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LA PEUR DE L'ETHNOGRAPHE Réflexions à partir d'une enquête sur la pauvreté urbaine à Boston Nicolas Duvoux Belin | Genèses 2014/4 - n° 97 pages 126 à 139 ISSN 1155-3219 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-geneses-2014-4-page-126.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Duvoux Nicolas, « La peur de l'ethnographe » Réflexions à partir d'une enquête sur la pauvreté urbaine à Boston, Genèses, 2014/4 n° 97, p. 126-139. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Maison des sciences de l'homme - - 193.49.18.51 - 27/11/2014 11h08. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Maison des sciences de l'homme - - 193.49.18.51 - 27/11/2014 11h08. © Belin

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Du Voux Peur

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  • LA PEUR DE L'ETHNOGRAPHERflexions partir d'une enqute sur la pauvret urbaine BostonNicolas Duvoux

    Belin | Genses

    2014/4 - n 97pages 126 139

    ISSN 1155-3219

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-geneses-2014-4-page-126.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Duvoux Nicolas, La peur de l'ethnographe Rflexions partir d'une enqute sur la pauvret urbaine Boston, Genses, 2014/4 n 97, p. 126-139. --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Nicolas Duvoux La peur de l ethnographe126126

    La peur de lethnographeRflexions partir dune enqute sur la pauvret urbaine Boston

    Nicolas Duvouxpp. 126-139

    Comprendre la pauvret est un exercice particulirement dlicat dans la mesure o, dans limmense majorit des cas, le chercheur qui produit ce savoir nest pas concern, en premire personne, par une exprience pour-tant dcrite dans les termes dune contrainte, dune frustration, dune distance sociale1. De nombreux travaux ont contribu la descrip-tion de cette preuve et ont fait preuve dune grande inventivit thmatique et mthodo-logique pour combler cette distance sociale entre enquteur et enqut (La et Murard 1985). Dans cet article, je souhaite marrter sur le rle dune motion, la peur, que jai res-sentie dans le cadre dun travail ethnographi-que auprs dune fondation philanthropique intervenant dans des quartiers particulire-ment dfavoriss dune mtropole du Nord-Est des tats-Unis, quartiers marqus par un fort taux de dlinquance et de criminalit2. La peur ressentie par lenquteur dans ses lieux dinvestigation, ds lors quils sont marqus dune image et dune ralit sociale o lexpo-sition des menaces pour lintgrit de la per-sonne et des biens est suprieure celle quil connat dans les autres environnements o il volue peut, de prime abord, apparatre com-me un obstacle la pntration et la com-prhension de lespace social. En effet, la peur est une motion relationnelle o lenquteur,

    par des ractions psychiques et somatiques, trahit son apprhension du milieu quil tu-die. La peur, vcue sous cette modalit dune crainte propos de certains environnements, quelle soit lie ou non une menace objective, peut donc tre considre comme lexpression dune distance sociale vis--vis de ceux-ci et tmoigner des prjugs subsistant chez len-quteur lgard dun objet dtude en cours dinvestigation.Franais cherchant pntrer un quartier pauvre et minoritaire de Boston, je ntais, jusque dans des ractions physiques sur lesquelles je navais pas ou que trs peu de contrle, pas diffrent de limmense majorit des amricains blancs, ou de classe moyenne noire, qui ne frquentent jamais ces quartiers et qui, quand ils le font, y limitent au maxi-mum leurs dplacements sur la voie publique pour viter lexposition, sinon des agres-sions directes, du moins la contamination avec des catgories sgrges et stigmatises de la population. La peur biaise dabord lenqute : elle est associe des signes phy-siques qui peuvent obstruer, voire paralyser la rflexion, empcher les dplacements, ne serait-ce que sous une forme infra-cons-ciente en suscitant une bifurcation par une srie de petites perceptions dterminant la conduite et les orientations. Sur le terrain,

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  • Genses 97, dcembre 2014 127

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    la peur fait dabord reculer et est en cela dif-frente de celle que ressentent les habitants du quartier ne pouvant pas sy soustraire.Cependant, cette logique du biais denqute semble insuffisante (Lignier 2013 : 2). Nous voudrions montrer, partir dun exercice de rflexivit sur une enqute ethnographique, comment la peur peut contribuer nourrir la recherche et lobjectivation de la ralit vcue par des populations auxquelles lenquteur nappartient pas. Trs peu souvent voque dans les comptes rendus denqute ethno-graphique, la peur est une motion que jai ressentie plusieurs reprises sur un terrain denqute consacr une action philanthro-pique dans les quartiers paupriss et sgr-gs de la ville de Boston dans le Nord-Est des tats-Unis. Celle-ci sest manifeste par des ractions psychiques questionnement sur le fait de savoir si lenqute mritait dtre mene, physiques tension artrielle, fixa-tion du visage, diffrentes formes de somati-sation et des adaptations comportementa-les stratgies dvitement de certains lieux, contrle des ractions physiologiques, etc. titre gnrique, je dsigne par peur une mo-tion ressentie par des manifestations psychi-ques et physiologiques. Elle est la dimension affective doprations de catgorisation lies des situations, contextes et interactions. La peur a ainsi t prsente dans un cer-tain nombre de contextes de lenqute, dans des configurations distinctes et a fait lobjet de significations et dintensits variables. Le champ smantique de la peur fait ainsi appa-ratre une gradation, allant de lapprhension la panique, avec des tats intermdiaires comme linquitude, langoisse, la frayeur, la terreur et lpouvante. Lapprentissage de la peur sur le terrain fait apparatre le pas-sage travers des tats dintensit variable : de la crainte issue de la vision extrieure du quartier linquitude lie des situations prcises sur le terrain, inquitude pouvant confiner la panique dans certains cas. Ces

