enseignements d'une expérimentation à grande échelle. · par yann algan rÉsumÉ 19 juin...

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RÉSUMÉ par Yann Algan 19 juin 2015 Comment lutter contre la violence et le harcèlement à l’école et au collège ? Enseignements d'une expérimentation à grande échelle. Peer violence in schools is a worrying phenomenon, especially the potential long term impact it may have on a child’s future. Here we evaluate the effects of a program of social mediation at school implemented to reduce peer violence. Through a randomized experimental design, we show that the effects of the program are very important when it is implemented by mediators who are over 25 years old: in junior high school, the rate of experienced harassment is reduced by 11%. Specifically, the program is extremely beneficial for students most exposed to violence: the probability of feeling harassed decreased by 46% in boys in 6th grade and by 26% in girls in 7th grade. Interesting effects on the psychological and social wellbeing of students, as well as on student absenteeism and teachers are also visible. * Les auteurs adhèrent à la charte de déontologie du LIEPP disponible en ligne et n'ont déclaré aucun conflit d'intérêt potentiel. [email protected] Yann Algan est enseignant chercheur au département d’économie de Sciences Po, affilié au LIEPP. La violence entre pairs à l’école est un phénomène préoccupant, en particulier compte tenu du potentiel impact de long terme sur le devenir des enfants. Nous évaluons ici les effets d’un dispositif de « Médiation Sociale en Milieu Scolaire » (MSMS) visant à réduire la violence entre pairs. Grâce à un protocole expérimental par assignation aléatoire, nous montrons que les effets du programme sont très importants lorsqu’il est mis en place par des médiateurs assez expérimentés : au collège, le taux de harcèlement ressenti est alors réduit de 11%. Précisément, le programme est extrêmement bénéfique pour les élèves les plus exposés à la violence : ainsi la probabilité de se sentir harcelé diminue de 46% chez les garçons de 6ème et de 26% chez les filles de 5ème. Des effets intéressants sont également visibles sur le bienêtre psychologique et social des élèves, ainsi que sur l’absentéisme des élèves et des enseignants. ABSTRACT Nina Guyon [email protected] Nina Guyon est enseignant chercheur au département d’économie de la National University of Singapore (NUS), affiliée au LIEPP. 1. Enjeux et questions Le harcèlement à l’école, et plus largement la violence entre pairs, est une préoccupation récemment soulevée par les acteurs de l’éducation en France comme dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Le rapport d’Eric Debarbieux et de l’Observatoire International de la Violence à l’École (2011) avec l’UNICEF a souligné la prévalence de ce phénomène en France, avec des taux de harcèlement verbal et physique de l’ordre de 14% et 10%. Des travaux de recherche récents en économie ont apporté la preuve qu’une amélioration des compétences non-cognitives dès la maternelle pouvait produire des effets de très long terme sur l’insertion professionnelle et le revenu à l’âge adulte (Chetty et al. 2011, Heckman et al. 2013, et Algan et al. 2014). Dans ce contexte, la question du harcèlement et de la violence à l’école, et celle du développement des compétences sociales des élèves, revêt une importance particulière. De nombreux programmes à travers le monde ont été conçus et Elise Huillery [email protected] Elise Huillery est enseignant chercheur au département d’économie de Sciences Po, affiliée au LIEPP.

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Page 1: Enseignements d'une expérimentation à grande échelle. · par Yann Algan RÉSUMÉ 19 juin 2015 Comment lutter contre la violence et le harcèlement à l’école et au collège

RÉSUMÉpar Yann Algan

19juin 2015

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Comment lutter contre laviolence et le harcèlement àl’école et au collège ?Enseignements d'une expérimentation àgrande échelle.

Peer violence in schools is a worrying phenomenon, especially the potential long­term impact it may have on a child’s future. Here we evaluate the effects of aprogram of social mediation at school implemented to reduce peer violence.Through a randomized experimental design, we show that the effects of theprogram are very important when it is implemented by mediators who are over25 years old: in junior high school, the rate of experienced harassment isreduced by 11%. Specifically, the program is extremely beneficial for studentsmost exposed to violence: the probability of feeling harassed decreased by 46%in boys in 6th grade and by 26% in girls in 7th grade. Interesting effects on thepsychological and social well­being of students, as well as on studentabsenteeism and teachers are also visible.

