dr abderrazak belabes : enquete sur une initiative de creation d’une banque par des entrepreneurs...
TRANSCRIPT
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
1
CHAIRE ETHIQUE ET NORMES DE LA FINANCE Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
en collaboration avec l’Université du Roi Abdulaziz
Séminaire du 20 janvier 2016
ENQUETE SUR UNE INITIATIVE DE CREATION D’UNE BANQUE PAR DES ENTREPRENEURS MUSULMANS DE SAINT-PETERSBOURG AU DEBUT DU XXe SIECLE
Abderrazak BELABES1
Résumé: En dépit d’une littérature abondante, l’écriture de l’histoire bancaire se réclamant ou
attribuée à l’éthique musulmane a peu progressé au cours des trois dernières décennies. Elle s’est
quelque peu endormie sur ses lauriers en se contentant de ses connaissances acquises. L’objet de
cette étude est de mettre en lumière une initiative de création d’une banque musulmane, à Saint-
Pétersbourg en 1907, voire même avant, qui était jusqu'à présent passée complètement inaperçue
des chercheurs. Cette découverte, dans un contexte européen jusque-là inenvisageable à une telle
époque, n'est pas sans conséquences. L’interaction entre finance et éthique religieuse est un
phénomène complexe qui ne peut être réduit simplement à une alternative au système capitaliste, ni
à un substitut au prêt usuraire sur la base de la participation aux pertes et profits. Ce qui ouvre la
possibilité de nouvelles hypothèses se rapportant à des valeurs condamnant l'exploitation du labeur
d'autrui, l’appropriation de ses biens, l’injustice des transactions qui suscitent des dynamiques
d’unité relative et de communauté d’intérêt.
Mots-clés: Histoire, méthodologie, banque, éthique, Islam, Russie, Saint-Pétersbourg
1 Docteur en analyse et politique économiques de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Paris), actuellement
chercheur à l’Institut d’économie islamique, Université du Roi Abdulaziz, Jeddah, Arabie saoudite, membre de l’équipe
de recherche en finance islamique à l’Université de Strasbourg; courriel: [email protected] Je tiens à remercier mon épouse pour sa lecture assidue et ses remarques pertinentes, Mohamed Daoudi pour la
conception de la carte géographique et Pierre-Charles Pradier pour les multiples échanges fructueux qui ont contribué à
étoffer l’enquête.
Les opinions exprimées dans cette enquête sont miennes et ne reflètent pas nécessairement les points de vues de
l’Université du Roi Abdulaziz, ni ceux de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
2
*
« Ce n'est pas ce que vous ne savez pas qui vous pose des problèmes,
mais c'est ce que vous savez avec certitude et qui n'est pas vrai »
Mark TWAIN
I. INTRODUCTION
L'histoire du financement se réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane2 n'en finit
pas de surprendre. Alors que tout semblait avoir déjà été écrit, certains documents
inexplorés ou insuffisamment exploités jusqu’ici bousculent les idées reçues. La fin du
XIXe siècle
3 a vu la création en Turquie d’une association d’aide mutuelle comme
alternative au système bancaire conventionnel (Tuna, 2011: 548). Quelques années après,
en 1891, est née en Inde dans la région de Hyderabad une coopérative d’épargne locale
sans intérêt pour le financement d’activités agricoles (Hamidullah, 1948 ; Islahi, 2015:
119). En 1926 des activités agricoles sont financées au Soudan par le biais du contrat de
moucharaka, où le financeur et le producteur assument conjointement le risque au prorata
de leur apport respectif (Awad, 2002)4. Deux ans plus tard, un jurisconsulte appelle à la
création en Algérie d’une banque opérant selon les règles de la jurisprudence musulmane
(Abu al-Yaqdhan, 1928). Le mérite de telles initiatives est de redonner ses lettres de
noblesse à la variété des modes de financement localement ancrés, au-delà du mode
universalisant d’intermédiation bancaire. La littérature classique stipule habituellement
que l’idée d’une banque musulmane est née, pour les uns, en Malaisie dans les années
1940 (Perry et Rehman, 2011: 107), pour les autres au Pakistan durant les années 1950
(Sarwer et al., 2013: 61), et pour de nombreux chercheurs, en 1963, en Egypte, dans le
village de Mit Ghamr, à travers la création des caisses d’épargne locales par Ahmad Al-
Najjar (Henry et Wilson, 2004: 192).
Cette étude met en lumière une initiative, jusque-là inconnue, relative à la création
d’une banque musulmane, en 1907, voire même avant, à Saint-Pétersbourg, capitale de la
Russie à l’époque. Comment cette initiative fut-elle découverte ? A travers quel support
documentaire ? Est-elle corroborée par d’autres sources en dépit de la rareté des
données ? Quel sera l’impact d’une telle découverte sur la recherche dédiée à l’histoire
bancaire se réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane? La présente étude s'efforce de
répondre à ces questions.
Après avoir précisé notre posture épistémologique et l’hypothèse de base ayant
amené à la découverte du document sur cette initiative, nous explorons les raisons qui
amenèrent la Revue du Monde Musulman à accorder un intérêt particulier aux musulmans
de Russie, avant la mise en contextualisation du document en question et la confirmation
de l’initiative par une étude récente d’un historien russe, avec toutes les conséquences
que cela implique pour la recherche sur l’histoire bancaire se réclamant ou attribuée à
2 Pour éviter le piège de l’anachronisme, la présente enquête privilégie l’emploi de l’expression « banque musulmane »
telle qu’elle a été employée au début du XXe siècle par Bouvat (1908: 817) et, par conséquent, l’adjectif « musulman »
au lieu de « islamique ». 3 Il n’a pas été possible d’assigner une date précise à ce projet. Il mériterait qu'on lui consacre une étude à part entière.
On sait toutefois que son auteur Ahmed Ziyauddin Gümüşhanevî est décédé en 1893. 4 Je tiens à remercier mon collègue chercheur Fadul Abdul Karim de m’avoir orienté vers cette étude importante.
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
3
l’éthique musulmane. Une conclusion générale vient clore l’étude par le rappel des
principaux résultats et quelques recommandations en vue de recherches futures.
II. POSITIONNEMENT EPISTEMOLOGIQUE Si la connaissance scientifique commence par la tension entre savoir et non-savoir
(Popper, 1979, p. 76), l’écriture de l’histoire bancaire se réclamant ou attribuée à
l’éthique musulmane soulève la question suivante: pourquoi des initiatives antérieures
aux années 1940 ont-elles échappé aux chercheurs ou ont-elles été ignorées? Cette
carence relève-t-elle de la langue de recherche qui s’est limitée, jusqu’à présent, à l’arabe,
l’anglais et l’urdu? Du profil des chercheurs dont la plupart ne sont pas historiens de
métier? Du biais partisan qui amène nombre d’entre eux à prouver que leur pays fut le
précurseur du mouvement bancaire musulman? De la croyance que les anciens ont tout
découvert, que l’on vient aujourd’hui trop tard pour découvrir des choses nouvelles et ce,
conformément à la célèbre formule de Jean de La Bruyère (1696, p. 20): « Tout est dit, et
l'on vient trop tard »? Au vu de la littérature, tous ces facteurs semblent jouer un rôle plus
ou moins important. Ce qui attire l’attention en premier lieu, c’est que cette écriture ne
s’appuie que très rarement sur un document historique identifiable et vérifiable. Comme
si elle se justifiait par elle-même, qu'elle n'avait pas besoin d'être étayée ne serait-ce que
progressivement, selon l’évolution des ressources documentaires disponibles.