    modalits sont elles-mmes diffrencier de la hantise, inquitude obsdante qui peut se dvelopper force dtre mis en relation avec des situations catgorises comme mena-antes, que ce soit directement ou par le biais de la reprsentation mdiatique de ces environnements.Si jai fortement ressenti la peur dans lex-prience denqute, celle-ci tait galement, quoique sous des modalits diffrentes, pr-sente dans la vie des enquts et dans les groupes de parole organiss par la fondation auprs de laquelle lenqute sest droule (voir encadr ci-dessous) comme dautres associations. Malgr leurs diffrences, ces accs motionnels sont porteurs dune com-mune requalification de la peur, qui est gn-ralement considre comme une exprience ngative. Penser la peur permet dtablir un lien entre le ressenti de lenquteur et la ra-lit vcue des enquts, mme si ce lien nest en aucune manire systmatique et gnrali-sable. Il est lui-mme interroger et cest en ce sens que cet article souhaite approfondir cette motion : si la distance sociale dont la peur tmoigne nest jamais abolie, elle peut tre travaille rflexivement. Jvoquerai tout dabord la peur ressentie en premire per-sonne travers la restitution dimpressions issues de lenqute de terrain. Je mattacherai montrer comment un travail rflexif sur celle-ci permet de relier lexprience vcue une comprhension sociologique plus large. Puis, je montrerai la manire dont la verba-lisation de la peur est un lment central de lordre interactionnel construit, au travers de runions publiques avec les habitants, par la fondation sur laquelle portait lenqute. Lobservation, qui implique ncessairement une participation aux interactions qui sy droulent, des activits associant une partie des habitants une fondation a fait appa-ratre, pour ces acteurs trs prcisment situs socialement, limportance de ce mca-nisme dintriorisation des normes sociales.

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    Ressaisi dans le contexte dinteraction et dnonciation qui le produisait, le discours sur la peur fait apparatre la dimension politique du discours motionnel (Kra-panzano 1994: 6). Ltude de la peur et du registre motionnel de lenqute de terrain rvle, plus largement, la manire dont les motions contribuent intgrer ou sparer lindividu de la communaut (Katz 1999 : 16). Contrairement dautres manires de les apprhender qui insistent sur la ncessit de les saisir en-de de toute reprsenta-tion (Katz 1999: 4), les motions sont la source dun ordre social rgi par des rgles aussi strictes quimplicites et cet ordre sera ici ressaisi partir de son expression et de la manire dont elle est suscite.

    Lapprentissage de la peurLa peur de lenquteur ne rencontre pas toujours celle des enquts mais les deux

    sont nanmoins lies. Celle de lenqu-teur se caractrise ici non seulement par sa posture dextriorit irrductible mais aussi parce quelle est transmise en partie par les enquts. Cette transmission rapproche les deux types de peur et lie lethnographe ses enquts en neutralisant partiellement la distance qui existe entre eux. Mais il nen demeure pas moins que, quand elle est tem-poraire et circonscrite pour lenquteur, la peur des enquts est omniprsente et gn-ralise et produit des effets sur le quartier dans son ensemble dans la mesure o elle lorganise autant quelle le dsorganise.La peur fait lobjet dun apprentissage pour lenquteur. Elle nest dabord pas prsente. Cest un des bnfices dtre tranger que de ne pas connatre, a priori, les caractristiques et significations des lieux dans lesquels on se trouve et dy circuler de manire relative-ment innocente. Cela a t mon cas lors de mon entre sur le terrain. De prime abord, loin de mtre mfi, je nai dabord tout sim-

    Lenqute a port sur une fondation indpendante, laquelle je donne le nom fictif de Fondation pour le rve amricain (FRA)1. Ancr dans le courant du social business qui importe les mthodes de management du secteur priv au secteur non-lucratif, cette fondation se prsente elle-mme comme une start-up. En agissant sur le tissu conomique, le secteur ducatif et associatif dun quartier parmi les plus dfavoriss de la ville de Boston, elle cherche produire un effet de levier sur le destin des quartiers pauvres. Pour ce faire, la FRA organise notamment des runions publiques. La participation des habitants celles-ci est vue la fois comme le moyen et le signe de leur volont de sortir dune pauvret dabord conue comme un tat desprit fait de dpendance, de passivit et de fatalisme.Cette recherche repose sur des observations participantes aux actions de la FRA : participation aux runions de prpa-ration, au travail quotidien en bureau et aux actions impli-quant la population ou certains habitants sur une base plus individualise. Le mme type dobservations a galement t ralis auprs des nonprofits locaux, notamment ceux dont la

    vocation est daider les anciens dtenus se rinsrer (reentry programs). Enfin, pour comprendre les modalits de rcep-tion de ces actions par les habitants, jai cherch multiplier les contacts avec ceux dentre eux qui simpliquaient dans les nonprofits en les frquentant dans dautres contextes : socia-bilit informelle, espaces de mobilisation politique et sociale, frquentation des glises, etc. Lenqute de terrain a dur huit mois et permis plusieurs dizaines de journes dobservation dans ces divers contextes.Les quartiers o la FRA intervient appartiennent lensemble des trois quartiers de Roxbury, Dorchester et Mattapan qui concentrent les populations africaines amricaines et latino-amricaines de la ville. Ils se caractrisent par le cumul des formes de dsavantage caractristiques des inner-cities o les strates les plus dfavorises des populations minoritaires rsi-dent du fait de la sgrgation raciale et sociale en vigueur. La criminalit y est galement trs prgnante : la grande majorit des homicides, attaques mains armes, vols violents commis Boston se droulent dans ces quartiers.1. Pour une prsentation gnrale de lenqute, voir N. Duvoux (2014).

