent d'un département derecherche et de publications dontl'Afrique n'est pas absente, mêmesi elle n'est pas prioritaire. Relevantenfin totalement du privé, il y a lesinstituts de prospective. Très liésaux milieux d'affaires, ils s'essayent,à la demande, aux analyses de conjoncture et donc, occasionnellement,travaillent sur l'Afrique.
Pour en revenir au domaineuniversitaire qui nous intéresse ici,force est de reconnaître, à lalumière de ce qui précède, que
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l'africanisme y est réduit à la portion congrue. Dans des universitésrenommées (Hambourg, Hanovre),son existence se limite à une chaired'histoire; en ce qui concerne lascience politique, une mention spéciale doit être décernée à l'Université libre de Berlin qui disposed'une section à vocation africanistelongtemps animée par Franz Ansprenger, connu pour ses travaux surl'Afrique francophone, mais lesmoyens dont celle-ci est dotée sontnettement insuffisants pour lui permettre de se développer vraiment;à l'Institut d'études politiques deHeidelberg (la plus ancienne université allemande), c'est un enseignant,par ailleurs spécialiste de l'Europede l'Est avant tout, qui trouve letemps de travailler sur la vie politique en Afrique francophone.
Cette situation s'est par ailleursaggravée ces dernières années. LaRFA aussi connaît la disette budgétaire. Les universités en pâtissent,l'africanisme étant encore moinsprioritaire. Au cruel manque depostes s'ajoute la faiblesse desmoyens nécessaires à la recherche.Les travaux de terrain se font rareset plus difficiles. Mais, plus graveencore, mettre en œuvre des recherches collectives se transforme en unexercice (très) périlleux. Les initiatives, quand elles existent, sont leplus souvent individuelles.
A cela correspond une égaledésaffection des étudiants. N'offrantpas de débouchés, l'africanismen'est guère attrayant pour eux.D'autant que l'Afrique ne les faitplus rêver: dans les annéessoixante, soixante-dix, l'expériencetanzanienne, associée à l'espoir d'unsocialisme villageois, avait fait naître parmi eux un élan pour l'Afrique; aujourd'hui... (2).
Le pessimisme de ce tableau estheureusement tempéré par l'activité
africaniste qui se développe à l'université de Bayreuth, l'une des plusjeunes d'Allemagne, puisque fondéeau début des années soixante-dix,par souci d'équilibre régional.Dynamique, novatrice, l'équiped'enseignants-chercheurs qui s'y estconstituée s'affirme comme le pôleafricaniste en RFA. Les moyensdont elle dispose pour cela sontimportants: deux chaires d'anthropologie africaine, une chaire d'histoire, une autre sur l'islam, sanscompter la chaire de littératureromane du professeur Riesz, dans lecadre de laquelle celui-ci s'intéressede très près aux littératures africaines. La vocation africaniste de Bayreuth s'est renforcée grâce au soutien massif que la DFG (l'équivalent allemand du CNRS) apporte àson important projet de recherchesur le thème de l'identité en Afrique, projet étalé sur quinze ans etdoté d'un budget extrèmementimportant (3). Bayreuth s'enorgueillit en outre d'accueillir une Maisonde l'Afrique, lieu de rencontres etd'exposition permanent; elle estenfin liée par des accords de coopération avec plusieurs universitésafricaines et entretient des échangessuivis avec plusieurs d'entre elles auNigeria. C'est l'université où l'articulation entre l'enseignement et larecherche africanistes est la plusévidente.
La jeunesse de l'université deBayreuth fait sa force; grâce à elle,la recherche africaniste s'est affranchie des tendances, disons classiques, qui dominaient l'africanisme
(2) Lire ce que dit à ce sujet F. Ansprenger, in « Bilan der politikwissenschaftlichenRegionalforschung. Afrika. Utopia oder Abstellgleis der politisÇhen Wissenchaft? PVS,Sonderheft 16/1985. Texte aimablement traduit par Véronique Dimier.
(3) Environ 2 millions de DM annuellement, selon le professeur Riesz.
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!AFRICANlSME
allemand. A Bayreuth, on fait beaucoup de linguistique africaine, maisdans une perspective théorique quin'a plus rien à voir avec celle dudébut du siècle. On peut parler àce propos d'une véritable ruptureépistémologique. Le problème estdésormais abordé de façon pluridisciplinaire, dans le cadre, précisément, du programme sur l'identité:celle-ci est envisagée dans un sensdynamique et pluriel, évitant touteréification. L'étude de la linguistique y est associée à celles de l'histoire, de l'économie, de la religionet de l'anthropologie, le tout visantà formuler une théorie générale del'identité en Afrique.
L'un des plus importants centres européens d'étude des littératures africaines et caribéennes, Bayreuth souffre malgré tout d'unelacune: celle de la science politique« africaniste ». Cela est d'autantplus regrettable que nulle part ailleurs, il n'y a une telle concentration de ressources humaines etmatérielles au service de la recherche africaniste. L'absence de lascience politique à Bayreuth souligne d'ailleurs la précarité de la discipline Outre-Rhin. Historiquement,l'africanisme allemand s'est développée autour de la linguistique, discipline longtemps très en vogue,largement enseignée (à Hambourg,Francfort, Cologne) et à laquellel'appellation d' « africanisme» étaitannexée. Les années d'après-guerrepuis les indépendances africainesont entraîné un déclin relatif decette tendance, en même tempsqu'un développement, relatif aussi,de la sociologie politique appliquéeà l'Afrique noire. Actuellement, lascience politique « africaniste» enAllemagne s'intéresse aux grandssujets connus: la crise de l'État, lespolitiques de privatisation, l'ajustement structurel, la démocratie...
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]
Malheureusement, répétons-le, lesrecherches entreprises ne donnentlieu le plus souvent qu'à des initiatives individuelles, ce qui souligne,à contrario, l'intérêt des activitésinitiées à Bayreuth.
Cette situation est d'autant plusregrettable qu'il existe un potentielafricaniste, sous la forme de fondsdocumentaires impressionnants (4).Chaque bibliothèque universitaire,ou presque, s'enrichit d'une littérature de valeur sur l'Afrique noire...souvenir des années de vaches grasses (1960-1975). A l'Institut fürAfrika-Kunde, ce sont plus de30 000 volumes qui garnissent lesrayons, toutes disciplines confonfues. Idem en ce qui concerne leDeutsches Orient-Institut. La bibliothèque de l'lEP de Heidelberg nemanque pas d'intérêt non plus, toutcomme celle de Bayreuth qui se~atte de posséder sans doute le plusimportant fonds de littérature africaine. Ceci sans parler des organismes semi-publics ou privés, au premier rang desquels la Société MaxPlanck pour la recherche scientifique qui a mis en place, à Heidelberg, l'Institut Max Planck de droitpublic comparé et de droit international, avec une bibliothèque comportant plus de 230 000 volumes,dont une partie se rapporte à l'Afrique noire.
S'ajoute à ce potentiel nonnégligeable un certain nombre depublications qui témoignent malgrétout d'un intérêt pour l'Afrique.Ainsi, de 1980 à aujourd'hui, cesont plus de 300 ouvrages de sciences sociales consacrés à l'Afriquesubsaharienne qui ont été publiés.Ce dynamisme est accentué par lesystème universitaire allemand qui
(4) Deux chiffres éloquents: il y aurait61 millions de volumes dans les bibliothèques universitaires en RFA, contre 17 millions en France.
1'-- ~MA~g~Z!N.E.:.
prévoit la publication systématiquedes thèses tant de doctorat (l'équivalent de notre Troisième Cycle)que d'État soutenues, ce dont bénéficient les thèses - rares, il est vrai- traitant de l'Afrique noire. Il ya ensuite les annuaires publiés parl'Institut für Afrika-Kunde (surl'Afrique subsaharienne) et par leDeutsches Orient-Institut (dont unepartie traite de l'Afrique du Nord).L'Institut für Afrika-Kunde publiepar ailleurs la célèbre revue triannuelle Afrika Spectrum, uniquedans son genre en RFA, qui comporte assez fréquemment des articles en anglais et, systématiquement, des résumés. Autres publications de cet institut, décidémenttrès dynamique dans le domaine del'édition, l'Aktueller Informationdienst, recueil de coupures de lapresse africaine, très utile, paraissant deux fois par mois ainsi quedeux séries de monographies. De
son côté, l'équipe d'africanistes deBayreuth a longtemps publié unbulletin (African Studies Series) dontla parution est aujourd'hui stoppée,en attendant qu'un nouveau titres'y substitue. Signalons enfin Internationales Afrikaforum, recueil degrèves chroniques politiques desEtats africains publiées par un collectif d'institutions, ainsi que lesbulletins émanant des ONG et desorganisations caritatives, souventtrès actives.
Cette énumération ne doitcependant pas masquer la réalité dela crise qui affecte les études africaines en Allemagne. Les africanistes allemands en sont conscients,qui se sont groupés en une association; celle-ci tiendra son deuxièmecongrès en 1989. Sera-t-il l'occasiond'une relance de l'africanismeOutre-Rhin?
René Otayek
Tabataba, un film malgache
T ABATABA, du réalisateurR. Rajaonarive1o, est un film
délibérément non tiers-mondiste,qui marque ses distances par rapport à Ils tsy very, sorti pour lacommémoration des 4< événementsde 1947 ~. Financé par le ministèrede la Culture malgache, ce premierfilm avait échappé à son réalisateurpour être monté par L. Amina dansune perspective clairement nationa-.liste, à Alger. Rajaonarive1o insistesur le fait qu'il n'entendait pasfournir une version argumentée
d'un soulèvement sanglant (aumoins 70 000 morts), et dont l'évocation s'est trouvée censurée jusqu'àla 4< deuxième indépendance ~ deMadagascar, en 1972 (1). Il a faitoeuvre de sensibilité.
L'essentie1 du dilemme de 1947est restitué dans l'ouverture dufilm, avec la visite d'un envoyé duMDRM, parti nationaliste légaliste,fondé en 1946, enraciné très rapidement sur toute l'île. L'homme(complet, chapeau, cartable), est un« étranger au village» qui veut
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~DAGASCAR
Il parler à la communauté ». Notrepays, explique-t-i~ a un parti. Sesrevendications sont soutenues par laCharte des Nations Unies. Nousobtiendrons l'indépendance dans lecadre d'un vote démocratique ». Lespaysans, étrangers à l'idée de parti,sont persuadés que les colons nerendront pas les terres accaparées.«Préparons-nous à la guerre, ditLehidy, le jeune homme qui pousseà constituer un maquis. Il y aurade la violence, car on ne peut l'éviter. Mais les Américains nous aideront~. Les villageois sont divisés.Le chef se laisse peu à peu entraîner, annonçant que « cette guerre estla guerre de tous les Malgaches ».
« Cesse de parler comme un étranger Il
s'entend-il répondre. La brève organisation d'un maquis local se traduit par l'occupation du village, lafuite des femmes et des enfants enforêt où ils dépérissent, la mort oula capture des hommes.
Ce film n'est certes pas voué àla fabrication de héros nationalistes.Rajaonarivelo s'en est défendu pourplusieurs raisons. Il ne croit pasque le premier mouvement desFrançais ait été de tuer. Le chef decanton vient au village pour fairevoter, même s'il arrive sans les bulletins du MDRM, «il/égal ».
D'autre part, 1947 fut un phéno-
(1) Depuis est paru l'ouvrage de J. Tronchon, L'insurrection malgache de 1947, ParisMaspéro, 1974, réédité par Kanhala en 1990.On le complètera par S. Randrianja, Le particommuniste de la région de Madagascar(1936-1939), Thèse de troisième cycle, Université de Paris VII, 1983 (le peRM constitue le « maillon manquant. préludant à laconstitution des sociétés secrètes) et parB. Ramanantsoa-Ramarcel, Les sociétés secrètes nationalistes à Madagascar dans la premièremoitié du xx- siècle: VVS, Panama, Jiny,Thèse de troisième cycle, Université de ParisVII, 1986, sur le rôle déclencheur des sociétés visant un soulèvement violent, inflitréesau cœur de l'organisation légaliste duMDRM.
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mène complexe où «toutes les victimes ne furent pas d'un côté ».
Le film prend délibérément dela distance par rapport au cœur duséisme en choisissant un villagetanala, proche d'Ifanadiana, sur laFalaise de la côte Est, brûlé, sansplus, en 1947. La vision se concentre sur l'imaginaire de la révolte,fausses nouvelles, messages trouvésdans des arbres, contre-messages del'administration flottant au fil dufleuve, annonces de l'arrivée destroupes américaines. «Je reviendraiquand je serai généra~ avec les Américains », a dit Lehidy en quittantle village. Il Lehidy a des canonsmaintenant », dit la rumeur, quandle jeune homme n'a qu'un similairede fusil en bois. Ces images noussuggèrent que beaucoup de gensont été trompés ou se sont trompéseux-mêmes. La question posée estembarrassante: le monde rural dela côte Est, avec ses plantations decafé, incapables de nourrir les hommes, ses corvées redoublées, fut unlieu de violences, de famine intenable pendant la Seconde guerre. Lesoulèvement qui y répondit en 1947était-il si éloigné de la réalité, vouéà la dimension de l'échec et dudérisoire comme le suggère l'escarmouche finale entre deux vieux etquelques soldats? La consciencehistorique des acteurs du mouvement se situait à mi-chemin entrel'appréciation réaliste du rapport deforces et le recours au soutien imaginaire d'acteurs internationaux quine bougèrent d'aucune manière. Lefilm accentue cette part de l'imagerie, d'autant plus que le jeu desEuropéens, très distancié, est unpeu caricatural et que la transcription cinématographique de la duréen'est pas totalement acquise.
Il est vrai que peut-être leregard du cinéaste est celui del'enfant, jeune frère de Lehidy. Il
[ --.:-__--...:.MA~~G::.:A~z~I~N=El
nous guide ainsi sur un versant onirique que renforce le penchant allégorique de la langue. Écoutant desacteurs dignes, pudiques, authentiques s'expliquer, bien plus qu'il nenous les explique, le réalisateurnous épargne tout didactisme. Ilnous laisse sur un proverbe, lemême qui avait ouvert le récit, suggérant que la destinée villageoise estrecommencement. La mère deLehidy s'assied sur le fauteuilLouis XVI donné jadis par Gallieni
à une vieille femme (fascinant personnage) qui trônait tout le jour surla place et s'était gaussée du départdes hommes au maquis. Personnene l'écoutait. Elle représente pourtant la mémoire. Le film suggèreque les villageois sont projetés horsd'une existence cyclique, brutalement, dans l'histoire, sans jamaisavoir les moyens de maîtriser sarencontre.
Françoise Raison-Jourde
Cooptation politique à l'envers:les législatives de 1988 au Rwanda
LES élections législatives du26 décembre 1988 furent les
troisièmes à être organisées sous laDeuxième République, qui s'étaitdotée d'une constitution en 1978.L'expérience de scrutins successifs(en 1981, 1983 et 1988) permet detenter un examen de constantes audelà de l'analyse d'un seul exercice.A un moment où l'on constate unintérêt accru pour les fonctions quepeuvent remplir les élections mêmedans des régimes monolithiques, ilpeut être utile de s'interroger sur lesens des élections législatives auRwanda.
J'ai décrit ailleurs le contextepolitique et constitutionnel général,ainsi que la procédure électorale (1); il n'est donc pas nécessaired'y revenir dans le cadre de cettenote. Nombre de constatations fai·tes dans mon article de 1984 valentd'ailleurs également pour les élec-
tions de 1988. Rappelons seulementque le Rwanda est un État à partiunique, où tout Rwandais est deplein droit membre du MRND(Mouvement révolutionnaire national pour le développement). Afin degarantir un certain choix lors desélections législatives (2), la loi électorale prévoit la présentation d'unnombre de candidats égal au double du nombre de sièges à pourvoirdans chaque circonscription électorale (qui est la préfecture).
Les résultats des élections
De prime abord, on relève unfait remarquable. Dans une préfecture, celle de Gisenyi, il s'est avéréimpossible d'intéresser le nombre decandidats requis par la loi électorale : treize au lieu de quatorze canodidats se sont alignés pour les sept
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rRWANDA
sieges à pourvoir. C'est un phénomène qui s'annonçait déjà lors desélections de 1983 (3). Face au prescrit très clair de la loi, on est endroit de se poser des questions surles conséquences de pareil état dechoses; en effet, si l'entorse signalée est tolérée, on pourrait à lalimite aboutir à une situation où lenombre de candidats ne dépasse pascelui des sièges à pourvoir.