La découverte de cette initiative contribue à revivifier l’étude de l’histoire bancaire se
réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane, tant sur le plan spatial et temporel qu’au
niveau des acteurs. Si elle amène à dépasser, au niveau spatial, la région regroupant
traditionnellement le subcontinent indien, le Moyen-Orient et l'Asie du Sud-Est, au
niveau temporel, la période mythique des années 1940, au niveau des acteurs, les figures
emblématiques, telles que Ahmad al-Najjar, Saleh Kamel, Mohammed al-Fayçal, elle met
à l’ordre du jour une approche de l’histoire par en bas, se détournant de la chronique des
institutions, des grands hommes ou perçus comme tels (Abdul Alim, 2013), pour
s’attacher à rendre compte de la mise en œuvre de solutions ancrées localement, en
plaçant les acteurs, leurs expériences respectives, au cœur de la réflexion, en explorant les
racines variées de l’idée de financement à référent religieux, les rapports de forces entre
les acteurs en présence (Thompson, [1963]1988). Elle doit, par ailleurs, accorder autant
de soins aux échecs qu’aux réussites. Les échecs ne sont pas seulement instructifs, ils
sont révélateurs des difficultés éprouvées, des obstacles affrontés (Koyré, [1951] 1973:
14).
Si chaque pays, et d’une manière générale chaque groupe humain sur un territoire
donné, a son histoire propre, l’histoire bancaire n’échappe pas à la règle (Mishkin, 2010:
382). Elle doit être écrite telle qu’elle est, sur la base de faits concrets, non des
suppositions et des désirs (Turner, 2012: 28). Il convient de retenir aussi bien sa
composante conventionnelle que celle qui se réclame d’une éthique spécifique. Nul ne
peut renier son passé, et ceux qui refusent de s’y confronter seront condamnés à le revivre
tôt ou tard. A ce titre, l’initiative de création d’une banque musulmane à Saint-
Pétersbourg appartient à l’histoire bancaire russe.
La banque dite « musulmane » n’est pas issue d’un mouvement préalablement pensé et
élaboré, elle est une construction sociale pour la satisfaction d’un besoin local ou la
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
4
résolution d’un problème issu du même niveau spatial. Chaque information découverte,
quelque minime que puisse paraître son importance, peut être emblématique d’une
période donnée de l’histoire dans un espace donné, qui non seulement fonde la
connaissance sur l’intermédiation financière d’une époque historique, mais fait partie du
patrimoine de l’humanité et mérite, à ce titre, d’être étudiée dans une perspective
d’histoire mondiale (Hodgson, 1998), loin de toute grille idéologique préconçue, de toute
généralisation hâtive.
L’objet de l’histoire bancaire se réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane est de
jeter la lumière sur la manière dont les faits sont traduits en termes culturels et s’incarnent
dans des traditions, des valeurs et des formes institutionnelles tout en s’inscrivant dans
une perspective de réalisation de profit pour assurer la pérennité du projet. L’écriture
d’une telle histoire ne considère pas les acteurs systématiquement comme des exécutants
passifs d’une vision stratégique, ni d’un modèle conceptuel émanant d’une élite
intellectuelle, de mouvements politico-religieux, d’un homme d'Etat charismatique,
d’institutions internationales telles que l’Organisation pour la Coopération Islamique (ex
Ligue Islamique Mondiale), la Banque Islamique de Développement. Elle ne saurait, par
ailleurs, être ramenée à un simple processus mécanique, et relève tout autant de l'histoire
sociale, culturelle et politique que de l’histoire économique. Elle doit renoncer à se
satisfaire de sa propre lecture et relativiser ses connaissances, en cherchant à saisir ce
qu’elle n’est pas. En somme, les outils conceptuels développés jusque-là pour écrire
l’histoire bancaire musulmane montrent leurs limites à plus d’un titre.
III. HYPOTHESE DE DEPART ET DECOUVERTE DU DOCUMENT RELATIF A L’INITIATIVE
La découverte de plusieurs études sur des initiatives de financement se réclamant ou
attribuées à l’éthique musulmane depuis la fin du XIXe siècle, comme mentionné en
introduction, a ouvert la voie à cette étude par la formulation de l'hypothèse suivante:
Si de telles initiatives ont émergé dans le subcontinent indien, en Turquie, au
Maghreb, en Afrique, il est fort probable que d’autres initiatives soient apparues
dans d’autres régions du globe, notamment en Europe dans des régions à forte
concentration de population musulmane, comme c’est le cas en Russie impériale et
dans l'Empire austro-hongrois en Bosnie-Herzégovine5.
Si l’existence d’une initiative dans l’Empire austro-hongrois reste pour le moment une
simple hypothèse, elle est désormais une réalité pour la Russie impériale. L’exploration
de la littérature française, de la fin du XIXe siècle au début du XX
e siècle, a amené à la
découverte d’un document mentionnant la mise en place d’un projet de création d’une
« banque musulmane » à Saint-Pétersbourg (Bouvat, 1908: 817), sous le règne de Nicolas
II, dernier tsar de Russie et de la fabuleuse dynastie des Romanov. L’existence du projet
fut confirmée à la fois par l’hebdomadaire « Le Capitaliste »6 (1908: 270) et le « Journal
5 La Bosnie-Herzégovine, ancien territoire du khalifa ottoman, fut administrée depuis 1878 par l'empire austro-hongrois
et annexée formellement le 5 octobre 1908. 6 Le Capitaliste: hebdomadaire fondé à Paris en 1870.
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
5
des Finances »7 (1908: 396) avec, toute proportion gardée, de précieux compléments
d'information.
L’auteur de l’article, Lucien Bouvat (1872-1942) est loin d'être un novice dans la
couverture des événements se rapportant aux musulmans de Russie. Il est diplômé de
l’Ecole des langues orientales vivantes de Paris, orientaliste, membre de la société
asiatique, traducteur des langues musulmanes (arabe, persan, turco-mongole), connu pour
sa quête inlassable des documents historiques inédits sur le monde musulman. Il est
également membre du comité de rédaction de la Revue du Monde Musulman où
l’information sur l’initiative de création d’une banque musulmane en Russie a été
publiée.
Dès les premiers numéros, la dite revue accorde une attention particulière aux
musulmans de Russie, dans deux rubriques régulières intitulées « Notes et Nouvelles » et
« La Presse musulmane », sans oublier les personnalités familières à la revue, à leur tête
Ismaïl Bey Gasprinski (1851-1914), l'un des premiers intellectuels musulmans de
l'Empire russe à proclamer la nécessité d'une réforme de l'éducation, de la culture et de la
modernisation de la communauté musulmane, l’écrivain Ahmed Bey Agayev (1869-
1939), qui reçut une éducation moderne en Russie, puis en France où il achève ses études
de droit et de langue, le Hajj Zain-ul Abidin Takiyoff, le grand philanthrope, Sadry
Maksoudoff, député de la Douma d’Empire et Président du Conseil National des
Musulmans de la Russie d’Europe et de Sibérie (Le Chatelier, 1910: 154-155).
Les sources utilisées pour s’informer sur les musulmans de Russie sont diverses,
comme le relève Alfred Le Chatelier (1910: 155) premier titulaire de la chaire de
sociographie musulmane au Collège de France et fondateur de la Revue du monde
musulman en 1906: « On est émerveillé, lorsqu’on aborde l’étude des musulmans russes,
de la variété et de l’abondance des matériaux. Mémoires des Instituts et des Sociétés
savantes, publications des administrations scolaires, des Comités de statistiques des
gouvernements militaires, journaux régionaux, et ouvrages savants, on se trouve en
présence d’une masse documentaire aussi nombreuse qu’importante ». Ces matériaux,
oublie-t-il de préciser pour le non initié, sont rédigés en russe et en langue tatare ancienne
écrite avec l'alphabet arabe. Quel est le secret d’un tel intérêt pour les musulmans de
Russie? La réponse à cette question contribuera sans doute à une meilleure mise en
contexte du document relatif à cette initiative.
