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ARGENTEUIL - SAMEDI 18 OCTOBRE 2014 LA BANLIEUE EST-ELLE TOUJOURS DANS LA RÉPUBLIQUE ? Quelques articles pour aller plus loin

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Page 1: EGPS 18/10/14 - Lectures pour aller plus loin

ARGENTEUIL - SAMEDI 18 OCTOBRE 2014

LA BANLIEUE EST-ELLE TOUJOURS DANS LA RÉPUBLIQUE ?

Quelques articles pour aller plus loin

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Rapport sur l'intégration: vers une laïcité de "compromis" Par Marie Caroline Missir, publié le 13/12/2013 à 10:13 Les cinq rapports remis à Jean­Marc Ayrault le 13 novembre dernier opposent laïcité néo­républicaine et laïcité "inclusive". Ils proposent de repenser nos politiques d'intégration, en commençant notamment par l'école. Que disent ces rapports? Le travail de ces groupes, constitués de représentants d'associations, de fonctionnaires, de syndicalistes et de chercheurs, recoupe un champ très large et traite des questions du vivre ensemble, de la protection sociale, de la connaissance et de la mémoire, des mobilités sociales et de l'habitat. Il est ainsi proposé de créer une "gouvernance de l'Etat" pour la lutte contre les discriminations (création d'une autorité indépendante de lutte contre les discriminations sociales et ethno­raciales, d'une instance de pilotage des politiques publiques en la matière, d'un institut nationale et d'un fond d'investissement). Le rapport propose également la création d'un délit de harcèlement racial ou encore d'une "Cour des comptes de l'égalité". Le rapport "faire société commune" s'attaque également à la question de la laïcité à l'école, et plus précisément à l'encadrement des sorties scolaires. Il prend l'exemple de la circulaire "Chatel" du 27 mars 2011, qui stipule que les parents accompagnateurs sont soumis au pincipe de laïcité. "Cette circulaire se fonde sur une approche de la laïcité (...) orthodoxe ou néo­républicaine attachée à rappeler de façon descendante et universelle ses principes", estiment les auteurs. Ils dénoncent les "effets discriminatoires" de ce texte, "fondé sur un critère d'appartenance religieuse". Cette circulaire, estime le rapport, conduirait à un renforcement des inégalités sociales.

A rebours d'une laïcité "orthodoxe", les auteurs proposent donc de se rallier à "une conception inclusive et libérale de la laïcité, sensible à la fois aux contextes et aux conséquences de sa mise en pratique", propose le rapport. Et d'expliquer: "Faire société commune dans ces conditions ne présuppose pas que ce qui fait le commun soit prédéterminé, pré­établi par la société majoritaire et ses élites mais au contraire soit le fruit d'un processus à la fois ascendant et descendant, fait de coopérations, de compromis, d'apprentissages réciproques, de confrontations pour in fine constituer le commun comme nouvelle forme d'universalité au bénéfice de tous".

Sur ces bases, le rapport propose ainsi de revoir l'ensemble des circulaires et textes de loi "qui comportent des mesures discriminatoires ou dont les effets induits sont des processus discriminatoires". Le rapport dénonce également vigoureusement "la production industrielle de l'échec scolaire en France", et "l'incapacité depuis 30 années à tarir le flux de sortants sans diplôme qui enchaînent ensuite entre 3 et 5 ans en moyenne de parcours d'insertion incertains, sans perspective de carrière, mais aussi par le nombre de jeunes sortant avec des diplôme obsolètes, dont une partie est si disqualifiée dans l'éducation nationale elle­même, qu'elle ne débouche sur aucune poursuite d'étude". Les auteurs préconisent encore de renforcer les méthodes pédagogiques de l'école pour les enfants de milieux populaires en difficulté, et de repenser totalement l'orientation. Enfin, pour promouvoir la connaissance de l'immigration, les groupes de travail proposent de repenser les programmes scolaires, afin d'intégrer, dès l'école primaire, "l'histoire des mouvements de population dans leur globalité", "ceux liés à l'esclavage et à la traite négrière, aux colonisation, à l'immigration économique...".

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Institut des cultures d'islam : photos et concerts pour ouvrir le « dialogue » LE MONDE | 28.11.2013 à 12h59 ­ Par Clarisse Fabre "Astrolabe", de Yazib Oulab, installé dans une cour ouvrant sur le hall de l'Institut des cultures de l'islam. C'est simple, il suffit de suivre les empreintes sur le trottoir. De l'ancien bâtiment de l'Institut des cultures d'islam (ICI), situé au 19, rue Léon, au nouvel ICI Goutte­d'Or, qui ouvre ses portes jeudi 28 novembre, au 56, rue Stephenson, il n'y a que quelques pas, matérialisés à la peinture blanche. « L'ICI est là », lit­on sur les traces au sol. C'est un avis à la population de ce quartier populaire du 18e arrondissement de Paris ainsi qu'aux amateurs d'art contemporain venus d'ailleurs. Le lieu culturel de la rue Léon continue de vivre, et un nouveau centre d'art leur tend les bras. Il ne ressemble à aucun autre sur le territoire français : à l'ICI Goutte­d'Or, les visiteurs sont invités à plonger dans les cultures de l'islam, sous toutes leurs formes (photos, concerts, performances, installations artistiques, brunchs littéraires…), dans un élégant bâtiment à la carcasse métallique qui cohabite « dans le strict respect de la laïcité » avec une salle de prière pour les musulmans, située au premier étage (moquette grise épaisse, mêmes lustres au plafond que dans la salle d'exposition). Bienvenue à tous les publics, « croyants de toutes confessions, athées ou agnostiques », lit­on dans le dossier de presse. « On est un OVNI qui suscite la curiosité. On se distingue de l'Institut du monde arabe, à Paris, sur un point en particulier : nous sommes un lieu de dialogue avec l'islam dans toutes les régions du monde, Afrique, Asie, Moyen­Orient, Europe… », explique la directrice générale, Elsa Jacquemin. La jeune femme fera équipe avec la directrice artistique franco­turque, Zeynep Morali, 36 ans. Née à Paris, elle vient de passer dix ans à Istanbul, montant des plates­formes de danse contemporaine, travaillant au centre d'art Depo. « Comment faire connaître l'islam d'une autre manière, faire passer des choses sans provocation ? », s'interroge­t­elle, entre deux détails techniques à régler. L'exposition temporaire, en accès libre, intitulée « Ici, là et au­delà », qui a lieu jusqu'au 30 mars 2014, témoigne de cette volonté d'ouverture. Les photos de l'Iranien Abbas, de l'agence Magnum, captent des scènes de la vie quotidienne de musulmans de tous horizons : jeunes femmes iraniennes fumant des cigarettes dans un café branché de Téhéran ; enfants du Mali portant leurs tablettes coraniques sous le bras, comme s'ils transportaient leur skate­board, etc. Le photographe, habitant du 18e arrondissement, expose à l'étage des photos prises à la Goutte­d'Or durant l'été 2013, comme un écho noir et blanc à l'exposition haute en couleur « The Goutte­d'Or ! », confiée à Martin Parr en 2011. D'autres artistes sont invités, telle l'Italienne Patrizia Guerresi Maïmouna, convertie à l'islam, ou encore le Franco­Algérien Yazid Oulab, lequel suspend une question au mur : un « M'aimes­tu ? », écrit à l'aide d'un fil barbelé.