    Lenqute de terrain

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    plement pas pens avoir peur de me mou-voir librement dans ces lieux. Cest, en effet, de lextrieur que la peur est venue. Malgr leur relative proximit par rapport au cen-tre-ville de Boston il faut une vingtaine de minutes pour se rendre de la gare ferroviaire de South Station, au centre de la ville, la station de bus de Dudley qui est un des cen-tres nvralgiques des quartiers du Sud de la ville ces derniers sont considrs comme un autre monde par les habitants des quartiers centraux et plus aiss, que ce soit de longue date comme Beacon Hill ou plus rcemment comme pour le South End. Des inflexions linguistiques tnues mais significatives ont t les premiers signes qui mont permis de mesurer limportance du label de quartiers ghettos qui leur a t appos. Au lieu de conclure une interaction quotidienne par un rituel take care ou have a good one , les personnes avec qui je mentretenais me quit-taient par un be safe qui pouvait indiquer quune menace physique plus immdiate planait sur moi ds lors que je leur faisais part de mes dplacements.La peur sest alors immisce sous la forme dune apprhension vague du quartier o mon enqute se centrait progressivement. Face cette motion, mon premier rflexe a t de me mfier. Sociologue blanc dans un quartier dont les caucasiens ne consti-tuent quune infime minorit de la popu-lation, issu dun milieu ais, aussi bien par mon histoire personnelle que par mon ancrage local Cambridge, dans un milieu marqu par une pauvret de masse, il tait naturel que celle-ci se manifeste, ne serait-ce que sous la forme dun ethnocentrisme de classe inconscient, li une incapacit per-cevoir le sens de relations qui apparaissaient dabord sous les apparences de la violence. Les observateurs les plus aviss de la ban-lieue ont remarqu cette violence des chan-ges banals (Lepoutre 1997). La posture de sociologue rclamait de sopposer la peur

    galement en ce quelle exigeait de se distin-guer, pour dvelopper des relations avec mes enquts, de ce que je percevais, sans doute navement, comme la peur des membres des nonprofits avec lesquels je travaillais. Ce qui ma rapidement frapp, cest que ces mem-bres partaient immdiatement des runions dans leurs voitures gares juste en face des difices. Recueillir des informations direc-tement, frquenter le terrain sur de longues priodes, y rester autant que possible et sai-sir toutes les occasions dy entrer a t une manire daffirmer une posture de proximit, posture qui correspondait la fois une volont personnelle, une ncessit profes-sionnelle et un rite de passage qui mtait implicitement ou explicitement impos par mes enquts. Venir eux tait souvent un test de mon engagement comprendre la ralit de leur environnement et de leur exprience. Mon arrive leur domicile, o laccueil tait toujours chaleureux mme en situation de forte contrainte, de garde des enfants par exemple , tait souvent salue par une exclamation de surprise rjouie et des expressions comme tu tes point ! ( You showed up! ).Vague apprhension lorigine, ma peur sest renforce par la frquentation mme du terrain. La diversit des modes daccs ma conduit prouver des situations o la peur se manifestait de manire plus directe que par des mises en garde extrieures. Cela a notamment t le cas lorsque jai t confront au vide, pour moi inattendu, des espaces publics des heures o les autres quartiers de la ville connaissent une impor-tante affluence. Cela indiquait dabord que les conditions sociales dun usage ais de lespace public, de la rue, ne sont pas runies. L o elles existent, elles ont fait lobjet dune dcision consciente et sont mises lpreuve quotidiennement. Ces grands espa-ces alternent avec des ruelles troites et sou-vent vides galement, quand elles ne font pas

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  • Nicolas Duvoux La peur de l ethnographe130130

    simplement lobjet dun abandon donnant lieu la naissance de friches o les herbes et vgtaux peuvent se mler aux lments btis dlaisss ( vacant lots ). La circulation rpte dans un tel environnement nest pas sans produire une exprience o la perte des repres fait natre une anxit vague mais dont il est difficile de se dfaire.Ds lors quelle a t lie une connaissance plus fine des ralits sociales locales, lappr-hension sest mue en une plus grande scu-rit. Pour y parvenir, il ma parfois fallu me forcer prendre certaines routes, ouvrir certains itinraires, ne pas dlaisser cer-taines pistes, au sens trs littral de traces matrielles dans lespace urbain. La curiosit volontaire a compens lide quune mau-vaise rencontre ou son anticipation exces-sive pouvait me priver dun accs au terrain ou le limiter. Au prix de cet effort dlibr, jai dvelopp, aprs quelques semaines de prsence dans le quartier, une interconnais-sance avec certains enquts, notamment dans un primtre de quelques rues dans les-quelles gravitaient lessentiel de ceux-ci, soit parce quils y habitaient, soit parce quils sy rendaient dans des permanences associati-ves ou pour leurs courses. Celle-ci, ainsi que lhabitude, ont fini par me donner un senti-ment de scurit. Ces lieux taient devenus un environnement apprivois, sinon familier mais o javais, en tout cas, pu construire des repres, o je savais o je pouvais trouver untel, o je saluais rgulirement des habi-tants avec qui javais chang, etc. Au fil dune immersion de plusieurs mois, la peur que jai pu ressentir sest faite plus rare mais elle est aussi devenue plus intense dans la mesure o il mtait de plus en plus possible de distinguer les situations o une ventuelle interaction indsirable serait matrisable de celles o elle ne le serait pas.La mise distance de la peur ne pouvait pas faire office de seule posture sur le long terme, simplement parce quelle aurait fini

    par se retourner contre mon objectif de dvelopper des relations avec mes enquts si javais persvr la nier, ne serait-ce que parce quune partie de mes enquts vivant dans le quartier na eu de cesse de me mettre en garde contre le sentiment de scurit que je pouvais ressentir dans le micro-quartier o javais pris lhabitude dvoluer. Pour pouvoir enquter, il a fallu se soumettre ce que la peur ordonne de faire : adopter des mcanismes dadaptation, de slection des itinraires, de contrle comportemental lors de certaines interactions. Cette normalisa-tion de lattitude sest rvle dautant plus ncessaire quau-del du fait quune lutte consciente contre la perception mme invo-lontaire dun danger aurait sans doute t impraticable sur la longue dure, elle aurait surtout eu pour effet de me labelliser de manire trop visible auprs des enquts. Devenir, ft-ce de manire trs sommaire, street smart , cest--dire dabord connatre les hot spots du quartier et les contourner, apprendre se reprer de manire rapide pour viter tel ou tel coin de rue connu pour ses rixes et shootings frquents sont autant de conditions indispensables pour que le statut denquteur puisse tant soit peu se faire oublier dans les interactions quoti-diennes. La connaissance fine du quartier, de ses frontires internes, est une part essen-tielle du monde social de ses habitants et la peur y donne un accs privilgi. La peur que jai pu ressentir sest trouve rendue nor-male et susceptible danalyse du fait quelle tait partage et observable tant dans les mots que dans les actes des habitants. Les nombreux trajets, pied, en voiture, en bus ou en vlo, faits en compagnie dhabitants du quartier mont appris quils suivaient des itinraires prcis, vitaient certains coins de rue particulirement frquents par des jeunes, faisaient attention ne pas croiser leurs regards, ne restaient pas dans les rues simplement discuter. Confronts au risque

