eekhoud mes communions

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Eekhoud, Georges (1854-1927). Mes communions. 1897. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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Page 1: Eekhoud Mes Communions

Eekhoud, Georges (1854-1927). Mes communions. 1897.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :  *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.  *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :  *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.  *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

Page 2: Eekhoud Mes Communions

Od~~nat«t eouttuf

M)' Z 43.1M-B

Couverture!nMt!euM nMH~quante

Page 3: Eekhoud Mes Communions

PARIS

SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FKAKCK

XV,MBus t.'ÈCaAVB&A)!<T-0)!tM~t!).!tV

M;CCX~V!t

GEORGES EEKHOtm

Mes

Communions

t~n~rtttemeat, ten MtM <x<)hMo!'qct ente~M'Mmon <<êg«at«n ea monde étaient des~cnjtt)afbMn<!<«t<tebet)))an-nemm~e.~aantam <:a<t<t)xsqMj'at fenaus, «t ihna MMpaten path nuoibu!, jf ponse à ftm, tomMftt<t<ptitto,tt~ee ))tah))' et bienvotUan~e.

~«~<Wa de ~<<~<t.~

THOMASMBÇUtMt'EV.

Page 4: Eekhoud Mes Communions

BEESCOMMUNIONS

Page 5: Eekhoud Mes Communions

Du J~MS~<TKPM

KERs DooatK. vol.

KRRMRSSKtt. t vol.

LHt Mtt.tCKaRRSAtNT-FBAK~OO. i VOt.

N<tUVM.t.R!<KKHMt:t<9HM. iVOt.

t<ANMUVt!U.t:CAKT<tAf!K. iwt.

!.KSt'umU.Ètt<M:MAUKHS. iVOt.

AUSt~.K!tHS)tAK<)M;ARH. tVOt.

LK CYt:t.t: t'ATmUt.AfHK. i V«L

PMH.AfTHtt(traita 'te Beaamnnt et Ptetoher). < vot.

LA !tt)':HHssK)'t: MAt.ft(tra~Mo <~ Jo! Webator). i vol.

MMuuAtH'tt (trat{cd!o <tcCt)ri8tophoMat'tewe) i vot.

Page 6: Eekhoud Mes Communions

MES

COMMUNIONS

,.jY

GEORGESEEKHOUD

<Mn<M<MMM,te<MMtMWdM qui ont M-otMmond~eo&ten ce mondelatent <MgemnMtMMbe<do honno Mnemmëe.Quant aux«M)MtMquo j'at eonnM,et ? ne sont pMenpetitnumbfe,je oanMà eM)t,à tom«n* eMep-Men,avecp)a))))'et btenveMtanM.

NM~tWedoPfe~Ma<ttt.TUOMA9DEQUINCEY.

PARIS

SOCIÉTÉ DV MERCVREDE FRANCE

––XV,)MEBEt.'ËCBAVB&-SAmT-ORttMAtN,XV

MDCCCXCVH

Page 7: Eekhoud Mes Communions

JM~dejtndncMatt et de MpmdncUmt~Mr~pMftom pz~t,

ycomprts<<Sat4ëëHa~otTtee.

7n. A~f&TtR~fDECBTWVttME

Mttse e~e~tatfes MM*~ap<w<tcM!Maa<te

MMM~~<<f<!<d~.

~USTtnCATMNDU'KRAOE

Page 8: Eekhoud Mes Communions

A

)MOM<)!?):

~E~ï P~MOAT

pour exalter

<OK<M

les ~M!OMM

et con fesser

<OM<<M

les Fois.

Page 9: Eekhoud Mes Communions
Page 10: Eekhoud Mes Communions

FHONNEUR DELUTTÉRATH

A Jtf" CoMt~MeEekhoud.

Voilà, depuis le premier jour de l'Avent, au

moins la septième fois que le sacristain de

Geleen, bourgade en ~imbourg, remet au four

communal lé petit pain de seigle dit torsO'ood.

A force d'avoir été broyé entre les mains

expertes du sacristain, ce pain est devenu dur

comme un disque de méta!. La veille même de

Noël, après une dernière cuisson, le boulanger,

tout fier de son œuvre, a dit « Korsbrood, petit

pain de kermesse, à d'autres mains de te pétrir a

présent!Et le second jour de la NoëJ, au sortir des

vêpres, les grands garçons de Geleen et du paysà ïa ronde s'assemblent sur le parvis, devant la

grille du cimetière, afin de se disputer le kors-brood.

Celui-làgagnera la partie, qui' s'étant emparé

Page 11: Eekhoud Mes Communions

8 MEaceMMMHOM_t_

du pain de kermesse, parviendra à le brandir,c serré dans sa main, au-dessus do a", tête, en

s'écriant A moi te kofsbrood a Sous prétexte ?

de mollir te dur pain de seigle, des Oots de

genièvre de grain, de bière houblonneuse et de

cidre arroseront la luette du vainqueur et de ses

compagnons. Leur cortège mirifique parcourrale village. Partout on fera plantureux accueil au

Roi. A lui gentes commères verseront le plusdélectablebreuvage.

Et ces honneurs dureront plus d'un jour. Toute.0

l'année, dans les fêtes et les jeux publics, la

$ paroisse victorieuse aura le pas sur les autres.

Ses congréganistes porteront le dais du saint

Sacrement à la procession de la Fête-Dieu. Par-

tout, même&l'église, le roi occupera la première

place et tant qu'un jouteur plus adroit et plus1.. fort ne sera parvenu à lui ravir le korsbrood, la

jeunesse de la contrée entière le reconnaîtra pourchef et sa commune natale demeurera le véritable

ohoMieu du canton.

Il s'agit mêmemoins d'une victoirepersonnelle

que du prestige de tout un village. Une étroite

solidarité rapproche les gars du même clocher. Il

Importe surtout que le gagnant soit un dès leurs.

Cette année les champions se sont divisés en

Page 12: Eekhoud Mes Communions

t.'HONNBWBRMTT~BAfH 9

trois camps le premier, composé de Geleen et

do son hameau Geïeon-Saint-Jean; le second,

des garçons de Krawinkol et Neerbeek, et le

troisième, des jeunes gens venus pour soutenir

l'honneur de Luttérath. Cespartis se confondent

dans la foule par groupes de quatre, de cinq,

tout au plus do six Joueurs prêts à se renfoncer

tes uns les autres.

Bien longtemps avant que s'engage la partie,des milliers d'étrangers ont envahi Geleen.

Auberges et cabarets regorgent de voyageurs.Aucun pèlerinage ne réunit autant de fidèles.

Commela grand'plaoe et les rues avoisinantes

servent d'arène, les curieux s'écrasent dans le

cimetière. A toutes les fenêtres se montrent les

jolies paysannes de la contrée. Les vieillards

n'ont garde de bouder une fête qui leur rappelletant de belles années de galantes et intrépides

prouesses; il n'est pas jusqu'aux invalides et aux

impotents qui ne, se soient fait trimbaler pour la

circonstance,souvent d'une distance de plusieurs

lieues, jusqu'au théâtre de ces épiques gageures.Et en attendant pour y participer qu'ils aient

atteint l'adolescence, les gamins aSriolés s'accro-chent commedes grappes de fruits fabuleux dans

les ormes de la place. D'autres chevauchent les

Page 13: Eekhoud Mes Communions

M MEaa<MttMUt)t<M)N

murs desjardins; il y en a dont les tôtes jjouMuess'oncadront dans la lucarne du grenier; il s'en est

aligné, tout le long de la bordure dos toits, les

jambon ballant dans le vide; mais ta plus t6më-

rairo ost celui qui, narguant !ûs vertigos, au

risque do se casser io cou, est grimpé to tong de

la tour pour atïburohor !o ooq dnro.

Au batoon du ût'aM<<C'~Mo, la prinoipatohôtcltorio du bourg, ta mieux située pour jouirdu

spectacle,s'installe la blonde Isa, l'unique

Mhticre du richissime fermier Hortinck, do Lut

térath.

( Avant qu'il fût marié et qu'il eût pris du ventre,

j Borlinck régna longtemps sur le pays comme

champion du korsbrood. Après lui, l'honneur de

Luttérath no pâlit pas encore. D'autres jeunes

gens s'en firent les intrépides chevaliers. Goleen

et Krawinkol ne remportaient plus une seule

victoire. Maisil n'y a plus ou de roi du korsbrood

à Luttérath depuis que le soldat Alm Vogelsangfut forcé de quitter le pays, sous peine d'être

fusillé, pour avoir porté un mauvais coup au

sous-officier qui le tourmentait.

Au lieu du glorieuxpain do kermesse, le fugitif,excellent ouvrier, gagne en France le pain anner

de l'exil!t

Page 14: Eekhoud Mes Communions

t.'H<MWKWM MJtfÈRATH M

Et a prosont c'est chaquefois Frans, te ~rand

borgne do Krawinhet, qui conquiert la couronne.

Ceuxde Luttérath no savent &quoHocause attri-

buer lour guignon. Almétait tort comme Uotiath,

mais son fr&reWillom le vaut bien, poudrait-on

croire; puis, a défaut d'un Vogoisang, LuMérath

possède une fournée do vigoureux comparesaussi agiles et aussi crânes que los moH~'urades

paroiases rivalos, quo tous !es f~rau<<squi les

traitent de dégénères et do femnitotettos.

0 rage Aujourd'hui mémo, commele contin-

gent deLuttérath défilait on bon ordre, WiMc.net

les siens n'ont-ilspas entendu ceux do Krawinkol

ricaner et se chuchoter l'un a l'autre on se pous-sant du coude «Regardez donc ces fanfarons,

ne dirait-on pas qu'ils tiennent déjà le korsbrood

Et cependant, cette fois encore ils s'en retourne-

ront bredouille. Que ne cèdent-ils la place aux

filles do leur paroisse Peut-être la vigueur de

Luttérath a-t-eUopassé dos culottes auxjupons M

La honte de cetteconstantedéconvenue rejaillitmême sur tout le village.Les bellesen sont arri-

vées à rougir de leurs galants. Les sœurs renient

leurs frères et ïcs pères doutent do leur propre

sang. Une si dévorante soif do revanche altère

tous les coeurs que dans t'espoir'do ragaillardir

a

Page 15: Eekhoud Mes Communions

-w <-'<-~-7' -C~

i8 ME~ OOMMCNtONa

eouxqm vont courir fetto nou\etlo aventura pour

Luttérath, SorUneIt,le rioho BorMM~,un l~na'

tique du korsbrood, juré que aa <!Moôpousorait

le vainqueur, ce vainquour fût-il encore une fois

Frans, te vilain horgno dû Kt'awinhot.

Il on fait le sonnent m~Igrô tes larmes d'!aa,

qui aimû depuis longtemps Willom Vogelsang,

le ~)~ d'Atm, le proscrit, W~Hem,ïo plua beau

gars de. Luttôrath, comme elle en est la pluséblouissante Vtorgc.

Dor<tVMdotous !oNjeunesgens de la bourgade,ce Willom l'emporteauss!, en force et,agilité, sur

ses pays. Tous entretiennent la oonviettonqu'ilsera le seul de la bande capable de conjurer le

mauvais sort jeté contre Lutterath et de rendre

son ancien prestige à leur fière et copieusejeu-nesse.

« Eh bien, c'est le moment pour Willem de

justiHor l'opinionflatteuse que ces braves garçons

ont de lui! » a répondu Boriinck à sa fille qui le

priait de revenir sur sa dangereuse résolution.

« A ton Willem de profiter de cette belleoccasion

et do se montrer digne de toi S'il échoue, tu es

perdue pour lui et je te marie à son vainqueur,

oui, celui-ci fût-il laid comme le diable! »

Willem sait~'implaoable~entêtomont du~èrede

Page 16: Eekhoud Mes Communions

if

t.'tMMWKWRM MTTÉMTMt M

sa Men'aimëe. Rut aussi a fait un seymont Ou

bien il remportera, ou bien H restera sur le car-

reau. Il a môme communiqué cette sinistre

alternative dans une lettre &son frère Alm, ison c,

meilleur confident.

Hvient de prendra position, avec !~Mtodt! ses

partenaires près do rontt'<!odu oimetièro. Non

loin d'eux se campe, MorJusqu'à l'arrogance,

t'~

Frans !e Borgne,chefdu contingentde Kfawinhot,

le successeur du digne Atm. Et plus loin encore,

non moins présomptueux, se rengorge et parade

Jof, l'ospoir do Geîeon.Il s'agit d'ompecher que,o.

par un coup d'adresse, l'adversaire n'attrape a la c'voléo to korsbrood lancé sur la place et no =

décroche d'emblée et par surprise la couronne.

après laquelle halette chacune dos coteries.'0

Willem promène une dernière fois les yeuxvers le balcon du Grand Cygne où il a reconnu Co

l'adorée. Elle, de son côté, ne cesserade !ocouver

do ses ferventes prunelles. Do la tête, elle lui a.C

fait unsigne d'encouragement. A travers l'espace,en dépit dos obstacles, quoi qu'il arrive, leurs

âmes se promettent une éternello communion. A

présent Willem soulèverait des blocs de rochers

et tiendrait tôte à une armée entière.

MaiaattentiontSubitcmontIobpouhahas~apaise.

Page 17: Eekhoud Mes Communions

M MES eeWMBNMNS

Quatre heures sonnent à l'église. La portelatérale

du chœur vient de s'ouvrir et le saeristain appa-raît sur !oseuil. Poihgs campas sur les hanches,

los jounesrustres M bougent plus et tous dardent

vers un mêmepoint do mire, vers la main qui leur

montre !e korsbrood, des regards plus nevroux~

plus ardenta que le four ou il fut euit. Les specta-tours mesont pas moins anxieux durant quelquessecondes et, depuis le dernier coup de l'heure,

plus te moindre son ne traverse cette fluide et

vibrante atmosphère de gel. Puis, une ost'iHation,

une poussée et une longue clameur « Voilà !o

korsbrood1 Levoita! ?

Lancé du portail, le pain traditionnel roule,

presque à ras de terre, non sans ricocher, dans

l'étroit sillon que lui ménage la double haie des

jouteurs. Tous ceux des premiers rangs se sont

penchés a la fois c'est un moutonnement de

croupeshouleuses,des centaines de bras plongentvers le sol pour agripper le palet do seigle au

passage. Un des féaux de Willem Vogetsang yest parvenu, mais quelque prompte et furtive

qu'ait été son action, elle n'échappe pas à la vigi-lancedes autres ~ars, et avant même qu'il se soit

redressé sur ses hanches, qu'il ait repliéson brasvers sa poitrine, une trentaine de lurons du camp

Page 18: Eekhoud Mes Communions

L'MCNNRORBR M'FTëBATM ?

ennemile réparent de ses partenaires, le pressant&l'ôtoutïer, rattachent &ses vôtementa,pèsent de

tout tour poids sur ses membres, au risque de

l'écarteler. le maintiennentprosterne, le couvrent

littôralomentde leur masse truculente. Le patient

geint et renâclemais sans lâcher saproie Il donne

&ses pairs le temps de pousser à sa rescousse.

Willom, tout le premier, que !'impetueaiteet!aviolencede l'attaque avaient brusquement séparéde son homme, revient à la charge, se rue comme

un fauve à travers la mêlée et jouant dos reins,

dos coudes,des genoux, mcmodela tôte, il envoie

rouler i'un à droite, l'autre à gauche, jusqu'à ce

.qu'avec l'aide des camarades qu'il entraine à sa

suite par cette brèche, il soit parvenu à dégagerleur ami qui glisse le korsbrood dans la poigned'un autre des leurs, contre lequel se tourne à

présent la furie des meutes rivales.

A en juger par cette entrée en lutte, la compé-tition sera plus acharnée que jamais.

C'est à croire que tous ceux qui participent à

l'épreuve ont fait le même serment que le jeune

Vogelsanget qu'ils ont mis, à côté du korsbrood,leur existence comme suprême enjeu de la

partie.Selon la coutume, les chefs'se ménagent et

Page 19: Eekhoud Mes Communions

ta WSSCOMMOtMOOa

attendent, pour donnera leur tour, quo l'un des

trois ait saisi Ïe pain de kermesse.

Qui comptera los mains par ïesque!!esoircule

ïo gage tant convoité! Et pourtant, quelque dili.

genceet quo!quoénergie quo dôptoientces dëten-

tours passagers, aucun no parvient rempMrlos

conditions qui décident de !a victoire! 0

Longtempsto horsbrooddetneura dans ÏocampÓ

de Luttërath, puis il passe au parti de Geteon,

puis il fait encorerotour &Luttërath, puis il tombe

au pouvoir de KrawinkeLEt suivant qu'il changedo possesseur, domine ï'un ou l'autre de ces cris

de raMiement:« AGoïoon! A Krawinkel A Lut-

térath le korsbrood »

Wit!em estime te moment arrivé do ravir le

butin au gars de Krawinkel. Le champion de Lut-

térath s'empare 'de la proie avant que Frans le

Borgne ait pu défendre son féal.

Les deux chefsvont donc se mesurer. Aussitôt

leurs fidèles se massent autour d'eux; ceux de

Luttérath s'évertuant pour écarter le terrible

Frans, ceux t. j Krawinket, au contraire, mettant

tous leurs effortsen œuvrepour que leur chef ait

ses coudées franches et puisseharceler et tirailler

à son aise le détenteur du kqrsbrpod. JFran~Ll

épuise sur Willem tout t'arsenat des ruses

Page 20: Eekhoud Mes Communions

t.'H<~)NRUKBE!.<rM6«~fH ti

et des pratiques autorisées par les règles du

jeu.L'émotion redouble Dans ta foule dosspccta*

tours les ccours demeureront étreints jusque la

fin do la lutte. I/intor&tsoconoontt'osut'Lutten~th

et sur Krawmket tous pressentent que la partie

va ae décider ontro ces doux ctochors rivaux, ou

mieux entre leurs ehets WiMon~Vogeisan~ et

Frans le Borgne. Oeloonnedonneplus que mono-

mont ou n'intervient que pour contrarier le plusfavorisédes deux champions.

On approche de la période critique. Quelque

crispantes qu'aient etô tes péripéties auxquellesles spectateurs ont assiste jusqu'à présent, ils

appréhendent, vaguement terrines, qu'il va se

livrer entre Willem et Frans un assaut impi-

toyable, un véritable duelà mort.

La mêlée est telle que les deux armées ne

semblent formerqu'un seul noyau de plus en plus

compact, une masse grouillante galvanisée pardeux fluidescontrairesqui la galopent d'un bout à

l'autre de l'arène.

A peine l'effort collectif des compagnons de

Willem a-t-il fondula cohue furieusevers le cime.

tiere, qu'un remous, pn sens contraire, provoqué

par toutes les forcesdu Borgne, projette brusque-

Page 21: Eekhoud Mes Communions

MKSCCtMMUNtO!~M

ment oottotrombe humaine jusque sous le balcon

du 6~'aHdC~ne. On dirait dos béliers battant

les remparts d'une place assiégée. Les maisons

en tremblent dans*leurs fondations. On entend

craquer tes os dos joueurs presque broyés contre

les murailles. D'aucuns y taissentretonb de leurs

vêtements, ta peau de leurs mains et do leurs

genoux. Puis c'est un mouvementoblique. Placeà l'ouragan Un arbre se trouvait sur leur pas-

sage. Le voilà par terre et ils sont déjà loin

quand les gamins qui le couronnaient ont à peinenui do se ramasser. Auront-ils aussi faoHemont

raison do ce corps do fermequi leur barre l'angtode la p!acoP Gare là-dessous! Un grand fracas

domine la clameur et le grondement continu des

adeptes du korsbrood. La porte charretière vient

d'être déConcéosousla pousséedes joueurs. Pata-

tras Elle s'écrouïe avecles deux piliers maçonnés

qui l'encadrent. C'est miracle qu'aucun des casse-

cou ne soit écrasé.

Ils n'ont garde d'interrompre le jeu. A qui le

korsbrood? Tel est leur unique souci. Attention,dans la cour est une mare gelée. Bon, voilà quetous s'engagent sur la glace. Crac elle cède sous

leurs pieds. On les voit barboter jusqu'aux genouxdans la vase. Ils s'en aperçoivent à peine et ils

Page 22: Eekhoud Mes Communions

b'aONMËCRBRMtTTËMTH M

sortent do l'eau ruisselants, contusionnés,mour-

tris, sans que leur attention ait été détachéeun

seul instant de l'objet de cette lutte a outrance.

Rien no pourrait les rebuter: la bourgade

viendrait a flamber, le tocsin les appellerait au

secours, un cercle do fou los entourerait, qu'ilsn'on auraient cure et l'incendie no leur représen-terait tout au plus qu'un nouveau compétiteursur

lequel il faudrait gagner le korsbrooden le ravis-

sant aux étreintes de la fournaise!t

Ils ne se sont dépêtrés de la vase que pour

ondoyer et turbulor de nouveau sur la piace,tellement pressés les uns contre les autres qu'onles croirait agglutinés, soudés ensemble.

Los transes des spectateurs en les voyant som-

brer dans la mare, sous les débris de la porte,n'ont été que passagères et à présent qu'ils repa-raissent stoîques, le cœur toujours à la partie,des vivatsréconfortantsles saluent detoutes parts.

Ah, c'est vraiment une royale fête de korsbrood

De leurs vêtements mouillés etïlue dans l'àir

glacial une buée grise alimentée aussi par leurs

haleines et par i'évaporation de leur sueur, car

quoiqu'il gèle à pierre fendre, tous transpirent et

sounifht comme à l'époque de la moisson,et les

nippes leur collentencoresur le corps, demanière

a*

Page 23: Eekhoud Mes Communions

MM OOMMWKWS?

&modeler leur Oéreoharnure, quand l'eau de la

mares'est depuis longtempsévaporée. La plupart,

narguant les embûcheset les perndiesdelasaison,ont retroussé leurs manches,dégagé leur encolure.

relevé leurs chausses jusqu'aux moHots;même,

pourêtre plus lestes, un grand nombrecourent

pieds nus.

A Geleen, le pain de kermesse clament encore

quelques joueurs, par acquit do conscience. A

Krawinkel, le pain de kermesse! vocifèreFrans !o

Borgne. A Luttérath, le korsbrood! s'écrient les

tenants de Willem.

A la longue, pourtant, leur fatigue est telle

qu'ils ne poussentplus que des appels inarticulés

semblablesà des plaintes et à des giries depatientet l'anhèlement convulsif de ce millier de poi-trines dégénère en une sorte de râle qui suffoquemême ceux ~ui l'entendent.

De plus en plus dense, le nuage 'de vapeurflotte au-dessus du champ clos en suivant les

mouvements de la cohue, et s'il existe encore, à

deux lieues de là, une âme vivante qui ne se soit

rendue à Geleen, elle apprendrà, par ce météore,

que la lutte approche de son plus haut période,

de sa phase décisive. Cette sapeur ambiante

accuse tour à tour une teinte roussâtre et livide.

Page 24: Eekhoud Mes Communions

t~ONNEm M Mf~ËRATH 9t

On la dirait chargée d'éclairs comme un pelage

de félin et l'ozone spécial qui s'en dégage évoqueles gymnases, les salles d'armes et les loges do

lutteurs.

Le brouillard devient même tellement épais

qu'il rend les joueurs méconnaissables et qu'illes dérobe complètementà la vuedes spectateurs.Puis les corps cambrés dans des attitudes athlé-

tiques surgissent par tronçons destêtes émargentcomme celles de nageurs qui se débattent au-

dessus de l'onde.

A la faveur d'une des éotaircies qui se pro-duisent dans cette brume électrique et dans

l'enchevêtrement luxuriant des joueurs, ïsh par-vient à reconnaître, au centre même de la tour-

mente, le Cancé de son caour, son chevalier,Willem Vogelsang.

C'est toujours Willem et, avec lui, Luttérath

qui l'emporte. En butte à tous les stratagèmes et

à toutes les recettes du Borgne, Willem n'a pasencorelâché le précieuxenjeu de la partie.

L'état dans lequel les barbares ont mis le noble

garçonpublie sonhéroïsme lesvêtementsboueux

s'effilochentautour de soncorps, le sang lui coule

du nez et de la bouche; il semble sortir d'un

coupe-gorge.

Page 25: Eekhoud Mes Communions

t!B8 CÛMMCttMWS?

Le pis c'est que Ïes assaillants redoublent

d'acharnement et que le pauvre Willem se sent

à bout dé forces. Une expression de suprêmedétresse à laquelle ïsa ne pourrait se méprendre

un instant envahit son visage qui change conti-

nuellement deoouleur. Unsourire atroce contracte

ses lèvres.

Les yeux des amants se sont rencontres et la

jeune Bile acompris que tout est perdu.Jamais il n'aura la force de soulever le pain de

victoire au-dessus de sa tête. D'une seconde à

l'autre ses doigts te laisseront choir, mais à cette

seconde-là, le sublime enfant laissera aussi

s'échapper son âme. Et, en cette extrémité, il

n'attendait plus que ce regard d'adieu de la bien-

aimée, ce regard qui lui dit qu'il a fait son devoir

jusqu'au bout, que malgré la malchance il étaitt

vraiment le plus digne de son amour.

Isa se tourne vers maître Borlinck

Mon père, pour l'amour de moi, crie à

Willem que tu lui accordesma main. N'a-t-il pasfait largement ses preuves? N'exige pas plus de

lui. Voilà près d'une heure qu'il tient tête à tous

ces sauvages! En connais-tu bien d'autres quiaient jamais résisté comme Im? Il ne leur reste

plus qu'à lemassacrer. Est-ce celaque tu veux?.

Page 26: Eekhoud Mes Communions

1.

t'aONNEURPEmTTË&ATB ?

Père/tu m'entends, je te dis qu'ils va mourir!

Borlinot, appâté par cette lutte, tout entier à

l'ivresse de cette tuerie, rabroue l'importune qui

trouble sa cruelle extase

Je n'ai qu'une parole la couronneou pas de

mariage.Mais il a pris cette parole trop au sérieux,

monpère; il nesait pas que tu plaisantais et il se

fera tuer plutôt que de lâcher cette maudite

croûte de pain!1

Tant pis pour lui il en naîtra d'autres quile vaudront bien

Grâce,mon père! Fais grâce à monWillem,

je ne lui survivrai pas, je te le jureElle se traîne à présent aux genoux du specta-

teur féroce, elle lui couvre les mains de ses

larmes.

La couronneou pas de mariage! grommellele bourru, sans la regarder, sans détourner les

yeux de la place, se repaissant des dernières

phases de ce drame.

D'ailleurs, la foule entière prête au spectacle lamême attention exaspérée. Tous goûtent l'âpre et

lancinante voluptédu dénouement qui seprépareet personne ne prend garde aux supplicationsd'Isa. Ils ne l'entendent, ils ne la voientmêmepas,

Page 27: Eekhoud Mes Communions

MES OOMMONMNa84

lorsque, se relevant toute droite, elle se penche

au dehors du balcon et tend vers la meute ses bras

conjurateursArrêtez! Arrêtez!

Une troisième sommation lui reste dans la

gorge. Le ravissement succèdeà ces affres mor-

telles. Quelle péripétie inattendue, quel élément

imprévu est venu corser l'épilogue et démentir

l'issue probable de la lutte Au déchirant appel

d'Isa, voici que répond, comme une victorieuse

sonnerie de clairons, ce cri de ralliement éteint

depuis près d'une heure « A Luttérath le

korsbrood L'honneur à Luttërath ?

Voyez, sanscesser derépéter le cri de bravoure,

un homme de grande taille et de large carrure, à

la barbe et aux cheveux noirs, un gaillard que

personne n'avait encore remarqué, se fraie, aussi

impérieux, aussi irrésistible que la proue d'un

navire, un passage à travers cette houle de corpsefïrénés et véhéments.

II a bientôt bousculé et balayé tout Krawinkel,et il parvient jusqu'à Willem Vogelsang au

moment mêmeoù, entrepris pour la dernière fois

par le terrible Borgne, il allait s'abattre sur le

carreau en lâchant le korsbrood.

Donne, Willem, donne-moi le pain de

Page 28: Eekhoud Mes Communions

L- ,W-j-o. 1 p-

~<MMœO~!M:M!T!fËM'~t

~kermesse!murmure l'étranger à roreiMo du

pitoyable garçon.

Qu'ya-t'il de péremptoireou des! insidieux dans

la parolede ce partenaire inespéré? MaisWillem

tressaille, écarquille les yeux et, bouche Me, lui

abandonnelaproiequeleBorgnecroyaitdé}&tenir.

Ng Aussitôt Frans et ses hommes do se ruer sur

l'intrus. Vaine coalitiond'efforts Le gaillard, en

dépit des enragés qui se cramponnent &son bras,

agite victorieusement le korsbrood au-dessus de

a multitudo.

Déjà un tonnerre dehourrahssalue son exploit,sa prouesse providentielle.C'est lui le vainqueur 1

NtJ~OM~epour le roi! Mais avant que ceux de

~Krawinkelsoient revenus de leur stupeur, il tire

à lui le jeune Vogelsang, lui glisse le trophéedans la main droite, presse dans la sienne et

soulève cette main en l'air et la tient levéeainsi

en proférant d'une voix formidable

s~« Le korsbrood à Willem Vogelsang! Le

korsbrood à Luttérath! a

Puis, il juche Willem et le met à califourchon

sur ses larges épaules, fait, toujours en clamant,

trois foisletour de la place enthousiasteet éblouie,et déposeenfin le nouveauroi tout hébété sous le

balcon de l'heureuse Isa.

Page 29: Eekhoud Mes Communions

1- 1

? MO COMMHM!<0!<8

Tandis que sans cesse Lutterath, (~otecn et

môme Krawinïtot auotamont Wi!!om Vogo!sang

pour roi, oommehtse fait-il que lui souldemeure

confondu, morho, comme hontoux et embarrasse

do son triomphe? Qu'il soitharassé par tes otïorta,

abasourd! par cebrusque changomont do fortune,

on to comprend, mais du moins sa phystonomit)

pourratt-eMeoxpNmer!'orgueMot la ~Moitô!Or,

o*estpresque do la désolationet de la crainte quise lisent dans ses traits 1

Et lorsque la radieuse Isa, onpersonne, s'avancevers iui, a la tête du cortège dos notables, la

coupedo cidre à la main pour être la première à

porter la santé du roi do Luttérath, du glorieuxroi dont ellodeviendra la reine, il fait presque le

geste do repoussercette coupede victoire; c'est à

peines'il répondpar un inintelligible balbutiement

aux félicitations passionnées de son élue. C'est

avec'une ostensible répugnauce qu'il boit au vase

auquel ont cependant trempé les livres suaves

d'Isa. Tel est même l'inqualifiable accueil de

Willem que la débordante jubilation d'Isa reflue

en glaçons vers soncœur.

Au moment où elle va. demander au fiancé

l'explication de cette humeur, Frans le Borgneaccourt et interpellcjes~magïstrats a HaMe-Ià!

Page 30: Eekhoud Mes Communions

!R(~!<RM M! m'fTÊM'Ht

Qu*on ne remotto pas eneore couronne &

Willetn Vogelsang.(?e serait une usurpation. La

partie n'a pas été loyale. TUy a du louche là-

dessous. Ceparticulier, tombô oommodo la ïano

au momentou !<.utt4rathsucoombattune nouvolle

fois,avait'iï ïo droit de prendre parti contre nouay

rc~t-it prouvof q~Host nd LuM~th?App<Mf-tiont-il seulement à ce pays? Quelest so~ nom? M

Frans a raison Que l'étranger se tasso

connaître approuvent los joueurs do Krawinko!.

Willem sursaute et semble recouvrer sa pré-senco d'esprit. Un instant, dit-il, je veux

interroger moi'mcmo cet homme et il ontraine

l'inconnu &quelques mètres do là; puis, d'unevoixsourde

Toi, ici, toi, malheureux!1

Moi-même

Mais c'est la mort

C'est la vie pour toi, c'est ton salut! No

m'avais-tupas écrit! Méchant,tu m'as cru capablede rester là-bas et d'attendre, les bras croisés, la

nouvelle de ton mariage ou de ton enterrement.

Puis, je n'en pouvais plus, le mal du pays me

consumeet, supplice pour supplice, je préfère la

façon dont on va m'expédier ici. Oui, j'ai voulu

en finir avec ma vie de proscrit, ext te sauvant,

Page 31: Eekhoud Mes Communions

M~8 COMMCNKMM?

toi, mon cher WiHem, !e meiMeupdes deux Cïa

Vogelsang, le saul soutien qui teste à notre

mèM.O! no parle pas ain~. Lu tneiHeur dosdeux

c'est toi. Ta !o prouveson cet instant m&me.Ton

opimono fut qu'un accident. Ta colère ëtait juste.A ta place, chacun en eût fait autant.. Et main-

tenant, pars, va-fen! Laissons !e prix & ce

braillard do Krawinhet. H le mërito mieux quemoi. d

Laissons aussi à co Borgne la main d'Isa

Borlinck?

Oui, au besoin, je lui abandonne Isa.

Dépêche-toi de partir. D'autres que moi t'ont

reconnu sans doute. Si les gendarmes étaient

prévenus de ton retour.

N'importe. Je les attends de pied ferme.

Laisse-moi faire. J'ai gâché ma vie, te dis-je. Je

veux mourir au pays. L'agonie est trop cruelle à

l'étranger. On y meurt deux fois.

Tu nous mentais donc, à notre mère et, à

moi, lorsquetu écrivaisque tout allait bien là-bas,et que tu vivais résigné et presque heureux chez

les Français. Non, c'est à présent que tu veux

nous tromper. C'est pour moi, pour moiseul quetMtWMFMH~

Page 32: Eekhoud Mes Communions

~'aONNEOn M M'PFÊMtM ?

L~n~t~~np~aa~mlaa~de~~n~~gitds~Fralat~Rs.Longtemps combatde générosité seprolonge.

Autour d'eux on s~impatiento et on murmure.

Qu'ont'ils donc, ces doux, à débattre ainsi? Y

aurait-ileu réellement trichée, commeleprétendFrana? Ceux do LutMrath perdent de leur hoMo

assMranee,tandis que KNtwïnM relève la t6to.

Frana ïo Borgne se frotte tes maitM.Isa sou~o

ptusencoro quo tout a t'hewe au baloon.

0 pitié, ne parle pas si haut fait WiHom

à son frère, chaque fois que celui-oi élève la

voix.

Et il leur faut se retenir, faire un effortterrible,

se contraindre au point de s'en bourre!er la chair,

pour ne pas se jeter dans les bras l'uu de l'autre.

Et les lèvres leur démangent, et leurs entrailles

frémissent,et toutes leurs fibres vont éclater. Et

leurs voix s'humectent et se troublont autant queleurs prunelles.

Qu'importent. tu m'entends, n'est-ce pas,cher Alm? la belle Isa et toutes les belles de

ce monde Aucune femmene te supplantera, mon

doux aimé, mon propre sang, ma chair unique,mon autre moi-même! Va, même si tu persis-tais à te trahir, sache bien que ton sacrifice

serait inutile. Je ne veux p~Mde cette couronne,

je ne veuxplus de la vie, je ne veux plus de EMM

Page 33: Eekhoud Mes Communions

MM eOMMCNt&Na3~

!aa! Meurent plutôt atoramoi-meme, !Ra,Lut-

térath et tout le monde avecnous!

Et il se précipite vers le peuple et féerie

<tFrans le ~Borgnea Faisan. Il y a ou tcicheï~e.

Cdm-<:4est un ~tmngw et un 4attU8.Que Frans

et KrawïnM gardent le hbraÏH'ood!Honneur &

Feans!~

Mais,écartant son Mpe,AhnVogeïaanganfaohe

d'un geste brusque sa barbe et sa chevelure posti-

ches puis, se frappant la poitrineUn étranger! Moi! QueMedérision!Vous

voyez bien que je suis de Luttérath!Est-i!

encore quelqu'un' qui songe à nous contester la

victoire?

Alm Vogelsang A!mVogelsang! se récrie l'as-

sistance, à la foisémterveiUéeet stupéfaite.

0, mon pauvre Alm, qu'as-tu fait?

Les deux frères se tiennent étroitement em-

brassés et, pantelants, poitrine contre poitrine

désormais, inséparables, ils oublient l'univers et

tout ce qui n'est pas eux et, en attendant de

mourir ensemble, donnent longuement carrière à

leur accablante effusion.

Les spectateurs se renferment dans un silence

funèbre-àl'idéedu supplicequiguette le contumax.

tout à coup, t'unanime commisération

Page 34: Eekhoud Mes Communions

t~HONNBUttPB Mtft~RiVNt M

cesse de orispor cette légion de cœurs. En la

jfouteéquitables~~t manitestëe cette secondevue

qui fait parais de la conscience popnMro !o

miroirdo la volonté divine Du fond do t'ab!mo

de détresso où elle agonisait, Isa mûmo s'o~t

sontiaronaitrc. Tous acquièrent la certitude que

~~M'ineoaccorderaune entière an~nistie a rainô

desVogotsang.Son dévouement fraternel le rend

inviolable.

Une imnMnseacclamation salue los doux frères

commeune prophétiedo félicité.

Et c'est deux roi~que Luttorath a couronnés ce

jour-là.

Page 35: Eekhoud Mes Communions
Page 36: Eekhoud Mes Communions

ÏA PETITE SERVANTE

A NeHfyAfaMM.

Petite servante de la-bas, servante novice,

apportant dans tes hardes, dans ta chair, dans ta

chevelure, sur tes lèvres, surtout au fond de tes

grands yeux l'atmosphère vibrante et le ciel pen-sif du cher pays.

Annoncéeet recommandéepar maitre Martens,un bravehommede notable, un matin, &la saison

des faines, la petite servante franchit notre seuil.

Un gars de Brabantsputte, un de ces marchands

de paillassonset d'estères, qui colportent le lundi

jusqu'à Bruxelles les produits de la maigre indus-

trie campinoiseet qui, allégésde leur rouleau de

nattes, s'en retournent au clocher vers la fin de la

semaine,avaitpiloté sa paysejusqu'à notre porte.D'une voix un peu étranglée qu'elle s'eRbrçait

Page 37: Eekhoud Mes Communions

34 MMCCMMUNtOSS

d'aEFermir.ta petite chargea son meneur d'an

dernier bonjour pour la mère, le frère aine et les

petites soaurs.–Entendu! 1

Le paoant nous tira sa casquette, fit remonter,d'un coup soc, la bricole à son épaule et s'éloignaon jetant son cri nasard et guttural.

Avantde déposerson modestetrousseau renfer-

médans un mouchoirde cotonrouge, ellepromenases grands yeux bruns couleur d'automne autour

de la cuisine et dit simplement ? Je crois que jeme plairai bien ici. a

Dans l'intonation de cet hommage, je démêlai

de touchantes nuances.

J'y lus un appel à notre indulgence, le désir de

s'acclimater, la vaillanced'un cœur de quinzeans

qui doute un peu de sa force. Cela voulait dire

« Commevous me paraissez de braves gens si

je me montre gauche ou dolente, au début, vous

ne me brusquerezpas trop, n'est-cepas, et patien-

terez en songeantqueje ne suisqu'uneenfantetque

jamais, auparavant, je ne quittai monhameau?. »

Elle ajouta « Monsieur Martens m'a recom-

mandé de faire honneur à sonpatronage et d'être

très brave et très polie. ?Pour sûr qu'elle 6t honneur à l'honnêteté des

Page 38: Eekhoud Mes Communions

t.APETpCE SERVANTE

joliesde Campineet &la oonnanoede M.Martens

Dèscematin elle se mit au courant mais, mal-

son activité, &l'heure des repas, elle bouda

on assiette.

Le lendemain nous tui trouvâmes les yeux

~ougeset le visage tiré. a

L'idée du toit maternel la tourmente, mais

ce souci,qui prouve un bon ocaur,ne durera pas 1

nous disions-nous.

g Les jours suivants elle montra la même énergieà la tâche, mais l'appétit manquait toujours, et ses

fraichescouleurs de pivoinesatinée pâlissaient.Le samedi, sa tournée accomplie, le marchand

g de paillassonsvint prendre de ses nouvelles.

Commeil s'éloignait, elle lui cria « Surtout,dites-leurque je suis très, très heureuse, et que jene voudrais plus retourner

à Brabantsputte. »

Et, commefière de sa force d'âme, après avoir

battu la porte, elle m'interpella avec volubilité =

Vous avez entendu, Monsieur,celui-là répé-tera à ma mère combien je suis contente chez

vous!1

Brave petite Je me méfiai pourtant de cette

crânerie. Je devinaiqu'elle avait coupé court à son

entretien avec eebrelandinicr doPutte, rien que

pour ne pas être tentée de reprendre. le chemin1

3

Page 39: Eekhoud Mes Communions

MESeeMMOSMNS36

des sapinières natales, car, en redescendant à sa

cuisine, elle ne se4détournapas assez vite pour

me cacher des larmes qui perlaient dans ses longscils de brunette et noyaient d'un embrun de

novembre l'opulence septembre de ses grands

yeux!1

L'après-midi, elle récurait allègrement le vesû-

bule. Dema chambre je l'entendais distribuer de

véhémentscoups de brosse, elle ne cessaitde faire

gémir la pompe et d'arroser les dalles à pleinsseaux,

Voilàqui va bien me disais-je.Elle a secoue

sa nostalgie. Je ne serais pas étonné qu'elle se mit

à chanter pour se donner du cœur à la peineLa chanson, pourtant, se faisait attendre en

revanche, le prélude devenait intempestif. A un

moment le vacarme m'empêchant de poursuivremon travail, je descendis pour prier la trop gail-larde travailleuse de manier plus discrètement

son attirail de brosses et de seaux.

Je m'arrêtai sur le palier. La pauvresse mêlait

bel et bien la voix à son tintamarre.

Mais la triste chanson La déchirante com-

plainte~C'était pour étouSer le bruit de ses sanglots

que la petite servante se livrait à un pareil sabbat.

Page 40: Eekhoud Mes Communions

)'-

tAfNfttBSERVANTE

A la faveur du tapage je pus m'approcher d'elle

sansqu'ellem'entendit venir.

Eh bien dis-je, en lui touchant l'épaule,

c'est ainsi qu'on s'habitue?

Elle laissa choirses ustensilesde travail, se cou-

vrit le visagede sesmains, et, àtravers une recru-

descencede pleurs, elle m'avoua sa faiblesse, sa

tant sainte faiblesse

Pardon, Monsieur. Lorsque je songe à

chez MOMS,c'est plus fort que ma volonté et que

maforce, il me faut crier ou j'étoufferais. C'est

commes'ilsm'avaientattachéau co~urunecordesur

laquelle ils tirent là-bas tant qu'ils peuvent. Ils

tirent et ils finiront par me ramener à eux. sans

quoi ils me décrocheraient l'âme. C'est stupide,

je le sais. Aussice qu'on rira de moi au village 1.

Je n'en puis rien. Il n'y a pas de votre faute,non plus, à vousautres, allez Je suis bien traitée 1

Ohoui, trop bien traitée ici Et pourtant, tenez,vous seriez meilleurs encore, Madame et vous,vous seriez le bon Dieuet la sainte Vierge, que jeferais tout de même mon paquet. Aussi, per-mettez que je m'en retourne, samedi, avec

Franske. le colporteur de nattes. B

H n'y eut pas moyen de la retenir. En vain,durant ceshuit jours, touchéepar nos.bonnes pa*

Page 41: Eekhoud Mes Communions

38 MESCOMMOOMN8

roles, nos égards, nos attentions, essaya-t'ello de

reagîrcontresonidéeuxe.

Plusieurs fois, à brûle~pourpoint, elle noua si-

gnina sa résolution d~ rester et de se montrer

raisonnable. Mais au moment mêmeoù elle se ra-

visait, l'accent, le regard, le pitoyablesourire dé-

mentaitsaparoïo..La veille môme de la visite de son pays, irré-

solue, ne sachant si elle obéirait à sa tête ou à

son cœur, e!!e fit et défit vingt fois son humble

bagage.Mamère a promis devenir mevoir; eh bien1

j'attendrai son arrivée et l'accompagnerai si cela

ne va pas mieux.

–C~estdit.ators?C'est dit.

Une minute après cette convention, machinale-

ment la possédée courait consulter la pendule,et trouvait déjà trop longues les heures qui la

séparaient de l'apparition de Franske le libéra-

teur.

Non,cela n'irait jamais mieux Inutile de nous

confesserson manquedecourage Nous la tenions

quitte de son engagement.Elle passa la dernière nuit et se leva bien avant

le jour. Le marchand de paillassonsne se présen-

Page 42: Eekhoud Mes Communions

M PBTME SAVANTE 39

tait jamais do fort bonne heure; cela n'empêcha

passa payse de tressaillir aucoup de sonnette de

talaitière.

Tout équipée, ses bardes &la main, elle attendit

Fransho, dans le vestibule. S'il oubliait de passer

aujourd'hui S'il ne s'était pas encore défait de

son rouleau S'il craignait de nous importuna i

Autant de suppositions lancinantes angoissant la

pauvre petite, trop inexpérimentée pour se re-

mettre seule en voyageet retrouver le chemin du

clocher.

On sonna de nouveau, et ce fut enfin&lui qu'elleouvrit.

Le gars ne fut pas médiocrement surpris do ce

brusque changement de décision. H plaisanta sa

protégée, entreprit de lui faire entendre raison.

Ce grand blondin, à l'allure délibérée, connais-

sait mieux la viHe!Depuis cinq ans qu'il battait

chaque semaine le pavé bruxellois, bricolant ses

nattes dans les rues les plus écartées, si la capi-tale n'était point parvenue à le séduire ou à le

corrompre, du moins avait-elle cessé de l'effa-

roucher.

Les sages exhortations du porte-balle ne per-suadèrent point la petite. Plutôt que de rester,elle se serait cramponnéeà lui comme.à une bouée

Page 43: Eekhoud Mes Communions

<0 MB8COMMONMN8

da sauvetage. Le gars en était tout contas ets*ox-

cuaait pour elle 8'ïï ne l'avait pas rotenue dans

rantre-MiKotnentdeta porte~ eMopartait sans

nousdiroadiom!

Jerïoanaia aveosupériorïtô: « A-t'on jamaisvu pareille sotte Elle s'enfuit comme si la mai.

sons'ëcroutait ?

Pose, aMeotation,contenance empruntée que

toutcela, mon bel ami1

ïntérieùremont je pensais « Je ne t'er veux

pas de cette désertion, ma pauvrette. Et les tiens

auraient tort s'ils se moquaient de toi Tu n'es

pas seule à languir loin du terroir. Moi aussi, jeme force, je compose mon visage. Je bûche et

pioche avec fracas pour m'étourdir. Et si je

m'agite et clame à la ronde, c:est afin qu'on n'en-

tende pas saigner moncœur. Commetoi, petiote,c'est quandj'ai l'air le plus faraud, le plus en train,

que je suis sur le point d'éclater et de m'avouer

vaincu.

« Chère petite, ma sœur en la sainte religion

patriale, te rappelles-tuJe jour où le gars de Bra-

bantsputte t'apporta des nouvelles du hameau et

des écarts &la frontière hollandaise Je vins vous

relancer d'un air indiSérent poursurprendre quel-

j:[Ues bribes de votre conversation et m'informai,

Page 44: Eekhoud Mes Communions

LA PEftTE 8EBVANTR <t

d'un ton détachéedesbraves gensqui m'ont ouMié

ou ne m'ont jamais connu, mais qui « sont a de

la-bas, portent des noms semblables aux nôtres,

parlent ïe diatecte aimé, hantent les bruyères ou

les aMuyionsou j'ai vécu ma meilleure, ma souïo

vie

Aussipuéril que toi, dans mon fanatiqueatta-

ehemont, j'incïine à croire !o soleil ot surtout

les étoiles de la Campinodifférents deceux d'ici,à moins que, comme moi, les astres exilés se ron'

frognent, se composentun visage énigmatique et

cachentleur implacablesouffrancesousun masquede froideur et de scepticisme.

« Franske disait « Et le fils do la veuveHon-

« drikx, du Bon Coin, épouse BeMadu sabotier.

« Les Marinckx ont tué leur porc samedi. Et

« Bastyns part pour la troupe et Machiels en re-

« vient. Et Nand, le louche, a été administré.

« Et, à présent, la fanfare joue le samedi chez

« Laveldom. a

« Acette gazette parlée du village, interrompue

par tes récris naïfs « Zou Ae~? Hoor' î/e a

(Vraiment? Ecoutez donc!) à ce chapelet de

monotonesracontars dévidé par le colporteur de

nattes, surgissaient en moi des corrélations M

émouvantes, si topiques.

Page 45: Eekhoud Mes Communions

"j. -r...> .<¡.- 1

? ME8e9MMC!«(M<89

« Ah j'aurais écouMcette dolente psalmodiedes heures, de longues, longues heures, comme

j'écoutais le vent dans~esfouilles,les beuglementsdes hcaufset le 8tm.doseïoeheB.

«Après le départ du gaM,de cet indi~eront, do

co oanapaa, !os livres me paruMnt plus &das,mes amis plus meni~s, mon métier plus msup"

portableet la ville plus formée..« Entre nous soit dit, chère petite, je suisaussi

faible que toi. Le carnaval de la vie bourgeoiseme navre de plus en plus; mon masque et mon

déguisement urbains commencentterriblement &

me peser. Approche aussi pour moi le temps de

retourner au pays coûte que coûte, ne fût-ce que

pour m'en aller dormir, tout près de l'église, tu

sais, au piedde la tour ardoisée, sonbonnetpointu

planté detravers, qui faitsigne les dimanches,par-dessusles rideauxd'arbres, aux traînards qui vont

manquerl' « élévationa tu sais, l'endroit où

les bien-vivants, les jeunes blousiers se confient

leurs amours et parlent à voix basse pour ne pastenter les morts. s

Page 46: Eekhoud Mes Communions

CMMATËREE

AJ~Httet~rAam'eM.

Autrefois, notre pensionnat, le Bodenborg-

Sohloss, fut un établissement de bains, rendez-

vous dos malades élégants ou même des latents

névrosés de la Suisse et de FAUemagnedu Sud.

Le château, tosc~oss, présente une façadede la

fin du xvu" siède, percée, aux deux étages, d'une

rangée inSnie de fenêtres éclairant des chambres

à coucher si nombreuses que de mon tempschacun des cent étèvesavait la sienne. Un balcon

à élégante rampe de fer forgé court tout le longdu premier étage, affecté aux classes et aux ap-

partements du directeur. En bas, une galeriecouverte ouvre ses portes vitrées sur l'ancien

casino converti en réfectoire et en chapelle. Une

partie des installations hydrothérapiques, reïé-'

3.

Page 47: Eekhoud Mes Communions

MESCCMMUNMNa

guëes dans les sous-sols, Ot plaoe à dûs eeWora,

maist la plupart do cessou~H'atna, immenses

eommo des catacombes, abandonnésaux crypto-

games et aux araignées, ne servent plus qu'à de

mystérieusesparties do cache-cache.

Le site est merveilleux et vraiment « roman*

tique a, comme disent les Allemands. Le bâti-

ment principal, avec ses communset ses annexes,

couronnant trois terrassessuperposées,garnies de

balustres et de vasesde fleurs, domineun vallon

d'une dizaine d'hectares, borné à l'ouest par-les

premiers contreforts du Jura, dontla sévère mu-

raille, boisée d'essencessombres,sapins otmétèzes,s'exhausse vers Soleure en deux massifs rocheux,échancrés de gorges abruptes le Weissenstein

et le Hasenmatt. A l'orient, ïa ceinture de co-

teaux égayés de vignobles et de bosquets s'écarte

pour ouvrir une échappéesur le fertile platead de

l'Aar. Les méandres argentés de la rivière fes-

tonnentles pâturages smaragdins, et, tout au fond,dernière dégradation de la perspective,le pano-rama des Alpesse dentelle et s'irise aux capricesdu soleil et des nuées.

Le vaUonmême,tracé en parc anglais, présenteun noble étang arrosé par un ruisseau tombant

du Jura et encadréde péteuses ou se jouaient des

Page 48: Eekhoud Mes Communions

CUMAf~K 45

paréos dotoot baHet de cricket dignes des joutes

homértque~d'Eton et doRugby. Alentour règnentdo longues avenues de pommiera et do pruniersdévolus&dé clandestines cueillettes et force bo-

cages dont, en dépit des foudresdirootoria!es,on

déaimait à coups de pierres le ohceurchatoyantet mélodieux.

MalgréÏes ressourcesque ce parc offrait ù notre

humour MKre,&notre turbulence de casse-cou,certains jours il ne suflisait plusa notre expansion

aventurière. Nous étionstentés dans notre désir de

liberté par cette circonstance que, comme toutes

les propriétés en Suisse, le domaine de Bodenbcr~

n'était pas entouré de clôtures. Le traversait, s'y

promenait qui voulait, à condition pourtant de

s'abstenir de toute dégradation. Cette absence

do muraiUcsou de fossésnous incitait a nous en-

gager bien au delà du territoire, cependant si

étendu, réservé à nos ébats et à incursionnerjus-

qu'aux villages voisins où, à tour de rôle, l'un de

nous, désignépar le sort, allait, courant à toutes

jambes, s'approvisionner de chocolatSuchard fre-

laté, de noirs cigares de Vevey et même de bou-

teille~de piquette et de liqueur. A chacune de ces

escapades on courait le risque d'être pincé, car au

milieu de nos heures de Mbcrtoia cloche nous

Page 49: Eekhoud Mes Communions

? MMCOMMCNtCNS

convoquait dans la grande saUe oui! s'agissait do

répondro&l'appetdonotrenom.

1~'institutBodenbergn'avait pas son analogue

aumonde.

Depuis près de vingt ans, les héritiers de &t-

milles riches venus non seulement desprincipaux

pays d'Europe, mais mômedes deuxAmé~ques,de~ Indes et de i'Awstraïie, se rencontraient et

fraternisaient en ce coin éïyséen du riant canton

de Soleure. Composéde nationalités aussi variées

que les confessions,lé milieu y était étonnamment

cosmopolite, éclectique et tolérant. On n'abusait

ni de la discipline,ni des punitions, ni de la sur-

veillance; la plus grande somme de liberté était

laissée à l'élève; les maîtres n'intervenaient qu'àla dernière extrémité dans les querelles et réprou-vaient sévèrement l'espionnage et la délation.

Une atmosphère de loyautéet de franchisemorale

correspondait avec les sains eiNuves des forêts

jurassiques. L'enseignement, conné à des émigrés

politiques de France, d'Allemagne et d'Italie,hommesd'un caractèreimmaculémarchait de pairavec une admirable culture physique, un souci

perpétuel de notre développement et de notre

perfectionnement corporels. Par le sérieux des

études, Bqdenbergpouvait rivaliser avecles plus

Page 50: Eekhoud Mes Communions

CMMAT&MR

fameux gymnases allemands; par l'éducation en

plein air, l'importanceaoom~déeaux exomicesdu

corps, il eut été considéré comme type et modèle

chez les Anglais. On exigeait d'autant plus do nos

jeunes cerveaux que rien n'était négligé pour as-

surer l'expansionharmonieuse et logique de l'en-

veloppe.Les leçons contractaient une portée, une éton-

nante vertu persuasive, une intensité quasi apos-

toïiquo par ce fait que l'entant ne se trouvait pasdevant de simples et routiniers pédagogues, mais

bien en présence de véritables personnalités, de

lumières scientifiques'doublées do chaleureuses

flammesrévolutionnaires, de penseurs hardis quela persécutionavaitexilés.Rien dans leurs allures,

dans leur parler qui trahit le cuistre et qui eût

justifié ces taquineries dont la gent pédante est

victime dans presque tous les collèges du monde.

Nos jeunes esprits très aiguisés, en quelque sorte

sublimés par un programme d'études substan-

tielles, se retrempaient dans de longues séances

de gymnastiqueet d'escrime, dans des excursions

vers Bienne, vers Soleure, des ascensionsdu Jura,des voyages pédestres dans les Alpes, l'Oberland,le Valais, jusqu'en Savoieet en Italie.

A Fêpoqueoù je faisaismesétudesà Bodenberg-

Page 51: Eekhoud Mes Communions

? MRS C<MOMONMM!8

Schloss, <~est-&-diroaux environs defan 187.

j'avais pour condisciplesHenn de KeMmarob,un r

paMoion anveMois~descendant d'une famiUode

négociants hanséates établie dans la grande mé-

nopole tlamande dès le xve siècle, et William

Percy, un Anglaisde la Cornouaille, fils du comte

d'Evansdale, membre de la Chambre des Lords.

Le premier représentait ce que le pensionnat

comptait de plus brillant, au point de vue des fa

cultes intellectuelles; le second réalisait un pa-

rangon de santé et de robustessephysique. Si l'un

faisaithonneur au système d'éducation moralede

la maison, l'autre illustrait àmerveille la méthode

adoptéepour favoriser l'épanouissement de notre

organisme. Les dehors seuls de ces deux êtres ré-

vélaient la dominante de leurs goûts et de leurs

aptitudes. Le jeune Kehlmarck était un blondin

gracile, légèrement menacé d'anémie et de con-

somption, la physionomie réfléchieet concentrée,au large front bombé, aux joues d'un rose mou-

rant, un feu précoceardant dans ses grands yeuxd'un bleu sombre tirant sur le violet de l'amé-

thyste la tête trop forte écrasant sous son faix

les épaulestombantes, les membres chétifs,la poi-trine sans consistance. William Percy, au con-

traire, quoique n'ayant qu'une quinzaine d'an-

Page 52: Eekhoud Mes Communions

CMMAT&ME 49

nées commerAnversois, était unfort garçon, ex.

traordinairemont large d'épaules, la taille d'un

homme ~Mt,aux bras presque trop musclés, les

pectoraux saillants, aux mollets rebondis, aux

hanches puissantes, le torse harmonieusement

assis sur des reins et des cuisses qui eussent tenté

le oiseaud'un sculpteur italien de la belle époque.Il tenait de sa mère, une créole rencontrée par

Lord Evansdale à la Havane, ce teint lilial, légè-rement ambré, des lads et des misses de la haute

aristocratie, ses profonds yeux noirs brillants et

d'une vivacité léonine, et sa chevelure d'ébène,

aux mèchesconstamment révoltées, crépue à ou-

trance.

Alorsquela plupart de leurscondisciples,mieux

équilibrés,réunissaient, commeles gentilshommesitaliens et anglais de la Renaissance, les qualitésde l'hommed'étude et celles de l'homme d'action,Kehlmarck n'était qu'un lettré et Percy qu'un

gymnaste. A deux ils se partageaient l'admiration

de la communauté. Henri régnait à l'étude, Wil-

liam dirigeait les récréations. La constitution dé-

bile de l'Anversois le désignait aux brimades,

mais il y avait échappé par le prestige de son in-

telligence, prestige qui s'imposait jusqu'aux. pro-fesseurs. Tousrespectaient son besoinde solitude,

Page 53: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMONKMtaM

de rêverie, sa propension à fuir les communs dé-

lassements, à se promener seul autour du parc,dans l'ombre et te silence, n'ayant pour compas

gnon qu'un auteur favoriou le plus souventmême

se contentant de sa seule pensée. Au demeurant,camarade serviable et d'humeur égale, mettant

complaisammentet mêmeavecjoie sa supérioritéintellectuelle au service de ses condisciples.

Un seul ne partageait pas notre déférence et

notre humilité vis-à-visdu jeune prodige, c'était

précisément son rival, ou plutôt son extrême, sa

vivante antithèse, le baronnet William Percy.

Celui-ci, débonnaire au fond, mais brutal dans

ses dehors,témoignait, à l'égard dupetit Flamand,

une taquine et hargneuse hostilité. Avec lui seul

il se montrait rogue et se targuait de sa force.

Souvent il se bornait à le bousculer, mais d'autres

fois il le harpait au passage, le tenait longtemps

a sa merci, s'en amusant commed'un jouet. Il le

soulevait à bras tendu, ou bien il lui broyait les

poignets, au risque de les briser pour lui arracher

un mouvement de révolte qui eût justifié de la

part du tourmenteur, un redoublement de bri-mades. MaisHenri seroidissait,supportaitstoïque-ment la torture, sans une larme, sans une plainte.Alors agacé, mis au défi, l'hercule, sur le point

Page 54: Eekhoud Mes Communions

CMMAT6tUt: M

(t'abuser de sa vigueur, lâchait sa victime impas-sible et la repoussait d'une taloche ou d'un simu-

laore de ooupde pied.Le violent Percy était le seul cauchemar do

l'Anversois, le seul 4~ede toute la colonie quidétournât parfois son attention de ses beaux rêves

tranquilles ou de sa sereine et précoce mélanco-

lie, pour le plonger dans un état d'irritation ma-

ladive et de haineuse révolte. A ce moment, où

tous deux allaient courir leur seizième année,

l'antipathie devint de l'obsession. Quand il faisait

une lecture où figurait un scélérat, Henri lui prê-tait enfantinement les traits de son ennemi. Ainsi

le beau William se trouva aHubIéde la bosse de

Richard Ilf et du masque félond'Iago.L'état maladif du petit Kehlmarck augmentait

encore sa susceptibilité. Souvent des migraines,des fièvres intermittentes le clouaient au lit etl'i-

solaient durant plusieurs jours. 3

William s'épanouissait de plus en plus crâne-

ment. Il incarnait une véhémente joie de vivre.

II évoquait la jeunesse d'un dieu dont lestravaux

intrépides ont développé les forces et préservél'innocence. Sa belle santé aSrontai~tle malingreKehlmarck. Leur antagonisme devait tourner au

tragique.

Page 55: Eekhoud Mes Communions

.t ë. .w_. .> r..p.T.

? M~acoMMtwona

Un Matin de Novembre,Henri s'était aventuré,avec un autre collégien, dans la barquette sur

Fôtang.Tandis qu'il lisait, son compagnonjouaitdes rames. 1

Poroy les héla de la rive « Hé, le pâlot, he,FiHSang de Grenouille, aborde, il y a place en-

core dans ta barquette e

Henri frissonna, et tandis que son compagnonramait vers le bord, il était bien résolu, lui, àsau-ter du bateau aussitôt que l'ennemi y entrerait.

Mais àce moment, il se ravisa par orgueil. L'autre

aurait pu croire qu'il avait peur. Henri demeura

donc assis en face de l'Anglais qui avait saisi les

avirons. Percy avait un rire exceptionnellementméchant. Devinait-il le sentiment qui avait fait se

rasseoir le ohétif Anversois, si piètre amateur de

canotage?La mine du jeune lord semblait dire

« Attends mon bonhomme,on va t'en donner du

plaisir! Tu n'auras plus envie,après ça, de te ris-

quer sur l'eau. ? Et l'Anglais se mit à ramer, en

fredonnant une assez inepte chanson de son pays« Jolly beggars, here we are, Beggars on aea,

Be~ars on shore »

La barque filait et virait avecune vitesse extra-

vagante. En quelques minutes, Wiliam lui fit

faire quatre fois le tour de la pièce d'eau. Il

Page 56: Eekhoud Mes Communions

CMMAT&ME 58

cogna même à plusieurs reprises l'embarcation

contrâtes berges commes'il eût voulu la mettra

enpièces.1/Anversois ne se départissait pas de son atti-

tude insouciante. Un sourire dédaigneux plissaitmême ses lèvres fines et ses yeuxessuyaient iro-

niquement les regards comminatoiresde l'enragérameur.

Tout &coup, comme ils se trouvaient au milieu

du lac, c'est-à-dire en un endroitoù il yavait prèsde douzemètres de fond, William lâcha les avi-

rons et les rejeta loin de lui,'si furieusement et si

loin qu'après avoir décrit une couple de rico-

chets ils allèrent s'empêtrer dans les roseaux,do

la rive.

Que veux-tu faire, Percy En voilà une

idée fit le troisième occupantde la barquette. Pas

de bêtises, hein ? Comment regagner la terre à

présent?Dame En ramant avec nosdoigts répondit

le jeune Evansdale. Mais rien ne presse. Et tout

d'abord, amusons-nous un brin

Et reprenant son refrain de marinier ivre, il

épiait la contenance d'Henri, guettait un mouve-

ment de peur ou d'anxiété sur son visage. Henri

conservait sa petite mouejle~uperionté « A ton

Page 57: Eekhoud Mes Communions

M M~SCOMMUMM~

aise, grand nigaud wpersiflait cotto moue im*

pertinente. L'Anglais laissa échapper une bordée

de jurons et ses yeux'volcaniques disaient claire-

ment «Ah' o'estainsi! 1 Ehbien,à nous deux

maintenant! &»

Et voila que, debout, un pou ployé sur tes jar-

rets, arquant ses jambes écartées, poings sur les

hanches, il entame un nouveau couplet de la vul-

gairoharcaroMoetsomot&pesertantôt&bâbord,tan-tôt à tribord. Et& chaque impulsion de son corps,en cadence,la barque pencheà droite et &gauche.Et cela toujours plus fort et plus vite, le jeune lord °

précipitant le rythme de son refrain et redoublant

de vigueur. St bien que tantôt l'un côté, tantôt

l'autre plongedans l'étang et qu'à chaque oscilla-

tion l'esquif cuve l'eau à pleinesécopes.Maisnnis donc, William C'est stupide à la

fin hasarde encore le compagnonde Percy et de

Kehimarek. Si tu continuesnous allons chavirer 1

Sans répondre, Percy consulta furtivement la

physionomie de Kehlmarck;s'attendant peut-êtreà une prière, à ce qu'il joignitses plaintes à celles

de celui qui venait de parler, mais bien qu'Henrieût déjà de l'eau jusqu'aux mollets, il restait crâne

et ferme,aseis sur son banc,sans daigner adresser

la moindre prière à cette grosse brute d'Anglais.

Page 58: Eekhoud Mes Communions

QUMATÉNE 85

Cemépris exaspéra la rage de William. Et il accé-

Mra les efforts, pour Mter une catastrophe qu'il

souhaitait, qu'il appelait à présent de toutes les

forcesde son âme bouillante. Il s'essoufflaitmais

chantait encore, basculait avec rage, précipitait te

roulis.

Toutacouplabarquechavira ettous trois se trou-

vèrent dans l'eau. D'un coupde piedPeroy envoyal'embarcation à plusieurs mètres de là puis royal

nageur, riant à gorge dëployéeau risque de boire

force tasses, il se mit à tirer sa coupe vers le ri-

vage. Le troisième, nageur presque aussi exercé,le suivait à peu d'intervalle. Quant à Kehimarck,

il était descendu une première fois à fond pour

remonter aussitôt à la surface, mais sansparvenirà se maintenir au-dessus de l'eau avant d'enfon-

cer de nouveau, il eut le temps de voir les deux

autres s'éloigner, les rives lui parurent désespéré-ment lointaines aussi, et un cri allait lui sortir de

la gorge, lorsqu'il se sentit sombrer une seconde

fois.

Percy touche au rivage. Tout fier de son équi-

pée, dans sa joie à l'idée du tour qu'il vient de

jouer à ce petit fesse-cahiers,il ne s'est pas arrêté

un instant à la suppositionque son ennemi ne sût

pas ûager Il n'était pas admissible à un nageur

Page 59: Eekhoud Mes Communions

~c;" -t-1

M iMBSCCMMCNKMW

comme Peroy que quelqu'un ignorât tes secrets

de la natation. Et comme lui et comme leur com-

pa~.wn, le petit Flamand on serait quitte pour un

bainfroid.

Au moment d'atterrir, William se retourna

pour jouir de la drôîe de tête que tefait !e gtin-

galet qui s'easouMaitsans doute à le suivFe &

quelques brassées de M, lorsqu'il ape~ut, à ren*

droit où ils avaient sombré, des bras qui battaient

au-dessus de ï'eau, puis qui disparurent en.dos-

sous aveo le reste du corps, sans doute pour ne

plus remonter à la surface.

L'issue fatale que pouvait avoir sa prouesse

jaillit pour la première fois à l'esprit du jeuneEvansdale. Aussitôt, il se porta au secours de

Kehlmarck, toute sa générosité foncière, son al-

truisme lui angoissant ïe cœur, résolu à rester

lui-même dans l'étang plutôt que d'y laisser son.

ennemi. Il parvint à le repêcher et à le ramener

sur la rive Henri ne donnait plus signe de vie.

ACblé,William l'étreignit dans ses bras et ruisse.

lants tous deux, le sauveteur aussi blanc, aussi

glacé que le noyé, il courut jusqu'à la maison,

portant dans ses bras ce corps inanimé dont la

tête ballottait sur son épaule.Henri de Kehlmarckne~eYatt~eprcndEejBntié-~

Page 60: Eekhoud Mes Communions

CU~A~tHE M

rament connaissante qu~apr~splUMeurssemaines

do délire, de veilles moitié lucides où les choses

réelles qui se passaient autour do lui se con~n-

daient avec !oa haUucMMttioas,¡'

Ainsi, un jour, il lui sembla entendre un fracas

de portes battues, un tonnerre ëbrantant toute la

maison,une ruée de barbares montant &t'assaut,

un hourvan de prison quisë vide, des trepign~esdans les escaliers, un eulbutis de malles et de

ootïres traînés à travers les corridors, dégringo-

lant, cahotés de marche en marche jusqu'au bas,et cela, en dépit d'appels, de commandements

irrités, de graves injonctions essayantdo dominer

ce tumulte panique.Et àcette tourmentesuccédaitun total,un absolu

silence, un silence tellement implacable et sé-

pulcral qu'en se prolongeant il finit par mieux

réveiller Kehlmarckque ne l'aurait fait une explo-sion.

