el hadji omar diop - la revue - afrilex
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LâAFRIQUE A LâEPREUVE DE LA JUSTICE PENALE
INTERNATIONALE
El Hadji Omar DIOP*
Docteur en droit public
Enseignant Ă lâUniversitĂ© Cheikh Anta Diop de Dakar et Chercheur au
Centre dâĂ©tudes et de recherches sur les droits africains
et le développement institutionnel des pays en développement (CERDRADI-
LAM)Université de Bordeaux
« Dans des pays considérés comme plus avancés
que le nÎtre, il est clair que les présidents ne sont pas traß-
nés devant les tribunaux et que dans de nombreux cas, les
tribunaux doivent attendre que le président quitte ses fonc-
tions »
Amina Mohamed, ministre en charge des Affaires Ă©tran-
gĂšres kenyan, Burkin 24, 9 octobre 2013.
« ImpunitĂ© JusquâoĂč lâAfrique est-elle prĂȘte ? 1» Cette question
centrale qui a Ă©tĂ© au cĆur du colloque organisĂ© par le Laboratoire de pros-
pective de la FacultĂ© des Lettres et Sciences Humaines de lâUniversitĂ©
Cheikh Anta Diop montre lâacuitĂ© et la pertinence du sujet portant sur les
relations entre lâAfrique et la Cour pĂ©nale internationale.
Il y a lieu de rappeler que lâĂ©mergence de la justice pĂ©nale internationale
apparaĂźt comme lâune des mutations les plus significatives de la sociĂ©tĂ©
internationale post-guerre froide2. En effet, depuis les Tribunaux pénaux de
lâaprĂšs seconde Guerre mondiale qui ont eu Ă juger les crimes Nazis et fas-
* La premiĂšre version de ce papier a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e lors du Colloque : « LâodyssĂ©e des 30 ans
de lâInstitut des Droits de lâHomme et de la Paix (IDHP) : Histoire et perspectives des Droits
de lâHomme en Afrique » tenue Ă Dakar les 14 et 15 mars 2014 Ă lâUCAD II. Lâauteur
remercie les lecteurs et Ă©valuateurs qui lâont aidĂ© Ă parfaire le papier. 1 Cours nouveaux, Revue Africaine, Trimestrielle de StratĂ©gie et de Prospective, numĂ©ro
special n° 9-10, Juin 2013, LâHarmattan, 354 p. 2 Navi Pillay, « The Role of the International Criminal Court in emerging System of Interna-
tional justiceâ, in Olivier Ribbelink (ed), Beyond the UN Charter: Peace, Security and the
role of justice, Hague Academic Press, âFrom Peace to Justice Seriesâ, 2008, pp. 42.
cistes à Nuremberg et à Tokyo3, la souveraineté des Etats, la non-ingérence
dans les affaires intérieures des Etats et la division du Monde en deux
blocs, capitaliste et socialiste sous la banniĂšre des deux grandes puissances
(Etats-Unis et URSS) avaient constitué des barriÚres infranchissables pour
lâorganisation de procĂšs internationaux.
La premiĂšre tentation dâinstauration dâune justice pĂ©nale interna-
tionale trouve son origine dans lâarticle 227 du traitĂ© de Versailles de 1919.
Ce traitĂ© mettait en accusation lâempereur allemand Guillaume II pour « of-
fense suprĂȘme contre la morale internationale et lâautoritĂ© sacrĂ©e des trai-
tée ». Il demandait aussi au Pays Bas son transfÚrement à un tribunal
international. Ce pays a refusé de déférer le souverain.
AussitĂŽt que la Guerre froide avait fini de produire ses effets avec
la chute du Mur de Berlin et lâeffondrement du Bloc socialiste, commence
alors un nettoyage ethnique dans les Balkans et le génocide au Rwanda.
Confrontés à des crimes qui bouleversent la conscience humaine, la Com-
munautĂ© internationale semble plus rĂ©ceptive Ă lâinstauration de juridictions
pénales internationales. Ces évÚnements ont rendu inéluctable la création
de juridictions pĂ©nales internationales Ă lâinstar du Tribunal pĂ©nal interna-
tional pour lâex-yougoslavie (TPY)4 et le Tribunal pĂ©nal pour le Rwanda5.
Critiquées comme étant la « justice des vainqueurs », les tribunaux pénaux
de lâaprĂšs de Nuremberg et de Tokyo ont nĂ©anmoins contribuĂ© Ă poser des
principes nouveaux tels que la responsabilité pénale des individus,
lâabsence dâexcuse tirĂ©e de la qualitĂ© officielle des accusĂ©s, la responsabili-
tĂ© du supĂ©rieur hiĂ©rarchique et lâabsence dâimmunitĂ©. Ces principes furent
confirmĂ©s par lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations Unies et codifiĂ©s en 1950
par la Commission du droit international de lâONU.
Le droit est au service des fins humaines et il semble que le mou-
vement vers lâinstitutionnalisation progressive de la justice criminelle in-
ternationale, entamé à Nuremberg, entre hibernation avec le guerre froide,
relancĂ© par la crĂ©ation des tribunaux pour lâex-Yougoslavie et pour le
Rwanda et poursuivie avec la crĂ©ation actuelle dâune Cour permanente, est
important et révélateur6.
3 Voir sur cette question, H. Donnedieu de Vabres, « Le procÚs de Nuremberg devant les
principes modernes de droit pĂ©nal international », Recueil des cours de lâAcadĂ©mie de droit
international (RCADI), 1947, vol. 70, pp.477-582. 4 Le TPY a Ă©tĂ© crĂ©e par les rĂ©solutions 808 (1993) et 827 (1993) respectivemt adoptĂ©es Ă
lâunanimitĂ© le 22 fĂ©vrier 1993 et 25 mai 1993 : S/PV.3175 et S/VP 3217. Le Tribunal siĂšge
à la Haye. 5 Le Conseil de sécurité a aussi crée par la résolution 955 (1994) le Tribunal pénal interna-
tional pour le Rwanda (TPIR). Voir la résolution S/RES/955 du 8 novembre 1994. Sur ces
deux juridictions pénales voir les éclairages de Sidy Alpha Ndiaye, Le Conseil de sécurité et
les juridictions pĂ©nales internationales, ThĂšse de droit, UniversitĂ© dâOrlĂ©ans, 2011, 426 p. 6 Alain Pellet, « La juridiction pĂ©nale internationale de Nuremberg Ă la Haye », in La
mémoire, le procÚs et le crime. Le Monde juif, p. 104.
La lutte contre lâimpunitĂ© fait partie des prĂ©occupations majeures
de lâUnitĂ© Africaine (UA)7. Ainsi la crĂ©ation de la Cour pĂ©nale internatio-
nale par le Statut de Rome en 1998 a montrĂ© lâenthousiasme des Africains
qui ont beaucoup contribué à cette mutation du droit international.
DÚs sa création, la Cour pénale internationale a suscité un immense
espoir et de lâenthousiasme chez les africains. Ainsi lâUnion Africaine nâa-
t-elle pas incité les Etats Africains non-parties au Statut de Rome de ratifier
le texte afin dâĂȘtre justiciable de la CPI. Cette attitude de lâOrganisation de
lâUnion Africaine est dĂ©celĂ©e dans celle de lâUnion Africaine qui fait de la
lutte contre lâimpunitĂ© une prĂ©occupation majeure des Etats Africains.
Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations Unis a remar-
quablement soulignĂ© que « lâentrĂ©e en vigueur du Statut de Rome instituant
la Cour pénale internationale est un évÚnement historique. Elle réaffirme le
rĂŽle pivot du droit dans les relations internationales. Elle contient en
germe la promesse dâun monde dans lequel les responsables de gĂ©nocide,
de crime contre lâhumanitĂ© et de crimes de guerre sont poursuivis lorsque
les Etats ne sont pas en mesure ou ne veulent les traduire devant la justice.
Et elle offre au monde un outil indispensable pour prévenir de nouvelles
atrocités »8.
La justice pĂ©nale apparaĂźt aujourdâhui comme une contribution ma-
jeure du droit international moderne à la culture de la paix par la répression
des auteurs des crimes internationaux. La création de la Cour pénale inter-
nationale « restera comme lâĂ©vĂšnement juridique le plus marquant et le plus
significatif de lâaprĂšs guerre froide »9.
La Cour pĂ©nale internationale dispose dâune compĂ©tence univer-
selle. La reconnaissance dâune compĂ©tence universelle, signifie que lâEtat a
le droit dâexercer une compĂ©tence pour certains actes qui ne se sont pas
produits sur son territoire, et Ă lâĂ©gard desquels il ne serait pas normalement
compĂ©tent. Autrement dit lorsquâun Etat a une compĂ©tence universelle, il
sâagit en principe, sauf indication contraire, dâune compĂ©tence universelle
permissive ou facultative10
.
Avec lâadoption du Statut de Rome, on peut convenir avec M. Bed-
jaoui que « désormais les frontiÚres étatiques ne constituent plus une pro-
tection totale pour les auteurs de crimes internationaux. Le monde dispose
dâun mĂ©canisme de mise en accusation, et donc de ââresponsabilisationââ,
7 Lâarticle 4 (h) de lâActe constitutif de lâUnion Africaine. 8 Kofi Annan, CommuniquĂ© de presse SG/SM/8293. 9 Mohamed Bennouna, « La cour pĂ©nale internationale », in HervĂ© Ascencio, Emmanuel
Decaux, Alain Pellet, Droit pénal international, Paris, Pedone, CEDIN, 2000, p. 735. 10 Brigitte Stern, « A propos de la compétence universelle », Liber Amicorum juge Mohamed
Bedjaoui, ed. by Emile Yakpo and Tahar Boumedra, Kluwer Law International, The Hague,
London, Boston, 1999, in pp. 737-738.
qui peut atteindre les autorités quel que soit leur position au sein de
lâEtat »11
.
La Cour ainsi créée est compétente pour les quatre crimes faisant
partie du « noyau dur » du droit pénal international, le génocide, le crime
contre lâhumanitĂ©, le crime de guerre et le crime dâagression (articles 5 Ă 8
du Statut de Rome)12
.
Comme toute institution, la CPI se dote dâobjectifs Ă long terme qui
constitue en rĂ©alitĂ© lâespoir de revoir les crimes internationaux rĂ©primer
afin de dissuader leurs auteurs. En effet, « câest pour se prĂ©munir de crimes
futurs, pour permettre Ă la vie de triompher de nouveau, que les juridictions
pénales internationales ad hoc furent créées pour juger les auteurs de ces
crimes. Si les guerres, les massacres et les crimes sont la négation de la vie,
ils sont en mĂȘme temps un enseignement pour les bienfaits de paix, laquelle
ne peut sâinscrire dans la durĂ©e sans justice »13
.
Les rĂ©dacteurs du Statut de Rome ont Ă©tabli lâĂ©troite corrĂ©lation qui
existe entre la CPI et lâONU dont le Conseil de sĂ©curitĂ© a la responsabilitĂ©
entiÚre des questions de paix et de sécurité internationales. « Outre le Traité
de Rome de 1998, la Charte des Nations Unies constituent le socle juri-
dique du Statut de la Cour pénale internationale et permet ainsi de fonder
lâexistence dâune juridiction pĂ©nale universelle sur le fait quâelle contribue
à la sauvegarde de la paix et de la sécurité internationales en procédant au
jugement des crimes contre lâhumanitĂ© et autres crimes internationaux. Le
statut de Rome prĂ©sente ainsi un Ă©quilibre entre la quĂȘte de justice qui per-
mettra de juger les responsables de crimes graves, et le besoin de maintenir
la paix et la sécurité internationales dans le cadre des Nations Unies »14
.
Lâarticle 5 du Statut de Rome dĂ©finit les diffĂ©rentes catĂ©gories de
crimes internationaux : crimes de guerre, crime de génocide, crime contre
lâhumanitĂ© et crime dâagression. Les deux caractĂ©ristiques essentielles de
ces crimes sont en effet les suivantes : dâune part, ils choquent la cons-
cience de lâhumanitĂ© toute entiĂšre et portent atteintes aux fondements
mĂȘme de la sociĂ©tĂ© internationale dans son ensemble ; dâautre part, il nâest
11 Mouhamed Bedjaoui, LâhumanitĂ© en quĂȘte de paix et de dĂ©veloppement, in Cours gĂ©nĂ©ral
de droit international public, (II), Recueil des cours de lâacadĂ©mie de droit international
(RCADI), tome 325, 2004, p. 115. 12 Eric David, Eléments de droit international pénal, vol. 2, deuxiÚme partie : « la répression
des infractions de droit international », 12Ăšme Ă©d. Bruxelles, 2002-2003, pp. 472-595. 13 Mouhamed Bedjaoui, LâhumanitĂ© en quĂȘte de paix et de dĂ©veloppement, in Cours gĂ©nĂ©ral
de droit international public, (II), Recueil des cours de lâacadĂ©mie de droit international
(RCADI), tome 325, 2004, p. 110. 14 Mouhamed Bedjaoui, LâhumanitĂ© en quĂȘte de paix et de dĂ©veloppement, in Cours gĂ©nĂ©ral
de droit international public, (II), Recueil des cours de lâacadĂ©mie de droit international
(RCADI), tome 325, 2004, p. 134.
guĂšre concevable quâils soient commis sans lâaccord dâun Etat et, le plus
souvent, ils le sont avec sont instigation, ââpar luiââ15
.
