Innovations et transformations des organisations
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ÉDITEUR DE SAVOIRS
Du même auteur dans la collection Management Sup :
Les fondamentaux du management, 2e édition, Dunod, 2013 Fusions-acquisitions, 4e édition, Dunod, 2012 Management du changement, Dunod, 2012
Management interculturel, se édition, Dunod, 2013
Le pictogramme qui figure ci-contre d'enseignement supérieur, provoquant une mérite une explication. Son objet est baisse brutale des achats de livres et de d'alerter le lecteur sur la menace que revues, au point que la possibilité même pour représente pour l'avenir de l'écrit,
------.. les auteurs de créer des œuvres
porticulièrement dans le domoine DANGER nouvelles et de les faire éditer cor-de l'édition technique et universi-
@) rectement est aujourd'hui menacée.
toire, le développement massif du Nous rappelons donc que toute photocopillage. reproduction, portielle ou totale, Le Code de Io propriété intellec- de Io présente publication est tuelle du 1er juillet 1992 interdit lE PHOTOCOPl.J.AGE interdite sans autorisation de en effet expressément Io photoco- TUE LE LIVRE l'auteur, de son éditeur ou du pie à usage collectif sans autori- Centre français d'exploitation du sotion des ayants droit. Or, cette pratique droit de copie (CFC, 20, rue des s'est généralisée dans les établissements Grands-Augustins, 75006 Paris).
© Dunod, Paris, 2013 ISBN 978-2-10-059939-4
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux ter mes de l'article L. 122-5, 2° et 3° a), d'une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective »
et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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Table des matières
Remerciements
Introduction
1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle pour l'entrée sur un nouveau marché
Section 1 La RSE comme vecteur de changement possible d'un champ concurrentiel
Section 2 Étude du cas Michel et Augustin
Section 3 De nouvelles stratégies d'innovation relationnelle
2 Les stratégies d'innovation et de rupture
Section 1 L'innovation : une tentative de délimitation
Section 2 Les différentes facettes de l'innovation
Section 3 Comment innover?
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Stratégies et changement
IV
3 Les stratégies des jeunes entreprises technologiques innovantes 51
Section 1 Les caractéristiques stratégiques des JETI 52
Section 2 Les outils et concepts de la stratégie des JETI 58
Section 3 Un modèle intégré du développement de ces entreprises clés 64
4 La gestion et l'animation des réseaux d'innovation 11
Section 1 Les réseaux d'innovation : cadrage théorique 72
Section 2 Les nouveaux modèles d'innovation: quel impact sur les réseaux? 83
5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? 91
Section 1 Le brevet : une diversité de fonctions aux finalités stratégiques 93
Section 2 La Pl au sein de Danone 99
Section 3 Le déploiement de la stratégie de Pl ou l'articulation des différentes fonctions du brevet 108
6 Les stratégies d'external isation
Section 1 L'externalisation comme politique de changement
Section 2 L'externalisation: opportunités stratégiques ou menaces?
Section 3 Étude de cas: l'externalisation des compétences centrales« périphériques»
Bibliographie
Index
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Remerciements
C e livre a bénéficié du concours de plusieurs spécialistes et experts
des questions sur les changements stratégiques (politique d'inno
vation relationnelle, stratégie de rupture, déploiement stratégique, déve
loppement en réseau, externalisation . . . ). Il est le fruit d'une collaboration
étroite avec de nombreux professeurs et chercheurs spécialisés, et du
soutien d'entreprises partenaires qui ont souhaité participer à la réalisa
tion de cet ouvrage collectif.
C'est pourquoi nous souhaitons remercier les différents contributeurs
et organisations pour leurs participations à ce projet qui réunit des
approches, expériences et sensibilités différentes autour d'une même
ambition, celle d'analyser, de décrypter et d'expliquer la thématique du
changement stratégique sous toutes ses formes, en précisant les enjeux,
caractéristiques et conséquences de ces types de changements en fonc
tion du contexte étudié.
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Stratégies et changement
VI
Les différents contributeurs ayant participé à cet ouvrage sont :
Cécile AYERBE Maître de conférences, Habilité à Diriger des Recherches, Université
de Nice
Michel BARABEL Maître de conférences, Université Paris Est - IRG
Michel BERNASCONI Professeur et Directeur opérationnel de la Faculté, SKEMA Business
School
Thomas LOILIER Professeur des Universités, IAE de Caen
Olivier MEIER Maître de conférences et Directeur de recherche (HDR), Université
Paris Est - IRG
Audrey MISSONIER Professeur ESC Montpellier
Liliana MITKOVA Maître de conférences, Habilité à Diriger des Recherches, UPEMLV
- IRG
Jean-Claude PACITTO Maître de conférences, Habilité à Diriger des Recherches, Université
Paris Est - IRG
Albéric TELLIER Maître de conférences, Habilité à Diriger des Recherches, IAE de
Caen
Christophe ToRSET Maître de conférences au CNAM
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1 ntrod uction
Olivier MEIER, Directeur de l 'ouvrage
D epuis deux décennies, nous assistons collectivement à un mou
vement de transformations qui changent le périmètre et le
champ d'actions de l 'entreprise confrontée à un environnement incer
tain et instable, marqué par la globalisation des marchés, les rivalités
concurrentielles et le progrès technologique. Face à cette situation nou
velle et irréversible, l 'entreprise actuelle se doit de s'adapter, en optant,
le cas échéant, pour des changements plus prononcés et plus impor
tants, essentiels à la survie et à la pérennité de son organisation. Ces
changements stratégiques, qui touchent le contenu des organisations en
termes de mission, d'objectifs ou de métiers, mais aussi le système
dans sa globalité proviennent de choix qui tendent à transformer la per
formance de l 'entreprise, et à créer des situations de réorientations ou
de rupture avec l 'existant. L'aspect critique et décisif de ces mouve
ments explique ainsi l' intérêt constant que suscite ce sujet dans les
travaux en management stratégique et son approfondissement pour
mieux cerner les différentes dimensions du couple « stratégie et chan
gement » en matière d 'options stratégiques.
Cet ouvrage est consacré essentiellement aux manœuvres straté
giques à la disposition des entreprises, pour gérer et développer leurs
activités. Il met l 'accent sur le contenu de la stratégie des firmes qui en
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Stratégies et changement
2
fonction des choix opérés, peut conduire à modifier le visage de l 'entre
prise et à redessiner ses perspectives de croissance. Les mouvements
stratégiques de la firme sont de ce fait étroitement associés aux ques
tions relatives à la vocation des organisations, à leurs exigences en
termes de performance et de sécurité et à la position qu'elles souhaitent
occuper au sein de l 'environnement concurrentiel.
Fort de ce constat, nous nous sommes attachés à proposer différentes
situations critiques dans lesquelles l'entreprise est amenée à faire des
choix en matière de développement ou de redéploiement, en ayant
recours à différentes manœuvres stratégiques. Les thèmes sélectionnés
s'inscrivent donc dans cette démarche et sont illustrés par différents
exemples et études de cas significatives de ces changements. Afin de
resituer ces manœuvres dans leurs contextes stratégiques, il est proposé
au début de chaque chapitre, une revue de littérature spécifique pour
mieux comprendre les enjeux et motifs associés à ces manœuvres stra
tégiques.
Le chapitre 1 traite de l 'usage de l ' innovation relationnelle comme
modalité de changement sur les marchés. Il s'appuie sur l 'étude de cas
approfondi de l'entreprise Michel&Augustin dans le secteur de l'agro
alimentaire, en mettant en avant la politique RSE comme moyen de
changer les règles du jeu concurrentiel.
Le chapitre 2 aborde une question maj eure en matière de gestion des
entreprises, en analysant les politiques d ' innovation et de rupture sous
ses différentes facettes.
Le chapitre 3 s'intéresse aux stratégies des jeunes entreprises techno
logiques innovantes (JETI) et étudie leurs caractéristiques, modes
d'actions et modèle de développement.
Le chapitre 4 traite de la gestion et de l' animation des réseaux d'inno
vation. Il vise notamment à étudier les nouveaux modèles d'innovation
et leurs impacts en termes de rôles, de stratégies d'acteurs et de moda
lités d'application .
Le chapitre 5 approfondit l'articulation des différents rôles du brevet
et analyse le déploiement d'une stratégie de protection à partir du cas
Dan one.
Enfin, le chapitre 6 étudie les stratégies d'externalisation, mouve
ment stratégique aujourd'hui incontournable dans la politique des
firmes, mais dont les modalités pratiques peuvent amener à bien des
déconvenues.
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La RSE comme forme d'innovation relationnel le pour l'entrée sur un nouveau marché
Michel BARABEL
Olivier MEIER
SaMMAIRE SECTION 1 La RSE comme vecteur de changement possible
d'un champ concurrentiel
SECTION 2 Étude du cas Michel et Augustin
SECTION 3 De nouvelles stratégies d'innovation relationnelle
L a RSE est souvent perçue comme un moyen utilisé par les grandes
entreprises, pour renforcer leur compétitivité et leur domination
sur le marché. Néanmoins, certains travaux récents tentent de remettre
en cause les fondements d'une corrélation positive entre la perfor
mance sociale et sociétale d'une entreprise et sa taille. L'objectif de cet
article est d'analyser la façon dont l 'entreprise Michel et Augustin,
malgré des ressources limitées, a réussi à modifier les règles du jeu
concurrentiel à son avantage au sein du marché de la biscuiterie, et ce
malgré l ' importance et le poids de concurrents puissants. Nous montre
rons notamment de quelle manière l 'entreprise a su valoriser la dimen
sion RSE, pour transformer sa relation avec ses différentes parties
prenantes et ainsi changer la structuration de son environnement
concurrentiel.
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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle
4
Section 1 LA RSE COMME VECTEUR DE CHANGEMENT POSSIBLE D 'UN CHAMP CONCU RRENTI E L
1 La RSE com me facteur de renforcement de la position stratégique de la grande entreprise
La thématique de la responsabilité sociale (RSE) est aujourd'hui
l 'une des problématiques centrales de la recherche en gestion (Wood,
1991 ; Carroll, 1 999 ; De Bakker, Groenewegen et Den Rond, 2005).
L'émergence et le développement du concept de RSE sont souvent
reliés dans la littérature à la crise de légitimité qui touche les entre
prises depuis une vingtaine d 'années. Cela a conduit à l'instauration
progressive d'un nouvel environnement institutionnalisé (Gabriel,
2007) faisant pression sur les entreprises pour intégrer la montée des
préoccupations écologiques, sociales et sociétales et leurs consé
quences sur le plan stratégique et managérial . Il en résulte un certain
nombre d'outils et de principes tels que les codes de bonne conduite,
les chartes de valeurs, le management de la diversité, les normes/
labels, les partenariats avec les ONG, les normes qualité (de type ISO
14 000), les rapports RSE/GRI Report . . . qui ont pour la plupart
émergé au sein des grandes entreprises multinationales (Jenkins,
2006). En ce sens, le concept de RSE induit un changement de
perspective de l ' entreprise vis-à-vis de son environnement, en passant
d'une approche actionnariale défendue par des auteurs comme
Friedman ( 1 970) à la prise en compte des attentes de l ' ensemble de
ses parties prenantes (Caroll, 1999). Ces pressions ont notamment
nourri un phénomène d'isomorphisme institutionnel (Di Maggio et
Powell, 1 99 1 ), avec l ' obligation pour les entreprises de mettre en
œuvre une politique de RSE sous peine de sanctions, de la part des
différentes parties prenantes. À ce titre, certains auteurs considèrent
que la RSE est devenue aujourd'hui un préalable à l'obtention d'un
droit à exercer sur le marché (Graaftand et al. , 2003).
La plupart des travaux traitant de la responsabilité sociale de
l 'entreprise (RSE) ont initialement porté sur les grandes entreprises
conduisant à faire de ces dernières la norme en matière de RSE
(Hoivik & Shankar, 2010 ; Blomback & Wigren, 2009). Assez natu-
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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1
rellement, ces travaux suggèrent que les grandes entreprises sont les
mieux armées pour répondre aux exigences de la RSE, en raison de
l ' importance de leurs ressources financières et humaines (Graafland
et al. , 2003 ; Husted & Allen, 2007), de .la possibilité de mobiliser de
multiples compétences et de leur maîtrise du cadre législatif. L' exi
gence d ' innovation favorise la grande entreprise, capable d' allouer
des ressources importantes pour continuer à évoluer et contribue
ainsi au maintien de la position concurrentielle des entreprises en
place.
Selon cette perspective, la RSE peut être perçue comme un moyen
utilisé par les grandes entreprises, pour conserver leur position sur le
marché (empêcher l 'émergence de nouveaux acteurs, figer le jeu
concurrentiel), en faisant appliquer des pratiques conventionnelles (Di
Maggio et Powell, 1983) ou indirectement en renforçant l 'apparition
des structures justifiées (Meyer et Scott, 1 986).
2 La RSE comme opportunité d' innovation relationnelle en faveur des TPE
Certains travaux tentent de remettre en cause les fondements d'une
corrélation positive entre la compétitivité d'une entreprise et sa taille,
en soulignant les avantages de la petite et moyenne entreprise (Foray et
Mowery, 1988 ; Guerci, 1990). Selon ces travaux, les PME se pré
sentent comme des organisations plus flexibles qui peuvent s 'adapter
rapidement aux situations changeantes de l'offre et de la demande
(Dogson et Rothwell, 1 99 1 ). Abandonnant une approche conformiste
de la stratégie, qui consiste à vouloir se conformer aux caractéristiques
de l 'environnement (Di Maggio et Powell, 1983), cette nouvelle
approche préconise d'imaginer différemment le futur, en privilégiant
une démarche pro-active.
Ces travaux trouvent notamment un écho sur la façon dont les
entreprises entendent aborder et gérer la RSE. En effet, des travaux
récents tendent à considérer la RSE non pas simplement comme une
exigence difficile à satisfaire (Perry et Towers, 2009) mais également
comme une opportunité créatrice de valeur permettant à une petite et
moyenne entreprise de se positionner sur un marché (Husted et
Allen, 2007 ; Hoivik et Shankar, 20 10) autour de la création de nou-
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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle
6
veaux business modèles (Moore et Manring, 2009 ; Seuring et
Muller, 2008).
Selon cette conception, les petites et moyennes entreprises, en dépit
de ressources limitées, seraient capables de mener des politiques de
transformation volontaire de leur environnement, en bouleversant les
paramètres et facteurs clés de succès ou en créant de nouvelles règles
du jeu. Ainsi, les travaux existants permettent de distinguer deux
approches de la RSE au niveau des PME (tableau 1 . 1 ) :
- une approche dominante où la RSE est perçue pour la PME comme
une contrainte et une difficulté supplémentaire entraînant selon les
cas une attitude d'opposition, d'évitement ou de conformité (dictat et
leadership des multinationales) ;
- une approche plus récente et encore minoritaire où la RSE est perçue
comme une opportunité pouvant générer innovation et création de
valeur, où la PME adopte une stratégie proactive en tirant profit de
ses qualités naturelles (adaptabilité, flexibilité, proximité, personna
lisation de la relation client) afin de renforcer sa position concurren
tielle sur le marché.
1 1
Tableau 1.1-Attitudes des acteurs face à la RSE
Attitudes Modèle traditionnel Modèle de l'innovation des acteurs (domination de la grande entreprise) stratégique
face à la RSE
PME/PMI
Grandes entreprises
Résistance (opposition)
Passive (inaction)
Défensive/m itation
(faire peu, faire progressivement, faire
le moins possible, faire après)
Acteur disposant de ressources et de compétences supérieures l u i permettant d'ériger la
RSE comme une nouvelle barrière à l'entrée ou une contrainte supplémentaire
P roactive (tirer profit du
nouveau contexte concurrentiel que crée la
RSE pour entrer ou renforcer sa place sur le
marché en innovant )
Acteur adoptant une stra
tégie traditionnel le (adaptation) laissant des
marges de manœuvre aux PME
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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1
Section 2 ÉTU DE DU CAS MICH E L ET AUG USTI N
Le cas a été élaboré à partir de données primaires et secondaires,
selon les principes exposés par Yin (2003), à savoir : multiplicité des
sources, création de base de données par cas et logique de collecte à
partir de la question de recherche.
L'analyse réalisée repose sur une approche multisources, mêlant
données primaires et secondaires (Frankfort-Nachmias et al. , 1992 ;
Stewart, 1984) auprès de différentes parties prenantes de l 'entreprise
(salariés, clients, journalistes, magasins spécialisés et grande distribu
tion). Elle provient d'analyses d'entretiens réalisés en face à face
auprès des fondateurs de l 'entreprise et de leurs salariés (20 % des
effectifs), de certains acteurs du milieu (journalistes et spécialistes du
secteur alimentaire) et d'une analyse de différents médias :
- une quinzaine d'articles issus des journaux de la presse écono
mique' ;
- une dizaine d'émissions TV (Télématin France 2, M6 100 % mag,
E=M6, Capital M6, Kezeco TV, Business Direct 8, BFM TV, France
3 JT, TF1 Attention à la marche . . . ) ;
- de plusieurs émissions radio (France Inter, Europe 1, Radio Clas
sique, BFM, NRJ . . . ) .
Nous avons également pu collecter un certain nombre de documents
diffusés par l'entreprise sur son site2 (communiqués, dossiers, études).
De même, nous avons recueilli des informations auprès des clients de
l ' entreprise à travers deux modalités : analyse lexicale des messages
laissés sur le site face book de l ' entreprise3 (investigation sur 50 jours à
l . Management, « 40 astuces pour gagner du temps », 02, 201 1 ; Le figaro Économie, « Michel et augustin, prêt à ouvrir son capital », 0 1 201 1 ; Les Échos, « A la conquête du client », 19 04, 201 1 Les Échos, « Michel et augustin, une recette qui marche », 19 juillet 2010; Dynamique entrepreneuriale, « Le moral ? Une question d'équilibre », avril 2010; Le Parisien, « Et maintenant, une boutique Michel et augustin », 30 01 2010 ; Marketing, « L'homme marketing de l'année 201 0 », mars 201 0; Challenges,« Un profil citoyen pour les rois du web», 08 07 2010. ; LSA, « Palmarès de l ' innovation », 18 02 2010 ; Le Point,
« Michel et Augustin, les insolents », novembre 2010 ; Management, « Apprenez à vaincre votre timidité », juillet-août 2009 ; Capital, « Comment faire de la pub sans budget de pub ? », mars 2008 ; FHM, « Des patrons pas comme les autres », octobre 2008 ; Ria, « Petites entreprises, cap sur l'audace », juillet 2008 ; Libération, « Michel et Augustin, yaourts et gâteaux parfum culot», 24 09 2006.
2. www.micheletaugustin.fr
3. http://fr-fr.facebook.com/MichelEtAugustin
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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle
8
raison de 20 messages postés par jour soit 1 000 posts analysés) et
échange informel avec les consommateurs (validation faciale auprès
d'une trentaine de clients) au siège de l ' entreprise lors de deux soirées
mensuelles portes ouvertes (premier jeudi de chaque mois) et plus pré
cisément, ce travail a été mené sur six mois d'investigation du blog de
Michel et Augustin où l 'ensemble des posts envoyés par les clients
(plus de 1 000 posts) ont été collectés dans une base de données en vue
d'un traitement sur Nvivo 9.
En matière de traitement des données, nous avons eu recours pour les
entretiens face à face à un système de codage avec une première tenta
tive d'organisation des données (Miles et Huberman, 2003). Nous
sommes par la suite retournés aux données mêmes pour en apprécier la
pertinence, c'est-à-dire pour voir comment cette représentation se
confirme, se modifie ou se contredit. Lors de ce retour aux données,
nous avons repris la codification et le processus itératif s 'est poursuivi
jusqu'à ce qu'une organisation plausible et assurée s'opère, permettant
l ' intelligibilité du discours et la saturation des diverses significations
codifiées (Karsenti et Savoie-Zajc, 2000).
En ce qui concerne l 'analyse des posts des clients sur le site commu
nautaire Facebook, ces derniers ont fait l 'objet d'une analyse qualita
tive de contenu. Nous avons choisi de coder l 'ensemble des données
afin d'avoir une vision globale par thème centré sur la nature des liens
entre l'entreprise Michel et Augustin et ses clients tels que les acteurs
l ' expriment (Andrew et al. , 2008).
Pour ce faire, nous avons adopté la démarche suivante :
- lecture des commentaires des clients par référence à la probléma
tique ;
- formulation des objectifs de l 'analyse : rechercher les éléments rela
tifs au concept de parties prenantes et de lien clients/entreprise ;
- mise en codage ouvert (description des idées à repérer et des mots les
constituant) ;
- classification en thèmes ;
- hiérarchisation des mots et des thèmes en fonction de leur fréquence
grâce au logiciel de traitement des données Nvivo 9 (QSR Interna
tional, Cambridge, MA) ;
- formalisation des interprétations.
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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1
1 Spécificités du marché des biscuits avant et après l'institutionnalisation des principes de RSE
Le marché du biscuit est une composante du secteur agroalimentaire.
En 2005, il représente environ 1 ,35 milliard d'euros et est dominé par
deux multinationales : Lu (groupe Danone) et United Biscuits (BN,
Delacre) qui détiennent respectivement 40,7 % et 1 1 ,3 % de part de
marché.
Le marché est caractérisé par une décroissance du chiffre d'affaires
(-2 % en 2004 et en 2005) et le poids des marques de distributeur
(MDD) qui ne cessent de croître sur ce marché avec environ 24,8 % de
part de marché en valeur et 35,6 % en volume ( + 3 points par rapport à
2004). D'autres marques connues sont également présentes sur le mar
ché telles que Bahlsen St Michel (4,8 % de part de marché en valeur),
Andros, Masterfoods, Cadbury (fingers), etc.
Le marché des biscuits, au même titre que l 'ensemble du secteur
agroalimentaire est marqué depuis le début des années 2000 par un ren
forcement des préoccupations autour des questions de santé, de nutri
tion (lutte contre l'obésité et le surpoids, maladies cardio-vasculaires)
et de développement durable (respect de l 'environnement, préservation
des ressources, commerce équitable, développement local. . . ). Ces nou
velles pressions ont été exercées à la fois par les États (lancement du
Programme national nutrition santé en 2001 en France par exemple),
les institutions publiques et les ONG.
Parallèlement, on observe l'émergence d'un nouveau type de consom
mateur qualifié « alter-consommateur » aux nouvelles exigences qui
représente progressivement un segment de marché de plus en plus
important. Autour du « bien manger », le consommateur attache de plus
en plus d'importance à ce qui figure sur l'étiquette et est à la recherche
de normes et des labels qui confirment le caractère « éthique » et la qua
lité des produits. Le « consomm'acteur » s'intéresse également à la
provenance des produits consommés, de plus en plus conscient de son
rôle dans la « supply chain » (du producteur au consommateur final).
De fait, la consommation durable s'incarne de différentes manières
sur le marché. On distingue : le commerce durable (système commer
cial ne nuisant pas à l 'environnement) ; le commerce équitable (garan
tir aux producteurs des pays du Sud des moyens de vivre décemment et
d'accéder au développement), le commerce éthique (mettre en place un
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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle
10
système de production respectant les droits fondamentaux des tra
vailleurs), le commerce solidaire (soutenir, par son achat, une organisa
tion de solidarité), le bio et la santé.
Ainsi, la RSE a en partie modifié les attentes d'une partie des
consommateurs (émergence de nouveaux segments, intégration de cri
tères éthiques . . . ) et a poussé les acteurs à redéfinir leur stratégie et leur
positionnement.
Face à cette nouvelle donne, les leaders1 ont de manière homogène
adopté la même stratégie. Elle consiste à miser sur l ' innovation tech
nique (norme scientifique) afin de créer des barrières à l 'entrée en met
tant en place des stratégies d'investissements lourds dans leur outil de
production (baisser les coûts des produits), la santé (réduction des pro
duits hydrogénés . . . ), le marketing (recentrage sur les marques phares)
et les produits bio. « Pour nous différencier, nous accentuons la qualité
de nos produits », explique un responsable Lu. « L'innovation est le
principal axe de développement pour LU», indique une porte-parole du
groupe pour qui les nouveaux produits représentent chaque année 10 %
de son chiffre d'affaires.
Ainsi, les grandes entreprises ont élaboré de nouvelles générations de
produits jouant sur la dimension « santé ». Il s 'agit de présenter les
nouveaux produits comme pouvant avoir un traitement préventif des
maladies : teneur réduite en sucre, en graisse et à base d'ingrédients
« bioactifs » pour améliorer la santé digestive, enrichis en fruits, enri
chis en céréales ou en fibres, fortifiés en vitamines . . .
2 La stratégie de Michel et Augustin
L'entreprise Michel et Augustin a été créée en 2004 par Michel de
Rovira et Augustin Paluel-Marmont. Ils décident de s'associer à 50-50
avec une mise initiale de 1 5 000 euros. L'entreprise est, à 1' origine,
positionnée sur le marché des biscuits (début 2000, Augustin Paluel
Marmont a décidé de passer un CAP de boulanger-pâtissier afin
1. Depuis 2005, le marché du biscuit est plutôt en déclin en volume même s'il progresse en valeur à cause de la hausse des prix des matières premières. La part de marché des deux leaders (LU racheté par le groupe Kraft Foods et United Biscuits France) diminue. Le troisième acteur sur le marché est Saint-Michel Biscuits (Saint-Michel, Bonne maman) qui détient environ 5 % de part de marché.
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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1
d'assouvir une passion d'enfance), marché comme nous l'avons vu
« saturé », en déclin et dominé par des leaders mondiaux surpuis
sants.
Le projet entrepreneurial originel est inspiré par Ben & Jerry. En
effet, en découvrant cette marque, Augustin Paluel-Marmont se rend
compte que dans le secteur des biscuits : « aucune marque ne me
disait bonjour, aucune ne me parlait. On ne me racontait que des his
toires fabriquées ». De plus, le discours des marques est souvent aus
tère voire, selon les dirigeants, mensongers. « Je ne ressentais aucune
affection envers les produits des supermarchés. Et j ' étais scandalisé
par leurs mensonges. Quand Nutella dit qu'il faut manger des tartines
pour être en bonne santé, c'est du foutage de gueule. Nutella, c'est
bon. Mais à part grossir, çà n'apporte rien au corps », Augustin
Paluel-Marmont.
Les créateurs s' inspirent également de Richard Branson qui incarne
pour eux « la joie de vivre, l 'énergie, l 'optimisme à toute épreuve et le
partage », Augustin Paluel-Marmont.
Enfin, ils constatent que la composition des produits est souvent dif
ficile à décrypter et comprend souvent des ingrédients non utilisés dans
la vie quotidienne : « il faut être prix Nobel de chimie pour comprendre
la liste des ingrédients composant ce que vous achetez et mangez » .
« Je fais beaucoup de pâtisserie. Je n 'ai j amais mis de l 'huile de palme
hydrogénée », Augustin Paluel-Marmont
Fort de ces constats, ils décident de se lancer avec une marque qui
instaure une nouvelle relation avec les parties prenantes et notamment
les clients autour de valeurs telles que « le plaisir, l'attitude positive,
la valorisation de l 'humain, le partage et la transparence » Augustin
Paluel-Marmont. Selon cette perspective, les dirigeants abordent le
marché avec une vision positive du nouveau contexte créé par la RSE
(authenticité, plaisir, partage) en refusant une vision contrainte et ins
titutionnalisée telle qu'elle est véhiculée par les deux entreprises lea
ders (normes, labels, procédures ... ). À ce titre, Michel et Augustin
refusent la certification : « Notre clé d'entrée n'est pas le bio. Nous
choisissons les meilleurs ingrédients possibles, essentiellement en
France » .
L'entreprise se positionne sur le segment du biscuit car il l'associe à
un état d'esprit positif autour du partage : « il est facile de partager
autour d'un biscuit car tout le monde est capable d'en faire chez soi. Le
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biscuit a été un support pour faire partager notre état d'esprit » .
(Augustin Paluel-Marmont)
3 Une relation transparente et a uthentique basée sur le plaisir et le co-partage
Dans son approche du marché, l'entreprise va privilégier des valeurs
particulières :
• La personnalisation est incarnée par le nom (prénom des deux créa
teurs), le logo de la marque (visage des deux dirigeants) et le
packaging où les dirigeants confient des éléments de leur vie privée :
« Michel a 2 plantes vertes, un vélo et plus grand-chose sur la tête ».
Cette personnalisation est liée à un constat : « On fait plus confiance
à des personnes qu' à des organisations. Ma principale préoccupation,
c'est qu'on se dise que le produit va être bon car il a été fabriqué par
Michel et Augustin . Les produits me sont certifiés par Michel et
Augustin » ? selon Michel de Rovira.
• La proximité est liée à l ' accessibilité des dirigeants et de l' entre
prise. Par exemple, les deux dirigeants communiquent leur numéro
de téléphone. De même, tous les premiers jeudis du mois, la
« Bananeraie » (siège social de la marque, situé à Boulogne
Billancourt) ouvre ses portes aux clients, leur propose une dégus
tation des derniers produits et recense tous les commentaires émis.
De manière générale, l ' entreprise joue sur l ' interactivité avec ses
parties prenantes, dont ses clients et leur association à la vie de
l 'entreprise. À ce titre, on peut trouver sur le paquet des sablés de
l 'entreprise : « Notre aventure gourmande est saine, plein de peps,
de projets fous, et surtout humaine. Vous, le l ivreur, le commer
çant, la tribu des trublions : chacun a son mot à dire pour faire
grandir l'aventure » . Les journées portes ouvertes font l' objet
d'une organisation minutieuse au regard du nombre de participants
(parfois jusqu'à 400). « Les locaux sont structurés en bar à dégus
tation (bar à vaches, bar à goupils), bar à thèmes (bar à CV, bar à
l 'aventure . . . ) et en ateliers, ce qui permet d'avoir un contact qua
litatif et privilégié avec l 'ensemble des participants » , Augustin
Paluel-Marmont.
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• La transparence et la vérité tiennent à la diffusion de la composi
tion des produits et des recettes ainsi qu'à l 'absence de fausse pro
messe notamment au niveau de la santé. Comme le précisent les
dirigeants : « Au départ, ce sont juste les prénoms de copains[ . . . ] qui
ont exprimé leur ressenti de consommateur. On en avait assez d'être
manipulés par des marques et de ne pas très bien comprendre la lisi
bilité des ingrédients qui composaient les produits de consommation
alimentaire de la grande distribution. On est parti dans une démarche
sincère de partage d'une aventure humaine et gourmande avec les
consommateurs ».
Internet, via le site Internet et le blog de l 'entreprise, est également
un moyen de communication privilégié : commentaires sur les produits,
aide au référencement des commerçants, co-gestion de la marque,
vidéos et photos mettant en scène les salariés, présentation de la tribu,
coulisses d'une opération marketing, participation aux recrutements . . .
De plus, une lettre mensuelle « Le bananier » retrace les différents
événements autour de la marque. Elle fédère plus de 50 000 abonnés.
L'entreprise compte également près de 3 1 000 amis sur Facebook, ce
qui les place loin devant les leaders du secteur agroalimentaire (par
exemple : seulement 2 300 amis pour Lu) : « Le parti pris, c'est parta
ger le quotidien de la marque avec toute la tribu », selon Augustin
Paluel-Marmont.
L'ensemble de ces actions conduisent chaque consommateur à
avoir le sentiment d'être un membre à part entière de l ' entreprise et
à créer une véritable relation de confiance entre ce dernier et la
marque.
Le plaisir est un autre gage de succès de l 'entreprise. Alors que les
consommateurs sont tiraillés entre un discours culpabilisant et anxio
gène sur l 'alimentation d'un côté et leur plaisir de l 'autre. Michel et
Augustin parviennent à concilier ces deux aspects en sortant du dis
cours traditionnel austère.
3.1 Un mix ma rketing déca lé
Le positionnement de Michel et Augustin s'accompagne d'une poli
tique de communication décalée centrée sur l 'humour, le « fun », le
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« buzz »1 (vidéos farfelues, happening, street marketing . . . ), la convi
vialité et l ' échange. Cette communication vise à créer une complicité
immédiate avec le client.
De plus, le positionnement est également incarné par un packaging
atypique :
- le graphisme (couleurs vives et chaudes, non sophistication, dessins
se référant à l 'enfance comme la vache, le tableau et la craie, la
fleur) ;
- le nom des produits ayant un petit supplément d'âme : « petits sablés
ronds et bons, la Ch'tite Gaufre . . . » ;
- le logo créé par Michel et Augustin représente des caricatures des
deux dirigeants ;
- le slogan : « les trublions du goût » ;
- l 'humour présent sur le paquet qui est en complet décalage avec les
discours habituels que l 'on trouve sur les paquets de biscuits :
« Savez-vous qu'en croquant ces petits sablés ronds et bons . . . , vous
allez à la fois maigrir, faire le plein d'énergie et renforcer votre capi
tal osseux ? Et oui, nos nutritionnistes en blouse ultrablanche, en
collaboration avec la Nasa, ont mis au point. . . Stop ! Arrêtez les
salades ! » ;
- l 'utilisation du tutoiement ou de l'impératif accompagné d'un point
d'exclamation : « toquez et bavardons ! » ; « À vous de jouer ! » ;
« Vive la vie et les amis ! » ;
- la pleine utilisation du packaging (mots dissimulés derrière le carton,
blague sous la boîte, une petite flèche pour commenter certains
points . . . ).
Il s'agit de créer des « produits qui disent bonjour et sont souriants
en supermarchés », Michel de Rovira. L'entreprise a voulu créer une
rupture (faire disparaitre le formalisme et la distance) et rompre avec
l 'ennui et la monotonie des packagings traditionnels. L'objectif est de
créer une véritable relation avec le consommateur à travers le packaging
des produits.
1 . Les deux fondateurs de la marque se mettent souvent en scène, vêtus de taches noires et blanches pour rappeler les vaches, dans les stations de métro ou dans les supermarchés. La marque a imaginé une opération de street marketing où les équipes ont collé des stickers à la station de métro proche du QG de la marque.
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� Focus
Décryptage de la relation entre Michel et Augustin et ses cl ients
Cet encadré présente les résu ltats de l 'analyse de contenu réal i sée avec Nvivo 9 à partir des 1 000 commenta ires c l ients postés (étude durant 5 semaines, environ 2 0 messages par jour) sur le site Facebook de l 'entreprise. Cinq thèmes centraux ont été identifiés par l 'analyse. Chaque thème regroupe des mots clés qui l u i sont rattachés.
Thème 1 : adhésion/fan attitude (763; 60 %} (Occurrence du thème : 763 ; 60 % de post où le thème est mentionné) Extraits de Verbatim (site Facebook) «Toutes mes fél ic itations pour votre réussite »
« Wahoo je su is enfi n tombé sur des cookies dans ma vi l le!!! »
« Ouaaa je viens de trouver u n nouveau produit : 'Les Pai l lo l i nes' . . . j u ste trooooop BON !!! Merci i i i i »
«Je B ÉN I S le rayon Michel & Augustin à mon Monoprix. »
Thème 2: humour, autodérision/joie de vivre (428; 38 %} « Est-ce que Lu ou Danone t'ont déjà fait r ire quand tu faisais tes courses ? »
« Comment expl iquer . . . ce n'est pas que c'est bon, c'est doux, fondant en bouche, chaque bouchée vous fait partir comment d i re . . . dans u n état de bonheur pur et vous fait penser la chose suivante : punaise que la vie est bonne sometimes ! ! ! »
« Du bonheur du bonheur du bonheur. »
Thème 3: plaisir/goût/philosophie de vie (396; 36 %} « Michel et Augustin n'est peut-être pas la marque la p lus i nnovante du siècle mais est à l 'origine de desserts sympas et qui changent u n peu des marques plus standards. »
Thème 4 : tribu (311 ; 29 %} « Bonjour la tribu ! Va fa l loir descendre encore un peu vers Montauban que je trubl ionne avec vous ! Bonjour les troubl ions. »
Thèmes: personnalisation (252; 20 %} « Des nouvelles d'Augustin ? »
« Pauv' Augustin ! ! i 1 ne méritait pas cela ! ! »
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Ainsi, Michel et Augustin ont décidé d'assumer un positionnement
différent de la concurrence : des produits gourmands, de qualité, natu
rels (au beurre, pas à l'huile, sans colorants, sans conservateurs . . . ) avec
un prix plus élevé en contrepartie (gamme de 2 à 6 euros). En effet, ils
ont privilégié au positionnement « santé » ou éco-responsable « bio »
la carte de l'hédoniste « manger-plaisir ». en mettant en avant le plaisir
gustatif, le goût des « bonnes choses », le discours non moralisateur ou
culpabilisant et la convivialité. Ainsi, 1' entreprise souhaite « retrouver
le goût des biscuits de nos grand-mères en réunissant les meilleurs
ingrédients, sans additifs, ni conservateurs ».
4 Relations avec les fournisseurs et distributeurs
L'entreprise joue sur un approvisionnement et une fabrication locale
en France plutôt que sur des démarches de commerce équitable : « Cela
ne répond pas vraiment à une définition du commerce équitable car on
n'est pas vraiment dans une relation de pays développé qui achèterait
aux pays du sud. Nous, on est plus dans une relation durable où on veut
travailler sur le long terme avec des exploitations françaises et assurer
notre approvisionnement en lait ».
Elle privilégie une démarche de consommation durable qui éveille le
goût et la curiosité des consommateurs à des produits de qualité plutôt
qu'un label bio. « Je n 'utilise pas de lait bio parce qu'il faudrait que je
l ' importe d'Allemagne de l'Est. Mon lait vient de Gap dans les Alpes
du Sud, cela a aussi des avantages en termes de proximité car Gap se
situe à 2 heures de mon usine de production ». De plus, on n'est pas bio
car en tant que consommateur, nous n'en consommons pas ». Néan
moins l'entreprise est sensible : « aux contraintes environnementales
[et] essaye des packagings qui rejette moins de C02 ».
Les fournisseurs sont au même titre que les clients et les consomma
teurs considérés comme des partenaires du développement de l 'entre
prise. À ce titre, la notion de confiance est prioritaire et l 'entreprise
souhaite entretenir des relations durables et « gagnant-gagnant » avec
ses fournisseurs en misant sur la proximité et les interactions : « On a
un contrat avec nos fournisseurs qui garantit des prix plus stables aux
agriculteurs même en période de crise. [ . . . ] On n'entretient pas avec les
agriculteurs une relation purement commerciale. » « 11 y a plein de gens
avec qui on n'a pas de contrat. La majorité, on n'a pas de contrat avec
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eux parce que cela repose sur la confiance et ça repose sur des hommes.
[ . . . ] Une relation de confiance, c'est une relation de présence. À ce
titre, on passe beaucoup de temps en usine chez nos fournisseurs » ,
(Augustin Paluel-Marmont).
De même, en ce qui concerne les distributeurs, Michel et Augustin les
considèrent comme des membres de la tribu, qui ont « leur mot à dire
pour faire grandir l'aventure » : « C'est un commerçant qui nous a donné
l' idée de sortir une gamme d'île flottante. Dans les faits, la stratégie de
1' entreprise est un processus créatif itératif permanent où se mélangent
contributions internes et externes. C'est également un commerçant qui
nous a donné l'idée de sortir une confiserie des rois à la rentrée 2012. »
5 Relations avec les collaborateurs
Le style de management est démocratique et souvent informel.