* Les auteurs adhèrent àla charte de déontologie du LIEPPdisponible en ligne et n'ont déclaré

aucun conflit d'intérêt potentiel.

[email protected] Algan est

enseignant chercheur audépartement d’économie de

Sciences Po, affilié au LIEPP.

La violence entre pairs à l’école est un phénomène préoccupant, en particuliercompte tenu du potentiel impact de long terme sur le devenir des enfants. Nousévaluons ici les effets d’un dispositif de « Médiation Sociale en Milieu Scolaire »(MSMS) visant à réduire la violence entre pairs. Grâce à un protocoleexpérimental par assignation aléatoire, nous montrons que les effets duprogramme sont très importants lorsqu’il est mis en place par des médiateursassez expérimentés : au collège, le taux de harcèlement ressenti est alors réduitde 11%. Précisément, le programme est extrêmement bénéfique pour les élèvesles plus exposés à la violence : ainsi la probabilité de se sentir harcelé diminuede 46% chez les garçons de 6ème et de 26% chez les filles de 5ème. Des effetsintéressants sont également visibles sur le bien­être psychologique et social desélèves, ainsi que sur l’absentéisme des élèves et des enseignants.

ABSTRACT

Nina [email protected]

Nina Guyon estenseignant chercheur au

département d’économie de laNational University of Singapore

(NUS), affiliée au LIEPP.

1. Enjeux et questionsLe harcèlement à l’école, et plus largement la violence entre pairs, est une

préoccupation récemment soulevée par les acteurs de l’éducation en France comme dansl’ensemble des pays de l’OCDE. Le rapport d’Eric Debarbieux et de l’ObservatoireInternational de la Violence à l’École (2011) avec l’UNICEF a souligné la prévalence de cephénomène en France, avec des taux de harcèlement verbal et physique de l’ordre de 14% et10%.

Des travaux de recherche récents en économie ont apporté la preuve qu’uneamélioration des compétences non-cognitives dès la maternelle pouvait produire des effets detrès long terme sur l’insertion professionnelle et le revenu à l’âge adulte (Chetty et al. 2011,Heckman et al. 2013, et Algan et al. 2014). Dans ce contexte, la question du harcèlement etde la violence à l’école, et celle du développement des compétences sociales des élèves, revêtune importance particulière. De nombreux programmes à travers le monde ont été conçus

et Elise [email protected]

Elise Huillery estenseignant chercheur au

département d’économie deSciences Po, affiliée au LIEPP.

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scolaire. Les programmes existant à ce jourcomprennent très souvent de nombreusescomposantes : formation des équipes péda-gogiques et éducatives, campagnes d’informationauprès des élèves et des parents, approcheshorizontales visant à améliorer la relation entre lesenfants comme la médiation par les pairs ou letutorat des élèves les plus jeunes par les élèves lesplus âgés, implication des parents dans la viescolaire...

La méta-analyse de l’ensemble desévaluations menées sur le sujet effectuée par Ttofiet al. en 2011 montre un effet moyen de -20 à-23% sur le nombre d’enfants déclarant avoir déjàharcelé quelqu’un et de -17 à - 20% sur le nombred’enfants déclarant avoir déjà été harcelés.Cependant la majorité de ces évaluations sont denature non-expérimentale, avec d’importants biaisdans la sélection des écoles et des élèves. En seconcentrant sur les études expérimentales, Ttofi etal. montrent que ces programmes concluent engénéral en une diminution du harcèlement, maisavec des résultats contrastés selon les observateurs.Ainsi le programme « Social Skills GroupIntervention » a conduit à une hausse des capacitésd’autocontrôle et d’estime de soi déclarées par lesenfants dans le groupe de traitement, mais n’a paseu d’effet sur les grandeurs mesurées pardéclaration des pairs et autres observateurs. Cesconclusions sur les évaluations expérimentalesexistantes font émerger deux éléments cruciauxpour une évaluation de haute qualité.