Tous les ministres, sauf un (4),s'étaient portés candidat. Oncompte deux candidats tutsi et uncandidat twa; les 136 autres candidats appartenaient donc à l'ethniemajoritaire hutu. En outre, vingtcandidats (environ 14 % du total)
étaient des femmes. Enfin,51 candidats étaient des députéssortants.
On constate qu'il n'y a quedeux préfectures (Gikongoro etKibuye) où les candidats proposésen ordre utile ont été élus (bien quedans un ordre différent de la listemodèle). Dans trois préfectures(Cyangugu, Ruhengeri et Kibungo),un candidat a fait le « saut,. à partir d'une place «inéligible" (5).Dans les cinq autres préfectures,deux candidats ont réussi à se glisser à une place éligible. De la sorte,treize candidats (18,5 % du total)ont ainsi pu bouleverser l'ordre proposé. Par ailleurs, certains de ces
Préfecture
KigaliGitaramaButareGikongoraCyanguguKibuyeGisenyiRuhengeriByumbaKibungo
RÉSULTATS ÉLECTIONS 1988
Nombre de Ordre d'élection (0)sièges
9 l, 2, 3, 17, 7, 4, 6, 10, 59 l, 7, 3, 4, 2, 14, 5, 9, 169 l, 2, 3, 4, 12, 15, 7, 6, 86 l, 4, 2, 6, 3, 55 2, l, 3, 4, 95 4, l, 5, 3, 27 l, 2, 3, 8, 7, 9, 68 l, 2, 3, 5, 6, 4, 8, 97 l, 6, 14, 2, 3, 11, 75 l, 2, 9, 3, 5
(0) Le chiffre indique la place du candidat sur la liste; l'ordre est celui de l'élection.
(1) Pour les généralités, voir F. Reyntjens, • La nouvelle constitution rwandaise du20 décembre 1978 _, Penanl, 1980,pp. 117-134; F. Reyntjens, • La deuxièmerépublique rwandaise: évolution, bilan etperspectives _, Afrika Focus, 1986,pp. 273-298 ; sur les élections, voir F. Reyntjens, • Les élections rwandaises du26 décembre 1983: considérations juridiqueset politiques _, Le Mois en Afrique, 1984,nO 223-224, pp. 18-28.
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(2) Le parlement rwandais s'appelle Conseil national de développement.
(3) F. Reyntjens, Les élections rwandaises..., op. cil., p. 21.
(4) Le lieutenant-colonel Augustin Ndindiliyimana, ministre de la Jeunesse et duMouvement associatif, s'était également en1983 abstenu de poser sa candidature.
(5) J'appelle • inéligibles _ les candidatsqui ne sont pas classés sur une place quigarantirait leur élection si la liste proposéeétait adoptée telle quelle par la population.
Les quinze ~inistres qui avai:n~
posé leur candIdature ont tous eteélus. Sauf quelques rares exceptions ils arrivent d'ailleurs en tête, .de liste. A l'issue du remamementgouvernemental du 15 janvier 1989,il reste dix députés-ministre, c'està-dire environ 14 % du total.
Le niveau de formation duCND est élevé: 47 députés détiennent un diplôme universitaire (67 %du total). Cela constitue une évolution considérable par rapport auParlement de 1983 où 37 députés(environ 50 % du total) avaient faitdes études supérieures. La plupartdes députés ayant suivi un enseignement secondaire possèdent u~
diplôme de moniteur (D~)? ceCIconstitue par ailleurs un mlmmum,puisque la loi électorale prévoitcomme condition d'éligibilité que lecandidat ait fait au moins quatreannées d'études secondaires. Si l'onpeut se féliciter du niveau élevé deformation des membres du CND,celui-ci fait évidemment planer desdoutes sur la représentativité decette assemblée dans un pays oùmoins de 10 % des élèves de l'écoleprimaire ont accès au secondaire etoù il n'y a qu'environ deux milleétudiants (sur une population dépassant les 7 millions) dans l'enseignement supérieur.
L'âge moyen des députés est de42,5 ans, en augmentation par rapport à la moyenne de 39 ans duparlement de 1983. D'une part, lescandidats de moins de 30 ans ontété systématiquement boudés par lesélecteurs; d'autre part, le relatifsuccès des députés briguant uneréélection a spontanément résulté enun certain vieillissement. Les trentenaires et les quadragénaires separtagent le gros des sièges, avec
sauts sont considérables: ainsi, àKigali une candidate (de surc!"oîtd'ethnie tutsi) classée 17" fut elueà la quatrième place; à Byumba, lecandidat classé dernier s'arrogea latroisième place. Comparés à 1983,les bouleversements de listes ont étéglobalement un peu plus importants.
Sur les 51 candidats qui siégeaient déjà au CND (Conseilnational de développement - nomdu parlement rwandais), 42 ont ét~
réélus (c'est-à-dire 82 % de ceux qmse présentaient pour un nouveaumandat); 42 sur 70 (60 %) sontdonc d'anciens députés. En outre,32 députés (environ 45 %) siégeaient déjà au CND de 1981.Pourtant, le taux de mobilité diffèreconsidérablement d'une préfecture àl'autre: aux extrêmes, si Kibuye atoujours les mêmes députés qu'en1981, à Gisenyi il n'en reste plusqu'un seul. On remarque en outreles cas assez frappants de deuxdéputés (à Kigali et Kibuye) quiavaient d'abord siégé en 1981,ensuite échoué en 1983, mais quiont réussi à revenir en 1988.
Des vingt candidats féminins,onze ont été élus (6), c'est-à-diredeux de plus qu'en 1983; les femmes constituent donc 15,7% desmembres du CND.
Si les deux candidats tutsi ontété élus le candidat twa a échoué., .Il faut dire qu'il était placé dermersur la liste et qu'il a gagné cinqplaces à la faveur du vot~ .. Lorsquel'on connaît le rôle tradItIOnnel deparia marginalisé qu'occupe le Twaau Rwanda, les 46 159 voix obtenues à Gitarama par M. Mugaboportent l'espoir d'une évolutionsignificative.
(6) Ce chiffre tient compte du fait quel'élection d'une femme à Kigali a été annulée par le Conseil d'État; ce siège est occupépar un homme.
La compositioneND
MAGA~
du nouveau
123
(RWANDA ]
«LA COOPTATION A L'ENVERS lt
Numéro GOUY. 81 Élect. 81 GOUY. 82 Élect. 83 GOUY. 84 Élect. 88 GOUY. 89
1 + + + +2 + + + + +3 + + + +4 + + + +5 + + +6 + + + + +7 + + + +8 + + + + + +9 + + + + + +10 + + +11 + + + + -t(a)12 + +13 + + + + -t(a)14 + + +15 + + +16 + + + + + +17 + + + + + +18 -t(a)19 + + +2 + + + +
Notes: + signifie élu au CND ou nommé au gouvernement; - signifie pas élu au CND ou nomméau gouvernement ;(a) a quiné le gouvernement avant les élections de décembre 1988.
29 députés (environ 41,5 %) pourchaque classe d'âge.
J'avais déjà en 1984 attirél'attention sur le fait que le CNDétait en train de devenir un véritable «Parlement de fonctionnaires lt (7). Cette caractéristique s'estencore accentuée à la suite des élections de 1988, puisqu'il ne resteplus guère que deux députés issusdu secteur privé (contre six en1983).
Je ne répéterai pas les raisonsde cet état de choses et les suggestions pour y remédier que j'avaisformulées en 1984. Disons seulement que la quasi-absence de députés venant du secteur privé met encause tant la représentativité quel'indépencance du Parlement. Par
(7) F. Reyntjens, « Les élections rwandai·ses...., op. cil., p. 25.
124
ailleurs, une plus grande présencede députés ne faisant pas partie del'appareil étatique permettrait unecertaine expression de la sociétécivile, d'autant plus nécessaire dansun pays comme le Rwanda oùl'État est omniprésent.
La cooptation à l'envers
Les élections dans un régimepolitique monolithique comme celuidu Rwanda peuvent notammentpermettre un certain renouvellementet une structuration de la classepolitique périphérique. A l'issue detrois élections étalées sur sept ans,force est de constater que ce rôlen'est que très partiellement joué etqu'il l'est en outre au niveau d'unepériphérie très éloignée du centre.
t ~~ll~,-------------==
Cette constatation s'impose defaçon très claire lorsqu'on examinele rôle du processus électoral pourla sélection des membres du gouvernement. En effet, comme le montrent les données qui suivent, auRwanda on ne devient pas ministre parce qu'on est élu, mais on estélu parce qu'on est devenu ministre. Le tableau 2 retrace la carrièreparlementaire de tous les ministresqui, pendant la période 1981-1989,ont soit rejoint soit quitté legouvernement (8).
On constate que la logique dusystème est extrêmement claire.Première constatation: on estd'abord nommé ministre, et ensuiteélu lors des élections qui suiventcette nomination à condition quel'on soit toujours membre du gouvernement (cas nOs 2, 10, 12, 14,15, 19). L'exception du lieutenantcolonel A. Ndindiliyimana (casnO 5) n'est qu'apparente, puisque ceministre a lui-même préféré ne pasêtre candidat aux législatives de1983 et 1988. Deuxième constatation : celui qui a quitté le gouvernement n'est plus proposé commecandidat aux législatives. Cela ressort clairement des cas n°S l, 3, 4,7, 11 et 13; le cas nO 18 est trèsfrappant: M. Muganza est entré augouvernement en janvier 1984,après les élections de décembre1983, mais il l'a quitté avant lesélections de décembre 1988; selonla logique du système, il n'a jamaisété député. Le cas nO 20 n'estqu'une exception apparente, puisque M. Ntahobari fut élu présidentdu CND lorsqu'il quitta le gouver-
(8) J'ai remplacé les noms des ministrespar un numéro d'ordre.
nement au début de 1982; or nousverrons que les membres du bureaudu CND occupent une positionanalogue à celle des ministres dansle contexte qui nous intéresse ici.Une seule exception réelle pourtant: même après avoir quitté legouvernement à l'occasion du remaniement de janvier 1984, M. Musafili (cas nO 6) a pu poursuivre sacarrière parlementaire.
Grâce à un timing devenu deroutine (élections législatives endécembre, remaniement gouvernemental en janvier-février suivants),ce mouvement du personnel politique peut se faire en douceur: eneffet, avant de quitter le gouvernement, le ministre est élu au CNDce qui lui donne une sorte de préavis de cinq ans (durée du mandatparlementaire). Sauf situation exceptionnelle, les cas nOS 8, 9, 12, 16et 17 savent donc dès à présentqu'ils ne seront pas présentéscomme candidat aux élections législatives de 1993. En revanche, lessix nouveaux ministres nommés le15 janvier 1989 savent qu'ils entreront au Parlement, à condition évidemment qu'ils soient toujours augouvernement en automne 1993.
Une dernière constatation cernede plus près encore le mécanismedécrit. On observe en effet que,chacun dans sa préfecture, le ministre nouvellement nommé prend toutsimplement la place de l'ancienministre sur les listes des électionslégislatives. On peut ainsi identifiercinq cas. A Byumba, M. Nkurunziza (cas nO 3) fut élu en premièreplace en 1983 ; en 1984, il fut remplacé au gouvernement parM. Mugemana (cas nO 10); auxélections de 1988, ce dernier fut éluen première place, alors queM. Nkurunziza ne fut même plusprésenté comme candidat. Exactement le même scénario eut lieu à
125
iRWANDA
Gikongoro, à Gisenyi, à Butare età Ruhengeri.
Le mécanisme s'étend, au-delàdes membres du gouvernement, auxmembres du bureau du CND (10).Le parallélisme va même très loin,puisque la pratique au Rwanda veutque les députés élisent leur président, vice-président et secrétaire surproposition du président de laRépublique; dans ~a pratique, c'estdonc le chef de l'Etat qui désigneles membres du bureau du CND aumême titre que les ministres.
Cette analyse mène à une conclusion inévitable. Si les électionspeuvent servir à la cooptation et aurenouvellement du personnel politique, elles ne remplissent cettefonction qu'à l'extrême périphérie.A l'intérieur de cette périphérie,c'est le chef de l'État et non l'électeur qui coopte et qui recrute. Cephénomène est une excellente illustration du caractère bureaucratiquede la vie publique au Rwanda, traitqui est encore accentué par le faitque la quasi-totalité des députéssont issus du secteur public. Lesministres n'émergent donc pas d'unrecrutement à caractère politique;au contraire, ce sont des fonction-
(9) Mais pas, semble-toi!, comme onaurait pu le penser, aux membres du comité 'central du MRND.
126
naires, transformés en politicienspendant la durée de leur mandatgouvernemental, et remis à la fonction publique à l'issue de celui-ci.Dès lors, la fonction des électionscomme instrument de recrutementdans des rôles politiques est subvertie. C'est ce qui m'a fait parler de«cooptation politique à l'envers >t.
Au demeurant, cette situationcomporte une menace considérablepour le MRND auquel le processus électoral devrait permettre de seprofiler comme une force identifiable et d'établir des rapports avec lapopulation. Cela ne saurait être quemarginalement le cas dans le contexte bureaucratique décrit ici. Déjàle Mouvement se confond largement avec l'administration, et s'ilne peut jouer son rôle politique àl'occasion du moment privilégié quesont les élections, il risque la marginalisation et, au bout de la route,l'atrophie. Les difficultés que rencontrent certains responsables préfectoraux à susciter des candidatures pourraient être un signe danscette direction.
Filip Reyntjens
MAGAZINEL- ~
La sorcellerie au banc des accusés
I L est indéniable que beaucoupd'Africains croient dur comme
fer en la sorcellerie et en d'autresphénomènes paranormaux. Sur labase de cette constatation, et contrairement aux pratiques juridiquescoloniales, les juges camerounaisexerçant dans la province de l'Estappliquent depuis 1981 l'article 251du Code pénal, article qui spécifieque ceux qui se livre~t à des a~t~s
de sorcellerie, de magie ou de divInation susceptibles de perturberl'ordre public ou de nuire ~ autruiseront condamnés à des pemes deprison allant de 2 à 10 ans et à desamendes de 5 000 à 100 000 f CFA.
Notre but, dans cet article, estd'examiner, sur la base d'une trentaine d'affaires jugées entre 1981 et1984 par la Cour d'appel de Bertoua, comment les manifestations desorcellerie sont traitées par les coursde justice de l'État. Quelles sont lanature et la provenance des accusations de sorcellerie? Comment etsur quelles bases les jugesétablissent-ils la culpabilité desaccusés et quelles sont les peinesinfligées ? En conclusion, nous nousposerons la question de savoir si .lescours de justice modernes sont bienplacées pour juger des affaires dontles manifestations se situent endehors du domaine des phénomènesscientifiquement observables?
La sorcellerie « nouvellemanière»
Sur les trente affaires étudiées,vingt-sept concernaient des accusations à l'encontre de sorciers et deleurs pratiques néfastes (1).
Un premier point est à noterici : dans aucune de ces affaires, lapartie lésée n'avait essayé de sefaire justice elle-même. Ce respectde la loi est surprenant. On seserait attendu à ce que des affairesde ce genre soient traitées par desprocédures traditionnelle~ sa~s quel'on fasse appel à la JustIce del'État, comme c'est encore le casdans les sociétés hautement centralisées des provinces de l'Ouest etdu Nord-Ouest. Est-ce parce que lesinstitutions traditionnelles locales sesont atrophiées à tel point qu'ellesne peuvent plus servir de ca.dreapproprié pour régler des affairesde sorcellerie? Est-ce que la marginalisation virtuelle des institutionsanti-sorcellerie traditionnelles(comme celle de l'épre~ve p~r. lepoison) amène les gens a sollicIterl'intervention de l'Etat plutôt qued'avoir recours aux procédurestraditionnelles?
Ce raisonnement est intéressantétant donné le nombre de cas desorcellerie dont sont saisis les tribu-
(1) Les trois cas restants concernai:nt desféticheurs accusés de «fautes profesSIOnnelles. graves.
127
,lCAMEROUN
naux dans la province de l'Est. Ily a plus cependant. Il faut d'abordse rendre compte de la transformation des conceptions concernant lasorcellerie sous l'influence de lamodernisation. Alors que la sorcellerie, en milieu traditionnel,s'exerçe en principe exclusivementau sein de la famille, elle estemployée aujourd'hui également àl'encontre d'amis ou de prochesassociés. Les mécanismes traditionnels contrôlant les conduites déviantes ne s'appliquant pas dans ces cas,les affaires de sorcellerie ne peuventplus être résolues au sein fte lafamille, d'où le recours à l'Etat.
En l'absence d'autorités traditionnelles bien implantées, les accusations de sorcellerie sont portéesdevant des cadres du parti ou deschefs néo-traditionnels qui, à leurtour, saisissent les gendarmes ou lapolice. En agissant ainsi, ils se conduisent comme des représentants del'État central au sein de leur communauté et non pas comme lesporte-parole de leurs ~dministrés.