LâintĂ©gration africaine a commencĂ© Ă prendre une dimension insti-
tutionnelle au lendemain des indépendances avec la création de
lâOrganisation de lâUnitĂ© Africaine en mai 1963. LâUnion Africaine (UA)
crĂ©Ă©e le 11 juillet 2000 au Togo succĂšde Ă lâOUA et se donne de nouveaux
objectifs. Cette nouvelle orientation de lâorganisation continentale se justi-
fie par la nécessité de prendre en considération des préoccupations nou-
velles relatives Ă la protection des droits de lâhomme, Ă la promotion de la
dĂ©mocratie, de lâEtat de droit et des Ă©lections libres par le rejet des chan-
gements anticonstitutionnels de gouvernement. Dans ce cadre, la lutte
contre lâimpunitĂ© est apparue comme le socle indispensable Ă la sauvegarde
de la dignité humaine et le ciment de la protection des droits humains.
« LâĂ©dification dâune justice internationale rĂ©ellement protectrice des droits
les plus fondamentaux de lâhomme est une entreprise surhumaine, tita-
nesque. Câest un rĂȘve encore chimĂ©rique⊠On a vu, en cette fin de siĂšcle
les consciences se rĂ©veiller, les opinons sâunir pour exiger, les juges se
dĂ©cider, les pouvoirs reculer parfois. Un immense espoir sâest levĂ© pour les
victimes de la barbarie⊠»16
.
Dans ce contexte, la création de la Cour pénale internationale à la-
quelle les Etats africains ont pris une part importante augurait de relations
cordialement et paisibles entre lâorganisation africaine dâintĂ©gration et
lâinstitution judiciaire internationale. Mais, « trĂšs vite, cet enchantement va
céder la place au désenchantement face notamment aux activités de la
Cour, ⊠certaines puissance notamment les Etats-Unis dâAmĂ©rique »17
. De
mĂȘme, le dĂ©clenchement de poursuites contre des Chefs dâEtat africains en
exercice va crisper les relations entre lâUA et la CPI. On est allĂ© jusquâĂ
demander une suspension de toute coopération la juridiction permanente
internationale18. Nâest-on fondĂ© alors Ă se demander si la justice pĂ©nale
internationale et lâAfrique oscille entre espoir et rejet 19?
Cette rĂ©flexion ambitionne dâanalyse la trajectoire de cette relation
en tenant compte des vicissitudes de lâactualitĂ© rĂ©cente.
15 Alain Pellet, « La juridiction pénale internationale de Nuremberg à la Haye », in La
mĂ©moire, le procĂšs et le crime. Le Monde juif, p. 92. 16 Claude Jorda, « La justice et le droit face aux crimes contre lâhumanitĂ© ». in
http//www.europartenaires.net. (ConsultĂ© le 16 dĂ©cembre 2014). 17 Aboubacar Sidiki DiomandĂ©, âLa Cour pĂ©nale international; une justice Ă double
vitesse?â, RDP n°4 2012, p. 1015. 18 Sur le principe de coopĂ©ration voire, Yaram Ndiaye, Lâobligation de coopĂ©ration dans le
Statut de Rome : analyse critique du respect des engagements internationaux devant la Cour
pĂ©nale internationale, ThĂšse, UniversitĂ© de Lyon 3, 2012, 489 p. 19 Voir Amadou Dionwar SoumarĂ©, La justice pĂ©nale internationale et lâAfrique : entre
espoir et rejet ? Mémoire de 2Úme cycle, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2011-2012,
52, p.
Ainsi lâanalyse de cette relation permettra de mettre en Ă©vidence
que la Cour pĂ©nale internationale est une juridiction acceptĂ©e par lâUnion
Africaine (I) et quâaujourdâhui, la juridiction pĂ©nale internationale apparaĂźt
comme une institution rejetée, consacrant le divorce annoncée entre les
deux entités.
En effet, les poursuites dĂ©clenchĂ©es contre des chefs dâEtats afri-
cains montrent que les meilleurs instruments juridiques peuvent pĂątir dâune
application à géométrie variable20
.
I) Une justice pénale internationale indispensable pour les
africains
Face aux atrocités de toute sorte commises sur le continent africain,
la crĂ©ation dâune juridiction pĂ©nale internationale constitue un moyen pour
les victimes de faire entendre leurs causes et dâespĂ©rer une Ă©ventuelle rĂ©pa-
ration des prĂ©judices subis. Lâenthousiasme des Etats africains Ă ratifier le
statut de Rome traduit la volontĂ© des dirigeants de lutter contre lâimpunitĂ©
et de concrétiser la sauvegarde des droits humains.
La justice pénale présente ainsi une grande utilité pour les Etats
africains (A), ce qui justifie une collaboration entre les deux entités (B).
A) LâutilitĂ© de la justice pĂ©nale internationale pour les africains
LâutilitĂ© de la justice pĂ©nale internationale pour les africains peut
ĂȘtre mesurĂ©e par lâĂ©tude des carences du systĂšme africain de lutte contre
lâimpunitĂ© (1), le systĂšme rĂ©gional de protection des droits de lâhomme
semble inefficace (2) et les limites constitutionnelles de la mise en cause de
la responsabilité pénale du Président de la République sont flagrantes (3).
1) La dĂ©faillance du systĂšme africain de lutte contre lâimpunitĂ©
LâActe constitutif de lâUnion Africaine consacre la lutte contre
lâimpunitĂ©. Elle est considĂ©rĂ©e comme un objectif fondamental de
lâorganisation continentale. Lâarticle 4 (h) prĂ©voit lâintervention de lâUnion
Africaine dans un Etat membre sans lâautorisation de celui-ci sur dĂ©cision
de la ConfĂ©rence en cas de crimes de guerre, de crimes contre lâhumanitĂ©
ou de crimes de génocide.
20 Maurice Kamto, « LâââAffaire Al Bashirââ et les relations de lâAfrique avec la Cour pĂ©nale
internationale », in LâAfrique et le droit international : variations sur lâorganisation
internationale, Liber Amicorum en lâhonneur de Raymond Ranjeva, ed. Pedone, 2013, p.
147.
Pour lutter contre lâimpunitĂ©, lâorganisation continentale repose sur
la Commission africaine des droits de lâhomme. La commission est crĂ©Ă©e
pour dâune part promouvoir les droits de lâhomme et des peuples en
Afrique et, dâautre part, assurer leur protection. La commission a deux
autres compétences : interpréter la Charte et exécuter les tùches que la Con-
fĂ©rence des chefs dâEtat et de gouvernement pourront lui confier.
Dans la pratique, ce systĂšme nâest pas assez perfectionnĂ©. Ainsi
pour Ă©radiquer les violations massives et graves des droits de lâhomme en
Afrique, lâUnion Africaine doit-elle mettre en branle la procĂ©dure prĂ©vue
par la Charte Africaine des droits de lâhomme. Celle-ci laisse une grande
marge de manĆuvre aux Etats. Les chefs dâEtats africains peuvent, par leur
inertie bloquer cette voie de droit. Elle ne permet pas Ă un individu de saisir
directement la Cour Africaine des droits de lâhomme. Devant les dĂ©fail-
lances procédurales, il est difficile aux victimes de violations graves des
droits de lâhomme dâobtenir rĂ©paration. Ainsi la Cour pĂ©nale internationale
constitue un palliatif face aux défaillances du systÚme africain de protection
des droits de lâhomme.
Quelle que soit la voie (indirecte ou directe) par laquelle la Com-
mission a Ă©tĂ© saisie, celle-ci ne peut connaĂźtre de lâaffaire que si la commu-
nication remplit certaines conditions de recevabilité. En premier lieu, la
communication doit Ă©maner dâun Etat partie Ă la Charte et doit ĂȘtre impu-
table Ă un Etat, lui aussi partie Ă la charte. En second lieu, elle doit concer-
ner la violation dâune disposition de la Charte. Enfin, elle doit respecter la
rĂšgle de lâĂ©puisement des recours internes. Cette rĂšgle est prĂ©vue par
lâarticle 50 de la Charte. Il appartient Ă la Commission de contrĂŽler
lâapplication de la rĂšgle, et de sâassurer que ces recours, sâils existent, ont
bien Ă©tĂ© Ă©puisĂ©s, Ă moins quâil ne soit manifeste que lâEtat « fautif » utilise
la rĂšgle Ă des fins dilatoires. Câest le cas lorsque lesdits recours se prolon-
gent « dâune façon anormale » comme le prĂ©cise lâarticle 50 de la Charte21
.
Les délibérations de la Commission sont secrÚtes puisque les décisions
prises par elle doivent, dâune façon gĂ©nĂ©rale, rester confidentielles jusquâĂ
ce que la ConfĂ©rence des chefs dâEtat et de gouvernement en ait dĂ©cidĂ©
autrement.
Le contrĂŽle politique de la mise en Ćuvre des dĂ©cisions de la
Commission africaine au plan international est apparu à la fois inapproprié
et inefficace22
.
21 KĂ©ba Mbaye, « Rapport introductif sur la Charte africaine des droits de lâhomme et des
peuples », Commission internationale de juristes, Droits de lâhomme et des peuples en
Afrique et la Charte Africaine, Rapport introductif dâune confĂ©rence tenue Ă NaĂŻrobi du 2
au 4 dĂ©cembre 1985 organisĂ©e par la Commission internationale de juristes, pp. 20-51. 22 Rachidatou Illa Maikassoua, La Commission africaine des droits de lâhomme et des
peuples. Un organe de contrĂŽle au service de la charte africaine, Paris, Karthala, 2013,
p.233-256.
Par ailleurs, lâactualitĂ© brulante dans le continent montre des
exemples de violations caractérisées des droits et libertés garanties par la
Charte africaine des droits de lâhomme et des peuples. Ce texte garantie Ă
toute personne le droit de circuler librement, de choisir son lieu de rési-
dence Ă lâintĂ©rieur dâun pays, de quitter tout pays y compris le sien et de
revenir dans son pays (article 12). Il en est de mĂȘme du droit dâasile. De
plus, tout Ă©tranger lĂ©galement admis sur le territoire dâun Etat partie Ă la
Charte ne pourra ĂȘtre expulsĂ© quâen vertu dâune dĂ©cision conforme Ă la loi
(article 12. al. 4). En outre, il est interdit de procĂ©der Ă lâexpulsion collec-
tive dâĂ©trangers (article 12, al.5). « Lâexpulsion collective dâĂ©trangers est
interdit. Lâexpulsion collective est celle qui vise globalement des groupes
nationaux, raciaux, ethniques, ou religieux ». Cette disposition vise à pré-
venir, dans la mystique de lâUnitĂ© Africaine, de douloureux Ă©vĂšnements
que constituent, le renvoi massifs « dâĂ©trangers », de non nationaux dâun
Etat africain vers leurs pays dâorigine, soit pour des raison Ă©conomiques, ou
par suite mĂȘme dâun malheureux match de football ou de tensions poli-
tiques entre les deux gouvernements23.
En dépit de ces dispositions juridiques, des explusions collectives
ont été constatée le Congo Brazaville etla République démocratique du
Congo (RDC). Dénoncées par les autorités de Kinshassa et par les ONG de
dĂ©fense des droits de lâhomme en violation de la Charte Africaine des
droits de lâhomme et des peuples et de plusieurs instruments juridiques
internationaux, le Congo Brazaville nâa pas arrĂȘtĂ© les opĂ©rations de recon-
duite massive de populations par bateau.
En décembre 2014, les autorités angolaises ont procédé à des arres-
tations, spoliations et expulsions de nombreux Ă©trangers originaires
dâAfrique de lâOuest notamment de la GuinĂ©e Conakry et du SĂ©nĂ©gal.
A cette violation des dispositions de la Charte Africaine des droits
de lâhomme sâajoutent la prĂ©caritĂ© de la situation sĂ©curitaire. Le droit Ă la
sécurité socle de toute vie en société est constamment violé au Nord du
Mali oĂč lâEtat, appuyĂ© par les forces Onusiennes est incapable dâĂ©viter la
situation de terreur dans laquelle vit la population sous la menace des
groupes armés.
Aujourdâhui, on relĂšve une violation de la libertĂ© de religion. Des
groupes armés dits « djihadistes » désstabilisent des Etats souverains
comme la Libye ou le Mali etmenace toute la sous région Oues-africaine.
Au Mali, les bandes armées qui ont occupé le Nord pendant plusieurs mois
ont semé le chaos. Appliquant la Charia avec une conception moyen-
nageuses de lâIslam, elles nâont pas hĂ©sitĂ© Ă amputer des bras Ă la suite de
procĂšs expĂ©ditif, Ă flaheler en public des gens accusĂ©s dâadultĂšre et Ă dĂ©-
23 Maurice Ahananzo GlĂ©lĂ©, « La Charte africaine des droits de lâhomme et des peuples : ses
virtualités et ses limites », Revue de droit africain n° 1 janvier-véfrier-mars 1985, p. 20.
truire le patrimoine historique de Tombouctou. Le tout devant
lâimpuissance de lâEtat central. Il a fallu lintervention des forces armĂ©es
française de lâopĂ©ration Serval puis de la MISMA pour faire rĂ©gner un
semblant de paix qui reste toujours fragile.