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«Les collectifs de citoyens sont une source de pouvoir» Libération ­ GUILLAUME PAJOT 17 OCTOBRE 2014 Ancien directeur de campagne de Barack Obama, William D. Burns a organisé en réseau politique les populations issues des quartiers déshérités de Chicago. Aux Etats­Unis, les collectifs de citoyens, organisés autour d’intérêts communs, jouent un rôle clé dans la construction des politiques publiques. Membre du Parti démocrate, William D. Burns, 41 ans, a dirigé la campagne de Barack Obama lorsqu’il était candidat au Congrès en 2000. Il est aujourd’hui membre du conseil municipal de Chicago. Depuis le début de sa carrière, son action a été guidée par l’idée d'«empowerment». Il revient sur cette notion méconnue en France et explique pourquoi les citoyens ont intérêt à s’organiser pour peser sur les prises de décision. Quelle est votre définition du mot «empowerment» ? L'«empowerment» vise à aider les citoyens à trouver la capacité de changer leurs conditions de vie, en général à travers la création de leur propre association. Elle leur permet de rassembler leurs forces pour faire des demandes concrètes aux élus, aux chefs d’entreprise… Ce concept était au cœur de la campagne présidentielle d’Obama en 2008 et sous­tend votre action à Chicago. Pourquoi est­ce si important ? Frederick Douglass, un célèbre abolitionniste noir du XIXe siècle, disait : «Le pouvoir ne concède rien sans demande». Si vous voulez que quelque chose change, il vous faut du pouvoir. Et les collectifs de citoyens sont justement une source de pouvoir. Même en tant que politicien, j’ai besoin de ces groupes pour valider les projets que je souhaite mettre en place. Quelle forme prend ce mouvement à Chicago ? Dans ma circonscription, un certain nombre d’associations venant de la base de la société ont développé un agenda politique : syndicats, groupes de quartier… La démocratie américaine repose sur l’interaction entre ces collectifs ­ c’est ce que nous appelons le pluralisme. Aucun groupe ne peut obtenir tout ce qu’il veut. Il doit forcément négocier et tenter d’arriver à un accord satisfaisant. S’il n’en trouve pas, il rate l’opportunité d’une victoire. Et chaque victoire compte car les gens ont besoin de sentir qu’ils peuvent gagner quelque chose pour continuer à se mobiliser. En France, cette façon d’organiser et de défendre des intérêts particuliers est parfois critiquée, par crainte du communautarisme… La relation à l’Etat y est différente. Les Français attendent de l’Etat qu’il s’occupe des choses à leur place et il n’y a pas d’organisations intermédiaires entre les citoyens et lui. Aux Etats­Unis, nous pensons que l’Etat est contrôlé par des associations d’individus. Les intérêts des citoyens sont assurés par ces groupes communautaires, et je ne pense pas que s’organiser autour de critères identitaires ou géographiques soit nécessairement une mauvaise chose. Aux Etats­Unis, votre qualité de vie est très différente selon que vous êtes afro­américain ou blanc. Comment résoudre ce problème si on ne rassemble pas les individus concernés autour de cet enjeu ? Si le système n’est pas remis en cause, il ne changera jamais… Le communautarisme est parfois utilisé comme un épouvantail pour démobiliser les gens et les empêcher de lutter les discriminations.

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La relation entre les Français et leurs représentants semble empreinte de défiance. Les Etats­Unis font­ils face au même désenchantement ? Absolument. Ce dédain est compréhensible. Il y a trente ans, Ronald Reagan déclarait : «Le gouvernement n’est pas la solution ; le gouvernement est le problème». Avant cela, le Watergate a laissé des traces. A Chicago, chaque année, au moins un élu du conseil municipal est envoyé en prison pour corruption ou extorsion ! La crise économique de 2008 n’a rien arrangé. Tant que la prospérité ne sera pas au rendez­vous, nous allons devoir vivre avec cette tendance profonde au cynisme et à la frustration, dangereuse pour le fonctionnement de la démocratie. Elle facilite le travail de démagogues aux solutions simplistes qui expliquent qu’en expulsant les immigrés, tous les problèmes seront réglés. Comment inverser la tendance ? Aux Etats­Unis, le gouvernement fédéral est dans l’impasse, donc rien ne se passe à ce niveau. Les innovations et les politiques progressistes sont plutôt le fait de l’Etat et de la ville. A Chicago, beaucoup de projets sont en cours. Notre dernier effort est la création d’un salaire minimum. J’espère que nous voterons cela en novembre ou en décembre. Ainsi, dans quatre ans, la ville aura un salaire minimum de 13 $ de l’heure. 410 000 personnes devraient connaître une hausse de salaire et un nombre significatif de travailleurs sortira de la pauvreté. C’est le genre d’initiatives qui redonne foi en l’action publique.

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«Empowerment» et «community organizing» peuvent remobiliser les quartiers Libération ­ par RÉDA DIDI, fondateur du Think Tank Graines de France ­ 8/10/14 Abstention, désinvestissement de la sphère associative, voilà des maux dont souffriraient particulièrement les quartiers. Face à cela, empowerment et community organizing apparaissent comme de nouveaux outils pour mobiliser et mettre en mouvement les sans­voix. Pour cela, il s’agit de re­mobiliser les gens et de re­mobiliser l’argent. Alors que de nombreuses enquêtes ont pointé le sentiment des habitants des quartiers de vivre en parallèle de la société «normale», il s’agit par ces outils de les aider à construire un agenda politique centré sur leurs conditions de vie : habitat, transport, éducation, lutte contre la drogue et contre toute forme de radicalité, dans un contexte où les plus pauvres et les populations non issues de migrations européennes ont souvent été regroupés. D’origine anglo­saxonne, ces outils peuvent faire craindre à une communautarisation de la société. Cependant, la communauté de quartier sur laquelle ces outils s’appuient, renvoie davantage à une communauté d’intérêts et de vie commune, à la communauté locale plus qu’aux seules communautés ethnique et religieuse. La mobilisation pour améliorer les conditions de vie au quotidien permet en même temps d’élargir sans cesse les communautés d’appartenance des individus. C’est par des actions collectives que les individus de ces quartiers peuvent sortir de l’entre­soi culturel dont on les accuse régulièrement. En outre, la mobilisation des habitants, à partir de leur quotidien, ne vise pas uniquement à les aider à résoudre leurs problèmes à l’échelle du quartier, voire au­delà : elle permet de leur faire croire à nouveau au politique comme source de changement. Concernant l’argent, les ONG se heurtent souvent à plusieurs difficultés: pour aller chercher des subventions publiques ou privées, il faut maîtriser une culture de l’écrit. Or les couches populaires se caractérisent par trois éléments : un statut socioprofessionnel modeste, des ressources économiques faibles et une fragilité du rapport à l’écrit. Ce dernier aspect, conjugué au caractère peu lisible du paysage des subventions publiques et privées, rend la recherche de financements ardue pour les petites structures non professionnelles. Dans un contexte de forte défiance envers les institutions et le personnel politique, empowerment et community organizing doivent être considérés comme des outils permettant de remobiliser «par le bas», les Français, notamment ceux appartenant aux couches les plus populaires, en repartant de leur quotidien et ce afin de promouvoir de nouvelles façons de concevoir les constructions de pouvoirs locaux. C’est ce que fait Graines de France, un cercle de réflexion créé en 2010 pour traiter des différentes problématiques liées aux quartiers populaires, au travers de formations à destination du public associatif des quartiers. Réda DIDI (Fondateur du think tank Graines de France)