Le premier est celui de la validité externedes dispositifs expérimentés. La plupart desexpériences aléatoires portent sur de très faibleséchantillons (187 enfants dans le groupe traité duprogramme Friendly School par exemple). Celapose la question du caractère peu représentatif deséchantillons et interroge sur la validité de telsdispositifs lorsqu’ils sont transposés à grandeéchelle, en tenant compte de l’hétérogénéité réelledes situations scolaires, et des personnes quimettent en place de tels dispositifs. La faible tailledes échantillons peut aussi générer des doutes surla potentielle généralisation des résultats.

Le deuxième élément crucial est celui de lavalidité des informations recueillies. L’unitéd’observation est également essentielle pourévaluer l’efficacité des dispositifs. Il est enparticulier important de multiplier les points devue, auprès des différents acteurs, pour mesurerl’effet du dispositif. Les programmes peuventconduire à une hausse du harcèlement ressenti parles élèves par un phénomène de prise deconscience et de sensibilisation accrue auproblème, alors même que le « vrai » niveau deharcèlement diminue. Pour distinguer ces effets desensibilisation des effets objectifs, il est nécessairede recueillir les observations aussi bien des enfantsque des parents, des enseignants, des chefsd’établissement et des autres adultes de l’institutionscolaire.

2. Le dispositif de médiation socialeen milieu scolaire

Le programme conçu par France Médiationest un programme global où la médiation estutilisée comme un outil pour tous, parents etenseignants compris, et non seulement pour lesenfants, grâce à la présence d’un acteur extérieur.Au sein de chaque territoire, un site scolaire surdeux a donc été tiré au sort pour accueillir unmédiateur, entrainant la création de 40 postes àtravers le territoire. La mission du médiateur est deprévenir et réguler la violence par des actions demédiation. Elle repose sur sa position de tiers quilui permet d’intervenir lorsque survient un conflitau sein de l’établissement scolaire, quelque soientles parties impliquées (élèves, membres de l'équipeéducative ou parents). Il est également chargé deformer ou de sensibiliser les différents acteurs à lamédiation sociale et à la citoyenneté, il intervientdans et aux abords de l’établissement afin deréduire la violence et sert de passerelle dans lesrelations école-famille.

L’arrivée en poste des médiateurs a eu lieuentre novembre 2012 et novembre 2013. L’enquêtefinale s’étant tenue en juin 2014, la durée moyennede mise en place effective du programme a étéd’environ 13 mois en incluant les vacancesscolaires, soit donc 10 mois hors vacancesscolaires.

La très forte hétérogénéité de profil desmédiateurs recrutés par France Médiation a faitémerger une dernière interrogation pour notreétude. Quelles sont les caractéristiques dumédiateur qui permettent au dispositif demédiation d’être le plus efficace ? Quelles doivent-être sa formation et son expérience ? Pourrépondre à ces questions, notre protocoled’évaluation porte une attention particulière auxcaractéristiques du médiateur, avec desrenseignements aussi bien sur sa formation, sonâge, son expérience que ses traits de personnalité.

Il apparait alors que la caractéristique laplus discriminante est l’âge du médiateur. Ontrouve en effet de très fortes disparités en termesd’expérience professionnelle, de niveau de diplômeet d’intensité de l’action entre les médiateurs deplus de 25 ans et ceux de 25 ans ou moins. A titred’exemple, la moitié des médiateurs de plus de 25ans ont déjà une expérience dans la médiation(tandis que seuls 17% des 25 ans ou moins en ontune) et ils ont été présents en moyenne 3 jours parsemaine dans leur collège d’affectation (contre 1,8jour par semaine pour les médiateurs de 25 ans oumoins) ce qui est lié au fait que les médiateurs plusjeunes ont été majoritairement recrutés plus tardque les médiateurs plus âgés. Il s’en suitnaturellement des différences importantes dans leniveau d’action entre les médiateurs les plus âgés etles plus jeunes. Ces différences valent pour tous lestypes d’actions : nombre de conflits gérés, detables-rondes organisées, d’élèves en difficultésidentifiés… Ainsi, pour ce qui est de leur activité la

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plus intense, les médiateurs de plus de 25 ans ontgéré en moyenne plus de 3 conflits entre élèves parsemaine (132 conflits au total), contre 2 conflitspar semaine (79 conflits au total) pour lesmédiateurs de 25 ans ou moins.