Dans les pays qui sortent de conflits ou de crises politiques, comme
en CĂŽte dâIvoire, en GuinĂ©e Conakry comme au Mali la situation des droits
de lâhomme est peu reluisante. Les Rapports des ONGs font Ă©tat dâune
violation continue des droits de lâhomme.
Ces difficultĂ©s relatives Ă la lutte contre lâimpunitĂ©, dĂ©celĂ©es dans
lâapplication de la Charte africaine des droits de lâhomme sont renforcĂ©es
par les obstacles à la mise en cause de la responsabilité pénale des chefs
dâEtat au niveau interne.
2) LâinefficacitĂ© du systĂšme rĂ©gional de protection des droits de
lâhomme
On ne peut examiner les défaillances du systÚme africain de lutte
contre lâimpunitĂ©, sans insister sur le rĂŽle jouĂ© parles juridictions rĂ©gionales
mises en place pour assurer lâintĂ©gration. En effet, plusieurs organisations
sous régionales ont adopté un cadre normatif et institutionnel pour régir le
fonctionnement des organisations dâintĂ©gration. Ce droit communautaire
appliqué par les Etats membres peut donner lieu à un contentieux justi-
ciable de la Cour de justice communautaire. Câest lâexemple de la Cour de
Justice de la CommunautĂ© Ă©conomique des Etats de lâAfrique de lâOuest.
Elle a été par le protocole du 06 juillet 1991, entrée en vigueur le 05 no-
vembre 1996.
En 2005, on observe lâĂ©largissement du champ de compĂ©tence de la
Cour de la CEDEAO avec lâadoption dâun protocole additionnel Ă celui de
1991, qui a ouvert la saisine de la dite Cour à « toute personne victime de la
violation des droits de lâhomme » Ă condition que la demande ne soit pas
anonyme et quâelle nâait pas Ă©tĂ© portĂ©e devant une autre Cour internationale
compétente.
Mais lâexpĂ©rience rĂ©cente montre que plusieurs dĂ©cisions adoptĂ©es
par la Cour de justice de la CEDEAO nâont pas eu les effets escomptĂ©s.
Câest dâabord lâexemple du Togo oĂč, Ă la suite de lâarrĂȘt du 07 octobre
2011 par lequel la Cour de Justice de la CEDEAO a, en substance, désa-
vouĂ© la Cour constitutionnelle dans lâaffaire de la dĂ©mission controversĂ©e
de neuf députés de leur parti politique. Les autorités politiques ont déclaré
quâelles ne respecteront pas la dĂ©cision du juge communautaire.
AprĂšs la crise postĂ©lectorale de 2011 en CĂŽte dâIvoire, Madame
Gbagbo a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© et incarcĂ©rĂ©e dans une autre rĂ©gion. Elle dĂ©cide de sai-
sir la Cour de justice de la CEDEAO La Cour a Ă©tĂ© saisie dâune plainte
contre lâEtat de CĂŽte dâIvoire pour violation de leurs droits de lâhomme et,
particuliĂšrement en ce qui concerne Simone Ehivet Gbagbo, violation de
ses droits politiques. Ils invoquent notamment la violation de certaines dis-
positions de la Charte Africaine des Droits de lâHomme et des Peuples
(CADHP), du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques
(PIDCP), de la DĂ©claration Universelle des Droits de lâHomme (DUDH),
les articles 4(g) et 1er(h) du Traité révisé, le Préambule et les articles 2,
22(1) de la Constitution ivoirienne.
La Cour a dĂ©cidĂ© de soumettre lâaffaire Ă une procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e,
en application de lâarticle 59 de son RĂšglement.
Le 23 mars 2012, sur requĂȘte de Monsieur Michel Gbagbo arguant
de menace objective Ă sa vie, notamment Ă sa santĂ©, et vu lâurgence, la
Cour, en avant-dire-droit, a ordonnĂ© Ă lâEtat de CĂŽte dâivoire de prendre
toutes les mesures nĂ©cessaires et appropriĂ©es qui sâimposent pour sauve-
garder la vie et la santĂ© physique de lâintĂ©ressĂ©.
La Cour a dĂ©cidĂ© que « lâarrestation et la dĂ©tention de Michel
Gbagbo effectuées dans le cadre de son assignation à résidence sont illé-
gales, arbitraires et constituent une violation de lâarticle 6 de la Charte
Africaine des Droits de lâHomme et des Peuples.
Le droit à la liberté de circulation et au libre choix de la résidence de Mi-
chel Gbagbo a été violé ;
Le droit à la santé morale de la famille de Michel Gbagbo a été vio-
lé ; le droit à un recours effectif de Michel Gbagbo a été violé »24
.
Au Sénégal, aprÚs son élection à la présidence de la République, en
mars 2012, le chef de lâEtat Macky Sall dĂ©cide de rĂ©activer la Cour de rĂ©-
pression de lâenrichissement illicite. Plusieurs anciens ministres du systĂšme
de gouvernement de Wade sont interdits de sortie du territoire.
Ils saisissent la Cour de Justice de la CEDEAO en invoquant entre
autre lâinconstitutionnalitĂ© de la CREI parce que abrogĂ©e par la loi de 1984
sur lâorganisation judiciaire. De plus, les requĂ©rants invoquent la violation
de leur immunité car les poursuites engagées contre eux ne tiennent pas
compte de leur qualitĂ© dâanciens ministre ou de dĂ©putĂ©s pour certains
dâentre eux.
AprĂšs examen des griefs, la Cour estime dâabord quâelle nâa pas
compĂ©tence pour faire des injonctions Ă lâEtat du SĂ©nĂ©gal. De mĂȘme, le
privilĂšge de juridiction et lâimmunitĂ© des requĂ©rants ne peuvent ĂȘtre invo-
quĂ©es Ă lâĂ©tape de la procĂ©dure de lâenquĂȘte prĂ©liminaire.
Ensuite, la Cour dĂ©cide de la levĂ©e la mesure de lâinterdiction du
territoire qui est illĂ©gale par dĂ©faut de base lĂ©gale. Enfin, lâEtat du SĂ©nĂ©gal
a violĂ© le droit Ă la prĂ©somption dâinnocence, de par les dĂ©clarations de son
procureur spécial, le rÎle de poursuite incombe à la Haute Cour de Justice.
24 Cour de Justice de la CEDEAO Affaire ARRĂT N° ECW/CCJ/JUD/03/13 22 fĂ©vrier
2013, Affaire Simone Gbagbo C/ RĂ©publique de CĂŽte dâIvoire.
En derniĂšre instance, la Cour ordonne Ă lâEtat du SĂ©nĂ©gal le respect scrupu-
leux des instruments internationaux et de ses lois internes dans les limites
du respect des droits de ces citoyens25
.
3) Les limites de la mise en cause de la responsabilité pénale des
chefs dâEtat africains en droit constitutionnel
En Afrique, rares sont les chefs dâEtat qui sont poursuivis devant la
justice. En effet, il existe des dans les Constitutions des dispositions rela-
tives Ă la mise en cause des dirigeants politiques en cas de haute trahison26
.
Mais les circonstances politiques et la culture du chef font quâune dĂ©chu de
sa charge, il demeure difficile de poursuivre lâancien PrĂ©sident de la RĂ©pu-
blique. A cela sâajoute les craintes des nouveaux dirigeants de connaĂźtre le
mĂȘme sort rĂ©servĂ© Ă la leurs prĂ©dĂ©cesseurs.
Ces difficultĂ©s persistent et ont conduit des auteurs Ă soutenir lâidĂ©e
dâune « introuvable responsabilitĂ© pĂ©nale des chefs dâEtat en Afrique »27
.
B) La collaboration entre les Etats africains et la Cour pénale
internationale
Les multiples saisines de la CPI (1) traduisent lâengouement des
Etats africains à travailler avec la jurtidiction pénale internationale (2)
1) La multiplication des saisines africaines de la Cour pénale in-
ternationale
« Si lâAfrique nâest pas directement concernĂ©e par les premiĂšres
expériences de jugement des crimes internationaux par les tribunaux mili-
taires de Nuremberg et de Tokyo, elle occupe une place de choix dans la
relance des juridictions internationales pĂ©nales. Câest en effet Ă lâinitiative
du Rwanda quâĂ Ă©tĂ© instituĂ© le second TPI en 1994. Câest aussi lâAfrique
qui alimente la CPI en affaire »28
. Cette remarque est en étroite corrélation
avec la réalité. En effet, en plus des juridictions spéciales créées pour juger
les crimes commis au Rwanda ou en Sierra Léone, la Cour pénale interna-
tionale a dĂ©clenchĂ© plus de poursuite Ă lâencontre des africains. Mais il faut
toutefois souligner que ce sont les Etats africains souverains qui ont décidé
de saisir la Juridiction pĂ©nale internationale afin quâelle ouvre une enquĂȘte
sur leurs propres territoires. Câest que la RDC a demandĂ© au Procureur de
25 Cour de Justice de la CEDEAO Vendredi 2 février 2013 Etat du Sénégal c/ Karim Meissa
Wade. 26 A lâexception de Moussa TraorĂ© au Mali. 27 TĂ©lesphore Ondo, Lâintrouvable responsabilitĂ© pĂ©nale du chef de lâEtat en Afrique, ThĂšse,
UniversitĂ© de Pau. 28 « LâAfrique et les juridictions internationales pĂ©nales », in Cahier Thucydide n° 10,
Etude-février 2012, p. 4.
la CPI dâenquĂȘter sur les crimes commis par les bandes armĂ©es et milices
dans la rĂ©gion du Ltturi. De mĂȘme, ce sont les autoritĂ©s de la CĂŽte dâIvoire
qui, de leur plein grĂ©, ont demandĂ© Ă la CPI dâouvrir une enquĂȘte sur les
crimes commis durant la crise postélectorale de 2011.
En revanche, le Conseil de SĂ©curitĂ©, en vertu de lâarticle 16 du Sta-
tut de la CPI a demandĂ© Procureur dâouvrir une enquĂȘte sur la situation au
Soudan. Cette rĂ©solution a Ă©tĂ© Ă lâorigine de la poursuite du PrĂ©sident Sou-
dan Omar Al Bashir.
La multiplication des saisines africaines de la CPI comme la déci-
sion unilatĂ©rale de cette juridiction de sâintĂ©resser Ă telle situation dans le
continent ou sur une rĂ©solution du Conseil de sĂ©curitĂ© traduit lâintĂ©rĂȘt que
lâAfrique suscite pour la communautĂ© internationale. Le continent noir
apparaĂźt ainsi comme un laboratoire dâexpĂ©rimentation des mĂ©andres de la
justice pénale internationale. Comme toute juridiction nouvelle, il est vrai
que lâinstauration de la CPI nâest pas exempte de critiques aussi bien dans
son fonctionnement que dans la politique judiciaire de la Cour. Mais câest
de la prise de conscience des failles de la procédure juridictionnelle et de
lâexpĂ©rience acquise quâil faudrait, dans le cadre des ConfĂ©rences entre les
Etats parties, élaborer des projets de révisions du Statut de Rome. Cette
entreprise devra avoir pour seul objectif non de placer la juridiction pénale
internationale sur la tutelle de telle ou telle puissance mais de tirer les le-
çons sur les critiques formulĂ©es Ă lâencontre du procureur de la CPI, du
comportement des membres permanent du Conseil de sécurité qui seraient
tentĂ©s dâinstrumentaliser la juridiction ou encore aux exigences de lâUA sur
le respect de lâimmunitĂ© des dirigeants en fonction pour une Ă©ventuelle
suspension des poursuites déclenchés contre eux.
2 Lâengouement des africains Ă travailler avec la Cour pĂ©-
nale internationale
Les comportements des Etats hostiles Ă la CPI ne doivent pas Ă©clip-
ser le soutien actif et continu dont bénéficie la CPI de la part des gouver-
nements et de la sociĂ©tĂ© civile dâAfrique. Les gouvernements africains ont
sans conteste activement participĂ© Ă la crĂ©ation de la CPI. Fait peut-ĂȘtre
encore plus significatif, on compte plus dâĂtats parties de la CPI sur le con-
tinent africain que dans nâimporte quelle autre rĂ©gion. Au mois dâaoĂ»t 2013
dernier, un Ătat africain supplĂ©mentaire, les Seychelles, a ratifiĂ© le TraitĂ© de
Rome. GrĂące Ă lui, le nombre dâĂtats africains qui ont ratifiĂ© ce traitĂ© est
portĂ© Ă
Des prĂ©sidents et des ministres, ont fait des dĂ©clarations fortes Ă
propos de la CPI. Par exemple, le prĂ©sident tanzanien a dĂ©clarĂ© quâil Ă©tait «
impĂ©ratif que les Ătats parties [âŠ] apportent tout leur soutien Ă la Cour
pour quâelle rende justice aux victimes. » Le ministre de la Justice de la
République centrafricaine a fait savoir que son gouvernement profitait « de
cette opportunitĂ© [âŠ] pour rappeler [âŠ] son soutien Ă la Cour pĂ©nale inter-
nationale et sa foi en sa mission. » Le ministre de la Justice et le procureur
général du Nigeria se sont engagés à ce que le Nigeria « fasse tout son pos-
sible pour veiller Ă la pleine mise en Ćuvre du Statut de Rome au Nigeria ».