Le malade, les yeux ouverts, voyait enfin. Ses

sens très affûtés interrogaient les ambiances. Au

dehors pas un bruit, pas un murmure dans le

château. De l'immobilité, du calme, presque du

vMe.Peu à peu Kehlmarck acquit la certitude que le

plein hiver était venu et qu'il remplissait le vallon,

Page 61: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMUIONS

ensevelissaitles collines, ~capitonnaitla glace de

l'étang d'une couche de neige tellement épaisse

qu'elle étouSaitlea moindres sons de laoampu-

gne.Maispourquoi iaisMt-il tout auss!morne, peut-

être plus .léthargique encore dans cette maison

d'ordinaire si tapageuse? Les autres foisqu'il était

arrivé a Kehlmarck d'être malade et de garder la

chambre, il percevait, pendant ïe jour, miUoru-

meurs intermit~ntes et variées trahissant la pré-sence d'une nombreuse communauté. Le pen-sionnat respirait. La vie y abondait, véritàMe

fermentation, comme dans une ruche ou une vo-

lière. Depuis Ïe matin jusqu'au soir c'était, aux

commandements de la cloche, des ruées d'une

olasse à l'autre. La psalmodiedes leçons lui arri-

vait par bribes, par sentences graves et dolentes

qui le berçaient à leur austère cadence. Puis il

sursautait aux déchaînements de la récréation, à

la trénésie des athlétiques parties dejeu engagéessous ses fenêtres, au tollé des contestationset aux

hourrahs des triomphateurs.Et les nuits d'été, outre les bruits de la cam-

pagne, amortis et pour ainsi dire tamisés par les

moustiquairesenchâssésdans les croiséesouvertes

mourant clapotis des jets d'eau, oascatolles

Page 62: Eekhoud Mes Communions

CUMAtëtMK M

arpégées du ruisseau alimentant le lac, Hutes des

crapauds pâmés au bord de leurs casernes,ses

insommiessurprenaient le souMe de toute cette

adolescence distribuée, autour do lui, dans une

enSladede chambreset dontla présence, le fluide,

Hnissait par transsuder à travers les parois. Ou,

guidés par des plaintes échappées&l'alarme d'un

somnambule, c'étaient les pas vigilants d'un

maitre taisant saronde et arpentant io long cou.

loir abbatial.

Mais a présent, qu'it fit jour ou qu'il fit nuit,il ne percevait plus rien. Pourtant il n'était pasdevenu sourd car s'étant parlé et quoiqu'il n~eûe

fait que chuchoter, il s'entendit parfaitement et

même sa voix résonnait si clairement qu'elle'endevenait presque cruelle.~uo signifiait alors cette

paix lugubre, cette accalmie'jalouse entretenue

autour de lui commeautour d'une morgue?Il se rappela était-ce un souvenir de la vie

ou du rêve les dernières minutes qu'il avait

passéesavec ses semblables.C'était, dans une bar-

quette sur l'étang du château, Kehimarck assis

vis-à-vis de William en train de ramer. Soudain,d'un geste résolu l'Anglais jetait les avirons et se

mettait debout. Sa belle figure d'ivoire antique,un peujsonvulséepar du dépit, de la menacedans

4

Page 63: Eekhoud Mes Communions

<? MËSeOMMWtONt.

ses yeux d'aigle, te béret renversé en arrière, en

manchesde chemise,sa culotte de velours fouilles

mortes bridant sur ses jambes sculpturales, les

genoux un peu ployés, 4es jarrets Qéohiscomme

dans tes mouvementsdu patineur. Acessecousses

)a barquette penchait a droite puis &gauche, et

te lit de Kehimarck répétait les oscillations de ta

barquette. Peroy chantait d'une voix rauque et

saccadée. Ses yeuxbrillaient, effrayants, presque

sinistres, et fouillaientavidement ceux de Kehl-

marck. Subitement'les infernalesprunelles s'étei-

gnaient avec le dernier son de la sarcastiquebar-

carotte. La barquette, plutôt le lit, s'abîmait sous

du froid et du glauque. Un ébtouissement, une

suffocation.Que s'était-it passé ensuite ? Que de-

venait Percy ?P

Combien de fois Kehlmarckavait-il fait ce rêve

et s'était-it réveillé en clamant le nom de son

naufrageur, quand, un jour, d insolites lamenta-

tions répondirent à son appelde détresse, des gé-missements sans CïTmontèrent commel'inonda-

tion et saturèrent de leur désespoir les étagesvoués au funèbre silence ? Des voix inconnues,des voix de femmes auxquelles se. mêlaient un,

'bourdonnement apitoyé, des exhortationsévangé-

tiques mais si timides, plus impuissantes encore

Page 64: Eekhoud Mes Communions

<a.tMAtËa!E M

que les ordres qui avaient tenté de dominer le

sabbat ~e l'autre jour. Soutes, Raohel et Niobé

pouvaient se lamenter ainsi L'une de ces femmes

ne s'était-ello pas écnée « William t Williama

avec une compassionintense pour celui que KeM-

marck venait de maudire.

Et après cette rafale de détresse, un silence

plus lugubre que jamais reprit possessiondu Bo-

denberg-ScMoss. A cette obsédante et presque

asphyxiante torpeur Kehïmarck eût préféré ce

chœur atroce des femmes mytérieuses, même la

voix trop lancinante de celle qui plaignait le cruel

Peroy.Kehlmarckentendit la porte de la chambre s'ou-

vrir doucement quelqu'un lui tâtait longuementle pouls et, penché sur son lit, ce visiteur l'inter-

rogeait avec sollicitude

Comment vous sentez-vous, mon petitami?

EHaré, Kehlmarck se redressa sur sa coucheet

reconnut le médecin de la pensionMaisje me sensvivre, docteur Ai-jedonc

été plus malade que les autres fois?

Ah, oui Nous avons craint surtout quevous ne devinssiezplus malade encore. Heureuse-

ment tout s'est bien terminé. Savez-vous que

Page 65: Eekhoud Mes Communions

Mt~<MMM?KMM<S

vous ôtes plus solide que. tous nous lé croyions

ici. Ah 1 vous serez bien surpris d'apprendre.

Mais, motus! Assez de parûtes <mjourd*hui.Dormez! Demain ~ous causerons plus long-

temps.

Henri de Kohlmarokaurait eu tant de questions&poser au docteur « Que devenaient les oama-

rades ? Pourquoi n'a-t-il vu personne? A-t-il rêvé

ce funèbresilencedeux foisinterrompu par d'inou-

bliables tempêtes? »

Eh bien, lui raconta le docteur le lende-

main, les élèves ont été renvoyés dans leurs

milles. L'institut est licenciédepuistrois semaines.

Cinq de vos condisciples sont dangereusementatteints du typhus Raymond Daniels, EmilioBo-

ratello, Fritz vonAchenbach, Valère Chrétien et

William Percy.William Maladedu typhusEt plus grièvement encore que les autres.

Leurs malheureuses mères ne quittent plus leur

chevet. Lady Evansdale, surtout, fait peine àvoir Ah vous avez de la chance La hideuse

maladie n'a pas voulu de vous et vous en avezété

quitte pour un simple refroidissement causé parle bain forcéque William vous fit prendre dans

J'etang.

Page 66: Eekhoud Mes Communions

CUMAIf&tUt: ?

Comment Ceplongeon,cottenoyade,l'aven-

ture de la barque C'est donc vrai

Et KeMmarokexulte William, son bourreau

William, l'invincible, le lutteur que nul ne par-venait à tomber, a enfin trouve sonmaître! ïmpos'sible de feindre de la pitié pour ce malade. Henri

réservera sa compassion pour les quatre autres.

Aussice William l'avait trop persécuté. Il n'ou-

bliera jamaisde quels yeux sataniques Poroy le

couvait sur l'étang de quel regard d'aigle, prêtà fondre sur sa proie, il tentaitde le fasciner.Non,

l'Anglais fût-il à l'agonie, qu'Henri ne parvien-drait à le plaindre, à lui pardonner

Vousne lui en voulez plus sans doute à ce

pauvre William ? poursuit le docteur. Savez-vous

non, vous ne savezpas qu'après vous avoir

plongé dans l'étang, c'est lui qui vous en a retiré

au moment où vous alliez périr. C'est lui quivous a transporté dans votre chambre,couchédans

votre lit, déshabillé, frictionné, réchauHé entre

ses bras, enfin rappelé a. la vie Vrai, il vous a

même fait revenir de loin Et durant votre éva-

nouissement, il se montrait si désole,si repentant,

que nouséprouvionsencore plus de pitiépour son

état que pour le -otre. Il a même fallul'entraîner

de force, car, atteint déjà par la fièvre, il s'obsti-

4'

Page 67: Eekhoud Mes Communions

M M~'WMMttNKMM

pait à demeurer auprès de vous et Hn'est sorti

de votre chambre que pour s'aliter à son tour.

Acette~élation, de KoMmarokfranchit

d'un essor figurant ï~abime séparant deux

mondea de sentiments opposés. La nouveNo de

la maladiede !'Angïa!st'àvaitsurpns, maisceHe'ci

le bouleverse Jusqu'au tréfonds de son être

WilMam,son mortel ennemi,l'a sauvé

William a témoigné du remords de son action

malicieuse. Lui, le hautain, le fanfaron, le bra-

vache qui se moquait de tout et n'aurait jamaisavoué son tort, s'est désoléet repenti au point dé

succomber lui-même. Soudain et pour jamaiss'efface l'image méchante do William Peroy,debout dans la barquette, telle qu'elle avaithanté

et obsédéle délire de Keblmarck. La douceur du

pardon lénifie l'âme vindicativedu jeune Anver-

sois et la sature d'uneimpérieusesympathie, d'une

presque cuisante tendresse, mais aussi d'une

inquiétude plus poignante que celle qu'engendrela jalousie. II se préoccupesans cessedes phasesde la maladie du jeune lord. Sa sollicitudeentière

se concentresur lui. C'est &peines'il s'informera

des autres.

Par un étrange capricede l'organisme humain

il se~trouY~quel'accident~uiavait îailli enlever

Page 68: Eekhoud Mes Communions

CMMATËME ?

KeMmarekdéterminala. crise salutaire, laréaction

si hh)gtempssouhaitée par les siens. Non seule.

ment une rapide convalescence lui rendit ses

forcesanciennes mais il se surprit à grandir, &se

carrer, &gagner des muscles, des pectoraux,de la

ohairetduaang.

Ironique et bizarre corrélation la métamor-

phose de Keblmarok coïncide avec le déolinet

l'imminente éclipse du plus victorieux adolescent

qui ait réjoui la communauté de Bodenberg-SoMoss!Le jour où Henry put descendre pour la

première fois, les typhoides se trouvaient dans

l'état le plus critique et on ne conservait plus le

moindre espoir de sauver William Percy.

Aussi,lorsqueKehlmarck s'assit à table avec lea

mères des malades, elles semblèrent lui en vou-

loir de sa guérison.

Depuis six mortelles semaines ces femmes,

venues de pays différents, rapprochées par une

mêmecatastrophe, solidaires dans une aiHiction

commune,martyres réunies dans la même prisonavant de recevoir le coup de grâce, trouvèrent

dans la communion du malheur le poignant et

douloureux langage des bouches convulsées, des

yeux humectés, des joues ravinées, du visagequise décomposeet du corps entier ployant sous la

Page 69: Eekhoud Mes Communions

MiMCOMMONtOMS6&

Croix. Elles ne se rencontraient môme&table que

pour se prodiguer de mutuels conBortset, après

avoir entamé à peine les collations légères queleur prescrivaittemédecin, ellesremontaient spec-

trales, à pas lents', s'arrêtant parfois aHn de se

soulager des pleurs qu'eUes devaient cacher à

leurs bien-aimés.

A la vue du jeune KeMmaro!~la physionomiede Lady Evansdale trahit une aversion atroce.

Elle le couva d'un regard encore plus férocequecelui que lui avait jeté son fils, le jour dela noyade

d'un regard chargé de malédictions et d'ana-

thèmes Ce Flamand n'est-il pas la cause de

l'agonie de William? De quel droit échappe-t-ilau sort de ses camarades? Si quelqu'un était

désignépour une mort prématurée,c'était bienlui.

Son aïeule mêmeavait dû s'habituer à l'idée de le

perdre. Et voilà qu'il ressuscite, qu'il commencera

seulement a vivre pour de bon Aujourd'hui, lui

seul, danscechâteau morne et déchu, atteste le re-

nouveau. Ecrasé par la réprobation de ces deuil-

lantes, comment Kehlmarckse ferait-ilpardonnersa présence presque imprécatoire, sa dissonante

santé

Il crut en avoir trouvé le moyen il demanda au

directeur l'autorisation derelayerLady Evansdale

Page 70: Eekhoud Mes Communions

CMMATËME M

au chevet de William, résolu à sauverson ancien

ennemiou&cpntraotûrtui-mêmelema! et amourir

avec lui. Maisle directeur n'eut garde d'étancher

cette soif d'immolation.L'aïeule de Kehlmarck

comptait sur te climat salubro et l'hygiènede Bo-

denberg'Schlosspourrattaoher& la vie, pourrégé.nérer l'unique descendant d'une raceillustre. Son

Henri idotâtrô était le seul enfant do ses enfants

morts. Et c'est au moment où le directeur venait

d'avertir l'aïeule angoisséedu miraculeux avatar

d'Henri, que le généreux enfant, dégoûté d9 cette

vigueur inopinée, haletait après une contagion

implacable. Tel un héritier dilapiderait, en un

vertige de compassion, les trésors d'un héritage

inespéré.Henri ne se rendit pas aux sages objec-tions de son maitre. Combien do fois, aimantéparun amour fanatique, n'essaya-t-it point de par-

venir jusqu'à lachambre de William, aussi rigou-

reusement isolée qu'un navire en quarantaine?9

La vigilance des gardes-malades, les admonesta-

tions du directeur, voire les lettres éplorées de

l'aïeule n'eussent point eu raison de sa folie

sublime. Pour le proscrire de la chambreinfectée,il fallut lui faire accroire que son apparition por-terait le coupdo grâceau patient.

Comment se déprendre de l'obsessiondu sacri-

Page 71: Eekhoud Mes Communions

~ME8TcOMM<H<t<M<8?

Bce KeMmarok tente de ao :replonger dans la

lecture. A présent, quand il lui arrive dereliyeses

poètes bavons,ce sont les héros, les belles ~mes,

les archanges et les paladins surnaturels qu'ilrevêt dola noblefiguredu jeune seigneur anglais.

Avecle don d'adolescence il est venu à Keht*

marck une candeur, uneingénuité dont son ~me

trop reQëohiojusque-là ignorait la tiédeur et

le velouté. Ainsi, une étrange nostalgie le reporte,

tui,!e contempteur des travaux physiques, vers

les jeux où William avait oxoeUé.Empli de sym'

pathie, il se suggère la grâce, l'agilité, la vigueurmembrue et l'adresse nerveuse du jeune Anglais.

Hse réjouit au souvenir des prouesseset destours

de force accomplispar William. On dirait que tel

est l'affluxaffectifdu malingre enfant d'autrefois

pour son ancien tortionnaire qu'il s'efforce de lui

ressembler, de lui faire honneur. Son âme, son

désir tendent uniquement vers le vainqueur mé-

connu.

Oui, ce lourd garçon boucher, ce grossier abat-

teur, comme il l'appelait autrefois, absorbe et

détient toute sa pensée. Aussi, personne dans

cette maison, pas même Lady Evansdale, ne pas-sera par des affres si cruelles en songeant à une

suprême séparation.

Page 72: Eekhoud Mes Communions

?CMWAT)6tm;

Dire que c*estte barbare et implacable Percy

qui l'a cherché au fond de l'eau, qui le pressacontre son cœur, éperdu de regrets, qui ranima

ce corps frigide contre sa chair pantelante. Ce

même Anglaisdédaigneux et hautain, rebelle aux

émotions, blasphémant toute souffrance, s'est

penché maternellement sur lui pour river sa

bouche sanguine et frémissante ases lèvres déjà

violettes, pour lui insuiïtor son baleine, pouraccorder et stimuler à sa respiration les batte-

ments de son cœur engourdi.Cette santé florissante, cette force inattendue,

cette sève juvénile, n'étatt-copas William qui la

lui avait transmise dans son baiser rédempteurEt peut-être avait-il exhalé son âme en voulant

conjurer la sienne et s'était-il tué en lui prodi-

guant la vie 1

Et à force d'évoquer ce William, de songerau

destin inique qui ravirait cette noble pousse hu-

maine aux harmonies de la création, Henri de

Kehlmarck s'éprend pour ce moribond d'une

piété pour ainsi dire expiatoire, d'une de ces ten-

dresses exaltées que les païens convertisportaientau Dieu qu'ils avaienthonni et Masphémô

Ah, se disait Kehlmarck, s'il revient parmi

nous, je me ferai son émule, il trouvera toujours

Page 73: Eekhoud Mes Communions

TO MNSCOMMONtMM

ORmoi leieal prêt à entreprendre avec lui lesplushardies équipées. Ce n'est plus moi qui bouderaiaux péripéties des gageures violentes. Avecquel-les déMceaJe m'évertuerais à ses côtés, m'atta-

chant à sa tbrtûne, me riant des croos-en-jambe,des bourrades et descoups de pied. Comme je le

seconderais, sonpartenaire fidèle dans tes assauts

courtois, son entraineur dans les concours gym-

niques, son second et mômeson rempïaoantdans

les contestationssanguinaires, lescarteïsa~aboxe,

au fleuret démouchetéet à la pointe de compas1

Je lutterais toujours, inséparablement, à ses

côtés il serait ma cause et mon salut ?

A ces perspectives, l'enthousiasmedilate sapoi-

trine, il se rengorge, ausculte de ses poings la

solidité de son coRre, se oale sur ses hanches,admire et caresse ses biceps, rejette fièrement la

tête en arriére, sourit dans la glace à sesprunelles

martiales, &ses joues enflamméespar une ardeur

héroique et, courant aux engins de gymnastique,il s'escrime de la massue, jongle avec des haltè-

res, s'enlève comme un funambule, dans l'essor

du trapèze! Ah, qu'il lui tarde de revoir la sai-

son des gageures hardies et des tournois impé-tueux 1

Maisla nature semblant atteinte, elle aussi, d'un

Page 74: Eekhoud Mes Communions

G 1">

CUMADÉtME Ttt

hiver incurable, tournait en dérision les mirages

do vaillance et de gestes leurrant la dévotion de

KoMmarok.Le givre continuait à aveugler les a

vitres, les brouillards houssaient de leurs funè"

bres tentures le château presque entièrement ]

abandonné, la neige confondait ta montagne, la 3

forêt et la plaine. Décidément il n'y avait plusd'avenir pour ce pauvre collège licencié. La vie te

quittait sans retour comme elle allait ronior Wil-

liam Percy qui avait été, lui, le foyer, le symbole,l'âme mêmede cotte patriarcale et salubre maison

brusquement convertie en un lazaret 1

Alors Henri s'en voulait de retourner a la vie.

Elle le bourrelait comme une usurpation. 11

éprouvait le besoin de la cacher aux yeux des

mères, surtout à oeux de Lady Evansdalo.Et

dans cette maison des agonisants il no trouvait

plus de recoin assez noir, assez funèbre, pour yenterrer cette santé disparate. Du moment que le

jeune Evansdale se mourait, à quoi bon lui sur-

vivre? Pourquoi l'éclosion d'une fleur isolée au

milieu des frimas Aube fallacieuseet dérisoire

I! s'épanouissait trop tard. Sans William l'exis-

tence serait superflue.

Oui, il en arriva même,dans l'affolement, dans

l'acuité de son adoration pour William~à maudire

5

Page 75: Eekhoud Mes Communions

~ESCOMMONtONS

laguérison des autres typhoïdes.A forcede soins,de sollicitudepresque surhumaine, leurs mères

étaient parvenues à les reconquérir sur l'anjreux

malquilesemportatt.

Aussi, réconciliéesavec la vie et le spectacledu

bonheur, lançaient-elles a Kelmarokdes regards

moinsjaloux et moinshostiles elles n'auraient

bientôtplus rien à lui envier pour leurs garçonsElles avaient peine à se contraindre et à épar-

gner a Lady Evansdale répanohoment do la féli-

cité que leur procurait le retour à la vie des êtres

lesplus chers Il leuren coûtait de devoir se ren- 1

fermer en sa présencedans un silence apitoyé et

des attitudes de commisération,alors que l'espé-rance bouillonnante remettait leur cœur en fête.

Leur félicitéchoquait au moins autant Henri que

Lady Evansdale. C'est à peine s'il répondait à

leurs avancesamicales; il prêtait une oreille dis-

traite et ennuyée aux nouvellesde plus en plusrassurantes de leurs enfants. En revanche, il

témoignait à la mère de William une déférence

quasi filiale et s'associait par un. poignant silence

et des regards pitoyables aux affres qui la consu-

maient. Cette sympathie n'avait pas encore dé-

sarmé la rancune de Lady Evansdale ou plutôt la

malheureuse femme se renfermait trop dans sa

Page 76: Eekhoud Mes Communions

CUMAT&ME ?

désolantepensée pour accorder la moindre atten-

tion à la physionomieet aux actionsd'autres êtres

que son enfant. Elle n~avaitmêmepoint remercié

KeMmarck lorsqu'il avait tant insisté pour veil-

ler William avecelle.

Aussi, quel ne fut pas le ravissement d'Henri,

lorsquele lendemain d'une terrible crisequidevait

infailliblement entrainer le dénouement attendu,une lueur qui ressemblait à un sourire illumina

les traits amaigris de Lady Evansdale et qu'elleattacha pour la première fois un regard bienveil-

lant sur Kehlmarck. Et commeil s'informait du

malade, elle lui apprit que contrairement à tout

diagnostic, la'nuit avait été bonne. Si la fièvre,

brusquement coupée, ne reparaissait plus avant

la fin du jour, William, aussi, pourrait échapperà la mort.

Acette perspective,l'émotion de Kehimarck fut

si forte qu'il éclata en sanglots et qu'il baigna de

ses larmes les mains que Lady Evansdale lui

abandonnait avec complaisance.Une félicité sans

bornes lui sature la poitrine. Il est plus heureux

que si on lui apprenait la résurrection de sa

mère

William vivrait

Lady Evansdale perd a son tour la physionomie

Page 77: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMONtONS

calvairienne de la madone sept fois percée au

cœur. Elle participe de la jubilation des autres

mères. Elle aussi a été'plus forte que le mal. Elle

aussi a donne une seconde fois le jouràsonbien-

aimé Le deuil, la contrainte disparaissent pourde bon. Les cœurs aimants s'épanchent en deper-

pétuelles actions de grâces.

Déjà les quatre autres jeunes gens ont quittéleur chambre de douleur. Le château presquemortuaire se reprend à sourire, à vibrer de jeuxet de chansons.

Les convalescents s'émerveillaient de la belle

mine d'Henri de Kehlmarck. On aurait dit qu'à

l'exemple de certaines fleurs il avait puisé sa force.

et sa sève dansun soldélétèreet contaminé.

Quelle émotion délicieuse encore pour Kehl-

marck en apprenant par Lady Evansdale queWil-

liam s'était longuement informé de lui, de son

ami Henri de Kehlmarck! Oui, il l'avait appeléson ami Et en entendant parler de la métamor-

phose du chétif et maigre collégiend'autrefois, il

s'était écrié plein de belle humeur « Ah s'il

devient fort commemoi, je tâcherai de devenir

savant comme lui. Nous nous complèterons l'un

l'autre! »

Plus tard, quand sur sa demande Lady Evans.

Page 78: Eekhoud Mes Communions

CMM*T)6)ME ?5

datelui lut quelquespages des poètes qu'il dédai-

gnait avecune incompréhension do rustaud,

des poètes anglais cependant!–les grands favo-

ris de Kehimarolt,William s'initia par sympathieaux beautés et au charme de ces poèmes et ne

tarda point a partager la ferveur deson ami.

Il semblait qu~enéchange dé la vie physique

qu'il avait transmise au noyé, Poroyeut cueilli sur

cette bouche de sagesse le premier ferment de la

vie intellectuelle, la première révélation d'une

existence et d'une mission autres que celles d'un

bel animal, glorieux desa chair et de ses muscles.

Quel événement quand l'Anglais sortit pour la

première fois de sa chambre et descendit appuyéau bras de Lady Evansdale

Averti de son approche, Henri le guettait, hale-

tant, le cœur plus révolutionné qu'un tambour de

bataille. Afind'éviter au convalescentune émotion

et une secousse trop fortes, les médecins et les =

maîtres avaient recommandé à ses camarades de

modérer leurs transports d'effusion et de contenir

l'excèsde la grande joie éprouvéeà le revoir sain

et sauf.

DoncKeMmarcks'eCbrçaitde maîtriserles élans

de son cœur, de mettre une sourdine à snn allé-

gresse frénétique.

Page 79: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMCM<H<8M

Le voilà! Unefigure appâte, une forme spec-

trale, l'ombre du glorieux William Percy s'enca-

dre dans l'embrasure de la porte. Al'autre bout

de la gràndasa~Ie, Henri, cruellement étreintdans

chaque fibre, se compose un visage aussi calme

que possible; il affecte d'être engagé dans une

conversation indifïérente avec les autres jeunes

gens. Il essaie de continuer son discours, les pa-roles s'arrêtent net dans sa gorge. Pourtant, il

s'impose de rester surplace, de river ses pieds au

sol, mais ses prunelles convulsivementdistendues

dardent vers les yeux noirs de Percy, agrandis

par la minceur du visage, des regards altérés de

tendresse infinie vers les yeux noirs de Percytellement diaboliques le jour de la noyade et

maintenant presque trop bons, trop caressants,

fidèlesà en devenir cruels, oui cruels à force de

magnétisme affectif, pour celui-là mêmedont ils

conjuraient le pardon, dont ils imploraient la sym-

patbie étemelle!1

Percy, négligeant l'appui de LadyEvansdale,ouvre les bras à Kehlmarck qui n'ose pas, ébloui

de bonheur, afïblé par un vertige de tendresse,

courir pour s'y précipiter. Mais comme William

s'avance en trébuchant et, présumant trop de ses

forces, chancelle sur le point de défaillir, Henri

Page 80: Eekhoud Mes Communions

CMMAT~E

n'a que le temps de se ruer vers lui pourle sou-

tenir, le presser contre sa poitrine, et il aspireà

ses lèvres comme la consécration de la vie queson

sauveur lui avait inhalée après l'avoir retiré de

l'eau.

Au dehors, un soutïte attiédi par le premiersoleil d'avril, écoule, aux joues blanches et rigi-

desde la neige, des larmesd'espérance, des larmes

de gratitude envers le printemps qui s'avance

victorieux pour reprendre possession de Bodon-

berg-Schloss.

Page 81: Eekhoud Mes Communions
Page 82: Eekhoud Mes Communions

LE COQROUGE

A Victor Gilsoul.

1

En un des affectifsvillages de ce pauvre paysde

Campine, un dimanche matin, et l'été.

Au milieu d'une placette occupée presque tout

entière par le champ des morts, s'élève la petite

égliseà la tour inachevée.Entre lesmaisonsbasses,

cabarets ou boutiques formant une ceinture au

cimetière, s'aperçoit, par échappées, la plaineimmense traversée de « drèves ». Deux ou trois

fermes, les seules de la contrée, encapuchonnéesde chaume moussud'où spiralela fumée de midi.

Autourde ces chaumines, des fossés irriguant la

lande et y ménageant des oasis de pacages et de

labours.

Page 83: Eekhoud Mes Communions

80 MESCOMMCKKHO

Dessentiers zigxaguontparmilestaillisde jeunes

chênes, et des sapinières festonnent l'horizon de

leur bordure sombre.' Rejoignant, tout là-bas, la

ligne munie de la tèrre, pesant lourdement, des-

potiquement sur ce sol aplani, c'est le ciel gris

chargé de lavasses, mais dans lequel le soleil

rédempteur déploie parfois de rouges apothéoses.En attendant la fin de la grand'messo, Jaak

Coropain, le marchand de complaintes, et la

Belette, la poitrinaire chanteuse, ont adossé à la

grille du cimetière leur tréteau et leur paravent

peinturluré (1).Maisaujourd'hui l'attention des villageois sera

réclaméepar un autre spectacle. Quel concurrent

de Jaak a donc dressé son échafaudage à l'autre

angle de la place, devant le porche même de

l'église ?S'agit-il de montreurs de chiens savants

ou d'autres faiseurs de tours ?

Non, tout à l'heure l'ingénieuse bienfaisance

communale mettra les indigents, enfants ou vieil-

lards, en adjudication et les livrera commedomes-

tiques à celui qui s'engage à les nourrir pour le

moinsd'argent.Envoici une douzaine de ces pauvres: quelques

(i)VoirlaBelettedanslesKermesses.

Page 84: Eekhoud Mes Communions

_p. i

)<EC<Mmo~tm 81

tout v~eux,presque des mvaUdes une femmeau

chef branlant, une jeune fille idiote et même un

garçonnet de dix ans.

Comme te Sauveur, celui-ci était né, au plusfort de l'hiver, dans une ëtable où son père, le

chaudronnier ambulant, et sa mère, la souSre-

douleur de cet ivrogne, avaient obtenu l'hospita.lité. La martyre mourait lorsquelomiochen'avait

que six ans, et le bourreau ne tardait pas a suc-

comber à une attaque de délirium tremens.

Aussitôt qu'il put se tenir sur ses jambes, l'or-

phelin, à charge de la commune, dut faire son

apprentissagede vacher.

Régulièrement, aprèsun an d'essai, lespa) .)ns,chezqui l'avait placé le bureau de bienfaisance,le

renvoyaientà la tutelle publique, déclarant qu'ilsne reprendraient plus ce polisson,mêmesi on leur

payait dix et vingt fois la pension convenue. Et

voilà comment, pour la sixième fois, le fils du

chaudronnier va devoir remonter sur le tréteau de

ces enchères dérisoires.

A la différence de ses compagnons de misère

accroupis au pied de l'échafaudage en des atti-

tudes affaisséeset pitoyables,en attendant que l'on

prononcede nouveau sur leur sort, Rik s'est assis

sur le rebordde la grille du cimetière et il siuloic

Page 85: Eekhoud Mes Communions

t.

82 M)!SCOMM)tJ!OOS8

en bayant à droite et a gauche aux pigeons qui

volettent sur la place Qu aux corneilles' virant

autour du clocher. Tout à l'heure, en fixant les

yeux vers un coindu cimetière, il s*estmisa sifîter

plus fort et personne n'a vu le brouillard qui pas-sait devant ses prunelles!

L'étrange, l'énigmatiquo enfant un maigriot

élancé et nerveux, aux mouvementsagilescomme

ceux d'un jeune chat, avec des yeux d'un bleu

sombre cillés de noir, de beaux yeux hardis et

scruteurs, pétillants domaliceeGrontéoouveloutés

et réfléchis, presque somnambuliques; la bouche

assez grande et charnue, au pli désenchanté,

contrastant avec la fraîcheur candide des lèvres,

le nez évasé aux narines faites pour humer les

vastes parfums de l'aventure, le teint légèrement

bistré, fouetté de rouge aux pommettes, des che'

veux bouclés et très noirs, crépus à outrance, quifaisaient le désespoirde sesmaîtres et qui, à peinetaillés et tondus, repoussaientcommel'herbe folle

pour cacher des oreillesun peu grandes et retom-

ber en frisonscapricieuxjusqu'aux sourcils sur un

front large et bombé.Sesderniers patronsl'avaient

affublé d'une manière Je sac d'emballage calom-

niant les proportions déjà heureuses de soncorpsde sain enfant et d'où émergeaient des bas de

Page 86: Eekhoud Mes Communions

:1> ,1; 1 > r

MiCOOÏMHJCK ~3

jambes et des bras grêles, mais formeset fuselés.

La messe est unie. Les ouailles sortent lente-

ment de l'église. Puis les habitants des écarts et

deshameaux isolés de la paroisse allongentle pas,

sans s'attarder, pourregagner leurs chaumesavant

midi. Los bigotes dénient, yeux baissés, devantla

haie desjeunes faraudscampésavec cranerie, l'air

émoustillé, passant la revue des jeunes filles. Et

après que ce sont éloignées les pataudes rieuses,les gars entrent au cabaret ou vont s'ébaudir en

écoutant les dernières complaintes do Jaak Core-

pain.

Toutefois, la plupart des trôleurs s'arrêtent

devant les tréteaux sur lesquelsseront adjugés les

pauvres. Dans l'attroupement des badauds, on re-

marque des bazines (1), fermières on grande toi-

lette, l'air important do ménagères se rendant au

marché et ruminant des emplettes précédées de

féroces marchandages. Mais c'est surtout un

remous de pyramidales casquettes do soie noire

flanquéeschacune d'une paire d'oreilles écarquil-

lées, roses et translucides commedos coquillages,une couchede visagespoupards et de tignasses

claires, un fouillis de kiels d'un indigo sombre

(i) Baes,&a;:ttM;maître,maîtresse;patron,patronne..

Page 87: Eekhoud Mes Communions

.« ~¡. 1

M MES COMMUIONS

s'harmonisant avec l'ardoise grisa du ciel, balon-

nant sur les dosronds, ~roe gaillards fessusculot-

tés de noir entre tes jambes écartées desquels se

fissent les miochesavides de se fauMorau pM-

miorrang.Voici !e garde champêtre et a son arrivée le

brouhahas' apaise, mêmela voixnasardeet fêléedo

la Belettes'est tuoal'autreangIodeIaptaoe.Atourde rôle, le garde fait monter sur les tréteaux les

pauvres diables qu'il s'agit de placer. Un loustic,ce garde! Estimant sans doute que l'opérationlamentable à laquelle il procède a besoin d'être

égayée le plus possible, il présentechacun de ces

parias en un bonimentburlesque et farcide scurri-

lités. Et les pitaudshoquetants se trémoussentaux

saillies du truculent champêtre.Nous avons preneur pour vingt francs.

Allons,personne nes'en chargerait pour moins?.

Ceci vous présente un soldat de Napoléon. Il

ne joue plus du fusilmaisdes aiguillesà tricoter.

Il sait peler les pommes de terre et cuire la mar-

mite auxvaches. Voyons,pourdix huitfrancs

Pour dix-sept! Pour seize. Au surplus, c'est

presque une femme cet ancien militaire. Que

dis-je, il vaut encore mieux qu'une femme, car il

est muet commeun poisson

Page 88: Eekhoud Mes Communions

m COQR9U6E S;

Le vieux brave, tout usé, incapable do rendre

encorele joindre service, s'eHbrce do sourira pourse concilier les chalands. Celui qui s'en empêtre

perdra certes au marché!1

C'est bien vu, vu et entendu, personne n'en

veut plus. adjugé.Le pauvre vieux a tout de même trouve un foyer

pour y traîner sa misérable guenille.Au suivant Un paupérien à peine plus valide.

Des grigous qui désirent engager un domestiqueà peu de frais, tournent autour do la piètre mar-

chandise humaine, ils palpent cette chair chré-

tienne comme s'il s'agissait d'un bœuf. Parvien-

dront-ils à faire rendre à ces ép~ es plus que ce

qu'ils seront forcés do débourser pour leur entre-

tien ? La sueur suprême de ces ilotes vaut-eUe la

peine d'être recueillie ?

La plupart des simples assistent sans remords à

cette traite, et ricaneurs, ils ne se doutent pas do

l'énormité do ce qui se passe la consciencesatis-

faite, ils sortent de Fégliseoù il leur a été si sou-

vent prêché de s'aimer les uns les autres

A ton tour, vaurien Et vivement

Et le garde hisse le petit Rik sur l'estrade en le

tirant un peu par l'oreille.

Quoiqu'il y ait plus de force dans les membres

Page 89: Eekhoud Mes Communions

MK8COMMONMX8)?

de ce petiot que dans toutes les carcassesréunies

des marmiteux qui viennent de dénier, Rik sera

d'un placementplus dM~oileencore.'<yost,comme

disent les porte-balles, une marchandise de mau*

vaisedébite. Legarde lui-mêmene s'en caohepaset <tfait l'article a sans enthousiasme.

Après tous les maîtres que Rik a dé~àservis,

celui qui se chargera de ce mauvais sujet se fera

largement rémunérer. Qui voudraitencore de ce

petit sauvage, fainéant et rôdeur incorrigible,tur-

bulent commeun fauve, dont le seul talent con-

siste à imiter le cri des animaux. L'indemnité quele bureau de bienfaisance alloue à ses gardiens

compenseà peine les amendes et les autres frais

que le polissonleur procure. Qu'attendre aussi de

bon de semblable graine de bohémien, enfantée

dans le vagabondage, l'ivrognerie et la maraude?

L'enfant a-t-il conscience de ce mauvais gré,maisil enchérit encoresur sonattitude impudente.Il se rengorge, provocant, et promène ses grands

yeux d'aiglon par-dessus les têtes badaudes et

béates levéesvers lui. Il tient les mains enfoncées

dans les poches. Et tandis que le gardechampêtrefait de lui un éloge négatif et mendie pour ainsi

dire la charité des assistants, Rik a des hausse-

ments d'épaules et des Qageolementsde jambes

Page 90: Eekhoud Mes Communions

!<ECooMuaE M

dédaigneux. Ah! ce serait à dégoûter les meil-

leures âmes de s'intéresser à lui. La' charité pu-

blique a tellement conscience des tares et des

vices de ce fiefféparesseux, qu'elleconsentirait a

payer te maximum, soit vingt florinsà quivoudra

bien l'en défaire. Et personne n'est appâté par ce

fort tarif, même lesplus cupideshésitent. Alors le

garnement, commepour narguer son triste destin

et faire la nique à sa bonne mère la société,pousseà trois reprises un formidablecocorico et chaque

fois, en se piétant sur ses orteils à la façon d'un

jeune coq se redressant sur ses ergots.

La galerie éclate de rire et le garde champêtre

allonge un maître soufnet à l'irrévérencieux galo-

pin. Rik le reçoit sansbroncher, sans mêmeporter

la main à la joue meurtrie.

Les paysans s'ébaudissent, s'affriolent en se

poussant du coude, un peu scandalisés au fond,

et songent de moins en moins à recueillir sous

leur toit une pareille graine d'insubordination.

Doncil y a grand danger que Rik reste pour

compteà la philanthropie publique.Est-ce le fait de la brutalité du garde, mais, ré-

voltée,bazineBoljans, la fermière des aSureaux»,a tiré son mari par le bras et lui dit « Si nous le

prenionschez nous, hein, notre homme L'enfant

Page 91: Eekhoud Mes Communions

? MESCOMMCNMN8

a l'air intelligent etnousayons précisémentbesoin

d'un vacher. »

Du diable Y songes-tu~proteste le fermier.

Ooh oui, baesBoIjans, prends-moi! inter-

vient d'une voix sourde et tendue, le petit, dont

l'oreille nnea surpris la parole de la bonne femme

et à qui revient son visage maternel « Jetravail-

lerai comme un cheval et vouspourrez me battre

pour user vosmauvaiseshumeurs. Quand votre

coq dormira, c'est moi qui reveillerai vosgens »

C'est dit. Emmenons-le insiste la charitable

fermière, d'un ton indiquant qu'elle aura le der-

nier mot. Avant que son épouxait n le temps de

protester elle fait signe au garde.Nous le prenonspour rien Arrive, petiot 1

Adjugé proclame le garde, mais je ne vous

dirai point Pro/M:~Peu fier de son emplette, en elïet, Boljans en-

trainc sa femme en bougonnant, sans accorder

un regard au petit paria qui, lui, n'a fait qu'unbond du haut dé l'estrade et qui suit ses nouveaux

maîtres avec des turbulences de chien lâché.

L'acte inconsidéré des Boijans est sévèrement

jugé par l'assistance. Des éclats de rire et des

lazzis, presque des huées, accompagnent leur re-

traite. Elle est pour le moins déplacée cette eom-

Page 92: Eekhoud Mes Communions

mCOQMOQE 8~

passion témoignée &un incorrigible vaurien, à un

incurable vagabond. Toute la journée on en glose

dans les cabarets. C'est l'événement de ce di-

manche « Décidément bazine Boijans est deve-

nue folle I!s éprouvent toujours le besoin de

se distinguer Ils ne savent rien faire comme

les autres ils possèdent sans doute trop d'ar-

gent, qu'ils introduisent pareille vermine dans la

place. Autant y lâcher une bande de mulots. »

La plus acharné à bêcher Boljans est précisé-ment son voisin, le gros Guidon, un hâbleur,

bouffi de vanité et d'arrogance, qui par son incurie

et ses sottises accélère le déclin de sa ferme des

« Cigognes Net qui assiste avec envie à la prospé-

rité croissante dos « Sureaux ».

II

Rik était-il réellement si mauvais que cela ou

son diable do caractère farouche et turbulent

l'emportait-il sur ses bonnes intentions les exi-

gences de son tempérament de sauvageon avaient-~elles raison de sa reconnaissance ? Mais il justifiales pronostics les plus désobligeants des villa-

geois, au point que la digne bazine Boljans re-

Page 93: Eekhoud Mes Communions

? NESCOMMOttt&NS

grettait souvent elle-mêmed'avoir cédé à un mou-vement de pitté.

Tu le voisbien disait le baes. Quellebéné-

diction 1

N'importe. Patientons encore faisait la ba-

zine.

Et ils poussaientcette patiencejusqu'à repren-

dre le petit lutin à la fin de l'année.

Ce n'était pourtant pas faute de correctionsquece rejeton do traine-Ies-routes demeurait difîé-

rent des autres gamins du village. Sans cesseles

gifles lui pleuvaient sur la caboche, et les coupsde piedsau bas du dos. A tort ou &raison, tout le

monde venait se plaindre de lui à Boljans, et à

chaquedénonciationil essuyaitune souffletadeou

une fessée.

Clic, clac C'était le curé à qui on avait volé

des pommes et on ne pouvait être évidemment

que ce damné bohémien, car aussi gourmands et

picoreurs que fussent tous les autres enfants de la

paroisse, aucun n'aurait osé escalader le mur du

presbytère et commettreun vol presquesacrilège.

Clic, clac De la part du bourgmestre dont

l'espiègle avait pourchassé les'poules jusqu'à les

faire sauter dans la mare, où l'une d'elles s'était

noyée!1

Page 94: Eekhoud Mes Communions

UBCOQMUGE M

Clic, clac Parce qu'au lieu de surveiller les

vaches, Rik les laisse constamments'échapper et

paitre sur les prés de Guidon. Et chaque mise en

contravention vaut une amende à Boijans et une

raclée à son vacher.

Aveccela, sale et négligé, fait comme un ma-

landrin, ou mieux, commela poussièredes routes

qu'avaient battues ses parents. Plus souventvau-

tré par terre et dans rherbe que planté sur ses

jambes. La bazine passe son temps à rapiécer ses

nippeset il aurait l'air de porter l'habit d'Arlequinsi bientôt toutes ces piècesde couleur et d'étoHes

diverses ne s'enduisaient d'une uniforme patinede glèbe et de fauve.

Une chose indispose surtout le village contre

lui c~estune sorte de fierté assurément déplacéechez un être si chétif et d'extraction si louche. Il

restera souvent des jours sans adresser la'paroleou mêmesans répondre à qui que ce soit. A ces

accès de mutisme succèdent des crises de turbu-

lence et de joie désordonnée. S'il éclatera d'un

rire sauvage et intempestif en entendant raconter

des histoirestristes, en revanche il opposera une

physionomiepresque aHligéeà celui qui préten-

dait narrer des farces. L'heur ou le malheur d'au-

trui ne le touchait en rien.

Page 95: Eekhoud Mes Communions

? MES COMMUIONS

Aux veillées i1ne trémie point en entendant la

légende idu « Berger incendiaire a ou des~his-

toires de)bataiHes. Au contraire, plus le conte est

sombre et tragique, plus t'aventure est sanglante

et belliqueuse, plus Rik respire allègrement et ses

yeux brillent alors d'un éclat intrépide qui le fait

ressembler aux héros ou même aux miséraMes

qu'il envie.

Puis il est têtu à désespérer les pierres. Cou-

pable, il n'avouera jamais sa faute; innocent, il

dédaigne de protester et il se laissera battre comme

un dizeau de blé par son baes, sans répandre la

moindre larme, sans accuser trace d'émotion. Mais

si un autre que Boljans s'avise de porter la main

sur lui, il regimbe comme un jeune loup, à coupde patte, de griffe ou de dent, son adversaire fût-

il bien plus fort que lui et, lorsqu'il a le dessous,

il se laissera écharper plutôt que de se rendre ou

de crier merci.Entre tous ses ennemis, il n'en comptait pas de

plus inconciliable que le brutàl Guidon. Le va-

cher des Boljans étendait même sa haine à la fille

uniqae de Guidon, la petite Annette, une douce

blondine, inoffensive et timide, ayant à souffrir

dos mauvaiseshumeurs et de l'intempérance pa-ternelles. Lorsque Rik rencontrait la petiote aux

Page 96: Eekhoud Mes Communions

M COQ BOCC)E ?

champs, il lui barrait le passage, lui faisait d'ef-

frayantes grimaces et ne la laissait passer qu'après

l'avoir taquinée de cent manières. Une fois qu'elle

revenait de traire les vaches, Hrenversa ses jarres

de lait; une autre fois il la jeta dans un fossé

d'où il la retirait ensuite couverte do boue jusqu'àla ceinture.

« Ah c'est donc vrai que vous êtes si vilain

et si méchant que tous le disent a Et il y avait

dans ce reproche de la blondine, s'interrompantde pleurer et de sangloter, comme une nuance de

regret et de déception qui troubla le tourmenteur.

Toutefois, il lui tourna le dos et s'éloigna en sif-

flant à la façon des merles.

A mesure que Rik grandissait,le maitre des

« Sureaux a avait tenté de l'initier aux diverses

besognes d'un bon valet de ferme. Mais à toutes

ces œuvres, le bizarre gamin apportait la même

maladresse ou la même négligence. Il va courir

sa quinzième année et, lorsqu'il guide la charrue,

il trace des sillons aussi capricieux ~quela marche

du fermier des « Cigognes » après les libations

dominicales.

Au moins ferait-il un passable batteur en grange?

Après un essai, Boijans la renvoya ses vaches

en jouant du fléau il perdait la mesure ou tapait à

Page 97: Eekhoud Mes Communions

M6NeOMH<t!«<M<aM

faux, contrariant, plutôt qu'il n'aidait le. ma-ncauwe attotô avcolui &cette bosogne.

Ce fut bien pis, i'é~é,quand son baos l'essayacomme Bfoissonneuf. Partout ou avait passé !e

piquot de Rik, l'éteule avait près d'un pied de

long « C'est une honte Une voritaMohonte M

ne cessent do lui répéter ses bienfaiteurs.

III

Ils étaient môme sur le point do renoncer à ses

services, lorsqu'un événement le leur rendit

presque cher. Pour se rendre a une pièce de terre

assez éloignée dos « Sureaux », Boljans s'avisa

de monter un étalon qui n'était plus sorti do l'écu-

rie depuis quinzejours. A peine au dehors, la bête

s'eHrayaet fit un si brusque écart que Boljans fut

jeté hors de la selle.Avantqu'il eût eu le temps de

raccourcir les rênes et de retrouver l'équilibre, le

cheval s'emporta si bien que le cavalier, un pied

engagé dans l'étrier, la tête en bas, restait sus-

pendu, ballottant comme un sac de farine, aux

flancs de sa monture. A tout instant il allait s'ou-

vrir le crâne sur le pavéou se le faire écrabouiller

par un coup de sabot. Le cheval lancé a fond de

train et l'homme en détresse passèrent, sur la

Page 98: Eekhoud Mes Communions

tECaO!MUQR ?

route, devant la prairie ou Rik polissonnait on

gardant tes vaches. Il entendit les clameurs do !a

bazine Boijans et des gens de la forme courant,

éperdus, à la chassede l'animal.

Arrêtez Arrêtez criaient-ils aux paysans

qui arrivaient en sens inverse. Mais du plus loin

que ceux'oi voyaient approcher cette trombe vi-

vante, soulevant un tourbillon do poussière et

arrachant des éclairs au pave, pris de panique ils

se hâtaient de se jeter sur les accotementset de se

garer derrière les arbres.

Aussitôt qu'il eut avisé !o cheval et reconnu

son baes, Rik n'hésita pas un instant à enjamberte Cosseet à se planter résolument au travers do la

route pour disputer !e passage à la bête otïrétôe.

Au moment où, écumanto, les naseaux frémis-

sants, elle fondait sur lui, il ne se détourna quetout juste assez pour se jeter a sa tête. Saisissant

les rênes d'une main, se cramponnant de l'autre

à la crinière, il se roidissait, pesait de toute sa

masse, et ses pieds nus touchant le sol, les ortoils

raclaient le pavé'et s'efforçaient de s'y incruster

comme les dents d'un frein.

Le cheval enleva encore ses deux maitres sur

un parcours de quelques portées d'arbalète, puissa course échevelée se ralentit et bientôt il ne fit

g

Page 99: Eekhoud Mes Communions

MMCOMMUIONSM

plus que les traîner, Les autres valets arriveront

alors &la rescoussedo Kik et achevèrent de maî-

triser la fougueusemonture, Métait temps, lors-

qu'on dégagea.BoIJaMS,il avait !o front ëcorehéot

plusieurs contusions au erano houtrousomontle

cuir soûl était entamé. Hik était peut-être plusmal arran~ encore ses pauvrespieds, si calleux

et si durillonnuaeopondaut,à t'éprouvedos ronces

et des cailloux du chemin, avaient été mis en

lambeaux et no représentaient que des moignons

sanglants.Cetteprouesseconquit au petit vacher l'estime

et !e respect do beaucoup do villageois, mais ne

suiïit pas a lui rallier leurs sympathies. Son cou-

rage, qui tes humiliait, fut taxé de témérité parles poltrons et les envieux. S'il avait risqué sa

vie, ce n'était point par amour pour son bacs,

c'était parce qu'il n'attachait Mcun prix à l'exis-

tence, un présent de Dieu, dont la créature hu<

maine ne saurait être assez parcimonieuseet ja<louse En somme, il avait agi en désespéréet son

prétendu héroïsme ne passa bientôt plus que pourune tentative de suicide.

11ne tarda pas à donner une preuve plus criti-

quable encore de ce courage mal placé. Revenant

de la ville par une nuit de gel, un colporteur

Page 100: Eekhoud Mes Communions

M

t*t ~w~.t .'t~t~ ~w~tA~raconta qu'il lui était apparu un étrange fantôme

assis &son rouet et en tt aindu n!er paisiMomentsa quchouiUoau milieu do ta bruyère neigeuse.

Lo colporteur avait pris ses jambei-!à son cou et

roga~M~son logis en invoqMantïo bon d!eu, !a

viorgoet tous tes sa!nt8duparadts. QM~tquesgaM,do oeux qui passaieMtpow avoir du poHan mon-

ton, se posteront, ~trottomont s~Mp~s, p!Ms!em~soirs do suite, en un endroit d'où tes regards pou-vaiont ombrasser la vaste plaino nue, mais ils

eurent beau s'y morfondre depuis dix heures jus-

qu'à minuit, aucun fantôme no daigna se montrer.Ils accusaient déjà ïe colporteur do s'être amusôa

leurs dépens ou d'avoir été encore plus ivre quo

d'habitude, torsquo !osamedi suivant, s'étant ren-

dus une dernière fois & FatTût du fantôme, ils

aperçurent, on effet, une titeuso installée au

milieu de la campagne déserte. Aussipeureuxquele colporteur, toute la bande s'empressa de tour-

ner les talons et de détaler au plus vite. L'aven-

ture ayant été rapportée à Rik, selon son habitude

il se moqua impitoyablementdes poltrons et s'en-

gagea même à accoster le tantômes'iïs pouvaientréellement le lui montrer. En conséquence, le

samedi d'après, vers onzeheures, la petite troupe,renforcée du

vacher d~s.~ Sureaux», se rendit de

Page 101: Eekhoud Mes Communions

? MRSCOMMfKKMMt

nouveau à l'extrémité do la paroisse. Comme ils

détournaient la dernier chaume du village et dô'

bouchaient devant la plaine, au dernier coup do

onzoheures Regarde, regarde, le vo!t& les

doMtsetaqua~nt, tous tes bras tendus vers ~e~

mémo point. ?? distingua, en oliot, uno pttla

jaune MMooccupée & Mer sa toHc aussi blanche

que la neige qui l'entourait, ou que la clarté de la

lune qui môtait ses rayons aux fils de lin, si bien

quo la diaphane apparition semblait tisser une

toitodo neige avco les fils d'argent des ash'eanoc*

turnos.

Rik n'avait pastMmbMou reouté un instant. Il

se dégagea de l'étreinte de ses compagnons quivoulaiontle retenir et sans même prendre la pré-caution do se signer, il marcha droit vers le fan-

tôme. Les autres n'attendircnt pas même qu'ill'eût rejoint pour fuir éperdus et rentrer au vil-

lage, certains que cette apparente fileuse de neigese trouverait être une rouge diablesse, une soeur

du Berger incendiaire, qui l'envelopperait dans

un suaire de feu.

A la profonde surprise de Rik, à mesure qu'il

approchait, les regards franchement braqués surle spectre, il lui trouvait des traits de ressem-

blance avec une jeune mortelle du village.Il finit

Page 102: Eekhoud Mes Communions

COQnOMHR ?

n~mo par Do plus douter la mysteriuso illeuso

n'était autre que la petite Annette, sa voisine,MM

souffre-douleur. Aussitôt qu'il l'eut reconnue il

pressa le pas « Vous, Annotte, que Mtes-~ous

done ici ?En voilà uno idée. ?

Ri!t, r~pondit-eUo,ptus ëmuo ot plus t!<!con'

tc~anc~oquotui-mômo,si vousavcx vraiment un

pou do ocourno tne trahii-i~oxpoint. Vous s&m'ox

toute la vérité. Chaque samedi je me ronds à la

voiHooavec les autres filles du viUago, tantôt

dans une ferme, tantôt dans l'autre, et, comme

mon père gronde et me maltraite lorsqueje n'ai

point tisse une certaine longueur de toile, jen'oso rentrer avant d'avoir complète ma tache.

Lebarbare grommela Rik entre ses dents.

Maismalheureuse, c'est foliodo votre part, vous

mourrez do froid,il Rôleà faire grelotter lesmorts

dans leurs tombes.

C'était la première fois qu'il lui échappait un

mot do compassionet Annette en fut plus étonnuo

que do le voir.

Vousno direz rien à personne, pas mômeà

vos bacs, insista la jeune fille, car mon père me

battrait

Je vouslejure, Annette, maisnepuis-jo rien

faire pour vous?

Page 103: Eekhoud Mes Communions

MM COMMUmOKSMO

Rien. Rien! Votre «ileneosufOra!

Et Riképrouva commeun<yvaguejoiequ'il y eût

un Reorotentre eux. Un ~osoin de protectionche-

valeresque a'cmpara a~ssi de lui. L'ayant aidée à

rassembler son attirail, il novoulut jamaisqu'elle

se ohargeat du rouet.

Cheminant sans mot dire a ses côtés, dans la

nuitetherée, malgré le froidil s'approchaita regret

du logis. Il l'accompagna jusqu'au seuil des

« Cigognes? où, avant do la quitter, il lui pressa

la main, avec un rauquo bonsoir.

Le lendemain Rik raconta aux villageois scan-

dalisés par soncourage impie et tout surpris de le

voir encore vivant, qu'à son approche la fileuse

s'était dissipée et fondue avec un bruit de vapeurd'eau bouillante. Cefut là sonpremier mensonge.

Depuis ce moment Rik traita sa blonde voisine

avec une certaine camaraderie timide et respec-

tuèuse, et cessa complètement de la taquiner. Il

perdit beaucoup do sa turbulence. Commeil pre-nait un certain soin de sa personne, qu'il liait

plus intimement connaissance avec l'eau et le

savon, s'initiait à l'utilité du démêloir, se donnait

la peine de brosser ses culottes et d'entretenir

l'empois et la propreté de sesblouses,leshonnêtes

~ensie considérèrent aïee~lus d'attention et les

Page 104: Eekhoud Mes Communions

t.R COOMMUE <0i

Rouans, les tout premiers, admirent que ce bru'

net musclé et charnu, aux yeux peut-être trop

grands et trop 'noirs, aux grosses lèvres et aux

cheveux bouclés, ne représentait par un gars tropmal découpa.

Malheureusementla besognen'allait pas mieux.Au contraire Le goutte !a r&veriel'emporte sur

son humeurvagabonde. Au milieu de son travail,

Hs'arrête court et appuyé sur te mancheron de

son araire ou la paume de sa bêche, H s'abîme

dans la contemplation du paysage; caressant de

ses regards veloutésdos arbres qu'il voit pourtanttous les jours et s'attendrissant au ramage d'oi'

seaux dont le chant estpourtant toujours le môme.

Le dimanche do la kermesseil donna suite aun

projet qu'il caressait depuis longtempset dont il

ne s'ouvrit à personne. Après la soupe de midi, il

se fit le plus brave qu'il pût, mit sa belle culottede

drap noir, un Met (1)flambantneuf, piqué desoie

bleue à l'encolure et aux poignets, une haute cas-

quette de moire, et !e gourdin à la main il s'en.

gagea dans l'enclos des « Cigognes», décidé a

obtenir d'Annette qu'elle l'accompagnât le soir à

la danse.

~(t)~e~Mousc.sarrc&u.

Page 105: Eekhoud Mes Communions

ME9(~MMtttW<<?

Ouidon, attire par les aboiements du chien,

intima, du souii dela porte, a l'intrus l'ordre de

rebrousser chemin, t

Qui t'appoHo ici, maudit bdtard. Veux-tu

bion t'en allor et vite.

Rik continua bravement, décidé à passer une

foispour toutes sur la mauvaise humour du père

d'Annotto et même à se le concilier.

Aa'tu comprisou je tâche mon chien

Et comme Rik marchait toujours, le sourire

aux lèvres, le fermier détachaen effet le molosse

qui tirait furieusement sur sa chaine. Aussitôt la

bête se rua sur Rik avec une telle impétuosité

qu'elle lui fendit la culotte, depuis le genou jus.

qu'a la cheville.

L'attaque avait été si brusque que Rik n'avait

pu se mettre sur la défensive mais comme le

dogue allait le mordre de nouveau, il lui assena

un terrible; coupde gourdin qui ~'envoyarouler,

aux trois quarts assommé, à quelques mètres

de là.

Le fermier des « Cigognes a, qui avait ingur-

gité force alcool après la messe, se porta, le cou-

teau à ta main,au secoursde sondogue: «Attends~

misérable, je vais te crever à ton tour w Rik

l'attendait impassible, un peu plus pâle, les yeux

Page 106: Eekhoud Mes Communions

M COQMKME ioa

dardés dans les siens. An plus fort des aboietnents

ot des invectives, Annette s'était montrée sur le

seuil do la forme et elle tordait vers Rik des bras

suppliants. A sa vue le jeuno homme résolut de

ménagor t'hrogno. Je me contenterai doparerlos coups se dit-il.

Cependant d'autres personnes avaient étoappc.Mespar le tapage, entre autres le fer<nierBoljans,et au moment où Guidon s'etancait, ïo couteau

levé, sur Rik, il empoigna le forcené et réussit à

le désarmer non sans so blesser lui'mome. Doux

ou trois autres témoins de cette scène s'étaient

jetés de leur côté sur Rik et, parvenus a lui arra-

cher le bâton avec lequel il décrivait do terribles

moulinets, ils s'échignaiont a le ramoner au logis.Mais à présent la fureur avait pris possession do

t'ame du garçon et oubliant Annette, pour no

ressentir que l'insulte et l'agression dont il venait

d'être victime, il se débattait pour courir sus à

son ennemi et ne cessait de.crier en se tournant

vers lui &Ah Guidon, prends garde Je ferai

chanter le coq rouge sur ton toit »

Boljansl'ayant rejointaux «Sureaux N,le trouva

pleurant de rage, la poitrine pantelante, farouche

commeun désespéréqui rumine un mauvaiscaup.« Ecoute, mon garçon, lui dit-il, c'en est trop,

Page 107: Eekhoud Mes Communions

MMCONMOStONaiM

nous no pouvons continuer a vivre ainsi. Non

seulement tu no me ronds aucun service, mais tu

mevaux quantité de tracas. Par ta faute me voilà

devenu l'ennemi du'voisin, avec lequel nous no

nous entendions dé)a que trop mal. Autrefois,tu m'as sauvéla vie; sansmoi il te saignait comme

un porc.A présent nous sommes quittes 1 M

Le pauvre Rik ne répond rien. Décidément il

n'aura jamais la moindre chance 1Il sera tou-

jours haïssableet maudit H coule un regarddou-

loureux vers la bazino, espérant qu'elle inter-

viendra selon sa coutume. Mais cette fois elle no

dit mot, elle se détourne même.

Alorsil monte rassembler ses nippes et quitteta ferme sans un adieu, sans dire où il va, sans

regarder derrière lui.

Cependant, les Boljans se sont couchés. Géné-

ralement la conscience à l'aise, ils s'endorment

tout de suitte,mais ce soir ils demeurent éveiUés,à se retourner sur leur couche, plus inquietsqu'ilsne se l'avouent l'un à l'autre dusort deleur valet;

éprouvant presque du remords et n'osant parlerde lui de peur de s'accabler de mutuels repro-ches.

Depuislongtemps les dernières orgues se sont

tues, lesdanses ont cessé et les amantsoncétouSë

Page 108: Eekhoud Mes Communions

~ECOCMM!6E !?

leurs chuchotements et leurs baisers au seuil des

portes séparatrices.CommelesBoljansviennent de recouvrer enfin

le calme et l'oubli du sommeil, tout à coup une

clameur et une lumière les réveillent.

Cen'est pas encore le chant du coq, ce n'est pasnon plus la clarté rose do l'aube.

0 ciel! c'est un autre coq qui charte. Celui-ci

a la voix du tocsin et le plumage de l'incendie, et

ce plumage est si rouge qu'il colore de ses reflets

jusqu'aux parois de la soupente où dorment les

Boljans et qu'il a traversé leurs paupières Ociel

c'est la formedos « CigognesNqui flambe.

Boljanset sa femme à peine vêtus, lui, de ses

chausses, eUe,d'un jupon de dessous, se préoipi-tent au dehors. Pauvre Guidon, et surtout pau-

vre Annette! Qui les sauvera? Qui bravera les

atteintes de ces flammesdéjà maîtresses de tout

le bâtiment. Pour sûr le feu a pris de tous les

côtés àîafbis.

Maistandis que les uns se taisent, immobiles,

glacésd'horreur,' que d'autres crient et se démè-

nent, quelqu'un s'est résolument lancé dans la

fournaise. Son action a été si prompte que les

assistants n'ont pas même eu letemps de le recon-

naître. Quelques secondes. Le voilà, portant

Page 109: Eekhoud Mes Communions

<? MESCOMMCMQKa

dans ses brasAnnette évanouie. Maisc'est lu!! Qui

donc? Rik le vaurien Le vacher des Boijans1

Hourrah!ViveRik: 4Écartant la foule Hdéposela jeune fille sur une

botte de paille et indifférent auxcris do jubilation

qui l'exaltent et qui puMient son héroïsme, il

guette le retour à la vie do celle qu'il croyait haïr

et qu'il aime.

Mortellement angoissé, il épie un mouvement

dospaupières et dos lèvres, l'oreille appliquéecontre la poitrine de la jeune fille, il cherche à

surprendre les battements de son cœur. Maisvoilà

que tout à coup, aussjtrapidement que les souffles

du ciel, le courant d<tsentiment publica tourné

les noëls se transforment en haros, les acclama-

tions en huéesI

Oui, c'est lui C'est lui A mort l'assassin

L'incendiaire! Le lâche!1 Tue! Tue! Haro!

HawotM'~7Car les villageois se sont rappelés la querelle

sanglante du garnement avec le père d'Annette,et la sinistre menace qu'il proféra à plusieurs

reprises « Je foraichanter le coqrouge sur ton

toit! a

Et c'est qu'il a tenu sa diabolique parole.Le coq a chanté. Il chante même encore!

Page 110: Eekhoud Mes Communions

LE COQ ROUGE i<H

Secouant sa crête flamboyante, fantastiquement

dentelée, le voyez-vous courir et bondir, étoiler

de sesergots de foula ferme, la grange et rétable!

Il chante, le coqrouge il triompheC'est ce maudit vagabond qui l'a tache. Ah, il

chante son hymne atroce do misère et de mort,

de sang et do famine, le coqdévorateur échappédes basses-coursde l'enfer 1Ila chanté le trépasdu fermier et de ses domestiques, embrasés et

étoufféssous ses ailes de feuet soncocoriconéfaste

a empêché qu'on entendit leurs cris do déses-

poir.Et personne pour imposer silence au monstre.

Il ne se taira que lorsqu'il aura éparpillé on pail-lettes d'or, on fuméeet on cendreles derniers ves-

tiges de la ferme de Guidon.

Maisaumoins pourra-t-on tirer vengeance du

suppôt d'enfer qui lui a donné la volée

A mort! A mort! Arrêtez.le1

Rik n'entend toujours pas. Tout entierà scruter

le retour à la vie de la bien-aimée.

Déjà des forcenés le bousculent, dos poignos

l'agrippent rageusement pour le massacrer.Il ne

sent pas plus qu'il n'écoute. Et il n'aurait pasencore entendu ce concertdb malédictions si elle

n'avait enfin ouvert les yeux. Et c'est le regard

77

Page 111: Eekhoud Mes Communions

<? M~COMMeNtOt<8

d'Annettequi lui fait comprendrece que hurle et

vomit autour do lui la foule ivre do représailles.Annettoa entendu avant lui et elle a cru aus-

sitôt la voixpuNique.I.Rik lit l'horreur et FanathÔmod~ns ses yeux

d'orpheline, et ces mains fraternelles, cesmains

providentielles, ces mains de salut qui viennent

de la disputer aux mortelles carossosde rincondio,

et qui la palpaient comme un trésor précieux et

suprême, Mohontprise et la laissent retomber, de

nouveau inanimée, sur !a litière.

Annetto l'a jugé avec les autres! 1Ilne songe

point à tenter une justification, une résistance; à

opposer ne fût-ce qu'un mot ou un geste à ce

populaire prêt à Fécharper.H passe pour infûme. Soit Du momentqu'elle

doute do lui, il n'est plus ce qu'il voulait être, ce

qu'il est. Il devient tel qu'elle le juge. Puisqu'ildésirait être, ne compter qu'à ses yeux.

Le garde champêtre et lesgendarmes ont tra-

verse la cohue. A la première sommation lui*

même tend les mains à leurs entraves, après s'être

détourné pour ne jamais, ne jamaieplus la revoir.

Presque radieux, s'enorgueillissant de la haine

qui l'entoure, il se laisse emmener; fier surtout

d'être seul à savoirla vérité.'

Page 112: Eekhoud Mes Communions

M COQRMME i09

Son procès fut rapidement mené. Devant ta jus.

tiee, il se renferma dans une attitude taciturne et

quasi dédaigneuse. Commeil refusa de choisirun

défenseur, on le pourvut d'un avocat d'ouïco. y

eut grandeafRuenco de villageois un intormi-

nable dénié de témoins, tous &charge, au nombre

desquels fIguraitAnnotte, la MllodeGuidon Elle

no chercha point à accabler ïo prévenu, mais elle

dit simplement non sans do fréquentes crises

do larmes au souvenir de son père ce qu'oUo

croyait être la vérité. Tout le temps qu'elle parlaRik ne lui accorda pas le moindre regard, et les

yeux obstinément fixés sur les juges, sans un

trouble. sans un tressaillement, il répondit d'une

voix fermepar un «oui » ou par un « non » aux

questions que lui posait le président. Et lorsque,tirant fatalement de cet interrogatoire de la vic-

time, une conclusion écrasante contre Rik, le

président se répandit en reproches et en objurga-tions grandiloquentes, insistant sur l'odieux de ce

crime exécrable, sur cette infernale duplicité

pousséepar l'assassin jusqu'à vouloir se fairepas-ser pour le sauveur d'une malheureuse dont il

IV

Page 113: Eekhoud Mes Communions

tt0 ME9COMMONtON8

venait d'assassiner le père, lorsque la saMoenné-

vrée paréo mouvement oratoire faisait entendre

un sinistre grondement,l'ineendiairo ne sedépar*tit point de son Hegme cynt~ne; mais les bras

croisée la tôtorojetée en arriôfe, un indiciblesou-

rira tiraillait par momentssa tèvre adetosoenteet

ses grands yeuxnoirs restaient fermes et secs.

Entre les autres témoins ce fut un assaut do

racontars, une tiste de préventions, un grossisse.

ment de toutes ses frasques et escapades, de ses

pauvres petits tareins d'enfant.

Les femmes, comme toujours, se distinguèrentdans cet ignoble remousde médisanceset de déla-

tions, toutes tenant a jouer un rôle, avides de se

donner de l'importance, d'avoir vu et su des cho.

ses ignorées des autres commères.

Seulle couple Boljans disputa le malheureux à

l'opinion publique unanimement aoltarnée contre

lui le baes raconta comment le prétendu sans-

cœur lui avait sauvé la vie, et la femme retrouva

quelques traits fugitifs attestant le caractère droit

et foncièrementprobe de son petit domestique.L'accusé ne montra pas plus de trouble aces

témoignages sympathiquesqu'auxvileniesjappées

par une meuted'ennemis résolus a le perdre.