3. RésultatsL’action du médiateur étant plus soutenue sur lesous-échantillon des médiateurs de plus de 25 ans,c’est-à-dire plus matures et plus expérimentés (dits« expérimentés » ci-après),l’ensemble des résultatsprésentés dans cette partieporte sur ce sous-échantillon. De manièrecohérente avec l’intensitéde l’action des médiateurs,il apparait en effet que lesrésultats obtenus sur cesous-échantillon sont beaucoup plus probants. Enregard, les effets trouvés sur l’échantillon globalsont pour l’essentiel de très faible ampleur etpresque jamais significatifs. Soulignons que cettecoïncidence entre l’intensité de l’action dumédiateur et l’ampleur des résultats confirme lavalidité notre protocole de recherche : c’est bienl’action du médiateur qui est la cause des résultatsobtenus.

3.1. Impact du dispositif sur le harcèlementet la violence au collège : des effetssubstantiels mais fortement différenciésselon l’âge et le genre

La Figure 1 présente l’impact duprogramme sur les taux de harcèlement au collège,décomposés par âge et par genre [1]. Surl’ensemble des élèves, le taux de harcèlementdiminue de 11% (-1pp) et cet effet est significatifau seuil de 20%. Il s’agit d’un effet « moyen »substantiel mais cet effet cache plusfondamentalement d’importantes disparités selon

la classe d’âge et le genre. La décomposition parâge et par sexe montre ainsi que le programme agitsurtout sur les populations qui étaient initialementles plus touchées par le harcèlement à savoir les« petits » de la cour de récréation : garçons en 6èmeet filles en 5ème.

Chez les jeunes garçons de 6ème, laprobabilité d’être victime de harcèlement diminueainsi de 46% (-6.5pp), avec une baisse relativesimilaire pour le harcèlement physique (-42%) et

verbal (-44%). Si onconsidère les différentstypes de violence un parun, il est remarquable quetous diminuent demanière très substantielle.Les plus fortes réductionsse trouvent sur laprobabilité de recevoir

fréquemment des surnoms méchants (-54% soit-13.4pp), et la probabilité de harcèlement surinternet qui tombe pratiquement à 0 avec unebaisse de 90% (-2.7pp sur une base de 3% dans legroupe témoin). Presque tous ces effets sontstatistiquement significatifs au seuil de 1 ou 5%.

Les effets du programme sont en revancheplus mitigés sur les autres tranches d’âge : chez lesgarçons en 5ème, le dispositif augmente lesentiment de harcèlement et nous ne trouvons pasd’effet sur le sentiment de harcèlement chez lesgarçons de 3ème.

Chez les filles, le dispositif «MSMS» a deseffets peu nets sur le sentiment de harcèlement en6ème. La probabilité d’être harcelée avec des

3Figure 1. Effet du programme « MSMS » sur le harcèlement ressenti par les élèves au collège(sous-échantillon des médiateurs âgés de plus de 25 ans)

[1] Les étoiles représentées dans les barres indiquent le seuilde significativité des écarts entre les groupes test ettémoins. ^, *, **, *** indiquent respectivement des seuilsde significativité à 80%, 90%, 95%, 99%. Un seuil deconfiance à 95% signifie que le résultat observé (l’écart demoyenne entre le groupe test et le groupe témoin) a moinsde 5% de chances d’être un effet d’échantillonnage c’est-à-dire d’être obtenu par hasard.

“La probabilité de se sentirharcelé diminue de près de

50% chez les garçons de 6èmeet de plus de 25% chez les

filles de 5ème.”

