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Copyright 2012 El Kalima 1

La Révélation en Christianisme

et en Islam

Conférences du Centre EL KALIMA

n° 23

Jean-Luc Blanpain

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Jean-Luc Blanpain La Révélation en Christianisme et en Islam

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Introduction

Islam et Christianisme sont, avec le Judaïsme, des religions révélées. L’un et l’autre considèrent leur message religieux comme étant le fruit d’une intervention divine. Cette foi en la Parole de Dieu consiste à recevoir Dieu de Dieu. Il s’agit là incontestablement d’un point de rapprochement essentiel et non négligeable. Pourtant, dans la rencontre entre chrétiens et musulmans, la question de nos Écritures respectives pose souvent problème.

Quel est le chrétien qui, dans sa rencontre de l’Islam, ne s’est jamais entendu

objecter que « la Bible est un livre rempli d’erreurs » ou que « les chrétiens ne sont pas fidèles à leurs Écritures ». Ce même chrétien ne s’est-il pas senti mal à l’aise par un traitement perçu comme littéraliste du Coran ou par des applications jugées naïves du Coran à des réalités séculières ?

Ce texte 1 , sans rien apporter de neuf, voudrait reprendre les principales données du Christianisme et de l’Islam concernant la révélation. Clarifier les idées, se rendre compte que des conceptions différentes, toutes aussi respectables, sont en jeu permet souvent de rendre les rencontres et les échanges plus sereins. Reconnaître la différence de l’autre est indispensable pour un dialogue en vérité.

Ces pages se développent en trois points :

la question de la révélation

Bible et Coran : différences phénoménologiques

Bible et Coran : différences doctrinales

I. La question de la révélation

L’affirmation fondamentale que Dieu a parlé aux hommes comporte un anthropomorphisme énorme. Elle attribue à Dieu une qualité propre à l’homme, le fait de parler et, qui plus est, dans un langage accessible à la raison humaine. Comment Dieu peut-il utiliser un langage humain ? Comment un langage humain peut-il contenir la Parole divine ? La Parole de Dieu n’est-elle pas, en termes humains, essentiellement ineffable ?

1 Ce texte s’inspire largement de l’article de R. CASPAR, Parole de Dieu et langage humain en Christianisme et en Islam, dans Islamochristiana, 6, 1980, p. 33-60.

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Jean-Luc Blanpain La Révélation en Christianisme et en Islam

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Ce paradoxe, lié au fait même de la révélation, a été bien perçu dans les deux traditions, chrétienne et musulmane. Il a conduit à des attitudes contrastées. De nombreux rationalistes, dans les deux traditions, y ont vu un motif de refus de la révélation. L’argument se présente de la façon suivante : si la révélation est conforme à la raison, elle est inutile car la raison suffit ; si elle ne lui est pas conforme, elle est inintelligible à l’homme et donc également inutile. Ce problème fondamental n’a cessé de se poser à nos deux traditions religieuses qui doivent trouver un point d’équilibre entre un pur rationalisme, qui exclut la révélation, et un littéralisme, qui porte atteinte à la transcendance divine par les anthropomorphismes outranciers qu’il opère.

Pour la tradition chrétienne, la question s’est située dès les premiers siècles au

niveau du langage prophétique. Le prophète est un homme de son temps, qui utilise le langage et la culture propre à son milieu. C’est l’assistance de l’Esprit Saint qui éclaire son jugement et le rend conforme au jugement de Dieu. Ce thème de l’inspiration permet de prendre en compte tout à la fois le caractère humain de la Révélation (diversité des auteurs, des milieux, des cultures) et son unité dans le plan divin, à travers l’assistance de l’Esprit Saint. La Révélation est à la fois pleinement humaine et pleinement divine.