L'entreprise privilégie 1' approche directe : « la plupart du temps les
mails sont envoyés par des collaborateurs qui ont juste besoin de se
sentir l'esprit tranquille en nous mettant au courant d'un problème. À ceux-là je fais parvenir une parodie de réponse automatique, du style :
votre e-mail vient de s' autodétruire, pour toute question vraiment
urgente, venez me voir. »
Ainsi, l'entreprise privilégie la prise de décision naturelle au fil de
l 'eau : « Il n'y a pas de grands comités où l 'on prend des décisions. C'est
surtout lié au fait qu'on ne dépense pas d'argent, à savoir qu'il n'y a pas
d'investissements lourds à réaliser. Tout se fait avec beaucoup de bon
sens, d'enthousiasme et de passion », (Augustin Paluel-Marmont).
Néanmoins, une journée (le lundi) est consacrée aux sujets en sus
pens : « Plutôt que de multiplier les réunions, ce qui fait perdre un
temps fou, on préfère aborder les questions en une seule fois, lors
qu'elles ne nécessitent pas une réponse immédiate. [ . . . ] C'est un sys
tème qui permet aussi de réduire le temps passé à gérer les e-mails. On
reçoit chacun une centaine de messages électroniques par jour. Au lieu
d'y répondre au coup par coup, on traite les sujets qu'ils soulèvent à la
réunion du lundi. »
Le site Internet valorise les membres de la tribu et cherche à mettre
en avant personnellement chaque salarié ainsi que sa contribution :
« Rencontré à un pique-nique par un soir d'été, Séverine a dessiné de
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ses doigts de fée le tout premier paquet de petits sablés. Merci » (site
Internet Michel et Augustin).
Michel et Augustin attachent également beaucoup d'importance au
processus de recrutement.
« Je veux que le processus de recrutement soit quelque chose d'assez
unique, une expérience exceptionnelle à vivre. » En termes de critères
de recrutement au-delà des compétences techniques indispensables,
l 'entreprise privilégie les personnalités positives : « Nous recherchons
des collaborateurs heureux de vivre, bien dans leur tête, créatifs,
innovants, enthousiastes avec beaucoup de bon sens et d'énergie. »
Dans cette perspective, l 'entreprise recherche des collaborateurs pas
sionnés, très impliqués et qui n'ont pas I ' impression de travailier mais
de participer à une aventure commune.
Les méthodes de sélection sont en adéquation avec cet objectif : « Il
y a bien sûr des entretiens et des mises en situation. Nous accordons
beaucoup d'importance au déjeuner d'équipe où le candidat va inter
agir avec l'ensemble des collaborateurs de l 'entreprise. »
« Par exemple, pour un candidat chef de secteur commercial, on a
reconstitué un magasin à la Bananeraie. Certains des salariés jouent le
rôle des commerçants et l 'on va voir la façon dont le candidat se
comporte, sa réaction par rapport à certaines situations auxquelles on
va le confronter. »
« Dans les faits, la décision de recrutement se prend collectivement
en équipe sur la base d'un consensus de l 'ensemble des salariés. »
Concernant la politique de motivation des collaborateurs, Michel et
Augustin privilégient l 'atteinte d'objectifs collectifs et des modalités de
récompense collective plutôt de nature implicite (événements collec
tifs) qu'explicite (rémunération, promotion).
« Pour fêter notre chiffre d'affaires record du mois de mai 201 1 , nous
avons organisé une grande manifestation de jambon Bellota à la Bana
neraie. »
« On est parti deux jours tous ensemble au Maroc. Il y a plein de
petits événements qui ne sont pas somptueux mais qui sont facteurs de
mobilisation et de cohésion. »
Concernant la politique de gestion de carrières, il n'existe pas de
plans de carrières pour les collaborateurs au regard de la taille de
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l 'entreprise et de sa culture. Michel et Augustin mettent avant tout
l 'accent sur la co-construction de la carrière et l' importance pour le
collaborateur d'être un intrapreneur : « Nos salariés doivent être des
intrapreneurs. Comme l 'entreprise est en croissance, il y a plein de
sujets passionnants qui ne demandent qu'à être saisis. C'est au salarié
de se mettre en avant. »
6 Relations avec la société
L'implication des dirigeants dans des projets humanitaires et sociétaux
est considérée dans des engagements personnels qui ne font pas l 'objet
d'une communication tapageuse. Ces projets sont liés aux « valeurs de
solidarité et de partage » que portent en eux les deux dirigeants. Elles
sont liées avec une certaine distanciation vis-à-vis de 1' argent. « Notre
objectif n'est pas de rouler en Porsche. Donc, l ' entreprise qu'on
construit, elle est au service des valeurs auxquelles on croit. [ . . . ] On
cherche à développer l'entreprise en restant fidèle à nos convic
tions. [ . . . ] L'argent ne nous intéresse pas beaucoup sauf pour ce qu'on
peut en faire en termes de redistribution ».
Si l'entreprise est sensible au concept d'entreprise citoyenne, elle
privilégie les projets pragmatiques à échelle humaine autour de ques
tions « d'entrepreneuriat, de solidarité et du sport. « Le premier truc
que j 'ai fait dès qu'on a pu le faire, c'est de recruter par exemple Martin
qui est un type absolument génial, qui nous fait plein de petits boulots
dans le quartier et qui est handicapé mental . »
« On loue notre salle de réunion pour la journée, il y a plein de gens
qui veulent venir et on reverse ça à des associations, on accueille des
enfants handicapés. »
« On a plein de petits combats qu'on essaye de mener modestement
au quotidien, et on n 'a pas d'énormes combats sur lesquels on focalise
toute notre attention et notre énergie, on est des Français moyens qui
ont une sensibilité diffuse. »
Fort de son positionnement original et de sa façon d'instaurer des
relations particulières avec ses parties prenantes, Michel et Augustin a
multiplié par 60 son chiffre d'affaires en 5 ans (de 500 000 euros en
2006 à 30 millions d'euros en 201 1 ). Nous allons, au moyen de notre
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grille d'analyse présentée dans la première section décortiquer les rai
sons de ce succès (cf section 3).
Section 3 DE NOUVELLES STRATÉGIES D' I N NOVATION RE LATION N E LLE
Le cas proposé met en exergue des approches et des pratiques en rup
ture (changement stratégique) avec les règles habituelles du secteur. Il
révèle la possibilité pour une petite entreprise (en l 'espèce une nouvelle
entreprise), de sortir du cadre établi, pour mener une innovation de type
stratégique, fondée sur des facteurs clés de succès spécifiques et une
démarche originale. En effet, Michel et Augustin a su tirer profit d'une
partie des nouvelles normes imposées par la RSE, pour développer son
propre modèle de croissance. Face à l 'existence de nouvelles barrières
à l'entrée profitables aux grandes entreprises déjà positionnées (poids
de la R&D, communication sociale et sociétale, normes de sécurité ali
mentaire . . . ), Michel et Augustin a choisi de contourner cet obstacle, en
modifiant la manière de percevoir et de traiter la question de la RSE
dans sa politique de développement. Au lieu de l 'aborder sous l'angle
technique (sélection, rigueur, contrôle et suivi) et économique (gestion
et optimisation des moyens), l ' entreprise souhaite puiser ses nouveaux
atouts dans un nouveau modèle relationnel composé de l 'ensemble de
ses parties prenantes. Elle adopte une véritable stratégie « shareholder »
en misant sur la transparence, la spontanéité et la confiance pour faire
des différentes parties prenantes les principaux acteurs et contributeurs
de l 'aventure entrepreneuriale.
Ne pouvant pas lutter sur le plan dimensionnel (taille, volume,
chiffre d' affaires, budget R&D . . . ) ou scientifique (diététique, santé,
nutrition . . . ) , l 'entreprise Michel et Augustin ont misé sur la construc
tion d'une aventure collective qui fédère clients, collaborateurs, dis
tributeurs et autres parties prenantes autour de valeurs communes
telles que le plaisir, la véracité et le partage. Il ne s 'agit plus de « faire
le bien » du consommateur mais « de se faire collectivement du
bien » en acceptant et revendiquant les dérives jusqu' alors moquées
ou décriées, telles que l ' aspect glouton, l ' esprit enfantin, le mélange
des genres (la notion de tribu englobe la hiérarchie, les collaborateurs
et les clients) et le refus de la communication institutionnelle de type
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actionnarial. Ainsi, Michel et Augustin n'est plus perçue comme une
simple entreprise développant des relations commerciales avec son
environnement mais comme l ' accès à un nouvel univers de type tribal
où on adhère, via un certain nombre de produits et de manifestations,
à des valeurs partagées autour du « plaisir ensemble » . À ce titre,
comme l ' illustre le tableau 1 .2, Michel et Augustin a su se position
ner de matière innovante et différenciante des leaders du marché du
biscuit.
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Tableau 1.2 - Analyse comparative de la vision de la RSE par les acteurs du secteur des biscuits
Leaders du secteur (Nestlé, Michel et Augustin Danone, Kraft)
Stratégie Traditionnel le/conformité Rupture/changement
Finalité Moyen de renforcer les barrières à Moyen d'entrer sur un marché
l'entrée
Normes auxquelles i l faut se Une opportunité pour
Enjeu conformer (nouvelle orthodoxie) bouleverser les règles du jeu
concurrentiel
Facteurs clés Importance des ressources mobili- Adaptation, imagination,
de succès sables (effet taille, pouvoir de marché) singularité (innovation)
- S'inscrit dans le paradigme existant - Création ou construction
Démarche - Renforcement et amél ioration des d'un nouveau paradigme
managériale compétences existantes - Démarche exploratoire
autour d'activités inédites
et incertaines
Type d'innova- Innovation concurrentiel le de type Innovation de type « radical »
tions possibles1 « incrémentale » ou « majeure » ou « stratégique »
La stratégie compatible RSE de Michel et Augustin s' incarne par
une approche des parties prenantes divergente de celle de ses concur
rents. L'entreprise souhaite transformer ses collaborateurs, ses parte
naires (fournisseurs, investisseurs . . . ) et ses clients en acteurs d'une
même tribu partageant la même vision et les mêmes préoccupations
(cf tableau 1 .3).
Il souhaite briser les frontières : salariés/entreprise fournisseurs /
entreprise et consommateurs/entreprise.
l . C. Markides et P. Geroskiqui identifient quatre types d' innovation en croisant deux dimensions : l'impact de l'innovation sur les compétences et les actifs des firmes établies et l 'impact de l ' innovation sur les habitudes et les comportements des consommateurs.
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Cha pitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle
Tableau 1.3 - Approche comparée des entreprises vis-à-vis de ses parties prena ntes
Nouvelles exigences Stratégie des leaders Michel et Augustin de la RSE
Consommateurs
Recherche d'informa
tions sur la composition
des produits
Labels bio mais formule Transparence, formules affichées, secrète ou technique- produits que l'on peut cuisiner soi-
ment non accessible même
Condition de fabrication Pas d'infos Méthode traditionnel le
Santé, nutrition
Connaître l'histoire
détai l lée du produit
qu'i ls achètent
Fournisseurs
et distributeurs
Salariés
Société
F i l ière bio
Bio, investissement en
R&D, produits i nnovants
Commerce équitable,
Normes RSE
Forte formal i sation
Relations de soustraitance classique
Col laborateurs Culture corporate (inno
vation, cl ient . . . ) Chartes managériales
Lourdeur bureaucra
tique
Engagements RSE
médiatisés
Programme d'actions
RSE d'envergure
Produits les plus naturels possibles, produits sains
Personnal isation de la marque,
véracité de l'amitié entre Michel
et Augustin
Sélection de fournisseurs français
avec une relation durable Relations de confiance parfois infor
mel les (pas de contrat)
Membres de la tribu (aventure col l ective)
Management démocratique (prise
d'in itiative . . . )
Plaisir, réactivité, transparence, proximité
E ngagement privé et pragmatique au
cas par cas RSE de proximité Éthique, phi losophie de vie
.!: Le cas proposé contribue, par conséquent, à remettre en cause cer-0'>
·� tains schémas établis sur le rapport entre la taille et la performance des c..
3 firmes qui tendent dans de nombreux travaux à accorder une primauté
22
à la grande entreprise dans les secteurs traditionnels à forte intensité
concurrentielle. Il montre en revanche qu'une approche différente de la
RSE fondée sur des nouvelles logiques relationnelles en particulier
avec les parties prenantes et un rapport nouveau à la proximité (RSE
appliquée à une communauté locale - cf possibilité pour les consom
mateurs de se rendre mensuellement au siège de l 'entreprise pour par
tager et construire ensemble) peut constituer une démarche créative de
valeur pour la PME (Lepoutre et Heene, 2006 ; Spence, 2007). Plus
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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1
précisément, cet article apporte une contribution nouvelle sur le lien
entre innovation de rupture et RSE en abordant la RSE comme la pos
sibilité pour une firme de modifier les règles du jeu concurrentiel (stra
tégie proactive) et non simplement comme une contrainte corporate
(stratégie adaptative) .
L' E SS E NTI E L
À partir de l'étude d'une petite entreprise dans le secteur de
l 'agroalimentaire confrontée à une concurrence forte et interna
tionale, ce chapitre vise à montrer de quelle manière on peut malgré
des ressources limitées, réussir à modifier les règles du jeu concur
rentiel à son avantage. En effet, face aux questions de volume et de
taille mais également de puissance financière, 1 'entreprise Michel et
Augustin a su valoriser la dimension RSE, pour transformer sa rela
tion avec ses différentes parties prenantes et ainsi changer la struc
turation de son environnement concurrentiel. La stratégie de Michel
et Augustin est donc un cas particulièrement riche d'enseignement
en matière de stratégie d' innovation relationnelle. Elle repose prin
cipalement sur trois leviers : une relation transparente et authen
tique basée sur le plaisir et le co-partage, un mix marketing décalé
et de nouvelles relations avec ses distributeurs, fournisseurs, colla
borateurs et l 'opinion publique.
Ce chapitre ouvre ainsi de nouvelles perspectives sur la manière
d'innover et de recourir à la RSE dans les stratégies de développe
ment. Il met notamment en lumière l' intérêt pour les petites entre
prises d'utiliser la RSE, non pas de façon adaptative, mais comme
moyen d' innover sur le plan relationnel et de pénétrer différemment
de nouveaux marchés.
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Les st ratég ies d ' i n novat ion et de ru ptu re
Jean-Claude PACITTO
SoMMAIRE SECTION 1 L'innovation : une tentative de délimitation
SECTION 2 Les différentes facettes de l'innovation
SECTION 3 Comment innover ?
L 'innovation est à l'ordre du jour. Pour beaucoup elle apparaît
comme le seul moyen pour sortir de la crise. Dans ce contexte,
l 'Europe est particulièrement concernée. Le tableau de bord (2010) des
investissements en recherche-développement réalisé par la commission
européenne1 est, à cet égard, sans appel : les performances des entre
prises européennes dans les secteurs clés des hautes technologies sont
médiocres comparées à celles de leurs homologues américaines ou
asiatiques. On remarquera, ainsi, que les sociétés américaines ont
investi cinq fois plus que leurs concurrents européens dans les semi
conducteurs, quatre fois plus dans le logiciel et huit fois plus dans les
biotechnologies.
1 . Monitoring industrial research : the 2010 EU industrial R&D investment scoreboard, European commission.
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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture
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On objectera que le lien dépenses R&D/innovation n 'est pas automa
tique, que l ' innovation ne saurait se résumer à sa seule composante
technologique (Morand et Manceau, 2009) et qu'il faut donc appréhen
der l ' innovation sous ses multiples facettes.
Pour autant, quelles que puissent être les insuffisances de telle ou
telle approche de l 'innovation, une chose est certaine : la compétitivité
des entreprises dépendra de plus en plus de leur capacité à innover et
de celle des États à bâtir des contextes facilitant cette innovation.
Il reste alors à délimiter les réalités que recouvre ce concept d'inno
vation. Comment définir l ' innovation et comment en appréhender
toutes les facettes ? Ce chapitre n 'a pas d'autre ambition que celle
d'essayer d'apporter des réponses ou du moins des éléments de réponse
à ces questionnements.
Section 1 L' I N NOVATION : U N E TENTATIVE DE DÉLIMITATION
1 Les définitions classiques
Le célèbre manuel d'Oslo de l 'OCDE dans sa troisième édition
(2005), distingue quatre types d'innovation : les innovations de produit,
les innovations de procédé, les innovations de commercialisation et les
innovations d'organisation.
L'innovation de produit « correspond à l ' introduction d'un produit ou
d'un service nouveau ou sensiblement amélioré sur le plan de ses
caractéristiques ou de l 'usage auquel il est destiné. Cette définition
inclut les améliorations sensibles des spécifications techniques, des
composants et des matières, du logiciel intégré, de la convivialité ou
autres caractéristiques fonctionnelles » .
L'innovation de procédé se définit par « la mise en œuvre d'une
méthode de production ou de distribution nouvelle ou sensiblement
améliorée. Cette notion implique des changements significatifs dans les
techniques, le matériel et/ou le logiciel ».
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
� Focus
La pérennisation par l ' innovation : le cas Babolat
« Babolat de père en f i l s depuis 1 875. Basée à Lyon, l 'entreprise est une référence dans les sports de raquette. Pierre Babolat, son fondateur, a marqué l 'h i stoire du tenn is en i nventant en 1 875 le cordage en boyau nature l . En 1 95 5 l 'entreprise introduit le cordage en nylon. En 1 977 e l le invente les machines à corder et, en 2 0 1 0, commercial ise un nouveau cordage en copolymère, de forme octogonale pour augmenter le « grip » sur la bal l e . . . À la tête, Eric Babolat, l 'arrière-arrière petit fi l s du fondateur garde le cap. Son entreprise consacre 1 0 % de ses ressources à la R&D . . . »
Sources : extrait des Échos, 2 février 2012.
Du béton toujours ... mais fabriqué autrement !
« Au sei n de la société belge Bekaert, Ann Lambrechts a développé, en 2000, une tech n ique de fabrication du béton, qu i remplace les armatu res traditionnel les par l'ajout de fibres d'acier. Cette technologie amél iore la résistance à la rupture de 32 %, réduit les coûts de construction et apporte une sol ution technique aux constructions audacieuses. Commercia l i sé sous la marque Bramix, ce procédé a notamment été uti l i sé pour la construction du tunnel du Gothard en Su isse et le siège de la télévision d'État chi noise (CCTV) à Pékin . . . »
Sources : extrait des Échos, 2 février 2012.
Quelles que puissent être les limites de ces définitions, elles ont néan
moins le mérite de dire ce que n 'est pas l' innovation : l ' innovation n 'est
pas l ' invention car l ' innovation suppose un résultat, que cela concerne
la mise sur le marché ou l 'amélioration de l 'efficience de l ' entreprise .
L'innovation pour être souvent reliée à une nouvelle idée ne se limite
pas à cela, elle est selon 1 'expression de Durand (2004a) « an idea put
to work ». Le manuel d'Oslo dans sa définition générale de l ' innovation
parle de mise en œuvre et précise « un produit nouveau ou amélioré est
mis en œuvre quand il est lancé sur le marché ».
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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture
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Si, indiscutablement, l ' innovation demande de la créativité, celle-ci
doit être exploitée c'est-à-dire concrétisée et finalisée. On innove
pour quelque chose en vue d'un ou plusieurs objectifs mais dans tous
les cas pour obtenir un résultat qui affecte la performance de l 'entre
prise.
La définition de Drucker ( 1 985) est à cet égard explicite. Pour cet
auteur, « innovation is a change that creates a new dimension of perfor
mance ». Dans cette définition, le lien entre changement et innovation
est clairement exprimé.
Les deux types d'innovation ne sont pas exclusifs l'un de l 'autre et
peuvent par leur combinaison fonder un avantage concurrentiel durable.
Ainsi, le succès de Tetra Pak ne réside pas seulement dans la fabri
cation d'un contenant original mais surtout dans le fait que l'entre
prise a mis au point et commercialisé les machines permettant de
remplir ces contenants. L'innovation de procédé (des machines per
mettant le remplissage sous vide) renforce ici l ' impact de l ' innova
tion produit. Les deux innovations ont été transférées au client, ce qui
est plus original.
Comme nous l 'avons dit, l ' innovation doit avoir une traduction éco
nomique. De ce point de vue ne doivent pas être confondues deux réa
lités : l 'entreprise innovante et l 'entreprise inventive.
Le célèbre exemple du PARC (Palo Alto Research Center), structure
mise en place par Xerox pour développer les nouvelles technologies
liées au domaine des ordinateurs est à cet égard révélateur. Le PARC a
certainement inventé les concepts les plus importants de l ' informatique
actuelle mais aucun d'entre eux n'a été commercialisé par Xerox.
Xerox a inventé mais n'a pas innové et ce sont les concurrents qui ont
exploité les inventions (Prax, Buisson et Silberzahn, 2005). Trop limi
tatives pour circonscrire toutes les réalités révélées par le terme,
d'autres types d'innovation vont apparaître comme l' innovation de
commercialisation et l' innovation organisationnelle.
L'innovation de commercialisation est définie comme « la mise en
œuvre d'une nouvelle méthode de commercialisation impliquant des
changements significatifs de la conception ou du conditionnement, du
placement, de la promotion ou de la tarification d'un produit » (OCDE,
2005). D'une innovation de commercialisation peut dépendre le succès
d'un produit innovant, ainsi la montre Swatch dont le mode de distri
bution non spécialisé constitua une des clés de la réussite.
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
L'innovation d'organisation1 ne doit pas être confondue avec l'innovation
de procédé même s ' il n'est pas toujours aisé de bien distinguer les deux.
Quand la SNECMA révolutionne -
sa tacon d'assembler ses moteurs ,
« Dès 2007, nous avions constaté que notre ancien système de production ne permettait pas de répondre à l 'augmentation des cadences. I l fa l lait imaginer une nouvel le manière d'assembler les moteurs nous permettant de progresser significativement en performance, au plan économique comme en matière de cycles de montage et d'environnement de travai l » .
. . . F in 2009, les anciens portiques datant du début des années 1 980 ont été remisés. Snecma n'en a conservé que 3 sur 1 1 pour assurer quelques opérations à la demande de certains cl ients. Pour réduire les temps de cycle, l 'usine a choisi une nouvelle architecture de l igne d'assemblage, basée sur un flux de production avec des moteurs en mouvement plutôt qu'immobi l isés tout au long de leur assemblage. Chaque sortie de moteur en bout de chaîne appel le un nouveau moteur. Le flux tire automatiquement la production. Les résu ltats sont là. L' industriel est capable d'assembler 4 moteurs CFM56 par jour, avec une réduction du cycle de montage supérieure à 3 5 % et u n gain de productivité de 2 5 % . . . Avec ses deux l ignes pulsées fonctionnant en paral lèle, le fabricant dispose désormais d'une capacité de production de 850 moteurs par an ! I l nous fa l lait 29 jours pour monter un moteur en 1 999, 1 6 jours en 2007 et 1 0 aujourd'hui précise François Planaud . . . »
Source : extrait de L'usine Nouvelle, 16 ju in 2011.
C'est peut-être plus dans les finalités que doivent être recherchées les
différences. L'innovation organisationnelle affecte très souvent la capa
cité à innover de l 'entreprise. Ce qui est recherché c'est la permanence
d'un phénomène. Par rapport aux pratiques du secteur du textile habille
ment des années 70 et du début des années 80, l'organisation mise en
place par Benetton était sans aucun doute une innovation. De la même
l . L'innovation d'organisation est définie comme « la mise en œuvre d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de la firme » (OCDE, 2005).
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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture
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façon les choix opérés par Zara en faveur de l ' internalisation reposent sur
une vision originale et sur beaucoup d'innovations de procédés. Mais
au-delà de la réactivité recherchée, c'est bien la capacité de ces entre
prises à innover qui est en jeu. Zara au travers de la réactivité cherche
avant tout à gérer les fortes amplitudes d'un secteur dominé par l'éphé
mère. Dans cette perspective, il n'est pas non plus aisé de distinguer
innovation d'organisation et innovation en management parce que toute
innovation d'organisation implique la mobilisation de principes (expli
cites ou implicites) qui définissent le management. D'ailleurs, la défini
tion qu'en donne Hamel (2006) va dans ce sens. Pour Hamel, en effet,
l ' innovation en management dans les grandes entreprises a pour objectif
de réinventer les processus qui gouvernent le travail des managers. Ce
sont donc des principes mais aussi des pratiques et des processus. L'inno
vation en management fait donc fi des frontières et englobe aussi bien les
définitions liées au procédé que celles liées à l 'organisation.
Ainsi, les innovations structurelles mises en place par General
Motors et Toyota ne sont pas vues comme des innovations organisa
tionnelles mais plus globalement comme des innovations en manage
ment. Ce qui est recherché, c'est faire autrement en permettant de
dominer durablement ses adversaires. Dans le cas de Toyota, la source
de l ' innovation doit être recherchée dans un résultat étonnant : la capa
cité de l 'entreprise à tirer bénéfice des suggestions et de l'intelligence
en général des employés de base, d'être en dernier lieu une organisation
toujours apprenante. Dans ce cas, l ' innovation doit autant aux principes
qui régissent l ' entreprise qu'à sa structure objective. Plus classique
ment, l ' innovation en management implique et combine les trois
dimensions des compétences : le (ou les) savoir(s), le (ou les) savoir
faire et les attitudes (Durand, 2004b).
2 Une classification selon l 'intensité de l 'innovation
L'innovation n ' implique pas toujours de profonds bouleversements,
elle n'est pas toujours destruction créatrice. Dans bien des cas, elle va
découler d'une succession d'améliorations. D'un point de vue général,
l ' innovation incrémentale ne bouleverse pas les conditions d'usage et
l' état de la technique. L'innovation incrémentale se situe dans une
perspective d'amélioration. Il s 'agit d'améliorer des produits ou des
procédés pour ne pas altérer la compétitivité de l 'entreprise et de pré
server un avantage concurrentiel ou la faculté d'affronter la concur-
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
rence dans un secteur donné. La souris optique est une innovation
incrémentale, elle n 'a pas modifié l 'usage du produit, elle en a facilité
l 'utilisation et réduit l 'encombrement.
Comme le souligne Koenig (2004) l ' innovation incrémentale tient à
préserver l 'existant (base de clientèle, compétences) ce qui n 'est pas le
cas de l' innovation de rupture qui, elle, tend à remettre en cause tout ou
partie de l'existant. Ainsi pour Lehmann-Ortega et Roy (2009) une stra
tégie de rupture « consiste pour une entreprise à revisiter de manière
radicale les règles du jeu concurrentiel en proposant une nouvelle valeur
au client en vue de créer ou d'étendre un marché à son avantage ».
Pour Dewar et Dutton ( 1986) l ' innovation radicale fait référence à
des changements fondamentaux qui révolutionnent la valeur d'usage
des produits ou procédés et qui rompent drastiquement avec les pra
tiques existantes.
Les innovations radicales affectent en profondeur les connaissances
et les compétences à l 'œuvre dans un domaine d'activité donné. C'est
bien, comme on le verra le métier qui est transformé et au-delà du
métier le business model 1 •
Cependant et comme le font justement remarquer Pin, Métais et
Dumoulin (2003), il faut se garder d'opposer innovations incrémentales
et radicales. D'ailleurs, les innovations de rupture ou radicales sont
souvent des innovations incrémentales modifiées sur un ou plusieurs
facteurs clés de succès2• Schoettl (2009) montre bien que la stratégie de
rupture tant commentée d'Ikea, résultat d'une succession d'expérimen
tations dues le plus souvent à des événements inattendus. Le change
ment peut aussi résulter d'une combinatoire différente (Julien, 2005) et
non d'une modification radicale.
l. Comme d'autres, nous avons renoncé à traduire business mode], aucune des traductions proposées n'étant de fait satisfaisante. Pour Lehmann-Ortega et Schoettl, un business mode! peut se définir « comme les mécanismes permettant à une entreprise de créer de la valeur à travers la proposition de valeur faite à ses clients, son architecture de valeur (comprenant ses ressources, sa chaîne de valeur interne et externe), et de capter cette valeur pour la transformer en profits (revenue mode!), Ateliers de l 'innovation, Lille, 2005.
2. Pour ces auteurs, la littérature tend à se focaliser sur les ruptures fondées sur des modifications radicales au niveau du produit, plus rarement sur des modifications radicales au niveau du process. Pourtant, notent-ils, celles-ci sont intéressantes du fait qu'elles sont « beaucoup plus insidieuses, car elles correspondent à des « changements dans la continuité » », Pin, Métais et Dumoulin, Vers un dépassement de l 'antinomie entre rupture et continuité : Le cas Valéo, XJième conférence de 1 ' AIMS, Carthage, 2005.
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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture
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Contrairement à une idée reçue, le modèle Traction de Citroën n 'était
pas en soi une innovation radicale dans le sens où les innovations inté
grées au modèle existaient déjà (traction avant, carrosserie monocoque,
freinage à commande hydraulique, etc.). Seulement pour la première
fois, ces innovations avaient été réunies sur un même véhicule en vue
d'une fabrication en grande série (Broustail et Greggio, 2000).
La Traction a véritablement bouleversé la valeur d'usage de l 'auto
mobile en faisant accéder lautomobiliste à des performances et à un
confort inconnus jusque-là sur des véhicules de grande série. Elle était
de ce point de vue incontestablement une innovation de rupture.
Section 2 LES D I FFÉ RENTES FACETTES DE L' I N NOVATION
1 De l' innovation « compétitivité »
à l'innovation stratégique
1.1 Le ra isonnement classiq ue
Dans le raisonnement stratégique classique, tel que l 'on peut le
trouver exposé par Porter ( 1 985), l ' innovation joue un rôle fondamen
tal, elle permet aux entreprises de mieux résister aux contraintes exté
rieures en confortant ou en améliorant le positionnement de l'entreprise
dans un contexte concurrentiel donné.
Héritière en partie des acquis de l ' Industrial Organization, l ' analyse
stratégique classique envisage l ' innovation comme un moyen, l 'objec
tif pour l 'entreprise étant de faire durer son avantage concurrentiel ou
le cas échéant de le renouveler.
Dans cette perspective, l ' innovation est un moyen de l 'adaptation.
L'environnement est une donnée objective qui s ' impose aux compéti
teurs et les comportements des entreprises sont en partie déterminés par
des données structurelles extérieures et sur lesquelles les entreprises
ont peu de prise.
On notera cependant que l 'évolution de Porter sur l' idée même de
positionnement, ou l' idée de faire autrement et non plus mieux que les
autres n'est pas sans implications quant à la redéfinition des objectifs
assignés à la stratégie.
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
Porter ( 1996) souligne en effet le danger du mimétisme engendré par
la volonté des entreprises de faire mieux que leurs concurrents. Ce fai
sant, les entreprises confondent deux choses : l 'efficacité opération
nelle et la stratégie. L'efficacité opérationnelle conduit au mimétisme,
chacun copiant les pratiques jugées les plus performantes. Le problème
est que toutes les entreprises finissent par se battre avec les mêmes
armes et au final, il ne reste plus pour se démarquer de la concurrence,
que l'argument des coûts, qui entraîne les secteurs dans une baisse de
rentabilité préjudiciable à tous les acteurs.
L'essence de la stratégie ne consiste dès lors plus à faire mieux que les
concurrents mais dans la création d'un positionnement exclusif. Dans cette
perspective, l'innovation sous toutes ses formes, peut aider à la construc
tion de ce positionnement exclusif synonyme de rentabilité supérieure.
Pour autant, et même si l'évolution de Porter sur le concept de positionne
ment est manifeste, on reste dans un schéma classique. L'adaptation à
l'environnement reste la norme et l'auteur ne remet pas en cause le concept
de positionnement, il le fait évoluer, ce qui n'est pas la même chose.
1.2 Qua nd l'in novation devient stratégique
C'est ce schéma général qui va être peu à peu remis en cause par le
courant dit de « l ' innovation stratégique » (Dahan, 2005).
Pour les auteurs qui se situent dans cette perspective (Baden-Fuller et
Stopford, 1994 ; Charitou et Markides, 2003 ; Govindarajan et Gupta,
2003 ; Hamel, 1996, 1998, 2000, 2006 ; Kim et Mauborgne, 1997, 1999,
2005 ; Lehmann-Ortega et Roy, 2009 ; Markides, 1997, 1998, 2004 ;
Strebel, 1995), il ne s'agit plus de s'adapter mais de changer les règles
du jeu. L' innovation doit être stratégique dans le sens où elle doit redé
finir les règles du jeu et précisément éviter le travers du mimétisme.
Pour Markides ( 1997) les entreprises qui ont le mieux réussi et qui ont
su s'imposer durablement sont celles qui ont su rompre avec les règles du
jeu de leur industrie. De même, pour Kim et Mauborgne ( 1 999b) la nou
velle pensée stratégique doit s'élaborer en dehors des frontières existantes
des industries. L'objectif n'est pas d'affronter la concurrence dans des
océans rouges (le rouge soulignant le caractère meurtrier de la compé
tition) mais de créer des océans bleus, en clair des espaces de marché
nouveaux (Kim et Mauborgne, 2005). Ces espaces vierges où l'on pourra
se développer rapidement et à l 'abri de la concurrence doivent être créés
par les entreprises au moyen d'une nouvelle conception de la stratégie.
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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture
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Hamel ( 1 998, 2000), insistant sur la nécessité de rompre les règles du
jeu, en appelle à une véritable révolution stratégique.
Notons que pour tous ces auteurs, l ' innovation est prise dans son sens
global, une innovation pourra être qualifiée de stratégique sans pour
autant être technologique (Lehmann-Ortega et Roy, 2009). Le refus de
la sophistication technologique ou de la course à la complexité carac
térise, d'ailleurs, souvent ces stratégies. Aurégan et Tellier montrent
bien, à cet égard, que le succès de la Wii de Nintendo provenait, pour
une large part, de la volonté des dirigeants de la compagnie japonaise
de ne pas suivre leurs concurrents dans la course à la sophistication
technologique. II en va de même pour la Logan de Renault (Métais,
Dauchy et Hourquet, 2009). Le succès du low cost, notamment dans le
secteur du transport aérien, n 'a pas d 'autre explication.
� Focus
Une offre repensée autour de choix simples : l'exemple Southwest Airlines
« . . • Derniers arrivés sur leurs marchés, i l s jouent sur les deux atouts clefs que leur apporte leur jeunesse : une offre totalement repensée et une organisation bien plus efficace. Le pionnier du /ow cost aérien s'appel le Southwest Airl ines. Quand i l s'est lancé au début des années 70, son idée était d'instaurer une navette entre les trois grandes vil les du Texas : Houston, Dallas et San Antonio . . . Son idée était de concurrencer l'automobi le sur ces distances courtes (une heure d'avion), à la fois en prix et en service. Quand on prend sa voiture ou un bus, on ne réserve pas son siège et on n'attend pas la fourniture d'un repas. On veut juste partir à l'heure, arriver à l'heure et dépenser le moins possible. C'est la même idée qu'a développée plus tard Ryan Air . . . Chez Southwest, i l n'y a, depuis 1 97 1 , que des Boeing 73 7 . . . Herb Kel leher, le mythique patron de Southwest a coutume de dire qu'i l ne fait pas de vol transatlantique parce que les 737 ne traversent pas les océans. Plus qu'une boutade, c'est l' idée que la simplicité de l'offre est un gage de bas prix pour le consommateur . . . »
Source : extrait des Échos, 18 janvier 2012.
Malgré la diversité des définitions (Dahan, 2005), on retrouve tou
jours chez ces auteurs trois éléments fondamentaux (Schlegelmilch,
Diamantopoulos et Kreuz, 2003) :
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
• En premier lieu l 'innovation stratégique est inséparable d'une
reconceptualisation en profondeur du business model dominant. Il
s 'agit d'imaginer ce que l 'activité sera et non de se focaliser sur ce
qu'elle est. La condition, c'est bien sûr de s'affranchir des schémas
mentaux et autres dominants.
• En second lieu, l ' innovation stratégique doit aboutir à une redéfini
tion des marchés existants, l ' innovateur stratégique ne cherche pas à
s 'adapter il crée lui-même les conditions de sa réussite. C'est donc
toujours de sa part une démarche volontariste. Kim et Mauborgne
(2005b) n'hésitentpas àqualifiercetteperspectivede « reconstructionist
view » . Pour ces auteurs les conditions structurelles qui prévalent
dans une industrie donnée ne s' imposent pas aux entreprises. Elles
peuvent être modifiées au moyen des leurs actions et ce, en redéfinis
sant les postulats sur lesquels s 'est établie la compétition.
• Enfin, troisième élément, une innovation stratégique n'a de sens que
si elle est susceptible d'apporter une valeur supérieure aux clients.
Dans cette perspective, une innovation stratégique est avant tout une
innovation de la valeur (Kim et Mauborgne, 1999a).
De ce point de vue, l ' innovation stratégique affecte durablement la
valeur d'usage d'un bien ou d'un service. Le succès de Callaway Golf
dans le domaine des cannes de golf, celui de Casella Wines dans le
domaine du vin trouvent leur origine dans cette redéfinition de la
valeur. Dans le dernier exemple, Casella Wines en redéfinissant les
facteurs-clés de succès de l ' industrie du vin en a modifié aussi la valeur
d'usage pour les consommateurs. Le triptyque « easy drinking, easy to
select and fun and ad venture » a permis à l 'entreprise et au vin en géné
ral de rencontrer une nouvelle clientèle et de faire de ce dernier un
produit d'usage courant et divertissant et non plus un produit soigneu
sement choisi en fonction d'occasions précises. Dans une même
perspective, la Wii de Nintendo a permis aux utilisateurs de vivre des
expériences ludiques grâce à la nouvelle manette voire à partir de 2008
des expériences liées à la remise en forme (Aurégan et Tellier, 2009) .
Comme dans le cas de Casella Wines, Nintendo a cherché à séduire une
nouvelle clientèle : celle des non-initiés, une clientèle plus attachée au
caractère ludique des jeux qu'à leur performance technique .
Au-delà des trois éléments tels que décrits, tous les auteurs insistent
sur le caractère radical des innovations stratégiques (Lehmann-Ortega
et Schoettl, 2005) voire sur leur caractère révolutionnaire. Mais l ' inten-
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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture
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sité de cette radicalité peut être très variable. En effet à quel moment
va-t-on considérer qu'une innovation est stratégique ? Plus profondé
ment quelles sont les conséquences de l ' innovation stratégique ?
2 L'impact de l ' innovation com me critère de classification
Comme le souligne Koenig (2004), on peut mieux saisir les diffé
rences entre, par exemple, innovation incrémentale et innovation de
rupture si l 'on veut bien comprendre qu'elles n'ont pas les mêmes
impacts. Chacune de ces innovations va jouer sur des registres diffé
rents : celui de la préservation pour l ' innovation incrémentale et celui
de la destruction pour l 'innovation de rupture.
De ce point de vue, les conséquences de l'innovation varient selon
que l 'on se place dans l'une ou l'autre de ces perspectives.
Pour autant, même une innovation de rupture peut avoir des consé
quences différentes selon qu'elle impacte la définition du métier, de la
mission ou bien les deux. L'impact de l ' innovation est ici lié aux objec
tifs qu'on lui assigne même si comme toute décision, les effets indési
rables sont inévitables.
Ce qui rend aléatoires les classifications, c 'est que les innovations,
quelles qu'elles soient, jouent sur les deux registres avec des intensités
variables. Ainsi, une innovation stratégique peut bouleverser les règles
du jeu sans pour autant créer à elle seule un nouveau secteur d'activité
comme le montre l'exemple de Dell.
Pour essayer de prendre en compte tous les cas de figure, Dahan
(2005) distingue trois niveaux de radicalité dans l'innovation concur
rentielle : l ' innovation concurrentielle incrémentale (l'efficacité opéra
tionnelle de Porter) ; l'innovation stratégique qui correspond à une
stratégie singulière qui va à l 'encontre du modèle dominant tout en restant dans le secteur d'activité et enfin la révolution stratégique, qui en
renouvelant en profondeur le concept d'offre débouche sur la création
d'un nouveau secteur d'activité.