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surnoms méchants diminue très fortement de 52%(-9.9pp, significatif à 1%), mais c’est le seul acte deharcèlement qui diminue vraiment. Le taux moyende harcèlement ressenti n’est donc pas affectésignificativement. En 5ème, les médiateursexpérimentés diminuent de façon systématique lestaux moyens de harcèlement, et en particulier deharcèlement verbal, de 11% (-2.3pp) et 27%(-3.2pp) respectivement. Dans le détail des actes, laprobabilité d’être mise à l’écart diminue de 65%(-8.5pp significatif au seuil de 1%), et laprobabilité de se sentir humiliée diminue de 42%(-4.2pp). Le bénéfice pour les filles de 5ème estdonc également très important, bien que plusconcentré que chez les garçons sur des violencesspécifiques d’ordre verbal. Enfin, aucunchangement n’est constaté pour les filles de 3ème.

Il semble donc que lorsqu’il est mis en placepar un médiateur expérimenté, l’introduction d’undispositif «MSMS» diminue très fortement lesentiment de harcèlement chez les garçons de6ème qui constituent de loin le groupe le plustouché par leharcèlement, et plusmodérément chez lesfilles en 5ème, quiconstituent le secondgroupe le plus touché parle harcèlement. Enrevanche, il accroit cesentiment chez lesgarçons de 5ème, quin’est pas un groupeparticulièrement touché par le harcèlement.Comment comprendre ce résultat ? Uneinterprétation est que les garçons de 6ème et lesfilles de 5ème sont ceux qui, en l’absence d’unmédiateur, souffrent le plus de violences.Initialement, le taux moyen de harcèlement déclarépar les garçons de 6ème est 14% contre 8% chezceux de 5ème et 7% chez les 3ème.

En revanche pour les garçons en 5ème, ledispositif pourrait avoir agi comme un

phénomène de prise de conscience. Le témoignagedes parents et des enseignants permet de s'assurerqu'il n'y a pas d'augmentation réelle de la violenceinfligée aux garçons de 5ème. les médiateurs ontévité à ce groupe de s’habituer à la violence et leuront permis d’exprimer plus facilement lesproblèmes qu’ils rencontrent.

3.2. Impact du dispositif sur le bien­être aucollège : une diffusion de l'effet au­delà desrésultats sur le niveau de violence

Ces résultats encourageants sur le taux deharcèlement ont-ils des répercussions plus largessur le niveau de bien-être psychologique desélèves  ? La Figure 2 décrit l’impact du dispositif«MSMS» sur le score de bien-être au collège.

L’indice synthétique de bien-êtrepsychologique augmente de 1.6pp au sein del’échantillon des médiateurs expérimentés, l’effetétant presque significatif au seuil de 10%.

L’indice synthétique de bien-êtrepsychologique augmente ainsi de 13% (+0.62

points) pour le groupedes garçons de 6ème. Enparticulier, nousobservons pour cegroupe une hausse de12.2pp de la probabilitéde ne jamais ou rarementse réveiller la nuit, unehausse de 10.9pp de laprobabilité de ne jamaisou rarement s’ennuyer

dans la vie, et une hausse de 9.9pp de laprobabilité de ne jamais avoir ou que très rarementdes peurs. Les effets sont tous statistiquementsignificatifs au seuil de 1% ou 5%. Le fait que lesgroupes où la diminution du sentiment deharcèlement est la plus importante recoupentprécisément ceux où la hausse du niveau bien-êtreest la plus forte est très encourageant pour larobustesse de nos résultats et montre, en outre, le4

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Figure 2. Effet du programme « MSMS » sur le bien-être des élèves au collège(sous-échantillon des médiateurs âgés de plus de 25 ans)

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“L’effet bénéfique sur le bien­être apparaît surtout chez les

collégiens pour qui ladiminution du sentiment de

harcèlement était la plusprononcée”

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lien de cause à effet qu’il existe entre violence subieet bien-être.