IV. LES RAISONS DE L’INTERET DE LA REVUE DU MONDE MUSULMAN POUR LES MUSULMANS DE RUSSIE Pour Alfred Le Chatelier (1910: 10), les musulmans de Russie se sont européanisés au
contact des européens de différentes nationalités, à travers une adaptation aux conditions
politiques, économiques et sociales, qui leur vaut une force de vitalité nouvelle. Si la
Russie, rappelle-t-il, a eu sa révolution après la visite de Pierre le Grand en Europe
occidentale en 1696 pour se donner une place dans le concert européen, les musulmans
n’y sont pas restés étrangers: ils ont montré les sentiments qui les animaient, dans la
presse, au Parlement, dans leurs Congrès, tenu en août 1905, où toutes les tendances de
7 Journal des finances: hebdomadaire fondé à Paris en 1867.
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
6
l’islam russe sont représentées. Ils se sont fortifiés en se libérant des entraves au progrès,
des obstacles qui empêchent d'aller de l'avant. En prenant part au mouvement des nations
européennes de nouvelles possibilités d’amélioration des conditions de vie se sont
ouvertes à eux.
En participant davantage à la civilisation européenne, les musulmans, ajoute-t-il,
profitent des facilités qu’ils doivent à la leur, à son étendue géographique, à son unité
sociale, à ses traditions de solidarité, pour mieux se placer dans la grande course de la
lutte pour l’existence, afin d’en tirer le maximum de bénéfice dans les emprunts, les
douanes, les concessions, les affaires, et de s’unir pour minimiser, dans la mesure du
possible, l’influence des non-musulmans dans le champ du commerce, de l’industrie et de
la finance (Le Chatelier, 1910: 64).
La civilisation musulmane, précise-t-il, n’avait jusque-là pas le caractère d’une
formation sociale, en raison de la dispersion de ses éléments constitutifs. Mais le
rapprochement des distances, la rapidité de communication et la multiplicité des contacts
entre les peuples, lui confèrent un rôle de plus en plus prégnant dans la vie de l’humanité.
Les contacts entre ses éléments les plus lointains se développant de jour en jour, le monde
musulman, deux fois plus important numériquement que le monde anglo-saxon, tend à
devenir une force avec laquelle il faudra désormais compter. Dans un futur proche, de par
sa population grandissante, son opinion collective marquera dans l’humanité, et sa
position économique s’affirmera par des empiètements et des monopoles, des exclusions
et des ententes, des ouvertures et fermetures des marchés. Personne alors ne doutera
qu’un pays européen, comme la France, bien placé pour suivre l’évolution du monde
musulman et s’y ménager des sympathies, n’eût perdu ni sa peine, ni son temps, en
élaborant à l’avance une politique musulmane, qui ne pourrait se concrétiser sans une
science sociale objective du milieu musulman (Le Chatelier, 1910: 64-75).
L’idée de sympathie, préconise-t-il aux autorités françaises en place, doit présider à
notre étude du monde musulman slave, comme plus tard au développement de nos
rapports avec ses représentants. Ce qui permettra d’entretenir, le moment venu, plus de
rapports économiques ou sociaux avec les musulmans de la Russie d’Europe ou de la
Russie d’Asie. Notre politique musulmane africaine, ajoute-t-il, pourrait regretter de ne
pas mieux connaître les méthodes de la politique russe dans l’Asie centrale fort
instructives. Personne n’ignore l’exemple décisif qu’elles ont donné de la supériorité de
l’action économique sur toutes les autres (Le Chatelier, 1910: 154). Celle-ci se
matérialise, selon lui, par un chemin de fer, des marchés actifs, des feudataires, émirs et
chefs de tribus russifiés, des ‘ulama ou mollahs8 pacifiés par la politique russe qui en fit
des chérifs9, des sayyids
10, pour combler leurs ambitions religieuses, en les constituant
propriétaires terriens, les riches marchands allant faire leurs affaires d’une ville à l’autre
en automobile (Le Chatelier, 1910: 34-35). Il préconise, par ailleurs, en s’inspirant de la
politique musulmane russe, de collaborer avec les musulmans issus des colonies
françaises pour exploiter des marchés avec les musulmans du monde entier (Le Chatelier,
1910: 83). Ceci explique la raison pour laquelle la Revue du Monde Musulman accorde
8 ‘Ulama ou mollah: érudit religieux.
9 Chérif: descendant de la noble famille du Prophète Mohamed –paix et salut sur lui– dans la littérature sunnite.
10 Sayyid: descendant de Hussein, petit-fils du Prophète Mohamed –paix et salut sur lui– dans la littérature chi’ite.
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
7
autant d’intérêt à la collecte d’informations sur les activités économiques des musulmans
de Russie, même celles qui n’étaient qu'au stade de projet, comme l’initiative de création
d’une banque musulmane.
V. MISE EN CONTEXTUALISATION DU DOCUMENT RELATIF A L’INITIATIVE
La relation entre Islam et Russie est un sujet fascinant qui n'a pas encore reçu une
attention suffisante du milieu académique (Yemelianova, 2002: xi), peut-être parce que
l’Islam est encore perçu comme une religion étrangère. Aussi surprenant que cela puisse
paraître au non initié, la présence de l’Islam à Saint-Pétersbourg remonte à la fondation
de la ville en 1703 par le tsar Pierre le Grand qui en fit la capitale de son empire. Par son
urbanisme résolument moderne et son esthétique d'origine étrangère, la nouvelle capitale
de l'Empire, qui s’est substituée à la vieille Moscou, devait permettre à la Russie d’ouvrir
une fenêtre sur l’Europe occidentale et contribuer à la hisser au rang des grandes
puissances du vieux continent. Les musulmans de Russie, dont la plupart sont tatars à
l’époque, ont contribué à l'édification de la ville et son développement. Ils travaillaient
aussi bien dans le secteur du bâtiment que celui du commerce, de l'artisanat et des
services. Réputés pour leur exceptionnelle bravoure, les musulmans tatars servaient
également dans l'armée, la marine, la sécurité de la famille royale et le palais impérial
(Khalidov, 1994: 245, Frank, 2001: 179).
A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la situation des musulmans tatars de
Saint-Pétersbourg s’améliora relativement sous le règne de Catherine II qui s’efforça de
fournir des conditions favorables à leur développement tant économique que social et
culturel. Dans son esprit, les musulmans intégrés pouvaient devenir les promoteurs
potentiels des intérêts de la Russie et une force civilisatrice pour leurs coreligionnaires
vivant dans l’Empire russe et les régions avoisinantes. Les marchands tatars deviennent
les agents principaux de l’échange commercial entre la Russie et les régions musulmanes
limitrophes, le Kazakstan, l’Asie centrale, l’Iran, l’Afghanistan et la Chine occidentale
(Yemelianova, 2003: 21). Ce qui a permis à certains d’entre eux de se constituer une
fortune colossale, d’investir dans le papier, la tannerie, la filature de laine et, par effet
d’entraînement, le développement de l’artisanat, pour assurer l’approvisionnement en
matière première de manière durable (Lapidus, 2014: 424).
En matière d’opérations bancaires, il n’existait en Russie impériale que des banques
publiques avant l’abolition du servage par Alexandre II en 1861. Le rôle des banques se
limitait à fournir des services au Trésor public et aux propriétaires terriens. La
modernisation de la société russe durant la seconde moitié du XIXe siècle, a ouvert la
voie à la modernisation du système financier avec la naissance de la banque centrale de
Russie en 1860 et l’émergence de banques privées, entre 1860 et 1870, dont le nombre
dépasse la cinquantaine au tournant du siècle avec 778 agences. Elles constituent la
principale source de crédit pour les commerçants et les industriels. Les activités des
petites et moyennes entreprises sont quant à elles financées par les sociétés mutuelles de
crédit dont le nombre dépasse mille sociétés en 1914, avec plus de six cent mille
membres (Petrov, 1991: 1). A cet égard, Halpérine-Kaminsky (1904: 338) relève les
progrès du système de financement russe: « Notons encore le bon marché et les facilités
de crédit mis à la portée autant des industriels que des agriculteurs, non seulement grâce
à la Banque d’Etat, mais aussi à la création de banques particulières pour les
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
8
propriétaires fonciers, paysans, etc. ». Les opérations financières des musulmans
s’effectuaient par les voies informelles ou avec des banques conventionnelles avec
parfois des clauses précises se réclamant de l’éthique musulmane pour les clients
détenteurs de grands capitaux.