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Quand les héroïnes de banlieue tiennent le haut de l’affiche LE MONDE | 16.10.2014 à 17h25 ­ Par Sandrine Marques Dominé par un regard masculin, le film « de banlieue » bouge sous le coup d’une déflagration nommée Bande de filles (sortie le 22 octobre), la troisième réalisation de Céline Sciamma. Dans ce récit d’émancipation féminine, nous suivons l’itinéraire complexe de Marieme, une lycéenne de 16 ans qui se lie d’amitié avec trois filles affranchies. A leur contact, elle se libère de ses entraves. Interprété par quatre actrices noires dans les rôles principaux, le film marque une rupture avec les conventions d’un genre où les identités masculines tiennent le haut de l’affiche. Là où leur sexe et la couleur de leur peau les ont longtemps condamnés à l’invisibilité, Céline Sciamma donne à ses héroïnes un corps, une parole et un imaginaire. L’a­t­elle fait en réaction aux codes édictés par un genre, né officiellement en 1995 avec La Haine, de Mathieu Kassovitz ? Elle argumente : « Mon film ne s’est pas construit “contre” mais “pour”. C’est une subtilité qui a son importance. L’idée était de ne regarder que mes héroïnes, de leur faire toute la place à un endroit où elles n’en ont aucune. Mon film est post­banlieues telles qu’on les a représentées depuis vingt ou trente ans. Je suis d’abord spectatrice des énergies de groupe dans l’espace public, de la façon dont les filles se l’approprient. A chaque fois que je les croise, il y a quelque chose qui est de l’ordre de la fascination, de l’empathie. Et évidemment, ça se double très vite d’une réflexion sur le fait que ce sont des invisibles. Comment va­t­on les déplier dans ce qui n’est pas une théorisation mais une incarnation de tous leurs contrastes ? C’était le projet de mon film. » PRISE DE CONSCIENCE D’UN ÉCHEC URBANISTIQUE ET SOCIÉTAL Totalement absente de l’univers viril filmé par Kassovitz, l’ostracisation dont les filles de banlieue font l’objet au cinéma renverrait­elle à celle qu’elles subissent dans leur milieu, où elles n’existent qu’à la marge ? L’hypothèse est à nuancer. Entre 1982 et 1994, des films à l’économie modeste, tournés par des réalisateurs débutants, souvent eux­mêmes issus de la banlieue, consacrent la jeunesse masculine des cités HLM. Ces « documents » sont toutefois traversés par des présences féminines : des mères ou des épouses, garantes d’un équilibre vacillant. On pense, à ce titre, au Thé au harem d’Archimède (1985), de Medhi Charef, situé dans la cité des 4000 à La Courneuve (Seine­Saint­Denis). Ce film, né comme les autres à la faveur de la prise de conscience d’un échec urbanistique et sociétal et d’un métissage croissant, reconduit une histoire difficile de la post­colonisation. Cette marginalisation s’estompe plus franchement au milieu des années 1990. Les femmes occupent une place importante dans Douce France de Malik Chibane, qui sort en 1995, au moment de l’avènement du « banlieue­film ». Le genre va faire florès avec, entre autres productions emblématiques, Krim de Ahmed Bouchaala (1995), Etat des lieux de Jean­François Richet (1995), Petits Frères de Jacques Doillon (1999) ou encore Cour interdite de Djamel Ouahab (1999). Malik Chibane est le premier réalisateur à faire le portrait de femmes. Il leur trace une trajectoire romanesque et traite ouvertement de la question du voile et de l’émancipation. Une approche qu’on retrouve dans l’ensemble de sa trilogie urbaine, qui compte aussi Hexagone (1994) et Voisins, voisines (2005).

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FILM FÉMINISTE DE VENGEANCE ET D’AMITIÉ Mais c’est vraiment dans les années 2000 que les lignes bougent de façon notoire. Les fictions sur la périphérie s’organisent dorénavant autour de destins féminins – dans Voyous, voyelles (2000), de Serge Meynard, et surtout dans L’Esquive (2004), d’Abdellatif Kechiche, qui va faire date. Les filles maîtrisent la langue, le jeu de la séduction (un marivaudage moderne) et, par là même, leur environnement. Les voici même dotées d’un corps. Comme dans Samia (2000), de Philippe Faucon, où des jeunes filles d’origine maghrébine, issues des quartiers nord de Marseille, se baignent en bikini en compagnie de garçons, ouvrant une brèche transgressive et sensuelle. Dans son essai intitulé Le Cinéma de banlieue : un genre instable (Mise au Point, mars 2012), la chercheuse en cinéma Carole Milleliri souligne que « la place nouvelle accordée aux femmes apparaît comme l’activation d’un élément sémantique jusqu’à présent secondaire dans l’identité d’un genre. (…) Les films de banlieue des années 2000 montreraient les cités, non plus seulement comme des espaces d’oppression (même si elles ne cessent pas de l’être), mais aussi comme le terreau d’une possible émancipation culturelle et sociale. » C’est ce qui est à l’œuvre dans La Squale de Fabrice Genestal (2000), qui achève de reconfigurer le genre en le déplaçant sur le terrain d’une lutte contre un ordre patriarcal, dynamité par une Salomé noire des temps modernes. Film féministe de vengeance et d’amitié, il entretient avec Bande de filles un horizon d’attente similaire, en accordant aux jeunes femmes le droit d’être violentes, de disposer de leur corps et d’en jouir. En jouant tout à la fois avec les codes de la virilité et ceux d’une féminité affichée. Affublée des oripeaux masculins (veste et pantalon de jogging) qui visent à neutraliser une féminité à fleur de peau, l’héroïne de La Squale se transforme à mesure qu’elle accomplit sa vengeance. Chez Céline Sciamma, Merieme se métamorphose également. Lors d’un rite de passage, elle devient « Vic » et son apparence oscille dès lors entre la dissimulation de sa féminité sous des vêtements masculins et son exposition agressive. Céline Sciamma entend à son tour déminer les assignations, en réinvestissant précisément les archétypes : « Mon héroïne éprouve les identités qui sont à sa disposition dans la banlieue. Des identités qui sont archétypales. Elle les vit à chaque fois pleinement, comme des hypothèses d’elle­même, avec une féminité plus offensive ou une virilité accommodante et confortable, qui lui permet d’avoir de la tranquillité. » Cet effacement du corps féminin, dans l’espace de la périphérie, est rendu nécessaire par l’hostilité d’un milieu que contrôlent les hommes et la crainte de la « mauvaise réputation ». Cette dialectique agitait précisément l’édifiant documentaire Les Roses noires, réalisé par Hélène Milano en 2012. Celle­ci donnait la parole exclusivement à des filles des quartiers nord de Marseille et de la Seine­Saint­Denis. C’est à ces jeunes femmes, qui dissimulent leur féminité face à la pression religieuse, culturelle et familiale, que renvoient les « roses noires » du titre. CONSTAT SOCIOLOGIQUE Dans Corps de banlieues, une enquête ethnologique menée pour une association de prévention spécialisée du Val­d’Oise (Journal des anthropologues, 2008),les anthropologues Véronique Duchesne et Francine Fourmaux font un constat similaire. « Les filles doivent jouer entre séduction/transgression et discrétion/dissimulation. Plusieurs étaient préoccupées par la question de “montrer ses formes” ou non, de porter des vêtements près du corps ou non. La norme serait de ne pas laisser voir la morphologie, en particulier dans ses différenciations