Précisons également que nous trouvons deseffets intéressants sur l’estime de soi et la relationaux autres : chez les garçons de 6ème et les filles de5ème, on observe ainsi une augmentation de prèsde 10 points (environ+15%) de la proportiond’élèves qui qualifient de «Tout à fait vraie »l’affirmation « Mes amism’aiment bien » (avec unehausse de respectivement9pp et 7,6pp, significatif aux seuils de 5 et 10%).Parallèlement, l’indice synthétique d’estime de soisociale augmente marginalement chez les garçonsen 6ème (+8%, non significatif) et plussignificativement chez les filles en 5ème (+15%,significatif au seuil de 1%). Ces résultats suggèrentque l’estime de soi sociale et la violence entre pairssont liées, puisque ce sont les deux groupesd’élèves qui bénéficient d’une réduction de laviolence qui améliorent aussi leur estime de soisociale. Enfin, ces résultats sont concordants leressenti des parents : la probabilité que les parentsdéclarent ne pas avoir connaissance de l’existenced’amis diminue d’environ un tiers passant de 9% à6% et la probabilité que les parents déclarent queleur enfant a plusieurs bons amis augmented’environ 5% quand le médiateur est expérimenté.Ces derniers résultats ne concernent pas seulementles élèves les plus touchés par la violence (garçonsde 6ème et filles de 5ème) et suggèrent un effetplus global sur le climat scolaire et les relationsentre élèves.

3.3. Comportement et résultats scolaires :un début d'impact sur l'absentéisme maisune expérimentation à poursuivre pour deréels effets de long terme

Au collège, nous avons pu analyser lesdonnées extraites des logiciels de vie scolaireportant sur le nombre de sanctions, d’absencesainsi que sur les résultats scolaires.

Tout d’abord, il apparait assez nettementque la présence des médiateurs expérimentés aentraîné une hausse des prises de sanction vis-à-visdes élèves : la proportion d’élèves ayant été exclustemporairement de l’établissement au moins unefois passe ainsi de 7% à 12% (résultat significatif

au seuil de 10%). Il sembleainsi possible que laprésence du médiateur aitpu accroître la vigilance etdurcir la politique desanctions dans l’établis-sement.

Concernant l’absentéisme, la Figure 3montre que la proportion de garçons de 6èmeayant déjà séché les cours diminue de 31% (passantde 16% à 11%, significatif au seuil de 10%). Cerésultat apparaît comme cohérent avec le fait queles garçons de 6ème ressentent beaucoup moins deviolence et que leur bien-être psychologique et leurestime de soi sociale s’améliorent.

Enfin, l’analyse des performances scolairestelles que mesurées par les notes données par lesenseignants montre qu’à ce stade très précoce duprogramme, il ne produit pas d’effet sur lescompétences scolaires. Les tests de maths etfrançais que nous avons administrés ainsi que lesquestionnaires enseignant confirment cette absenced’effet. Si les différences observées sont trop rareset non significatives pour que l’on puisse conclureà un effet du dispositif sur les compétencesscolaires, il serait en revanche très pertinent desuivre les élèves sur une plus longue période afinde pouvoir observer de potentiels effets à moyen età long terme.

3.4. Relation école­famille : uneintensification nette des échanges

La Figure 4 décrit enfin les effets dudispositif MSMS sur les relations entre le collège etles familles, ainsi que sur l’absentéisme desenseignants. Il apparaît nettement que leprogramme intensifie la relation entre les parents etl’institution scolaire. La probabilité que la famille

“La proportion de garçonsde 6ème déclarant avoirdéjà séché les cours est

30% plus faible”

Figure 3. Effet du programme « MSMS » sur l'absentéisme déclaré au collège(sous-échantillon des médiateurs âgés de plus de 25 ans)

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déclare ne pas avoir de contacts avec l’écolediminue ainsi de 17%.

De plus, on observe une hausse de laprobabilité que le parent interrogé déclare avoirdiscuté plusieurs fois avec un enseignant (+9% surl’échantillon total, +13% quand le médiateur estexpérimenté). En outre, le point de vue desenseignants corrobore celui des parents : onobserve dans le groupe bénéficiant de la présenced’un médiateur expérimenté une hausse de 5% dela proportion d’élèves dont l’enseignant déclareavoir déjà rencontré la famille. Ces effets sontsignificatifs aux seuils de 5% ou 10%.

