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Enjeux électoraux au Gabon :
quelques hypothèses sur l’élection
présidentielle d’août 2016
8 août 2016
N° CHORUS : 2013 1050 101741 – EJ 1600018500
Observatoire pluriannuel des enjeux sociopolitiques
et sécuritaires en Afrique Équatoriale et
dans les îles du golfe de Guinée – OBS 2011-54
ETUDE PROSPECTIVE ET STRATÉGIQUE
Note
n°33
Note n°33 – Enjeux électoraux au Gabon : quelques hypothèses sur l’élection présidentielle d’août 2016 8 août 2016
GROUPE DE RECHERCHE ET D’INFORMATION SUR LA PAIX ET LA SÉCURITÉ
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Le ministère de la Défense fait régulièrement appel à des études externalisées auprès d’instituts de recherche privés, selon une approche géographique ou sectorielle, visant à compléter son expertise interne. Ces relations contractuelles s’inscrivent dans le développement de la démarche prospective de défense qui, comme le souligne le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, « doit pouvoir s’appuyer sur une réflexion stratégique indépendante, pluridisciplinaire, originale, intégrant la recherche universitaire comme celle des instituts spécialisés ».
Une grande partie de ces études sont rendues publiques et mises à disposition sur le site du ministère de la Défense. Dans le cas d'une étude publiée de manière parcellaire, la Direction générale des relations internationales et de la stratégie peut être contactée pour plus d'informations.
AVERTISSEMENT : Les propos énoncés dans les études et observatoires ne sauraient engager la responsabilité de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie ou de l’organisme pilote de l’étude, pas plus qu’ils ne reflètent une prise de position officielle du ministère de la Défense.
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SOMMAIRE
Introduction ............................................................................................................................................. 4
1. Un climat politique et social tendu ..................................................................................................... 4
1.1. Le PDG ou l’isolement d’un parti politique en crise ..................................................................... 4
1.2. L’opposition gabonaise ou les balbutiements d’une dynamique sans direction ......................... 8
1.3. La grogne sociale : facteur amplificateur de la tension ? ........................................................... 10
1.4. Un système d’encadrement institutionnel de l’élection contesté ............................................. 11
1.5. Des doutes sur l’impartialité des Forces de sécurité gabonaises ............................................... 13
2. Les facteurs de risques d’instabilité .................................................................................................. 14
2.1. Une multiplication d’abus contre l’opposition ........................................................................... 14
2.2. L’appel au soulèvement populaire de l’opposition .................................................................... 15
2.3. La naissance des mouvements extrapolitiques de contestation ............................................... 16
Conclusion ............................................................................................................................................. 17
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Introduction
L’élection présidentielle gabonaise du 27 août 2016, pourrait marquer un tournant dans l’histoire
politique du pays ; c’est en effet la première échéance électorale présidentielle « normale » de l’ère
post-Omar Bongo Ondimba, puisque celle de 2009 a été anticipée à la suite du décès du doyen
gabonais. Par rapport au scrutin de 2009, cette élection revêt par ailleurs plusieurs caractéristiques
singulières, dont il faut tenir compte dans l’appréciation de ce que pourrait être l’avenir politique du
Gabon. Tout d’abord l’ampleur de la mobilisation des acteurs des deux camps, majorité
présidentielle et opposition, contrairement à l’élection de 2009 dont l’effet de surprise avait réduit
les capacités d’action de plusieurs acteurs politiques. À titre d’illustration, aucun candidat de
l’opposition n’avait pu déployer des représentants dans l’ensemble des bureaux de vote. Tout
comme plusieurs d’entre eux n’avaient pu parcourir la moitié des localités importantes du pays, en
raison de l’insuffisance de ressources, tant matérielles qu’humaines. De même, les candidats
n’avaient pas eu le temps de mettre en place une stratégie de contestation des résultats des urnes
en cas d’irrégularité, stratégie qui aurait pu contraindre le vainqueur à partager le pouvoir.
Enfin, le temps imparti n’avait permis ni à l’opposition d’affiner le jeu des alliances, ni au parti
dominant de bâtir une stratégie d’ouverture rationnelle dès le départ, qui lui aurait donné l’occasion
de renforcer sa légitimité1, pour ne citer que ces quelques éléments parmi tant d’autres. Il existe par
conséquent une certaine convergence des vues et un discours partagé par les deux camps – et bien
relayé au sein de la population – sur l’enjeu de la présidentielle de 2016 : « 2016 n’est pas 2009 ».
Le contenu de la présente note montre que le Gabon est soumis à un climat politique et social tendu
(partie 1), présentant quelques facteurs de risque d’instabilité, pour le moment sans grands enjeux
(partie 2), et dont la possible montée en puissance dépend de plusieurs paramètres (conclusion).
1. Un climat politique et social tendu
La période précédant l’élection présidentielle d’août 2016 aura été marquée par un climat politique
et social tendu. Ces tensions se sont caractérisées, depuis le début de l’année 2016, par de vives
divergences au sein du Parti démocratique gabonais, une crise de leadership au sein de l’opposition,
une contestation accrue du pouvoir d’Ali Bongo Ondimba, un système d’encadrement électoral
défaillant, des forces de défense et de sécurité acquises à la cause du pouvoir
1.1. Le PDG ou l’isolement d’un parti politique en crise
Depuis 2009, le parti présidentiel, le Parti démocratique gabonais (PDG), traverse une profonde crise
interne. Cette crise qui s’est accentuée notamment avec la création de courants concurrents au sein
1. Jean Delors Biyogue Bi Ntougou, La succession de 2009 et les enjeux actuels de la démocratie gabonaise,
Paris, La Doxa, 2015, 110 pages.