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sexuées, et en particulier aux garçons et aux hommes du quartier. Mais quelques­unes transgressent cet interdit en portant un pantalon moulant. (…) Là encore, il s’agit moins de se distinguer par le corps, de séduire, que de conformer son image de soi, montrer son appartenance au groupe. » Ces paroles convergentes autour de la difficulté d’être une femme en banlieue stigmatisent une situation d’enfermement, qui répond à un confinement spatial. Mais certaines osent franchir le pas et finissent par quitter leur milieu d’origine pour que leurs corps ne soient plus contrôlés, comme on peut le voir dans Les Roses noires. C’est aussi la trajectoire de Vic dans Bande de filles. La fiction de Céline Sciamma reconduit donc un constat sociologique. Mais au lieu de filmer caméra à l’épaule et sans éclairage, la réalisatrice pare son film d’une dimension onirique qui rompt avec un pacte naturaliste tenace : « On me reproche de styliser la banlieue. Ce qui veut dire qu’il n’y aurait qu’une seule façon de la filmer pour ne pas la trahir. Mais filmer la banlieue, caméra à l’épaule avec une lumière morose, c’est la styliser. C’est une stylisation naturaliste, mais c’en est une quand même. Moi, je compose mon cadre et pose ma caméra. C’est un trajet émotif, assez fantasmatique, qui convoque des outils du cinéma et passe par la transfiguration de mes actrices. » L’ambition était de montrer des personnages féminins pluriels, là où les expériences cinématographiques précédentes les cantonnaient souvent à un archétype. À VOIR « Bande de filles », film français de Céline Sciamma (1 h 52). En salles le 22 octobre.

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Seul un Français sur six dit appartenir à une «communauté» liée à son origine SYLVAIN MOUILLARD 15/10/2014 La Licra publie ce mercredi les résultats d'une étude OpinionWay sur les Français et le communautarisme. La France connaît­elle un repli communautariste, comme le serine le polémiste Zemmour ? Pas vraiment, à en croire les principaux intéressés, les Français. Selon un sondage OpinionWay pour la Licra (1) rendu public ce mercredi matin, seules 17% des personnes interrogées ont le sentiment d’appartenir à une communauté spécifique du fait de leur origine. Les convictions religieuses ne semblent pas non plus prendre une part prépondérante dans l’identification des sondés. 13% d’entre eux disent appartenir à une communauté spécifique du fait de ce critère. Pour les trois quarts, il s’agit de la religion catholique. «J’aimerais que ces Français puissent répondre aux oiseaux de mauvais augure comme Zemmour sur les plateaux télé», explique Alain Jakubowicz. Au total, et certains étant dans les deux catégories, 22% des Français disent appartenir à une communauté. Rassuré par ces chiffres, le président de la Licra se félicite également du plébiscite accordé aux valeurs de la République, «prétendument ringardes et passéistes». 92% des sondés, qu’ils déclarent un attachement communautaire ou non, disent «tenir» au triptyque «liberté­égalité­fraternité». 91% estiment que la laïcité est un «bon principe» pour la société française. Si le «repli communautariste» apparaît donc comme largement fantasmé, cela n’empêche pas 72% des personnes interrogées d’estimer que la France accorde «plus d’importance aux difficultés subies par certaines minorités». Un sentiment de deux poids­deux mesures qui bénéficierait aux juifs et aux musulmans (cités par 13% des sondés à chaque fois), ainsi qu’aux «immigrés, étrangers et sans­papiers» (18% au total). «Les gens estiment majoritairement qu’ils n’appartiennent à aucune communauté, mais ils trouvent quand même qu’on s’intéresse plus aux autres qu’à eux, analyse Alain Jakubowicz. Il faut vider cet abcès.»

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Etrange laïcité à l'allemande LE MONDE | 03.12.2012 à 14h42 ­ Frédéric Lemaître Le vingt­cinquième congrès de la CDU ouvrira officiellement ses portes mardi 4 décembre à Hanovre, à 10 h 30. En fait, les choses sont un peu plus compliquées : dès 8 h 30, ceux qui le souhaitent peuvent participer à un office religieux oecuménique.

Comme les années précédentes, Angela Merkel devrait y assister. Bien que la Loi fondamentale prévoit une séparation de l'Eglise et de l'Etat, les deux institutions sont rarement éloignées en Allemagne. Comme l'a rappelé la chancelière allemande le 6 novembre dans un discours prononcé devant le synode des églises protestantes d'Allemagne, le préambule de la Constitution (en français sur le site du Bundestag) commence d'ailleurs par "conscient de sa responsabilité devant Dieu et les hommes (...) le peuple allemand s'est donné la présente Loi fondamentale". Rien n'illustre mieux cette proximité que l'engagement religieux de nombreux responsables politiques.

Dans l'ordre protocolaire, le premier personnage de l'Etat, le président de la République Joachim Gauck, est pasteur. Le deuxième personnage, Norbert Lammert (CDU), président du Bundestag, est un catholique pratiquant. La troisième, la chancelière, est fille de pasteur. Quant au quatrième, c'est le président du Bundesrat. Ce poste honorifique est pour un an occupé par le président du Bade­Wurtemberg, Winfried Kretschmann, pour l'instant seul élu Vert à présider un Etat­région. "Kretsch", comme le surnomment les Verts, est un catholique pratiquant. Le 8 décembre, l'Académie catholique de Berlin l'invite d'ailleurs à plancher sur un thème allemand en diable : "liberté religieuse active : une séparation coopérative de l'Etat et de l'Eglise".

"Séparation coopérative" : un oxymore qui fournit une précieuse clé pour comprendre la vie politique allemande. Car le who's who politico­religieux berlinois réserve bien des surprises pour un laïc français. Ainsi, à quel parti peut bien appartenir l'auteur d'un récent essai intitulé "la religion n'est pas une affaire privée", qui, dans la presse, explique que"l'absence de religion peut être dangereuse. Pensez seulement aux pires criminels dépourvus de religion du XXe siècle : Staline, Hitler, Mao, Pol Pot" ? Adhère­t­il à la démocratie chrétienne ? Au parti libéral ? Perdu : Fervent catholique, Wolfgang Thierse est membre du parti social­démocrate (SPD) et même l'un des vice­présidents du Bundestag. Comme Katrin Göring­Eckardt. Cette autre vice­présidente du Bundestag est une députée écologiste qui a fait des études de théologie et qui cumule ses mandats politiques avec la présidence du synode des églises protestantes. Quelques jours après avoir reçu Angela Merkel, Katrin Göring­Eckardt a été désignée candidate des Verts pour affronter la chancelière lors des prochaines élections générales, en 2013.