Enfin, le programme a également un effetsur l’assiduité des enseignants au collège. Laproportion de collèges dans lesquels le proviseurou le CPE mentionne qu’au moins un enseignantest absent par jour diminue de 28.1pp dansl’échantillon total et de 33.8 points de pourcentagedans les collèges où le médiateur est expérimenté,entrainant une diminution de la proportion decollèges dans lesquels il y a au moins un profabsent tous les jours de 50% à près de 20%.L’effet est statistiquement significatif au seuil de5%.

3.5. Impact du dispositif à l'école : uneprésence moins intense des médiateurspour des résultats peu nets : uneexpérimentation à poursuivre

A l’école, les effets du programme sont plusmitigés : en moyenne, le programme n’a pas d’effetsignificatif sur les niveaux de harcèlement et deviolence déclarés par les élèves, même lorsque ledispositif est porté par des médiateursexpérimentés. Toutefois et à l’instar du collège, lesrésultats sont très hétérogènes selon le genre etl’âge des enfants. On observe ainsi :

• Une diminution de 22.5% (-2,7pp, significatif auseuil de 10%) du harcèlement chez les filles deCE1 (les plus touchées par la violence).

• Une hausse de +42% (+2,5pp, significatif auseuil de 5%) du harcèlement chez les filles deCM1 (les moins touchées).

• Peu d’effets significatifs chez les garçons quivont plutôt dans le sens d’une hausse du senti-ment de harcèlement (+30% de harcèlementphysique en CE1, significatif au seuil de 5%) ;

• Une diminution du bien-être psychologique, del’estime de soi et de la prosociabilité : l’indice debien-être diminue de 7% (-5,5pp, significatif auseuil de 10%) et l’indice de satisfaction de la viediminue de 4% (-3,5pp, significatif au seuil de10%) chez garçons en CE1 ;

• Une augmentation de la violence perçue par lesadultes de l’école (le nombre d’élèves reportéscomme subissant du harcèlement par les adultesaugmente de 2.1, résultat significatif au seuil de10%).

L’intensité du programme, plus faible àl’école qu’au collège (avec 0,64 jours de présencepar semaine du médiateur à l’école contre 2,7 aucollège), pourrait être à l’origine de ces résultatsmitigés : le dispositif « MSMS » à l’école n’a aumieux aucun effet et dans certains cas, il dégrademême significativement le niveau de harcèlementressenti par les élèves et perçu par les adultes ainsique le niveau de bien-être. Ces effets serapprochent d’un phénomène de « prise deconscience » : la présence du médiateur sensibiliseles différents acteurs à la problématique de laviolence les amenant à une perception et unedéclaration accrue de la violence à l’école mais

Figure 4. Effet du programme « MSMS » sur les relations famille-école au collège(sous-échantillon des médiateurs âgés de plus de 25 ans)

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cette présence est insuffisance pour que desrésultats tangibles sur les niveaux réels deharcèlement et de violence apparaissent.

Ces effets négatifs à l'école sont confirméspar les résultats de l’évaluation d’un dispositifencore plus léger dit « Prise de conscience » quiconsistait en la passation d’une « Enquête devictimation » et en la restitution des résultats àl’établissement, l’idée sous-jacente du dispositifétant que la sensibilisation de l’équipe éducative etdes élèves à la problématique de la violence scolaireengagerait d’une part les équipes à se mobiliserdans la lutte contre le harcèlement et d’autre partles élèves à changer leur comportement. Ces deuxexpériences moins concluantes à l'école soulèventfinalement deux interrogations : obtiendrait-on lesmêmes résultats qu'au collège si on intensifiait laprésence du médiateur ? Ou est-ce la différence dematurité psychologique des écoliers qui les rendplus hermétiques à ce genre de programme ? Cesquestions sont importantes et de nouvellesrecherches permettront d'y répondre.

RéférencesAlgan, Yann, Elizabeth Beasley, Frank Vitaro, and Richard

Tremblay. “The Impact of Non-Cognitive Skills Trainingon Academic and Non-academic Trajectories: FromChildhood to Early Adulthood,” Sciences Po Working Paper(2014).