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    daltercations dont lissue est rendue incer-taine par la circulation des armes feu, les habitants contiennent leurs ractions pour viter den susciter, particulirement quand ils sont en interaction avec des jeunes quils catgorisent comme dlinquants. La peur peut tre dfinie comme la coloration affec-tive de cette catgorisation dusage perma-nent dans la vie quotidienne et qui se focalise sur ceux que William Julius Wilsons (1987) dsignait, il y a plus de vingt-cinq ans, comme the truly disadvantaged : les jeunes hommes noirs, et aujourdhui aussi latino-amricains, dqualifis et notamment ceux qui adoptent le code vestimentaire et comportemental de la rue. Ainsi, alors que je djeunais dans un fast-food local, trois adolescents passrent insensiblement du jeu au combat et leurs mouvements finirent par tre assez amples et vifs pour incommoder leurs voisins qui scartrent de leur table. La serveuse derrire le comptoir, une femme latino-amricaine denviron cinquante ans, dt lever la voix pour les faire arrter. Elle le fit cependant en leur marquant un respect trs appuy pour ne pas attiser leur colre et prendre le risque de la faire driver sur elle : Can everyone just calm down please? dit-elle ainsi en insistant et en sarrtant sur ce dernier terme. Elle reprit ensuiteen renouvelant la marque de politesse qui avait conclu sa prcdente phrase : please remem-ber there are other people around you guys . Cest parce que les habitants de ces quartiers ont la conscience permanente quils vivent dans un environnement porteur de menaces quils parviennent y voluer dans la dure. Le travail relationnel implique dactiver des motions (Theodosius 2008) parmi lesquel-les, dans ces quartiers, la peur figure au pre-mier rang.Si la peur est une motion qui organise socialement le quartier et permet aux rela-tions sociales de stablir selon un certain ordre des choses (voir lexemple ci-dessus),

    elle participe galement une inscurit gnralise au sein du quartier qui contri-bue en mme temps le dsorganiser et le rendre instable.

    Peur et (ds)organisation sociale du quartierLa peur dune frange de la population enqute rvle son enfermement dans la pauvret urbaine et atteste de lisolement dans lequel cette strate de la population des quartiers se trouve. Une frquentation rgu-lire du quartier ma ainsi permis de dve-lopper une meilleure comprhension de la nature de la dsorganisation sociale (Wil-son 1996) qui le marquait. Cette connais-sance de premire main a confirm, autant quelle a limit, cest--dire transform, plus quannul, limage ngative et inqui-tante que ce quartier renvoyait, linstar des autres quartiers pauvres. La littrature sur la pauvret urbaine contemporaine, partie du constat labor par W.L.Wilson dune dprise cumulative de lespace public par les habitants au profit de la frange impli-que dans les activits dlinquantes depuis les annes 1980 et 1990, sen est progres-sivement dtourne pour faire apparatre la diversit interne des quartiers pauvres, souvent identifis des ghettos (Small et Lamont 2008). Cette htrognit existe de fait et jen soulignerai les enjeux plus loin. Elle ne sen dploie pas moins dans un contexte qui produit des effets sur lensem-ble des habitants : mes enquts eux-mmes taient trs prudents. Cela renvoie au fait que les formes dorganisation endognes qui sy dveloppent sont elles-mmes perturbes et les changes sociaux rendus moins matri-sables par l'instabilit des situations sociales des habitants. En effet, loin quune organi-sation sociale endogne puisse sy stabiliser, comme cela a pu tre le cas dans la priode

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    allant de la fin de premire guerre mondiale aux annes 1970 par exemple (Drake et Cayton 1944 ; Wacquant 2011), les quartiers les plus pauvres sont travaills par des logi-ques exognes puissantes qui inscurisent radicalement les populations. Tout dabord, la dsindustrialisation a nourri un chmage massif, le dveloppement de lconomie informelle et une forte violence interper-sonnelle. La prcarisation des emplois et la rforme de lassistance ont priv les habi-tants de ressources stables. La sgrgation de ces quartiers contribue exposer leurs habi-tants diverses formes de discrimination et de prdation, en matire de logement par exemple (Massey et Ruth 2010 ; Desmond 2012). De mme, la rponse pnale la dlinquance, massive sur les strates les plus dfavorises des minorits africaines et, un moindre degr, latino-amricaines (Wes-tern, 2007), produit des effets dstabilisants qui vont bien au-del de la situation indivi-duelle des condamns (Comfort 2007).Dans ce contexte, la peur guide les pas des habitants, au quotidien, de manire lit-trale. Elle leur permet de survivre dans leur environnement mais elle limite gale-ment considrablement leurs dplacements et contribue reproduire la pauvret qui lengendre. Leffort pour adopter des strat-gies de circulation limite et slective dans lespace urbain comme pour contrler son comportement, notamment le regard, per-met dprouver la distance entre lunivers professionnel des classes moyennes et par-ticulirement du secteur des services forte valeur intellectuelle ajoute o les changes informels et la confiance intersubjective jouent un rle important et celui des quar-tiers pauvres. Cet effort permet, en retour, de mesurer la distance que les habitants doivent oprer, en sens inverse, pour ne pas tre cantonns leur environnement local. Une des manifestations les plus problmati-ques de la peur est en effet quelle fonctionne