Les protestants ­ qui représentent, comme les catholiques, environ 30 % des Allemands ­ sont bien placés dans les allées du pouvoir. Sous l'autorité directe d'Angela Merkel, le secrétaire général de la CDU, Hermann Gröhe, a, lui aussi, été membre du synode protestant. Le SPD n'est pas en reste. Franck­Walter Steinmeier, président du groupe social­démocrate au Bundestag, est un protestant convaincu. Le candidat du parti contre Angela Merkel, Peer Steinbrück, a dû expliquer lors de son premier grand talk­show télévisé qu'il avait rompu avec le protestantisme quand il était jeune, mais avait renoué avec l'Eglise voici quelques années. Et au gouvernement, Annette Schavan, ministre de la formation et de la recherche est une catholique convaincue, tandis que Thomas de Maizière, ministre de la défense, s'exprime presque aussi

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souvent sur l'importance du protestantisme dans sa vie que sur l'engagement de la Bundeswehr en Afghanistan.

Si le SPD a longtemps été considéré comme plutôt protestant et la CDU plutôt catholique, les frontières deviennent plus floues. La religion permet aussi à des opposants politiques de se retrouver. Angela Merkel organise­t­elle à la chancellerie un dîner pour les 70 ans d'un ancien dirigeant protestant ? Katrin Göring­Eckardt et Franck­Walter Steinmeier sont bien sûr invités. Quand Norbert Lammert se rend au Vatican au printemps 2011 pour discuter de la visite de Benoît XVI en Allemagne, il emmène sa vice­présidente écologiste. Alors que l'Allemagne se prépare à célébrer, en 2017, le 500e anniversaire de la Réforme luthérienne, le catholique Norbert Lammert et le leader de l'opposition, le protestant Franck­Walter Steinmeier ont initié en septembre un appel intitulé " un Dieu, une foi, une Eglise" qui prône le retour des protestants dans l'Eglise de Rome. Tout cela crée des liens, influe sur le climat mais aussi sur le débat politique. Lors de son discours devant les protestants, Angela Merkel a annoncé qu'un des objectifs explicites de la politique étrangère allemande était le combat contre les persécutions dont sont victimes les minorités religieuses, notamment les chrétiens. Par ailleurs les pouvoirs publics se reposent largement sur les associations caritatives liées aux églises pour effectuer de nombreuses tâches sociales. Deuxième employeur après l'Etat, les églises sont d'ailleurs régies par un droit du travail spécifique qui, par exemple, ne reconnaît pas le droit de grève. Si en Allemagne, l'Etat et la religion sont séparés, la laïcité n'y a manifestement pas la même signification qu'en France.

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Un chef d'entreprise se met hors la loi pour relancer le débat sur la laïcité LE MONDE | 10.02.2014 à 11h33 | Par Denis Cosnard

L'entreprise privée doit­elle devenir un lieu laïc, neutre, où le port de tout signe religieux ostensible est prohibé, comme dans les services publics ? Jean­Luc Petithuguenin, le PDG et fondateur du groupe Paprec, spécialisé dans la collecte et le recyclage des vieux papiers, des piles, etc., en est convaincu. Et ce patron, militant antiraciste revendiqué, a décidé de joindre le geste à la parole.

FAVORISER LE « VIVRE­ENSEMBLE »

Inquiet de la montée tant de l'intégrisme que du Front national, il vient de rédiger une « charte de la laïcité et de la diversité » pour que son entreprise reste, dit­il, un havre de paix, où les salariés travaillent ensemble quelles que soient leurs origines et leurs convictions. Pour relancer le débat, aussi, après l'affaire de la crèche Baby Loup, à Chanteloup­les­Vignes (Yvelines), où une salariée voilée a été licenciée en 2008. Validé par le personnel, le texte doit être présenté lors d'une conférence de presse, mardi 11 février. Il est désormais censé s'appliquer aux 4 000 salariés du groupe fondé à La Courneuve (Seine­Saint­Denis).

Plusieurs des huit points de cette charte relèvent de la déclaration de bonnes intentions. Il s'agit de favoriser « la cohésion d'entreprise, le respect de toutes les diversités et le vivre­ensemble », indique, ainsi, le premier paragraphe.

« DEVOIR DE NEUTRALITÉ »

Jean­Luc Petithuguenin entend à la fois formaliser ce qui se pratique déjà dans le groupe, où coexistent 52 nationalités, et poser des règles pour l'avenir. Un exemple ? « Nous n'avons pas de salle de prière,indique le PDG. Avec ce corps de doctrine, nous pourrons dire niet si des salariés en font la demande. ». Deux paragraphes vont nettement plus loin. L'un assigne un « devoir de neutralité » aux salariés : « Ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques ou religieuses dans l'exercice de leur travail. »

L'autre édicte une seconde interdiction : « Le port de signes ou tenues par lesquels les collaborateurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse n'est pas autorisé. » Cela vise en particulier le foulard islamique. Avec ces deux principes, la direction de Paprec va au­delà de la loi. La législation française donne la priorité à la liberté de conviction, qui comprend celle de manifester sa religion. Dans ces conditions, « l'entreprise ne peut être érigée en lieu neutre », rappelle le gouvernement dans son guide La Gestion du fait religieux dans l'entreprise privée, publié mi­décembre 2013.

« ON PREND LE RISQUE D'ÊTRE ATTAQUÉS AU TRIBUNAL »

« L'interdiction générale de toute conversation à caractère religieux ou du port de tout signe religieux ne peut être imposée aux salariés »,confirme l'Association française des manageurs de la diversité, en rappelant la jurisprudence du Conseil d'Etat : « Imposer un devoir de neutralité

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serait une négation de la liberté religieuse. ». Seules sont autorisées des limitations précises, justifiées, par exemple, par l'hygiène ou la sécurité : un maçon ne peut pas refuser de mettre son casque au motif que ses convictions lui interdisent de couper ses cheveux.

Ces règles, le patron de Paprec les connaît, et ses juristes les lui ont rappelées. C'est en connaissance de cause qu'il a choisi de s'inscrire hors la loi. « C'est vrai, en théorie, on peut venir au travail avec des signes distinctifs religieux, reconnaît M. Petithuguenin. Mais nous n'en voulons pas. On prend le risque d'être attaqués au tribunal. ». Un risque mûrement pesé. Le patron estime que sa charte s'appuie sur une forte légitimité. Elle a été validée par les délégués du personnel, et par référendum dans les usines où il n'y en a pas. « On a obtenu 100 % »,se félicite le PDG.