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du parti – dont le Mouvement gabonais pour Ali Bongo Ondimba (MOGABO) et le mouvement
Héritage et Modernité2 – a atteint son paroxysme avec les démissions en cascade de trois de ses
principaux ténors que sont, Jean-François Ntoutoume Emane, Guy Nzouba Ndama et Simplice
Nguédé Mandzela, le prédécesseur de Faustin Boukoubi, au poste de Secrétaire général du PDG, ainsi
qu’un groupe de députés. En effet, le PDG est à nouveau confronté à ses traditionnelles luttes
d’influence et de positionnement. Ces luttes semblent écarter de la gestion3 les militants d’appareil,
les « pédégistes de souche »4, au profit des « pédégistes d’adoption » ou « émergents », c’est-à-dire
les nouveaux militants, ceux de la génération Ali, venus soit de l’opposition, soit de la haute
administration publique et parapublique, désireux de préserver leurs postes. Sous Ali Bongo, la
situation semble tourner à l’avantage des « émergents » qui, non seulement occupent des places de
plus en plus importantes au sein du parti, mais aussi, sont les plus investis par le parti, lors des
élections. Cela a particulièrement été le cas lors des élections législatives de 2011, et locales de 2013.
Les frustrations liées à ce processus de renouvellement des élites du parti, ont fait basculer une
partie de sa base électorale, soit dans l’opposition, soit dans « l’apolitisme » ou encore dans « le gel
du militantisme », jusqu’à nouvel ordre. Ceux qui se tournent vers l’opposition sont en général les
militants qui bénéficiaient des privilèges du parti, par l’entremise de ses anciens hiérarques et les
militants de base issus des catégories sociales inférieures : les fonctionnaires des petites classes
moyennes et les militants vivant en province et en milieu rural. Toutefois, l’essentiel des militants
PDG appartenant à la classe moyenne aisée s’est fortement engagé dans la campagne présidentielle,
en faveur d’Ali Bongo, pour la sauvegarde de ses avantages. L’apolitisme gagne une faible proportion
des anciens militants du PDG issue de la classe moyenne, en général, ceux qui exercent des fonctions
à statuts plutôt protégés comme les universitaires, les médecins, les enseignants du secondaire et les
salariés du secteur privé. Parmi la catégorie des anciens militants du PDG concernés par le gel du
militantisme figurent les militants de toutes les origines sociales qui attendent l’éclaircissement du
paysage politique.
Conscient de la complexité du processus de reconstruction et de consolidation d’un parti politique
fragmenté, Ali Bongo a choisi, du moins, pour la pré-campagne, de s’appuyer, non pas sur le PDG,
mais sur quelques individualités qui constituent des maillons clés de son système.
Ainsi en est-il d’Alain-Claude Billié By Nzé5, Ali Akbar Onanga6, Yves-Fernand Manfoumbi7, Paul
Biyoghé Mba8 et Liban Souleymane9, pour ne citer que ceux-là. Ali Bongo peut également s’appuyer
2. Voir la Note n° 26 de l’Observatoire « Gabon : trajectoires et défis du Parti démocratique gabonais »,
27 janvier 2016. Depuis juillet 2015, cependant, Ali Bongo a décidé, la suppression du Mogabo et de tout courant au sein du parti au pouvoir. Voir Gabon Review, 4 juillet 2015, PDG : Dissolution du Mogabo et révocation de tout autre courant.
3. Aussi bien la gestion du pays que celle des instances de gouvernement du PDG.
4. C’est-à-dire ceux qui appartiennent au PDG presque de père en fils et sont considérés aujourd’hui comme des caciques.
5. Ancien porte-parole de la Présidence de la République, actuellement ministre de la Communication, c’est un acteur politique majeur du système actuel, doté d’une expérience politique significative. Il a été député, sous
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sur l’appui de ses réseaux, organisés en groupes de soutien10 et au positionnement derrière sa
candidature des partis satellitaires, tels que l’UDIS (Union pour la démocratie et l’intégration sociale)
de Hervé Opiangah, la frange dissidente de l’UPG (Union du peuple gabonais) de Pierre
Mamboundou, et le PDS (Parti pour le développement et la solidarité) de Séraphin Ndaot, l’actuel
président du Conseil national de la démocratie, et de toute une panoplie d’associations
opportunistes. Cette nouvelle composition de la machine politique d’Ali Bongo, statutairement
candidat du PDG, semble une manière de compenser la démobilisation des militants du PDG causée
par ses querelles internes, ainsi que les désertions. Le PDG est ainsi condamné à jouer le rôle
d’accompagnateur d’un processus qu’il a du mal à maîtriser.
La mise à l’écart du PDG a commencé lors de la déclaration de candidature d’Ali Bongo. Pendant que
Faustin Boukoubi, actuel secrétaire général du PDG, entreprenait une tournée nationale en vue de la
préparation du Congrès de désignation du candidat du parti, Ali Bongo avait court-circuité son
agenda, en déclarant de manière anticipée, sa candidature à l’élection présidentielle d’août 2016,
vidant ainsi l’Agenda de Faustin Boukoubi de tout son sens.
Muet depuis lors, ce dernier, à l’image de quelques fédérations, était alors obligé de suivre
silencieusement le rythme imposé par les « émergents11 ». Fait qui s’est confirmé lors du dépôt de la
candidature d’Ali Bongo à la CENAP (Commission électorale nationale et permanente).
Ce dernier avait préféré être accompagné par Ali Akbar Onanga au bureau de dépôt des candidatures
la bannière du RPG, de Paul Mba Abessolo, son ancien mentor. Il est utile à ce système grâce à sa capacité de persuasion et de mobilisation, puisque c’est lui qui a initié au sein de la majorité, le MOGABO. Il sera très utile au Président sortant pour la mobilisation de l’électorat de l’Ogooué-Ivindo, sa province d’origine.