Au début du XXe siècle, Saint-Pétersbourg constitue pour les musulmans un centre
d'activité tant sur le plan économique que politique et culturel. Il y a des écoles privées se
réclamant de l'éthique musulmane, des députés de confession musulmane au parlement et
un parti musulman « Ittifak » (littéralement, La concorde), présidé par Ismaïl Bey
Gasprinski (Landa, 1995: 95). Entre décembre 1905 et février 1917, il y a cent quatre-
vingt-quinze titres de périodiques musulmans, journaux et revues, au minimum, qui
représentent une source directe à laquelle les chercheurs de différents horizons peuvent à
plus d’un titre se référer. Les premiers essais de théologiens réformistes à la recherche
d’une conciliation de l’Islam avec le progrès technique moderne apparurent dans les
colonnes de ces périodiques (Quelquejay, 1962: 141), dont certains à Saint-Pétersbourg
comme le montre le tableau 1.
Tableau 1. Titres de journaux musulmans apparus à Saint-Pétersbourg au début du XXe siècle
Titre du journal Signification Langue d’écriture Année d’édition
Mirat Le miroir tatar et arabe 1902
V mire musul’manstyva Dans le monde de l’islam russe 1906
al-Tilmiz L’élève arabe 1906
Il Le pays tatar 1913
Source: Quelquejay (1962: 148-163)
En 1908, le Tsar Nicolas II accorde l’autorisation à un comité d’environ deux cent
personnes de réunir les fonds nécessaires pour la construction d’une mosquée. La collecte
a réuni environ sept cent cinquante mille roubles, une somme importante pour l’époque,
la première pierre est posée en 1910. Elle se dresse depuis 1920 (voir photo 1) à la lisière
du vaste parc de la forteresse Pierre-et-Paul, premier édifice de la ville construit en 1703,
et témoigne d’une certaine tolérance à l’égard de la religion musulmane. Elle est
considérée, à cette époque, comme étant la plus grande mosquée d’Europe avec une
capacité d’accueil de près de cinq mille fidèles.
Photo 1. Mosquée de Saint-Pétersbourg dont la première pierre est posée en 1910
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
9
C'est dans ce contexte que s’inscrit le projet de création d’une banque musulmane à
Saint-Pétersbourg. Au regard de la publication de l’information inhérente à l’initiative
dans les colonnes de la Revue du Monde Musulman en janvier 1908, il est possible
qu’elle ait été lancée en 1907, voire même avant. La question mérite en tout cas d’être
approfondie sur la base de documents originaux en russe ou en tatar ancien dans
l’hypothèse où ceux-ci existent évidemment.
Dans l’esprit des instigateurs du projet, aucune économie moderne digne de ce nom ne
peut se passer de la banque. Si les musulmans de Russie jouissaient de leurs propres
affaires économiques, il était normal qu’ils puissent bénéficier également d’une banque
pour accompagner les entreprises dans leur développement, tant à l’intérieur du pays qu’à
l'étranger. En conséquence, l’activité de la banque devait s’étendre, comme l’illustre la
carte 111
, de Saint-Pétersbourg, bordée par le golfe de Finlande, à Constantinople
(Istanbul) Tiflis (Tbilissi), Tachkent, Boukhara et Khiva, Téhéran, Kachgar12
, Calcutta et
Djeddah13
. Le nom choisi pour cette banque musulmane est « la banque orientale », son
capital s’élève à trois millions de roubles, son but sur le long terme est de suppléer aux
besoins commerciaux et industriels des musulmans du monde entier (Bouvat, 1908: 817;
Le Capitaliste, 1908: 270; Journal des finances, 1908: 396). Ce qui reflète dans une
certaine mesure le caractère pacifique du projet dans une perspective de « doux
commerce » cher à Montesquieu.
L’idée de la banque semble répondre à un besoin réel pour accompagner les
agriculteurs, artisans, industriels et commerçants dans l'exercice quotidien de leurs
activités respectives, et faciliter les échanges avec leurs partenaires à l’étranger en toute
sécurité, en évitant, entre autres, le transport de l'argent liquide qui s’effectuait, peut-être
dans certains cas, sous forme de hawala, un système traditionnel de paiement informel
apparu pour le financement du commerce sur les grandes routes d'échange comme la
route de la soie. A présent, il convient de savoir si l'initiative a été confirmée par d’autres
sources.
11
Je remercie mon collègue chercheur Mohamed Daoudi du département de géographie et des Systèmes d'Information
Géographique pour la conception de cette carte. 12
Ville de la région autonome ouïgoure du Xinjiang (ou Turkestan chinois). 13
La première banque commerciale en Arabie saoudite est fondée à Djeddah en 1926 par la Société de commerce
néerlandaise, connue aujourd’hui sous le nom de Banque saoudo-hollandaise. La succursale servait à répondre aux
besoins des musulmans indonésiens venant effectuer le pèlerinage à La Mecque.
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
10
Carte 1. Villes où l’activité de la banque musulmane devait s’étendre
1
6
3 4
5 7
8
1: Saint Petersburg (Russia) 2: Istanbul (Turkey) 3: Tiflis (Georgia) 4: Bukhara (Uzbekistan) 5: Khiva (Uzbekistan)
6: Tehran (Iran) 7: Kashgar (China) 8: Calcutta (India) 9: Jeddah (Saudi Arabia)
9
2
Source : Conçue par Mohamed Daoudi sur la base des données transmises par l’auteur de l’enquête
VI. CONFIRMATION DE L’INITIATIVE PAR D’AUTRES SOURCES
Après de multiples échanges avec des collègues chercheurs, il s’est avéré que l’initiative
a été relevée par Fayzulhak Gazizullin dans sa thèse de doctorat « La pensée économique
tatare sur la voie du marxisme 1880-1917 » soutenue en russe à l’université de Kazan en
1980. Il y mentionne, écrit Islam Zaripov (2013), « une information sur la création d’une
banque musulmane à Saint-Pétersbourg en 1912. Cependant, ajoute ce dernier, je n’ai
pas réussi à la confirmer par d’autres sources »14
.
Pour ma part, j’ai découvert la confirmation de cette initiative dans une étude de
Boris Anan’ich (2005 : 92) « Il est connu, souligne-t-il, qu’en 1912, il y avait un projet
pour la création d’une banque musulmane spécifique en Russie, mais il ne s'est
apparemment pas concrétisé ». Il s’agit d’un historien russe de l’institut d’histoire de
l’université de Saint-Pétersbourg, membre de l’académie russe des sciences15
, spécialiste
de l’étude du système économique de la Russie impériale, ayant étudié de très près son
système bancaire (Anan’ich, 1988).
14
Je tiens à remercier Pierre-Charles Pradier de m’avoir orienté vers cette source et de l’avoir traduit du russe au
français. 15
http://www.spbiiran.nw.ru/academicians/
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
11
L’expression « il est connu » laisse penser que l’initiative de création d’une banque
musulmane à Saint-Pétersbourg au début du XXe siècle n’est pas inconnue des historiens
russes spécialistes de l’histoire bancaire de la Russie impériale. Reste à savoir s’ils l’ont
puisé de sources primaires ou secondaires ? Le fait d’employer l’expression « banque
musulmane » au lieu de « banque orientale » porte à croire que les données proviennent
de sources secondaires. Ce qui fait apparaître un biais entre la dénomination effective et
sa perception de l'extérieur16
. La réduction de l’identité de la banque et de ses initiateurs à
leur seule dimension religieuse pose problème et ne prend pas en compte la diversité
spirituelle, culturelle, économique et sociale des communautés musulmanes. D’où la
nécessité de passer d’une histoire bancaire musulmane à l’histoire des pratiques bancaires
des musulmans dans leurs sociétés respectives.