Ne sera qualifiée de révolution stratégique que l 'innovation qui
cumule deux caractéristiques : la nouveauté du modèle économique (le
business model des divers auteurs) et la nouveauté du concept d'offre.
En croisant ces deux critères on obtient quatre types d'innovation pra
tiqués par les entreprises.
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
Tableau 2.1 - Classification des types d'in novation
Nouveauté(s) par rapport Modèle économique Nouveau modèle à la concurrence similaire économique
Concept d'offre similaire : la concur- Innovation concurrentielle Innovation stratégique
rence directe continue à exister incrémentale
Nouveau concept d'offre : la concurrence di recte n'existe p l us
Innovation de produit radicale
Révolution stratégique
Source : Dahan (2005)
Les précisions apportées par l'auteur sont salutaires car elles révèlent
que les différents types d'innovation tels que décrits n'ont pas les mêmes
conséquences. Les compétences et la concurrence sont affectées diffé
remment selon le type d' innovation. Pour Govindarajan et Gupta (2001),
l ' innovation stratégique impacte à la fois la valeur apportée au consom
mateur mais aussi modifie la chaîne de valeur de l'entreprise.
� Focus
Les secrets de fabrication de Free Mobile Pour produire moins cher, Free a toujours la même recette : peu d' innovation technologique et un modèle économique plein d' imagination. Pour commencer, fin i le mobi le subventionné. Free l i bère ainsi le consommateur de tout engagement dans la durée en n' inc luant plus le remboursement du téléphone dans le forfa it. Li bre au c l ient de garder son mobi le, d'en acheter un chez un revendeur ou, via Free, à crédit. « Sur un revenu moyen de 1 OO euros par abonné, l'achat du téléphone représente un coût de 1 5 euros pour l'opérateur » esti me ainsi Hervé Col l i gnon, analyste télécoms pour AT Kearney. Mais l 'astuce majeure de Free réside dans la s i mp l ic ité. « Nous avons une offre plus si mple, donc une structure de coûts plus s imple, expl ique Maxime Lombard i n i , le d i recteur général d' l l iad, la maison mère de Free. Les autres opérateurs ont beaucoup de personnel et de conse i l lers, un système d' i nformation compl iqué . . . Pas nous . . . »
Source : L'Usine Nouvelle, 16 janvier 2012.
Les deux sont d'ailleurs étroitement liées. Toutefois ces deux auteurs
en restent à une vision générale de l 'avantage généré par l ' innovation
et ne parlent pas de redéfinition du business model.
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Pourtant, c'est un point capital car toute innovation stratégique n'est
pas créatrice « d'océans bleus » et il ne faut pas confondre redéfinition
du concept d'offre et redéfinition du business model même si les deux
peuvent être liés. En effet et comme le font remarquer Lehmann-Ortega
et Roy (2009), si la rupture peut avoir comme effet la création d'un
nouveau marché elle peut aussi déboucher sur l ' extension de marchés
déjà existants.
Les innovations stratégiques ne sont pas seulement le fait d'outsiders
voulant bousculer les règles du jeu afin de déstabiliser les entreprises
établies, elles peuvent être le fait d'entreprises dominantes ou impor
tantes qui cherchent à affermir leur domination sectorielle (Markides,
1998 ; Roy, 2005). Ni Renault, ni Dell, ni Nintendo n'étaient à propre
ment parler des outsiders au sens où l'on entend ordinairement ce
terme.
La typologie proposée par Lehmann-Ortega et Schoettl (2005) syn
thétise ces différentes contributions et introduit un nouveau type de
stratégie : la stratégie perturbatrice. Les stratégies perturbatrices selon
ces deux auteurs, modifient partiellement le business model, elles
tendent à déstabiliser le jeu concurrentiel mais ne débouchent pas,
contrairement aux stratégies de rupture, sur un « business model » radi
calement différent.
On ajoutera que pour ces auteurs, seule la stratégie de rupture consti
tue vraiment une innovation stratégique. Comme on peut le voir sur le
schéma qui suit, celle-ci modifie fondamentalement la valeur pour le
client mais aussi la chaîne de valeur.
Pour autant et c'est peut-être là un point contestable de leur analyse,
l' innovation stratégique a une conséquence somme toute classique : la
distanciation par rapport aux concurrents. Or, cette notion de distancia
tion est ambiguë. S 'agit-il de prendre de l 'avance sur ses concurrents
ou de les oublier en créant un nouveau business model ?
Dans un cas on reste dans l 'océan rouge, dans l 'autre on navigue sur
les eaux bleues.
Néanmoins, le qualificatif « perturbateur » nous semble plus appro
prié pour qualifier nombre de stratégies que trop d' auteurs consi
dèrent comme des stratégies de rupture strictement entendues. Il n 'est
pas certain, par exemple, que le cas Amazon constitue à proprement
parler une stratégie de rupture. Il y a plus ici perturbation que rupture.
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
La valeur d'usage du bien n 'a pas été affectée ou du moins pas fon
damentalement.
La perturbation par définition entraîne la réaction des concurrents ce
qui n'est pas le cas des stratégies de rupture, du moins dans un premier
temps (Charitou et Markides, 2003). La stratégie de perturbation vise à
un certain niveau de déstabilisation du jeu concurrentiel, variable selon
les ressources des entreprises. La stratégie de rupture vise, elle, à créer
un nouveau jeu concurrentiel en effaçant plus ou moins provisoirement
la concurrence et en imposant à celle à venir des nouvelles règles du
jeu : ses règles.
Il convient donc de ne pas confondre les deux types de stratégie.
Modification de la valeur pour le client
Radical Stratégie perturbatrice Stratégie de rupture
Modérée Amélioration incrémentale
Stratégie perturbatrice
Modification �-------��---------- de la chaîne
Modérée Radical de valeur
Source : d'après Lehmann-Ortega et Schoettl, 2005.
Figure 2.1 - Les formes d'innovation selon la nature de la valeur créée
Une autre typologie de l ' innovation a été proposée par Markides et
Geroski dans leur ouvrage publié en 2004 et intitulé Fast Second.
Pour ces auteurs, une innovation se distingue d'une autre selon
1 ' impact qu'elle peut avoir à la fois sur les compétences et les actifs
des firmes établies et sur les habitudes et les comportements des
consommateurs. En croisant ces deux dimensions on obtient quatre
types d ' innovation.
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Majeur
Impact de l ' innovation
sur les habitudes et les
comportements des consommateurs
Mineur
Innovation majeure
Services bancai res sur Internet
Innovation incrémentale
ABS de Bosch
Renforce
Innovation radicale
Téléphone mobile,
magnétoscope
Innovation stratégique
LCD, plasma
Détruit
Impact de l' innovation sur les compétences et les actifs des firmes établ ies
Source : d'après Markides et Geroski, 2004.
Figure 2.2 - Les formes d'innovation selon la nature de l'im pact
La distinction opérée entre innovation majeure, innovation radicale et
innovation stratégique nous paraît pertinente car elle montre que ces
innovations n'ont pas les mêmes conséquences. Ainsi l'Internet bancaire
a certes modifié l'utilisation des services :financiers par les clients mais
les banques traditionnelles disposaient des compétences pour développer
de tels services. Ce n 'était donc pas une innovation de rupture ou radicale
selon la typologie exposée par les deux auteurs.
Le véritable problème pour les concurrents, provient des innovations
qui tendent à détruire leurs compétences et leurs actifs. Dans cette
perspective, deux cas de figure existent : soit l ' innovation affecte pro
fondément les habitudes et les comportements des consommateurs
ainsi que les compétences et les actifs des firmes établies, on parlera
alors d'innovation radicale. Soit l ' innovation n'affecte que les actifs
sans modifier en profondeur les habitudes et les comportements des
consommateurs, dans ce cas on qualifiera l ' innovation de stratégique.
L'intérêt de cette typologie réside dans le fait qu'elle accorde une
place importante aux compétences des entreprises. Dans toute lutte
concurrentielle, ce sont en effet des compétences, des actifs qui sont en
jeu. En les détruisant ou les affectant sur le long terme, les stratégies
d' innovation remettent en cause les savoir-faire (le métier) et souvent
aussi les missions des entreprises.
Pour autant, il reste à déterminer le niveau de destruction de ces
compétences et actifs en ne sous-estimant pas la capacité de réaction
des entreprises.
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
Plus d'ailleurs que des compétences ou des actifs, ce sont des attitudes
qui sont souvent remises en cause (Durand, 2004b) ou à l'origine de
l'inertie des entreprises. Ces attitudes sont souvent générées par une
longue série de succès. Don Sull (2003) montre très bien comment des
entreprises continuent d'appliquer des recettes qui ont fonctionné à un
moment donné alors même que l'environnement a changé. Dans cette
perspective, elles privilégient les innovations incrémentales favorisant
ainsi « l ' inertie active ». La stratégie est dès lors plus subie que choisie.
Enfin, la typologie telle qu'exposée par Markides et Geroski relati
vise trop, de notre point de vue, les effets de l 'innovation incrémentale.
On oublie trop souvent que l 'innovation incrémentale est par nature
cumulative (Abernaty, Clark et Kantrow, 1981) et qu'à un moment ou
à un autre, elle risque de bouleverser à la fois les habitudes et compor
tements des consommateurs. De ce point de vue, i l n 'est pas certain que
l' ABS n 'ait pas remis en cause les compétences habituelles des fabri
cants de systèmes de freinage. La généralisation de ce type de techno
logie a posé beaucoup de problèmes aux firmes établies.
3 Leader ou suiveur : les dilemmes de l'innovateur
Dans la littérature relative à l'innovation, il est clair que l ' entreprise
qui innove la première dispose d'une rente certaine. De ce point de vue,
l ' innovateur est souvent présenté comme un visionnaire ou un révolu
tionnaire (Hamel, 2000, 2006). Le constat qui s ' impose souvent est
alors celui-ci : seule l 'innovation est gage d'une stratégie gagnante.
Pourtant, est-ce toujours le cas ? Dans cette perspective le suiveur est
toujours considéré comme un copieur, ce qui révèle une absence totale
de stratégie .
À contre-courant de cette vision et dans un livre stimulant' , Oded
Shenkar montre que l ' imitation est bien souvent une stratégie perti
nente et que beaucoup d'entreprises que l 'on qualifie trop facilement
d' innovantes sont de fait, plus imitatrices qu'innovantes. Évidemment,
le succès de ces entreprises réside, souligne l 'auteur, dans leur capacité
à combiner imitation et innovation ce qu' i l appelle l ' imovation. La
force d'un Steve Jobs c 'est, ainsi, d'avoir toujours su recombiner des
1 . Copycats, how smart companies use imitations to gain a strategic edge, Boston, Harvard Business Press, 2010.
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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture
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éléments existants mais cette recombinaison, elle, était originale. Dans
cette perspective et pour Shenkar, l' imitation peut être stratégique.
� Focus
Samsung, un copieur sachant innover « [ . . . ] La méthode Samsung est s impl issime. À chaque fois, l 'entreprise i mite ce que fait la concurrence puis cherche à l'améliorer. « I l s sont bons pour su ivre les marques leaders et le font avec une grande rapidité analyse Annette Jump, d i recteur de recherche au cabinet de consei l américa i n Gartner, et i l s profitent de la qual ité de leurs propres composants » . Avec succès, comme le montrent les téléviseurs. Toutes les marques souffrent, victimes d'une forte baisse des prix. Samsung, l u i , résiste. D'honnête chal lenger i l est passé en quelques années au statut de leader, en volume et en qual ité. Ses dern ières séries D7000 et D8000 sont superbes, très séduisantes et fort chères. Rien n'est pourtant révol utionnaire, mais la maîtrise technologique permet d'amél iorer la qual ité de l'écran LED et d'associer dans u n cadre u ltra-plat les éléments d'un téléviseur haut de gamme (connexion à Internet, Wifi . . . ), le tout au service de l a reconstitution des marges mises à mal par une concurrence acharnée. [ . . . ] »
Source : extrait de L'Usine Nouvelle, 9 février 2012.
Christensen ( 1 997) dans son dilemme de / 'innovateur avait bien mon
tré que les entreprises et notamment les grandes entreprises étaient plus
aptes à développer des innovations incrémentales ou de soutien (sus
taining innovation) que des innovations de rupture (disruptive innova
tion) . Pour l 'auteur les modes de gestion adoptés par ces entreprises et
la nécessité de produire des résultats sur le court et moyen terme
n'encouragent pas les entreprises à s 'engager dans des innovations de
rupture. De la même façon, la nécessité pour se développer de disposer
de vastes marchés ne leur fait pas prêter attention à des marchés
émergents dont la rentabilité est difficile à prévoir.
Pour autant, Christensen pense que cette façon d'agir est dommageable
et beaucoup de ces entreprises ont été déstabilisées par des innovations
de rupture qu'elles n'avaient soit pas vues venir, soit sous-estimées.
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
Pour d'autres auteurs, les entreprises ont le choix entre deux types de
stratégie : elles peuvent se concentrer sur des marchés modestes en les
développant dans le temps soit laisser innover les autres et rattraper
ensuite l ' innovation, les modalités de cette captation pouvant être
variables. Partant du constat que les entreprises qui ont su imposer les
innovations radicales ne sont pas toujours celles qui ont été à l'origine
de l 'innovation, ces auteurs en viennent à considérer avec des points de
vue différents qu'il n 'est pas toujours profitable d'être le premier à lan
cer une idée nouvelle sur le marché.
Dans son ouvrage Crossing the Chasm ( 1 999) Geoffrey Moore nous
en explique les raisons. La démonstration de l 'auteur part d'un para
doxe : comment se fait-il que les innovations révolutionnaires après une
période de lancement où le succès est au rendez-vous échouent lamen
tablement dans le long terme. Les causes de ces échecs trouvent leur
origine dans le fait que les innovations au fur et à mesure de leur péné
tration sur le marché, ne rencontrent pas les mêmes clients.
Au départ, ces innovations sont adoptées par les techno-enthousiastes,
catégorie de clients d'abord attirés par la nouveauté. Dans un second
temps, ces derniers passent le relais aux « adopteurs précoces » ou
« stratégiques ». Ceux-ci sont mus par un raisonnement plus intéressé :
l ' innovation est adoptée parce qu'elle est susceptible de déboucher sur
un avantage concurrentiel. Disposant de ressources, les adopteurs
« stratégiques » constituent une cible privilégiée pour les innovateurs.
Le problème surgit quand on passe des adopteurs précoces (early
adopters) aux « pragmatistes » (early majority) .
La difficulté réside dans le fait que les entreprises tendent à négliger
les profondes différences qui existent dans les comportements d'achat
de ces deux groupes. Ainsi, si pour les adopteurs précoces, les caracté
ristiques technologiques constituent la principale motivation d'achat
(même si évaluées par rapport à leur potentiel compétitif), pour les
autres (early majority), l'expérience, l 'opinion des collègues et l'exis
tence d' infrastructures solides le sont tout autant. En d'autres termes,
les motivations liées à la sécurité ont leur importance.
Il existe donc un chasm (gouffre) entre les deux et en n 'anticipant pas
l ' importance de ce gouffre, beaucoup d'entreprises périclitent. En effet,
c'est en conquérant les « pragmatistes » que les entreprises seront à
même d'accéder aux marchés de masse et de rassurer les acheteurs
conservateurs (the late majority).
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La solution pour Moore est simple : les entreprises doivent se focali
ser sur des micro-niches et ainsi devenir leader sur celles-ci et s'enga
ger ensuite sur la conquête de nouveaux segments soigneusement
identifiés et répéter, autant que faire se peut, l ' approche. Il faut donc
positionner soigneusement son offre et ne négliger aucun besoin de la
clientèle visée.
Pour Moore, il faut rester dans une posture de leader mais de leader
modeste, loin des images du leader triomphant, véhiculées par les
success stories trop souvent à l 'œuvre dans la littérature relative à
l 'innovation stratégique. C'est la seule façon de combler le gouffre.
La thèse défendue par Moore tient compte d'une donnée souvent
négligée par les auteurs ou du moins trop rapidement abordée : le
rythme de diffusion des innovations. Ce rythme dépend des types de
clientèle rencontrés et de leur pouvoir sur le marché. Une entreprise qui
lance une innovation même radicale ne peut pas faire fi de ces réalités.
Pour l 'avoir oublié nombre d'entreprises sont rangées dans la catégorie
peu glorieuse des « inventeurs ». Markides et Geroski (2004) déve
loppent un point de vue différent. Ils partent d'un constat : les inven
teurs ne sont pas toujours loin s'en faut les innovateurs. JVC n'a pas
inventé le magnétoscope ni Procter & Gamble, la couche-culotte.
Comment expliquer ce fait ? Pour ces auteurs, la diffusion d'une
innovation radicale sur le marché se déroule (souvent, pas toujours) en
deux temps qui correspondent à deux phases et qui, point important,
mobilisent des compétences différentes.
Dans une première phase d'exploration, la découverte d'une nouvelle
technologie ou d'un nouveau concept produit se traduit par une impor
tante vague de créations d'entreprises. On a pu observer un tel phéno
mène avec Internet et la naissance de milliers de start-up, dont la durée
de vie a été très brève.
Les projets foisonnent, les idées fusent mais on en reste bien souvent,
à un stade artisanal . La seconde phase est qualifiée de phase de conso
lidation. Le marché s'épure autour d'un petit nombre d'offres, offres
qui deviennent des standards.
À ce moment, il ne s 'agit plus tant pour les entreprises de se mainte
nir à la pointe de l' innovation que de créer les conditions d'un marché
de masse en jouant à fond la logique industrielle. Dans cette perspec
tive et comme l 'ont bien montré Kim et Mau borgne (2005), stratégie
d'innovation et stratégie de coût sont étroitement liées.
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
Pour Markides et Geroski, ces deux phases mobilisent des compé
tences et des profils d'entrepreneur très différents.
Dans la phase d'exploration, l' imagination et l 'expérimentation sont
privilégiées. Les structures sont peu hiérarchisées, il n'existe pas ou peu
de planification. Dans cette phase, l ' aspect technologique ou innovant
des projets prend souvent le pas sur n'importe quelle autre considéra
tion. Le problème c'est que ces attitudes, ces compétences deviennent
très vite inopérationnelles dans la phase de consolidation. À ce moment
les caractéristiques des grandes entreprises ne sont plus des handicaps,
elles peuvent dès lors se contenter de n'être que les seconds en faisant
accéder les innovations des pionniers aux marchés de masse.
Pour autant, savoir tirer part des innovations des autres suppose, de
la part des entreprises, de maîtriser trois domaines de compétence :
• En premier lieu, une telle stratégie ne peut réussir que si l 'entreprise
qui l 'adopte investit durablement dans la veille stratégique. L'objectif
étant ici de suivre attentivement l'évolution de la maturité du marché.
Ceci suppose de repérer les innovations susceptibles de déboucher
sur la création d'un nouveau marché de masse et d'identifier le
moment opportun pour se lancer.
• En second lieu, l 'entreprise doit concevoir une offre susceptible de
séduire le grand public. Ceci suppose de ne pas se focaliser sur la
performance technique, de simplifier le produit pour en baisser le
coût et de rassurer le client.
• Enfin, l 'entreprise doit chercher à inonder rapidement le marché.
Ceci suppose de renoncer au profit à court terme et de s'appuyer sur
des partenariats.
Quoi qu'il en soit et pour Markides (2009), les grandes entreprises
n'ont aucun intérêt d'être à l'origine des stratégies de rupture. Dans un
article au titre suggestif1 , 1 'auteur explique que les grandes entreprises
ont tout intérêt, au contraire, à détecter et « rattraper » les innovations
générées par d'autres et notamment les entreprises petites et moyennes .
Cette étude a le mérite de relativiser un certain nombre d'assertions
relatives aux stratégies d'innovation, de bien mettre en évidence les deux
phases de l'innovation et d'y faire correspondre des compétences. Dans
ce domaine l'avantage n'est pas toujours à l 'attaquant (Foster, 1 986)
1 . « Pourquoi les entreprises existantes ne devraient pas créer de rupture », Revue Française de Gestion, n°197, 2009.
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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture
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mais au finisseur. Tout dépendant en dernier lieu du rythme de diffusion
de l ' innovation. Il ne faut pas oublier que le magnétoscope a été inventé
en 1 95 1 et n 'est devenu un produit grand public que dans les années 80.
Section 3 COMMENT I N NOVE R ?
1 De la nécessité de se remettre en cause
Il y a une grande unanimité dans la littérature consacrée à l ' innova
tion pour considérer qu'à l 'origine de celle-ci, il y a toujours une
relllise en cause.
Cette remise en cause part d'un postulat : les réalités environnemen
tales sont certes des données objectives qui influent sur la performance
de l 'entreprise mais elles ne déterminent pas le comportement de l 'entre
prise et surtout, par leurs actions, les entreprises peuvent changer les
règles du jeu. Rompant avec la tradition adaptative léguée par l 'industrial
organization, les auteurs insistent sur la nécessité de rompre avec les
schémas établis. Pour Hamel ( 1998) et Duysters et al. (2004) il faut
« casser » les règles du jeu, c'est-à-dire ne pas se référer à ce qui est
considéré dans une industrie donnée comme la bonne manière de faire.
Il faut donc se méfier de ce qui paraît évident, ce qui est communément
accepté (Markides, 1997). L'objectif est de générer une nouvelle manière
de penser, une nouvelle manière d'envisager les choses (Kim et Mau
borgne, 1 999). Dans cette perspective, le choix du vocabulaire n 'est pas
neutre. II faut, nous disent Prahalad et Hamel ( 1 994), rejeter « l 'orthodo
xie sectorielle » ou « déconstruire » les principes du management
(Hamel, 2006). Pour Hamel, ceux-ci sont datés et ne sont plus adaptés
aux réalités de la nouvelle compétition industrielle. Cette remise en cause
est inséparable du nouvel objectif assigné à la stratégie « not competing,
but malàng the competition irrelevant by creating a new market space
where there are not competitors » (Kim et Mauborgne, 2005).
Même si l 'objectif n 'est pas l ' innovation de rupture, l ' impact de
l ' innovation sera de toute façon lié à la capacité de l 'entreprise à inter
roger la « sagesse conventionnelle » (Baden-Fuller et Pitt, 1996) ou les
recettes sectorielles (Baden-Fuller et Stopford, 1994 ) .
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
Dans le cas Nintendo et de la Wii, Aurégan et Tellier révèlent que la
réussite du projet tient pour une bonne part à la capacité de l' entreprise
à avoir su s'affranchir des règles sectorielles qui imposaient, de fait, des
stratégies très prévisibles. Nintendo a su rompre notamment avec la
course à la sophistication technologique et s 'adresser à des clientèles
autres comme, par exemple, les seniors. Dans le cas Logan et malgré
des oppositions internes, Renault a su rompre avec les règles du jeu
implicites du secteur en opérant une véritable « déconstruction straté
gique » (Métais, Dauchy et Hourquet, 2009).
Au fond, l'innovateur doit se méfier de ses propres succès. Jeff Bezos
fondateur d' Amazon résume cette attitude dans une formule sans ambi
guïté « to make sure we're never too confortable » (Warner, 1998). En
rompant avec les schémas cognitifs établis, il s'agit aussi de bâtir une
culture d'entreprise ou le questionnement n'est plus l'exception mais la
règle. Bill Gates ou Nicolas Hayek insistent beaucoup sur cette nécessité.
Au-delà de l ' innovation, il s 'agit bien de favoriser une culture du
changement. Cette problématique a été explorée par Pascale ( 1990) et
Pascale et al. (2000). L'auteur, après une analyse en profondeur
d'entreprises comme Ford, General Electric ou Honda, montre bien que
le principe de contradiction est à la base des succès de ces entreprises
et de leur capacité à se remettre en cause.
Il faut reconsidérer les paradigmes stratégiques du moment (Pascale 1990)
parce qu'un paradigme figé conduit toujours à l 'inertie et l'inertie à la fail
lite ou dans le meilleur des cas à une baisse drastique de la performance.
À l 'origine de l ' inertie active telle que décrite par Don Sull (2003), il
y a toujours des attitudes générées par des succès. Capitalisant sur ces
derniers, les entreprises favorisent les innovations incrémentales
(Christensen, 1997) et reproduisent les recettes à l'origine des premiers
succès. Face à de nouveaux concurrents, ces entreprises subissent le
syndrome de Stockdale (Collins, 200 1 ) , à savoir un excès d'optimisme
qui les empêche de regarder la réalité en face et prendre la juste mesure
des changements d'environnement.
Dans cette perspective, rien ne doit être considéré comme acquis.
C'est en imaginant le pire (ce qui fut le cas de l 'amiral Stockdale pri
sonnier pendant huit ans au Vietnam) qu' on parvient à survivre.
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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture
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2 Un moyen : le questionnement
Pour innover il faut poser les bonnes questions. C'est dans tous les
cas, un constat qui semble faire consensus (Geroski, 1998 ; Hamel,
1 998 ; Kim et Mauborgne, 1999, 2005 ; Lynn, Maurone et Paulson,
1 996 ; Markides, 1997, 1998, 1999 ; Martinsons, 1 993, O'Reilly III et
Tushman, 1 997 ; Peters, 1 998, 1 99 1 ; Treacy et Wiersema, 1 993).
Pour Markides ( 1997), lorsque l 'on s' intéresse aux entreprises qui
ont su innover en rompant avec les règles du jeu existantes, l ' important
n 'est pas de décrire leurs actions ou leurs stratégies mais d'apporter des
réponses aux questions suivantes « What allowed these companies to
think of all these possibilities ? What are the sources of their innova
tion ? ». Les questions restent, toutefois, de facture classique, les impli
cations le sont peut-être moins.
On retrouve chez beaucoup d'auteurs (Markides, 1997, 2000 ; Kim
et Mau borgne, 1997, 2005) le triptyque qui ? Quoi ? Et comment ? À savoir : qui devrions-nous viser comme clients, quelle devrait être notre
offre aux clients et comment peut-on fournir cette offre au mieux ?
Pour Markides ( 1 997), en effet, le meilleur moyen pour une entre
prise pour s'engager dans « ! 'autrement » c'est d'abord de questionner
sa définition actuelle de l 'activité. C'est, pour l 'auteur, cette définition
qui détermine tout le reste notamment la perception de la concurrence
et de la clientèle.
Afin de mieux aider les décideurs engagés dans des démarches
d' innovation, Kim et Mauborgne ( 1999b) distinguent les questions
conventionnelles de celles centrées sur l ' innovation de valeur. Dans le
premier cas, on reste dans une visée classique : celle du positionnement
plus judicieux que la concurrence ; dans le second, on s ' interroge sur
l'autre façon de créer de la valeur.
On retrouve une perspective similaire chez Govindarajan et Gupta
(200 1 ). Pour ces auteurs après avoir défini quels sont ses clients,
l'entreprise doit se poser la question de la valeur qu'elle souhaite leur
apporter et des moyens de créer cette valeur.
Pour Christensen et al. ( 2002), la capacité des entreprises à générer
des innovations de rupture (disruptive innovations) dépend de leur
capacité à créer de nouveaux marchés en posant un certain nombre de
questions ayant trait notamment à la valeur d'usage du bien ou du ser-
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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2
vice considéré et à la capacité de ces mêmes entreprises à créer de
nouveaux business model.
Là aussi, les entreprises ne doivent pas se contenter de l'évidence et
questionner la réalité. Qu'est-ce qui fait, par exemple, qu'à une époque
donnée, certains clients n 'ont pas été séduits par telle ou telle offre et
comment réduire la complexité de cette dernière ? En remettant en
cause des fausses évidences, les entreprises sont alors à même d'inven
ter de nouvelles façons de faire et d'affronter des entreprises disposant
de ressources plus conséquentes comme l' illustre le cas Xerox qui a su,
face à Hewlett-Packard, innover en redéfinissant à la fois les besoins
des clients et mettre sur pied un business model original.
L'innovation, quelles que puissent être les définitions proposées, est
inséparable de la notion de valeur. Innover consiste à apporter soit une
valeur supérieure à celle de la concurrence soit redéfinir cette valeur.
Kim et Mau borgne (2005b) lient cette redéfinition de la valeur à un
questionnement qui interroge l 'entreprise à la fois sur l ' existant mais
aussi sur ce qui devrait être.
En premier lieu, il s 'agit d'éliminer dans les secteurs considérés, les
facteurs que les entreprises considèrent donnés, ce qu'elles tiennent
comme la bonne manière de faire, l 'orthodoxie de Hamel ( 1 998).
En second lieu, il s'agit de réduire la complexité des produits,
complexité qui influe sur la structure de coût mais qui ne modifie pas
la valeur d'usage du produit.
En troisième lieu, il s 'agit d'éliminer les compromis que les clients
ont été obligés de faire étant donné l 'état de l 'offre.
Enfin, il s 'agit de réfléchir à de nouvelles façons de produire de la
valeur en vue de créer une nouvelle demande et générer une nouvelle
dynamique de coût dans le ou les secteurs considérés .
Les deux premières questions permettent, en redéfinissant la struc
ture de coût, d'envisager de nouvelles façons de faire et donc en dernier
lieu de redéfinir les business model.
Concomitamment, et en redéfinissant la valeur de l'offre, les entre
prises s 'avèrent capables de créer de nouveaux marchés, des « océans
bleus » selon l 'expression des auteurs.
Pour Métais, Dauchy et Hourquet (2009) une stratégie de rupture passe
par une reconsidération de 4 leviers clés à savoir : les forces et faiblesses
49
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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture
des acteurs, les facteurs clés de succès, les fondamentaux non écono
miques de l'industrie et le questionnement sur les frontières et les
marges. Ces auteurs invitent les entreprises, à partir de ces 4 leviers, à
opérer une véritable déconstruction stratégique. Là aussi, le questionne
ment est central et le cas Logan, qui illustre leur propos, montre bien à
quel point les fausses évidences conduisent les entreprises au mimétisme
stratégique, mimétisme stratégique suicidaire à long terme (Porter,
1 996). Le questionnement ne va pas de soi. Les entreprises doivent aussi
mettre en place des processus susceptibles de favoriser celui-ci. Cela peut
passer notamment par la faculté laissée aux employés de développer des
projets autonomes (Hamel, 2006), ce que Burgelman (2001 ) qualifie
« d'action autonome ». Les exemples célèbres de 3M et Intel témoignent
du bien fondé de telles initiatives. Elles peuvent aussi favoriser des ren
contres où les différents acteurs de l'entreprise sont invités à contredire
la stratégie officielle (Pascale, 1990 ; Pascale et al. 2000).
Dans cette perspective, la capacité à questionner est évidemment liée
à l 'organisation de l 'entreprise et c' est celle-ci qu'il faut constamment
« ébranler » (Pascale, 2000). On comprend dès lors que pour Hamel
(2006), la vraie innovation est celle qui a trait au management, d'elle
dépend tout le reste.
E S S E NTI E L
c5 L'innovation ne saurait se résumer à sa seule composante technolo-(Y)
8 gigue. Quel que soit son contenu, elle affecte très souvent l 'usage N
@ du produit ou du service et donc plus globalement leur valeur .!: d'usage. Les finalités de l ' innovation sont multiples, finalités qui O'>
-� peuvent conditionner son intensité. De l'amélioration de l 'existant c..
3 à la redéfinition en profondeur des produits et marchés, l ' innovation
50
peut autant viser à prolonger l'existant qu'à le bouleverser. Elle
peut se situer dans le cadre de règles du jeu préétablies de la même
façon qu'elle peut viser à s 'en affranchir. On peut innover sans être
forcément un pionnier. Dans certains cas et à certaines conditions,
une stratégie de suiveur peut donc être plus pertinente. L'innovation
dans tous les cas nécessite de toujours questionner son activité,
pour imaginer de nouvelles façons de faire.
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Les st ratégies des jeu nes entrep ri ses tech no l og i q ues i n nova ntes
Michel BERNASCONI
SoMMAIRE SECTION 1 Les caractéristiques stratégiques des JETI
SECTION 2 Les outils et concepts de la stratégie des JETI
SECTION 3 Un modèle intégré du développement de ces entreprises clés
L 'objectif de ce chapitre est de proposer une réflexion sur la stratégie
des jeunes entreprises technologiques innovantes. Ces formes
d'entreprises ont en effet des spécificités et elles agissent le plus souvent
dans des environnements incertains qui rendent inadaptés les approches
traditionnelles de la stratégie. La première section définit et présente les
caractéristiques des Jeunes Entreprises Technologiques Innovantes que
nous nommerons JETI dans la suite du texte. La deuxième section s'inter
roge sur la pertinence des outils de la stratégie pour les JETI et identifie
les approches adaptées. La troisième section propose un modèle intégré
qui décrit le développement de ces entreprises d'une part et prend en
compte simultanément la formulation de la stratégie et la mise en œuvre.
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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques
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Section 1 LES CARACTÉ RISTI Q U ES STRATÉGIQUES - -
DES J ETI
1 Définitions et caractéristiques des JETI
Les jeunes entreprises technologiques ne sont pas nécessairement
aisées à définir si l 'on se réfère aux nombreuses appellations trouvées
dans la littérature : firmes de hautes technologies, entreprises de tech
nologies avancées, entreprises innovantes, mais aussi « new technology
based firms » ou encore « knowledge based-firms ». La littérature a
proposé de nombreux critères (Cooper, 1 986 ; Albert et Mougenot,
1 998). Baruch ( 1 997) recommande de retenir trois critères principaux
pour différencier une entreprise de haute technologie des autres entre
pnses :
- le niveau d'éducation du personnel ; - l ' investissement en R&D ;
- le secteur industriel de l 'entreprise.
Les deux premiers critères caractérisent bien l 'économie de la connais
sance et l ' innovation. Le secteur industriel permet d'identifier les sec
teurs innovants les plus couramment admis par l 'INSEE, comme les
technologies de l ' information, y compris Internet, la pharmacie et les
instruments de contrôle. Il est toutefois préférable de ne pas trop limiter
ces secteurs et de prendre en compte des domaines en forte évolution
comme les matériaux, la biologie moléculaire, les énergies renouve
lables, etc.
Les JETI ont quelques caractéristiques singulières. Elles sont
situées dans des secteurs naissants et instables dont elles tirent parti.
Elles ont des relations étroites avec les milieux scientifiques dont les
entrepreneurs sont fréquemment issus. Elles ont des difficultés à iden
tifier et à capter les premiers marchés. Les besoins en investissement
sont élevés et elles ont recours à des investisseurs spécialisés. Pour
toutes ces raisons les auteurs insistent sur l ' incertitude et le risque qui
caractérisent ces entreprises (Moensted, 2006). Face à toutes ces
incertitudes il existe le plus souvent un écart entre les prévisions et les
réalisations (Massacrier et Rigaud, 1 984 ; Bernasconi et Moreau,
2004).
Depuis Bygrave et Hofer ( 1991) , il est couramment admis que le pro
cessus entrepreneurial est constitué de trois phases : l ' identification d'une
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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3
occasion d'affaires, l'exploitation de l 'opportunité, et la création de
valeur. Ce processus apparemment linéaire étant en réalité itératif et dyna
mique. L'absence de séquentialité est particulièrement présente dans la
littérature sur les jeunes entreprises technologiques, puisque l ' innovation
a pour effet d'augmenter l ' incertitude dans la définition de la stratégie et
dans sa mise en œuvre. Ainsi, on peut noter qu'il arrive fréquemment que
le couple produit-marché initialement visé s'avère inadapté, obligeant les
entrepreneurs à le définir à nouveau. On peut dès lors considérer que la
réalisation d'un projet se fait par des évolutions non linéaires, des répé
titions ou des remises en cause. Pour Garnsey ( 1998), le processus de
création et de développement de nouvelles entreprises technologiques
innovantes est sujet à la circularité causale, à des boucles rétroactives où
les éléments interagissent avec le système qui les produit, et où le facteur
chance (événements) peut avoir une incidence sur le développement.
EXEMPLE
Fondée en 1 994 par Henri Seydoux, Parrot a frôlé plusieurs fois la faillite.
Après s'être risqué sur le marché des agendas électroniques à reconnais
sance vocale, Parrot se tourne vers ]es kits mains libres à commande
vocale. Sans succès. La société, au bord de la faillite, signe alors un accord
avec ! 'équipementier suédois Ericsson qui lui propose de développer des
produits de communication sans fil B luetooth. Dès 2002, Parrot commer
cialise des kits mains libres Bluetooth pour automobiles. Ce troisième essai
est le bon. De 35 000 kits vendus en 2002, les ventes passent à 1 OO 000 en
2003 et près de 1 million en 2005. « Après avoir évité par deux fois de
s'écraser au sol, le perroquet compte cette fois s'envoler vers la Bourse » .
Source : d'après Les Échos, 24 mai 2006.
2 Période de démarrage des JETI
C'est au cours de sa phase de démarrage que la JETI présente les
caractéristiques spécifiques évoquées précédemment et donc des enjeux
particulièrement délicats en terme de stratégie et d'organisation. Mais
comment délimiter la période de démarrage de la jeune entreprise tech
nologique ? Quel est le point de départ, c 'est-à-dire le moment où l'on
peut considérer qu'un projet de création est en vie ? Quel est le point
d'arrivée, c'est-à-dire le moment où les raisonnements stratégiques et
organisationnels ne sont plus spécifiques ?
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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques
54
Dans le vocabulaire commun, la création d'une entreprise consiste à
donner une existence légale à une activité à finalité économique, dotée
d'attributs visibles et de ressources qui constituent un premier niveau
d'organisation. Pourtant dans la technologie, les projets ont souvent une
période de développement importante avant la création juridique de la
société. Cette phase, souvent d'une grande importance pour le dévelop
pement de la technologie, a pu être de plusieurs années, souvent initiée
au sein ou en relation avec une entreprise ou un laboratoire existant.
EXEMPLE
En 1 993, le Professeur Carpentier concluait un partenariat (GIE) avec Jean
Luc Lagardère et son groupe industriel (Aerospatiale Matra et EADS
Marconi Space) afin de conduire ses recherches sur un cœur artificiel, au
sein d'un groupement d'intérêt qu'il baptisait Carmat. Durant ces 1 5 années
au cours desquelles 15 millions d'euros ont été investis, le projet a été
gardé secret afin de permettre une avancée technologique majeure sans
éveiller l ' intérêt de concurrents. En 2008, le premier essai réalisé, le GIE,
a été transformé en entreprise et la société est entrée en bourse en 20 10.
Quand se termine la phase de démarrage ? Différentes définitions ont
été données de la durée de la phase de démarrage. On peut considérer
avec Tesfaye ( 1997) que la période de création s'achève avec la vente
du premier produit. Dans ce cas, selon Neishem (2000), le temps
écoulé entre l ' idée de créer une entreprise de haute technologie et la
vente du premier produit est de 24 à 36 mois environ. On peut égale
ment prendre l 'atteinte du seuil de rentabilité comme I ' étape de la fin
de la création et du passage au développement. Les observations de
Twaalfhoven et Kugi (2003) sur 200 entreprises technologiques
montrent que le seuil de rentabilité est atteint en moyenne au bout de
60 mois, alors que les business plans faisaient apparaître un délai
moyen de 30 mois, soit un rapport de 1 à 2. Sammut ( 1 998), dont le
champ d'observation n 'était pas la technologie, considère que la phase
de démarrage se termine lorsque le dirigeant fait preuve d'une
conscience stratégique, c 'est-à-dire qu'il adopte une gestion systé
mique, engage un transfert organisationnel et est en mesure d'atteindre
ou de dépasser le seuil de rentabilité. Cette approche a sans doute pour
effet d'allonger le nombre d'années nécessaire. En retenant l 'atteinte
du seuil de rentabilité, nous pouvons donc considérer que la période de
création d'une entreprise technologique se situe entre 3 et 7 ans. C'est
dans ce laps de temps que nous considérerons la création d'entreprise.