« MONTÉE DU FANATISME »

« En Yougoslavie, j'ai vu la montée du fanatisme, appuie Miroslav Rancic, l'un des délégués. Cela a commencé par de petites blagues entre collègues. Quand je vois comment cela monte aujourd'hui en France, cela fait peur. ». Surtout, M. Petithuguenin juge nécessaire de « faire bouger les lignes ».Il espère que d'autres patrons le suivront, et que les règles changeront. Le terrain peut être jugé favorable. Actuellement, la justice peine à fixer sa doctrine sur la laïcité dans les secteurs associatif ou privé, comme l'ont montré les multiples rebondissements de l'affaire de la crèche Baby Loup. En mai 2013, le député (UMP) Eric Ciotti a voulu clarifier la situation et a rédigé une proposition de loi visant à interdire tout port de signe religieux dans les entreprises. Elle n'a pas été adoptée, mais le sujet pourrait revenir à l'ordre du jour, d'autant que les demandes à caractère religieux sur le lieu de travail tendent à augmenter.

Mais, en lançant le débat, le PDG de Paprec prend un autre risque. Celui de susciter des crispations, alors que, reconnaît­il, le sujet n'a, pour l'heure, provoqué aucun problème dans son groupe

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Hélène, 17 ans, de la crise d'adolescence à l'islam intégriste LE MONDE | 03.10.2014 à 11h33 ­ Par Soren Seelow La chambre d'Hélène a vue sur son ancienne école maternelle. Derrière le voile rose des rideaux de sa chambre, Hélène a vue sur les platanes de la cour de récréation de son ancienne école maternelle. Des enfants y jouent à la marelle. Le toboggan n'a pas bougé. Hélène a 17 ans. Elle habite avec sa mère, enseignante près de Paris, dans un grand appartement de fonction au premier étage d'une école de briques rouges. Voilà des semaines qu'elle n'est pas sortie de chez elle. Cinq fois par jour, à heure fixe, elle file dans la salle de bains, enfile une ample combinaison et se prosterne sur son tapis à poils roses pour la prière. Hélène n'a plus d'amis garçons. Elle n'écoute plus de musique. La trousse de maquillage dont elle abusait il y a encore quelques mois a fini à la poubelle. Elle a décroché les photos d'elle et de ses amis qui formaient un grand cœur au­dessus de son lit. Elle s'est acheté deux jilbeb, de longues robes amples couvrant les cheveux et les formes du corps : un noir et un de couleur aubergine. Cloîtrée dans sa chambre d'enfant, Hélène attend sa majorité : à 18 ans, elle ira au Caire épouser son petit ami égyptien. Elle l'a écrit en lettres capitales en tête de ses vingt­six « grands objectifs » il y a un mois : « A mes 18 ans, mettre de l'argent de côté pour partir vite et pratiquer ma religion. » Les deux amoureux comptent s'installer dans un pays qui respecte la charia pour qu'Hélène réalise son rêve : porter le niqab et être « soumise à son mari », comme elle l'a expliqué à Claire, sa mère. PLUS DE PORC AU CLUB MED Sur la table du salon, Claire étale énergiquement des dossiers, des albums photos, un téléphone portable et allume son ordinateur. Echanges de SMS, courriers administratifs, profils Facebook… Toutes les étapes de la radicalisation de son enfant, les signes de son « lavage de cerveau », sont consignées. Hélène n'a jamais reçu d'éducation religieuse. Ses parents sont athées et elle a grandi dans les locaux d'une école publique. C'est au printemps 2012, à l'âge de 15 ans, que la jeune fille s'est convertie à l'islam. Avec deux amies de collège, elle a prononcé cette phrase : « Il n'y a de dieu qu'Allah et Mohammed est son messager. » Elle a cessé de manger du porc et s'est mise à faire le ramadan, en cachette. Sa mère s'en est aperçue pendant les vacances d'été au Club Med de Djerba, en Tunisie. Elle ne s'en est pas émue outre mesure. Claire montre des photos de sa fille Hélène. Sa fille lui annonce alors qu'elle a décidé d'arrêter de fumer, de ne jamais boire d'alcool, ni de sortir avec des garçons. « Elle semblait chercher un cadre, une rigueur que nous ne lui avions peut­être pas offerte. Nous avons toujours été un peu laxistes, surtout son père, dont je me suis séparée quand elle avait 6 ans, raconte Claire, en quête perpétuelle de réponses. J'ai accepté sa conversion car elle ne semblait pas porter à conséquence. » Au début de cette année, la métamorphose de la jeune fille s'accélère. Hélène cesse de s'épiler les sourcils, troque ses jeans slim contre d'amples vêtements. Elle rompt avec ses copains – dont plusieurs musulmans – par refus de la mixité, abandonne le gospel. Un jour, devant sa mère stupéfaite, elle déchire une photo d'elle enfant. Dans un mail de plusieurs pages à sa famille, ponctué de sourates du Coran, elle annonce finalement sa volonté de porter le voile.

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LES DÉCAPITATIONS ? « JE NE PEUX PAS JUGER » Claire commence à s'alarmer. Elle se renseigne sur l'islam, engage de longues discussions avec sa fille et lui montre des interviews d'Elisabeth Badinter, philosophe et féministe, ou de l'imam de Bordeaux sur le port du voile. Sa fille lui répond que ceux qui ne respectent pas à la lettre le Coran et la sunna, l'ensemble des règlements divins, ne sont pas de vrais musulmans. « Je ne le savais pas encore, mais ma fille était en train de devenir salafiste », résume Claire. Si les salafistes privilégient une lecture littérale des textes religieux, tous ne professent pas le djihad. Hélène n'a jamais manifesté le désir de partir pour la Syrie. Tout laisse à penser qu'elle s'identifie au mouvement quiétiste, axé sur la prédication. Mais cette petite fille qui n'a pas fini de grandir a intégré des notions mal apprises dans la plus grande confusion. Hélène ne croit pas ce que disent les médias. Elle regarde des vidéos de Nabil Al­Awadi, un prédicateur koweïtien soupçonné d'être un des grands argentiers de l'« Etat islamique » (EI). « Des films qui démontent la théorie de Darwin, parlent de fin du monde, de l'enfer et du paradis… », soupire sa mère. Terrorisée à l'idée que sa fille puisse partir pour la Syrie, Claire arrive parfois à la convaincre de regarder des reportages sur l'EI. Elle lui demande ce qu'elle pense des décapitations. Sa fille répond : « Je ne peux pas juger, je ne crois que ce que je vois. C'est peut­être un montage des Américains. – Et les prises d'otages ? – Ça dépend de la cause, ils sont parfois bien traités. » A la maison, Claire, la mère d'Hélène, a écrit noir sur blanc une série de règles de vie, comme "ne pas se cacher les cheveux". Claire panique, emmène Hélène aux urgences psychiatriques. Elle est énervée, sa fille calme. Le médecin lui explique qu'elle est fatiguée, qu'elle doit respecter la foi de son enfant : « Ils ne comprenaient pas que je ne parlais pas de religion, mais de manipulation mentale ! ». C'est le 20 mai que Claire a pris conscience que la conversion de sa fille n'avait rien de spontané. Hélène est amoureuse d'un jeune Egyptien, Adham, rencontré en 3e au collège Janson­de­Sailly (Paris 16e). Le jeune homme lui envoie régulièrement des vidéos salafistes et s'occupe de son éducation religieuse. Claire saisit le smartphone posé sur la table du salon, qu'elle a confisqué à sa fille, et fait défiler les messages. « Quand j'ai découvert cette correspondance, il m'a fallu une nuit pour tout lire. Je n'y croyais pas, c'était horrible. Le lendemain matin, j'ai vomi. Puis je suis allée porter plainte pour abus de faiblesse et emprise mentale, et j'ai formulé une opposition à la sortie du territoire à la préfecture. » Les SMS que s'échangent Hélène et son petit ami égyptien sont empreints de rigorisme religieux. Adham, qu'Hélène appelle « Nounours », est rentré au Caire au printemps. Il téléguide sa promise, lui interdisant, entre des icônes en forme de cœur et des « MDR » (« mort de rire »), tout contact avec les hommes. Il lui défend d'aller au cinéma, un acte de « mécréance », et l'incite à rompre avec sa famille. La correspondance, intense et obsessionnelle, compte des dizaines de SMS par jour. « Pas de bises à personne, même si on te tue. Je te fais confiance (…). T'arrive à éviter les hommes quand y a des invités ? – Jvais essayer inch Allah – Toucher homme étranger pubère = fornication. C'est un des trucs qui pourra annuler le mariage (…). Bonne nuit mon cœur, ma vie, mon amour, ma princesse, ma femme, mon bébé.

