Vers une explication de la faible implication syndicale des jeunes Revue internationale sur le travail et la société, février Renaud Paquet Année : 2005
Volume : 3
Numéro : 1
Page : 29-60
ISSN : 1705-6616
Sujets : Explication, implication, syndicats, jeunes
Résumé
Depuis le début des années 1990, la nature de la relation entre les jeunes de moins
de 30 ans et les organisations syndicales a fait l’objet de plusieurs écrits de la part
des praticiens et des chercheurs dans le domaine des relations professionnelles.
Des comités de jeunes ont été créés un peu partout dans les syndicats. Le contexte
de vieillissement de la main-d’oeuvre syndiquée et les difficultés éprouvées par les
syndicats au niveau de l’adhésion des jeunes expliquent en grande partie cet intérêt
marqué pour les problématiques de travail spécifiques aux jeunes. À ce dernier
égard, les écarts quantitatifs entre les travailleurs des différents groupes d’âge sont
d’ailleurs bien documentés. La question qui se pose est pouvoir cerner les facteurs
qui les expliquent. Après avoir posé le problème, l’auteur fait état des résultats d’une
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vaste étude empirique dans un grand syndicat canadien. Même si des différences
significatives entre les différents groupes d’âge ont été constatées à l’égard des
variables organisationnelles, professionnelles et syndicales mesurées, les données
recueillies n’appuient pas la thèse voulant que les jeunes possèdent des valeurs
plus individualistes et anti-syndicales que leurs collègues des autres groupes d’âge.
Ils ont cependant une perception différente de l’efficacité du syndicat dans la
défense de leurs droits. Enfin, leur degré d’implication syndicale est nettement
inférieur à celui des autres groupes d’âge. Les données nous amènent à infirmer
l’hypothèse que leur faible implication découle de valeurs différentes. Elle serait
plutôt liée au statut plus précaire des emplois occupés par les jeunes, à leur faible
perception instrumentale à l’égard du syndicat et à leur sentiment d’impuissance de
pouvoir changer les choses. La distance entre le syndicat et ses membres de moins
de 30 ans serait donc avant tout attribuable à des questions plus pragmatiques
qu’idéologiques.
1. La problématique de recherche
Au Québec, comme dans plusieurs sociétés, la population active est vieillissante. À
titre indicatif, au Québec en 1976, 40% de la population en âge de travailler avait
moins de 30 ans alors que ce taux avait chuté a 24,5% en 1998 (FTQ, 2000). À
l’inverse, au cours de la même période le pourcentage des plus de 45 ans est passé
de 34% à 44%. Mais parallèlement à ce vieillissement progressif de la main-
d’œuvre, de moins en moins de bons emplois étaient disponibles pour les nouveaux
entrants sur le marché du travail flexibilisé des 20 dernières années. Phénomène
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international, on constate des taux de chômage plus élevé chez les jeunes et des
empois moins stables pour ceux qui travaillent (CISL, 2001).
Des jeunes, en proie à une plus grande vulnérabilité au travail et assujettis à des
conditions de travail ne surpassant que de peu les normes étatiques minimales, on
pourrait s’attendre à une propension relativement élevée à se former en syndicat
pour revendiquer une amélioration de leur sort. Mais, les écrits de la littérature
académique ou de la littérature professionnelle convergent: les jeunes se syndiquent
en bien faible nombre et quand ils le sont, ils militent peu à l’intérieur des
organisations syndicales. L’explication de la faible implication syndicale des jeunes
pourrait être due essentiellement à ces changements structuraux du marché du
travail (Hyman, 1997). Cette exclusion partielle des jeunes du segment primaire du
marché du travail, château fort traditionnel du syndicalisme, expliquerait leur faible
syndicalisation.
Certes, l’explication structurelle contribue sans doute à faire fluctuer le taux de
syndicalisation entre les groupes d’âge, mais la situation ne s’arrête pas là, sans
quoi analystes et dirigeants syndicaux n’ont qu’à attendre sans rien dire. Une partie
de l’explication pourrait plutôt résider dans les valeurs des jeunes et dans la nature
de la relation affective ou idéologique qu’ils entretiennent avec le mouvement
syndical. Ce dernier pourrait ne pas répondre à leurs idéaux sociaux et politiques
ou, plus simplement, ne pas être utile dans son rôle de défense des intérêts micro-
économiques. Les réponses à ces interrogations sont importantes pour le
mouvement syndical qui se doit d’assurer sa relève. À preuve, rares sont les
organisations syndicales centrales qui n’ont pas fait des efforts particuliers pour
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intéresser les jeunes (CISL, 2000), que ce soit sous la forme de conférences, d’un
comité, de l’embauche de ressources ou sous la forme de campagnes visant les
jeunes. La situation inquiète les organisations syndicales pour la plupart au
membership et au leadership grisonnant. Non seulement éprouve-t-on de la
difficulté à recruter des membres de moins de trente ans, mais parmi ceux qu’on a,
très peu acceptent de s’impliquer et de jouer un rôle de leader au sein du syndicat.
Plusieurs militants syndicaux et analystes universitaires affirment que les jeunes
sont plus individualistes (Hudon & Fournier, 1994, Guay et Nadeau, 1994, Muxel
1996). Linhart et Malan (cité dans Lachance, 1996) abondent dans le même sens
mais croient que cet individualisme serait du à la conjoncture du marché du travail à
l’intérieur de laquelle les jeunes seraient portés à ne compter que sûr eux-mêmes.
