Download - Responsabilite Du Cap
La responsabilité du
capitaine de navire
1998
1
SOMMAIRE
Introduction ………...……………………………….…………………….…….3
TITRE I : LA RESPONSABILITE CIVILE DU CAPITAINE ………...….8
Chapitre I : LE STATUT JURIDIQUE DU CAPITAINE ……………..…8
Chapitre II : MISE EN JEU DE LA RESPONSABILITE
CIVILE DU CAPITAINE …………………………………..20
TITRE II : LA RESPONSABILITE DISCIPLINAIRE
ET PENALE DU CAPITAINE …………………….…...……...43
Chapitre I : LA RESPONSABILITE DISCIPLINAIRE
DU CAPITAINE ...…………………………..……………..43
Chapitre II : LA RESPONSABILITE PENALE DU
CAPITAINE …..……………………….…………………..51
Conclusion ……………………..……………………………...………………86
2
Introduction
3
A bord de tout navire de commerce doit se trouver un capitaine. Etymologiquement, le
capitaine est celui qui est à la « tête », celui qui est le chef de l’expédition maritime. On trouve
plusieurs définitions du capitaine.
Il peut se définir comme « un préposé de l’armateur, chargé de la conduite et du
commandement d’un navire de commerce »1. Cette définition doctrinale recoupe celle qu’on
retrouve dans l’art. 87 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande (CDPMM),
d’après lequel « est considéré comme capitaine la personne qui, en fait dirige le navire ou
engin ».
Pour sa part, la Cour de cassation donne une définition semblable mais plus explicite : « est
considéré comme capitaine celui qui exerce régulièrement en fait le commandement d’un
bâtiment, quels que soient le tonnage, l’affectation de celui-ci et l’effectif de son équipage et
ce, même s’il n’a pas assumé effectivement des fonctions de mandataire commercial de
l’armateur »2.
Cette formule finale fait apparaître la dualité des fonctions du capitaine : fonctions techniques
qu’il exerce en tant que préposé3 de l’armateur, et éventuellement fonctions commerciales
qu’il exerce en tant que mandataire de l’armateur4.
Et de nos jours, le capitaine est d’abord le commandant du navire, celui qui a pour mission de
le faire naviguer en sécurité, « en bon père de famille ». Le capitaine apparaît principalement
comme le technicien de la navigation maritime, son rôle commercial s’étant atténué. Mais
cette situation est récente, la fonction du capitaine ayant évoluée avec le temps.
Dans la Grèce antique, deux personnes occupent à bord du navire les missions d’importance :
le « nauclere » qui est le représentant du propriétaire du navire et est chargé de l’ensemble des
opérations commerciales, et le « kubernetes » qui s’occupe de la marche du navire.
Dans la Rome antique, la situation est la même : le « gubernator » s’occupe de la partie
nautique alors que le « magister navis » littéralement le maître du navire, s’occupe de la partie
commerciale, est en charge de la cargaison.
Au Moyen-Age, le propriétaire ignore l’art de naviguer, embarque comme maître de
l’expédition commerciale : la cargaison, qui lui appartient, lui permet de faire du trafic
maritime ; à bord du navire se trouve un « noxter »(naucher) dans le Consulat de la Mer.
Le capitaine dans l’acception moderne apparaît au 17ème siècle. Le propriétaire du navire
n’embarque plus. L’Ordonnance de la marine de Colbert de 1681 institue un contrôle des
compétences du capitaine en matière de navigation. Le capitaine doit avoir navigué pendant
cinq ans et comme le stipule l’article 1er du Titre I du Livre II, avoir « été examiné
1 Vocabulaire juridique publié par l'Association H. Capitant, sous la direction du Doyen Cornu, P.U.F. V°
Capitaine. 2 Cass. Soc. 15 mars 1972, DMF 1972, 403, note P. Lureau. 3 Encore que la qualification de préposé a soulevé des débats doctrinaux et continue à prêter le flanc à des
critiques, cf. infra p 7 et suiv. 4 D. Veaux, Capitaine, Juris-classeur comm. Fasc.1155, n° 2 1991.
4
publiquement sur le fait de la navigation et trouvé capable par deux anciens maîtres, en
présence des officiers de l’Amirauté et du professeur d’hydrographie, s’il y en a dans le lieu ».
A l’époque du Code de commerce, le capitaine est devenu véritablement un technicien et on
ne conçoit plus qu’il n’ait pas les capacités requises pour commander la navigation et l’art.
221 dispose qu’il est « chargé de la conduite d’un navire ou autre bâtiment », la présence à
bord d’un pilote hauturier n’étant plus en soi nécessaire.
Le capitaine demeure tout de même le maître de l’expédition commerciale : ainsi il est
responsable des marchandises, il en fournit une reconnaissance (art. 222), il forme l’équipage
(art. 223), il tient un registre côté et paraphé qui contient « la recette et la dépense concernant
le navire » (art. 224) et c’est sa responsabilité qui est mise en avant dans les articles 229 et
230. Mais avec la constitution par les armateurs dans les ports que fréquentent leurs navires de
succursales d’agences, et à tout le moins la désignation d’un consignataire de leurs navires5, la
fonction commerciale s’est considérablement réduite. Comme le fait observer R. Garron, les
opérations commerciales dépendent de l’initiative et sont soumises au contrôle exclusif des
Services de l’armement, non seulement au port d’attache du navire (où réside généralement la
direction de l’exploitation maritime) mais encore à toutes les escales que prévoient les
itinéraires. Des agences de la compagnie de navigation sont installées dans la plupart des ports
étrangers ; elles sont dirigées par des fondés de pouvoirs dont la mission ne se limite pas à
traiter avec les chargeurs, les passagers ou les affréteurs : véritables représentants généraux de
l’armateur, ces fondés de pouvoir, ont, en outre, la haute main sur tout ce qui concerne le
navire, notamment sur l’avitaillement et les réparations nécessaires6.
Ainsi la principale fonction du capitaine est actuellement la fonction technique c’est à dire
celle qui concerne la conduite du navire, conduite nautique mais aussi conduite commerciale :
surveillance de la marchandise (reefers, conairs, arrimage des colis lourds, reliquéfaction sur
les navires gaziers…). De cette fonction technique découle une immense responsabilité.
Comme le souligne le commandant Fraisse reprenant une phrase du Code manuel des
armateurs et des capitaines de la marine marchande : « l’immense responsabilité qui pèse sur
ceux qui sont préposés à la conduite du navire a engagé l’autorité publique à exiger d’eux
certaines garanties de capacité »7. En effet, les progrès techniques (comme par exemple la
construction en acier substituée à la construction en bois) ont entraîné l’apparition de navires
beaucoup plus gros, beaucoup plus chers, avec des cargaisons de grande valeur
(containérisation). Ces navires sont susceptibles d’être cause de dommages considérables
(comme dans le cas d’échouements de pétroliers).