J3ès la première audienceles journaux s'accor-_T_

Page 114: Eekhoud Mes Communions

tECQQaouaK Ut

dèrent à lui trouve? la ngura dos criminots-nés et

lui découvrironttous !eaatigmateaénumérés dans

las truit~sda l~uanbraa~.L`~tcaalisn~~da ~a~pc~ra!oa traités do Lombroso. L~aootismedesonporocontribua aussi &te rendre odieux. 8a noble et

orig!nft!e n~upefat dëola~o Mpouasante Los

~uHtes Miustr~css'ingénièrent à travestir on une

oarieature sinistre sa tôto d'archange reboiïe. Son

attitude impasaiMo,son hautain silence lui alié-

nèrent les cœurs les plus portas &la pitié.Dans son réquisitoire ïo ministère puNio eut

beau jeu, le prévenu lui faisait la partie par

trop belle. L'avocat futexéorabtc.

L'assistance exaspérée aurait presque réetamé

le rétaMiasement do la peine de mort par repré-sailles contre cet incendiaire rusé et « maehiavé-

!ique comme avait vaticiné le substitut du

procureur royal.On ne s'expliqua même pas la clémenco des

juges qui le verdict, aMrmatif sur tous les

points, rendu par le jury firent bénéficier le

scélérat de cette circonstance qu'il n'avait que

dix-sept ans et qui, pour ce motif, se bornèrent à

l'interner jusqu'à sa majorité dans une maison

pénitentiaire.Au sortir du Palais, la voiture cellulaire fut

presque mise on pièces. La foule, l'immonde

Page 115: Eekhoud Mes Communions

M8 MSaCO~M~MKS

tourbe, ta lio hypocr!to et oon&Mno,<e distin-

guaut c&mmatoujours par son xKojustieiey.Los Botjans recuci~Mrentla jeune Annota

demeurée ~nsp~~ateuM otaMM parents, et

prenant on mains la gëfanco d'un Mp!togabien

entama s'ocoMp~rontdo lui reconstituer un patri-tM<t!na.

DesmoÏs ~oouMMat.OM~ppFMunjowque le

boute-fous'était dvadé.Le village enMefëoumaet

gémit, oommosi on ïo frustrait do sa vengeance

JaakCoFepatn~ûuta quolquoscouplots à la com-

plainte de ~t e< Coqt'OM~o.Les dimanches la a

Belette achevait ses restes do poumons sur cette

chanson, &la mêmeplace où le pot!t vacheravait

été exposéet adjugé quelquos années auparavant t

Les Botjans furent mis on quarantaine à cause

do leur déposition favorable au monstre, éternel

déshonneur de l'humanité, commeavait dit aussi

le magistrats Annottofut presque confonduedans

cet opprobre pour avoir acceptéle couvert, le gitoet les servicesde gens qui avaient tenté de «Man-

chir le noir assassin de son père a.Et voilà qu'au plus fort du tollé, de la fermons

tation et des cabales dirigées contre les fermiers

des « Sureaux ?, une nouvelleplus étrangeencore

que celle de l'évasion d<.Rik, une rumeur vrai-

Page 116: Eekhoud Mes Communions

McoqMocR iM

mont consternante bouleversa et mit sons dessus

dcNsousl'équitable communauto un récidiviste

moribond, détenu dans une maison de <orao,con-

~ssa à l'aumônier, puis &la justice, qu'il avait

incondMtaf&rme de Gu!don,paréo ~uè celui-ci

l'avait ehasaôde la grange o&il dormait.

Cette nouveUefut awïMeitMod'abord avec une

swte do rcgrot. On aurait dit do MMus~MX~uotaon arracha tour ration. E8t<!ir!en do plus irri-

tant pour les mortels que do dovoir revenir sur

une convictiondans laquelle ils Notaient retran-

oMs une foispour toutes?Puis, après cottevilaino

phase, ïo revirement se produisit aveo uno vio-

toncoextrême, avec une sorte de fanatisme. Los

accusateursse sentirent coupables et iniques. Une

soif d'expiations'empara de la communauté.

Au prône, le pasteur, qui n'avait pas été des

derniers &accabler la brebis galeuse, engagea ses

ouaiUos&demander pardon &Dieu du mal qu'ilsavaient causé à un juste.

Tous avaient contribué à le faire condamner

tous, sauf les Boljans aussi cette révélation fou-

droyante détermina-t-elle dans la paroisse une

réactiongénérale en faveur des braves gens tenus

depuis le,procès en une injurieuse et rancunière

suspicion. Les villageoisse prirent à les vénérer~

Page 117: Eekhoud Mes Communions

W MR-< COMMUNtO*~

et à tes oxaltor avecautant de frénésie qu'ils leuravaient jeté de la boue et despierres.

Le viMagoentra daas une ère inattendue de

pénitenceet d'améHo~ationmorale, non pas ren-

fpo~nêaet austère, mais simple, mais évangë-'

liquo.Les commérages diminuèrent et, partant, les

ntôdiaanceset les venimeux coups de tangue. Les

censeurs du prochain commencerontpar s'obser-

ver et se punir eux-mêmes. Les paysans aisés

furent meilleurset plus charitables aux pauvres.Faute de pouvoir abroger légalement la coutume

impie desadjudications d'indigents, par pénitenceou mieux par un véritable esprit do charité, les

ménages se disputèrent les enfants sans parentset les vieillardssans famille.

La communautén'entretint qu'un désir: revoir

Rik, le faux incendiaire, mériter de le revoir. Ah

queUe rentrée triomphale ils lui ménageraient.Le cortège d'installation de leur pasteur avec ses

cavalcadours rustiques et ses chars plus fleuris

qu'un reposoir de mai ou que les rozenlands de

la Saint-Pierre-et-l' ut (1),pâliraient à coté de la

(i)Voirlai~tedesM!tt<sP~tveetPan!,danslesNouvelles~fetmcsscs.

Page 118: Eekhoud Mes Communions

HSCOQRWOE <M

bienvenuequ'ils comptaientsouhaiter &leur vic-

time.

Auxveillées ou elles s'entretenaient sans oo~e

du paria d'autrefois. les bonnes gens réduisaient

&~urwMdineetMnor<ïMdeïmpoï'tatM)otatttd'es-

pÏè~oriosotde~gHcs, que tô préjuge public lui

avait imputé àcrime. Cetincondiairoôtait ~oaoun

héros; cegneu~un~ust6~cetassQss<n,uKsauveur!!7exéorat!ontoupna!ten unvéntaNeculte.

Dans leur zèle de convertis, les villageois allu-

mèront un beau feu de joie du lot des complaintesûétrissantos que la Belette avait chantées de sa

voix de sybillepoitrinaire. Et le rimeur remplaçaces strophes injurieuses par une sorte de ïegende

dans laquelle le vil possédédo Satan se trouvait

béatiué.

Le mystère qui continuait à planer sur son

sort alimentait et pathétisait cette nostalgiqueidolâtrie.

La plus repentie était nécessairement Annette.

Chacuncompatit à sa douleur. Hé!as n'avait-eHe

pas été, pour le pauvre garçon, la plus injuste, la

plus implacable de toutes Ne lui avait-elle point

porté le coupdu désespoir? Et le fiel, dont les

autres l'avaient abreuvé,était dictamecomparé à

sonépoùvantablereniement.

7*

Page 119: Eekhoud Mes Communions

iM MMCOMMUMOtta

Aux « Sureaux a, la publicationde l'innocence

du petit valet avait rempli les fermiers et leur

pensionnaired'une joie profonde mélangée, chez

Annette. d'un remords indicible. Elle répondaitdes torrents de larmes, elle qui n'avait cru pleu.tw que son père.

Elle aima furieusement son sauveur, eUeno so

l'imagina ptmsque dans un nimbe de Oammes,héros na!f qui ï'avait ravie commeles paladinsdont les images du porte-balle racontaient les

travaux aux .Cammosde la géhenne. Il l'avait

sauvée et elle l'avait perdu à tout jamais. Peut.être comprit-elle alors l'orgueil, la grandeurd'âme de l'infime garçon Et, dans cette âme

simple, l'amour frénétique s'aiguisa, s'exaspérado toutes les lancinances du désespoir.

Annette et les Boljans vécurent dorénavant

dans le souvenir du condamné. Une gêne, une

tension avait régné d'abord entre la jeune fille et

ses bienfaiteurs, car, tandis qu'elle le croyaitcou-

pable, eux n'avaient jamais dbuté de son inno-

cence.

Ah ce que le cœur de l'orpheline conjurait son

sauveur méconnu. Des fois, telle était la violence

de son désespoir qu'elle aurait voulu mourir!1

Pais, d'autres jours, se sentant rongée par une

Page 120: Eekhoud Mes Communions

MCO~tWtOE HT

de ces mystérieuse~ consomptions morales, quituent lentement et implaoaMementt,elle avait pour

d'expirer avant de l'avoir revu, te temps de lui

demander pardon, puis de s'éteindre a ses piedssans môme lui avouer un amour qu'elle n'était

plusdigaodoluiporter, elle si aveugle et si in-

juste!Auvillage on s'étonnait de ne pas voir revenir

l'exilé S'it vivait, que ne s'empressait-il do repa-raitre au grand jour, pour jouirde la confusiondo

ceux qui s'étaient acharnés &sa perte et ravalent

ïâohementaccablé1

Annette et la bazine Boljans firent force neu-

vainès, elles se rendirent'même en pèlerinage &

Brasschaet,où existeun sanctuaire iameux consa-

cré à saint Antoine de Padoue, le patron des éga-

rés, celui qui fait ?'e<rottuerles tt'~sors.

En gérant les biens d'Annette communément

avec les leurs, les Boljans arrondirent l'héritagede leur pupille.

La ferme des « Cigognes » avait été dégrevée

peu à peu, mais depuis sa reconstruction par les

soinsdes Boljans,lesgens du pays l'avaient débap-tisée et ils l'appelaient à présent « le Coq rouge »en souvenir de l'incendie.

Annetto, âgée dovingt-deux, était devenue une

Page 121: Eekhoud Mes Communions

MMCOS<MCN!ONBii8

héritière et beaucoup de jeunes gens révèrent do

Fépousér. La douleur avait amati et spiritualisédes formes qui sans cgla eussent été par trop

gourdes et plantureuses Sonvisageacquérait une

distinction et un galbe que ne possèdent génera-

!omentpoint les beautés villageoises.Elle menait une ~ie de reotuse, de béguine,

toujours préoccupée de l'absent et soignant les

dignes Boljans avec une tendresse filiale.

Combien do kermesses sesont passées,combien

de danses a t-el!oécoutées de sa chambre où elle

prolongeait de pieuses veillées! Le dimanche elle

ne sortait que pour se rendre aux offices.Si son

Rik ne revient pas, si Dieului refuse cette grâce,alors elle ira le chercher au ciel il faudra bien

qu'elle finisse par le retrouver.

D'abord dépités, les poursuivants éconduitss'é-

taient moqués de cette dévote et l'avaient même

surnommée « la Poule du Coq rouge », mais do-

minés par le prestige de cette fidélité et de cette

douleur; peu à peu ils considérèrent Annette

comme une créature sacrée, une femme élue,

auprès de laquelle toute démarcheamoureuse eût

été une profanation. Les plus cupides et. les plus

entreprenants se désistèrent. Nul ne s'obstina à

marcher sur les brisées du disparu.

Page 122: Eekhoud Mes Communions

MCOQMUOE M9

Aux « Sureaux a la vie d'Annette et de ses pro'tecteurs revêtait une grandeur, une importanue

auguste. D'honnêtes gens qu'ils étaient, ces Hol-

jans devenaientde saintes gens.

Une voix occulteleur garantissait le retour de

Rik. Sans enfants, ils résolurent d'abandonner

leurs biens à l'orpheline après lui avoir donné

l'orphelin pour époux. Mais ils ne dirent encore

rien de ce délicieux rêve d'avenir à l'inconso-

lable.

L&ferme contractait une vertu singulière. Le

prestige des maîtres se communiqua aux domes-

tiques et jusqu'aux choses. Les trivialités et la

licence disparaissaient des propos et des gestes.On eût dit ce chaume imprégné d'une présencecéleste. Ils communiaient avec la douleur, mais

aussi avec l'espérance. Il est de ces intérieurs

évangéliquesqui magnifient jusqu'au symbolismeles simples travaux de la terre. Chez les Boljanson se serait cru chez un de ces « maîtres de la

vigne a dont nous entretiennent les paraboles du

Christ.

Aussi le village considérait-il cette ferme avec

autant de respect que l'église. Ils en attendaient

la toute-puissante médiation qui les réconcilie-

rait avecDieu.C'était là, par la pénitence et le

Page 123: Eekhoud Mes Communions

ttES MMMONMttS?&

remords d'Annette, que s'expiait leur commune

injustice.Pou à peu le charme,s'étendit à la paroisse en-

tière. L'atmosphère é~aitprête tiède, onctueuse

et sainte. Une bonté irradiante saturait la con-

trée. C'était bien le berceau prédestiné où devait

s'accomplir un acte do cette justice de la nature

inconsciente.

Une caresse, une douceur suprême lénifia cer-

taine vespréede juillet. Il faisait un recueillement

de pâmoison mystique, délicieux jusqu'à la .nà-

vrance, tendre comme les larmes aux joues des

mères qui pardonnent.S'il est des pressentiments de malheur que con-

duisent les fluides éléments et les ambiances, il

est aussi d'occultes messagers, annonciateurs

plus subtils encore des grâces et des bonnes nou-

velles. La voixdu rossignolse fondait en de mélo-

dieusesrosées, le grillon n'avait jamais été plusmusicien et les arbres tremblaient ainsi que des

fibres de harpes prophétiques.Au degré de sainteté où en étaient arrivés les

habitants des « Sureaux e ils devaient être les

tout premiers sensibles à une telle langueur.

Quis'avançaitdanscette paix lumineuse? Un

grand garçon basané, presque bronzé, la lèvre

Page 124: Eekhoud Mes Communions

M 600 MOQR Mt

fournie d~unemoustache épaisse, l'aHuro déga-

gée, portant dans sa personne quelque chose

d'exotique, voire delégendaire.Tousle reconnurent. Ils firent un grand cri,

incapables d'ajouter un mot, et se portèrent à sa

rencontre. Il lesreconnaissait aussi, les nommant

à tour de rôle, de sa noble voixgrave, commeles.

saints d'une litanie.

C'était bien le village, son village, tel qu'ill'avait quitté, les mêmes sentiers, la même

bruyère florissante, la même petite tour en cône

tronqué regardant par-dessus les tilleuls de la

place.Il ne l'avait racontée qu'à l'aubergiste, à l'en-

trée de la paroisse,et tous savaient déjà son his*

toire son exode aux Indes, après son évasion,

les combats surhumains où il voulait mourir, un

bout de vieux journal qui lui apprend son inno-

cence juridique, le congé que lui accorde son

capitainetouchépar le récit de ses malheurs.

Émerveillé, le village lui faisait escorte, mais

discrètement, le suivant à distance ils auraient

voulu baiser la trace de ses souliers.

Le sacristain s'était mis à sonner les cloches

qui dans le soir amortissaient leurs tintements.

Ainsi bourdonnent très doucementles cloches au

Page 125: Eekhoud Mes Communions

.r-ISS

°MMCOMMCNtaKa

bord de la mer. On les dirait noyées de larmes,

ennées de sanglots. Et ces cloches qui avaient

sonné le tocsin et proclame son anathème, sem-

blaient repenties, eHesaussi, et le suppliaient de

leur pardonner, de leur être miséricordieux

Aux « Sureaux a la maisonnée s'agenouillaitcomme à l'angélus. Annette éprouvait une ter-

reur délicieuse.

Par la fenêtre ouverte eUe le vit approcher.Avecles Boljans elle se précipita au dehors. H

pressait le pas car il la voyait défaillir. Elle vou-

lut se jeter à ses genoux, mais il lui ouvrit les

bras et, délicate, elle semblait s'enrouler autour

de lui, avec des grâces et une faiblessede liseron,

toute Manche, plus blanche encore que la fileuse

déneige. Elle se sentait pardonnée, chérie, in-

dispensable.Il la tient pour ne plus la quitter.Ce qu'P y a d'eucharistique dans le couchant,

ces rayons tièdes, câlins et fervents, dégagemoins d'onction que le regard dont il enveloppel'aimée. Et toute blanche et lumineuse elle ne

représente que l'ombre de cette chaleur du par-don

Page 126: Eekhoud Mes Communions

LA TENTATION DE MINERVE

SaMder P~fon.

.AndMftVOKtCMThetr namM when )hey aM ewa)tow'<thy the Océan.ln yoa alone ail tMntttM of my MatAre whoHylaken Mp1

(PH)UP MASStNOER,Mt Me<Mf<.)

Le jour d'octobre désertait, rayon par rayon,la salle d'honneur du château de Gasparheyde,

où, seule, assise devant un grand feu de bois, la

comtesse lisait et reprenait sans cesse la lettre quelui avait écrite, dela capitale, son intime et plusancienne amie.,

Telle était la préoccupation de la comtesse que

lorsque les ténèbres comblèrent les vides laissés

par la lumière dans la vaste pièce et qu'il n'y eut

plus que les éclairs de la fouée pour en révéler

les lambris, les trumeaux, les gobelins et les por-

Page 127: Eekhoud Mes Communions

m M~aCOMMUNMH<a

traits héraldiques, eMos'opiniatra &déehitÏMrla

Bn do cotte lettre stupéManto.ïlluminées ainsi, nap saccades, aux ye~ets do

l'atre, les lignes d~l'écyituro sympathique revê-

taient une portée, une signiiRoationocculte, les

mots disaient plus qu'ils no voulaient dire ils

contractaient un bizarro accent do conjuration, so

aoundaionten des rythmes cnepvoutm,crépitaientavec les flammes de Mtre et se mettaient &chan-

ter, insidieux, psalmodiques, lourds do ces into-

nations morbides qui mordent aux fibres los plus

intimes ceux qui hésiteraient à fuir

« .Aide-moi. Sauvo'Io t Viens à notre se-

cours. A celui de la mère et du H!s Toi seule

le poux, ma toute bonne, ma chère Minerve. !o

nom bien légitime dont on t'appelait à la pen-sion. La grande ville ne valait rien à mon pau-

vre enfant. Il est intelligent, enthousiaste jusqu'à

l'exaltatio~, sensitifet ardent, trop chevaleresque,

trop idéaliste, enclin hélas~ à confondre avec la

sévère algèbre de toute la 'vie les mélodieuses

chimères qui chantent en sa vingtième année

Sache aussi qu'il est beau, tellement beau que

jamais, & l'époque où je le concevais, les plus

ambitieuxmirages maternels ne me le montrèrent

revêtu de perfections semblables. Or, une de

Page 128: Eekhoud Mes Communions

<tjMnR!!TATtONM:M<NRR~ M5

1.

coaodieuses nMescontre tes mateHcosdesqneH<Mnotre rongieux amour, &nous autres nôtres, n'a

jamais prévaïu, so Mattaitdoïopordro, do !o ra-

valer à Ïa taiModosp!ua piteux viveurs jo ddses'

p~rais, jAmo ac~ilr~unxa'tad'an~t~iaROot dAdcStras~o,p&MHS,jomocottsMma!~d'a~tgoiasoet dod~troi-iso,

j'~ta!s o~~oïmo de monenfant. Unecriso r~d!-

mante déchira eetabommaMorotnan rinM6t!tô

do la charmeuse fut prouvée à mon nk. Le coupfaillit remporter. J'ai pronte du boutevoï'sc'nont,doFincandesconcodo son ôtro pour !o détorm!nor

a rompro 8ur'!o-ohamp.MuMJono voyais pasencorela finde mesatltros.En l'atmosphèreempoi-sonneodo !a\i!!o, je craignais une rechute. J'étais

aussi perptexo qu'un chirurgien on quôto d'un

asile pour !o patient auquo!il vient do iah'osubir

uno opération suprême. Un coup do lumière c<

leste, uno inspiration des anges m'a désigné ton

ermitage, ta sainte et saine retraite champêtre, te

château de Gasparheyde,comme le sanctuaire, le

havre)do

salut oit les dernières tourmentes pas-sionnoMesexpirent en un murmure balsamique et

réparateur. Sois-lui bonne, sois-lui une autre

moi-même; non, grâce à ta radieuse et souve-

raine sagesse, sois-luimeilleure que sa mère. Il

lui fallait avec la compagnie d'un esprit aimable

et supérieur, les espacestqmfiants, les courses et

Page 129: Eekhoud Mes Communions

!? M~eoMMUNMMa

les battues avonturewses par tes tordis et !ea

bruyerea. Un mot, vite un mot, et il débarque &

Gasparheydo. Tu t'~prjts,n'est'ee pas P Eh bien,

c'est inutile de le je~F la posta; je ~'a! pas

attendu, je n'attends pas ee mot d'acquiescement;sure de toi, je t'envoie mon lits par le train quisuit ce courrier. Pardonne, mois, il n'y avait pasun instant à perdre. La gouie pouvait le resaaMr

et alors c'en était fait de moi, de lui, do notre

race. »

Non, non Je no veux pas C'est impos-siblo r

En prononçant ces paroles, la comtesse se re-

dressait frissonnante, effarée, aussi saisie que si

un étranger était survenu brusquement dans le

salon. « Recevoir ce jeune homme! ici, sous

notre toit En l'absence de mon mari Dans quelembarras me plonge la baronne Maissi, comme

elle l'annonce, il arrive ce soir, pas moyen de le

renvoyer, nous lui devons au moins l'hospitalitécette nuit. »

Un élan subit de la flamme lui montra son

image dans une haute glace vénitienne vis à-vis

du foyer.Une vieille femme comme moi, une ermite

qui pourrait être sa mère. entretemr~de~pareiïs

Page 130: Eekhoud Mes Communions

LA TENTATION?6 MtN~VE <M

scrupules Fi donc 1Etmes quarante ana La pré

seneodemonfr&ron~suMt-ettepaa.u'aitteura,

pour sauver les eon~enanees. Puis, nos voisina

ont repris leurs quartiers d'hier. Allons,rendons

oopetit servie &notre inséparable d'autrefois.

Oui, mon amie,–dit'clle avec attendrissementt

en baisant la lettre, je serai bonne, aussi bonne

que toi, vraiment maternelle, pour Kû~ ohcr en-

tant a

Au domestique qui apportait des flambeauxet

rétabHsaait Fedinco des b&obes sur les cbcncts,elle ordonna de préparer l'appartement pour ïe vi-

siteur attendu. E!ie mémomonta, peu de temps

après, afin de mettre la dernière main a cette

installation puis, elle passa dans sa chambre de

toilette, tordit et lissa d'admirables cheveux et

finit par se draper d'une opulente robe de satin

noir qui aristocratisait encore sa prestance impc-riale et faisaitvaloir la blancheur et la matitéde sa

carnation.

Sescraintes, son ridicule mataisc t'avaient aban-

donnée Elle ne représentait plus qu'une parenteaffectueuse attendant la visite d'un polisson de

neveu, prête à lui passer ses fredaineset même à

en goûter le récit.

JJnevoiture~arrêtadeyanUa~ritle~ta cloche

Page 131: Eekhoud Mes Communions

a

~?8 CÛMMP~MNS

retent!t et ïo domestiqueannon~ M,ïe baron ?0

Preste.

Dos lo premïor coup d*c<dl,M"" de Oaspar-

heydoconstata que Ja baronnen'avait pas exagéréles agréments physiques de son héritier. Grand,

~et, de tAÏHocamby6o,nerveux, Moudavood~a

yeux do votoMM,si proCcmd~montbtcus, qia'i!sen

paraissaient neirs, uno moustache naiasantoom-

brMt le corail des lèvres, !es coins de la bouche

MgÔMmontcontractas par la tristesse, lo teint

nacr6, uno p&teurintéressante, le charme do co

voile dont la première épreuve couvre un visage

adolescent,une physionomie&la foisspirituello et

renechio.Sur le champ, la comtessesesentitattirée

vers lui par des postulationsimpérieuses elle fut

conquise plus qu'elle no l'aurait voulu, mais elle

se jura à elle-mêmequ'il ne connaîtraitjamais do

cette affectionvéhémente que les manifestations

d'une pure amitié.De son côté, Edmond avait été sympathique-

mcnt impressionné par la châtelaine de Gaspar-

heyde. Il subissait le prestige de cette figure graveet touchante, de ce profil de caméepoétisépar les

douleurs, fièrement subies, d'une épouse privéed'enfants et d'amour .conjugal; il appréciait la

flexiongracieuse et mélancolique de co cou, la

Page 132: Eekhoud Mes Communions

M 'MBNTATMMt<? MtNRRVE <?

noblesse du port de tête, la gloire do son buste,

les proportionsparités, ta ligne sculpturale de

toute sa personne; son air do déesse antique ou

do Romaine de Plutarque Minerve ou Lucrèce.

Quoiquejeune, &peine âgé do vingt ans, Edmond

de PreslesétaituNraMn~connaisseurdota Comme,et !o quart do minute qu'il mit à dévi~agorM' do

Gaaparheydelui suffit pour estimer qu'oHoavait

représenté un de ces rares parangons d'ideato

beauté qui éblouissent une gonération et proda-mont le génie du créateur. La révérenoo pro-

ïongée qu'il lui nt en lui baisant la main tenait

d'une admiration d'artiste et d'une ferveur do

croyant.Tandis qu'on M' do Gasparheyde surgissait

un do ces sentiments qui nous rongent et nous

consument s'ils ne nous exaltent jusqu'aux tc!i-

citésvertigineuses, Edmond se sentait simplement

pris d'un commencementd'amitié très normale et

très raisonnable. Un morbide et émollient état do

souffrance contribuait d'ailleurs à les rappro-cher. la comtesse n'avait jamais connu le bon-

heur et lui croyait avoir déjà à so plaindre de la

vie.

Elle devina la nature do la sympathie qu'elle

inspirait au jeune baron. Elle en fut à la fois

Page 133: Eekhoud Mes Communions

<? MESCOMMONMJtKS

Nattée et ulcérée. En admettant qu'elle eût été

sur le point deeéder a l'intensité de sonpenchant,cet abord approbateur, déférent et platonique eut

su<Hpour la calmer Trop Oére, trop haute, &ses

propres yeux, pour tromper un mari qui l'aban-

donnait, elle se sentait surtout trop loyale pourtrahir la connaneo de son amie. Pleinement ras-

surée quant &sa force d'âme, en s'avouant son

amour eUe fut presque enchantée de l'occasion

qu'il lui fournirait de remporter une nouvelle

victoire sur eMe-mêmeet de justifier son surnom

de Minerve.

Aussi fut-ce avec une grâce enjouée jusqu'à la

bonhomie qu'elle souhaita la bienvenue au jeunebaron et lui dit en riant « Eh bien, mauvais

sujet, on vous met en pénitencechez moi? ? Dé.

sormais convaincue de sa sécurité, elle s'acquittade ses devoirs de maîtresse de maison avec un

naturel et une aisance irréprochables. Au dîner,elle mit la conversation sur la mère d'Edmondelle raconta avec une verve émue les souvenirs de

la pension où elle avait connu la baronne. La pré-sence du chevalier d'Hapelterre, frère de la com-

tesse, un gentleman-farmer d'humeur accommo.

dante et de caractère loyal et franc, acheva de

~nettre à !'a!se les deux autres convives.

Page 134: Eekhoud Mes Communions

i~TNWMMMCENMM~E tM

8

En M. d'Hapelterre, Edmond devait trouver,

durant son séjour &Gasparheyde.le plus agréable

compagnon pour les exercicesen plein air que lui

recommandait la baronne. Le lendemain Usinau-

gurèrent leurs excursions autour du château so

dep~yaitun parc admirable,dignede rivaliseravco

les mar<nenteauxdo FAngteterro; puis c'étaient

des Moueset des lieues de landes giboyeuses, im-

posantes et farouchescommela stoppe.La comtesse accompagna plusieurs fois les

chasseurs amazone intrépide, elle étonna Ed-

mond par sa cr&nerieet son sang-froid. Ils firent

des rondes de charité, visitèrent des fermes. Les

paysans s'extasiaient sur la belle mine du jeune

étranger. Une rustaude remarqua naivement

qu'on aurait pris la comtesse et le jeune baron

pour. frère et scour. C'est un autre rapproche-ment qu'elle avait été sur le point do suggérer.

Tous deux eurent un instant de trouble. Maiscet

embarras fut si furtif, que bien longtempsaprès,

seulement, ils se rappelèrent le propos de cette

villageoise.Durant les premiers mois rien n'altéra cettevie

cordiale, réconfortante et simple. La tristesse

d'Edmond s'était promptement dissipée. Entière-

ment à son rôle de conseillère et de guérisseuse

Page 135: Eekhoud Mes Communions

MKSCOM~ttNMKS

d'ânes, la cumtossetenait la baronne au courant

des excellents et rapides résultats de la ieure;le baron écrivait a sa mère des lettres vibrantes

d'enthousiasmesur la paix délicieuse et les amis

incomparables qu'il avait rencontrés à Gaspar-

heydc. Averti, pour la forme, du service queM"" do Prestes avait réclamé de la comtesse, le

comte répondit ù sa femme de retenir le jeunebaron a Gasparheydo aussi longtemps que cette

villégiature lui serait proutaMe.Unesorte de camaraderie s'établissait entre la

comtesseet son lote. Ils oubliaient, elle, qu'elleavait déjà quarante ans, lui, qu'il n'on comptait

que vingt ils se croyaientdu même âge. M' de

Gasparheydeen viat a se reporter non seulement

par la mcmoi"e,mais par sa gaieté, sa pétulance,ses saillies, sa joie de vivre, au beau temps où elle

s ébattaitet ibl&traitau couvent avec la mère de

ce grand garçon.

Par degrés insensibles, l'admiration d'Edmond

changea de courant. En vénérant un peu moins

ce~tenoble et sainte femme, il osa la chérir un

peu plus. La beauté si imposante, presque au-

guste de M" de Gasparheydelui parut s'humani-

ser dejour en jour et retrouver les séductions de

la jeunesse. Cette beauté aSocta, pour ainsi dire,J

Page 136: Eekhoud Mes Communions

LA 'HSNTATMN OE W'SKRVER ias

uno magie plus actuelle, moins rétrospective. t!

finit même par se reprocher comme une erreur

son appréciation à l'arrivée il était impossible

que la comtesse eût à peu près l'âge de M" de

Presles elle s'était vieillie à plaisir, peut-être

par une pudeur farouche, par une de ces coquet*teriesdes saintes qui craignent d'inspirer une a(-

fection profane. A présent, elle se révélait sous

sa véritable forme, croyait-il. Dépouillée de sa

réserve vaguement austère, de son air de patro-

nage, plus libre d'allures, plus expansive, c'était

ainsi qu'avaient dû l'admirer les lions et les

roués des salons d'il y a vingt ans.

Une métamorphose s'opéra aussi dans les façons

du jeune homme. A certains moments, il traitait

la comtesse avec cette gaucherie, ces hésitations,

ce mutisme, ces accès do mélancolie particuliers

à l'amour qui s'ignore. Il se prenait à la couver de

regards emplis d'une flamme ou d'une humidité

singulière. Si elle s'était aperçue de la crise quetraversaient les sentiments d'Edmond, la comtesse

eût été transportée de bonheur mais eût, en même

temps, été atterrée. Il commençait à l'aimer

d'amour, mais la respectait trop pour oser lui

avouer jamais une tendresse presque sacrilège,tant cette femme lui semblait ascendre au ciel

Page 137: Eekhoud Mes Communions

M4 MMCOMMONtM<8

Tous deux se faisaientviolence, s'ingéniaient à se

donner le change sur leur.norme passionneUe, & cc

tel point que lorsque M" de Gasparheydes'aper-

eut des bizarrerie~ dujeune homme, elle les at-

tribua au souvenir de son ancienne maîtresse et

la jalousie ajouta sa brûlure a toutes les souf-

francesqu'eue endurait.

Les veinées d'hiver les rapprochèrent au coin

du foyer. Des heures entières elle tenait ses

mains pressées dans les siennes. Commeun re-

frain ils se répétaient de douceset viriles décla-

rations d'amitié.

Qued'âmes tendres, se disait-elle un soir, à

mi-voix, ne rencontrent qu'à l'heure de la matu-

rité le compagnon rêvé, Fêtre idéal avec lequelelles auraient dû fraterniser, germer et s'épanouir1

0 l'atroce et cruelle destinée qui nous met au

monde trop tôt ou trop tard. II nous faut brûler,

sans arr~t: les étapes de la vie. Nul espoir de

rejoindre le désiré quinous y avait précédé Nulle

perspective qu'il nous rejoigne jamais si nous

sommes partis avant lui 1

Et, tout haut, s'efforçant de sourire, atténuant

un peu la réflexion douloureusequ'elle se modu-

ait « Quel dommageque je n'aie pas vingt ans

et que je ne sois pas un garçon, comme toi, dis ?

Page 138: Eekhoud Mes Communions

t<À TEKTATtttN CE MINERVE i35

Quelle paire d'inséparables nous aurions fait f

Complètement l'un à l'autre, n'est-ce pas, dans la

peine et dans le plaisir Toutes nos frasques nousles eussions commises ensemble, nous aurions fait

bourse commune. voire vie commune a

II l'interrompit, et ce fut la première fois queses yeux et sa voix faillirent le trahir « Quant à

moi, je vous le jure, jamais je n'aurais pu mieux

vous aimer qu'à présent; c'est comme vous êtes

aujourd'hui que j'aurais toujours voulu vous voir

vous m'êtes encore plus chère que me l'aurait été

le meilleur ami

Et comme nous sommes promptement deve-

nus amis reprit-elle, un peu anxieuse, mais sans

mesurer encore combien il l'exaltait au-dessus des

autres attachements terrestres.

Mais aussi que vous avez été bonne, quevous êtes divinement bonne

Il répéta le qualificatif banal en y mettant une

intention gourmande, une chaleur féline qui fit

affluer le sang au pâle visage de la comtesse et

lui donna la petite mort.

Lettrée des plus délicates, érudite comme les

femmes de la Renaissance, aussi loin de la pédan-terie et de l'affectation que de la banalité, elle

demeurait aussi charmante, aussi dévoth'"se,

8.

Page 139: Eekhoud Mes Communions

i§8 1 M~ COiMMUNMNS

aussi suavement féminine qu'une Jane Groy.

S'étant à propos, jouissant dos trouvailles

d'esprit et de sensibilité qu'elle inspirait à son

interlocuteur bien"aimé, ses discours s'harmo-

niaientaveo le timbre délicieux de sa voix et ta0

noblessede sa physionomie.Musicienne d'otite, aussi, souvent elle se mot-

tait au piano, interprétait quelque sonate de Bee-

thoven, presque toujours une des dernières, ï'ap- c'

paMtona~aou le douloureux et testamentaladagiode celle en ut mineur dédiée à ï'arohiduo Ro-

dolphe et ce qu'elle n'osait oonCer aux simples

mortels, elle le noyait, elle répanchait dans le`

génie du compositeur, s

Elle ne lisait rien de beau, ne contemplait rien

de rare ou d'exquis qu'elle ne rapportât au jeunebaron de Presles. Ayant appris sa dévotionà Léo- s

nard de Vinci, elle acquit à grand frais, pour en

tapisser, sa chambre, une superbe collection de

gravures et d'eaux-fortes d'après le maitre. Ses

fleurs de prédilection s'épanouissaient en gerbesluxuriantes dans toutes les pièces du château.

Mais ces marques extérieures et tangibles de la

sollicitude insigne que lui vouait la comtesse

n'étaient rien en comparaison de la prière, de

l'extase, du magnétisme, de la fervente et volatile

Page 140: Eekhoud Mes Communions

î iA!T~T~<aN~M~~t~ ta?

caresse qu'elle avait fini par communiquer au

milieu.

C'était bien douloureusement qu'elle jouissaitde-sa présence et pourtant, pour ne jamais être

séparée de lui, elle eût consenti aêtre exposée,sa

vie durant, aux flammesd'un brasier Redoutant

de l'obséder, de l'importuner, d'engendrer la

monotonie, elle interrompait souvent leurs entre-

tiens elle le laissait seul, le renvoyait passerune

couplede jours à la ville, elle l'engageait à revoir

ses amis, mais 'à peine l'avait-elle congédié,

qu'elle redoutait une absencedéfinitive. Oui, elle

poussa la tactique jusqu'à railler sa conduite trop

régulière, elle provoqua ses confessionsles plus

délicates, lui fit raconter ses bonnes fortunes. La

mort dans l'âme, elleFeût envoyé à une rivale si

pour le revoir un jour et le garder dans l'éternité

ce partage avait été indispensable. Elle souhaitait

d'incarner toutes les femmes capables de lui

plaire et jamais, avant son arrivée, elle n'avait

cru déplorer à cet extrême le déclin de sa jeu-nesse Qui nous révélera les stades, lespéripéties,les victoiressinistres de la campagne que la com-

tesse menait contre son propre cœur Comment

s'y prit-elle pour étouSer à ce point le cri de son

être, pour amortir constamment l'expression de

Page 141: Eekhoud Mes Communions

<M 'M~CONMeN<0:<8

son visa~ assourdir t'éotat de sa voix, pour de-

tneur~r attentive, simplement doucoet bénigne?

Qui divulguera tes miracles opérés par cette com-

mensale de ta douleur, pour transpoMr en une

oatmootmatemeH~berceusoles concertabrû!anta,

les hymnesen~ammés de l'adultère ?

La comtessesavouraUt'apre ot po~nante vo-

!uptê d'un hotoeausto volontaire, du meurtrier

triomphe remporté par le devoir sur la passion.

~!Heétait décès amantes héroïques qui, sans es-

poir dd retour, prodiguent les dévouements~raf-

finent sur leur désintéressementsublime, et pourrendre leur cœur plus sensible,plus aimant, mar-

tyrisont ce cœur et y plantent les sept glaives du

sacrifice. Souriantes, nimbéesd'une lumière d'a-

pothéose, radieuses, elles emportent dans la

tombele secret qui les a tuées. Amourcuisant queconnurent les prophèteset les messies

0 pauvres âmes, c'est vous qui devriez nous

retracer les affres du moment ctimatérique où,

parvenu au sommet de la vie, avant de dévaler

l'autre versant, on promène une dernière fois le

regard sur la vallée et les coteaux prêts à dispa-raître pour toujours, sur ces paysages arides ou

fleuris si ravissants au soleil de la vingtième an-

née Irrévocableadieu de l'exilé à la rive natale

Page 142: Eekhoud Mes Communions

LA fKSTAftOt! <? MtSERVR ia&

sourire poignant du moribcmdbénissant tous ceux

qu'il aima ou qu'il aurait aïméat tendresse cris-

pante, tendresse ineffable qui jso crampcnne &

relu, au préMrôet qui sont apprêter te pouvoirfatal tranchant los Monslos plus chers L'ôpou-vantaModôMeodo oettosuprômo pensée A <<M/1

Ah que! vivant ainsi eonJMfôpourrait r~istor, ai

to charme a'eh prolongeait, a cette incantation

plus impérieuse et plus oorrosivoquo !es pleurs,les spasmeset los frénésiesdes volcans 1Etcomme

on s'expliquealors la légende des vampires appe-lant de la tombe l'objet de leur adoration ou des*

collant le sarcophage, soulevant le mausoléopouraimer jusqu'au sang! Amesen peine,véhémentes,

orageuses, à jamais inassouvies, revenant cher-

cher, en deçà de la tombe, les trésors dont elles

n'ont pasjoui Et c'est cette passion exacerbée,ces laves paroxystos que M" de Gasparheyde se

flattait dopouvoir refluer toujours au fond de son

cœur héroïque pour les distiller en un dictame

digne de celui que les sainte Thérèse et les Fran-

çois d'Assiseoffrirent à leur dieu1

« Pour tout salut, pour tout paradis, je me con-

tenterais de le voir sa présence ferait l'éternelle

lumière et pas plus que les anges ne se lassent

de la contemplation du Très-Haut~je ne me las-

Page 143: Eekhoud Mes Communions

MO MESCOMMUIONS

serais de m'anéantir en sa b~uto a Telleétait ta

prièredelacomtesae.Le baron de Presles se sentait enveloppéd'un

souMe&la foisdespotiqueotcâlin, d'une inRueheo

subtile et géniale; la comtesse !o oaptattdanatoutes ses JftbMa,jusqu'au tréfonds des moones

ses moMvomeMtR,sos attitudes, tout oo qui éma-

nait d'eHe ét<utvelours, duvet, harmonie, et sa

chair neurait la saison dos trambyoiseset !o mois

des fenaisons A la fin, sans so convaincre enoore

de l'amour éperdu qu'eUo lui portait, lui ne se

possédait plus, il s'abimait en cette femme, it dé-

faillait sous ses yeux.Les derniers temps elle eut beau l'exhorter à

prendre des distractionsau dehors, il s'obstinait à

demeurer auprès d'elle, et, chaque jour, il lui dé-

couvrait un charme nouveau; elle lui semblait

toujours la plus sublime des femmes et chaquefoisd'une <autrefaçon1

Un incident les édifiaenfin sur l'essence iden-

tique et la réciprocité de leurs affections. La ba-

ronne de Presles rappelait Edmond qui venait

d'atteindre sa majonté il s'agissait de lui rendre

j descomptes de tutelle, de prendre des arrange-ments avec les notaires, d'un tas de formalités

paperassières pour lesquelles sa présence était

Page 144: Eekhoud Mes Communions

M fENTA'KM! CE MtNERVE 141

indispensableet quo son s~our &Oasparheydelui

avait fait perdre do vue. La baronne l'entretenait

aussi, a mots couverts, d'un projet matrimonial

qu'elle venait de concevoirpour lui 1

Très contrarie, il contesta l'urgence do son dé-

part, nMusla cotntesao, de plus en ptus surha-

nnta!no,prossontant pout6trû ï'approohc du dô-

nouetnontqu'eUo éludait depuis plusieurs mois,

l'engagea, au contraire, a retourner dos !o lande'

main à !a viUo.Oui, elle parvint mômeà lui par-lor do la fiancéequi l'y attendait. Il ne dit rien,

mais il lui lança un regard de reproche qui faillit

lui arracher son secret.

Elle aurait voulu quitter le salon, mais elle de-

mourait clouée sur sa chaise, on face du bien-

aime, évitant même do rencontrer une nouvelle

fois l'imploration poignante de ces chers yeux.

Quoiqu'elle fit cependant pour éviter ces regards

capables de fondre un marbre, elle ne parvenait

pointa se dérober à leur suggestion. Pour la der-

nière fois, ils se trouvaient ainsi dans cette

chambre tamiliére. Quelques heures encore à l'a-

voir là, tout près d'elle Et demain, puisqu'il s'a-

gissait de le marier, l'éternelle séparation Le

rapide tic tac de la pendule narguait leur insup-

portable silence. Leurs cceurs battaient de plus

Page 145: Eekhoud Mes Communions

M69MMMttN'ONR!?

en plus vite et si f~rt qu'Us en entendaient lea

battomonta. A la Cn, ils articujtèront quelques

phrases banales, de cesformulesqueleonquesplus

inattendues sue leurs lèvres qu~ M t'eussent ~tôde brûlants aveux dotendresse, mais !a disparateentro oes anodins propos et !o hatétcmont, ros-

soMMoment,la socheressa do gorge, l'humidité

des tovres, qui les aoeompaffnorent,fut si éeïa-

tante que les mots expireront comme stupofahson un soupir, presque en un raie. Elle évoquaitÏo soir d'octobre et la lettre annonçant l'arrivée

du jeune baron. Elle se rappelait les phraseslues et relues, scandées au coin du fou « Les

mélodieuses chimères chantant en la vingtième

année. L'austère algèbre du restant de nos

jours! Sois-lui meilleure que sa mère! »

Plus que les autres soirs, les ambiances en-

traient en fermentation. Les meubles, tout im-

prégnés de leur fluide amoureux, ensavaient bien

plus long qu'eux-mêmes sur le concert de leurs

êtres. L'air était saturé de désir et de nostalgie.Hélène 1

C'était la première fois qu'il l'appelait ainsi.

–Hélène! nous nous aimons. Tu m'aimes,n'est-copas? supplia-t-il en tombant à genoux.

Elle eut encore lu force de le repousser et de

Page 146: Eekhoud Mes Communions

tA~KTA't<ON)M!N)t~V<; iMt

proMrercotte roctineation j~!auiaie« Oui, comme

unescour'w

Héclata et sa voixtenait du siMemontque pro-duit un fer cbauHë a blanc plonge brusquementdans l'eau

« Quoi, vous ne pourriez m'aimer autrement!I

Alors, si vous vous montrox si bonne, toUctnont

bonne pour moi,c'est quo vous ôtcs la ptus m~-

chanto, !a plus abominablo dos fonuMos,c'ust quovous n'avoz pas !o moindre cœur. Vos bontus

étaient d'atroces ironies, votre malédiction serait

prétëraMoa votre indu!~onco votre sourire me

navre, votre douceur me bru!oa petit teu. Mais

non, je blasphème et toi tu mentais. Nous nous

aimons, nous nous voulons, je le sais. »

Et la comtesse, avec tout ce qui lui restait do

force a Maisoui, nous nous aimons o)

Oh Pas ainsi, rugit-il, protestant contre

l'intonation donnée à cette phrase, c'est d'amour

pour de vrai, du seul amour que nous brûlons

l'un pour l'autre

Elle se redressa, voulut fuir, ne put que tom-

ber dans ses bras

Non, non, je ne veux pas C'est impossibleEdmond! Kdmond! Nous sommes perdus!

Épargnez moi!

Page 147: Eekhoud Mes Communions

M[Hf COMMMNMttttM4

C en était fait do faustère atgébro do ~is*

ten<!o:it n'y avait ptus de Minorve.

EUo pleurait, pleurait de joie, ineHaMemont

maïheurouso,jouissait pour ht première fois de

sa sainte taiNosso,abdiquant, dans un baMor de

tota!ocommunion, toute t<oniUusoiresupérioriM.PAm~ contre la poitrine d'Edmond, elle Maon-

tait mourir, N'abimerdans un océando charité. Si

to néant t'attendait au bout de co vorti~e, elle Be

réjouit~dt d'agoniser, d'expier avec lui, eonïbn-

duHpoMrjamaia.Autour d'eux l'univors fulminait

la réprobation et l'anathème, mais l'essor, la

flamme de leur amour n'en jaiHiNsaitque ptuadé-

meHuree. Et pïus on les couvrait d'opprobres,

plus i!Htouchaient au xenith des Matitudos.

Ils échangeaient leurs êtres, leurs destinées,!eurs aspirations et no se reprenaient qu'afin de

pouvoir encore se donner plus totalement. Mys-tère où la ~our possédait la saveur du fruit, le

fruit le charme et Ioparfum de la flour. La dose,

la mesure do félicités divines que peuvent s'assi-

miler sans écïator les fragiles prisons do nos

âmes, nos amants l'épuisoront en une seu!e nuit.

.Ilsconnurent tout ce que l'amour ouvre d~chap-

pées sur le cic!._J_

Page 148: Eekhoud Mes Communions

MHSAN&UËRS

Mt~ertMMernct.

Une taverne du contre de la ville, on pleine

nuit, à l'heure ou il y a pou do clients.

DosAngliers a fini do manger et, las, il épie les

allées ot venues, au tapage des « Hona dospor-teurs do bocks ot do plats froids.

Los garçons blafards, vêtus do noir, sangles

dans leur veste, ehgaincs dans leur long tablier

blanc, ont un air louche, une obséquiosité fausse

que dément leur vilain u)il, leur mauvais sourire,

leur voixdo camelot.

DosAngliorsplaint lo pauvre petit «pompier ?,

l'apprenti do ces ateliers de mangoaillcs douze a

quatorze ans, une tête encore jolie de brunet,mais prenant déjà le pli, l'expression ambiguë et

servile, mercenaire. Degrands yeux que des cor-

Page 149: Eekhoud Mes Communions

MESCMOMWU&NS~6

nos suspects agrandissent. 0 les souffrances et

peut'être les infamies de l'apprentissage! Avec

son terrible esprit de suspicion e~son flair tropsubtil Des Angliers devinait les mystères de l'of-

fice et du lavoir. Initiations prématurées, cruau-

tés, abus do pouvoir.DesAngliers médite en écoutant pisser les ro-

binets dans la vasque. Les fleurs du comptoirmêlent leur odeur de fane au rancis des fumets

refroidis et des bouts de cigares.Le petit pompier se prodigue d'un air ahuri.

Tout le « personnel Ms arroge des droits sur lui

comme un équipagesur un mousse. Desserveurs

l'interpellent rageusement, d'une voix rogue, pë-

remptoire d'autres lui commandent avec des

flexionscaressanteset d'insidieuses douceurs dont

l'indulgence inquiète l'observateur pour le docile

manœuvre, plus encore que les bourrades qu'onlui administresans relâche.

Du pain au deux 'Un couvert au six 1

Derrière le comptoir, la caissière: l'expression

stéréotypéed'une sidonie. Lesmurs couvertsd'un

peinturage où l'on démêleun vol de cigognes. Un

couple finit de repaître: l'alphonse tourmente

de soncure-dents la carie de ses molaires,l'autre

mainpasséedans sa chaîne de maillechort; la sou-

Page 150: Eekhoud Mes Communions

DESANOMEM tM

peuse'rit professionnellementet piaille à vide et

regarde béatement, sans pensée,sans rien, rien,

rien d'une femme digne d'amour. Elle taille en

pièces une pelure de pomme, avecpeut-être, mais

Mon lointain dans ce qui lui reste d'âme, le désir

de déchiqueter le viveur suspect qui l'abalourdit

de coupset d'ennuis.

Et l'attention deDesAngliersbaguenaude mais

toujours intriguée par le gracile « pompier w.

Heure et milieu excédants quoique stagnants,a la surface. DesAngliers scrute et jauge d'autres

écots.

Ces gens ont-ils du moût de bière sous le

crâne, en guise decervelle? se dit l'amer psycho-

logue.

I! n'en, démordpas le seul être intéressant de

cette gargote est bien le petit pétras galopé et

brimé par ses initiateurs. Du moins n'a-t-il pasencore eu le temps celui-là d'être trop bête ou

trop méchant L'enfant va, vient, vire, toupillant,les yeux gros de sommeil, somnambulique, ne

sachant auquel entendre de tous ces chefsbour-

rus ou captieux.

Bocks. quatre! L'addition du six

Et Des Angliers éprouveen ce momentTcnvio

d'affranchir, de libérer ce frêle manœuvre, en

Page 151: Eekhoud Mes Communions

M& MMCOMMUtHONS

commençantpar l'envoyer coucher dans sa sou-

pente. Pour l'arracher à cette atmosphère de

goinfrerieaphrodisiaque, à cette antichambre de

la maison de passe, il lui démangeait de chercher

querelle à ce grand diable de rousseau, grêlé, à

côtelettes, lippu, camard,les cheveuxà la Capoul,

qui affecte une façon sournoise, systématique,constammentpréméditée de bousculer, depincer,de rabrouer l'aide placé sous sa compromettante

et venimeuse tutelle.

Avec des « Gare a et des « Bouge-toi donc a

qui arrivent toujours trop tard, le rossard poussel'enfant du coude et du genou, tandis que celui-ci

se penche sur la corbeille au linge ou au pain, ob-

struant le passagedesa minceet délicatepersonne.Mais à mesure que cette sympathie pour le

souffre-douleuraugmente, Des Angliers devient

timide, redoute de se distinguer. Y a-t-il quelquechosede plus ridicule aujourd'hui qu'une bonne

action ? Al'idée de l'interprétation la plus lâche,la plus diNàmanteque les chers amis donneront à

cet acte de don-quichottisme, le consommateur

trop timoré sent le rouge lui monter au visage. Il

ne sera jamaisassez circonspectAussi ne dévi-

sage-t-ilplus que furtivement le petiot qu'il eût

voulurédimer..

Page 152: Eekhoud Mes Communions

OE~ANQMtSBa i49

Ah! toujours la même chose: Des Angliers

maudissaitce respect humain,mais se sentait tel-

lement veule, tellement contraint qu'il n'aurait

jamais rêvé même de s'en affranchir. Ah mo-

ralement, il était bien autrement esclaveencore

que ce mioche!1

Il se hâta de régler.

Alors, ostensiblement, il donna un gros pour-boireau grand garçon roux, à cet odieuxbraillard,

transfugede la barrière parisienne, forcédemigreren Belgique,et il n'osa pas même abandonner la

moindre monnaie au doux petiot, qui, sur l'in-

jonction du brutal, l'aida & passer son par-dessus.

Voilà, Monsieur! fit l'enfant d'une voix

douce,oh si fatiguée,si nostalgiquede sommeil,

de couchette loin, loin de ce vestibule des lupa-nars!

DesAngliers, ému, tout vibrant de sympathie,remercia du ton le plus rogue ne négligeant pasde saluer, oh d'un, air protecteur, mais de saluer

tout de même, le grand garçon roux.

Et dire qu'il eût voulu verser tout le contenu

de sa bourse entre les menottes du petit manœu-

vre. Leracheter, l'adopter peut-êtreIl resta même deux mois sans oser retourner à

Page 153: Eekhoud Mes Communions

iSO MK8COMMUStOKS

ce oaf~où il s'était rendu coupabled'une bonne,d'une généreuse et légitime pensée.

Chezcet étrange sensitif,que de sensationsana-

logues secrètes, contradictoires, perverses. Des

incompatibilitésde l'action et de la pensée, l'une

neutralisant l'autre, même des conflits entre

l'impressionet l'expression,aboutissante l'indiCe-

ronce, à une abstention perpétuelle.

Ainsi, presque toutes ses heures il les passaitavec des gens qui l'ennuyaient à mort et qu'ildétestait. Contrariant, tuant, étouffant, rendant

invisiblesaux yeux de la galerie ses affinitéssur-

tendues vers les élus de son cœur.

Un esprit fort! Quoi!

C'était l'avis de tous. 0 misère de nous 1

Page 154: Eekhoud Mes Communions

TANTEMAME

Hommede MM, de ortme.. a<MMtnet votear,Ta mMt t Mond~ yeux amomdrtt « MMtMttM,Et moi je toNchemts,moi dont la main eatpure,

Btenptutôt ta main que la tear i

MARHSo*

Combien de fois, aux heures crépusculaires, ne

me suis-je absorbé dans la contemplation de ton

lilial fantôme de phtisique, tante Marie, jeunesœur dé ma mère, la benjamine de mon aïeule,

ma sœur aussi ou mieux ma mère cadette Je ne

t'aimai que par delà la tombe, car je ne possèdede ton passage corporel sur cette terre que ce por-

trait peint qui te suggère adolescente au teint

nacré, aux yeux profonds, aux noirs cheveux en

bandeaux, douce tante Marie à la maladive et

poignante beauté des fleurs lunaires et des étangs

de minuit.

9.

Page 155: Eekhoud Mes Communions

ia8 MESCOMMCNtQNa

Quanta ton passagespirituel parmi teahommes,

je préserve un souvenir plus pUMsantencore ta

pensée, ton âme réfléchie dans la miroir sonore

des vers!

Aussi combien de <bia,après m'être attendri le

ccBuraux rayonsoccultes, et presque jooondiensdesgrands yeuxbleusdeton image, ai-je retiré de

mon tiroir aux reliques les poésies que tu écrivis

pour les tiens, pour tes neveux, pour quelques

aimés, ô lettrée sensitive, grande âme délicate quite consumais do pitié et do justice et qu'achevade dévorer, plus ardent que la fièvre, le désir

éperdu de l'avènement d'Amour.

Oui, je reprends ton touchantpetit livre, chère

exaltée, et je me récite pieusement ces vers de

généreuse révolte et à la fois de pitoyablecommu-

nion adressés aux ~a6tiaM<sd'uefs la veille

d'une c~deM~o~capitale.Ah quelle aspiration consolatriceet absolvante

vers ce « mourant plein de vie » que tu conjuraisdans ta nuit poétique, lointaine veilleusede l'im-

minent supplicié

Queje m'enorgueillisde notre parenté, 6 sainte

amie, quand, après avoir flétri les juges, les bour-

reaux et le Roi, leur chef, lui le dispensateur des

grâces~ui prêtera donne~Iajmort, tu glorifies et

Page 156: Eekhoud Mes Communions

TANTRMAME iaa

consoles ta victime « Je toucherais, moi dont la

main est pure, Monplutôt ta main que ta leur ?

Bientôt, à force d'épouser ta haine contre les

coupeurs do têtes et de m'assimiler ta tendresse

maternellepour lemisérablequi t'inspiraitpendantsa nuit suprême tes strophes rédemptrices, ces

strophes que tu lui envoyaiscommeles baisers de

range des pardons et des divines clémences, jeme suis mis à le choyer en ton souvenir, ce sup-

plicié, ton élu j'unis dans ma pensée sa pauvretête ensanglantée a ton sidéral visage de sainte

je confondsdans le mêmecuite collequ'endormaitlentement la mort envoyéede Dieu et celui quefauchait la mort saorHègecomplicedes hommes 1

La main de la sainte a touche la main du larron

et les lèvres de l'ange prête à remonter au ciel ont

oint le col ensanglanté du patient. Kt l'homme

proscrit par les hommes m'est devenu aussi sacré

que la femmerappelée par Dieu.

Tante Marie, ta chanté répare le crime d'Héro-

diade, car au lieu de faire tomber la tête que tu

baisas, tu la défendis, tu voulus en écarter le

couperet.Combiende fois, aux heures crépusculaires, me

suis-je absorbé dans la contemplation du lilial

fantôme. de tante Marie jusqu'au moment pu à

Page 157: Eekhoud Mes Communions

Mt:«fiOMMONKMtSiM

côté de ht paie apparition surgirait te chef plus

pâle encore, te chef ext~nguo du guillotiné, la

tête a la foisexsangueet sanglante.

JEtj'aireoherohe, dans les archivesde l~époque,!osmo!nd!'esn~ontionsde la figureot des gestesde tonprotôgô, de ton« pardonnéH,ô tante Marie,

sceupde ma mère, ma mère cadette, tant filiale-

ment aimée par delà la tombe.

Il ne comptequ'un peu plus de trente ans, le

tragique garçon, élancé, nerveux et puissant,taillé pouratteindre làge des patriarches, avecun

visagerégu!ioret pensif,à tarosecarnation, autour

duquel frisonneune flamboyantechevelurerousse

qui semble crépiter à l'ardent soleil de juillettandis que l'infâmecharrette le cahoteet le ballotte

de la prison jusqu'à la Grand'Place.

Pourquoi ce grand gars au placide visage a-t-il

assassinésoncam:rade de prison, pourquoi l'a-t-il

recherché lorsque tous deux avaient fini leur

temps?f

Pour le voler, a-t-il avoué lui-mêmeaux juges,et les juges l'ont cru, ou bien ils ont fait semblant

de le croire, de peur de toucher à des mystères

insondables, faits pour effaroucherleurs couardes

morales et leurs ignobles pudeurs 1

Quoi le forçatserait allé tuer la-bas ce~Mnpa-

Page 158: Eekhoud Mes Communions

TANfB MARtE i5S

gnon, son frère de bagne, pour le dépouiller d'un

péoule dérisoire, de quelques maigres sous, alors

qu'il abonde de isidôvalisablosbourgeois dans la

grandeville, Non, les loups ne se mangent entra

eux que lorsqu'il n'y a plus de moutons gras dans

tes parcs et bergeries.

Maisrespectons le silencedu suppliciéet ne lui

demandonspas plusqu'il n'a voulu dire. Il proféra

passer pour voleur que de profaner dessentiments

intimes, et si là-bas, dans les bois d'une pauvre

paroisse do sabotiers, il criblade coups decouteau

le visage do celui dont il avait tranché la gorge,

du moins n'a-t-il jamais mutilé par une paroleindiscrète la mémoire sombre et incendiaire de

l'immolé.

Non, certes, ce gars ne fut pas un malandrin

bassement et vulgairement cupide.Je l'évoque songeur et réfractaire, sanglé dans

ses vêtements de chaloupieret de loueur d'yoles,dans son jersey et ses bragues collantes, la vi-

sière de la casquette effrontément relevée, perpé-tuel simeur, incorrigible baguenaudier, trans-

gresseur absolu.

Les vagues insidieuses, peuplées d'invisibles

mais très musicales sirènes, ont dû lui parler de

maintes ivr~sot détendues, et, plus tard, aux

Page 159: Eekhoud Mes Communions

i56 MSapOMMONtOtta

heures sédentaires et Mehesdu pénitencier, les

murs, non'seutoment barbouillés de préceptes et

d'emMèmessubvorsi&mais satures de fauves et

.délétèresémanations~lui conCrmerentle~ttMan-

tations sournoises des vagues où fleurent les

bromes, les iodes et les phosphores qui font

monter les viriles aèvos et se débrider les pas-sions.

C'est dans son canotmême, au bord de la rive,où il cuvait, étendu, l'alcool des libations fu-

rieuses, que sont venus le cueillir les gendarmes

intrigués par ses ribotes et ses orgies extrava-

gantes.Se ruait.il dans la débauche en vulgaire bour-

reau d'argent ou buvait-ilpour oublier?.

Et, dans ce cas, quelle chose, quel être ?

Lui seul, ou toi peut-être me le dirait, ôbouche

du portrait de ma sensitive parente!C'est en plein jour, en juillet, à la saison des

cerises, qu'ils ont guillotiné le protégé de tante

Marie, à la saison des cerises, au mois par ex-

cellence de la Vie1.

Aneuf heures et demie, la charrette le trimbala,le cahota, de la prison à la Grànd'Place houleuse,

noire, suante de foule aSriolée, et mêmeémous-

iiIÏée.

Page 160: Eekhoud Mes Communions

TAtfn! MAWE iM

Dans ce grouiHis, il y avait encore plus do

femmes que d'hommes; il s'y pressait môme de

toutesjeunes fllles. Et pas seulement des mégèreset des harpies vomies par les sentines des quar-tiers sordides, mais beaucoup d'élégantes, des

dameset des demoisellesqui, la matinéeavançantet le soleil devenant intolérable, déployèrentleurs

coquettes ombrelles pour préserver les lys et les

roses de leur teint.

On était à la saison dos cerises on criait même

le fruit succulent dans la rue ensoleiUéo.

Et, justement, il se Ct qu'une marchande de

cerisesencore toute mignonne, do douze &treize

ans, avait suivi par curiosité, et aussi en flairant

une extraordinaire chalandise, la marée humaine

qui chassait toujours vers la Grand'Place.

Poussant sa charrette, elle s'est faufiléeà tra-

vers le remous, et la voilà qui débite à l'envi les.

bigarreaux sucrés et les griottes agréablementsurettes.

Une jolie tête séraphique au teint aussi lacté

que le tien, tante Marie, aux traits effrayants de

sérénité. Et sa voix grêle, son cri guttural domine

le brouhaha de la multitude.

Elle cria ainsi le fruit rouge et sapide, elle en

vendit par pochéeset par jointées jusqu'à ce que

Page 161: Eekhoud Mes Communions

)),'t:aMMMt'tW.

do fufiounof)(Mt:iÏhttt('nMdann ht futttpttotMeuvuo a

dtt chat!'humaine fUHxentannonce t'~ppMohode

tn~trunnsoraMf ami, Atante Mario.

Ahtt'M«Hosa MtMdohtuttHHfMachnïTottfot aHc j

Huivit d'un t'OM'Otd(ti~u t(! t<i!h~t'd'une autre

«!twrott«Mouht'<'M<n<t<tntcnhit(0!dtKVM~t'ëcht~md,

etf.Mr!aquoHo!'homme, M«tr«ht<mtttQ,Hôtenait

d<'hottt~lui oottsi.

An tn(ttnontou !o pationt paMsodevant o!!o,!e

M(~«Hs<!nth!t!ia ('«nffontw nvoo hti, t<utt il fnit

n<uMh<!t'!<ntt'f<<'hovoh<rcMd'un tt~tno roux ef~o!ot

ttvott~tMttt,littt~nMHMc<'<)pM'ti~t'<Muodit ptnMtiqttuj,

<'<!<)d)tmn~et !<? ffi~nMMtot~ do ht potito m<tt'-

ctxtndo do coriHoH,Mt (ttmtno ot!odonXno,tout

cumtno lui, la hotdc dof) t<~t<'Hha!otttntt'M,aux

bom'hoMh~ex, une voisine d'impie <)uiht fo-

<'«nt)<titM'~crio « Stt nHoM

M<tfi!Jon'a pas entendu.K!!on'a pKMHcnti un inHtnnt ht curionito du

puputaire auhtnt que t'cHt) des hoitpHdttmoMit

omtneth'HMopot'tor Hurc!!o8; MUon'!tjM~m6moacheté !c et'!qu'eHe )et~itm~chin~ement. A pff-

sont, MOMK~ndf)youx etaift)d'enfant, Nésyeux do

froide innocence,monMtt'uouscmentféroce a fofc6

docandcut', t'egafdont, fet;ard<mtl&-baH~Mant~nio'

tion, ce que c~ mt!!iors do ppuneitef)attendaient

Page 162: Eekhoud Mes Communions

T.~ft: MAtttH iM

depuis !a nuit, et regardent, ro~ardt'nt avidu-

tnent.

L'homme a Ïostenrtentj~ravi tes degrés de Fc*

chafaud H H'avanfoau-devant do !a pîato-forme«t «ntue, cr&noot prnsqHOddun!, H dn~tti ot M

gauche.

Le carMtûttcntftmû conrto r!toumot!o du

quart Mant dix heMM~un air j~ai.

Et!o yogardo,t'of(afdo.

Rt, pouf.Avant ta dot'ttim't!note, «no maMtwbtafat'dMet

!'ou~e, cuoitHoen un <ait' de couteat!, a rontpttet rougi, ta baf<,nn grand panh'r, et t'a ron~t

d'un rou~e pins intenso quMc«t<ndes ~t'iottos

et des hi~arroaux empourprant de leurs tuxu-

rianccs !@t<paniers do ta petite rougeaude.Sa nMoMais «'aimaient-HM,Houtemont?

î! est mort t)ans avoir reve!<~t'esMentietde na

tra~die et de Mapassion.ÏÏ mourut trop crânement pour n'avoir repr~-

Mûntë(pt'un vil detrousNeur de pauvrcHdiables.

Sans doute, un p!uHimpérieux etptusfata! mobi!e

poussa Moncouteau do marin.

Tu sais, toi, HonHecret,et c'est peut-être ce qui

fait pluseuitfmatiquoet p!uMapitoyé te Mourirede

ton portrait, ô tante Marie, et c'e~ta cette reveta-

Page 163: Eekhoud Mes Communions

MS MBSCOMMOMONjS

lation que ton regard doit cette.expression jocon'dienne qui m'attire, qui me navre, mais me rend

aussi plus passionné dotoi et de lui, tante Marie,veilleuse des supptiotës, ma touchante et mater- ~c

nelle initiatrice 1

t_

Page 164: Eekhoud Mes Communions

BURCHMITSU

A ~eftMta<! B~Mez.

OnMvorderen waren vrt,&<vh MttMvenwi,Sotano een hert dat tafheMbaetla eenen KMrteenboeMm ahet.

(Km ptrM étaient UbrMEt MbrMnous MstereM.Aussilongtemps q)t'an c<BMrtMîManH*Mchet6Battra dans une pottrtBe de KeM).)

fC&<HMMtdu JfM'<<*/!a<n<t<t<<<

1

Autrefois je passais, chaque année, quelques

jours à Ostende, non point « pjtr genre Bet pour

êtresignalé sur une plageéléganteparmi les riches

et lesjouisseurs perpétuels, maisuniquementpour

me-retremper dans l'atmosphère salubre de l'O-

céan et m'imprégner de l'avisante poésie des

paysagesmaritimes.

Page 165: Eekhoud Mes Communions

MES COMMUNIONSMS

Pour moi, notre littoral west-ilamand est tou-

jours cette farouche Kerlingalande des premiers

siècles, qui tenait en'respect les pirates normands

et qui, fanatique 3e liberté, échappa longtempsau joug des Isemgrins, les tyrans féodaux.

En cette fin de siècle, durant ïa saison, les

Isemgrins sont représentés à Ostende par la nuée

des cosmopolitains, des banquiers, des juifs alle-

mands, des courtisanes, des souteneurs en habit

noir et des aigrefins de la haute. Mais les pires

Isemgrins résident à demeure dans le pays et

s'appellent armateurs, poissonniers, écoreurs,

pour lesquels les Kerels d'aujourd'hui, nos

pauvres marins, sont race taillable et exploitableà merci.

Les énormes caravansérails, les villas à noms

exotiques et courtisanesques où s'installent les

richards me plaisent assez, à condition de les voir'

de la pleine mer; la distance effaçant alors les

mesquines rocailles et les placages de l'architec-

ture à la mode pour n'en plus révéler que les

vastes proportions et les grandes lignes bornant

d'une façon presque imposante le panorama de la

terre ferme.

Mais en eusse-je eu les.moyens, encore me se-

rais-je bien gardé de me faire rançonner et écor-

Page 166: Eekhoud Mes Communions

"Tt*tt.

BCRCH MtTSU !?

cher dans ces hôtels plus ou moins sublimes. Non,

je descendais dans quelque petite hôtellerie du

quartier populaire, mitoyenne de l'herberge fla-

mando et de la britannique boarding-house. Avec

sa façade ocre, chacune des fenêtres garnie d'un

lattis vert derrière lequel écarlate le géranium,

cette fleur pleine de bonhomie la maison dé-

gage une respectability tempérée de cordialité.

A l'mtérieur, tout reluit de cette propreté parti-

culière aux navires de guerre. Aux trumeaux de

la dining-room, quelques crabes géants alternent

avec les réclames des grandes lignes de steamers

et éontrastent de toute leur difformité avec les

mutines figures de babies et de misses chromo-

lithographiées dans les Christmas numbers.