6. Actuel secrétaire général du gouvernement, l’un des hommes de confiance d’Ali Bongo. L’une des figures montantes du nouveau PDG, il sera utile à Ali Bongo pour la mobilisation des jeunes cadres du Haut-Ogooué. Ses liens familiaux avec un des notables influents du PDG, le général Idriss Ngari (dont il est le beau-fils), très populaire au sein de l’armée pour avoir été chef d’état-major des armées, ministre de la Défense et ministre de l’Intérieur, permettent au pouvoir de s’assurer du non-basculement de ce dernier dans l’opposition.
7. Ancien Directeur général du Budget, il est actuellement le Coordonnateur général du plan stratégique Gabon émergent. Il est très populaire dans les provinces du Sud et au-delà, grâce à son ONG Renaissance, qui œuvre dans le social et constitue pour le président, un puissant outil de mobilisation.
8. Ancien Premier ministre, ancien Président du Conseil économique et social, actuellement vice-Premier ministre, ministre de la Santé, est un homme extrêmement respecté dans l’estuaire. Premier chef du premier et du deuxième gouvernement d’Ali Bongo, il a réussi à placer des cadres de son réseau et de son ancien parti politique à des postes très importants de la haute administration. Ce qui lui confère une certaine influence. Il est surtout populaire pour avoir transformé la ville de Bikelé, sa circonscription électorale, puisque plusieurs fois député, en une ville moderne en très peu de temps. Ali Bongo s’appuie sur lui pour maintenir l’électorat des fangs et des punus de Libreville.
9. Actuel chef du cabinet d’Ali Bongo, Liban Souleymane est très influent auprès des jeunes qui constituent le Conseil national de la jeunesse.
10. « Les groupuscules Fan – Club, Accrombessi, Renaissance et consorts… détrônent le PDG », Échos du Nord n° 345, 11 juillet 2016.
11. « Faustin Boukoubi, un secrétaire général très mal dans sa peau », La Loupe, 29 juin 2016.
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de la CENAP, malgré la présence dans la foule de Faustin Boukoubi, secrétaire général en exercice de
son parti.
Ali Bongo semble donc avoir voulu compter sur ce dispositif pour se faire réélire, et sur le caractère
mobilisateur de ses principaux thèmes de campagne que sont : l’égalité des chances, la promotion de
l’emploi des jeunes et le développement des infrastructures.
Cette stratégie comporte tout de même le risque de voir la base militante du PDG, ainsi que son
secrétaire général, quitter le navire à la veille de l’élection. Plusieurs militants du parti expriment en
effet leur « ras-le-bol » face à cette situation qu’ils considèrent comme injuste. Les réunions
nocturnes et dominicales que plusieurs d’entre eux organisent dans les somptueuses villas d’Agondjè
laissent penser à une organisation parallèle. Un autre signe de ce climat délétère au sein du PDG est
la démission fracassante du député PDG de Minvoul lors d’un meeting de soutien à Ali Bongo. En
effet, le 25 juillet 2016, lors de l’étape de Minvoul de sa tournée républicaine, devant une foule
nombreuse et profitant de la tribune offerte afin de prononcer le discours de bienvenue au
Président, le député Bertrand Zibi Abéghé a déclaré quitter le PDG, et remettre au peuple le mandat
qu’il lui a confié en 2011 ; cet incident n’est pas de nature à rassurer l’opinion quant aux capacités
des militants restés fidèles au PDG à continuer à supporter cette mise à l’écart. Le risque est donc
qu’ils contribuent à la défaite d’Ali Bongo dans leurs bases respectives.
Les membres de la génération montante, encore appelés les « émergents », bien que dotés
d’importants moyens financiers, ne disposent d’aucune base électorale. Les démonstrations de force
auxquelles ils se livrent à travers l’organisation de grands rassemblements, ne reposent sur aucun
socle solide car, selon certains témoignages, la participation par milliers d’adolescents à ces meetings
serait monnayée. Les sondages aléatoires que nous avons réalisés lors de certains meetings révèlent
qu’un nombre significatif de jeunes qui participent à ces meetings ne sont même pas inscrits sur les
listes électorales. C’est donc un militantisme fictif. Par ailleurs, la plupart de ces jeunes sont de prime
abord issus des milieux pauvres et tiennent le pouvoir en place pour responsable de leur situation. Ils
y vont, d’après certains d’entre eux, pour « manger l’argent du PDG ».
Par ailleurs, toutes ces personnalités issues du groupe des « émergents », semblent rencontrer des
difficultés à se doter de solides assises à l’intérieur du pays. Ce qui représente, pour Ali Bongo,
un risque de rupture avec une bonne partie de son électorat et de sa base militante. Les provinces
qui lui sont traditionnellement acquises, du fait de l’ancrage du PDG dans le Haut-Ogooué et
l’Ogooué-Lolo, lui opposent désormais de solides concurrences. La position du PDG se trouve
fragilisée dans le Haut-Ogooué, avec les défections de Léon Paul Ngoulakia, Albert Yangari, Alfred
Nguia Banda, François Banga Ebumi et la mise à l’écart de Paul Toungui, qui sont les hauts cadres de
cette province, dans lesquels beaucoup de ressortissants de cette province se reconnaissaient.
L’Ogooué-Lolo, est le fief de l’ancien président de l’Assemblée nationale gabonaise Guy Nzouba
Ndama, qui a quitté les rangs du PDG en mars 2016. En juillet 2016, les dignitaires originaires du
Haut-Ogooué, en rupture avec le parti présidentiel, ont lancé un appel au changement, à l’alternance
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et au respect de l’article 10 de la Constitution gabonaise (voir plus loin), en demandant à tous les
ressortissants de cette province de barrer la route à Ali Bongo lors de l’élection présidentielle12.