En Islam, la problématique a été abordée de façon différente. La première

question posée fut celle de la langue du Coran. La langue arabe du Coran est-elle d’origine divine ou résultat de conventions humaines, assumées par la suite par Dieu ? La tendance qui, à travers les siècles, s’est imposée tient avec des nuances pour l'origine et la nature divine de la langue du Coran. La principale nuance apportée tient au rôle d’intermédiaire de l’Ange Gabriel dans la transmission de la Révélation au Prophète. Par sa nature angélique, il est apte à comprendre la Parole éternelle de Dieu et à la transmettre au Prophète en langue arabe. L’arrière-fond philosophique est la théorie néoplatonicienne des niveaux d’être, qui suppose l’être intermédiaire participant à la fois du niveau qui lui est supérieur et du niveau qui lui est inférieur. La théologie classique fera de l’intervention de l’ange le critère de distinction entre la révélation à un prophète (wahy) et l’inspiration (ilhâm) des mystiques ou des saints.

Ce débat sur l’origine de la langue du Coran recouvre partiellement celui sur le

caractère créé ou incréé du Coran. La solution moyenne qui s'est imposée affirme le caractère éternel et incréé du Coran comme Parole de Dieu, mais son caractère créé comme texte lu, récité ou écrit (position ash'arite).

La tendance classique dominante est donc de s’en tenir fermement à la

transmission mot à mot de la Parole de Dieu au texte du Coran, le Prophète ne jouant qu'un rôle de transmetteur.

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Jean-Luc Blanpain La Révélation en Christianisme et en Islam

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II. Bible et Coran : différences phénoménologiques

Indépendamment de son contenu, un livre parle aussi sur lui-même. De ce point de vue, Bible et Coran se présentent très différemment.

La Bible est un ensemble de quelques 73 livres, suivant les canons, attribués à

un auteur humain authentique ou éponyme. Leur rédaction s’étend sur plus de onze siècles, depuis sans doute le 10e siècle avant Jésus Christ jusqu'à la fin du 1er siècle ou début du 2e siècle après Jésus Christ. Cette histoire rédactionnelle traverse des cultures, des langues et des milieux divers. Chaque livre porte la trace évidente de ces conditionnements et relève de genres littéraires particuliers.

De plus, aux yeux même du croyant, juif ou chrétien, la Révélation, comme

corpus de textes, n'a trouvé que très progressivement sa forme et son identité. Le peuple hébreu a vécu longtemps de traditions orales, et la mise en forme écrite progressive a été l’objet de refontes successives, dont certaines fondamentales. Les écritures propres aux communautés chrétiennes, par ailleurs, se présentent comme une relecture de la vie de Jésus enracinée dans la vie des premières communautés. Ces écritures sont nécessairement plurielles et secondes par rapport à l’annonce de l’Évangile et à son incarnation dans la vie d’une communauté. Un trait propre du rapport chrétien à l’Écriture est la conviction, dès la résurrection du Christ, que Jésus accomplit les Écritures : « Après avoir parlé à nos pères, à bien des reprises et de bien des manières, dans les prophètes, Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu’il a établi héritier de tout, par qui aussi il a crée les mondes » (Hb 1,1).

Il faut noter également que la question de l’identité et du nombre des textes

révélés ne s’est précisée que progressivement. La fixation d’un canon des Écritures, question héritée du Judaïsme qui au synode juif de Yabné vers 100 après Jésus Christ hésitait encore sur certains livres, a pris du temps. Le premier canon chrétien connu est daté d’environ 150, mais la question sera reprise par de nombreux conciles, jusqu’au concile de Trente (1546). Il est important de noter que la règle qui guide la fixation du canon est une règle de foi et non de critique historique : la fidélité à la “Tradition des Apôtres”.

Le Coran se présente, sur le plan phénoménologique, de façon très différente.