Mais contrairement à l’approche plus nostalgique qui compare la situation actuelle à
celle de la jeunesse des années 60 ou 70, Tapia et Lang (1994) démontrent que la
participation politique ou sociale des jeunes serait de nature plus pragmatique, en ce
sens, qu’on préférerait une action axée sur des résultats immédiats plutôt que de
donner son appui à de larges revendications (Guay et Nadeau, 1994). Certain en
viennent à conclure que les jeunes rechercheraient l’efficacité dans leur action
collective (Hudon et Hébert, 1994) dans un contexte socio-économique et politique
bien différent de celui des années 1970.
Pour Linhart et Malan (1990), les jeunes ne s’identifient pas au syndicalisme,
notamment, à cause d’un éloignement idéologique et culturel ainsi que d’une
absence de référence commune. Les jeunes ont de la difficulté à apprivoiser les
syndicats puisqu’ils les considèrent comme une institution mystérieuse au même
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titre que la hiérarchie et la direction. De même, les jeunes, voient d’un mauvais œil
l’affrontement patronal-syndical qu’ils jugent parfois dépassé. Enfin, certains jeunes
considèrent que les syndicats ne servent qu’une certaine classe de travailleurs qui
cherchent à profiter du système. Mais en contre partie, Akkermans et al. (1991),
dans leur étude sur les travailleurs hollandais, concluent que les jeunes travailleurs
disposeraient d’une mentalité plus bourgeoise que leurs aînés. À ce chapitre, ils
accorderaient plus d’importance aux dimensions économiques de leur emploi ainsi
qu’à leur profession, à leur carrière et à leur sécurité financière. Par conséquent, ces
derniers auraient une attitude plus conservatrice avec un faible intérêt envers la
politique et l’implication sociale.
En somme, on s’entend pour dire que la rencontre entre les jeunes et le
syndicalisme se fait difficilement. La plate-forme revendicatrice du mouvement
syndical est peut-être mal adaptée aux besoins ou préoccupations des jeunes. Le
problème est par contre peut-être plus profond en ce sens que les valeurs
collectivistes et les orientations socio-politiques du mouvement syndical ne
cadreraient pas avec l’idéologie des jeunes.
2. La stratégie et la méthode de recherche
Afin d’isoler le plus possible l’effet des variables de nature structurelle et
économique pour ainsi mieux saisir la nature de la relation jeune-syndicat, nous
avons opté pour une vaste étude auprès des membres d’un même grand syndicat
canadien. L’échantillon des personnes qui y ont été sondées ou contactées est
formé exclusivement de personnes déjà membres du syndicat, le but n’étant pas de
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distinguer les opinions et attitudes des adhérents de celle des non adhérents mais
plutôt de comparer des groupes relativement homogènes formés d’une part, de
personnes de moins de trente ans, et d’autre part, de personnes de plus de trente
ans1. À partir de cette analyse comparative, nous devrions pouvoir conclure sur les
facteurs qui contribuent principalement à expliquer les différences dans la relation
qu’entretiennent les jeunes et les moins jeunes avec le mouvement syndical. La
recherche s’est déroulée en collaboration avec un grand syndicat du secteur public
canadien qui regroupe un peu plus de 100 000 membres travaillant pour la majeure
partie dans la fonction publique.
Dans la première phase de la recherche, nous avons procédé à des entrevues et à
des groupes de discussions de syndiqués âgés de moins de 30 ans. Les participants
à cette phase ont été identifiés au hasard à partir de contacts auprès de délégués
locaux. La consigne donnée aux délégués étaient de nous référer des jeunes de
moins de 30 ans représentatif du membership syndical quant à leur degré
d’implication et à leur attitude. Au total, 15 jeunes furent rencontrés en entrevue et
22 lors de trois groupes de discussions menés dans trois villes différentes. Pour les
rencontres individuelles, la grille d’entrevue développée comprenait des questions
ouvertes portant sur les visions syndicales, le degré de participation et les barrières
à la participation. Ces questions visaient à valider les explications fournies par la
littérature et à explorer d’autres pistes à l’égard de la faible implication syndicale des
jeunes. La même approche, adaptée pour les circonstances, fut utilisée lors des
trois groupes de discussion. L’information recueillie lors de cette première phase, en
1 Rappelons pour les fins de clarté de l’article que sous le système nord-américain d’accréditation syndicale la notion d’adhésion, à tout fin pratique, à un caractère collectif. Les salariés d’un milieu de travail choisissent à la majorité simple de se syndiquer. Une fois accrédité, il est très rare que le syndicat soit révoqué. Pour ces
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plus de fournir des réponses initiales aux questions de recherche, a aussi aidé dans
la sélection des variables à retenir pour la phase quantitative de la recherche.
La deuxième phase de la recherche consistait en une vaste enquête auprès d’un
échantillon de 5 976 membres du syndicat provenant de 23 de ses unités locales ou
milieux de travail. Le choix des unités locales a été fait en collaboration avec les
dirigeants du syndicat sur la base de la représentativité de l’ensemble des milieux de
travail. L’exercice visait à sélectionner des unités locales qui reflétaient bien le
syndicat quant aux critères suivants : l’âge de ses membres, la taille de l’unité, la
composition professionnelle, la localisation géographique et le degré d’implication ou
de militantisme des membres du syndicat. Une telle technique nous permettrait par
la suite une inférence plus sure des résultats obtenus. Des 5 976 questionnaires
distribués, 1 543 nous furent retournés et sont à la base de l’analyse présentée plus
loin. Cela représente un taux de réponse de 25,8% (1 543/5 976) ce qui est
acceptable pour ce genre d’enquête, d’autant plus que le groupe d’intérêt, celui des
moins de 30 ans, a répondu dans une proportion comparable (140/528 soit 26,5%).