Le ministre de la Justice de la Namibie a Ă©galement fait savoir que son pays
« soutient sans réserve le travail de la Cour en incitant à la coopération avec
celle-ci. 29
»
Outre la multiplication des saisines de la africaines de la CPI,
lâenthousiasme des Etats Ă travailler avec la juridiction pĂ©nale internatio-
nale sâapprĂ©cie par le nombre dâEtats africains signataires du Statut de
Rome. En effet, au 20 novembre 2011, sur 119 pays Parties au Statut de
Rome de la Cour pĂ©nale internationale, on comptait 33 Etats dâAfrique sur
24, 26 dâAmĂ©rique Latine et des CaraĂźbes, 17 dâAsie, 18 dâEurope Orien-
tale, 25 dâEurope occidentale, etc.
A ce chiffre concernant lâAfrique, il faut ajouter le Sud Soudan et
la CĂŽte dâIvoire qui, en vertu de lâarticle 12-3 du Statut de Rome, a fait par
une déclaration pour a soumettre à la CPI la connaissance des crimes com-
mis dans le territoire ivoirien Ă partir des Ă©vĂšnements du 19 septembre
2002.
En mars 2014, 122 pays sont Ătats Parties au Statut de Rome de la
Cour pénale internationale. Parmi eux, 34 membres sont des Etats africains,
18 sont des Etats dâAsie du Pacifique, 18 sont des Etats dâEurope Orientale,
27 des Etats dâAmĂ©rique Latine et du CaraĂŻbes et les 25 restants sont des
Etats dâEurope occidentale et autres Etats.
Ces chiffres sont éloquents et révÚlent une réalité. Les Etats afri-
cains, de par leur nombre et leur participation active aux activités juridic-
tionnelles de la CPI démontrent leur acceptation de la justice pénale
internationale. En effet, lorsque quâun Etat souverain sâengage dans un
traité qui a pour objet de limiter sa souveraineté judiciaire ou de transférer
certaines attributions à une juridiction internationale compétente dans ce
domaine, il prend une décision majeure. Ainsi elle exprime son désir de
participer à la dynamique mondiale de répression des crimes internatio-
naux.
De mĂȘme, le personnel de la CPI compte plusieurs africains parmi
ses membres. Lâactuel Procureur de la Cour, Fatou Bensouda est de natio-
nalitĂ© gambienne. LâAssemblĂ©e des Etats parties est dirigĂ©es depuis ce mois
29 Voir les déclarations de la Conférence de révision, Débat général de la Cour pénale inter-
nationale, 31 mai 2010,
de janvier par le sénégalais Siki Kaba, garde des sceaux et ministre de la
justice. Ainsi il existe de nombreux africains qui travaillent dans
lâorganisation et le fonctionnement de la CPI.
Cependent, cet engouement des Etats africains Ă travailler avec la
juridiction pĂ©nale internationale sâest Ă©moussĂ© ces derniĂšres annĂ©es.
Lâenthousiasme du dĂ©but Ă vite laissait la place Ă un dĂ©senchantement. Les
africains sont allĂ©s jusquâĂ qualifier la CPI de « raciste » et Ă envisager le
refus de toute collaboration et de sâorienter vers la crĂ©ation dâune juridic-
tion pénale régionale qui serait compétente pour connaßtre crimes interna-
tionaux impliquant des africains.
Il convient dâexaminer le processus et les enjeux de la dĂ©tĂ©rioration
des relations entre la Cour pĂ©nale internationale et lâAfrique.
II) Une justice pénale internationale contestée par les afri-
cains
La contestation de la justice pénale internationale sera examinée en
mettant en exergue les termes de la contestation (A) et les perspectives dans
le cadre de lâexposer des possibles rĂ©formes du Statut de (B).
A) Les termes de la contestation
1) Une focalisation de la CPI sur lâAfrique
Il est vrai que toutes les enquĂȘtes actuelles de la CPI concernent ce
continent, la majoritĂ© des dossiers dont elle est saisie ont vu le jour suite Ă
des demandes volontaires de la part des gouvernements des pays africains
oĂč les crimes ont Ă©tĂ© commis (Ouganda, RĂ©publique dĂ©mocratique du Con-
go, RĂ©publique centrafricaine, CĂŽte dâIvoire et Mali). Deux autres situa-
tions- celles de la Libye et du Darfour, rĂ©gion du Soudan- ont Ă©tĂ© dĂ©fĂ©rĂ©es Ă
la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies, avec l'appui de ses
membres africains. Le Kenya est la seule situation dans laquelle le Bureau
du procureur de la CPI a agi de sa propre initiative, mais avec l'approbation
d'une chambre préliminaire de la CPI aprÚs que le Kenya eut failli à sa res-
ponsabilité d'agir pour rendre justice localement.
LâUnion africaine part du principe quâil y a une utilisation abusive
de la compétence universelle. La lecture extensive de cette notion a eu pour
effet, lâarrestation de certains officiels et des poursuites dĂ©clenchĂ©es contre
dâautres dirigeants africains. LâUA a ainsi pris position. Elle :
« 3. REITERE EGALEMENT sa conviction quâil y a eu utili-
sation abusive et flagrante du principe de compétence universelle, no-
tamment dans certains Ătats non africains et DEMANDE lâannulation
immĂ©diate de tous les actes dâaccusation en instance;
4. REITERE EN OUTRE sa conviction de la nécessité de
mettre en place une institution internationale de réglementation ayant
compétence pour examiner et/ou traiter des plaintes ou des appels consé-
cutifs Ă lâutilisation abusive du principe de compĂ©tence universelle par
certains Ătats »30.
Quand on regard ses relations avec lâAfrique, la CPI nâa pas bonne
presse. Elle est attaquée de toute part. Pour Jean Ping, le Président de la
Commission, « la Cour ne condamne que des africains, il ne juge que des
africains (âŠ) il nây a quand Afrique quâil y a des problĂšmes ? Câest la
question quâon se pose »31
. Diomandé relÚve à juste titre dans son étude que
la CPI est considérée comme « un instrument hégémonique des Etats occi-
dentaux » et elle est « perçue par les populations africaines comme une
institution partiale dont les affaires et situations, sélectives, sont dirigées
contre lâAfrique. Cette vision sâaccentue par le constat que les seuls accu-
sĂ©s devant la Cour sont des personnes issues de lâAfrique alors quâaucun
ressortissant dâun autre continent ne fait lâobjet de la moindre enquĂȘte »32
.
Il a toujours été reproché à la CPI de procéder à des poursuites sé-
lectives Ă lâencontre des africains. De mĂȘme, certaines critiques nâont pas
manquĂ© de mettre en cause lâindĂ©pendance et lâimpartialitĂ© du Procureur de
la CPI. A ce titre, lâancien PrĂ©sident de la Commission de lâUnion Afri-
caine rĂ©agi : « Pourquoi il nây a personne dâautre que des africains ? Câest
la question que lâon se pose. Il y a eu des problĂšmes au Sri Lanka, il nâa pu
rien faire. Il nâa pas osĂ©. Il y a eu des problĂšmes Ă Gaza (Palestine) comme
vous le savez, il nâa pu rien faire, il y a eu des situations comme ce qui se
passe en Irak oĂč sur la base de mensonges, il y a eu un demi-million de
morts, il nâa rien fait (âŠ) Nous sommes contre la maniĂšre dont la justice
est rendue avec lui (Luis Moreno Ocampo), on dirait que câest seulement en
Afrique quâil y a des problĂšmes (âŠ) Tous les jours, on juge et on con-
damne (est-ce que) vous les avez à la télévision comme M. Ocampo qui est
devenu une vedette de la télévision »33. Il stigmatisait ainsi les sorties mé-
diatiques qui tranchent avec la discrétion et la sérenité qui président à la
bonne administration de la justice. Son successeur nâa pas aussi Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©
pour les critiques. Dans le cas de la CĂŽte dâIvoire, les poursuites semblent
manifestement orientĂ©es vers lâancien PrĂ©sident Gbagbo et ses partisans
alors que les vainqueurs (le Président Ouattara et ses sbires) ne sont inquié-
30 Assembly/AU/Dec. 292(XV). DĂ©cision sur lâutilisation abusive du principe de compĂ©-
tence adoptée par la quinziÚme session ordinaire de la Conférence à Kampala (Ouganda),le
27 juillet 2010. 31 Adrien Hart, « Cour pĂ©nale internationale : lâAfrique en rĂ©sistance », in Slateafrique.com. 32 Aboubacar Sidiki DiomandĂ©, âLa Cour pĂ©nale international; une justice Ă double
vitesse?â, RDP n°4 2012, p. 1017-1018. 33 Propos tenue au Sommet de Malabo, en GuinĂ©e Equatoriale en juillet 2011. In
www.jeuneafrique.org.
tĂ©s. Câest la logique de deux poids et deux mesures qui fragilisent la justice
pénale internationale dont le rÎle du Procureur, faut-il le rappeler- est cen-
tral de dĂ©clencher des poursuites et les enquĂȘtes qui sont menĂ©es34.
MĂȘme sâil est vrai que le nombre de poursuite est plus Ă©levĂ© en
Afrique mais de lĂ Ă conclure comme lâa fait le Premier ministre Ethiopien
Zenawi que laCPI est une juridiction « raciste » est disproportionné.
A travers les critiques dont la Cour pĂ©nale internationale fait lâobjet de la
part des africains, il apparaĂźt en filigrane la mise en cause de lâĂ©galitĂ© de-
vant la justice. Selon le juge M. Bedjaoui, « Le principe dâĂ©galitĂ© des par-
ties est Ă la base du concept de ââjusticeââ. Ce principe procĂšde du souci
dâinstaurer une justice irrĂ©prochable dont le rĂŽle pacificateur est premier.
Car, le bon ordre, la paix, lâharmonie commande que la justice soit rendue
sur la base dâune Ă©galitĂ© entre les parties, facteur propre Ă Ă©teindre toute
frustration »35
.
En plus de la sĂ©lectivitĂ© des poursuites orientĂ©es vers lâAfrique,
lâOrganisation continentale pointe du doigt un manque de considĂ©ration des
instances internationales dans lâaction de la CPI.
2) Le manque de considération des instances internationales (CS
et CPI) Ă lâĂ©gard de lâUA
Le Statut de Rome identifie les autorités compétentes pour saisir la
Cour pénale internationale de justice. Cette faculté est reconnue aux Etats
parties, Conseil de sécurité et Procureur de la Cour. La compétence du
Conseil de sĂ©curitĂ© dâactiver la CPI sâexerce en vertu du chapitre VII de la
Charte des Nations Unies36
, relatif aux « actions en cas de menace contre la
paix, de rupture de la paix et dâacte dâagression ». Le pouvoir du Conseil de
sĂ©curitĂ© de renvoyer une situation Ă lâattention de la Cour a Ă©tĂ© justifiĂ© sur
la base de la liaison qui existe entre la responsabilité du maintien de la paix
et la responsabilité de la répression de crimes souvent accomplis dans des
circonstances oĂč une telle paix est menacĂ©e37
. Il est important « de souli-
gner que la prĂ©occupation qui a justifiĂ© la prĂ©vision dâun pouvoir
dâinterfĂ©rence en faveur du Conseil de sĂ©curitĂ© Ă©tait celle de reconnaĂźtre Ă
un organe politique un pouvoir de contrĂŽle sur les activitĂ©s dâun organe
34 Fanfan Guerilus, Le Procureur de la Cour pénale internationale : une évaluation de son
indĂ©pendance, Paris, LâHarmattan, 2013, pp. 83-149. 35 Mohammed Bedjaoui, âLâĂ©galitĂ© des Etats dans le procĂšs international, un mytheâ?â, in
Liber Amicorum Jean-Pierre Cot, Le procÚs international, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 1. 36 Article 13 b. du Statut de Rome, Voir Abdoulaye Tine, « Article 13 : exercice de la com-
pétence », in Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par
article, Tome 1, Paris, editions Pedone, 2012, pp. 607-618.. 37 Ait Hmad Aziz, Lâaction de Cour pĂ©nale internationale au Darfour. Mise en Ćuvre du
droit international ou « instrument » au service de « politiques étrangÚres ? Mémoire pour
lâobtention du diplĂŽme de Master en science politique, 2009-2010, p. 16.
judiciaire. Face Ă une possibilitĂ© de conflit entre les intĂ©rĂȘts de la justice et
ceux du maintien de la paix, on a choisi de sacrifier les premiers et garantir
les deuxiĂšmes38
».
Le Conseil de sĂ©curitĂ© est le seul sujet capable dâactiver la compĂ©-
tence de la Cour indĂ©pendamment de toute liaison entre lâĂtat territorial ou
la nationalitĂ© de lâaccusĂ© et le crime. Son rĂŽle sera donc, en particulier au
cours des premiĂšres annĂ©es dâactivitĂ© de la Cour, dâune importance capi-
tale.