Et cette immense responsabilité fait que c’est sur le seul capitaine que pèsent certains devoirs
énoncés par le Code disciplinaire et pénal de la marine marchande. Certaines infractions
n’existent que parce qu’elles sont commises par ce dernier. Par exemple, la condition
5 R. Rodière, Traité général de droit maritime, Introduction, l'Armement, n° 380. 6 R. Garron, La responsabilité personnelle du capitaine de navire, n°2. 7 Cdt L. Fraisse, Adieu au capitaine au long cours, Annales de l'IMTM, 1985, p. 247.
5
« d’habitude » qui est souvent requise pour réprimer un marin en cas d’ivresse de celui-ci, ne
l’est pas lorsqu’il s’agit du capitaine. Et l’isolement du navire, les dangers de l’expédition
maritime, la nécessité de la cohésion de la société du bord fondent un régime disciplinaire et
pénal propre au capitaine et aux marins, certaines fautes, certaines négligences, certains
comportements prenant en mer un relief qu’ils n’ont pas à terre. La responsabilité disciplinaire
du capitaine sera recherchée en cas de faute dans l’exercice de ses fonctions soit par son
armateur, voire même par l’autorité administrative en cas de faute contre l’honneur ou de
fautes graves dans l’exercice de sa profession. L’armateur peut, en principe, congédier
librement son capitaine avec, selon le cas, des dommages et intérêts si le renvoi est injustifié.
Nous disons, en principe, puisqu’en vertu de la Convention collective des officiers de la
marine marchande du 30 septembre 1948 le libre congédiement du capitaine par l’armateur
n’est pas prévu. Il est fait référence à la révocation, mais celle-ci est minutieusement encadrée.
Voilà un garantie appréciable pour les capitaines pouvant en bénéficier : des armateurs peu
scrupuleux aux navires sous normes pourraient congédier des capitaines qui refuseraient de se
plier à des conditions de navigation jugées dangereuses dans l’intérêt immédiat du navire et de
son équipage et par delà dans l’intérêt des tiers en cas de dommage.
La responsabilité pénale du capitaine, quant à elle, sera recherchée principalement en cas de
faute dans sa mission essentielle qui est celle de conduire le navire en sécurité. Mais depuis
quelques années, avec le développement des marées noires (Torrey Canyon en 1967, Olympic
Bravery et Boehlen en 1976, Amoco Cadiz en 1978, Exxon Valdez, Braer plus récemment),
un nouvel élément est venu alourdir le fardeau déjà pesant des responsabilités du capitaine : la
responsabilité pour pollution, puisque nous verrons qu’il s’agit ici d’une responsabilité pénale
du fait d’autrui dans la mesure où le capitaine peut être déclaré responsable d’une pollution,
même en cas de faute d’un de ses subordonnés faisant partie de l’équipage, la sanction
pouvant être très lourde.
En ce qui concerne la responsabilité civile du capitaine il convient d’analyser au préalable le
statut juridique du capitaine. Du fait du caractère très spécifique des attributions et des
responsabilités du capitaine, ce dernier « est une figure qui échappe au droit traditionnel »8.
Ainsi, de nombreux auteurs ont tenté, et tentent toujours, de définir le statut juridique du
capitaine. La jurisprudence a apporté une réponse claire dans les arrêts Lamoricière et
Champollion en le considérant comme un préposé de l’armateur. Mais cette réponse est
toujours sujette à critiques.
La qualification de préposé a pour conséquence que les tiers pourront se retourner contre
l’armateur du capitaine en cas de dommage, celui-ci disposant d’une surface financière
beaucoup plus importante, le capitaine ne supportant plus seul, ici, le risque d’une
condamnation.
8 F. Odier, La responsabilité du capitaine, Annuaire de droit maritime et aéro-spatial, tome 12, 1993, p. 294.
6
La loi du 3 janvier 1969 ne retient dans son article 5 la responsabilité du capitaine qu’en cas de
faute personnelle. Contrairement aux articles 221 et 222 du Code de commerce, le capitaine
n’est plus celui auquel doivent s’adresser tous ceux qui sont mécontents des services rendus
par le navire (chargeurs et passagers). D’autre part, la loi du 23 décembre 1986 accorde au
capitaine le bénéfice des cas exceptés et de limitations de responsabilité que seul le
transporteur pouvait invoquer en vertu de l’art. 27 de la loi du 18 juin 1966 ; ce « régime de
faveur » s’annulant « s’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission
personnels commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement
et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ». Cette situation
correspond en fait à deux types de faute : la faute intentionnelle et la faute inexcusable (cette
dernière a donné lieu à une interprétation de la part de la Cour de cassation, retenant une
conception objective de la faute).
Nous analyserons ces diverses responsabilités en commençant par la responsabilité civile du
capitaine dans un titre 1, puis étudierons la responsabilité disciplinaire et pénale du capitaine
dans un titre 2.
7
Titre 1
LA RESPONSABILITE
CIVILE
DU CAPITAINE
8
On ne saurait analyser dans quelles conditions la responsabilité civile du capitaine peut être
mise en jeu sans avoir au préalable précisé le statut juridique du capitaine. La définition du
statut du capitaine pose des problèmes et a donné lieu à de nombreux essais. La jurisprudence
a fixé sa position voyant dans le capitaine un préposé, ne pouvant être gardien du navire, mais
sans pour autant mettre un terme aux débats doctrinaux.
La responsabilité civile du capitaine peut être engagée en cas de faute dans ses attributions
essentielles, fautes qui sont en relation directe avec l’exploitation du navire ou plus
marginalement dans le cas d’une mauvaise exécution de ses devoirs de représentant de l’Etat à
bord. Cependant le capitaine pourra limiter sa responsabilité sauf dans le cas où la faute qui lui
est reproché a le caractère d’une faute inexcusable.
CHAPITRE I. LE STATUT JURIDIQUE DU CAPITAINE
Du fait du caractère très spécifique des attributions et des responsabilités du capitaine, ce
dernier « est une figure qui échappe au droit traditionnel ». Déjà, en droit romain on parlait de
magister navis c'est-à-dire du maître du navire ; le terme de maître étant pris dans son
acception la plus large.
Et parce qu'il échappe au droit traditionnel, comme le fait remarquer madame Odier, tous les
grands juristes qui ont jalonné l'histoire du droit maritime se sont intéressés au capitaine9. Des
divergences sont apparues lorsqu'il a fallu situer le capitaine dans les catégories reconnues par
le droit classique. La Cour de cassation est venue apporter une réponse quant au statut du
capitaine, sans pour autant mettre un terme au débat et sa position prête le flanc à des
critiques.