Également, des vérifications subséquentes auprès du syndicat nous ont permis de
constater que les répondants étaient représentatifs de l’ensemble des personnes
sondées quant à leur profession, à leur âge, à leur sexe, à leur scolarité ou à leur
provenance géographique.
Dans les règles de l’art, le questionnaire fut pré-testé auprès de 20 répondants et
des modifications mineures furent apportées à la lumière des commentaires alors
recueillis. Le questionnaire comprenait une première série de questions permettant
raisons, la question du maintien de l’adhésion importe peu une fois qu’un groupe s’est syndiqué. La question d’intérêt devient plutôt de saisir les facteurs associés au militantisme ou à l’implication syndicale.
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de dresser le profil d’emploi et les caractéristiques socio-démographiques du
répondant. Par la suite, les questions visaient la mesure du degré d’implication
syndicale, variable dépendante de la recherche. À cette fin, les indices déjà
développés par Paquet (1995), Paquet et Dufour (1999) et McShane (1986) furent
utilisés. Puis, le questionnaire comprenait des indices validés permettant de
mesurer les valeurs sociales (Bullock, 1979), l’idéologie collectiviste (Matsumoto,
1997), l’attitude syndicale (McShane, 1986), la perception de la valeur instrumentale
du syndicat (Kochan, 1979), la norme sociale relative à l’implication syndicale
(Cohen, 1993), la perception du degré d’influence sur le syndicat (Sverke, 1996), la
centralité du travail (Mannheim, 1997) et la satisfaction au travail (Gordon et al.,
1980). Furent ajoutées, des questions visant à évaluer l’opinion des répondants au
sujet de suggestions formulées, au sujet de l’implication syndicale, par les
personnes rencontrées lors de la première phase de la recherche.
Une bonne partie de ses variables s’inscrivent dans un modèle théorique déjà vérifié
dans des recherches antérieures (Paquet, 1995 ; Paquet et Dufour, 1999) voulant
que le degré d’implication syndicale des salariés soit influencé par la satisfaction au
travail, l’attitude syndicale, la norme sociale, la perception instrumentale et la
perception du degré d’influence sur le syndicat. Pour les fins de la présente
recherche et compte tenu de la littérature répertoriée, il fut décidé d’ajouter les
autres variables au modèle et de porter une attention particulière sur les
comparaisons entre les groupes d’âge.
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3. Les résultats à la phase 1 de la recherche
Toutes les personnes interviewées ou rencontrées lors des groupes de discussion
avaient moins de trente ans et étaient membres du syndicat. Parmi elles, près des
deux tiers détenaient des postes réguliers alors que les autres occupaient un emploi
précaire dont les termes sont définis par un contrat à durée déterminée
renouvelable. Même si ce deuxième groupe de personnes est assujetti aux
avantages et protections de la convention collective, il ne bénéficie pas des
dispositions relatives à la sécurité d’emploi, l’employeur ayant le droit de mettre fin à
l’emploi à la date prévue de fin du contrat. Comme nous le verrons, ce deuxième
groupe de personnes ont des opinions syndicales bien distinctes de leurs collègues
non précaires.
Le premier thème abordé lors des entrevues et des groupes de discussion portait
sur l’attitude syndicale, c’est-à-dire l’opinion générale et spontanée éprouvée à
l’égard du mouvement syndical. Après classification des données, nous constations
que 22 personnes étaient, de façon générale, favorables aux syndicats alors que 15
personnes se disaient moyennement ou pas du tout favorables. Par ailleurs, on
retrouvait chez les personnes occupant des emplois stables une attitude beaucoup
plus favorable aux syndicats que chez les précaires où la majorité se montrait peu
favorable. Le même constat fut tiré de l’analyse de la perception instrumentale du
syndicat où, la aussi, les précaires ont une opinion plutôt négative de l’utilité
syndicale alors que les employés réguliers accordent une grande valeur
instrumentale au syndicat. Dans la même veine, les précaires qui en auraient le
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choix, opteraient à 80% pour ne pas être syndiqués alors que ce pourcentage est
tout à fait opposé (80%) chez les employés réguliers. On conclût de ce premier bloc
de questions que les opinions à l’égard du syndicat sont directement influencées par
le vécu immédiat des jeunes en emploi. On associe sans doute sa situation
personnelle et les protections qu’on en tire à la valeur du syndicat, premier indice
que la distance entre les jeunes et les syndicats relèverait de motifs de nature plus
pragmatique ou utilitaire qu’idéologique. Parmi les commentaires recueillis, nous en
reprenons deux qui résument bien les points de vue différents des deux groupes de
syndiqués.