À l’issue du scrutin d’août 2016, le PDG, s’il n’est pas dissout, pourrait être soumis à d’importantes
réformes et à la mise au ban de tous les membres de ses instances dirigeantes actuelles, en
commençant par son secrétaire général. C’est par une réforme radicale du Bloc démocratique
gabonais, le parti hérité du père de l’indépendance Léon Mba, rebaptisé aussitôt en PDG, qu’Albert
Bernard Bongo avait assuré la reprise en main et son leadership sur une formation politique qui lui
échappait encore.
1.2. L’opposition gabonaise ou les balbutiements d’une dynamique sans direction
L’opposition gabonaise est composée d’une myriade de partis politiques et de candidats
indépendants. Une situation qui, au regard de la nature du système électoral gabonais à un tour,
la rend incapable de gagner une élection présidentielle, à moins de se constituer en coalition.
La marge de manœuvre de l’opposition pour remporter le scrutin est donc réduite. D’une part, par la
guerre des égos qui caractérise cette opposition et la rend incapable de présenter une candidature
unique, et d’autre part, par la mainmise exercée sur les institutions en charge de l’organisation et de
la gestion des élections par le système en place, pour des raisons que nous évoquerons dans
l’analyse des institutions en charge des élections. Consciente de ces deux faits et enseignée par
l’histoire de ses luttes politiques au cours des années 1990, l’opposition gabonaise s’est fixé pour
objectif commun d’empêcher la candidature d’Ali Bongo, en remettant en cause sa nationalité
gabonaise, au sens de l’article 10 de la Constitution gabonaise, et en évoquant l’irrégularité de l’acte
de naissance versé par Ali Bongo dans son dossier de candidature à l’élection présidentielle de 2009.
Déboutée par les différentes instances de recours, quant à l’invalidation de la candidature du
président sortant, l’opposition gabonaise est confrontée à la difficulté de définir une stratégie
commune, notamment celle d’une candidature unique, susceptible de renforcer les chances de
victoire. Une option souhaitée par l’ensemble des militants, mais qui semble improbable car, deux
des trois poids lourds de l’opposition, à savoir Jean Ping et Guy Nzouba-Ndama, pensent chacun avoir
des chances de gagner.
La dizaine d’autres candidats n’est pas non plus là pour faciliter la victoire de l’opposition, dont la
seule chance de réussite semble pourtant le ralliement à une candidature unique13.
En matière d’offre politique, aucun des prétendants, du côté de l’opposition, n’a véritablement
proposé un programme politique digne de ce nom. Tout le combat ayant consisté à bloquer la
candidature d’Ali Bongo.
12. Lire notamment : « Le haut-Ogooué appelle au respect de l’article 10 de la Constitution », Gabon Niooz,
14 juillet 2016
13. « Présidentielle 2016 : Une coalition pour faire barrage à la candidature d’Ali Bongo », article publié dans Gabonreview.com, le 7 juillet 2015.
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Tableau des atouts et faiblesses des trois principaux candidats de l’opposition
Candidats Atouts Faiblesses Source de popularité
Casimir Oye Mba
Réputation de bon gestionnaire
Faible maîtrise des mécanismes de compétition politique
Son appel à une candidature unique et sa détermination à faire aboutir le processus d’invalidation de la candidature d’Ali, en proposant une démarche d’empêchement commune à tous les candidats. Il se positionne désormais comme l’homme du consensus au sein de l’opposition.
Son âge et sa pondération rassurent tous ceux qui sont contre la longévité au pouvoir
Sa mystérieuse volte-face de 2009, où après avoir fait campagne sous le slogan « le Gabon autrement », il s’était retiré la veille du scrutin sans donner de consignes de vote.
Sa popularité au sein de la classe moyenne et des milieux intellectuels
Sa faible culture des débats politiques
Le manque d’unanimité autour de sa candidature au sein de son parti politique l’Union nationale
Jean Ping
Une bonne connaissance des grands enjeux globaux
Un discours populiste Sa détermination et son investissement sans commune mesure
Une bonne occupation du terrain
Un programme politique illisible et dépourvu d’originalité
Son discours populiste
Jouit des soutiens de taille sur toute l’étendue du territoire
Son assurance
Dispose d’un important réseau relationnel dans les différents secteurs de la société gabonaise
Son discours offensif et sa pugnacité
Son expérience dans la gestion des affaires
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Guy Nzouba Ndama
Son expérience des affaires et sa maîtrise de la vie politique du pays
Le fait d’avoir été l’un des artisans de la victoire d’Ali Bongo en 2009
Le courage d’avoir quitté le camp présidentiel malgré les pressions
Son influence sur une bonne partie des hauts cadres et des parlementaires gabonais
L’hostilité d’une bonne partie de « l’électorat fang »
Le sens de l’honneur
Sa notoriété au sein de sa province
Sa longévité aux affaires Sa présence sur le terrain
Son passé d’opposant Les soupçons qui pèsent sur sa gestion calamiteuse du budget de l’Assemblée nationale
Les rumeurs sur son état de santé
Sa démission jugée tardive et non opportune pour l’opposition
Une offre politique encore illisible
1.3. La grogne sociale : facteur amplificateur de la tension ?
Le climat social de ces dernières années, reste largement dominé par la persistance des mouvements
sociaux. Cette grogne sociale semble avoir pour cause fondamentale l’enlisement du dialogue social.