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– Tu vas annuler parce qu'on m'a forcée à serrer la main à un mec ? Je pourrais pas toujours éviter Nounours, je fais ce que je peux, inch Allah – Je rigole pas, tu fais pas ce que tu peux, tu le fais tout court (…). La religion passe avant tout. Je t'aurais prévenue, c'est sérieux. ALLAH TE VOIT ! » Adham promet à Hélène de l'emmener dans un Etat qui respecte la charia, comme Brunei, « pays 100 % musulman ». Il la rebaptise « Sarah » – « ça passe mieux » – et lui explique que sa mère est une « mécréante ». Hélène accuse Claire d'être « intolérante », rompt avec son demi­frère et se fait exclure du stage de coiffure dans un salon mixte, qui devait valider son CAP. Depuis quelques semaines, Claire a mis en place une tactique de « désendoctrinement », qu'elle appelle la « stratégie du rose » : « Faire appel à la raison est devenu impossible. J'essaye de la guérir par l'amour. » Elle convainc sa fille de jeter son tapis de prière usé, lui offre un chaton et l'emmène chez Ikea. Elle lui achète un tapis rose et un arbre à chat. Hélène ne jure plus que par le petit chat, au point d'en oublier l'heure des prières. Elle s'est remise à lire les livres qu'elle aimait enfant : les contes de Grimm et les Mille et Une Nuits. Mais le compte à rebours a commencé dans la tête de Claire : dans onze mois, sa fille aura 18 ans.

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Joël Mergui : “ Notre signal d’alerte doit être pris au sérieux” LE MONDE | 18.09.2014 à 11h01 ­ Propos recueillis par Cécile Chambraud Joël Mergui, président du Consistoire central, à Sarcelles (Val­d'Oise), le 21 juillet Président du Consistoire central, la structure chargée d'organiser la vie cultuelle de la communauté juive, Joël Mergui appelle à une réaction de la société française contre la montée de l'antisémitisme. Le nombre de juifs français qui partent en Israël augmente nettement cette année. Pourquoi ? L'inquiétude est profonde chez les juifs de France. La remontée de l'antisémitisme à partir des années 2000, que l'on espérait conjoncturelle, est devenue chronique. Le pic actuel des départs, le plus important depuis la création de l'Etat d'Israël, est la conséquence de l'augmentation des actes antisémites et, de manière quasi directe, des attentats de Toulouse et de Montauban en 2012. Le temps que les familles prennent conscience que Toulouse n'a pas donné un coup de frein, mais un nouvel élan à l'antisémitisme, puis qu'elles organisent un départ, il faut quelques mois. En quoi les attentats de Toulouse et Montauban ont­ils donné de « l'élan » à l'antisémitisme ? On aurait pu penser qu'après un acte aussi dramatique, il y ait une réaction de honte, une prise de conscience. Au contraire, dans les jours qui ont suivi, on a vu sur le Net des gens s'identifier à l'assassin. Le mal a continué de progresser. Il n'y a pas eu de réveil des consciences. Depuis, un jeune Français [Mehdi Nemmouche] a commis une tuerie à Bruxelles, des djihadistes sont partis en Syrie, certains sont revenus. Ces attentats ont décomplexé une catégorie d'individus qui expriment leur haine des juifs de façon publique, comme on l'a vu dans les manifestations en juillet. Quelles peuvent être les conséquences de ces départs ? Mes prédécesseurs ont géré la croissance de la communauté juive. Aujourd'hui, nous risquons de devoir gérer sa décroissance. Elle a cru en la France. Elle s'interroge aujourd'hui sur son avenir. De l'attitude de la société française, de sa réactivité au moment présent dépendra l'avenir de la communauté. Le djihadisme, qui fait partie de cette nouvelle forme d'antisémitisme, c'est une haine des juifs et de l'Occident, une haine des valeurs de la République qui sont complètement parallèles aujourd'hui. J'appelle notre société à voir ce parallélisme avant qu'il ne soit trop tard. Il y a une nouvelle forme d'antisémitisme en France. Ce signal d'alerte que la communauté juive, par son histoire, est en mesure de lancer à la France et à l'Europe doit être pris très au sérieux. Qu'attendez­vous de l'Etat ? Les pouvoirs publics ont pris conscience de la gravité de la situation. Des mesures de protection de nos lieux de culte ont été prises. Mais on ne peut pas s'en contenter. J'ai envie que la France trouve d'autres solutions que de nous mettre sous protection policière permanente. Il faut des résultats. Pour cela, nous demandons un plan d'action contre le racisme et spécifiquement contre l'antisémitisme. Cette action doit impliquer plusieurs ministères. Peut­être faut­il un

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ministère spécifique. Il faut une coordination entre police et justice et intervenir à l'école. Les attentats contre la communauté, il y a quelques décennies, étaient commandités de l'étranger. Merah et Nemmouche ont grandi dans l'école de la République. Il faut un travail de prévention et d'éducation au travail, sur Internet, dans les prisons… Les relais d'opinion se sont trop peu exprimés : enseignants, sportifs, artistes, parents, journalistes. L'antisémitisme n'est pas que le problème des juifs. Le malaise des juifs dans une société signifie nécessairement que cette société commence à aller mal. Elle doit se réveiller. Quels témoignages recevez­vous de l'inquiétude au quotidien des juifs de France ? Les chiffres publiés, importants, sont sous­évalués. Me sont rapportées quotidiennement de très nombreuses agressions, des menaces, des insultes dans la rue, la voiture qui accélère très vite à côté de vous… Vous n'allez pas porter plainte pour ça ! Dernièrement à Béziers , des jeunes m'ont dit qu'ils avaient été insultés dans la rue et m'ont demandé ce que je leur aurais conseillé de faire. Je n'ai pas su quoi répondre. Cela fait quinze ans que nous leur demandons de la retenue et de rester dignes, et ils en souffrent même si, hélas, ils se sont habitués ! Je ne veux pas que nos enfants s'habituent à être insultés dans la rue ! Les chiffres de l'alya sont un signal d'alarme. Une partie de la communauté a envie de m'entendre dire qu'il faut partir. On nous demande : s'il le faut, saurez­vous nous donner le signal du départ à temps ? Je ne me déroberai pas si je vois qu'effectivement une page se tourne pour nous en France, mais j'espère vraiment n'avoir pas un jour à en arriver là.