« Les syndicats travaillent à l’organisation des relations de travail pour
des relations plus égalitaires entre l’employeur et l’employé, aussi pour
l’avancement des travailleurs en matière d’équité salariale, de sécurité,
de santé et sécurité au travail. On en a besoin. »
« C’est un groupe de personnes qui tentent du mieux qu’elles peuvent de
travailler pour les syndiqués mais qui n’adressent pas les vrais
problèmes. Ils viennent te voir seulement quand il y a une grève ou à
l’approche des négociations. On pourrait s’en passer. »
Le second thème visait spécifiquement le syndicat local et ses dirigeants. Lorsque
nous demandons en entrevue aux salariés de nous exprimer la perception qu’ils ont de
leurs dirigeants locaux, nous découvrons des résultats analogues à ce que nous avons
exposé précédemment. Ainsi, des salariés rencontrés en entrevue, 11 d’entre eux ont
mentionné avoir une perception positive de leurs dirigeants locaux et trois personnes
ont exprimé une perception négative à l’égard de ces derniers. Encore là, des
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différences importantes de perception sont notées à l’analyse des informations fournies
par les deux groupes de répondants. La majorité des employés réguliers ont exprimé
une opinion positive mais la situation est inversée chez les précaires. Par contre, les
membres des deux groupes estiment que leurs dirigeants syndicaux sont accessibles
même si plusieurs ne sentent pas que leurs positions sont prises au sérieux.
D’ailleurs, les deux groupes de jeunes s’entendent pour dire que les syndicats et leurs
dirigeants n’ont pas vraiment la capacité ou l’enthousiasme pour défendre les enjeux
propres aux jeunes.
« Nous sommes moins crédibles aux yeux des dirigeants locaux
comparativement aux plus vieux».
« Les dirigeants locaux ont très peu de patience et ne donnent pas
d’explication satisfaisante lorsqu’on leur pose des questions, sans
compter qu’ils ne défendent pas les enjeux et les intérêts des jeunes ».
La littérature fait clairement ressortir que les attitudes générales et spécifiques à
l’égard de la chose syndicale sont en grande partie dictées par la socialisation
préalable des personnes, que ce soit au travail ou en dehors du travail. Nous avons
constaté qu’environ la moitié de employés réguliers avaient été rencontrés
personnellement par un représentant syndical afin de leur expliquer le
fonctionnement et les buts du syndicat alors que c’était rarement le cas chez les
employés précaires. Par contre, nous n’avons constaté aucune différence entre les
deux groupes quand à la socialisation externe au milieu de travail où environ la
moitié des deux groupes de répondants avait été exposée au mouvement syndical à
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partir de la famille ou des amis. Compte tenu de la forte relation entre la
socialisation et l’implication, ce constat préliminaire nous porte à croire que les
syndicats auraient avantage à intensifier leurs contacts avec leurs membres
précaires.
En dernière partie des entrevues et des groupes de discussion, nous avons recueilli
la perception des jeunes quant aux facteurs justifiant leur faible implication
syndicale. Ces facteurs peuvent être regroupés sous cinq catégories : le conflit de
loyauté, les particularités de l’emploi, l’âge et ce qu’il implique, la forme des réunions
syndicales et des perceptions syndicales négatives.
Plusieurs personnes mentionnent une réticence à l’implication syndicale en raison
d’un conflit de loyauté envers l’employeur. Une bonne partie d’entre eux prétendent
pouvoir régler seuls leurs différends avec l’employeur, ayant une bonne relation,
alors que d’autres se disent satisfaits de leur travail et ne voient donc pas l’utilité de
participer aux activités syndicales. Les activités ou débats syndicaux étant le plus
souvent orientés contre l’employeur, il en résulte une situation inconfortable au
niveau de la loyauté. Qui plus est, et de façon plus prononcée chez les précaires, on
craint des représailles pouvant aller au non renouvellement du contrat de travail.
Les répondants soulèvent des motifs reliés à leur emploi pour expliquer leur faible
implication syndicale. Plusieurs disent accorder moins d’importance à leur sécurité
d’emploi et aux divers avantages sociaux tels que la retraite que ne le font leurs
collègues plus âgés. Ils se disent plus mobiles et moins attachés à leur poste. De
plus, ils connaissent moins le milieu de travail et l’historique des problématiques qui
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y surgissent. Le statut d’emploi précaire vient évidemment amplifier cette situation
de faible attachement au travail et de la connaissance des problématiques qui s’y
vivent. Après tout, pourquoi s’impliquer pour changer les choses dans un travail et
un milieu qui ne sera peut-être pas nôtre dans quelques mois? Qui plus est, les
problèmes d’emploi vécus par les jeunes ne font rarement partie de l’agenda
syndical prioritaire. Et la pierre angulaire de la gestion de l’emploi des syndiqués,
c’est l’ancienneté, au détriment à court terme, des derniers entrés, c’est-à-dire les
jeunes.
L’âge et les facteurs sociaux qui y sont associés constitue également en soi un
élément important dans l’explication de la faible implication des jeunes. En effet,
plusieurs des personnes rencontrées se sentent beaucoup moins conscientisées
aux enjeux syndicaux que leurs collègues plus âgés en raison de leur manque
d’expérience. De plus, certains ont une perception négative des membres plus âgés
: « plus tu vieillis, plus tu deviens négatif », comme l’ont affirmé certains. On a
l’impression que ceux qui s’impliquent syndicalement sont les personnes un peu plus
âgées qui sont « en colère, cyniques et frustrées de leur emploi ». Ainsi, de peur de
finir comme eux, les plus jeunes préfèrent prendre leurs distances et s’abstenir des
activités syndicales. Et puis, il y a aussi une certaine forme d’auto exclusion, les
membres plus jeunes étant très peu présents aux activités syndicales, ceux qui y
vont se sentant alors marginalisés. Enfin, les responsabilités familiales peuvent
constituer une entrave pour les membres qui ont des jeunes enfants encore à la
maison.