9 F. Odier, compte rendu du Colloque Hydro-Afcan, 4 et 11 avril 1991.
9
SECTION I. Les différentes approches
Nous pouvons ici distinguer deux types d'approche :
– les approches particulières comme par exemple celle qui, pour rendre compte du
caractère socialement élevé et de l'indépendance de la fonction du capitaine, voyait en
lui un membre d'une profession libérale.
Cependant, comme le souligne le doyen Rodière10, cette analyse ne tient pas compte du fait
que le capitaine dépend d'une seule personne, son armateur. Tributaire d'une clientèle
changeante et plus ou moins importante, la profession libérale (avocat ou médecin par
exemple) n’est jamais sous la dépendance d'une seule personne. C'est par cette différence que
l’idée de rattacher la fonction du capitaine aux professions libérales paraît un contresens. De
plus comme l'a souligné la chambre criminelle de la Cour de cassation, l’indépendance
professionnelle dont jouit le médecin dans l'exercice même de son art n'est pas incompatible
avec l'état de subordination qui résulte d'un contrat de louage le liant à un tiers11.
– et les approches traditionnelles consistant à voir dans le capitaine un préposé et/ou un
mandataire.
§ 1. Les approches particulières
Nous pouvons citer ici plus précisément deux théories : celles qui ont vu dans le contrat
d’engagement maritime un contrat d’entreprise et l’approche de R. Garron qui a, pour sa part,
vu dans le capitaine un réalisateur d’activité.
A. Le capitaine-entrepreneur
Le contrat d'entreprise est communément défini comme étant un contrat par lequel une
personne, l’entrepreneur ou locataire, s'engage envers une autre, le maître ou client, à exécuter
contre rémunération un travail indépendant et sans le représenter.
Ce qui caractérise ce type de contrat est une certaine indépendance voire une indépendance
certaine.
10 R. Rodière, ibid, n° 398. 11 Crim 5 mars 1992, JCP1993, II 22013, note F. Chabas.
10
Indépendance que l'on retrouve dans le cadre du contrat d'engagement du capitaine, puisque
celui-ci possède une indépendance absolue dans l'exécution de ses fonctions nautiques, une
fois que le navire a quitté le quai.
Ainsi, même si l’armateur fixe la destination du navire et les escales à respecter, le capitaine
reste libre de la route à suivre, à condition toutefois que ses décisions soient inspirées de la
bonne conduite de l'expédition12. Il détermine également la vitesse du navire en tenant compte
de la sécurité du navire et des contraintes de la navigation13. Et si les nécessités de la
navigation l'imposent, il peut se dérouter, et supprimer ou ajouter certaines escales. Le
capitaine devant conduire son navire « en droite ligne et en bon père de famille ».
De plus, l'article 45 du Code disciplinaire et pénal de la Marine Marchande punit le capitaine
qui favorise l’usurpation de l'exercice du commandement à son bord : ces mêmes peines
d'emprisonnement, auxquelles peuvent être jointes des amendes importantes, sont prononcées
aussi « contre toutes personnes qui ont pris indûment le commandement d’un navire et contre
l’armateur qui serait complice ».
D'autre part, les litiges éventuels concernant les contrats d'engagement de l’équipage sont
soumis au décret du 20 novembre 1959 qui a remplacé le titre VII du Code du travail
maritime. Ces litiges sont de la compétence du juge d'instance.
En ce qui concerne les litiges entre armateurs et capitaines, ceux-ci sont soumis à la
compétence du tribunal de commerce en vertu de l'article 12.
On peut ainsi dire que le contrat d'engagement du capitaine bénéficie d'un régime d'exception
dans le droit du travail maritime. Cette particularité se retrouve pour les litiges relatifs au
contrat d'entreprise puisque ceux-ci relèvent de la compétence des tribunaux de droit commun
alors que les litiges nés du contrat de travail sont de la compétence du conseil des
prud'hommes14.
Cependant qualifier le contrat d'engagement du capitaine de contrat d'entreprise ne correspond
pas à la réalité. En effet, comme le souligne R. Garron15, le capitaine ne promet pas un travail
précis et déterminé : de nos jours il ne s'engage plus à conduire le navire d'un point de départ à
un point de destination prévus, en toute indépendance et moyennant un salaire, car il
n’appartient qu’à l’armateur de le muter sur un autre navire, d'une manière discrétionnaire, ou
de l'envoyer vers une autre destination.
Le capitaine ne fait que louer ses compétences de technicien pour les mettre au service de
l'armateur. Le capitaine est tenu de se conformer aux ordres de son employeur pour tout ce qui
ne se rapporte pas à la navigation proprement dite et à la sécurité de cette navigation. Les
grandes lignes de l'expédition maritime (l'itinéraire et les escales) sont, en effet, tracées par les
12 Sentence de la chambre arbitrale maritime de Paris du 21 décembre 1983, DMF 1984, 493. 13 C.A. Rouen, 1
er août 1979, DMF 1980, 200.
14 En ce sens G. N. Enoumedi, La responsabilité du capitaine de navire, Aix 1987, p.11 15 R. Garron, ibid, n° 109
11
différents services de la compagnie de Navigation (service de l’armement, service
commercial) qui ont la haute main sur les opérations purement commerciales. Leurs directives
concernant le fret et même l’équipement du navire s'imposent au capitaine dans la mesure où
elles ne portent pas atteintes à la sécurité. Si le capitaine est indépendant pour conduire le
navire à la mer, « il est subordonné (à l’armateur) pour toutes les opérations de préparation et
d'exécution à terre de l'expédition maritime »16.
Et R. Garron a préconisé une autre approche, consistant à voir dans le capitaine un réalisateur
d’activité
B. Le capitaine réalisateur d'activité17
R. Garron part d'un postulat : le capitaine exerce l'activité de son armateur. Ensuite il
convient de trouver « le promoteur » d'activité c'est-à-dire celui qui est la cause principale, qui
donne la principale impulsion. Pour R. Garron, le promoteur est nécessairement celui qui fixe
originairement le but de son activité. Non seulement il en détermine l’étendue mais il en
modifie le cadre à son gré, dans la mesure où des engagements contractuels ou
extracontractuels ne viennent pas limiter ce pouvoir. Et il n’appartient qu’à l’armateur de
projeter, d’organiser, d’arrêter ou de poursuivre le voyage, de choisir tel itinéraire ou de
prévoir telle escale. Le capitaine quant à lui n’est que le « réalisateur » d’une activité du
transporteur maritime, la conduite du navire ne représentant qu’une des actions qui permettent
de réaliser l’activité générale de l’exploitant maritime. Le capitaine exerce l’activité de son
armateur.