Maisje bantais, de préférence, la salle du devant,

le cabaret même, plus topique, plus accueillant

encore. Surplombant le zinc poli du comptoir, des

pintes de calibres variés alignent leurs régiments

bien fourbis et attendent leur mobilisation pourles batailles d'ale et de stout. Gigots et roastbeefs

froids, jambons d~York imposants et majestueuxà l'égal de queen Victoria sanguinolent sous des

cloches qui sont de véritables coupoles de pan-théons. et, de temps en temps, avec un geste d'o-

gresse apprivoisée, la bazine, une Ostondaise

Page 167: Eekhoud Mes Communions

-1-M~

11 1.. I..MSSCOMMttNKMM

britannisante, après avoir repassa son coutelas,

découpe une large tranche que le capitaine de

navire, !e mate de chaloupe, le yachtsman, le

débarqué de ta malle reluquent d'un <Bitcar'

nassier.

0 la confortableet ragoûtanteaubqrge f

Le plaisant va-et-vient des gens de mer, depuisle petit mousseimberbe et jouStu jusqu'au timo-

nier hirsute qui s'yamènent, bras ballants,jambesroulantes. Ce sont des Français de Dunkerque

pataugeant jusqu'aux fesses dans des bottes

béantes, aux hardes lâches et débraillées~ d'un

blanc douteux, striées de viscosités,coiSésd'une

manière de casque à mèche, porteurs de noms

superbes commedes appels de claironsbibliques

Marie-Saint-Esprit-des-Anges des Anglais,en gros bleu, au béret rejeté en arrière, moins

hâbleurs, plus propres, mais hargneux et despo-

tiques puis les pêcheurs ostendaismêmes, d'as-

pect et d'aHure placides, de beaux gars, les

meilleurs enfants de la terre, un peu dépaysés,

gauchis jusqu'à en paraître piteux et godiches,dans cette taverne cosmopoliteoù leurs concur-

rents de Grimsby et de Rainsgate, autrement

protégés et défendus par leur gouvernement quenosmarins belges,se comportentcommeat home.

Page 168: Eekhoud Mes Communions

j

mmoatnrao M5

A certaines intonations, à des échanges de re-

gards, à des lampéesquisont desdéfis,je pressens

plus d'une fois que des parties de boxe et de cou-

teau se lient d'une tablée al'autre.

Quoiquenotre baes, un grand diabled'~ng~ts~,ancien forban, demeuré quelque peu contreban-

dier, penche naturellement du côté de ses compa'

triotes, il se pique d'impartialité et il expulserait

l'agresseur quel qu'il fût, de sorte que les oha-

maillis qui couvent et s'alimentent ici dans les

fumées du houblon et de l'alcool, n'éclatent gé-

néralement qu'au dehors, plus loin et plus tard.

En attendant, les heures s'écoulent benoîtement

en veillées vocaleset chorégraphiques.So~g and

dance Séancesdont les étrangers font les frais.

Romancesd'un bleu de myosotis, chantées avec

une componction de première communiante pardes gabiers barbus et mal équarris qui font rouler

à bord des jurons plus acres que leur chique et

plus abondants que leur salive Et des bourrées

Et des bagpipes A mesure que les pieds du dan-

seur, un pilotin membru, tricotent de plus en plus

vertigineusement, sa physionomiedevient de plusen plus grave et se revêt d'on ne sait quelle ex-

pression nostalgique. Puis, sa performance ache-

vée, souriant, il fait la collecteau profit despetiots

Page 169: Eekhoud Mes Communions

Ï66 ME8COMMUK)OX8s

d'un ancien qui a bu te grand coup ou, simple-

ment pardi, il a raison de l'avouer, la monnaie

n'en pleuvra pas moins dans son béret– au pro-fit deIloquipage en bordée.

Que de soirs dé~&lointains, de maritimes et

taciturnes soirs passés, en fumerie, en beuverie,à observer, à écouter, à m'angoisser délicieuse'

ment, commeen un rêve La béate torpeur aprèsles baignades et les excursions de la journée!Dans la porte ouverte s'encadre, de plus en plus

sombre, le velours bleu de la nuit où le rubis d'un

fanal au sommet d'un mât scintille à coté du bril-

lant d'une étoile. Good n.ight. Les matelots

lourdement démarrent, et leurs pas trainards s'é-

loignent, cadencés. Mais, à l'écart, dans les té-

nèbres desquais extrêmesou dans le dernier bougeouvert aux hourvaris et aux bagarres noctambules,éclate le cri de ralliement des anciens Kerels

Harop/ Harop/Sous le Flamand abalourdi et passif reparaît le

cher mauvais coucheur des Communes.En garde,les Anglais toi, le roucouleur de cantilènes, et

toi, le talonneur de gigues En garde Harop

Harop 1

Le matin, en ouvrant ma fenêtre, je contempleles bateaùx de pêche alignés côte à côte, rappro-

Page 170: Eekhoud Mes Communions

aORCHMttau M?

ohés jMteusoment, autant au sommet do leurs

mets une petite tangue de drapeau. Un peu plus

tard, ils ont disparu commepar enchantement. Le

bassin est désert. Pas unp barque n'est restée au

port. Elles ont prestement déployé leurs voileset,

remorquées par équipesjusqu'à la sortie du che-

nal, elles ont repris la mer à marée haute. En re-

vanche, quelquesheures après, a condition que la

mer soit propice, toutes seront revenues a quai.Ainsi les pigeons s'envolent et migrent de com-

pagnie.Devant moi se dresse le bâtiment de la minque

dont la clochesonneles périodiquescriéescomme

autant d'angelus. La minque, toujours saturée

d'un encens vireux mais salubre, regorgeant d'of-

frandes entassées dans les cloyères et les bannet-

tes, etcharroyéesduquaipar des mousses et des

poissonniers musclés. Et les chasse-marée atten-

dent sur un rail de raccordement avec la gare, le

moment d'apporter tout ce poisson aux voraces

terriers. Vides, le dimanche, par exemple ou

dans la soirée, ces grands wagons servent de

théâtre aux sublimes parties de cache-cache des

culottins et des bambines fagotés comme leurs

parents, héritiers rougeauds et poupards d'une

race extraordmairement proliuque. Future chair

to

Page 171: Eekhoud Mes Communions

MES COMMUNtOKaM$

à poisson, ces gaminsrieurs aHectent déjà J'allure

balancée des loups de mortCombien de ces délu-

rés espiègles mourront sur la terre ferme? Car il

s'en faut que la mer soit toujours la chatte cares-

sante qui flatte et câline de ses vaguilles feston-nées lesmondaines des beaux mois d'été.

j !t s'en îaut aussi qu'elie se montre nourricière

généreuse pour ceuxqu'elle attire sur sesabimes

d'ailleurs, elle aurait beau prodiguer les pêches

miraculeuses, le meilleur, la presque totalité du

gain remplit les coffres d'âpres et cupides cour-

tiers.

Que d'angoisses lorsque la mer a ses fureurs

noires et qu'elle s'agite comme en mal d'enfant,car ses gésines préparent des mortuaires au lieu

d'annoncer des naissances Heureuses, les Osten-

daises, quand il n'y a pas d'absents, quand toutes

les barquessont rentrées Cesjours de tourmente,.il y a foule sur l'estacade les femmes guettent à

l'horizon la voile du père, du mari, du frère, du

fiancé, du fils bien-aimé. Cesjours-là, les chemi-

nées des masures n'arborent pas, à l'heure de

midi, la joyeuse fumée. Et les derniers écus,des-

tinés à tromper la faim, se fondent, pour tromper

les angoisses,sur les comptoirsdes cabarets Et,ces jours'Ià aussi, la marmaille, accrochée aux

Page 172: Eekhoud Mes Communions

BURCMMttStta~aca t(59

j~uposdes ménagères, eï'!ait!e et, t'cstomna vide,

n'a pas !e ccem'aujeu t

Et comme s'Hne su~sait pas des bourrasques

pour décimer cette populationccunpapte,de temps f

en temps le typhus, le choléra, la variole distri-

buent quelques coups de balai dans ce grouillis

de misérables qu'on croirait, a les voir peiner si

dur, nepas souhaiter mieux que d'être supprimesune bonne fois Et pourtant !epullulementrecom.

monce de plus belle. Et pour un naufragé, il y a

toujours six nourrissons. Le père entre dans la

nuit sous-marine, avant que sondernier-nô voiele

jour Chaque été les pots de géraniums arborés

aux fenêtres des bicoquesn'épanouissent pas une

fleur de moins, et les ménages comptent toujoursle même nombre de petiots l'

Les vieillards, au seuil des portes, semblent

presque aussi nombreuxque les mèreset les bam-

bins, car il faut croire que l'Océan est surtout

friand d'hommesdans la fleur de l'âge. Lesveuvesde plusieursépouxont desenfants de plusieurslits,on pourrait dire des orphelins de plusieurs' tem-

pêtes. Le dernier mari est souvent à peine plus

âgé que le fils aine

Que de flâneriespar les petites rues batelières,

laides, ohoui sales et trop droites, mais si pitto-

Page 173: Eekhoud Mes Communions

MO MESCOMMUN!(M<8

resquemonthabitées. Et Faspaet de ville joujou,aux maisons bariolées comme cellesdes boîtes de

Nuremberg, que présente le quai des Pêcheurs,vu de la plaine entourant le nouveau phare.

Je m'arrête devant les éventaires des échoppeset régate tes marmots, aux prunelles élargies parde gourmandes convoitises, d'une livre do bigar-reaux ou de cerises noires. Les commèrespren-nent !e frais sur le pas de leurs portes, remaillent

les filets ou tricotent pour leurs hommes un de

cesjerseys de laine bleue, sans couture, comme

la tunique du divin maître, dans lequel se

moulent les torses bombés. Que de crépuscules

passés à contempler ce quai des Pêcheurs avec

ses alléeset venues de matelots

A les juger sur leurs allures, on prendrait ces

solidesmaroufles pour les ouvriers les plus pares-seux de la terre. Ils promènent leurs grandescar-

casses flegmatiqueset charnues le long des quais,sur les estacados,ou s'allongent à plat ventre et

baient aux nuages et scrutent au plus profond de

Fhorizonles voiles des camarades. Quelques-unssont briquetés, d'autres ont des physionomies

ligneuses et basanées; presque tous ont la peau,aussi dure que le.pain noir qu'ils mangent. A les

voir batifolerentre eux, ous'éterniser devant un

Page 174: Eekhoud Mes Communions

BURCH MtTSU 17t

vorrodebiéro, on sa méprendrait sur leur énergie

otieuraotivitô.

Pendant la saison, ceux que la pêche n'occupe

pas guettent, surl'estacade, le passagedes clients,

pour leur proposer une promenade en mer, dans

l'un de ces petits oanotsà voilesgarés au pieddes

pilotis rongés de varechs. Neuf fois sur dix, le

flâneurpasse, importune. Moi-même,au début, jofaisaisa peineattention à ces humbles industriels,et écoutaisavec impatience le bonimentqu'ils me

baragouinaienten un français de contrebande

Un bon petite brise pour un petite tour en

mer, Monsieur?. Un joli bateau et un bonne

matelot, Monsieur?

Unjour cependant, la figure d'un decesbraves

garçons indiqua tant de supplicationet de contra-

riété à monrefus, que sur le point depasseroutre,

je consentis à fréter sa coquille de noix. Il godillason embarcation jusqu'à ce que nous fussionssor-

tis du chenal. Puis il se mit en devoir de guinderson mât et de brasser sa voile.

C'était un grand' blondin, au teint briqueté,

membru et robuste comme un homme fait, quoi-

qu'il n'eût pas encore l'âge d'un conscrit. La

bouche charnue et songeuse,. parfois mutine,

démasquait des dents extrêmement blanches et

tôt

Page 175: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMCNtOKS

saines. Desesyeux bleus, de ce bleu profond et

enveïoppeurdeschaudesnuits dejuillet, coulaient

des regards expansifst Visage'ouvert et candide,dont l'expression caressante et débonnaire con-

trastait avec ta carrure imposante et les ronds

bicepsdu sujet. Le jersey enfoncédans ses brà.

gués collantes, une courroie jaune serrée à la

taille sur la tête, la petite casquette des marins

d'Ostende, un peu rejetée en arrière dans cet

accoutrement sommaire ses gestes avaient une

liberté, une assurance et une véritable grâce.

Aussiporté que je sois pour les gens du peuple,celui-ci me revenait particulièrement.

Je me mis à converser aveclui, et il faut croire

que je lui inspirai confiance et qu'il devina ma

sympathie, car il m'apprit dès cette premièrepro-menade un tas de particularités sur sa personne,sa famille, sa condition et sonmétier.

Il s'appelait Burchard, ou plutôt: par abrévia-

tion et plus familièrement,Burch Mitsu.C'était le

second de cinq frères, dont l'aîné, de deux ans

plus âgé que lui, pêcheuret marin modèle, était

engagé pour la navigation hauturière et se ren-

dait, comme les marins de Paimpol, jusqu'au

Groenland, à Terre-Neuveet en Islande, à chaquesaison de la morue. Burch me vantait ce grand

Page 176: Eekhoud Mes Communions

MtMKMtTSO M

frère avec une admiration lyrique et rêvait de

marcher un jour sur ses traces.

En attendant, il faisaitson apprentissage àbord

des bateaux qui vont pêcher le poisson côtier.

J'avais plaisir à entendre ce brave garçon me par-ler de lui et des siens. Il medisait avec tant de

simplicité leur vie de labeur et de périls; leurs

salaires dérisoires les soucisque causaient à leur

mère, demeurée veuve, les tout jeunes frères et

sœurs, une véritable couvée,tout un petit monde

qu'il fallait nourrir et surveiller, et pourvoir de

sabots, et tenir en bonne santé il me parlait avec

un tel abandon, une effusion si flatteuse pour le

confident de ces détails intimes, que je ne me las-

sais pas de l'entendre. Touten causant, il manoeu-

vrait le mât et la voile. Sa silhouette fière se dé-

coupait sur l'immensité du paysage. Plus d'une

fois, en l'entendant, je merappelai ce passage de

Gœthè où Werther parle de l'impression que lui

procure une idylle d'amour racontée avecle pleinaccent de la passion vraie par le valet de ferme

qui en est le héros. Le mâle et doux langage était

imprégné de la notion du devoir compris dans

son sens le plus hautain et touty vibrait de Fama-

tivité sans phrases d'un de ces chauds et pante-lants cœurs du peuple, d'une de ces natures vier-

Page 177: Eekhoud Mes Communions

MESC~MMUMOttSi74

ges et: presque infantiles, d'impulsion logique,d'instinct juste, de compréhensiongénéreuse, quine connaîtront jamais les transactions vitesses

subterfuges elles fëloniosj

En voila un, me dîsais~e, qu'il serait dnBciIe,mais bien dangereux, de pousser à bout Une fois

hors de ses gonds, il n'y rentrerait plus 1

Je m'attachais de plus en plus à ce compagnonet renouvelais souventmes excursions le long du

littoral jusqu'à Knocke, d'une part, jusqu'à La

Panne, de l'autre.

L'habitude de sa présences'invétéra a tel point

que lesmatins où un contretempsm'empêchait de

m'embarquer avec lui, un vide se creusait dans

ma journée. Parfois aussi, il avait été engagé pard'autres clients, et je me voyais forcé, plus pourlui faire plaisir que par goût, de louer la barqueet de me contenter des servicesd'un camarade, à

qui le digne garçon me recommandait. J'ai même

souvent pensé, par la suite, que mon ami ména-

geait ces occasions pour faire profiter de son

aubaine un concurrent moins avantagé et plusnécessiteux que lui. Aucunedélicatessenative ne

devait lui être étrangère. Je n'eus, d'ailleurs,

jamais àmeplaindre de ces remplaçants. C'étaient

débrayes marins comma lui, qui, loin de cher-

Page 178: Eekhoud Mes Communions

BCRCNHtMU tT5

cher, comme c'est généralement le cas à cette

époque d'âpre lutte pour la vie, à lui enlever sa

pKttique et à l'amoindrir, à le « débiner ? pour

mieux se faire valoir, disaient de lui tout le bien

imaginable, me vantaient sontalent professionnel,

confirmaient ce,que je savais de son intéressante

famille, enchérissaient mômesur des traits que sa

modestie l'empêchait de publier.Cette année encore plus que les autres, je vis

s'approcher la fin de mes courtes vacances avec un

sentiment de tristesse et d'appréhension.

La mer me captive et me béatifie à tel point que

je nel'ai jamaisquittée, pourrentrer dans la grande

fournaise citadine, sans un crispant serrement de

cœur. Et c'est presque navré jusqu'aux larmes

que, dans le train, le nez collé à la vitre, je vois

décliner la silhouette du phare derrière la bordure

d'arbres prosternés par le vent d'ouest 1

A présent que j'avais trouvé une âme parfaite-ment adéquate à la contrée de mes délices, un

être qui s'harmonisait avec cette nature patriale,

mon départ devenait plus cruel encore Quelque

superbe que soit une région, j'estime, à l'encontre

de beaucoup de misanthropes rustiques et depaysa-

gistes boudeurs, que l'homme en demeure le véri*

table centre, le plus éloquent foyer. Souvent, il

Page 179: Eekhoud Mes Communions

!*? MESCOMMWNtONa

sufnt d'un être humain, d'une créature bellement

autochtone, pour condenser et résumer la nature

d'un pays, voire d'une race, avec toute l'intensité

et la magnificence dn symbole.

Ainsi, je le répète, ce simple ouvrier qui ne

soupçonna jamais quelle prépondérance il revêtait

à mes yeux m'incarnait à la fois le mystérieuxet toujours jeune océan et la noblesse stoïque et

intrépide du métier de marin. Des générations de

naufragés sublimes revivaient et sympathisaienten l'épanouissement de sa blonde jeunesse. Ce

pauvre diable, ce paria était corrélatif aussi de la

patrie flamande et, avec son masque à la fois ré-

solu et placide, viril et touchant, c'est ainsi que jeme figurais les Kerels ou les Pieds-Bleus, la ter-

reur des Isemgrins et des Normands. Mais plusencore que tout cela, un charme mystérieux,

indéfinissable, queje ne m'expliquai que plus tard,

me retenait auprès de ce matelot.fruste et illettré.

Souvent, dans son discours et dans sa physiono-

mie, dans ses gestes les plus simples, dans ses

attitudes pendant les manœuvres de notre barque,dans toute sa personne en6n~ en dépit de la signi-

fication et de la portée actuelle de ses paroles et

de ses mouvements, surgissait un prestige occulte

et virtuel. En l'écoutant et en le regardant, je

Page 180: Eekhoud Mes Communions

MJRCHMtTSU m

songeais–je n'aurais su dire pourquoi–- a de

généreux saorinoes.~e l'associais a des pressenti-!

ments aussi mélancoliques que des regrets. Je

l'avaïs devant moi et déjà il m'était mémorable, jedirat mêmelégendaire.

Plus d'une fois me venait aux lèvres ce refrain

de ses très arrière-ancêtres « Nous allons chanter

les Kerels. Cesont de mauvais gredins. Ils veu-

lent dicter la loi aux chevaliers et portent leur

bonnet de travers a Aujourd'hui je m'expliquecette voix passionnée, cette allure lointainement

tragique et cette lumière bizarre et fatidique quile nimbait à certains moments 1

Mon dernier soir d'Ostende flatta et exaspéra

singulièrement ces mystérieuses dispositions sym-

pathiques. J'étais resté longtemps avec Burch sur

la digue, au pied de l'ancien phare, à contempleret à écouter la mer. Depuis des heures nous ne

parlions presque plus. Il fallait nous résoudre à

rentrer. Au moment de la séparation, nos mains

demeurèrent longtemps étreintes « Alors, à l'an-

née prochaine, lui dis-je, à moins que d'ici-là vous

neconsentiezàvous aventurer un jour à Bruxelles. »

Mais à l'idée de s'engager à l'intérieur des

terres, pour toute réponse Burch tourna nilialc-

ment ses regards vers la féline hypnotiseuse et les

Page 181: Eekhoud Mes Communions

iT& ~nsscoMMONMM~ f

ramena ensuite vers moi, avec un ton sourire

incrédule, exprimant plus éloquemment que des

paroles l'absolue incompatibilité de ce voyageavec sa personne, avec sondestin peut-être.

La mer grondait chantait 'doucement elle

avait l'air defaire le gros dos. Or, en ce moment

de nos adieux~ comme si l'élément despotique,suzerain absolu de mon féal camarade, devenait

envieuxde notre intimité, une grossevague s'éleva

là-bas, au-dessus de la nappe à peine agitée, bon-

dit vers nous et, phosphorescente, en s'éparpillantsur le brise-lames, crépita commeun lointain feu

de peloton.

II

Cependant juillet revint et, avec ce mois, les

quelquesjours-detrêve si impatiemmentattendus.

A mon arrivée à Ostende j'eus bientôt relancé

mon ami dé la saison passée. C'était toujours le

même brave, superbe et cordial garçon. Et dés

notre nouvelle rencontre nous nous retrouvions

ajustés, nos caractères s'emboîtaient comme si

nous ne nous étions jamais quittés. Un air plus

grave, plus préoccupé me frappa chez mon féal

camarade et perça sous les éclats de sa belle hu-

Page 182: Eekhoud Mes Communions

BOMHMtTSU 119

meur. Dans la voixmâle et cuivrée, au métal gé-

néreux qu'on aurait dit coulédans le même moule

que les bourdons des beiïroisoonMnuniora,grat-

taient, rauquaientdes notes étranglées et sourdes

révélant une préoccupation, un souci qui deman'

dait à s'épancher. Sa fierté l'empêcha longtempsde me confier cette peine et aussi désireuxquejefusse de provoquer sa confidence, je craignais de

l'enaroucher en le questionnant directement. Je

remarquai aussi que plus je lui parlais avec bonté

pour l'amener à m'ouvrir son cœur, plus sa voix

rude et forme tremblait et s'engorgeait et plusses yeux vaguement brouillés de larmes démen-

taient le loyalsourire de ses lèvres. Ledigne Burch

ne plaisantait plus avec sa rondeur et sa gaillar-dise habituelles dans ce ragoûtant et pittoresquedialectewest-flamand, langage aux flexionsinsi-

nuantes, se perdant en un gazouillis de voyelles,dont les molles intonationsjurent avec l'air crâne

et les gestes énergiques de ceux qui le parlent.Unjour, las de sa contrainte, je me décidai à

lui demander nettement ce qui lui pesait sur la

poitrine. Il essaya de protester, de se récrier en

enflant la voixet en éclatant de rire, mais je ne

fus pas dupe de cette fausse hilarité et j'insistai,me fâchant presque, froissé par sa méfiance

Page 183: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMUMMtaMO

« Vous n'avez donc aucune amitié pour mot? &

nnisje par lui dire. Ace reproche il fondit en un

Cm:de paroles lourde~et crispantes commeautant

de sanglots qui menaçaient atout instant de tour-

ner en larmes et qu'il déguisait sous une toux

convulsive. Il m'avoua et me dépeignit sa gêne

profonde,celledes siens, celle de tous ceux de son

métier. De plus, la conscription le guettait cet

hiver, et ce n'est pas un gaillard fait comme lui

qu'on exempteraitdu services'il tirait un mauvais

numéro 1 Leur dangereux et pénible labeur ne

rapportait presque rien, alors que les nécessitésde

la vie augmentaient de jour en jour. Ils ne pé-chaient pas moins,de poisson cependant ils mon-

traient toujours autant d'ardeur et d'énergie au

travail Commentse faisait-ilalors qu'autour d'eux

on s'enrichissait, on vivait dans l'abondance, sans

un mauvais jour, en se croisant pour ainsi dire

les bras Pourquoi les travailleurs étaient-ils seuls

à pâtir « Est-il juste, Monsieur, disait Buroh,

que nous ayons si peu de pain ? Chaque jour le

bourgeois rogne sur la maigre ration qu'il nous

accorde. Nous ne leur coûtons pas grand'chose,

cependant, aux patrons Du moment qu'il y a de

quoi manger nous sommes contenta de notre sort.

Notre luxe, c'est un peu de braise dans la chauffe.

Page 184: Eekhoud Mes Communions

BURCHMtf9U 181

retto de grand'mère, un mouchoir de couleur ou

une bague en argent pour notre promise, un ca-

ramel, un 6a&e~ee~pour les mioches, des pan-toufles à fleurs ou des bottines à piqûres de filsde

couleur et à très hauts talons pour faire le brave

et nous ballader avec nos amies après la bosogne,une poignée de censs encore au fond du goussetde notre bonne culotte de drap noir neuve de-

puis Pâques dernière juste de quoi battre quel-

ques /H~ers dans les salles de danse du port et

vider au même verre un ou deux litres de bière

brune en grignotant une tranche de scholle (1)

qui rend la boisson plus caressante au gosier

Jusqu'à présent ces douceurs ne'nous étaient pasrefusées Nousprenionsgaimont la vie et s'il sur-

venait une contrariété, ma foi, celle-ci passaitcommeune nuée nous mordions plus rudement

notre chique, voilà tout »

Sur ces entrefaites, Gust, le frère aîné de Burch,le digne pendant dé mon inséparable, mais plus

hâlé, plus massif, déjà barbu, la vivante imagede ce que Burch serait devenudansdeux ans, était

revenu de la grande pêche et, en mer, un jour que

(1)ScAoMe,carrelet;/MA&M's,entrechats;ceuss,deuxcen-times 6a&c!ecr<sucreriefavoritedcaenfantsdupeuple.

Page 185: Eekhoud Mes Communions

MS MSSCOMMCNMMM

je les avais loués tous deux,ce Gust me complétale tableau de la situationpitoyable des marins de

notre littoral:

Les éooreurs, c'est-à-dire les commissionnaires

qui se chargent devendre la cargaisond'un bateau

de pêche moyennant un pour-cent véritablement

usuraire, se liguaient avec les armateurs et les

gros poissonniers contre les infimes manouvriers

de la mer. Et comme s'il ne suCBsaitpas de ces

écoreurs, ou plutôt de ces écorcheurs, pour ran*

çonner tes pauvres diables, l'ogre État et l'ogre

municipal, représentés par un tas de gabelous et

de recors, achevaientde les dépouillerdes deniers

obtenusau prix de tant de luttes et depérils. Enfin,ceci pour le coup de grâce, l'étranger faisait, sur

le marché d'Ostende même, une concurrence dé-

sastreuse aux marins belges. Oui, les gros ma-

rayeurs ostendais, au lieu de favoriser leurs pau-vres concitoyens, les pêcheurs indigènes, leur

préféraient les Anglais et les Frcnçais 1

Ainsi, ayant pris la mer vers la fin de juin, la

flottille islandaise dont Gust faisaitpartie avait été

précédée au port par un gros arrivage de bateaux

boulonnais et la présence de la morue des Fran-

çais avait abaissé à la minque la morue osten-

~aisc de dix francspar panier; de sorte quecelui-

Page 186: Eekhoud Mes Communions

mtMNMfrac [ i83

ci ne valait plus que soixante-dix francs. Pour

ajouter à y amertumede Gust et de ses compa-

gnons, c'était &la consignationd'écoreurs et d'ar.

mateursostendais que les bateaux de Boulogne

étaient venus vendre leur pêche.Et dire que lorsque tout se passe pour

le mieux nous gagnons à peine de quoi subsis-

ter 1 ajoutal'aine des Mitsu. Jugez-en~Monsieur

un sloop est généralement monté par quatrehommeset un mousse, commandépar un patron.

Après une pêche qui dure, lorsque le temps est

favorable, sept àhuit jours, je parle de la pêcheordinaire dans lamer du Nord, mais qui se pro-

longe beaucoupplus longtemps lorsque It mer est

mauvaise et le vent contraire, le bateau regagne

leport avecune cargaisonvalant en moyennecinqcents francs. L'armateur commencepar retenir

de cette sommele total des frais de remorquage,droits de minque, prix de la glace, total qui monte

bien à deux cents francs. Il s'attribue encore

quinze pour cent pour les avaries et l'usure de la

barque, pour l'entretien des cordages, ce qui fait

soixante-quinzefrancs. Restent donc deux cent

vingt-cinq francs de bénéfice,dont chaquehomme

de l'équipaqe ne touche que cinq pour cent, soit

une douzaine de francs. Et c'est avec ces doux~

Page 187: Eekhoud Mes Communions

;M MNCOMMONtONS

francs que le pêcheur est obligé de fairevivre sa

famHIo!

Non seulement les étrangers,avec la complicité

de nos proteo~urs naturels, viennent nous arra-

cher de ta bouche cette misérable croûte de pain,

mais nous sommes persécutés et spoliésde toutes

façons par nos concurrents dans les pêcheries de

la mer du Nord. Ils ne se bornent pas a nous

fermer leurs ports et tours marchés, mais ils vou-

draient encore nous empêcherde prendre le pois-

son. Quant au gouvernement belge, la pro-tection qu'il nous accorde est tout bonnement

dérisoire a»

Et Gust, entrant dans desexplicationsdétaillées,

me raconta les conflits entre chalutiers belges et

harenguiers anglais. Les chalutiers pêchent au

moyen d'un filet en forme de sac. Celui-ci, rat-

taché, à l'aide d'un câble solide, au bateau quidérive avec la marée, drague le fonddela mer. Le

harenguier, lui, use de filets perpendiculaires

plongeant à plusieurs mètres sous l'eau et s'éten-

dant sur un espace d'une lieue et plus, retenus

par des bouées qui flottent à la surface. Le ba-

teau harenguier, amarré à cette muraille flottante,

garde une immobilité relative, tandis que le cha-

lutier sc livre à decouHtiueIsdéplacements. II en

Page 188: Eekhoud Mes Communions

BMCRMNSCj 185

fesuïte que lorsque dans sa course Je chalutier

rencontre les filets du harenguier, il no peutavancer qu'en relevant son filet et en perdant

parfoisplus d'une heure que dure cette opération,a moins de passer outre, brutalement, et de dé-

chirer les engins obstruant sa route. C'est à ce

moyenexpéditif que tes chalutiers, de loin les plus

nombreux, les Belges aussi bien que les Anglais,les Hollandaiset lesFrançais, recouraient presque

chaque ibis au début, exaspérés qu'ils étaient parles barrières qui se dressaient dans toutes les di-

rections devant eux. Maisles honnêtes English se

défendirent d'user jamais de ces pratiques vio-

lentes et en attribuèrent le monopoleexclusif à

nos pêcheurs flamands. Ils donnèrent même le

nom de belgian devil ou diable belge à l'un des

instruments tranchants employéspourperforer les

filets des harenguiers et ils exhiberont cet outil

destructif, en manière de pièce à conviction,pour

accabler leurs rivaux, dans tous les procès ou en-

quêtes provoqués par des différends entre pé-cheurs des deux nations.

Nos simples matelots, à commencer par C*ust

et Burch Mitsu, se disaient avec la logique pri-mordiale des Kerels, les anciens aborigènes, quela mer étant libre, nul n'a le droit de s'y implan-

Page 189: Eekhoud Mes Communions

MM COMMUM<MMK6

ter à l'exclusion des autres, et partant ils esti-

maient que l'emploi du diable belge ou de tout

autre diable du même genre n'avait rien de cri.

minel. Longtemps donc, ils ne se firent faute de

frayer, à coups de hache et de tranobet, un che-

min à travers les rets des gêneurs, et de mettre en

capilotade les filets des harenguiers. Toutefois,

depuis la convention de La Haye, nos gaillards,

soi-disant mieux éclairés sur leurs devoirs, ont

délaissé ces pratiques sommaires. On ne trouve-

rait même plus à bord de nos chaloupes osten-

daises un seul des engins prohibés. Celan'em-

pêche pas les Anglais de nous accu~r comme

devant. Lepréjugé s'invétère surtout à Lowestoft,

où les tribunaux se montrent d'une partialité

outrageuseà l'égard des marinsflamands.Lorsqueceux-cine sont pas poursuivispour avoirlacéré les

filets des harenguiers britanniques, on leur cher-

che chicane à propos de la disposition de leurs

feux. D'autres fois nospêcheurs auraient menacé

ou assailli les étrangers, comme s'il pouvait rai-

sonnablementvenir à la pensée de l'équipage d'un

sloopostendais, composé tout au plus de cinq ou

six placides matelots, dont un gamin, d'aborder,

d*assaM«e! comme disent les insulaires, un ha-

renguier monté au minimum par dix formidables

Page 190: Eekhoud Mes Communions

BOMBMnac tM

gaillards. Ennn, les chicaneurs d'ou~è.mer pous-sent l'acharnement contre nos malheureux com-

patriotes jusque les accuser de résistance aux

croiseurs britanniques qui les surprennent en état

de contravention,commesi un infimepetit bateau,

équipé de la manière qu'on vient de voir, s'avi-

serait jamais de lutter contre quarante à soixante*

dix oh~ac~s de la marineroyale, armés de cara-

bines, sans parler d'une réserve d'armstrongs et

de hotchkiss.

Je rapporte, ici, une grande partie des rensei-

gnements que Gust Mitsume procura sur la con-

dition des pêcheurs belges comparée à celle des

étrangers, car cesparticularités feront mieux com-

prendre les événements que cette condition, pré-caire jusqu'à en devenir inique, allait amener.

Gust me raconta encore qu'il était avéré quemaintes fois les armcteurs britanniques poursui-vant les Belges pour de prétendues nuisances,

par exemple pour la destruction de leur matériel

de pêche, avaient envoyéen mer des engins dété-

riorés et hors d'usage, dont ils se faisaient ingé-nieusement payer le remplacementpar nos débon-

naires compatriotes.Ri la grande pêche ne rapportait guère, l'autre

était plus ingrate encore. Burch me conta que les

Page 191: Eekhoud Mes Communions

MM COMMCNïONSi88

poissonniers ~ent au nez de sa Saucée lors-

qu'elle s'avisait de demander trois francs d'une

manne de crevettescontenantune dizainede kilos.

Ils lui mettaient le marché à la main et il lui

fallait bienpasser par leurs exigencesou sinon les

exploiteurs s'adressaient à une pauvresse plus

coulante, peut-être, hélas,.plus dénuée, plus dé-

sespérée encore. Et dire que dans les restaurants

une poignéede crevettes servie, en hors d'œuvre,allait jusqu'à des deux et trois francs 1

Ah, se demandait le pauvre garçon, pour-

quoi ces riches messieurs et dames ne traitent-ils

pas directement avec nous? Pourquoi cet entête-

ment à enrichir les gros boutiquiers, les fournis-

seurs qui nous accordentà peine un liard pour ce

qu'ils revendront une pièce d'or 1

Et je songeais qu'à tous les échelons de la vie

économique, les intermédiaires jouaient le rôle

d'affameurs. La disproportion entre le gain du

salarié, du principal facteur de toute productionet celui du marchand roublard et parasite criait

vraiment vengeance à l'avenir, au siècle de

demain! Et je déplorais cette paresse, cette bête

d'indolence, cette sotte vanité du millionnaire qui

paie au mercanti sans marchander, sansbroncher,

des sommes fabuleusespour la denrée à la con-

Page 192: Eekhoud Mes Communions

BWCa MtTM i89

quête ou à la fabricationde laquelle le misérable,serf de la glèbe, de l'océan, du charbonnage, de

l'usine ou de l'atelier de couture n'a ramassé

que tout juste de quoine pas creverde faim Et,en me faisant ces réflexions,je mesentais devenir

bien plus enragé, bien plus révolté que les victi-

mes de cette abominable exploitation et je no

savais lequel était le plus inouï, de la résignationet de la mansuétude de l'indigent ou du cynismedes oligarques1

Ces huit jours de vacances s'écoulèrent pourmoi dans un état de malaise et d'énervement. Je

ressentais profondément la détresse ambiante et

Burch ne m'eût-il pas confié les tribulations qui

l'accablaient, lui et tous ceux de son métier, que

la rue, le quartier despêcheurs, jusqu'aux façades

de leurs bicoques, jusqu'à la lourdeur même de

l'air qu'ils respiraient me les auraient révélées.

Les orgues de Barbarie et les orchestrions des

cabarets voisins de mon auberge, les moulinsà

musique qui si souvent m'avaient empêché de

dormir et fait pester les nuits du dimancheet du

lundi, n'accompagnaientplus les ébats des lourds

danseurs fringuant entre eux ou accolés à leurs

« bonnesamies ». Plus que jamais les marins des

diverses nationalités faisaient bande à part. Là

Page 193: Eekhoud Mes Communions

MMCOMMCNKMMMO

hargne, la provocation,la haine transpiraient dans

les moindres gestes et dans les plus indiSerentes

paroles desOstendais, d'ordinaire si conciliants.A

présent des rixes éclataient tous les jours et les

batailleurs n'attendaient même plus pour en venir

aux prises, les heures nocturnes et les endroits

écartés, mais en plein midi la police devait inter-

venir dans les échauSburées et conduire au postedes pugilistesou desjoueurs de couteau.

Dans la ville neuve et mondaine, sur la digue

fashionable, on ne se doutait pas de cette fermen-

tation de sombre augure et c'est à peine si un

écho de ces chamaillis défrayait incidemment les

conversationsdes tablées d'hôtes ou se mêlait aux

potinières parlotesde la plage. Un temps superbecontribuait à bercer le monde élégant dans son

bien-être opulent ot sa végétative quiétude. La

chaleur, cette année, était même telle qu'elle en

devenait insupportable partout ailleurs qu'aubord de l'océan. Jamais, de mémoired'Ostendais,difficilesà contentercependant, la saison n'avait

été aussi rémunératrice. Hôtels, villas, pensions

regorgeaient de baigneurs.

Auxheures d'exhibitions mondaines c'était, sur

l'estran, devant le <ccarréadesbains, un éblouis-

sement de toilettesclairessavammentchiBbnnées,

Page 194: Eekhoud Mes Communions

BCMtt M!TM i<M

une corbeille de professionnelles beautés de tous

les pays du globe autour desquellesbourdonnait,en des Sirtages ostensibles, l'essaim des jeunesbêtas insupportablesd'arrogance et de fatuité.

Lessoirs, au Casino,on dansait et onjouait avec

rage. Les concerts panachés duKursaal remémo-

raient aux abonnés des Opéras et des BouSos

les grands succès de l'hiver précédent; Wagner

alternait avec Delibes et la valse des Ma~fes

Chanteur8 s'acoquinait aux pizzicatide Silvia.

Cependant, les pêcheurs flânaient et chômaient

en plus grand nombre que d'ordinaire. Ils met-

taient une certaine jactance bourrue a encombrer

l'asphalte du promenoir et ils accaparaient d'un

air torve, des heures, sans démarrer, les bancs

commodesréservés à l'indolence des promeneursdu high-life.

En rue, les musards ne s'abordaient plus avec

leur bonhomieet leur jovialité habituelles, avec

ces grosses mais cordiales appellationsponctuéesde bourrades qui font s'épanouir plus largementet se détendre plus radieusemènt encore leurs

bonnes faces plébéiennes.Dans le chenal au bas des pilotis, les chalou-

piers cessaient d'offrir leursembarcationset leurs

bonsservices aux habitués de l'estacade.

Page 195: Eekhoud Mes Communions

N~COMMCNtONa"19~

Peu de banquesostendaisesprenaientla mer. Le

mouvement du port et do la minquon'était plusalimenté que par l'ëtrangey.

Je me rappelle spécialement, en poignant con-

traste aveo!e marasme du marché, un jour de

régates les yachts de plaisance venant do Dou-

vres, luisants, corrects, peints a neuf, batelots de

luxe enn!ant le goulet d'où tant de boso!gneuses

chaloupesostenda!sesappareillèrent pour le nau-

frage, le canon prodiguant des salves de bien-

venue, les voiles blanohes comme un plastronde dandy, les carènesvernies ainsi que des escar-

pins de bal, les flammes multicolores nouées

coquettement, en manière de cravate, au sommet

du mât. Cette flottille de ballade, ces équipages

d'amateurs ces dilettanti de la navigation

défilant devant les vides et rugueuses barquesdo pêche ostendaises, barques grévistes qui loin

de faire parade comme en d'autres temps de Ker-

messe, avaient ramené ou même enlevé leur

pavillonLa kermessed'Ostendecoïncidant avecces fêtes

mondaines, rendit toutefois une apparenee de

joie violente et de vie en dehors au quartier des

pêcheurs. Chezles logeurs, mes voisins, les mu-

siques rabâchèrent leurs loures et leurs quadrilles

Page 196: Eekhoud Mes Communions

BCBCKMtTSC

r

193

fastidieux. Maiscette allégresse sonnait taux il

semblait, &observer danseurs et buveura, queceux-otvoulussent se donner le change ot s'étour.

dir une bonne Ma, on une cène turbulente, avant

de monter &je ne sais quel Golgotha. Je n'avais

plus vu tes Mitsudepuisptusieurs jours.L'absenco

de Baronm'inquiétait surtout. Co!!cdu ditnanohe

au lundi do la kermesse était la domière soirée do

monséjour àOstendoet mon inséparable, averti

cependantde cotte circonstance, ne donnait point

signe de vie. Après l'avoir vainement attendu à

notre rendez-vous habituel, je me mis à sa re-

chercheet, courant de guinguette on musico, jetombai enfin sur lui. Il était accompagné do sa

Manoéo,la pêcheusede orovottos,une blonde qu'ilm'avait présentée l'an dernier et dont la mmo

plantureuse et saine réjouissait alors les yeux et!c

cœur.Aprésent eUeavaitl'airfaméHquectdébraiMéd'une coureuse de grèves. La misère avait creusé

ses joues roses et rebondies, et les rides, sembla-

bles à des encoches, marquaient le nombre dos

jours sans pains. C'est même à grand'poino que

je parvins à dominerl'affligeante surprise que me

causa cette métamorphose. Burch paraissait avoir

bu plus que de coutume et ma présence sembla

d'abord l'embarrasser.

Page 197: Eekhoud Mes Communions

MS$COMMCKMNaw

–< Ehbien, lui dis-ja sur un ton de reproche,

que devonez.vous? On tainéanto, on s'est mis -on

grève, alors.

Ah, Monsieur, 's'oxotama'Mt Hévreux,tout

est perdu, tout est nni. Je ne moreconnais plusmoi-même et je no sais ce qu'ils font, ce qu'ilsferont encore de moi! Non, vous n'imaginez

point ce qu'ils inventent pour nous réduire à la

famine. Ils n'ont rien trouvé do mieux à présent

que de permettre à des richards d'Anvers de se

liguer pour nous faire concurrence,à nous autres,

pauvres diables, dans nos derniers moyens de

ressources. Ces intrus possèdent une rosse de

bateau à vapeur pouvant embarquer à la foisune

centaine de passagers, do sorte qu'a cette heure

tous les amateurs de promenades en mer ont

délaisse nos barquettes à voiles.A quoi bon nous

morfondrealors au pied do l'estacade? Tenez,

mieux vaut ne pas assister àce spectacle,car nous

sentions la colère nous retourner le sang et aussi

vrai qu'il y a un Dieu nous allions nous porter à

quelque extrémité, pris d'un impérieuxbesoin de

détruire les choses et même les êtres. Voilàpour-

quoi vous ne me verrez plus à mon poste. Vous,

Monsieur, vous nous restiez Mèïo, il est vrai,mais nous sqmmes~npmbreux et commevous

Page 198: Eekhoud Mes Communions

WMtaMtHMt ?5

no pouviez nom engager tous, je n'ai pas voulu

être te aeuL..

11n'acheva pas, tout gêné, rougissant, ayant

pour de se vanter de son abnégation et de sa tou-

chante solidarité.

Le noble, !e sublime garçon C'était donc pource motif qu'il m'évitait et que je ne !o renoontFai~

plus.

–BuMh, murmurai-jo, mon pauvre BHM)h1

Et ne trouvai point d'autres paroles tant mon

oceurse gouttait jusqu'à se fendre pour contenir

tout le sien.

LavciHete fâcheuxpaquebot dontsoplaignaiontles chaloupiers d'Ostondo avait oHusqué mes

regards, mais si mes go&ts esthétiques avaient

été choqués par cette machine aussi ingénieuse

qu'horrible où les bourgeois anachroniques s'en-

tassaient comme sur l'impériale d'un omnibus,une véritable haine s'empara de moien apprenant

que cette abominable patache ne se bornait pasà attenter à la grandeur, à l'harmonie de l'Océan,mais qu'eUeservait à affamer les travailleurs les

plus intéressants, ceuxqui m'étaient le plus chers.

Burch Monpauvre Burch

Je ne pus que répéter ces mots, sans parvenirMâcher les mains do t'ami et en le regardant au

Page 199: Eekhoud Mes Communions

MB3 COMMOM«M<a?8

plus profond des yeux bleus pour m'éMouir à

jamais des roHotsdo sa grande âme.

Si ht séparation m'avait ooûtôl'année d'avant,

combien mon regret ~ta!t plus crispant at~our-

d'hui, car il ~e doublait de véritables atTres

morales au ~ot de mon compagnon prëtërë.J'avais oonsoioncoquo pour no pas m'alaymepil

mo voilait tes plus Nombres porspocHves.Je me

m!aau lit mais sans pouvoir dormir; toute la nuit

l'imago de Buroh mo hanta comme le fantômo

d'au ami déjà pleuré.Dans rauborgo attonanto un accordéon repre-

nait sans cesse !o môme air dolent à prétentions

dansantes, une polka faMaoieMsocomme toutes

celles que Burchdut dansèr cotte nuit-là.

Pourquoi les accordsdo cet instrument faubou-

rien mereportèrent-ils aux temps légendaires de

la Kcriingaïando? Par instants je croyais ou!r la

cornemuse pathétique et belliqueuse des abori.

gènes. Correspondance plus suggestive encore et

d'une action plus actuelle une crevasse dans le

soumet de l'accordéon déterminait une lamenta-

ble tuite de mélodie et périodiquement, à chaque

appeldela noteperforée,le son s'échappait comme

un râle, commed'un poumon troué par une balle

et d'où le sang giclerait avec les derniers souMes.

Page 200: Eekhoud Mes Communions

MJMHMtTSU i~

Par sureroit d'obsession, des pétarades de cara-

bines et des pièces d'artiOee éclataient, non loin

de là, sur le champ do toire. Et j'en vins à merap-

peler ma dernière soirée avec Burch aux vacances

précédentes, sur la digue, au bord do la mer

jatouae, lorsque les vagues brasinantes m'avaiont

évoquado lointains fout de peloton.Cette nuit !e

crôpitomontde rooeuttefusittade s'était bien rap'

prochôdopuisl'autro fois et, après chaque déto-

nation, l'accordéonme somblait implorer le coupde grâce et gémir, plus oppressé, plus suffoqué

par sa blessure.·

III

Quelquesjours après ma rentrée &BruxeHes,les journaux constataient, onleur style apathique,les premiers éclats de la tourmente. Une dépêche

énonçait ceci « Aujourd'hui, M.Duvyvrc,arma-

teur-ocoreur, ayant mis en vente do la morue de

provenance étrangère, le mécontentement des

pêcheurs s'est traduit par des manifestations

tumultueuses et l'on a dû renoncer à continuer la

vente. »

II n'y avait encore là rien de bien tragique,

mais, transLd'mquiétudes, je lus et relus ce télé-

Page 201: Eekhoud Mes Communions

MM COMMONMN9i~

gramme sHccinet dont les tottres dansaient en

flamboyants zigzags devant mes yeux puis, jecourus tout d'une traite à la gare et sautai, aprèsune mortelle attente'd'une heure, dans l'express

pour Ostende.

Quan4 j'arrivai vers le soir, rien n'indiquaitune eMbr-vesoonoopopulaire mômesoriaitleriea

de grooms, de chasseurs, de cochers et de com-

missionnaires assaillant, à la descente du train,une nuée de baigneurs élégants; même cavalcade

d'omnibus et do nacres, emportant, avec force

claquementsdofouets,ces retardataires non moins

empiléset encaqués que leurs colis, vers les ca-

ravansérails de la digue et du contre de la

ville.

La rue de la Chapelle, où je m'engageai &la

suite de l'étourdissant cortège, gardait sa physio-nomie d'artère de fausse.capitale, quelque chose

commela rue de la Madeleineou la rue Neuvede

Bruxelles émigrées au bord de la mer avec les

étalages, les brevetset les enseignes'deleurs four-

nisseurs fameux. L'invariable mouvement de flâ-

neurs et de désœuvréscosmopolitesen équipementfantaisiste d'un négligé savant, d'un laisser-aller

laborieux, regagnant avec une langueur afïectée

-les vespérales tables d'hôto que tes bouSëea allé.

Page 202: Eekhoud Mes Communions

auaoHM~ae M&

chantes des cuisines annotaient aussi elequem*ment que tes appelsdes cloches

Les patrons de l'auberge ne furent pas médio'

orement surpris de me revoir, surtout lorsque jeleur eusdit la cause do ce retour. Ils se moquèrent

presque do moi «Vraiment, s'exclama labaxine,

on prend a Bruxelles ces MsMHos-la.augrandsérieux! Un simple malentendu, Monsieur. On

s'arrangera, on finit toujours par s'arrangor ici.

Nospêcheurs no sont pas gensà se monter !a cabo-

cho.Si traitables, si doux, de vrais moutons On

en a raison avec quelques bonnes paroles Ainsi,voue avez cru assister ici &des horreurs comme

cellesqui se passent chez ces mauvais coucheurs

de charbonniers! Rassurez.vous. Aujourd'hui il

n'y parait dé~a plus MEt l'Anglais souligna les

dires de sa femmepar ce motdédaigneux :HtM<t-

bug1 Desbêtisest

L'optimismede l'hôte et de l'hôtesse ne me ras.

sura qu'amoitié. Quoiqueétablis en plein quartier

besoigneux,ils vivaient si distants deleurs voisins.

et leur prospérité relative, leur clientèle cosmopo-

lite, leur commerce qui no chômait jamais, les

rendait indifférents à la situation famélique de

leur entourage.Je me mis à la recherche des deux frèresMitsu.

Page 203: Eekhoud Mes Communions

200 MMCQMMUNMMta

Non seulement ils étaient pas chez eux, mais

toute la famille avait quitt6 le logis, car je cognât

vainement à la porto.Cetto absenceanormale justifiait mes premières

appréhensions. J'entrai dans quelquescabarets du

quai et m'in~rmai do mes amis. Nul ne put mo

dire où ils se trouvaient. Les buveurs causaient

aveccaïmoot paraissaient s'entretenir do choses

indifférentes. Pas une allusion aux incidents de

la voiUe.Ptusiours pêcheurs a qui je touchai un

mot do ces troublos, haussaient !es épaules avechumeur comme sij'avais voulules mystifier. Déci.

dément, ou bien ces humbles so déMaiontdo moi,

ou bien les gens de l'hôtel disaient vrai et les

journaux avaient exagéré un simple malentendu.

Je finis par admettre la seconde de ces supposi-tions et regagnai ma chambre, bien décidé &

reprendre, le lendemain, un des premiers trains'

pour Bruxelles.

Tandis que je m'habillais, rassuré, aux tinte-

ments de la matincuse cloche de la minque con-

voquant les acheteurs à la criée, un hourvari se

déchaina tout à coup sous mes fenêtres, le quairetentit de trépignements et de clameurs inso-

lites dans lesquellesje reconnus des protestationset desmenaces. Matelotset pêcheurs se portaient

Page 204: Eekhoud Mes Communions

BUMHNMT8U sot

&laMtevers le bassin où le rassemblement do

plus en plus houleux grossissait jusque repré-senter une véritable insurrection.

C'est donc que le bal recommence.

Je descends dans la ruootcommojom'onquiersdes causesdecette surexcitation, un dos maniïes'

tants me montre une chaloupe anglaise et un

chalutier do Berwick qui viennent d'entrer dans

le port. Or, on attendait quatre b&toauxde poche

ostendais, entre autres la C(MM<antta,sur

laquelle était montéFainc des Mitsu, et encore

sous l'impression de leurs griefs de la veiHe, les

Flamands sont résolus à s'opposer a la vente do

la cargaison des English. Ceux-ci, encouragés

par quelques commisdo mareyeurs et par la pré-sence des employés de la minquo, croient à de

simples bravadesdo la part des indigènes. God-

dam ils ne se laisseront pas intimider par ces

criailleries! Et voilà qu'ils se mettent en devoir

de déposer sur le quai les paniers gorgés do pois-sons. Auraient-ils raison,ces spoliateurs, de nous

compter pour si peu de chose? Les Flamands

d'aujourd'hui ne représenteraient-ils plus que des

brouillons et des pleutres, à qui les grandes

nations pourraient imposer le régime auquel les

brimeurs ou OMHtèsdes collèges d'outre-Manche

Page 205: Eekhoud Mes Communions

MM COMMOMMMM803

soumettaient autrefois les /a~s, leurs souCre dou-

leur t

Une dizaine do~bannottes s'alignent d~}a le

long du rivage, proies pour la billotéeet, toujoursles Ostendats secontentent de les entourer en se

gargarisant d'injures et en roulant de grands ges-

tes dans le vide. P ~sun ne bouge eHicaoement.

J'éprouve un sentiment étrange et complexed'une part, je serais tenté de me ré}ouirde!'inof-fensive issue de cette contestation; d'autre part,cette tolérance, cette veulerie domes compatriotesne laisse pas de m'énorver et de m'humilier pro-fondément.

OKere!s! 0 les Pieds Bleus OZanneMn! o~

êtes-vous? Vos descendants n'ont-Hs plus dans

leurs veines une seule goutte de votre sang rebelle

et farouche?

AHons, assez de criaillerie Qu'on se rangeun peu et qu'on fasse place clame le JEacteurde

la halle, on s'interposant, tandis que les English

s'apprôteat flegmatiquementà caler les lourds pa-niers sur leurs épaules.

Comme s'ils n'avaient attendu que ce signal,tout à coup, sans mot d'ordre, nos pêcheurs se

ruent sur la marchandise. Harop/ Hafop' Coups

depieds,àdroite,agauçhe! Toutes les cloyères

Page 206: Eekhoud Mes Communions

BUMaMtfau aas

renversées sur le sol. On dirait des cornes d'abon-

dance dégorgeant teurstrésors. 0 le joli poisson,aux écailles irisées, aux tons de nacre et d'azur 1

L'appétissante et fraîche jnarée, l'espoir desriches

gourmets, dispersée aux quatre vents Elle est

proproàprésent, la détectable marchandise! C'est

qu'ils vous raccommodent sur place, sanspoêle &frire ou sans casserole, nosfricasseurs expéditifs:ils vous en trempent une ~a~e~oot (1) comme

n'en rêvèrent jamais, à la veille'des ventrées, nos

sensuelles bourgeoises!1 Raies, turbots, plies,

congres, aiglefins, cabillauds, barbues, poissonsSaint-Pierre se métamorphosent en autant de

poissons volants qui replongent, en ricochant,dans l'eau salée ou vonts'abattre, plus vite qu'ils

n'en furent extraits, sur les chaloupesde la vieille

Angleterre1

Merry E~gïattd cèdele pas à Men' Belgium!Tout à la joie, les Flamands ne récriminent, ne

sacrent plus. Émoustillés,exultant, ilsse livrent à

cet exercice avec la gaillardise de collégiens en-

gagés dans une partie de balle. Ah je les calom-

niais Qu'ils sont beauxnospécheurs,nosmousses

musclés et râblés, s'amusant à se renvoyer, du

_<

(i) Wa~otK, sorte de brandade.

Page 207: Eekhoud Mes Communions

M6SCOMMUtnON8SM

poing et du pied, les poissons gluants par-dessusles têtes de leurs propriétaires consternes. Les

commèresaccourues du fonddes venelles riverai'

nés se mettent de la, partie avec plus d'entrain

encore que leurs hommes.

Quelle joie, oui; mais quelle terrible, quellesinistre allégresse. Lorsqu'on rit ainsi; c'est qu'onn'a plus de larmes à répandre. Non seulement ils

rient, mais ils chantent, ils dansent. Ils achèvent

de détruire la marchandise maudite en la foulant

sous leurs sabotsau rythme d'une gigue eSrénée.

L'émeute ne s'en prend pas encore aux per-sonnes toutefois, mais les Anglais, déconcertés

par l'imprévu du coup de main, ont jugé prudentde sauter à bord de leurs bateaux d'où ils assis-

tent ébaubis à la destructiondeleur pêche.L'alga-rade se bornerait à des pertes matérielles, si les

agents do police toujours opportuns, ces poli-ciers ne s'avisaient de vouloir arracher aux

iurieux la denrée désormais impropre à la con-

sommation, la charogne boueuse, l'innommable

matelotequ'est devenue la ragoûtante pêche des

Anglais. Malenprend aux alguazils. On les lapideavecces éclaboussures, on les vautre dans ce mar-

gouillis, on les barbouille de fiel et de laitance.

Leur sifllet d'alarme appelle à la rescousse un

Page 208: Eekhoud Mes Communions

WRCH MTF9P ??

piquet de gendarmes. Avantque ceux-ci aient eu

le temps de mettre la baïonnette au canon, on la

leur arrache des mains, on la convertit en tire-

bouchon, commes'il ne s'agissait qued'un simplen! defer. Débordés, argousins et pandores fuient

dans la direction de la minque ou ils espèrent se

retrancher. La foule se rue à leurs trousses; elle

les rejoint, elle les précède même dans la halle

au poisson.Tombésau pouvoirdo leurs ennemis,

il va leur en cuire lorsque tout à coup une diver

sion se produit. Quelqu'un s'écrie « Hé camara-

des, lâchezces malheureux; il y en a de plusmal-

faisants Allonsplutôt faire visite à Duvyvre et

ValoKeniers! a

J'ai reconnu la voix de BurchMitsuet jel'aper-

çoisdominant, au moins d'unetête, la bandedes

émeutiers. Ils subissent son ascendant, faut-il

croire, car ils abandonnent leurs prisonniers et

s'ébranlent à sa suite, au pas gymnastique, en

criant «Abas Duvyvre A bas Vaickeniers N

Duvyvrs et Valckeniers sont les écoreurs desti-

nataires du poissonanglais. Je me laisseemporterdans la bourrasque populaire jusqu'aux abords

des bureaux et des magasins désignés à la ven-

geance des pêcheurs. En quelques minutes ils

ont enfoncéles portes, brisé les fenêtres, dégarni

Page 209: Eekhoud Mes Communions

XM ME8CCMMCMON8

les étaux, ravagé et piétiné ta marchandise. St.

flairant le grabuge, les patrons n'avaient jugé

prudent dese réfugier ohexdosamis, on les aurait

eoorchéscomme do.simples anguilles. La dévas-

tation s'accomplit au roulement d'imprécationsterribles «A mort les traîtres! A l'eau les Ju-

das A bas les amisde l'étranger Ils nous arra-

chent le pain noir de la bouche La patrie n'existe

plus Nos protecteursnousont vendus La marâ-

tre affame ses enfants Les tempêtes sont moins

meurtrières que les armateurs! Ils battent mon-

naie avec notre misère et font suer de l'or à nos

cadavres N

Désespérant de mettre la main sur les exploi-

teurs, ne trouvant plus rien à détruire, la horde,

toujours commandéepar Burch Mitsu, retourne

aux bassins et s'y confondavec d'autres colonnes

de révoltés.

La population entière a déserté ses taudis pourse répandre sur les quais. Les mères hâves et

ridéestraînent à leurs j upes tmemarmaille famé'

lique et lamentaMct Chez cette classe de prolé-taires les mâles préservent plus longtemps leur

fleur do jeunesse et de santé dans les athlétiques

opérationsdu plein air, les bromes du large net-

toyant leurs poumons et entretenant la pureté de

Page 210: Eekhoud Mes Communions

BCMHNHM ?7

leur sang. Les épouses, au contraire, sont flé-

tries et fanées avant l'âge par do nombreuses

coucher par de continuelles privations, par

l'humidité, les ténèbres et la pestilence do leurs

galetas. Les marins passent dos avonturos et des

crises de leurs pérégrinations sur l'océan, auxtur.

bulontes et folles bordées sur la terre terme; ils

se gobergent de l'avenir, se retrempent constam-

ment dans Faction, et après avoir cuvôleuralooo!,

retournent s'enivrer d'héroïsme. Losfemmescon-

naissent les veilles sinistres, les insomniespleinesd'effrois. Pendant les tempêtes meurtrières, les

transes et les a(ïressont pour celles qui attendent

à terre et non pour les lutteurs intrépides et ingénus qui se mesurent, corps à corps, avec les été'

ments inéluctables. Eux expirent debout, sans

voir approcher la mort, mais elles agonisent

durant toute leur vie.

Aujourd'hui, pourtant, le souMe tragique les a

visitéesà leur tour, elles ne connaissent plus la

prévoyance, la prosaïque sagesse, la résignation

cagnarde, la terreur du lendemain. Los conseil-

lères calmantes et timorées sont devenues autant

d'instigatrices incendiaires. Non seulement elle«

approuvent la rébellion des pêcheurs, mais elles

les exhortent à persister dans leur résistance.

M.

Page 211: Eekhoud Mes Communions

MMCONMMNMN8?8

Ettes circulent de groupe on groupe pour ttaran-

guer leurs frères, leurs Manocs,leurs maris. Elles

trouvent do ces parâtes, corrosivesqui avivent et

tisonnent !o iou des .représailles dans les cœurs

îea plus <S\'angdnques.Ah, i! no faudrait pas ~et'un d'eux s'avisât do rcprendro la mer Ï EHosse

oharg~raïentde le débarquer mort ou vif.

Tandis que les pécheura faisaient acte do som-

maire justice chez les Duvyvro et Vatcheniers,

elles se sont tendues a bord dos barques grévisteset après avoir ramoné lospavinons, oMosont drapeles voiles de funèbres bandes de crêpe, comme

lorsque l'équipage a laissé quelqu'un des siens

dans la grande tasse. « Vous te voyezs'écrient*

eUes,on montrant tes barques endeuillies, nous

demandons la mort! »

Les cheveuxépars, les yeux égarés, la bouche

convulsive, la voixfêtée, le geste impérieux, leur

laideur devenait sublime, et ces pauvresses géné-ralement passives, qui ne connaissent de la vie

que les soucisdélétères et la éroupissante obscu-

rité, évoquaient lesprophétesseset lessibylles ful-

gurantes des temps bibliques.Elles faisaientjurer aux hommes de s'opposer

jusqu'à la mort à la vente du poisson de prove-nance étrangère et, pour donner plus de portée &

Page 212: Eekhoud Mes Communions

aURCHMHMW 8<~

ce sprmont, tous le prêtaient sur la tôte do tours

onfants. L'une do ces d~ospéréas, tendant au-

dosaosdo Ï'oauïo nourrisson qu'eHoportait & la

tnameMo,Menait de îo noyer p!utôtqM~desubir

ptus ~OKgtoMpaoosspoïtations.L'occasionso pc<!aont~do mettre tcw FMtOWMo&

Féppeavû. Un eha!ut!epdo Rams~ato no s'est M

pas a~!s6 de bravo? !'anim$s!t~ des pêcheMrsd'Ostende et d'entrer au port avecsa cargaisonde

marëo On lui a bientôt fait passer !o goût do

cette provocation.Sur les estacades,d'où la ~ent thshionaMo et

ois!ve, pêcheurs pour rire, flirtours ot Hirtousos

s'étatant empressés do déguerpir dés la première

bagarre, déferlaient &présont dosHotsde révoltés

munis de pierres et de projectilesdo touteespèce,dont une grêle incessante mitrailla la pontdu ba-

teau anglais, à peine eut-i! enfiléle goulet duport.Les femmes, hors d'eMes-mémes, e<ïrénéos,

éperdues, s'étaient poussées aux premiers rangs.S'écroulant sur les escaliers des débarcadères,

penchées par-dessus les gardes-fous, tordant des

bras que la frénésieallongeaitet dotait de l'élasti-

cité de pieuvres, quelques-unes armées de gaffeset de harpons, les yeux roulant dans les orbiteset

semMant~ur_!e~MMntd'en être projetés comme__

Page 213: Eekhoud Mes Communions

MEaeoMMOtne~aMO

d'une ironde~la brise Maantclaquer et siMordos

ncBMdsde vipère autour de leur masque de gor'

gone8,l'elïbrt do leurs hurlements déposant sur

leurs lèvres une ~oumeptws aore quo eaModes

VaguesKmgoantles pilotis, leur aspaot fut telle-

ment !mp!acaNo qMo les Anglais, après s'être

aventurés à qw)tqMe8môtroftdu chonal, remirent

ïoeap vers la pleine t~w, Mtt~a!en!tontaRbMsparcette visiondantesque, dont tes huëos !es poutwui-

virent jusqu'au large.Cette scène émouvante détermina enfin la

régence &parlementer avec les mutins et en con-

séquence coux-ei députèrent à l'hôtel de ville les

plus populaires do leur confrérie.

En revenant de la jetée, j'appris par Burch, un

des négociateurs, qu'ils avaient obtenu un com-

mencement de satisfaction on ne vendrait plus,

jusqu'à nouvel ordre, de poisson étranger les

bateaux anglais seraient reconduits en pleinemer;

on suspendrait quelque temps le service des ba-

teaux excursionnistesvers Blankenbergho enfin,

lehideuxpetit paquebotdont seplaignaient lescha-

ïoupiors et les loueurs de canots, regagnerait au

plus vite les eaux de l'Escaut et la rade d'Anvers.

Cétait moins par humanité, par sollicitude

pour la cause desesjgauvrjM~mHuatr~s que dans

Page 214: Eekhoud Mes Communions

MtMMMnfMt 8t<

ta but de nepas Msorles gros intérêts des bôto-

liors et dosboutiquiers que le magistrat souscri-

vait&cesconditions.

Uotaittempsdo conjurer le désastre. D6}&tes

locatairoades villas situées au nord de la digue,dans le voM!nagode raneion phare et des bassins,

~ftuaiont, conatornés,ve~ !e KursBat. Beaucoupavaient demande leur note, boucMtour tinaMoet

prïsîetNMn. Les Mêmes mattMs d'hûtct et les

concierges, atteints dans leur oupid!tô,torturaient

rageusement leurs favorisen grommotant HCes

sales gens auraient bien pu attendre la Cn de la

saison ï Pour enrayer l'exode gônôrat, à peine

l'arrangement out-il étôoonctu, des proclamationsrassurantes et paternes furent aMchées.Les jour-naux publièrent des communiqués de ce genre« On a beaucoupexagéré le récit do ces émeutes;

pas un étranger n'en a été importuné, et sur la

digue commeaux environs du splendide Kursaalon ne se fût pas douté qu'il y eût une émotion

populaire. Sun la plage, les entants jouaient et se

livraient à la construction des forts comme le

tHOMh'enotre dessin. » Et le texte veule et phi-listin renvoyait, en effet, le lecteur à une ~deces

ineptes quelconqueries du fluent crayonneuxMars

Page 215: Eekhoud Mes Communions

MESaeMMCKMNaM8

Cependant, en dépit delapaciuoationofMcielle,!obourgmestre avait convoqué ta gardecivique et

la garnison était consignée dans ses casernes.

Pour oo qui me concerne, j'étais loin d'être ras'

sure. « Tout est donc fini, avais-je dit a Buroh.i

Mitsu,et vousallez vous tenir tranquilles ?–< Oui,tout est fini! B avait-il répondu, mais d'un ton

rauquo et avec un sourire ônigmatique qui don-

naient unesigniCoation plus inquiétante que con.

cUiantea ses paroles. Je lui trouvai l'air tarouoho

et en quelque sorte absent, l'occulte prestige que

dégageait sa personne me paraissait approcherd'une manifestationdéfinitive.Uncrispant silence

nous séparait, un secret le détachait de moi. « Je

ne m'appartiens plus murmura-t-i! très bas,

commeen rêvant, et bientôt personne, sur terre,

n'aura d'inCuencesur moi » Quoique nous ne

fussionsqu'à deux dans son humble chambre, il

semblaits'adresser à un confident invisible. Ses

chers yeux aussi ne me regardaient plus; ils

fixaient, ils scrutaient ~ignore quel au-delà t

Maintenant que je l'avais rejoint, j'étais ferme-

ment résolu à r, plus le quitter. Je l'empêcheraiscoûte que coûtede se compromettredans de nou-

velleséchaufïburées. C'était bien assez du sac des.

poisspnnenesJDuvyvreet Vaickeniers,pour lequel

Page 216: Eekhoud Mes Communions

a«MHMMMU 8ta

il serait sans doute inquiète ot poursuivi comme

principal meneur.

H sortit et, sans qu'il fit attention à moi, jo mar*

ehai côté do M. Au dehors, j'éprouvai un rtel

soulagement an constatant qu'une sorte d'apaiso-mentso produisait dans la population. La fureur

disait place à une exubérance Cévreuse. ~Jne

bande, précédée du peu subversif drapeau trico-

lore, se promenait par ios rues do la ville, en

chantant une concilianteD)'a&SMpowte.Allons,ce

n'était décidément pas encore le grand branle-

bas 1 Lespatrons do mon auberge jugeaient bien

cette race des enfantsdébonnaires dont les tar-

dives colèresétaient promptement calméespar de

feintes et leurrantes concessions. En me faisant

cette réflexion, je regardai Buroh, espérant que sa

physionomieconfirmeraitmonoptimisme.Aucon-

traire, il me suffit de le dévisager pour pressentirune irréparable catastrophe. Elle ne se fit pasattendre longtemps.

Commele cortège débouchait sur le quai, sou.

dain une poussée se produisit la musique cessa

de jouer, la B~'a&attço~Mes'arrêta dans la gorgedes chanteurs, et quoique j'eusse pris le bras de

Burch en m'effaçant le plus possible, sur le trot-

toir, nous fumes entraînés dans le tourbillon,

Page 217: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMUNIONS0SM

bousculéset séparés l'un de t'outre. La Constan'

tia, un des sloops ostendais attendus depuis le

matin, venait de rentrer au port et !a fouleentou"

rait avidement tes pêoheurs qui racontaient

comme quoi ayant yencontpôle chalutior Mcôn-

duit on pleinemer, les Anglais, sans provocation

aucune, avaient tiré eux. Gust Mitsu, qui taisaitt

partie de l'équipage, avait été atteint au bras et,la manche retroussée, il étalait aux regards de

ses camarades une blessure non encore panséed'où le sang no cessait do couler.