    comme un mcanisme denfermement. Elle est tellement ancre dans lexprience quoti-dienne quelle structure les manires dagir, de sentir, de penser, bien au-del des ratio-nalisations conscientes ou des stratgies dvitement par lesquelles elle se manifeste. La littrature sociologique a renseign le fait que ces attitudes, vitales pour survivre dans lenvironnement des quartiers pauvres et sgrgs, pouvaient se retourner contre leurs habitants ds lors quils en sortaient (Wilson 1998: 6). Elijah Anderson (1992) a montr comment les habitants des quar-tiers pauvres de Philadelphie surveillaient constamment leurs dplacements et leurs attitudes en prsence de jeunes adoptant le code de la rue dans leur langage ou leur tenue vestimentaire. viter de regarder dans les yeux est un impratif et le non-respect du code peut se payer trs cher et trs vite. En situation dentretien dembauche, cette habi-tude comportementale peut se rvler dsas-treuse. Il condamne ceux qui lont adopt aux yeux de ceux qui sattendent tre regards directement, en face. Le contrle comporte-mental que lenquteur doit observer et les rappels lordre que ses allis peuvent lui adresser sil sen loigne trop lui permet de prendre la mesure de leffet de la peur que les habitants ressentent sur leurs possibilits de participation la socit. La peur enferme dans la pauvret urbaine.Il est donc tout fait comprhensible que, dans le cadrage de la pauvret opr par la fondation observe, reconnatre et expri-mer les motions, mme ngatives, soit une manire de se dfaire de leur influence poten-tiellement enfermante. En effet, de manire tout fait conforme aux assertions fonda-mentales de la socit tasunienne propos de la pauvret, la fondation dfinit celle-ci moins par un manque de ressources matriel-les que par un tat desprit fait de fatalisme, de dfaitisme et de passivit, ensemble de sous-textes condenss par le terme dpendance

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    (Fraser et Gordon 1994). Ce cadrage occulte les dterminants structurels en mme temps quil justifie la mise en uvre dactions visant changer la manire quont les habitants de se reprsenter eux-mmes et leur quartier. Outre la mise en lien des habitants, les discussions inities par la fondation avaient pour vocation de produire des discours destins laborer un ordre social autour de la volont des habi-tants rassembls. Or, lmotion joue un rle majeur dans la tentative de recration dun tel ordre social entendre au double sens dune diffrenciation sociale appuye sur une civilisation des murs (Elias 1994: 443). Cest dans ce contexte prcis que la peur que jai ressentie a pu jouer un rle de rvlateur. En effet, le discours de la peur fait ressortir le dsir de rintroduction dune distance sociale avec leur environnement qui anime une partie des habitants. En donnant voir le quartier tudi comme plus htrogne quon ne se le figure avant dy pntrer, la peur indique autant lexistence dune distance sociale de lenquteur que et cest ce rsultat qui est plus novateur celle dune partie des enqu-ts par rapport son propre quartier.

    Le partage de la peurLa peur tait omniprsente dans les runions publiques de la FRA auxquelles jai assist. Celle-ci apparaissait dans ces circonstances comme une ralit massive et crasante dans la mesure o, contrairement la mienne, elle ne cessait jamais et o lenjeu en la parta-geant avec dautres au sein de la FRA par exemple tait moins de sen dfaire que de vivre avec le mieux ou le moins mal pos-sible. La peur tait exprime sans relche : peur des mres pour les enfants, peur pour les autres, pour soi, peur dtre agress, peur dtre tu, peur de voir ses proches tus ou victimes dune agression, peur de la police3, peur dtre incompris, discrimin, rabaiss,

    humili. Or, exprimer sa peur en public est une manire pour cette population spci-fique du quartier de se rassembler, de faire groupe afin de changer le quartier, dfaut de le quitter.La peur tait le thme central des prises de parole au sein de groupes qui les suscitaient, les autorisaient en les protgeant des murs clos dune salle polyvalente et de la bien-veillance de philanthropes encourageant les pauvres trouver des solutions leurs pro-blmes. Cet cheveau dimages, de mots et dmotions tait souvent confus et parfois dapparence incohrente car alternaient dans le discours suscit par le dispositif de la ru-nion publique des affirmations en apparence contradictoires. Ainsi, dans une table-ronde consacre la scurit, la revendication exprime sous la forme dune critique de labsence de prsence policire ( la police nest pas assez prsente : nous avons peur ) succda la peur de la police, de ses inter-ventions, de sa brutalit exprime par une femme noire ge denviron cinquante ans. Cette profusion de discours, dans une appa-rente confusion, renvoyait cependant une organisation prcise.Je l'ai dit, reconnatre et exprimer les mo-tions, mme ngatives, tait peru comme une manire de se dfaire de leur influence enfermante. Dans cette mise en discours destine (re)crer un ordre motionnel, le silence tait transgressif. Les checs de linteraction (Lichterman 2005 : 275) sont instructifs. Ainsi, lors dune table-ronde o, de manire somme toute assez excep-tionnelle, deux jeunes hommes vtus selon le code vestimentaire de la rue (bandana sombre, chanes et jean port bas) et adop-tant des moues dont il tait difficile de dire si elles taient hostiles ou rsignes taient prsents, lanimation dune discussion sur la peur fit apparatre un profond malen-tendu. Alors que chacun des autres partici-pants une discussion o ces deux jeunes