C’est un bloc très homogène, avec un seul transmetteur, une seule langue, un temps de révélation relativement bref, une vingtaine d'années, de 610 à 632, année de la mort du Prophète. Très vite aussi, la prédication coranique a été mise par écrit, avec une précision croissante, grâce à l’invention des points diacritiques et ensuite des voyelles brèves. Les problèmes critiques qui subsistent, celui des différents recueils et des différentes lectures, ne concernent que des points mineurs. Il est également intéressant de remarquer que, dans le Coran, c’est essentiellement Dieu qui

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Jean-Luc Blanpain La Révélation en Christianisme et en Islam

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s’exprime, à travers l’usage de la première personne du pluriel. Sur le plan phénoménologique, le Coran se présente donc comme une irruption soudaine et directe de la Parole de Dieu dans l’histoire des hommes.

III. Bible et Coran : différences doctrinales

Dans les deux traditions, chrétienne et musulmane, nous retrouvons les trois mêmes éléments : la Parole de Dieu, le prophète qui transmet et le texte qui consigne. Mais l’articulation de ces éléments se joue de façon différente.

Dans la tradition judéo-chrétienne, il y a un événement qui est antérieur et

premier par rapport au texte. C’est cet événement qui fonde le texte. Ainsi, par exemple, la libération de l’esclavage d’Égypte par rapport au livre de l’Exode, la ruine de Jérusalem par rapport au livre des Rois ou la vie de Jésus par rapport au texte des Évangiles : chaque fois, le texte est mémoire de l’événement, dont il déploie le sens avec une visée plus large. Nous pouvons dire que la tradition est antérieure à l’écriture. La tradition porte, fonde et est la norme de l’écriture. Nous l’avons noté plus haut, par exemple, dans l’utilisation du critère de fidélité à la Tradition des Apôtres pour la fixation du canon.

En Islam, la situation est radicalement différente : l’Écriture, le texte

coranique, est antérieure à la Tradition ; il en est le critère d’authenticité et la norme.

Une seconde différence doctrinale porte sur l’identité de la Parole de Dieu. Pour le Christianisme, c’est la personne même de Jésus qui, à travers toute sa

vie, est Parole de Dieu. L’Écriture a pour objet de rapporter qui est Jésus, à partir de sa vie avec ses apôtres. On parlera d’inspiration à propos des Écritures, tandis que la révélation est Jésus lui-même. La vie de Jésus déborde d'ailleurs le cadre des Écritures qui en sont bien conscientes (Jn 20,30 ; 21,25).

En Islam, par contre, la Parole de Dieu est le Coran, son texte et son contenu. Cette différence est bien exprimée par la phrase souvent répétée de

Mohammed Talbi : « Le Coran, Parole de Dieu, tient pour le musulman la place que tient Jésus Christ, Parole de Dieu, pour le chrétien ».

Sur base de ces différences, tant phénoménologiques que doctrinales, il

devient aisé de repérer le malentendu qui surgit de certains concepts propres à l’une ou l’autre tradition.

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Jean-Luc Blanpain La Révélation en Christianisme et en Islam

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L'expression coranique de « gens du livre » pour désigner Juifs et Chrétiens ne correspond pas à ce que les chrétiens disent sur eux-mêmes. Sur base de la conception coranique du livre, les chrétiens ne sont pas des gens du livre.

La théologie musulmane distingue la révélation réservée aux prophètes et

l’inspiration réservée aux saints. Les chrétiens, quant à eux, parlent de révélation par inspiration.

Le concept de “tahrîf” (souvent traduit, faute de mieux, par “falsification”)

utilisé par le Coran à l’égard des détenteurs des révélations antérieures est très cohérent dans la conception coranique de la Révélation. Puisqu’il y a divergences sur certains points entre la Révélation coranique et les Écritures des Juifs et des Chrétiens, c’est qu’il y a eu des manquements dans la transmission, l’erreur ne pouvant être attribuée à Dieu. Il ressort clairement que lorsqu’on prend en compte la conception chrétienne de la révélation, ce concept est sans pertinence.

De l’autre côté, la demande que le Coran soit traité avec les méthodes

historico-critiques se trouve de la même façon sans objet : comment un texte écrit de toute éternité auprès de Dieu, et transmis tel quel, pourrait-il faire l’objet de procédures qui font intervenir des éléments qui lui sont étrangers, comme le contexte historique de sa “descente” sur le Prophète ?