En un instant, la ooïère s'empara de nouveauf

de la fbuïe; le feu qui couvait,mal éteint, se remit

& Hamber. Ils rêvent d'immédiates représailles.Maisqui frapper? Ils se rappellent que les deux

bateaux de pêche anglais qui ont provoqué les

troubles, savoir la chaloupeMeredith deGrimsbyet le chalutier Pacific de Berwick, se trouvent

encore dans le premier bassin.. H s'agit de les en

faire sortir au plus vite. Commandéspar les deux

frères Mitsu, voila que tous se précipitent de ce

côté.

L'artillerie de la garde civique, tenue sous les

armes pour faiïiefaceà toute éventualité, débouche

au mémo moment du pont faisant communiquer-ce bassin avec l'écluse de marée. Les mutins se

Page 218: Eekhoud Mes Communions

WMMMMtTau a<s

voient disputer te passade. Le commandant tes

somme de s'éloigner du quai. Loin d'obtempérerà cet ordre, les pêcheurs résistent et tiennent tête

aux artilleurs. Ceux-ci mettent la baïonnette au

canon et s'apprêtent à charger. Les pêcheursviennent résolument à la rencontre des gardes,ao découvrent la poitrine, et, empoignant ta

pointe des armes, font le geste de renConcordans~r

la chair.`

La garde civiqueparvient enfin à refouler le

grosdu rassemblementà quelquedistancedu quai.

Toutefois, elle n'a pu empêcher quelques intré-

pides et lestes gaillards de sauter sur le Met'ed~t

amarré au quai, ou, comme Burch et Gust Mitsu,

de se jeter dans deux embarcations de plaisanced'où ils gagnent, à force de rames, le chalutier

mouillé à une cinquantaine de mètres de la rive.

Le commandant les hèle « Revenez sur le

champ Jamais de la vie Allez-vous

débarquer A vous autres de nous délogerd'ici »

Et les crânes lurons de narguer la garde ci-

vique avec le mépris de gens ayant le pied marin,

pour ceux qui n'ont jamais foulé que le plancherdes vaches.

Burch, les mains en poches, se mit même à

.5

Page 219: Eekhoud Mes Communions

ME8 COMMUNtONSSM

danser une bourrée dont il sinlait la mélodte.

La grâce télineet presquequintessencielleajoutantun cachet suprême à sa copieuse et plastique

beauté, me faisait oublier l'heure farouche et ~es

ambiances sanguinaires.Le commissaire l'interpella « Voyons, vous,

Buroh, soyezraisonnable, ne faitespas lepolisson1

Donnez plutôt l'exemple aux autres et remettez

pied à terre comme un bon sujet Burohfaisant

la sourde oreille, le personnage devint solennel,

entama une harangue. Les clameurs et les rires

couvraient sa voix et on n'entendait ronfler de'

temps en temps que ces gros mots légalité, jus-

tice, rapports internationaux, respect de la pro-

priété, fraternité universelle. Burch n'interrompitmêmepas ses ébats chorégraphiques. Sonhumeur

gouailleuse et badine se communiquait à ses co-

pains. Ils paraissaient ne pas douter un instant

de leur absolue sécurité.

Cesgardes civiques n'étaient-ils pas des Osten-

dais comme eux? Les uniformes neufs, les sabres

fourbis, les fusils astiqués, les bufnetories bien

blanches de ces « soldats citoyens » ne leur im-

posaient pas plus aujourd'hui que les dimanches

au retour de l'exercice, lorsque, musique en tête,ces masques débouchaient sur la place d'armes

Page 220: Eekhoud Mes Communions

WRCHMtTSU Xi7

et qu'après te sacramentel '<Rompeztes rangs ?ils envahissaiontles terrasses des cafés où ils s'at-

tardaient, pintant et piaffant, histoire d'exhiber

te plus longtempspossible leur déguisement heb-

domadaire. Les pêcheurs reconnaissaient des fils

d'armateurs et de gros poissonniers et les appe-laient &leur tour par leur nom, familièrement

Hé,MijnheerChaarel Hé, MijnheerLuik »

Puis, n'accordant pas plus d'attention à ces fi-

chus poseurs, nos gaillards se mirent'à inspecterleurs prises. Ils faisaient jouer les agrès, les pou-

lies, les cordages, déployaient ou carguaient les

voiles, éprouvaientla soliditédes filets; d'aucuns

descendaient dans les cabines et à fond de caled'autres grimpaient aux haubans.

En batifolant ainsi, une idée vint tout à coup à

l'un d'eux.

Hé dites-donc, vous autres, si nous levions

l'ancre pour de bon ?

C'estça, reconduisons nous-mêmescesmau-

dits Anglais en pleine mer

Il y a mieux encore, intervint Burch. Appa-reillons tout simplement pour la pêche, en em-

pruntant.les bateauxde nos acharnesconcurrentsHein, qu'en dites-vous?9

Bravo!Burch. En route! Hé, hisse!Hé, hisse!

Page 221: Eekhoud Mes Communions

2M MESCOMMCMON8

Et tous de se trémousser. Sur le quai, les pê-

cheurs qui avaient entendu ta mMnquo propo-sition de Buroh ne'trouvaient pas la faroemoins

capitale et se tordaient de désopilation.Gust Mitsu commandera le sloop et Buroh

le chalutier!

Entendu Partageons-nous les hommes t

Chaufïbns la machine Aux voiles Dépê-

chons 1

En eSët, ils se séparaient en deux équipageset se mettaient en devoir de lever l'ancre et de

démarrer incontinent, la chalouperemorquée parle chalutier à vapeur. Telleétait leur désinvolture,

qu'elle finissait.par endormir mes appréhensions.La police et la garde civique elles-mêmes sem-

blaient désarméespar le piquant et l'originalité de

cette plaisanterie.La drôle de grimace que feraient ces sacrés

Goddams~ réfugiés en ce moment chez leur

consul, lorsqu'ils s'aviseraient de remonter à

bord t

Le tour serait complet.Un silence expectant s'était fait sur le quai.

Les spectateurs ne perdaient.plusun mouvement,

plus une parole de ces impayables lurons. v

Déjà, on guindait l'ancre du chalutier

Page 222: Eekhoud Mes Communions

BtMtCH MftSC MûMy

Un instant, s'éoria Burch, il est entendu quenous naviguons souspavillon belge 1

Il détache de la hampe le drapeau tricolore pro-mené tout à l'heure par la ville et, tenant un coin

de l'étoûe entre les dents, il grimpe au grand mât

pour y arborer les couleurs nationales.

Une immense acclamation, une clameur brève,

mais frénétique, salue ce rafnnement deprouesse.

Les pêcheurs exultent jusqu'au délire.

Burch monte, monte toujours, mais en prenantson temps parfois il s'embarrasse dans les plis du

drapeau, d'autres fois il aRburche une vergueet se repose pour échanger de là-haut une grosse

bourde avecun autre ûambart qu'il démêle dans

le grouillement de la foule. Tous les regards le

couventanxieusement et le caressent deleur sym-

pathie, de leur solidarité.

Enfin, il arrive à la pomme du mât. Pour aller

plus vite, il en arrache le drapeau britannique.La huée féroce et étourdissante qui approuve

cet attentat rappelle les autorités au sentiment

de leur rôle. D'ailleurs, la foule devient par trop

remuante, et pèse tellement sur les gardes ci-

viques que ceux-ci risquent à tout instant d'être

jetés à l'eau. Il faut absolumenten Rnir.

Très pâle, nerveux, blessé dans son importance

Page 223: Eekhoud Mes Communions

'~OtT 'r M~tN~MUNtONS --r' -t

d'ofReier amateur, !e commandant, après s'être

concerto avec le commissaire,ordonneau premier

rang de coucher en joue les envahisseurs des ba-

teaux anglais. En même temps, le second rang

s'est retourné vers *la cohue, et crosse en l'air

s'efforoede la faire reculer.

Pour la dernière fois,allez-vousdescendre?$

olame l'oincier à Burch Mitsu.

Pour toute réponse, le jeune homme esquissedu geste une ithyphallique parodie du salut mili-

taire.

Peu gronde l'officier, dominant et étran-

glant le rire égrillard de la multitude.

Les balles s'égarent; mais ils ont tiré tout de

même Vrai, ces muscadins, ces a filsde famille ?,commeon dit en style bourgeois, ce qui ferait

supposerque ce qu'on appelle famillen'existe pas

pour les déshérités, ces dadais pommadés, au

visage poupin, ont été munis de poudre et devisage poubattes! Lés doigts leur démangeaient de s'en

servir, si bien que les fusils seront partis tout

seuls 1

Mesyeux dévoraientBurch. Le grand moment

imminait. Je voulus m'étancer, le conjurerpar un

cri. Impossible! Mes jambes étaient paralysées,

j'étais pressé dans les étaux de la cohue; et suNb-

Page 224: Eekhoud Mes Communions

auNcaMt'fM) 8M

quant d'angoisse, je ne pouvaisplus tirer un son

de la gorge.

Quant à lui, ~on héros, Hne s'était pas seules

ment détourné &ta détonation; il n'avait même

pas tressailli. continuait tranquillement de

substituer le drapeau belge au pavillon britan-

nique, et il officiait avecces bonheurs d'attitudes

et ces trouvailles do gestes dont il me régalait on

appareiUant, lorsque nous partions en excursion.

Sa silhouette inoubliable se détachait sur un do

ces couchers de soleil qui exacerbent encore

l'hystérie de l'équinoxe et les spasmodiques

mirages de septembre. Les reflets de l'horizon

l'éolairaient avec une sorte de volupté des feux

Saint-Elme papillonnaient dans les frisons de 'sa

chevelure il n'avait plus l'air d'un simple

vivant, il éblouissaitcomme un ressuscité.

L'aigre commandement traversa une seconde

fois l'espace léthargique.C'en était fait. Ils firent feu pour de bon, cette

fois,en visant de leur mieux, faut-il croire, comme

s'il s'agissait de tirer au pigeon et de rapporter

quelques couverts d'argent à leurs ménagères.Trois corps s'abattirent sur le pont. Dans l'un

je reconnus Gust Mitsu. J'appris plus tard quedeux spectateurs,postés sur le quai, del'autre côté

Page 225: Eekhoud Mes Communions

?? Mt~COMMWNKMa

du bassin, avaient été tuéa par la fustMade.Lui,

du moins, était sain et sauf! Mon illusion ne

dura pas plus longtempsqu'un soupir.Je le via chanceler. L'une après l'autre, ses

mains lâchèrent prise; il porta la gaucho à la

poitrine, perdit piodet, commeil demeurait sus-

pendu dans ïe ~ido, tournant plusieurs foissur

tui-mômo, il s'enroula dans los plis du drapeaumal attaché a la drisse, de sorte que lorsqu'ils'abattit sur !o dos, non loin du grand frère, sa

tête blonde, appaiie, sa douce figure do novice

émergeait seule du linceul tricolore. Ce quem'avaient prédit Fautro été la mer phosphores-cente et, hier encore, les sanglots de l'accordéon

durant la nuit d'insomnie, c'étaient donclespante-tements furieux decette noblepoitrine! Peu à peuauxflots de sang giclant du poumon perforé, le

drapeau national se teignait en un prophétiqueétendard rouge.

Alors, se redressant sur ses coudes, dans la

posture d'une vigie fidèle, Burch dirigea ses yeuxmourants vers l'horizon où l'édiuce des nuages

lui représenta le phare de la Révolutionpromise.

Quelle cause m'empêcha de chercher le trépas

à sa suite? Une pudeur duRcile à définir,

Page 226: Eekhoud Mes Communions

ttUttCHNMW

uno vague eonsoioncedo mon indignité, la pour

de m8!er un sang prdRtno & eet httlooausto

agréable à l'avenir. Avant de dépouiMerla vie,était-ce que je dovaia mieux m'impr~gnor do

l'Ame populaire Mo fallait-il concourir d'uno

manioHîplus oincacoquo pur uno fin pr~mutur~o,un martyr ancopaimménM, an bonhoar do ceux

que jo prétendaistant eMrtrï Tct MncatéohutMÔno

des âgesévangeMquesno recevait quebie~ long-

tomps après les autres le sacretnent do la mort

vio!ento.

S! ma place n'avait jamais été parmi tes tour-

menteurs directs des misérabloR,oMon'était pasencore parmi les persécutés! Un jour peut-être

serai-je digne des pauvres et des parias Quand

j'aurai contèssô et expurgé mes intimes préjugés

sociaux, que je me serai affranchi des dernières

conventions profitablos aux affameurs, quandaucune des impostures du progrès et de la civiti*

sation ne me faussera plus la conscience, je méri-

terai sinon de mourir avec les interdits et les ana-

thèmes, du moins de m'immoler pour faire place

à leur postérité.La vanité et la présomption suprêmes de notre

partneconsisteraient-eHes pas à nouscroire, nous

les rêveurs angoissés, les pâles augures des

:5.

Page 227: Eekhoud Mes Communions

8~ MEaCOMMMNKMM

prochains cataclysmes, appelés! àjoucroneoroun

rNe dans l'6din«ationdu mondo nouveau?f

Bientôt, c'en sera npï des présages et des

avertiasomonts de ta p&~ode comm~totro. Ne

Mons-nous pas m!oux do dhpamîtFo avoo coux

quo nous avons oondaMM~aot JtM~s,nous autroa

tpaasfugea dQeûKo ch!)!isot!on, do eas m<BU)M

aboMos nous autpes, gf~vat~qui cneombroraient

!ûdtant!wanMahi8to! 1

Autant partir sans récriminer. Laissonspasserla justice de Caïn. Faiaons place à des âmes

vierges, à des &messans remords et sans passé.Losmoilleura,!osplusjounes d'entre les bourgeoissont inaptes auxrécoltes dosjours prochains, c'est

ilpeines'its prêteront une main utile aux semaiHos,ils serviront tout au plus aux amendements. Nous

serions gauches, maladroits,fatalementdésorbites.

Car nous ressemblons aux broussailles couvrant

les novales et que ïe défricheur réduit en cendres

pour les restituer sous forme d'engrais au sol

épuisé dont elles étaient les parasites.Et ce sont eux, tous ceux que nous chérissons,

qui sans le savoir, en se jouant, parce que la

fatalité, le destin les aura enivrés et leur aura

pousséle bras, cesont les élus qui nousimmoleront

pour leur plus grand Men.~

Page 228: Eekhoud Mes Communions

MuacttMtvau ?&

Tt'op do bonheurs et do privilèges nous enta-

chent et nous dégénèrent pour que noua soyons

dignes da commune dans la mort avec tes

doux otsublimoa parias 1

Résignons-nous, au jour des représailles et dos

cataclysmes, &tomber confondusavoo!es mauvais

riohos. C'est pour donner aux ann~ ta plus

int~nao preuvo de notre tendresse que nous

devonsconsentir à cette méconnaissance, a cette

méprise. H nous faut accepter toute la cruauté

do ce sort, et oela sans espérer que jamais nos

justiciers nous pleurent; 'au contraire, avec te

désir que jamais pour qu'ils n'en éprouvent

d'oiseux et inutiles remords i!s sachent à

quelle extrémité, à quel paroxysmenous les ché-

rissionsH faut, afin que rien ne trouble leur

couvre sereine et régénératrice qu'ils continuent

de nous croire coupables.Afin qu'ils conservent la foi et l'espérance

puissent-ilsno douter jamais de leur charité!

Mais pour nous, quelle volupté dépassant

toutes les autres celle de mourir de leurs mains

immaculées. C'était toujours l'épée de ses

affranchis, gladiateurs violents et candides, que

César demandait le coup de grâce. Et pour

mourir, réconoiHé,Am~M~attend ParsMaL

Page 229: Eekhoud Mes Communions
Page 230: Eekhoud Mes Communions

UNEPARTIESURFEAU

Radioux quoique un pou tristes tristes tout

juste ce qu'U sied pour nous croire heureux, ô

chère âme, pauvre frère, nous nous sommesem-

barquésce midi-là sur l'Escaut, comptant nous

rendre d'Anvers à'ramise.

L'yoïe quitte la rade, mais, calme plat.Nos deux matelots, deux brunets candides et

rudes, beaux comme des mousses au début de

leur carrière, tentent vainement d'accorder la

voile à la brise. Il leur faudra ramer, ramer.

Tant pis. Ils y vont de plein cœur.

Après des heures de jour un peu cru, le soir

tombe lentement, distribuant ses magies dans le

grand cie! septentrional où se cabrent les nuées

vioïâtres et cuivrées.

Nouscroisons des chalands et des voiliers en

tournant le dos au panorama de la grande ville et

Page 231: Eekhoud Mes Communions

ME$MMM~mONS??

en ne regardant que nos rameurs, et enne rap-

portant qu'&ee couplesavoureux toutes les incan-

tations vespéralesqui npus circonviennont.

Mehisse Ils se reversent comme pâmes. Hé

hop! Ils se redressent comme otîensita. Ils so

yamo~ent pour sa détendre et s'aUongor de nou-

veau, rythmiques.Aces taquineries du vieux fleuvepar les avirons

de nos doux adolescents, gagnerons-nous jamaisTamise?

N'importe. N'arrivons pas voguons sans hâte

puisque nous devrons les quitter on abordant.

C'est ta pensée et aussi la mienne. Jamais plusétroite oonnivonoono régna entre nous. Le délice

do nous trouver avec deux compagnons qui no

sont pas « des nôtres a; avec deux garçons tout

simples auprès de qui nous ne serons pas forcés

de faire des phrases et de nous récrier d'admira-

tion, pour la galerie; ou mêmede parler d'amour.

Comme si l'on pouvait jamais parler d'amour 1

Ceux-ci, par exemple, n'articulent que de rares

vocablesmaisen leurgalbeet enleurs gestes réside

une suprême harmonie, et nous nous régalons de

leur présence, et leurs mots vulgaires contractentde mystérieuses significations. De toute leur

--virile personne émane le parfum dos chônes; un

Page 232: Eekhoud Mes Communions

UNEPAMtESUR&'EAO S9&

partum qui ïbrtine les sentiments et mot en fuite

tabagateHo.0 cette heure et ces éléments, combien favo-

rables aux mélangespsychiques!Et voila commentil se fit, qu'isolés, &quatre,

deux pauvres diables et deux amants remonteront

sans y songer le eoura du grand Heuve très

occupe, le sournois charmeur, de leurs étourdies

petites personnes.

Volupté indicible de se traiter en égaux; puis

môme, insensiblement, on pareils.Eux s'absorbent en nous, quitte, nous autres,

à nous incorporer dans eux. Ah communier ne

fût-ce que durant une nuit sous les espèces du

pauvre diable. J'ignore comment tout cela finira.

Mais quelle appréhension, à l'idée que cette

bonne entente devra finir.

Autant d'heures pour arriver disaient-ilsau

départ, et la traversée vous coûtera.

Quellesomme?

Nous nous en moquons pardi Nous leur

donnerons tout ce qu'ils voudront. Leurs yeux

dignes'des horizons et des vagues, nous répon-dent « Tout ce que vous voudrez! » On ne par-lera plus ni du temps, ni duprix. Convenu.

Pour sceller le pacte nous bûmes fraternel-

Page 233: Eekhoud Mes Communions

MMCOMMONKma?0

toment à môme leur bouteille de genièvre qui

passait&Iaronde.N'est-ce pas que nous*concertions à ravir?

Quant à merappeler*cequ'ils nous déclarèrent,autant vousrépéter très mal l'éternelle complaintedes musiques de rue. Les notes changent, !a

voix reste. Ou prenons que ce fut une romance

sans paroles.

Qui donc aimai-je à outrance ce soir là au fil

de l'eau, sous les nuées sardoniques et sur le

fleuve lubrifiant, entre deux rives presque

pareilles bornées de digues herbues, tout justeassez hautes pour nous masquer les plainesd'alluvion à la fois grasses et farouches, les

Polders de si navrante bonhomie.

Quatre comptions-nous tout à l'heure, deux

pauvres diables, et deux amants!

Oui nous sommes quatre, maisquatre pauvres

diables, autant d'amants

Les deux gars consentent à tout ce qui les

entoure, mêmeaux mouvementsdenos tendresses

et des leurs; les leurs devenues les nôtres, les

mêmes, les seules.

Combiende foisont-ils abandonné les avirons,

j)?ombiende fois J~s leur avons-nous repris? Jeme rappelle que parais nous ramâmes à deux;

Page 234: Eekhoud Mes Communions

UNEPAR1MBSURJh~AU SM

l'une Ma aussi j'étais le partenaire de l'un des

matelots, la fois d'après je m'appariai à l'autre

rameur.

A mesureque s'écoulait cette soiréemagnétiquenous nous sentions de plus en plus rapprochés.Nos pensées se tutoyaient et se cherchaient

comme des bouches; nos pensées étaient des

baisers, et par pour de paraître moins confondus

que ces caresses, nous nous taisions, frileux, ou

nous ne murmurions que de ces mots spasmodi-

ques qui suspendent les battements des cœurs

saturés de délices.

Nousavions échangé nos coiffures. Leurs cas-

quettes à visière droite ragoûtaient nos physio-nomiesblafardeset nos chapeaux ne dénaturaient

pas trop l'expression de leurs ronds visages

ambrés par le hâle mais aux joues roses encore

commecelles des petiots.

Et poussant le chasse-croisé jusqu'au bout, jecrois même qu'après une critique baignade où ils

nous furent providentiels, nous étions entrés dans

leurs bragues goudronnées et leurs jerseys de

grosse laine bleue tandis que, râblus et carrés, ils.

faisaient sauter les coutures de nos complets de

voyage.Avons-nous ri ? je ne sais plus. Maissi nous

Page 235: Eekhoud Mes Communions

MMMMMONMftNm

avons ri je jurerais que c'était sansea avoir l'air,et que nous nous livrâmes à ces follesmascarades

d'un air tr~s grave avec des propositions quisonnaientcomme des:répons de psaumes.

La nuit tomba, la pleinenuit.

Nous devions avoir atteint le confluent de

l'Escaut et du Ruppelcar la napped'eau s'étendait

très, très large commesi les ondes avaient voulu

éloigner le plus possible les rives où nous atten-

draient, d'un côté aussi bien que de l'autre, les

humains'que l'on voit et les choses que l'on fait

tousles jours.Et plus l'eau maternelle élargissait son cercle

protecteur autour de notre quatuor, plus nous

nous aimionsharmonieusement; plus je te livrais

volontiers à cette caresse de leurs âmes balsa-

miques et plus ils se cédaient mutuellement aux

effusionsplus félines de nos deux consciences.

Où avons-nous abordé? En aval de Tamise

sans doute*? Où avons-nous dormi? A quelmoment la vie conforme nous reprit-elle dans

ses filets? Après combien d'heures, hélas, nous

remîmes-nous en la posture des gens de notre

monde; redevînmes-nous,en sauvantles fameuses

apparences, ce que nous avions toujours été 1

~cur avions-nous seulement dit adieu a ces

Page 236: Eekhoud Mes Communions

UNEPA~TtESMt~*EAU ?3

deux êtres d'éUto qui nous imprégnaient ïa chair

de leur cordiale essence autant que nous nous

étions exhalésen tour appétissanteenveloppe?

Pourquoi s'étaient-us détachés de nous en

reprenant leurs rugueuses nippesde marins et ne

nous laissaient-ils d'eux-mêmes, de leur admi-

rable pousse humaine, plus rien à voir, à toucher,

à humer, ou même à penser en nous rendant,

avec nos vêtements de terriens, nos visions cou-

tumières, nos étreintes affaiblies, nos souffies

éventés, et nos amours taries ?P

Page 237: Eekhoud Mes Communions
Page 238: Eekhoud Mes Communions

CHARDONNEMSTTE

AL~opeMC&MHMtMe.

Certains coins de banlieue sont comparables àdes pays orphelins tombés au pouvoir d'une ma-

râtre. Ils jouissaient du bien-être et de la quié-tude agrestes lorsque l'accapareuse industrie vint

les prendre au collet pour les flétrir et les exploi-ter. Lesvestiges qu'ils conservent d'un sort meil-

leur accentuent leur condition lamentable, car si

les monuments en ruines dégagent une mélanco-

lie tempérée et romantique, il n'y a rien de si-

nistre commeledélabrement d'un paysage.Tel est le cas d'un vallonnet situé à l'occident

de la grande ville. Les coteaux gazonneux d'au-

trefois ont été convertis en talus et en remblais où

desmonceaux de scorieset de tessons de bouteilles

remplacent les vaches vautrées dans les hautes

Page 239: Eekhoud Mes Communions

ME$COMMUNKM!S93S

herbes. La maigreur des poteaux t~égraphiques

parodie l'élégante sveltesse des bouleaux blancs

et des peupliers. Un riveloteC~rouohépar le voi-

sinage d'une briqueterie et d'une de ces aSreusos

cites ouvrières dénonçant l'abimo entre la phi-

lanthropie et l'Évangile s'efforce de sourire et

do folâtrer encore, à rapproche des sordides af-

fluents qui le guettent Mt-bas,lorsqu'il se sera

perdu derrière le viaduc du chemin do fer pours'encaisser entro des kilomètres do murailles

manufacturières. Combien dolente la suprêmecantilène des sources limpides et des moulins

d'amont que se chante le ruisselet condamné1

Mais c'est au printemps que la zone spoliéevous impressionne au delà de toute expression.Ma mémoire ne parvint jamais à se déprendred'une journée d'avril vécue en ces provinces cri-

tiques. Le sourire du renouveau les illuminait

faHacieusemènt.Enfant radieux et mutin, le so'

leil agaçait la contrée endeuillie et lui communi-

quait on ne sait quelle grâce facticeet sournoise.

Un morbide état d'esprit m'avait entrainé ce

matin-là vers cette région si douloureusement

transitoire. Je m'y sentais plus seul, plus loin quenulle part. A jamais privé d'espérances, je me

-noyaisdans le vide de mes anciennes nostalgies

Page 240: Eekhoud Mes Communions

et!MMMMK<6M5Tï~ aSt

je m'a~imHats&ee pays un désagrégation part!-

etpant do deux souHranaes, se débattant &la Ms

dans tes convulsions de Tagonie et dans las

spasmes du devenir,& ce pays où la conjono.tien brutalo do la cité et de la campagne Msa-em'

blait au baiser corrosif et meurtrier d'un viol. Il

me tarda!t d'em!gror, do m'ôpordï'e. do me dîs-

soudro pour tout de bon. Aucuneallinité normale

n'étreignait plus mes fibres, aucune consolation

pormiso ne devait me visiter et, en attendant la

métamorphose imminente, je savourais la com-

plaisance de ce dernier printemps pour la ma-

lingre et cariée banlieue industrielle. J'aspirais à

sortir de ce monde pour aborder à des rivagesnouveaux. Mais auxquels? Et par quel moyen?q

Mes pressentiments d'un indispensable avatar

n'impliquaient point la fin do ma vie sur cette

terre. La raison me disait que sans quitter cotte

planète il y aurait moyen do créer un monde

et une humanité nouvelles, d'autres mœurs

et d'autres dieux, en dehors de toute tradi-

tion.

En ce moment de mes spéculations, dévalant

un talus, prêt à m'engager dans le défilé le plusrevêche de cette campagne de barrière, je croisai

une jeune fille, une façon de mendiante, la véri-

Page 241: Eekhoud Mes Communions

MM COMMOKMNSsas

taNeaborÏgènedo ooterroir. A la tois infantileet

vioHIot,cet être revêtit à mes yeux une impur.tance surhumaine. Pâmasse ou déclin, ilhésitait

entre l'aube et le (yépusaule, suggérant &la fois

la nuit à venir et le jour ARa!tre. Ïï battait et

r9Bforça!tt'!mprea8!onproduite par Hn mHieu si

topique et jo ne doutai pas qu'il fAt issu spenta-nôment do la tenootjttrodu soleil r<!demp~uret de

la banlieue damnée.

L'insexuet compUquaitt'ind~terminê de t'age.Le visage tenait d'un garçonnet autant que d'une

gamine, le corps eût convenu&un éphèbecomme

à une adolescente.

Maigre,nerveuse, h&vo,vêtue de haillons cou.

sus avec de la paille en guise de fil ou rattachés

avec des épinesen manière d'épingles, elle s'im-

posait à l'attention par un de ces visages d'expres-sion complexeet passionnée, une physionomie à

la foisaimante et haineuse, ingénue et précoce,tendre et révoltée, une figure d~un ovale allongéau teint blafard, rosé par places, au nez busqué et

mobile, au menton volontaire, au front lisse,

presque trop génial pour une femme,contrastant

avec le pli sarcastique des lèvres charnues, affrio-

lantes quoique un peu Nétries. Ce visage passaitdu sourireiuron et ambigu d'un gavrochedépravé

Page 242: Eekhoud Mes Communions

CMAWOt~KtiMM2~

à t'extatique et ïangeurousomoïanootiod'un ange

domattregotMquo.Et dans cotte physionomie topique rien d'in-

tense et do troublant comme les yeux d'un bleu

indiciMo,tour &tour portes et pëtiMantsd'aM~"

grosso ou s'obscurcissant, sa veloutant do dcaota-

tion des yeuxun pou injecté, ù la fois railleurs

et suppliants, enfoncéssous t'aroade souroiHère,ombrés delongscils pâtes, cernés de violetcomme

par des contusions. 0 co regard qui commençait

comme une prière d'enïant martyr et qui finissait

par une coi!Ïadede prostitudo. Pour bien définir

roiïtuence, le fluide quo dégageait cette interlope

créature, je dirai qu'elle oût entrainé a des jac-

queries la légion des gueux urbains et ruraux, et

qu~entemps do panique et de représailles bour-

geoises, loshonnêtes gens ï'oussent fait coller au

mur, tant elle transpirait la subversion, l'anoma-

lie, t'en-dehors.

Elle se planta devant moi, me barrant le pas-

sage, tendit sa main calleuse et gercée et me de-

manda l'aumône d'une voix faubourienne, méto-

pique à la façon des inflexions de rapsodes fo-

rains, poignante commeles appels su~'un navire

en quarantaine.Mevoyant ému, au point de ne pas trouver la

.4

Page 243: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMMMOXa240

monnaie dans n<apoche, elle interrompit sa eom*

plainte et me prenant très familièrementla main

a Viens ? dit-elle. 0~ cela? baïbutiai'jo.J'a! &tt<n!meocm<!a't'eH<}en fiant doutoureuso-

monte tan(ï!s qu'elle m'enveloppait d'un regard

carnassier o<;caiin.Si j'avaia à peindre la F~im,ooserait ce regard-là que je !ui prêterais1

Nous nous rendimes, moi complètement sa

merci, l'homme lige de cette réprouvée sociale,

vers une guinguette déchue, où jadis, aux vos-

prées dominicales, les couples urbains en rupture

de comptoirset d'aunagcs baillaientet toupillaientaux accords do périodiques crincrins. Je me ré-

jouissais de son impérieuse conuânce et me lais-

sais piloter commesi c'avait été partie liée entre

nous que cette halte dans le bouge, comme s'il

eût été convenu qu'elle m'attendrait ce matin-ta

au passage, en ces confinsde la grande cité.

Chardpnnerette la cabaretièro l'avait saluée

de cenom suggestif,presque rudéral, le vrai nom

convenant à cette plante de terrain vague dé-

vora les frugales platées que je lui Ss servir. Par-

foiselle s'interrompait de manger pour promenersur moil'onctueuse et presquetrop reconnaissante

caresse de ses prunelles, si reconnaissantes ces

prunelles qu'elles me semblaient ironiques et

Page 244: Eekhoud Mes Communions

fHARM~NEMETf~ Mt

m'inspiraient le remords de ma piètre bien<ai-

sanee; puis, aussitôt après, cove!oureuxeHubrinô

regard devenait dur, rôtractile,presquevindicatif.

Quand elle eut terminé cette réfection,tandis que

je réglai, elle vint a moi, me reprit la main et

avecta résignation !d'uno vagabonde acculée quise rond aux argousins « A présent, paie-toiPuis, soyons quittes »

Déjà dépoitraillée, elle fit signe &la patronne

qui s'apprêtait à nousconduire vers une soupente.

Chardonnorette, le pied posé sur la premièremarche de l'escalier, se retourna vers moi. Ah 1

toujours cette physionomie d'expression contra-

dictoire Si l'énigmatique enfant commençait à

à attiser mon être sensoriel, elle m'envahissait,elle me saturait jusqu'aux moindres recoins do

l'âme. Cequ'il y a toujours de protecteur dans la

pitié tournait pou à pou en respect, et mémo en

vénération. A mesure que ma sympathiedevenait

de l'amour, c'était ellequi commençaità m'humi-

lier, c'était moi qui devenaispitoyable.

Non, tu ne medois rien! m'écriai-jc. Ce se-

rait affreux! Etpresque sanglotant « Comme tu

me méprisespour mecroire capabled'exploiter ta

faim »Elle haussales épaules « Allons, ne dis

donc pas de bêtises! Tu m'étrenneras, voilàtout!

Page 245: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMCtMONS8M

A moins que tu Mesois dégoûté Chardon-

norettetl'adjurai.jo. Eh bien, quoi? Décide.

toi alors Montons là-haut et dépêchet Ou bien

fais placeaux autres et cède ton tour au secondde

la série. » Je lui serrai le bras à le fracasser

«Tu as desamants a Cecri dejalousie m'échappacommele sang gicle d'une artère perforée. Elle

éclata d'un rire faux, enroue « Dosamants Dis

donc des tas diamants Tous ceux qui m'aocos-

tent sur la route Tous les passants a Et, ner-

veuse, elle fit le geste do les compter sur les

doigts qu'elle agita ensuite comme pour on se-

couer une invisible poussière dont chaque graineût représenté un de ses innombrables galants.

En ce moment j'eusse simultanément voulu la

couvrir de baisers et la rouer de coups. Je com-

pris ces désespérésqui, sur le point de commettre,ou même après avoir commisle pire des attentats,

massacrentl'objet de leur monstrueux désir et se

croient moins damnables assassins que sacri

lèges je me les assimilai même à tel point que,les oreilles bruissantes, des larmes rouges pleinles yeux, d'un effort je gagnai la porte pour fuir

la tentation de les imiterjusqu'au bout.

Chardonnerette s'était jetée devant moi et, en-

core une fois, cciong, cet ambigu regard de ça'

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CHAMO~NEBETTE ~a

fesse et de menace, de prière et d'exaspérationmevrilla le cœur et me retourna les moelles.

Sousla vertu de ce regard ma fureur fit place à

une délicieusestupeur. Je détaillais &la pressionde sa main devenue tutélaire, à la chaleur d'une

hanche fraternelle frôlant la mienne et, dans ses

yeux sans préjugés et sansmensonges, je buvais

l'oubli de tout ce qui ne serait plus sa présence.

Était-cel'ange attendu, l'annonciateur du monde

nouveau? Marchant sans parlor, deux somnan.

bules, nous nous trouvâmes, presque sans le sa-

voir, en pleine campagne, loin du faubourg.«Retournons,murmura-t-elled'une voix sourde

et envieuse, il fait trop heureux, trop sain ici.

Tout ce pays sent le beurre et les chouxgras. Ces

chairs flasqueset bouffiesdégagent une odeur de

suif. »

La nature rurale trop sereine, béate et salubre,

résignée jusqu'au servilisme,s'accordait mal avec

la couleur subversive de nos pensées. Légitimantles intimes répugnances et les acides afnnités de

ma compagne,j'enchéris sur son dire « Oui, re-

tournons oùl'on souffre,où l'on vit toujours cabré

sous la constante menace du pilori et de la geôle,où toute licencenous glorifie allons où l'amour

blasphème, où le baiser saigne, où !cspossessions

'4.

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MES CCMMCNMN8M4

sont des aHres, où l'on s'adore à s'entre-tuer

Aces paroles les yeuxde la pâle enfant me pa-

rurent plus incendiaires,plus grégeoisque jamais.Au lieu des rustiques clochersooiHësd'or, nous

voyionsrepeindre les cheminées usinières dérou-

lant dos crêpes funèbres. Les placides angélus

villageois étaient étouCes par les cloches dos fa-

briques carillonnant la passagère délivrance do

leurs forçats.

Marchant d'un pas accéléré, par tapées, lourde

au flanc, pipe en bouche, déhanchés, poudreux,tous regardaient ofïrontément ma compagne,comme si tous avaient eu des droits sur elle.

Beaucoup me lançaient des injures ou de mépri-sants clins d'œil. Pourquoi, si irritable, si portéà me ruer sur le moindreoffenseur,n'en voulais-je

pas à ces prolos et me sentais-je au contraire

passer à leur bord?Nous en croisions de merveil-

leux, aussi éloquentsque des symboles, vraies in-

carnations' dela forcedébonnaire ou des latentes

révoltes de membrus et de plastiques aux mé-

plats de médaillesromaines, patinés et boucanés,les hardes fauves collées sur leur cuir par les

suées et les ahans du labeur. Les uns, tout en

chair et en volutes musculaires, les autres, tout

en prunelles et en physionomie.

Page 248: Eekhoud Mes Communions

CBABBOtWBRBTFE 2M

Chardonneretteles saluait par leur nom ou un

orouatilleuxsobriquet. Pour celui-làelle avait une

larme attendrie, pour celui-ci un sourire à l'un

elle faisait une moue lascive, elle gratifiait l'autre

de son geste proféré, elle parodiait le tic, le fau-

bourien roulement dehanches d'un quatrième et

saluait d'une gravelure imprécatoireet doQagrante

les plus bourrus, souvent les plus déguenillés,

coucheurs à l'emporte-pièce,âpres et calleux, quila voulaient, brutale et batailleuse, à leur image.

Inexplicablephénomène Plus ils semblaient ra-

falés et miséreux, plus elle leur témoignait au

passagesa crispante et indélébile solidarité. Phé-

nomène encore plus incroyable, loin de les jalou-ser j'aurais voulu me concilier ces parias, m'afB-

lier àHmmense tribu des asservis et déspendards

partisan d'une sorte de polyandrie, je me serais

contenté de partager les faveurs de Chardonne-

rette avec les derniers dessous de la truandaille,avec la tourbe des argotiers et des drouineurs.

Commesi elle eût lu dans ma pensée, elle se ré-

criait d'enthousiasme « Ohoui De fiersgre-

dins, plus riches de sève et de sang que de pé-cune Ils me battaient ferme aussi j'en ai subi

de ces caresses qui vous rompent tout entière et

vous crèvent aux trois quarts comme une jument

Page 249: Eekhoud Mes Communions

MES COMMOt!!<M)SSM

de Bacre » Avec volubilité, avecune Oèvre fé-

roce qui l'enrouait et l'essoufBait,elle m'évoquaiten phrases courte~,haletantes, les pratiques elles

exigences de ces: m~les elle me suggéra les

siestes dans les briqueteries brûlantes commedes

solfatares, les accouplées nocturnes dans un ren-

Ioncement de meule, et les stupres des dépôts, et

l'audace, la furiasexuelle de ces gueux déchaînée

jusque derrière les bancs de la Cour d'asssises, a

deuxpas des gendarmes, tandis que le magistrat

nasillard et prud'hommesquerequérait contre l'un

ou l'autre dépuceleur qui avait tiré trop de sang.à

ses patientes. Mais je la ramenais toujours aux

traits de son expériencepersonnelle.Elle me narra ses communionsavecles souffre-

douleur, les fringales qu'elle avait assouvies, les

soifsqu'elle avait désaltérées. La sublime~rôlesse

n'estimait guère ses faveurs à un plus haut prix

que la chique et le tabac, les autres consolations

du frelampier.Combien de récidivisteset d'incu-

rables étaient venus chercher, endoloris et sor-

dides, en les bras de Chardonnerette, une pro-

messe de rédemption, une aumône de félicité.

Aux grévistes de la grève perpétuelle, ricochant

de la correctionnelleà la centrale, et del'asiïe de

nuit aux phalanstères des vagabonds, aux blessés

Page 250: Eekhoud Mes Communions

CHAMONNERETTE M7

de notre géhenne sociale, elle représentait la mi-

nute de frève balsamique, l'onguent suave, l'am-

bulance toujours ouverte. Maisparfoiselle opéraitcomme les cautères et les pointes du ieu. Dans

l'imaginationde sesobligéselle allumait des rêves

de cataclysmesexpiatoires. Elle s'était inoculé le

virus des représailles pour le transmettre par les

ventouses de ses baisers aux ilotes trop soumis et

trop patients. Elle induisait aux crimes généreuxlesbeaux garçons de la canaille. Et sur son sein

pantelant de charité féroce les plus radieux ado-

lescents, si naïfs et si tendres qu'ils souriaient en-

core à leur misère et à l'iniquité de leur sort, s'é-

taient réveillés un matin anarchistes à outrance.

En revanche, elle s'imprégnait de généreuse et

virile essence, elle se modelait sur ses amants. La

race des pouilleux héroïques avait façonné ses

appas à leurs mains gourdes, à leurs grossesbouches convulsives de Tantales assoiffés de

bonté et de justice.

Sa déchéance la parait d'une noire splendeur

purgatoriale.Plus elle me nombrait ses ignominies, plus je

l'aimais, cette totale perdue, cette Madeleine des

voyous.Oui, je l'aimais. Et de quel amour absolu

et panthéiste C'était tout le peuple, toute la souf-

Page 251: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMOMON88<8

franco, l'innnio couleur humaine que j'adorais encette prostituée, martyre et sainte, et j'auraisvoulu incarner la plèbe tragique et rebelle pour la

posséder, la béatifier Ajamais.Monaberration affectiveen vint à reporter sur

elle mes nostalgies du monde meilleur. Ses no-

mades et innombrables amours l'exaltaient a mes

yeux. Infiniment rédimante et piaoulaire, elle

avait essuyé plus de larmes que les petites viergesdes carrefours. Comme de lancinantes et volca-

niques oraisons jaculatoires, comme ces prièresde naufragés qui tournent en imprécations de dé-

sespoir, l'avaient fouettéelesdéclarationsfurieuses

de ses fidèles. Beaucoupivres, appassionnés jus-

qu'à l'épilepsie, en ces stades amoureux où chez

les tempéraments primordiaux l'épanchement de

la tendresse se confondavec les transports de la

haine, l'avaient battue, mordue, contusionnée,

foulée aux pieds, tatouée comme un mur de

geôle.Notre-Dame des Claque-Dents et des Penail-

leux, durant leurs amoureuses neuvaines, c'était

de plaies et de blessures que ses truculents pèle-rins couvraient son corps en guised'ex-voto1

Quand nous fûmes entrés dans la guinguette

je tombai à ses genoux.

Page 252: Eekhoud Mes Communions

CHAMONNERETTE ??

a Je t'adore, lui criai-je, en arrosant ses pieds

gerces et poudreux, de toutes les larmes aooumu-

lées dans ma poitrine depuis que te destinm'avait

confrontéavec cette gueuse. Oh je te porte un

amour déréglé. monstrueux, diront mes an-

ciennes amours abjurées pour toi! Mais par.donne-moi mafaiblesseet mon noviciat. A toi de

m'initier aux redoutables mystères. Vois, je

m'humilie, je tremble encore a tes pieds. En ce

moment tu dispenserais des secours trop formi-

dables pour mon anodine détresse, toi qu'il faut

aimer à toute extrémité. Les lâches bonheurs

m'imprègnent encore trop. Avant d'entrer dans o.les capiteusestanières de la révolte, Hfaut que jesecoue à l'air libre le fade remeugle du cbenil

Attendspour m'accorder une part de ton être, que

j'aie renié ma race, mes origines, la famille et le

mariage, que j'aie connu la faim, la proscription, .°

les pénitenciers, les traques, les souillures, les

outrages de toute sorte que le mauvaisriche pro-

digue à Lazare, l'ombre et le repoussoir de son

éblouissante prospérité. Pour m'approcher de la

cène anarchiste, j'attends d'abord le baptême de

l'interdit. C'est de ta conjonction avec l'un ou

l'autre ruffian, c'est de ton giron d'adolescente,

plus ruiné que celui de l'octogénaire de laprophé-

Page 253: Eekhoud Mes Communions

2a0 1 MES COMMUNMM

<

tie~que sortira sans doute l'Antéchrist l'Incen-

diaire, loPuriSoateur! a

Sesguonillcstombèront en signe d'acquiesce-ment &mes présages. ~Danssa nudité do poitri-naire agonisante, avecses pauvresbras décharnés,

ses jambes frelos et ligneuses, avec sa gorge et

ses Oancsde souffre-douleurocellésde cicatrices,

tout ce corps épuisô et faméliquequi eût tenu

trois fois dans un cercueil d'en<ant, elle surgit

plus navrante qu'un jour do grève, plus dévorante

que le pétrole et le grisou, plus damnable qu'uneliauffoirde bagne et en même temps plus pureet plus lustrale que les fonts baptismaux. Les

épaules étaient si chétivos qu'elles semblaient

ployer sous le faix des longs cheveux de fumée

auréolant de deuil le visage séraphique et

déchu.

Lesyeux bleus dilatés à 1 extrême,aussi bleus

que le ciel au premier jour du monde, scruteurs

commedes consciences,m'entrouvraient des ver-

tiges de honte et de salut, d'iniquité et de rédemp-tion.

Alors,cuvant en monêtre touteslesforces, toutesles aspirations, toutes les pléthores aScctivesde

la racaille et des gueux qui lui avaient payé tri-

but, je l'étreignis, je la pressai contre moi, par

Page 254: Eekhoud Mes Communions

CMA~MNNt~ETTR ~Mt

tu

tage entra l'horreur et te fanatisme,plus farouche

qu'utt voleur de rotiques.Au eoataot de ses lèvres, un froid deMoieux,la

ta fraîcheur sapide d'un fruit paradisiaque enva-

hit les principes mêmes de ma vie et je me sentie

sourdre et tarir ôtoroteMementen ta prière exauce'!

de t'universetto sbuOranoe.

Page 255: Eekhoud Mes Communions
Page 256: Eekhoud Mes Communions

LADË~ÏÈRELETTREMJmTELOT

~NM~Me~eNtoMcf.

Ameaea&nMaeaet my<M~ttMne gottont

pae le plaisir nos une sourdine d'taMmtteet deferveur.

(WeMM«eC~W~t, G. E.)

« Apropos, l'ami Marius, espèce de samaritain

de lettres, j'ai conservé quelque chose pour vous

me dit à la fin d'un dîner, où nous avions beau-

coup causé marine et navigation, le courtier et

armateur Josse Deridder, du quai OrtéHus, à

Anvers, chez qui j'étais allé passer mon congé de

NoëL C'est la copie d'une lettre d'un marin

d'ici à sa grande sœur qui demeure avec leurs

vieux parents et une tlopée d'enfants puînés, en

bas âge, commeon en trouve toujours chez les

~pauvres gens, ruelle de la Coupe, près du Poids

Page 257: Eekhoud Mes Communions

SM MBSCOMMPMON8

de Fer, au cœur de ce grouiMeuxquartier Saint-

André qu'on appelait si pittoresquementautrefois

le Marché-aux-Poux, e~ où je vous conduirai à

votre prochaine visiter. Si !e gaillard a écrit &

cette sœur plutôt qu'à son pèreou &sa mère,c'est

parce qu'en dehors de lui, eUe est la seule de la

famille qui sache a peu près tenir une plume et

déohiSrer un griSbnnage. Toutefois,il faut croire

que la mâtine s'est vantée ou que son frère entre-

tient trop haute opinionde sa science, car elle est

venue, au bureau, nous demander de lire la mis-

sive dont nous avons alors gardé copie à votre

intention. »

Josse Deridderest un des rares négociants quiaient quelque idée de la valeur d'un livre sincère

et artiste et qui n'assimile point nécessairement

un écrivain à un vagabond et à un repris de jus-tice. Enormité qu'il a toutes les peines à se faire

pardonner par la gent mercantile il s'essaie lui-

même àcoucher sur le papierdes idées autresquecelles de son journal' et rédigées en une languemoins cursive. Ainsi il est arrivé à tourner assez

proprement le vers. Josse Deridder lit beaucoupet comprend même ce qu'il lit, phénomène peut-être plus rare encore que celui d'un négociant

poète. A côté de plusieurs bons tableaux signésde

Page 258: Eekhoud Mes Communions

M PERDUE M?rFRR Mt MATEMtT ??

noms qui ne sont point exclusivement ceux do

quelques favorisd'un chauvinisme ignare ot pro-

vincial, il possède une bibliothèque bien fournie

et dont on ne craint point, on la consultant, de

détériorer les richesreliures. Hommed'éducation,de naissance patricienne, amphitryon fastueux

quoique cordial JosscDerMder compteparmi les

dix à vingt négociants qui nous réconcilient avec

uneengeance essentiellementmalhonnête et arro'

gante. Si vous acceptez à diner chez lui, ne crai-

gnez point qu'il vous dise à chaque plat ce quecelui-ci lui coûte, ou qu'en vous servant à boire,il constate que vous n'avez point l'habitude de

humer pareil nectar, ou qu'il étale sur la table

toute l'argenterie de ses dressoirs, ou qu'il se

fasse apporter, au milieu du repas, comme par

hasard, une immense pile de louis d'or, une en-

caisse qu'il s'agit de vérifier d'urgence. Non,

jamais Deridder ne parlera de sa profession que

pour rapporter des faits et des circonstances qu'ilsait devoir intéresser sesconvives aussiai-je tou-

jours tiré profit de mes familières causeries avec

ce right et gentleman, et accueillis-je comme de

précieusesaubaines sescharmanteso~res d'hospi-talité.

Dans les circonstancesprésentes, il <vaitencore

Page 259: Eekhoud Mes Communions

sas M~ceMMBMONa

unefois devinéJuste ettrouvé le moyen de m'obli.

ger on réservant pour mon reliquaire cette fruste

epïtre d'un gars du peuple, ce document si ins-

tructif et si éditant pour celui qu';l venait d'ap-

peler avec ~onhomieun samaritain de lettres.

L'épitre en question, datéedu i2 octobre, venait

de Santos, un port do la côte brésilienne, et était

conçue en ces tormes

« Chère sceur,– je mets la plume à la main

pour vous faire connaître l'état de ma santé qui

n'est malheureusementpas aussi bonne que je le

voudrais, mais j'espère qu'il en va autrement

chez nous, à la maison, et que tous vous vous

portez commepoissonsdans l'eau.

« Voilàsixmois déjà quenous relâchons à San-

tos, mais nousallons enfin leverl'ancre la semaine

prochaine. Ce n'est, fichtre, pas malheureux, car

il fait si malsainici que chaque jour des matelots

meurent de~fièvres. Si vousn'êtes pas très solide

de la poitrine, c'est à peine si vouspourrez résis-

ter à cette vilaine maladie. Depuis trois semaines

elle me guette et tourne autour de moi commeun

de ces vilains serpents ou de ces grosseschauves-

souris, buveuses de sang, qui font le charme de

ce pays. Heureusement, je suisplus malin et plusfort que le monstre jaune et j'ai déjoué ses feintes

Page 260: Eekhoud Mes Communions

LA BEBNTÈRt! t~TTRE PU MATKMT 9~

ou mêmegardé le dessus lorsqu'il m'attaquait de

front.

fi En ce moment, il y &encore un Belge de

l'équipage en traitement à l'hôpital. C'est notre

second timonier, un garçon d'Anvers, un sinjoorcomme moi, qui s'appelle Emile Lauwers et qui

demeure rue Falcon, n"13. Je t'envoie sonadresse

car il est trop malade pour écrire et il m'a même

demandé, chère sœur, de te prier d'aller porterde

sa part un bonjour à ses petits vieux. Tu feras

cela, n'est-ce pas, Mariette, car c'est un brave

garçon.« Je vous souhaite à tous une bonne et heu-

reuse année, au père, à la mère, à tous les petits.

Julleke a-t-il pu faire sa première communion?

S'il est bien sage, je lui rapporterai un perroquetvivant avecdes plumes rouges, vertes, de toutes

couleurs, comme il s'en trouve à la « Zoologiea 1

Netje travaille-t-elle déjà chez la repasseuse et

a-t-elle fini de tousser ?

« Ne soyez point étonnés que je vous envoie

déjà mes souhaitspour l'année nouvelle,maisc'est

parce que, si robuste que l'on soit, on n'est jamais

sûr, pour le motif que je te disais plus haut~

d'avoir encore la force de tenir unft plume le len-

demain. Je souhaite donc que vous puissiez pas-

Page 261: Eekhoud Mes Communions

?8 M~SCOMMUNKHO

_n-

ser de nombreusesannées dans la joie et le plaisiret je compte bien qu'il en sera de même pour

moi,sitôt de retour à Angers.J'espère aussi/chère

sœur, que tout tra mieux pour toi, alors! Je sais

que tu es malheureuse à présent et que tu as déjàdeux enfants de ce Jaak, le oigarier. Le guignon,c'est que je ne puis encorerien renvoyer pour te

tirer de peine; mais patiente encore un peu, jus-

qu'à ce que nous débarquions à Anvers et alors,

s'il plaît au bon Dieu,je te donnerai certes quel-

que chose pour te sauver d'embarras et je ferai

aussi entendre raison à ce damné coureur de

filles; oui, il faudra bien qu'il t'épouse ou je ne

m'appellerai plus Frans Selderslag.« A présent, je ne disposepas mêmed'un liard

quoique j'aie de bon à peu près une affaire de

trois cents francs. Croirais-tu que je suis déjàseptmoissur ce navire?Et j'apporteraiaussi une caisse

pleine de curieux objets d'ici.

« Chère sœur, n'oublie donc pas de te rendre à

la maison de ce Lauwers; car 16garçon est si bas

qu'il a peur de ne plus jamais revoir les siens. II

ne faut pas les effrayer et leur dire qu'il est telle-

ment malade, tu comprends, n'est-ce pas? Mais

mieux que moi tu sais comment t'y prendre.« Maintenantj'ai encore autre chose à te de-

Page 262: Eekhoud Mes Communions

tA MaXNt~RE LETTRE Dp ~ATEtOT ?9

manderet ceciest pour moncompte,etse rapporteà notre voisine de l'impasse du Glaive, Dolphine

PIaschmàns, la trieusede cafë.Êtes-vous toujoursliées? La nouvelle que je vais t'annoncer ne

t'étonnera pas fort. Écoute, je vois cette fille si

volontiers que je donnerais bien cent francs si

elle voulait de moi pour son bon ami Aucune

nuit ne,se passe sans que je la voie dans mon

rêve aussi belle que lorsqu'elle venait prendreFair sur la place du Poids-de-Fer et batifoler,

tête nue, avec toi et d'autres fillesde votre âge en

vous tenant par le bras. Demande-lui, veux-tu ?

si elle se rappelle la foisoù nous avons dansé

ensembleà la grande kermesse, une seule danse

au « Saint-MichelN, dans la rue du Couvent ?

Demande-luiaussi comment elle me trouve, si jesuis à songoût. Tu lui diras une bonne parole

pour moi, car tu sais bien,toi, que je ne suis pasun mauvais garçon. Dis-lui que si elle voulait de

moi je l'habillerais tout à neuf, sans oublier les

bijoux et le reste, mais il me faut d'abord savoir

si je lui plais. Et si elle répond que oui, tu peuxlui donner une de mes photographies, queje fis

faire l'autre foisprès du canal des Brasseurs.

<cIl y en a encoredeux à la maison. D'ailleurs,

je pourrais en faire tirer d'autres. On garde les

m

Page 263: Eekhoud Mes Communions

MO MBNCOMMtWKM'S

cUohés.C'est mis en quatre langues au dos de

chaquecarte,mêïneensuédots:P~adeKop6eTt'aM'<~

~rjE~ey6es<eHt~. ;Depuisque je suis abord du

Prosit je parle presque'aussibien cette langue quele flamand.

«Donc, chère sceur, dis un bonjour pour moi

à DolphinePlanschmans de t'impassë du Gïàive,à père, à mère, aux frères, aux sœurs, particu-lièrement à Julleke et Netje, à mes camarades

Flup et Rikus,même à ce coureur de Jaak, enfin

à toutes les connaissances, mais surtout à Del-

phine PIaschmans. Là-dessus je finis en me di-

sant votre aSectionné.

FRANS SELDERSLAG

« Écrivezà cette adresse F. 8.~ à bord de la

barque Prosit, capitaine Hanssen, Barberus, îles

Barbades, Indes occidentales.

t t t t t t t t t t t t t

« Toutes ces croix sont des baisers. »

Monami JosseDeridder ne s'était point trompé.'Je lus cette épitre avec plus d'intérêt que l'on

n'en accorde généralement aux confidences de

gens qui, pour parler en égoïste/ne noustouchent

nide prèsni deloin, J'avouerai mêmeque je la lus

Page 264: Eekhoud Mes Communions

M tMËRNt&RE MMttE DO MATRMT Mi°

et la relus, sans parvenir à en détacher les yeux,

commos'il s'agissait d'une personne bien connue,

voire d'une personne mystérieusementchère.

Aprèsle dîner le courtier m'entraina, au port et

aux docks, sur des navires dont il connaissait les

capitaines. Dans les dispositions d'esprit où

m'avait plongé la lettre du matelot, aucunes péré-

grinations n'auraient pu m'être plus agréables

d'ailleurs, j'ai toujours aimé les grands fleuves,

l'océan, les havres, les vaisseaux et les marins.

Longtemps les soldats, ces autres déshérités du

bonheur bourgeois, ces autres pitoyables ilotes

d'un régime de proscription et de parquage, se

partagèrent -ma compatissante sympathie, mais

plus nobles et plus droits, les matelots répudientle mensonge, l'oisiveté, les pilleries, et pour ce

motif à présent je les préfère aux soldats. Leur

vie est toujours une lutte et souvent un péril,leurs combatsne se livrent pas contre leurs sem-

blables, et sauf dans de rares corpsà corps loyauxet sanglants, ils ne s'acharnent que contre les

éléments et ne se mesurent qu'avec les tempêtes.

Leur rude métier, héroïque entre tous, est peut-être celui qui rapproche le plus l'homme de ses

destinées originelles, de ses vertus primordiales,de l'alliance de son Dieu. w

Page 265: Eekhoud Mes Communions

MES COMMCNMNBaca

Comme à toutes les Noëls, le port présentaitune physionomie de grande fête. Les navires en

rade et dans les bassms avaient fait parade et des

drapeaux; des pavillons, de multicolores carrés

d'étoNobrandillaient joyeusement le long des

agrès et des cordages. A bord les hommes de

quart et de vigie répondaient par des chants mé-

lancoliques ou de vagues ritournelles d'accordéon

aux musiques violentes des bastringues du quai,et souvent un mousse étranger, songeant à la

patrie lointaine, et se sentant troublé par le mal

du pays, secouait sa morale malaria, en se livrant,

à lui tout seul sur le pont goudronné, à quelque

gigue ou frénétique tarentelle.

Le temps mi-frisquet, un peu gris, tissé de

brumes légères prêtait à la rêverie et aussi aux

déduits du jour. Au passagedes nues, au remous

des flots, le ciel et le fleuve alternaient leurs colo-

rations etileurs formes suggestives presque aussi

rapidement que le cours des souvenirs et des

espoirs:La plupart des navires sur lesquels je montai

avecmon hôte se trouvaient être de nationalité

scandinave et, dusse-je être taxé de puérilité,

j'avouerai que ma présence à bord de ces bâti-

ments me semblait plus importante et plusoppor~

Page 266: Eekhoud Mes Communions

M OKRKt&REMTTKEBUMATEMT 2N!

tune que dans nombre do circonstancesanalogues.

Était-ce parce que le Prosit,'Ia barque sur laquelle 6

manœuvrait Frans Soldersiag, naviguait sous

pavillon norwégien?Aveo quelle ouriosité anfan-

tine j'étudiais l'aménagement et la disposition des

lieux, j'examinais les moindres objets, je m'ab-

sorbais dans de divinatoires extases, ne prêtant

qu'une attention apparente aux explications [

pourtant bien instructives et en rien arides que me

fournissait mon obligeant compagnon, mais sur ce

chapitre topique, sur la partie où sa compétenceétait extrême, j'en savais ou plutôt j'en devinais c.

plus long que lui-même, en ce moment. Toutes 9

choses maritimes revêtaient une bien autre signi-

fication à mon esprit que l'utilité et l'emploi queles prétendus initiés leur assignent. Je prenais

plaisir à entendre le langage des marins sans

toujours comprendre les mots je goûtais la mu-

sique copieuse et virile des âpres voix du Nord.

Elles s'associaient aux énergiques et tonifiants

effluves du varech et du goudrpn comme aussi

aux relents des cajutes, des cambuses et de ce

quintelage, le pauvre trousseau du vagabond de

l'océan, presque aussi dérisoire, aussi imprégnéet culotté de ferments aventureux et pathétiques

que le bagage des rôdeurs de grand'routes<

Page 267: Eekhoud Mes Communions

Ï84 MSSÇOMM~NtONa

Le soir qui n'avait point tardé & tomber nous

surprit dans nos observationsabsorbantes.Coriime

deshMiolesleaianaux s'aMumèrent le long des

vergues etmêlèrent l'impromptudeleurs couleurs

chatoyantes &la fantaisie multicolore des drape-

lets. Les eaux doucement clapotantes répétaientl'illumination des quais et des navires; la course

d'une allège ou d'un canot de ballade ôoïairépar E

des torches amorçait dans son sillage comme un

banc de poissons de feu, et, fatigués d'accor-

déonies et de saltarelles, ïosvigies solitaires con-

signées à bord correspondaient à présent avec les

turbulentes bordées tirées sur la rive par les

équipages, en projetant vers les cieux de mélan-

coliques et furtives chandeMesromaines.

Obssessionet corrélation singulière, je conti-

nuais à rapporter ces objets, cette atmosphère et

ces tableaux à la très infime lettre lue tout à

l'heure. Cette après-midide Noël me représentait=

une illustration assez corsée, une poignante

synthèsede la vie de ce Frans Selderslag. Il serait

diiEciIede préciser et de noter les infinitésimaux

périodes de sensibilité par lesquels je passais.Le plus souventje croyaisfaire partiede l'équi-

page la barque mettait à la voile, j'aspirais au

départ vers des pays dont la cale et les soutes du

Page 268: Eekhoud Mes Communions

M MHMXÈM!MiTTREBU MAfEMT 2C5

navire recelaient encore de capiteux et peut-être

pervers couves. Je ne sais qui m'appelait, qui me

désirait la-bas et, pour me le dire, recourait à

toutes ces subtiles annonoiations.

A d'autres moments je me figurais que nous

venions d'arriver et j'allais mettre pied à terre en

me chargeant de quelques exotiques cadeaux

pour les miens. Mais quels étaient, à. présent, les

miens A force de m'assimiler le tempérament,

l'orientation et les contingences du marin, je ne

me rendais plus un compte très précis de mon

propre rôle dans le monde.

Toutefois, rien de ces perturbations intérieures

ne perçait au dehors. Monhôte, Josse Deridder,

dut me trouver de très belle humeur, d'autant

plus que par un dédoublement que j'observai sur

moi-même, dans plus d'une circonstance de la

vie, où mesafnnités émotionnelles sont très actives

et bouillonnent même jusqu'à l'hyperesthésie, où

l'aimantation de mon être par des courants sur-

naturels atteint desproportions insolites, j'étais à

la fois à une conversation très anodine et acces-

soire avec mon ami actuel et je communiais avec

des âmes lointaines plus troublantes que le son,

la lumière et l'arome, plus fluides et plus élec-

triques encore que la saveur du baiser.

Page 269: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMUNKtNS?6

Moncompagnon, flatté.par monattention con-

centrée aux explications techniques qu'il me

prodiguait au oourst de nos diverses étapes, me

trouvait très onverve, très sociable et pour m'en-

tretenir dans cet état d'aménité, il mefit goûterà des liqueurs variéesdu Nord et des tropiques,âcres ou chatouilleuses,arak, kwas otkummel ou

caohiri,Iarkinetscubac, sans se douter, le brave

homme, qu'il exaspérait encore ce cas dédouble

vie, même de multiple vie, qui se produisait

depuis plusieurs heures déjà en son visiteur.

Chez lui ce boire cosmopolite détermina une

humeur de réveillon et jusque bien tard dans la

nuit nous nous éternisâmes au sein de cequartier

maritime, errant de musicos en guinguettes, de

dispensaires en sa~ot's-~owes, d'alcoolisme en

végétérianisme.A la finj'étais tombédans un état

de prostration ou plutôt de pâmoison, et ne

répondais que par des paroles de plus en plusrares et sibyllines, aux propos intarissables et de

portée immédiate de mon excellent pilote. J'avais

même hâte de rentrer, de me recueillir, de me

trouver seul dans ma chambre.

Avant de me mettre au lit je relus la lettre de

Frans Selderslag, m'étant couché je la reprisencore. Quelle occulte et impérieuse éloquence

Page 270: Eekhoud Mes Communions

MDPMNt&RE LEIfTM! AU MATELOT acTt

contractaient ces lignesnaïves! Chaque mot me

découvrait tes dessous d'une tendresse nostalgi-

que plus tiède, plus enivrante qu'une promenadeà deux avec l'être aimé sous la cerisaie en fleur.

On aurait dit un clavierà chaque touche duquel

correspondait non pas une note mais la fibre

ultra-sensible d'un grand cœur aimant, pantelantde désir, éperdu de jouissance partagée. En mes

dispositions de réceptivité extrême, cette lettre

m'oHraïtun thème infinimentsincèreet mélodieux

qu'une sympathiespontanée enrichissait d'harmo-

nies périodiques, inépuisables comme les marées

de l'océan.

A la faveur d'une dernière protestation de mon

sens strictement terrestre, de ma conscienceré-

duite aux réalités de la vie, contre cet épanche-ment houleux de mes facultés imaginatives, jeconvins de l'importance vraiment par trop extra-

vagante qu'aSectait cette lettre et l'ayant repousséeloin de moi, j'éteignis ma bougie pourneplus être

tenté de la reprendre puis je me plongeai sous

mes draps, m'eHbrçant de songer à des choses

très pratiques et très positives, par exemple à

l'argent qu'il me faudrait emprunter à mon hôte

pour prendre le train et regagner ma résidence.

Maisj'avais compté sansma mémoire je savais

Page 271: Eekhoud Mes Communions

M8 M~SCOMMNNtONS

la lettre par cœur. L'obsession s'exaspéra, plus

immatérielle que jamais. Je répétais, en les scan-

dant, les phrasesfatidiques je me surpris même à

les prononcer tout*haut, comme des incantations.

A quel miracle tendait cette thaumaturgie in-

consciente et passivé ? Combien dp fois répétai'jeces conjurations, oh d'une voix de plus en plus

pressante, d'une voix donnant, comme la tiercé,

la note harmonique de notes bien lointaines et si

passionnées malgré les grands vides des espaceset les atlantiques désespérants On aurait dit que

je me chantais un duo à moi-même. Par instants,

l'une des notes de l'accord paraissait vouloir s'éloi-

gner de sa jumelle, l'accord allait se briser, mais

l'autre note finissait toujours par rattraper la fu-

gitive, s'y accrochait désespérement pour être sa

seule réponse dans Fétemité. Les efforts que les

deux voix complémentaires faisaient pour se join-

dre, seraient comparables aussi au dialogue des

enterrés vifs et de leurs sauveteurs..

Cetteveille finissant par devenir plus accablante

qu'un cauchemar, je me rhabillai dans l'obscurité

et m'efïbrçant de faire le moins de bruit possible

je gagnai la rue. L'air de la. huit aurait sans

doute raison de cette intoxication sentimentale,

de cette saturation des facultés amatives. J'irais

Page 272: Eekhoud Mes Communions

M OPMn~MSMTTRE PU MÀTTEtOT s~

prendre un bain de foule et de populaire, m'étour-

dir et m'achever dans un de ces)bah canailles dont

parlait précisément la lettre du matelot. Au fait,

pourquoi ne pousserais-je pas au « Saint-Michel N

dans la rue du Couvent, le bastringue où Frans

Seldersïag avait dansé sa première valse avec

Dolphine Plaschmans ? Peut-être au moyen de

quelque brutale équipée, parviendrais-je à arra-

cher mon cœur a cette inconcevable possession.J'ai vu arracher ainsi des poids formidables aux

insidieuses ventouses de l'aimant.

Moi qui étais rarement venu à Anvers il me

faut insister sur ce point et qui ne connaissais

en fait de quartiers excentriques que la zone ma-

ritime explorée l'après-midi en compagnie de

Josse Deridder, je me trouvai bientôt tout à l'autre

bout de la ville, mêlé à une cohue de faubouriens

et d'ouvrières qui garnissaient la vaste salle même,

évoquée par Selderslag.

Deux cents personnes au moins se trémous-

saient aux accords d'une musique cavalière et ca-

valante, que les cuivres éperonnaient de leurs

stridences aiguës. Mais dans cette foule mouton-

nante, estompée par la fumée et la sueur, je ne

distinguai, je ne suivis qu'un seul couple.

C'était un beau garçon d'une vingtaine d'an-

Page 273: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMUONSaw

nées,*trèsvigouroux, très muscle, la tête brune

et crépue rejetant crânement en arrière une cas-

quette marine à large visière plate et cirée; le

visage épançui avec des traits d'une sympathique

rudesse te teint hâté mais préservant tout de

même les roses et le duvet de l'adolescence de

grosses lèvres fraîches comme une aube de bai-

sers des yeux expansifs tout constellés de joie

avec cela l'air un peu paysan et d'allures un tan-

tinet balourdes dans sa brune culotte de velours

à côtes très serrée, son tricot gros bleu de matelot

fortement échancré au cou et comme tatoué sur

la poitrine d'une immense ancre rouge les vê-

tements accusant encore le charnu du torse et des

membres.