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    hommes taient prsents dirent leur peur et leur incomprhension, ceux-ci refusrent de sexprimer. Pendant les quelques minutes que dura le tour de table, lattente se tourna de manire de plus en plus insistante vers eux et des propositions de prise de parole et dexpression leur furent donnes : vous, vous navez pas peur quil vous arrive quel-que chose ? ; est-ce que vous savez que vos mres ont peur pour vous ? . Leur refus de sortir du rle qui tait le leur fut sanc-tionn par de timides marques de rproba-tion de lanimateur de la table et des autres participants. Ne pas avouer sa peur, ne pas la dire place lindividu dans une situation de dviance motionnelle (Thoits 1985). On voit ici quel point lmotion a pour fonction de rintgrer lindividu dans la communaut (Katz 1999). Il ny a qu la toute fin de la crmonie, lorsquun don fut annonc par un salari de la fondation que cette demande dinvestissement motion-nel fut explicite. Un animateur de rue leur demanda en criant : maissouriez la fin ! Ce quils firent, timidement. La seule vision de leurs dents jusque-l invisibles dans leurs bouches serres dclencha des applaudisse-ments nourris plus que lannonce du don lui-mme. Il ne sagit pas ici de dire que tous les habitants sont soumis la peur, y com-pris donc ceux qui linspirent. Sans doute la peur est-elle chez eux compense ou corri-ge par dautres lments affectifs tels que le frisson li la transgression (Katz 1988), la dynamique dmulation au sein des grou-pes informels ou plus structurs. Le point important est que pour la FRA, dont lac-tion est relaye par une partie, trs spci-fique, des habitants, dire la peur revient manifester son appartenance la commu-naut. Cest une manire pour eux de faire groupe. Ces dclarations sont vues comme ayant un aspect performatif : elles placent ceux qui lont avoue du ct de ceux qui peuvent et doivent semployer faire recu-

    ler les conditions qui la favorisent et parmi lesquelles, en premier lieu, la pauvret et le fatalisme qui y conduit.La matrise et la verbalisation de la peur sont ainsi essentielles pour saisir le contenu des formes de mobilisation des habitants de ces quartiers. La sollicitation par les salaris de la fondation dune rflexion et dun tra-vail sur les motions, dont la peur fait partie, est une dimension essentielle de la diffusion dune culture psychologique de masse dans les catgories populaires (Schwartz 2011). Elle est un instrument par lequel la fonda-tion cherche agir sur les structures cogni-tives et comportementales des habitants. linstar dinstitutions de rgulation ayant une emprise beaucoup plus large, elle fait de cette rflexivit un lment dcisif pour temprer les effets de linscurit sociale (Silva 2013). Loin dtre rejet comme une forme de responsabilisation ou, ce qui revient au mme, doccultation des facteurs conomiques et institutionnels de leur pau-vret, par les habitants qui participent aux actions de la FRA, ceux-ci y trouvent des lments pour soutenir une identit fragi-lise par la proximit et le risque de conta-mination quelle induit avec les franges plus dfavorises. Les habitants qui participent, en tant que volontaires, aux actions de la FRA sont parmi les moins dfavoriss des quartiers, ceux qui ont suffisamment de ressources pour chercher sorganiser pour amliorer leur sort mais pas assez pour quitter le quartier. Ils appartiennent donc des strates susceptibles de sapproprier un discours de responsabilisation qui les distingue de strates plus dfavorises4. Ces strates subissent la sgrgation raciale, spa-tiale et sociale de la majorit blanche et de classe moyenne dune mtropole trs pola-rise mais vivent galement sous la menace quotidienne de leur environnement. Elles sont prises dans une double contrainte par rapport laquelle lattention leurs pro-

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    pres motions apparat la fois comme une manire de contenir sa peur, de ne pas tre stigmatis cause delle et un remde. Cette partie de la population partage bien des traits moraux avec la bourgeoisie noire (Patillo 2007) et, en labsence de fronti-res sociales nettes avec, cest en traant des frontires symboliques (Lamont et Mol-nar 2002) avec son environnement quelle affirme son identit. En verbalisant la peur,

    elle rapproche ses catgories de perception de celle des habitants des autres quartiers et se spare de ceux de son propre environne-ment. Cette strate dhabitants tablit ainsi une diffrence entre ceux qui ressentent une motion susceptible dtre partage par tout tre humain dans un contexte de violence et ceux qui ne la ressentent pas cest--dire, dans le contexte prcis des interactions observes, ne lexpriment pas.

    Save Ourselves est une petite structure parraine par la Fon-dation pour le rve amricain. Elle sidentifie presque son fondateur, Bill. Celui-ci est un responsable communautaire bien implant localement. Son ct hbleur, sa manire de me prendre littralement sous son paule ce qui est faci-lit par la diffrence entre sa carrure et la mienne et le caractre rd de son discours en font pour moi une nigme et un prcipit de ce que lAmrique peut avoir dtrange : entrepreneur de morale nolibral, il est aussi prdicateur dune vague religion du dveloppement personnel et un zlote de la thrapie au sein de la population afro-amri-caine. Son nergie pour le secteur associatif, et pour massu-rer des entres de terrain, est en apparence inpuisable. Elle aussi lie au fait quil y trouve une identit positive et une place dans sa communaut dont il est, sinon, dpourvu. Bill est un marginal scant entre le secteur associatif local et les acteurs venus du centre-ville. Cest aussi pour cela, pour crer ou maintenir ce lien, quil ma fait venir. La runion a lieu, autour dun djeuner, dans la salle neutre dun petit immeuble de brique rouge de trois tages au cur de Dor-chester pour tre plus accessible aux habitants.La logistique de la runion se rsume deux lments : la nourriture que Bill apporte dans deux grandes botes dalu-minium et les rcits que chacun des participants, recruts par rseaux informels ou au contraire envoys par des institutions en charge de la rinsertion danciens dtenus, vient partager. Six personnes sont installes en cercle autour de lui : trois jeunes hommes, un plus g et deux femmes, une jeune qui aide Bill organiser les runions et une conseillre ducative, seule personne blanche, sociologue except, autour de la table. Bill commence par rappeler son exprience dincarcration. Lui aussi a vcu ce que vivent aujourdhui ceux qui souffrent dans la communaut. Aprs ce prambule, lhomme noir le plus g prend la parole. Le visage abm, il sexprime lentement, la voix basse et