Câest sur la base de cette compĂ©tence que le Conseil de sĂ©curitĂ© a
saisi la CPI aux fins de poursuites pour crimes internationaux.
Saisie Ă plusieurs reprises par lâUA afin de suspendre pendant un
an les poursuites intentées par la CPI contre le Président Omar Al Bashir et
plus tard contre dâautres dirigeants africains, le Conseil de sĂ©curitĂ© de
lâONU nâa pas jugĂ© nĂ©cessaire dâapporter de rĂ©ponses aux requĂȘtes de
lâorganisation continentale. Celle-ci a adoptĂ© par la suite des positions radi-
cales appelant les Etats africains membres, parties ou pas du Statut de
Rome de suspendre toute collaboration avec la CPI.
LâUnion Africaine a saisi lâoccasion Ă plusieurs reprises de rĂ©itĂ©rer
sa demande au Conseil de sécurité en vue de la suspension des poursuites et
mandats dâarrĂȘt internationaux lancĂ©s contre certains chefs dâEtats Afri-
cains. A cet effet, lâOrganisation continentale :
« 3. REGRETTE PROFONDEMENT que la demande de lâUnion afri-
caine (AU) adressée au Conseil de sécurité des Nations Unies de surseoir
aux poursuites contre le PrĂ©sident Bashir du Soudan, en vertu de lâarticle
16 du Statut de Rome de la CPI sur le renvoi des cas par le Conseil de
sĂ©curitĂ©des Nations Unies nâait pas eu de suite, et Ă cet Ă©gard, RĂITĂRE
sa demande antérieure au Conseil de sécurité des Nations Unies et
DEMANDE aux membres africains du Conseil de sécurité des Nations
Unies dâinscrire la question Ă lâordre du jour du Conseil »39
.
Devant le silence prolongĂ© du Conseil de SĂ©curitĂ©, lâUA revient Ă la charge.
Elle insiste davantage sur la nĂ©cessitĂ© dâavoir une rĂ©ponse de lâorgane des
Nations Unies. Ainsi, elle : « (âŠ) 3. SOULIGNE la nĂ©cessitĂ© de tout mettre en Ćuvre pour quâune
suite soit donnée à la demande formulée par l'Union africaine (UA) au
Conseil de sécurité des Nations Unies de différer la procédure engagée
contre le Président Bashir du Soudan, conformément à l'article 16 du
Statut de Rome de la CPI, relatif au renvoi des cas par le Conseil de sé-
curitĂ©, et, Ă cet Ă©gard, RĂITĂRE sa demande au Conseil de sĂ©curitĂ© des
Nations Unies et DEMANDE aux membres africains du Conseil de sé-
38 Della Morte Gabriele, « Les frontiÚres de la compétence de la Cour Pénale
Internationale : Observations et Critiques », International Review of Penal Law, Vol. 73, p.
48. 39 Assembly/AU/Dec. 334 (XVI). DĂ©cision sur la mise en Ćuvre des dĂ©cisions sur la Cour
pénale internationale (CPI). Doc. EX.CL/639(XVIII).
curitĂ© des Nations Unies dâinscrire cette question Ă lâordre du jour du
Conseil »40.
En rĂ©alitĂ©, le Conseil de sĂ©curitĂ© sâest penchĂ© sur la question. Mais
du fait quâelle nâa pas abouti Ă un vote pour lâaffirmation dâune position
commune. Le Conseil de sĂ©curitĂ©, faute de rĂ©solution en ce sens, nâa pu
rĂ©pondre Ă lâUA.
Il y a lieu de rappeler que le 15 novembre 2013, le Conseil de sécu-
ritĂ© nâa pas pu approuver la requĂȘte de pays africains demandant Ă la Cour
pĂ©nale internationale (CPI) de surseoir, pendant un an, Ă lâenquĂȘte et aux
poursuites visant le Président du Kenya, M. Uhuru Kenyatta, et son Vice-
Président, M. William Ruto. Les deux dirigeants kényans sont accusés par
la Cour dâincitation Ă la violence aprĂšs les Ă©lections de 2007 dans leur
pays41
.
LâUA 42
lasse de réclamer une réponse du Conseil de sécurité finit
par sâexaszpĂ©rer et,
« 9. DĂCIDE que lâUnion africaine et ses Ătats membres, notamment
les Ătats parties au Statut de Rome, se rĂ©servent le droit de prendre
toutes autres dĂ©cisions ou mesures quâils jugeraient nĂ©cessaires pour prĂ©-
server et sauvegarder la paix, la sécurité et la stabilité, ainsi que la digni-
tĂ©, la souverainetĂ© et lâintĂ©gritĂ© du continent »43
40 Assembly/AU/Dec. 397 (XVIII) Décision sur le Rapport intérimaire de la Commission
sur la mise en Ćuvre des dĂ©cisions de la ConfĂ©rence sur la Cour pĂ©nale internationale (CPI)
Doc. EX.CL/710 (XX) 41 ONU, 15/11/2013 Une tentative de repousser les procÚs des dirigeants kényans à la CPI
échoue devant le Conseil de sécurité, www.un.org. 42 « 6. EXPRIME sa profonde déception par le fait que la demande du Kenya, appuyée par
lâUA, au Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations Unies (ONU), de surseoir aux poursuites initiĂ©es
contre le PrĂ©sident et le Vice-prĂ©sident de la RĂ©publique du Kenya conformĂ©ment Ă lâarticle
16 du Statut de Rome de la CPI sur les cas de report de dossiers par le Conseil de sécurité
des Nations Unies, nâait pas eu le rĂ©sultat positif attendu ;
7. EXPRIME ĂGALEMENT sa profonde prĂ©occupation devant le fait que la demande de
lâUnion africaine au Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations Unies de surseoir aux poursuites ini-
tiĂ©es contre le PrĂ©sident de la RĂ©publique du Soudan, conformĂ©ment Ă lâarticle 16 du Statut
de Rome de la CPI sur les cas de report de dossiers par le Conseil de sécurité des Nations
Unies, nâait pas eu de suite Ă ce jour ;
8. SOULIGNE la nécessité pour le Conseil de sécurité des Nations Unies de réserver une
rĂ©ponse opportune et appropriĂ©e aux demandes faites par lâUA envue du report des dossiers
conformĂ©ment Ă lâarticle 16 du Statut de Rome en vertu du Chapitre VII de la Charte des
Nations Unies, afin dâĂ©viter le sentiment de manque de considĂ©ration pour lâensemble du
continent ». ConfĂ©rence de lâUnion Vingt-deuxiĂšme Session ordinaire 30-31 Janvier 2014
Addis-Abeba (ĂTHIOPIE) Assembly/AU/Dec.493(XXII). DĂ©cision sur le Rapport intĂ©ri-
maire de la Commission relatif Ă la mise en Ćuvre des dĂ©cisions sur la Cour pĂ©nale interna-
tionale. Doc. Assembly/AU/13(XXII). 43 ConfĂ©rence de lâUnion Vingt-deuxiĂšme Session ordinaire 30-31 Janvier 2014 Addis-
Abeba (ĂTHIOPIE) Assembly/AU/Dec.493(XXII). DĂ©cision sur le Rapport intĂ©rimaire de
Ces actions enclenchées contre certains dirigeants africains
mettent en cause lâimmunitĂ© des Chefs dâEtat. .
3) La mise Ă rude Ă©preuve de lâimmunitĂ© des chefs dâEtat
En droit interne comme en droit international, il est indispensable
que lâEtat dĂ©signe ses principaux reprĂ©sentants et leur compĂ©tence pour ĂȘtre
capable de pouvoir et dâagir. Il y a certainement une obligation internatio-
nale des Etats dâattribuer Ă un organe dĂ©terminĂ© le pouvoir de manifester
leur volonté vis-à -vis des autres. Continuité et sécurité des rapports juri-
diques lâexigent44
.
La qualitĂ© de chef dâEtat confĂšre au dĂ©tenteur du pouvoir une im-
munitĂ©. Câest une forme dâexemption de toute poursuite durant lâexercice
de la fonction prĂ©sidentielle. Le PrĂ©sident de la RĂ©publique ne peut ĂȘtre
arrĂȘtĂ© ni juger. Cette immunitĂ© touche aussi bien son intĂ©gritĂ© physique ou
morale. Il ne peut faire lâobjet dâun mandat dâarrĂȘt. En effet, Ă partir du
moment ou celui-ci a Ă©tĂ© Ă©mis, la personne visĂ©e risque de se faire arrĂȘter Ă
chaque visite en dehors de son pays, ce qui serait une violation flagrante de
son inviolabilité45
.
De ce fait, il devient presque impossible dâenvisager des poursuites
dâun chef dâEtat en exercice sur la seule base de la compĂ©tence universelle,
puisque son exercice requiert la présence de la personne poursuivie sur le
territoire du for : il est impossible de juger par contumace et donc dâobtenir
un mandat en exĂ©cution dâun jugement : il est tout autant impossible de
sâassurer par la contrainte de la prĂ©sence du chef dâEtat sur le territoire pour
assister Ă son procĂšs ou de pouvoir lâapprĂ©hender pour rĂ©pondre Ă une de-
mande dâextradition ou de remise46
.
Le mandat dâarrĂȘt lancĂ© contre un chef dâEtat en exercice doit tenir
des contraintes et principes dégagées en matiÚre de procédure notamment le
rĂ©gime de lâimmunitĂ© juridictionnelle, lâinviolabilitĂ©, lâacte procĂ©durale est
accompagnĂ© de la menace de lâusage de la contrainte physique.
Lâobligation de coopĂ©ration avec la Cour pĂ©nale internationale est
fixĂ©e par lâarticle 86 du Statut de Rome. Mais lâarticle 98 semble introduire
une exception Ă cette rĂšgle gĂ©nĂ©rale : « 1. La Cour ne peut poursuivre lâexĂ©cution dâune demande de remise ou
dâassistance qui contraindrait lâEtat requis Ă agir de façon incompatible
la Commission relatif Ă la mise en Ćuvre des dĂ©cisions sur la Cour pĂ©nale internationale.
Doc. Assembly/AU/13(XXII) 44 HĂ©lĂšne Tourard, « La qualitĂ© de chef dâEtat », in SFDI Le chef dâEtat et le droit
international, colloque de Clermont-Ferrand, Paris, Pedone, 2002, p. 119. 45 Michel Consard, « Les immunitĂ©s du chef dâEtat », in SFDI Le chef dâEtat et le droit
international, colloque de Clermont-Ferrand, Paris, Pedone, 2002, p. 262. 46 Ibide, p. 263.
avec les obligations qui lui incombent en droit international en matiĂšre
dâimmunitĂ© des Etats ou dâimmunitĂ© diplomatique dâune personne ou de
biens dâun Etat tiers, Ă moins dâobtenir au prĂ©alable la coopĂ©ration de cet
Etat tiers en vue de la levĂ©e de lâimmunitĂ©.
2. La Cour ne peut poursuivre lâexĂ©cution dâune demande de remise qui
contraindrait lâEtat requis Ă agir de façon incompatible avec les obliga-
tions qui lui incombent en vertu dâaccords internationaux selon lesquels
le consentement de lâEtat dâenvoi est nĂ©cessaire pour que soit remise Ă la
Cour une personne relevant de cet Etat Ă moins que la Cour ne puisse au
prĂ©alable obtenir la coopĂ©ration de lâEtat dâenvoi pour quâil consente Ă la
remise ».
Ces diffĂ©rentes dispositions nâont pas Ă©tĂ© appliquĂ©es lors du mandat
dâarrĂȘt lancĂ© contre le PrĂ©sident Al Bachir.
Mais il faut relever que lâarticle 27 alinĂ©a 1 du Statut de Rome
semble neutraliser les effets de cette dérogation. Il dispose que le Statut
« sâapplique Ă tous de maniĂšre Ă©gale, sans aucune distinction fondĂ©e sur la
qualitĂ© officielle » en particulier celle de chef dâEtat47.
Câest lĂ oĂč rĂ©side la divergence dâinterprĂ©tation entre lâUA et la
CPI sur le rĂ©gime des immunitĂ©s. Alors que pour lâUA cette disposition
prĂ©voit une immunitĂ©, la Cour estime le contraire. Lâorganisation continen-
tale demande aux Etats africains parties au Statut de Rome de saisir la CIJ
pour avis.
LâUA rĂ©affirme que « l'article 98 (1) a Ă©tĂ© inclus dans le Statut de
Rome instituant la CPI, compte tenu du fait que le Statut ne peut lever
lâimmunitĂ© que le droit international reconnaĂźt aux reprĂ©sentants des Ătats
non Parties au Statut de Rome, et que le Conseil de sécurité des Nations
Unies, en saisissant la CPI de la situation au Darfour, entendait que le Sta-
tut de Rome soit appliquĂ©, y compris lâarticle 98 »48
.