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Des imams à l’école pour se former à l’« islam de France » LE MONDE | 23.04.2014 à 11h31 ­ Par Stéphanie Le Bars A Lyon, un cursus original (ici le 7 avril 2014) aide les cadres musulmans à prévenir la radicalisation de certains fidèles. Ils le disent eux­mêmes : ils n'auraient jamais dû être imams. Venus du Maghreb et d'Afrique poursuivre leurs études de linguistique ou de management en France, Mohammed, Youssef et Toufik n'envisageaient pas de carrière religieuse. Mais les mosquées de France, en manque de cadres, ont happé ces trentenaires diplômés. Leur connaissance de l'islam et du Coran, appris par coeur dans leur pays d'origine, l'opportunité de s'installer dans la société française les ont amenés à prendre leur place dans la communauté musulmane. A Saint­Etienne pour les uns, dans la banlieue lyonnaise pour d'autres. Ce lundi matin d'avril, comme toutes les semaines depuis janvier, ils retrouvent une dizaine d'acteurs du monde musulman, hommes et femmes, dans un local sommaire loué par l'institut de formation de la grande mosquée, au coeur d'un quartier populaire de Lyon. Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne, professeur à l'Ecole de chimie et de physique de Lyon et figure incontournable de l'islam rhône­alpin, les met à niveau en droit musulman. L'après­midi, les étudiants rallieront l'Université catholique de Lyon pour un cours sur l'histoire des religions. Droits des associations et histoire de la laïcité complètent ce programme inédit concocté pour la deuxième année par l'université Lyon­III, l'Université catholique et la grande mosquée de Lyon. Une formation subventionnée par l'Etat dans l'espoir de construire « un islam de France » et de servir « l'intérêt général » ainsi que l'expliquait le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, en octobre 2013, lors de la remise des premiers diplômes. Pour coller à l'actualité, les formateurs ont prévu fin mai un séminaire consacré aux « dérives sectaires et à la déradicalisation ». Un premier pas pour contrer les difficultés, l'impuissance parfois, à doter les cadres musulmans d'outils capables de juguler l'extrémisme d'une partie de leurs fidèles. Car les jeunes imams, qui ont grandi dans un pays musulman, sont conscients de leurs limites. « Mes connaissances sur la laïcité étaient plus que floues et j'avais besoin de cette formation pour mieux comprendre la France et les Français car, souvent, les fidèles ne demandent pas seulement un avis religieux », explique Toufik, arrivé d'Algérie il y a six ans et désormais imam à la mosquée d'Oullins (Rhône). « Avant la formation, je ne comprenais pas pourquoi l'Etat interdisait certaines choses en matière de religion ; maintenant je peux l'expliquer », confirme Mohammed Bah, un jeune Guinéen, imam à Saint­Etienne, confronté comme ses pairs à des revendications et des incompréhensions de la part de ses fidèles. Mais c'est aussi théologiquement qu'ils doivent s'armer. « Même si elle demeure insuffisante pour répondre aux défis actuels, cette formation est nécessaire », plaide M. Gaci. Face au discours « du juste milieu » qu'il assure incarner, Toufik raconte « l'agressivité » de certains musulmans français. « Il faut parfois du courage face à des jeunes qui veulent imposer leur loi. On a l'impression que certains passent d'un extrême à l'autre et qu'une fois dans la religion, ils essayent d'en faire toujours plus. Du coup, quand on essaye de tenir des positions modérées, ils nous traitent de vendus. » « On se retrouve face à des gens qui ne sont pas formés, ni sur la religion, ni sur la loi française », confirme Hacène Kharchaoui, agent funéraire musulman à Lyon et engagé auprès de la mosquée. « En quête d’un leader, ils prennent des informations tous azimuts, à nous de les aider à faire le tri, de leur expliquer les textes ».

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« Ici, on donne aux cadres musulmans des réponses théologiques pour qu'ils ne soient pas désarmés face à des jeunes plus identitaires que religieux ; ils peuvent avoir un rôle de prévention », explique Hacène Taïbi, chargé de l'enseignement à la mosquée de Lyon. « Il ne faut pas céder. » « Confrontés à des situations concrètes, les responsables musulmans de France ne doivent pas répondre n'importe quoi, développe M. Gaci. On leur rappelle que le droit musulman demande de tenir compte du contexte où l'on vit. Et qu'en conséquence, une fatwa (un avis religieux) ne peut être ni importée ni exportée. Face à un discours religieux, il faut répondre sur le terrain religieux. ». « Tout ce qui n'est pas interdit par un texte est permis. Il faut rappeler cela aux jeunes qui se disent à cheval sur le licite (halal) et l'illicite (haram) », martèle­t­il encore à ses étudiants. « Ainsi, aucun texte n'interdit de participer à une élection. Voter est donc permis », lance­t­il, dans une allusion aux courants les plus radicaux qui se sont récemment répandus sur Internet en assurant que participer à une élection dans un pays non musulman était « haram ». « Certains fidèles contestent même les visites que l'on organise pour les non­musulmans à la mosquée », explique Youssef Afif, collègue de M. Bah à Saint­Etienne. « On leur rappelle que le prophète recevait des chrétiens et des juifs. Les plus radicaux, on ne les revoit plus à la mosquée. » M. Bah confirme une évolution de la jeunesse ces « cinq dernières années ». « Il y a ceux qui se radicalisent d'un coup avec 1 % de connaissance religieuse et ceux qui “se réveillent” et viennent vers nous pour se former. » Pour éviter aux plus fragiles de se « faire choper » par un groupe radical, M. Afif évite désormais « les conversions en public lors de la grande prière du vendredi ». « Sinon, les nouveaux fidèles deviennent une cible pour ceux qu’on appelle les “recruteurs” ». « S'il est pris en charge par un groupe salafiste, un fidèle que j'ai converti peut basculer et, au bout d'un mois, me traiter en ennemi », confirme M. Gaci. Comme cela existe désormais dans quelques mosquées, les imams de Saint­Etienne souhaitent mettre en place une formation de plusieurs heures, étalée sur plusieurs semaines, pour les personnes qui souhaitent se convertir. Ailleurs, on s'interroge sur un meilleur contrôle de ce qui est enseigné dans les écoles coraniques et une meilleure formation des enseignants qui y interviennent. « Pour contrer la radicalisation des esprits, des discours et des comportements, il faudrait que les imams puissent s'entourer de psychologues, de juristes, d'enseignants pour orienter ces jeunes, estime encore M. Gaci, qui ne cache pas son inquiétude face aux évolutions actuelles. Il faudrait que l'on puisse assurer une présence permanente dans les mosquées. Mais les moyens manquent. » Pourtant, insiste, Toufik, le jeune imam d'Oullins, « il faut tenir, ne pas laisser sa place, car sinon, après, ce sera pire ».