Chetty, Raj, John N. Friedman, Nathaniel Hilger, EmmanuelSaez, Diane Whitmore Schanzenbach, and Danny Yagan.“How does your kindergarten classroom affect yourearnings? Evidence from project Star.” Quarterly Journal ofEconomics 126(4) (2011).

Debarbieux, Eric. “Refuser l'oppression quotidienne : laprévention du harcèlement à l'école,” Rapport au ministrede l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vieassociative (2011).

Heckman, James J. and T. Kautz, “Fostering and MeasuringSkills: Intervention that improve Character andCognition,” IZA working paper (2013).

Ttofi, M., and D. Farrington, “Effectiveness of school-basedprograms to reduce bullying: a systematicand meta-analyticreview,” Journal of Experimental Criminology 7, pp 25-56(2011).

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Le protocole d’évaluation

L’échantillon de l’étude est formé d’un ensemble de 40 territoires chacun composé de 2 sites scolaires. Pourparticiper à l’évaluation, chaque site scolaire devait être composé d’un collège et de 2 ou 3 écoles primairesafférentes et être situé dans un quartier relevant de la politique de la ville (ZUS ou CUCS). Au total, le projet aimpliqué 226 écoles et 80 collèges répartis dans 66 communes et 12 académies, et l’enquête finale a concerné 5829 collégiens et 7 859 écoliers.

La méthode retenue repose sur la constitution de deux populations :1. une population bénéficiaire du dispositif de médiation2. et une population « témoin ».

La constitution de ces 2 groupes est effectuée par tirage au sort afin d’assurer la comparabilité totale des deuxpopulations et d’identifier rigoureusement l’impact du dispositif. En effet, lorsque la taille de l’échantillond’étude est assez grande, le tirage au sort permet de rendre les deux groupes créés (« bénéficiaire » et « té-moin») similaires en moyenne pour toutes les caractéristiques observées et inobservées et ce d’après la loi desgrands nombres. Comme il n’existe aucune différence systématique entre les groupes au départ, les différencesobservées en juin 2014 peuvent être sans aucun doute attribuées à une cause unique : le bénéfice du dispositif.Au final, la moitié des 306 établissements (115 écoles et 40 collèges correspondant à un site scolaire sur deux)ont bénéficié du programme et tous ont été enquêtés en juin 2014.

Les avantages :1. L’expérimentation garantit une très grande validité externe des résultats pour les établissements de quartiers

défavorisés de par la taille de l’échantillon et sa diversité géographique :• les résultats ne concernent pas seulement un ou deux établissements comme c’est souvent le cas ;• et car le processus de mise en œuvre a été très similaire à celui qui aurait lieu lors d’une généralisation de

l’intervention à plus grande échelle.2. Le dispositif d’enquête garantit la validité des informations recueillies en observant le niveau de violence de

trois points de vue différents : celui des élèves eux-mêmes, celui des enseignants et celui des parents.

Cette évaluation a été financée par le Fondsd’Expérimentation pour la Jeunesse dans le cadre del’appel à projets APSCO4_20 lancé en janvier 2012par le Ministère chargé de la jeunesse.

Ce projet a bénéficié du soutien apporté par l’ANR etl’État au titre du programme d’Investissementsd’avenir dans le cadre du labex LIEPP(ANR-11-LABX-0091, ANR-11-IDEX-0005-02).

Le rapport d'évaluation complet sur cette expérimentation est consultable en l igne :http: //www.sciencespo.fr/l iepp/fr/content/mediation-sociale-en-mil ieu-scolaire

Page 8: Enseignements d'une expérimentation à grande échelle. · par Yann Algan RÉSUMÉ 19 juin 2015 Comment lutter contre la violence et le harcèlement à l’école et au collège

Le LIEPP (Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation despolitiques publiques) est un laboratoire d'excellence (Labex).Ce projet est distingué par le jury scientifique internationaldésigné par l'Agence nationale de la recherche (ANR).Il est financé dans le cadre des investissements d'avenir.(ANR­11­LABX­0091, ANR­11­IDEX­0005­02)

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