    raille, ses lvres sches ont du mal se dcoller lune de lautre. Parler lui est visiblement une souffrance. Il voque son addiction, lesclavage dans lequel la drogue la plac, les btises quelle lui a fait commettre et lenfer quil a vcu en prison. Je ralise que son ge, quil ne souhaitera pas don-ner, la diffrence des autres participants nest peut-tre pas si important. Je limaginais dans la cinquantaine, le parcours quil dcrit et le nombre dannes de prison effectues pour vol mains arms en lien avec son addiction la sortie de ladolescence tendent plutt le situer dans la trentaine. Il conclut en disant avoir chang et tre en train de travailler pour la communaut. Il parle beaucoup du VIH autour de lui et tente de prvenir les jeunes de certains comporte-ments. Il se dit dpass par ce qui se passe autour de lui : les meurtres, les violences. Il se tait finalement. []La parole circule, un homme portant une longue coiffure rasta sexprime son tour, lentement. Il se dit traumatis par la mort dun de ses amis, tu dans la rue il y a quelques semaines un carrefour. Tout le monde autour de la table connat le lieu exact et les circonstances de lvnement. Bill dit, sappuyant sur ce cas comme sur un exemple clinique, quil faut lui apporter du soutien car sinon, il y a un risque quil nintriorise le traumatisme ( he has to be supported during that rough time, otherwise he would internalize the trauma ). Lhomme dit que parler lui fait dj du bien parce quen gnral, les gens ne parlent pas parce quils pensent que cest tre fort de ne pas parler. Une des femmes prsentes appuie et dit quil est intressant pour elle de comprendre, de lintrieur, lexprience des jeunes en participant un groupe de discussion comme celui-ci. []Fin du tour de table. Bill reprend la parole et ce qui a t dit. Il rattache cette difficult parler leffet de lintriorisation du racisme par les noirs. Il rappelle que les noirs ont t les premires victimes du racisme de la part des blancs et que si lorigine des maux dont souffrent les noirs, en tant

    Notes dobservation : Save Ourselves, le groupe de parole de Bill, 7aot 2013

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    Lobservation de cette sance du groupe de parole de Bill permet, par son dpouille-ment mme, de faire apparatre un certain nombre des traits des techniques de matrise de la peur qui se diffusent, par capillarit, partir dacteurs comme la FRA. Dabord, la verbalisation de la terreur individuelle ressentie loccasion dune agression a pour effet de la collectiviser. Lhomme qui raconte la mort de son ami fait tat dune frayeur, intense, glaante et mle dhorreur. Il est plong dans un tat de stupeur. La mise en rcit invite les autres participants, tous au courant des circonstances, parta-ger leur peur. La verbalisation explicite une panique lie un homicide ayant particu-lirement choqu la population, considre comme latente, de manire en conjurer, par un travail conscient, le dveloppement. Surtout, elle vise empcher que celle-ci ne dgnre dans une phobie qui, terme, est perue comme pouvant totalement inhiber lindividu qui y est confront. Frquem-ment exprime par les termes qui expri-ment la plus grande intensit possible de la peur (terror, shock) ou la priphrase souvent entendue scared to death [mort de peur], qui dit bien la menace directe lint-grit physique ressentie, la rptition de la frayeur donne lieu au dveloppement dune

    hantise qui peut elle-mme se muer en peur irraisonne et permanente. Comme cela apparat dans lencadr prcdent, la ma-trise du discours sur les motions organise un rapport o la comptence dans la ma-trise de lmotion est la source dune hi-rarchie interne. Les ractions face la peur ne sont pas plus homognes que ne le sont les populations des quartiers. La rflexivit et la distance dont Bill, en professionnel de la mdiation, fait preuve est alimente par des mdiations symboliques (lectures), relationnelles (formations, changes avec dautres professionnels) o louverture dautres milieux nourrit une matrise de son propre environnement. Il sagit ainsi, travers un travail de verbalisation opr sur les motions, et dabord celles qui sont susceptibles denfermer lindividu, dont la peur, dacqurir une matrise sur lenviron-nement peru, de lextrieur mais aussi par les habitants mobiliss, de manire unilat-ralement ngative : doom and gloom pour reprendre les mots, difficilement traduisi-bles, employs par Bill pour se dpartir de cette vision ses yeux par trop ngative du quartier.Les techniques de soi (Foucault 1982), dinspiration psychologique, sont ainsi mobilises et appropries par des chanes

    quindividus et en tant que groupes, sont bien externes, ces maux ont t intrioriss dans la famille et dans ladoption dun sentiment dimpuissance et de dsespoir, de doute, disolement et de peur. Sappuyant sur un langage bien rd, il rappelle que les symptmes qui ont t voqus sont ceux dune oppression intriorise qui empche de grer les motions et qui spare chacun des autres, de ses enfants, de ses voisins, de sa communaut et de lui-mme. tout cela, la parole constitue un remde, dit-il. Il rappelle limportance pour chacun de contrler ses motions. Il sadresse encore une fois aux jeunes hommes prsents, en leur disant que nous les hommes noirs avons t conditionns tout garder lintrieur ( we are conditioned to pull everything

    in and we all have to process feelings ) et en leur rappelant que leurs dcisions taient importantes, quelles pouvaient changer leurs vies et que surtout ils pouvaient lappeler sils sentaient que les choses leur chappaient. Sil vous arrive quelque chose, respirez et appelez-moi ( if something happens, take a deep breath and call me asap ) leur lance-t-il. Il leur dit, enfin, quil les aime et quils peuvent lappeler nimporte quelle heure, quil serait l pour eux. Sur ce, il se renfonce dans sa chaise, sourit, regarde autour de lui, vrifie que les jeunes avaient bien son numro de portable et lve la runion. Chacun stire et se dirige lentement vers la sortie. Un soleil daprs-midi daot saisit la sortie du petit btiment de brique rouge.