Sa compagne, d'une couple d'années plus âgée

que lui, représentait unede ces noiraudes au type

espagnol comme il s'en rencontre beaucoup dans

les ports de mer septentrionaux, le teint mat et

légèrement ambré, l'oreille menue, les yeux trou-

Meurs, la bouche pimentée; la chevelure ramenée

en accroche-cœur et en frisons, Flamande parles hanches larges et rubéniennes, par la fraîcheur

de la pulpe et de la carnation, mais Andalouseparla vivacité des prunelles et l'aÏMolante mobilité

de la gorge, des paupières, des narines et des lè-

Page 274: Eekhoud Mes Communions

LABKK~tëRBU~'FTKEBUMATELOT ~i

vres, vraiment la femelle victorieuse pour laquelle

tes francs bougres aHronteraient les coups de cou-

teau, les nuits au poste et même, si elle existait

encore chez nous, la machine coupeuse de têtes.

Quel instinct m'avertit d'emblée que c'était là

Frans Selderslag avec sa Dolphine Plaschmans ?

« Tant mieux ? me dis-je, sincèrement ravi,

« il sera revenu de Santos et des Barbades. Le

voilà guéri, entièrement radoubé un fier brin de

mâle »

Et continuant a monologuer à part moi « A

quand les noces ? La sœur a dû parler pour lui,

de sorte qu'à son retour la fière voisine a con-

senti à être sa bonne amie. Sans doute une partie

des trois cents francs du prêt aura servi à parer

la jolie fille de popeline et d'or plaqué »

En ce moment ils repassaient devant moi,

portés par leur élan serpentin et le courant des

danseurs de la foule « Mais non, je me trompela toilette de la belle est assez maigre sa robe

est usée et elle n'arbore point le moindre coliR-

chet »

« Pourquoi, aussi, a me disais-je en poursui-vant mon très inquisitorial examen, <~ne se trai-

tent-i! point avec plus de familiarité ? C'est a peines'ils tournent enlacés et si en se pressant les mains

Page 275: Eekhoud Mes Communions

MEa COMMOMON8zs

ils se hasardent plus haut que les potgnets. Quelle

extrême réserve Tous deux semblent embar-

rassés, très gauches', commes'ils se voyaient pourla première fois et~sur ma parole, n'était l'expres-

sion idolâtre de leurs regards et l'imperceptible

tressaillement de leur derme, ce frisson, cette pe-

tite mort qui aSIeure à la chair de ceux qui vont

se donner l'un à l'autre, et que je suis peut-être

seul à saisir en dehors d'eux, on gagerait qu'ils ne

s'aiment pas encore, qu'ils cabriolent et toupil-

lent, friande garce et rude gars, sans y attacher

plus d'importance que le passereau à la cerise

qu'il picore et la fleur au papillon qui la chif-

fonne. Diable leurs aSaires n'auraiënt-elles pasencore fait plus de chemin On est cependant

expéditif dans le monde des marins, surtout qu'ilsn'ont pas des mois à. perdre en madrigaux et en

tourterellisme. Allons morbleu, Frans, à l'abor-

dage Ousi tu ne jettes l'ancré pour de bon, il

est temps de faire escale a

Je ne sais combien dura leur danse, mais jelus très longuement dans leurs deux âmes, sur-

tout dans celle du jeune pilotin. Je parfumai mor-

tellement la mienne aux fragrances de ce désir et

~te cette sève Je respirai à en défaillir ~eurspers-

pectives de bonheur.

Page 276: Eekhoud Mes Communions

&A MRNt&REÏ~TTMM MATEMT 2~

La musiques'interrompit: Ils firent quelques

pas, presque cérémonieux, ensemble. Soudain un

remous les bouscula et je vis un gaillard de ragede Frans, un joli garçon vulgaire, aborder la co-

quette Dolphine avec une liberté de camarade, car

c'était avec lui qu'elle était engagée pour la danse

avenir.

Frans se contenta de prolonger l'étreinte de ses

doigts tandis que rieuse, mutine, sans se hâter

toutefois, elle suivait son nouveau cavalier, et, en

manière de consolation, elle décocha au candide

affronteur de naufrages, si timide devant la tem-

pête de ces noires prunelles de femme, une élec-

trique et lumineuse oeillade.

Il l'observa toujours, insatiablement ne déta-

chant plus les yeux du couple qui tanguait et rou-

lait comme la goélette le Prosit sur cet océan

de houleuse chair humaine il la regardait comme

un navire en détresse verrait s'éloigner l'arche de

salut, le phare providentiel, oh si tristement, et,si ingénument, que pris d'une compassion infinie,

je me faunlai au premier rang de la galerie et me

plaçai a côté de lui pour le réconforter. Mais jene me rappelle plus ce que je lui dis, ou si jeme risquai seulement à lui adresser la parole.Tout ce que. je sais c'est que sa chère pensée

Page 277: Eekhoud Mes Communions

S'H MESCOMMCmONS

concertait avec la miennecomme si j'avais tou-

jours étéson matelot.

Nousassistâmesà toutes les dansesqu'elle dansa

avec le drille qui l'avait réclamée après Frans ou

avec d'autres non moins indifférents, triviaux et

de façons rogues, a toutes ces danses qu'elleaurait dû leur refuser pour les donner toutes ason

Frans.

Poussépar une sympathie crispante, j'avais ac-

croché mon bras à son noueux biceps, et sans

qu'il y prit garde, je lui dédiaimon âme, mêlant

aux rosées de son grand coeurauroral les ardents

orages du couchant de ma jeunesse. Aussi, en

quelle adoration s'aggravait soncapricepour cette

folâtre fillette

J'avais bien deviné, ils devaient encore en être

au trouble de la première rencontre, avant le bal-

butiement des aveux et, de là, chez mon délec-

table compagnonune sorte de jalousie anticipée,ou plutôt cette inquiétude de l'amant qui ne s'est

pas encoredéclaré et qui ne possède encore aucun

droit sur celle qu'il voudrait faire indissoluble-

ment sienne. Ah si elle en avait déjà aimé, déjàconnuun autre Et telle était l'intensité de cette

angoisse en mon camarade que je ne songeais

pas alors à l'invraisemblance do son attitude si

Page 278: Eekhoud Mes Communions

~BmM~ELNTREMMATEMtT JH5

platonique et que je m'abandonnâtcomplètementà mon spasme de pitié et de balsamique dévoue-

ment. Pourquoi meparaissait-il si précieux, si

rare, si dignede vivre et d'aimer, ce jeune Frahs

Seldersiag? ¡.

Combiende danses avions-nous comptées lors-

qu'on éteignit le luminaire ainsi que la voixdes

orchestrions,et que le courant de la sortie nous

enchevêtra dans un rassemblement où. toujourssans que personne m'eût averti, je reconnus Ma-

riette, la grande sœur de mon Frans, et Jaak le

cigarier, et Flup, et Rikus, et d'autres encore

mentionnés dans la lettre, et beaucoup de filles

dégingandées et piaillantes, les batifoleuses des

soirs d'été sur la place du Poids-de-Fer, tous et

toutes en train de dégager la belle Dolphine de

la nuée des galants de carrefour qui s'attardaient

en se disputant la faveur de la reconduire.

Seul Frans ne se présenta point et quand Dol-

phine eut été rendue à son escortede compagnes,

que lurons et luronnes se furent éloignés, en

deuxbandes, éraillant les ténèbres de leurs chants

et de leurs rires, non sans se pourchasserde bour-

rades et de chatouilles, nous nous engageâmesà

leur suite, mais à distance,à travers le dédale des

venelles et des impasses. Dans le hourvari des

t6

Page 279: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMUIONS~6

voix graveleuses et eSarouohées, nous distin-

guions le rire lutin et perlé, un vrai rire de Noël,delà belle fille, et, sous les sombres voûtes des

ruelles sordides nous suivions ce rire argentincomme les bergers et les magesavaient suivi dans

les cieux le sillage de l'étoile miraculeuse.

Et quand cette voix s'éteignit au bas d'un char-

bonneux escalier de l'impasse du Glaive, mon

Frans demeura longtemps devant le seuil, transi,

irrésolu, sur le point de monter à sa suite, mais

se ravisant alors et le cœur délivré d'une horrible

inquiétude à l'idée qu'elle était rentrée seule.

L'état de Frans m'alarmait; je sentais la fièvre

courir en ses veines et, ne voulant pas l'aban-

donner en pareil courant d'exaltation, je l'entraî-

nai vers la ruelle de la Coupe et grimpai sans lu-

mière avec lui, dans le galetas où, depuis le soir

sans doute, la respiration ûûtée d'une nichée de

marmots accompagnait les ronflements graves des

aïeux et des parents.

Pour la première fois depuis que nous étions

ensemble, je fus distrait de mon idée, de ma

sympathie fixe une chaleur insupportable, un

air asphyxiant régnait dans cette étroite mansarde

et tandis que mon compagnon, aussi titubant

qu'un ivrogne, s'était laissé tomber sur une va-

Page 280: Eekhoud Mes Communions

M MERM&M! LETTRE OU MATELOT ~77

gué literie, sans même se déshabiller, je me

traînai, presque jugulé, vers la fenêtre en taba-

tière que je soulevai pour laisser pénétrer l'oxy.

gènerespirable.A ma profondesurprise, cette fenêtre, brusque-

ment élargie, s'ouvrit sur unciel d'un bleu estival

et livra passage à des bouffées d'un air chaud,

presque orageux, chargé de parfums disparates,d'irritantes et capiteuses épices commesi des dé-

bardeurs maladroits venaient d'éventrer, on les

culbutant sur les quais, des tonnes de gingem-

bre, de vanille et de canelle. De plus, au lieu du

silence dans lequel nous avions laissé le quartier

après la dernière fuséede rire de Dolphine, voie!

que la nuit résonnait d'appels en une langue exo-

tique et romanesque, de langoureuses sérénades,

de pizzioatide mandolineset de guitares, de vibra-

tions voluptueuses et cruelles.

Déjà je m'abandonnais au charme inattendu

de ce mirage illusionnant tous mes sens à la fois,

quand un cri de douleur, le râle d'une voix quim'eût arraché aux plus suaves extasesmusicales,me rappela Frans Selderslag, me rappela il ma

vraie vie.

Je me retournai et, dans une étrange phospho-rescencedénaturant FaspRotqu'aurait dû revêtir

Page 281: Eekhoud Mes Communions

!T8 MEatCOMMUNKMOa

normalementcette mansarde de miséreux, j'aper-çus mon Frans se débattant sur sa couche. Une.

créature hideuse, de formes démesurées, vampireou papillon; voletait au-dessus de lui en l'emeu-

rant de ses ailes crochues. Le reftot cadavérique

qui nimbait le matelot d'un jaune putride, d'un

jaune paludéen, d'un pulvérinde miasmes,prove.nait du corps fulgurant de lasinistrebête. Tandis

que l'horreur me paralysait un instant et m'em-

pêchait de porter secours à mon ami, je merap-

pelai les mots extrêmement evocatifsde sa lettre

« Depuis six semaines la maladie me guette et

tourne autour de moi comme un de ces vilains

serpents ou de ces ~grosses chauves-souris, bu-

veuses de sang, qui font le charme de ce pays.Heureusement je suis plus malin et plus fort quele monstre jaune »

En cette atroce extrémité, je me jetai sur Frans

pour lui faire une barrière de mon corps, pour

empêcher le nauséeux fulgore de lui donner le

baiser du trépas. Maisle monstre jaune nous nar-

guait tous deux de ses ailes poisseuses et hypno-

tisantes et dans son horrible tête de poulpe, au

bec crochu, luisaient des yeux d'un or encoreplus

pourri et plus pestiféré que le fétide incendie de

~onthorax.

Page 282: Eekhoud Mes Communions

M HEKNt&KE t.ETTRE PU NA'FEt.OT M9

Uniquement préoccupe du sort de Frans, réu-

nissant toutes mes forces, je repoussai de mes

deux poings convulsés la masse impure. Horreur,

je sentis mes doigts s'enfoncer dans cette vivante

charogne, un liquide infect m'inondaot, aveuglé,

étoufïé, brûlé, je meréveillai dans. la plus con-

fortable des chambres à coucher, chez l'hospitalier

Josse Deridder.

Le croirait-on Contrairement à ce qui arrrivo

au sortir d'un cauchemar, au lieu d'éprouver le

soulagement de la délivrance et du salut, je fus

encore plus navré et plus triste qu'un suicidé rap-

pelé malgré lui à l'existence. Aucune comparaison

ne me ferait dépeindre l'indicible regret de ce

réveil. Pourquoi me fallait-il survivre à Frans

Selderslag ? Jamais je n'avais tant chéri mon sem-

blable qu'en ce fortuit compagnon d'une nuit.

Dans la succession des jours futurs, je ne rencon-

trerais aucun être !que je pourrais exalter avec

cette idolâtrie, cette abnégation, ce renoncement

à moi-même, ce mépris de tout préjugé et de toute

convention.

Mais aussi pourquoi boire à s'halluciner ainsi

Je me levai très tard après avoir dormi d'un

sommeil de malheureux, d'un de ces sommeils de

plomb, qui réparent les nerfs démolis et qui ont

Page 283: Eekhoud Mes Communions

MO MES COMMOftONS

raison des plus grandes douleurset des pires re-

mords.

Lorsqueje descendis,je trouvaimonamiDerid-

der en train de Siroter son café et de dépouillerson courrier avec une fébrilité professionnelle.

Soudain, commeil venait de décacheterune enve<

loppe et de parcourir le pli qu'oHe contenait, il

fit un soubresaut:

En voi!&une forte Tu te rappelles le marin

qui écrivit unesi jolie lettre.

Eh bien ?P

Curieuse coincidence 11est mort 1

Et il me tendit une lettre du capitaine Hanssen.

Elle venait des îles Barbades et, entre autres

nouvelles brièves et laconiques, elle annonçait

que le matelot Frans,Selderslag avait succombéà

une attaque de fièvre jaune.

Humain, Deridder prit un air contrarié, quin'était pas, je le constate à son honneur, un air

de circonstance.

Quant à moi, à en juger par les tiraillements de

mon cœur. je devaisavoir la mine d'un moribond

ou d'un criminel. Heureusement, il arrêta long-

temps ses regards sur la lettre qu'il avait reprise.S'il était stupéfait, que dire de ma consterna-

tion!.H_'

Page 284: Eekhoud Mes Communions

MBSRM&Mï.BtTRBJMMA'fEMyp SM

Je fus sur le point de mettre le comble &son

ébahissement en lui racontant mon rêve, mais jeme tus par une sorte de pudeur et de jalousie. Je

ne mecroyais point le droit de divulguer à un

profane ces confidences, cette manifestation d'un

amour, d'un attachement posthume qui avait

revêtu une violence et une intensité, une plom-

tude généralement inconnue à nos achetions

terrestres. Dans tous les cas, pour ma part, ja-

mais je ne m'étais passionné ainsi de mon pro-chain. i)

Donc, loin de faire part à De Ridder de cet

extraordinaire cas de télépathie, je fis tous mes

efforts pour reprendre contenance jt lui cacher

mon trouble, et ne pas avoir l'air de me chagriner

outre mesure du décès prématuré de ce matelot,

de ce pauvre diable, qui, s'il ressemblait au fier

adolescent qui m'avait visité, était bâti pour durer

un siècle Bast 1 il en crève tant do matelots

Pourquoi portai-je justement un intérêt si absolu

à celui-là?

Deridder ne sut donc rien alors de ma longue

et pathétique conjonction avec l'amoureux de

Dolphine, avec cet inoubliable succube de mes

aSEnités,de mes facultés amatives.

Mais, malgré mon déchirement affectif, une

Page 285: Eekhoud Mes Communions

288 MEaCOMMOMONS

curiosité, une tentation me venait celle de véri-

ner }usqu'&quel point tous les détails des scènes

de ma vision touchaient à la réalité.

Aussi, quand mon ami mei proposad'aller por-ter aveclui la triste nouvelleau foyer du pauvre

garçon, j'acceptai avec un empressement non c.

exemptd'anxiété.

Lorsque nous nous iûmes engagés dans le,?

quartier Saint-André, je ne tardai pas à recon-

naître les rues où j'avais passé en songe avec

Frans, je refaisais le trajet qu'il avait parcouru en

marchant derrière la désirable Dolphine, la nuit

où il avait dansé la première, la seule, la dernière

foisavec elle. Et à présent, je m'expliquai pour-

quoiil était si timide, si peu entreprenant! J'avais

assisté, quoique bien des mois après, à leur

rencontre initiale, à cette danse suprême qu'il

évoquaitdans la dernière lettre à sa sœur r

Je retrouvais mêmesi bien mon chemin, quejetournais les coins de rue avant que monami qui

prétendait me guider m'eût averti de la direction

à prendre. Une fois encore qu'il allait se trom-

per de route, je l'arrêtai par. le bras en lui di-

sant a Par ici ? et en l'entraînant de l'autre

côté.

-–Tiens dit-il, vous savez donc le chemin?2

Page 286: Eekhoud Mes Communions

MP~t&RBt~TTM:M!M*TEhOT N8

Non, Bsfjeun peu troubla mais j'at entendu

toute l'heure un agent de police indiquer la

route à un passant qui avait aussi aN~ire dans

ces parages.

Quelque implausible que fût cette explication,d'ailleurs outrageusement bredouilïéo, mon hôte

était troppréoccupépar ce qu'il allait devoir dire

à la mère du défunt, pour s'en étonner.

Nousapprochions. En passant devant l'impassedu Glaiveje scrutai la sombrevoûted'entrée d'un

long regard et nepusm'empêcher do murmurer le

nom de Dolphine.Deridder m'entendit

Cellequ'il aimait demeure en effet là Pau-

vre nUe1

Et il ne fut pas autrement surpris de monextra-

ordinaire mémoire.

Deuxsecondes après nous enfilions la ruelle de

la Coupeet, plus essouSIéspar l'angoisse, moi du

moins, que par l'ascension de l'escalier, nous

frappionsà la porte de la mansarde où j'avais con-duit mon ami d'outre-tombe. En entrant, la pre-mière chose qui attira mon regard fut un objet

que je n'avais pas vu à cause de l'obscurité une

grossièrephotographie accrochéeau mur dans un

petit cadre de trois sous.

Page 287: Eekhoud Mes Communions

':r' r' f t r

?? M)~COMMt!M)fMt8

Je le reconnus. C'était;bien lui, le beau gars

avec sa jolie tête brune, ses traits avenants quoi-

que rudes, ses lèvres fraîches commeune aubede

baisers, et ses grands yeux ravis tout constellésdat

joie.Devant ce portrait, véritableimagede dévotion,

le pauvreportrait dont on garderait longtemps les

clichés, Phtden opbewaard /bt' E/Ïef6es~e~-

H~p, affaisséesautour d'une table en des posesde Madeleinesau piedde la croix,étaient la mère,

la grande sœur, les petiotes, une autre jeunefemmeencore, la plus prostrée de toutes.

Elles savaient donc la nouvelle.

Émile Lauwers, celui-làmême qui avait été à

l'agonie et aux parents de qui la sœur de Frans

avait apporté un triste bonjour, l'adieu pré-suméd'un mourant, leur faisait part de lamort

du plus rude-à-cuire de l'équipage.A notre entrée les femmes nous dévisagèrent

comme Ie~martyrs regardaient les messagersdes

derniers supplices.En la plus accablée de ces malheureuses, je

reconnusla fière Dolphine.Nous échangeâmes un

indéfinissable regard, un regard aussi énigmati-

que, aussi intrigué que celui qu'on échange pen-

dant une controntationcriminelle, un regard dont

Page 288: Eekhoud Mes Communions

LA DEttM~M: METTRE BU ~AtEM~ 2~

aucune parole! ne poutrait! condenser le N~ide

spécieux. Lesquels de nos yeux, des siens ou des

miens, semblaient vouloir ravir lesuns aux autres

le dernier reflet, la suprême image du matelot

bien-aimé?P

Page 289: Eekhoud Mes Communions
Page 290: Eekhoud Mes Communions

APPOLET BHOUSCAM

A Albert Giraud.

Soudain !? ont tiré leurs haMan et enmême temps Us les ont plongés dans lesein de l'esclave. Périsse plutôt Hna-dèle que notre MOMé Alors Ht Msontserré la main et jamais tb ne cessèrentde t'aimer.

(PROSPEB MÊBtMËE, CM~.)

1

Peu de 'régions faubouriennes sont aussi mal

faméesque les plaines de « Tour-et-Taxis » s'é-

tendant, au delà du Canal, derrière un quai bordé

d'usines, de mornes débarcadères, de hangars à

boiset de tas de briques où nuitent et s'apostentles rôdeurs. En attendant qu'on l'assainisse, c'est

la zone essentiellement interlope, prédestinéeaux écarts et aux méfaits, la steppe ces libres vau"

*?

Page 291: Eekhoud Mes Communions

NS MESCOMMCMONS

riens et, chaque jour, tes faits divers des gazettes

attestent le péril couru aies traverserlesoir. Point

même n'est besoin,'pour amorcer les mauvais

garçons, de s'engager de l'autre côté de l'eau,

dans ces prairies de gravats et de chardons. En

deçà du canal, la Nânerievespéralen'est pas moins

critique. Le long de la rive droite, l'Allée-Verte

aligne se? grands vieux ormes dont le feuillage

sombre, déshonoré par la suie des cheminées et

les fumeronsdes locomotivesdesservant une garede marchandises, se reflète plus opaque et plus

fuligineuxencore dans ce ruban d'eau glauque et

stagnante.Bien déchu ce Longchamps,ce cours à la mode

des beauxet desbelles de l'ancien régime Avec

sa bordure de tapts francs, de muraillesusinières,de hangars à bois, l'allée mondaine d'autrefois

représente l'Elysée desgalanteries expéditivesou,

pis quecela, les Limbes de louches et rusés chan-

teurs..

A la nuit de rares réverbères sanguinolent;l'eau complice,dans laquelle la chaîne du remor-

quage provoque pendant le jour des remous pu-

trides, n'est plusinquiétée que par l'aviron d'un

canotier regagnant le garage; des musiques érail-

lées se mettent à ronfler dans les bastringues de

E

Page 292: Eekhoud Mes Communions

APPOLETBBOC8CAM 289

la chaussée voisineet corroborent l'impression de

ribotes pimentées et de malsain désoeuvrement

que dégagent ces confins de capitale. Parfois de

sourds plongeons: noyade d'un chien, suicide

d'un famélique, exécution d'un indiscret, d'un

profane qui a dérangé ou déçu les familiersde ces

rivages, car, dés la tombée du soir, la région est

singulièrementpropice et tutélaire à toutes sortes

d'iniquités, et c'est là que, plus lourds de convoi-

tises que de quibus, les Adonisde taudions, les

greluchons de carrefours manigancent et fagotentleurs déplorableséquipées.

Il y a une dizaine d'années, cette chasse si

croustilleusementgiboyeuseétait hantéeentre au.

tres pendards par une paire de larrons qui firent

noircir beaucoup de papier aux moralistes de la

chroniquejudiciaire.

Lorsquel'un de ces bougres fut appelé à ren-

dre un dernier compte à la justice, l'affriolement

salace des rares privilégiés, tolérés à l'audience

malgré le huis-clos, tourna en une poignante et

presque respectueuse compassion.Héros d'un roman scabreux entre tous,

leur ignominie se purifiait aux rayons d'une

passion rouge et tragique comme l'incendie.

Même les personnages vraiment honnêtes, qui

Page 293: Eekhoud Mes Communions

?0 MESCOMMCNtOKt8

assistèrentou firent môlésdireotomentauxdébats

comme témoins, juges, défenseurs ou juréstrès hostiles, trds écœurés au début en sorti-

rent bouleverséspar une incommensurable pitié.ïl va sansdire qu'ils n'atïïchèrentpasrindutgoncoet la. longanimité en laquelle los avaient induits

les troublantes fevêtations de cette démence très

raisonnée, «deeette monstruosité pour ainNidire

logique et légitime M.(L'un d'eux s'exprima on

ces termes.) Non, malgré sa compréhension, le

jury rapporta bel et bien un verdict de cuïpabiUtécontre l'assassin de son inséparable ami et d'une

maîtresse passagère; tes juges, en dépit de leur

partialité exceptionnelle, le condamnèrent géné-reusement àla prison perpétuelle mêmeson avo-

cat n'osa plaiderà fond et invoquer, obéissantà sa

conviction, comme réelles circonstances atté.

nuantes, les conjonctures qui dénonçaient le mi-

sérable et l'une de ses victimes, son ami trop

absolu, à la réprobation de toute l'humanité rai-

sonnable on plutôt à celledes Occidentaux.

Il en résulta, durant ces débats, un malaise,une contrainte communesur tous les bancs. Les

divers acteurs du drame judiciaire se comprirentami-mot. Chacun appréhendait de soulever des

voiles redoutables. Les rares spectateurs consta-

Page 294: Eekhoud Mes Communions

AM*OtETBtMMMCAM) 8M

feront que do part et d'autro il n'y eut aucune

déclamation.Si on n'excufa point le prévenu, on

se garda tout autant de l'accabler. Le ministère

public proscrivit de son réquisitoire ces tirades

méprisantes, d'un pharisianisme vraiment par

trop âla portée de tout !e monde et auxquelles,désireux de sauver les apparences et do s'assurer

une façon d'alibi, recourent emphatiquement tes

pires transgresseurs.

En somme, en condamnant cet incurable

dévoyé,ilsadoptèrent la solution la pluscharitable

pour lui. N'aspirait-il pas tout le premier, incon-

solable, apasser dans la réclusionabsolue le peu de

jours qu'il survivrait àl'être exclusivementadoré 1

Aprèsce procès trop sombre et trop angoissant

pour faire beaucoupde bruit, tellement en dehors

dos causes ordinaires qu'il engendra plutôt du

silence et de la stupeur et qu'il désarma les cla-

baudeurs les plus cyniques quelques-uns des

jurisconsultes et des jurés s'ouvrirent de leur

sentiment pitoyable et clément à des penseurs, à

des sages de leur trempe, à deux ou trois rares

amisplacés par une réceptive intellectualité ou

une sympathie universelle, panthéiste jusqu'à

l'extrême, aux avant-postes d'une révolution dont

ils seront~peut-êtreles sentinelles perdues!1

Page 295: Eekhoud Mes Communions

m MMcoMMcmoNS

A l'époque ou leur savoureuse présence iltus-

trait cette inquiétante bantiouo do Tour'ot-Taxis,les doux drôles dont' s'agit comptaient chacun

moins de vingt ans. Avaient-ilsun nom, un état

civil ? Riendo moins certain. Sur tes casiers de

la police, onles appelait Appolet Brouscard.

Brousoardétait un grand diable, brun, même

noiraud, peiu, sanguin, fortement râblé, l'eneo*

!ure d'un taureau, les cheveux drus et crépus du

plus riche ôbène avançant sur un front bas et dé-

primé, do magnifiques yeux bruns, ca!ins et un

pou fous, où laoolèro mettait parfois des paillettos éd'or rouge les oroiHesgrossièrement ourlées, un

pouon auvent; les mandibules proéminentes d'un

jeune loup; les zygomas prononcés, une grossebouche vineuse ombrée d'une fine et soyeusemoustachede bretteur; la voixd'un métal sonore

au timbre caressant quoique ferme, la parolelente et obscure; très musclé, très nerveux aussi,

la physionomieà la foisextatiqueet farouched'un

ange du Guide; enfin, dans les allures, la façonde se cambrer, de rouler et de caresser sesbiceps,de se battre les ouisses, de fléchir les reins ou de

se redressersurses jarrets, il tenait, plastique et

décoratif, d'un hercule forain se délectant de sa

fhrceot soignant son~corps avec une partialité et

Page 296: Eekhoud Mes Communions

APKM.EP MMMtSOAMt m

une gratitude attendries, une ferveur quasi

païenne, contre !aqueHo,à la fin de !'agc antique,les apôtres et les pères do Jt'Ëgïisone cessèrent

de prémunir les BdèÏes.

Brouscardallait génératement coiHed'un foutre

mou, vêtu d'une ~oM~obrune, surtout de oo vo-

lours mordoré &grosses côtos qui donne tant do

ragoût à la mine des gens du peuple. Jamais de

gilet. Pour chemise, !ojersey tricoté du marin ou

le maillot du lutteur accusant les saillies d'un

torse victorieux~

Au moral, à part les taras majeures qui !o revo-taient en marge de la société, Brouscard eût ro-

présontôce qu'on appelle un bon garçon, un être

peu débrouillard, tout d'impulsion, ne raisonnant

guère, guidé par son premier mouvement.

D'apprenti forgeron, il était devenu modèle

d'atelier, puis, entrepris par des rapins, sortes

d'anachroniques Murgers, natté par la iamitiarito

et le bagout de ces prétendus artistes, il crut se

surprendre, lui aussi, de réelles dispositions pourcet illusionnant métier de peintre. Or, le plusclair de cette vie à l'artiste consistait à fainéanter,à s'affubler d'oripeaux de théâtre, à se posticherdes têtes fatales et absaloniennes. Appariésà des

Musettesextrêmement puNiquos, ils passaient le

Page 297: Eekhoud Mes Communions

MRSCOMMUNKMM8~

temps à théoriser devant des boehs et &déblatérer

contre la sociétémarâtre aux vrais artistes. Monde

?!? encore criminel, mais d'un débridé et d'une

licence qui préparent à la pègre, où le sans-gêne,l'absonoedo scrupules, le débraillé, le recours &

do louches expédients conduisent bientôt à des

infraotions proues par le Code.

Unjour, <~ebohèmefaméliquequ'il était, Brous-

card se révoilla vagabond dans un « amigo ? de

la grande ville d'où, condamnéà deux mois d'in-

ternement, il fut dirigé aur !o dépôt de Merxplas.

Appel présentait un contraste absolu avec

Brouscard. C'était un garçon pile, infantite, au

teint rosaire, le col flexible,la mine délicate, ïes

cheveux blonds, soyeuxet fins comme des frolu-

ches, au menton un peu de poil follet, la mous-

tache naissante, les hanches et les reins assez ac-

cusés contrastant avec la maigreur des bras. Ce

qu'il avait de plus caractéristique, c'étaient de

grands yeux fripons et d'un éclat presque effronté

qui finissaient par se remplir d'implorationcomme ceux d'un lévite en extase, des yeux très

bleus, méditerranéens, ombragés de cils d'or, un

peu humides, mouillés d'une eau saphirienne,aimantés d'une indicible et voluptueuse tiédeur.

Il y avait des jours où ce visage blême et étiolé

Page 298: Eekhoud Mes Communions

AK'Ot.ETBMWSCAMe ?5

s'avivait par onehantoment, tels les plates d'une

Heurexpirante ranimés au contact dol'eau.

Sous son apparence débile, Appol était souple,

futé, extraordinairement leste et dégourdi. Une

grâce et une provocationophidiennosdans la dé-

marche, il aimait les vêtements amples, la blouso

longue at bouffante attachée aux reins par une

ceinture, ses pieds de femme traînant dans des

savates qu'il abandonnait et reprenait sans cessesur la tôto une sorte de tarbouche, autour du cou

un foulard do couleur le plus souvent dénoué et

dont il mâchonnait les deuxbouts. Orphelin,placécomme apprenti chez un cordonnier toujours ivre

qui le battait; précoce, curieux, épris do ft&neet

de baguenaude, ayant suffisamment appris à lire

pour comprendre les légendes graveleuses des

journaux illustrés, quand le patron lui envoyait

porter des chaussures à la pratique, il s'éternisait

des heures devant les aubettes, les étalages des

magasins il s'extasiait, bayant sur la place, aux

bonimentsd'un camelot, aux tours d'un mancheur.

Très agile, à l'atelier, au lieu de jouer de l'alène,il s'amusait à répéter les tours qu'il avait vu exé-

cuter par le forain, et il jonglait avec tous les

objets à sa portée. Quand son « pontife » avait

bu, le jeune Appolprenait plaisir à le faire enra-

t7.

Page 299: Eekhoud Mes Communions

MM COMMUNMN889C

gor et, leste commeun singe, à esquiver les ta!o-

ehes, &gauchir et &parer tes coups. Parfois,

ayant mat catouMson élan, t'ivrogne faisait la

oulbute ou allait donner de la tête contre la mu-

raille, sacrant, exaspéréjusqu'à t'épHepsio,Ators

la joie du petit « pignouf a était complète.

Finalement, enaversiondes métierssédentaires,

Appoïse fit débaucher par un batteur. Vôtu du

maillot noir et rouge, il s'adossait à un mur, écar-

tait les bras, tandis que l'histrion, émule des jon-

gleursjaponais, lui auréolait la tête decouteaux et

de flèches. Au milieu des éclairs et desmiroite-

ments de l'acier, son visage prenait on ne sait

quelle expression extatique de saint Sébastien de

Sodoma.

Appo!n'avaitpas son pareH&la danse. C'étaient

des gigues, des cavalier seul, des chahuts féroces

émerveiHanttes pilotins tes plus dégourdis lors-

qu'il «travaillait a le soir dans lesmusicosdu port.SesmouvementstortiUésne se départissaientpointd'une certaine grâce malsaine. Il talonnait de lu-

briques bourrées et pour l'admirer, les rudes ma.

telots appariés à des gouges interrompaient !eurs

giroicments. Dès ce moment, il roula, passif, en

des aventures scabreuses.`

Au plus fort d'une battenecfu'i! avaitdécharnée

Page 300: Eekhoud Mes Communions

APMM.ET aM<Kt8e&Mt ~t

parmi les pensionnaires d'un bouge~M justifiant

plus d'aucungagne-pain avouable, depuis long-

temps suspectet surveille, il fut aussi dirigé vers

la grande ooïoniedosgueux et des ~ampiors.

Il

A travors los routes sablonneuses, couturées

d'omïèros, de la mélancolique Campino, pays ¥

purgatoriat, pays d'expiation, la voituredu dépôt, s

une sorte de roulotte, oharriait Appolet Brous-

oard, confondusdans les ténèbres avec une ving-

taine d'autres pieds-poudreux.Le coup de trompe, signal do leur approche du =

pénitencier, rauqua longtemps, cornard et plain- 1

tif, àleurs oreilles sollicitées. Le brigadier tour-

nailla laclef

dans le solide cadenas fermant lo

vantail de derrière, puis, mousqueton au poing,è

avec le gendarme, il se plaça dans une posture cd'ordonnance près du marche pied rabattu

Les voyageurs pour Merxplas?. Allons,

hop Tout le mondedescend.

Et tous dégringolèrent de l'échelette comme se

déchargesur les tombereaux de la voirieun baquetde rebuts et de déchets. Ils trébuchaient et sali-

raient éblouis par le brusque passage de l'ombre

Page 301: Eekhoud Mes Communions

M)RaCONMUNMtM8M

&!a lumière, ils portaient la main a leurs yeux.

Hauts-te-pied, coureurs de grèves, batteurs de

p&vës,rôdeurs do barrières, oiseleurs, canapsas,

malandrins, tous les irréguliers, tous les tas-d'at-

ler de la ville et des 'champs Leur masse tirait

sur le fauve, sur le brun de la glèbe ou sur la

poussière des routes elle dégageait cette puan'·

tourspëoiatedesbosquetsinteotes dehannetons (i).Les recrues se reconnaissaient à tours allures

inquiètes, à leur mine contrite, a la façon dont

elles détournaient la tête ou dont leurs regards

interrogeaient rapidement l'aspect des lieux. Les

chiens porsorutent ainsi l'inconnu d'un nouveau

domicile.

Et c'est en descendant de la voiture qu'Appolet

Brouscard, le pâte gamin et le gars exubérant, se

dévisagèrent pour la première fois en embrassant

d'un regard circulaire la campagne morne et me.

connue vibrant dans ce fatidique crépuscule sep-tombral. Un jaune rayon de soleil, un humide

rayon du couchant affinait singulièrement la mé-

lancolie du tableau et en téniuait t'angoisse pia-culaire. Et les deux nouveaux colons subirent à

(i)Voir,dans tes Nouvelles~rmeMes«Chezles las-d'aller.

Page 302: Eekhoud Mes Communions

AfMï. ~P BROOaCAaO 299

Mntel degré l'influence de cette atmosphèrepalu-

déenne qu'ils se sentirent pris l'un pour J'autre

d'une tendresse apitoyée et frileuse. Deux faibles,

deuxpas-de-ohanoe,ne comprenantrien aumonde

et &la vie. Savaient-ils seulement ce qu'ils étaient

venus faire sur cetteterre?Effarés, éperdus, leurs

grands yeux humides et lubrifiés se confessèrent

d'emblée. ï!s seraient deux semblablesau foyerde

l'exception. Pour la première fois, ils se trouvé*

rent chez eux.

Cesoir d'éorou, cette première escale au portdes vagabonds leur fut douloureusement chère et

décida de leur suprême conjonction1

Avec les autres gueux, ils furent mensurés et

toisés dans la chambre du greffe, numérotés, puisconduits dans une piscine où ils dépouillèrentensuite leurs loquestrouées, leurs vestes élimées,

leurs pantalons arlequinés de haillons, que la

chiourne désinfectaau moyen d'énergiques fumi-

gations sulfureuses et qui, empaquetés dans une

serpillière assez ample pour contenir quatre de

ces misérables trousseaux, attendraient que leurs

possesseurs eussent fini leur temps.Eux-mêmesse régénérèrent le cuir par des ablu-

tions totales. Le fond de l'âme de ces pauvres'

hère~étaatj'insouciance~ ils s'amusèrent comme

Page 303: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMUKMM~30&

une baignade d'apprentis) barbotant dans une

ooluséodocanal. Plongeant la tête et les épaulesdans les seaux, ils se savonnaient et se bouchon-

naiont mutuellement le dos avec desplaisanteriesdo cavaliers au pansage, leur poing rude jouantl'étrille. Avec les ciseaux qui sorvaiont a tondre

les ouailles, on leur bretauda los ohoveux on

ôohoHo a coups violents qui découvraient la

peau du crâne et lui donnaient une apparencexébroc.Le barborotn'épargna pas plus les mocbos

soyousesd'Appotque les frisonsd'ébènodo Brous-

card.

Le tondomain, ils endossèrent l'uniforme du

pénitencier, le largo pantalon, la veste courte et

le bonnet do drap souris, et on les fondit, àl'heure do la récréation~parmi les anciens dans le

vaste préau commun.

Paroils &des oiseauxbrusquement lâchés dans

une volière, les novicesdemeuraient entre eux à

l'écart, rencognés, tandis que les chevaux de

retour, au courant des aitres do la maison, re-

nouaient familièrement connaissance avec les

reclusionnaires. Quelques-uns do ces vieux

pécheurs s'approchèrent cauteleusement du petit

groupe de débutants vagabonds et dévisagèrent

Appolet Hrouscard, particulièrement le blondin,

Page 304: Eekhoud Mes Communions

APP<M,ETBNOUSCAMt SOt

avecune persistance équivoque, en leur tenant

dospropos analogues à coux que les habitants dos

villes asphaltidos employèrent pour accoster les

anges envoyésà Loth. Brousoatd sentit peut-ôtro

pour la premièrefoisun Huxdo sang lui monterau

visage, et comme!ocercle do drôles se rétrécissait

autour d'eux, il écarta les plusentropronant d'une

votée do gourmades distribuées selon tes régies

de la boxe, préoccupé surtout do protéger Appolcontre les atteintes do ces misérables.

A l'air décidé do Brouscard, devant l'éloquencedo sespoings, ils battirent en retraite en se con-

tentant de ricaner et d'attribuer son interven-

tion violente a do jalouses et morbides pria.rites.

Cette attitude du fort garçon contribua a ci-

menter la mutuelle impression do sympathie quis'était déclarée chez les douxjeunes gens au mo-

ment do franchir le seuil de leur prison. Chez

Brouscardce fut un touchant besoinde protectionet do patronage, un chevaleresque emploi do son

énergie et de sa supériorité physique chez Appolune ferveur,une gratitude de néophyte,l'immense

adoration du souffre-douleur,un peu avili, pour

l'être puissant et_prestigieux qui l'arrache aux

promiscuitéstyranniquos et vicieusesa froid, et

Page 305: Eekhoud Mes Communions

9M ME8COMMOMON8

l'enveloppede s&providentielle et copieuse ton-

dresse. Possédant tous deux une nature aimante

qui n'avait jamaistrouvé a s'épancher, leurs cœurs

vides et altérés se rempliront, se saturèrent l'un

de Vautre. 11 est probable que s'ils s'étaient ren-

contrés la première fois au dehors, leur amitié fût

demeurée normale et plausible, mais ledésespoir,la déchéance, leur entourage corrompu, la sub-

version qu'on respirait dans ce lazaret moral,

même la tolérance presque connivente des infir-

miers, désarmés devant la subtilité de la conta-

gion, corsabientôt leur na][votendresse au climat

d'une aberration passionnelle.Dans ce milieu réfraotaire à outrance, l'excep-

tion devenait la règle et l'anomalie remplaçait la

logique.En ces êtres pilorjtéset interditsà jamais,

quoiqu'ilsfassent,germent desinstinctsappropriésà leur conditionde paria. Vomis par la société

rectiligne, à jamais incompatibles, n'ayant plusrien àperdre, ils enchérissent encoresur l'iniquitéet les paradoxes de conduite, ils approfondissentl'abîme qui les sépare du monde domestique et

conforme.Aucune transgression ne les eSarou-

chera plus. Comme les mauvais anges après leur

chute ils s'enorgueillissent de la réprobation uni-

verselle et s'opiniâtrent dans leurs dilectionscor-

Page 306: Eekhoud Mes Communions

AM'<M.ET BMMMMN 308

rosivesautantque les saints et les justes ravisdans

les adorationsbéates.

Entouré dolarves maléfiques,Brouscard trem-

blait pour Appol, et dans cette lutte quotidienne,au milieu des embûches, des ruses et des pièges,son aSection pour son protégé finissait par con-

tracter quelque chose des virulentes afnnités

pourrissant cette fourrière humaine. L'instinct se

déplaçait. Quels miasmescaptieux logeaient dans

ces plâtras Mêmeau dehors, les fermes et les

campagnesdépendant du pénitencier semblaient

influencéespar un magnétisme criminel. Latris-

sessey étaitplus navrante qu'ailleurs. En ce coin

prédestiné il semblait quela Campineeût quintes-sencié sa mélancolie lourde et son ombrageuxsommeil. Des détails du paysage, puérils partout

ailleurs, y acquéraient une significationpoignante,

presque fatidique. Cette nature souffrait de

remords. Par les temps de pluie et de brouillards

les nuées accumulaient leurs funèbres cortèges

au-dessus du domaine des miséreux.

Crépuscules d~été,soirs d'équinoxe, semaines

indécises entre les saisons, heures de passage du

jour à la nuit, stades hypercritiques, soirs acca-

blants où la promiscuité fèrmente et où chavirent

les saintes résolutions

Page 307: Eekhoud Mes Communions

3M MESCOMMU!<KM!8

Les paysans ne racontaient-ila pas que les

nuits d'orage c'était de préférence dans les

bruyères de Merxplasque !e Berger Incendiaire

venait paître ses ouaillesde feu ?y

Par ces temps de mauvais conseil, Brousoard

avait & calmer les peurs frileuses, les étranges

inquiétudes,les angoisses,les suHbcationsmorales

deson protégé qui venait seblottir insidieusement

à ses côtés.

Plus encore que les autres dégénérés, le gamin

était ultra-sensible aux métaux, à t'aimant, &

~'atmosphèreet à la musique. Des fois, disvulné-

~aMe,il serait mort sousles coups, le sourire aux

lèvres, sans une plainte, sans un tressaillement,

et d'autres, pour un mot dit d'une certaine façon,

une douce intonation de voix, le passage sur son

échine d'une bouffée d'air tiède, d'une baleine

bienveillante, lui eût arraché des larmes et des

épanchements de gratitude hystérique. L'appro-

che des tourmentes météorologiques le rendait

hargneux, querelleur, taquin comme les taons, et

sescodétenus disaient: wTiens,le petit marronne

et boude, il tonnera pour sûr a En moyenne,il

avait un quart d'heure de lubie par jouret souvent

d'entières périodes d'insubordination et d'inertie

durant lesquellesil faisait damner ses gardiens, si

Page 308: Eekhoud Mes Communions

AN*<M.E?BttOCSOANtt ses

bien que l'atelier, Brouseard on tête, avait

grand'peine a endosser ses équipées.

Souvent, an milieu do leurs dangereuses et

glissantes casions, Brouscard ut un oHbrtpour

repousser l'étreinte du ferventAppel.Son souMe, son isolement lui causait un mal

délicieux,il formait les yeux trop caressés par tes

regards du blondin, il lui détachait alors les bras

enlaçant son cou, lui serrait les poings et, la poi.trine haletante, fuyait, hontoux, la présonoecapi.

teuse du mièvre tentateur.

Ou, sur le point de succomber, il appelait à lui

lesvisions de son enfanceinnocentejusqu'à l'aus-

térité, dansun taudis ouvrier: les têtes angéliquesde ses soeursnimbant son berceau de leurscheve-

lures blondes et l'irradiant d'azur et de rose.

Maisces anges gardiens ne tarderaient pas à p&Uraux écarlates reftets des ouailles de feu 1

Les plus énervantes à ces fleurs de serre noire

étaient peut-être les heures ensoleillées une

journée radieuse ef sereine insultait à l'état per-

pétuellement cabré et.tendu de cette population.

JËtait-cela couleur étrange et visionnaire du

ciel, le chatouillement des premiers souMes prin-

taniers, le chant lointain d'un merle, la méchante

et faussegrimace des nuages, l'odeur génésique

Page 309: Eekhoud Mes Communions

3M MES COMMCtMONS

data torro éventréo, mais soudain, en pleines

Sarigues, Appot, qui rêvassait depuis quoique

temps les mains appuyées sur la paume de sa

bâche, la laissa ehoir, oublieux, inconscient.

Interpellé par le surveillant, t*armeau poing, quite somme do ramasser son outil, le gamin bre-

douille et baitte, en dormeur mal réveitte, et s'éti-

rant déclarequ'il no travaillera plus aujourd'hui,

qu'il en a assez du turbin. Le surveillant a beau

le menacer du cachot, de la bastonnade, même

du revolver qu'il tient braqué sur lui. Lanlaire t

Allez-y L'entant nosourciltepas.Aprésent, lesbras

croiséssur la poitrine,une moue dédaigneuse aux

lèvres, il se laisserait plutôt tuer que de donner

un autre coupde pioche. Il se carre et se butte

dansson refuset, soudain,pourl'accentuer encore,

voilà qu'il entame cette psalmodiepatibulaire

Descoupletsqueje chantePointnefautcroireun mot.

NesontquementeriesPour nouer le prévôt. ·

Sur l'ordre de mon pèreJ'ai labouré le gel.

Surl'ordredemamèreJ'ensemence le ciel t

J'mets la charrue en pocheEt les bœufs sur mon dos t

Page 310: Eekhoud Mes Communions

APKM. ST e~WSC~f S<H

Et la neige est ai noire

Quolos ewbcMtxHOMtMsacs!1

EntM'<Mttntjeme mouille

Je transpira de froid1

Auxamis du eontrairoLe vilainpuratt beau.

Le étata pris taon &ma

EtJtdMnno !oe!et!

Toaa Matadu contraire

Rion n'est bien, ptenn'eat mat t

Devant cotte bravade, !o brigadier siMo doux

autres porte-oto~set tour ordonne do conduire le

mutin au cachot. Alors, tandis qu'on l'ompoignesous les épaules et qu'il se laisse emmener docito,le nezon l'air, les poings sur les hanches, on se

dandinant pour marquer Iorythme de sachanson,Brousoardaussi, qui travaillait à quelques pas de

lui, jette la houe et vocifèrela complaintesombre.

Puis la contagion gagnant toute l'équipe, les

bêches volent dans les tranchées, les défricheurs

clament la métopéesinistre d'une voix déplus en

exaspérée, le chant noir s'entle, gronde, plane,croasse au-dessus de la plaine

Et la neige est si noire

Que tes corbeaux sont blancs 1

Le brigadier se décideà donner l'alarme et un

Page 311: Eekhoud Mes Communions

MM CpMMWWNS?8

piquet do soldats le fusil charge, accourt pour in-

careëfer cotte trentaine d'adolescents, eHrayants

d'inertie, énigmatiques, offusqués, à la suite

d'Appol, par l'ironie et!a saFdoaïamedo oorenou.

veau auquot jtt~no participeront jamais, insuMs

par !e sourire do ce ciel impassiMe, aspirant tous

aux tônôbMs,nu siience, a t'isoloment du cachot,

oùrion, rien, rien ine se moquera plus d'eux, où

rion no narguera de son bonheur et de sa sécurité

leur éternelle déchéance 1

Tous so ïaisseront conduire, automatiquement;avec la même douceur moutonnière, comme

détachés d'eux-mêmes et de toute chose, chantant

toujours cos vers qui, dans leurs bouches, con-

tractaient une significationplus impie, plus blas-

phématoire que jamais

Lesamis du contraireR!cnn'estbien,rienn'estmat!t

Les cachots n'étant pas assez nombreux, il

fallait mettre trois et parMs deux mutins en-

semble. Brouscard fut enfermé avec Appel.

Lediablea priamon&meEt l'enfer est mon ciel t

Au soir le Berger de Feu vint rôder autour de

Merxplas~

Page 312: Eekhoud Mes Communions

AfKM.BTBMOaCAM' 309

Mt

Au dehors, quoique Pétris, quoique Maintenus

toujours au ban do la aoeiétô,les vagabonds elles

mendiants libérés parviennent encore &se faire

illusion sur la bontéet la quiétude dol'existence.

Si l'air do la liberté ne bataio pas des cerveauxtes

imaginations paradoxa!esot les rancœurs ïanoi-

nantes, il supprime les occasions ot les prétextesdo maint anachronisme de conduite. Sortis du

pénitencier, les pires vicieux dépouillent et se-

couent leurs mauvaises mœurs, commeun dégui-

sement le lendemain de saturnales. Dans le

recul de leur mémoire, les sinistres réalités se

confondront avec le souvenir des cauchemars.

Puis avec quelle hâte ils attendent leur élargisse-ment A côté de leur impatience fébrile, celle

desécoliers à l'approche dos vacancesou des mi-

liciensqui vont avoir fini leur temps n'est que do

l'apathie.Différant de leurs compagnonsdo misère,Appol

et Brouscard se portaient &présent une affection

si concentrée et si exclusivequ'ils appréhendaient

presqueleur rentrée dans une société tracassière

et pudibonde. Et tandis que les autres haletaient

après l'air du large et trépignaient de partir, ils

Page 313: Eekhoud Mes Communions

MM COMMUNMN6MO

se sentaient étrangement aimantés et solMcités

par cemilieuaS~anohidelarègle. Hsvoyaient,sansoser l'avouer, poindre l'heure' dela libérationavec

uneinquiétudootuaetimiditécomparablesa celles

d'un fauveénervé et aHaiblipar un !ong a~ourdans uneménagerïe et qui serait rendu brusque-ment au commerce des carnassiers agreasita at

rapaoos. Ils savouraient avooune sensibilité plusmaladiveque jamais les dernières heures de la

captivité; parvenaient à rafïïner encore sur les

égards, les bons procédés, les scrupules atïèotifs,tes continuelles attentions, les subtiles marques fd'attachement qu'ils nocessaiont do se prodiguer.

Que n'auraient-ils donné pour reculer le mo*

ment ou il leur faudrait quitter ce berceau do leur

ardente intimité

Combien ils regretteraient ce chauHbir, ces

préaux, ces ateliers, et jusqu'à ce moulin où

eux-mêmes,attelés à la roue meulière, s'éttient

vus forcés de moudre le blé de leur propre pain,ce moulin aux rouages de chair pantelante, aux

mouvements sacca~'s et convulsifs comme les

spasmes (i). Les inséparables s'arrangeaient

<i)Voir,dansCyclepaMMstre,teaMoulin-ihorloge

Page 314: Eekhoud Mes Communions

ÀPKM. RT Baoua8At)t)) an

toujours pour<airopartie do la môme équipe de

moteur vivants se relayant, trente par trente,

après deux cents réfutions dans co cirque d'in-

famie. Combiende fois, &rapproche du dernier

tour, Brousoardavait-il empêcM le chétifAppolde s'écrouler épuise dans laooursiêro et l'avait-il

soutenu, en ne manœuvrant plus quo d'un bras,

comme le nageur arrache a !'ab!me et entraîne

vers le rivage t'ôtre adoré qui coulait à fond1

D'autres fois,plus intrépide encore, Brouscard

exécutait cet exploit que lui seul, entre tous ces

truands assez crânes et vigoureux cependant,était capable d'accomplir. Après les deux cents

tours régÏementairos,sans prendre le temps do

souffler, sans lâcher les rais do la meule, il re-

commençaitunonouveHesôrie do révolutions. Sa

divine amitié décuplait ses forces d'athlète, car

c'était pour épargner la corvée a son protégé qu'itobtenaitde fournir une course supplémentaire et

heureux do s'évertuer pour lui, il mettait une

coquetterie gymnique à ne pas se reposer entre

les deux épreuves. Avec-quelle joie, fier de sa

résistance, pas exténué du tout, le front en sueur

mais illuminé, scintillant de clarté aHeciivc, le.

yeux remplis d'exaltation, il retrouvait le iéal

camaradeau sortir de cetteprouesse quistupcGait

<8

Page 315: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMUNIONSm

les argoulots ameutes autour de la meute et valait

a cenouveau Samson l'idolâtre enthousiasme de

tous ces gaillards épris de lutte et de témérité 1

Et avecquel empressement candideil versait dans

les mains d'Appel la poignée de méreaux qu'il

avait gagnés héroïquement pour lui.

Combien leur serait attendrie et lancinante

aussi la mémoire des longues corvées dans cette

bruyère morne qu'il leur fallait défricher, amen-

der, civiliser en quelque sorte et qui, farouche,

irréductible, aussi réfractaire, aussistérile qu'eux-mêmeslasserait longtempsencorel'opiniâtreté des

défricheurs

Grands enfants, superstitieux comme tous les

impulsifs, en prévision de leur retour à la vie

libre, dans l'espoir de conjurer la dissolvante in-

fluenceque le mondeextérieur exercerait sur leur

cousinage, ils s'avisèrent de sceller ce lien par un

pacte solennel, et recoururent à une pratiquecommune aux soldats, aux matelots et aux sau-

vages chacun se fit tatouer par son ami au-des-

sous du sein gauchedeux mains enlacées accom-

pagnées d'une incendiaire devise, et ils avaient

aspiré pieusement à la chair l'un de l'autre le

sang qui sourdait de cet emblème sacramentel î

Appolétait peut-être le plus anxieux.Habitué à

Page 316: Eekhoud Mes Communions

APKM. ET BROC8CABR 3i3

la protection vigilante et pour ainsi dire virile-

ment maternelle de Brousoard,il se demandaitsi,

libéré, sa vivante égide, ce bouclierde chair quiétait aussi une tunique de velours, une enveloppe

balsamique, consentirait à le garderauprès de lui,

sitacoaïiMondotousÏos maÏveiMantset des gê-neurs de la vie civitiséo et codiCëe ne parvien-drait pas à les amputer l'un de t autre, à le priverde cette force dans laquelle il s'était pour ainsi

dire incorporé. Brouscard ne serait-il point en-

trainé loin de lui dans les banaux rouages et les

commerces importuns ?A cette pensée il soutirait par anticipation de la

nostalgie de la prison. H bénissait l'obscurité, la

touffeur, l'accablement de cette maison des asy-métries Loin de Brouscard, l'éclat du soleil l'of-

fusquerait, il trouverait la liberté superflue et

même la vie Le commun opprobre, l'anathème

majeur ne les isolait-il pas éternellement à deux 1

Comme les amoureux se béatiRent, ils s'étaient

damnés ensemble. Cette fournaise était leur pa-

trie, le feu leur élément 1

Cette préoccupation amena même les derniers

jours de leur captivité entre ces deux âmes exa-

cerbées une sorte de tension et de malaise, une

apparente bouderie, une contramte, si bien qu'ils

Page 317: Eekhoud Mes Communions

MK8COMMOMOSS3M

purent s'attribuer, mutuettemont, t'envie de cette

rupture que tousdeuxredoutaientptusqueta mort.

Au jour de leur délivrance, ta guimbarde du

pénitencier, esoortéo'de deux gendarmes, déposa

Appol et Brouscard sur la grand'route à deux

ïieues de la grande ville. Ils marchèrent au ha-

sard, ne disant rien, gênés tous deux, labourés

par le même doute. Puis, anxieux de se donner le

change l'un à l'autre, et aussi pour s'étourdir

eux-mêmes, ils se mirent à bavarder loquaces, a

bâtons rompus.Agacés,énervés, menteurs, ils se

faisaient part de leurs perspectives chimériques,avec une espérance et une jubilation feintesleurs faces s'irradiaient d'un grimaçant sourire.

lis se vantaient d'appétits sensoriels, ou bien ils

pinçaient des fibres sentimentales depuis long-

temps mortes ou du moins atrophiées.Brouscard rentrerait chez sa mère, une colpor-

teuse demeurée veuve avec une potée d'enfants

en bas âge dont plusieurs infirmes, marmaille au-

près de qui le grand frèr~ eût dû jouer le rôle

paternel. Oui, il se remettrait à travailler. De ce

pas il se rendrait chez son oncle établi comme

forgeron et lui demanderait son ancienne placedevant l'enclume.

Et moU s'écriait Appol, je continuerai mon

Page 318: Eekhoud Mes Communions

ANtH. Ef BRMaCARO ~&

apprentissage de cordonnier. Le directeur m'a

muni d'une lettre pour un patronage.

–Oui,oui,AppoI! approuvait Brousoard,nous

nous conduirons bien II s'agit defaire notre de-

voir. Il n'y a encore que la vertu et le droit che-

min pour nous épargner des misères. J'en ai pleinle dos de vivre comme un chien de rue, toujours

traqué, toujours pourchasséEt ils se répétaient d'un ton déclamatoire des

aphorismesde prêcheur bourgeois, les lieux com-

muns de la morale écrite, les sentences rabâchées

le dimanche dans les sermons de l'aumônier.

Au fond ils n'en pensaient rien, songeant cha-

cun à ce qu'il en adviendrait de leur liaison.

Pourtant, dans cette débauche de paroles, pasune allusion à cette absolue intimité, à leur étroit

appariement, à ce qui les unissait jusqu'aux

moelles, alors qu'ils n'avaient tous deux le cœur

plein que de cette conjonction indissoluble, que

rien, rien d'autre no leur importait sur la terre 1

Leur conversation, leur désinvolture, leur ton

détaché, leur pétulance était pure comédie, fanfa-

ronnade, irritation et dépit. Suffocants, ils s'en

voulaient l'un à l'autre de ne point dire la parole

qui devait les accoupler pour la vie et leur faire

continuer, libres, l'églogue par trop païennequ'ils

tf).

Page 319: Eekhoud Mes Communions

ME8 COMMOMONS8M

menaient a !aprison. Plus cette souBranoos'exa-

cerbait, plus ils enchérissaient d'indiCërence et

de gaité, plaisantaient, riaient, mais leurs voix,

trop tondues grinçaient prêtes à se iêler et ils se

devinaient des'yeux si pleins de sincéntô et d'ef-

fusion qu'ils se détournaient avec affectationpourne pas se trahir et perdre en un instanUeMnénoe

de cet effortde' rupture.Au prochain carrefour nous nous sépa'

rons 1

C'est convenu. J'oMique à droite et toi tu

tires à gauche.Et là « Bah Faisons encore quelquespas

Jusqu'au poteau indicateur a

Plus loin « Tiens, ce poteau ? L'aurions-nous

dépassé? Tantpis Nousbifurquerons au sm-

vant a

Ils pressaient ostensiblement le pas, pour le

ralentir tout do suite, de commun accord, et leur

volubilité fiévreuse, presque sardonique, tombait

comme un tourbillon de poussière à l'approched'une crise de pluie.

Adieu Brôuscard,et bonnechance1

Adieu, toi Et.

Ils se serrèrent la main presque cérémonieuse-

ment. Mais tout à coup, au moment où leurs

Page 320: Eekhoud Mes Communions

AMMM.ETBROCSCAMt

mains allaient se détacher, leurs yeux qui se

fuyaient toujours, leurs yeux dont ils seméfiaient,

leurs yeux quts~taient dit tant de choses, des0

chosesencore plus profondeset plus subtiles que

leurs essontieUospensées, leurs yeux se <'oncon-

trèront ils étaient noyés de larmes, et aussitôt

les faussesvoix se turent, les mots menteurs leur

restèrent dans la gorge, les ëoïats de leur gaîté

négative furent coupés net, tous les prud'hom-mismes civiques et moraux refluèrent, une cha-

leur mutuelle leur parcourut le corps, la pressionde leurs doigts s'attendrit et se prolongea en

même tempsque leurs jambes refusaient d'avan-

cer. 0 les piteux cabotins Incapables de jouer

plus longtemps cette comédie d'indifférenceet de

détachement.A la bonne heure ils se retrou-

vaient à présent. Et les lèvres frémissantes ils se

jetèrent dans lesbras l'un del'autre et se fondirent

plus totalement que jamais.

Lorsqu'ils se remirent en marche, tous deux

étaient décidésà vivre en irréconciliableshors-la-

loi, à s'invétérer dans ce mirage, à s'aimer à coeur

perdu, ah oui, terriblement perdus pour le

resté de la création.

Page 321: Eekhoud Mes Communions

MESCOMMOMMN8318

IV-

Ils devinrent ce que le langagejudiciaireappelledes récidivistes, des criminels endurcis, et Usac-

quirent une prompte célébrité dans le monde de

ta p&gtse Brousoardétait un cambrioleur redou-

table, le génie même de l'eH~aotion; Appol, son

aide, un neCëvoleura la tire. Pour mieux opérer,le gamin avait tenu pendant un mois l'auricu-

laire fortement plié sur la main par un bandage.Il en était résulté une étrange déformation la

deuxième et la troisièmephalanges du petit doigtde chaque main étaient rétractées sur la troisième

et ce doigt avait la forme d'un crochet. Celaper-mettait à Appol de plonger plus facilement dans

les poches.

Lorsqu'ils s'enrôlaient dans une bande de mal-

faiteurs, ilsy entraient à deux, à l'exemple de ces

acrobates et de ces bateleurs qui, ayant toujourstravaillé de concert, se complètent, s'amalgamentdans les jeux du cirque, l'agilité et les nerfs de

l'un suppléant aux muscles et à la vigueur de

l'autre. Jamaisamatelotage sur un navire, mariagede galériens traînant le mêmeboulet ne fut aussi

étroit. Ils étaient pour ainsi dire jumelés.Les drouineurs et les zingaris bivaquant dans

Page 322: Eekhoud Mes Communions

APpM.~r aaooscAW 3K)

les pïaines de Tour-ôt-Taxis avaient surnommé

Appoï, la Fouine. Fluet, les os ductiles, presque

élastique, il se glissait dans les maisons par le

soupirail, passait entre deux barreaux et venait

alors ouvrir la porte à Brousoard.Auteurs de cen.taines de vols, les deux larrons n'en expieront

que quelques-uns, car, lorsqu~onies mit en juge-

ment, on ne put jamais établir do preuvescontre

eux que pour une anodine portion de leurs mé-

faits. La renommée qui leur endossait les vols

mystérieuxetparticulièrementhardis, les ïé~ondescourant sur leur techniquescélérate ne suffisaient

point pour les faire condamner a de longuesdéten'

tions.

C'était Appoïqui flairait et combinait les beaux

coups et qui dépistait la police. Les rares fois

qu'ils se urent pincer ce fut par la faute de Brous-

card, trop téméraire ou trop lent à déoaniller son

compliceécroué, Appols'arrangeait aussitôt pourvenir le rejoindre. Alors il préparait, en vrai vir-

tuose, des évasions inexplicables.dont tous deux

ont emporté le secret lors de leur évasion su-

prême, leur fuite loin de la terre r

Tout ce qu'on savait c'est qu'Appel taillait les

barreaux des cellules comme s'il avait hérité de

cette herbe à couper le fer dont on attribuait l'in-

Page 323: Eekhoud Mes Communions

880 MBaMMMONMNa

vention à Vidoaq. C'est ce que le gamin appelait

jouer do la harpe. Le diaMe sait ou, pendant ta

visite, il parvenait&dissimuler un de ces minus-

eutos nëoessaires de serrurier, appela a bas'

tringues », contenant les scies et tes ïimes avec

lesquellesHavait raison dos grillages les plus so'

lidos. Lorsque ses geôliers te quest!onnaient à ce

propos, Appotmontrait ses joUcs quenottes Man-

ches et ios tapotant du doigt a Les barreaux

Maisje les ai ronges Ma

Une nuit, lors d'une de ces périodiques battues cet razzias que les veneurs do la police organisentdans ces chassessi croustiUeuscmentgiboyeusesde Tour-et-Taxis, roVeiUéoen sursaut et d'humour

peu accommodante,la gent traquable et rudoyableà merci se rebiffa et en vint aux mains avec les

C

trouble-fête. Un moment serrés de près, débordes,

harcelés par tout un camp de bagaudes, les ar-

gousins firent usage de leurs armes. Appot, qui 0

gitait ce soir-ïa de cecôté avec Brouscard, et quis'était jeté dans la mêtée &la première alerta,

fut blessé à la cuisse. L'arrivée de renforts de la

rousse mettait ses amis en fuite, et le'subtil gar-

nement allait tomber au pouvoir de ceux qui le

recherchaient de longue date lorsque Brouscard,assez grièvement atteint lui-même à la hanche,

Page 324: Eekhoud Mes Communions

APfM.M aMUSOAM ~t

dégagea ~on Appol, lo chaîna sur son dos et

remporta à travers champs. PerdaMtte sang toua

deux, ils fournissaient une piste rouge &leurs

limiers. Aveusa charge précieuse, Brousoarden-

jambaKdes fbsa~, escaladait doshaies ot dospa-

lissades,laissait mémode sa chairot dasesgrêg~cs

à dos mnraiUQsherissocs do chardons et do cu!s

de bouteille. Il finissait enfin par tromper le flair

et lasser l'ardeur de la meute, et échouait avec

son féal, à deux lieues do !a, dans les bois do

Laorbeeh, entre cornet et Ganshoren. Epuisé et

fourbu cette fois, lui !o champion invinciblet

l'infatigable tourneur du MouHn-hortogos'était

évanoui, perdant toujours le sang, sur to corpsinanimé de son bien-voulu.

~t lorsque Brouscard ouvrit les yeux, étendu

dans les fougères, c'était son protégé qui le

veillait après l'avoir pansé, maternel et balsa-

mique comme la rosée matinale, les dernières

berceuses et les premières aubades des feuillagesoîselés.

Quelque tolérance que le monde des hors-la-loi

éprouve pour les pires inversions, on les avait

raillés moins à cause de l'anomalie de leurs rap-

ports que du caractère invétéré et chronique de

cette affection. Hors du phalanstère des claque-

Page 325: Eekhoud Mes Communions

MMCOMMWNMHMasa

dents pareilles communions n'avaient pas de rai-

son d'être Mais, comme au pënKeneier,Brous-

card imposapromptementsilence aux plaisantins.

Puis, cotte amitiofanatique, illimitée, abondait on

traits si généreux et si cranca, ettesomonifbstait

do part et d'autre par un courage, une loyauté,un dévouenfmt, une abnégation si oomptète,teMomentsurhumame, teMementau-dessus des

aotos inspirés par des attachements moyens et

rénochis, qu'elle finissait par s'imposer, qu'eue on

devenait sacrée, qu'elle confondaitles simplesvi-

cieux, les fanfarons do corruption commeelle de-

vait apitoyer plus tard au tribunal la conscience

rigide de quelques vrais justes 1

Seules, les femmes de la bande, avec cet ins-

tinct de jalousie que leur inspirent les grandesamitiés d'homme à homme, celles-ci fussent-elles

même fraternelles et platoniques, en voulaient

sournoisement aux inséparables et surtout à ce

mièvre et gentil Appolqui déjouait leurs coquet-teries et parodiait leurs manèges. Le blondin

mettait à taquiner ces gaupes, la plupart peu appé-

tissantes, une malice et une ingéniosité de singe.Il se faisait désirer, affectait do passer par leurs

exigences~ jouait le trouble. et l'éblouissement,mais il se. reprenait tout à coup, leur tirait la

Page 326: Eekhoud Mes Communions

APPOb Et tHMM!88AW ?3

langue, répondait par dos coups do griHOset

des cabrioles &leurs cajoleries, esquivait leurs

caressescommeautres les bourrades du maître

savetier.

Aussi quelle vong~aKoeoUea rêvaient do tirer

de lui 1 QueUetête le jour où ellesparviendratontà tes sépt~er!Ma!a tes Ïcgos mâïe~ et temëHes

en étaient pour leurs tentatives. Au lieu de se

fatiguer Ï'UMdo l'autre, chaque jour lesdoux féaux

sosentaient plus étroitementajustés. A la moindre

absence c'était pour chacun un vide, un dépayse-ment étrange, un singulier état do nervosité et

d'irritation, un besoindes'étourdir, de changerde

place, t'impossiMuté de s'acquitter de n'importe

quelle tâche, voire de songer à autre chose qu'àl'absent.