Cette qualification du capitaine présente plusieurs avantages :
– tout d’abord la qualification de réalisateur, sans faire de ce dernier un préposé d’une
conception nouvelle, évitera les critiques de ceux qui font de la subordination juridique le
critère exclusif du lien de commission.
– de plus, les catégories de promoteur et de réalisateur ne sont pas figées. Un promoteur peut
agir lui-même, ainsi il ne sera pas commettant mais sera réalisateur de sa propre activité, sans
être un préposé.
– d’autre part, il semble que l’idée d’initiative d’activité, d’activité créée, soit la clef de voûte
de toute la responsabilité professionnelle et non pas les idées traditionnelles d’indépendance et
de subordination ; il semble que la responsabilité du préposé ne soit qu’un cas particulier de la
responsabilité générale du réalisateur. Tirant les conséquences de son approche, R. Garron
propose d’éliminer les situations de responsabilité sans faute du capitaine, que connaît ou
16 G. de Lestang, Garde et préposition, thèse Bordeaux 1961, n° 115, cité par Garron, ibid, n° 109. 17 R. Garron, ibid, n° 118 et suiv.
12
pourrait connaître ce dernier, cette responsabilité devant incomber au promoteur qui crée le
risque de l’entreprise.
Il propose parallèlement d’atténuer la responsabilité pour faute des réalisateurs d’activité.
Cette approche fut critiquée, notamment par le Doyen Rodière, lui reprochant de ne pas cerner
la figure juridique du capitaine, dans la mesure où la notion de réalisateur d’activité peut
abriter les notions de salarié lié par un contrat de travail, de sous-traitant ou d’entrepreneur lié
par un contrat d’entreprise voire même celle d’un transporteur dans ses rapports avec l’agence
de voyage qui conçoit une croisière et la fait réaliser par d’autres. Il reprocha à cette idée de ne
déboucher sur rien de précis.
Le doyen Rodière souligne que le capitaine est chargé de conduire un navire en vue d’une ou
plusieurs expéditions. Le capitaine se trouve préposé à la sauvegarde de toutes les personnes
embarquées ainsi qu’à celle des marchandises. La mission du capitaine relève de l’ordre public
si l’on considère que le navire peut causer d’immenses dommages soit par sa masse soit par
les produits qui s’en échappent ou sont jetés.
Deux traits marquent le capitaine : il est désigné par l’armateur, il est le délégataire d’un
pouvoir public.
Ces deux aspects qui composent la figure juridique du capitaine n'ont pas leurs domaines
respectifs séparés l'un de l'autre. Quand le capitaine établit un acte d'état civil, il agit comme
délégataire de l'autorité publique, cependant il a été désigné par l’armateur donc il pourrait
peut-être engagé par ses fautes la responsabilité pécuniaire de son armateur. Parallèlement,
quand il engage des marins pour achever une expédition, il agit comme représentant de
l'armateur et ce dernier aura le devoir de les rapatrier, obligations dont l’Etat en est
directement créancier18.
D'autres approches ont été élaborées en essayant de définir le statut du capitaine en
s’intéressant à deux types de contrat : le contrat de louage de services et le contrat de mandat.
§ 2. Les approches traditionnelles
Des juristes, Lyon-Caen et Renaud disaient « le capitaine ; c'est une figure double c'est à la
fois un préposé et un mandataire »19.
On a vu dans le capitaine un mandataire, représentant commercial de l'armateur. Mais cette
fonction a diminué dans le temps avec le développement des moyens de communication
(télégrammes, téléphone par satellite, télex, fax, Internet)et la présence systématique de
18 R. Rodière, ibid., n° 398 et suiv.
19 Cités par F. Odier, Annuaire de droit maritime et aéro-spatial, Tome 12, 1993, p 294 et R. Rodière, ibid., n°
398.
13
consignataires et/ou d’Agents du Navire lors des escales ; même s'il en reste encore des traces.
Aujourd'hui le capitaine est plutôt vu comme un préposé du fait qu'il est tenu par des droits et
obligations qui sont en partie définis par son armateur.
A. Le capitaine mandataire
Le Code de commerce montre le rôle important de mandataire commercial du capitaine. Il
passe les contrats d'affrètement, reçoit les marchandises et en délivre reçu, engage l’équipage,
emprunte en cours de route, approvisionne le navire de ce qui lui est nécessaire ; il vend même
le navire devenu innavigable.
Ce rôle de mandataire commercial a été d'autant plus fort qu’en l'absence de moyens de
communication à distance, le capitaine était libre de prendre des initiatives et de souscrire des
engagements au nom de l’armateur.
Mais aujourd'hui ses fonctions commerciales ont décliné du fait de l'installation à terre, soit
d’agences permanentes de l’armateur (dans le cas de lignes régulières) soit de consignataires
de navire (dans le cas de lignes non régulières) ; elles ne s'exercent plus que dans des
circonstances exceptionnelles.
On retrouve cette situation en droit aérien, l’article L. 422.4 précisant que le commandant de
bord est « le consignataire de l’appareil et le responsable du chargement » mais ses
prérogatives ne pourront être exercées que si le commandant de bord est dans l’impossibilité
de recevoir des instructions précises de l’exploitant de l’aéronef. Or en pratique, le
développement des communications et la présence de services à terre performants destinés à
réduire les temps d’escale et augmenter les rotations possibles font que le commandant de
bord ne se contente plus que d’assurer la conduite de l’aéronef et sa sécurité20.
La loi du 3 janvier 1969 ne reconnaît au capitaine le pouvoir d’engager son armateur qu’en
dehors des lieux où l'armateur a son principal établissement ou une succursale ; hors de ces
lieux, le capitaine pourvoit aux besoins normaux du navire et de l'expédition (art. 6). Il ne peut
prendre d'autres engagements qu'en vertu d'un mandat exprès de l'armateur ou, en cas
d'impossibilité de communiquer, avec l'autorisation du tribunal compétent ou à l'étranger, de
l’autorité consulaire (art. 7).
Ainsi, la diminution des pouvoirs du capitaine en matière commerciale fait que le mandat ne
peut pas être une réponse globale pour définir la fonction du capitaine même s'il peut
expliquer certains aspects de sa fonction.
20 Ch. Scapel : parallèle entre le commandant de bord d’aéronef et le commandant de navire, p 26, revue de droit
français commercial, maritime et fiscal, avril-mai-juin 1991.