La coopération doit tenir compte des obligations internationales de
lâEtat partie au Statut de la CPI, notamment celles qui lui incombent en
matiĂšre dâimmunitĂ©s des Etats. LâEtat partie ne doit pas « violer
lâexemption faisant Ă©chapper les personnes, les engins ou les biens qui en
bĂ©nĂ©ficient (âŠ) Ă des procĂ©dures ou Ă des obligations relevant du droit
commun », Ă moins dâobtenir la coopĂ©ration de cet Etat tiers en vue de la
levĂ©e de lâimmunitĂ©49
.
47 Voir Xavier Aurey, « Article 27. Défaut de pertinence de la qualité officielle » in Statut de
Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par article, Tome 2, Paris,
editions Pedone, 2012, pp. 843-861. 48 Assembly/AU/Dec. 397 (XVIII) Décision sur le rapport intérimaire de la Commission sur
la mise en Ćuvre des dĂ©cisions de la ConfĂ©rence sur la Cour pĂ©nale internationale. Doc.
EX.CL/710 (XX). 49 Dandi Gnamou, « Les vicissitudes de la justice pénale internationale : à propos de la
position de lâUnion Africaine sur le mandat dâarrĂȘt contre Omar Al Bashir », in Lâhomme
dans la société internationale. Mélanges en hommage au professeur Paul Tavernier, sous la
direction de Jean-François Akandji-Kombé, Bruxelles, Bruylan, 2013, p. 1260.
James Mouangue Kobila relĂšve : « La dĂ©cision de lâUA dâengager
ses Etats membres Ă ne pas coopĂ©rer Ă lâarrestation et Ă la remise du prĂ©si-
dent Omar El BĂ©chir est dâautant plus juridiquement fondĂ©e que les immu-
nités reconnues en droit international sont accordées aux personnes qui
incarnent intimement lâEtat (chef de lâEtat, chef de Gouvernement, ministre
des affaires Ă©trangĂšres, diplomates et agents consulaires). Or, dans
lâimpossibilitĂ© de « sĂ©parer lâindividu criminel de lâEtat responsable », lâon
ne saurait engager des poursuites contre les intĂ©ressĂ©s quâaprĂšs la cessation
de leurs fonctions, lâEtat ne pouvait jamais ĂȘtre criminel »50
.
Le PrĂ©sident de la Commission de lâUA dâalors, Jean Ping, rĂ©agis-
sant contre la seconde inculpation du Président Al Bashir pour génocide
déclarait le 23 juillet 2010 : « Nous ne sommes pas contre la CPI. Nous
constituons une bonne majorité [des Etats signataires du Statut], mais nous
disons que les jugements semblent ĂȘtre des jugements Ă deux vitesses et un
acharnement sur lâAfrique »
En rĂ©alitĂ©, les Etats Africains sont tiraillĂ©s dâun cĂŽtĂ© par leur loyau-
té à la cause du panafricanisme dont ils clament haut et fort leur volonté de
concourir Ă la rĂ©alisation et la lutte contre lâimpunitĂ© qui passe par le refus
de poursuites sĂ©lectives. De mĂȘme, un dilemme cornĂ©lien susceptible
dâentraĂźner la division entre eux est perceptible. Faut-il soutenir Al Bashir
et Uru Kenyatta et sacrifié le droits des victimes à un procÚs et à une éven-
tuelle réparation ou faut-il soutenir les actions du Conseil de sécurité et de
la CPI en militant fortement pour la répression des crimes internationaux ?
Au regard de la rĂ©action de lâUnion Africaine, il est Ă craindre que la pre-
miĂšre phase de lâalternative lâait emportĂ©, ce qui ne serait pas de bonne
augure pour lâenracinement de la dĂ©fense des droits humains dans le con-
tient africain.
Ainsi lâUA appelle t-elle ses membres Ă violer le principe de coopĂ©ration.
4) La violation de lâobligation de coopĂ©rer par lâUnion Africaine
Lâobligation de coopĂ©ration avec la CPI est consacrĂ©e par lâarticle
86 du Statut de Rome. Il dispose que : « les Etats Parties coopÚrent pleine-
ment avec la Cour dans les enquĂȘtes et poursuites quâelle mĂšne pour les
crimes relevant de sa compétence »51. Ce traité impose une obligation de
coopĂ©ration Ă lâensemble des Etats parties. Cette obligation de coopĂ©ration
avec la Cour pénale internationale « consiste pour les Etats à répondre aux
demandes dâassistance de la juridiction internationale en ce qui concerne
50 « LâAfrique et les juridictions internationales pĂ©nales », in Cahier Thucydide n° 10,
Etude-février 2012, p. 40. 51 Voir Abdoul Aziz Mbaye, Sam Sasan Shoamanesh, « Article 86 : Obligation générale de
coopérer », in Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par
article, Tome 2, Paris, editions Pedone, 2012, pp. 1791-1804.
des actes divers tels lâidentification des personnes, lâexĂ©cution des perquisi-
tions, les saisies, la production dâĂ©lĂ©ments de preuve au stade de lâenquĂȘte,
jusquâĂ lâarrestation et la remise de lâauteur pour le procĂšs »52
. Lâobligation
de coopĂ©rer est donc la garantie de lâeffectivitĂ© de la justice pĂ©nale interna-
tionale, dâautant plus dans une juridiction oĂč le procĂšs par contumace a Ă©tĂ©
Ă©cartĂ©. Câest un principe rĂ©aliste dont la finalitĂ© est dâassurer lâefficacitĂ© de
la CPI. Ainsi les Etats parties au Statut de Rome ne doivent pas adopter une
attitude qui empĂȘchera la CPI de punir les individus qui ont commis les
crimes internationaux53
.
Le refus de lâobligation de coopĂ©rer des Etats africains membres de
lâUnion Africaine ou de certains dâentre eux avec la CPI nâest pas un phĂ©-
nomĂšne nouveau dans lâordre juridique international. Rien que pour la pĂ©-
riode récente, les Etats-Unis ont manifesté une véritable politique de
dĂ©fiance Ă lâĂ©gard de la CPI. Non seulement les Etats-Unis ne sont pas par-
ties au Statut de Rome, mais encore ils concluent des accords de non extra-
dition de leurs ressortissants auprĂšs de la CPI54
.
En Afrique, le refus de lâUnion Africaine de coopĂ©rer avec la CPI
sâexplique par le comportement de la juridiction pĂ©nale internationale de
dĂ©clencher des poursuites contre des chefs dâEtats africains en exercice.
Omar Al Bachir, Mohammar Khadafi et Uri Kenyatta ont fait lâobjet de
mandats dâarrĂȘts internationaux. RĂ©agissant contre ces dĂ©cisions de la CPI,
lâUnion Africaine a en premier lieu demandĂ© au Conseil de SĂ©curitĂ© de
lâONU de suspendre les dĂ©cisions de poursuite. Face Ă lâabsence de rĂ©ac-
tion, lâOrganisation continentale a pris la dĂ©cision appelant les Etats afri-
cains à ne plus coopérer avec la CPI.
LâUnion Africaine demande Ă ses Etats membres lors du sommet
de Malabo en juillet 2011 de ne plus coopĂ©rer avec la CPI. Lâorganisation
continentale estime que « le mandat dâarrĂȘt publiĂ© par la chambre prĂ©limi-
naire contre le colonel Khaddafi complique sĂ©rieusement les efforts visant Ă
trouver une solution politique négociée à la crise en Libye, et à traiter les
questions dâimpunitĂ© et de rĂ©conciliation de maniĂšre Ă prendre en compte
lâintĂ©rĂȘt mutuel des parties concernĂ©es ». DĂšs lors, elle recommande « aux
Etats membres de ne pas coopĂ©rer Ă lâexĂ©cution du mandat dâarrĂȘt et [a]
demandĂ© au Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations Unies de mettre en Ćuvre les
dispositions de lâarticle 16 du Statut de Rome en vue dâannuler le processus
52 Dandi Gnamou, « Les vicissitudes de la justice pénale internationale : à propos de la
position de lâUnion Africaine sur le mandat dâarrĂȘt contre Omar Al Bashir », op.cit, .1262. 53 Jean-Louis Atangana, « Le refus de coopĂ©rer avec la Cour pĂ©nale international », Cahiers
Juridiques et politiques, p. 16, 2012. 54 Clémence Bouquemont, La Cour pénale internationale et les Etats-Unis, Paris,
LâHarmattan, 2003, 133 p. ; Voir aussi Mouhammed Bedjaoui, LâhumanitĂ© en quĂȘte de paix
et de développement, op.cit, pp. 122-123.
de la CPI sur la Libye dans lâintĂ©rĂȘt de la justice ainsi que de la paix dans
ce pays »55
.
Il est rĂ©vĂ©lateur que dans son bras de fer avec la CPI, lâUA assume
le refus de ses Etats membres de ne pas coopérer avec la justice pénale
internationale en procĂ©dant lâarrestation et Ă la remise des dirigeants afri-
cains faisant lâobjet de mandats dâarrĂȘt internationaux. Ainsi a-t-elle « rĂ©af-
firmĂ© « quâen recevant le PrĂ©sident Bashir, la RĂ©publique du Malawi,
comme Djibouti, le Tchad et le Kenya, avant elle, appliquait les différentes
dĂ©cisions de la ConfĂ©rence de lâUA sur la non-coopĂ©ration avec la CPI
concernant lâarrestation et le transfĂšrement du PrĂ©sident Omar Hassan El
Bashir »56
.
Le Statut de Rome est avant tout un traité multilatéral qui comporte
des obligations internationales contraignantes, telles que la coopération en
matiĂšre dâarrestation des suspects, auxquelles les Ătats sont soumis lors-
quâils deviennent partie au traitĂ©. DĂšs lors, le refus de lâUnion Africaine de
coopĂ©rer avec la CPI sâanalyse en une violation dâun traitĂ© international,
notamment la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités.
Lâarticle 26 du traitĂ© des traitĂ©s dispose que « tout traitĂ© en vigueur lie les
Etats parties et doivent ĂȘtre exĂ©cutĂ©s par elles de bonne foi ». Câest
lâĂ©nonciation du principe Pacta sunt servanda qui signifie dâune part que le
traitĂ© a un caractĂšre obligatoire sur les parties, et dâautre part, les obliga-
tions dĂ©coulant du traitĂ© doivent ĂȘtre exĂ©cutĂ©es de bonne foi par les par-
ties57.
Dans le mĂȘme ordre dâidĂ©es, un Etat signataire du Statut de Rome
doit Ă©viter dâentraver lâapplication du traitĂ©. Lâarticle 18 de la Convention
de Vienne de 1969 prĂ©citĂ©e, Ă©nonce quâun « Etat doit sâabstenir dâactes qui
priverait au traitĂ© de son objet et de son but : a) Lorsquâil a signĂ© le traitĂ©
(âŠ) tant quâil nâa pas manifestĂ© son intention de ne pas devenir partie au
traitĂ© ». Ainsi, un Etat signataire du Statut de Rome qui nâa pas encore ma-
nifestĂ© son intention de ne pas devenir partie au traitĂ© doit sâabstenir de tout
comportement qui priverait Ă celui ses effets ou qui serait contraire Ă son
objet ou Ă son but.
Câest dire aussi bien le comportement des Etats-Unis que celui de
lâUnionAfricaine sont en contradiction avec le traitĂ© crĂ©ant la CPI et la
Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités. Toutes ces difficultés
posent la nĂ©cessitĂ© dâune rĂ©forme du Statut de Rome.
55 UA, ConfĂ©rence de lâUnion, 17Ăšme Session ordinaire, 30 juin- 1er juillet 2011, Malabo
(GuinĂ©e Ă©quitoriale), DĂ©cision sur la mise en Ćuvre des dĂ©cisions de la ConfĂ©rence relatives
à la Cour pénale internationale, Assembly/AU/Dec.366 (XVII), Doc. EX CL/670 (XIX),
point 6. 56 Assembly/AU/Dec. 397 (XVIII) Décision sur le rapport intérimaire de la Commission sur
la mise en Ćuvre des dĂ©cisions de la ConfĂ©rence sur la Cour pĂ©nale internationale. Doc.
EX.CL/710 (XX) 57 Roberto Ago, La convention de Vienne sur le droit des traités, RCADI 1972.
B) Les manifestations de la contestation
Toute institution politique ou juridictionnelle qui Ă©volue a besoin dâun
temps dâexpĂ©rimentation afin de vĂ©rifier son mode de fonctionnement, ses
procédures et les effets de son action à la lumiÚre des objectifs qui sont
posĂ©s. La rĂ©forme de la Cour pĂ©nale internationale sâimpose en dĂ©pit de la
jeunesse de lâinstitution judiciaire internationale chargĂ©e de rĂ©primer les
crimes internationaux.
Dans ce cadre, les relations tumultueuses entre lâUnion Africaine et
la CPI ont le mérite de reposer la problématique de la réforme du Statut de
la Cour pénale internationale.
Mais au regard des passions et des vives rĂ©actions de lâUnion
Afrique, il importe de poser le dĂ©bat avec la sĂ©rĂ©nitĂ© requise afin dâindexer
les points pertinents susceptibles de faire lâobjet dâune rĂ©forme qualitative.