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    dacteur pour oprer une rforme apprhen-de comme indissociablement individuelle et collective. En effet, la diffrenciation opre par la partie des habitants mobiliss autour de la FRA nquivaut pas un rejet de lidentit du quartier. Au contraire, elle est le prlude, et le socle, de sa rforme, et dune rforme dont la dimension morale nest pas spare de ses dimensions sociales. La strate des habitants mobilises par la FRA peut ainsi agir pour sa communaut sans remettre en cause les rgles sociales fonda-mentales de la socit tasunienne : esprit dentreprise, croyance dans le rve amri-cain ; importance des rseaux sociaux, etc. Cest pourquoi la manire dont ces habitants se dfinissent peut converger avec les formes de catgorisation et daction dune fondation philanthropique dont les ressources sont, linstar de celles de nombreuses fondations contemporaines, issues dune accumulation pralable dans le secteur financier (Guilhot 2004). Cette rencontre permet de compren-dre comment la gouvernance privatise, ingalitaire et punitive de lEtat-providence amricain lre nolibrale est reue et, au moins dans une certaine mesure, approprie par une partie de ceux qui en subissent le plus les effets.

    *Cet article montre comment, sous diver-ses modalits, pour partie issues dune rflexivit sur les ractions psychiques et physiologiques vcues dans la pratique de lenqute et pour partie issues des observa-tions de terrain, la peur et le retour rflexif sur celle-ci fournissent des lments de connaissance pour lethnographe. La peur fait dabord partie des mcanismes sgrga-tifs que subissent les quartiers o les franges les plus pauvres des minorits raciales sont concentres. Ressentie par lenquteur, elle le met sur la piste des effets de lexposition des formes dinscurit sociale et institu-tionnelle subies, au quotidien, par les popu-

    lations vivant dans ces quartiers. La peur est intimement lie lexprience des strates de la population qui participent aux actions dune fondation philanthropique visant requalifier leur quartier. Son expression col-lective contribue sa matrise par le groupe en mme temps que ce partage dune mo-tion contribue forger une identit diff-rentielle par rapport dautres strates. La participation des groupes de parole o la peur est exprime renvoie lethnographe son exprience et lui permet dinstaurer un partage qui ne vaut certes pas intgration au groupe mais, tout le moins, lui permet de ressaisir une continuit dexpriences et de comprendre les conditions de possibilit de la formation dun discours sur les autres et donc sur le groupe des habitants mobili-ss lui-mme. Ressentir et accepter la peur permet de saisir le sens que les enquts donnent au monde social dans lequel ils vivent. Elle prside en effet une intrio-risation des normes sociales en vigueur et cette intriorisation manifeste aux yeux des enquts, mieux que toute dclaration, une exprience de leur environnement qui les conduit y intgrer progressivement len-quteur, mme si cette intgration ne peut qutre partielle. Restituer la peur ressentie et observe permet de lintgrer dans un ensemble de mcanismes de reproduction de la pauvret urbaine dj identifis. Elle permet galement de saisir la dimension motionnelle de lordre dinteraction la-bor par une fondation cherchant agir sur ces quartiers. Cet ordre dinteraction passe par la verbalisation et la matrise collective des motions. Ce faisant, cest bien, dans linteraction, un ordre politique qui cherche sdifier pour compenser la dsorganisa-tion du quartier, ordre labor de lext-rieur quoique se revendiquant de linitia-tive spontane des habitants, et dans lequel ceux-ci sont invits prendre la place qui leur a t attribue.

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    Notes1. Je remercie Olivier Schwartz pour sa relecture et ses remarques sur une version antrieure de cet article. Je tiens galement remercier Daniel Cefa, Michle Lamont et Paul Lichterman pour leurs suggestions. Enfin, je remercie les membres du comit de rdaction de Genses pour leurs commentaires. Ceux-ci ont permis de donner une plus grande prcision au propos. Je porte nanmoins lentire responsabilit de celui-ci. Lenqute dont est issue cet article a t finance par la Caisse nationale des Allocations familiales, la Fondation de recherche Caritas et Sorbonne Paris Cit.2. Dautres travaux ont dj abord le rle de cette motion dans lenqute et opr une rflexivit sur la mise en danger de soi, voir par exemple V. Nicolski (2011).3. Cette dernire source de menace est spcifique puisque, rebours de la violence interpersonnelle, elle renvoie une institution et un danger directe-ment apprhend comme politique ou en lien avec lorganisation institutionnelle et sociale, cest--dire une forme doppression collective. En saisir toutes les implications supposerait de complter le travail ici dvelopp au sujet de la peur par ltude dautres motions, comme la colre ou lindignation. titre dhypothse, celles-ci ont sans doute, la diffrence de la peur, pour effet de runir les diffrentes strates de la population africaine amricaine des quartiers, et au-del, dans un mme ensemble symbolique.4. Mme sil existe une indniable proximit entre lordre motionnel cre par la FRA et celui en vigueur

    dans les glises africaines amricaines (Nelson, 1996) en particulier, l accent mis sur les motions posi-tives telles que la joie ou lespoir, en contraste avec la peur tudie dans le prsent article, cette proxi-mit ne peut pas tre rduite une influence directe mais correspond plutt une ractivation, travers la mobilisation dinstruments de type self-help ou appartenant la culture psychologique de masse , de conduites faonnes par la religion (Garnoussi, 2013), mais qui les vident largement de leur contenu religieux. En effet, malgr la prsence de nombreuses glises au sein des quartiers tudis, leur influence en tant quinstitution de rgulation sociale est rduite. Les strates sociales concernes par l intervention de la FRA vivent dans le quartier. De ce fait, mme si elles disposent de ressources qui les diffrencient du reste de la population (diplmes, relative stabilit socio-conomique, etc.), elles ne peuvent apprhen-der la rue et ses menaces comme une pure ext-riorit ft-elle malfique ou, dans le meilleur des cas, rformer comme cest le cas dans le discours religieux tenu par les glises des quartiers africains amricains. Or, la spcificit de ces glises est quelles nont quun lien tnu avec les quartiers o elles sont installes. Les fidles prient et se construisent, en tant que groupe, en opposition au monde de la rue qui prdomine dans les quartiers o ils se runissent, mais dans lesquels ils ne rsident souvent pas. Cette diffrence est essentielle avec les habitants mobiliss autour de la FRA (McRoberts, 2003).

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