14
B. Le capitaine, préposé de l'armateur
On peut considérer effectivement que le contrat d'engagement du capitaine est un contrat de
louage de services. Tout d'abord nous pouvons trouver des points communs entre ces deux
contrats :
– comme un salarié lié par un contrat de travail, le capitaine ne peut pas être un
commerçant21,
– comme dans un contrat de travail, l’armateur paie des cotisations sociales à une caisse
(l'Etablissement National des Invalides de la Marine) couvrant certains risques subis
par l’équipage,
– les créances résultant du contrat d'engagement sont privilégiées comme pour les
salariés de droit commun.
Si l'on observe une indépendance certaine dans l'exécution de la mission confiée au capitaine,
cela tient en partie à l'éloignement du navire, mais éloignement n’exclut pas la
subordination22. De plus, le droit du travail comprend aujourd'hui une conception extensive de
la notion de préposé : la subordination y est envisagée comme le fait pour le préposé de
recevoir des ordres de l'employeur qui en contrôle effectivement l'accomplissement et en
vérifie les résultats23. Or l'armateur donne des ordres au capitaine et vérifie aussi la bonne
exécution de la mission confiée. Le capitaine est intégré à la structure de l'entreprise. Et c’est à
cette conception que s’est ralliée la jurisprudence.
SECTION II. La position de la jurisprudence
La position de la Cour de cassation est claire : dans l'affaire du Lamoricière24 et celle du
Champollion25, elle a considéré l'armateur comme gardien du navire et le capitaine comme
préposé. Suite à ce premier arrêt, les discussions ont été vives, et certaines très critiques à
l'égard de la position prise par la Cour de cassation. Dans son deuxième arrêt, la cour d'appel
n'a pas changé de cap, abondant dans le sens de la Cour de cassation. Nous allons analyser
dans le détail ce deuxième arrêt puisque confirmatif de la position de la Cour de cassation, et
ce, malgré des critiques parfois acerbes. Nous verrons aussi que la position de la jurisprudence
21 Un doute s'est posé car en vertu de l'art. 1er, 1°,litt d. du décret du 22 décembre 1972, le capitaine est électeur et
éligible aux tribunaux de commerce s'il exerce le commandement d'un navire au titre d'une compagnie
française. Cependant, comme le souligne E. du Pontavice ce texte comprend dans le corps électoral d'autres
personnes qui s'occupent, par métier, de commerce, comme les pilotes de l'aéronautique civile. 22 Un chauffeur routier est sans contestation un préposé. 23 Comerlynk et Lyon Caen, Droit du travail, précis Dalloz, 10e édition, n° 87, cité par M.Rémond-Gouilloud,
Droit maritime, 2e édition 1994, n° 204.
24 Cass. 18 juin 1951, DMF 1951, 429, Dalloz 1951, 717 note G.Ripert. 25 CA Paris, 4 juillet 1956, DMF 1956, 584, note G. Ripert.
15
a des conséquences, notamment quant à la détermination des commettants du capitaine et leurs
responsabilités.
§ 1. L'affaire du Champollion
Le paquebot Champollion quitta Alexandrie pour se rendre en Terre sainte. Il s'échoua au sud
de Beyrouth à quelques centaines de mètres de la côte. Un passager, alors qu'il tentait de
gagner le rivage à la nage, trouva la mort en traversant une nappe de mazout.
Les ayants droit de la victime intentèrent une action en responsabilité pour faute contre le
capitaine en sa qualité de gardien du navire, de même qu’ils demandèrent au juge de déclarer
l’armateur responsable comme commettant du capitaine et comme gardien du navire.
Lors du débat il est ressorti que le capitaine n’avait commis aucune faute qui ait concouru à la
réalisation de l'échouement du navire et qu'il avait, après le naufrage, donné aux passagers
sachant nager et munis d'une ceinture de sauvetage l'autorisation de quitter le bord compte
tenu du risque extrêmement grave que présentait la position du navire, dont la gîte était de 45
degrés et qui pouvait à tout instant se coucher complètement en engloutissant les passagers.
Par un jugement du tribunal de commerce de la Seine, l'armateur fut reconnu responsable du
dommage et condamné à indemniser les ayants droit de la victime.
Il interjeta appel contre la décision, prétextant qu'au moment du naufrage, il avait perdu sa
qualité de gardien du navire au sens de l'article 1384 al 1 du Code civil, puisque le capitaine,
en prenant le commandement du navire y exerçait des pouvoirs qui lui étaient propres.
La Cour d’appel de Paris confirma le jugement du tribunal de commerce de la Seine au motif
que « ... l'article 1384 alinéa 1er du Code civil qui régit la responsabilité du fait des choses est
une disposition de portée générale... l'autonomie du droit maritime est limitée aux règles
spéciales édictées en cette matière, soumises en principe aux règles du droit commun... à
défaut de texte exprès contraire, l'application de l'article 1384 al. 1 du Code civil doit être
faite aux navires comme à toute chose inanimée et soumise à la garde de l'homme... Le
capitaine exerce les pouvoirs dont il dispose et qui sont reconnus par certaines dispositions
législatives, notamment l'article 46 du code disciplinaire et pénal de la Marine Marchande
dans l'intérêt de l'armateur dont il demeure le préposé qu'il représente et à qui il se trouve
substitué;... il ne tient ses pouvoirs que dans ses fonctions de préposé et que cette qualité est
incompatible avec celle de gardien qui n'appartient qu'à l’armateur en raison des pouvoirs
d'usage, de contrôle et de direction qu’il conserve sur le navire;... il est de jurisprudence que
le propriétaire d’un véhicule conduit par son préposé en conserve la garde alors même qu’en
raison de l'éloignement ou de tout autre circonstance il ne lui est pas possible de donner des
ordres précis à propos des incidents pouvant survenir soudainement dans le parcours et à
l'égard desquels le préposé se trouve avoir nécessairement une initiative presque absolue;...
l'initiative laissée au préposé n'a pas pour effet de lui transférer la garde de la chose;... enfin
16
les textes spéciaux du droit maritime, loin de décharger l’armateur ou propriétaire de la
garde, l'obligent à une surveillance et à un contrôle personnels qui implique nécessairement
qu'il demeure gardien de son bâtiment ».
La Cour d'appel confirma, ainsi, de manière explicite la position prise par la jurisprudence
quelques années auparavant dans l'affaire du paquebot Lamoricière.
Considérer le capitaine comme un préposé comporte deux conséquences majeures, la première
qui est relative à l’identification du commettant et la seconde qui est relative à la
responsabilité civile de ce dernier.
§ 2. Les conséquences de la qualification de préposé
A. La détermination du commettant
L'identification du commettant ne pose pas de difficultés lorsque le capitaine est lié au
propriétaire du navire par un contrat d'engagement maritime. L’identification posera problème
en cas d'affrètement. Le capitaine est-il le préposé du fréteur ou de l’affréteur? La réponse
dépend de la nature de l'affrètement.