C'est leur loyauté à l'Etat - basede leur pouvoir - qui explique quela plupart des affaires de sorcellerie traitées en public dans les communautés de base finissent par êtrejugées par la justice de l'Etat.
Il faut dire aussi que la province de l'Est est réputée hébergerdes sorciers particulièrement puissants et malveillants et que le problème de la sorcellerie y est jugéparticulièrement préoccuP.!1nt.Même les fonctionnaires de l'Etat,y compris certains juges, en ontpeur.
Le rôle des féticheurs
En posant maintenant la question de savoir sur quelles preuvesles juges se basent pour établir la
128
culpabilité des accusés, il convientde souligner le rôle important desféticheurs. Neuf des trente cas jugésen appel par la Cour de Bertoua sefondaient sur la hantise qu'avaittoute une communauté d'être victime d'actes de sorcellerie. Desdécès fréquents et inexplicables, deséchecs nombreux d'élèves aux examens avaient amené des chefs devillage et/ou des responsables duparti à faire appel à un féticheurpour découvrir les causes de cesmalheurs persistants. Aucune accusation de sorcellerie n'avait été prononcée avant l'intervention des féticheurs. Ce sont eux qui, après avoirprocédé à un acte de divination,accusèrent certains membres de lacommunauté de s'opposer au progrès par la sorcellerie, et qui, danscertains cas, s'efforcèrent de trouverdes preuves «matérielles li contreles accusés pour les soumettre auxtribunaux pour appréciation. Cespreuves - à savoir des objets appelés « les brindilles de bois li ou « lesmoustaches de panthère li - sontdécouvertes le plus souvent par leféticheur lors d'une fouille dudomicile de l'accusé.
Or, le témoignage du féticheurdevant les tribunaux est primordialpour obtenir une condamnation, etceci d'autant plus si celui-ci produitdes preuves matérielles (<< brindillesde bois li ou « moustaches de panthère li) de la culpabilité de l'accusé.Les dossiers examinés montrent, eneffet, que les féticheurs sont devenus l'élément-clé dans la lutte contre la sorcellerie et que leur témoignage équivaut à unecondamnation.
Les juges ont-ils raison d'accepter comme preuves des élémentsrelevant des croyances traditionnelles? Dans quelle mesure les féticheurs sont-ils dignes de foi et dansquelle mesure sont-ils neutres?
Leur rôle devant les tribunauxreprésente pour eux une sorte dereconnaissance officielle dont ilstirent profit pour faire imprimerdes cartes de visite impressionnantes et augmenter leur chiffre d'affaires. N'ont-ils pas intérêt, alors, àfabriquer de toutes pièces des accusations de sorcellene? Pendant lapériode coloniale, les féticheursn'étaient jamais considérés ~om~e
des témoins valables, mais nsquaient plutôt une condamnationpour diffamation en accusantquelqu'un de sorcellerie..Cette pratique persiste encore aill~urs auCameroun. Dans la provmce duSud, certains féticheurs sont enco~e
poursuivis par .la loi P?ur aVOIrorganisé des seSSlOns publiques contre la sorcellerie. Accepter leurtémoignage, sans examen critique,comme le font les tribunaux dansla province de l'Est, peut êtrenéfaste aux droits des accusés.
D'autre part, les communautéslocales croient dur comme fer en lasorcellerie et elles s'ont convaincuesque les reticheurs peuvent les aiderà la combattre. Pourquoi les jugesne suivraient-ils pas alors le sentiment populaire en soulignant1'" africanité» de ces croyances eten faisant céder la logique cartésienne devant leur conviction personnelle que le mal supposé a étéréellement fait? Un juge de Bertoua ne disait-il pas que l'appréciation de tels phénomènes dépend de"l'intime conviction du juge»?Malheureusement, les juges ne semblent pas réaliser que les féticheurssont au fond, eux-mêmes des sor-, .. .ciers, et qu'ils appa~tIennent amslau camp que la justIce se proposede combattre.
MAGAZlNm
Les aveux
Dans certains cas, mais pas toujours, les gens accusés de sor~elle
rie lors de réunions pubhquesreconnaissent assez rapidementd'eux-même leurs fautes, commedans l'exemple suivant:
«Inutile de me poser des questions. Je reconnais avoir fait noyer lejeune L. dans le fleuve Lom par !asorcellerie. Je pratique la sorcellerIe.C'est dans le but de me venger contre la population de Lom qui medéteste que j'ai agi ainsi. »
Or, la confession. équivaut,devant les tribunaux, à une condamnation, car il n'y a aucun exemple d'un accusé acquitté après avoirreconnu sa " faute ». Prenons le casde cet individu, lui-même féticheur,qui fut accusé par un de ses confrères d'avoir tué plusieurs membres de sa propre famille. Au lieude tout nier, l'accusé avouasur-le-champ:
«J'ai tué mon père et .mon fi~s
pour augmenter mon po~volr de gu~
risseur (.. .J. Mon travazl passe tresbien quand je tue quelqu'un. »
Ces aveux lui coûtèrent unecondamnation de dix ans de prisonassortie d'une amende de 5 000 fCFA.
De nouveau, des questions seposent. Les juges doivent-ils tenircompte de tels aveux? Sont-ilsdignes de foi? Pourquoi les accusés passent-ils si facilement auxaveux? Ne s'attendent-ils pas, en semontrant coopérants, à bénéfici.erde circonstances atténuantes? JadiS,quand une personne se co~fes.sai~
en public, le féticheur procedait .aune cérémonie destinée à neutrahser les pouvoirs néfastes mis à- jouret à resocialiser la personnedéviante. Or, aujourd'hui, passeraux aveux est interprété par les tribunaux comme une preuve de cul-
129
[ç~M~s>2N!.- --,
pabilité, sans que les juges en tiennent compte à titre de circonstances atténuantes. Les Cours modernes se montrent donc insensiblesaux motivations profondes de cesaveux et notamment à la quête deréhabilitation selon les procédurestraditionnelles qu'ils expriment.
L'exemple suivant montre bience dilemme. Quatre personnesfurent accusées d'appartenir à uneconfrérie de sorciers et d'avoir« mangé li le fils de l'un d'entreeux. Lors du palabre villageois,trois des accusés supplièrent le féticheur présidant les débats de neutraliser en eux les forces maléfiquesauxquelles ils étaient incapables derésister. Au lieu de cela, ils furenttraînés devant le tribunal et condamnés à cinq ans de prison et delourdes amendes.
On peut noter aussi que certainsaveux sont obtenus sous la torture,par les féticheurs, ou sous la contrainte morale: lors d'un palabre
\ villageois il peut en effet être dangereux de ne pas avouer devant unefoule excitée et qui suit aveuglément l'avis du féticheur officiant.Comment déterminer alors si desaveux sont sincères quand uneaffaire est portée devant le tribunal ? De nouveau, le guide ultimeest « l'intime conviction du juge li.
Les preuves circonstancielles
Les affaires examinées par laCour d'appel de Bertoua montrent,en dernier lieu, que les juges seprononcent parfois uniquement surla base de preuves circonstancielles.L'un des cas avait trait à unhomme supposé avoir été renduimpuissant par une femme jalousequi lui aurait jeté un sort l'empêchant d'avoir des relations sexuelles avec des femmes autres qu'elle-
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même. Dans ce cas preCIS, lafemme accusée s'était effectivementlivrée à des actes et des gestes supposés, dans les croyances populaires, avoir comme effet de rendre unhomme impuissant. Le tribunals'appuyait effectivement sur cespreuves circonstancielles et établissait donc une relation de cause àeffet entre l'impuissance del'homme et les actes et gestes menaçants de sa concubine qui fut condamnée à huit ans de prison, uneamende de 100 000 f CFA et300 000 f CFA de dommagesintérêts au profit du plaignant.Citons les attendus de la cour:
« que la rorcellerie est scientIfiquement non démontrable, que le recoursà un médecin n'est pas déterminantdans le cas d'espèce, que seule l'intimeconviction du juge peut guider lesdébats objectIfs à l'audience ». (C'estnous qui soulignons.)
Il est évident que les juges,dans ce cas, n'ont fait qu'entérinerle jugement de l'homme de la ruepour qui la femme en question, detoute évidence, était coupable.
Un autre cas d'impuissance,provoquée par la première femmed'un homme ayant pris unedeuxième épouse, fut porté devantle tribunal. Dans ce cas, la premièrefemme avait prédit au nouveau couple une vie de chien pendant10 ans, à moins que l'homme nerevînt à des sentiments meilleurs.Or, il a suffi que des témoins déclarent à la barre que ces parolesavaient bel et bien été prononcéespour que la femme fût condamnéeà cinq ans de prison.
La jurisprudence de la Courd'appel de ·Bertoua représente untournant dans le traitement desaffaires de sorcellerie devant les tribunaux. Ces cas renversent complètement la pratique antérieure quiétait d'acquitter systématiquement
'-- MAGAZIN~
les sorciers faute de preuves et decondamner pour diffamation desféticheurs accusant autrui de sorcellerie. Aujourd'hui, les tribunauxdans la province de l'Est sont impitoyables pour les sorciers en se fondant parfois, comme nous l'avonsvu, sur des preuves douteuses.
Cette déviation des pratiquesantérieures s'explique par le faitque les tribunaux, dans l'Est, comprennent aujourd'hui des juges qui,eux-mêmes, craignent la sorcellerie.Au cours de nos recherches sur leterrain, alors que nous manifestionsnotre scepticisme à l'égard de lafaçon dont on établissait la culpabilité des accusés, un procureur deBertoua nous répliqua:
« Nous sommes tous des Africains.Nous ne devons pas prétendre que lasorcellerie n'existe pas. Elle est bienvivante ici. Nous ne pouvons pas permettre à ces villageois primitifs demenacer des agents publics travaillantdans la province de l'Est. C'est lasorcellerie qui retarde le développementdans cette province. »
Tout est dit dans ces phrases.
(Traduit de l'anglais par Robert Buijtenhuijs)
Cette ferveur mIssIOnnaire ressemble beaucoup au "fardeau del'homme blanc li de RudyardKipling - la "mission civilisatrice li des premiers colonialistes.
Malheureusement, les procès ensorcellerie ne s'attaquent pas auxracines du mal. Comment certainsgens acquièrent-ils des pouvoirsoccultes et pourquoi les utilisent-ilsde façon négative? Ces pouvoirs,s'ils existent, ne peuvent-ils pas êtrecanalisés vers des activités plus productrices ? Ces questions dépassentle cadre de cet article. Les tribunaux ne s'attaquent à ces phénomènes que quand du mal a été fait àla communauté et quand ils ont étéportés à l'attention des autorités.D'autre part, les sanctions infligéesne prévoient pas la réhabilitationdes sorciers après leur séjour enprison. Au contraire, elles créentdes rancunes qui peuvent susciterde nouveaux actes de sorcellerie. Lamachine judiciaire de l'État, detoute évidence, n'est pas le mécanisme le plus approprié pour combattre la sorcellerie.
Cyprian F. Fisiy
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REVUE TIERS MONDEREVUE TRIMESTRIELLE
publi6c par
L'JN5ITIVT D'ÉTUDE DU DÉVI!LOPPI!MI!NT écoNOMIQUE ET SOCIAL
DB L'UNIVI!RSfl'É DB PARIS 1
N° 117 - Janvier·Mars 1989
POLITIQUES D'AJUSTEMENTET RECOMPOSITIONS SOCIALES
EN AMÉRIQUE LATINEsous la diredlon de Bruno LAUTIER et Pierre SALAMA
P~sentatjon par Bruno Lautler et Pierre SalamaBnmo Lautler : L'ajusteur justifi~ 7 Politique d'ajustement, emploi et déregulation en Am~rique
latinePierre Salama : Les effets pervers des politiques d'ajustement dans les ~conomies semi-jndus
triali~s
Philippe HlICOU : Incidences sociales des politiques d'ajustementJaime Marques·Perelra': La I~gitimit~ introuvable d'une politique ~onomique : politique d'ajus
tement, exclusion sociale et citoyennet~ au BrhilWraua-Malia PanJzzl : L' « iII~plit~ » des pratiques sociales d'acc~s au sol et au logement dans
un contexte de criseRodrigo Uprimy : CroissanCe, rentçs et violences : le cas su; ~t!nt!r;s de la ColombieJean Mulni : Le P~rou, de l'onhodoxie à l'orthodoxie en passant par l'Mt~rodoxie
Jean Cartier-&esson et Pierre Kopp : Croissance, exclusion sociale et instabilit~ de la politique~nomique au Br~i1
Molsel Ikonlcoll' : Ajustement structurel et d~sagr~gation soci~tale en ArgentineJeaD-Marc Fontaine: Diagnostics et rem~des propo~s par le Fonds mon~taire pour l'Afrique.
Quelques points critiques
DOCUMENTAT/ON
Hené Diata : Ajustement structurel au CongoJeu de Grancbaigne : La politique cxt~rieure du Br~sil en Afrique noire: essai de synth~se
Jean-Paul CourtMoux et Guy Tchibozo : Quelques observations sur la r~glementation des prixen ~nomie sous·d~velop~e
Serp Latouche: Les paradoxes de la « normalisation » de l'~conomie informelle
CHRONIQUE INTERNA.TIONALE
BIBUOGRAPHIE - NOTES BIBLIOGRA.PHIQUES
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58, boulevard Arago, 75013 Paris - T6J. : 43-36-23-S5
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AboaDt'menb aDlluela pour 1'&DDé. 111811. - FIlLDCC : 34\) 1'; Euanacr : 445 F
mars 1989)
Les noces d'or depanafricanisme(Dakar, 27 février-3
l'IFAN de l'africanisme au
Eh oui, cinquante ans déjà, cinquante ans (cinquante et un en réalité)que fut crée à Dakar l'Institut français d'Afrique noire, devenu avec ladécolonisation Institut fondamental d'Afrique noire, puis Institut fondamental d'Afrique noire-Cheikh Anta Diop, depuis la mort du célèbre historien sénégalais, chercheur éminent de cette institution.
De tous les IFAN de l'Afrique française (un par territoire), celui deDakar fut incontestablement le fleuron. Il fut un lieu d'initiative et depromotion de la recherche africaniste, grâce, entre autres, à celui qui enfut longtemps l'infatigable directeur et animateur, Théodore Monod.
L'IFAN avec ses nombreuses publications (Bulletin de l'IFAN, Notesafricaines), ses trente-huit chercheurs, son importante bibliothèque et sestrois musées (dont le dernier né, celui de Gorée, fut inauguré lors desmanifestations du cinquantenaire) demeure, essentiellement dans les sciences sociales, un pôle majeur de la recherche en Afrique. Cependant, la« crise» que connaît depuis plusieurs années le Sénégal, ainsi que certaines pesanteurs intellectuelles et un manque d'impulsion, avaient quelquepeu émoussé le dynamisme de cette prestigieuse institution qui n'avaitplus son rôle attractif d'antan. Un second souffie s'imposait. Et c'est àcette tâche difficile qui consiste à susciter des projets et à asseoir la crédibilité nationale et internationale de cette institution que s'est attelél'actuel directeur, le sociologue Abdoulaye Bara Diop, auteur réputéd'ouvrages sur la société wolof.
Dans ce contexte, le symposium du cinquantenaire: «1'Afrique à l'aubedu XXI' siècle» qui s'est tenu à Dakar du 27 février au 3 mars avaitau fond une double finalité: réfléchir sur l'état et l'organisation de la
133
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
recherche africaine en général et tirer tous les enseignements de ce bilanet de ces perspectives pour l'IFAN lui-même, qui entend s'attacher àmieux articuler ses travaux aux problèmes prioritaires de développementet à porter davantage son attention sur les dimensions s9cio-politiques deceux-ci (d'où un intérêt marqué pour la question de l'Etat). Les responsables de l'IFAN ont également profité de ce forum international pourfaire pression auprès des autorités présentes (ministre de l'Enseignementsupérieur, ministre du Plan et de la Coopération) sur deux points essentiels : le statut des chercheurs et la place de la recherche en sciences sociales dans les priorités gouvernementales.
Une cinquantaine de délégués avaient été invités à ces manifestations,notamment des représentants de centres de recherche d'Afrique, d'Europeet d'Amérique du Nord.
Les communications et discussions étaient organisées autour de troisgrands thèmes:
Obstacles socioculturels au développement: aspects historiques.- La recherche scientifique africaine: héritage, état actuel et avenir.- Recherche et développement: recherche appliquée et entreprises,
recherche fondamentale.Sans avoir la prétention de tirer des conclusions globales de ces jour
nées, nous voudrions souligner les points forts que l'on peut en retenir.