D’après un haut fonctionnaire interrogé, le septennat finissant d’Ali Bongo a battu le record des
grèves survenues dans le secteur public, depuis 1994, année de la signature des accords de Paris14.
Ces propos recoupent ceux d’un leader syndical affirmant : « nos rapports d’activités montrent qu’en
sept ans, la fonction publique a travaillé à peine l’équivalent de trois années complètes de travail.
14. Négociés sous l'observation de la communauté internationale à Paris, entre l'exécutif gabonais et sa
majorité et l'opposition gabonaise, à la suite du différend électoral relatif aux conditions d'organisation et de la proclamation des résultats du scrutin présidentiel du 5 décembre 1993. Voir la Note n° 26 de l’Observatoire « Gabon : trajectoires et défis du Parti démocratique gabonais », 27 janvier 2016.
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Cette situation est due [au refus des autorités] de faire avancer les choses dans le bon sens et à
l’incapacité des différents gouvernements à prendre des décisions qui s’imposent quand il le faut.
Nous avons passé sept ans à tourner en rond et à revenir sur les mêmes choses ». Et 2016 apparaît
comme l’année des rendez-vous des grèves en tout genre15, comme celle des magistrats et les
incessantes grèves de la dynamique unitaire ou des syndicats de l’éducation nationale. Ces grèves
apparaissent, au regard de cette déclaration du leader syndicaliste, « comme un échec du dialogue
social », leur persistance semble indiquer qu’aucune négociation sociale n’a abouti à des solutions
durables. Ces grèves semblent par ailleurs étrangères aux mutations de la gouvernance imposées par
la crise pétrolière et la nécessité de réformer le système administratif. Leurs agendas de
revendication datent pour l’essentiel de 2009. C’est notamment le cas de la grève des magistrats, qui
dénoncent la violation par les pouvoirs publics des règles de désignation des magistrats de haut rang.
Toutefois, toutes ces revendications ne semblent pas de nature à aggraver les tensions politiques
majeures car, aucune d’entre elles ne porte sur les impacts négatifs de la crise financière, liée à la
chute du prix du baril de pétrole, encore moins sur les revendications sur la vie chère, mais sur les
vieux dossiers relatifs à l’amélioration des conditions de travail, au paiement des vacations des
enseignants et des impayés de l’ancienne PIP16.
Par ailleurs, aucun rapprochement n’est établi entre les groupes syndicaux corporatistes et
l’opposition politique, du moins à la veille de cette élection. Les leaders de ces syndicats qui se
mobilisent aux côtés de certains candidats de l’opposition, à l’instar de Marcel Libama de la
Convention nationale des syndicats du secteur éducation (Conasysed) et Jean Rémy Yama de la
Dynamique unitaire, le font à titre personnel.
1.4. Un système d’encadrement institutionnel de l’élection contesté
Conformément au Code électoral gabonais, les élections présidentielles comme toutes les autres
consultations politiques, font intervenir deux institutions constitutionnelles, à savoir d’une part
la Cour constitutionnelle et le Conseil national de la communication, et de l’autre la Commission
nationale électorale autonome, instaurée depuis les Accords de Paris et l’Administration, en d’autres
termes, le ministère de l’Intérieur. Les conditions de désignation des membres et des dirigeants de
ces institutions donnent à Ali Bongo un avantage certain par rapport à ses concurrents. La Cour
15. Front social : les travailleurs en grève illimitée dès aujourd’hui, Gabon Review, 23 mai 2016 ; Ministère de
Mines : agents en grève illimitée, Gabon Review, 20 avril 2016 ; Les personnels de la santé et affaires sociales durcissent leur mouvement de grève, AGP, 3 février 2016 ; Éducation nationale : la Conasysed démarre 2016 par une grève, Gabon Review, 5 janvier 2016. Liste non exhaustive.
16. La prime d’incitation à la performance (PIP) instaurée en février 2014, vise à valoriser l’agent public méritant et à améliorer la qualité des services de l’administration. Elle remplace les anciens fonds communs que percevaient les quelque 9 000 fonctionnaires opérant dans les régies financières. Ces fonds constituaient une récompense accordée à ces fonctionnaires pour leurs efforts dans la collecte des deniers publics. La prime était versée en fonction de la note obtenue, ce qui a créé des tensions entre les chefs et leurs agents. La PIP concerne aujourd’hui plus de 30 000 agents publics.
Note n°33 – Enjeux électoraux au Gabon : quelques hypothèses sur l’élection présidentielle d’août 2016 8 août 2016
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constitutionnelle d’abord, se compose de neuf juges, dont trois sont désignés par le Président de la
République, trois par le président du Sénat, et trois par le président de l’Assemblée nationale. Toutes
ces personnalités sont des proches du président sortant. Le président de la Commission électorale
nationale autonome et permanente (CENAP) est désigné par le président de la Cour
constitutionnelle. L’exécutif gabonais exerce ainsi une influence indéniable sur ces institutions17.
Le processus de préparation de l’élection à peine lancé, la CENAP a multiplié une série d’actes
pouvant être perçus comme du favoritisme à l’égard de la candidature d’Ali Bongo. Notamment :
1° Le choix unilatéral du président de la CENAP d’offrir aux candidats la possibilité de
présenter un certificat de nationalité, à défaut d’un acte de naissance. Une mesure perçue
par ses adversaires comme une faveur faite au président sortant, au regard de la polémique
touchant à l’authenticité de son acte de naissance. Saisie par l’opposition, la Cour
constitutionnelle a finalement rejeté cette mesure ;
2° Selon le Blogsmediapart.fr, il est également reproché au président de la CENAP, René
Aboghe Ella, « La mise en place d’une commission médicale au sein de laquelle figurent un
médecin militaire soumis à l’autorité hiérarchique d’Ali Bongo en tant que chef suprême des
armées, un sénateur PDG et le médecin personnel d’Ali Bongo »18.