– dans le cas de l'affrètement coque nue, prévu aux articles 10 et suivants de la loi du 18 juin
1966 et aux articles 25 et suivants du décret d'application du 31 décembre 1966, le commettant
sera l’affréteur, puisque c'est lui qui compose et recrute l’équipage et qui exploite
techniquement et commercialement le navire. Le contrat d'affrètement se ramenant ici à un
simple louage de chose26.
– dans l'affrètement au voyage27, le fréteur garde la gestion nautique et commerciale du navire.
C'est donc lui qui a la qualité de commettant du capitaine. La situation juridique de l’affréteur
est plus proche de celle d’un chargeur que de celle d'un armateur28. C'est donc le fréteur qui
répond des fautes du capitaine.
– l’affrètement à temps pose plus de problèmes dans la mesure où ici il faut distinguer la
gestion nautique de la gestion commerciale. La gestion nautique est conservée par le fréteur
(art. 20 du décret du 31 décembre 1966) et la gestion commerciale incombe à l’affréteur (art.
21 du décret du 31 décembre 1966). L’affréteur, en tant que transporteur, ne répond pas des
fautes nautiques du capitaine29 (qui sont considérées par ailleurs comme « cas exceptés »
26 DMF 1993, 753: le droit suisse désignant l'affrètement coque nue sous le nom de location et le réglemente à ce
titre. 27 Prévu par les art. 5 et suiv. de la loi du 18 juin 1966 et art. 5 et suiv. du décret du 31 décembre 1966.
28 D. Veaux, Capitaine, Juris-classeur comm. , vol. 6, fasc. 1155, n° 16. 29 Sur la notion de faute nautique cf. infra, p. 25 et suiv.
17
exonérant le transporteur de toute responsabilité conformément à la loi du 18 juin 1966 et à la
convention de Bruxelles de 192430). A l'inverse, les fautes commerciales commises par le
capitaine engagent la responsabilité de l’affréteur.
La même difficulté se retrouve en cas de remorquage. Dans le contrat de remorquage, le
couple remorqueur-remorqué forme un tout placé sous la direction d'un seul des deux
capitaines. En vertu de l'article 26 de la loi du 3 janvier 1969, les opérations de remorquage
portuaire s'effectuent sous la direction du capitaine du navire remorqué et l’article 28 dispose
que les opérations de remorquage en haute mer s'effectuent sous la direction du capitaine du
remorqueur. Ainsi l'un des capitaines (celui du remorqueur dans les ports ou celui du navire
remorqué en haute mer) devient le préposé occasionnel de l'autre. Les dommages qui peuvent
se produire, sont en principe, à la charge de l’armateur du navire remorqué en cas d'abordage
entre remorqueur et remorqué (dans le cadre du remorquage portuaire). En cas de remorquage
hauturier, la liberté contractuelle étant de mise, les entreprises de remorquage prévoient que le
remorqueur est le préposé du capitaine du navire remorqué et en cas de dommages, on
retrouve la solution applicable au remorquage portuaire.
Une fois le commettant du capitaine désigné, il convient d’analyser sa responsabilité civile.
B. La responsabilité civile du commettant
Le capitaine, comme tout préposé, engage la responsabilité civile de son commettant pour les
fautes qu'il commet dans l'exercice de ses fonctions, en vertu de l'article 1384 al. 5 du Code
civil. Mais ce régime de droit commun de la responsabilité délictuelle cède, en droit maritime,
devant les règles spécifiques des contrats de passage ou de transport de marchandises : la loi
du 18 juin 1966 (art 32 al. 3 et 42) soumet toutes les actions dérivées de ces contrats à un
régime spécifique et unique, quelle que soit le type d'activité dirigée contre le transporteur :
action en responsabilité contractuelle du fait des cocontractants (passagers, chargeurs,
destinataires) ou, parfois, action en responsabilité délictuelle (ayants droit de ces
cocontractants qui chercheraient à esquiver les exonérations et limitations contractuelles en se
réfugiant sur le terrain délictuel)31. L'article 1384 al. 1 peut encore jouer dans les cas de
dommages causés à terre par exemple32 ou dans les cas d'abordage.
Mais cette qualification de préposé, en ce qui concerne le statut du capitaine, est sujette à
critiques.
30 Sur les limitations de responsabilité cf. infra, p. 34 et suiv.
31 A. Vialard, Droit maritime, PUF 1997, n° 203. 32 TGI Rouen, 8 juillet 1966, DMF 1966, 741, note M. Osmont: le cas de la rupture d'une amarre blessant
mortellement un officier de port sur le quai; CA Rouen, 24 novembre 1983, BT 1984, 373 et DMF 1983, 736:
le cas de dommages provoqués à des automobilistes du fait du déferlement d'une vague provoqué par la passage
d'un navire, au niveau d'une brèche dans le parapet.
18
§ 3. Les critiques de la qualification de préposé
La qualification de préposé de l’armateur en ce qui concerne le statut du capitaine est sujette à
critiques. Les jurisprudences Lamoricière et Champollion ont eu pour effet de refuser la
qualité de gardien du navire au sens de l'article 1384 al.1 dans la mesure où le capitaine a été
considéré comme préposé de l'armateur au titre de l'article 1384 al.5. Parce qu'il est le préposé
de l'armateur, le capitaine ne peut être gardien du navire.
Le doyen Chauveau fut très critique à l'égard de ces jurisprudences et considérait que « pour
qu'il y eut le lien de préposition, on avait toujours exigé jusqu'ici que le préposé fut sous la
dépendance non seulement économique mais juridique du commettant, dépendance se
traduisant par le droit de donner des ordres au préposé dans l'exercice de ses fonctions... .
Dans ces conditions, la qualification de préposé au sens de l'article 1385 du Code civil
donnée au capitaine par une jurisprudence récente est fausse et anti-juridique parce que la
dépendance juridique n'existe pas. L'assimilation ne deviendrait possible que si, modifiant le
concept de préposé, on admettait que cette dépendance juridique ne serait plus la
caractéristique essentielle ».
Le doyen Chauveau n'accepta pas cette jurisprudence aboutissant à placer sur le même pied
d'égalité un capitaine de navire et une femme de ménage33.
Le principe d'incompatibilité entre les fonctions de gardien et de préposé est expliqué par
l'idée de subordination. Le préposé ne peut être gardien car il ne jouit pas de l'indépendance
nécessaire pour exercer les pouvoirs d'usage, de contrôle et de direction qui caractérisent la
garde de la chose. Cependant le capitaine est investi d'un pouvoir légal et exclusif de
commandement sur son navire.