L’historien russe relève avec regret que d’une manière générale l’influence de la
religion musulmane sur l’entrepreneuriat dans les différentes régions de l’Empire russe,
et sur la population musulmane, n’a pas été explorée (Anan’ich, 2005: 92). En tout état de
cause, à la lumière des connaissances actuelles, l’initiative a été lancée en 1907, voire
même avant, et est restée soumise aux autorités compétentes jusqu’en 1912, mais n’a pas
eu de suite favorable. Il n’y a donc pas de contradiction entre l’information relevée
précédemment par Bouvat et celle mentionnée par Anan’ich en l’espace de près d’un
siècle.
En outre, ce dernier apporte un éclairage nouveau sur le choix des villes de Boukhara
et Khiva relevées par Bouvat (1908: 817). Dans ces villes, souligne-t-il, la tradition
musulmane prédominait dans le monde des affaires. La juridiction russe n’y était pas en
vigueur, et dans l'accomplissement des opérations financières, tels que les prêts
hypothécaires, par exemple, les entrepreneurs locaux ne recouraient pas aux modes de
prêt proposés par les banques capitalistes conventionnelles, mais utilisaient des contrats
de financement se réclamant de la chari’a. A ce titre, il relève deux contrats, mentionnés
par Khomatov (1990: 106, 250) dans une étude sur « Le rôle du capital bancaire dans le
développement socio-économique de l’Asie centrale », conclus en décembre 1912 entre
des hommes d’affaires de Boukhara et des banques russes conventionnelles (Anan’ich,
2005: 92). Le premier fait référence à « l’autorité légale de la chari’a » pour justifier une
certaine éthique des affaires, le second, à travers la phrase « je vendais en accord avec la
chari’a », souligne que le respect de cette éthique s’inscrit dans la durée pour toute une
frange des entrepreneurs tatars. Au vu de cet éclairage, le qualificatif « musulman » de
l’expression « banque musulmane » renvoie à une référence aux injonctions de la loi
musulmane. Il reste cependant à préciser le contenu de cette référence au regard de
l’opinion juridique adoptée ou de l’effort personnel d’interprétation.
Il convient de relever que la création d’une banque musulmane en Russie a constitué
l’un des thèmes phares de la revue « Iqtiçād » (littéralement, économie), créée en 1908 à
Samara, située aujourd’hui à environ 1187 kilomètres de Saint-Pétersbourg à la frontière
du Kazakhstan et publiée de 1908 à 1913. Son fondateur, rédacteur en chef et éditeur, est
Muhammad Fatih Murtazin (1875-1938), l’imam de la ville de Samara qui reçut une
16
Paradoxalement, l’expression « banque musulmane » a été largement reprise par les chercheurs musulmans sans la
moindre réserve. Bien plus, il existe, selon certains d’entre eux, un modèle de banque musulmane qui trouve sa source
chez le Compagnon al-Zubayr ben al-ʿAwwām à la Cité originelle de Médine (El Tiby, 2010: 8).
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
12
éducation dans les écoles religieuses traditionnelles de Kazan. Outre ses activités
d’enseignement, de rédaction, il a été membre du conseil d’administration de la banque
conventionnelle de Samara. « Nous musulmans de Russie, peut-on lire dans un éditorial
des cinquième et sixième numéros de 1913, représentons 25 à 30 millions de personnes,
nous ne devons pas un instant perdre de vue la création d’une banque. Tôt ou tard, cela
devra se réaliser. La résolution de ce problème permettra de trouver notamment une
solution à la question de vie et de mort économiques de millions de musulmans de
Russie »17
. Il est fait allusion, semble-t-il, à l'effet boule de neige et la spirale sans fin de
la dette qui mènent souvent à la ruine. Selon toute vraisemblance, l’initiative de création
d’une banque musulmane qui a eu lieu en 1907, voire même avant, ne pouvait provenir
de la revue « Iqtiçād ». Néanmoins celle-ci apporte un éclairage nouveau sur la manière
de concevoir le fonctionnement d’une banque musulmane à cette époque dans un
contexte sécularisé où la population musulmane est minoritaire.
Dans son huitième numéro de 1910, la revue « Iqtiçād » perçoit la banque
musulmane comme un intermédiaire financier dont le rôle est d’accorder un intérêt aux
dépositaires et de percevoir le même intérêt des emprunteurs de manière à assurer in fine
un équilibre entre le flux usuraire entrant et sortant. « Jusqu’à ce jour, pouvait-on lire, les
musulmans ont payé des intérêts en empruntant à la banque sans pouvoir bénéficier eux-
mêmes des intérêts ? S’il y avait une seule banque musulmane, les intérêts sur les dépôts
couvriraient ceux des prêts de sorte que la richesse des musulmans reste entre les mains
de la communauté »18
. L’existence d’une telle banque, souligne la revue dans son
troisième numéro de 1911, peut être considérée comme une bonne action dans la mesure
où son but est la coopération et l’assistance mutuelle en vue de promouvoir et de
préserver la richesse de la communauté musulmane russe de l'injustice et l'appropriation
des biens d'autrui sans droit19
.
L’étude de l’historien russe Anan’ich confirme que l’initiative de création d’une
banque musulmane ne répondait pas seulement à un besoin local des musulmans de
Saint-Pétersbourg, mais également à celui de leurs coreligionnaires vivant, notamment à
Boukhara et Khiva où l’économie était tirée par des entrepreneurs musulmans. Le choix
de ces villes pour abriter des agences bancaires n'était donc pas fortuit. Reste à savoir si
les musulmans de ces villes n’ont pas pensé eux aussi à créer une banque prenant en
compte leur sensibilité éthique. En tout état de cause, une question reste en suspens:
pourquoi le projet n’est-il pas arrivé à son terme?
• La raison tient-elle aux demandeurs qui n’ont pas rempli toute les conditions requises
pour la création d’une banque?
• Au désistement de l’un des principaux actionnaires pour une raison ou une autre?
• A un blocage de l’autorité administrative compétente, comme ce fut le cas pour le
projet de création d’une banque musulmane en Algérie à la fin des années 1920, sous
prétexte que « son temps n’était pas encore venu » (Belabes, 2013: 22)?
• A une objection du lobby bancaire de l’époque sur la place financière de Saint-
Pétersbourg?
17
D’après Zaripov (2013). 18
Zaripov, op. cit. 19
Ibidem.
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
13
• A la pression d’une force étrangère alliée à la monarchie impériale de Russie, dans la
mesure où l’activité de la banque pouvait s’étendre à sa zone d’influence? Une piste
de recherche qui mérite d’être explorée tient à la création de la banque orientale à
Londres en 1909 (Archives in London and the M25 area, 2011), c’est-à-dire peu de
temps après l’apparition de l’initiative de Saint-Pétersbourg.
La révolution russe de 1917 met de facto un terme à toute initiative privée
indépendamment de son référent théorique ou moral. Le système financier de la Russie
impériale construit durant des décennies fut complétement détruit (Peterov, 1991: 1). Si
de telles interrogations peuvent orienter de futures recherches, une chose est sûre, la
découverte de cette initiative constitue un évènement qui remet en cause nombre d’idées
sur l’histoire bancaire se réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane admises jusque-là.
VII. CONSEQUENCES POUR LA RECHERCHE SUR L’HISTOIRE BANCAIRE SE RECLAMANT DE L’ETHIQUE MUSULMANE
La découverte de cette initiative montre que la méthodologie de l’histoire bancaire se
réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane reste à construire. Pour ce faire, il convient
de distinguer entre l’existence de l’objet, la représentation inconsciente de l’objet, la
manière de parvenir à la connaissance de l’objet, comme le synthétise le tableau 2.