3° Enfin, d’après les représentants de l’opposition à la Commission de validation des
candidatures, « René Aboghé Ella serait sorti de sa neutralité en imposant aux membres de la
Commission de procéder au vote pour trancher sur la validité ou non de la candidature d’Ali
qui aurait visiblement fait l’objet d’avis partagés ». En ne s’abstenant pas de voter, au regard
de son statut, il aurait permis de porter le nombre de votes en faveur d’Ali Bongo à cinq face
aux trois refus de l’opposition19.
De même, le Conseil national de la communication, qui doit veiller à l’accès équitable de tous les
candidats aux médias publics, est dirigé par un ancien ministre de l’Intérieur d’Ali Bongo. Ce dernier
aura négligé de sanctionner la monopolisation des médias publics par les activités de pré-campagne
d’Ali Bongo, officiellement en tournée républicaine, et qui lui permettent de se lancer dans une vaste
opération de reconquête du terrain. De plus, l’essentiel des discours du président sortant auront
davantage porté sur les réponses aux critiques des différents candidats que sur l’action du
gouvernement. Le Conseil national de la communication aurait en principe dû censurer les propos
allant dans le sens de la campagne ou du moins procéder à des rappels à l’ordre.
17. Voir la Note n° 30 de l’Observatoire « Les élections au service du présidentialisme : les cas du Gabon,
Cameroun, Guinée équatoriale et Congo-Brazzaville », 11 mai 2016.
18. L'exception d'irrecevabilité de la candidature de Mr. Ali Bongo, Union du peuple gabonais, Médiapart, 5 juillet 2016.
19. « Validation dans la confusion de la candidature d’Ali Bongo Ondimba », Gabon Review, 16 juillet 2016.
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1.5. Des doutes sur l’impartialité des Forces de sécurité gabonaises
Les Forces de sécurité sont essentiellement composées des forces de police nationale, devenues un
corps paramilitaire20. Au Gabon, les Forces de défense et de sécurité sont chargées d’assurer,
en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression – notamment militaire, subversive,
économique ou culturelle – la sécurité et l’intégrité du territoire, la protection du patrimoine et de la
population ainsi que le respect des alliances, traités et accords internationaux. Les lois en vigueur en
République gabonaise disposent que les forces de sécurité, que sont les Forces de police nationale
gabonaises, sont chargées d’assurer l’ordre public, conjointement avec les forces de défense de
première catégorie21. Par forces de défense de première catégorie, il faut entendre la gendarmerie
nationale gabonaise, qui est chargée de veiller à la sûreté publique et d’assurer le maintien de l’ordre
et l’exécution des lois et règlements. Elle entreprend également une surveillance continue,
préventive et répressive des délits et crimes. Sa compétence et son action s’exercent sans restriction
sur toute l’étendue du territoire national, ainsi qu’aux armées22.
Les forces de défense quant à elles assurent la défense de l’intégrité du territoire national23.
L’Ordonnance n° 7/2010 du 25 février 2010 indique que leur mission consiste à garantir l’intégrité du
territoire national, à défendre les intérêts supérieurs de la nation, protéger les institutions garantes
de la démocratie et des droits de l’homme, sauvegarder la vie des populations et de
l’environnement, assurer le maintien et le rétablissement de l’ordre public et concourir au respect
des engagements extérieurs du Gabon.
Depuis l’entrée en période de pré-campagne les forces de police ont été positionnées dans la ville.
Ces forces de sécurités sont perçues par une partie de l’opinion comme des forces « aux ordres »,
dans la mesure où elles n’hésitent pas à recourir à la force pour empêcher toutes les manifestations
que tente d’initier l’opposition24. Cette violence policière à l’encontre des opposants a été relevée
par la représentante de l’Union européenne au Gabon25.
20. Article 24 et 25 de la loi n° 4/98 du 20 février 1998 portant organisation générale de la défense nationale et
de la sécurité publique. Voir la Note n° 21 de l’Observatoire « Renouvellement des générations au sein des forces de défense et de sécurité en Afrique équatoriale et centrale », 13 août 2015.
21. Article 26 de la loi n° 4/98 du 20 février 1998 portant organisation générale de la défense nationale et de la sécurité publique.
22. Article 1er des Décrets n° 01253/PR, du 27 août 1982 et n° 091/PR du 14 janvier 1983 réglementant l’organisation de la gendarmerie nationale.
23. Article 19 de la loi n° 4/98 du 20 février 1998 portant organisation générale de la défense nationale et de la sécurité publique.
24. « Une manifestation de l’opposition violemment réprimée », France 24, 24 juillet 2016.
25. « Gabon, l’UE appelle les acteurs politiques à éviter les violences avant la présidentielle », Agence d’information d’Afrique centrale, 29 juillet 2016.
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2. Les facteurs de risques d’instabilité
La situation qui prévaut au Gabon ne semble pas porteuse, du moins à court terme, d’un risque
d’instabilité majeure. Les risques d’une instabilité généralisée restent dans l’ensemble difficiles à
évaluer, tant la peur de la violence policière et militaire, limite les possibilités de mobilisations de
grande ampleur de la part de l’opposition. Ce, en dépit de l’érosion du soutien d’une partie de
l’opinion à l’égard du pouvoir actuel. Les succès enregistrés par le pouvoir gabonais en termes de
mobilisation seraient, selon l’opposition, dus aux moyens que ce dernier mobilise, qui vont du
transport des personnes, à leur sécurisation par les forces de défense et de sécurité, en passant par
la rétribution de participants aux meetings. Selon certains interlocuteurs locaux, si le Gabon était un
pays à forte démographie, certaines caractéristiques de son contexte politique actuel, auraient été
déterminants dans l’avènement de mouvements extrapolitiques de contestation du pouvoir :
notamment le sentiment de frustration et l’aspiration d’une grande partie de l’opinion à l’alternance
politique, la multiplication d’abus contre l’opposition, les appels au soulèvement populaire lancés par
certains secteurs minoritaires de l’opposition.