Ainsi comme A. Vialard le souligne sans demi-mesure le principe d'incompatibilité des
fonctions de gardien et de préposé devient tout simplement grotesque et incohérent. En effet,
lorsque la Cour de cassation décide qu'un enfant en très bas âge, dont la dépendance absolue à
l'autorité parentale, a priori, ne fait pas de doute, peut se voir reconnaître la qualité de
gardien34, il y a une incohérence certaine
35 surtout si le capitaine ne peut bénéficier de ce statut
de gardien, car apparemment trop dépendant de l'armateur.
Pour sa part le Doyen Ripert souligne que l’on est en présence d’une situation juridique
réglementée par la loi ou par les usages conventionnels, et les règles civiles s’appliquent très
33 P. Chauveau, Traité de droit maritime, n° 364 et suiv. 34 A.P. 9 mai 1984, Gabillet, D 1984, 525, conclusions J. Cabannes: « en retenant que le jeune Eric avait
l'usage,la direction et le contrôle du bâton, la CA qui n'avait pas, malgré le très jeune âge du mineur (3 ans), à
rechercher si celui-ci avait un discernement, a légalement justifié sa décision ». 35 A. Vialard, Droit maritime,PUF 1997, n° 218.
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mal à cette situation, qu’il n’y a pas de louage de service, parce que le capitaine passe, au nom
de l’armateur des actes juridiques qui n’engagent que la fortune de mer et qu’il plaide en son
propre nom pour le compte de l’armateur, que ce ne sont pas des rapports de droit privé qui les
unissent et qu’on a le tort de vouloir expliquer tout le droit maritime par les notions de notre
droit civil36.
De plus, en vertu de la loi du 3 janvier 1969, le capitaine répond de toutes les fautes commises
dans l'exercice de ses fonctions (art. 5). C'est le capitaine qui répond de ses fautes et non
l'armateur qui répond de son capitaine comme de n’importe lequel de ses préposés terrestres.
En matière de sécurité, le capitaine a des obligations que personne d'autre ne peut assumer, il
ne doit recevoir d'ordre de qui que ce soit. Ainsi comme le fait remarquer madame Odier, ni le
contrat de mandat, ni le lien de préposition ne rendent exactement compte de la situation
juridique du capitaine37.
Cependant, cette qualification de préposé du capitaine, lui niant la qualité de gardien présente
deux avantages. Tout d'abord, elle est protectrice des intérêts des victimes. Ceux-ci trouveront
plus facilement les moyens de se faire indemniser à hauteur convenable dans la mesure où la
surface financière d'un armateur est autrement plus conséquente que celle d'un capitaine.
D'autre part, le capitaine ne se retrouvera pas seul face aux victimes.
De plus ces jurisprudences peuvent s'expliquer par la notion de « risque créé ». Le fait d'armer
un navire et de l'exploiter peut être source de dommages considérables aussi bien pour le
personnel d'exploitation que pour les tiers. Il apparaît donc légitime que celui qui crée ce
risque l'assume dans ses divers aspects.
Une fois dégagée la position de la Cour de cassation quant au statut du capitaine, il
convient maintenant d'analyser dans quels cas la responsabilité du capitaine peut être mise
personnellement en jeu.
36 Ripert, ed 1950 tome 1, n°807. 37 F. Odier, La responsabilité du capitaine, ibid, p. 295.
20
CHAPITRE II. MISE EN JEU DE LA RESPONSABILITE CIVILE
DU CAPITAINE
Le capitaine dispose nécessairement d’attributions essentielles qui sont relatives, d’une part à
la conduite du navire et à sa sécurité et d’autre part à sa fonction de représentant de l’Etat à
bord. C’est à l’occasion de l’exercice de ses attributions que le capitaine peut voir sa
responsabilité personnelle engagée, notamment, lorsqu’il est à la base de dommages pour les
personnes que je qualifierai de vrais tiers, et pour les autres tiers, c’est à dire les chargeurs ou
les ayant droits à la marchandise qui sont en relation directe avec le capitaine du fait de
l’existence même d’un contrat de transport.
Toutefois le capitaine dispose de la faculté d’invoquer les cas exceptés et les limites de
responsabilité dont peuvent se prévaloir les transporteurs et les armateurs.
SECTION I. La faute du capitaine dans ses attributions essentielles
Le navire est une communauté de personnes (équipage et passagers), ainsi que de biens, vivant
en autarcie notamment lorsque le navire est en mer. Or, une des missions de l’Etat est de
veiller à l'application de ses lois. A ce titre, il charge le capitaine d’exprimer les réalités du
pavillon. Le capitaine, responsable de la conduite du navire et des personnes et des biens
embarqués à son bord devient le chef de la société de bord. En tant que chef de la société de
bord, le capitaine a des obligations impérieuses : obligations qui ont trait à sa fonction de
représentant de l’Etat et qui ont un caractère d'ordre public et obligations de mener une
expédition maritime à bon port.
§ 1. L’inexécution par le capitaine de ses devoirs légaux, indépendamment de
la conduite du navire
Du fait de l'isolement en mer de la communauté de bord, la loi a conféré au capitaine le
pouvoir d'exercer des missions de fonction publique relevant normalement de la compétence
de l’Etat ou des officiers ministériels.
21
Le capitaine est tout d'abord un officier d’état civil. Il dresse les actes des naissances à bord,
que le navire soit en mer ou au port à condition dans ce cas qu'aucune communication avec la
terre ne soit possible, et à l'étranger dans le cas d'absence d'autorité diplomatique ou consulaire
(art. 59 du Code civil). Cette naissance sera inscrite à la suite du rôle d'équipage. Il dresse
également les actes de décès dans le cas où une personne à bord meurt, et ce, dans les vingt-
quatre heures (art. 86 du Code civil). Ses fonctions se limitent au cas d'urgence. Tel n'est pas
le cas d’un mariage, de plus il ne serait pas possible de procéder aux publications requises par
la loi avant le mariage. Enfin, les actes dressés par le capitaine ne tiennent lieu que d’actes
provisoires et devront être reportés sur un véritable registre d’Etat civil.
Le capitaine exerce également une fonction de notaire : il reçoit les testaments, en la
forme authentique des personnes présentes à bord.38 Il doit être assisté de son second. Ce
testament n'a qu'une valeur provisoire : il n'est valable que si le testateur meurt au cours du
voyage ou dans les 6 mois suivants son débarquement dans un lieu où il aura la possibilité
d'employer les formes ordinaires.39 Un testament olographe est aussi envisageable et aura ainsi
la même valeur qu'un testament en la forme authentique. Le capitaine est frappé d'une
incapacité de recevoir un leg en vertu d'un testament fait à bord, sauf s'il est parent ou allié du
testateur et ce, quelle que soit la forme du testament : authentique ou olographe.40
Le capitaine est aussi officier de police judiciaire. Aux termes de l'article 28 du Code
disciplinaire et pénal de la marine marchande, le capitaine fait partie des personnes habilitées à
rechercher et constater d'office les crimes et délits commis à bord (article 26), à rédiger les
procès-verbaux affranchis de la nécessité d'affirmation (article 27), à procéder à l'enquête
préliminaire (article 28).