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Plusieurs jeunes ne participent pas aux réunions syndicales car il s’agit là d’une
perte de temps, les questions administratives et les préoccupations des plaignards
occupant tout l’agenda. D’autres dénoncent la faible efficacité de réunions
syndicales qui produisent peu de résultats et ne servent que d’occasion pour jaser.
Certains participants reprochent également le fait que l’ordre du jour est rarement
respecté lors des réunions. Enfin, plusieurs disent ne pas participer aux réunions
syndicales puisqu’ils ne sont pas informés de l’heure et du lieu de celles-ci. De plus,
la terminologie et le lexique compliqué des bulletins syndicaux et de la convention
collective viennent mettre certaines barrières à la compréhension et décourage la
participation des jeunes.
Enfin, certains prétendent ne pas avoir reçu l’information et le support nécessaire de
leurs représentants syndicaux dans le passé et affirment que leurs délégués ne sont
pas à l’écoute de leurs besoins. Il existe également une frustration par rapport au
prélèvement des cotisations. En effet, ces employés croient qu’il est injuste que les
précaires payent le même taux de cotisations que les employés permanents. Qui
plus est, la plupart croient ne pas recevoir de services en retour. En revanche,
certains sont frustrés du fait que les syndicats protègeraient les employés
incompétents. En somme, on en a long à dire pour illustrer son opinion syndicale.
En guise de solutions aux problèmes soulevés, nous avons demandé aux jeunes
lors des entrevues et des groupes de discussions d’identifier des mesures qui
pourraient être prises par le syndicat et qui aurait comme effet d’influencer
positivement leur propension à s’impliquer dans les activités syndicales. Les
mesures les plus fréquemment mentionnées sont listées au tableau I.
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Tableau I
Mesures proposées pour augmenter
le degré d’implication syndicale des jeunes
- Mise en place d’une processus personnalisé d’accueil des nouveaux membres
- Maintien constant d’un contact personnalisé entre les membres et les dirigeants
- Distribution de matériel expliquant les objectifs et les structures du syndicat
- Transparence dans les rapports financiers du syndicat et l’utilisation des
cotisations
- Création d’un bulletin d’information syndicale pour les jeunes
- Tenir les réunions syndicales à l’heure du lunch
- Fournir un ordre du jour détaillé des réunions en soulignant les points importants
- Simplifier les règles de procédure utilisées lors des réunions
- Respecter l’ordre du jour des réunions
- Tenir des réunions plus brèves mais plus fréquentes
- Rembourser les frais de garderies lors des réunions
- S’assurer de la présence de jeunes au sein du leadership syndical local
- Faire appel aux jeunes pour socialiser les jeunes et les amener à s’impliquer
- Réduire l’importance accordée à l’ancienneté dans les règles de travail
- Intégrer les priorités des jeunes dans les revendications syndicales
- Donner priorité aux questions reliées à la précarité d’emploi
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4. Les résultats de l’enquête par questionnaire
Comme mentionné précédemment, l’enquête par questionnaire a été menée auprès
de tous les membres de l’échantillon sélectionnés sans distinction quant à leur
groupe d’âge. Par la suite, lors de la compilation et de l’analyse des données, nous
avons procédé à des comparaisons par groupes d’âge en distinguant les moins de
30 ans des plus de 30 ans. Nous présentons ces résultats en commençant par le
sujet premier d’intérêt : le degré de participation syndicale. Puis, nous résumons les
résultats obtenus lors de l’analyse par groupe d’âge des facteurs explicatifs, selon la
littérature, des variations dans le degré d’implication syndicale. Enfin, dans un
dernier temps, les résultats à l’analyse multivariée sont présentés.
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4.1 Le degré de participation syndicale
Le degré de participation syndicale a été mesuré à l’aide de cinq indicateurs : la
lecture du matériel syndical, la consultation du syndicat lors de problèmes au travail,
les participation aux activités de négociation collective, la participation aux réunions
syndicales, l’utilisation de la procédure de griefs. Les scores obtenus ont été
additionnés, puis ramenés sur une échelle de cinq (5=degré élevé, 1 = faible degré)
qui en facilite la compréhension. Nous avons aussi ajouté à ces questions trois
indicateurs : le vote lors de la dernière grève, la volonté de demeurer syndiqué, la
disponibilité pour des responsabilités syndicales. Les résultats à cette première
série de questions sont inclus au tableau II.
Tableau II
Indicateurs de l’implication syndicale
INDICATEURS D’IMPLICATION
MOINS DE 30 ANS
30 ANS ET PLUS
Lecture du matériel syndical
2,90
3,68
Consulte le syndicat pour les problèmes
au travail
2,40
2,60
Participe aux activités locales reliées à la
négociation collective
1,77
2,58
45
Assiste aux réunions syndicales 1,75 2,26
A voté oui au dernier vote de grève
50,0%
67,1%
A déposé un grief au cours des 12 derniers
mois
10,1%
18,9%
Ne serait pas syndiqué s’il en avait le choix
21,2%
13,8%
Accepterait des responsabilités syndicales.
11,4%
19,8%
Dans l’ensemble, comme le montrent les données du tableau II, les membres
s’impliquent peu dans les affaires syndicales, mis à part qu’ils lisent la
documentation produite par le syndicat. Les syndiqués consultent peu leur
représentant lorsqu’ils ont un problème au travail. De plus, ils participent à un faible
degré aux activités reliées à la négociation collective ou aux assemblées syndicales.