Le sens d'une commémoration
Le mélange- des classes d'âge, voulu par les organisateurs, permit desévocations et des retrouvailles parfois émouvantes, mais jamais le symposium ne tourna à la réunion d'anciens combattants. Le regard jeté surle passé colonial ne fut empreint ni de complaisance ni d'une volontéde disqualification à priori.
Ces quatre journées très denses ont mis en évidence la volonté dedépasser le niveau de la simple commémoration et de s'interroger avecune grande liberté de ton sur les causes du retard de l'Afrique en matièrede recherche, perçue comme une nécessité de survie dans le monde actuel.
Le problème fut également posé de l'effet du développement scientifique tel qu'il est conçu dans le modèle occidental sur les cultures africaines. L'idée même du « retard de l'Afrique ~ fut mise en doute par certains; l'Mrique apparaissant à certains égards comme «un coureur defond~, pour reprendre la belle expression du professeur J. Ki-Zerbo.
Faire de la recherche une priorité politique
L'absence de volonté politique des gouvernants à promouvoir la recherche a été unanimement constatée. Si les chercheurs sont en parti responsables de ce manque d'intérêt de l'État (individualisme, coupure du paysréel et de ses problèmes, cloisonnements disciplinaire et institutionnel),celui-ci n'a rien fait pour améliorer la situation. La recherçhe est considérée comme un luxe par les dirigeants. En moyenne, les Etats africainsne consacrent que 0,5 % du PIE à la recherche. L'absence de démocratieest par ailleurs néfaste aux débats scientifiques surtout dans les sciencessociales. Si l'État, comme l'a remarqué l'un des intervenants, P. Sane,
134
CHRONIQUE SCIENTIFIQUE
4C enveloppe plus qu'il ne développe ~, on compr.end que la liberté scientifique l'effraie. Mais lorsque les dirigeants politiques poussent les chercheurs, comme l'a fait le ministre du Plan sénégalais, à 4C apporter desréponses à des questions pratiques~, il faut peut-être les prendre auxmots...
La balkanisation de l'Afrique
La dénonciation du morcellement de l'Afrique a, a-t-on entendu, desconséquences dramatiques sur la détérioration de la recherche. D'où l'idéeexprimée avec force par plusieurs participants de construire des espacesrégionaux de recherche. Et l'historien B. Barry a proposé que l'IFANdevienne 4C un centre de compétence sur l'Afrique de l'Ouest~.
L'africanisme en question
L'africanisme, connoté comme produit de l'Occident, a été l'une descibles privilégiée des participants. J. de Medeiros, notamment, l'a analysécomme le lieu d'un rapport de force qui marginalise les chercheurs africains; et P. Houtongi a mis l'accent sur l'extl~aversion, dont les conséquences idéologiques sont patentes (exotisme), qu'il porte. D'autres intervenants s'en prirent aux privilèges des africanistes européens ou américains, tant pour ce qui est du financement de la recherche que des facilités de publication. Mais jamais ces débats ne tournèrent à la croisade.Le souci de tenir compte des évolutions actuelles des études africaines,joint à un humour africain dénué d'agressivité mais corrosif, comme celuide A.A. Dieng qui s'en prit aux économistes africains qui ont été 4C lesperroquets ou les singes de leurs maîtres européens ~, ont créé un climatde dialogue dont tous les participants se sont félicités.
Ce colloque s'est tenu dans une université en grève (enseignants), cequi a quelque peu perturbé le déroulement de l'inauguration de la stèleen l'honneur de Cheikh Anta Diop. Le ministre de l'Enseignement supérieur a vu sa voiture secouée et les autorités ont dû renoncer aux discours d'usage devant la pression de manifestants, par ailleurs très courtois avec les invités de l'IFAN. Le professeur P. Fougeyrollas, ex-directeurde l'IFAN, et l'un des tribuns les plus appréciés à la fin des annéessoixante de toute une génération d'étudiants contestataires, s'en est trouvétout ragaillardi. Et il retrouva sa flamme dakaroise d'antan pour prononcer sa conférence sur 4C les sciences sociales et la civilisation africaine ~.
En ouvrant ce symposium, le directeur de l'IFAN pressait les chercheurs de 4C faire preuve d'imagination ~. Tout au long de ces journées,les idées n'ont pas fait défaut. Le problème est maintenant de les organiser. En matière de recherche comme dans d'autres domaines, l'Afriquedoit se doter de pôles d'excellence et de réseaux. Le panafricanismescientifique passe par là. L'IFAN est bien placé pour jouer cette carte.
E. Le Bris et Ch. Coulon
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INFORMATIONS
INFORMATIONS
Il faut toujours regarder dans le rétroviseur...
• On y voit par exemple que les 17 et 18 mars derniers, un colloquequelque peu original par la nature de ses participants s'est tenu à Chantilly à l'initiative de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer, en liaison avec Marchés tropicaux et le Centre culturel des Fontaines surle thème cc Cultures africaines et développement industriel n. Ony trouvait en effet réunis, sous la présidence d'un Ambassadeur de France,des universitaires, des prêtres et des techniciens de grands établissementspublics et privés, pour discuter de traditions, de psychologie individuelleet collective, de « comportements traditionnels li, d'entreprises et de management. Il n'est pas évident qu'il en soit resté des traces publiées, maison peut toujours s'en enquérir auprès du Centre culturel « Les Fontaines li,
BP 205, 60501 Chantilly Cedex.
• Du côté du Centre d'études et de recherches internationales,le groupe « Trajectoires du politique en Afrique et en Asie li, deux sessions ont été programmées, l'une avec nos amis Zaki Laïdi et Olivier Vallée, consacrée aux « Nouveaux rapports de la Banque mondiale surl'ajustement structurel", (le 18 mai), l'autre animée par le directeurd'Africa Confidentia~ S. Ellis, sur « la situation politique en Afriqueaustrale », le 15 juin. Tout ceci se passe au CERI, 4, rue de Chevreuse,75006 Paris (45 49 51 30).
• Pour sa part, le Centre d'étude d'Afrique noire a organisé du25 au 27 mai trois journées de séminaire international associant chercheursfrançais (aquitains et paris~ens), espagnols et catalans, britanniques et belgesautour de trois thèmes : Etat, langue et ethnicité, la Guinée équatoriale (NDLR : aucun Helvète n'était annoncé au programme), et Religions en Mrique australe. Ceci s'inscrit dans le cadre d'échanges internationaux suivis entre le CEAN, SOAS et le Centre d'études africainesde Barcelone. CEAN, lEP, BP 101, 33405 Talence-Cedex (56 84 42 82).
• Le séminaire périodique Travail et travailleurs du Tiers-Mondede l'École des hautes études en Sciences sociales s'est poursuivi, laséance de clôture pour 1988-89 étant fIxée le 19 juin avec une communication de B. FaU et T. Lulle sur les classes ouvrières en Afrique noire;les perspectives 1989-90 doivent être examinées à l'issue de cette séance.EHESS, 131, bd Saint-Michel, Paris.
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INFORMA TIONS
Préparez votre rentrée...
• Au cas où certains n'auraient pas reçu les documents pourtant largement distribués, il faut rappeler que l'Mrican Research Programde l'Université Eotvos (Budapest), organise du 27 août au 3 septembre 1989 un congrès international sur le thème « Tradition et modernisation en Mrique d'aujourd'hui ". Si vous avez égaré le programmetrès détaillé de ce congrès totalement pluridisciplinaire, préparez quelque400 francs suisses pour l'inscription .et écrivez à l'African Research Program, Université Lorànd Eiitvos, H-1536 BP 387, Budapest (Hongrie).
• Sur le chemin du retour, restez à Paris, où le Centre de perfectionnement de l'Institut national d'agronomie Paris-Grignon organise une session consacrée aux « Réalités agraires et programmes dedéveloppement agricole .. centrée sur les problèmes de l'analyse scientifique des situations dans le tiers monde tant dans la perspective de l'élaboration que de l'évaluation des politiques agricoles. Ceci est prévu du11 au 15 septembre 1989. S'adresser à l'ADEPRIMA, 16, rue ClaudeBernard, 75005 Paris (43 37 96 34, 43 37 15 50). Un détail: la fiche précise: «Prix TTC 5 300 F. (Déjeuners non compris) ». Il s'agit de formation continue...
• Si l'agraire vous paraît hors de portée, notre collègue T. Mwayilaet l'Institut panafricain de géopolitique vous proposent, apparemmentsans frais, du 12 au 14 septembre, à l'Université de Paris l, un colloquesur le thème cc Problèmes et perspectives de l'industrie minière enMrique ". Les aspects juridiques, technologiques, économiques, commerciaux nationaux et internationaux doivent être traités. S'adresser à Institut panafricain de géopolitique, Bibliothèque universitairelDroit, Il, place Carnot, 54042 Nancy-Cedex (83 55 35 94).
• Si vous n'aimez pas la mine, si vous n'aimez pas la campagne, faites donc du droit, les 14-15 septembre du côté de Leiden, à l'initiativede Gerti Hesseling, de l'Mri.ka·Studiecentrum, de E. Le Roy, du Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris 1. Il s'agit de travaillersur le pluralisme juridique en Afrique noire. Il semblerait qu'audelà des problèmes conceptuels) les non-juristes pourront participer et comprendre. Demandez donc à Etienne Le Roy, Politique Africaine, on ferasuivre.
• Si votre réserve d'énergie est inépuisable, rendez-vous la semainesuivante (du 19 au 21, ou même au 24 si vous voulez participer au «.surprise trip») à Ljubljana (Yougoslavie) pour la conférence de l'Association européenne des instituts de recherche et des fonnations enmatière de développement (EADI) consacrée à la coopération avecles pays du Tiers-Monde dans le domaine de la documentation.S'adresser au Centre for International Cooperation and Development, 61109,Ljubljana, Yougoslavie. Karde/jeva Ploscad 1.
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INFORMATIONS
• Un peu plus au sud, à Bujumbura (Burundi), un peu plus tard (du17 au 24 octobre 1989), le Département d'histoire de l'Université duBurundi organise son colloque consacré à cc Histoire sociale et développement en Mrique de l'Est: XIX-XX- siècles n. La perspectiveretenue intéresse tous les aspects des sciences sociales et humaines, lescommunications étant regroupées autour de trois thèmes: pouvoirs politiques et sociétés, économie et réseaux d'échanges, changements culturelset influences extérieures. Le secrétaire du comité d'organisation est G.Peltz, Département d'histoire, Université de Bujumbura, BP 427, Bujumbura.
• Retour à la méthodologie et à Paris, où l'Institut de recherchesur les sociétés contemporaines (IRESCO) propose une session surle thème cc La recherche comparée internationale n. Ouverte en présence notamment de B. Badie et E. Lisle, elle doit se développer en formed'ateliers thématiques variés traitant d'économie sociale, d'entreprise, deloisirs, de migrations, etc., dans des perspectives où le facteur cultureldoit être activement intégré. IRESCO, 59161, rue Pouchet, 75849 ParisCedex 17 (40 25 10 25).
• Les migrations sont au cœur même d'une autre manifestation scientifique, cette fois du 4 au 9 décembre 1989 à Nairobi (Kenya). L'Unionpour les études de démographie en Afrique (UAPS) y a prévu sapremière conférence. Une dizaine de thèmes couvrant les différentes modalités des phénomènes migratoires sont regroupés sous le titre cc Conference on Migration in African Development : Issues and Policiesfor the 90s n. On peut encore proposer des contribuer en écrivant soità UAPS, BP 21007, Dakar-Ponty, Dakar (Sénégal), soit à Population Studies et commercial Research Institute, University of Nairoby, PO Box 30197,Nairobi (Kenya).
• Catherine Coquery-Vidrovitch est toujours très organisée: grâce àelle, il est possible de bien prévoir la programmation des colloques. C'estainsi qu'elle nous annonce pour novembre ou décembre 1990 une conférence internationale consacrée à cc la jeunesse en Mrique : encadrement et rôle dans la société à l'époque contemporaine, XIXxx- siècles ". Le Laboratoire Tiers-Monde, Mrique de l'Universitéde Paris VII oriente les contributeurs éventuels vers une treizaine d'axesprivilégiés devant réunir chercheurs et acteurs. On peut écrire au Laboratoire Tiers-Monde, Afrique, UPR GHSS, Université de Paris VII, 2, placeJussieu, 75005 Paris.
Et si on parlait argent ? ••
• Le ministère de la Recherche et de la Technologie a diffuséune circulaire relative à un programme d'aide à la publication d'ouvrages scientifiques et techniques comportant une aide à la rédaction (miseen forme du manuscrit définitif) et une aide à l'édition couvrant 30 à40 % du coût de fabrication. Les propositions doivent correspondre à des
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INFORMATIONS
enseignements universitaires de second ou troisième cycle, ou réaliser unesynthèse de qualité dans une spécialité déterminée. La prochaine échéancepour le dépôt des dossiers est fIxée au 15 septembre 1989. S'adresser auMR T, Bureau de l'édition, l, rue Descartes, 75231 Paris Cedex OS, (46 3435 55).
• Pour publier, il faut écrire. L'Association internationale desociologie vous y incite au travers de son concours mondial cc Jeunessociologues », ouvert jusqu'au 1" septembre 1989. Les candidats (âgés demoins de 35 ans) doivent rédiger un essai de 6 000 mots développant uneapproche sociologique sur un problème social, économique, politique ouculturel important. Plus de détail sont disponibles auprès de Daniel Bertaux, Centre d'étude des mouvements sociaux, 54 bld Raspan 75006 Paris,qui est chargé de collecter les «copies li.
Informations documentaires et autres
Faute de place, et pour ne pas empiéter sur les compétences du responsable de la chronique bibliographique, limitons nous à deux indications utiles pour les néophytes:
• Chaque trimestre, l'Université d'Oxford publie le livret des enseignements, séminaires et activités diverses consacrés à l'Afrique. Il est disponible sur place; une adresse parmi d'autres: Africanists Offices,66 Woodstock Rd, Oxford.
• Pour sa part, l'Institut africain de l'Académie des Sciencesd'URSS a publié l'inventaire des livres, brochures et articles consacrésà l'Afrique et publiés en URSS en 1984/85. Institute for African Studies,30/1 Alexey Tolstoy Str. Moscow, K-l, 103001, URSS.
• Le Centre d'étude d'Afrique noire de l'Institut d'études politiques de Bordeaux (Unité de recherche associée au CNRS) souhaite recruter, à compter de la rentrée 1989, un chargé de recherche stagiaire (posteFondation nationale des sciences politiques) pour une période de deux ans.
Les candidats devront être titulaires d'un doctorat ou de travaux équivalents et spécialisés sur l'Afrique dans le domaine des sciences sociales.
Toute personne intéressée est priée d'adresser un dossier de candidature à l'adresse suivante: Centre d'étude d'Afrique noire, BP 101, 33405Talence Cedex, avant le 15 juillet 1989.
Le dossier comprendra un curriculum vitae, la copie des diplômes,les articles et ouvrages publiés, trois lettres de recommandation et un programme de recherche et d'activités pour les deux années à venir.
N.B. : Pour apparaître dans cette rubrique, il suffit d'adresser vos projets, vos annonces de manifestations scientifiques au nouveau (!) responsable de la chronique: F. Constantin, CREPAü, Université de Pau etdes pays de l'Adour, avenue Poplawski, 64000 Pau.
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DANS LES COLLECTIONS ÉDITÉES PARLE MINISTÈRE DE LA COOPÉRATION
ET DU DÉVELOPPEMENT
Vient de paraître:
In collection « Analyses»
Hydraulique villageoise en eau souterraineen Afrique occidentale et centraleB. HUMBAIRE, D. PETER, P. PRUDHOMME - 1989 - 130 F
ouvrage bilingue. L'édition séparée en microfiches des docu-ments analysés dans ce livre est disponible à la Société Tomi,38, avenue Franklin-Roosevelt, B.P. 67, 77211 Avon Cedex.
Les Villes d'Afrique noire entre 1650 et 1960Politiques et opérations d'urbanismeJ. POINSOT, A. SINOU, J. STENARDEL - 1989 - 160 F
Les Organisations régionales africaines : recueils de textesM. et Mme GHERARI - 1989 - 195 F
In collection « Études et Documents»
Politiques de change et ajustement en AfriqueCCCE-P. JACQUEMOT - E. ASSIOON - A.H. AKANNI1989 - 218 p., tabl, graph.