Il sâagira dans le cadre de cette brĂšve Ă©tude dâinsister sur les enjeux de la
critique adressĂ©es par lâUA Ă lâencontre de la CPI, dâexaminer
lâopposabilitĂ© des rĂ©solutions du Conseil de sĂ©curitĂ©, dâanalyser
lâinstrumentation de la CPI par les africains et dâexposer lâavenir des rela-
tions entre lâAfrique et la CPI.
1) Les enjeux de la justice pénale internationale
Il y a lieu de souligner, à la suite du Professeur Kamto que la déci-
sion du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations Unies de dĂ©fĂ©rer un chef de lâEtat
en fonction, si elle est « lĂ©gale, elle nâen demeure pas moins lĂ©gitime »58
.
En effet, lâinterrogation sur la lĂ©gitimitĂ© de la dĂ©cision du Conseil de sĂ©cu-
rité de déférer un cas devant la CPI est pertinente. La plupart des membres
du Conseil de sĂ©curitĂ© nâont par ratifiĂ©s le Statut du Rome. En clair, des
Etats qui ne sont pas parties Ă un traitĂ© international et donc nâont pas
dâobligation Ă leur charge profite dâun artifice juridique pour exercer des
droits en vertu dâun traitĂ© et dâune justice pĂ©nale internationale quâils ne
manquent de brocarder Ă lâoccasion. La Chine, la Russie et les Etats-Unis
qui sont membres permanents et titulaires du droit de véto ne sont pas par-
ties au Statut de Rome, ce qui ne leur empĂȘche pasde dĂ©fĂ©rer un cas Ă la
CPI en vertu de lâarticle 5. Si lors de lâadoption de la rĂ©solution 1593
(2005) relative à la situation au Soudan qui abouti à la décision de poursuite
du Président AL Bshir les Etats Unis, la Chine et la Russie se sont abstenus,
cette attitude de self restreinte nâa pas Ă©tĂ© observĂ©e dans lâaffaire Libyenne.
En effet, la résolution 1973 (2011) sur la Libye, comprenant entre autres la
décision de déférer la situation de ce pays, et derriÚre celui-ci Mouammar
Kadhafi, devant la CPI, a quant Ă elle, Ă©tĂ© adoptĂ© Ă lâunanimitĂ© des
58 Maurice Kamto, « LâââAffaire Al Bashirââ et les relations de lâAfrique avec la Cour pĂ©nale
internationale », op. cit., p. 150-151.
membres du Conseil de sécurité, et donc des votes favorables de la Chine,
des Etats-Unis et de la Russie59
.
Par ailleurs, lâUA a reprochĂ© au Conseil de sĂ©curitĂ© son mutisme
consécutivement à sa demande de suspension des poursuites enclenchées
contre les chefs dâEtats en exercice, notamment le PrĂ©sident Kenya Uru
Kenyatta et son vice-président William Ruto.
Le texte présenté par le Rwunda a été soumis au vote le 15 no-
vembre 2013 mais le projet africain de résolution a obtenu 7 voix pour et
aucune opposition.
L'Union africaine n'a donc pas trouvé la majorité qualifiée néces-
saire à l'adoption d'une résolution.
L'immunité est une rÚgle de forme et non de fond qui écarte les
rÚgles ordinaires de compétence, sans exonérer son bénéficiaire de sa res-
ponsabilitĂ©. C'est une rĂšgle de compĂ©tence. Or la compĂ©tence dâun tribunal
international est uniquement fixée par son statut. Cette position retenue par
la CDI nâest pas contestĂ©e par les Etats (VIĂšme Commission).
LâUnion africaine peut bien affirmer quâun chef de lâEtat dâun Etat
membre ne devrait pas faire lâobjet de poursuites pendant la durĂ©e de son
mandat.
Cette position, quelle que soit sa portée juridique est sans incidence
sur la CPI dont la compétence découle du traité de Rome. Les 34 Etats afri-
cains parties Ă la Convention de Rome de 1998 et membres de la CPI ne
peuvent soutenir une position aussi radicale que l'immunité devant la CPI
qui ne trouve aucun appui dans le droit international gĂ©nĂ©ral (lâimmunitĂ© ne
sâapplique pas aux tribunaux internationaux) et est contraire Ă la lettre
mĂȘme du Statut de la CPI.
Les Etats africains membres de la CPI proposent des artifices juri-
diques pour éviter que le Président Kenyatta comparaisse devant la Cour.
Lâargument de la rupture dans la continuitĂ© du pouvoir dâEtat est dâailleurs
commode pour cela, parce quâil permet de justifier lâadoption de mesures
particuliĂšres dont le Chef de lâEtat du Kenya pourrait bĂ©nĂ©ficier. Il ne sau-
rait y avoir d'autre justification à un traitement dérogatoire de suspects. En
réalité les procÚs ont été organisés par les juges de maniÚre à ce que le chef
de lâEtat, M. Kenyatta, et le Vice-prĂ©sident, M. Ruto, ne soient jamais con-
traints à une présence simultanée à La Haye. La chambre de premiÚre ins-
tance a été dédoublée et les deux accusés relÚvent donc de deux instances
de jugement séparés. Ces chambres ne peuvent donc absolument pas se
rĂ©unir en mĂȘme temps, parce que deux des trois juges siĂšgent dans les deux
formations.
En outre, les 34 Etats africains forment le plus important groupe
rĂ©gional au sein de lâAssemblĂ©e des Etats parties Ă la CPI. Ils nâont cepen-
59 Kamto, op.cit, p. 151.
dant, ni majorité, ni minorité de blocage au sein de cet organe qui compte
122 Etats membres. Ces 122 Etats sont largement majoritaires au sein de
lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de lâONU. Ils atteignent peut ĂȘtre la majoritĂ© des 2/3
si lâon tient compte du soutien vraisemblable dâEtats non-parties au statut
de Rome, tels que les Etats-Unis ou Monaco. Au Conseil de sécurité ils
sont 7 Etats parties en face de 7 Etats non parties, les Etats-Unis ayant une
position de pivot entre les deux groupes. Cette répartition qui est maintenue
à chaque élection annuelle crée une situation de compromis acceptable par
tous. En effet, ni le groupe de la CPI, ni le groupe non-CPI ne sont en me-
sure dâimposer une rĂ©solution. Ils nâatteignent pas la majoritĂ© de 9 voix sur
15 indispensable Ă lâadoption dâune rĂ©solution et chacun dispose de deux
voix bloquantes (veto) ; là encore le pivot est assuré par les Etats-Unis60
.
Enfin, le Conseil avait dĂ©jĂ soulignĂ© que lâarticle 16 du Statut
permettait uniquement au Conseil de sĂ©curitĂ© de suspendre les enquĂȘtes et
les poursuites dans une situation menaçant la paix et la sécurité internatio-
nale. Or, lâUnion africaine demandait que le Conseil intervienne dans un
procĂšs aprĂšs lâachĂšvement de lâinstruction et sollicitait par consĂ©quent
lâingĂ©rence dâun organe politique dans le fonctionnement mĂȘme de la jus-
tice. Au demeurant, la menace à la paix et à la sécurité internationales allé-
guĂ©e nâĂ©tait pas avĂ©rĂ©e, mais purement hypothĂ©tique.
Lâadoption du projet africain par le Conseil de sĂ©curitĂ© aurait
constituĂ© un terrible prĂ©cĂ©dent compromettant pour lâavenir le transfĂšre-
ment Ă la Cour de tous les dirigeants dans le monde et amputant ainsi le
Conseil de sĂ©curitĂ© dâun pouvoir de dissuasion des crimes dâEtat61
.
De mĂȘme, il se pose le problĂšme de lâopposabilitĂ© des dĂ©cisions
du Conseil de sécurité.
2) LâopposabilitĂ© de la rĂ©solution du Conseil de sĂ©curitĂ© de
lâONU
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a reçu de la Charte de
San Francisco la responsabilité entiÚre de la sécurité et de la paix interna-
tionales. En vue dâatteindre cet objectif, il dispose au titre des chapitres VII
et VIII de la Charte tous les éléments lui permettant de mener à bien sa
mission. A cet effet, en vertu de lâarticle 52 de la Charte, prĂ©voit une coo-
pération avec les organismes régionaux et subordonne leur intervention en
matiĂšre de paix et de sĂ©curitĂ© Ă lâautorisation du Conseil de sĂ©curitĂ©. DĂšs
lors que la situation au Darfour est qualifiée de menace à la paix, elle relÚve
60 Weckel Philippe, « Paix et Sécurité. Conseil de sécurité, soutenu par les seuls Etats
membres qui ne sont pas parties au Statut de Rome, le projet africain de résolution visant la
suspension du procÚs Kenyatta échoue », Bulletin Sentinelle - www.sentinelle-droit-
international.fr n°366 17/11/2013 61 Ibid.
de la compétence du Conseil de sécurité et cet organe est fondé à solliciter
des Etats membres et des organismes régionaux une coopération efficace en
vue de faire régner la paix et la sécurité internationales au Soudan.
Câest donc Ă juste titre que lâon peut considĂ©rer que « le recours
au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour rĂ©aliser lâĆuvre de la
justice pénale internationale transcende la qualité de partie au Statut de la
Cour et repose sur le caractĂšre constitutionnel de la Charte, la quasi-
universalitĂ© des Nations Unies et lâimportance primordiale du maintien de
la paix pour la communauté internationale »62
.
En consĂ©quence, les Etats Africains et lâUA devraient coopĂ©rer
pour lâapplication et lâeffectivitĂ© de tous les actes posĂ©s par le Conseil de
sĂ©curitĂ© de lâONU en vue de la rĂ©pression des crimes internationaux. LâUA
nâest pas fondĂ©e au regard de la Charte des Nations Unies et des obligations
qui pĂšsent individuellement sur ses membres qui sont en mĂȘme temps par-
ties Ă lâOrganisation mondiale.
Par ailleurs, la lecture de lâAccord dâassociation entre lâONU et
la CPI fournit une autre explication susceptible de conforter les dévelop-
pements précédant63
. En effet, le texte rappelle que « le Statut de Rome de
la Cour pénale internationale réaffirme les buts et principes de la Charte des
Nations Unies » et note « le rÎle important assigné à la CPI dans la répres-
sion des crimes les plus graves qui touchent lâensemble de la communautĂ©
internationale, au sens du Statut de Rome, et qui menacent la paix, la sécu-
ritĂ© et le bien ĂȘtre du monde ».
Cet Accord est conclu sur la base de la résolution 58/79 de
lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations Unies en date du 9 dĂ©cembre 2003 pour
rĂ©gir les relations entre la CPI et lâONU. Il faut rappeler aussi quâaux
termes de lâarticle 2 du Statut de Rome, la Cour pĂ©nale internationale est
liĂ©e aux Nations Unies par un accord qui doit ĂȘtre approuvĂ© par
lâAssemblĂ©e des Etats parties au Statut de Rome, puis conclu par le PrĂ©si-
dent de la Cour au nom de celle-ci.
Au titre des principes, ledit accord dispose en son article 2 que
« lâOrganisation des Nations Unies reconnaĂźt la Cour en tant quâinstitution
judiciaire permanente, indépendante qui, conformément aux articles pre-
mier et 4 du Statut, a la personnalité juridique internationale et la capacité
juridique qui lui est nécessaire pour exercer ses fonctions et accomplir sa
mission ». Ainsi la Cour reconnaĂźt les attributions que la Charte confĂšre Ă
lâorganisation des Nations Unies. LâONU et la Cour sâengagent Ă respecter
mutuellement leur statut et leur mandat.
62 Dandi Gnamou, « Les vicissitudes de la justice pénale internationale : à propos de la
position de lâUnion Africaine sur le mandat dâarrĂȘt contre Omar Al Bashir », op.cit, p. 1261. 63 Accord nĂ©gociĂ© rĂ©gissant les relations entre la Cour pĂ©nale internationale et lâOrganisation
des Nations Unies.
En matiĂšre de coopĂ©ration et dâassistance judiciaire entre les
deux instances, lâarticle 17 prĂ©voit que lorsque le Conseil de sĂ©curitĂ©, agis-
sant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, décide de
dĂ©fĂ©rer au Procureur, conformĂ©ment Ă lâarticle 13, paragraphe b), du Statut,
une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes visĂ©s Ă lâarticle 5 du
statut paraissent avoir été commis, le Secrétaire général transmet immédia-
tement la décision écrite du Conseil de sécurité au Procureur avec les do-
cuments et piĂšces pouvant sây rapporter. La Cour sâengage Ă tenir le
Conseil de sécurité informé conformément au Statut et au RÚglement de
procĂ©dure et de preuve. Ces informations sont transmises par lâentremise du
Secrétaire général.
De mĂȘme, lorsque le Conseil de sĂ©curitĂ©, agissant en vertu du
Chapitre VII de la Charte, adopte une résolution demandant à la Cour, en
vertu de lâarticle 16 du Statut, de ne pas engager ni mener dâenquĂȘte ou de
poursuites, cette demande est transmise immédiatement par le Secrétaire
général au Président et au Procureur. La Cour accuse réception de la de-
mande par lâentremise du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral et, le cas Ă©chĂ©ant, informe le
Conseil de sĂ©curitĂ©, toujours par lâentremise du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, des me-
sures quâelle a prises Ă cet Ă©gard64
.