Sans grande surprise, on constate une plus faible participation des moins de 30 ans
sur chaque indicateur de la participation. On constate aussi qu’ils contribuent peu
au militantisme du syndicat, ayant voté dans une moins grande proportion en faveur
de la grève. Par contre, ils désirent maintenir leur adhésion syndicale à 80% mais ils
sont moins enclins que leurs aînés à accepter des responsabilités syndicales.
Seulement 18,9% des membres ont utilisé la procédure de griefs ou de plaintes
formelles au cours des 12 derniers mois. Ce pourcentage tombe à 10,1% chez les
moins de 30 ans. Par contre 36,8% (42,0% pour les jeunes) affirment avoir vécu au
cours de cette période des situations où ils auraient pu faire un grief mais ont décidé
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de ne pas le faire. Les motifs les plus fréquents à l’appui de cette décision sont dans
l’ordre les suivants : pas confiance en la procédure de grief, pas confiance en la
direction, enjeu résolu de façon informelle, peur de représailles et pas confiance au
syndicat. Les moins de 30 ans invoquent les mêmes motifs à la différence qu’ils ne
peuvent résoudre les enjeux informellement aussi souvent (16,9% vs 32,2%), qu’ils
ont beaucoup plus peur des représailles (41,7% vs 26,3%) et, qu’en plus, 38,3%
affirment ne pas connaître la procédure à suivre pour déposer un grief.
Enfin, parmi les raisons directement invoquées pour ne pas participer aux réunions
syndicales, celles qui reviennent le plus fréquemment sont : trop occupé (86%),
l’heure des réunions (71%), le manque d’intérêt (51%), trop de plaignards aux
réunions (45%), les réunions ne poursuivent pas des buts positifs (42%), les
réunions sont une perte de temps (40%). Pour les moins de 30 ans, les raisons sont
les mêmes, si ce n’est que s’y ajoutent le fait de ne pas être informés de la tenue
des réunions et de ne pas avoir d’intérêt dans le syndicat. La faible participation
serait donc liée aux multiples priorités de la vie qui restreignent les disponibilités de
temps et au simple manque d’intérêt ou à l’insatisfaction à l’égard du contenu des
réunions. S’ajoute un manque d’information chez les jeunes et un faible intérêt pour
le syndicat.
4.2 L’analyse des facteurs associés à la participation
Dans les études antérieures, l’un des facteurs le plus souvent relié à la participation
syndicale est le sentiment de pouvoir changer des choses en s’impliquant. Comme
le démontre les données du tableau III, l’ensemble des répondants présentent un
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score relativement faible à cet égard. De tels résultats peuvent paraître surprenants
compte tenu du caractère démocratique de l’organisation syndicale. Pour les moins
de 30 ans, cette perception est encore plus faible. Ce score plus faible des jeunes
est aussi constaté à l’égard des autres facteurs associés à la participation syndicale.
En effet, les jeunes perçoivent moins le syndicat local ou le syndicat national comme
des instruments qui contribuent à satisfaire leurs besoins en plus de démonter une
attitude syndicale moins positive que celle de leurs collègues. À ce dernier chapitre,
il ne faut toutefois pas conclure à une attitude anti-syndicale, le score de 3,46
révélant une attitude plus positive que négative. La même remarque s’applique au
concept de perception instrumentale du syndicat.
Tableau III
Comparaison des opinions et valeurs syndicales
VARIABLES MESURÉES
MOINS DE 30
30 ET PLUS
Coefficient T
Perception instrumentale du
syndicat
3,36
3,69
4,179*
Attitude syndicale générale
3,46
3,72
3,428*
Perception d’influence syndicale
2,89
3,07
2.384*
Valeurs sociales de gauche
3,56
3,66
1,.875
48
Valeurs collectivistes 3,78 3,89 2,130
Satisfaction au travail
3,38
3,49
1,369
Centralité du travail
2,26
2,27
0,112
* Différence statistiquement significative à 0,05
Pour chacun des autres concepts mesurés, les résultats des moins de 30 ans sont
plus faibles que ceux de leurs collègues plus âgés. Alors que les écarts les plus
grands se retrouvent au niveau de la perception d’instrumentalité syndicale, ils
diminuent en ce qui a trait aux valeurs sociales, les jeunes ayant des valeurs un peu
plus individualistes et un peu moins de gauche que leurs collègues. Les écarts à ce
denier chapitre ne sont d’ailleurs pas significativement différents d’un point de vue
statistique. Quoiqu’il ne s’agisse pas là d’une conclusion ferme, il semblerait que la
plus faible participation des jeunes soient beaucoup plus reliée à leurs opinions et
perceptions syndicales qu’à leurs valeurs sociales.
En plus des opinions et attitudes syndicales ainsi que des valeurs sociales,
l’insatisfaction au travail est souvent associée à l’implication syndicale. Moins une
personne est satisfaite de son travail, plus elle aurait tendance à voir dans le
syndicat un moyen pour compenser l’insatisfaction. Également, pour certains
auteurs, le degré de centralité du travail dans la vie d’une personne affecterait son
implication syndicale. Ainsi, si ce qui se passe au travail n’est pas important pour
une personne, elle sera peu intéressée aux affaires syndicales. Les données du
49
tableau III révèlent que, dans l’ensemble, les moins de 30 ans sont un peu moins
satisfaits de leur travail que les plus de 30 ans mais il ne s’agit pas là d’une
différence significative. De plus, aucune différence significative n’est notée entre les
groupes d’âge en ce qui a trait à la centralité du travail, les scores des deux groupes
étant presque les mêmes. Cette dernière constatation va à l’encontre d’une
croyance largement véhiculée que le travail serait moins central dans la vie des
jeunes qu’il ne l’est chez leurs collègues plus âgés.