Appolavait peine à cacher au reste du monde,c'est-à-dire au monde sans Brouscard, l'indiffé-

rence et l'antipathie qu'il lui inspirait du moment

que son inséparable n'était point là pour lui peu-

pler ce monde, pour lui ensoleiller ce ciel, pourlui rendre supportable cette vie Il n'était plusrien qu'il ne rapportât à son protecteur.

Brouscard, non moins aimant, mais plus con-

traint et plus réserve sous les yeux d" la galerie,eût été furieux si on avait lu jusqu'au fond de sa

Page 327: Eekhoud Mes Communions

MMaCQMMOHKMtaSM

pensée et il aurait battu, même supprimél'impru-dent qui se serait avisé d'y lire à haute voix.

Car, ainsi que tous les sentiments intensea t

poussant leurs racines aux entrailles mêmes de

l'être, cette passion était doublée d'une certaine

pudeur, d'un besoin d'en masquer !'étenduo in-

finie à ~espionnage et à la profanation de leurs

Ofn~urs. Mais ils avaient beau s'observer, lors-

qu'ils se mêlaient à leurs camarades et partici-

paient à un déduit collectif, au milieu de la con.

versation générale, leurs voix, leur attitude, leurs

regards trahissaient leur intimité absorbante et 1

exclusive.

Leur seul équilibre, leur seule vergogne, leur

unique point d'honneur résidait dans cette ten-

dresse quintescenciée; leurs facultés amatives

s'étaient concentrées en un foyer unique; entre

ces deuxescarpes, la première parole méchante,le premier reproche, le premier froissementétait

encore à naître.

Parfois Brouscardcontentait en passant, expé-ditif au point d'en être brutal, l'une ou l'autre

cune affectuosité, rien de son cœur à ces accou-

ptements charnels et ne tâtait de ces maitresses

fortuites et passagères que comme savoureux ré-

Page 328: Eekhoud Mes Communions

AM'MtETMROUee~Mt a~t

gais et breuvages de têtes exceptionnelles Aprèsses fendez-vous érotiques, il n'avait rien de plus

pressé que de rejoindre son ami essentiel, et

c'était alors des épanchoments et des accolades

comme s'Na s'étaient quittés des semaineset dos

moistI

Appol et Brousoard cheminaient bras-dessus

bras-dessous, oomptotantune de leurs expéditions

nocturnes, lorsqu'une femme les croisa dans la

plaine au coucher du soleil.

Peste, la superbe « gonzesse » s'exclama

Brouscard.

Elle était superbe, en effet. Grande, dans toute

la fleur de la vie, admirablement modelée, avec

un visage d'une pureté do traits presque enfan-

tine, une bouche rouge commela grenade et alté.

rante commele piment, un délicieux menton à

fossettequi eût tenu tout entier entre les lèvres

de Brouscard, un nez alliant un eSronté frétille-

ment de la narine à la noblessede la ligne, des

cheveux aux luxuriances folles, sauvages, bleus

de ce bleu des chaudes nuits septembrales, nuits

de velours où se pâment lesdernièresexhalaisons;un teint très discrètement ambré, mat, avec de

légers et fébriles luisants rosoNaux pommettes,mais par-dessus tout cela des yeux volcaniques,

Page 329: Eekhoud Mes Communions

S8S MESCQMMUNKMM

deux éclairs aColanta~deux osoarbouoles infer-

nales qui évoquaient l'orage comme ses cheveux

évoquaientla nuit, desprunelles ou se lisait l'ins-

tinct de la destruction et du rapetissement, la

pui&sanoedostrombes et descyclonesqui dévorent

tout ce qu'ils rencontrent. Mais, aux séductions

fatales de ce visage d'une Médusequi eût eu raison

de l'horreur de Porsée, s'ajoutaient les prestiges

harmonieux et rythmiques de son buste et de ses

membres, les ondulations de sa chair ferme,t

mûre à point, enivrante &cueillir et a savourer

avec les fruits de l'arbre de la science du bien eti

du mal.

C'était le procès de Brousoard révéla ces

conjonctures la maîtresse d'un agioteur quiavait fini par voler sans prudence et se faire

mettre à l'ombre pour cette lorette plus dispen-dieuse qu'une impératrice. De tempérament exi-

geant, curieuse de l'hommme quel qu'il soit, elle

profitait de sa liberté pour rouler dans la prosti-

tution, non pas celle qui réclamedes arrhes et qui

appartient à tout venant, mais celle qui choisit

et qui paie. Ses rentes d'entretenue lui servaient

à entretenir à son tour une semaine, un jour,une heure, mais jamais plus d'un mois, soïun sa

toquade les mâles rencontrés dans son orbite.

Page 330: Eekhoud Mes Communions

AH'9Ï. ~T BawaCAM

Envieuse de toute force, aimant à épuiser, à Hé-

tnr, à perdre, elle était do ces femmes~a<es

qui dissolventles plusnobles métaux, qui tondent

l'or aussi bien que le cuivre de ces vampires

qui éteindraient la flamme du génie commeelles

assèchent la sève de la brute. Et parmi ses

amants elle comptait autant de poètes que de

voyous.

Aguichéepar tout ce qu'elle avait lu et entendu

dire de cette excentrique et clandestine région de

Tour-et-Taxis, elle s'était aventurée de ce côté,

rôdeuse, en quête do rencontresoriginales et to-

piques, dans cettejungle de frelampiers.Les éotats cuivreux du soleil prêtaient à sa toi-

lette tapageuse et affriolante une provocationde

plus. Elle semblait plus que jamais sous les

armes. Son corsage évoquait une cuirasse, et

Hy avait dans le froufrou de ses jupes le bruisse-

ment agressif et belliqueuxd'une armure d'ama-

zone.

En passant, elle frôïaBrouscard, le dévisagea,le trouva à son gré, lut dans ses yeux, entendit

sonexclamation. En gaillard sûr de sa force et de

ses avantages, il avait accompagné d'une moue

de supériorité ce cri de ravissement, et dans cet

hommage il y avait un grain de fatuité et de mé-

Page 331: Eekhoud Mes Communions

3B8 ME9COMMOSMN8

pris. La femme avait eu un mouvement de tête

qui lui disait crSuis-moia

Brousoard tombanten arrêt, résistait à son

compagnon qui voulait le faire avancer. Appolhaïssait d'emblée cette passante, et d'autant plus

qu'il ne pouvait se dissimuler l'antipathie ne

tue pas l'admiration son éNouisaantebeauté.

L'acuité de sa tendresse, le ~uideaHootifdont

il enveloppait Brouscard et dans lequel il aurait

toujours voulu l'isoler, lui faisait pressentir en

cette femme la rivale, l'ennemie, peut'être l'usur-

patrice. (

Ayant fait quelques pas, elle s'arrêta et se

retourna aussi, répétant son suggestif mouvement

de tête.

Brouscard, tride ainsi qu'un étalon, se débar-

rassa, presque avec impatience, de l'étreinte an-

goissée de son compagnon. Celui-ci comprit qu'ilfallait ruser, gagner du temps et, la mort dans

l'âme, il aSecta de rire Part à deux, hein ?

Allons, comme tu voudras répondit l'autre.

Ils retournèrent sur leurs pas et'Brouscard, abor-

dant la femmeen se tortillant, le feutre à la main,lui fit cérémonieusent la proposition saugrenuede passer la nuit à trois. Elle éclata de rire et, se

plaçant entre eux, elle leur prit un bras à chacun.

Page 332: Eekhoud Mes Communions

AKNH NT NMHMMtB ?9

Avait-elle deviné l'aversion sourde du jeune

Appol? Mais pour eohauCèr et étourdir encore

Brousoard, qui sait, peut-être pour le monter

infailliblement contre son ami, elle se mit à

faire la coquette avec le blondin, feignant de

le proférer au grand brun, lui prodiguant les

câlineries, les jeux de prunelles, les caressantes

inflexions de voix, les furtives et chatouilleuses

pressions, enfin, toutes les minauderies de la

femme amoureuse. Deson côté, Appol que le

désespoir rendait maladroit se flattait de dé-

goûter son ami de cette gueuse,en s'efforçantde

répondre &ses gentillesses. Il ne cessait de la

lutiner et lui volait des baisers plus faux queceux de Judas.

Tous trois ayant ainsi l'air à la fête, le moinsen

train étant peut-être Brouscard, arrivèrent dans

une louche guinguette du Heysel,près de Laeken.

Brouscardretint une chambre dans laquelle, aprèsleur avoir servi à manger et à boire, l'aubergisteles laissa à trois et leur permit de s'enfermer,

garantis contre toute visite importune. On but,on s'échauffa,les deux gars serrant de plus enplus

près leur opulente conquête. Si l'ardeur d'Appoldonnait le change a Brouscard, elle était loin de,

duper leur compagne. A la vérité, la fille, ou-

Page 333: Eekhoud Mes Communions

330 MEaCOMMCNtOtta

tracée par ces simulacres de désir, rendait haine

pour haine a ce mièvre comédien; malicieuse,J C

vindicative,avec une joie abominable,elle voyaitmonter dans le sang'de Brouscard les bouillons ë

d'une colère fratricide, et si elle continuait à

Cattar et caresser le blondin misogyne, c'était

pour le désigner plus sûrement auxcoups du mâle

qu'elle voulaitaccaparerentièrement, ravir à toute

autre tendresse 1

Chacun des galants entendait passer avant l'au-

tre et comme ils s'en rapportèrent à la femme,

celle-ci poussa la scélératesse jusqu'à choisir

Appol. Une dispute s'éleva: Brouscard, aSolé~

prenant de plus en plus au sérieux la passion de

son ami pour cette biche,alors qu'Appoln'adorait

en ce moment que Brouscard, ne l'avait jamaisautant adoré, l'adorait à ce paroxysmede jalousie

qui se confond avec, la haine. Brouscard crut à

cette haine, persuadé qu'Appol était épris de cette

garce autant que Ini-méme.

Des mots vifs, des reproches et des déns, ils

passèrent aux insultes: Appol sifflant, livide et

moqueur; Brouscard rogue, congestionné, ébloui.

Mollement,l'horizontale s'interposait. Un souf-

flet claqua sur lajoue d',Appol.Tous deux eurent

lé couteau à la main. Se ravisant aussitôt, Appol

Page 334: Eekhoud Mes Communions

APPOt, BF BROU8CAM) m

laissa tomber le sien, mais Brousoardl'avait déjà

trappe sous le sein gauche, enfonçant la lame très

afStée jusqu'au manche à l'endroit même où il

avait tatoué le symbole de leur majeure ten-

dresse

Appol s'affaissa sans un cri. Ce fut l'autre qui

poussaun hurlement de doreur ainsi le chien

ndèle hurle à la mort du maître. Avant que la

main crispéede Brouscard eût retiré l'arme de la

blessure, il collait déjà ses lèvres repenties au

souffleagonisantde l'inséparable.0 le moulin du dépôt le bois de Laerbeek le

suave sacrilège pendant que le Mauvais Pasteur

paissait ses ouailles de feu dans les bruyères de

Merxplas.Et leurs yeux se rencontrèrent plus religieux,

plus idolâtres que sur la grand'route le jour de la

sortie du dépôt.

Cette fois pourtant ce serait la séparation. Il

fallait bifurquer. Adieu 1

La femme,dépoitraillée,piaillait, tirait le meur-

trier par la blouse, t'engageait à fuir et criait pour

appeler au secours et ameuter la police.Devenu inconscient de la présence de cette

créature si désirablo tout à l'heure, Brouscardne

détournait plus même la tête de son côté et regar-

tB.

Page 335: Eekhoud Mes Communions

?? M~acOMMONMMO

f

dait mourir la vie, leur vie aimante et Mêle, dans

les yeux du cher assassiné..

A la fin, importuna par cesplaintes et cesgirios

profanesprès du seul être qu'il eût aimé, il ra-

mena d'un mouvement réflexe le poignard à lui,

puis, d'un eHortplus nerveux, mais accessoire,

épisodique, toujours sans se retourner, il pointaderrière lui dans la direction de celle qui les avait

brouillés et la fit taire pour jamais, sans y prendre

garde, sans détacher, ne fût-ce qu'une seconde,

ses yeuxdésespérésdu visage d'Appel, mort en

souriant, car il avait vu, lui, le coup méprisant

qui supprimait cette butineuse d'amour et quiréunissait Appolet Brouscard dans la nuit miséri-

cordieuse où rien, rien, rien ne narguerait de son

bonheur et de sa sécurité leur irrémissible, leur

terrestre déchéance.

Page 336: Eekhoud Mes Communions

UNEMAUVAISERENCONTRE

ALouisDelattre.

Au dîner chez le ministre d'Italie et M"" la

comtesse de Casa-Ferrata style des chroni-

queurs de journaux Léoncede Mauxgavres se

montra particulièrement excentrique et cassant.

Les milieux élégantslui pardonnaient beaucoupà causede sa mine agréable, de son nom histori-

que, et surtout à causede sa fortuneénormedont,

orphelin, enfant unique et célibataire, il était le

seulmaître.Trèsdandy, le sourire interloquant, du

plus grand air, cuirassé par une tenuehermétiquecontre les familiarités et les indiscrétions, jeune

encore, trente ans à peine, il émettait d'un ton

égal et calme, avecune précision et une dialecti-

que extrêmes,sans trahir un trouble, une émotion

quelconques, des idées outrancier~ légitimait

Page 337: Eekhoud Mes Communions

SM !9E$COMMCNKH<a

avec empressement les forfaits et ~es attentats

dont,la nature devait particulièrement horriner

ragrégation oligarque et rentière où te hasard

l'avait fait naïtret Chacun étant persuadé queLéoncene croyait pas un mot des énormités qu'ildébitait sans broncher, de sa voix métallique et

incisivedont il proscrivait jalousement toute in-

flexionun peu émotionnelle, en braquant sur ses

interlocuteurs des yeux aciérés et froids comme

une perpétuelle garde à l'escrime, on lui passaitces propos plus que déplacés et les moins idiots

goûtaient même, certains jours, la virtuosité, la

maestria avec laquelle il soutenait de prétendus

paradoxes.

Auprès des femmes, il rairinait encore sur la

formeimpeccablede ses discours et de ses ma-

nières, mais aussi sur l'acide subversion de ses

pensées.A dire vrai, il était heureux que là plu-

part descontemporains de son cercle fussentbout~

fis de sufBsance, encroûtés de préjugés jusqu'à

l'ankyiôse,sinonilsseseraient aperçusdepuislong-

temps que ce soi-disant mystificateurà froid, cet

aristocratique pince-sans-rire les tenait tous

et toutes encore davantage en un incen-

diaire mépris et qu'il en pensait beaucoup plus

long qu'il ne disait sur l'iniquité seciale un

Page 338: Eekhoud Mes Communions

UNEMACVAtM!«ENCONTRE m

grand mot qu'il scandait comme pour s'en mo-

quer.Ce jour-là, cependant pout-être couvait-il

un surcroît de ranccour et de compassion, il

dépassa la mesure et finit parse livrer.

Do galant et révérencieuxironiste qu'il se mon-

trait toujours avec les douairières ou les jeunes

pimbêches armoriées qu'on lui attribuait pour

voisines,i! s'accusa à plusieurs reprises pamphlé-tairecorrosif et fustigeant, au point que ces dames

auraient pu supposer que, contrairement à ses

habitudes de végétarienne sobriété, le prince do

Mauxgavresavait trop honoré le chambertin de

l'ambassade. Il se gaussa avec des ricanements

lui qui no souriait guère! 1 des règles de la

sacro-sainte morale en tout pays civilisé l'Etat,

la famille, le mariage, la monogamie, la pudeur,les galères conjugales, l'hypocrisie d'une union

qui n'est plus qu'un mutuel enfer bref, il fut

païen et au delà, réfutant le fameuxargument des

moralistes de l'économie politiqueet domestiquela conservation de l'espèce, par de spécieuses et

sataniques paraphrases de la strophe baudelai-

rienne

Maudit soit jamaia le rêveur inutile

Qui voulut le premier dans sa stupMitê<

Page 339: Eekhoud Mes Communions

MMtiOMMCNMMMm

SMpFMMHtt<!t'aapF~bt&metiaMtoMeet at&cHtit,Aux ehoaeada l'amour tn6t6!'t'honaêtèMt

L'art pour l'art, l'amour pour l'amour pro-elama't-il en se levapt do table.

Au fumoir, il éprouva le besoin d'accélérer et

d'outrer sa griserie verbale en sablant coup sur

coup plusieurs verres de une Champagneet, rom-

pant toutes les digues, il continuait a plaider pu-sionnément en faveur de l'exception et do la

prétendue monstruosité. Il en vint à maudire

l'humanité prolifique ongendreuse d'ilotes et

d'avortons, pour se déclarer partisan d'une sélec-

tion esthétique et d'un retour aux passionnelleslibertés do la Grèce. Non, a aucune époquede

servitude et d'esclavage, il n'y avait eu tant do

parias si misérables, si laids ou tant de beau sangsacrifiéà la pourriture utilitaire.

« Maissi tout le mondepensait commevous, ce

serait la fin de l'humanité! prud'hommisa l'un

des fumeurs particulés.« D'abord, il n'y a pas de danger que tout le

monde pense comme moi, ce serait malheureux

pour votre « tout le monde», mais encore plusatrocepour moi. Ah oui, je me vante bel et bien

de mon incompatibilité d'humeur avec la masse

qui préjuge et gouverne l'individu Je suis réfrac

Page 340: Eekhoud Mes Communions

ONBM~CVAtaBRSMCOMTRE ?

traire, niMMato,anarchiste 1 Toutce que vous

voudrez!

« La conservationde FespoceDe l'humanité à

la grosse Dos hommes dopacotille Une frelate-

rio humaine tl n'y a que trop d'animaux repro-ducteurs Et pour ce qu'ils reproduisent! Fran-

chement n'avû:t-wus pas assez de soldats, do

prostituées et de gâterions?. S'il en manquait. il

serait toujours temps de recourir aux primes!Et même, en quoi la fin de l'humanité cette

humanité selon votre cœur–serait-eHo une catas-

trophe ? Pensez.vous réellement que les enfants

que vous engendrez ou plutôt que vous bousillez

sur la terre vousdoiventune telle reconnaissance?

Pensez-vous qu'ils vivent par amour de la vie ?

Non, ils subissent tout simplement la crainte de

l'inconnu, crainte encore renforcée par l'éduca-

tion chrétienne, sinon la moitié au moins se sui-

cideraient. Et vousvousprétendezdes aristocrates,vous autres Allezdonc Et vous répudiezle pre.mier élément d'aristocratie: l'individualité, le

culte de son wot/ L'amour de soi-même, le

commencementde l'amour des autres ainsi que la

folie est le commencement. »

Il n'achevapas le proverbe, rappelé non pas à

l'ordre, mais à son habituel mépris par l'expres-

Page 341: Eekhoud Mes Communions

aa<t MESCOMMOMeMS

sion oomiquement scandalisée et6p!a<burdio de

ceux qui socialement étaient pourtant ses pairs,

ses seuls égaux aocoitttablea,et s'il parvint avec

peine &réprimer un bâillement plein de nausée, il

ne se priva point du besointrèsimpoli de consulter

sa montre, impatient, avide d'air respiraNo et

d'NM~wAeree~se.OM~o~~ts~~o~

Soncoupél'attendait a la porte ïî le renvoya~

préférant marcher.

La tête brùlante, la cervelle à l'état de lave,

jamais il ne s'était senti dans pareil éïectrisme.

Il faisait très chaud à l'ambassadeet les fleurs

jonchant la table l'avaient pris à la gorge ou plu-tôt aux méningesdès son entrée dans les salons.

La nuit était lourde, tasséed'un singulierbrouil-

lard dans lequel les passants contractaient des

apparences de fantômeset que trouait cette lune

rougeâtre dont on éclaire les scènes de sabbat. Il

tombait une petite pluie, fine et insidieuse,tiède,avivant une odeur de tourbe

quisourdaitdu pavé

et prêtant aux ténèbres l'urticaire moiteur d'un

corpsde fiévreux.

Léonce de Mauxgavres chemina au hasard,

longtemps? II n'aurait su le dire, poursuivantle jeours.despenséesqu'il avait failli prostituer a

ces âmesphilistinest

Page 342: Eekhoud Mes Communions

ONRMAPVAtSERBNCO~mR 339

Lui, le railleur, le prétendu égoïste,le sceptique

bïasé, le poseur énigmatiquo et irritant, n'avait

jamais éprouvépareiHesïancinancesdotendresse,

paroiMesfringales do sentiment partagé, mais il

endurait surtout une mortelle soif d'autre chose,

d'une chosefût-elle la toute dernière, la suprême

par laquelle il passerait; la soif du Christ après

l'éponge trempée dans le fiel. Las d'amour vir-

tuel et spéculatif, son cœur éclatait dans l'ébuHi*

tion de son sang.

Léonceen était arrivé à ce degré d'impatienceet derévolte concentrée où on provoqueraità tout

prix une aventure, un imprévu, un risque compro-

mettant il introduiraitcettenuit même,coûte que

coûte, un impromptu dans son existence chrono'

métrique, ah bien malgré lui, mais chrono'

métrique tout de même1

Le mauvaispavé qui se faisait sentir à travers le

chevreau de ses chaussures le rappela au senti-

ment des ambiances.Où se trouvait-il ? Jamais il

n'était venu, même en voiture, dans ce quartier

gravateux. Depuis une demi-heure, il longeait,

sans s'en apercevoir,une sempiternelle chaussée,

irréguUère et sinueuse à maisons plutôt vieilles

qu'anciennes ou prématurément ruinées par la

brutalité et le vandalisme de leurs habitants, un

Page 343: Eekhoud Mes Communions

8M MMCMitMOt'tONs

de eus commencementsdegrand'route qui projet*

tent dans les salubres campagnes les humeurs et

les scrofulesde la vieeitadino,comme les chemi-

nées éructent vers ïe ciel pur tours crachats de

fuméeet de vapeur.En sortant do sa songerie, dans les dispositions

d'esprit où se trouvait Mauxgavres,ce quartier !e

Natta Hle conciliaitavec la teinte fauve,calcinée,rouilleuse et quasi contraventionnelle de ses 6va-

gations.

C'était un lundi de kermesse. De cambouisleux

couloirs, véritables boyaux, menaient à des salles <

de bal, reléguées de la rue commeà dessein, des

salles de bal préméditées, et dont les musiques

orgueilleuses, rauques, étouSées, ressemblaient

de loin à des hourvaris, à des éclats de disputes

populacières.

Quelle foucade induisit Léoncede Mauxgavres,l'homme bien né et bien mis, logeant encoredans

ses habits les parfums aristocratiques de l'hôtel

Casa-Ferrata, à dévaler dans un de ces graillon-neux et pouacresbastringues ?Aquellesuggestion

obéissait-il? C'est à peine s'il avait lu dans les

romans naturalistes des descriptionsde bals de

barrière, maisaucun de ces antipathiques procès-

verbaux, grossoyéspar des commissaires-priseurs

Page 344: Eekhoud Mes Communions

WN8NACVAtSBBENCONTRE SM

ou des camelots d'écrits, ne lui avaient transmis

le fluide, l'aimantation, l'âme de ces milieux.

H déboucha dans la salle mal éclairée, plus em-

brumée encore que la rue par les haMnes, les

sueurs, les évaporations do l'eau répandue de

tempson temps sur le parquet aux fins derabattre

la poussière.D'abord Léonce ne distingua presque rien un

arrogant orchestrion, aussi monumental qu'un

orgue d'église, trônait sur une sorte de jubé et

mugissait, armé d'autant de cuivreset de timbales

qu'un orchestre,des danses saccadées,outrageuse-ment polkantes, des strépidations épileptiques

qui devaient parfaire dans le sang des balleurs !o

délire causépar des ingurgitations d'alcoolpoivré.C'était la synthèse même de la joie patibulaire

et dominicale.

LéoncedeMauxgavresdémêlaquelquescouplesdeux souillons qui dansaient ensemble alors

qu'une douzaine de drôles, les abandonnant à

elles-mêmes, giguaient et toupillaient deux à

deux. A la fin de chaque danse, ils allaient s'affa-

1er, en rangs d'oignons, tassés les uns contre les

autres, sur un banc régnant le long de la paroibarbouillée d'une ppinarde vue d'Italie sous un

ciel encore plus bleu et plus bête que nature qui

Page 345: Eekhoud Mes Communions

M!St COMMUHMNa349

se pâmaientépioièremont dansce casino peu sen-

timental.

L'intrusion de Mauxgravesdevait être d'autant

plus remarquéeque les quadrillescommençaient&

languir et qu'il ne ratait plus grand monde. Les

retardataires, noctambulesincorrigibles, se le dé-

signaient avecdes rires et des allusions eSrontées.

C'étaient d'assez beaux garçons, oarrés de la

croupeplus que des épaules, des adolescentsner-'

veux à mine trop précoce, Mlés ou plutôt fumés,comme saurés, les hanches et les reins sanglésdans des nippeshaillonneuses,vestes rousses, cu-

lottes de gros velours brun ou d'étojfïetapageuse-ment rayée, à pied d'éléphant.

Dans ces visages chiSbnnés marquaient des

yeux agrandis par les cernes de la débauche, aux

regards lubriques et impudents, des bouches aux

étranges contractions, des lèvres poppystes, des

nez évaséset frétillants aux narines élargies parl'habitude d~yfourrer les doigts. L'un de ces pen-

dards, émoustillé par les autres, a~approchade

Léonce et le dévisageant, non sans rougir un peucommeà la crainte de l'énormité qu'il allait com-

mettre, il lui demanda, en son patois de barrière,s'il voulaitdanser avec lui.

Contre toute vraisemblance Léonce ne mani-

Page 346: Eekhoud Mes Communions

UNE MAUVAtSE MNCONTM! 3M

lesta pas la moindre surprise à cette étrange invi-

tation. Depuisplusieurs minutes Hs'y préparait,

ayant vu le polisson rôder autour de lui en lou-

voyant avec des déhanchementsavantageux. Loin

de l'appréhender, Léonce désirait cet abordage,à telle enseigne que le voyou qui s'attendait a

être rebuté et qui ruminait déjà lesplusordurières

gueulées deson répertoirepour en accabler l'aristo

et provoquerune bagarre'à la faveur de laquelleon l'eût assomméet dévalisé futbien autrement

ebaubi et faillit même perdre contenance quandce monsieur accepta sur le champ son offre in-

congrue et lui prenant une main, posant l'autre

sur son épaule, accorda ses pas aux siens, le

traitant avec la familiaritéd'un voisin de carre-

four, d'un gars de son bord, modelé et pétricommelui au dévergondage de la basse plèbe.

Ils firent plusieurs tours de valse à la profonde

stupéfactiondes regardants non moins intrigués

que leur camarade par l'aisance avec laquellel'intrus s'assimilait le débraillédu milieu.

Ce fut un véritable coup de théâtre. Ils n'en

pouvaientcroire leurs yeux. Son aplombdéroutait

leur tactique et ne laissait pas de les inquiéter.La valse terminét!,Mauxgavres,se rapprochant

du comptoir,offrit une consommationà son nou-

Page 347: Eekhoud Mes Communions

MEScoMMMnoNa8M

veau camarade, et comme celui-ci, reprenant un

peu de sonassurance, rengageait à payer aussi à

boire aux autres, illeur

fit servir a leurchoix de

la bière ou del'alcool. Un cercle de drilles rail-

lardsou chafouinss'était forméautour du généreux

payeur. Il vainquitsesrépugnances innées ou édu-

cationnelles, refoula tous ses préjuges d'homme

délicatement élevé,jusqu'à trinquer à la ronde

avecces,greluchons mal embouchés et de panto-mime sans vergogne, jusqu'à vider d'un trait, à

leur exemple, les verres remplis de rogomme

qu'ils lui tendaient en signe d'allianceaprèsy avoir

trempé leurs lèvres puant le carrelet et la chique.Par un miracle de volition, avec un effrayant

sang-froid, Léonce s'empêtrait dans cette aven-

ture. Loin de songer à la retraite, il voulait se la

couper, se boucher toute issue, 'se compromettre

davantage, uniquement par réaction contre ses

habitudes. Il prenaitmême franchement goût à

cette gageure qu'il se prpposait à lui-même.

Jaloux de dégoter ces sacripants, il rivalisait avec

eux de verve et d'à-propos scurriles, contractait

leur ton saugrenu, leur allure débridée, bien

résolu à ne se formaliser- d~aucune licence,d'aucune privauté. Il ne songea même pas qu'ilétait désarmé et que, six contre un, ces bougres

Page 348: Eekhoud Mes Communions

CNBMAttVAtSBRBNCOMfM 3<5

pouvaient lui faire un mauvais parti, ou s'il y

songea, ce fut au contraire pour se réjouir du.

danger. Il cultivait cette voluptédu péril connue

seulement desâmesde fortetrempe. Oublieuxdesa

mise recherchée, il affectaitde ne pas s'apercevoirdes œillades et des autres signes d'intelligence

que ces garnements échangeaient entre eux. Le

solitaire qu'il portait au doigt, For de ses boutons

de èhemiseet de sa chaîne de montre se répé-

taient déjà en éclairs de convoitiseféline dans les

yeux de ses régalés, si bien qu'en abaissant un

moment ses regards, à la suite des leurs, sur son

plastron encoreimmaculé, il'crut voir à la placedes boutonnières trois rubis liquides qu'il ne se

connaissait point. «Bah 1»*fit-ilà cette hallucina-

tion inquiétante, commeun mauvais présage, et,sans y attacher d'importance, il commanda de

nouvellestournées.

Feignant de participer à l'entretien général, il

examinait de plus près le petit rôdeur avec lequelil avait dansé et manœuvrait ostensiblementpourse trouver toujours dans ses parages.

C'était le plus jeune, la physionomiela plus in-

téressante de~econventicule. Sans doute encore

novice, apprenti du crime;placé sous la tutelle et

le vasselago des autres, tous récidivistes, ceux-ci

Page 349: Eekhoud Mes Communions

346 MtaCOMMUONS

l'avaient-ils chargé de faire cette nuitceuvre de

maîtrise scélérate endétroussant et au besoin en

assassinant Mauxgavres.Seizeans, moins,pout-être comme les autres,

les hanches et la croupeplus fournies que la poi-trine et les bras l'échiné hâve et maigre suppor-tant une jolie tête brunette avivée d'une façon

fëbrile et insolite,déCorée et pourtant enfantine

encore, à la foisdu sarcasme et de la naïvetédans

de grands yeuxclairs et humides, naturellement

ravis mais s'appliquant à la provocation,foncière-

ment candidesmalgré leurs rancunières lueurs

un être gauchi et brutalisé dans nos ergastules

industriels, conduit au mal par les déserteurs de

l'atelier, initié malgré lui et fatalement à des

turpitudes. Le carmin d'une bouche rieuse, gras-

souillette, appétissante et presque virginale sem-

blait protester contre le rogommeet la purulencedu vocabulairequ'avaient soudé à cet éphèbe le

gouapisme de la fabrique et des trottoirs. En

somme, un joli fruit picoré, vaguement véreux.

Mais il fallait être commeLéonceun observa-

teur ultra-intuitif, il fallait mêmeque ce devin, ce

liseur d'âmes se trouvât ce soir dans un état de

crise hyperesthésique, raffinant encore sa sensi-

sibilité, pour qu'il parvint à flairer sous cet~ trop

Page 350: Eekhoud Mes Communions

ONBMACVA!8BBENCON'nœ 3t7

véhémente odeur de fane, sous le musc canaille

de cetMplante de voirie, d'impérieuseset subtiles

essencesde dévouement et de loyauté, un parfum

persistant decandeur, d'illusion, d'enthousiasme,de foi en autre chose, en un mieuxfatal.

L'étrange expérimentateur fut même sur le

point de redouter que les <natinotagénéreux cou-

vant encoreen cet être dévelouté mais en revan-

che savoureusementpatiné,ne reprissent le dessus

et n'enlevassent, à la suite de cette aventure,l'inédit et le piment après lesquels il haletait. Mais

il se dit que la brutalité et le vice qui avaient

pesé sur cet enfant le rendaient sumsamment

redoutableet qu'il fermentait en ce copieuxvoyouassez d'indignation, assez de levain rancunier

pour l'épanouir en un irréconciliable hors-la-loi,en un transgresseur effréné.

En réfléchissant, Mauxgavresn'en laissait rien

paraitre il buvait et se tortillait sans contrainteil dansait tantôt avecl'un, tantôt avecl'autre, mais

le plus souvent avec le jeune homme aux humi-

des yeux clairs, et c'était lui à présent qui enga-

geait les danseurs et qui les enlevait, les débau-

chait dans les trémoussoirs égrillards.La nuit tendait à dissoudre ses ténèbres dans

les étoûSantes buées qmFavaient étreinte dés t&

ao

Page 351: Eekhoud Mes Communions

MES COMMUNKHM348

chute du jour, et plusieurs fois déjà, malgré le

surplua assezinattendu de recette que lui valait la

fantaisie de cet inconnu, le « tenancier a du bas-

tringue avait voulu<:6ngédierses clients. A la fin,

commepersohne ne faisait mine de démarrer, il

stoppa l'orchostrionet se mit en devoir d'éteindre

le gaz. D'ailleurs, si les ruuians comptaient dé-

valiser Mauxgavres, te moment était venu de

l'entraîner au dehors. C'était uniquement afin de

le saouler tout à fait,de le réduire à l'impuissance,afin d'en avoirptus complètementraison au mo'

ment psychologique,qu'ils avaient prolongé ces

chorégraphies et ces libations. Quelque bons

rapports qu'ils entretinssent avec le patron, il

n'était pas assez de leurs intimes pour devenir

leur complice et leur permettre de plumer et

même de saigner ce pigeon dans son établisse-

ment.

Pour régler les dernières consommations, à

court dé menue monnaie, Léonce fit sonner un

louis sur le comptoir. Il ne pouvait, franchement,

mieux exaspérer chezces rôdeurs la tentation de

le dévaliser et de l'occire. Le prince, qui simulait

une ébriété majeure, se réjouissait de l'aspectfranchement critique que revêtirait la situation

une-fois qu'il se trouveraitdenouveau au dehors,

Page 352: Eekhoud Mes Communions

USS MAUVA!9E R)ENCONTt<E M9

aux confinsde la ville, dans cette banlieue puantla fourrière, l'abattoir et la morgue t

Ironiquement prévenants, les marlousle firent

passer devant eux. Tandis qu'il battaitett~titubant

les mursorasseux du corridor, il les entendit a

quelques pas derrière lui, munir de leurs der-

nières instructions le novice, son danseur pré-forô:

« Pour ne pas donner réveil &la rousse, nous

te laisserons filer seul avec le pante. Entraine-ïe

à l'écart du côté du canal. Dans l'état où il se

trouve il n'y a pas de danger qu'il te résiste. S'il

bouge, tu lui fais son affaire. Prends ton temps,rien ne presse. Bonne chance a

Sur le trottoir le petit rejoignit Léonce 'qui,

chantant, hoquetant, passa le bras sous le sien et

se laissa remorquer, sans protestation, en pres-sant même fraternellement ce bras tutélaire.

Après quelques simulacres d'hésitation et de

gouailleux sermentsd'amitié, tandis que les autres

déambulaient vers la ville, le gamin entraînait sa

proie vers la campagne.Unautre que le prince de Mauxgavreseût juge

cette étude de mœurs poussée assez loin et eût

choisi ce momentpour se dépêtrer de son incom-

patible camarade. Il s'était assez acoquiné. Cette

Page 353: Eekhoud Mes Communions

SO M)Ba<XMMMNt<M)a

diversion &la symétrie et &la régularité de sa vie

ordinairo de~~itamplement lui sufBro Mais.tan-

dis que son bon sens~ son éducation, l'être con-

ventionnel et souvent factice que l'état sooial

strictement divisé en castes avait fait de lui, le

mettaient au défi de poursuivre cette expérience

d'encanaiUement,aucontraire, lemeiHewpÏ~onee,

l'homme volontaire et altruiste, le révolte, l'im-

pulsif, s'opiniâtrait dans cette inqualifiable esca-

pade, dans cette fugue priant vengeance au ciel

des bourgeois. Il en prévoyait l'issue tragique, et

c'était précisément là ce qu'il commençait à cher-

cher.

Par surcroit d'aberration, sa curiosité se dou-

blait d'une indicible sympathiepour l'être déjetéet honni dont les haillons pouilleux frôlaient ses

vêtements parfumés « Je me demande, se disait

évangéliquement le prince, comment le gaillardva s'y prendre tout à l'heure pour me tuer. Faut.

il me laisser faire?. A la rigueur je me crois

plusfort que lui et pour peu que je me débatte, il

aura besoin du renfort de ses aŒdés ?

Au fond, il avait été tellement écœuré et pros-crit ce soir par les personnagesd'une coterie avec

laquelle il se voyait obligé, de par son illustre

naissance, de couler sa vie entière, qu'il n'atta-

Page 354: Eekhoud Mes Communions

US~MAUVAtaENENMNTKE 3M

shait plus qu'une valeur ÏnHnitésimale a cette

existence et qu'il ne demandait pas mieux quede l'abandonner au prix d'une agonie point

banale.

Dans ces conditions, sa promenade attardée

avecle petit rôdeur devenait tout simplement un

moyende suicide,pu tout au mo~nsde mort civile.

Jamais il ne s'était senti plus exalté et en même

temps plus logique, plus de sang-froid dans son

fanatisme. Ni lui ni son compagnonne songeait à

s'informer de leur destination mutuelle. Peu

importait le but.

Legamin titubait un peu, quoique non moins

lucide que son compagnon, et il n'affectait do

flageoler des jambes que pour endormir les der.

nières méfiancesdu poivrot qu'il était chargé de

« scionner ». Feignant aussi d'avoir le genièvre

tendre, il accablait le bourgeois de protestationsd'amitié entrecoupées de jurons à l'effet, croyait.

il, de donner plus de poids à ces épanchements.Cessimagrées de sympathieque, sensitif à l'ex-

trême, Léonce devinait traitesses et félonnes, le

défrisaient un peu.L'hypocrisielui gâtait sonmal-

faiteur. IIl'eût souhaité plus déterminé, plus fran-

chement agressif. Toutefois, il s'amusait de sa

timidité et de ses hésitations. Pourquoi, se disait-

aoi

Page 355: Eekhoud Mes Communions

MMCOMMOMMM85:

le gaiMardn'a-t-H pas aussi impérieusement

envie de metuer que moi de: mourir

En attendant, a répondait d'un ton non moins

anoctueux mais bien plus sincère, mais avec une

solennité in a~t<?M<b?KO)'Msà ces cajoleries

d'étrangïeur patinant et caressant la victime.Il se

trouva même devenir très persuasif et rencontrer

des bonheurs d'expression qui devaient, certes,

trouver !e chemin de tout cœur vierge, fût-ce du

plus grossièrement blindé. Il en arriva a tenir à

son inSme camaradedes propos quasi-testamen-taires et supra-nostalgiques, embaumes, condi-

mentës d'un sublime altruisme.

Par un occultedédoublement de la conscience

et de la sensibilité, il percevait le frisson, l'impa-

tience, l'angoisse, les scrupules, le battement de

cœur, l'essouSîementderhateine, toutes les phasesdu combat qui se livrait en l'adolescent. Il en ré-

sulta que, contrairement à ses appréhensions de

tout à l'heure, Mauxgavress'aperçut avec unejoieréelle que les sentiments de bonté native repre-naient peu à peu le dessus sur l'éducation et

l'entraînement de bête de proie du jeune escarpe.Et à mesure qu'iï constatait ce virement, nonsans

se réjouir lui-même de sa vertu persuasive, il

T'edouMaitd'expansion,il aimantaitetnavf&it de

Page 356: Eekhoud Mes Communions

OHEMAUVMNERE!<ti9N'BMt sa

ptus en plus tendrement !e oceur du larron in"

génu.En revanche, à mesure que celui-ci se sentait

ébranlé dans ses résolu~ons homicides, il deve-

nait gauche et taciturne, sa langue s'empâtait, un

poids semblait l'oppresser, il soupirait comme

d'ahan, tiraillé par de nombreuses alternatives,et finit par renoncer complètement &ses gentil-

lesses et &ses chatteries.

Soudain, regimbant contre l'inopportune sym-

pathie quelui inspirait un ennemi social, afin de

rendre même toute conciliation impossible,il se

mit en devoir d'escamoter la chaîne et la montre

du particulier. « Je me contenterai de cette prise,

songeait-il, et je lui fais grâce de la vie. Histoire

de pouvoirmontrer quelque butin auxcamarades!l

Puis, que le diable l'emporte »

Sans doute, avait-il déjà perdu une partie de

ses moyens et l'émotion paralysait-elle sa main

subtile, sa main de bon voleur à la tire, car

Léonce, d'ailleurs aussi chatouilleux qu'un

ëcorché, surprit le manège et, arrêtant la main

indiscrète, d'un ton de reproche où de la raillerie

se mêlait au désenchantement « Pardon, mon

ami, car nous sommes des amis, hein ce

que vous'faites là n'est pas gentil! Comment,

Page 357: Eekhoud Mes Communions

MESCCMMomONSSS4

tandis que nouscausons,heureux d'être ensemble,seul &seul, et que je m~ntéressede toutocaura

vous, voilà que vous me traitez commetepremiervenu. Que feriez-vousde ces bijoux? Une cen-

taine de francs. Et après? Cet argent se fondrait

vite en bamboches. De plus, vous vous débar-

rasseriez difncilement de cette montre, car elle

porte mon ohiffreet mes armes, et si la policeme

la rapportait, comment, malgré mes serments,ces Inquisiteurs pourraient-ils admettre que jevousen eusse fait cadeau P Maisce n'est là qu'undétail. La chose particulièrement blâmable c'est

que pour quelques Crânesvous vendiez l'affection

et l'estime de*quelqu'un vers lequel vous vous

dites porté Ah fi, mon camarade Voyons, ren-

dez-moi tout de suite ces bibelotsd'achoppement,

et, tope-là, continuons à causer comme si rien

no s'était passé. Tenez, voicimêmede l'argent! »

Le voleur, subjugué par le ton ferme, quoiquefroissé pa~ l'ironie et le sarcasme de la remon-

trance, pêcha les bijoux dans la pocheprofonde où

il les avait dé~àchavirés et les couladans la main

de leur propriétairequi les remit à leur place, sans

s'intérrompre de parler.Cet incident refroidit les aŒnités que le jeune

voleuréprouvait pour Léonce.II avait été humilié

Page 358: Eekhoud Mes Communions

OKRMAUVAISEMNtHÏNTRR 355

dans son amour-propre de métier. Un misérable

respect humain reprenait le dessus. Le gamin se

repentait, Hs'en voulait de lui avoir restitué ses

a décors a. Il songeait à la piteuse mine qu'ilaurait faite devant ses copains Comme ils se

gausseraient de lui Et ce qu'ils auraient raison

« Et ce bourgeois, en tout premier lieu se

moque rudement de moi Il sepaie ma tête et me

fait poser, en attendant qu'il me livre à la pre-mière ronde de potice! Je me serais contenté

de sa toquante il ne s'est pas laissé faire, tant pis

pour lui. A présent il me faut lesbijoux et tout le

reste, la bourse et la vie Commençonsmême par!erefroidir, car si je l'écoutepluslongtempsje pour-rais me remettre à le gober. Parole, c'est que jem'entorchais de lui M

Léonce, continuant a lire ce qui se passait en

son compagnon, ne fut pas autrement alarmé de

ce virement tout au plus conçut-il quelque mé-

lancolie du peu de profondeur que présentait la

sympathiede ce joli polisson 1

Maintenantqu'il était repris par l'idée du meur-

tre, le gamin affecta de nouveau l'enjouement et

l'insouciance, et se mit à chanter

Bt&ncMive! BIanchetivette 1 Quandvoudras-tu m'aimer?9

Quand de tes doigts saigneux me feras un collier

Page 359: Eekhoud Mes Communions

NESCOMMQNMN83M

t

Mais il avait lâché le bras de Mauxgavres, et

marchait, un peu à l'écart, les mains enfoncées

dans les pochesde sa culotte. Malgré son air de-

gagé, son pas devenu sautillant, sa démarche

presque lubrique, la même dégaine que lorsqu'ilavait engagé Léonceà la danse, celui-ci devinait

que le bougre tortillait convulsivementau fond de

sa pochele couteauaveclequel gentil camarade

aux yeux câlins d'enfant battu il l'immolerait

le plus proprement possible et remplacerait parde sointillants rubis les boutons d'or mat de sa

chemise.

Pendant que le gars fredonnait sa chanson

patibulaire, le prince, qui s'était tu, murmurait à

part lui, en guise d'in TT~a~ns« C'est dommage1

Vrai, il me plaisait ce friponneau. Je lui trouvais

un ton, un fumet de soufïrance et d'aventure quime ragoûtait la vie Enfin Autant m'en aller.

Quand vous voudrez mon ami ?

L'autre est demeuré en arrière. Il se replie, il

guette le moment opportun pour lui planter le

couteau dans la nuque, lorsque tout à coup, pres-sentant l'imminence du sacrifice, Léonce se re-

tourne vers le petiot. Il lui présente bravement la

poitrine, il a même ouvert son pardessus pour lui

faciliter la besogne. Malgré la brume à peine

Page 360: Eekhoud Mes Communions

CNEMACVAMEttN<CO!<TBE 3M

contrariée par un petit jour roussatre, il faisait

assez clair pour leur permettre de se dévisager en

ce moment suprême.`

L'anne levée, sur le point de formerles yeux en

frappant, le gamin interroge une dernière fois la

physionomie du prince deMauxgavres. Quelle

expression de noble tristesse et de pardon, queldouloureuxet poignantamour contracte cevisage,a révulsé ces grands yeux noirs Quel sourire

d'inexaucé sur cette bouche d'où s'exhale pour-tant un murmure de suave et plénière indul-

gence 1

Alors, au lieu de frapper, avec un mouvement

d'enfant gâté et boudeur qui se ravise, l'escarpea refoulé rageusement le couteau sous sa veste,

et, cédant à un transport divin il saute au cou

de la victime, il l'étreint à bras le corps, tout

éperdu, contre sa poitrine, éclatant en sanglots, le

couvrant de larmes et de baisers, les lèvres aussi

balsamiques, aussi fraîches et gourmandes quecelles que goûtait sa mère

Et Léonce, non moins bouleversé, entièrement

acquis à ce misérable qu'il exaltait aux suprêmesaltitudes de l'amour, se sentait un froid ineffable

dans les veines, comme si l'autre lui eût réelle-

ment perforé le cœur de son couteau, mais pour

Page 361: Eekhoud Mes Communions

3S8 MB9COMMOMON8

ouvrir une issue triomphale à sa frénésiede cha-

Lejeune hommene s'interrompait dans ses ido-

lâtres caresses que pour se confondre en un ho-

queta en un râle de paroles jaculatoires etpas-sionnées Oh je suis tout à vous Que me

faut-il faire?. Ditesun mot. Les autres, s'ils

s'avisaient de venir à présent, c'est eux que je

tuerais. Il n'y a plus que vous Toi seul Tu

es bon Oh que tu es bon Tout à l'heure tu me

parlais comme personne ne m'a jamais parlé.Les autres voix mentent, elles sont pleines de

coups, de brûlures et de poison. Maisla tienne

Qu'y avez-vous mis pour qu'elle chante et me

chatouille ainsi ? Il y a donc moyen d'être, bon à

cepoint Vousêtesla forceet la douceur réunies.

Tout ce qu'il faut admirer, tout ce que j'aime en-

core, le premier à qui je me donne corps et âme,tout entier, tout à fait 1. 0 toi ?

Le pauvre être s'exaltait et pantelait au point

que Léonce,un peu eSrayé par cesexplosives cau-

sions, s'efforçait de le calmer, de le rassurer,d'étancher cette hémorragie d'amour

K Ah,songeait-il,misérablehumanité! Ol'inique

justice Société,ce quetu gagneraisde tes enfants

si tu t'ingéniais à semer et à cultiver les fleurs

Page 362: Eekhoud Mes Communions

UNEMAUVAtSERENCOt~E ?9

sublimes de leur coeur Mais non, tu les me-

naces dès le berceau tu prêches l'inégalité, l'ex-

ploitation, l'égo!sme, tu sépares les haillons de la

soie et des dentelles, tu crées t'envie d'une partde l'autre le mépris, alors que ce gueux et ce riche

étaient faits pour s'aimer Viens, dit-il, en en"

laçant fraternellement le cou du jeune vagabond,

ne pleure plus, soyons heureux, cette nuit est

bonne à nos âmes Nous devions nous rencon-

trer. Sur le point de mourir on a des désirs quele destin n'a plus la force de nous refuser Et

c'est toi que j'appelais. Pauvre paria, je fus peut-être plus malheureux que toi. Toutes les mi-

sères, tous les deuils me sont connus Tu en

as subi les effets, mais moi j'en ai sondé les

causes {.Crois-moi, les réfractaires, les révoltés

ont raison Le voleur a raison. Ils ont raison

les assassins Mais il s'agirait de voler et de tuer

encore plus à propos et pour de bon, pour en

finir, ens'attaquant aux Chefs des riches Voilà

déjà que je te parle de tneurtre et tu viens à peine

de laisser choir ton couteau. Tu crois enfin à

l'amour et je ravivais tes haines Oh non, corn*

prends-moi bien, mon doux enfant. C'est la so*

ciété empoisonneuse et avorteuse, cette société

d'affameurs qu'il nous faut saigner !< C'est à tout

Page 363: Eekhoud Mes Communions

360 MEaCOMMUtUONS

un monde de banquiers et de vendeurs que l'hu-

manité insurgée doit faire rendre gorge. Mais

cela sans haine, mais cela par amour pour les en-

fants à naître, par pitié pour les pauvres gens

comme toi, par pitié surtout pour les riches, ces

riches sans bonté, sans amour, mais cela pour

qu'il n'y ait plus de beaux adolescents enivrés de

là vie, forcés de tendre des guet-apens aux pas-

sants mêmes qui devraient les aimer, à leurs

frères d'élection, à leurs âmes complémentaires,mais cela pour qu'il n'y ait plus de bour~

reaux plus tristes, plus bourrelés que leurs vic-

times. 0 mon doux enfant, mon adorable meur-

trier »

Il lui parla longtemps encore sur ce ton apitoyé

et magistral, lui disant des choses de plus en plus.

hors de ce siècle, peut-être hors de tous âges,

exprimant pour la première fois des idées qu'ilavait ruminées longtemps, longtemps, mais qu'il

n'avait jamais exprimées, qu'il n'avait pas même

bien vues auparavant et qui éclosaient, s'épanouis-

saient, fleurs idéales d'espérance et de foi, à la

chaleur d'amour que l'étrange conjonction de cette

nuit engendrait en son être 1

Ils s'étaient assis sur un tas de planches, dans

un hangar de scierie à vapeur où le jeune vaga.

Page 364: Eekhoud Mes Communions

ONEMANVAtSEBNNCONTRE 3M

bond avait nuité bien souvent. L'enfant buvait

les paroles du gentilhomme, ces paroles a la fois

incendiaires et bénignes, si pleines de tendresse

et par moments si déchirantes, parcequecelui quiles prononçait ne croyait pas encore possiblel'ère de la bonté, l'avènement du royaume des

oieux.

Lorsque Mauxgavrescessait de parler, le petitscrutait au fond des prunelles de son ami les

nuances d'émotion et de ferveur que ne parve-naient pas à rendre les inflexionspourtant si mu-

'sicales de la voix il yavait des phrasesqui s'ache-

vaient en,un humide regard de communion in-

tense, et Léonce finit par ne plus devoir parler,tant son disciple lisait, devinait, respirait son

âme.

Un prestige somnambuliqueles isolait de toutes

profanes contingences. Ils s'éternisaient, rappro-

chés, douillets, frileux comme deux oisillons de

la même nichée, n'ayant plus ni l'un ni l'autre

besoin de sommeil, de pain, d'autre part, d'autre

chose, oubliant ce qu'ils avaient été l'un et l'autre

jusqu'à ce jour, parmi les hommes.

Devant eux, au delà d'un boulevard extérieur,

s'accusaient à présent des bâtiments dont les té-

nèbres ne leur avaient montré que d~immenses

Page 365: Eekhoud Mes Communions

?8 MES COMMUONS

blocs do maçonnerie, un entrepôt, une caserne,un hôtel des douanes, un hôpital, une prison. Les

réverbères polissaienttia-bas dans un petit jour

blafard et mat.débarbouillé et leurs reflets plusvacillants encore agonisaient dans la nappeglau-

que d'un bassin de commerce. La bruine cohti*

nuantàtomber, cette pièced'eau stagnantefaisait

songer à une large lame d'acier et ces reflets de

gaz à des piqûres de rouille ou à des éolaboussures

de sang.

Léonce fut frappé par l'expression plus aiguë,

plus lancinante, plus exclusive encore que revê-

tait dans cette aube hargneuse la toute confiante

et idolâtre figure du petit voyou ce visage un

peu flétri, cette bouche frémissante, ces grands

yeux de communiant et de néophyte. Il remarqua

que sa chemise, très échancrée à l'encolure, accu-

sait encore la maigreur chimérique et pitoyablede la gorgé dont une cravate rougenégligemmentnouée à la colin aggravait et cadavérisait, pourainsi dire, la peau livide et maladive, l'épidermede fleur froissée avant son plein épanouissement.

Et cette ligne rouge sur ce cou de nerveux

éphèbe irritant Léonce jusqu'à la crispation, il

allait même doucement lui enlever cette cravate

d'ailleurs dérisoire, lorsque des pas approchèrent,

Page 366: Eekhoud Mes Communions

UNS MACVAtSE~ENCON'H~ 369

et, Migineuses dansie brouiHard, les silhouettes

dû cinq policiers passèrent devant eux sans s'arrê.

ter, Moles voyant pas ou faisant semblant de ne

pas' les voir. Mais quandla' patrouille s'étant etoi-

gnéo, Léoncereporta ses regards vers son compa-

gnon, cehu-oi avait disparu. Sans doute repris de

justice, recherché par les argousins, s'était-it

ëciipsé autant pour ne point tomber entre leurs

mains que pour ne pas compromettre l'original

qu'ils auraient pincé en sa compagnie. Léonce

se leva et se mit à chercherle fugitif dans !osre-

coinsde la scierie, derrière tous les tas de plan-ches et de poutres. Il ne découvritpas la moindre

trace de son compagnon il l'appela, rien no ré.

pondit il battit les rués voisines, revint sur ses

pas, attendit le tout en vain. Enfin, force lui fut

de quitter à son tour ces parages incompatibles,surtout qu'il allait faire grand jour, et que cemon-

sieur à accoutrement mondain, mais chiffonné et

transi, eût pu diuicilement légitimer sa présence,en ce chantier, aux ouvriers qui venaient y re-

prendre leur travail. Peut-être que tout cela

n'étatt-il qu'un rêve, une hallucination prolongéerésultant d'un excès de boisson et d'une'surexci-

tation de nerfs? Aussi dépaysé, aussi vieilli

qu'après un îông voyage et après une révolution

Page 367: Eekhoud Mes Communions

364 !MEacoMMCtnona

dimatérique, H se résigna à gagner son hj&tel,

où, peine couchasur son lit, il dormit quarante*

huit heures d'un somnteilléthargique.A son revoit, iÏ n<se rappela déjà plus tout ce.

qui s'était passé durant cette nuit insolite. Très

intrigué, lorsqu'il tenta plusieurs soirs de suite de

retrouver la chaussée borgne et la salle de danse

où il avait accroché cet inavouable ami, il ne put

y parvenir. Il s'ingéniait vainement aussi a démê-

ler dans les visages des habitués de ces barrières

quelquestraits deressemblanceavecl'un ou l'autre

copaindu mytérieuxpolisson,qui eût pu le mettre

sur sa piste. Lorsque, vêtu le plus négligemmentdu monde, il les abordait pour leur faire une des-

cription du personnageet leur conterdans quellescirconstances HPavait rencontré, ceuxqu'il inter-

rogeait ainsi, ne saohant pas ce qu'il voulait dire,

croyaient avoir affaireà un toqué ou à un fumiste.

Peu s'en fallût même qu'ils le prissent pour un

mouchard et lui fissent subir le traitement qui lui

avait été épargné l'autre fois.

A la longue, plusieurs épisodes de la soirée

s'eSàcèrent complètementde sa mémoire ou ces-

sèrent de s'enchaîner. Il y eut mêmedes moments

où l'image de son éphémèrecamarade se brouil-

lait et se dérobait à ses évocationsnostalgiques.

Page 368: Eekhoud Mes Communions

Ct<E MA~VAtSE RENCONTRE SfS

Ainsi, des tbis, il ne retrouvait que ses yeux;d~utros fois, il n'était plus hanté que par ses lè-

vres, puis, tout ce qu'il parvenait &s'en rappelerétait un geste, une attitude, ;un son de voix. Ce

qu'il savait, c'est que jamais il ne s'était senti en

siparfaite

communionqu'avec le jeune ilote ren-

contrécettenuit derévetHoncanailleet quejamaistout ce qu'ilsécrétait demagnanime et d'équitablene s'était épanchéen fontainesplus idéales et plussublimes. Et c'est même dans la remembranco

de ces heures mémorableset de cette divine con-

jonction, dans Fespoir de retrouver un jour le

seul partenaire de sa vie morale, son premier et

absolu confident, qu'il puisa la forcede survivreen attendant cette Terre Promise dont il lui avait

tant parlé, mais où l'on n'arriverait, hélas, qu'a-

près avoir traversé une large, une houleuse. mer

Rouge.En attendant, il vivait seul, à l'écart d'un

monde qui lui était devenu odieux, voyageant,mettant secrètement sa fortune au service des

apôtres de la Foi Nouvelle.

Environ un an après cette nuit pathétique, il

débarquait à Paris, irrésistiblement assigné parles récits d'un attentat que venait de commettre

un jeuue anarchiste belge. Cet exatté avait lancé

Page 369: Eekhoud Mes Communions

MEasOMMONMNaJ866

une bombe de dynamite au milieu d uneréunion

d'administrateurt}et d'actionnaires do là Compa-

gnie des charbonnages~deQualitin trois desban-

quiers avaient été tues par. ce grisou artin-

ciel.

D'après les gazettes, le coupable, encore un

enfant, nommé Daniel Thévenot et surnommé

l'Éperlan, avait fait autrefois partie d'une bande

de détrousseurs et de précocesassassins, infestant

la banlieue de Bruxelles. Toutefois,il résulta des

débats qu'avant cet attentat à la dynamite Thé-

venot n'avait jamais commisde meurtre.

A la nouvelle de l'explosion, des corrélations

occultes, de curieux pressentiments piquèrent la

sollicitude de Mauxgavres. L'âge du jeune anar-

chiste, la description que les journaux faisaient

du personnage, et même les méchants portraits

ajoutés au texte, répondaient aux souvenirsqu'ilconservait;du gamin rencontré dans la salle de

danse.

Etant arrivé trop tard à Paris pour assister.aux

débats qui furent accélérés aRnde « faire un

exemple », Léonce intrigua de toutes manières

pour arriver jusqu'au condamné à mort, mais les

ordres étaient formels partout il fut écon-

duit.

Page 370: Eekhoud Mes Communions

UNEMAOYA!8EaENCON'tM as?

II traîna des journées purgatorialos, angoissé,

no tenant plus en place, averti par de télépa-

thiques serrements de cœur.Une nuit qu'il soupaitou plutôt qu'il faisait semblant de souper dans un

restaurant àla modefréquentépar les journalistes,il apprit que l'exécution de Thévenot aurait lieu

au point du jour. Une actrice, lancée dans le

monde diplomatique,se vantait de posséder une

place pour ce spectacle, sous la formed'un permisde circulationémanant de la préfecture de police.Par l'entremise du maître d'hôtel, Mauxgavres

négocia l'achat de ce précieux permis qui finit parlui être abandonné moyennant un beau billet de

mille francs.

Quoiqu'il eût toujours éprouvé une horreur

sans bornes pour les exécutionscapitales et flétri

la badauderie sadique qu'elles affriolent de leur

rouge aphrodisiaque,cette foisLéoncesesentit im-

périeusement conjuré vers la place delaRoquetteParvenu à se faufiler avecquelques rares « pri-

vilégiés » entre les gardes républicaines et les

marches de l'échafaud, Mauxgavresétait résolu

d'empêcher par un éclat, au risque d'être tué lui-

même, la consommationde cet assassinat juri-

dique, la guillotinade d'un enfant! Il assista aux

préparatifs en réprimant àgrand'peine la tenta-

Page 371: Eekhoud Mes Communions

ME8COMMCMON83N(

tation de mettre en pièces toute cotte~nj~me me-

nuiserie.

Mais la porte de la prison s'ouvrait et dans le

crépuscule humide et malsain, dans cette aube

sanguinolente, exactement pareille a celle de leur

première rencontre, Léonce reconnut son disciple,son ami, son essentielle créature. h

La corde qui lui liait les poings sur le dos et

lui rejoignait les chevilles des pieds était trop

tendue, de sorte qu'il ne pouvait avancer que très

lentement, le torse ~échi en arriére, les épaules

effacées, la tête haute. De la chemise échaniorée

jusqu'aux épaules par les ciseaux de l'exécuteur,le col jaillissait plus blanc, plus svelte encore quel'autre fois, et ce col n'était pas encore cravaté dé

rouge.

En apercevant Mauxgavres, le visage déjà mar-

moréen de Daniel s'illumina, se rosit d'émotion,d'un orgueil candide, ses yeux enthousiastes et

fervents semblant dire à l'initiateur KEs-tu con-

tent de ton Couvre?

Cette expression de félicité et de triomphe dé-

chira le prince au lieu de le consoler. II se rap-

pelait la douceur morbide de leur entretien, les

présages de la séparation exacerbant le mariagede leurs effluves, leur jalouse étreinte, leurcom-

Page 372: Eekhoud Mes Communions

UNEMAUVAMERENCtHtTTH! 369

munion absoluedans la nuit faubourienne et cet

enfant jusqu'alors sevré de tout amour, altéré de

justice, humant ses paroles passionnées pour s'en

faireune ïoi a Chirurgien sanshaine, en saignant

!a sociétéil hâterait le règnedes débonnaires pro<mis dans les Béatitudes Hfallait tuer par amour

pour les enfants a naitre, même par pitié pour les

mauvaisriches! a

C'était l'eNet de ses paroles d'autrefois que le

prince lisait dans les grands yeux de l'adolescent,mais à cette exaltation de martyr et d'illuminé se

mêlait une ombre de reproche, très doux, oh si

caressant au maitre qui lui survivrait aprèsl'avoir poussé vers l'échafaud. « Pourquoi, disait

encore à Léonce ce' regard loyal'et idolâtre, te

retrancher loin de moi parmi ces spectateurs pas-sifs et lâches, dont aucun ne verserait une goutte

de sang pour me sauver la vie ? Ta place n'est-

elle pas ici, auprès de moi, pour me montrer le

chemin jusqu'au bout? Et nos bouches aposto-

liques ne se donneront-elles pas dans le pressoirdes rouges vendangeshumaines, le dernier baiser

avant l'éternité ?

S'apercevant de l'extase sublime du condamné,

les exécuteurs l'emportent brutalement pour lui

faire gravir les marches.

Page 373: Eekhoud Mes Communions

?? M~8COMMCMON8

Le prince séance &leur suite en criant « Ar-

rêtez! La véritaMetête, la tête qu'M vous faut

c'esHanMenne!a a t

Déjà t'ëolair bleu e~ rougea seMuôla place et,

foudroyépar la mort de DanielThévenot,le prince

deMauxgàvres expirait devant les tronçons du

martyr.

Page 374: Eekhoud Mes Communions

US SUBMMEESCARPE

MêmeptM qu'ettet et mteax qa'eUes heMïqnes,Btes M parent de<p!en<teMndâme et de Mt~TeMesqu'au pdx d'ette~ les amonm dans le rangNesont qae Ris et Jea< on besoins érotiques.

PAUL VEBLAtNE.

1

Un des plus laborieux psychiatres italiens me

raconta récemment une <t observation bien

troublante qu'il se propose de consigner dans un

de ces gros livres documentés qui s'adressent aux

médecins et aux hommes de loi.

Peut-être ne relatera-t-il point cette aventure

avec la sympathie ou tout au moins l'extrême im-

partialité dont il fit preuve dans notre conversa-

tion et réduira-t-iï son récit à une neutre étude

pathologique. Estimant que cette histoire intérêt

Page 375: Eekhoud Mes Communions

SM MESCOMMCNMMtS

serait d'autres esprits que les théoriciens des aca-

démies et des revues spéciales j'ai essayé d'en

dégager un enseignement plus moral, dans la

haute acception du mo~,et d'en donner une ver-

sion en harmonie avec les impressions qu'elle m'a

baissées.

Il y a quelque vingt ans l'avocat Teodato Zam-

belli, qui fut membre du Parlement italien et une.

des sommités du barreau turinois, tomba brtfs-

quement d'une haute situation politique et sociale

dans une sorte de disgrâce et d'oubli.

Comme tous les hommes de caractère libre,

Zambelli avait excité des envies souvent dissimu-

lées sous le masque de l'adulation et de l'amitié.

Il manquait de cette astuce, appelée entregent,

qui impose la supériorité et qui mate la canaille.

La foule humiliée par la valeur native d'un indi- s

vidu qui ne puisait qu'en lui-même sa force vitale

et sa règle de conscience, le guettait à son pré-mier faux pas ou du moins à sa première infrac-

tion aux règles promulguées par la multitude.

En attendant, un sourd travail de démolition

s'accomplissait dans son entourage. Sa bonté–

cette tare aidait les malveillants.

Une circonstance accéléra le déchainement des

abois publics. L'avocat acquit la preuve qu'un de

Page 376: Eekhoud Mes Communions

ï~ 8UBHME ESCAM'E a~a

ses amis, cent fois son obligé et son débiteur, se

répandait en insinuations sur sa probité et sa

droiture ou consentait traîtreusement par son

silence a des propos diffamants.

Cédant à un mouvement de rage justiSé par

l'étendue de lafélonie dont il était victime, Zam-

belli se mit à la recherche du coupable et, en

pleine rue, il n'hésita pas à se faire justice en lui

brûlant la cervelle. Cette exécution causa un im-

mense scandale. Le tribunal acquitta le meurtrier

mais l'opinion le jugea sévèrement.

Ce qui eût représenté une action fort plausibleavant le régime à la fois jacobin et protestant éta-

bli aujoùrd'hui. dans presque tout l'univers civi-

lisé, souleva contre il signer Zambelli une répro-bation impitoyable. Et quoique cette hostilité fût

plutôt latente que déclarée, plutôt ingénieuse et

hypocrite que directement offensive, la pressionen fut telle qu'il se vit forcé de se démettre de son

mandat de représentant du peuple. Levox populine parvint pas à le faire rayer du tableau de l'or-

dre des avocats, mais une grande partie de sa

clientèle se fondit et il fut pour ainsi dire mis en

quarantaine par les industriels peu scrupuleux et

lesnnanciers borgnes qu'il avait arrachés plusd'une fois à la prison.

Page 377: Eekhoud Mes Communions

MES COMMHJNMN8aM

C'est qu'après un siècle d'endoctrinement et de

nivelagé la masse d'aujourd'hui redoute -les

grands gestes et les mouvementspersonnels. Usezdo duplicité, de oautèle, de fourberie commeavait

fait le misérable occis par Teodato, et les pleutres

composant la majorité de l'espèce ne trouveront

rien a y reprendre au contraire, ils approuveront

et battront des mains, mais avisez-vous de frapper

loyalement et en face, d'écraser une bonne fois

une de ces bêtes venimeuses et la multitude se

sentira atteinte en la charogne de ce drôle, et c'est

sur vous qu'elle criera haro ou c'est vous qu'elle

évitera comme un chien enragé. L'admiration de

labadauderie contemporaine ira toujours aux his-

trions, aux camelots et aux politiques de tout

étage. Malheur à qui refuse de jouer un rôle.

Les premiers jours ce « lâchage » ne laissa pas

de surprendre, même d'aiBiger Teodato, surtout

qu'il se sentait désavoué par nombre de ceux-là

mêmes qu'il considérait comme une élite. Toute-

fois, loin de tenter de convertir à sa façon d'en-

tendre le devoir, la justice et la morale ceux qui

lui battaient froid ou lui témoignaient une sage

commisération, aussitôt qu'il se fut aperçu de leur

pleutrerie il enchérit encore sur leur réserver et

sur leur froideur. Il finit par rompre avec lajplu~

Page 378: Eekhoud Mes Communions

M 8U9MME EaOAM'E 375

part des « confrères a ah, le mot prostitué

qu'il avaithonorés de son estime et de sa solida-

rité.

Assezriche pour vivre indépendant il se retira

d'un mondequ'il n'avait cru queconventionnelet

routinier et qu'il savait, à présent, déloyal et

couard, pour se retrancher dans l'étude et la

méditation.

A ce moment de sa vie Zambellin'atteignait

pas encore la quarantaine. Il était célibataire et

sans famille. Nature très affectueuse, mais très

jalouse aussi de son choix et de son arbitre senti.

mentais, nature essentiellement mâle portée vers

les dévouements et les communions d'homme à

homme plutôt que vers la galanterie et l'idyllisme

juponiers, répugnant encore plus aux galvaudes

exotiquesavec les courtisanes sordides et lescabo-

tines outrageusement niaises et méchantes d'au-

jourd'hui, Zambellin'avait pas encore rencontré

l'être auquel il vouerait cette affectionplénière,résumant et sommant toutes les autres, et queseuls quelquestempéraments d'exceptionsont en-

core capablesd'éprouver.A la suite de Fesclandre qui le bannissait de la

société dirigeante augmentèrent ses inclinations

vers de prétendues forfaitures. L'isolement entre-

Page 379: Eekhoud Mes Communions

MESCOMtMMONS37@

tint et invétéra son besoin d'expansion au delà

des soi-disantbienséances. Les germes de sub-

version qui couvaient en son orageuse personnene tardèrent pas à fermenter.