Conclusion

En conclusion, il apparaît indispensable de respecter la conception propre à chaque tradition pour pouvoir envisager un dialogue interreligieux. Il faut éviter d’utiliser des concepts qui tirent uniquement leur validité du contexte de la tradition dans laquelle ils sont utilisés. La difficulté est sans doute plus grande, dans ce domaine, pour les musulmans, dans la mesure où leurs textes contiennent des affirmations sur les révélations antérieures. La difficulté ne paraît cependant pas insurmontable, comme en témoignent différents auteurs contemporains.

Le défi lancé à chacune des communautés bénéficiaires d’une révélation divine

est sans conteste celui de veiller à ce que la Parole de Dieu s’articule de façon vitale à la vie des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Cela ne pourra se faire que dans le respect de ce que sont les Écritures respectives. Mais n’y a-t-il pas là, dans le respect de la voie propre à chacun, un lieu d’émulation mutuelle au sein même de la rencontre interreligieuse, pour la gloire de Dieu ?

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Jean-Luc Blanpain La Révélation en Christianisme et en Islam

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PUBLICATIONS DES CONFERENCES DU CENTRE

1. "Etat, religion et laïcité en Islam" (Gric) Pasteur Gabus. "Les difficultés actuelles du dialogue entre musulmans et chrétiens" Maurice

Borrmans. "Sainteté en Islam et en Christianisme" Khalil Kochassarly. 2. "Soufi de la beauté et de la danse" Djalâluddîn Rûmî, fondateur des derviches tourneurs" Serge de Beaurecueil. "Les arabes chrétiens à la

naissance de l'Islam". Khalil Kochassarly. "Développement des sciences exactes chez les arabes à partir du 9ème s.". R. Morelon.

3. "Les voies du réformisme musulman contemporain". Khalil Kochassarly. 4. "Les bases sociales et religieuses du statut de la femme musulmane au

Maroc" Zohra Zarrough. 5. "Chrétiens et musulmans adorons-nous le même Dieu ?" J.M. van Cangh. 6. "Le problème de l'amour dans la mystique musulmane" Serge de

Beaurecueil. 7. "Révélation : Questions islamo-chrétiennes au Moyen-Age" Emilio Platti 8. "L'Islam et le mystère chrétien" Michel Gagnon. 9. "Les relations euro-arabes, le passé et l'avenir" H. Safar. 10. "Le dialogue islamo-chrétien dans le cadre du dialogueinterreligieux"

Jacques Scheuer. 11. "L'Islam en Afrique Noire" R.L. Moreau. 12. "A la découverte de la littérature arabe de langue française". Ecrivains

arabes d'Europe, présenté par J.L. Blanpain. 13. "Le prophétisme biblique et chrétien" J.M. van Cangh. 14. "L'Irak, quand ses sources chantaient" M. Goffoël - Kh. Kochassarly - B.

Dupret. 15. "Jésus et Marie en Islam" J.L. Blanpain.

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Jean-Luc Blanpain La Révélation en Christianisme et en Islam

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16. "L'Ethique de la sexualité en Islam" Kh. Kochassarly. 17. "lmmigration, Islam : défis et enjeux pour l'Eglise à Bruxelles" R. Van

Schoubroeck. 18. "De l'amour humain à l'amour divin dans la poésie mystique d'Ibn al-Farid" L.P. Vinois. 19. "L'Evangile de Barnabe" J.L. Blanpain. 20. "Quel type d'homme forge l'Islam" Agha Kadri. "Quel type d'homme forge le Christianisme" A. Gesché. 21. "L'éducation de l'enfant musulman" Xavière Remacle. 22. "Les fondamentalismes" Camille Tarot. Thierry de Saussure. P. de

Bethune. 23. "La révélation en Christianisme et en Islam" J.L. Blanpain.

Edition et mise en page : www.domuni.eu