Tableau 2. Illustration de la méthodologie d’approche historique des initiatives sur la création de
banques se réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane
Aspects de la méthodologie Définition Application
Existence ontologique Existence de l’objet Banque orientale (Le Capitaliste, 1908 ;
Journal des Finances, 1908) Existence d’une imago Représentation inconsciente de
l’objet
Banque musulmane (Bouvat, 1908)
Existence épistémologique Manière de parvenir à la
connaissance de l’objet
Par le biais d’une source le décrivant tel
qu’il est (Le Capitaliste, 1908 ; Journal
des Finances, 1908), tel qu’elle le perçoit
(Bouvat, 1908), tel qu’elle le reçoit
Gazizullin, 1980; Anan’ich, 2005 ;
Zaripov, 2013) Source: L’auteur de la présente enquête
Dans cette optique, il convient de distinguer les étapes suivantes:
i. l’émergence de l’idée de création de banque se réclamant ou attribuée à l’éthique
musulmane dans l’esprit de personnes issues de différents milieux et originaires
de différentes régions. Ce qui met en avant une approche de l’histoire par en bas
s’efforçant de jeter la lumière sur des acteurs modestes ou profanes jusque-là
ignorés ou méprisés pour diverses raisons.
ii. l’attestation de l’idée sur un support écrit par son initiateur, un journaliste, un
écrivain.
iii. l’appropriation de l’idée par des personnes comme les commerçants et les
hommes d'affaires, aptes à la concrétiser en acte.
iv. l'existence d’une volonté politique pour sa mise en application et l'absence
d'obstacles juridiques ou fiscaux dirimants.
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
14
v. l'existence de conditions favorables à son développement sur le plan international,
de sorte que l’activité bancaire se réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane
soit perçue davantage comme une opportunité qu’un désavantage pour le système
bancaire en place. Ce qui est susceptible d’engendrer de la part des pays d’accueil
des stratégies de puissance coercitive, douce ou intelligente.
Cette typologie rappelle aux chercheurs toute la rigueur dont ils doivent faire preuve face
aux données recueillies et leur traitement pour éviter tout risque de mauvaise
interprétation ou de biais partisan.
L’idée de banque musulmane en Russie ne découle pas de la chute du Mur de Berlin
en 1989 (Bekkin, 2009: 180), ni du contact de la communauté musulmane de la
Fédération de Russie, après la dislocation de l'URSS, avec des institutions internationales
telles que l’Organisation pour la coopération Islamique, la Banque Islamique de
Développement (Rodeheffer, 2014) ou le Moyen-Orient (La Bella et Malyaev, 2014). En
ceci, l’idée de banque musulmane n’est pas le produit d’hommes d’affaires originaires de
cette région, en l’occurrence haj Saeed Lootah, le prince Mohamed Al Faisal, cheikh
Saleh Kamel, communément présentés comme les fondateurs des premières banques
musulmanes (Abdul Alim, 2013) et, par conséquent, d’une manière ou d’une autre, les
instigateurs de l’idée, comme le suggèrent certains d’entre eux dans différentes
conférences. La célèbre formule selon laquelle l’histoire est écrite par les vainqueurs
semble se confirmer. Par ailleurs, la thèse selon laquelle l’idée de créer une banque
musulmane en Russie découle, d’une manière ou une autre, de la crise financière de 2008
(Kalimullina, 2014; Marinichev et Chertov, 2015), mérite d’être reconsidérée.
Par ailleurs, l’édifice conceptuel selon lequel « la notion de banque musulmane est
issue de celle d’économie islamique » s’écroule comme un château de cartes, dans la
mesure où, en l’état des connaissances actuelles, la première est apparue en 1907, et la
seconde en 1936 (Hamidullah, 1936). En conséquence, l’histoire bancaire se réclamant
ou attribuée à l’éthique musulmane mérite une réflexion d'ensemble pour éviter les
conclusions hâtives du type: l’idée de banque musulmane est le produit de mouvements
politico-religieux, tels que l’association des Frères musulmans (Meriboute, 2013), fondée
en 1928, et la Jama’a Islamiya (Visser, 2009), fondée en 1941.
Au vu de cette initiative, l’idée de banque musulmane n’émane pas des économistes
affiliés ou se réclamant de l’économie dite islamique (Sidiqqi, 1981: 29-30). C'est
clairement la pratique qui a devancé la théorie comme c’est souvent le cas dans le monde
de l’économie. Le drame de la pensée économique se réclamant ou attribuée à l’éthique
musulmane, telle qu'elle s'est construite depuis plus d’un demi-siècle, c’est la prévalence
du biais idéologique sur l’observation de la pratique. Si dans les sciences exactes la
théorie est d’abord formulée pour que la pratique vienne la corriger dans un mouvement
d’interaction permanente, les choses ne s’effectuent pas de cette manière en économie qui
n’est pas une science exacte. La théorie doit découler de la pratique et non l’inverse.
Ce qui est mis en avant dans ce projet c’est davantage la mobilisation de l’activité
bancaire au service de l’économie réelle, en l’occurrence les besoins commerciaux et
industriels des musulmans, qu’une forme contractuelle spécifique liant les acteurs en
présence. Ce qui ne manquera pas de remettre à jour l’interrogation quant aux spécificités
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
15
du financement se réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane (Belabes, 2009; Hasan,
2015), au-delà du clivage prêt à intérêt-partage des risques (Askari et al., 2012; Iqbal,
2013; Maghrebi et Mirakhor, 2015).). L’étude de l’histoire des sociétés humaines, à
proprement parler, a le mérite de faire ressortir une variété de possibilités, une multitude
de sentiers.
Dans un tout autre registre, la mise en lumière d’une telle initiative montre qu’il ne
peut y avoir de documentation substantielle sur l’histoire bancaire se réclamant ou
attribuée à l’éthique musulmane, sans l’emploi simultané d’un nombre suffisant de
langues européennes et orientales. Au-delà des langues de recherche traditionnelles, en
l’occurrence l’arabe, l’anglais et l’urdu, il convient d’intégrer d’autres langues, comme le
français, le tatar, le turc, le persan, le malais. A une époque où l'anglais s'est imposé
comme langue dominante, cette étude montre, par ailleurs, que la langue de Molière n'a
pas dit son dernier mot, notamment dans la recherche historique issue de la tradition
orientaliste française visant à scruter les mouvements du monde musulman dans les
moindres faits et gestes. Bien que cette ressource documentaire fasse le bonheur de
l’histoire bancaire se réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane, l’étude de la pratique
financière des musulmans de la Russie impériale ne doit perdre de vue les sources écrites
en russe et en tatar ancien dans le cas où celles-ci existent.
VIII. CONCLUSION Au terme de cette enquête à la fois passionnante et exigeante, les résultats mis en
évidence paraissent intéressants à plus d’un titre:
• la découverte de l’initiative de création d’une banque musulmane à Saint-Pétersbourg
au début du XXe siècle, jusque-là totalement inconnue des chercheurs en finance
islamique, constitue en elle-même un événement qui ne peut passer inaperçu
indépendamment de l'attention réservée.
• la datation de cette initiative à 1907, voire même avant, à partir de sources
documentaires françaises, offre un complément d’information majeur, ignoré jusque-là
des chercheurs russophones et tatarophones qui la situent à 1912. De toute évidence, la
question n'est pas tranchée. La confrontation des données, indépendamment de son degré
de précision, constitue en elle-même une avancée, invitant à une recherche plus
approfondie à partir de sources originales écrites en russe et en tatar ancien.
• La découverte à partir des mêmes sources françaises du nom de la banque, en
l’occurrence « banque orientale », jusqu'à ce jour inconnu des chercheurs russophones et
tatarophones ayant abordé de près ou de loin le sujet. Cependant, il y a un décalage entre
cette dénomination originale de la banque attribuée par les initiateurs du projet et sa
qualification par les chercheurs comme étant une banque musulmane. Or, la réduction de
l’identité de la banque à sa seule dimension religieuse pose problème et ne prend pas en
compte les aspects culturel, économique et social ayant été à l'origine de son élaboration.