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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3
3 Différents types de projets d'entreprises technologiques
Avant de tenter de décrire les stratégies des jeunes entreprises tech
nologiques, il convient de se demander si chaque JETI connaît un
mode de développement spécifique lié à ses caractéristiques propres
ou s'il existe des trajectoires de croissance particulières et adoptées
par une majorité d'entreprises. Rechercher des types de modèles de
croissance c'est faire référence à l 'approche de la configuration par
ticulièrement mise en valeur avec les travaux de Mintzberg et Miller
( 1 986).
E@ Focus
L'approche par les configurations De façon générale, l 'approche par les configurations analyse l 'entreprise comme un système d'éléments i nterel iés. Plutôt que de s' intéresser à toutes les combinaisons possibles entre les différents éléments et à la formu lation d'une loi générale qui les relierait, l 'approche par les configurations suggère de l i m iter l'analyse à un nombre restreint de cas cohérents Ceux-ci, nommés « archétypes » ou « idéal-types » ,
sont d'a i l leurs supposés être les seules formes cohérentes du système et correspondre aux cas d'entreprises les plus performantes. Les théoriciens des configurations acceptent b ien entendu l'existence de configurations hybrides. De la même man ière, dans la dynamique de la vie de l 'entreprise, le passage d'une configuration à une autre est évidemment accepté.
Les variables prises en compte dans l 'approche des configurations
permettent d'analyser conjointement la stratégie de l'entreprise, sa
structure organisationnelle et son environnement. C'est dans cette
approche que nous avons proposé une typologie des modes de dévelop
pement des JETI dans la Silicon Valley (Bernasconi, 1 994 ) . Les
variables retenues pour identifier les configurations, ou types, sont
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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques
56
proches de celles qui ont été mises en évidence dans de nombreux tra
vaux sur la modélisation du phénomène entrepreneurial et notamment
celles proposées par Bruyat ( 1 994) : l' équipe, l 'opportunité poursuivie
ou activité, les ressources, l 'organisation et l ' environnement. Toutefois
l 'analyse a mis ces variables en perspective par rapport à la valeur per
çue de l 'opportunité d'une part et sur le maintien du contrôle par
l'équipe dirigeante d'autre part. Sans prétendre représenter tous les
types possibles, quatre configurations ont été identifiées.
3.1 Les entreprises autonomes
Les entrepreneurs qui lancent des entreprises sont motivés par une
vision personnelle de leur projet et mettent comme priorité la sauve
garde de la liberté stratégique et parfois le contrôle patrimonial de
l ' entreprise. Ils sont hostiles à l'entrée d'investisseurs en capital-risque.
De ce fait le financement de ces entreprises est alors réalisé par les
créateurs eux-mêmes, par l 'argent de proximité et surtout par l 'autofi
nancement. Le positionnement n'est tenable qu'à la condition que le
marché servi soit une niche, de préférence géographiquement limitée.
Ce type d'entreprise correspond bien à la société de recherche ou à une
offre moyennement innovante.
3.2 Les entreprises progressives
Les entreprises progressives se caractérisent par la volonté des diri
geants de franchir progressivement les étapes de leur développement.
Les ambitions sont importantes et laissent espérer une position parmi
les leaders du marché. Ils privilégient une croissance contrôlée plutôt
que la recherche forcenée de la vitesse. Pour cette raison, les fondateurs
cherchent des financiers qui leur laissent de l'autonomie sur les déci
sions. Les moyens financiers sont mobilisés au fur et à mesure du fran
chissement des étapes par des tours de financement limités. Le
changement organisationnel se fait au rythme du développement et de
la validation des hypothèses du business plan. La structure de
l 'entreprise est définie en fonction de la nature de l ' innovation et des
enjeux et s 'adapte au rythme du projet.
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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3
3.3 Les entreprises pressées ou modèle Silicon Va l ley
Les entreprises pressées sont des entreprises bâties sur une offre
innovante fondée sur une amélioration très significative ou une offre
de rupture. Ce type d'entreprise trouve son modèle dans la Silicon
Valley. Ces entreprises sont peu nombreuses mais elles sont emblé
matiques car elles sont susceptibles d'atteindre une taille mondiale.
Elles sont le plus souvent premières sur un marché, qu'elles vont
d'ailleurs souvent inventer. Ces entreprises se caractérisent par la
priorité accordée à la recherche de la croissance et de la vitesse d' exé
cution. Les financements sont très importants, proviennent essentiel
lement des capital-risqueurs qui ont comme unique perspective la
croissance et une forte valorisation par la bourse ou la revente à un
grand groupe. Pour les fondateurs, le choix de cette logique, qui peut
laisser espérer les plus belles perspectives, a des contreparties qu' ils
doivent comprendre et accepter. Ils sont des éléments constitutifs du
projet mais on leur demandera de laisser leur place à la tête de l ' orga
nisation, dès qu' on considérera qu' ils ne sont plus les meilleurs pour
conduire l ' entreprise. Les moyens importants mobilisés permettent de
bâtir rapidement des organisations importantes et sophistiquées des
tinées à soutenir la stratégie.
3.4 Les sociétés opportunistes
Ce type de société apparaît plutôt dans des secteurs émergents à haut
potentiel. Dans ces secteurs où les avancées technologiques sont très
fortes, des équipes de pointe peuvent améliorer une des composantes
de l 'activité, ou une brique technologique d'un système complexe .
Néanmoins, compte tenu de la taille des acteurs intégrateurs de l'indus
trie, elles ont peu de perspectives de développer une grande entreprise
par elle-même. Par contre elles pourront représenter une proie pour un
gros acteur du secteur ou un concurrent mieux placé. On trouve ce
genre de logique dans les activités comme les télécommunications,
Internet, les biotechnologies ou encore dans des secteurs ou les évolu
tions de la réglementation offrent des fenêtres d'opportunité, comme
l' énergie .
La particularité de cette catégorie d'entreprise est que les entrepre
neurs n'ont pas nécessairement conscience, au début, du caractère pro
visoire de leur entreprise. Les modes d'organisation se font souvent
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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques
avec une économie de moyens, mais aussi une grande flexibilité afin de
s'adapter au mieux aux opportunités et obtenir une vitesse d'exécution
nécessaire pour valoriser l 'opportunité.
EXEMPLE
Créée en 2002 à Sophia Antipolis, la société SEEMAGE se proposait de
créer le power point de la 3D, c'est-à-dire un outil léger, simple d'emploi,
accessible à tout le monde qui permette de visualiser, d' annoter, de
commenter, de collaborer et de créer des présentations. Leurs produits ont
séduit de grandes entreprises dans le domaine de la mécanique et de l'aéro
nautique. Grâce à une levée de fonds auprès d' investisseurs l'entreprise a
pu se développer. L'entreprise a été racheté en 2007 par Dassault Systèmes
qui a intégré la technologie dans son offre pour fournir des solutions inno
vantes destinées à répondre à la demande croissante de ses clients dans le
domaine de la documentation des produits.
L'objectif de cette section était de définir les spécificités des jeunes
entreprises technologiques, de clarifier la phase d'émergence et de
tenter d' identifier des archétypes qui permettent de rendre compte des
principales logiques stratégiques suivies par ces entreprises. Ceci étant
fait, on peut s ' interroger sur les outils et méthodes stratégiques qui leur
sont adaptés.
Section 2 LES OUTI LS ET CONCEPTS DE LA STRATÉG IE DES J ETI
N
@ Le champ de la stratégie a développé depuis une cinquantaine
:§, d'années de nombreux outils et concepts qui ont évolué avec l 'écono-
-� mie. On peut s'interroger sur l 'applicabilité de ces outils et de ces
3 concepts aux jeunes entreprises technologiques. Dans une première
partie, nous rappellerons les outils génériques de la stratégie. Dans une
deuxième partie, nous présenterons des outils et concepts particulière
ment adaptés à la jeune entreprise technologique. Dans une troisième
partie nous montrerons qu'il faut parler de posture pour bien prendre en
compte la stratégie dans ces entreprises.
58
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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3
1 Les outils et concepts génériques de la stratégie
Le champ de la stratégie s 'est développé dans le contexte des entre
prises existantes et en particulier des grandes entreprises. Les premiers
grands contributeurs (Ansoff, BCG . . . ) tentaient alors de répondre aux
problèmes que se posaient les entreprises pour gérer la complexité de
leurs activités et conduire leur développement. Les concepts et
méthodes ont été développés pour répondre aux évolutions des règles
de la concurrence, des structures des marchés et de la complexité crois
sante de la relation de l 'entreprise avec ses parties prenantes et en par
ticulier les actionnaires. Dans les années 1980, les apports du PIMS et
de Michael Porter sur l 'analyse des systèmes concurrentiels ont façonné
la pensée et l 'analyse stratégique permettant aux entreprises d'amélio
rer l 'analyse des stratégies à mener en fonction des systèmes concur
rentiels et à clarifier les facteurs clés de succès associés. L'analyse de
la chaîne de valeur a permis de mieux faire le lien entre les stratégies
menées et la valeur créée pour le client. Mais jusqu'alors peu de place
était réservée à l ' innovation qui devenait pourtant le facteur le plus
important dans la concurrence que se livraient les entreprises. Ce fut en
particulier l 'apport de Hamel et Prahalad ( 1989) qui ont proposé non
plus de faire seulement la stratégie en se positionnant par rapport à
l ' existant, mais en partant des ressources maîtrisées. La stratégie
cherche alors davantage que par le passé à explorer des voies nouvelles
pour sortir de situations de concurrence de plus en plus fortes, liées à
la montée des pays émergents. Dans cette perspective, l 'approche
Ocean Bleu (Kim et Mauborgne, 2005) invite les entreprises à réinven
ter leur positionnement et leurs pratiques en privilégiant des innova
tions valorisées par le client.
Les corpus de connaissances et les approches de la stratégie que nous
venons de rappeler sont-ils applicables aux jeunes entreprises techno
logiques ? Certes la stratégie permet aujourd' hui de disposer d'une
batterie d'outils qui peuvent trouver leur utilité dans l 'analyse des sec
teurs dans lesquels veulent entrer les nouvelles entreprises innovantes.
Les méthodes de segmentation, les analyses SWOT, les stratégies géné
riques, l'analyse des forces concurrentielles, les chaînes de valeur
internes et externes, sont indiscutablement des outils pertinents que
l 'on retrouve d'ailleurs dans la plupart des business plan des jeunes
entreprises technologiques innovantes. Ils permettent de rendre compte
de l 'existant, d'anticiper et de positionner l 'offre. Mais pour que cela
59
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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques
60
soit réellement utile et pertinent, la nouvelle entreprise doit s'insérer
dans un système de concurrence existant, c 'est-à-dire que son innova
tion ne soit pas trop forte. Comme finalement peu d'entreprises sont
porteuses d'innovation de rupture ou proposent de nouveaux marchés,
les outils de la stratégie sont donc applicables dans de nombreuses
situations. Mais lorsque les jeunes entreprises sont porteuses d' innova
tion de rupture ou proposent de nouveaux marchés, les outils de la
stratégie sont moins applicables.
2 Les concepts et outi ls stratégiques adaptés à la jeune entreprise technologique innovante
Le domaine de l 'entrepreneuriat, si on l 'entend au sens large comme
la création de nouvelles activités, dispose d'outils et concepts dont la
vision, la proposition de valeur et le business model qui vont être pré
sentés.
2.1 La vision
Selon Filion ( 1 99 1 ), la vision est l' image projetée dans le futur de la
place que l 'on veut voir occuper par nos produits sur un marché, en f onc
tion de notre compréhension des évolutions de la technologie, du secteur
et de la société. Seul l 'innovateur est capable d'imaginer cette vision,
puisqu'elle ne correspond pas à une réalité appréhendable par les acteurs
existants. C'est d'une certaine manière la première formulation de la
stratégie du projet. Dans les secteurs technologiques, la vision est un élé
ment important qui permet de faire partager aux parties prenantes de la
création d'entreprise la représentation des entrepreneurs.
EXEMPLE
Jensen Huang, jeune ingénieur en électronique diplômé de Stanford, avait
beaucoup joué sur des consoles électroniques dans sa jeunesse. En 1 993, Il
a eu la vision que les PC allaient devenir également des supports pour les
jeux. Toutefois les cartes graphiques de r époque étaient très coûteuses et
destinées aux stations de travail graphiques professionnelles. Il prit alors la
décision de concevoir des technologies graphiques performantes et de faibles
coûts en créant la société NVIDIA. Sa vision, basée sur son expérience du
jeu, son approche entrepreneuriale et ses connaissances électroniques, s'est
avéré fondée et son entreprise a participé au développement du jeu vidéo.
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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3
2.2 La proposition de va leur
Le facteur essentiel d'une nouvelle entreprise est l ' identification de
sa proposition de valeur. La proposition de valeur est la raison pour
laquelle un client choisit une entreprise plutôt qu'une autre pour
résoudre l'un de ses problèmes ou satisfaire l'un de ses besoins. Définir
sa proposition de valeur est un travail long et ardu qui nécessite une très
bonne connaissance des besoins d'un segment de client identifié. Pour
une jeune entreprise qui entre sur un marché, l ' identification de la pro
position de valeur est un résultat d'analyse qui suppose une bonne
connaissance des offres concurrentes, une claire définition des fonc
tions de son offre et surtout des bénéfices qu'en retirera le client.
Pour les jeunes entreprises technologiques, la définition de la propo
sition de valeur est souvent un exercice long, difficile et itératif. En
effet, si par définition il y a innovation cela signifie que les éléments
d'appréciation de la proposition de valeur sont inexistants ou difficiles
à apprécier. Il est en effet difficile de savoir ce que le client va faire
d'une nouvelle solution qu'il ne connaît pas encore. Il existe toutefois
des méthodes qui permettent de cheminer vers cet objectif dans un
cadre à la fois rigoureux et créatif, comme la méthode ISMA 360 1 •
EXEMPLE
Chercheur dans un centre de recherche à Sophia Antipolis, Michel
Gschwind crée ARECO après avoir obtenu une licence sur un générateur
de gouttes à ultrason. Ces ondes à très haute fréquence génèrent un
brouillard extrêmement fin. Le domaine d'application le plus prometteur
était la nébulisation des étalages de produits frais sur le lieu de vente afin
d'en maintenir la fraîcheur. La proposition de valeur initiale était basée sur
le maintien de la fraîcheur et la perte de matière. Sachant que la teneur en
eau des fruits et légumes se situe entre 85 % et 90 %, ARECO est mainte
nant en mesure de préciser sa proposition de valeur : réduire de 50 % la
perte de poids liée au dessèchement, maintenir un haut niveau d'hygiène et
de garder la texture et les qualités organoleptiques des produits. Cela a été
rendu possible grâce aux données fournies par les clients et des mesures en
laboratoire (www.areco.com).
1 . La méthode ISMA 360° a été développé par Dominique Vian, professeur à SKEMA Business School.
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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques
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2.3 Le business model
« Le business model est la description pour une entreprise des méca
nismes lui permettant de créer de la valeur à travers : la proposition de
valeur faite à ses clients, son architecture de valeur, et de capter cette
valeur pour la transformer en équation de profits » (Lehman-Ortega,
2008). Le business model est aujourd'hui un élément clé d'une straté
gie d'innovation. En effet nous avons aujourd'hui de très nombreux
exemples d'entreprises qui ont innové en proposant un autre business
model, par exemple en repensant la proposition de valeur associée à des
coûts faibles afin de séduire des clients sensibles aux prix, ou encore de
remplacer un produit par un service.
Le business model n'est pas un modèle normatif ou prescriptif. C'est
un cadre de conception et de créativité qui permet de faire émerger la
stratégie de l 'entreprise et d'identifier les éléments clés de sa mise en
œuvre. Les éléments pris en compte par le business model dépendent
des auteurs. La proposition d'Osterwalder et Pigneur (20 1 0) offre une
représentation adaptée à la conception d'une nouvelle activité. Il pro
pose de décrire dix composantes de l 'activité, en mettant en évidence
les interrelations entre elles.
Pour les jeunes entreprises innovantes le business model constitue un
outil stratégique particulièrement pertinent. En effet, les entrepreneurs
des entreprises technologiques ont une propension à survaloriser le rôle
de la technologie dans la construction d'une stratégie. Le business
model, qui ne prend pas la technologie en tant que tel, oblige à penser
« marchés » et « ressources », ce qui pousse les entrepreneurs à décou
vrir la complexité du processus d'innovation dans lequel ils sont enga
gés, et en particulier la proposition de valeur qu'ils offrent au marché.
Le business model permet de mettre en évidence les interactions entre
les composantes de la nouvelle activité d'une part et il oblige à prendre
en compte simultanément la formulation de la stratégie et les éléments
clés de mises en œuvre, comme les ressources ou les activités.
2.4 Les différentes postures de la stratégie
Dans la partie précédente nous avons identifié et analysé la boîte à
outils stratégiques en mettant en évidence l 'usage spécifique de certains
de ces outils pour la jeune entreprise innovante. Mais si l 'on veut
comprendre ce qui fait réellement la différence entre les entreprises
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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3
établies et les jeunes entreprises innovantes, c'est probablement du côté
de l 'approche ou de la posture qu'il convient de regarder. Pour aborder
ce point, nous proposons de le traiter sous deux aspects : la stratégie
émergente versus la stratégie délibérée d'une part et la démarche
effectuale versus la démarche causale d'autre part.
1 la stratégie émergente versus la stratégie délibérée
La vision de la stratégie depuis Ansoff jusqu'aux années 1980, qui
constitue l'école de la planification ou celle du positionnement de Por
ter, consistaient à formuler une stratégie et ensuite à la mettre en œuvre.
Cette démarche est qualifiée de stratégie délibérée. En réaction à cette
conception linéaire, Mintzberg ( 1 999) propose une stratégie organique
et progressive. Il souligne que la réflexion (formulation de la stratégie)
et les actions (mise en œuvre de stratégie) se produisent souvent simul
tanément. Au lieu de la formulation de la stratégie, il préfère se concen
trer sur les processus plus large de la formation stratégique qui signifie
l 'émergence d'un modèle orienté par des actions grâce à l ' interaction
entre action et pensée.
Le monde dans lequel les organisations vivent est trop complexe et
trop incertain pour être analysée et contrôlée. Par conséquent, il est plus
judicieux « d'avancer à petits pas » et de compter sur l 'expérience
accumulée et les erreurs commises afin d'apprendre et d'améliorer
l 'action pour la prochaine étape ou tentative. Les essais et les erreurs
deviennent des facteurs importants de la stratégie car elles permettent
l'apprentissage par la pratique. Mintzberg inverse la traditionnelle
démarche stratégique de « penser avant d'agir » avec la suggestion
« agir avant/pendant que vous pensez ».
Cette approche de la stratégie émergente rend probablement mieux
compte de la démarche utilisée par les entrepreneurs pour élaborer la
stratégie de leur jeune entreprise.
1 la démarche effectuale versus la démarche causale
Les travaux de Sarasvathy (2001), nous permettent d'aller plus loin
dans l 'analyse de la démarche des entrepreneurs. La différence de
démarches entre entrepreneurs et managers avait déjà été identifiée et
documentée en mettant en évidence des compétences et des attitudes.
Saravathy va plus loin en analysant la différence de posture entre les
deux types d'acteurs. En effet les managers agissent par rapport à des
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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques
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objectifs précis qui ont été définis et, pour les atteindre, ils mettent en
œuvre des stratégies qui consistent à utiliser des moyens dont ils dis
posent. Cette démarche, qualifiée de causale, fonctionne lorsque le
futur est prédictible, c'est-à-dire lorsque l' incertitude est faible.
À l ' inverse, la posture qualifiée d'effectuale par Sarasvathy, consiste
à partir des moyens existants, ou accessibles, et à imaginer des finalités
possibles. Il s'agit donc de se concentrer sur ce que l 'on maîtrise (les
moyens) plutôt que l ' on ne maîtrise pas (le futur). C'est donc l 'action
menée à partir des moyens existants qui permettra d'atteindre l 'une ou
l 'autre des finalités envisagées. Une fois qu'une finalité est atteinte, on
pourra à nouveau recommencer le processus. Ainsi Michael Dell fon
dateur de Dell n'a pas commencé par concevoir le « modèle direct » qui
lui a permis de créer un leader mondial dans le PC, mais à assembler
des PC dans sa chambre d'étudiants, en achetant des composants et à
les vendre autour de lui.
Chacune de ces deux démarches, causale et effectuale, est évidem
ment pertinente en tant que telle. Leur condition d'usage est dictée par
le niveau d'incertitude dans laquelle se trouvent les activités envisa
gées. La posture causale suppose que le futur est relativement
prédictible, alors que la posture effectuale est particulièrement adaptée
lorsque le futur est incertain. Les jeunes entreprises innovantes qui
agissent en général dans des environnements incertains auront ainsi
tendance à agir de manière effectuale dans les premières phases de la
vie de l 'entreprise. Les entreprises situées dans des environnements
moins turbulents auront profit à agir dans un mode causale.
Dans cette section nous avons rappelé l 'évolution de la stratégie, en
mettant en évidence les outils, concepts et postures adaptés aux JETI.
Section 3 UN MODÈLE INTÉGRÉ DU DÉVELOPPEMENT DE CES ENTREPRISES CLÉS
Dans les sections précédentes nous avons mis en évidence certains
éléments spécifiques aux stratégies des JETI : l ' incertitude, la difficulté
de définir la proposition de valeur, l 'absence de linéarité du processus
de développement, et enfin, la nécessité de prendre en compte la formu
lation de la stratégie et sa mise en œuvre. Pour tenter de prendre en
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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3
compte toutes ces spécificités, nous proposons une approche intégrée
(Bernasconi, 2008). Ce modèle s'articule sur deux concepts complé
mentaires : d'une part la représentation de l 'entreprise en création
comme un système et d'autre part la représentation du processus de
développement comme une succession d'états du système.
1 Piloter un système entrepreneurial
En s 'appuyant sur l'approche systémique, le modèle propose de
représenter une jeune entreprise comme un système ouvert. Il convient
donc d'identifier ces éléments, encore appelés dimensions ou attributs.
Bruyat ( 1 994) rappelle le consensus de la communauté scientifique sur
quatre éléments nécessaires pour l 'étude de la création d'entreprise : le
créateur, le processus de création, l ' environnement et l ' entreprise nou
velle. Sammut ( 1998) propose d'observer le processus de création en
prenant en compte simultanément cinq variables clés qui sont : l 'entre
preneur, les ressources financières, l'environnement, l 'organisation et
l 'activité. Ces cinq éléments, que nous avons retenus, vont être propo
sés successivement en mettant en évidence leurs rôles dans la création
des jeunes entreprises technologiques.
Le rôle de l'entrepreneur est central dans le processus de création
d'entreprise. Dans les entreprises technologiques, de nombreuses
études réalisées dans différents pays ont par ailleurs montré que l ' entre
preneur est rarement seul, mais qu'il existe des équipes entrepreneuriales
constituées de deux ou trois personnes, en particulier dans les projets
ambitieux à croissance rapide.
La relation entre l 'entrepreneur et l 'entreprise en création est d'ailleurs
si étroite qu'elle est qualifiée de dialogique (Bruyat, 1994), de dialectique
(Verstraete, 2001 ) ou encore de situation entrepreneuriale (Fayolle,
2004). Ces auteurs insistent sur l 'évolution conjointe de l'entrepreneur et
de son projet. Ainsi, si l 'on reconnaît l 'existence d'équipes entrepreneu
riales dans les entreprises technologiques, il convient d'étendre la situa
tion entrepreneuriale de l ' individu à léquipe. Cela signifie que l 'on
prend en compte l 'émergence de l'équipe, ses recompositions, suite à des
évolutions ou à des conflits, et sa transformation en une équipe de mana
gement.
Le deuxième élément du système est l'activité. De nombreuses défi
nitions existent. Celle qui définit l ' activité par le triplet technologie-
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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques
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produit-marché est particulièrement adaptée au propos. La définition de
l'activité telle que définie ici, est par nature l'objet des outils straté
giques que nous avons présenté. Le résultat le plus abouti de ce triplet
est la mise en évidence de la proposition de valeur, dont nous avons
noté la difficulté d'émergence. L'absence de linéarité du processus de
création de la jeune entreprise technologique est justement due au pro
cessus essai-erreur qui préside le plus souvent pour établir l 'activité de
l 'entreprise Perrot présentée précédemment.
L'organisation de l 'entreprise en création pose une difficulté. En effet
les travaux sur l'organisation émergente s'intéressent à la pré-création, et
les théories des organisations aux organisations existantes. Or dans le
processus de création, l'organisation est un continuum qu'il convient
d'observer. Pour les entreprises établies, le rôle de l'organisation et son
évolution ont été abondamment traités dans la littérature, identifiant les
phases par lesquelles passent les entreprises. Dans le cas particulier des
entreprises technologiques, Blais et Toulouse ( 1992) ont constaté des
degrés de formalisation différents des principales compétences de ges
tion en fonction des phases (intensité de la structuration, importance des
systèmes de gestion et des procédures de planification). Julien (200 1 )
insiste sur la nécessité de l'organisation de s'adapter par des pratiques
d'auto-réorganisation et une capacité à gérer l'improvisation.
L'environnement est omniprésent dans les approches de la création
d'entreprise. Il est souvent pris en compte de manière dominante dans
ses dimensions réglementaires et concurrentielles, et également comme
sources d'opportunités et de menaces dans l'approche stratégique.
L'environnement personnel de l 'entrepreneur est également un élément
important avant, pendant et après la création. L'entrepreneur, homme
social, est un produit de son milieu Filion ( 1997) et il dispose d'un
capital social (Bourdieu, 1 98 1 ) . C'est dans l 'environnement personnel
que les entrepreneurs vont puiser ressources, soutiens et crédibilité.
À ces deux types d'environnements il faut ajouter le territoire, ou
plus précisément le milieu innovant tel qu'il a été proposé par Aydalot
( 1986) et le GREMI. En effet depuis Marshall ( 1920), sous des vocables
et des approches différentes, économistes, géographes, sociologues, ont
exploré les caractéristiques tangibles et intangibles des territoires et les
avantages offerts aux entreprises : économies externes, accès aux res
sources et à l' innovation, etc.
Les resso urces financières des jeunes entreprises technologiques
ont des spécificités : le décalage entre les dépenses et les recettes,
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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3
l ' impact des décisions rapides sur la structure financière, l ' importance
des actifs immatériels et le besoin permanent d'évaluation de l 'entre
prise (Gasiglia, Gueye et Pistre, 2000). La multiplicité des acteurs du
financement, leur spécialisation par phase et par secteur ainsi que la
complexité des négociations expliquent le temps significatif consacré
par le dirigeant. À ce titre, le financement a toujours été considéré
comme un élément important dans nos travaux.
Ainsi on peut représenter une entreprise technologique en création
comme un système composé des cinq éléments qui viennent d'être rap
pelés (figure 3 . 1 ) . Le choix du nuage comme forme de contenant a été
préféré à une ellipse ou un rond qui délimiterait trop précisément le
dedans et le dehors. Il doit être interprété comme un contour flou et
poreux, et matérialise le concept de frontière proposé par McKelvey
( 1980) et repris par Gartner et Katz ( 1988) comme un des éléments de
l 'organisation en émergence.
Milieu (territoire)
Activité (Technologie - Produit - Marché)
t Entrepreneur(s)
/ \ Ressources Organ isation � � financières
Environnement compétitif et réglementaire
Environnement personnel
Figure J.1 - Le système représentant une jeune entreprise technologique
Afin de jouer son rôle de modèle de simulation, la représentation fait
cependant le choix de situer les variables sur lesquelles les entrepre
neurs ont un certain contrôle à l'intérieur du nuage. Les trois types
d'environnement décrits précédemment, situés par convention à l 'exté
rieur du nuage, sont individualisés pour souligner leur singularité.
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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques
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2 Réussir une création d'entreprise
Ayant défini l 'entreprise en création comme un système, nous allons
maintenant nous intéresser à la dynamique de la création. Pour ce faire
nous allons combiner deux approches complémentaires : les phases du
processus de création d'une part et le concept de projet d'autre part.
� Focus
L'entreprise et la logique projet L'entreprise peut être observée comme u n projet. Cet usage n'est pas naturel, car en gestion un projet est tradition nel lement défin i comme : « une u n ité organisat ionnel le dédiée à l 'atteinte d'un but, dans le cadre d'un budget et en conformité avec des spécifications de performance prédéterm inées » (Gaddis, 1 959) . Toutefois certains auteurs considèrent que la firme basée sur le projet (project-based firm) est une nouvel le manière de penser les organisations et leur management ou encore que la théorie générale du management de projet peut être app l iquée à tout projet, y compris une organisation (Soder lund, 2004). Knights et Muel Ier (2 004) proposent d'ai l leurs de considérer la stratégie comme un projet sans f in qui permet de prendre en compte simu ltanément la formu lation et la mise en œuvre, dans un processus conti nuel d'autoformation et de reconstruction .
En s'inspirant des trois phases proposées par Bygrave et Hofer
( 1 991) 1 et en intégrant l 'approche de l ' entreprise comme un projet,
nous proposons de considérer qu'une jeune entreprise en création passe
par une succession de projets identifiables : le projet d'affaires, le projet
d'entreprendre et le projet d'entreprise2.
À 1 ' origine d'une démarche entrepreneuriale, il y a l ' identification
d'une opportunité d'affaires par des individus qui deviennent potentiel
lement des entrepreneurs. À l ' issue d'un processus de création d'une
occasion d'affaires, ils structurent une proposition que nous appellerons
1 . L'identification d'une occasion d'affaires, l'exploitation de l 'opportunité, et la création de valeur.
2. Nous nous sommes également inspirés de l'approche de Bréchet (1994) sur la transformation du projet d'entreprendre en projet d'entreprise.
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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3
projet d'affaires. À ce stade, le système entrepreneurial décrit précé
demment ne comprend en général que quelques éléments incomplets.
S ' ils décident d'aller de l 'avant, ces entrepreneurs vont nécessaire
ment rentrer dans un processus de formulation plus précis des éléments
constitutifs du projet. Il s ' agit alors d'un nouvel enjeu, un projet nourri
évidemment à partir du projet d'affaires. À la différence du précédent,
il prend en compte l 'engagement des entrepreneurs et sera appelé donc
projet d'entreprendre. Il se caractérise par des choix d'orientations
stratégiques plus précis et une dynamique de développement plus expli
cite. Munis d'un projet d'entreprendre, les entrepreneurs déclarés vont
tenter de le réaliser par le développement d'un produit (ou d'un ser
vice), la mise sur le marché et la construction progressive d'une orga
nisation. Le système entrepreneuriat commence à apparaître. Les jeux
d'interactions se complexifient.
Ce n 'est qu'à partir du moment où l 'activité est validée par une pre
mière réussite commerciale et l 'apparition d'un business model robuste,
que le projet d'entreprise devient explicite. Les principaux risques ont
été éliminés, les orientations sont mieux affirmées et les routines pro
fessionnelles et organisationnelles commencent à être maîtrisées. On
voit alors clairement l ' entreprise qu'il faut bâtir. Les interrelations des
éléments du système entrepreneurial sont mobilisées et coordonnées
par rapport à l 'activité réellement établie.
Nous avons présenté les trois projets comme une succession harmo
nieuse de la création. Chaque projet est réussi et l 'on passe au suivant. Or
nous savons que ce n 'est que très rarement le cas et il est nécessaire que
le modèle représente ces retours en arrière. Imaginons que le projet
d'affaires ne soit pas convaincant, il y a alors une alternative, recommen
cer ou arrêter. Recommencer signifie que l' on est toujours dans ce projet.
De la même manière, un projet d'entreprendre, dont l 'offre ne trouve pas
le marché devra donc ou s'arrêter ou nécessiter une refonte importante.
La représentation de la création d'entreprise comme une succession
de trois projets présente un certain nombre d'atouts :
• La représentation de la création comme un système donne à l ' entre
preneur une représentation de la complexité de son projet qui favorise
la définition de la stratégie et de sa mise en œuvre.
• L'identification des trois projets permet aux entrepreneurs et aux per
sonnes qui les accompagnent de bien comprendre où ils en sont et les
enjeux du projet mené.
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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques
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• Le modèle proposé s' inscrit dans la stratégie émergente et la posture
effectuale qui conviennent mieux à la spécificité de la création
d'entreprises dans l ' incertitude.
La création des jeunes entreprises technologiques innovantes est un pro
cessus complexe et exigeant en raison de l' incertitude et des risques inhé
rents de l'innovation. Appréhender ce phénomène, le décrire et en donner
des représentations utiles aux entrepreneurs et aux publics qui les accom
pagnent nécessite de disposer d'outils et de représentations adaptées. Les
apports de la stratégie et de l'entrepreneuriat qui le permettent ont été
identifiés. Le modèle présenté tient compte de l'absence de séquentialité
du développement de ces entreprises et permet de prendre en compte
simultanément la formulation de la stratégie et sa mise en œuvre.
E S S E NTI E L
Les jeunes entreprises technologiques innovantes sont situées dans
des secteurs naissants et instables dont elles tirent parti. Elles ont
des difficultés à identifier et à capter les premiers marchés. La rela
tion entre l 'entrepreneur et le projet d'entreprise est très étroite. Les
besoins en investissement sont élevés et elles ont recours à des
investisseurs spécialisés. Pour toutes ces raisons les auteurs insis
tent sur l ' incertitude et le risque qui les caractérisent et on observe
un écart entre les prévisions et les réalisations. Les modèles straté
giques qui ont pour la plupart été conçus pour améliorer la position
compétitive dans des marchés existants ne sont pas adaptés aux
phases initiales de création. Certaines approches stratégiques et cer
tains outils comme la vision, la proposition de valeur ou le business
mode] sont des outils pertinents. Il s 'avère toutefois que la diffé
rence d'approche ne tient pas tant aux outils qu'à la posture, c'est
à-dire à la manière d'aborder la stratégie. Dans le cas des jeunes
entreprises, il est nécessaire de combiner la formulation et la mise
en œuvre comme le proposent la stratégie émergente et l'approche
effectuale. Un modèle qui représente l ' entreprise naissante comme
un système et qui identifie trois états d 'avancement du projet est
présenté. Il permet de tenir compte de l' absence de séquentialité du
développement de ces entreprises et de prendre en compte simulta
nément la formulation de la stratégie et sa mise en œuvre.
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La gest ion et l ' a n i m at ion des résea ux d ' i n novat ion
Thomas LOILIER
Albéric TELLIER
SaMMAIRE SECTION 1 Les réseaux d'innovation : cadrage théorique
SECTION 2 Les nouveaux modèles d'innovation : quel impact sur les réseaux ?
'
Apartir des années quatre-vingt, 1 'émergence de nouvelles
formes d'organisation de l'activité innovatrice et la proliféra
tion des accords portant sur les activités de recherche et développement
(R&D) ont contribué à relativiser les arguments en faveur de l ' interna
lisation, généralement présentée comme la meilleure garantie d' appro
priation des bénéfices issus de l ' innovation. Plusieurs auteurs vont
étudier les réseaux formés à l 'occasion de projets d'innovation et cher
cher à expliquer l 'émergence de ce type de structure en pointant ses
avantages (Teece, 1987). Le réseau permettrait l 'accès à des actifs
complémentaires, une mutualisation de certains coûts, une flexibilité
accrue et une meilleure réactivité.
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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation
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Parallèlement, d'autres travaux vont plus particulièrement s ' atta
cher à la relation entre innovation et géographie au travers de l 'étude
des systèmes localisés d' innovation. Ces réflexions, qui consistent à
s ' interroger sur la dimension spatiale de 1 ' innovation, vont être consi
dérablement renouvelées avec la percée des technologies de
l ' information et de la Communication (TIC) en raison de leur capa
cité à accroître les possibilités de coordination à distance (Rallet et
Torre, 200 1 ) .
Plus récemment, les importants changements économiques et techno
logiques (nouvelles technologies, économie mondialisée, frontières
floues entre les secteurs d'activités, raccourcissement des cycles de
vie . . . ) ajoutés à la montée en puissance d'acteurs liés à la R&D
(notamment les cabinets de capital risque) ont conduit de nombreux
auteurs à réaffirmer la nécessité de l ' innovation collective et à repenser
certaines logiques. En particulier, le modèle de « l ' innovation ouverte »
proposé par Chesbrough (2003) amène à repenser le rôle, la structure
et le fonctionnement des réseaux d' innovation.
La première partie permet de revenir sur la notion de réseau d'inno
vation. L'analyse effectuée met clairement en évidence l'importance de
la notion de confiance et le rôle de la proximité entre les acteurs. Le
rôle et le fonctionnement des réseaux dans un modèle d' innovation
ouverte sont abordés dans la deuxième partie de ce chapitre.
Section 1 LES RÉSEAUX D ' INNOVATION : CADRAG E THÉORI Q U E
-
1 Les réseaux d'innovation : de quoi parle-t-on ?
Les réseaux d' innovation peuvent être définis comme des ensembles
coordonnés d'acteurs hétérogènes (laboratoires privés ou publics,
entreprises, clients, fournisseurs, organismes financiers . . . ), qui parti
cipent activement et collectivement à la conception, à l ' élaboration, à
la fabrication et à la diffusion d'une innovation (d' après Maillat,
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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4
1 996, p. 84). La réponse généralement retenue pour expliquer l 'émer
gence de ce type de structure est la nécessité pour l ' innovateur
d'accéder à des actifs complémentaires (Teece, 1 987) pour mener à
bien son projet. Ces actifs correspondent à des moyens techniques,
financiers ou commerciaux indispensables à la création et/ou à la dif
fusion de l ' innovation. Pour les obtenir, l 'entreprise innovatrice va
être amenée à intégrer dans son projet des détenteurs de « compé
tences métier » (par exemple des concurrents qui maîtrisent des tech
nologies clés), de « ressources managériales » (en marketing, droit,
finance . . . ), des « facilitateurs institutionnels » , des clients pilotes, des
distributeurs, et ainsi former une véritable « communauté » d'innova
tion (Laban et al. , 1995).
EXEMPLE - Le réseau d'innovation de Rochester
À la fin des années quatre-vingt, la ville de Rochester (état de New-York)
est parvenue à développer en trois-quatre ans un projet d'appareil électro
nique de calibrage du verre en mobilisant des entreprises (notamment
Kodak et Xerox), des institutions consulaires, des organisations profession
nelles, des centres de recherche, tous issus de la région. Un dispositif for
mel de régulation permettait de piloter cet ensemble d'acteurs réunis autour
d'un projet innovant. Chaque semaine, des chefs d'entreprise, des mana
gers, des responsables d'établissements scolaires se rencontraient afin de
répondre aux difficultés imprévues et de réfléchir sur le développement à
long terme de Rochester (Gabor, 1 99 1).
Dans un réseau, aucun des membres ne dispose a priori de l ' intégra
lité des actifs indispensables au projet. Ainsi, les réseaux d' innovation
présentent deux caractéristiques spécifiques : la co-création d'actifs
endogènes et la forte incertitude inhérente au projet. Comme nous le
verrons par la suite, ces deux caractéristiques nécessitent la mise en
place de mécanismes de coordination fondés sur la confiance et le
contrôle.