Par ailleurs, lâidĂ©e selon laquelle un Etat non partie au Statut de
Rome ne peut pas ĂȘtre poursuivi devant la CPI ne rĂ©siste pas Ă lâanalyse. En
effet, un Etat qui nâa pas ratifiĂ© le TraitĂ© de Rome crĂ©ant la Cour pĂ©nale
internationale peut ĂȘtre poursuivie devant la CPI si ledit Etat est membre
des Nations et que le Conseil de Sécurité prend une résolution au titre de sa
mission de maintien de la paix et de la sécurité internationale. Plus préci-
sĂ©ment, les rĂ©solutions du Conseil de sĂ©curitĂ© sâimposent aux membres des
Nations Unies. De mĂȘme, aux termes de lâarticle 113 de la Charte de
lâONU, les Etats membres doivent assurer aux rĂ©solutions plein effet. DĂšs
lors que le Conseil défÚre un cas concernant un Etat non partie devant la
CPI, les autres Etats parties ou non au Statut de Rome sont obligés de coo-
pérer avec la justice pénale internationale.
Ce qui montre que la rĂ©action de lâUA concernant les mandats
dâarrĂȘt lancĂ©s par le Procureur de la CPI Ă lâencontre du PrĂ©sident AL Bas-
hir du Soudan ou lePrĂ©sident Kenyattadu Kenya nâest pas dĂ©fendable au
plan strictement juridique.
En derniĂšre instance, il convient de sâinterroger sur les possibles
manipulations de la CPI par les dirigeants africains.
64 Article 17. 2 de lâAccord nĂ©gociĂ© rĂ©gissant les relations entre la Cour pĂ©nale
internationale et lâOrganisation des Nations Unies.
3) Lâinstrumentalisation de la Cour pĂ©nale internationale par les
Etats Africains
Il a Ă©tĂ© souvent reprochĂ© Ă la Cour pĂ©nale internationale dâĂȘtre
une juridiction aux mains des puissances occidentales. Ainsi pour diminuer
lâinfluence des occidentaux, les Etats Africains ont-ils proposĂ© la nomina-
tion dâun Procureur africain dans lâespoir dâorienter la politique judiciaire
de la Cour pénale internationale.
Cependant, on relĂšve une propension de certains dirigeants afri-
cains à instrumentaliser la justice pénale internationale. Celle-ci court le
risque de servir dâĂ©pĂ©e de DamoclĂšs sur la tĂȘte des opposants politiques. En
effet, des chefs dâEtat nâhĂ©sitent pas Ă saisir la Cour pĂ©nale internationale
de faits aboutissant Ă la poursuite et au transfĂšrement dâopposants. Ainsi,
sans le vouloir, la CPI devient le bras armé des dirigeants africains.
Dans cette optique, la situation en Ouganda a fait lâobjet dâune
saisine du Procureur par les autoritĂ©s, le 16 dĂ©cembre 2003. Lâobjectif visĂ©
Ă©tait le dĂ©clenchement de poursuite contre certains dirigeants de lâArmĂ©e de
RĂ©sistance du Seigneur (LRA) soupçonnaient dâavoir commis des crimes
internationaux. A cet effet, des poursuites ont été enclenché contre Joseph
Kony, Vincent Otty, Okot Odhiambo, Dominis Ongwen et Raska Lukwiya.
En RĂ©publique DĂ©mocratique du Congo (RDC), en mars 2004 le
gouvernement Ă dĂ©fĂ©rĂ© la situation de ce pays Ă la CPI aprĂšs une enquĂȘte du
Procureure. LâenquĂȘte aboutit Ă lâexamen de plusieurs affaires dont celle de
Thomas Lubanga.
En Centrafrique, le gouvernement a soumis Ă la Cour en no-
vembre 2004, la situation de ce pays, ce qui a conduit Ă lâouverture dâune
enquĂȘte ouverte contre Jean-Pierre Bemba Gombo.
DĂšs son arrivĂ©e au pouvoir en CĂŽte dâIvoire, le PrĂ©sident Alas-
sane Ouattara a réaffirmé la compétence de la Cour pénale internationale
Les 14 décembre 2010 et 3 mai 2011. Cette décision a eu pour conséquence
le transfĂšrement de lâancien PrĂ©sident Laurent Gbagbo le 30 novembre
2011.
La cĂ©lĂ©ritĂ© de la procĂ©dure de remise de lâancien PrĂ©sident ivoi-
rien Ă la CPI pourrait Ă©galement sâexplique par une volontĂ© de contourner
lâĂ©ventuelle rĂ©ticence de lâUnion Africaine. Une voix autorisĂ©e a pu soute-
nir que « le bref dĂ©lai qui a sĂ©parĂ© lâĂ©mission du mandat dâarrĂȘt contre
lâancien prĂ©sident ivoirien et sa remise Ă la CPI par le nouveau rĂ©gime en
place en CĂŽte dâIvoire suggĂšre que les nouvelles autoritĂ©s ivoiriennes ont
voulu prendre de court lâUA, de sorte quâelle ne puisse pas se prononcer
sur le mandat dâarrĂȘt Ă©mis contre Laurent Gbagbo ni sur la remise de ce
suspect. Les donnĂ©es de la coopĂ©ration entre la CĂŽte dâIvoire et la CPI en
vue de la remise de Laurent Gbagbo tĂ©moignent des manĆuvres auxquelles
peuvent se livrer les Etats africains pour contourner lâhostilitĂ© de principe
de lâUnion Africaine vis-Ă -vis de la CPI »65
. Enfin, Charles Blé Goudé,
leader des « jeunes patriotes » et proche du Président Gbagbo a été tranféré
Ă la CPI. En revanche, les autoritĂ©s ivoiriennes refusent au mĂȘme moment
de remettre à la CPI Mme Simone Gbagbo, préférant organiser son procÚs
en CĂŽte dâIvoire.
En réalité, il a été reproché au Procureur de la CPI Mme Foutou
Bensouda, la sélectivité des poursuites orientées vers les proches de
lâancien du PrĂ©sident Gbagbo, laissant les partisants de son adversaire, le
PrĂ©sident Alassane Ouattara, jouir dâune impunitĂ© totale. De plus, la stratĂ©-
gie adoptĂ©e par les autoritĂ©s ivoiriennes semble cynique car elle consiste Ă
envoyer ses adversaires politiques Ă la CPI et Ă organiser une Commission
vérité réconcliliation pour leurs proches66. Dans ces conditions, la CPI ne
devient-elle pas le bras armé de certains dirigeants africains ?
4) Lâavenir des relations entre la CPI et lâAfrique
Le vĂ©ritable dĂ©fi qui sâimpose Ă lâAfrique est de gagner sa souve-
rainetĂ© judiciaire. Tant quâelle ne dispose pas dâun appareil judiciaire crĂ©-
dible et capable de juger les auteurs de crimes contre lâhumanitĂ©, des
crimes de guerre et des crimes de génocide, elle sera toujours exposée aux
exigences du reste de la communauté internationale en matiÚre répression
des crimes internationaux.
Si, au plan symbolique, il est choquant de voir les anciens colons
rĂ©clamĂ©s le transfĂšrement et la poursuite de chefs dâEtat africains prĂ©sumĂ©s
auteurs de crimes internationaux afin de les juger alors quâau regard de
lâhistoire ils ne sont pas des modĂšles de rĂ©fĂ©rences dans ce domaine.
Toutefois, force est de reconnaßtre que cet argument ne résiste pas
au plan juridique. Les Etats africains, en signant le Statut de Rome sont
dans lâobligation dâexĂ©cuter leurs engagements internationaux au nom des
principes de bonne foi, de Pacta sunt servanda. Donc, les autres Etats par-
ties, quâils soient occidentaux ou pas sont fondĂ©s Ă exiger par tous les
moyens que le droit international met Ă leur disposition, le respect par leur
partenaires africains leurs obligations internationales. Câest dans ce sens
quâil faut comprendre lâinsistance de la Belgique Ă exiger du SĂ©nĂ©gal le
jugement de lâancien PrĂ©sident Tchadien, Hussein HabrĂ©.
Par ailleurs, dans la lutte contre lâimpunitĂ©, lâAfrique ne sâest pas
montré trÚs enthousiaste. En effet, devant les multiples violations des droits
de lâhomme, les victimes ont toujours eu des difficultĂ©s de poursuivre leurs
auteurs devant les juridictions.
65 James Mouangue, « LâAfrique et les juridictions internationales pĂ©nales », op.cit, p. 16. 66 Mohamed Madi DjabakatĂ©, Le rĂŽle de la Cour pĂ©nale internationale en Afrique, Paris,
LâHarmattan, 2014, p. 37.
Il y a lieu de rappeler que la Charte Africaine des droits de
lâhomme et des peuples permet aux individus de poursuite devant la Cour
Africaine des droits de lâhomme. Mais la procĂ©dure est largement biaisĂ©e
par le fait que les requĂȘtes individuelles sont soumises Ă des conditions
contraignantes qui laissent aux Etats une marge de manĆuvre aux Etats.
A la lumiÚre de tous ces développements, le défi de la lutte contre
lâimpunitĂ© ne peut ĂȘtre levĂ© que par une collaboration harmonieuse avec la
Cour pĂ©nale internationale et la Conseil de sĂ©curitĂ© de lâOrganisation des
Nations-Unies.
Au total, les relations entre lâAfrique et la Cour pĂ©nale internatio-
nale montrent que le développement de la justice pénale internationale est
complexe et soulĂšve des difficultĂ©s de toutes sortes. Toutefois, il nâen de-
meure pas moins que lâAfrique a apportĂ© une contribution dĂ©cisive Ă la
création et au développement de la justice pénale internationale. Les rela-
tions heurtĂ©es entre lâorganisation continentale africaine et la Cour pĂ©nale
internationale témoignent de la volonté des africains de lutter contre
lâimpunitĂ©. Objectif maintes fois rappelĂ© par lâUnion africaine dans ses
différentes décisions. La justice pénale internationale permet de repousser
les frontiĂšres de lâimpunitĂ©. Elle introduist un Ă©lĂ©ment de moralisation des
relations internationales et constitue le dĂ©but dâune rĂ©pression pĂ©nale inter-
nationale ; elle tĂ©moigne dâune solidaritĂ© rĂ©elle de la communautĂ© interna-
tionale.
De mĂȘme, cette passe dâarmes a permis dâexaminer les implications
de certains dispositions du Statut de Rome notamment les articles 12, 13,
17, etc.
Les positions de lâUnion africaine ont permis dâavoir une idĂ©e plus
prĂ©cise que les dirigeants africains se font de lâĂ©tendue de la compĂ©tence
universelle, du principe de complĂ©mentaritĂ©, de lâimmunitĂ© des chefs
dâEtats, des relations entre la CPI et le Conseil de sĂ©curitĂ© de lâONU.
Sur un autre registre, les rapports entre la CPI et lâUA posent le problĂšme
de la souveraineté judiciaire des Etats africains et plus généralement de
lâUnion africaine. Les Etats africains mĂȘme ceux qui sont Parties au Statut
de Rome nâont pas dans leur majoritĂ© amĂ©nagĂ©s leur dispositif interne prĂ©-
voyant les crimes internationaux réprimés par le Traité de Rome. De plus,
le manque de moyens matériels, humains (nombre et formation de magis-
trats compĂ©tents) limitent lâexercice de la souverainetĂ© judiciaire des Etats
africains.
La compétence de la CPI est complémentaire de celle des Etats par-
ties. Si les Etats nâexpriment pas leur volontĂ© de poursuite et ne posent pas
dâactes concrets en ce sens, la CPI est obligĂ©e dâaffirmer sa compĂ©tence.
Or, la lutte contre lâimpunitĂ© ne doit pas rester au stade des proclamations.
LâexpĂ©rience a montrĂ© le peu dâempressement des Etats africains Ă dĂ©clen-
cher les poursuites, ce qui juridiquement fonde la CPI à suppléer à la défail-
lance des juridictions internes.
Les dĂ©clarations au titre de lâarticle 12 du Statut de Rome peuvent
entraßner une instrumentalisation de la Cour. Le risque existe dans la défini-
tion de la compĂ©tence de restreindre le champ dâintervention de la juridic-
tion pĂ©nale internationale permanente. Câest la raison pour laquelle :
« sâĂ©cartant de la conclusion de la Chambre prĂ©liminaire I et contournant
lâincertitude entourant la notion de situation, la Chambre dâappel de la CPI
a emprunté un cheminement inédit et pour le moins inattendu. Elle a en
effet estimé que la reconnaissance de la compétence de la Cour effectuée
par le biais dâune dĂ©claration au titre de lâarticle 12 (3) avait, Ă lâinstar de la
ratification ou de lâadhĂ©sion du Statut de Rome et sous rĂ©serve dâune stipu-
lation contraire, vocation Ă ĂȘtre gĂ©nĂ©rale »67
.
67 Chambre dâappel, Judgement on the appeal of L-K GBABO against decision of the pre-
Trail Chamber I on jurisdction and stay of the proceeding, in www.icc-cip.org, §82 et 84.