• l’émergence de cette initiative dans une région jusque-là inenvisageable à cette époque:
la Russie impériale. A ce jour, l’exploration géographique s’est limitée au subcontinent
indien, à l’Asie du Sud-Est, et au Moyen-Orient, plus particulièrement à la région du
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
16
Golfe, de sorte que chaque chercheur s’efforce, d’une manière ou une autre, d’octroyer à
son pays d’origine le rôle de précurseur dans le mouvement bancaire se réclamant ou
attribué à l’éthique musulmane.
La découverte de cette initiative permet, au-delà de l’objet de recherche, de revisiter
l’histoire financière se réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane et de démystifier cet
univers souvent entaché de parti pris. Si l’initiative en question est fonction de différents
facteurs sociaux, économiques, politiques, culturels, historiques, géographiques, elle ne
peut être saisie hors de son contexte. Née pour satisfaire aux besoins des musulmans de
Saint-Pétersbourg et leurs échanges commerciaux avec leurs coreligionnaires des régions
limitrophes ou plus lointaines, elle ne relève pas d’un mouvement revendiqué par les uns
et les autres, comme elle semble l’être aujourd’hui, en guise d’alternative à la finance
globale. Ce qui tend à conduire à une uniformisation des pratiques sous prétexte qu'il
s'agit de la seule option viable en termes de compétitivité dans un contexte mondialisé.
Le pari n’est pas sans risque en ce sens que les copies de ce genre ne sont le plus souvent
que de pâles imitations avec l’efficacité en moins. Or c'est dans la diversité des
perspectives, fruit de coexistence et d'échanges entre cultures, que se développent les
pratiques alternatives dignes d’intérêt. D’où l’intérêt de l’étude historique des
coopératives, mutuelles, caisses fraternelles, amicales ou associatives apparues dans
différentes régions du monde (Belabes, 2014). Ce qui est bon pour certaines régions ne
l'est pas forcément pour d’autres même si elles se réclament inlassablement d’une éthique
similaire. D’où la nécessité de saisir les spécificités des pratiques de financement locales
répondant à des besoins sociaux peu ou non satisfaits.
Au vu de ces résultats, les chercheurs sont invités à explorer l’existence d’autres
initiatives, dans d’autres régions du monde, indépendamment de leur réalisation concrète.
L’étude des échecs est tout aussi importante que celle des réussites. L’histoire de la
pratique bancaire se réclamant ou attribuée à l’éthique musulmane devrait mettre en
évidence la vertu de l’échec dans l'enrichissement du processus d'apprentissage humain20
.
Les initiatives mentionnées en introduction de l’enquête, ou du moins certaines
d’entre-elles, méritent d’être traitées dans le cadre d’un programme de thèses de
doctorats. Ce qui nécessite un travail de terrain approfondi et la maîtrise de certaines
langues allant de l’urdu, au russe, tatar ancien, et turc ancien. C’est là tout l’intérêt de ce
genre de recherches hors de portée de l’histoire de la finance islamique telle qu’elle s’est
construite depuis plus d’un tiers de siècle.
Les chercheurs russes, plus particulièrement, sont sollicités à explorer l’existence
d’autres documents sur la création d’une banque se réclamant ou attribuée à l’éthique
musulmane à Saint-Pétersbourg. Pour ce faire, il convient de consulter, en premier lieu, la
Bibliothèque nationale de Russie située à Saint-Pétersbourg, la collection de la
Bibliothèque historique publique de Russie de Moscou relevée par Petrov (1991 :1-14), et
20
Lors du 36ème forum d’Al-Baraka sur l’économie islamique, tenu à l’hôtel Hilton de Djeddah les 24-25 juin 2015,
un chercheur de l’institut d’économie islamique avait insisté sur l’importance de l’expérience des caisses d’épargne
rurales de Mit Ghamr destinées au développement du tissu économique local dans le Delta du Nil. « Cela ne sert à rien
d’évoquer un projet qui s’est soldé par un échec », répliqua un chercheur de l’académie islamique internationale de la
jurisprudence. Ce qui dénote une vision élitiste et sélective de l’histoire consistant à mettre en avant les expériences
jugées comme étant les meilleures et à dévaloriser le reste.
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
17
les journaux fondés par les musulmans de l’Empire russe au début du XXe siècle. C’est
évidemment la situation idéale de s’appuyer sur des documents écrits en russe et dans les
différentes langues pratiquées par les musulmans de Russie qui s'intéressent à leurs
activités économiques et financières au début du XXe siècle.
BIBLIOGRAPHIE
Abdul Alim, Emmy (2013). Global Leaders in Islamic Finance: Industry Milestones and Reflections,
Hoboken: John Wiley & Sons, Inc.
Abu al-Yaqdhan, Ibrahim (1928). The need to create a bank for the natives in Algeria (in Arabic), ‘Wadi
Mizab’ Newspaper, 29 June, p. 2.
Anan'ich, Boris V. (1988). The Russian private banking houses, 1870–1914, The Journal of Economic
History, Volume 48, Issue 02, June, pp 401-407.
Anan'ich, Boris V. (2005). Religious nationalists aspects of entrepreneurialism in Russia, in “Russia in the
European Context 1789-1914. A Member of the Family’, edited by Susan P. McCaffray and Michael
Melancon, London: Palgrave Macmillan, pp. 85-93.
Archives in London and the M25 area (2011). Eastern Bank Ltd (1909-1972), http://www.aim25.ac.uk/cgi-
bin/vcdf/detail?coll_id=18500&inst_id=118&nv1=search&nv2=
Askari Hossein, Iqbal Zamir, Krichene Noureddine, Mirakhor Abbas (2012). Risk Sharing in Finance: The
Islamic Finance Alternative, John Wiley and Sons.
Awad, Mohamed Hashem (2002). Abdul Rahman al-Mahdi: A leader of the Islamic finance modes, in ‘The
Proceedings of the Imam Abdul Rahman al-Mahdi Centennial Celebration Science Symposium’ (in
Arabic), edited by Yussuf Fadul Hassan, Muhammad Ibrahim abu Salim and Tayib Marghini Shakak,
Cairo: Madbouly Library, pp. 200-208.
Bekkin, Renat (2009). Islamic finance in the former Soviet Union, Institute of Developing Economies -
Japan External Trade Organization, 福田安志編『イスラーム金融のグローバル化と各国の対応』
調査研究報告書アジア経済研究所 , pp. 179-209, http://www.ide.go.jp/Japanese/Publish/
Download/Report/pdf/2008_04_07_shiryou.pdf
Belabes, Abderarzak (2009). Epistémologie des principes de la finance islamique, Les Cahiers de la
finance islamique, Université de Strasbourg, n°2, pp. 5-11, http://www.ifso-asso.com/wp-
content/uploads /2013/06/ cahiers_fi_02.pdf
Belabes, Abderrazak (2013). A Few Pages from the History of Islamic Banking: An Early Initiative to
Establish an Islamic Bank in Algeria in the Late 1920s, Islamic Economic Studies (in Arabic), Vol.19,
No.2, pp. 1-49, http://www.irti.org/English/Research/Documents/IES/Arabic/41.pdf
Belabes, Abderarzak (2014). Illustration d’une nouvelle piste de recherche comparée au-delà des sentiers
battus, Les Cahiers de la finance islamique, Université de Strasbourg, n°6, pp. 32-43, http://www.ifso-
asso.com/wp-content/uploads/2013/06/Les-Cahier-de-la-FI-6.pdf
Bouvat, Lucien (1908). Russie, Revue du Monde Musulman, Vol. IV, janvier, pp. 815-817.
El Tiby, Amr Mohamed (2010). Islamic Banking: How to Manage Risk and Improve Profitability?,
Hoboken, New York: Wiley.