En vente à :
. LA DOCUMENTATION FRANÇAISE29-31, quai Voltaire
75007 Paris
Catalogue sur demande à La Documentation française
100 F
LA REVUE DES LIVRES
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Chronique bibliographique sous la responsabilité de René Otayek, avecla collaboration de Robert Buijtenhuijs, François Constantin, Bernard Contamin, Georges Courade, Gerti Hesseling, Émile le Bris, Étienne Le Roy,Alain Ricard.
MASSIAH (Gustave), TRIBILLON GeanFrançois) - Villes en développement. - Paris, La Découverte, 1987,320 p. (Cahiers libres).
Ce livre vient à point enrichirl'abondante production monographiquede ces dernières années sur les villes despays en développement. Il manquait eneffet à cette production une réflexionstratégique sur les politiques urbainesqualifiée, non sans humour, par lesauteurs de « merveilleuse envolée de lapensée urbanistique -.
L'humour n'interdisant pas l'ambition, ils prétendent transcender les coupures appauvrissantes entre disciplineset réduire l'écart qui sépare le technique du social. A travers un proposgénéralement inspiré d'expériences africaines, ils visent des publics très divers,généralement informés à des sources quine communiquent guère entre elles.
Gageons qu'une même irritation sai·sira ceux à qui l'on peut instiller plusd'intelligence technique et ceux que l'onconvie à un questionnement plus politique. Les premiers chercheront en vaindans ces pages le renouvellement d'uncadre théorique; les seconds serontsevrés des recettes que nécessite la tâcheingrate de mise en ordre quotidienne
des hommes et des choses dans la ville.Au fil d'un propos exigeant et parfoisdéroutant, les uns et les autres ne trouveront ni un corpus de données de terrain prédigérées ni des réponses toutesfaites aux problèmes que pose l'urbanisation du tiers monde.
Villes en développement est un livre departi pris: l'urbain n'est pas seulementobjet de politiques, il est aussi objetpolitique. La réflexion sur les logiquesdu développement urbain éclaire l'identification des grands choix politiques àopérer; vient ensuite l'analyse des instruments mis au service de cespolitiques.
Sous prétexte d'urgence, les techniciens de la ville ne prêtent que trèsrarement attention à la superpositiondes logiques qui sont à l'œuvre dans laproduction de l'espace urbain. La logique coloniale, solidement charpentée endoctrine cohérente et contraignante, aété fondatrice de villes surtout en Afrique noire. Cette logique n'a pas perdutoute son actualité dans un urbanismedu symbole et du monument ne s'intéressant qu'à la ville légale et 'dans lespratiques urbanistiques qui, au-delà desindépendances, sont restées fortementrépressives et ségrégatives. Les Étatsnouvellement créés se trouvaient cependant confrontés à des régularités nou-
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REVUE DES LIVRES
velles tenant à leur situation de dépendance et au type de rapports qu'ilsentretiennent avec la société civile. Ilsont subi, ces dernières années, une nouvelle logique de « mondialisation des villes. découlant à la fois du redéploiement des activités productrices àl'échelle planétaire, de l'inscription dela migration sur le territoire du mondeet de l'universalisation des modèles deconsommation. Si puissantes que soientces déterminations, il y a une spécifIcité de l'urbain et de l'aménagementspatial qui rend hasardeuses les extrapolations systématiques. Le coup dechapeau des auteurs à la démarche anthropologique est, à cet égard, bien venu.
Pour éclairer les grands choix politiques qu'implique le développementurbain, les urbanistes doivent s'astreindre à deux démarches préalables: fairede constants détours par le rural etaccepter de prendre en considération lesclivages sociaux pour concevoir unordre spatial adapté. Est-ce faire unmauvais procès aux urbanistes que designaler qu'ils respectent rarement cespréalables? Nous y voyons plutôt unvibrant appel à la lucidité et à l'ambition. L'ensemble de ce chapitre se présente comme un démenti argumentéadressé à tous ceux que tenterait1'« urbano-dictature •...
Face à la crise, le droit à la ville estmoins que jamais le droit fondateur despolitiques urbaines et l'urbanisme contemporain que décrivent G. Massiah etJ.-F. Tribillon n'est guère en positionde faire des choix. Placé sous la strictedépendance d'ordres étatiques parfoiscontradictoires, il n'est guère incité às'inspirer d'une réflexion stratégique surla relation au marché mondial, les rapports entre développement et démocratie ou les alliances de classes pourtantinséparables de toute action d'aménagement. Enfermé dans un économismesommaire (la solvabilité, la récupérationdes coûts...), il a tendance à se réfugierdans ce que les auteurs appellent une« amnésie de l'habiter. alors même quel'habitat est plus que jamais le noyaudur des politiques urbaines.
A l'effacement théorique s'ajoute ledépérissement de l'instrument urbanis-
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tique. Les chapitres sur l'instrumentation sont sans doute les plus stimulantsdu livre. Rejetant « l'inventaire de boîteà outils., les auteurs posent a priorique le choix des systèmes d'opérateursest plus important que celui des instruments techniques. Ils se refusent, nonsans provocation, à charger un peu plusle panier de l'aménageur dans les troisdomaines qu'ils considèrent commedécisifs: le foncier, le locatif et les fIlières d'habitat.
S'agissant du foncier, la croyanceprévaut qu'en assurant la sécurité foncière, on contribue à libérer les initiatives et l'épargne. Or l'expérienceprouve que la sûreté foncière ne découlepas forcément de l'accession à la propriété. Si l'on ajoute qu'en particulieren Afrique, on est très loin de disposer d'une assiette foncière stable, il fautbien passer par l'identification précisedes rapports mutuels de domination etd'exclusion qu'entretiennent entre ellesles filières de production et s'orientervers la reconnaissance d'un « droit intermédiaire. collant aux pratiques réellesdes citadins.
On ne peut pas plus se contenterd'un simple encadrement administratifdes rapports entr~ propriétaires et locataires; ces rapports structurent fortement les formations sociales des villesdu tiers monde (voir Abidjan côté cour,Karthala, 1987) et ils doivent fairel'objet d'un traitement spécifique impliquant une connaissance fine des négociations à l'échelle locale.
Dans le domaine essentiel des filières d'habitat, la nécessité d'une gestionsociale de l'urbain est encore plus manifeste. Va-t-on persévérer dans l'impossible recherche d'une adéquation entreles revenus et les coûts? Est-il réalistede prétendre gérer les villes prolétairesà coups de permis de construire et debornages au centimètre? Doit-on continuer à céder au retichisme de la domiciliation du salaire et de la garantiehypothécaire?
Le démontage préalable des logiques,des filières et des systèmes d'opérateursest indispensable pour comprendre lesvrais enjeux de la construction et suivreles mille ruisseaux de l'épargne.
L'urbaniste, ou plutôt l'équipe
d'urbanisme (comprenant des juristes,des ingénieurs, des sociologues, etc.)devrait être au centre d'un processuspolitique de prise de décision quotidienne. Au lieu de cela, elle soliloque,trop empressée à projeter une ville endehors de toute expression des citadins.Par les effets conjugués d'une information déficiente et de l'extrême pauvretéde la réflexion doctrinale, les urbanistes en sont réduis à considérer les villes du tiers monde comme des formesprimitives de la ville industrielle dontil suffirait d'appauvrir jusqu'au dénuement les techniques classiques.
Mais que l'on n'attende pas desauteurs un plaidoyer en faveur de1'« urbaniste aux pieds nus " apologuede la misère préoccupé d'évacuer laquestion du politique à travers l'instauration d'un illusoire dialogue directentre le peuple et les techniciens. Laquestion de la «participation populaire • est traitée sans naïveté. D'autrestravers naïfs de l'urbaniste populistesont en revanche épinglés: le progressisme de la ligne politique ne suffit pasà garantir le progressisme de la ligneurbanistique mais, à l'inverse, ce n'estpas l'éloignement de la règle qui garantit la qualité sociale et politique de lagestion urbaine.
Il demeure que l'on doit gérer souscontrainte, par approximations et compromis, des cités que l'on ne sait plusplanifier. Le meilleur cadre pour cepilotage à vue est-il le cadre communal ? Le « retour des communes" pronostiqué par les auteurs mériteraitd'autres développements, mais il est vraique germent, en particulier en Afriquenoire, des projets communaux quidésarçonnent les opérateurs étrangersmal préparés à situer judicieusement latechnique et le droit par rapport auxsavoirs et aux savoir-faire des usagers.
Mettre tous les acteurs de l'urbain ensituation de débat, telle est l'immenseambition de ce livre qui ne se contentepas de dénoncer les dangers d'une toutepuissance de l'idéologie urbanistique. Ony trouvera aussi quelques clés pours'occuper enfin de la «ville réelle. etanalyser sérieusement les puissants mécanismes d'exclusion dont les villes du tiersmonde sont le cadre. [E.L.B.]
REVUE DES LIVRES
PEAN (Pierre) - L'argent noir: Cor·ruption et sous·développement.Paris, Fayard, 1988, 278 p.
Quand P. Péan, en 1983, a publiéAffaires africaines, je n'ai pas cru la moitié de ce qu'il disait et je pense toujoursqu'il s'est avancé à cette occasion avecun peu trop de légèreté dans le mondeopaque des services secrets. L'argent noir,son nouveau livre, est d'un niveau biensupérieur. Il s'agit d'un dossier en béton,bien ficelé, bien argumenté, écrit avectoute l'indignation que mérite le sujet.Il y a de quoi, en effet.
Il est indéniable, d'abord, qu'unepartie de l'argent prêté par les paysriches aux nations pauvres s'est envolée en commissions et autres «arrosages • et dort aujourd'hui tranquillementdans des comptes numérotés en Suisse.Mais il y a pire: beaucoup de projetsde « développement. ont été jugés principalement en fonction des pots-de-vinqu'ils permettaient de dégager, alors queles banquiers et les industriels occidentaux, dans leur hâte de recycler lespétrodollars arabes, ne se sont pointpréoccupés de la rentabilité économiquedes « éléphants blancs. qu'ils ont réussià placer un peu partout, et notammenten Afrique noire. Résultat : la dette despays du tiers monde dépasseaujourd'hui les 1 200 millards de dol·lars et rien, ou très peu, de solide n'aété construit pour permettre de rembourser ces sommes colossales.
Tel est, en résumé, le propos deP. Péan. Certes, la plupart des faitscités par l'auteur étaient connus, àl'exception peut-être des mécanismesparisiens ayant permis à quelques grosses boîtes françaises de faire des superprofits sur le dos de leurs concitoyenscontribuables; mais l'auteur a eul'immense mérite de mettre le toutensemble et d'en faire une analyse globale qui n'épargne personne. En Ce quiconcerne plus particulièrement l'Afriquenoire, il consacre des chapitres excellents au Zaïre et à la Côte-d'Ivoire quisont des modèles du genre. D'autreschapitres (sur la Sierra Leone) sont unpeu maigres, mais dans l'ensembleP. Péan a fait œuvre utile et espérons-le - salutaire. [R.B.]
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REVUE DES LIVRES
DADI (Abderahman) - Tchad: l'Étatretrouvé. - Paris, L'Harmattan, 1987,222 p.
J'avoue que j'ai commencé à lire celivre avec un préjugé. Peut-on mener,quand on est tchadien, une double carrière de chercheur et d'administrateur,comme prétend le faire A. Dadi dans laprésentation de son livre? N'est-ce passe condamner automatiquement à lacomplaisance à l'égard des autorités enplace? Eh bien, non! L'auteur nousprésente en effet une analyse de l'évolution politique du Tchad depuis l'indépendance qui ne fait pas la part tropbelle à Hissein Habré et qui se distingue généralement par un ton neutre,détaché. Reproduisant pour l'essentielune thèse soutenue en mars 1984 pourl'obtention du doctorat de 3< cycle descience administrative (soulignons« administrative~, car cela se sent),A. Dadi a eu, par exemple, l'honnêtetéde publier son texte dans sa version originale, bien qu'allégée, sans céder à latentation de réécrire certains passagesou d'édulcorer certains jugements à lalumière des événements des dernièresannées. Ce qui le met parfois en porteà-faux par rapport à la doctrine officiellede son président, comme quand ildéfend courageusement des solutionsîedéralistes pour son pays (pp. 127-128).
De plus, ce livre est clair, bien écrit,relativement court et le texte nes'encombre pas des lourdeurs habituelles des travaux universitaires. C'est doncun bon exemple de vulgarisation scientifique qui sera tout à fait utile auTchad.
Cela dit, on peut émettre quelquesréserves. L'une des thèses centrales del'auteur est qu'à l'indépendance rien neprédestinait le Tchad aux malheurs dudébut des années quatre-vingts et queles pays africains étaient tous dans dessituations relativement proches les unesdes autres, la plupart des handicapsétant de même nature. Je ne partage pascette idée - ce qui n'est pas grave ensoi - mais il me semble que l'auteur,au cours de sa démonstration, n'apportepas de preuves suffisantes pour fonderson hypothèse et qu'il se contredit d'ail-
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leurs lui-même (p. 128). A. Dadi mesemble aussi trop enclin à privilégier lesaspects ethniques et régionaux des différents conflits tchadiens et à occulterleurs dimensions politiques qui existentdans bien des cas. En ce qui concerneles critiques de détail, on doit signalerles cas trop fréquents d'affirmationshâtives ou même carrément erronéesqu'il serait fastidieux d'énumérer, maisqui montrent que l'auteur n'a pas prisla peine de faire relire son texte avantpublication. Dernière remarque: lespages consacrées à l'action du Comitépermanent dans la zone méridionale de1979 jusqu'en 1982 sont vraiment troppartisanes et feront hurler, à juste titre,plus d'un Sudiste. [R.B.]
LE BRIS (Émile), MARIE (Alain),OSMONT (Annik), SINOU (Alain) Famille et résidence dans les villesafricaines. Dakar, Bamako, SaintLouis, Lomé. - Paris, L'Harmattan,1987, 268 p. (Villes et Entreprises).
Paru au cours de l'Année internationale des sans-abris, cet ouvrageaborde les problèmes liés à la «boulimie d'espace ~ dans les villes africainesd'une façon absolument saisissante.Refusant de se laisser enfermer dansune dichotomie figée du type tradition/modernité et essayant de briser lepréjugé selon lequel l'intégration à laville se traduit par la destruction dessolidarités familiales, les auteurs ontapporté une contribution importante àla compréhension des processus d'urbanisation en Afrique. Le livre comportequatre contributions individuelles (précédées d'une introduction et terminéespar une conclusion collectives) quireprennent les ·résultats d'une recherchemenée par une équipe pluridisciplinairesur les pratiques de l'espace habité àDakar, Rufisque et Saint-Louis (Sénégal), Bamako (Mali) et Lomé (Togo).Sur le plan de la présentation, on constate d'abord le travail soigné des illustrations (photos, dessins, cartes, schémasgénéologiques). Il faut regretter pourtant
l'absence de notes (il est vrai qu'il s'agitlà d'une prédilection personnelle) etd'un index (négligence blâmable, maisquasi générale dans les ouvragesfrançais).
La ville de Lomé fait l'objet dedeux contributions. Dans la périphérieloméenne, E. Le Bris analyse les pratiques diverses utilisées par la populationpour trouver un «chez soi» et créerainsi l'espace quotidien. Sur la based'études de cas, l'auteur réussit à montrer de façon animée la complexité etla dynamique des structures familialesrésultant de l'intégration à la ville.A. Marie situe son étude dans quelquesquartiers anciennement urbanisés deLomé. L'analyse des structures lignagères lui permet d'aboutir à une desconclusions-clés de l'ouvrage, à savoirque la réalité urbaine impose souvent,entre la famille étendue et la famille élémentaire, une figure de compromis trèssouple: la famille élargie.
Les recherches comparativesd'A. Sinou menées à Bamako et à SaintLouis montrent deux processus opposés: un quartier «spontané» deBamako où, malgré l'absence de programmation, l'espace tend à se régulariser, tandis que dans un quartieranciennement loti de Saint-Louis,l'espace habité continue à subir toutessortes de transformations; là, l'espaceprogrammé a tendance à se démodéliser. La conclusion de cette contributionest spectaculaire et la leçon que l'auteuren tire - abandonner la recherche d'unmodèle passe-partout de l'habitation etfavoriser les adaptations inventées parles utilisateurs - mérite toute l'attention. Une seule remarque critique pourtant: les références à la situationurbaine dans l'Europe du Moyen-Ageou du XIX' siècle m'ont donnél'impression peut-être erronée d'uneapproche évolutionniste des phénomènesurbains en Mrique. Dans la conclusiongénérale, les auteurs se défendent d'ailleurs expressément d'une telle intention.
L'étude monographique parA. Osmont d'un segment de lignagedont les membres sont dispersés en plusieurs lieux de résidence à Dakar et àRufisque témoigne d'une granderichesse historique et anthropologique.