Dans le cas du processus d' innovation, un certain nombre d'actifs
spécifiques ne préexiste pas à la décision de s'engager dans ce projet.
Ces actifs spécifiques dits « endogènes » (Boissin, 1999) se construisent
« en marchant » , au fil du processus d' innovation. Certaines compé-
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tences humaines (routines individuelles ou organisationnelles) ou phy
siques (nouveaux procédés, nouvelles machines, nouveaux produits . . . )
vont se développer à mesure de l 'avancement du processus d'innova
tion et doivent donc être considérées comme la résultante du travail
coopératif. Cette co-construction s'observe particulièrement au sein
des communautés d ' innovation où la mise en commun d' actifs
complémentaires donne lieu à un apprentissage collectif (le « faire
avec ») qui peu à peu devient un actif spécifique de première impor
tance.
Comme les questions posées par les projets d'innovation sont nom
breuses (conception, financement, protection, diffusion . . . ), les réseaux
ne peuvent fonctionner qu'en mobilisant une grande variété d' acteurs.
Les réseaux d' innovation apparaissent ainsi comme un ensemble de
communautés distinctes qui remplissent un certain nombre de fonc
tions spécifiques. Les travaux de Bernasconi et al. (2004) sur la
Silicon Valley et Sophia-Antipolis, deux clusters de haute techno
logie, permettent d'identifier douze pôles d'expertise assimilables à
des communautés de pratiques ayant des fonctions officielles (liées
essentiellement à leur expertise) mais aussi informelles (solidarité,
lobbying, conseil, cooptation . . . ) toutes aussi indispensables dans la
construction de la performance collective du réseau. Le tableau 4. 1 détaille la constitution de ces communautés et leurs fonctions for
melles et informelles.
........ IJ1
Copyright © 2013 Dunod.
Tableau 4.1 - Les communautés à l'œuvre dans un réseau d'innovation
Institutions universitai res 1 Pôles d'expertise pédagogique de formation du capital humain et des entrepreneurs potentiels
Centres de recherche (publics/privés)
Communautés d'experts au sein des grandes entreprises
Sociétés de capital risques
Cabinets d'avocat
Pôles d'expertise générateurs d'i nnovations appliquées (i.e. donnant l ieu à une utilisation dans le réseau)
Pôles de compétences technologiques et managériales capables de convertir des technologies en produits créateurs de valeur
Financeurs des entreprises tant en création qu'en développement
Pôles d'expertise juridique dans la création d'entreprise et l a protection des innovations
Cabinets de recrutement 1 Facilitateurs des mécanismes du marché des compétences (marché du travail hautement qualifié)
Cabinets de consultants
Cabinets d'experts comptab les
Cabinets de relations publiques
Banques commerciales
Banques d'i nvestissement
Journal istes
Pôles de développement et de diffusion des expertises managériales
Pôles d'expertise comptable (en particulier pour les PME) avec comme expertise spécifique la valorisation des actifs liés à l'innovation.
Pôles de médiatisation et de signalisation des produits des entreprises sur ses marchés
Pôles d'expertise dans la gestion des moyens de paiements et de financement du développement commercial des PME
Pôles d'expertise en matière d'introduction en bou rse et de cession des PME
Pôles de médiatisation des entreprises et de leurs produits
Sas entrepreneurial (accompagnement du projet de création pendant les études) et vecteur d'accumulation de capital social
Sas entrepreneurial (via notamment l'essaimage)
Sas entrepreneurial, réservoir de ressources humaines pour les PME, animateurs de réseaux et d'associations, incitateurs à la création (en tant qu'acquéreurs potentiels de start-up)
Faci l itateurs de partenariats (par mise en contact d'entreprises financées par leurs soins), conseils auprès des entrepreneurs, émetteurs de signaux (via leur décision d'i nvestissement ou de non investissement)
Facil itateurs
Pas de fonction informelle identifiée
Facilitateurs du transfert entre les meil leures entreprises des « best practices »
Pas de fonction informelle identifiée
Pas de fonction informelle identifiée
Pas de fonction informelle identifiée
Facilitateurs du développement commercia l de la technologie développée par une PME
Facilitateurs de la valorisation de la culture entrepreneuriale au sein du réseau
Source : adapté de Bernasconi et al., 2004, pp. 80-81.
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Ces communautés qui composent le réseau sont interdépendantes et
complémentaires. Cela signifie que leur intégration dans un projet col
lectif doit absolument répondre à deux exigences, la spécificité et
l ' exhaustivité :
- le principe de spécificité stipule que chaque communauté doit se dif
férencier des autres en ayant un ensemble de fonctions (officielle(s)
et informelle(s)) unique ;
- le principe d'exhaustivité exige que toutes les communautés recen
sées couvrent l 'ensemble du réseau, en particulier au niveau des
compétences nécessaires à l ' innovation.
La performance des projets d'innovation passe donc par la présence
suffisante de chaque communauté et par la qualité des relations entre
celles-ci
2 Comment fonctionne un réseau d'innovation ?
Si la formation du réseau s ' inscrit dans un processus finalisé (notam
ment proposer un nouveau produit), il n 'en demeure pas moins que le
contexte reste incertain . Le fonctionnement du réseau, comme toute
logique projet, est avant tout une affaire d ' intégration, de combinaison
de logiques différentes, de compromis entre des intérêts parfois diver
gents. L' incertitude peut être relative à la faisabilité technique du pro
jet, aux procédés de fabrication à développer, à la commercialisation du
produit nouveau. . . Accepter de participer à un tel réseau revient à
s 'engager dans un processus dont on ne peut a priori évaluer les coûts
et les bénéfices pour chacun des participants puisqu'il s 'avère difficile
d'imaginer les résultats du travail collaboratif. Maillat ( 1 998) note ainsi
que les acteurs d'un réseau d'innovation sont amenés à investir dans le
projet avant même d'être certains de réussir et qu'ils procèdent ensuite
par essais-erreurs et réorientations successives. Dès lors, il est crucial
de pouvoir s 'engager avec des partenaires « de confiance » qui feront
« de leur mieux » pour arriver à des résultats.
La confiance est ainsi le mode de coordination privilégié d'un réseau.
Celle-ci peut être définie comme « l ' anticipation qu'un partenaire à
l ' échange, ne s'engagera pas dans un comportement opportuniste,
même en présence d'incitations compensatrices de court terme et d'une
incertitude sur les bénéfices à long terme » (Chiles et McMackin, 1996,
p. 85). Le développement de la confiance peut se faire à différents
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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4
niveaux. On peut travailler avec un partenaire parce que l 'on a
« confiance en lui » et/ou par ce que l 'on sait que cette collaboration se
situe dans un cadre institutionnel qui offre des garde-fous. Les travaux
de Zucker ( 1 986) permettent d'identifier ces différents niveaux de la
confiance. L'auteur distingue en effet trois formes de confiance : la
confiance intuitu personae (characteristic based trust), relationnelle
(process-based trust) et institutionnelle (institutional based trust)
comme le précise le tableau 4.2.
Tableau 4.2 - Les différents modes de production de la confiance
Modes de production/ Fondements de la confiance Exemples Mécanismes de la confiance
Confiance intuitu personae
Confiance relationnel le
Confiance i nstitutionnel le
Caractéristiques propres d'un Famille, communauté,
individu ( la confiance est donc ethnie, culture, reli-
ici attachée à une personne) gion . . .
Échanges passés o u attendus, Loyauté, engagement . . . réputation, don/contre don
Une structure sociale formel le
garantissant les attributs d'un individu ou d'une organisation
Règles, code éthique,
standards professionnels, normes, marques . . .
Source : adapté de Zucker, 1986.
La confiance intuitu personae naît des caractéristiques personnelles
des individus. Ceux-ci peuvent par exemple appartenir à une même
ethnie, famille ou encore religion. Ces caractéristiques, qui ne peuvent
être produites à volonté, sont exogènes à la relation des acteurs. La
confiance relationnelle est en revanche inséparable de la relation prop
rement dite. Elle est finalement issue du savoir que l 'on peut détenir sur
l ' Autre grâce à des actions répétées (loyauté passée, services rendus . . . )
ou des informations, provenant d'un tiers, relatives à sa fiabilité (répu
tation par exemple). Ces deux formes de confiance sont avant tout inter
personnelles. La confiance institutionnelle est d'une autre nature.
Systémique, elle peut exister entre individus sans que ceux-ci ne se
connaissent ou n 'aient d'interactions directes les uns avec les autres.
Cette confiance caractérise celle que l 'on place dans les institutions
formelles comme par exemple les lois. Elle peut prendre deux formes :
un ensemble de signaux (par exemple une marque, un diplôme, la
norme ISO . . . ) émis par l'un des protagonistes qui réduit le champ de
ses comportements possibles ou l ' intrusion d'un tiers dans la relation
qui peut notamment rassurer les acteurs sur le résultat de cette relation
(par exemple une compagnie d'assurance).
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Si l 'on retient la représentation du réseau comme un ensemble de
communautés inter-reliées (section 1 et tableau 4. 1 ), la chaîne de
confiance peut être conceptualisée comme l 'ensemble des confiances
intra-communautaires complétées par la confiance inter-communautaire.
Autrement dit, deux types de confiance se distinguent dans le réseau :
- la confiance dans chaque maillon (chaque communauté) ;
- la confiance de l 'ensemble du réseau déterminée par la qualité de la
coordination des communautés dans les projets.
A priori, les deux sont nécessaires pour que le réseau puisse fonction
ner efficacement.
Les actes de confiance au sein des réseaux d' innovation prennent la
forme d'engagements qui s' intègrent dans une dialectique de dons et
contre dons (Bouty, 1 999 ; Ferrary, 2002 ; Loilier et Tellier, 2004) qui
introduit une réciprocité dans l 'échange. Plus précisément, ce que
donne chaque acteur au reste de la communauté (compétence tech
nique, réputation, information stratégique . . . ) ne fait pas l 'objet d'une
compensation immédiate mais d'une compensation différée dont la
nature n'est pas définie au moment de l' échange. Ce système permet
le développement de la confiance si les échanges sont équitables
c 'est-à-dire s ' ils « consistent à aider le partenaire lorsqu'il en exprime
le besoin et inversement, à ce qu'il fasse de même lorsque l 'occasion
s 'en présente » (Bouty, 1999, p. 10).
Il est cependant nécessaire de préciser le caractère complexe des
relations qu'entretiennent les acteurs du réseau. Même si le réseau
réunit des partenaires qui se font confiance et qui acceptent de donner
avant de recevoir, leurs relations ne peuvent se résumer à la coopéra
tion. Elles relèvent plutôt de la « coopétition » c'est-à-dire un mélange
subtil et variable de coopération et de compétition. Seul ce couplage
peut garantir à la fois la sécurité et la compétitivité du réseau en pré
servant la cohérence de l 'ensemble mais aussi en stimulant l ' innova
tion. Mais dès lors, si la confiance est le mode de coordination
privilégié du réseau, il est néanmoins nécessaire de disposer d'outils
de résolution de conflits, de dispositifs de sanction, de définition des
engagements . . . Même si chaque acteur pose l'hypothèse que les
autres membres ont la volonté réelle de coopérer et que les comporte
ments opportunistes seront ainsi quasi-absents, il est impératif de dis
poser d'une règle de réciprocité qui assure l 'équité des transactions
(Josserand, 200 1 , p. 1 9). Dans le cas du réseau d'innovation, cette
règle est celle de l ' exc.lusion des individus qui ne se révèlent pas
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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4
dignes de confiance. L'existence de cette règle qui agît comme un
« garde-fou », sécurisera les acteurs, incitera au comportement coopé
ratif (par exemple la transmission d'information) qui, en retour, ali
mentera la confiance au sein du réseau. Ainsi, non seulement le
contrôle et la confiance sont des modes de coordination complémen
taires, mais ils s ' influencent mutuellement.
� Focus
L'ana lyse du don dans les sciences sociales Le mécanisme du don analysé notamment par Mauss ( 1 950) en anthropologie, puis par Perroux ( 1 960) en économie, se décompose en trois séquences : donner, recevoir pu is rendre. l i convient bien à l 'acte i n novateur puisqu' i l est lu i -même u n pari : i l ne suppose aucun retour certain . Cel u i qui reçoit le don peut choisir de l 'accepter ou de le refuser. S' i l accepte, i l va à son tour donner pou r rééq u i l i brer la relation : i l rend. Après éval uation de ce contre don, un nouveau cycle peut être enclenché. On assiste alors à u n processus d'engagement progressif qui construit la confiance. La rational i té du don est ainsi ambivalente dans la mesure où :
- tout don suppose la confiance puisque cel u i qui donne se trouve dans l ' i mpossibi l ité d'évaluer a priori l a va leur de l'éventuel contre don. Fa i re u n don est donc u n acte i n certai n qui peut être éloigné de la rational ité économique stricte ;
- le don n'est pas désintéressé dans la mesure où i l présuppose un contre don. Perroux ( 1 960) a d'ai l leurs montré que, sous certaines conditions, la logique du don peut tout à fait renforcer l 'ordre marchand.
3 Quel est le rôle du territoire dans la constitution -
des réseaux?
L'émergence d' idées nouvelles par l a confrontation des points de vue
et la divulgation d'informations parfois stratégiques ne peuvent se faire
que par des interactions fréquentes, des relations de face à face permet
tant des discussions fluides et véritablement interactives. Aussi, la
proximité géographique est considérée comme un moyen permettant de
faciliter (en nombre et en qualité) les relations entre les acteurs
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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation
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membres du réseau, notamment dans les phases amont du projet. En
outre, cette proximité physique des acteurs est généralement considérée
comme un moyen de diffusion de la partie non codifiable des connais
sances et de limitation des coûts d'information.
La Silicon Valley, région de deux millions d'habitants située près de
San Francisco célèbre pour son dynamisme en matière d'innovation
dans le domaine de l 'électronique et de l ' informatique, peut être consi
dérée comme un bon exemple de réseau territorial d'innovation. Les
travaux de Saxenian ( 1994), Weil ( 1997) et Brasseur et Picq (2000) sou
lignent l ' importance du regroupement géographique des acteurs dans le
succès de cette région finalement de taille très modeste (75 km de long
et 20 km de large) et permettent de comprendre son fonctionnement.
Tout d'abord, un tissu industriel extrêmement dense et un important
vivier de scientifiques de haut niveau (les universités de Stanford et de
Berkeley sont proches) permettent une très grande mobilité des hommes,
des idées et des capitaux. La présence de nombreux facilitateurs (cabi
nets de capital risque, d'avocats, de conseils en business plan, pépi
nières . . . ) permet un nombre important de créations d'entreprise.
Ensuite, la proximité des clients accélère la prise en compte de leurs
besoins, la définition des fonctionnalités des nouveaux produits et le test
des prototypes. L'incertitude qui pèse sur l 'aboutissement des projets
d'innovation conduit à mobiliser les différents participants par des
accords très informels, fondés sur la confiance. Les partenaires se
connaissent souvent directement, ont déjà travaillé ensemble (voire col
laboré au sein d'une même entreprise) et les risques d'appropriation
unilatérale sont limités. Les relations formelles et informelles, mar
chandes ou non marchandes et les habitudes de travailler ensemble
génèrent une éthique de travail, des principes de solidarité et d'entraide
essentiels dans la constitution des réseaux territorialisés (Maillat, 1996) .
En effet, comme il y a une incertitude sur les compétences, informations
ou biens échangés, les acteurs du réseau doivent « socialiser » leurs
échanges, c 'est-à-dire les inscrire dans un groupe social qui a ses règles
de fonctionnement, ses coutumes, ses rites . . .
Les capital-risqueurs jouent un rôle essentiel dans ce processus de
socialisation. Ils exercent une véritable « force centrifuge » autour de
laquelle gravitent les acteurs économiques impliqués dans le processus
de création des entreprises innovatrices : juristes, chasseurs de tête,
grands groupes industriels, banques d'affaires, clients, fournisseurs . . .
(Ferrary, 2002, p. 64) En particulier, de par leur réputation, ils favorisent
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La gest ion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4
les mises en contacts, assurent les fonctions d'intermédiaires et, au-delà,
signalent la validité du projet à l'ensemble de la communauté. Dans la
Silicon Valley, les projets d'innovation qui passent par une création
d'entreprise apparaissent ainsi comme des réseaux très centralisés. Au
cœur du réseau, les capital-risqueurs centralisent les projets, les évaluent
et mobilisent les ressources nécessaires. La stabilité du réseau est assurée
par une double dépendance qui participe à l'émergence d'un sentiment
de confiance. D'une part, les cabinets de capital-risque, même s'ils sont
centraux, ont besoin des autres acteurs pour recevoir des projets d' enver
gure puis les mener à leur terme ; d'autre part, les acteurs économiques
ont besoin de ces cabinets pour intégrer des projets d'innovation.
� Focus
Les caractéristiques génériques des territoires innovants
De très nombreux travaux ont ainsi mis l 'accent sur le rôle du territoire dans la dynamique in novatrice sous des angles et des appe l lations divers : d istricts i ndustriels, c lusters, m i l ieux i n novateurs . . . De man ière générale, i l est fréquent de retrouver dans ces réseaux territoriaux des caractéristiques d'ordre économique, social, cu lturel et h istorique. Rousseau (2004, pp. 1 1 4- 1 1 5) en met en avant sept en s'appuyant sur la l i ttérature existante :
- u n territoire dél im ité et re lativement restreint ; - une densité élevée d'entreprises (pl utôt des petites et moyennes
entreprises) qui emploient di rectement une part importante de la population active du territoire ;
- u ne mono-activité dénommée « fi l ière » sur laquelle le réseau représente un chiffre d'affaires national ou international non négligeable ;
- une chaîne de valeur éclatée en activités i ndépendantes et complémentaires ;
- la maîtrise d'un savoi r-fa i re industriel souvent indissociable de la région d'origine (matières premières spécifiques, conditions géographiques particul ières . . . ) ;
- la présence active de faci l itateurs et d'accompagnateurs i nstitutionnels (organ ismes de formation, de recherche et de financement) ;
- le support en amont et en aval de la chaîne de valeur de nombreuses entreprises de services permettant la maîtrise des approvisionnements et donnant une assise sol ide au développement potentiel du réseau .
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Le recours à des pratiques de « coopétition » est possible car, en cas
de trahison, l'individu serait progressivement exclu des projets à venir.
En d'autres termes, dans ce type de réseau, il est rationnel d'être hon
nête car l'effet réputation d'un comportement opportuniste pourrait se
révéler catastrophique. Cependant, la sanction est dans ce cas sociale et
non légale : les informations sur le comportement opportuniste seront
diffusées au sein du réseau et inciteront chacun des membres à refuser
toute nouvelle collaboration avec le « tricheur » (Ferrary, 2002).
Les vertus de la proximité géographique sont donc nombreuses. On
peut d'ailleurs noter ici que le développement en France des pôles de
compétitivité repose bien sur ce postulat d'un lien étroit entre le terri
toire et l'innovation collective. Cependant, il s'est aussi développé dans
différents secteurs d'activités des réseaux a-territoriaux. Leur consti
tution a été rendue possible notamment par le développement des TIC.
Celles-ci peuvent en effet représenter un moyen de diminuer la
contrainte de proximité physique. On peut dès lors parler de « proxi
mité électronique » définie comme la possibilité détenue par les
membres du réseau de consulter, d'échanger et d'élaborer des données
informatisées. Par exemple, des projets de conception et de fabrication
industrielles font appel aujourd'hui à des « plateaux virtuels » (Favier
et al., 1999). Fondés sur l'utilisation de logiciels groupware de plus en
plus performants et de moins en moins coûteux (visioconférence, par
tage d'applications, maquettage collectif virtuel, « tableau blanc » élec
tronique, « brainstorming électronique » . . . ), ces lieux d'échange
électronique permettent à des équipes géographiquement disséminées
de multiplier les interactions et les collaborations dans le cadre de pro
jets industriels souvent de grande envergure.
Nous avons vu précédemment l 'importance de la confiance et de la
socialisation des échanges dans les réseaux d' innovation. Le problème
posé par la distance entre les acteurs de l ' innovation réside dans la dif
ficulté de rencontre en face-à-face ou, plus généralement, de connais
sance personnelle de l ' Autre. Comment parier sur la valeur du contre
don quand on ne connaît pas celui à qui l 'on donne ?
Les réseaux a-territoriaux mobilisent davantage la confiance système
et tout particulièrement la confiance institutionnelle pour pallier l ' ano
nymat des acteurs. Cette dernière permet en effet, comme l 'a démontré
Zucker ( 1986), de se détacher des protagonistes en garantissant soit
l ' identité et la qualité de l ' intermédiaire soit le respect de la qualité via
des normes. Il est important de noter ici que cette confiance de niveau
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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4
supérieur ne remplace par la confiance interpersonnelle (puisqu'au
final ce sont bien les individus qui échangent) mais permet de la géné
rer en socialisant l ' échange. Celui-ci ne s'effectue plus « hors contexte »
mais devient encastré et c' est cet encastrement qui produit la confiance.
Si les acteurs ne peuvent être proches par leur connaissance mutuelle,
ils vont le devenir à travers la connaissance partagée d'un tiers ou d'une
institution (règle, norme . . . ) qui va redonner du lien social et donc de la
proximité. Bien entendu, cette proximité est d'autant plus efficace que
tous ont connaissance de l ' institution et s 'y conforment.
Ainsi, les réseaux d'innovation distants qui fonctionnent seraient des
communautés qui sont parvenues à compenser la dispersion des acteurs
et le manque de relations, par des modalités d'organisation et de régu
lation profondément renouvelées favorisant l ' émergence d'un senti
ment de confiance envers des acteurs que l 'on n'a pas rencontrés.
Section 2 LES NOUVEAUX MODÈLES D' INNOVATION : QUEL IMPACT SUR LES RÉSEAUX ? -
Au cours des vingt dernières années, d' importants changements ont
bouleversé les secteurs d'activités et les entreprises. Des technologies
radicalement nouvelles ont fait leur apparition (le numérique, les biotech
nologies, les nanotechnologies, etc.), la concurrence est désormais mon
diale, les marchés sont de plus en plus concurrentiels, les frontières entre
les secteurs d'activités sont de plus en plus floues, des modèles d'affaires
nouveaux ont fait leur apparition (autour notamment de l 'exploitation
d'Internet), le cycle de vie des produits s'est considérablement raccourci,
etc. Si l'innovation est plus que jamais une arme concurrentielle à privi
légier, ces changements sont tellement lourds qu'il est apparu comme
indispensable de changer la manière d'envisager le processus d'innova
tion, en accentuant encore davantage son caractère collaboratif.
Depuis quelques années, un modèle semble se diffuser et trouver un
nombre d'adeptes toujours plus conséquent : le modèle de l ' innovation
ouverte (Open Innovation Madel). Si ce modèle s'appuie largement sur
une approche collaborative de l ' innovation, il conduit à renouveler la
question des acteurs à mobiliser et de leurs liens. En cela, s ' il tend à
renforcer l 'intérêt des réseaux d'innovation, il est également de nature
à modifier leur structure et leur fonctionnement.
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1 La montée en puissance de l'innovation ouverte
Le modèle d'innovation ouverte trouve son origine dans les travaux
d'Henry Chesbrough, aujourd'hui professeur à Berkeley. Ce modèle a
été présenté de manière synthétique dans un ouvrage de 2003, Open
Innovation : The New Imperative for Creating and Profiting from
Technology qui a eu un retentissement considérable tant chez les prati
ciens de l ' innovation que chez les chercheurs. Chesbrough relève
quatre évolutions majeures qui incitent selon lui à l 'adoption d'un nou
veau modèle d'organisation de l 'activité d 'innovation.
La première évolution est la disponibilité et la mobilité accrues
des travailleurs hautement qualifiés. Chaque année, les universités
et les grandes écoles forment des centaines de milliers de nouveaux
diplômés. Dans une économie désormais mondialisée, ces jeunes
talents peuvent proposer leurs services aux « mieux offrants ». Cette
foule de main-d' œuvre qualifiée peut également, par l ' intermédiaire
des TIC, être plus aisément consultée dans le cadre de la détection
ou du test de nouvelles idées. La deuxième évolution concerne le
développement considérable des sociétés de capital-risque (venture
capital) qui, nous l ' avons vu, jouent un rôle décisif en matière
d' innovation. Elles facilitent les créations d 'entreprises (start-up) et
les pratiques d'essaimage (spin-off) . La troisième évolution découle
de l 'accélération du changement technologique et de la disparition
progressive des frontières entre secteurs d'activités. Ce contexte est
de nature à offrir des débouchés pour des idées non utilisées dans la
firme. Enfin, la quatrième évolution est le développement des capa
cités de R&D des acteurs amont des filières industrielles, notam
ment les fournisseurs. Dès lors, il peut être judicieux pour la firme
cliente de développer des collaborations sur longue durée en matière
d' innovation, par exemple avec certains fournisseurs (lsckia et
Lescop, 201 1 ) .
Devant ce constat, Chesbrough milite pour un modèle ouvert dans
lequel la firme exploite les sources d'innovation (connaissances, bre
vets, compétences) disponibles dans son environnement (outside-in) et
cherche parallèlement à valoriser les résultats de sa propre R&D
qu'elle a décidé de ne pas exploiter en interne, par exemple un brevet
qui l 'éloigne de son cœur de métier (inside-out). L'effort d' innovation
doit donc se faire dans deux directions. D 'un côté il faut aller chercher
dans son environnement des ressources tangibles ou intangibles sus-
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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4
ceptibles d'être valorisées par l'entreprise. De l 'autre, il faut chercher
à valoriser les ressources internes de l ' entreprise en cherchant systé
matiquement de nouveaux débouchés dans ce même environnement
(ventes de brevets, essaimage . . . ). Si 1 'on accepte cette idée, on perçoit
aisément que les coopérations, les acquisitions, les prises de parti
cipation ou encore les pratiques de capital-risque sont potentiellement
des moyens majeurs pour capter des connaissances et technologies
nouvelles, les exploiter sous des formes variées et les mettre rapide
ment sur le marché.
La représentation suivante du modèle d'innovation ouverte permet de
mettre en avant ce point.
Base technologique externe
arché d'une
� Création d'une UJ entité nouvel le
Intégration par acquisition, al l iance
Notre
Notre marché actuel
Source : d'après Chesbrough H., « Open I nnovation : Renewing Growth from lndustrial R&D », 1oth Annual Innovation Convergence, 27 septembre 2004.
Figure 4.1 - Le modèle d'innovation ouverte
La firme doit être capable d'exclure du processus interne certains
projets qui l' éloignent de son cœur de métier. Elle peut créer une start
up, soutenir le porteur de l' idée dans un projet de création d'entreprise
par une participation au capital, trouver un financement auprès des
sociétés de capital-risque, etc. Dans le même temps, elle peut avoir
intérêt à passer des alliances avec des acteurs externes, faire l'acquisi
tion de jeunes entreprises à fort potentiel, acheter des licences d' exploi
tation sur des brevets jugés intéressants . . .
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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation
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EXEMPLE - Modèle d'in novation fondé s u r les acquisitions
Cisco Systems, entreprise fondée en 1 984, est progressivement entrée sur
les nouveaux marchés des équipements en télécommunication : commuta
teurs pour environnements LAN (Local Area Network), équipements
dédiés à la « Voice over IP » (VolP), aux solutions de sécurité, aux solu
tions de stockage en réseau . . . Il est étonnant de constater que ces innova
tions technologiques radicales ne résultent pas d'un effort de R&D interne
mais de la mise en œuvre d'une stratégie d'acquisition de start-up. De 1993
à 2007, Cisco Systems a acquis 1 25 entreprises pour une valeur cumulée
de plus de 43 milliards de dollars. En moyenne, ces entreprises ont été
acquises 4,5 ans après leur création. L'ancrage dans un territoire innovant
paraît ici décisif. En effet, Cisco est au cœur de la Silicon Valley et entre
tient des relations privilégiées avec des acteurs clés, notamment les cabi
nets de capital-risque (Ferrary, 2008).
Pour Chesbrough, la firme qui souhaite ouvrir son activité d' inno
vation doit mettre en place un processus de couplage dans lequel
l' inside-out et l ' outs ide-in sont complètement associés et partagés au
sein d'un réseau de partenaires variés : certains amènent des idées et
ressources, d'autres les intègrent dans leur propre base technologique
pour les céder parfois à d'autres partenaires qui assureront la mise sur
le marché. Si ce modèle repose donc bien sûr l 'utilisation de la forme
réseau, il introduit, comme nous allons le voir, des acteurs nou
veaux.
2 Des acteurs et des rôles nouveaux au sein des réseaux
Le modèle de Chesbrough met en exergue des acteurs déjà largement
présents dans les réseaux territoriaux d' innovation. Les start-up, les
centres de recherches publics et privés, les « facilitateurs » de toute
sorte (cabinets de conseil, pépinières, etc.) jouent bien un rôle clé dans
un modèle d' innovation ouverte. Au niveau des acteurs, l 'originalité du
modèle vient davantage de l ' importance accordée à deux types
d'acteurs nouveaux : les « apporteurs de solution » et les « intermé
diaires d'innovation » .
Tout d'abord, le modèle de l ' innovation ouverte, et notamment le
volet outside-in, repose sur l ' idée qu'il est désormais facile et peu coû
teux d'intégrer plus finement les usagers aux projets d'innovation par
le biais des TIC. Cette pratique d'appel à la « foule des anonymes »
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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4
pour proposer des idées ou traiter des problèmes semble d'ailleurs la
plus développée. On nomme crowdsourcing ce dispositif qui consiste à
utiliser la créativité et l 'expertise d'un grand nombre d'usagers (sou
vent des internautes). Dans le même temps, les pratiques d' inside-out
conduisent à proposer des idées (brevets) non exploitées à des acteurs
variés. Ces deux processus contribuent à l ' instauration de réseaux plus
étendus et plus flexibles. En effet, dans un réseau d' innovation tradi
tionnel (comme ceux présentés en première partie), l ' entreprise
s 'adresse à des acteurs identifiés avec lesquels elle s'est engagée dans
des relations durables.
Il reste ensuite que l' inside-out et l' outs ide-in ne peuvent fonctionner
que s'il existe un « marché des idées » permettant de mettre en contact
offreurs et acheteurs. Or, on observe bien le développement de sociétés
qui jouent le rôle « d'intermédiaires de l' innovation » . Elles se spécia
lisent dans la vente ou l 'achat de brevets (par exemple en France la
plateforme brevetavendre.fr), la collecte de fonds pour la création de
start-up, ou encore la mobilisation de talents externes pour régler des
problèmes.
EXEMPLE - Les intermédiaires de l'innovation
Développée à l'origine par le groupe pharmaceutique Eli Lilly, InnoCentive
est une plateforme qui permet à des entreprises de soumettre un problème
de R&D et à des chercheurs de gagner des primes en le résolvant. Le prin
cipe est simple. Une société envoie de manière confidentielle un problème
sur le site Web d'InnoCentive. Le chercheur qui apporte la meilleure solu
tion gagne une prime. En septembre 201 0, Innocentive annonçait environ
80 000 scientifiques inscrits, répartis dans plus de 1 70 pays. Boeing, Dow
Chemical, ou encore Procter & Gambie l 'utiliseraient. Quant aux primes,
elles vont de 5 000 à plus de 1 OO 000 dollars .
En France, PRESANS est également un apporteur de solutions innovantes.
La société possède un panel « d'experts » (chercheur, ingénieur, respon
sable de cellule de valorisation . . . ). L'inscription en tant qu'expert est gra
tuite. Les clients sont accompagnés par la société pour détailler leur
problème et le transformer en un « challenge technologique » qui sera
publiposté à l'ensemble des experts. Là aussi, la meilleure solution rem
porte la prime .
Sources : « lnnoCentive obtient le financement capital-risque de 9 mil l ions USD », PR Newswire Europe Ltd, 01/02/2010 - www.innocentive.com - www.presans.com
(sites consultés en septembre 2010).
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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation
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Comme on peut le constater avec ces deux exemples, i l existe poten
tiellement une multitude de communautés libres d'accès, chercheurs
universitaires, communautés virtuelles et même mondes virtuels, pou
vant représenter de véritables viviers d'idées et de capacités créatrices
pour des entreprises désireuses d'absorber des connaissances externes.
Par exemple, la communauté des logiciels libres offre de nouvelles pos
sibilités aux entreprises désireuses de réaliser ce qu'elles ne pourraient
accomplir seules dans des domaines liés à l ' informatique.
3 Se convertir à l ' innovation ouverte :
des zones d'ombres
Si Chesbrough vante les mérites de l'ouverture à la fois pour capter
des ressources externes et détecter des possibilités d'exploitation de
ressources internes, encore trop peu de travaux cherchent à détailler les
conditions de mise en œuvre d'une telle ouverture. Les recherches
récentes permettent néanmoins de souligner deux points clés (Loilier et
Tellier, 201 1 ).
D'une part, l ' adoption d'un modèle d'innovation ouverte ne signifie
pas forcément l 'abandon d'une activité de R&D en interne. Celle-ci
reste fondamentale pour permettre la valorisation des idées et des res
sources captées à l 'extérieur. Il y a donc une nécessaire complémenta
rité entre la R&D interne et les diverses pratiques d'ouverture
(acquisition, licences . . . ). Jusqu'où une firme peut diminuer son effort
de R&D interne au profit de l 'ouverture ? Quel est le seuil minimal de
R&D à conserver afin d'exploiter les idées et ressources externes ?
Pour le moment, ces questions restent en suspend. On peut néanmoins
poser que sans un effort de R&D « minimum », la firme risque d'être
dans l ' incapacité d'exploiter des idées et ressources développées par
d'autres. D'ailleurs, les cas utilisés par Chesbrough pour défendre son
modèle sont en majorité des grandes firmes (Xerox, IBM, Procter &
Gambie . . . ) qui investissent largement dans la R&D. Ainsi, l'ouverture
stimule plus qu'elle ne remplace la R&D interne, à la condition que la
firme ait développé une capacité à absorber les connaissances et res
sources collectées.
D'autre part, la co-création pose inévitablement la question de la dif
fusion des informations et connaissances tout au long du projet. À l ' intérieur de ces communautés « d'experts » plus ou moins virtuelles,
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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4
la multiplication des échanges a sans doute d'importantes répercus
sions sur la protection et la sauvegarde des actifs intellectuels. Les
enjeux et les pratiques en matière de brevets, licences, marques ou
encore secret industriel, sont profondément renouvelés. En particulier,
l 'utilisation des services d'un intermédiaire pour capter des idées à
l ' extérieur pose la question de la répartition des droits de propriété
intellectuelle entre trois acteurs : l 'entreprise, l ' individu apporteur de
l ' idée et l ' intermédiaire. Au-delà, l ' innovation ouverte peut sans doute
accroître les risques de fuite de connaissances protégées et inciter à
multiplier les dispositifs de contrôle. Là aussi, i l semble nécessaire de
socialiser les échanges afin de limiter les comportements opportu
nistes.
Il est donc assez curieux de constater que très peu de travaux s'inté
ressent à la dimension territoriale du modèle d'innovation ouverte. Si
la collecte d'idées auprès de clients plus ou moins représentatifs peut
aisément s'envisager « à distance », des dispositifs plus complexes
d'ouverture peuvent être difficiles à imaginer sans une proximité géo
graphique des acteurs concernés, notamment quand l ' innovation repose
sur la mise en œuvre de savoirs tacites.
Les récentes recherches menées par Belussi, Sammarra et Sedita
(20 1 0) sur l 'adoption d'un modèle d'innovation ouverte par les firmes
italiennes de l ' industrie des sciences de la vie situées en Émilie
Romagne semblent pourtant montrer toute l ' importance à accorder à la
dimension territoriale. Dans ce cas, le développement d'une logique
d'ouverture a eu un effet non négligeable sur la dimension spatiale des
relations. Historiquement organisées en un district industriel, ces firmes
de l 'Émilie-Romagne sont aujourd'hui engagées dans un ensemble de
relations avec des acteurs nationaux et internationaux tout en conti
nuant à tirer profit de la proximité géographique de certains acteurs. La
régénération de ce territoire innovant serait ainsi due à un maillage
réussi entre des acteurs historiques localement situés et des nouveaux
partenaires distants géographiquement. Les auteurs notent en particu
lier que si les collaborations de firmes à firmes se réalisent aujourd' hui
sur une base européenne voire mondiale, les acteurs continuent à privi
légier des liens avec des centres de recherche de proximité qui jouent
sans doute un rôle de « facilitateur ». Ils proposent d'ailleurs de dénom
mer Open Regional Innovation System ces dispositifs d'ouverture terri
torialement fondés. On le voit, les liens entre le territoire et l ' innovation
collective restent étroits.
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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation
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4 Manager le réseau d'innovation : les enseignements
La coopération innovatrice entre entités distinctes est au cœur de la
compétitivité. Il devient si délicat de détenir seul tous les actifs néces
saires que la mobilisation de plusieurs partenaires extérieurs devient
habituelle. Au niveau de la mise en œuvre du projet, la coopération
nécessite une diffusion des connaissances à la fois tacites et formalisées.
Or, depuis plus de quinze ans, les pratiques coopératives industrielles et
les recherches académiques ont globalement montré que cette diffusion
s'avérait facilitée par la proximité géographique des acteurs et les face-à
face. Les clusters, les pôles de compétitivité et autres réseaux territoriaux
sont la manifestation concrète de cette hypothèse implicite. Le dévelop
pement continu des TIC a bien entendu largement questionné cette hypo
thèse. Face aux multiples outils de communication qui sont apparus, la
nécessité de la proximité géographique a été en partie contestée ou en
tout cas relativisée. On parle alors volontiers de proximité électronique.
Ces nouvelles possibilités sont largement exploitées dans les modèles
dits « d'innovation ouverte » qui reposent notamment sur l'idée que le
Web peut désormais permettre de collecter des idées nouvelles ou de trai
ter des problèmes en s'adressant à la « foule des anonymes ».
E S S E NTI E L
La coopération innovatrice entre organisations distinctes conduit à
faire du réseau d'innovation une forme organisationnelle encore
plus souple et mouvante et contribue au développement de nou
veaux types d'acteurs, notamment les « intermédiaires de l ' innova
tion ». Il reste que la coopération innovatrice à distance pose le
problème de la protection des intérêts individuels et de la confiance
entre les innovateurs. Les incertitudes en matière d ' innovation sont
telles qu'il n 'est pas possible de tout prévoir donc de tout contrac
tualiser. Innover est toujours un pari qui nécessite de faire confiance
à l 'autre. Dans un réseau a-territorial voire « virtuel » , la confiance
peut être qualifiée de contextuelle : on ne fait plus confiance à
l 'autre mais à l'ensemble du contexte dans lequel s 'insère la rela
tion. La confiance attribuée à l'un des membres de la communauté
n 'est alors plus séparable de ceJle inspirée par le système.
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Les b revets, dép lo i e m e nt d ' u n e st ratég ie de p rotect ion ?
Cécile AYERBE
Liliana MITKOVA 1
SaMMAIRE SECTION 1 Le brevet : une diversité de fonctions aux finalités
stratégiques
SECTION 2 La P l au sein de Da none
SECTION 3 Le déploiement de la stratégie de P l ou l'articulation des différentes fonctions du brevet
L e brevet est un « titre délivré par l 'État qui confère à son titulaire
un droit exclusif d'exploitation de l ' invention qui en est l 'objet »
(Chavanne et Burst, 1 993, 25). En d'autres termes, il peut être défini
comme un avantage concurrentiel accordé à l ' inventeur (ou à son ayant
droit) qui bénéficie alors du droit exclusif d'exploiter directement ou
indirectement son invention (Breesé, 2002). En excluant les tiers de
l 'usage économique de l ' invention il permet à l ' innovateur de s'appro-
1 . Les auteurs remercient très sincèrement Monsieur Michel Carnielo, R&D General Counsel au sein de Danone pour sa précieuse contribution à cet article. Plus généralement, ils tiennent à lui exprimer leur reconnaissance pour sa collaboration active à leurs travaux sur le management de la Pl, et ce depuis de nombreuses années à présent.