En dernière partie d’analyse, nous présentons au tableau IV les résultats de
l’analyse comparative du degré d’accord à l’égard des principaux obstacles associés
à la participation syndicale. Rappelons que ces obstacles avaient été identifiés par
les personnes rencontrées dans la première phase de la recherche. Un score de 1
correspond à un faible degré d’accord et un score de 5 à un fort degré d’accord.
Toutes les différences entre les résultats des deux groupes sont statistiquement
significatifs et viennent renforcer les constats faits dans la première partie de la
recherche.
Tableau IV
Obstacles à l’implication syndicale
Concepts mesurés
Moins de 30
ans
Plus de 30 ans
Je peux régler mes problèmes sans le
syndicat
3,66
3,47
50
Le manque d’information réduit ma
participation
3,22
2,62
Le manque de connaissances réduit ma
participation
3,31
2,65
Les représentants considèrent mes besoins
3,29
3,49
Les précaires ne sont pas bien représentés
3,71
3,36
Le syndicat ne défend que les permanents
3,24
2,74
Les anciens sont plus importants pour le
syndicat
3,15
2,74
Les services sont suffisants pour les
cotisations payées
2,41
2,77
Les moins de 30 ans, pourtant plus vulnérables, sont d’avis qu’ils peuvent mieux
régler leurs problèmes seuls. Cette opinion est sans doute reliée à leur plus faible
perception instrumentale du syndicat à pouvoir jouer ce rôle. Les jeunes sont aussi
d’avis à un degré beaucoup plus élevé que les plus de 30 ans que le manque
d’information et le manque de connaissances réduit leur participation syndicale.
51
De façon générale, les membres considèrent que le syndicat tient compte de leurs
besoins mais ce sentiment est moins fort chez les moins de 30 ans. Aussi, les
membres croient que les précaires ne sont pas bien représentés, cette opinion étant
plus prononcée chez les jeunes. Ces derniers, en partie, vont jusqu’à croire que le
syndicat ne défend que les employés permanents et que les plus anciens lui sont
plus importants. Enfin, les membres, tout âge confondu, croient qu’ils n’obtiennent
pas assez de services compte tenu des cotisations qu’ils payent, cette croyance
étant encore plus forte chez les moins de 30 ans.
4.3 L’analyse multivariée
Comme nous en avons fait mention dans la section 2, nous formulons ici l’hypothèse
générale déjà vérifiée antérieurement (Paquet, 1995) que la participation syndicale,
peu importe le groupe d’âge, est influencée par l’attitude syndicale, la perception
instrumentale du syndicat, la perception d’influence sur les décisions syndicales et la
satisfaction au travail.
L’âge fut ajouté au modèle compte tenu de l’objet premier de cette recherche. Il fut
aussi décidé d’ajouter les valeurs sociales de gauche, les valeurs collectivistes et la
centralité du travail à cause de la littérature qui prétend à une différence entre les
groupes d’âge. Sur la dernière de ces variables, même si les résultats sont les
mêmes entre les groupes d’âge, il nous semble quand même important d’en vérifier
l’impact net sur le degré d’implication au travail, l’hypothèse implicite étant qu’il
existerait une relation positive entre les deux. Nous présentons aux tableaux V et VI
52
les résultats de deux régressions linéaires, la première pour tout l’échantillon et la
seconde pour les moins de 30 ans. Après avoir vérifié les corrélations entre les
variables, il ne semble exister aucun problème de colinéarité entre les variables du
modèle de régression.
Les résultats présentés au tableau V confirment les recherches antérieures quant à
l’influence exercée par l’attitude syndicale, la perception instrumentale et la
perception d’influence syndicale sur le degré d’implication dans les activités
syndicales. Les salariés qui ont une attitude favorable à l’égard du syndicalisme, qui
ont l’impression que le syndicat est utile dans la satisfaction de leurs besoins et qui
peuvent influencer les décisions de leur syndicat participent en plus grand nombre
aux activités syndicales. Il en est de même des travailleurs moins satisfaits de leur
de travail et de ceux qui ont des valeurs sociales de gauche. Une fois l’effet des
autres variables isolé, on constate cependant que les variations au niveau des
valeurs collectivistes et de la centralité du travail n’exercent pas d’effet significatif sur
le degré de participation.
Tableau V
Régression linéaire de l’implication syndicale pour tout l’échantillon
VARIABLES MESURÉES
Beta
Coefficient
T
Degré de
sign.
Moins de 30 ans
-0,153
-5,909
,000
53
Emploi précaire
-0,100
-3,845
,000
Attitude syndicale
0,222
5,200
,000
Perception instrumentale du syndicat
0,105
3,115
,002
Perception d’influence syndicale
0,335
9,917
,000
Valeurs sociales de gauche
0,130
4,630
,000
Valeurs collectivistes
0,039
1,533
,126
Satisfaction au travail
-0,086
-3,310
,001
Centralité du travail
0,011
0,442
,659
R2 ajusté = 0,35
Tableau V
Régression linéaire de l’implication syndicale pour les moins de 30 ans
VARIABLES MESURÉES
Beta
Coefficient
T
Degré de
sign.