Frank, Allen J. (2001). Muslim Religious Institutions in Imperial Russia: The Islamic World of Novouzensk
District and the Kazakh Inner Horde, 1780-1910, Brill Academic Pub.
Gazizullin, Fayzulhak Gazizovich (1980). Татарская экономическая мысль на путях к марксизму.
1880-1917 гг. [The Tatar Economic Thought on Ways to Marxism: 1880-1917], Ph.D. Dissertation in
Economics, Kazan, http://www.dissercat.com/images/1page_diss/4026128.png
Halpérine-Kaminsky, Ely (1904). France et Russie: alliance économique, Paris : Flammarion.
Hamidullah, Muhammad (1936). Islam's solution to the basic economic problems: the position of labour,
Islamic Culture, Hyderabad (Deccan), 10(2), April, pp. 213-233.
Hamidullah, Muhammad (1948). Interest-free Cooperative Lending societies, the Muslim Year Book,
India and Who's who with complete information on Pakistan, 1948-49, Compiled by S. M.
Jamil with the assistance of Moinuddin Khan, Bombay: The Bombay Newspaper Co., Limited, pp.
491-496.
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
18
Hasan, Zubair (2015). Risk-sharing: the sole basis of Islamic finance? It is time for a serious rethink,
MPRA Paper 66895, University Library of Munich, Germany, https://mpra.ub.uni-muenchen.de/66895/
Henry, Clement M. and Wilson, Rodney (2004). The Politics of Islamic Finance, Edinburgh: Edinburgh
University Press.
Hodgson, Marshall G. S. (1998). L'Islam dans l'histoire mondiale, textes réunis, traduits de l'américain et
préfacés par Abdesselam Cheddadi, Paris : Editions Actes Sud.
Iqbal, Munawar (2013). Islamic finance: An attractive new way of financial intermediation, International
Journal of Banking and Finance, Volume 10, Issue 2, Article 4, November, pp. 1-24,
http://epublications.bond.edu.au/cgi/viewcontent.cgi?article=1346&context=ijbf
Islahi, Abdul Azim (2015). Muhammad Hamidullah and Pioneering Works on Islamic Economics, Jeddah:
Scientific Publishing Center, King Abdulaziz University.
Journal des finances (1908). Etablissements de crédits et sociétés immobilières, Paris, n°17, 25 avril, p.
396.
Kalimullina, Madina (2014). Future of Islamic finance in Russia, Khaleej Times, March 10,
http://www.khaleejtimes.com/article/20140310/ARTICLE/303109893/1036
Khotamov, Namoz B. (1990). Rol' bankovskogo kapitala v sotsial'no-ekonomicheskom razvitii Srednei Azii
(Le rôle du capital de la banque dans le développement socio-économique de l’Asie), Dushanbe.
Koyré, Alexandre ([1951] 1973). Études d’histoire de la pensée scientifique, Paris: Gallimard.
La Bella, Simone and Malyaev, Vladimir (2014). Development of technologies of applications of Islamic
financial products in the Russian federation, FormaMente. Rivista Internazionale Di Ricerca Sul Futuro
Digitale, Vol. IX, No. 1-2, pp. 197-218, http://formamente.guideassociation.org/wp-content/uploads/
LaBella_Malyaev.pdf
La Bruyère, Jean de (1696). Les Caractères, ou les mœurs de ce siècle, Paris: Editions Estienne Michallet,
https://fr.wikiquote.org/wiki/Jean_de_La_Bruy%C3%A8re
Landa, R. G. (1997). Les Musulmans de Russie, in ‘Ethnic Encounter and Cultural Change’, edited by
M'hammed Sabour and Knut S. Vikør, Bergen: Nordic Society for Middle Eastern Studies, pp. 84-95.
Lapidus, Ira M. (2014). History of Islamic Societies, Third edition, New York: Cambridge University Press.
Le Capitaliste (1908). 38e année, n°17, Paris, 23 avril, p. 270.
Le Chatelier, Alfred (1910). Politique musulmane. Lettre à un Conseiller d’État, Revue du Monde
Musulman, vol. XII, septembre, pp. 1-165.
Maghrebi, Nabil and Mirakhor, Abbas (2015). Risk Sharing and Shared Prosperity in Islamic Finance,
Islamic Economic Studies, Vol. 23, No. 2, November, pp. 85-115, http://www.irti.org/English/Research
/Documents/IES/191.pdf#page=93
Marchinev, Grigorey and Chertov, Alewey (2015). Islamic finance in Russia: Recent Developments,
Islamic Finance News, 26th
August, pp. 23-24.
Meriboute, Zidane (2013). Printemps arabe: le poids des Frères musulmans – leur vision de l’Etat et de la
finance islamiques, Revue internationale de politique de développement, 4.1, Mars, pp. 155-172,
https://poldev.revues.org/1322
Mishkin, Frederic (2010). Monnaie, banque et marchés, Paris: Pearson Educates France, 9e édition.
Perry, Frederick V. and Rehman, Scheherazade S. (2011). Globalization of Islamic Finance: Myth or
Reality?, International Journal of Humanities and Social Science, Vol. 1 No. 19; December, pp. 107-
119.
Petrov, Yurii A. (1991). Banking and Finance in Russia: The Financial Credit Institutions of Russia from
the 1860's to the 1920's, Leiden: IDC/Brill, http://www.brill.com/sites/default/files/ftp/ downloads/
31687_Titlelist.pdf
Popper, Karl (1979). La logique des sciences sociales, in Adorno Theodor & Popper Karl. De Vienne à
Francfort, la querelle allemande des sciences sociales, Bruxelles: Éditions Complexe, pp. 75-90.
Quelquejay, Chantal (1962). La presse périodique musulmane de Russie avant 1920, Cahiers du monde
russe et soviétique, n°3, pp. 140-165.
Rodeheffer, Luke (2014). Islamic Finance expands into Post-Soviet States, Global Risk Insights, September
9, http://globalriskinsights.com/2014/09/islamic-finance-expands-former-soviet-union/
Sarwer Saleh, Ramzan, Muhammad and Ahmad, Waqar (2013). Does Islamic Banking System Contributes
to Economy Development, Global Journal of Management and Business Research, Volume 13, Issue
2, pp. 60-68.
Sidiqqi, Muhammad Nejatullah (1981). Muslim Economic Thinking. A Survey of Contemporary Literature,
Jeddah – London: International Centre for Research in Islamic Economics & The Islamic Foundation.
Version française provisoire, ne pas citer December 15, 2015
19
Thompson, Edward P. ([1963]1988). La Formation de la classe ouvrière anglaise, traduit de l’anglais,
Paris: Seuil.
Tuna, Mustafa (2011). Madrasa Reform as a Secularizing Process: A View from the Russian Empire,
Comparative Studies in Society and History, 53(3), pp. 540-570.
Turner, Adair (2012). Economics after the Crisis: Objectives and means, Cambridge: MIT Press.
Visser, Hans (2009). Islamic Finance: Principles and Practice, Cheltenham: Edward Elgar.
Yemelianova, Galina M. (2002). Russia and Islam: A Historical Survey, Basingstoke, Hampshire and New
York: Palgrave.
Yemelianova, Galina M. (2003). Russia and Islam: A Historical Survey, ‘Islam in Post-Soviet Russia’,
edited by Hilary Pilkington and Galina Yemelianova, London & New York: Routledge, pp. 15-60.
Zaripov, Islam A. (2013). «ИКЪТИСАД» – ПЕРВЫЙ РОССИЙСКИЙ ЖУРНАЛ ПО ИСЛАМСКОЙ
ЭКОНОМИКЕ [“Iktisad” – The First Russian Magazine on Islamic Economics], ФИЛОЛОГИЯ И
КУЛЬТУРА [Philology & Culture], No.1 (31), pp. 193-197, http://cyberleninka.ru/article/n/iktisad-
pervyy-rossiyskiy-zhurnal-po-islamskoy-ekonomike