2.1. Une multiplication d’abus contre l’opposition
À la pression croissante exercée par l’opposition et une partie de la société civile, le pouvoir gabonais
a choisi de répondre par des mesures administratives et le déploiement des forces de sécurité, vécus
par ses adversaires comme autant des mesures de répression et de privations des libertés
d’expression : interdiction ou limitation de possibilité de manifester dans les lieux publics,
dispersions des rassemblements spontanés y compris des rassemblements se déroulant en dehors
des lieux faisant l’objet d’une interdiction de manifester26. Nombre des mobilisations se soldent par
des arrestations administratives, et des affrontements avec les forces de l’ordre27. Parallèlement à
ces restrictions aux manifestations publiques, et au déploiement des forces de l’ordre,
26. Par référence aux événements des 9 et 24 juillet 2016. En effet, les deux manifestations pacifiques prévues
par l’opposition n’ont pas pu se tenir car les rassemblements ont été dispersés par les forces de l’ordre. Le ministre prétextera que ces manifestations n’avaient pas fait l’objet d’une autorisation préalable, les opposants soutenant le contraire. Leurs propos semblent aller dans le même sens que ceux d’un député de la majorité : « les opposants n’ont jamais eu à ne pas déposer des demandes [sic], car ce faisant, ils veulent s’inscrire certes dans la logique de la légalité, mais aussi c’est une occasion pour eux de démontrer aux yeux du monde que l’État de droit n’existe pas chez nous. Selon la loi, lorsqu’ils déposent leur notification d’organisation d’une manifestation publique à un endroit précis, s’ils n’obtiennent pas de réponse leur opposant un refus, ils doivent considérer que c’est acquis. Or, nous ne prenons jamais la peine de leur répondre négativement par manque d’arguments. À croire que notre camp est à la recherche d’une moindre occasion pour réprimer le peuple qu’il doit défendre et dont il doit assurer la sécurité. J’ai honte de ce qui se passe de notre côté. Mais jusqu’à quand allons-nous le faire ? »
27. « Présidentielle 2016 : Que va donc faire l’opposition ? », Gabon Review, 31 juillet 2016, conforté par l’article « Arrestations arbitraires : les avocats se liguent », Gabon Review, 22 juillet 2016.
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se multiplieraient également des prises de position publiques de la part des acteurs de la majorité
présidentielle, pouvant être perçues comme des actes d’intimidation à l’égard des opposants.
En avril 2015, lors d’un discours à la place mythique de Rio, à Libreville, ponctuant une marche de
soutien à sa candidature, Ali Bongo avait déclaré haut et fort : « J’y suis et j’y reste pour vous… ».
Il reprendra presque mot pour mot cette déclaration lors de la marche de soutien organisée en sa
faveur par ses supporters le 8 juillet 2016, à l’occasion du dépôt de sa candidature à la CENAP. À cela
s’ajoutent les déclarations du ministre de la Communication – l’un des hommes clés de la machine
politique actuelle d’Ali Bongo –, Alain-Claude Bilié-By-Nzé : « personne n’empêchera Ali Bongo d’être
candidat à la prochaine élection présidentielle ». Les autres formes d’intimidation sont caractérisées
par les arrestations de militants de l’opposition et de la société civile28 ou encore les mises en
demeure des intérêts économiques et commerciaux de ses adversaires politiques29.
Jean Ping a particulièrement été visé au mois de juin dernier, pour « atteinte à la sécurité
publique »30 et pour diffamation31.
2.2. L’appel au soulèvement populaire de l’opposition
L’hypothèse d’un soulèvement populaire, nourrie par une frange de l’opposition depuis deux ans
semble dans l’immédiat trouver peu de vraisemblance, au regard du peu de marge de manœuvre et
de crédibilité limitée d’une opposition encore divisée dans son ensemble, et dépourvue d’une
personnalité de consensus pouvant fédérer les partisans d’une alternance. Il n’existe par ailleurs
aucune articulation entre l’opposition parlementaire, et les tenants (minoritaires) d’une opposition
radicale dont les options se résument au programme qui préconise la Destitution, la transition et
l’élection, son fameux DTE32. Pour ce courant, aller aux élections avec Ali Bongo, c’est légitimer sa
candidature. Aussi convient-il de le destituer, ensuite de mettre en place un gouvernement de
transition, en charge entre autres de préparer les élections, après avoir remis à plat les institutions.
Le 9 juillet 2016, une infiltration de quelques centaines de jeunes de cette frange de l’opposition,
dénommée l’Union sacrée pour la patrie (USP), dans la gigantesque manifestation de soutien à la
28. « Une vingtaine de militants opposés à la candidature d’Ali Bongo arrêtés », VOA Afrique, 14 juillet 2016.
Leur avocat soutenant pourtant que leurs dossiers étaient vides, et qu’il n’y avait absolument aucune preuve des infractions qui leur sont reprochées. Pour ce dernier, ce serait une manière de les mettre en quarantaine pour des raisons politiques. Lire aussi, « Marche de protestation contre la candidature d’Ali Bongo, les forces de l’ordre kidnappent une trentaine de personnes », Échos du Nord n° 345, 11 juillet 2016.