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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?
92
prier la rentre de l 'innovation tout en diffusant l 'information technolo
gique sur l ' invention (Le Bas et Mothe, 2010). Rappelons, en effet, que
la publication du brevet est la contrepartie de la protection 1 •
Le système de brevet a donc été conçu comme un moyen d'inciter à
l'innovation en protégeant contre l'imitation tout en favorisant la diffu
sion des informations techniques. Dans cette approche reposant sur un
rôle d'exclusion du brevet, le détenteur en est à la fois l ' inventeur, le pro
ducteur et le distributeur. Au-delà de cette fonction première d'exclusion,
il est aujourd'hui largement reconnu que le brevet n 'est pas un simple
instrument juridique mais un outil stratégique aux utilisations variées :
« comme si le brevet devenait de moins en moins un outil pour protéger
l'innovation et de plus en plus un outil pour bloquer l ' innovation des
firmes rivales » (Le Bas 2002, 4). L'importance des motivations straté
giques conduit à une exploitation plus intensive du brevet (Corbel, 2005 ;
Lallement, 2008). Les nouveaux déterminants du dépôt n'apparaissent
plus uniquement liés à la volonté de maintenir la liberté d'exploitation,
mais aussi de mettre la pression sur les firmes rivales, de mieux négocier
des droits de propriété industrielle (via des licences notamment), d'ins
taurer des collaborations, ou de disposer d'un outil juridique dans le cas
d'éventuels litiges (Corbel, 201 1 ; Le Bas, 2002). Le management de
l'invention protégée par le brevet s'est donc complexifié.
Dans ce contexte, l 'objectif de cette recherche est de rendre compte
des différents rôles stratégiques attribués au brevet et de montrer
comment ils participent à la mise en œuvre d'une stratégie de propriété
industrielle (PI)2, elle-même au cœur de la stratégie générale. L'accent
porte sur la mise en œuvre de ces rôles au cours des différentes étapes
de la gestion des brevets. Pour cela, nous nous appuyons sur Danone,
leader mondial des produits laitiers frais, dont la stratégie de PI claire
ment orientée sur le maintien de la position dominante, repose sur l 'uti
lisation combinée de diverses fonctions du brevet.
1 . Intervenant 1 8 mois après le premier dépôt.
2. Bien que la propriété industrielle ne se résume pas aux brevets, nous employons ici ce terme.
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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5
Section 1 LE BREVET : UNE DIVERSITÉ DE FONCTIONS AUX F I NALITÉS STRATÉGIQUES -
Comme le souligne Lallement (2008, 2) « les nouveaux usages du
brevet en font non seulement un mode de protection contre l ' imitation
mais aussi une arme stratégique et une source primaire de création de
valeur » . L'objectif de cette première section est précisément de pré
senter ces nouvelles fonctions stratégiques ( 1 . 1 ) et de montrer leur
déclinaison possible selon les différentes étapes de la gestion des bre
vets ( 1 .2).
1 Les différentes utilisations stratégiques du brevet
À travers leurs multiples facettes, les droits de propriété intellec
tuelle, et le brevet en particulier, constituent un outil stratégique essen
tiel pour les entreprises. L'éditorial du numéro thématique de
Management International dédié aux nouveaux enjeux de la protection
définit ce que l 'on peut qualifier d'approche stratégique de la PI.
Conformément à Teece et al. ( 1 997), il s 'agit de s'interroger sur la
manière de bâtir un avantage concurrentiel, ce dernier résidant dans les
processus managériaux et organisationnels, façonnés par les actifs
(spécifiques) et les chemins qu'emprunte l 'entreprise. En d'autres
termes, il s 'agit bien de considérer les actifs de PI comme des moyens
d'obtenir un avantage sur le marché autre que par la seule exclusion des
concurrents. Une partie croissante de la littérature s ' intéresse à ce phé
nomène souvent qualifié de « brevetage stratégique » (strategic patent) .
Pour Lallement (2008, 4 ), ce brevetage stratégique montre clairement
que le « brevet a changé de statut et s 'apparente de plus en plus à une
arme cruciale dans le jeu de la concurrence » entretenant de fait une
« inflation de brevets » . Il consiste à accumuler des brevets non plus
uniquement à des fins d'exploitation (qu'elles soient interne ou externe)
mais à leur attribuer de nouvelles fonctions. Parmi ces fonctions on
notera notamment :
• Une fonction de signal afin d'indiquer un niveau de performance de
l ' entreprise, ou tout du moins, des compétences technologiques. Le
brevet est ainsi utilisé pour asseoir la réputation de la firme vis-à-vis
des parties prenantes au sens large, à savoir non seulement ses
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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?
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concurrents, clients ou fournisseurs directs mais aussi partenaires
potentiels ou encore investisseurs (Blind et al., 2006 ; Corbel,
201 1 ).
• Une fonction de coordination : le brevet est également de plus en plus
utilisé pour faciliter les accords de coopération entre organisations.
Cohendet et al. (2006) ont particulièrement développé ce rôle de
coordination du brevet dans le cadre d'une économie de la connais
sance. Pour ces auteurs, il s 'agit de dépasser la logique traditionnelle
centrée sur le brevet comme instrument d'incitation à l ' innovation au
profit d'une vision renouvelée privilégiant cette fonction collaborative.
Au-delà de la simple acquisition de technologies, le brevet est ainsi
un instrument de sécurisation essentiel aux pratiques d' innovation
ouverte (Chesbrough, 2003).
• Une fonction de négociation : dans cette perspective, le brevet est
bien un outil qui sert de « monnaie d'échange » dont on souhaite bien
entendu augmenter la valeur (Hall et Ziedonis, 2001) . Ce rôle se
retrouve surtout dans les secteurs à technologies complexes' (Grindley
et Teece, 1997 ; Guellec et al., 201 1 ) . Il permet ainsi au détenteur de
conserver la liberté d'exploitation de ses propres technologies, mais
aussi d'accéder aux technologies développées par d'autres (essentiel
lement par la participation à des « pools de brevets ») dans des
domaines où il est très difficile de ne pas être contrefacteur potentiel.
Prolongeant cette optique, le brevet peut être utilisé pour bénéficier
d'externalités de réseaux et développer un standard (Corbel, 2005 ;
Demil et Lecocq, 2002).
• Une possibilité de mener des poursuites juridictionnelles. Loin des
approches collaboratives précédentes, McDonough (2006) indique
ainsi que certaines firmes utilisent la PI avec pour objectif de saisir
des contrefacteurs potentiels et non pour mettre en œuvre des inno
vations.
• Une fonction de veille technologique (Granstrand, 1999 ; Pitkethly,
2001) . La législation impose au détenteur d'expliciter les caractéris
tiques de l ' invention lors du dépôt de la demande. L'exploitation des
1. Les industries complexes reposent sur des CoPS (Complex products and systems) c'est à dire des produits et des systèmes complexes. La complexité d'un produit peut être appréhendée à travers plusieurs dimensions telles que le nombre de composants, la diversité des inputs matériels et informationnels, le degré de «sur-mesure» à la fois du système et des soussystèmes ainsi que la complexité de l'architecture du système.
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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5
bases de données brevets fournit donc une source importante d' infor
mations 1 qui peuvent être notamment utilisées pour rechercher de
futurs partenaires, orienter l 'activité inventive ou encore repérer les
principaux concurrents en R&D et les contrefacteurs potentiels
(Ernst, 2003).
• Une fonction de blocage de la concurrence. Pour Le Bas et Mothe
(2010) le brevet bloquant est à ce titre un brevet dont le rôle straté
gique est un des plus importants. Les auteurs montrent que jusqu'aux
années 80 les firmes brevettent avant tout des innovations ayant une
importance pour leurs activités et donc qu'elles souhaitent directe
ment valoriser. Un virage s'opère alors, les entreprises déposant de
plus en plus de brevets de moindre importance autour de l ' invention
de base pour renforcer le pouvoir du brevet central (stratégie dite de
fencing). Elles procèdent ainsi à la formation de portefeuilles de bre
vets qui créent autant de blocage. Les auteurs montrent qu'ils ne sont
pas seulement utilisés pour bloquer les développements technolo
giques des concurrents mais aussi pour gêner leur accès au marché
lui-même. De fait ces brevets bloquants sont alors déterminants dans
les négociations.
• Des travaux récents prolongent la fonction collaborative du brevet.
Pénin et Wack (2008) proposent ainsi une utilisation renouvelée du
brevet à la manière du copyleft dans le secteur du logiciel. Le brevet
devient un moyen d'empêcher l 'appropriation d'une invention et de
sécuriser ses développements futurs. De la même manière que le
droit d'auteur a été utilisé dans le cas du logiciel, un tel rôle permet
à la fois d'empêcher l'appropriation et de contrôler l 'utilisation qui
est faite de la technologie à travers les contrats de licence.
Incontestablement, les utilisations du brevet ne se réduisent plus à
la fonction première de défense contre les contrefacteurs : « les pra
tiques sont passées d'une utilisation traditionnelle du brevet en tant
qu'élément essentiellement défensif (protection anti-contrefaçon) à
une attitude plus pro-active » (Lallement, 2008, 5) . Dans ce contexte,
le brevet est actuellement perçu comme « un instrument flexible dont
l 'utilisation gagne à être différenciée par rapport au contexte »
(Pénin, 2010, 50). Cette flexibilité est également à mettre en perspec
tive aves les différentes étapes de la gestion des brevets. Gérer des
1 . Elles offrent dans de nombreux cas l'avantage de la gratuité : Espacenet, USPTO et Epoline notamment.
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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?
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brevets suppose, en effet, la prise en compte de questions spécifiques
au cours de leur développement. Les pratiques stratégiques mention
nées ci-avant doivent donc être pensées tout au long de la gestion des
brevets.
2 Les questions stratégiques a u cours du processus de gestion des brevets
Pour pouvoir donner lieu à une innovation, l ' i nvention protégée
suit un processus en plusieurs étapes. Trois phases peuvent être dis
tinguées (Mitkova, 1999) : l ' émergence de l ' idée et le dépôt du bre
vet, les choix des modes de valorisation du brevet et l ' exploitation
effective.
2.1 Émergence de l'idée et dépôt d u brevet
Cette phase correspond à l 'émergence de l ' idée, à la réflexion sur le
type de protection choisie (loi ou secret) et aux opérations de dépôt et
d'acquisition lorsque la protection juridique est retenue. La première
question stratégique concerne la modalité de la protection choisie pour
obtenir un avantage concurrentiel. L'arbitrage entre protection par le
secret ou par le brevet a été longuement débattu par la littérature. La
résolution de ce dilemme repose sur une analyse de paramètres spéci
fiques à chaque dépôt : les conditions de brevetabilité, la difficulté à
imiter l 'invention (Campes et Moreaux, 1 995), le coût de la protection
et les prévisions du gain net actualisé (Campes, 1 987), la cohérence de
l ' invention avec les domaines d'activité considérés comme stratégiques
pour l 'entreprise (Ribault et al., 199 1) , la dynamique concurrentielle et
technologique, les stratégies de collaboration envisagées (Allegrezza,
1 998), et enfin la capacité à garder le secret (Hannah, 2005).
Une fois l arbitrage effectué entre protection par la loi ou par le
secret, lorsque le brevet est retenu, les actions d'enregistrement auprès
des différentes instances sont effectuées avec tout le formalisme et la
rigueur que cela suppose. Le recours à des cabinets externes, éventuel
lement spécialisés par secteur, peut être envisagé. Il convient ici de
déterminer des paramètres de protection qui sont décisifs pour l' exp loi-
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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5
tation future du brevet (description de l ' invention, territoires et durée de
la protection). À cette étape le rôle de la veille technologique est essen
tiel. La consultation des bases de données brevets aide à identifier les
paramètres de protection. L'étendue de la description et des revendica
tions lors de la rédaction de la demande de dépôt permet de décourager
les imitations, de construire une réserve technologique et de préserver
l'avantage concurrentiel. L'extension géographique, quant à elle,
dépend de la situation concurrentielle sur les marchés étrangers et des
objectifs de développement de 1 'entreprise (exportation directe, licence,
coopération).
Enfin, concernant la durée de la protection, les modèles cherchant à
évaluer la durée optimale (Pakes, 1 986) montrent que les brevets sont
maintenus en moyenne pendant la moitié de la durée législative, à
savoir dix ans. En résumé, les questions stratégiques clés à cette étape
sont les suivantes : le brevet est-il la meilleure protection pour obtenir
un avantage concurrentiel ? S ' intègre-t-il dans les DAS et marchés
actuels ? Sur quels territoires protéger selon les DAS et la stratégie de
conquête des marchés ? Quelles sont les revendications potentielles
pour bloquer le domaine technologique ? Dans quelle mesure le dépôt
modifie-t-il les relations avec les concurrents et le pouvoir de négocia
tion ? À quelles acquisitions de brevets procéder afin de créer ou de
renforcer les axes de recherche ?
2.2 Choix des modes de valorisation
Deux modes de valorisation principaux sont distingués : la valorisa
tion interne et la valorisation externe. La valorisation interne est le fait
du détenteur de l 'invention. Elle est généralement liée à la question de
la liberté d'exploitation. Elle s'inscrit donc tout naturellement dans une
approche monopolistique du brevet, l'objectif de chaque protection
étant de garder l'exclusivité sur l ' invention et sur le marché. Elle est
naturellement adoptée pour les brevets faisant partie des domaines
d'activités stratégiques. Le choix d'une valorisation interne implique
un suivi précis du brevet sur le marché ainsi qu'une activité importante
de veille (Marquer, 1 985). Plus précisément, il s'agit de faire face à la
contrefaçon, de se protéger contre les attaques, de renforcer les actifs
immatériels et/ou de créer des barrières via un « filet de revendications
potentielles ».
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Clairement le rôle du brevet comme instrument de poursuite juridic
tionnelle est ici mobilisé. En cas de menace celui-ci sera directement
utilisé pour assurer la liberté d'exploitation. Le brevet doit en outre
assurer son rôle de blocage de la concurrence en garantissant une
exclusivité de valorisation de la technologie sur le marché pour une
période donnée. La valorisation externe suppose quant à elle la rentabi
lisation du brevet sous différentes formes de la simple valorisation
marchande à des solutions plus intégratives reposant sur des modalités
spécifiques (accords de coopération divers pouvant aller jusqu'à la
joint-venture et la fusion). Le brevet est donc considéré soit comme un
moyen de collaboration facilitant l 'accès à des technologies concur
rentes et la structuration de partenariats, soit comme un pur actif
commercialisable (Corbel, 2005). La logique collaborative exige la
mise en place de critères et de procédures d'analyse des partenaires
potentiels, de suivi des opérations pendant et après les négociations
(Grindley et Teece, 1997).
2.3 Exploitation effective du brevet
La dernière phase, celle de l ' exploitation effective du brevet corres
pond à la mise en œuvre des choix de valorisation énoncés précédem
ment. Elle repose sur une surveillance permanente du portefeuille de
brevets. Des systèmes de pondération plus ou moins sophistiqués per
mettent une notation des brevets qui sont régulièrement passés en revue
par des comités multi-fonctions. Dans le cas d'une exploitation interne,
les enjeux clés sont liés aux risques technologiques, financiers et
commerciaux associés à ce mode de valorisation. En particulier, une
attention continue grâce à la veille doit être portée aux perfectionne
ments technologiques et à la surveillance active des concurrents afin de
maintenir le monopole et l 'efficacité de l'arme que constitue le brevet.
La valorisation externe, de son côté, présente des enjeux spécifiques
liés à la contractualisation qu'elle suppose. Par exemple, la licence
implique une surveillance permanente de la bonne exécution du
contrat.
Même si les phases de gestion des brevets et les enjeux qui y sont
associés ont été présentés ici de manière relativement dichotomique, la
réalité est plus complexe. Chaouat ( 1 999) souligne ainsi que les entre
prises ont de plus en plus recours à des modalités de valorisation
mixtes. Par exemple un comportement « paix de brevet » , relatif à des
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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5
licences croisées, pourrait évoluer vers un achat de licence ou la
recherche de revenus. Toutefois comme le précise Ernst (2003) dans un
souci de clarification nous pouvons retenir que la valorisation interne
est à rapprocher de la protection en vue d'un monopole alors que la
valorisation externe suppose la rentabilisation du brevet sous diffé
rentes formes.
Comme nous l 'avons montré dans cette première partie, le brevet
remplit de nouvelles fonctions et ne se limite plus à l 'unique protection
contre l 'imitation. Il ne s'agit pas ici de nier cette fonction première
mais de montrer comment elle peut être complétée par les nouveaux
rôles stratégiques du brevet. Nous l 'avons souligné également, la ges
tion des brevets s ' inscrit dans un processus phasé déclinant des ques
tions stratégiques spécifiques au cours des différentes étapes. L'objectif
à présent est de rendre compte de l 'articulation de ces différentes fonc
tions mises en évidence tout au long de la gestion des brevets. Nous
pourrons alors montrer comment la variété des rôles permet de déployer
une stratégie de PI, elle-même au cœur de la stratégie générale. Nous
nous appuyons pour cela sur le cas Danone.
Section 2 LA Pl AU SE IN DE DANONE
Le groupe Danone est particulièrement intéressant pour étudier le
déploiement d'une stratégie de PI centrée sur les différentes utilisations
du brevet. Leader national de l 'agro-alimentaire avec des positions de
numéro 1 mondial dans plusieurs activités, il a toujours fait de la pro
priété industrielle un moyen de maintenir sa position dans un environ
nement concurrentiel. Depuis une dizaine d'années, le groupe a
également connu de nombreux changements tant stratégiques
qu' organisationnels qui ont directement concerné l 'activité PL
1 L'innovation, vecteur de développement
1.1 Ch iffres clés et stratégie généra l e
Dan one suit une stratégie centrée sur l ' innovation au sein de quatre
segments (produits laitiers, eaux en bouteille, nutrition infantile et
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nutrition médicale) qui « correspondent aux évolutions des besoins et
des tendances lourdes de consommation » (F. Riboud, rapport d'acti
vité 201 0). Leur contribution au chiffre d'affaires est la suivante :
produits laitiers (57 % ) , nutrition infantile (20 % ) , eaux en bouteilles
( 1 7 % ) et nutrition médicale ( 6 % ) 1• Ces quatre segments rendent
compte d'une claire évolution vers l ' alimentation santé. Ce position
nement repose sur une forte croissance externe avec le rachat de
Numico en 2007 et la création d'une co-entreprise avec Unimilk en
20 1 0. Premier fabricant européen d'aliments pour bébé, le néerlan
dais Numico présent dans une centaine de pays est également un
acteur clé de l'alimentation clinique. Cette acquisition a donc permis
à Danone de renforcer sa position internationale dans le domaine de
la nutrition et de la santé en intégrant via l ' alimentation clinique, une
nouvelle activité très spécifique. La création récente de la co
entreprise avec la société russe U nimilk a réuni les numéros 1 et 3 du
marché russe des produits laitiers frais. L'enjeu est, sur le cœur de
métier de Danone, d'accélérer le développement international sur les
zones géographiques ciblées dites « MICRUB2 » dont la Russie est un
acteur clé.
Danone réalise actuellement 80 % de ses ventes avec des positions
de numéro 1 mondial et 20 % avec des positions de numéro 2. C'est
cette volonté de conserver des positions de leader qui guide la straté
gie du groupe depuis que Franck Riboud en assure la direction et a
conduit au recentrage sur les quatre segments existants. Rappelons,
en effet, que jusqu'au milieu des années 90, le groupe se définit
comme un conglomérat adoptant une stratégie de généraliste autour
de neuf catégories de produits qui occupent des positions de troisième
et quatrième mondial. Le marché est alors constitué à 80 % de pays
occidentaux. La stratégie actuelle est radicalement différente. Sur ses
quatre segments, Danone souhaite être clairement identifié comme un
spécialiste au niveau mondial. Ainsi, le groupe est aujourd'hui le
numéro 1 mondial des produits laitiers frais, le numéro 2 mondial de
l 'alimentation infantile et des eaux en bouteille et le numéro 1
l . Précisons ici qu'en 2010 Danone a réalisé un chiffre d'affaires de plus de 17 milliards d'euros réparti comme suit : produits laitiers frais 9,7 milliards (en croissance de 6,5 %), nutrition infantile 3,35 milliards (en croissance de 8,9 % ), eaux en bouteille 2,8 milliards (en croissance de 5,3 %) et nutrition médicale l milliard (en croissance de 9%). Au total en 2010, le groupe a connu une croissance de 6,9 % (source : rapport d'activité 2010).
2. Acronyme mentionné par F. Ribaud (rapport d'activité 2010) désignant le Mexique, l'Indonésie, la Chine, la Russie, les États-Unis et le Brésil.
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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5
Européen pour la nutrition médicale. Recentrage et dimension inter
nationale apparaissent donc comme les maîtres mots de la stratégie
actuelle. Dan one réalise 49 % de son chiffre d' affaires dans les pays
émergents (où sont présents deux tiers de ses effectifs) et 1 0 % en
Amérique du Nord. Le modèle est jugé peu risqué puisqu'aucun pays,
à part la France et la Russie, à 1 1 %, ne représente plus de 8 % du
chiffre d'affaires.
1.2 L'innovation et l'a l imentation sa nté
Dans un contexte mondial marqué à la fois par un renforcement de
la réglementation alimentaire' et l 'entrée de nouveaux concurrents,
l'objectif de Danone est de se différencier par l ' innovation dans l 'ali
mentation santé. Le groupe consacre environ 1 ,5 % du chiffre
d'affaires soit plus de 200 millions d'euros annuels en dépenses de
R&D, dispose au niveau mondial de plus de 1 000 chercheurs (la
grande majorité d'entre eux étant localisée au centre de recherche
Daniel Carasso à Palaiseau et à Wageningen en Hollande), gère un
portefeuille de 4 1 5 brevets et dispose de 4 500 souches et de bactéries
lactiques.
L'innovation concerne bien entendu le développement des produits
mais aussi les emballages. Concernant les emballages, « le recours à
des matériaux d'origine non fossile est l'une des priorités de la stratégie
d' innovation du groupe en matière de packaging pour réduire son
empreinte carbone »2• Danone mène en ce sens d'importants travaux de
recherche avec des laboratoires et des fournisseurs avec pour ambition
de remplacer à terme les technologies issues du pétrole3. Concernant
les produits mêmes, l'objectif en termes de recherche est de mettre au
point des produits aux qualités santé avérées. Défendre « la santé par
l 'alimentation au plus grand nombre » a toujours été le moteur de déve
loppement du groupe. Mais l 'enjeu actuel est bien d'être autorisé à
1 . Voir au niveau européen notamment le règlement (CE) 178/2002 ou « Food Law » qui détermine les procédures relatives à la sécurité sanitaire des aliments en mettant l'accent sur la traçabilité amont et aval.
2. Rapport d'activité 2010, p. 14.
3. Un des objectifs clefs de la division Eaux est ainsi de parvenir à fabriquer dans un avenir proche une bouteille à partir de plastique issu à 100 % de biomatériaux.
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revendiquer des allégations santé1 pouvant déboucher à terme sur le
développement de véritables programmes d'action par l 'alimentation.
Une telle stratégie suppose des recherches amont menées en collabora
tion avec des organismes de recherche et laboratoires universitaires2•
Au-delà de l 'étude des ferments lactiques et pro biotiques qui sont au
cœur des travaux de recherche, les programmes communs visent
aujourd' hui le développement de connaissances sur des thématiques
encore largement à explorer telles que la caractérisation des bactéries
du tube digestif (leur cartographie, leur localisation et leur rôle dans le
processus de digestion). L'étude du fonctionnement du tube digestif est
un axe essentiel des recherches actuelles, l ' enjeu à terme étant de mon
trer le rôle de la flore intestinale dans les défenses immunitaires. De tels
programmes reposent également sur des études cliniques qui sont indis
pensables pour démontrer les bénéfices des produits et ainsi prétendre
à une « allégation santé »3. Le budget des études cliniques a, à ce titre,
été multiplié par 5 en 10 ans4•
Au-delà de l 'amélioration des qualités nutritionnelles des aliments,
l 'objectif en matière d'innovation est également de satisfaire au mieux
des consommateurs de plus en plus variés en termes de goûts et d'habi
tudes de consommation. L' innovation en aval concerne donc le déve
loppement de gammes et la déclinaison des produits selon les habitudes
locales. Par exemple, Activia conditionné en brique pour le petit déjeu
ner, a d'abord été lancé à en Scandinavie avant d'être commercialisé en
Irlande, au Royaume-Uni et en France.
1.3 L'organisation de la recherche : Danone Research
L'activité d' innovation est déployée au sein de Danone Research,
filiale à 1 00 % du groupe, qui gère l 'ensemble des ressources de la
R&D au niveau mondial. L'essentiel des équipes est intégré dans les
quatre divisions du groupe sur deux zones géographiques :
1 . Auxquelles ne pourront prétendre que les fabricants ayant réalisé les démonstrations scientifiques exigées par les règlements (EFSA en Europe et FDA aux États-Unis).
2. Par exemple : Washington University, Institut Pasteur, Wageningen University, Lawson Institute, INRA.
3. Notons à ce titre que Danone est fortement investie, auprès d'autres institutions (Afssa notamment) afin de développer en commun des expertises dans le domaine des allégations santé. L'objectif est bien de mettre en évidence et de caractériser des marqueurs aux effets bénéfiques sur la santé, et ce, dans le cadre d'une alimentation régulière.
4. Cette augmentation est cependant avant tout le fait de la nutrition médicale.
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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5
- le centre Daniel Carasso à Palaiseau pour les Produits Laitiers Frais
et Eaux. Il réunit 600 personnes 1 ;
- quatre centres en Hollande2 pour la nutrition spécialisée (infantile et
médicale) qui comprennent 200 personnes. En 201 2 les activités de
R&D de ces centres seront regroupées à Utrecht au sein d'un parc
scientifique selon le modèle du centre Daniel Carasso.
De plus, le groupe déploie des recherches dans des zones géogra
phiques spécifiques et dans certaines filiales en s'appuyant sur des
équipes locales3•
Lors de l 'intégration de Numico, l'accent a été mis sur le développe
ment de relations transversales entre les centres de recherche français
et néerlandais. La réalité des programmes et leurs spécificités respec
tives a rendu moins nécessaire cette transversalité, les deux centres
étant aujourd'hui davantage dans une logique de spécialisation4• Ils
développent chacun des programmes de recherche en amont avec
diverses institutions5 et sont en interne davantage centrés sur la dimen
sion applicative des connaissances et leur déclinaison dans les gammes
de produits. L'organisation de la R&D du centre Daniel Carasso est à
ce titre emblématique. En effet, plusieurs entités de R&D sont à distin
guer :
- R&D par gamme : celle-ci correspond aux gammes Activia, Actimel,
Danacol, Danonino (respectivement système digestif, immunité
cardiovasculaire, croissance osseuse) ;
- R&D pour les produits « de base ». L'objectif est ici de transférer les
paramètres de qualité sur des produits économiques pour le consom
mateur ;
l . Deux cent cinquante chercheurs, deux cent cinquante développeurs et cent personnes en « support » des activités de R&D (dont la Propriété Industrielle). C'est en 2002 que Danone a regroupé l'ensemble de ses activités de recherche au sein du centre Daniel Carasso. Auparavant, le groupe possédait plusieurs branches (bière, épicerie, produits laitiers frais, boissons, biscuits et verres d'emballage), chacune fonctionnant de manière autonome avec sa propre R&D (et gérant sa propriété industrielle).
2. A Wageningen, Zoetermeer, Cuijk et Schiphol.
3. Par exemple Danone a ouvert en septembre 201 1 aux États-Unis le « Dannon Discovery & Innovation Center ». L'objectif est d'accélérer les innovations de produits sur le marché américain des yaourts.
4. L'activité de R&D en matière de nutrition médicale est très particulière du fait de la mobilisation des recherches cliniques, du type de produit même (devant pallier une insuffisance) et de leur mode de commercialisation / délivrance.
5. En 2010 Danone a ainsi publié plus près d'une centaine de travaux dans des revues à comité de lecture.
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Chacune de ces équipes de R&D est gérée comme une entité à part
entière et est qualifiée de « cluster » ayant l 'entière responsabilité des
recherches et développements qui y sont menés. Toutefois, au-delà de
cette organisation en « cluster de R&D », le Centre Carasso bénéficie
d'expertises transversales autour de cinq entités amenées à travailler
selon les projets des clusters :
- nutrition, centrée sur les qualités nutritionnelles des produits ;
- gut Microbiology and Probiotics, spécialisée dans la caractérisation
des ferments ;
- clinicat Studies and Biostatistics ;
- sensorial and Behavior Science, dédiée aux études sensorielles et
consommateurs ;
- packaging et outils pilotes.
2 L'activité de protection par le brevet
2.1 La stratégie de Pl de Danone
Au cours des dix dernières années Danone a déposé de 15 à 40 bre
vets par an. Les principales zones de dépôt sont l 'Europe, les États
U nis, le Canada, l'Amérique du Sud et l 'Asie. La grande majorité
(75 % ) des brevets concerne les produits laitiers. L'objectif de la pro
tection est clairement de maintenir sa position de leader mondial sur les
produits laitiers fermentés ou non fermentés. La PI est donc « au ser
vice de la stratégie générale du groupe » (directeur PI). Elle suit une
forte orientation marché. Danone évolue dans un secteur où l'activité
de protection ne vise pas la recherche de licenciés par la valorisation
externe mais plutôt le maintien de la liberté d'exploitation par la valo
risation interne. Le dépôt (et le maintien éventuel) du brevet vise donc
très nettement un effet dissuasif. L'activité de PI est ainsi centrée sur le
maintien de la liberté d'exploitation, la lutte contre la contrefaçon et le
blocage de nouveaux entrants « nous déposons aussi quand nous esti
mons que nous pourrions être bloqués si un tiers déposait lui-même le
brevet, toujours avec cette idée de préserver notre liberté d' exploita
tion » (directeur PI). Il s'agit donc de rendre incontestables les posi
tions concurrentielles du groupe en utilisant la PI comme un moyen de
développer un « avantage compétitif juridique » (responsable Pl). Ceci
suppose bien entendu de maintenir la protection sur les process et
ferments « éprouvés » qui sont à la base de la définition des gammes de
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produits, mais aussi d'élargir la protection à de nouvelles connais
sances avec pour finalité l'obtention d'allégations santé. Notons ici que
cette stratégie défensive ne vise donc pas le dépôt systématique. Elle
est même complétée par d'autres démarches, moins lourdes et moins
onéreuses visant à assurer cette liberté, telles que l'enregistrement
mensuel des cahiers de laboratoires par un huissier. Cette démarche,
certes bien moins protectrice qu'un brevet, permet si besoin de saisir
une juridiction afin de démontrer une preuve d'antériorité (processus
obligatoire dans les contentieux aux États-Unis). Au-delà de cet intérêt
en termes de protection, elle entraîne les chercheurs à formaliser leurs
travaux et renforce de fait les processus d'innovation du groupe.
2.2 L'organisation de la Pl et du j uridique R&D
La protection est gérée au sein de deux entités Pl, l'une basée au
centre Daniel Carasso et l'autre en Hollande. Ces entités partagent la
même base de données brevet.
La direction PI en Hollande comprend sept ingénieurs brevet. Elle
assure la protection de la nutrition spécialisée, activité qui donne lieu à
davantage de dépôts que les branches produits laitiers et eaux (une qua
rantaine contre une trentaine de dépôts annuels).
La direction juridique gère les contrats avec les hôpitaux afin de réa
liser les études cliniques qui s'imposent en matière d'alimentation
médicale (une cinquantaine d'études par an).
La direction juridique R&D est rattachée à la Direction Générale du
groupe et est localisée au centre Daniel Carasso. Elle gère la protection
pour les divisions Produits laitiers frais et Eaux. Des liens fonctionnels
sont également établis avec la division PI de la Hollande et les
correspondants locaux. L'implantation dans les centres de recherche
permet une collaboration continue entre chercheurs et ingénieurs bre
vet.
La PI et le juridique R&D gèrent deux activités principales : la pro
tection par le brevet d'une part, et la contractualisation d'autre part. En
matière de protection, il s'agit à la fois d'inciter les chercheurs à dépo
ser1, puis à effectuer toutes les démarches relatives aux déclarations
d'invention, réaliser la veille, gérer les dépôts et le portefeuille de bre-
1 . Notons qu'à ce titre Danone a récemment mis en place un système de rémunération des inventeurs salariés français.
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vets. À côté de cette activité « traditionnelle » du département PI, l 'acti
vité dite de contractualisation est en plein développement. Celle-ci
concerne tout d'abord les contrats de recherches menées avec différents
organismes. Il peut s 'agir de recherches en amont telles que celles réa
lisées actuellement sur la fi.ore intestinale ou davantage finalisées. Dans
tous les cas, elles requièrent une claire définition du partage et de
l'exploitation des droits. Mais au-delà de la contractualisation de
recherche proprement dite, Danone a considérablement développé au
cours des cinq dernières années ses achats auprès de ses fournisseurs
externes (de 400 à 500 contrats par an contre 1 000 actuellement) deve
nant ainsi « acheteur d'innovations ». Ces fournisseurs sont des spécia
listes mondiaux de la « logistique des bactéries » auprès desquels le
groupe est amené non seulement à se procurer les bactéries nécessaires
à son déploiement international mais aussi à développer des recherches
communes 1 • Pour ce faire Dan one s'est doté de cellules Achat (environ
une dizaine de personnes localisées au centre Daniel Carasso et autant
en Hollande). Celle-ci comprend une entité de Sourcing Development
dont la mission est d' identifier les « fournisseurs d' inventions » . Les
cellules Achat travaillent conjointement avec la R&D et la PI et le juri
dique R&D. La coopération avec la direction Achat est essentielle afin
de s'assurer que les fournisseurs aient bien pris leur responsabilité de
PI d'une part, et de garantir le partage des droits dans le cadre de
recherches collaboratives d'autre part. La contractualisation avec les
fournisseurs externes repose sur un renforcement des liens entre la PI
et la direction juridique. Cette dernière s'appuie pour la rédaction des
contrats sur les compétences techniques et juridiques de l 'équipe PI. Le
directeur juridique est également membre du Legal board du groupe
qui se réunit mensuellement avec une volonté de développer la préven
tion juridique au niveau des quatre divisions et leurs unités opération
nelles locales .
Plus précisément, neuf personnes travaillent au sein du département
juridique R&D à Palaiseau : un directeur juridique (ancien chercheur
puis directeur R&D du groupe), trois juristes, trois ingénieurs brevets
répartis par compétences scientifiques (pour les biotechnologies, les
technologies industrielles et le packaging), un ingénieur veille techno
logique et une assistante. Chaque membre de l'équipe a des tâches
clairement définies :
1 . Ces dernières peuvent concerner les ferments mais aussi de plus en plus les emballages dans le cadre de la volonté de développer de nouveaux matériaux.
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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5
• Le directeur juridique R&D, qui rapporte hiérarchiquement au DG
R&D et fonctionnellement au directeur juridique groupe, assure la
coordination et la gestion du portefeuille de brevets pour les produits
laitiers frais et eaux. Il est membre de l 'équipe de direction de la
R&D et du legal board. La direction juridique R&D est également
impliquée au niveau des achats qui occupent, nous l 'avons vu, une
place grandissante dans l 'activité.
• Les trois ingénieurs brevets participent à l'avancement des projets
des chercheurs de 1 ' idée jusqu'à la réalisation industrielle. Leur rôle
est clairement d' inciter les chercheurs à protéger leurs inventions.
Ils gèrent également l ' interface entre la R&D et les cabinets
externes lors du dépôt de brevet ou en cas de litiges. Ils sont égale
ment impliqués dans les choix de valorisation et de gestion du por
tefeuille.
• L'ingénieur « veille technologique » effectue des bilans périodiques
sur 1 ' actualité mondiale des brevets et assure leur diffusion aux
équipes de R&D. Il a un rôle d' information auprès des chercheurs
mais vise aussi à orienter les travaux futurs. Cette veille joue donc
à la fois un rôle informationnel (dont l 'objectif est d' identifier dès
les phases amont de R&D ce qui risque d'être bloquant), mais éga
lement un rôle incitatif vis-à-vis de la communauté scientifique du
groupe.
• Les trois juristes interviennent à deux niveaux majeurs. Tout
d'abord, ils gèrent les aspects contractuels relatifs à la PI dans les
relations avec les fournisseurs d' innovation. Par ailleurs, ils rédigent
et suivent les contrats avec les partenaires tels que les universités ou
les « sous-traitants de la R&D » (les hôpitaux pour les tests cli
niques notamment). Le rôle du juridique est alors déterminant pour
définir les clauses de partage de la propriété industrielle. Ils mènent
en ce sens des discussions techniques en collaboration avec les
chercheurs et les ingénieurs brevets afin de mieux préparer les dos
siers de dépôt.
À Wageningen en Hollande, une dizaine de personnes travaillent au
sein de l'unité PI : un directeur brevets qui rapporte hiérarchiquement
au DG R&D et fonctionnellement au directeur juridique groupe,
accompagnés d'ingénieurs brevets, d'ingénieurs de veille technolo
gique et d'assistantes.
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La faible taille des deux départements PI impose le recours à des
unités externes. Des cabinets spécialisés en PI sont très fortement
mobilisés en fonction des projets et des zones géographiques concer
nées. Le choix des partenaires externes repose sur leurs compétences
et leur notoriété dans le domaine d' activité ou dans la région géogra
phique recherchée. Les cabinets ont en charge la rédaction de la
majeure partie des dossiers de dépôt de brevet. Ils effectuent le
dépôt national et l ' extension géographique de la protection. Ils sont
également sollicités pour le suivi financier du maintien des brevets
déposés.
Section 3 LE DÉ PLOI EMENT D E LA STRATÉG I E DE Pl OU L'ART ICULATION DES DI FFÉRE NTES FON CTIONS DU BREVET
Comme nous 1 ' avons vu, la stratégie de PI de Dan one est centrée sur
le maintien de la liberté d'exploitation et des positions de leader sur
l 'alimentation santé. Il s'agit à présent de monter comment cette stra
tégie est déployée selon les trois phases du processus de gestion des
brevets mentionnées précédemment : émergence de l 'idée et dépôt,
choix des modalités de valorisation, exploitation effective du brevet.
Nous montrerons comment, au cours de ces différentes phases, s'arti
culent les rôles du brevet mentionnés initialement pour servir la straté
gie de PI.
1 Émergence et développement de l'idée/dépôt des brevets
La première phase est scindée en deux étapes clés. La première
concerne le pilotage (émergence et développement) de l 'idée nouvelle
et la seconde le dépôt effectif. Le schéma suivant rend compte de cette
distinction, explicitée dans la figure 5.2.