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Elle met en évidence le rôle primordialde la solidarité familiale dans les stratégies spatiales ainsi que dans les stratégies de promotion sociale etéconomique.
En reprenant les deux mots-clés dutitre de l'ouvrage, il est frappant deconstater dans quelle mesure ceux-cirésument la méthode de recherche utilisée et les conclusions principales del'étude. Dans le contexte urbain africain, les auteurs définissent la famille élargie ou étendue - comme un réseau,c'est-à-dire un système identifiable derelations sociales et économiques fondées sur les relations de parenté. Larésidence n'est pas assimilée à un seullieu d'habitation, mais est considéréecomme un système résidentiel, c'està-dire un ensemble de plusieurs unitésd'habitation où les membres d'unemême famille se sont installés. Ces précisions ont obligé les chercheurs à descendre à l'échelle microsociale, à affiner les unités d'enquête et à utiliser lesdonnées de la méthode anthropologique.La corrélation observée entre la famillecomme réseau et la résidence commesystème résidentiel a abouti à uneanalyse fine et à caractère prospectif desproblèmes liés à l'espace urbain.
Cela ne veut aucunement dire quel'ouvrage nous offre des recettes « clésen main » pour résoudre les besoins descitadins africains en matière de logement et d'aménagement de l'espace.Mais en mettant en valeur les stratégieset les pratiques des différents acteurssur l'échiquier urbain, cette étude ouvreune piste de recherche qui s'inscrit dansun mouvement actuel dans le milieu desrecherches sociales où l'on essaye dedévelopper une théorie permettant decomprendre le sens des dynamiquessociales dans le domaine de l'espaceurbain et de mieux analyser la situationmouvante et confuse résultant du processus en cours. Sur le plan des politiques urbaines, il est à espérer quel'admiration réconfortante et justifiéedes auteurs pour l'aptitude des citadinsafricains à chercher eUx-mêmes desadaptations optimales à la nouvelle réalité urbaine éveillera des résonancesauprès des décideurs. [G.R.]
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BOESEN Uannik), HAVNEVIK (Kjell J.),KOPONEN Uuhani), ODGAARD (Rie)(éd.) - Tanzania. Crisis and Struggle for Survival. - Uppsala, Scandinavian Institute of African Studies,1986, . 325 p.
Malgré la crise et l'association desorganismes d'aide nordiques aux pressions exercées par le FMI, la filière académique scandinave reste fidèle à laTanzanie. Bien plus, la morositéambiante de la décennie quatre-vingts aincité les chercheurs danois, norvégiens,finlandais et suédois à tirer parti de leurexpérience de terrain (et de leurs publications antérieures) pour tenter un étatdes lieux susceptible de faire mieuxcomprendre comment le rendez-vous dudéveloppèment a été manqué, commentla situation de crise s'est diffusée et, cefaisant, d'aider à y trouver des issues.
L'unité de l'ensemble est placée parle groupe éditorial dans le thème dumal-développement, dont l'analyse exigeincontestablement un travail pluridisciplinaire. Les difîerentes contributionstraitent donc des problèmes sociaux(démographie, femmes, santé), économiques (d'un point de vue macroéconomique, mais aussi sectoriel : industrie, agriculture, artisanat), technologiques (mécanisation, gestion de l'eau) etécologiques (protection des sols, pastoralisme, faune sauvage). Le politiste netrouvera pas son compte en lisant latable des matières, ce qui peut paraîtreen soi étrange et, même si en définitive on en saisit quelque raison, tout àfait regrettable. Mais comme les auteursne sont pas naïfs, et comme le politisteest curieux de tout et sait lire, y corn·pris ce qui n'est pas écrit, il constateraqu'en fait, l'objet de sa recherche estprésent tout au long des chapitres quisont autant de facettes des politiquessectorielles tanzaniennes.
Davantage frustré sera celui quiattendait quelque analyse replaçant laTanzanie dans le système international.Certes, le groupe éditorial annonce bienqu'il privilégie les aspects • internes _du développement; ce choix initial estquand même sérieusement discutable àpartir du moment où la problématique
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est, nous dit-on, centrée sur le développement et que, dans le cas de la Tanzanie, celui-ci a suscité de multiples fluxinternationaux publics et privés auxquels les pays scandinaves ont abondamment contribué (à moins que cela nevienne donner l'explication du silencedes chercheurs ?). Bien sûr, l'impassen'est pas totale et l'on trouve, au travers des contributions, des référencesaux filières et implications étrangères.
Manque aussi à l'appel ce qui estsouvent présenté dans les discours officiels ou (un peu trop) rapides commeun des (trop rares) fleurons de la politique tanzanienne: l'action éducative etculturelle. Il eût été pourtant nécessairede disposer d'une analyse précise sur cethème qui constitue une des conditionsfondamentales de toute politique dedéveloppement, et ce n'est que demanière très diffuse que certains aspectssont évoqués dans différents chapitres.
La plupart des contributeurs sontconnus par leurs travaux antérieurs oucontemporains de cette publication; ilsn'innovent donc guère, mais condensentplutôt leur argumentation, ce qui n'estpas sans intérêt pour qui veut • entrer dans l'étude de la Tanzanie. Onretrouve les qualités de précision propres à l'. école scandinave -, s'appuyantsur des microanalyses de terrain. Onn'en regrettera que davantage le fait queles auteurs n'aient pas cru nécessaire dese concerter pour proposer une réflexionde synthèse sur l'état de l'expériencetanzanienne (l'introduction généraleporte seulement sur l'identification dela situation de crise).
Sans négliger les réserves qu'il suscite du fait de certains silences, il n'endemeure pas moins que l'on a ici unouvrage doublement essentiel: d'unepart pour connaître certains aspects dela Tanzanie, d'autre part pour avoir uneillustration des modalités et de la pertinence du travail de terrain. [F.C.]
SHIVJI (Issa G.) - Law, State andthe Working Class -in -Tanzania.1920-1964. - Londres/PortsmouthN.H./Dar es Salaam, J. Currey/Heinemann, Tanzania Publishing House,1986, 268 p.
Que 1. Shivji, quoique juriste, sedémarque radicalement du positivismejuridique traditionaliste ne saurait surprendre. Qu'il place son analyse sousles auspices du matérialisme historiqueet de la lutte des classes n'étonnera pasdavantage (d'ailleurs, au cas où onl'oublierait, l'éditeur rappelle sur lajaquette de couverture que Shivji estl'auteur de Glass Struggles in Tanzania.Assumant donc avec une vivacité intellectuelle inaltérée et un appareillagethéorique inébranlable sa fonction decontestataire institutionnalisé, l'auteurprésente ici une sorte ,d'histoire socialedu Tanganyika, de l'Etat colonial britannique aux premiers pas de l'Étatpostcolonial qui, révélant sa nature declasse, va faire ce que le pouvoir colonial n'avait pas fait, à savoir mettre aupas le mouvement syndical.
L'intérêt majeur de cette étude n'estpas dans ce qui fait son ambition théorique. La fidélité aux modèles-idéaux destructures et de conflits de classes imaginés par Marx, Engels ou Léninen'emporte pas la conviction, surtoutlorsqu'on s'efforce de les transposerdans une formation sociale essentiellement paysanne, peu industrialisée etqui, bien que placée en position desubordination dans un système de domination impérialiste, n'a pas (pasencore ?) sécrété un véritable prolétariat,mais seulement un salariat, groupesocial relativement exigu, sans doutealiéné (mais peut-être pas dans le sensque souhaiterait Shivji), mais certainement pas le plus exploité. L'auteur estd'ailleurs bien obligé de reconnaître soncaractère composite et incertain, oscillant entre une forme de «semiprolétariat ~ et diverses formes de« petite bourgeoisie~, peut-être nationalistes, mais certainement pas révolutionnaires. La quasi-indifférence danslaquelle l'État postcolonial met fin àl'indépendance du mouvement syndical
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ne pouvant s'expliquer par la seuleforce répressive de l'État, ainsi que lereconnaît l'auteur, le lecteur peut rester sceptique sur l'importance effectived'un mouvement social (la classeouvrière, incarnée par les syndicats) quidisparaît de la scène sociopolitique parle jeu du simple retournement dequelques-uns de ses dirigeants et l'arrestation temporaire de quelques autres;ceci tendrait à prouver que l'auteur aquelque tendance à idéaliser à sa façonune réalité sociale complexe, conflictuelle certes, mais où les concepts-clésde toute lutte de classes dans unsystème capitaliste (bourgeoisie, prolétariat, appropriation privée de moyens deproduction, mobilisation, conscience declasse, pour ne pas ajouter aussi État)apparaissent singulièrement évanescents,sinon totalement absents.
Quant à la théorie critique du Droit(premier terme du titre), elle est présente en ouverture (p. 1) et en conclusion (p. 242) et ne pourrait bouleverserque quelques attardés qui ne veulentpas encore reconnaître que la normejuridique est produite par la société, etplus particulièrement par les groupessociaux dominants de cette société(<< classes ~ ?). Poser, comme le faitl'auteur, que « le droit n'a pas d'histoirepropre ~ n'en est pas moins, une foisencore, réducteur: Marx avait écrit celade l'idéologie en 1846; les marxistescontemporains reconnaissent qu'il s'étaitpeut-être laissé prendre au goût de laformule auquel Shivji semble avoir aussicédé.
Il ne faudrait cependant pas se laisser prendre au piège de la controversethéorique, car l'ouvrage contient unefort intéressante histoire des conflitssociaux et de la trajectoire du syndicalisme au Tanganyika. L'analyse est alorsassortie d'abondantes données factuelleset quantitatives qui, sans être toujoursinédites, n'en viennent pas moins utilement illustrer l'argumentation et fontde cette étude un ouvrage de référence.Mais pour ce qui est effectivement dela Tanzanie contemporaine, il faudra sereporter à d'autres sources, commeP. Mihyo, Industrial Conf/iet and Changein Tanzania (TPH, 1983). [F.C.]
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HESSELING (Gerti) - Histoire politique du Sénégal. Institutions, Droitet société - Paris, Karthala et ASC1985, 437 p. (Hommes et sociétés).
MATHIEU (Paul) - Agriculture irriguée, réforme foncière et stràtégiespaysannes dans la vallée du fleuveSénégal (1960-1985) - Arlon, Fondation universitaire luxembourgeoise,1987, 414 p. (multigraphié).
ENGELHARD (Philippe) (sous la direction de) - Enjeux de l'aprèsbarrage, vallée du Sénégal - Dakar,ENDA et Paris, République française,ministère de la Coopération, 1986,632 p.
Le livre de G. Hesseling, a pourobjet immédiat de faire un bilan de laréception du droit constitutionnel del'ancien colonisateur. Ce bilan, dit enconclusion G. Hesseling en 1985, «nepeut se qualifier ni de choquant ni desensationnel. Le processus de réceptions'est déroulé sans grands événementsdramatiques. (p. 379). Quels sont doncles facteurs qui ont provoqué uneimplosion au sein du système politiqueen février 1988?
A la complexité des faits à analysers'ajoute l'extrême sensibilité des élitessénégalaises à tout ce qui touche lathéorie du transfert de modèle (remarquablement traitée en introduction) etle mimétisme. Pour se faire comprendre de ses interlocuteurs, l'auteur élargit l'échelle temporelle pour dégagerdans les mutations politiques les «tendances lourdes. qui éclairent la périodecontemporaine. A la diflèrence de nombre d'Etats où l'unité de la lutte pourl'indépendance « fut brisée après que lebut eût été atteint et fit place à desguerres civiles, le Sénégal n'a pas connuce triste sort. (p. 379). Entre 1947 et1956, s'est en effet opéré un compromis historique entre systèmes hégémoniques, compromis dont L.S. Senghorfut le chef d'orchestre et dont l'enjeu
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fut l'appareil de l'État à construire puisà exploiter.
Replacé dans son contexte historiqu~, ce transfert recherché du modèled'Etat éclaire certaines attitudes aumoins pluricentenaires des élites sénégalaises qui ont subi la fascination demodèles plus performants, le modèle«impérial. de l'empire de Ghanajusqu'au XVI' siècle, puis le modèle« maraboutique. de l'islam berbère,enfin le modèle «démocratique. de laIlle République française, favorable aupoids des notables et au jeu desclientèles.
Mais au perfectionnement croissantdu système de domination dont les deuxfigures centrales sont, dans la languewolof qui est véhiculaire, d'une part leborom (responsable, maître, chef, patron)et d'autre part le bodolo (de ba et dolé,«sans force socialement.) correspondune idéologie soufi qui fut pendant unsiècle fondée sur un évitement, un refusde la confrontation. Mais, faute d'unGandhi, et sans doute en raison d'intérêts très matériels dans la productionarachidière, aucune contestation moralesérieuse n'avait entouré le monolitheétatique.
Il n'en est plus ainsi maintenant: lesdominants (plutôt que les possédants,qui ont pris leurs précautions) sontpréoccupés. Quelle voie adopter, cellede l'extraversion qui est, à terme, cellede l'américanisation ou celle de l'endogénéité avec le risque fondamentaliste?
Si G. Hesseling ne va pas aussi loin,c'est à la fois en raison de sa problématique et par prudence, non sans, aupassage, et à propos de la question, sensible entre toutes, de la « participationet de l'information. (pp. 301 et s.),s'être interrogée sur la « croissance sauvage de l'État. (p. 356) et sur le décalage entre les prétentions et l'intervention réelle.
Ce décalage fait, entre autres, l'objetdes recherches et des conclusions de lathèse de P. Mathieu, soutenue en septembre 1987 à Arlon. Le sous-titre del'ouvrage (<< une analyse des effets de lamodernisation agricole sur les transformations des espaces ruraux.) éclaire laportée de travaux concernant une étudeminutieuse des stratégies paysannes dans
cette zone test: la vallée du fleuveSénégal.
Sous réserve de mutations à venirdont on parlera dans Les Enjeux del'après-barrage, la vallée, côté sénégalais,a fait depuis 1960 l'objet de transformations considérables qu'on examine leplus souvent dans la seule perspectivede l'intervention de l'aménageur, laSAED. Depuis 1980, ces transformations se sont accélérées comme le montre l'auteur (pp. 104-125) et ont donnénaissance à des contradictions sensibles,renforcées par l'application, dans larégion, de la loi sur le domaine national de 1964 et de la réforme administrative de 1972. Or, ces contradictionsn'ont pas donné naissance à des réactions violentes. Il y a des « aspects paradoxaux» (p. 227) qui mettent en évidence deux légitimités qui doivent trouver de multiples «arrangements»(p. 229) et nécessitent un élargissementde la problématique: considérer «lesparadoxes comme des éléments constitutifs et nécessaires de la réalité étudiée,éléments qu'il faut réinterpréter, dontil faut étudier la rationalité effective»(p. 231).
Au terme d'une étude remarquabledes ambiguïtés de l'État, étude dominéeméthodiquement par un des premiersexemples maîtrisés d'analyse de processus, «de mise en valeur marchande...formellement démocratigue et... encadrée et orientée par l'Etat» (p. 294),l'auteur montre qu'il y a «du jeu»(slack), des opportunités à saisir, dans ladurée (dont dispose l'État) et enfin unmouvement irréversible dans l'affirmation du projet de développement... et...une adaptation souple aux situationssous la forme d'une «déstabilisationsociale induite et contrôlée» (p. 310).Citant les analyses foncières de SidySeck, l'auteur montre qu'il y a donctransition ménagée sans rupture socioculturelle brusque grâce à un on-dit efficace et qui repose sur « l'euphémisationcomme opérateur de transition" (p. 312).«Si rien ne sera plus jamais commeavant» (p. 316), les ajustements s'opèrent à des rythmes actuellement supportables, en tenant à distance le juridismedes réformes mais «en respectant endernier recours la loi de l'État» (p. 318).
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Dans les pratiques d'acteurs, derrière l'ambiguïté, le flou, les décalageset la confusion plus ou moins volontaireémergent « les anticipations, les interactions et les stratégies des acteurs et (...)se font en douceur des ajustementsponctuels et locaux dont la somme réalise une transformation sociale globale »(p. 320) dominée par la généralisationdu capitalisme. Même si les enjeux del'après-barrage vont peser sur les finances sénégalaises pour les remboursements à venir des prêts contractés, c'està l'échelle régionale qu'il faut en apprécier la virtualité.
Enjeux de l'après-barrage est unouvrage triplement original. Toutd'abord il fait honneur à la probitéintellectuelle d'un homme d'État (ausens original), le président Diouf, quipréface un ouvrage qui évalue sa politique sans griotisme. C'est également unouvrage qui met en évidence la qualitédu travail que réalise ENDA-TiersMonde à Dakar: Réunir un grandnombre de chercheurs et assurer uneécriture homogène et relativement peutechnique (ce dont on doit remercierl'éditeur scientifique). Enfin son élaboration et son édition ont été possiblesgrâce à l'appui du ministère français dela Coopération, appui fmancier maisaussi technique et pratique qui illustreles potentialités d'une intelligente politique de coopération.