29. Cas de la mise en demeure de la structure hôtelière Le Maisha, appartenant à Chantal Myboto, au lendemain de ses allégations sur l’état civil d’Ali Bongo.
30. « Jean Ping sommé de se présenter devant la justice », Jeune Afrique, 23 juin 2016 ; « Suite à une plainte d’Ali Bongo : Jean Ping en justice », Gabon Review, 15 juin 2016.
31. Lire entre autres « Présidentielle 2016 : Ali Bongo dépose sa candidature sous forte escorte », Gabon Review, 11 juillet 2016.
32. « Présidentielle 2016 : USP et son plan de destitution d’Ali Bongo Ondimba », Gabon Review, 26 avril 2016 ; « L’opposition veut la disqualification du Président Bongo de la présidentielle », Africanews, 25 juin 2016.
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candidature d’Ali Bongo avait réussi à perturber l’évènement, et motivé l’interruption de la
manifestation. Ce qui tend à prouver qu’avec un minimum d’organisation et de mobilisation, une
poignée d’acteurs peuvent déjouer les réponses répressives et semer le doute dans le camp de la
majorité.
Reste toutefois l’hypothèse très ténue d’un sursaut de dernière minute, avec le désistement de
certains candidats en faveur d’une candidature unique de l’opposition, dont la crainte du succès
pourrait pousser la majorité sortante au recours à la force, débouchant sur un plus vaste
mécontentement populaire.
2.3. La naissance des mouvements extrapolitiques de contestation
En marge des sphères institutionnelles, la contestation semble progressivement gagner les jeunes
des quartiers défavorisés33, appelés couramment les Mapanes, qui se sont constitués en « groupes
armés » et qui, malgré leur petit nombre, à peine une centaine, affrontent assez régulièrement,
en marge de chaque manifestation, la gendarmerie nationale. Ce qu’il faut craindre ici, c’est leur
« popularisation ». Leur médiatisation pouvant susciter des adhésions, car nombre de ces jeunes sont
désœuvrés à Libreville. Ils peuvent y trouver un espace pour exprimer leurs frustrations et pour se
venger du pouvoir, même au prix de leur vie car plusieurs d’entre eux estiment ne plus rien attendre
de l’avenir34.
33. « Les jeunes des Mapanes de Libreville s’organisent pour siffler la fin du régime Bongo – PDG », Info241,
23 décembre 2015 ; « Les jeunes des "mapanes" demandent à Ali Bongo de se retirer », aLibreville, 22 décembre 2016.
34. Une enquête menée par l’ONG Citoyens et Actions, au mois de juin 2016, montre qu’à Libreville, 25 jeunes sur 100 ne disposent d’aucune qualification, et ne peuvent donc pas prétendre à un emploi stable et valorisant. Et que 18 sur ces 25 ne font rien de leur journée et attendent uniquement le soir, pour aller braquer. Tandis que 7 sur 25 exercent une activité génératrice de revenus précaires, comme par exemple : écailleurs occasionnels de poissons, chargement d’autobus, surveillance de véhicule, etc. À la question de savoir si pour eux, l’enrôlement dans un groupe armé pouvait constituer pour eux un recours, 20 de ces 25 % pensent ne plus avoir d’avenir et se disent être prêts à intégrer un mouvement armé, si c’est la seule voie pour eux de mettre tout le monde au même pied d’égalité. Trois parmi eux se disent prêts à en rejoindre, si une rémunération leur était proposée en retour.
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Conclusion
Le climat politique qui prévaut au Gabon à la veille de l’élection présidentielle révèle une crise
latente du dialogue politique. L’issue incertaine du processus électoral pourrait exacerber les
tensions en partie liées à un contexte socioéconomique fragile. Si dans l’immédiat, l’hypothèse d’une
instabilité majeure et d’un conflit ouvert semble ténue, quelques facteurs structurels pourraient
servir de base à des soubresauts populaires d’une ampleur encore imprédictible, avec pour élément
déclencheur, la victoire d’Ali Bongo. Pour que sa victoire constitue un facteur de troubles,
il faudrait au préalable que les trois principaux candidats de l’opposition se désistent en faveur d’une
candidature unique, fédératrice de toute l’opposition, et dotée d’une légitimité engageant
l’ensemble de l’opposition ; que les groupuscules acquis à la cause de la destitution d’Ali, soient
armés, ainsi qu’ils le souhaitent pour mieux affronter les forces de l’ordre. La sortie de crise pourrait
alors suivre la voie déjà empruntée dans la sous-région, et au Gabon en 1994, d’un dialogue pour une
gestion concertée de l’État au nom de la préservation de la paix civile et la stabilité.
À l’inverse, la défaite d’Ali Bongo par les urnes, pourrait dans l’hypothèse la plus optimiste épargner
au pays de la violence, puisque « c’est son système qui gère l’élection ». Si le présidant sortant est
donné perdant, c’est que le résultat a été admis.
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Auteur :
Jean Delors Biyogue Bi Ntougou
Docteur en sciences sociales et économiques (Paris), il est expert national, coordonnateur de zone du programme Appui aux réseaux territoriaux de gouvernance locale et de développement (ART GOLD) auprès du PNUD au Gabon. Ses domaines d’expertise ciblent la prévention, la gestion et le règlement des conflits en Afrique et les questions de processus électoraux.
Coordinateur scientifique :
Michel Luntumbue
Michel Luntumbue est chargé de recherche au GRIP dans le secteur « Conflit, sécurité et gouvernance en Afrique ». Licencié en Sciences politiques et Relations Internationales, ses travaux au GRIP portent sur l’amélioration de la sécurité humaine, la prévention des conflits et le renforcement de l’état de droit dans les pays d’Afrique centrale et occidentale.