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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5
PHASE 1 : ÉMERGENCE ET DÉVELOPPEMENT DES IDÉES / DÉPÔT DES BREVETS
1 .1 . Émergence et développement de l'idée Fonctions du brevet : veille technologique / coordination
Rôle de la Pl - Surveillance bases de données - Mise en place de la stratégie de
contractua 1 isation - Validation de la liberté d'exploitation - Coaching P l des chefs de projets
Prise de décision sur l'émergence de l'idée - Lancement ou arrêt de la Recherche - Contrats avec des fournisseurs d'innovation externes - Renégociation des contrats de R et de D - Mutation vers les unités de développement
Prise de décision sur le développement du projet - Conti nuer selon le plan - Continuer plus vite à cause de l a concurrence - Modifier et/ou arrêter (critères de marché)
Fonctions du brevet: signal I coordination I blocage
1 .2. Dépôt de brevet et extension de la protection
Rôle de la Pl - Décision sur la « brevetabilité » / extension - Lien avec les cabinets pour rédaction / dépôt - Tenue de la base de données brevet interne - Gestion du portefeuille
Décision sur le dépôt national - Publication ou secret - Prise de décision sur brevetabilité (études des critères) - Dépôt de la demande - Dépôt obligatoire : avec des fournisseurs ou des
instituts dans le cadre de col laborations conduisant à un partage dela P l
Décision sur les extensions - Liste « basique >>
- Liste des extensions
Unités organisationnel les : Comités de pilotage par gamme et par programme de recherche avec u n reporting bi-annuel en comité de direction
Figure 5.2 - Processus de gestion des brevets et décisions stratégiq ues : phase 1
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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?
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Concernant le pilotage, au sein de Danone, l'idée initiale résulte soit
de la recherche (largement orientée produit) soit des développeurs sen
sibles au marché parfois du marketing. Le centre de recherche Daniel
Carasso est le vivier des idées nouvelles mais les chercheurs du groupe,
localisés dans les filiales, participent également à l'émergence des pro
jets. Les product managers, responsables d'une gamme de produits ont
pour tâche d'établir des liens entre la recherche et le marketing afin
d'assurer la réactivité par rapport au marché et à la concurrence. Le
pilotage de ces idées proprement dit est assuré au sein des « comités de
pilotage par gamme et par programme de recherche », constitués des
membres des départements Recherche (directeur de la recherche, res
ponsable projet), PI (directeur PI, ingénieurs brevet) et Développement
(directeurs développement de la branche, leader projet).
Les questions débattues lors de ces comités portent sur le contenu
scientifique des projets et les moyens de les développer. Il s'agit donc
de faire un point sur l 'état de l'art de l' idée initiale, l'avantage compé
titif apporté et les risques technologiques et commerciaux. Plusieurs
possibilités sont envisagées pour chaque projet : accélération, ralentis
sement ou arrêt définitif, développement en interne, alliance avec des
fournisseurs/instituts de recherche. Les critères de décision reposent
sur la portée scientifique des projets au regard de la stratégie du groupe.
Ce sont donc ces comités qui fournissent le feu vert pour les lance
ments de projets. À cette étape, le département PI joue un rôle impor
tant dans l 'établissement de l 'état de l 'art du projet, la veille
technologique et la contractualisation éventuelle avec des partenaires
externes.
On le voit donc, deux rôles essentiels reviennent au brevet dans cette
première étape : la veille technologique pour évaluer la valeur scienti
fique du projet, et la fonction de coordination dans le cadre des contrats
avec les fournisseurs et les partenaires scientifiques sur des programmes
de recherche amont. Il s 'agit bien là de maintenir à terme la liberté
d'exploitation qui fonde même la stratégie de PI du groupe en maîtri
sant parfaitement les développement des connaissances par la veille et
en la renforçant par l 'accès à des innovations externes. Nous sommes
bien là dans le cadre de logiques d'intégration amont largement déve
loppées dans les travaux sur l 'Open Innovation (Chesbrough, 2003 ;
Dahlander et Gann, 2010)
Une fois l ' idée adoptée, elle est gérée par les « développeurs » . Le
développement se décompose en étapes :
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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5
- select : quel produit ? pour qui ? ;
- define : définition des caractéristiques du produit ;
- develop : prototype, nécessaire au lancement de projet ;
- implement : pré-lancement ;
- lauch : lancement.
La décision finale relève de trois possibilités : continuer selon le plan,
continuer à une vitesse supérieure en raison de la concurrence et de la
stratégie de la direction générale, modifier et/ou arrêter pour des rai
sons marketing. Le département propriété industrielle est un support
actif de l ' ensemble de ce processus. Il intervient notamment pour vali
der la liberté d'exploitation tout au long du déroulement du projet et
définir les clauses de propriété dans les contrats de collaboration avec
les fournisseurs. Le développement du projet est supervisé par au sein
des comités dans lesquels plusieurs pôles de compétences sont
réunis dans un processus formalisé : le développement (via les leaders
projets et product managers), le marketing (via des responsables projet,
marque ou zone géographique), la PI (via un ingénieur brevet), les
fonctions achats, industrielles, réglementaires et la recherche selon
nécessité.
La seconde étape de cette première phase concerne le dépôt de brevet
et l ' extension de la protection. Les questionnements clés concernent le
dépôt ou non, la possibilité effective de brevetabilité et la rédaction des
revendications. Ces décisions sont prises en collaboration avec les res
ponsables R&D, les ingénieurs brevets et les chercheurs pour chaque
gamme, et ce au cours des réunions des comités de pilotage par gamme
et par programme. Dans le cas de Danone, 50 % des projets innovants
font objet d'une demande de dépôt et 80 % des demandes sont déli
vrées. Ceci explique le rôle majeur des ingénieurs brevets dans la veille
juridique des demandes afin d'éviter les poursuites juridictionnelles en
raison du taux important d'opposition dans ce secteur d'activité. Ainsi,
le dépôt n'est pas systématique car, comme mentionné précédemment,
on ne protège que ce qui est au cœur du métier. Il s 'agit donc ici d'uti
liser le brevet comme un signal fort de performance technologique sur
des segments précis, et ce vis-à-vis des concurrents mais aussi des four
nisseurs d'innovation : très clairement le dépôt vise à signaler et
conforter les positions de leader tout en assurant la possibilité de colla
boration. Danone maintien à ce titre un portefeuille de brevets avec un
rôle essentiel de blocage de la concurrence pour assurer le maintien de
la liberté d'exploitation.
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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?
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Après le premier dépôt se pose la question de l 'extension de la pro
tection. Les zones de dépôt sont déterminées selon les objectifs straté
giques du groupe. Deux listes de pays sont établies. La première,
concerne les dépôts « basiques » pour toutes les inventions (Europe,
Russie, États-Unis, Chine, Argentine, etc.) et la seconde, des extensions
spécifiques selon les besoins des business units. À cette étape, l' organi
sation du processus de décision est informelle, elle ne repose pas sur
une structure spécifique. Le groupe privilégie le rôle clé de l 'expertise
d'interlocuteurs différents selon les spécificités des brevets.
2 Choix des modes de va lorisation et va lorisation effective des brevets
Après le dépôt interviennent les phases liées au choix des modes de
valorisation et à la valorisation effective des brevets. Ces phases sont
explicitées dans la figure 5 .3 .
PHASE 2 : DÉCISIONS SUR LES MODES D E VALORISATION DES BREVETS
Mode de valorisation = INTERNE (stratégie défensive) Fonctions du brevet : blocage de la concurrence / coordi nation
Rôle de la Pl
- Garantir le blocage de la concurrence - Accompl i r le rôle de coordination nécessaire au
développement des innovations futures (contractual isation)
Utilisations possibles du brevet dans la valorisation interne
- Brevet puissant : uti l isé pour « bloquer » les concurrents, gagner un avantage concurrentiel
- Brevet de moindre importance : dépôt et maintien opportun iste pour ménager le futur, motiver les chercheurs ou tout simplement «finaliser » un travail mené correctement
L - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 1
Unités organisationnel les :
Comités de
pi lotage par gamme et par
programme de
recherche
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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5
PHASE 3 : EXPLOITATION EFFECTIVE DU BREVET
Fonctions du brevet : blocage de la concurrence / coordi nation / veil le (maintien ou non de l'exploitation interne)
Rôle de la Pl
- Gestion de la base de données brevet - Vei l le concurrentiel le technologique - Implication dans les décisions de maintien/abandon - Analyse de la Pl dans les collaborations effectives
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - , 1 1 1 1 1
: - Maintien/abandon
Décisions
1 : - Nouvelles collaborations pour renforcer les positions 1
1 1 1 • - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - �
U nités organisationnelles : Comités de
pilotage par gamme et par
programme de recherche
organisés en vue des revues de portefeui l les
(au moins une par an) et
collaborations
informel les
Figure s.i - Processus de gestion d es brevets et décisions stratégiques : phases 2 et 3
Dans le cadre de la stratégie défensive explicitée précédemment, la
valorisation des inventions repose principalement sur une valorisation
interne. Celle-ci vise à procurer un avantage concurrentiel dans le cadre
d'une approche monopolistique du brevet. Les concessions de licences,
modalité clé de la valorisation externe, ne font pas partie de la stratégie
du groupe. Les achats de licences, quant à eux, sont effectués dans le
cadre des collaborations avec des organismes externes de R&D et avec
les fournisseurs d'innovations. L'exploitation, relevant donc ici d'une
valorisation interne, suppose un maintien des brevets directement liés
au cœur de métier. Ces décisions de maintien ou d'abandon sont le fait
de revues de portefeuille gérées par le département PL Une base de
donnée brevets interne, exclusivement consultée par la PI permet de
suivre les informations juridiques et commerciales. Elle est un outil clé
de la prise de décision de maintien ou d'abandon sur l 'ensemble du
portefeuille de brevets en France et en Hollande. Ces décisions sont
établies sur la base de critères relatifs à la couverture géographique de
la protection, la concurrence et le « score qualité » (juridique, techno
logique et commercial) des brevets. Le rôle des ingénieurs brevet et du
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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?
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responsable veille est donc essentiel. Au-delà de ce fonctionnement,
des expertises de certains acteurs clés ayant une connaissance appro
fondie des marchés et des produits du groupe, sont aussi requises de
manière plus informelle. On le voit donc ici, les fonctions de blocage
de la concurrence et de coordination du brevet sont essentielles mais
celle de veille revient au premier plan. Seule une surveillance active des
concurrents, des contrefacteurs potentiels et des fournisseurs permet de
décider du maintien des brevets et de leur exploitation future.
Cet article a permis de mettre en lumière différents rôles stratégiques
du brevet et de montrer leur articulation tout au long du processus. À partir du cas de Danone, nous avons pu montrer comment la défense de
positions de leader repose sur la définition d'une stratégie de PI, elle
même au service de la stratégie générale. Le déploiement d'une telle
stratégie suppose de combiner diverses fonctions qui interviennent dif
féremment dans l ' émergence de l 'idée et le dépôt, les choix de valori
sation et la valorisation effective des brevets.
E S S E NTI E L
Le brevet n'est pas un simple instrument juridique mais un outil
stratégique aux utilisations variées. Les nouveaux déterminants du
dépôt n'apparaissent plus uniquement liés à la volonté de maintenir
la liberté d'exploitation, mais aussi de mettre la pression sur les
firmes rivales, de mieux négocier des droits de propriété industrielle
(via des licences notamment), d' instaurer des collaborations, ou de
disposer d'un outil juridique dans le cas d'éventuels litiges. Le
management de l ' invention protégée par le brevet s 'est donc
complexifié. L'objectif de cette recherche est de rendre compte des
rôles stratégiques attribués au brevet et de montrer comment ils par
ticipent à la mise en œuvre d'une stratégie de propriété industrielle
(PI), elle-même au cœur de la stratégie générale. L'accent porte sur
la mise en œuvre de ces rôles au cours des différentes étapes de la
gestion des brevets (émergence de l' idée et dépôt, choix des modes
de valorisation et valorisation effective). Pour cela, nous nous
appuyons sur le cas Danone, dont la stratégie de PI clairement
orientée sur le maintien de la position dominante, repose sur l'uti
lisation combinée de diverses fonctions du brevet.
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Les st ratég ies d 'e xt e r n a 1 i sat i o n
Olivier MEIER
Audrey M1ssoNIER
Christophe ToRSET
SoMMAIRE SECTION 1 L'externalisation comme politique de changement
SECTION 2 L'externalisation : opportunités stratégiques ou menaces ?
SECTION 3 Étude de cas : l'externalisation des compétences centrales « périphériques »
S ous la pression de la globalisation de l 'économie, de la concur
rence et face à la réduction du temps de cycle de vie des produits,
les entreprises recherchent de nouvelles formes d'organisation fondées
sur une meilleure maîtrise de leur savoir-faire et une gestion optimale
de leurs activités stratégiques. Ces différents facteurs les conduisent à
mettre en œuvre des voies de développement qui favorisent l'exploita
tion de leurs avantages spécifiques et améliorent leurs capacités de
réaction face à des clients exigeants et à une concurrence de plus en
plus performante. En effet, afin de proposer des produits plus innovants
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
116
et de qualité, certaines entreprises se recentrent sur des activités amont
(recherche et développement, marketing, conception) ou aval (commer
cialisation, promotion), ce qui les conduit à optimiser 1 ' allocation des
ressources et à confier un certain nombre de leurs activités à des four
nisseurs extérieurs, en ayant recours à l ' externalisation. Ce chapitre
présente les caractéristiques de l ' externalisation, les changements
qu'elle entraîne, ainsi que ses principaux avantages et limites. Un cas
d'application vient conclure le chapitre.
Section 1 L'EXTERNALISATION COMME POLIT IQUE -
DE CHANGEMENT
1 Définition et déterminants de l'externalisation
La plupart du temps, l' externalisation consiste à confier la totalité
d'une fonction ou d'un service de l 'entreprise à un prestataire externe
spécialisé, pour une durée pluriannuelle. Celui-ci fournit alors la pres
tation en conformité avec le niveau de service, de performance et de
responsabilité spécifiés. En effet, comme le souligne l ' AFNOR ( 1 995),
« l' externalisation est un service défini comme le résultat de l ' intégra
tion d'un ensemble de services élémentaires, visant à confier à un pres
tataire spécialisé tout ou partie d'une fonction de l 'entreprise « client »
dans le cadre d'un contrat pluriannuel, à base forfaitaire, avec un
niveau de service et une durée définis » . Les éléments concernés par ce
transfert peuvent être des équipes de collaborateurs et des compé
tences, des actifs immobiliers et/ou mobiliers, des ressources et moyens
deproduction,desélémentsmatérielset/ouimmatériels.L'externalisation
s'inscrit donc dans une perspective stratégique menée par l'entreprise,
qui repose sur une analyse approfondie du cœur de métier de la firme,
des objectifs de croissance, des activités créatrices de valeur, des avan
tages concurrentiels distinctifs et des compétences clés ( core
competences).
L' externalisation est avant tout un mouvement stratégique qui
s 'oppose à l ' internalisation et à l ' intégration verticale des activités. On
entend par externalisation la passation d'un contrat avec un tiers qui
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
peut être un particulier, une entreprise privée, un organisme gouverne
mental ou une organisation non gouvernementale, en vue de l' exécu
tion de tâches spécifiques et/ou de la fourniture de services et des biens
connexes, selon des clauses et dans des conditions bien définies.
L'externalisation relève d'une décision de la direction générale qui vise
à redessiner le cœur de métier de l'entreprise et son périmètre d' acti
vité. En effet, l 'externalisation contribue à préciser l' intérêt stratégique
pour l'entreprise de continuer ou au contraire de sous-traiter certaines
activités à un prestataire extérieur dans le cadre de contrats à long terme
(Lacity et Hirscheim 1993 ; Fréry 1996). Comme en témoigne le baro
mètre présenté ci-après, plusieurs activités sont concernées par
l' externalisation.
EXEMPLE - Les activités concernées par l'externalisation
D'après le « Baromètre Outsourcing européen » piloté par Ernst & Young
(2008), les activités de 1' entreprise les plus souvent classées selon leur
degré d' extemalisation, sont les suivantes : les services généraux (76 % ),
distribution, logistique ou transport (73 % ), informatique/télécommunica
tions (68 % ), ressources humaines (59 % ), administration ou finances
(56 %).
Les tendances actuelles en matière de gestion des compétences clés
incitent de nombreuses entreprises à développer des stratégies d' exter
nalisation pour l'ensemble des fonctions, même celles jugées plus spé
cifiques, comme la production, le marketing, la recherche &
développement ou encore la gestion des ressources humaines. En effet,
l ' externalisation ne concerne plus uniquement les activités péri
phériques (nettoyage, entretien, restauration, sécurité, accueil . . . ) mais
porte aussi sur des activités qui contribuent à la création d'une partie de
la valeur de l'entreprise.
Cependant, bien que créatrices de valeur, elles sont très rarement au
centre du métier de base de l'entreprise. Ainsi, par exemple, on note
une externalisation de certaines activités RH qui s' inscrit dans une per
formance accrue de la fonction (Leroux et al, 2005). Ce type d'exter
nalisation s'étend aux activités de recrutement, évaluation, mobilité
mais aussi aux activités de gestion du personnel, à la gestion des
compétences, à la formation et également aux Directions des Res
sources Humaines dans certaines PME-PMI.
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
118
� Focus
La démarche d 'external isation Comme toute stratégie, l 'externa l i sation d'une ou plusieurs activités demande une analyse préalable de la situation de l 'entreprise et des perspectives en termes de réduction des coûts, d'efficacité (amél ioration de l 'existant/i nnovation), de souplesse et de s impl icité. De man ière générale, i l est poss ible d' identifier u n certa i n nombre de poi nts critiques à étudier avant d' in itier une te l le politique :
1 . Analyse de la stratégie de l'entreprise et de son modèle de déve-loppement.
2 . Étude déta i l lée de la chaîne de valeur économique de l 'entreprise. 3 . Identification des métiers et activités stratégiques à conserver. 4. Identification des zones éventuelles d'externa l i sation et des modes
de contractual isation. 5. Étude des coûts (avantages et des risques). 6 . Défi n ition des compétences internes à préserver ou à renforcer :
le manque de moyens humains dans le contrôle de la prestation peut par exemple constituer un obstacle.
7. Recherche du profil du prestatai re correspondant aux activités externa l i sables.
8. Clarification du contrat d'external isation (durée, prix, mesure de la performance, évol utivité de la prestation, gestion des contentieux, c lause de sortie . . . ) .
9 . Défi n ition des modal ités pratiques du contrat (mode de fonctionnement, système de contrôle, gestion des interfaces, centre de pi lotage . . . ) .
1 O . Établ issement du nouveau modèle économique : investissements et gains associés.
1 1 . Précision et offic ia l isation des critères de sélection, d'éval uation des résultats et de renouvel lement des contrats.
1 2 . Gestion antic ipée des aspects humains dans le cadre et en dehors du contrat (transfert de personnel, gestion des compétences, redéploiement des salariés . . . ) .
Préparation minutieuse du plan de communication (présentation du projet, i l l ustration de l 'offre, calendrier, tableaux comparatifs des avantages, résultats attendus . . . ) .
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
2 Sous-traitance, downsizing, reengineering :
quelles différences ?
L' externalisation est souvent confondue avec d'autres pratiques des
organisations, en raison des changements occasionnés au sein de
l 'entreprise d'origine, avec le retrait d'activités initialement gérées en
interne. Il est proposé de clarifier les spécificités de l ' extemalisation, à
travers ses différences avec les politiques de sous-traitance, de
downsizing et de reengineering.
2.1 Externalisation versus sous-traitance
La notion de sous-traitance a juridiquement un sens très précis . La loi
a ainsi défini la sous-traitance comme « l 'opération par laquelle une
entreprise confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une
autre personne appelée sous-traitant tout ou partie de l'exécution du
contrat d'entreprise ou du marché public conclu avec le maître de
l 'ouvrage » (article 1 de la loi n°75-1 334 du 3 1 décembre 1 975).
Si la sous-traitance présente certains points communs avec l 'exter
nalisation (division du travail , mouvement vers l ' extérieur, relation
interentreprises), celle-ci s 'en distingue sur quatre dimensions clés :
- l 'objet de la relation : la sous-traitance se définit notamment par
des obligations de moyens tandis que l ' externalisation oblige à des
résultats ;
- la durée de la relation, l 'externalisation se présente comme une rela
tion de long terme de type coopératif. Ceci peut d'ailleurs poser par
fois des problèmes à 1 ' entreprise cliente, compte tenu de la difficulté
de gérer des contrats dans la durée en termes de contraintes organisa
tionnelle (dépendance) et budgétaire ;
- la logique organisationnelle qu 'elle sous tend : 1 ' externalisation
modifie, par une soustraction de l'organisation hiérarchique (firme)
vers le marché, les frontières de la firme et la configuration structu
relle de ses ressources (Hamdouch, 1996) ;
- la possibilité de transférer une partie du personnel de la fonction
externalisée dans les effectifs du prestataire (Lacity et Hirscheim,
1993). Dans cette situation, le personnel de la fonction concernée
peut en effet être transféré chez le prestataire, où il intègre ses locaux
même s ' il peut également pour certaines activités œuvrer sur le site
de l 'entreprise mandataire.
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
120
EXEMPLE
Rhône-Poulenc a signé en 1 996 l 'un des plus gros contrats d'externalisa
tion de l ' informatique jamais observé en France. D'une durée de 7 ans et
d'un montant de près de 600 millions de francs, il impliquait le transfert de
80 employés et la mise en place d'une joint-venture, détenu à 50/50 par
Rhône-Poulenc et son prestataire, Axone.
2.2 Différences entre l'externalisation et les politiques de downsizing et de reengineering
L' externalisation a souvent pour corollaire la réduction de la taille
de l 'entreprise (Barthélémy, 2004), avec comme conséquence directe
une réduction de son périmètre d'activités (recentrage) et la diminu
tion totale de ses effectifs (transfert d'une partie de son personnel).
Néanmoins, l' externalisation se distingue fortement des politiques de :
- downsizing : le downsizing implique une diminution volontaire de la
taille de l 'entreprise (réorganisation) à travers des politiques de licen
ciement (réduction des effectifs) et la cession d'une partie de l 'outil
de production, en vue d'améliorer les résultats financiers de l 'entre
prise (profitabilité) ;
- re-engineering : le re-engineering se traduit par une restructuration
de la chaîne de la valeur de l 'entreprise et l'élimination des activités
qui ne créent pas de valeur pour l 'organisation. Dans le cadre de cette
politique, la structure organisationnelle de l ' entreprise va par consé
quent être redessinée de façon radicale (remise à plat des processus/
redéfinition des activités opérationnelles) en fonction des sources
potentielles de création de valeur, au niveau des performances cri
tiques que constituent aujourd'hui les coûts, la qualité, le service et
la rapidité.
L' externalisation présente des différences significatives avec ces
deux politiques, dans la mesure où les activités concernées restent des
éléments constitutifs du fonctionnement de l 'entreprise. L'entreprise
reste directement impliquée dans les activités externalisées. La relation
entre l 'entreprise et son prestataire ne s'arrête donc pas après la tran
saction (gestion et suivi de la relation). De plus l 'externalisation,
contrairement à certaines politiques de restructuration interne n'implique
pas nécessairement le départ définitif des activités externalisées.
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
3 Externalisation et changement
La plupart des recherches s'accordent à considérer l 'extemalisation
comme une pratique qui vient modifier sensiblement la structure et la
configuration organisationnelle des entreprises, en créant un nouveau
fonctionnement opérationnel autour d'une coopération contractualisée
entre deux organisations (le client et son prestataire) fondée sur des
interactions et des interfaces nombreux et complexes (Fimbel, 2003 ;
Gosse et al., 2002). Il est proposé de rendre compte de ces change
ments, notamment en ce qui concerne l 'adaptation de la chaîne de
valeur de l 'entreprise et la nouvelle gestion des relations entre les acti
vités et services.
3.1 La nécessité d'adapter la chaîne de valeur de l'entreprise
L' externalisation se traduit par un engagement contractuel clair et
équilibré entre deux parties, où il s' agit de préciser au sein de la chaîne
de valeur des entités partenaires, la distribution des rôles et des respon
sabilités, les modalités d'appréciation des résultats, le partage des gains
de productivité réalisés et les conditions de réversibilité. Desreumaux
( 1996) souligne que l'externalisation modifie, en tant que telle, la struc
ture de la firme, en se présentant comme l'un des leviers à la création
d'une nouvelle forme organisationnelle plus souple et innovante. Selon
cette vision, l'externalisation vise à remodeler l 'entreprise et ses activi
tés, en partant du principe qu'une organisation n'a pas toujours intérêt
à tout réaliser par elle-même. En suivant cette logique, l 'externalisation
revient à identifier au sein de l'entreprise les activités, jusqu'alors réa
lisées en interne, qui, après examen :
- n'ont pas de valeur ajoutée déterminante par rapport aux produits ou
services délivrés ;
- peuvent être réalisées avec un standard de qualité supérieure ( diffé
renciation) ou à prix moins élevé (rationalisation) à l ' extérieur de
l'entreprise ;
- sont une source trop importante d' immobilisation en termes de res
sources financières et humaines ;
- peuvent constituer une perte de temps et d'énergie pour la direction
de l ' entreprise en raison des coûts de structure, de coordination et de
contrôle.
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
122
L'externalisation concerne ainsi l'ensemble des activités dont le
désengagement peut permettre d'accroître la productivité et la compé
titivité de l 'organisation. Elle reflète la volonté de lentreprise de
réallouer ses ressources vers son cœur de métier et sa mission straté
gique (vocation).
3.2 De nouvelles logiques orga nisation nel les
L' externalisation implique de nouvelles relations entre les activités et
les services, notamment en raison de la gestion par le prestataire de
l'activité externalisée et des nouvelles logiques organisationnelles
qu'elle sous tend : changement des priorités, allocation des ressources,
management des compétences, évolution des modes de contrôle et de
coordination, changement culturel . . . Selon cette perspective, l' externa
lisation, en tant que pratique de « désintégration », entraîne le rempla
cement de la grande entreprise (système hiérarchique formel) par un
système plus souple basé sur des logiques à la fois entrepreneuriales
(prise d'initiative, coopération, délégation, échange) et procédurières
(standardisation des tâches, procédure écrite formalisée, découpage des
tâches, contrôle fréquent). En effet, l' externalisation ouvre la voie à de
nouvelles formes d'organisation basées sur des relations coopératives,
où l'organisation entrepreneuriale co-existe avec certaines caractéris
tiques de l'approche taylorienne. Ceci s'explique par le fait que le pro
cessus de contractualisation favorise une nouvelle répartition des rôles
selon un mode contributif au sein de la chaîne de valeur. Dans le cadre
d'une externalisation, le responsable a pour rôle de concevoir une
chaîne de valeur, de la coordonner et de la contrôler. Le responsable
d'unité doit assurer la cohérence entre les divers partenaires, mener une
action de conception et de coordination. L' externalisation entraîne par
conséquent un nouveau fonctionnement opérationnel qui s'appuie sur
une coopération contractualisée entre les deux organisations.
Structurellement interorganisationnelle, la relation entre le client et son
prestataire est principalement fondée sur des interfaces, voire des
interopérabilités, nombreuses et complexes.
Desreumaux ( 1996) confirme ce processus de décentralisation des
pouvoirs (logique coopérative) dans les nouvelles formes d'organisation
et montre que l'entreprise se divise en petites unités avec un responsable
(acheteur) à sa tête. Le contrat se présente ainsi comme la pierre angu
laire de la nouvelle structure et devient, par ses attributs, le principal
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
déterminant des interconnexions et des ajustements mutuels entre
l'entreprise pivot et ses prestataires autour des critères de coût, d'inno
vation, de qualité et de flexibilité inscrits dans le contrat de délégation.
Un tel fonctionnement est facilité par le développement des systèmes de
communication en réseau qui permettent de compenser l'éloignement
entre les différentes entités de la nouvelle organisation (formation
d'équipe virtuelle ou à distance). De manière générale, l 'externalisation
s'accompagne d'une flexibilité et d'une adaptabilité accrues dans le tra
vail et les relations entre collaborateurs dans le cadre d'un maillage entre
les entités (management d'interface entre client et prestataire). Ceci
conduit à faire évoluer les relations hiérarchiques et d'encadrement vers
des interconnexions ou interdépendances horizontales entre les fonc
tions supports externalisées et les autres fonctions restantes dans l 'entre
prise. Cette reconfiguration organisationnelle entraîne aussi une
formalisation accrue des fonctions externalisées et des procédures d'éva
luation et de coordination de la prestation (comité de pilotage, diagnos
tic, qualité du contrat, respect des spécifications techniques). En effet,
pour que l' externalisation réussisse, une logique de suivi et de contrôle
interne de tous les indicateurs de progrès de qualité de fournitures prévus
dans le contrat est à réaliser, au même titre qu'un tableau de bord, pour
surveiller en permanence les relations entre partenaires et veiller au
respect des objectifs. D'ailleurs, pour de nombreux auteurs, l' externa
lisation est une pratique qui ne peut en aucun cas conduire à une relation
de partenariat. L' extemalisation implique une confiance basée sur le cal
cul, renforcée par des contrôles fréquents. Si l' externalisation tend à
renforcer les fondements structurels et informationnels des nouvelles
formes d'organisation, elle contribue paradoxalement à légitimer un
management plus taylorisé au sein de l 'entreprise basé sur une logique
de rationalisation accrue à travers la formalisation de contrats commer
ciaux entre l'entreprise pivot (mandataire) et les sociétés prestataires .
Dans la plupart des contrats d' externalisation, du fait des changements
générés (et des risques encourus), il convient pour l 'entreprise de veiller
aux conditions de réversibilité (possibilité de reprendre en interne la ges
tion de l'activité jusque-là externalisée) et de portabilité (possibilité de
changer quand cela est possible de prestataires de services). Néanmoins,
l'entreprise peut très difficilement réinitialiser sa démarche du fait de
l'ampleur des coûts et de la complexité des structures. Le degré de réver
sibilité (ou réintemalisation) est donc souvent faible, bien qu'elle soit
fortement mise en avant lors des formalisations contractuelles.
123
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
124
Section 2 L'EXTERNALISATION : OPPORTUN ITÉS STRATÉGIQUES OU ME NACES ?
-
1 L'attrait pour l'externalisation
L'intérêt de l 'externalisation est d'offrir un moyen supplémentaire de
réaliser des économies (gains de productivité) ou d'autres améliora
tions importantes (allégement des structures, apport de connaissances,
praticité, renforcement de la qualité, renouvellement des pratiques)
dans la façon dont une entreprise entend mener ses activités et assurer
ses services.
1.1 La hiérarchisation des priorités
La délégation de fonctions non essentielles à une autre entreprise
peut constituer une des raisons pour une société donnée d'envisager
le recours aux contrats d' externalisation. Il s 'agit en effet pour la
firme de se concentrer sur ce qu'elle sait faire le mieux, en valorisant
son savoir-faire de base. Selon cette perspective, l' externalisation
s ' inscrit dans une stratégie de recentrage, où l ' entreprise se développe
en consacrant l 'ensemble de ses ressources aux activités qui offrent le
plus de possibilités sur le plan de l ' innovation et de la qualité du ser
vice. Mais l ' externalisation peut permettre aussi de modifier l' organi
sation et la gestion des activités, en créant les conditions d'un
maillage constitué de prestataires spécialisés qui contribuent chacun
à leur niveau au développement de la chaîne de valeur. Selon cette
logique, les activités de l 'entreprise sont réparties en fonction des
contributions spécifiques de chaque entité, la délégation étant confiée
à l ' entité disposant d'avantages concurrentiels distinctifs dans le
domaine considéré.
EXEMPLE
De nombreuses administrations (structures centrales, ministères, orga
nismes publics . . . ) ont recours massivement à l 'externalisation pour des
opérations souvent classiques, comme la restauration, le nettoyage, la
maintenance, le gardiennage, l 'accueil ou encore la sécurité. Les contrats
réalisés sont souvent d'une durée de trois ans.
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
1.2 La réa lisation d'économies de coûts
La réduction ou le contrôle des coûts constitue une autre raison pour
une entreprise d'envisager le recours aux contrats d'externalisation.
L' extemalisation permet de réduire les coûts, en contribuant à des éco
nomies de coûts de l'ordre de 15 % à 30 % d'après plusieurs études
spécialisées. C'est donc une occasion pour la firme d'améliorer la posi
tion financière de l 'activité, en réduisant ou au moins en contenant les
coûts, la rentabilité restant un but fondamental pour la plupart des socié
tés qui extemalisent sélectivement ou totalement. Par exemple, l 'exter
nalisation réduit les dépenses de gestion et d'organisation (allégement
des structures) et diminue les coûts de maintenance et d'adaptation aux
évolutions réglementaires et technologiques très fréquentes dans cer
taines activités. Elle apporte aussi des flux de capitaux importants avec
le transfert de personnel et de matériels qui se combinent avec des avan
tages fiscaux. Autant d'éléments qui concourent à améliorer les marges
d'autofinancementetfavorisentlerééquilibragedubilan. L'externalisation
représente alors une stratégie financière à long terme, accompagnant un
retour à une bonne position financière et concurrentielle, en échange
d'honoraires d'externalisation qui peuvent être considérés comme un
taux d'intérêt. De même, l'externalisation permet une meilleure affecta
tion du budget, une plus grande transparence et donc un meilleur
contrôle des dépenses. Elle contribue aussi à transformer les coûts fixes
en coûts variables, d'où une réduction de la structure de coûts en cas de
baisse d'activité et la possibilité de répondre positivement à un surcroît
imprévu de la demande sans créer de goulot d'étranglement.
EXEMPLE
Deutsche Bank, qui a transféré son informatique à IBM en 2002, s'attend
à réduire ses coûts de 1 milliard d'euros sur dix ans, principalement grâce
à la transformation de coûts fixes en coûts variables. ABN Amro, qui vient
lui aussi de signer un contrat d' outsourcing avec cinq fournisseurs, espère
258 millions d'euros par an à partir de 2007, soit une baisse du coût infor
matique de 10 %.
1.3 L'accès à des compétences spécialisées
L' externalisation donne également aux entreprises l ' accès à des
connaissances et à des compétences pointues difficilement dispo-
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
126
nibles en interne, avec des possibilités de mise en concurrence. En
effet, historiquement motivées par une recherche de minimisation des
coûts (allégement des structures, variabili sation des charges fixes,
optimisation des ressources), les entreprises s'orientent aujourd'hui
vers l' externalisation pour acquérir un savoir-faire non disponible en
interne ou difficile à préserver compte tenu des évolutions techniques
et réglementaires (problème en termes de maintenance et de veille
technologique). Pour Boeri ( 1 998), il s 'agit donc de « faire faire »
face à l ' incapacité totale ou partielle de l 'entreprise de développer un
savoir-faire essentiel pour continuer à développer l 'activité concer
née. Les entreprises passent ainsi des contrats, pour des tâches parti
culières, avec des spécialistes ou des professionnels qu' i l n'est pas
possible (pour cause de moyens) d'engager de manière permanente.
C'est ainsi que de nombreuses firmes confient à des prestataires exté
rieurs leurs besoins très spécialisés dans le domaine des technologies
de l ' information technique et des communications. Le fait d'externa
liser une activité à un fournisseur qui possède une expertise reconnue
ou un personnel qualifié contribue donc à renforcer la qualité du tra
vail effectué ou du service fourni. En confortant cette position par des
mesures de qualité dans l 'accord d' externalisation, il est ainsi pos
sible d'améliorer les délais d'exécution et le rendement du travail
fourni .
EXEMPLE
Face à la pressjon de la concurrence internationale et au phénomène de
globalisation, un grand nombre d'entreprises multinationales et mondiales
(automobile, aéronautique, transport, énergie, électronique, télécoms . . . ),
pour rester compétitives, sont obligées de renforcer leurs capacités de
recherche et d'innovation, ce qui favorise une augmentation du volume de
R&D externalisée. L'extemalisation est en effet l'un des moyens pour ces
firmes de maintenir un niveau de compétitivité constant, voire si possible
de devancer leurs concurrents, grâce aux relations étroites entretenues avec
les laboratoires universitaires ou d'organismes publics, les réseaux et struc
tures coopératives ou des sociétés spécialisées (veille et maintenance tech
nologique).
Mais si l' externalisation présente a priori de nombreux atouts, sa
réalité pratique amène à la prudence au vu des risques encourus pour la
firme cliente.
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
2 L'externalisation : une manœuvre à risques?
Les risques liés à 1' externalisation stratégique sont nombreux. Ils sont
fréquemment sous-estimés par les managers, séduits par l 'importance
des bénéfices potentiels associés au transfert de l'activité et par les
avantages immédiats de cette politique en terme de rentabilité.
2.1 Les risq ues de sous-performance
L'un des risques contractuels de l' externalisation est la sous
performance ou la non-performance. Ceci correspond à la situation où
le prestataire délivre un service qui ne correspond pas aux spécifica
tions définies dans le contrat. Dans ce cas, le client subit une perte,
voire un dommage. Cette situation est perçue comme risquée car le
client n'a pas de véritable contrôle direct sur les moyens engagés par le
prestataire. Pour limiter un tel risque, les clients privilégient, lors de la
phase de sélection du prestataire, les critères de l'expérience passée et
de la réputation. Ensuite, ils se dotent généralement de systèmes de
suivi et d'instruments de contrôle (détection des écarts, incitations pour
une amélioration de la performance, pénalités, etc.). Toutefois, ce serait
une erreur de penser que le risque associé à la performance est entière
ment lié à l 'offre. En effet, le comportement du client et son type
d'organisation peuvent avoir un effet direct et décisif sur la perfor
mance du prestataire. De plus, des mécanismes d' incitation et de
pénalités trop complexes butent sur d'importantes difficultés de mise
en œuvre. L'attention du prestataire se focalise principalement sur
les éléments ou les dimensions sélectionnés plutôt que sur la perfor
mance globale. Il est à noter que ce risque expose le client à une
perte potentielle de son avantage concurrentiel . Si ce dernier repose
sur un savoir-faire opérationnel et technique exclusif, ou bien sur un
mode d'organisation typé, c'est une partie du chiffre d'affaires qui est
menacée.
2.2 Le manque d'i nformations et la perte de savoir-faire
La question de la perte du savoir-faire est cruciale pour les entre
prises qui externalisent. Le transfert d 'équipements spécifiques et
surtout d'une grande partie du personnel vers le prestataire implique
une perte de compétences individuelles et organisationnelles. Le
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
128
risque associé est que cette perte de compétences revête un caractère
irréparable. Pourtant, gérer en interne la relation avec le prestataire,
assurer le suivi, mettre en place le contrôle de la prestation, et faire
évoluer le contrat requièrent de conserver les compétences néces
saires pour pleinement tirer un bénéfice de l' externalisation. À long
terme, l' externalisation fait courir des risques importants de fuite de
savoir-faire. Elle implique la perte d' informations et de connaissances
opérationnelles au niveau de l 'activité externalisée. En effet, une
organisation focalisée sur quelques compétences centrales peut être
très efficiente à court terme mais inadaptée sur le long terme si elle a
abandonné des compétences critiques pour le futur. Elle sera donc
particulièrement vulnérable aux changements qui pourraient survenir
dans son environnement.
EXEMPLE
Dans les années 80, un grand nombre d'entreprises américaines dans les
secteurs de l 'automobile, de l 'électronique et de la mécanique ont eu
recours à une politique d'extemalisation dans de nombreuses activités dans
une logique d'optimisation des ressources et d'économies de coûts. Cette
stratégie d'extemalisation généralisée a notamment bénéficié aux fabri
cants et fournisseurs asiatiques qui offraient des services particulièrement
avantageux en termes de réduction de coûts (production). Quelques années
après, ces mêmes fabricants sont devenus les concurrents les plus dange
reux pour ces entreprises américaines, en proposant des produits de qualité
équivalents, avec les mêmes avantages à des prix défiant toute concur
rence.