Dans cet ouvrage, il y a d'abord uncollectif de chercheurs, majoritairementsénégalais, ayant accepté de se plier àune commune méthodologie qui « tentede concilier le poids des tendances lourdes, le jeu des acteurs et la prise encharge du changement à 1'« état naissant ». Il y a également un souci constant de réponses concrètes et d'élaboration de scénarios pour maîtriser certaines incenitudes qui affectent le développement au Sénégal et singulièrementsavoir si la sécheresse persistera ou non.
En effet les barrages de Manantali(au Mali) et de Diama (en amont deSaint-Louis du Sénégal) ont été conçusdans le cadre d'une « stratégie de maîtrise totale de l'eau» du fleuve (p. 29)et dans un contexte où, des trois objectifs assignés aux barrages (production
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d'énergie hydroélectrique, navigabilitédu fleuve, cultures irriguées), c'est letroisième qui prédomine.
L'enjeu principal est donc de réussir une irrigation contrôlée de superficies (250 000 ha) pour lesquelles il conviendra de financer de nouvelles interventions. Aux contraintes financières ilfaut ajouter d'autres facteurs: le foncier« euphémisé. avons-nous vu avecP. Mathieu, mais lourd de blocages àvenir; la démographie qui peut, paradoxalement, constituer un goulotd'étranglement; l'irrigation et la riziculture, qui ne vont pas de soi, et lesrythmes d'aménagement qui conduisentà proposer (p. 230) trois scénarios debase qui conduisent à quelques conclusions de bon sens. L'option riz ne peutêtre ni généralisée (ce qui implique unpartage de l'espace), ni intégralementassurée selon des méthodes modernes.Ceci implique une économie agricolevillageoise et familiale, un plan générald'aménagement de l'espace et, vraisemblablement, une nouvelle politique foncière, dans le cadre général d'une logique de la transition que détaille ladeuxième partie de l'ouvrage.
Après avoir examiné la place del'élevage et les réponses écologiques etsanitaires, dans les deux dernières parties, l'ouvrage reprend l'ensemble desconclusions partielles dans un diagnostic général (p. 627 à 632) que l'on résumera ainsi: si l'option pour l'irrigationest réaliste, ses coûts sont élevés et laperformance rizicole restera modeste,sinon médiocre. Il serait donc souhaitable qu'au terme d'un partage desespaces et des responsabilités, l'essentielde la production paysanne soit consacré «à des spéculations mieux valoriséessur le marché. (p. 629). Mais cettestratégie de « minimisation des risques.contradictoire avec « la logique du surplus poursuivie par l'État. exige, poursurvivre, une véritable autonomie paysanne: «substituer à la logique del'encadrement une logique de soutien.(p. 630). Or, s'interroge finalementl'ouvrage, «le problème consiste doncà savoir à quelles conditions politiquesces germes favorables d'autonomie pourraient produire leurs effets. (ibid.).
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Plaidant pour privilégier « l'espace,le temps et la famille ., l'ouvrage faitl'économie des déterminations politiquesà l'échelle nationale et des effets duplan d'ajustement structurel. Il ne peutdonc que poser le diagnostic, non proposer une posologie. Or, la solution estbloquée tant qu'on n'accepte pas deremettre en cause les systèmes de domination et le modèle d'Etat légué par lacolonisation. A suivre, donc, selon laformule des feuilletons. [E.L.R.]
DURUFLÉ (Gilles) - L'ajustementstructurel en Afrique (Sénégal,Côte-d'Ivoire, Madagascar). - Paris,Karthala, 1988, 205 p.
Ancien expert de la SEDES,G. Duruflé nous présente une synthèsed'études sur les déséquilibres structurelset les politiques d'ajustement en Mrique, menées sous sa direction de 1984à 1986, dans le cadre des travaux duBureau des évaluations du ministèrefrançais de la Coopération.
Le corps de l'ouvrage est consacréà la présentation et à l'analyse des origines des déséquilibres, du contenu etdes effets des politiques dites d'ajustement, tant macroéconomiques que sectorielles, successivement au Sénégal, enCôte-d'Ivoire et à Madagascar. Dansl'introduction et la conclusion, l'auteurnous livre sa philosophie de l'ajustement structurel et pèse les conditionsinternes et externes de sortie de crise.
La force de ce travail réside d'aborddans la rigueur méthodologique, quiconsiste à passer la masse impressionnante d'informations au crible d'uneanalyse économique systématique, maisqui sait ne pas tomber dans l'économisme. Il en résulte un texte très dense,peut-être trop dense parfois (on sent lagriffe de l'expert). Mais c'est le prix àpayer, nous semble-t-il, pour éviter lespièges de l'idéologisme conquérant et del'empirisme paralysant.
L'une des hypothèses fortes del'analyse est d'affirmer que les déséquilibres économiques (notamment desfinances publiques et des paiements
extérieurs), qui ont donné naissance auxpolitiques d'ajustement des annéesquatre-vingts, se sont manifestés dès ledébut des années soixante-dix. Plus précisément, l'origine principale de cesdéséquilibres doit être trouvée dansl'épuisement du modèle de développement sur lequel fonctionne la quasitotalité des pays de l'Afrique subsaharienne, modèle que l'auteur qualifie de« néocolonial » et dont les limites principales sont: le plafonnement de lacroissance (de type extensif) des produits agricoles d'exportation, l'étroitessedes marchés des produits industrielsd'import-substitution, Jes largesses et lafaible efficacité d'un Etat omniprésent.
Les prévisions de S. Amin de la findes années soixante sont donc confirmées. Et en affirmant que le modèlenéocolonial de développement n'est pasdurable, l'auteur met en évidence lanécessité de profondes réorientations.
La démonstration, abondammentillustrée sur les trois pays étudiés, estconvaincante mais ambiguë. En effet,elle peut conduire à conclure que lacrise est tout simplement le fruit d'unaveuglement des diflèrents intervenants(gouvernements, bailleurs de fonds,entreprises), accusés d'avoir cru dans lapérennité du modèle. Seraient ainsisous-estimés les efforts fournis pour promouvoir un autre type de développement, allant dans le sens notammentd'une intensification du processus deproduction. Il faut donc rappeler quele maintien du modèle néocolonials'explique également par la difficulté demise en œuvre d'un nouveau modèle.Les modifications de l'environnementinternational qui ont suivi les deuxchocs pétroliers ont rendu ce passage àla fois plus urgent et plus délicat.
G. Duruflé est parfaitement conscient des difficultés de cette transition.A propos de la Côte-d'Ivoire, il souligne que « le problème posé est celui del'intensification de l'agriculture villageoise. Les efforts déployés dans ce sensont eu jusqu'ici des effets extrêmementréduits» (p. 99). «Celle-ci (l'intensification) ne pourra se faire du jour au lendemain» (p. 101). Sur cette question,comme sur toutes propositions de solution, la prudence est de rigueur.
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L'auteur estime néanmoins qu'il ya une certitude: les politiques actuelles ne débouchent que sur une « gestionde l'enlisement» (p. 14), et contribuentà renforcer la marginalisation des économies africaines. Toute reprise d'unecroissance soutenue et plus équilibréesuppose qu'un certain nombre de préalables soient levés, en particulier «lelaminage du fardeau de la dette (d'unefaçon ou d'une autre) et l'apportd'argent frais» (p. 15).
S'il n'est donc pas possible de définir à priori un programme idéal, sedégagent malgré tout certaines orientations souhaitables, et notamment:
- éviter tout dogmatisme, et trouver des solutions équilibrées, adaptéesaux potentiels locaux; ainsi, en matièrede réglementation des échanges avecl'extérieur, une trop grande ouverturedes frontières peut conduire à la disparition pure et simple de certains secteurs de production (risque très réel enCôte-d'Ivoire), mais par ailleurs, unetrop fone « déconnexion» peut être suicidaire (cas très explicite deMadagascar) ;
- favoriser une baisse des normesde consommation, ce qui suppose uneremise en cause de la répartition desrevenus;
- promouvoir une meilleure allocation des ressources, par le renforcementsimultané du rôle du marché et del'efficacité des interventions de l'État.
Certes, ces politiques se heurtentaux résistances des groupes privilégiés,résistances d'autant plus fortes « qu'onne repère pas clairement d'autres groupes qui soient favorisés par le processus d'ajustement» (p. 17). On peutnéanmoins se demander si l'aggravationde la situation financière ne va pasentraîner un bouleversement des données du jeu politique, allant notammentdans le sens du renforcement du caractère répressif de l'État. Mais par ailleurs, certaines mesures d'ajustement, eten particulier la libéralisation des marchés, constituent de nouvelles ressources politiques.
«Ce sont fondamentalement lesdynamiques locales qui construisentl'avenir» (p. 18). Cette affirmation, quis'apparente à une profession de foi, a
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le mérite de rappeler les limites d'unepolitique économique c par le haut-.Dans cette perspective, le livre deG. Duruflé est à la fois une leçon demodestie et un puissant outil de travail.[B.C.)
HOUNTONDII (Paulin J.) (sous la direction de) - Bilan de la recherchephilosophique africaine, Ir. partie,1900-1985, vol. 1, (A à M). - Conseilinterafricain de la philosophie/InterAfrican Council for Philosophy (disponible BP 1268, Cotonou, R.P. duBénin), 339 p.
Le travail effectué par P. Hountondji et son équipe est tout à fait passionnant. Il s'agit d'une carte d'undomaine souvent mal défini: celui dela philosophie en Afrique, et noncomme on le sait, celui de la philosophie africaine. Nous avons ici, ensomme, le corpus de textes qui relèventde la pratique universelle de philosopher, c'est-à-dire de réfléchir sur la logique des processus intellectuels et leursrapports aux grandes questions jamaisépuisées que sont Dieu, la vérité, lascience, etc. Pourtant, malgré le cadreprécis que souhaite délimiter l'auteurfidèle à ses propres travaux, cette bibliographie laisse un sentiment étrange:pourquoi filtrer chez certains penseursce qui relèverait de cette définition etce qui y échapperait? Ne serait-il pasplus opératoire de conserver, comme lefaisait naguère V. Mudimbe, la notionde pensée africaine, d'extension certesplus large, et d'une compréhension plusréduite?
A vouloir mêler les plans synchroniques (position d'une discipline) etdiachroniques (constitution progressived'un champ scientifique), à tracer lescontours du domaine, tout en cherchantles origines de propriété, l'auteurembrouille un peu les cartes! Ces quelques réserves n'enlèvent rien de notreestime à un travail de pionnier qui asa place dans toutes les bibliothèques derecherche sur l'Afrique. [A.R.)
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EQUIANO (Olaudah) - La véridiquehistoire par lui-même d'OlaudahEquiano, Africain, esclave auxCaraïbes, homme libre. - (traduitde l'anglais par Claire-Lise Charbonnier), Paris, Ed. caribéennes, 1987,167 p. (c Précurseurs noirs -).
1789 devrait être l'occasion de célébrer le 200· anniversaire de la littérature nigériane. C'est en effet en cetteannée, assez mouvementée chez nous,plus calme de l'autre côté de la Manche, que parut le livre d'OlaudahEquiano.
Vendu tout jeune à des trafiquantsd'esclaves, Olaudah Equiano étaitdevenu marin et avait finalement acquissa liberté. Le souvenir des épreuvesendurées lui fit composer un récitvivant et précis, à tel point que l'on apu situer exactement le lieu de naissance et l'ethnie d'origine de notreauteur: il était ibo et cela fait de luile premier écrivain nigérian anglophone...
Olaudah Equiano fit fortune, épousaune Anglaise, et devint une personnalité des campagnes anti-esc1avagistes.L'Abbé Grégoire lui consacre quelquespages dans De la littérature des Nègres.Pourtant, ce récit n'avait curieusementjamais été traduit en français! Saluonsdonc les éditions caribéennes pour leurexcellente initiative; regrettons cependant de ne pas disposer de la traduction intégrale de ce texte qui est à lafois l'histoire d'une aventure vécue etun document politique. [A.R.)
CURTIS (Donald), HUBBARD (Michael),SHEPERD (Au) et al. - PreventingFamine : Policies and Prospects forAfrica. - LondonlNew York, Routledge, 1988, 250 p.
En 1988, on s'interroge encore surles moyens de prévenir les famines, uneréalité vieille comme la planète. Ons'aperçoit que dans ce domaine rienn'est simple, d'autant que le débat est
occulté par la médiatisation des arguments et les querelles idéologiques. Lesauteurs empruntent trois directions dansleur recherche des déterminants et dessolutions: les facteurs macroéconomiques, les «leçons" de l'expérience indienne chères à la fondation«Liberté sans frontières" (ici, B. Harriss relève ce qui n'est pas applicableà l'Afrique), le rôle des ONG et desgouvernements. Sur un sujet sensible,des auteurs impliqués apportent unemoisson de réflexions pertinentes sur lesenchaînements de circonstances qui ontentraîné au Soudan comme en Éthiopiela venue de catastrophes, au Botswanaet au Gujarat, la maîtrise des pénuriesaccidentelles, dans des régions toutesvulnérables.
Les auteurs distinguent bien leseffets à long terme des mesures structurelles et la question de la gestionadministrative de l'urgence qui, dans cedomaine, est loin d'être maîtriséecomme il convient par les États oul'assistance technique ou humanitaire. Achaque cas étudié - Bangla Desh ouSoudan -, les auteurs relèvent les problèmes de régulation, domaine par excellence du politique, qui devrait permettre de faire face aux accidents souventprévisibles. Gérer des stocks, redistribuer des surplus ou de l'aide, mettre enœuvre une réglementation précise contre la famine, maintenir un réseau de
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boutiques de produits de base subventionnés ne s'improvise pas. De plus, lafaim est une arme que l'on n'hésite pasà utiliser en Afrique. Cela s'explique-til par l'absence d'opinion publique, opinion qui s'exprime fortement en Indesur de tels sujets?
Au-delà de ces aspects conjoncturels,les auteurs abordent la question crucialede la recherche technologique et de laliaison recherche-développement. Ilsplaident pour une «révolution" en cedomaine: la «révolution verte" nemarchera pas comme en Asie et larecherche agronomique doit s'intéressertout autant aux zones marginales qu'auxrégions plus avantagées; l'appareil derecherche doit être inséré dans la vienationale et développé. A l'énoncé deces recommandations, on voit qu'il y aun long chemin à parcourir dans lesinstances du Groupe consultatif de larecherche agronomique internationalequi domine le secteur (les instituts français correspondants ayant abandonnétoute velléité de faire entendre leur différence) comme dans les élitesnationales.
Voici un livre nuancé qui, sans êtrecomplet, fait le point sur cette questioncontroversée et dont on peut recommander la lecture à ceux qui veulent y voirplus clair sur les causes... mais surtoutles types d'action souhaitables et possibles. [G.C.]
ERRATUMDans l'article de ].-P. Daloz sur l'administration locale au
Nigeria, paru dans le Magazine du numéro 32, il fallait lirepage 94: Il les seconds reprochent aux premiers de se réserver le monopole de l'allocation des contrats, comme à Ilorin.On peut observer parfois dans les zones rurales des oppositions entre de jeunes chairmen très diplômés... »
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ORSTOM
INSTITUT FRA~ÇAIS DE RECHERCHE SqENTIFIQUEPOUR LE DEVELOPPEMENT EN COOPERATION
GAILLARD J. - Les chercheurs des pays en développement. Origines, formations et pratiques de la recherche.1988, 184 p. (Et. Th.) (0878-6).
BARBIER J .-C. - Migrations et développement. Larégion du Mongo au Cameroun. [et CHAMPAUD J., GENDREAU F.], 1983, 372 p., 27 cartes, (TD, 170) (0712-7).
BARRAL H. - Les populations nomades de l'Oudalanet leur espace pastoral. 1977, 120 p., 37 photogr., 8 cartesann. n. (TD, 77) (0467-5)
BENOIT M. - Oiseaux de mil. Les Mossi du Bwamu(Haute-Volta), 1982, 120 p., 18 fig. (MEM, 95) (0626-0)
BOUTRAIS J. - Mbozo-Wazan. Peul et montagnards aubord du Cameroun. 1987, 154 p., 9 pl. photogr. 7 cartes ann.n. et coul. (ASAS, 22) (0840-0).
BOUTRAIS J. - Des Peul en savanes humides. Développement pastoral dans l'ouest centrafricain. 1988, 392 p., 20photogr., 1 carte ann. n. (Et. Th.) (0824-7).