Excédé delavueamsi que du fastidieux com-

merce de ses compagnons d'autrefois, Zambelli

s'exilait ou, au contraire, se rapatriait dans los

faubourgs-etles quartiers excentriques de Turin,

H leur trouvait un indicible fumet de proscriptionet de déchéance. Le délabrement des logis et le

débraillédes costumes semblaient un ironique défi

adressé à l'ajustement et à la décencedes riches.

Parfois la nature se mettait de la partie et in*

tensifiait l'aspect boudeur et interlope de la ban-

lieue. Au sortir de la ville, le Pô charriait des

ondes polluées; les bâtisses prolétaires s'embru-

maient d~exhalaisonsâcres et blafardes. Les ter-

rains devenaient vaguescommeles âmes. L'indi-

gence coudoyait le crime et finissait par frater-

niser avec lui. Puis, les routes banales s'allon-

geaientdésertes et méditativeset commeconjura-trices deprocessionnaires, de grévistes, de vaga-bonds et d'insurgés. Et ses rencontres furtives

avec l'un où l'autre beau paria alimentaient de

longs jours de rêverie durant lesquels, aux déga-

gements d'une extrême chaleur affective, sepro-

Page 380: Eekhoud Mes Communions

M 8CBUMBESCARPE Sn

duisait commela transmutationdufaroucheloque-teux entrevu dans un bougeou sur la berge d'un

canal, en. un être de lumière, de caresse et de

sacrifice.

II.

Unjour qu'il se trouvait dans ces dispositionsincantatoires quelqu'un sonna à la porte du petithôtel queZambeIIihabitaitprès dela placeCarlino.

Celui à qui l'avocat ouvrit lui-même, car il

était presque toujours seul, était un inconnu, un

guenilleuxparaissant âgé tout au plus de dix-septà dix-huit ans. Aulieu de le rabrouer et de lui

jeter la porte au visage, comme,dégoûtéjusqu'au

scandale, un autre bourgeois n'eût manqué de le

faire, l'avocat ne se contenta pas de lui remettre

une pièceblanche, mais l'invita à le suivre dans

son antichambre.

L'intrus représentait un garçon membru et

bien découplé,au torse puissant, aux jambes lon-

gues mais musclées, à qui devaient être familiers

ces attitudes recueillies ou ces gestes turbulents

que Michel-Ange attribue aux vingt sublimes

adolescents dont il enrichit le plafond de la Six-

tine un beau garçon, au menton volontaire, aux

Page 381: Eekhoud Mes Communions

MESeoMMcmoNSS!8

yeux noirs comme l'eau des puits très profonds,aux lèvres friandes mais vaguement désenchan-

tées, aunezd'une ligne qui eût été un peu sévère

sans l'évasemont sensuel, la mobilité et l'imper-

oeptiMeretroussisdes marines, irritants de polis-sonnerie et aggravant le trouble du regard et

l'énigme du sourire. Un feutre bossué, à bords

courts, rejeté en arrière comme une façon de ca-

basset amputé do ses ailes, encadrait un visageovaledont le ton bronzé s'harmonisait avec la

teinte roussie de la coiffure,et laissait folâtrer,

sur le front et par-dessus les oreilles menues, do

rebelles frisonsplus noirs encore que ses yeux et

qu'un pinceau de moustache naissante.

Il allait pieds nus sa méchanteculotte effran-

gée, déchirée aux genoux et aux cuisses, d'un

ton aussi vague que celui du feutre, lui tombait à

peine jusqu'aux mollets. Une courte et ample va-

rèuse de velours marron non moinspoudreuse et

élimée que le reste, fendue aux coudes, toujours

ouverte, découvrait sa chemise de toile écrue et

une écharpe rouge signait ses reins de lutteur.

Teodato contemplait ce visiteur avec une joied'artiste à laquelle s'ajoutait un vague émerveille-

ment depèlerin exaucé.

T'as le moinsdu mondedéconcerté,n'ayant pas

Page 382: Eekhoud Mes Communions

L~SOBHME KSJCARPE 3T9

mêmeôté sonfeutre,!o va-nu~pieds supportaitcet examen, en modèle oonn'onté avec un opn-

naisseur digne de lui et couvait silencieusement

tesignore, de ses yeux à la fois langoureux et

incendiaires.

Où diable ai-je rencontré ce jeune gars!1

s'interrogeait Teodato. Mais j'y suis. Bis moi,

petit, n~étais-tupas plongeur aux bains de San-

Donato dans le Pô ? n

–St, Sïgnoye/ répondit le gamin. Votre sei-

gneurie m'a même remis un jour un cauouWMO

de pourboire. Ce qu'ils venaient à propos ces deux

francs Je m'appelle Papurello, ou Papo, ou Rel- .{

lino il Bagnaiuolo, Papo le plongeur, à votre cho.x

Et il se découvrit, gaillard, saluant du chapeau.La conversation prit tout de suite un tour fa- g

milier et sincère. Entre ces deux êtres, l'un bien

mis et façonné, l'autre fruste et loqueteux, s'établit

un courant de confiance définitive. J

Et tu n'es plus garçon-baigneur ?

Non, le bain est fermé. Depuis un an le pa-tron a fait faillite.

Et, en attendant, tu mendies ?

Le gars répondit par un sourire dont l'effron-

terie se mitigeait d'une certaine morbidesse.

Zambelli se sentait étrangement sollicité par

Page 383: Eekhoud Mes Communions

MES COMMOtMONS880

?0jeune insoumis.Il eût voulule retenir là, devant

lui, des heures, mais il ne trouvait plusde parolesà lui dire, ou mieux,,il ne serait point parvenu à

lui exprimer tout ce qu'il sentait; c'est à peine si

ZambeMise rendait compte du bouleversement

qui s'opérait en lui-même. Il se rappelait, à pré-

sent, les' moindres détails de sa première ren-

contre avec ce Papurello. Il y avait déjà deux ans

décela. Zambellile revit, dans sa nudité d'éphébe,encore vaguementgracile, mais aux proportionsharmonieusement tracées, tirant sa coupe ou

s'arrêtant pour batifoler à fleur d'eau et s'entourer

d'un remous commeun triton de belle humour.

Par moments, mutin et goguelu,la mine d'un es-

piègle faune de Jordaens, il se mettait à jouerau

cheval fondu, en sautant par dessus une vessie

natatoire. Zambelli se régalait le souvenir do la

gaucherie lascive et tortillée accompagnant les

efforts d'équilibre du môme, surtout que cette

pantomimese passait au coucherdu soleil,dans la

pourprefluided'un paysageà laClaudeLorrain.

En constatant que le folâtreet insinuant gamin

d'alors avait encore changé à son avantage,

Zambelli ressentit un courant alternativement

brûlant et glacial lui passer do la nuque aux cn-

traillcs, en même temps que son cœur s'était

Page 384: Eekhoud Mes Communions

MSUBUMEES&MtPE 38i

douloureusementcrispe pourse dilater sucement

l'instantd'après.il se trouva désormaisrivé au s~rt !de cet ilote

conventionnellement plus loin d'Mnhomme do sa< ~r

caste que celui-ci l'eût été un ~hien ou d'un

autre animal favori. Cet apparent intrus s'avérait

l'annonciateur, le messie do sa vie neuve

Ecoute-moi,petit lui dit-il, non sans s'y

reprendre à plusieurs fois, haletant. Ecoute-moi

bien!

Il le faisait asseoiret lui pressait les mains qu'ilne lâchaplus tout le temps qu'il lui parla

Je te veux du bien; ta mine me plait sur-

tout parce que je devine du caractère et de la

bontéderrière cette radieuse physionomie.Ta pré-sence m'est indispensable. Rien ne me détachera

de toi. A partir d'aujourd'hui tu ne mendieras

plus. Viens, chaque semaine, mevoir ici, en ami,

en égal, en. (Il n'osa pas articuler le mot juste

qui lui brûlait la gorge.) Tu me raconteras tout ce

que tu fais et tout ce que tu penses, veux-tu Tu

te diras, d'ailleurs tu t'en aperçois déjà, que jesuis quelqu'un qui t'aime le plus au monde.

celui qui t'adore pour toi-même, pour ce que tu es

et comme tu demeureras éternellement à mes

yeux. et, tu me rendras un peu de cette infinie

Page 385: Eekhoud Mes Communions

N~8COMMCNMNS388

tendresse,je le d<vine,je l'ai lu déjà dans le ve-

lours et le cristal do tes ohers regards. Pour

commencer,dï~'moi ta vie jusqu'à présent.

Séduit, de sô~ côté, par la voixmusicale,le ton

ému, et aussi Ie&yé~x magnétiques de Teodato,

Papurello se prêta de la meilleure grâce à ce que

sonprotecteur attendait de lui.

Il vivaitou plutôt il logeait avecsa mère et une

potée de frères et sœurs dans un taudis de la bar-rière de Lanzo. Jadis, son père, un vetturale ou

roulier, toujours ivre, dirigeait le ménage à coupsdefouet.Cette brute étant morte,il y a quatre ans,

en dégringolant de son siège sous les roues du

camion, le jeune Rellino hérita de ses charges

d'âmes. Laveuvedu vetturale se consolasi bien

qu'elle ne tarda pas à augmenter cet héritage en

donnant à Papurello un frère et une sœur de

contrebande. Bonneâme et, surtout, très tolérant

à l'endroit des contacts charnels, le Bagnaïuolo

n'avait pas réclamé à la naissance du premier de

ces bâtards, mais à l'arrivée d'un nouvelintrus, il

signifia à sa mère que, si elle accouchaitune troi-

sième jEois,il la planterait là et ne travaillerait

plus que pour les petiots, car, à bon droit, il esti-

mait suflisantesa part de buuchesà nourrir.

A quoi bpn engendrer tant de souffre-dou-

Page 386: Eekhoud Mes Communions

L6 8CBUME KSCARPË ?3

leurs ? Pourquoi ne pas laisser toutes ces petites

âmes blanches dans tes limbes du sommeil, de

l'oubli, du néant? Si le miséreux no se posait pas

directement ces points d'interrogation, du moins

une voix mystérieuse lui révélait-eUel'inanité et

la folie des procréations do faméliques.Il ne <t'ai?stMeraï<plus, avait donc déclaré le'

gamin de quinzeans à cette mère trop dissolue et

surtout trop prolifique. Elle se le tint pour dit.

Avec la meilleure volonté il eût, d'ailleurs, été

impossibleau Papo de rapporter assez de pécune

pour élever un môme de.plus. Son frère Riffato,

âgé de douze ans, commençait à l'aider un peu en

faisant le bateleur sur les placespubliques et de-

vant les terrasses des cafés. Papurello était sur-

tout sensible à la bonne volonté et au précoceins'

tinct de solidarité do son /ra~eHMto.A deux, ils se

flattaient bien de conduire leurs cadets jusqu'à

l'âge où lesvrais garçons s'affranchissentde leurs

nourriciers

Quelmétier faisait doncPapurello?Lui-mêmeeût été très embarrassé de le dire au

juste. Jamais il n-avait été à l'école et s'était re-

MNê contre tout apprentissage. Journalier, ma-

nc&uvre,il ne restait guère plus d'une saison chez

le même patron lorsqu'il ne trouvait pas à louer

Page 387: Eekhoud Mes Communions

ME8COMW!NMN8?4

ses bras il cirait les bottes des élégants sur la

place Solferino il aboyait des journaux et des

programmes, débitait d!esoranges et des caramels

à la porte du théâtre Carignan, ou, quand la faim

le pressait et qu'il fallait coûte que coûte rappor-

ter du pain au logis, il se résignait et cela de

plus en plus facilement à aller dénicher des oi-

seaux, voler des œuts et même des poules dans la

campagne, ou bien'il coupait de jeunes arbres

qu'il vendait aux lavandiers, qui les convertis-

saient en perches à étendre le linge.

Depuis qu'il avait quitté le bain de San-Donato

il puisait même dans la mendicité et le vol le plus

gros de ses ressources. 1/hiver il exploitait les

flâneurs qui se pressent dans les galeries Notta et

Subalpina l'été il soulageait de leur porte-mon-naie les badauds aux foires de Lomellina et de

Montferrat.

Papurellb confessait ces écarts avec une 'har-

diesse charmante et une belle 'humeur d'aventure

tout à fait savoureuse,avec des mots pleins d'a-

rome, faisant tous image et d'une voix tremblée

et métallique,, aux flexions extrêmement insi-

dieuses, il s'épanchait ingénument auprès de son

grand ami -'car c'est ainsi qu'il appela d'emblée

son protecteur sans nourrir un seul instant la

Page 388: Eekhoud Mes Communions

LE8UBUMEESCARPE 385,

crainte qu'il pût avoir affaire à un mouchard, à

uncofdmo.

A mesure que le petit gueux se déboutonnait,

l'avooat lisait encore entre ou mieux sous ses

paroles-pourtant si suggestives, et il se représen-

tait les scènes, les personnages, les lieux mêlés à

la vie du plongeur.Teodato devint de plus en plus épris de cette

jolie fleur des bas-fonds turinois.

Ostensiblement et par les dehors, Papurelloétait le petit commissionnaire,le /acc/nneHo de

l'avocat Zambelli.Ala vérité certaine pudeur, non

point cette lâcheté de tempérament et ce servilë

respect humain, mais la pudeur jalouse qui carac-

térise les profondesamours et les passions'illimi-

tées, le besoin de ne vivre l'un que pour l'autre

en s'abstrayant du reste du monde eût empêché

Teodato d'avouer à qui que ce fût le rôle prépon-dérant que ce merveilleux adolescent jouait dans

son existence.

III

D'abord l'avocat avait songé à prendre le petitrôdeur chez lui. Ht'aurait instruit et éduqué atin

de lui procurer plus tard un emploi et ce qu'on

Page 389: Eekhoud Mes Communions

MES COMMCNtOttS386

appelle une situation sociale. Maisle sauvage ne

voulut pas entendre parler de cet apprivoisement,de cette domestication~ Au premier mot que lui

en toucha son grand ami il montra une mine si

penaude et si désolée que Teodato n'insista plus.

Flâneur, irrégulier, trôleur et musard invétéré,

baguenaudier endurci, toute l'humeur buisson-

nière du fauve, Il Papo entendait toujours buti-

ner sa vie au jour le jour, par les routes, au

grand air, sans contrainte. Ce genre de vie faisait

précisément sa beauté, sa raison d'être. C'est

sous ce jour crépusculaire et électrique qu'il plai-

sait à Zambelli. Il eût perdu son galbe et subi une

sorte de déchéance en cessant de vagabonder et

de courir la prétentaine, de piller les vergers et

les basses-cours.

Et, en réfléchissant, Zambelli'finit par se réjouirde son irréductible esprit réfractaire. Eduquer et

policer Papurello, n'eût-ce pas été enrichir le

monde trop monotone d'un nouveau bourgeois

pratique et conformiste? A quoi, somme toute.

tendrait cette mirifique instruction ? Et serait-ce

réellement élever le petit frelampier, lui rendre

service que de l'introduire dans cette caste de

veules grimaciers dont lui-même, Teodato, s'était

volontairement proscrit Ah, non Papurello

Page 390: Eekhoud Mes Communions

LE 8CBMME BSCABpts ?1

ferait mieux de préserver ses mœurs rousses et

oapricantes!1.

C'eut été profaner et édulcorer cet acre polis-son que de le convertir en un ouvrier servile ou

en un petit employé rassis, en un quelconque de

ces aussi abjectes qu'industrieuses honnêtes gens,

auxquelles notre planète doit t'écœurante banalité

de son actuelle surface.

Pour tout dire, peut-être entrait-il un certain

égoîsme spécial dans l'empressement avec lequelZambelli renonça à ses projets d'éducateur.

N'était-ce pas l'essence particulière du jeune fau-

bourien, sa condition d'indigent et de réfractaire

qui flattait le goût esthétique du lettré ? Peut-être

Zambelli savait-il précisément gré au Bagnaîuolo

de sa personne fruste, et de ses décoratives gue-

nilles, et des anguleuses habitudes de son corps

indompté ? Peut-être était-il précisément jalouxde tout ce qui trahissait, chez le petiot, le fou-

gueux état de nature ?

Depuis longtemps les allures insubordonnées

des voyous de grandes villes l'avaient requis et

bizarrement grisé.Il se rappelait une passée sous ses fenêtres de

quatre drôles dégingandés, braillant, se trémous-

sant, laissant errer des mains de dotériorateur le

Page 391: Eekhoud Mes Communions

aaa MRSCOMMUIONS

long des muraiMos,esoatadant ïca ptdisaadfs pourscruter tea terrains vagues d'un regard de ch!f'

fonnierou de chien de fourrière. Superbe de for-

mes charnues et do vôturesroussies,marineodans

ïesptus après acides dos h'acassot'iosjudictMresot les subveratons les plus ôptoées,cette venaison

huma!no so tva!naiton s'amusant &secouer con-

tinuoMementla pouastère comme on <m~ymho-

lique geste de malédiction.

Ou allaient ils? A quo!a méfaits ou ptut&t a

quelles MprésaHlos?Zambellientretenait la nos-

talgie do leurs journées scabreuses, ne fût-ce

que d'une de lours journées.Et quand il aima le petit Papur')!lo, celui-ci lui

semblaincarnerou résumer ïos~trucuïentesimpéni-tonecs et la perpétuoUotransgression de ces fau-

teurs d'osctandres.Happortaitau~soMtairedans ses

frusques et sa chair adolescente des eMuves de

poisson saie, de cuisine & l'ait, de pommes

patrouillées aux éventaircs des gagne-petit,mais,

surtout, un ragoût d'aventure et de tanière, un

fleur d'attentat hautement suggestifs. Et sa per-sonne lui évoquaitlesparfumsacides, les lumières

glauques, les prurits urticaires et Ïes~chromatiquesaccordéoniesde la banlieue.

Aucun des inquiétantsprestiges du hors-la-loi

Page 392: Eekhoud Mes Communions

t.R SWMMRJR~CAMPE 38&

no manquait au Bagnaîuolo il avait cté plusieursC[)!senvoyé &!a Générale, la prison dos jeunesdétonna.

Aprésent, quoique XamboUipourvût largement t

a ses besoins, Papa no se contentait point do pa-s

ressor, mais il ne parvenait pasa rompre avecses

habitudes de filou.Aux récits imagesot oronsti!-

ïotMONMathumoureaqM~tqn~ le récidiviste lui

faisait de ses ~quipiScs,ZamhoUino pouvait s'om-

p6chordo rire, mais non sans tromMora Fidoe

dos périls quo courait son indiKpensMbtefavori.

Encoro une fois, il eut voulu, d'une part, t'arra~

cher à cotte carrière trop pathétique et, d'autre

part, il so rendait compte du charme capiteux do

ces péripéties, et il comprenait que, du jour où !o ?

merveilleux rofractaire rentrerait dans les ran~des satisfaits et cesserait donarguer tes ar~ousins

et les pandores, cotui-ci sedcpouiucrait,du môme

coup, de cotte auréole critique et do capiteuxozone qui le lui rendementsi atltectif.

Une foisque, repris par sesangoisses,après une

rMe dans laquelle avaient <tépincfs nombre des

pareils du Bagnaîuolo, l'avocat l'engageait à ne

plus voler « Autant renoncer à la cigarette et à

la chique répondait le lutin. Ah ça, me diras-tu

quel plaisir tu prends à fumer? Rappelle-toi,cher

Page 393: Eekhoud Mes Communions

?0 MESCOMMUNIONS

prêcheur, !a première fois que tu mis entre tes

ïôvrcs la paille d'un cigare de Virginie. Quel mat

tu éprouvas, dis ? tu faillis cracher ton cœur ? Tu

savais Monquo le vice du fumeur attaquerait ta

bc~rse, et pout-ôtre ta santé. N<!antnotns, tu

t'obstinas, tu vainquis !a Mau8<5oet, à présent,esolavodû t'haMtudo, tu no pouM~a t'abatcnir do

~mor. Et) bien, apprends que mille fois plus~rocea et plus tyranniques sont tes d<5Mcosquo

j'éprouve a voler Ah tes autres spasmesne sont

point oomparaMes&celui qui nous tord à nous

égorgor, au moment où nous tenons notre butin,au moment où ïa victime est depouiUée ?

Et ses yeux félinsse révulsaient do deHcosà la

seule idée de cette criminelle émotion.

Aux approches de leurs tote-à-tête, ZamboHi

avait pour, et il était pourtant heureux de voir

arriver son complice. Son coup do sonnette lui

causait une voluptueuse terreur. H désirait !o

Papurello avec une indicible appréhension, et

dans son accueil passionné, dans ses épanche-ments furieux et presque désespérés, il y avait un

peu de ce froid fébrile du baigneur aux premiersenlacementsdes ondes. Et en songeant à Papu-reHoabsent, Zambelli se le représentait comme

l'ocoupationla plus fatale, maisaussLIa plus cé~

Page 394: Eekhoud Mes Communions

M~OttMMR RaCARfE aM1

teste dosa vie optait son di~u funeste et tt'ndr~il l'aimait de toutes soa tarnucsot jamais aucune

approcho humaine n'avait rotourn~ ainsi tes

moottosdans ses os.

Une des caraetûriatiquos do eo MM acooupto'mont et eo qui !o diHSrcnoiaitdo la ptupwt dos

liui~n r~lrtrmainoa,o'ôtnitlaaruc~nfi~rrrc3or~~ipri~qraoïiaisons humaines,e'otatttoHr confiancer<!eippbquoet iMimitëerun on t'autrc. KambeMieanaontait &

parta~opeo dôgourdi poMasonavec tes gaupos et

tes ruHians do la pej~ro.Mais it so savait t'atitoc-

tion supt'Ômodo oo ncr on<antqui lui prodiguaitla meillourepart de son êtro san~on rionexcepteret qui lui rapportait la moindre de ses actions ot

do sespensées. Afind'éviter jusqu'à l'ombre d'un

froissement, jamais Toodatone l'interrogeait sur

ses amourettes d'occasion. Ces boutades do senti-

ment no le regardaient que pour autant quo son

aime jugeât bon do lui on parler. Ni bommo ni

femmeno so mettrait entre eux rien no provau-drait contre l'ardeur et la constanced'une do ces

affections que l'antiquité et la renaissance célé-

brèrent comme une gloire, mais dont s'cHarou-

chcnt nos galantins vicieux incapables de n'im-

porte quel amour, et, aussi, nos reproducteurs

utilitaires confondantles sentiments avec fécono-

mie~otitique pu domestique.

Page 395: Eekhoud Mes Communions

3!S MMCOMMCNMMM

Loin do se fatiguer de leurs entrevues et do se

sentir Mases sur le goût puissant de leur amitié,

chaque jour nos réprouves se retrouvaient plus

dignes l'un de l'autre et se ehénssaient davantage.

PapureMono cosaa~ do répéter à son grand

Aère: « H n'y a que toi qui comptesdans ma vie.

Toi seul savais aitnar, &présent je sais aimer aussi

et toute mascience amoureuae te revient. Léo

autres tendresses sont des lubies. Je croque do

temps on temps uno pomme ou une temmo on

passant. Une étreinte, et tout est dit. Après, je net~enaime que mieux, par comparaison ?

Zambolliportait à son amant la dévotion qu'on1

entretient pour une maîtresse et aussi pour une

magnifique œuvre d'art.

La personne adorée n'arrivait &son eoaur et à

son esprit qu'à travers une païenne harmonie

d'hommages sensuels, et les prestiges de la chair

magnifiaient et exaltaient l'image morale de Ï'être

aimé.

Ni !a statuaire, ni la peinture~ni la musique, ni

même !oplus beau livre n'avaient apporté à Zam-

belli impressions si profondes et si sublimes;

toutes les tragédies pâlissaient à côté du soufile et

de l'essor qui les chassaient éperdument l'un vers

l'autre.

Page 396: Eekhoud Mes Communions

<.t:80!)MMEESC~PK 3M

Ettes joura, même les mois, avaient beau

s'ôcouler, chaqueheure nouvelle de leur Maison

patinait, modelait, ajustait plus savourousomont

le petit pauvre, le confondaitplus intimementavec

ridéat do son grand ami.

Une perpétueMoinquiétude lancinait !a passiondo Zambellipour rinoorri~iMolarron. La libortô,la vie du petiot dépondaitde si peu de chose Si

d'aventure ravooat ouvrait un journal, il appré-hendait d'y lire le nom de son ami mêlé à une

histoire de meurtreet d'arrestation. Unjour, il lui

arriverait les mains teintes do sang.'De là, des

craintes et des angoisseset, à chaque séparation,de véritables adieux do là, dos jubilations véhé-

mentes à chacunedes visitesde Papurollo, comme

s'il s'agissait d'une conjonction inespérée, d'une

entrevue suprême.« Rassure-toi, caro Mto, disait le pégriot, ja-

mais je ne mejoindrai aux cascareHt, ces brutes

qui assassinent sur les grands chemins je reste-

rai simple cma<e, sunpie pick-pocket. Voler est

gentil et réclame de l'adresse. Puis c'est si amu-

sant de déjouer les recherchesde la poule. MC'est

ainsi que les ar~ot~'s italiens appellent la police.En effet, le « travail Mde Papurello était d'un

artiste. On eût mômeeu mauvaisegrâce à ne pas

Page 397: Eekhoud Mes Communions

8M MEa coMMemoss

se laisser dépouUhMfpar lui. Ses exploita de dé-

trousseur faisaient songer aux coquineries d'Ar-

lequin et de Pierrot dans les pantomimes berga.

masques« Unjour, racontait-il, un do nos maîtres, Bir-

riohino della Coca, mo conduMt à MonoaMen.

J'avais ù me rendre plaoo 8a!nt-Char!es. La, jedevais rencontrer un vincens, un paysan imb~

cile, très riche et très avare, dont Birriohino me

donna losignaïemont. Mecontbrmant aux ins-

tructions do mon copain, j'entre en conversation

aven mon quidam et lui demande le chemin de

l'auberge de Venise pendantqu'il merenseigne,voilà que le Birrichinodébouche sur la place. Je

joue la surprise, je remercie le contadin et feins

de remettre des valeurs &mon maitre. C'étaient

de faux billets, des wMM'eM~tconfectionnés parle Birriohino. Mon complice simule une grande

colère ilpeste, il tempête, il me menacedupoing.« ~cctde~e je t'avais dit de m'apporter de l'or.

Et toutes les banques sont fermées à présent. » Il

me tire les oreilles.Je memets à braire. Lepaysan

qui nous écoute nous offre, un peu apitoyé sur

mon sort, de For pour ces billets. Birrichino se

confond en remerciementset endosse ses Mtat'eM-

g~aujgrog jobard que nous abandonnons ivre

Page 398: Eekhoud Mes Communions

tE SUaUME EaC.tPE ?5

dans une osteria, devant une série do bacons quiavaient contenu du marsala et du nobiolo. »

!V

Cependant, depuis que Papurello avait fait la

connaissancede Zambetti, la vie faoiloet beaucoupmoinsagitéedu petit larron intriguait ses maîtres,ses camarades et aussi ses voisins de taudis. Les

ouvriers demeurant dans sa ruelle nelui connais-

saient pas de travail les repris dejustice savaient

qu'il volait moinsqu'autrefois, car il ne lui reve-

nait presque plus rien dans leurs partages.

D'oùtirait-il, alors, la galette qui lui permettaitde nourrir sa drôlesse de mère et ses gueusittonsa

de frères et sœurs ? De tous, il semblait être le

plus aisé, ou comme ils disaient, « le mieux aveu

M. Charles ».

A quelque échelon de ~humanité que l'on des-

cende, la masse est toujours essentiellement ba"

varde, indiscrète ettracassiére.

Certes, ainsi pensaitTeodato, le nombre chezla

soi-disant racaille était moins odieuxque chez les

classeshuppées, à cause d'une certaine franchise

et d'une méchanceté ostensible dans les paroleset les procédésdes brutes mais ta généralité des

-<5

Page 399: Eekhoud Mes Communions

?? MR8Ct)MMMNt<H<a

infimesétait plus inacccasiMoencore que ceUe

dospuissants aux idéesetauxgestesnon convenus.

L'envie et la compétition sévissent aussi avec

plus de violenceohex'ies déshérites.Nulle part no

règne pareil CNppitégalitaire et ombrageux. Pouf

empûchor qu'un des leurs s'échappede lours son-

tines et s'arrache &leurpromtsouïtê,les miséreux

déploieront peut-être plus deteroc!té et de maMoe

quo tes heureux do ce mondepour repousser do

lour cercle de béatitude le pauvre diable qui se

guinde vers eux Lospremiers le traitent en dé-

serteur, les secondsen intrus.

Devantune aubaine échue au prochain, l'équitédu vulgairesorésumeon ce raisonnement:«Pour-

quoi lui, plutôt qu'&moi? M

Méfiants et s'tbtiis, avec ce flair des animaux

traqués et pourchassés,depuis longtemps les ca-

marades du Bagnaïuolo su doutaient d'un chan-

gement qui avait dû se produire dans sa situation.

Lequel? Ils n'auraient encoresu préciser. Maisil

était certain que Rellino leur cachait quelquechosede grave. Ils ne seraient point dupes de ses

cachotcrics.Ils flairaient du louche.Ils se jurèrentde découvrir, coûte quecoûte, le secret dece sour-

nois, et piqués au jeu, i~ négligèrent même plu-

sieurs coups de main lucratifs.

Page 400: Eekhoud Mes Communions

<t

t.B8<tBMMREaaAWt! 3ST

Parmi ses ins~parabtead'autrefois,deuxsurtout,

le Birriohino dol!aCocaet Culato dot Cuor, deux

cambrioleurs, deux complices,ses maîtres et ses

aines dans la carrière, lui on voulaiont do ses

éclipseset do sa présence moins roguMèrea leurs

conoiliabules.

PtusiouMMsit avait rèfusé de marcher avec

eux, l'heure de la besognene lui agréant pas. Ils

!o retrouvaient de moinsen moins dans ces bals

de barrière où il trémoussait .!esgaupos et les

recéleuses de leur bande. !ï n'animait plus leurs

réunions par ses Ïazzis, ses scurriHites, ses ta-

rentelles et ses mélodiesscabreuses qu'Mottantait

en s'accompagnantdo la mandoline, et surtout

d'une pantomimesuggestive; car il n'existaitpointde talent excentrique que ee virtuose ne se fût

assimilé. C'est à peine s'il se montrait encore

dans ces gymnases de voleurs, prétentieusement

qualifiés d'arènes olympiques,ou il aimait jadissoulever des haltères et se mesurer félinomontt

avecdes athlètes de son âge et de son poil.

Pourquoi boudait-il à l'ouvrage et ne partici-

pait-Hàleurs déduits que furtivement, comme à

contre-cœur, guettant l'occasion de s'esquiver et

de teur briller la politesse ?Et s'il daignait prendre part encore à leurs dis-

Page 401: Eekhoud Mes Communions

MMCOMMMHONa388

oussions professionnelles, il perdait le ton du

milieu et mêlait à leur ger~o des paroles d'une

éléganoesuspeote,destermes honnêtesatrocement

discordants pour cette engeanoepatibulaire. Mais

le plus souvent il se mettait à rêver, taciturne et

somnambulique, sourd au t gravelures et aux in-

vectives, le cœur tout gros de l'absent. Pourparler

commelui,Teodatoluiavait«enQamméIairessureM.

Dansles ruelles, au seuil des taudis, les com-

mérages croassèrent. Quellemystérieuse intrigueleur avait changé leur précieux auxiliaire, leur

bougre de fanandel ?

D'abordon essaya de le faireparler on recourut

à des cajoleries, on le circonvint; on tenta de le

prendre par l'amour-propre on le fit boire pourlui délier la langue et provoquer ses confidences.

H Papo louvoyaitvenir et, contrefaisant l'ivrogne,

il roulait sous là table, la langue liée. Ou bien il

leur faisaitidescharges.Ainsi, pour leur donner le

change, il avoua une intrigue avec une riche

gonzessequi lui payait ses complaisances.Scanda-

liséspour la frime, les odalisques qui le gobaienta.ffectèrentde vouloir lui arracher les cheveux 1

Au fondpersonne ne le crut. Tel qu'ils le connais-

~aien~, il sef&tatHchémHtetoisavecsabanquïèFo!

Birriohino et Culato del Cuor le filèrent. Il s'en

Page 402: Eekhoud Mes Communions

La aCBMME ESCARPE «M~<Wv

aperçut et pourdépister les mouchardset rejoindresonami, il se livrait à descircuits et à desrandon-

nées de renard traqué par la meute.

Un jour ils le virent entrer chez Zambelli.

Enfin ils le tenaient.

a Eh Mon,ou!, je suis au service de ce mon.

sieur. Et après? a répondit-il aux plaisanterieset aux insinuations obligées qui l'aocueilhrent la

première fois qu'il se présenta dans leur cenade,

au café-comptoird'Asti.

Un tonnerre dehuées et de ricanements, un feu

routant d'injures et d'obscénités saluèrent cette

déclaration les vicieux, les pires débauchés, in-

capablesde n'importe quelle tendresse se distin-

guèrent dans ce hourvari. Ah oui que le phari-sianisme champignonneaussibien dans les bouges

que dans les salons!1

Il supporta sans broncher leur vertueux ana-

thème, sourire aux lèvres, se dandinant, poingssur les hanches.

Quand la tempête se fut calmée, Birrichino et

Culato le prirent à part « Voyons, il ne s'agit pasde tout ce~ lui dirent-ils.Parlons sérieusement.

II est riche, ton particulier ? dis? Eh bien, tu par-

tagerasses rentes avecnous, ou bien nous le ferons

chanter, ton bardache?

Page 403: Eekhoud Mes Communions

It .t

MESttO)HMOMON8400

Comment dites-vous cola? los interrompit

Papurello, très pâte, d'une voix aimante, t'air

Mrooe.Avisex-voua d'inquiéter co chic type, ou

seulement de lui donner le moindrosignedovotre

existence, et c'est mot qui vous servirai, nMamaî-

tres Ou, par hasard, auriez'vous oublié, toi le

Birriohinoet toi aussi !e Culato,t'adiré de la rue

Rosine.? sivous tenez à votre peau, je vous en-

gage à demeurer très tranquilles. Et surtout ne

vous retranchezpas derrière les autres, car c'est &

vous que je m'on prendrais »

Les deux bandits grincèrent des dents et iui

auraient sauté à la gorge, s'il, ne leur eûtprésonté

déjà ïa pointe do son inséparablecoutelas.

Legars venait de faire allusion à un assassinat,

particulièrement atroce, dans lequel' tous deux

avaient trempé, et dont la justice recherchait en-

core les auteurs.

« Ah tu serais capable de « manger le mor-

ceau!? murmurèrent presqueconsternés, les deux

escarpes.Celadépendra de vous. A chanteur, chan-

teur et demi Ainsi, tenez'ie-vous pour dit, mes

compères! a

Et, siSlotant, il tourna sur ses talons, certain

qu'âpres cet avertissement les misérables n'au-

Page 404: Eekhoud Mes Communions

M aUMUMEE8CABPK 40t

raient garde do bouger ou, du moins, do toucher

au reposde son ami.

PapureUos'était abstenu do parler a Zambelli

dos taquineries ot dospetitesmisôrosde la part do

son monde.Il jugea mûmoinutile do luisouuler

mot des menaces do Birrichino et do Culato. A

quoi bon troubler sa quiétude, surtout que locoup

avait emparé?Mais n'osant encore s'en prendre à ZambeHi,

les coquins étaient résolus a se débarrasser du

Bagnaiuolo.

Un soir le petit accourut les frusques on lam-

beaux, et tout ensanglanté, au logis de l'avocat.

Birr~chino,Culato et doux autres étaient tombés

sur lui, à l'improvisto.« Tiens, regarde! Ct-il pour rassurer son ami.

Une simple entaille au poignet; j'ai paré le coup

ouj'avais les artèrestranohées. Ah le Birrichino

est bien autrement arrangé que moi racontait-it,encore un peuhors d'haleino, tandis queZambeIlil'aidait à se débarbouiller, pansait et bandait sa

blessure, et plus meurtri, plus haletant quo lui.

même lui prodiguait des soins balsamiques, et se

sentait saigner avec lui.

« Je lui ai donné un baiser avecles dents Il no

lui resteplus qu'une oreille au Birrichino Il est

Page 405: Eekhoud Mes Communions

~O_-40-,k- -1 j.- Il~7--

4M MESMMMWNtON~

marqué pour de bon. Voi!a qui lui ôteral'envie

de recommencer! Et, surtout, qu'ils ne s'avisât

pas de porter plainte. Ha se jetteraient dans la

gueule du loup. Lu! e~ïe Culatoen ont-ils déjàsuriné des pantos Dirb que je n'ai eu qu'à me

détendre pour les mettre en fuite! Les Mches !!s

n'ont do cœur que pour égorger les ternmes!t

Nous,n'est ce pas, nous n'escoMonsque par co-

lère, comme tu le fis,' mon aimé, et comme jefaillis le faire à mon tour a»

Le meurtrecommis par Teodatoavait contribué

pour beaucoupà lui concilier la ferveur du jeunet.'ron. Loin de le diminuer aux yeux du petiot,

cetteaction violente et légitime le lui rendait pluscher et les rapprochait plus étroitement. Cegéné-reux homicide scellait les liens entre le maitre et

le disciple.

Lorsque les blessures du gamin eurent été ban-

dées « Tu ne retourneras plus auprès de ces

loups fit l'avocat. Tu resteras ici nous nous iso-

lerons &deux, ou-dessus de la tourbe, bravant

aussi bien les riches hypocriteset égoïstes que les

ruffians cupides et envieux Nousnous aristocra-

ttserons contre leur multitude, au besoincontre

tous 1

Impossible ditPapureHo. Ceserait un déS,

Page 406: Eekhoud Mes Communions

.c, IMM~MM~~ae~RM

une provocation, eo serait attirer sur nous l'ai'

tention de plus de malveillant encore. Gardons-

nous d'un eaolandre! No stuamos-noMapas heu-

reux ainsi, en cachette, pournous seuls A quoibon vivre et 8'aÏmerpMbMquemtent?Ah 1 nouston-

~yîona le malheur en criant sur tous les toits ta

joie, le divin accord do nos êtres a

V

Ainsi que Papurello l'avait prévu, après cet

attentat avorté, les deux sacripants se tinrent cois

et imposèrent la même attitude à leurs complices,hommes ou femmes.Tous se contentèrent domet-

tre leur ancien favori on quarantaine. Des mois

s'écoulèrent. En apparence,,Ia pègre ne semblait

plus s'occuper du Papo. Cependant,rassuréadem!

par cette indiSëronoe, et vivement exhorté parl'avocat. Papurello avait résolu de transporter ses

pénates dans un autre coin de la banlieue, quand,la veillemême de son exode, un nouvelévénement

vint accidenter sa vie.

Une vieille rentière avaitété trouvée égorgéee t

assommée dans !e jardin d'une maison de plai-sance à Lomellino.

« C'est Culato del Cuor et Birrichino qui ont

25.

Page 407: Eekhoud Mes Communions

-'< _n_ 'F

4M MMCCMNMNtOtM

fait !o coup, pM~& aanahcsitw Papuro~o, &quiTeodMoMaattïoreportage deajouMMus.JeM~cn'

nais bien !&leur ~aon de travailler. Toutefois,

n'aufats gaydo de vendre. Nous vatona

mieux, MOMsautres,' que ees ~iraydw, R'est*ce

pas? NoMssoMtmostrop propres pour &ifo toa

Jud~s. Tout au plus pMMtons-nousdocaqae

~OM8savons pour les tenh' en Mapcct et lour

in8p!feruno~M8Ne8a!uta<po. Pow le ~ostû, s!

j'ai unoompteà régler ~veoeux, l'aide de la ques.turc ne m'e~tpoint indiaponsaNeM

nPago devinait juste. Leerinoa était Fœuvtye

des deux ohotsde bande. Cotte fois ils s'y étaient

pris moins adroitement, car le lendemain !~m-

belli et Rellino apprenaient Fat'rcstaHondu redou-

table couple.« Nous en voilà débarrassés! constata leur

ancien copain, non sans une généreuse méianoo*

lie. Ils devaient finir par un pèlerinage à l'abbayede Monto-à-Regret'Eh bien, foi de Bagnaïuolo, si

j'en avais les moyens, je serais encore gaillard &

les arracher au bourreau w

En quoi il aurait eu grand tort. Les deux chena-

pans s'empressèrent de le lui prouver.

Infailliblement perdus cette fois, leur culpabi.lité éclatant à l'évidence, n'ayant donc plus à

Page 408: Eekhoud Mes Communions

M aUHHMREa~AWR 4(~

craindre de dônone!ationdo la part do PapureHo,

Hsrésoturent do quittor la vie en se .vengeant de

leur ndèteadepte ot un !o Rusant éternuer avec

eux dans te panier &son.

cot~iiet, iat~rrc~g~apt~rIqjuptod'inatruotiAn,A ceteCfet, tntwfogëapartojn~ed'tnatpuoMon,toua doux aecusèrcnt PapurûMo d'avo<r trompô

da<Mr<M)oa~inat.Les aaMoëdeats du BagM~oïofendant cette acouaat!onfort p!aM8iMo,il fut <msa!-

tôt éorouô.Avant d'aecompagnw les ~endafmesHeut tout juste le temps d'envoyer un MUet& ZMn<

bo!M,par le petit RiKato,le saltimbanque.Apeino Teodatoeùt-Hété averti qu'il se faisait

conduife, &fond de train à la PrisoKNeuve. Il so

donna pour l'avocat du jeune détenu. On les

laissa souts dans sa oellule.

Apres de pantelantes causions « Tu n'as rien

à oraindre 1 ditTeodato. Je suis môme étonné de

te trouver encore ici. Dans quelques secondes tu

seras libre. Tu n'avais qu'un mot à dire pour ëta-

Mir ton alibi. N'étais-tu pas chez moi la nuit du

crime? Eh bien alors?. Je suis là pour l'attester

et de ce pasje cours chez le juge d'instruction. a

L'autre, impétueux, le visage bouleversé,l'arrêta par le bras

Jamais, s'écria-t-il. Pas de ça, entendstu t

Je n'y consens à aucun prix. Ce serait te ruiner,

Page 409: Eekhoud Mes Communions

4M MS~MMMtMMW

to détruira, toi, mon brave, mon grand eMri.

Ah, c'est donc pour cota que tu t'es laissé

eoOrar. Mais, mon enfant, je n'ai plus rien à

perdre. J'attendais l'occasion do te réclamer, de

t'adopter par un hoto d'amour absolu &!a <aeode

tout ï'MtMVors.La vote! Ledeshonneur? Je m'ett

moque. Tu sais quo depuis longtemps je me su!a

mis au ban do teur ttooi~tu.Hsno pourront~amaïsme haïr plus qu'ils n'a te font. Cotte haine a

trempé maconscience. Et quant à leur mépris.mais mon bien-aime, ces mépris sont faits pourm'exalter jusqu'au ciot, car ma frénésie pour toi

s'accroît et s'exaspère do toute la profondeur de

l'abime dans lequel ils se natteront de me

noyer.Non Non Jamais l'interrompait le Ba.

gnaïuolo. Autant te tuer tout de suite Ï Ma vie

folle de turlupin ne vaut pas ce sacrifice. Pas

plus que toije

ne gobeleur justice et leurs vertus,mais je ne cours aucun risque non plus en bra-

vant leurs prêtres et leurs magistrats, tandis quetoi. Majeunesse n'est plus qu'une marguerite

JeuiHee. Avant de te connaitre j'avais jeté ses

blancs pétales à tous les vents, heureusement jet'ai réservé son coour, tout ce qui me restait, la

meilleurepart. Prends encore ma vie. Tu es

Page 410: Eekhoud Mes Communions

M!MtBMMt!)SaCARK: «M

utile, toi, tu es bon~ tu toras encore tant d'heu-

raux.

Mais malheureux, mon adoré petit, tu sais

quo leorimo dont ils t'accusent, les birboni!1

entraîne la peine capitate.

ParMou C'est te moment pour toi do mon*

trer ce que tu vaux, signer avocat.Atoidotrouver

!é moyen do sauver ma tronche, mais un autre

moyen que cet odieuxalibi tu as assox de talent

pour me racheter du coupo-tete. Quelle belle

cause à plaider H»

Et il éclataitdo rire, le cher, le sublime garçon,tandis que ses yeuxse mouillaient do larmes plus

~anctiHantes qu'une eau lustrale.

Et son exaltation aurait fait songera cette scène

de Guillaume Tell de Schiller ou l'enfant brMe

de servir de cibleau cher arbalétrier « Courage,

père Prouve-!eurton adresse Tu ne tueras pointton petit! M

Malheureux enfant, il n'y a qu'un seul

moyende te sauver.

Ce moyen je n'en veux pas.Eh bien, je passerai outre. Si tu ne veux

parler, je dirai la vérité malgré toi

Ahc'est ainsi s'écria Papurello. Ah tu fais

méchant AloM j~ m'accuserai moi-même du

Page 411: Eekhoud Mes Communions

<<? MtSCOMMCNKMM

prime dont je suis innocent, je donnerai raison au

B~riohino et! &Culato, j'avouerai tout co qu'ils

voudront, entonds'tu?,Et on me tranchera lo

qui-quiZamhem na put quo tomber à sos genoux et

lui baïser !ea mains, sanglotant, agonisant

d'admh'aUonet do doutew. Il ôta!t convaincuquole petit forait comme il disait. Ah, comment Fen

dissuader ?Zambot!in'en eût-il pas fait autant &

sa place?L'accusation était si bien ourdie qu'il ne man-

quait vraiment que l'avou de PapureHopour~irotomber infailliblementsa tête 1

Toutes ïes apparences, toutes les présomptions,un concours de circonstances fatales donnaient

raison aux scélérats intéressés à perdre leur'

ancien complice. Au seuil du trépas Us n'hési-

taient pas à charger leur âme d'une noirceur plus

épouvantable que tous leurs précédents forfaits1

Le Bagna!uolo n'avait-il pas formé avec eux

jusqu'en ces derniers temps un trio d'inséparablesmalfaiteurs et collaboré à leurs cambriolages?Comment admettre ~ue style et entrainé à leur

école il eût reculé devant une effusion de sang ?Desvoisinesd'impasses, des indigents, âmes mé.

chantes ou tout au moins médiocres,envieux de ïa

Page 412: Eekhoud Mes Communions

t.~ 8VBMMEBSCARPE «?

prospéritémystérieuse do la familledeieu te ve<.

~ti~~e, corroborèrent les déclarations des doux

escarpes.Les commèresentraient dans dosdétails,

précisaient, rabâchaient tes antécédents, pou or-

thodoxesil est vrai, duBagnaîuoto los reoétousos

dédaignées par la joli garçon racontèrent en le

chargeante vie irrêgutière et son intime aooq~i-nemont avec Berrichino et Cutato. Dos passants

prétendirent les avoir rencontra onsemMo à

t'houro du orime et, déposition parMouticromont

aooaMante,l'un d'eux reconnut même en Papu*rello le troisième rôdeur qu'il avait vu sortir du

jardin do la victime.

Le combat do générosité entre los deux amis

reprit à chacune des visites de Toodato. L'inten-

sité de leur amour dira par quelles affres passè-rent ces deux éperdus résolus à se déshonorerou

à se tuer l'un pour l'autre.

Une mutuelle folie, du sacrifice les dévorait.

Maisle gamin se sentait le plus fort. Il réduirait

le dévouement de Teodato à l'impuissance.Un moment, cependant, le Papo eut le dessous.

Au cours d'une démarche suprême tentée par

Zambelli, la violencede son désespoir lui inspirale moyen.de sauver son ami.

Eh bien, songea-t-it, si ma parole ne suffit

Page 413: Eekhoud Mes Communions

MMe9MM<H<MMta4M

pas pour établir son alibi, je recourrai &des té.

moins. Mesvoisins ont d& voir entrer Mquom-

ment Papurello chezmoi. Je les forai citer à l'au-

dience j'aiderai leur mémoire au besoin, je les

subornerai. !!sjureront quePapureMotogeoitsouMmon toit au moment o&on égorgeait !a vieiUo1

Mexultait, à son tour, à tel point que ~a phy-sionomiele trahit. La tendresse exaspéréede Rel-

lino lui fit deviner que son adversaire menaçait

d'avoir l'avantage dans cette sublime partie d'a-

mour engagée l'un contre l'autre.

Zambellia'obstine à parler, j'en suis sûr; H

doit même tenir le moyen de rendre ses parolesirrécusables. Elles prévaudront contre les calom-nies de mes ennemis et m~mecontre mes propresaveux. Attention, Relirno, o'est le moment de

jouer serré 1

Ainsi, pour la première fois, ces deux amis in-

comparables 'en arrivaient à se déOer l'un de

l'autre et à se cacher leur jeu.Au moment où Zambelli se'flattait de l'empor-

ter, Rellinoétait certain de son triomphe.Afin de mieux donner le change à son adoré, la.

veille.de l'ouverture des débats le ReUinoaffecta

une connancc, un engouementextraordmaire« Basta Je te le répète, tonéloquenceaurarai-

Page 414: Eekhoud Mes Communions

MscBMMt!M! 4<i

sonde ces méchantes inventions. Un avocatdeton

talent! Puis, à prendre les choses au pire, si

j'étais condamné à mort, ma peine ne serait-elle

pas commuée? On n'exécute pas les gosses au-

dessous do vingt ans. J'en aurais pour quelquescales à laNuova. Tu m'enverrais dos gambos et

du tabac !?

Ala vérité il avait vingt ans bien accomplis.

L'avocat le savait et il ho fut pas dupe de son

mensonge.

« Ohtais-toi! Ht-il. Tais-toi. »

II l'étreignit convulsivement et longtemps ils

confondirentleurs brûlantes oaresses.

Rellino repoussa son ami, éclata d'un rire ar-

gentint en se moquant du visage désespéré de

t'autre.

Teodato, à son tour, percevait un signe critiqueet fatal dans les yeux trop tëbrilos de l'adolescent

Voyons, piccino, tu me caches quelquechose

Absolument~rien Ah nous passerons en-

core de bonnes, bonnes soirées ensemble, tou-

jours à deux. Tu verras.

Et une jolie lumière d'espérance nimbait son

jeune visage. Jamais il ne parut plus beau, plus

aNectifà son idolâtre.

Page 415: Eekhoud Mes Communions

')

MESCSMMONMMK!4i8

Le lendemainla Courd'assis s'encombrait de

eurieux. La rentrée du célèbre avocatplus encore

que la cause,on elle-même expliquait l'empresse-mont~e la ~u!o.

Tout le monde dévisageait Zambelli tofsqu'K

s'avança a la barre. Il soutint fièrement le ohoo

da ces milliersde regards hostiles et envieux bra*

ques sur lui. Sa pâteur fut remarquée. On auraït

dit d'un supplicié stoique, trop Ser pour avouersa torture.

L'huissier annonça la Cour.

Les hommes en rouge s'attablèrent en prenantleur temps. Puis, le président ordonna d'intro-

duire les accusés.

Zambelli torturait sa serviette et s'essuyait le

front très blanc où perlaient des gouttes de sueur

froides comme du givre. Angoisseux, il interro-

geait la petite porte tatérate. Elle s'entr'ouvrit, li-

vrant passage à un sbire quelconque qui courut,

essouMé, derrière la table des juges, parler à

l'oreille du président.Un pressentiment tenailla le cœur de l'avocat

et, les yeux toujours fixés sur la petite porte, il se

redressait, mais prêt àdéfaillir.

Les gendarmes n'introduisirent que deux des

prisonniers: Bernchino et Culato.

Page 416: Eekhoud Mes Communions

<~BSPBMMRESMttPE <i3

Cependant le président s'était levé.

? Messieurs,proféra't-it d'une voix profession-

nette, un des accusés–. sans doute un coupablea devancél'arrêt dela justice en mettant lui-même

jRnà ses jours. On vient de le trouver étranglé

danssa cellule. »`

Birriohino et Culato échangèrent une a~reuse

~maoe de déconvenue; ainsi se regarderaient

des satans frustrés de leur curée de maudits,mais rien no pourrait évoquer la décomposition

qui se produisit dans les traits de Teodato.

Il comprenait! Lefeat, l'héroïque, le suNimo

enfant était mort pour lui Le petiotse flattait de

rendre inutile la proclamationdecet alibi qui devaitarracher l'honneur à son ami essentiel.

A qui doncs'adressait Teodato?

La cohue le vit se soulever subitement, se pen-

cher, tendre les mains vers un être invisible, en

balbutiant d'une voix atroce, qui déMagrait

comme une mine d~ns le silence.presque explosif

de la chambrée.

« Non;tu n'es pa~tun assassin, tu le sais bien,tu es innocent de ce crime, je le jure tu mourus

pour me sauver, ingrat, moi qui ne vivais que

pour toi. Ecouteztous, juges et bourreaux, voici

la vérité J'aimais cet enfant, il m'aimait au point

Page 417: Eekhoud Mes Communions

4M MtaCOMMOtM<M<a.

de s'être tué pour moi, ot, tandis que des misë-

rables, ces menteurs égorgeaient leur viotime,

Fadnm'aMe gm~n, mon suave martyr, mon

idole reposait chez mo!iï était mon hôte, mon

oonfidentMen'aimô,le seuï être qui me rattachait

àoetaNreuxmonde, et je.HMlun~ geste d'étreinte passionnée en jetant

des cris qui ressemblaient autant à des sanglots

qu'à desricanements.

Lorsqu'on le secourut il ne donnait plus trace

déraison.

Page 418: Eekhoud Mes Communions

UE8TRY6E

~~Mne~~aMM.

Lesdeux êtres élus, les deuxamants exception-nels qui se chérissaient plus que jamais humains

ne s'étaient adorés, se serraient mutuellement les

mains, en proie à une extase hypnotisante, se sur-

prenant dansles regards des ferveurset des piétés

qu'aucune onction, aucune caresse n'eût putraduire.

0 ma sève et mon sang, prononça l'un des

amoureux; que ne puisse m'exhaler entièrement

vers toi J'abdique, je me renie, je me suicide,mais uniquement pour revivre et germer en ta

personne.

Béatiné, trop éperdu, il se sent défaillir, il

succombe au cuisant délice. Son être désagrégé,.en partie dissous, flottedans l'éther bercé sur des

Page 419: Eekhoud Mes Communions

4M MES COMMUONS

ondes do musique et de lumière. Ma!gr~Hasen-

sation d~naltérable sécurité et debion-ôtre absolu

qu'il éprouvait, le sentiment de la terre et des

hommes subsistait en sa nouvelle forme.

Quelqu'un d'indispensable lui manquait et

commeun convalescentéchappé a la mort regret-

terait le délire et la nèvre, à présent, ravi dans

les sphères apaisées il souffrait de la nostalgie

terrestre, et peut-être n~avait-iïjamais appréciéà ce point le charme de la révolte et des perse*cutions.

Fiamme d'amour séparée de son aliment et de

son cierge, il persistait à jeter dans les espacessacrés sa lueur profane.

Et dans l'harmonie des sphères, il démêla des

chœurs qui l'exhortaient:

0 toi, disaient ces voixoccultes, pourquoice regret, pourquoi haleter après ton eselavage,tes guenilles e~ta poussière Tu chérissais la vie,te voHàtransporté à ses sources, c'est toi qui la

dispenseras avec nous à la création entière; tu

vivras dans l'éternité et dans l'infini Autrefois

tu agrandissais l'objet de tes désh's, tu confon-

dais orgueilleusement tes chétives postulationsavec les afBnités de la nature. Nerêyais'tu pasde t'éperdre dansle tout immense de t'y fondra,

Page 420: Eekhoud Mes Communions

~EM~fQE 4n

de vibrer avec !es Suïdos élémentaires Et voilà

qn'&présent nt&léà ce ehcour,à ce Msoeau dos

forces impérissables, tu te désoleset cherches à

t'en séparer; tu voudrais recouvrer cette falla-

cieuse individualité, ton dérisoire microcosme!

Plus rien ne devrait te préoccuper. Les causes et

les loM te sont révéMes. Tu participes de ïa

sagesseéternelle. Tu t'assimiles les destinées. Tu

créés. Allons, déprends-toi de cette pensée

servile;oublie les mirages et ies infiniment petitsde l'existence terrestre. Exulte, épanche-toivoici,

ton vrai commencement

Maislui cc0 principe et durée des choses, ton

bonheur est peut-être. tropfort,et trop majestueux

pour moi. Pardonne. Mon excuse la voici Les

chrétiens, la plus intéressante et la plus noble

des sectes qui t'adorent, m'ont appris qu'un Dieu,

un ~ïïs qu'ils t'attribuent, ô Créateur, fatigué do

la paix et de l'ordre des empyréos sublimes,

peut-être même honteux de ce bonheur sans

revers, voulut goûter auxmaux et auxsouffrances

du monde d'où je viens, et, sous prétexte de

racheter les hommes,à la damnation, il s'incarna

dans lèur substance, il rechercha et subit les

voluptés de l'amour et du sacrince. Ne t'ôtonno

pas alors, ô bienfaiteur excessif, de ma subite

Page 421: Eekhoud Mes Communions

MMCOMMMNMNaw

ingratitude. JLais~-toi ~Mehir,awwde-ttwi do

déchoir, de reprendre place sur la ptanëte m!a<S-

raMe mais patMtiquo, parmi ces hommes inea-

paNes do Mticité,mais dont la détressemanque&r~M~oto do tes anges ot a Mt do J~su~o plustouchant do tes Moux M

Le Tout-Puissant continuait & paf!w on lui,maia une douceur plus attendrie se mamtestent

dans le oïtcewunhreï~et

J'oxaucorat ton v<jonimpie je réunirai à nou-

veau les atomesfragiles qui composerontton corpset j'y rappellerai co Coufollet quo !os humains

appellent leur âme, mais tu renaîtras en un paysmoins sombre et moins rude quo celui ou tu vécus

d'abord je te destine pour nouvelle patrie une

de ces contrées du Midi ensoleillé ou rares sont

les épouvantails et les cauchemars, où les esprits

eurythnMquesne se créent point de chimères, où

la grâce iet la symétrie rassurent la pensée in-

quiète, une de ces contrées qui rendirent mo!"s

sinistre à Jésus sa descente sur la terre.

Oh non, Divinité, c'est aux mêmes rivages

que je voudrais revivre, là-bas &l'extrême nord

que voilent et drapent presquetoujours des cata-

ractes de nuées, prés du large Couvereptilien et

de l'océan qui rongent la glèbe et t'accablent da

Page 422: Eekhoud Mes Communions

t.n<tw«t! 4i9

leurs brutatost c~rc.Mos,LA, chox un peuple do

taeiturnes, épris do ta violence, dansia eharnuo

et marâtre patrie, auprès do itères tarouohes et

sombres qui sont autant de Caïn, M~o-moi rou"

vr!r mos blessures, ô mon t)iou Là, e~nju~o

par la riguour des ôtomonta,par te<ihMtMttesot

Ïos ironies do la MMt!ôt'o,par t'intons!Mm~Modu

d4~p~ïf, surgit Ï&beauté ~trango ot po!gnantû

qui m'ûbs~dajusque dans la paix de ton ciel. De

co marais humain, do la bourboodieusementpba-risionnes'etève commod'un fumier une Horaison

admiraMo, dos âmes capables d'heroîsmes et do

vertus fabuteuses, !og<!cNdans des corps dignesdo toutes les dévotionsartistes. 0 pays dos mora-

les acharnées sur les plastiques atMôtos ou j'ai

goûté la tendresse virile et tragique qui brave los

déchéances et qui s'enorgueillit de son ana-

thème

Nousn'eûmespas besoinde beaucoupdoparoles

pour nous comprendre, l'accord était complotcomme sous les horizons posants le contact dos

rivières goulues et! desnuées qui les allaitent de

leurs mamelles de neige! Monamour fut un long

martyre otjo n'étais jamais plus prés de la mort

et de la ruine que lorsque je pantelais de ten-

dresse Un concert d'envieux, de castrats et de

·

Page 423: Eekhoud Mes Communions

MM<!M)MMN)MMt~0

brutes, tes embûche~ ee~scsemées semanos

pas, tesaaMasmes, tes Masphômoa,to8<H!'atch&ts,

te mépris de la tourbe*raisonnaMe corsaient et

avivaient cotte ~on\~M'nMntt~, ï'exattaioMt&

haMteMFd'tmo religion pera~outëo, d'Mno c~use

jwte coMCo88<Sosous ïeseoMperetNet !o8 oaMons

des~MHa!1

Dans cotte contrée mat!gne la ohair wuvent

~ontpMfieo,& tu fois ox!goanto et poMpeuso,M

soulage jusqu'au paroxysme; maMoarossanto et

iMétocomme les bons chïent!, servante du génie

qu'oMavénère sans te compromtrc, eMcsaigne,80révolte et s'immolopour sa plus grande gloiro.EHorend l'art robuste, la poésie intense, l'amour

démesuré et vertigineux!t

Exauce cette prière, ô Vertu, et si tu ne veux

me rendre ma oomplète formehumaine, ce corps

que décourageaient mes rêvea trop surhumains,au moins que ton souMorassemblemes atomeset

les chasse dans cette contrée do diloction, vers

cette à la foissubversiveet matérielle patrie. Que

Huido ou éther je me mêle aux pâmoisons des

créatures aimées, que je sois l'essence de leurs

baisers et le dictamede leurs messes A l'heure

des égtogues lai~a-moi vaguer parmi l'or pâtedes genêts et la lie de vin des bruyères! Maisje

Page 424: Eekhoud Mes Communions

J,RMWfOR ?0

hantai surtout tes ambianoostdo mon Moto

qu'elle me ro&pipocomme l'oncens, comme Ïca

oMnvosbalsamiques d'un matin do printempst

Il est ta-bas un tout petit coin dans ItMsoMons

diH~mëa, pr<5sd'un indigent bouquet d'afbrc~,non loin d'une venne ou tes ~nôbMs !av<wd!croa

du cf~pusou!0 tordûnt Ïcara brouiMordscnsan-

gtfuttesdosoteU.NuMepart, au dirodosostenstMoa

vivants, on n'existe plus donué, p!us contraint,

ptus mis&raMo Mais nuMopart je n'ouïs siionco

plus musicat,<!o!~od'angeius aussi compatissant&

tes damnes Nullepart lesyeux humains dévoilont

mystères si aimanteset se conjurentplus fraternoi-

lement et plus amoureusement en un furtif éclair.

Et les bouches gourmandes do l'adolescence yfleurent ï'aromo do !a fraise sauvage, et les bras

jalousent les enlacements dos chôvrotbuiites1

NuHo part haines ot fanatismos plus implacablesne déterminent si frénétiques explosionsdo ten-

dresse tellement que ces apothéosesamoureuses

y sont incendiaires commedes représailles La se

consommerontdes apostasiestoiles,que les satans,

blasés, comme moi, de tes paradis, n'osèrent les

attenter r

Combien de fois, mourant d'angoisses, horri-

MMMontsôduit par le suicide, r.~n suffoquémais

Page 425: Eekhoud Mes Communions

4M MMCOMMtWMNS

«atuMd'amour, possédépar tous tes sueoubesde

l'imagination, il suMt d'uno approche ou d'une

roneontro Monvoulue pour mo réconcilier avec

Ï'espoiy.Mais je fus jaloux et orgueilleux do mon sup-

pliée le jour ou m'apparut rêtM ~tfd. Il me su<Bt

d'une mmute do sapr&Mmeo,d'uno s!mptointoha-

tion de sa voix Apreet c&Nne,do sa voix e~yacM"

!cu~ieque rendent espMgtementrauque l'eMaÏmt

des baisersontermés dans sa gorge Voix oruoHo

ot balsamique Voix do pfophète-ontant, miaéri-

cordiousomonaco qui me navra de délices 0 ne

détournez pas ce calice de moi, Soigneur Dusse-

je ne plus en vider que la lie, mais que ce soit en

ces Pâques de bourreaux et do martyres où les

pires iniquités s'expient et se rachètent en des

enters d'amour furieux et tellement dévorateurs

que l'on dirait plutôt les paradis de la haine

Quel duo lancinant se chantèrent nos deux

âmes! Sublimes égoïstes, le monde gravitait

autour de notre amour! Nous nous aimions en

l'univers entier. La charité suave commeles nuits

de juillet envahissait nos coeurs constellés de

prières. Les êtres ingrats et les choses rebutées

s'illuminaient et se réchauffaient aux irradiations

do notre incandescente tendresse, une félicité

Page 426: Eekhoud Mes Communions

~STMOR ?3

a4.

panthéiste, une communion totale ïaiaatt do notre

amour to reftet ou mieux !o foyer d'une otorne!!e

jeunesse. Jamais, rapportant toute la beauté et la

vieànotre passion, nous ne connûmes!a satMtô

les renouveaux de !a nature alimentaient los

bûchor«do nos sacrincos. Tout co que l'art glo-

ptue, tout ce que la just!ooexalté~ les aspirationsdes apôtras, les mirages dos poètes, tout so

sublimait en notre communion.

Et cet amour était ineHaMemontdouloureux,semblable à une précieuseet veloutée soiréod'au-

tomne, il s'y me'ait une appréhensiondefragilitéil y courait un frisson do mauvais présage en

humant les fruits mûrs il nous prenait l'indioible

peur des fouillesmortes 1

Pourrions-nous, demain, ne plus être l'un pourl'autre le seul miroir où chacun se voyait transfi-

guré par une idolâtrie qui devait te rendre jaloux,ô Maitre des Rongions Cesalternativesd'absolue

confianceet de doute, cesnuées inquiétantesoffus-

quant le soleil, ne rendait notre possession que

plus exaspérée. Nous fûmes, à deux, le sexe, la

race, la patrie Sur nos lèvres toujours rappro-chées nous surprenions mutuellement le bouquet

principal des paysages favoris, les fragrances des

sureaux, des houblonnières ou des résineuses

Page 427: Eekhoud Mes Communions

MM COMMUNttMM?4

~buoM,nos ohaiMavaient été patries et modeteea

dans ravgiïe du terroir' et citait &nos yeux ~a

septentrionaux que s'eotairait ciet de nos ptôS-

rences. Dans ~a vo!xespiègle, maïs)aamarïtaiM,`)9ourdai6les plu~ tendposm(tex!onsdes vc~x 6pM.

mères et mémoraMos ses attituJo~ r6pëta!entcolles des passants rogret~s, des copieux vaga-

bonds, desf~acta!fos hôroïqaes! NoMsn~MsTôsu-

mionst'&moet ëoorcc de la patrie, l'esprit dos

volteset dossubvorsionssalutaires Non,les!armesdo gratitude dos mendiants ou dos malades oxta'

tiques n'avaient point la corrosivedouceur de seR

effusions!Et c'est au plusfortde cesepanchements

que tume rappelas et mefismourir a sespieds !a

Celui qui interrompit la nostalgique confidence

de l'exilé était le chœur même du Destin il pro-

mulgait« 0 si tu l'aimais à ce point, ne demande pas à

renaitre Tu as connu tous les poisons, tu bus

à maint calice de douleur au temps des pires

épreuves,mais frileux amant qui tremblais à l'ap-

proche des feuilles mortes, d'autres ont mangé de

ces fruits succulents qui te grisaient de leur saveur

et de leur parfum Crois-nous, âme fidèle, subtil

ravisseur des feux qui firent deta vie terrestre

une continuelle agonie sur le bûcher des relaps

Page 428: Eekhoud Mes Communions

MMMfOE ?5

et dessacrilèges, crois-nous, no ressuscite plus

!Mtaa.pournnudèle.aLa commotionfutsi torto, le coup déehainé si

Cormidable,la douleur du patient si compressive, s

qu'au lieu de se dïssoudMsosélémentsse contrac-

tirent et que par la tbrcodo son désir éperdu il ao

trouva subitement sur to sol natal, dans la

lumière, dans la vie.Et devant lui s'avançait la créature tant adorée,

!a beauté patriale, la synthèse suprême de tout

eo qu'il avait regretté ou espéré. Elle 1e regardatriste et repentie, triste commela viergeooupable

pendant une minute de sommeil ou de folie,

pitoyable commele crime inconscientet fatal. Elle

lui avait fait tant de mal, elle lui en ferait encore

peut-être, elle se parjurerait souvent mais, en

oette minute elle l'aimait autant qu'aux plusci

cuisants périodes de leur conjonction et il ne putlui en vouloir, et quand leurs lèvresse touchèrent,

0

il y goûta, surcroît d'infernalevolupté,le baiser de

tous ceux qu'elle avait possédés.Avideet bourrelé, il se clouait à cette chair

d'opprobre, comme un rédempteur à sa croix, il

s'y était cloué pour jamais et il ne s'en détacherait

que lorsque cette terre périrait par l'eau, ou

plutôtpar le Eau!1 ––L

Page 429: Eekhoud Mes Communions

L'HONNEUR DE LUTTÊBATH 7

LAPETtTESE&VANTE.33

CUMATËME. 43

LECOQROCOE. 79

LA TENTATtOH DE MtNERVE. i23

DEaANauEM. i45

TANTE.MAMB. i5i

BuacHMtTao. 161

UNE PARTtE BOR L'EAU. 227

CHARDONNEHBn'E. 2S

LA PERNtÊRE LEtTRE DU MATELOT 283

APPOL ET BROUSCARD. 287

UNE MAUVAISE PENCONTRE 333

LBSnBMMR RfCAaPE. 37i

LE8TMGE. 4i5

TABLE

Page 430: Eekhoud Mes Communions

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