2.i Les risq ues de défail la nce de l'entreprise prestataire
Ce type de risque est attaché aux compétences du prestataire, il peut
être de trois natures : le risque technique (de court terme), le risque
économique et financier (de moyen terme) et le risque technologique
(de moyen-long terme). Le risque technique est principalement lié à la
panne ou au problème technique qui interrompt la continuité de la
prestation alors que le client en pâtit (centraux téléphoniques,
plateformes logistiques . . . ). En général, ce risque peut être anticipé et
géré dans le cas du contrat. Des pénalités financières peuvent être
appliquées en cas de non-performance. Le risque économique et finan
cier soulève la question de la pérennité économique du prestataire.
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
Certains marchés sont caractérisés par l 'arrivée de nouveaux entrants,
attirés par une forte croissance, qui ne peuvent apporter les gages ni de
l 'ancienneté, ni de l 'expérience accumulée. La potentialité d'un tel
risque requiert alors une analyse poussée de la solidité financière du
prestataire, mais aussi de la stabilité de ses équipes comme de la qua
lité de son climat social. Enfin, le risque technologique recouvre
l ' incertitude à propos de la capacité du prestataire à faire les bons
choix technologiques pour offrir le service le meilleur au meilleur
coût. Pour l' informatique, les télécommunications, la logistique et la
R&D, ce risque est particulièrement important. En effet, ce risque peut
être qualifié de majeur dans les environnements à fort contenu techno
logique.
EXEMPLE
Outre le cas extrême où le prestataire fait faillite, plusieurs facteurs peu
vent nuire à la qualité de service : effectifs insuffisants, savoir-faire
défaillant, grève, changements d'équipes . . . En cas de grève du personnel
appartenant à une société bénéficiant d'un contrat d' externalisation signé
avec une entreprise cliente, celle-ci ne peut pas toujours intervenir et n'a
donc aucun moyen d'action pour faciliter la reprise du travail par la négo
ciation.
2.4 Les risq ues de dépenda nce et de perte de contrôle
En matière de gestion des risques, l ' externalisation pose la question
des rapports entre l'entreprise cliente et son prestataire, compte tenu
des risques d'opportunisme et des liens de dépendance qu'entraîne ce
type de manœuvre stratégique.
Un des risques majeurs de l ' externalisation concerne la création
d'un lien de dépendance quasi-irréversible avec le prestataire à qui on
confie la délégation de l 'activité. En effet, lorsqu'une entreprise exter
nalise sa fonction informatique ou logistique par exemple, son besoin
en matière de contrôle et d' information sur l'activité déléguée ne dis
paraît pas en dépit du choix de l ' externaliser. On se trouve donc dans
le cas où une entreprise serait dépendante d'une prestation qu'elle a
choisi de ne plus réaliser en interne. La création d'un lien de dépen
dance irréversible est fréquemment l ' inquiétude prépondérante de
l'entreprise qui externalise.
129
Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
EXEMPLE
Au milieu des années 90, Blue Shield décide de mettre fin à une relation
d'infogérance avec EDS, vieille de vingt-cinq ans. Cette décision, pourtant
fondée sur des critères rationnels (performance insuffisante, coûts trop éle
vés), s 'avère rapidement irréaliste. En effet, il apparaît impossible de chan
ger de prestataire car les employés de Blue Shield s'étaient adaptés aux
méthodes d'EDS, qui par ailleurs avait accumulé un savoir sur les systèmes
d'information de son client. Finalement, seuls quelques points du contrat
purent être renégociés, et la relation a été maintenue.
Naturellement, le risque de dépendance ne peut réellement s 'appré
cier au moment de la signature du contrat car les conflits entre les
clients et leurs prestataires ne surgissent qu'après un certain temps. Le
développement de 1 'externalisation s'accompagne de lopportunisme
post-contractuel. En effet, ni l'ensemble des circonstances ni les
comportements futurs ne sont prévisibles. Aucun contrat n'est complet.
Dans le cas d'une prestation spécifique, le risque d'apparition d'une
forte dépendance et de comportements opportunistes du prestataire est
donc élevé. Par exemple, il n'est pas impossible qu'un prestataire,
s 'étant fait attribuer un marché en présentant des soumissions peu éle
vées, profite de la dépendance de l 'organisation pour augmenter les
prix et/ou abaisser la qualité de ses prestations.
Aux yeux de nombreux décideurs, réintégrer l'activité externalisée
apparaît quasiment impossible. Une étude sur la logistique publiée en
-g 1 996 montrait que 77 % des entreprises estimaient qu'elles en seraient
� incapables. Nos propres données montrent que la réintégration reste
� possible mais qu'elle induit des coûts très élevés. 0 N
@ De plus, l ' extemalisation, entraînant l' abandon de l 'autorité hiérar-
!: chique pour une gouvernance par le marché, ne permet pas à l 'entre-0'>
-� prise cliente d'assurer un contrôle direct sur les comportements c..
3 potentiellement dysfonctionnels du prestataire. En effet, il y a toujours
130
le risque dans le cas d'une externalisation d'activités que le prestataire
divulgue des informations confidentielles de l'entreprise pour laquelle
il travaille, même si cette crainte est plus théorique que réelle. Les stan
dards techniques utilisés par les prestataires sont souvent plus sévères
que ceux de leurs clients. De plus, la réputation du prestataire pourrait
rapidement en pâtir. Le risque de perte de contrôle de lactivité est tou
tefois particulièrement sensible dans le cas de l' externalisation de la
fonction informatique. Les services informatiques sous-tendent les
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
fonctions de marketing, de contrôle de gestion, de gestion des stocks,
etc. Les questions de la confidentialité et de la sécurité des informations
sont donc des points sensibles à surveiller. Plus globalement, le risque
de perte de contrôle de l 'activité est souvent jugé important, en particu
lier pour ce qui concerne le suivi de la réalisation dans le temps de la
prestation, mais aussi le contrôle des prix et de la qualité de la presta
tion. L'entreprise cliente doit ainsi développer une compétence spéci
fique de maîtrise d'ouvrage des fonctions sensibles externalisées. Cela
suppose le maintien d'une bonne technicité en la matière, et le dévelop
pement d'outils de gestion appropriés (définition des rôles, suivi des
responsabilités respectives, évaluation du service rendu, définition et
repérage des dérives, système de pénalités, tableaux de bord de contrôle
et d'audit de la fonction . . . ) .
EXEMPLE
En 1998, IBM a signé avec Geodis un contrat d'extemalisation de l'ensem
ble de ses activités logistiques pour une durée de 5 ans et un montant de
1 52 millions d'euros. Portant à la fois sur la France, l'Allemagne et l ' Italie,
cette opération d'externalisation ne concernait pas le cœur du métier
d'IBM. Cependant, la logistique n'en est pas très éloignée, ce qui a expli
qué certaines réticences au sein du Groupe IBM. En effet, la perte de la
maîtrise de cette activité aurait été catastrophique pour cette entreprise,
d'où l ' importance accordée par IBM aux modalités du contrat (évolutivité
de la prestation, gestion des contentieux, clause de sortie . . . ).
Section 3 ÉTU DE DE CAS : L' EXTERNALISATION DES COMPÉTE NCES C E NTRALES
; ;
« PER IPHER IQUES » -
1 Le contexte
Formai est une société de formation professionnelle pour adultes en
activité, spécialisée dans les formations tertiaires techniques (comp
tabilité, secrétariat, assistance juridique . . . ). Créée en 1 963, la société
a connu une expansion régulière. Elle est toujours dirigée par la
famille du fondateur et emploie 37 salariés permanents et environ 80
131
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
132
enseignants vacataires qui interviennent dans les différentes forma
tions proposées par l 'entreprise. Formal est une entreprise spécialisée
dans la formation à distance (FAD). Métier historique de l' entreprise,
la formation à distance représente en 2006 plus de 85 % du chiffre
d'affaires de Formal, le reste étant essentiellement issu d' activités de
formation présentielle intra-entreprises. Cette activité très consom
matrice de ressources externes (principalement les enseignants et
experts professionnels auteurs des supports de cours) nécessite une
gestion logistique très élaborée. Formai propose en effet 27 forma
tions au total. Chacune est composée en moyenne de 5 unités de
connaissances différentes et chaque UC est découpée en six modules
théoriques, soit un total de 8 1 0 modules de cours et 8 1 0 devoirs écrits
correspondants. Forma] compte en moyenne 1 20 inscrits par forma
tion. Chaque personne en formation est en moyenne inscrite à 3 UC,
ce qui correspond à un nombre total de clients d'environ : 120 x 27 =
3 240. Les supports de cours sont envoyés par courrier postal aux per
sonnes en formation, module par module. Par ailleurs, Formal estime
que 80 % des devoirs adressés aux inscrits sont renvoyés à la correc
tion puis ré-adressés aux clients. La logistique aval, qui permet donc
de mettre les supports de cours à disposition des clients, est très
lourde.
Tableau 7. 1 - Les chiffres clés
Nb de formations proposées 2 7 Nb de formations proposées 2 7
x N b U C par formation 5 x Nb moyen d'inscrits par formation 1 2 0
= Nb total UC 1 3 5 = N b moyen d'inscrits 3 240
x Nb modules par UC 6 x Nb moyen d'UC par inscrit 3
= Nb total modules 810 = Nb total d'inscriptions en UC 9 720
x Nb de modules par UC 6
= Nb total d'envois postaux pour les sup- 58 320 ports de cours
+ Nb de devoirs traités à la correction : 46 656 80 % X 58 320
= Nb total d'envois postaux 1 04 976
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
Cette logistique aval est fortement dépendante de la logistique
amont qui consiste pour Formai à produire les supports de cours. Ces
cours et devoirs sont essentiellement conçus par des enseignants et
experts professionnels vacataires qui sont rémunérés « à la tâche » en
fonction du volume produit. Formai travaille de manière régulière
avec environ 80 vacataires auteurs des cours et devoirs. Par ailleurs,
9 chefs de produits, salariés de l'entreprise, assurent l 'encadrement
pédagogique de 2 à 4 formations. Spécialisés chacun dans un domaine
fonctionnel (fiscalité, finance, anglais, bureautique, etc.), ce sont des
enseignants qui ont pour rôle de définir le contenu des formations,
d'écrire certains supports de cours et de recruter et encadrer les
auteurs de cours vacataires.
Chaque unité de connaissances pour chaque formation est intégrale
ment réécrite tous les trois ans et réactualisée tous les ans. Tous les
devoirs doivent en revanche être intégralement nouveaux chaque année
pour suivre les évolutions législatives, adapter la préparation aux chan
gements dans les épreuves nationales et assurer le niveau de qualité
globale de la formation. Cette exigence de qualité se traduit donc par
une logistique amont très lourde également. Pour que les supports de
cours puissent être envoyés à temps aux étudiants, ils doivent être
imprimés un mois au moins avant leur date d'expédition. Cela implique
que les auteurs de cours et devoirs remettent leur production au moins
deux mois avant la date d'impression, de sorte que les supports puissent
être contrôlés par le chef de projet concerné, mis en page selon les stan
dards de Formai puis imprimés.
Pour gérer ces activités de back-office, Formai emploie une quinzaine
de salariés (8 secrétaires de rédaction, 2 graphistes, 5 imprimeurs) .
L'entreprise a toujours souhaité réaliser en propre ces activités de
conception des supports de cours afin d'en maîtriser la qualité. Elle
dispose pour cela d'une imprimerie en interne et d'un centre logistique
de routage des supports de cours et des devoirs.
Cette chaîne logistique s'applique aux 8 1 0 modules composant les
1 35 unités de connaissances. Les contraintes et conséquences d'erreurs
éventuelles sont donc démultipliées en fonction du volume traité.
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
134
J - 360
J - 90
J - 60
J - 30
J + 30
J + 45
y
Auteurscorrecteurs
Conception et rédaction des
cours et devoirs
Correction des devoirs
Formai
Commande : écriture de cours
et/ou devoirs
Contrôle qualité
Mise en page, mise en forme :
publ ication assistée par
ordinateur (PAO)
Impression
Routage des supports de cours
Routage des devoirs à corriger
Routage des devoirs corrigés
Clients en formation
Travai l personnel Préparation des
devoirs
Réception des devoirs corrigés
Figure 6.1 - Schéma de la fonction production de Formai
2 Le choix de l'externalisation
Depuis plusieurs années, Formal est confrontée à des conditions
d'exercice de son activité de plus en plus difficiles. L'entreprise rencontre
des problèmes importants et son chiffre d'affaires diminue régulièrement
depuis trois ans. Le dirigeant décide donc de faire appel à un cabinet de
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
conseil spécialisé en organisation. Quatre conclusions majeures semblent
expliquer les difficultés rencontrées par l'entreprise :
• Une concurrence accrue : le développement des technologies de la
communication, principalement Internet, a partiellement transformé
le modèle économique du secteur de la formation à distance. De
nombreux concurrents ont définitivement abandonné les supports
papiers pour ne plus offrir que des formations en mode e-learning, ce
qui leur permet d'afficher des tarifs extrêmement compétitifs par rap
port à ceux de Formai. Une importante barrière à l 'entrée est ainsi
partiellement tombée avec l 'abandon du support papier : la maîtrise
de la chaîne logistique.
• Une technologie désuète : les logiciels informatiques utilisés en
PAO au sein de Formai sont relativement anciens. Peu souples, ils ne
permettent pas la réalisation de documents plus conviviaux et le parc
informatique vieillissant rencontre des difficultés à gérer ces applica
tions très lourdes. Il en résulte de nombreuses heures d'arrêt de la
production pour cause de maintenance informatique. Par ailleurs, les
rotatives utilisées à l' imprimerie sont elles aussi obsolètes. Elles
limitent fortement l 'évolution graphique des supports de cours et sont
sujettes à de nombreuses pannes.
• Une culture du retard : la chaîne logistique, qui débute avec la
commande faite aux auteurs et se termine par la réception des devoirs
corrigés par les clients, est organisée de manière à laisser aux auteurs
le temps de concevoir et rédiger les supports. Ils disposent ainsi de 9
mois en moyenne entre le moment où le chef de produit leur commande
la rédaction d'un ou de plusieurs modules ( 1 00 pages en moyenne par
module) et l 'envoi de ce support sous format électronique à l 'entre
prise. Les supports remis sont au format traitement de texte et doivent
ensuite être contrôlés par le chef de produit qui les transmet au dépar
tement PAO où les secrétaires de rédaction et les graphistes les trans
forment en fichiers au format d'impression et réalisent le travail de
conception du document final. La PAO dispose d'un mois entre la
réception et l 'envoi à l ' imprimerie qui dispose elle aussi d'un mois
avant l'envoi aux clients. Malgré ces délais étendus pour tenir compte
des éventuels retards, il est très fréquent que les supports de cours ne
soient pas envoyés dans les délais prévus aux personnes en formation.
• Des coûts de production très élevés : l 'audit de l 'entreprise a mon
tré que le coût moyen de production des cours était environ 30 %
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
13 6
supérieur à celui des concurrents qui utilisent également le support
papier. Plusieurs raisons sont invoquées. Les auteurs des cours sont
mieux rémunérés que chez les concurrents et négocient leurs tarifs
directement avec les chefs de produit, sans respect pour la grille de
tarification établie par les dirigeants qui ont par ailleurs des diffi
cultés à recruter de nouveaux auteurs. Le niveau moyen des salaires
dans l 'entreprise est également élevé du fait notamment d'une pyra
mide des âges inversée et de la survivance de pratiques de rémunéra
tions mises en place durant l'âge d'or de l 'entreprise (primes
régulières, 35 jours de congés, etc.) qui pèsent fortement sur les
résultats. Enfin, et bien que le matériel d'imprimerie soit totalement
amorti, les coûts associés à l 'impression et au routage des documents
sont très sensiblement supérieurs à ceux des entreprises du secteur.
Formai se trouve alors dans une situation délicate : ses coûts de pro-
duction élevés imposent une tarification plus chère de ses produits,
sensiblement supérieure à celle de ses concurrents, notamment ceux
ayant opté pour le « tout Internet » . Par ailleurs, les problèmes d' orga
nisation interne entraînent des problèmes de qualité importants, essen
tiellement des retards de livraison. Cette qualité médiocre rejaillit sur
l ' image de marque de l 'entreprise qui perd ainsi de nombreux clients,
voit son chiffre d'affaires diminuer et rencontre alors de graves diffi
cultés financières.
Face à ces constats, les dirigeants ont étudié trois options stratégiques :
• L'abandon du support papier : Pour faire face à la concurrence des
entreprises d' e-learning, Formai pouvait reporter toute son activité
sur supports multimédias, Internet et DVD-Roms. Cette solution n 'a
pas été retenue par les dirigeants qui pensent que le support papier
reste indispensable au regard des formations qu'ils proposent et du
public visé .
• L'investissement dans un no uvel o util de production : l' obsoles
cence du matériel informatique et d' imprimerie nécessite des inves
tissements très lourds pour disposer d'un outil de production souple
et performant. Formai ne peut pas mobiliser les ressources finan
cières internes nécessaires et l ' incertitude sur l ' évolution du secteur
est trop importante pour que les dirigeants prennent le risque d'un
endettement très lourd.
• L' externalisation de tout ou partie du processus de production :
les coûts de production des supports de cours étant très élevés, il est
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
probable que l 'entreprise peut les faire éditer et imprimer par des pres
tataires externes à des prix très inférieurs. Les dirigeants souhaitent
approfondir cette solution et font appel à une société de conseil spé
cialisée dans l ' externalisation pour les aider à mieux définir leurs
besoins et à organiser la production entre différents prestataires.
3 La mise en œuvre de l'externalisation
Pour réorganiser complètement leur processus de production en
externalisant une partie des activités, les dirigeants ont étudié la nature
de leur métier. Ils se sont interrogés sur ce qui constituait leurs compé
tences centrales, c 'est-à-dire les compétences indispensables à l 'exer
cice de leur activité et potentiellement génératrices d'avantages
concurrentiels. L'analyse menée avec la société de conseil est arrivée à
la conclusion que le cœur de compétences de l 'entreprise était la
conception de supports de formation de grande qualité. Forts de ces
résultats, les dirigeants ont alors analysé les fonctions qui pouvaient
être externalisées et ont démarré la recherche des prestataires corres
pondants. Quatre métiers différents ont été identifiés :
• La publication assistée par ordinateur (PAO) : la PAO nécessite un
matériel informatique très performant et des compétences très spéci
fiques. Dans la chaîne de production de Formai, la mise en page ou
mise en forme, était réalisée par les secrétaires de rédaction. Les chefs
de produit, après avoir assuré le contrôle qualitatif du contenu, leur
transmettaient les fichiers électroniques des cours rédigés par les
auteurs. Ces fichiers au format traitement de texte comportent fré
quemment des images, graphiques, tableaux, copies d'écran, docu
ments scannés, photos, formules mathématiques et nécessitent un
traitement spécifique pour d'une part être mis en forme selon les stan
dards de l 'entreprise et d'autre part être transmis à l ' imprimeur dans un
format utilisable par celui-ci . Les secrétaires de rédaction ne dispo
saient cependant que d'une formation sommaire en PAO et leur pro
ductivité était largement inférieure à celle de professionnels spécialisés .
Il a donc été décidé d' extemaliser cette tache en faisant appel à une
agence spécialisée après consultation des tarifs et conditions de plu
sieurs prestataires. L'agence de PAO retenue est composée de seule
ment sept salariés spécialisés et Forma! est ainsi devenu le principal
client de l'agence, représentant plus de 70 % de son chiffre d'affaires.
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
13 8
L'agence reçoit donc des chefs de produit les documents sous format
électronique, les traite puis les soumet aux chefs de produit qui signent
un bon à tirer avant que le fichier ne soit adressé à l ' imprimerie.
• L'imprimerie : le matériel d'imprimerie de Formai étant désuet, les
coûts de maintenance étaient très élevés et les retards et problèmes de
qualité fréquents. L'impression n'est pas considérée par les dirigeants
comme stratégique. Cela faisait plusieurs années qu'ils envisageaient
d'abandonner ce maillon de leur chaîne de production hérité de l 'his
toire et créé à une époque où il paraissait plus économe d' imprimer
en interne les supports de cours. Pour le choix du prestataire externe,
les dirigeants ont notamment mis l 'accent sur le respect des délais, la
capacité à traiter de gros volumes et le prix. Les supports de cours
étant en effet peu complexes, la recherche d'un prestataire haut de
gamme n'était pas de mise. L'imprimeur choisi par les dirigeants est
celui ayant fait la proposition la moins chère. Bien que situé à plus de
400 km du siège de Formai, il assure pouvoir traiter de gros volumes
dans les délais impartis.
• Le ro utage des supports de co urs : le routage correspond à l'envoi
des supports de cours à chaque personne en formation. Cette activité
est au centre des relations entre l 'entreprise et ses clients. Elle est
donc fondamentale pour les dirigeants qui ont longtemps hésité à
l ' externaliser. Face aux tarifs très compétitifs proposés par les pres
tataires potentiels, ils ont néanmoins décidé de confier la gestion des
envois à une société de routage qui reçoit les supports de cours
envoyés par l 'imprimeur, les stocke puis les adresse individuellement
à chaque personne en formation. Cette fonction essentielle ne doit
pas connaître de dysfonctionnement majeur (envois en retard, mau
vais adressage, erreurs entre deux étudiants, etc.), les conséquences
pouvant être très dommageables pour l ' image de marque de Formai
qui a déjà souffert de problèmes de qualité par le passé. Les diri
geants ont porté leur choix sur une entreprise de routage de très
grande taille, leader en Europe de cette activité, qui dispose de sys
tèmes informatiques très performants et d'entrepôts dans la France
entière. Le recours à cette société a permis de diminuer par trois le
coût moyen du routage pour une personne en formation.
• La gestion des copies : cette activité est également centrale pour
l 'image de marque et la qualité perçue par les clients, puisqu'elle
touche à l 'évaluation des connaissances acquises. Son objet est la
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
gestion des copies adressées par les personnes en formation. Tous les
clients envoient les devoirs à corriger à une même adresse. Ces
devoirs sont ensuite triés et regroupés pour être adressés à un
enseignant-correcteur qui doit ensuite les renvoyer au centre de tri
avant que les devoirs corrigés ne soient ré-adressés aux personnes en
formation. Les dirigeants de Formai ont également eu quelques hési
tations à extemaliser cette fonction centrale. Leurs craintes se
situaient à deux niveaux. Ils craignaient tout d'abord que la moindre
défaillance soit très coûteuse en termes d'image de marque. La ges
tion des copies était auparavant affectée à deux salariés permanents
de l'entreprise et identifiée comme une activité « à haut risque » :
toutes les mesures possibles étaient prises pour éviter la perte des
copies, les erreurs d'adressage et les retards. Un logiciel spécifique
avait été commandé 7 ans auparavant auprès d'une société de ser
vices informatiques. Par ailleurs, l 'évaluation des connaissances est
généralement un point central du dispositif de formation qui permet
aux étudiants de mesurer leurs progrès et instaure une relation inter
personnelle étroite avec le correcteur et donc l 'organisme de forma
tion. Les dirigeants craignaient donc que l 'abandon de cette activité
ne détériore le lien pédagogique et la qualité de la relation avec les
clients. Cette activité était cependant étroitement associée au routage
des supports de cours. Il est donc apparu logique de l ' externaliser
également puisque le routage était confié à un prestataire externe. La
société de routage ne sachant pas gérer ces doubles envois (d'une
adresse personnelle étudiante à une adresse personnelle enseignante),
il a été très difficile de trouver un prestataire capable de prendre en
charge la gestion des copies. Les dirigeants de Formai ont finalement
trouvé une société à même d'en assurer la responsabilité. Ses presta
tions relativement chères ont été négociées sur la base du volume très
important d'envois à gérer (environ 50 000 devoirs par an) .
Les gains attendus de ces choix d'externalisation étaient doubles.
L'entreprise souhaitait d'une part améliorer sensiblement le niveau de
qualité de ses prestations, notamment en réduisant les délais d'envoi
des supports de cours, en augmentant la clarté et la convivialité des
documents grâce à l 'utilisation de technologies d'impression modernes
et en sécurisant la gestion des copies.
Formai voulait d'autre part diminuer de manière très sensible ses
coûts logistiques en achetant des prestations à un prix nettement infé
rieur à ses propres coûts de fonctionnement auprès de prestataires avec
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
140
lesquels l ' entreprise disposait d'un pouvoir de négociation important
du fait des volumes traités.
4 Les conséquences de l'externalisation
Le choix du recours à des prestataires externes a profondément modi
fié la fonction de production de Formai qui a conservé toutes les acti
vités de conception et d'ingénierie de formation mais délégué les
fonctions logistiques. Le schéma 2 synthétise la nouvelle chaîne logis
tique de l'entreprise.
Cette nouvelle architecture de production, plus complexe mais plus
efficiente, a permis à l'entreprise d'améliorer sensiblement ses résul
tats, mais elle a également entraîné des changements organisationnels
majeurs parfois difficiles à appréhender a priori.
4.1 Les conséquences positives de l 'externalisation
Les conséquences positives de l' externalisation des fonctions logis
tiques ont été principalement de deux ordres : la diminution des coûts
et l 'amélioration substantielle de la qualité.
• La diminution des coûts : les dirigeants de Formal estiment que le
coût de revient moyen d'une unité de connaissances pour une per
sonne en formation a diminué de près de 25 % avec le recours à des
prestataires externes. Cette diminution très importante des coûts a
permis à l 'entreprise de réviser ses tarifs à la baisse. Devenue plus
concurrentielle sur les prix, Forma] a vu sa part de marché croître de
7 % en trois ans, le nombre total de personnes formées par an passant
de 3 240 à 4 180. L'impact sur les résultats financiers a certes été
moindre du fait de la baisse des tarifs, mais les comptes de l 'entre
prise ont été assainis et le résultat net est aujourd' hui largement posi
tif. Cette amélioration des résultats a permis à l 'entreprise de
développer de nouvelles formations, principalement dans les métiers
du secrétariat spécialisé (secrétariat médical, juridique, etc.) et de
renforcer ses budgets de prospection commerciale.
• L'amélioration de la qualité s' est principalement traduite par la plus
grande convivialité et la clarté des nouveaux supports de cours.
Désormais en couleur, les cours sont plébiscités par les personnes en
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
formation, nombre d'entre elles pensant même que les supports de
cours ont été intégralement réécrits alors que Formal a conservé le
même rythme de réécriture des supports. Malgré la petite taille de la
structure en charge de la PAO, les dirigeants sont extrêmement satis
faits de ce partenariat qui leur a permis de réduire les coûts et de
proposer des supports de formation plus modernes et plus agréables.
Par ailleurs, la très grande majorité des problèmes de dépassement
des délais sont aujourd'hui résolus. Les supports sont toujours adres
sés à temps aux clients.
Agence de PAO Imprimerie
Mise en page, mise en forme :
publ ication ... Impression � assistée par
ordinateur (PAO)
j �
Auteurs Formai correcteurs .... � , Conception et � Commande :
rédaction des écriture de cours �
Société de cours et devoirs
' et/ou devoirs routage
Correction des � Routage des + devoirs
Contrôle quai ité supports de cours -
Fourniture des adresses
� , � Réception des Routage des
.... devoirs corrigés
devoirs corrigés
Routage des .... Travai l personnel
-"' Préparation des "'
devoirs à corriger devoirs
Société .... Clients en d'adressage � formation
Figure 6.2 - La nouvel le chaîne logistique de l'entreprise Formai
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
142
4.2 Les conséq uences négatives de l'externa lisation
Malgré lamélioration très nette des résultats financiers et commer
ciaux, plusieurs points négatifs sont apparus suite aux décisions
d'extemalisation, notamment la perte de flexibilité, des difficultés
sociales et de maîtrise de la production et des problèmes de qualité.
• La perte de flexibilité : I 'externalisation de toutes les fonctions
logistiques a privé l entreprise de sa capacité à réagir très rapide
ment à des modifications de son environnement. Lorsque ces f onc
tions étaient internes à l ' entreprise, une modification de dernière
minute sur les supports était presque toujours possible. Si un ensei
gnant souhaitait intégrer dans le cours un article de journal récent
ou une modification législative, les chefs de produit pouvaient stop
per momentanément la production des supports imprimés. La nou
velle chaîne logistique est très tendue et lorsque le bon à tirer a été
signé, plus aucune modification n'est possible, sous peine d'un
retard dans le planning bien supérieur aux quelques jours observés
auparavant, comme l 'explique un chef de produit.
• Les difficultés sociales et la perte de maîtrise : n choisissant l ' exter
nalisation, les dirigeants ont implicitement fait le choix de licencier
certains de leurs salariés. Les 5 salariés de l ' imprimerie ont été licen
ciés, ainsi que les 2 graphistes et 3 des 8 secrétaires de rédaction. Un
tiers de 1 'effectif total de l'entreprise a ainsi été licencié. Les diri
geants, très attachés à la culture familiale de Formal, ont financé des
mesures de retraites anticipées et proposé des conditions de départ très
avantageuses aux salariés. Malgré cela, le climat social s 'est très net
tement dégradé durant les deux années suivant la décision d'exter
nalisation. Plusieurs mouvements d'humeur ont entraîné des retards
dans la conception des produits . Plus grave encore, de nombreux sala
riés, dont les chefs de projet, ont le sentiment que leur métier est
aujourd'hui dévalorisé, alors qu'un des objectifs des dirigeants était
justement de se focaliser sur les activités à forte valeur ajoutée.
Ces difficultés sociales se sont traduites par le départ de 4 des 9 chefs
de produit. Le développement de nouvelles formations n'a pu être réa
lisé qu'en s'appuyant sur la bonne volonté et le professionnalisme des
secrétaires de rédaction restantes qui ont endossé de facto la responsa
bilité des produits.
• Les problèmes de qualité : malgré l 'amélioration notable des sup
ports de formation et la forte diminution des retards, Formai doit
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
encore aujourd'hui faire face à d'importants problèmes de qualité. La
diminution de la flexibilité du processus de production a démultiplié
l ' impact du moindre retard dans le processus. Les retards subis par
les clients sont très peu nombreux, mais ils sont alors très importants,
jusqu'à deux mois parfois. Dans ces conditions, la pression exercée
sur les auteurs et les chefs de produit pour qu'ils respectent les délais
imposés par les plannings des prestataires s'est traduite par la multi
plication des comportements opportunistes. Un audit qualité réalisé
sur les supports de cours a ainsi montré que seuls deux supports sur
trois étaient intégralement renouvelés tous les trois ans. De même,
plusieurs sujets de devoirs ont été modifiés à la marge alors qu'ils
auraient dû être réécrits complètement. Les clients ne semblent pas
avoir pâti pour l ' instant de ces comportements opportunistes, mais
les dirigeants souhaitent repenser le système de contrôle et de rému
nération pour se prémunir à l 'avenir de ces déviances nées des exi
gences sur les délais.
Par ailleurs, plusieurs clients se sont étonnés de devoir envoyer leurs
copies à une adresse qu'ils ne connaissent pas et qui ne semble pas
avoir de lien direct avec Formal. Plusieurs lettres ont été adressées aux
dirigeants en ce sens : les personnes en formation déplorent que la rela
tion qui les lie désormais à l 'entreprise ne soit plus que financière,
comme en atteste l ' extrait d'un courrier reçu par les dirigeants :
« [ . . . ] J 'ai payé la formation à votre organisme. Depuis ce jour, je n 'ai
plus aucun lien avec vous. Les supports de cours et les devoirs me sont
adressés par des sociétés différentes sans aucune légitimité pédago
gique. L'absence de site Internet digne de ce nom ne favorise évidem
ment pas les échanges avec les chefs de produit qui par ailleurs semblent
systématiquement courir après les informations dès que je leur pose la
moindre question. Je suis très étonné de ce mode de fonctionnement qui
ne m' incite pas à poursuivre ma formation à distance. [ . . . ] » .
5 Le bi lan : l 'external isation com me cata lyseur du changement
Après trois années d' externalisation, les dirigeants en font un bilan
mitigé. Les résultats financiers et commerciaux se sont nettement amé
liorés, l ' entreprise ayant gagné plus de 29 % de clients supplémen
taires, tandis que son chiffre d'affaires augmentait de 1 7 % et que le
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
144
résultat net redevenait positif. Cette amélioration est très largement
imputable aux décisions d'externalisation qui ont permis d'améliorer
le niveau de qualité esthétique des supports et le niveau de qualité
logistique.
En revanche, certains nouveaux problèmes de qualité sont apparus et
le métier de l 'entreprise est en train d'évoluer beaucoup plus rapide
ment que la culture de ses salariés. Le dirigeant porte un regard lucide
sur ces évolutions : « Nous avons pris la bonne décision en externa
lisant la logistique. C'était indispensable et cela nous a redonné une
aisance financière qui nous permet aujourd'hui de redéployer notre
offre de formation. Cela transforme complètement l'entreprise et nous
ne faisons plus tout à fait le même métier. Nous pensions que
l 'externalisation consistait à déléguer une partie de nos activités mais
sans toucher au cœur de notre métier. Nous nous sommes trompés.
Couper une branche, c'est changer l 'avenir d'un arbre. En nous sépa
rant de la logistique, nous savions que nous perdrions en partie la maî
trise de certains maillons de la chaîne, mais nous ne pensions pas que
cela modifierait également notre cœur de métier. Nous avions considéré
la logistique comme une activité périphérique à notre métier central
qu'est l ' ingénierie de formation et la conception de cours à distance.
Nous n 'avions certainement pas compris que la logistique était aussi
une compétence centrale périphérique ».
Lorsque le dirigeant évoque des signaux négatifs, il fait référence au
sentiment d' isolement et de rupture de la relation qu'ont exprimé de
nombreuses personnes en formation, mais aussi au risque très grave
que l ' entreprise doit aujourd'hui affronter : le prestataire d'imprimerie
est en effet en redressement judiciaire et Formal doit trouver un autre
prestataire en cours d'année. Ce changement d'imprimeur aura évi
demment des conséquences importantes sur l 'agence de PAO qui devra
peut-être modifier le logiciel utilisé jusqu'à présent et revoir même la
présentation des supports de cours. Par ailleurs, l ' image de marque de
l 'entreprise est en train de changer. Alors que Formal était auparavant
perçu comme un organisme de formation de référence dans ses champs
de compétence, le développement de nouvelles formations et l 'atténua
tion du lien direct avec les clients donne aujourd'hui l ' impression que
l 'entreprise est passée d'une stratégie de différenciation par la qualité à
une stratégie de volume. Le dirigeant en a d'ailleurs conscience : « Le
problème de notre extemalisation, c'est que nous avons tout changé du
jour au lendemain. Pour que cela reste rentable, il faut que les activités
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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6
externalisées portent sur un volume d'affaires important, sans quoi
nous ne pouvons pas négocier avec nos prestataires. Cela nous a amené
ces deux dernières années à faire des choix de développement moins
judicieux. Notre positionnement qualité est remis en partie en cause par
ces développements et nous ne maîtrisons plus totalement notre straté
gie. Nous avons gagné des clients et amélioré la marge, mais sur le long
terme, nous devons repenser la stratégie en intégrant dès le départ les
contraintes de l 'externalisation. Nous ne l ' avions pas fait et aujourd'hui,
ce sont nos relations partenariales qui déterminent indirectement notre
stratégie. »
Dans le cas de Formal, l' extemalisation entretient un rapport dual
avec le changement. Les évolutions de l 'environnement l 'ont amené à
adopter l 'externalisation comme mode de gestion de ses activités logis
tiques. En ce sens, c'est bien la volonté de changement de l 'organisa
tion qui a eu pour conséquence le choix de l ' externalisation. En
revanche, les dirigeants n 'avaient pas anticipé l 'ampleur des change
ments organisationnels et stratégiques induits par le choix de l ' externa
lisation. La logistique n'ayant pas été identifiée comme une compétence
centrale de l 'entreprise, les dirigeants n 'ont pas imaginé que la modifi
cation de la fonction logistique aurait autant d'impact sur le métier
central de l 'entreprise. Ici, le changement environnemental entraîne un
changement organisationnel majeur et délibéré (I' externalisation) qui
entraîne lui-même des changements organisationnels (modification de
l' identité) et stratégiques (de la différenciation vers le volume) émergents
et difficilement appréhendables.
Changements environnementaux
Changement organisationnel
délibéré (external isation)
Changement organisationnel subi
(identité, cu lture)
Changement stratégique subi
(volume)
Figure 6.3 - Mécanismes de cha ngement
L' extemalisation, comme la plupart des décisions stratégiques est
une boîte de Pandore : on sait quand on l 'ouvre, on ne sait ni ce que
l 'on y trouve, ni si l 'on pourra la refermer. . .
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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation
146
E S S E NTI E L
L' externalisation consiste à confier la totalité d'une fonction ou
d'un service de l' entreprise à un prestataire externe spécialisé, pour
une durée pluriannuelle. Celui-ci fournit alors la prestation en
conformité avec le niveau de service, de performance et de respon
sabilité spécifiés. Ce mode de développement a des effets structu
rels sur l'organisation initiatrice, tant sur la plan de la gestion
stratégique des compétences qu'au niveau des mécanismes de
contrôle et de coordination. Ce type de stratégie ne va pas de soi et
mérite attention et réflexion, avant de décider d'une telle politique.
Elle pose notamment la question des métiers clés de l'entreprise, de
son modèle de croissance mais également de ses avantages dis
tinctifs. L' externalisation ne doit donc pas simplement se voir
comme une opération de réduction des coûts mais avant tout
comme une décision qui peut engager durablement l 'entreprise et
avoir des conséquences lourdes sur le développement futur des
sociétés concernées.
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Bib l iogra p h ie
Chapitre 1
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I n dex
A
Actifs spécifiques 74
B
Brevet 9 1 , 108 Business model 60, 62
c
Chaîne de valeur 1 24 Co-création 73, 88 Confiance 72, 74, 1 23 Coopération innovatrice 90 Coopétition 78, 82 Création d' entreprise 65, 85
D
Défail lance 1 28, 1 3 9 Dépendance 8 1 , 1 29, 1 30 Déploiement 9 1 , 1 0 8 Dilemme de l 'innovateur 42 Downsizing 1 20
E
Économies de coûts 1 25, 1 28 Entreprises autonomes 56 Entreprises pressées 57 Entreprises progressives 56 Exploration 44, 45 Externalisation 1 1 5 , 1 1 6, 1 1 9
F
Facteurs clés de succès 6, 20, 49, 59
(i
Grande entreprise 4, 22, 57, 1 22
Imagination 2 1 , 37, 45 Innovation « compétitivité » 32 Innovation concurrentielle 2 1 , 37 Innovation de rupture 32 Innovation incrémentale 3 1 , 36, 40 Innovation ouverte 83, 85, 88 Innovation radicale 32, 40, 44
Stratégies et cha ngement
1 62
Innovation relationnelle 3-23 Innovation stratégique 35, 40
K
Knowledge based-firms 52
M
Modèle économique 37 Modes de valorisation 96, 97, 1 12, 1 14
N
New technology based firms 52
p
Pilotage 108, 1 10, 123 PME 6, 22, 75 Position concurrentielle 5, 6 Processus entrepreneurial 53 Projets d'entreprises technologiques
55 Proposition de valeur 60 Protection 91
R
Recherche et développement 71, 1 16 Reengineering 120 Règles du jeu 6, 21, 23, 31 , 46 Réseaux d'innovation 73 Révolution stratégique 34, 36, 37 RSE 3 Rupture 25
s
Silicon Valley 57, 74, 80, 86 Sociétés opportunistes 57 Sous-traitance 1 19 Stratégie défensive 105, 1 12, 1 13 Stratégie délibérée 63 Stratégie émergente 63 Stratégie perturbatrice 38, 39
T
Territoires innovants 81
V
Vision 60