DUPRE G. - Les naissances d'une société. Espace et historicité chez les Beembé du Congo. 1985, 418 p., 19 photogr.(MEM, 101) (0688-0).
FIELOUX M. - Les sentiers de la nuit. Les migrationsrurales lobi de la Haute-Volta vers la Côte-d'Ivoire. 1980, 200p., 4 pl. photogr., 21 fig. (TD, 110) (0479-9)
MINVIELLE J.-P. - Paysans migrants du Fouta Toro.1985, 282 p., 38 fig. (TD, 191) (0771-2)
Nord (le) du Cameroun, des hommes, une région. 1984,554 p., 81 fig., 37 photogr., 3 cart. ann. (MEM, 102) (0689-9).
ÉDITIONS DE L'ORSTOMLibrairie/Diffusion
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RÉSUMÉS
RÉSUMÉS
M'Hamed BOUKHOBZA: SOCIÉTÉ NOMADE ET ÉTAT EN ALGÉRIE
La colonisation a détruit le nomadisme en Algérie générant une crise aggravée par les sécheresses de 1944-1947 et la guerre d'indépendance. La vision moder·niste de l'État-nation algérien évacue le fait nomade. Socialement décapité de sesélites, économiquement amoindri, le nomadisme tend à devenir une relique dansun projet de société mû par une dynamique de transformation sans précédent.
André BOURGEOT : LE UON ET LA GAZELLE: ÉTATS ET TOUAREGS
Trois cas (Algérie, Mali, Niger) illustrent le devenir des touaregs saharosahéliens, conditionné par des circonstap.ces historiques et climatiques, et par lesorientations politiques et le poids des Etats considérés. Des capacités de flexibilité sociale, un sens aigu du politique et du pouvoir, des tactiques d'esquive permettent à ces pasteurs-nomades d'être partie prenante de rapports de force politique moderne.
Salmana CISSE: PRATIQUES DE SÉDENTARITÉ ET NOMADISME AU MAU. RÉALITÉSOCIOLOGIQUE OU SLOGAN POLITIQUE?
Les nomades maliens représentent 7 % de la population évoluant sur les 2/3du pays. Trois exemples analysent des actions de sédentarité. La sédentarisation,entérinée à partir du moment ou l'administration recense les nomades sur leurlieux de fixation, n'est envisagée par beaucoup de pasteurs que comme transitoire. fi existe en fait une politique de suivi et d'encadrement de camps de sédentarité qui se font et se défont en fonction des aléas climatiques et des interventions financières étrangères.
John G. GALATY PASTORAUSME, SÉDENTARISATION ET ÉTAT EN AFRIQUE DEL'EST
Considérer la sédentarisation comme la solution aux problèmes actuels des socié·tés pastorales provient d'idées reçues relatives aux causes des crises alimentairesrécurrentes en zones arides et semi-arides. En réalité, ces crises proviennent dudilemme de la sédentarisation et non pas du nomadisme. Face aux politiques defIXation, le nomadisme, par le biais de l'élevage extensif, reste une stratégie quasiindispensable à l'occupation humaine des zones arides. Le défi politique n'est pasd'adapter les nomades à des systèmes préconçus de sédentarité mais de renforcer au mieux la vie pastorale.
Aden M. DILLEYTA LES AFARS ET LES POUVOIRS ÉTATIQUES DANS LA CORNEDE L'AFRIQUE
Les Afars sont confrontés à l'extension des grandes plantations irriguées auxdépens de leurs terrains de parcours en Éthiopie et aux progrès de l'urbanisationà Djibouti. Après une période de résistance, les Mars, déstabilisés par la répétition des sécheresses, sont en voie de sédentarisation. La création d'une région autonome afar en Éthiopie sauvera-t-elle l'originalité culturelle de ces populations?
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RÉSUMÉS
Emmanuel FAUROUX: BŒUFS ET POUVOIRS, LES ÉLEVEURS DU SUD·OUEST ETDE L'OUEST MALGACHES
Les agropasteurs du sud-ouest et de l'ouest malgaches ont affronté des profon.des transformations qui touchent actuellement le monde rural dans de mauvaisesconditions: ils sont mal placés par rapport aux nouveaux pouvoirs régionaux etsont mis en difficulté par les avancées de l'économie moderne. Mais le bœuf resteau centre de l'idéologie cérémonielle et de toutes les stratégies. Les rares pro·priétaires de grands troupeaux se servent de leur richesse pour créer des réseauxde clientèle qui leur permettent d'étendre leur prospérité à d'autres activités économiques, notamment la riziculture.
Henri GUILLAUME .. L'ÉTAT SAUVAGE..... : PYGMÉES ET FORÉTS D'AFRIQUECENTRALE
En dépit de leur aspect résiduel et de leur marginalité, les sociétés pygméessont exemplaires de mutations contemporaines que connaissent les sociétésnomades.
y a-t-il encore place pour les' pygmées en forèt ? Compte tenu des intérêts économiques représentés par les zones forestières et des stratégies de développementen œuvre, toute issue autre que leur sédentarisation, généralement source de désé·quilibres aigus, parait illusoire.
ABSTRACTS
M'Hamed BOUKHOBZA : STATE AND NOMADIC SOCIETY IN ALGERIA
Colonialism in conjunction with the 1944·1947 drought and the war of independence has destroyed nomadism in Algeria. In addition, the modernist visionof the Algerian nation-state has no place for nomadic society, a society that isdeprived of its elites and economically subdued. Nomadism therefore tends to bea relic left behind by a conception of society undergoing the dynamics of unprecedented transformation.
Andrê BOURGEOT : THE UON AND THE GAZELLE: STATES AND TOUAREGS
Three examples (Algeria, Mali, Niger) show that the future of Saharo-SahelianTouaregs is conditioned by historical and climatic conditions as weil as the politi.cal orientations of the states. However, the capacity for social flexibility, a keensense of politics and power and avoidance tactics permit these nomadic pastoralists to remain a political force in the modern equation.
Salmana CISSE: SEDENTARY PRACTICE AND NOMADISM IN MAU: SOCIOLOGICALREAUTY OR POUTICAL SLOGAN ?
Malian nomads constitute 7 % of the population and are spread over 2/3 ofthe country. Three examples that analyse sedentary life are presented. Sedentari·sation, organised by the Administration is considered by the nomads as a transitory measure. There is a follow up policy on the adequacy of the sedentarisationcamps but permanency is ruled out by the vagaries of weather and foreign imancial aid.
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ABSTRACTS
John S. GALATY : PASTORAUSM, SEDENTARISATION AND STATE IN EAST AFRICA
To consider sedentarisation as a solution to current problems of recurrent foodcrisis in pastoral societies located in arid and semi-arid zones is a preconceivednotion. In reality, the crisis is caused by sedentarisation rather than nomadism.Confronted with seulement policies, nomadism, thanks to extensive grazing,remains an indispensable strategy for the human occupation of arid zones. Thepolitical challenge is not to adopt nomads to preconceived sedentary systems butto improve pastoral life.
Aden M. DILLEYTA : THE AFARS AND STATE POWER IN THE HORN OF AFRICA
The Mars are confronted by the expansion of irrigated plantations on theirgrazzing grounds in Ethiopia and rapid urbanisation in Djibouti. After a periodof rebellious resistance, the Mars are destabilised by repeated drought and arenow constrained to sedentarisation. Would the creation of an autonomous Afarregion in Ethiopia save the cultural specificity of its populations?
Emmanuel FAUROUX: CATfLE AND POWER: HERDSMEN OF SOUTHWESTERN ANDWESTERN MADAGASCAR
The agricultural pastoralists of Southwestern and Western Madagascar areaffronted by profound transformations affecting the already difficult conditions inthe rural world. They are boddy placed in relation to the new regional power structure and their difficulties are worsened by the progress of the modern economy.
However, cattle remains central to ceremonial ideology and ail strategies. Thefew proprietors of large herds use their wealth to create a network of clients thereby enabling them extend their prosperity in other economic activities, in particular rice cultivation.
Henri GUILLAUME H THE SAVAGE STATE..... : PYGMIES AND FORESTS IN CENTRAL AFRICA
Apart from their residuality and their marginality, pygmies societies are goodexamples of contemporary changes con&ontïng nomadic societies. Is there still spacefor pygmies in the forest ? Taking into account economic interests represented byforest zones and current development strategies, ail outcomes except sedentarisation - a destructive factor - remain illusory.
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Olivier Vallée
Le prix de l'argent CFAHeurs et malheurs de la zone franc
Longtemps raillée par les contempteurs du néo-colonialisme, lazone franc semblait bénéficier d'une légitimité croissante au suddu Sahara et en était venue à exercer son pouvoir d'attraction surdes États qui n'appartenaient pas historiquement au pré carré del'influence française. Et pourtant, alors même qu'elle est de moinsen moins contestée - sinon, peut-être, par les institutions multilatérales de Washington -, elle paraît de plus en plus menacée.
A l'heure où le franc CFA entre dans la zone des tempêtes,l'urgence d'une réflexion et d'un débat se fait sentir. D'autant quel'un et l'autre ont été jusqu'à présent étouffés par le dogmatismedes militants anti-impérialistes, par la complaisance intéressée desbénéficiaires de la chasse gardée franco-africaine et par la maniedu secret d'un Trésor français sûr de sa compétence et de sesprérogatives.
Olivier Vallée, l'un des meilleurs experts des questions monétaires et financières africaines, propose une lecture avertie et acerbedu devenir de la zone franc, resituée dans son environnement international, mais aussi saisie dans ses effets sociaux internes: àl'approche de l'Acte unique européen, sous les coups de boutoirdes nouvelles politiques monétaires du Nigeria et du Ghana et dansle contexte des programmes d'ajustement structurel, ce ne sont passeulement les relations franco-africaines ou l'hypothétique développement du continent qui sont en cause; ce sont également l'avenir d'un modèle de consommation et le statut d'une classe dominante qui se jouent.
Olivier Vallée, né à Madagascar, a résidé dans différents paysd'Afrique pour mener des études économiques et sectorielles. De1983 à 1988, il s'est plus spécialement occupé des activités africaines d'une grande banque française et des problèmes de la dette.Il est actuellement consultant et travaille sur les modalités financières du développement du secteur privé dans les PVD. Il a collaboré à plusieurs publications, dont Politique africaine, et àl'ouvrage Nigeria, un pouvoir en puissance, paru aux éditionsKarthala.
(format 13,5 x 21,5) - 272 p. - 120 FKARTHALA, 22, bd Arago, 75013 PARIS
NOUVEAUTÉS D'AVRIL A JUIN 1989
J. ADDA et M. Cl. SMOUTS, La France face au Sud. Le miroirbrisé, 368 pages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 F
Catherine BELVAUDE, La Mauritanie, 192 p. . . 90 F
Didier BIGO, Pouvoir et obéissance en Centrafrique, 340 p. 160 F
Collectif, Projets productifs au Sénégal. Guide d'évaluation,232 p....................... . . . . . . . . . . . 130 F
D. LEMONNIER et Y. INGENBLEEK, Carences nutritionnellesdans les pays en voie de développement, en coédition avecl'ACCT, 624 p. 160 F
Jacques GIRl, Le Sahel au XXI- siècle, 340 p............... 130 F
Marie MONIMART, Femmes du Sahel. La désertification auquotidien, en coédition avec l'OCDE/Club du Sahel, 264 p. 120 F
Denis et Alain RUELLAN, Le Brésil, 180 p. . . . . . . . . . . . . ... . . 90 F
Yves-Jo SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le second Empire(850-1871), 680 p............. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260 F
Olivier VALLÉE, Le prix de l'argent CFA. Heurs et malheursde la zone franc, 272 p. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 F
Abdou1aye WADE, Un destin pour l'Mrique, 192 p. 85 F
NOUVEAUTÉ/DIFFUSION
La crise d'août 1988 au Burundi, par J.-P. CHRÉTIEN, A. GUI-CHAUVA et G. LE JEUNE, nO 6 des Cahiers du CRA, 200 p. 110 F
Pour plus de précisions sur ces ouvrages ainsi que sur les nouveauxouvrages en diffusion, demandez le catalogue 1989 de Karthala en écrivant au 22-24, boulevard Arago, 75013 Paris. Ces ouvrages peuvent également être commandés par correspondance, en ajoutant 15 F par livrepour les frais d'expédition.
L'ARGENT DE DIEULe prochain numéro de Politique africaine, à paraître en
octobre 1989, traitera des Églises et de l'argent en Afrique
Numéros parus:
1. La politique en Afrique noire : le haut et le bas .2. L'Afrique dans le système international (épuisé) .3. Tensions et ruptures en Afrique noire .4. La question islamique en Afrique noire .5. La France en Afrique (épuisé, sauf en série) .6. Le pouvoir d'être riche .7. Le pouvoir de tuer .8. Discours populistes, mouvements populaires .9. L'Afrique sans frontière .
10. Les puissances moyennes et l'Afrique .Il. Quelle démocratie pour l'Afrique ? .12. ~ p"0litique afric~!n; des Etats-Unis .13. Lttterature et soctete .14. Les paysans et le pouvoir en Afrique noire .15. Images de la diaspora noire .16. Le Tchad .17. Pohttques urbaines .18. Gaspillages technologiques .19. L'Afrique australe face à Pretoria .20. Le Burkina Faso (épuisé, sauf en série) .21. Polittques foncières et tem·toriales .22. Le réveil du Cameroun .23. Des langues et des États .24. Côte d'Ivoire: la société au quotidien .25. Afrique 4.u Sud ambiguë .26. Classes, Etat, marchés .27. Togo authentique .28. Politiques de santé .29. Mozambique: guerre et nationalismes .30. Noirs et Arabes: une histoire tourmentée .31. Le Congo, banlieue de Brazzaville ;" .32. Nigeria, le fédéralisme dans tous ses Etats .33. J?,etour au Burkina .34. Etat et sociétés nomades .
A<h"" d';mp';m" P"LiCm"', Imp';~"', S.A.14110 Condé-sur-Noireau (France)
N° d'Imprimeur: 13393 - Dépôt lé9al : juin 1989
Imprimé en C.E.E.
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Jacques Adda Marie-Claude Smouts
La Franceface au Sud
Le miroir brisé
Publié avec le concours du CNRS
KARTHALA
Dans de très nombreuses cultures, les sociétés nomadessont l'objet d'une vision dévalorisante. Souvent présentéescomme résiduelles, elles sont volontiers évoquées en tennesdépréciatifs: errance, vagabondage, laxisme, prédation, parasitisme... Or ces sociétés ont joué un rôle important dansl'histoire du monde, et notamment dans celle de l'Afrique, enfavorisant l'évolution des techniques et en mettant au pointcertaines formes d'occupation et d'exploitation des espaces(chasse-eollecte, pastoralisme, élevage... ). Leur action s'estexercée dans le domaine économique, politique et religieux(commerce transsaharien, formation de pouvoirs centrqlisés,diffusion de l'islam...).
Ce dossier tente dé présenter le~ situations actuelles dunomadisme et ses rapports avec les Etats. Respectueux de ladiversité géo~phique (Algérie, Centrafrique, Congo, Mali,Niger, Somalie, Ethiopie, Kenya, Madagascar, Tanzanie), il s'intéresse également à des systèmes sociaux variés. Ces dernierss'inscrivent dans un continuum allant de structures très hiérarchisées à des rapports à forte tendance égalitaire incarnés pardeux cas limites, celui des Touaregs saharo-sahéliens et celuides Pygmées du bassin congolais. Mais, par-delà ces disparités,force est de constater que les mêmes processus d'intégration(ou de rejet), de sédentarisation, de destructuration, et parfoisde disparition, affectent aujourd'hui les nomades.
Les sociétés nomàdes recèlent pourtant des potentialitésincontestables, notamment en ce qui concerne l'autosuffisancealimentaire, maître mot de tous les décideurs politiques: Desurcroît, et à l'encontre des idées reçues, le nomadismedemeure le meilleur garant contre 1cl dégradation de l'environnement et la désertification. Ses techniques d'exploitation desressources naturelles, ses capacités d'occupation humaine etanimale de l'espace, témoignent de son adéquation auxcontraintes des zones arides, semi-arides et forestières.
En fait, les politiques unilatérales qui affectent les sociétésnomades contraignent à s'interroger sur le bien-fondé des typesde développement actuels. L'avenir des !3ociétés nomadescomme les conditions d'indépendance des Etats ne passent-ilspas par des stratégies nouvelles?
Au sommaire également: Le Nigeria, l'Afrique orientale, l'africanisme, Madagascar, le' Rwanda, le Cameroun..
ISSN : 0244-7827