54
Emploi précaire 0,142 1,575 ,118
Attitude syndicale
0,139
0.925
,357
Perception instrumentale du syndicat
0,100
0,799
,426
Perception d’influence syndicale
0,340
3,288
,001
Valeurs sociales de gauche
0,072
,638
,525
Valeurs collectivistes
0,053
,542
,589
Satisfaction au travail
-0,136
-1,370
,174
Centralité du travail
0,075
,778
,438
R2 ajusté = 0,22
L’âge et la précarité exercent tous deux une influence sur la participation. Peu
importe qu’ils soient précaires ou non, les jeunes participent moins. Et à leur tour,
qu’ils soient jeunes ou non, les précaires participent moins. C’est donc dire que
même lorsqu’on tient compte de l’effet des autres variables attitudinales, l’âge est
encore fortement relié au degré d’implication. À cet effet, les informations recueillies
lors de la première partie de la recherche avait d’ailleurs fait ressortir les facteurs
associés à la faible implication des jeunes et compteraient sans doute pour une
bonne partie de l’explication.
55
Dans le second modèle linéaire, nous avons testé les mêmes variables à la
différence que l’échantillon retenu ne comprenait que les jeunes de moins de 30 ans.
Le résultats deviennent moins probants (R2 de 0,22) compte tenu de la petite taille
du nouvel échantillon (140) mais ils sont quand même fiables. Les résultats de cette
seconde analyse sont présentés au tableau VI. On y constate que pour les jeunes il
n’y a que la perception d’influence syndicale qui exerce un effet significatif sur la
propension à s’impliquer. Les autres variables attitudinales n’ont plus aucune
importance. La question devient alors relativement simple : si on a le sentiment
qu’on peut faire une différence et changer les choses, on s’implique, sinon, on reste
chez soi. S’ajoute à ce dernier constat un peu simplifié, un effet non significatif
(sans doute à cause du petit nombre) mais quand même tout à fait présent, de la
précarité et de la satisfaction au travail. En effet, comme au niveau de l’échantillon
total, les précaires participent moins que les autres et les gens moins satisfaits de
leur travail participent plus, constations peu surprenantes.
5. Discussion et conclusion
L’importance de s’intéresser à la problématique de l’implication des jeunes a été
démontrée abondamment depuis les dernières cinq années. Les syndicats ont
besoin de reconstituer leur base et de renouveler leur leadership vieillissant. Que ce
soit au niveau de la littérature scientifique ou de la littérature professionnelle, on ne
s’entend cependant pas sur les causes de la plus faible implication des jeunes et,
subséquemment, sur les correctifs à apporter.
56
Au cours de cette recherche, nous avons pu constaté que les membres du syndicat
participent peu aux activités syndicales, cette tendance étant beaucoup plus
accentuée chez les jeunes. Les jeunes vivent la précarité au travail. Pourtant, ils
croient en plus grand nombre que la direction peut les aider dans leur situation
professionnelle. Contrairement à la croyance populaire, ils ont des valeurs sociales
compatibles avec le syndicalisme et ne sont pas beaucoup plus individualistes que
leurs collègues plus âgés. Là où le bas blesse pour les syndicats, c’est qu’ils
perçoivent moins sa valeur instrumentale ce qui affecte leur attitude syndicale.
Également, ils ne croient en moins grand nombre qu’ils peuvent influencer les
décisions syndicales, même de leur syndicat local. Alors pourquoi participeraient-ils
à ses activités ? Mieux vaut alors s’impliquer ailleurs, là où on pourra faire une
différence et où on tiendra compte de ses besoins.
Après un examen objectif de sa situation interne, le syndicat qui désire influencer à
la hausse le degré de participation des jeunes, doit au départ en faire un objectif
stratégique. De prendre une telle décision équivaut à questionner tous ses
programmes, ses services ainsi que ses structures et se demander comment ils
pourraient mieux contribuer à améliorer la situation. À cet égard, la partie qualitative
de la recherche a clairement fait ressortir que les syndicats qui approchent leurs
membres dès le début de leur emploi, qui communiquent souvent et de façon
personnalisée avec eux et qui les sensibilisent à leurs droits, obtiennent en retour un
degré de participation plus élevé. Le syndicat doit également faire de la lutte à la
précarité une des ses priorités à tous les niveaux de représentation. L’enquête
démontre clairement que les jeunes participent peu aux activités syndicales, qu’ils
perçoivent moins la valeur instrumentale du syndicat et qu’ils ne sentent pas qu’ils
57
peuvent influencer les décisions syndicales. En faisant de la lutte à la précarité un
enjeu syndical prioritaire et en appuyant cette priorité par des mécanismes et actions
concrètes, les jeunes percevraient à un plus fort degré qu’ils ont une place dans le
syndicat et que ce dernier peut les aider à atteindre leurs objectifs professionnels.
Devrait s’en suivre une plus grande implication syndicale de leur part.
En grande partie, les jeunes ne sont pas différents des autres membres. Ils ne
s’impliquent syndicalement que s’ils perçoivent en tirer bénéfice. Leur plus faible
implication ne réside pas dans le fait qu’ils sont anti-syndicaux mais plutôt dans leur
perception de la place que le syndicat fait aux enjeux qui leur sont propres et de leur
capacité d’influencer les décisions syndicales. Toute action syndicale visant à
accroître la participation devrait en tenir compte.
58
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