Ainsi pour la mauvaise rédaction d'un acte d’Etat civil ou la négligence apportée à l'instruction
préliminaire des crimes et délits commis à bord, le capitaine peut voir engager sa
responsabilité sur le plan civil. Ici, le capitaine sera seul responsable et non l'armateur, la
théorie de la représentation ne jouant pas. Il est clair que le capitaine a été choisi par
l’armateur, « mais on ne saurait dire qu'il l’a préposé à de pareilles fonctions. C'est la loi qui,
profitant de la présence d'un capitaine à bord du navire, le charge de certaines missions ».41
La même solution devrait s'imposer en cas de demande tendant à la réparation d'un préjudice
résultant de l'exercice, par le capitaine, de ses attributions disciplinaires. Le capitaine devra
38 Art. 988 C.Civ., dans le cas où le navire est en mer ou dans un port étranger où il n'y a pas d'agent
diplomatique ou consulaire français investi des fonctions de notaire. 39 Art. 994 C.Civ. 40 Art. 995 C.Civ. A noter que la même règle s'applique au personnel médical et ayant eu à s'occuper d'une
personne malade, cette personne décédant ensuite de cette maladie (art. 909 C.Civ.). 41 R. Rodière, ibid., n° 400.
22
alors prouver que la mesure prise l’a été dans de justes proportions en fonction de la gravité de
la situation42.
En matière aérienne, le commandant de bord, tout comme le capitaine de navire, est le chef de
la société du bord. A ce titre, il dispose de toute autorité sur les passagers et les membres
d’équipage, cette autorité pouvant impliquer des mesures coercitives ; l’article L. 422-3
précisant que le commandant a « la faculté de débarquer toute personne parmi l’équipage ou
les passagers qui peut présenter un danger pour la sécurité, la salubrité ou le bon ordre à
bord de l’aéronef »43. En revanche, contrairement au capitaine, la loi n’a pas reconnu au
commandant d’aéronef les différentes délégations de puissance publique concédées au
capitaine, sans doute du fait de la durée des voyages beaucoup plus courte dans le domaine
aérien.
Le capitaine a aussi une fonction de représentation en justice de l'armateur, en vertu de
l’article 10 du décret du 19 juin 1969 44 sur l'armement, à tel point qu'on a pu le qualifier de
« facteur d'une classe particulière 45». Ceci est une dérogation à la règle que « nul ne plaide par
procureur ». La question qui se pose est de savoir si le capitaine peut avoir une attitude active
c'est-à-dire s'il peut agir en lieu et place de l'armateur46. Pour le doyen Rodière, le capitaine n'a
aucun pouvoir de représentation active de l’armateur, en justice, sauf :
– si l’action est une mesure conservatoire et que le capitaine ne se trouve pas dans le lieu
de la demeure de l’armateur,
– en cas de communication impossible avec l'armateur,
– s'il a reçu de l'armateur une procuration ad litem.
En revanche le capitaine a un pouvoir entier de représentation passive de l’armateur en justice,
et les jugements rendus contre lui sont exécutoires contre l’armateur. Ainsi, si le capitaine ne
prend pas une mesure conservatoire pour garantir les droits de son armateur, ce dernier
pourrait engager une action contre lui.
Ainsi à propos de l'inexécution par le capitaine de ses devoirs légaux, indépendamment de la
conduite du navire, la responsabilité du capitaine peut être engagée à la demande des
passagers ou des ayants droit sur une base délictuelle. En pratique nous pouvons dire que le
contentieux est rare, voire inexistant.
42 En ce sens CA Caen, 27 juin 1957, DMF 1958,170, note Jambu – Merlin. 43 Pour une étude comparée des droits et obligations des capitaines de navire et des commandants de bord, voir R.
Achard, compte rendu de la rencontre air-mer du 17 octobre 1986, DMF 1987, p.176. 44 Sur cet art. v. M. Rémond – Gouilloud, un facteur d'une classe particulière : le capitaine, Revue Scapel, janv-
févr-mars 1994 (70e anniversaire). 45 Emerigon cité par Garron ,ibid, n° 88.
46 C'est ce qu'a prévu le code malgache: « le capitaine peut agir en justice, tant en demande qu'en défense, et peut
recevoir tous actes judiciaires ou extra judiciaires adressés au capitaine » cité par Rodière, ibid, n° 390
23
Plus abondant et intéressant est le contentieux concernant les actes ou omissions du capitaine
dans l'exécution des missions que l'armateur ou la loi lui a confié en relation avec la bonne fin
de l'expédition.
§ 2. Les fautes dans l’exécution des missions que l’armateur ou la loi a
confié au capitaine en relation avec la bonne fin de l’expédition
Ici le capitaine peut voir sa responsabilité engagée tant sur le plan contractuel que sur le plan
délictuel. Mais comme nous le verrons les actions sur le plan contractuel ne sont pas
fréquentes, alors qu’en ce qui concerne la responsabilité délictuelle du capitaine sa situation
est beaucoup moins favorable. Et dans ce dernier cas nous distinguerons deux hypothèses :
– la première où l’action en responsabilité délictuelle est intentée par un vrai tiers au
capitaine celui que je qualifierai de penitus extranei (c'est le cas dans l'affaire de l'Anne-
Bewa),
– la deuxième hypothèse où l'action est exercée par un faux tiers à savoir un chargeur ou
un passager.47 Faux tiers dans le sens où même si son action à l'égard du capitaine n'est pas
contractuelle, il tient la possibilité de cette action du fait de l'existence même d'un contrat de
transport. S'il n'y avait pas eu de contrat de transport, alors la marchandise ou le passager
n'aurait pas été transporté et n’aurait pas été, ainsi, en relation directe avec le capitaine. Et
dans cette hypothèse, ces tiers pourront soit poursuivre le transporteur en vertu du contrat de
transport proprement dit soit poursuivre le capitaine délictuellement. Comme nous le verrons,
ces tiers préféreront engager des poursuites contre le transporteur du fait de sa solvabilité
beaucoup plus importante que celle du capitaine. Mais ici, la difficulté proviendra du fait que
le transporteur pourra s'exonérer en invoquant une faute de son capitaine : la faute nautique.
Ainsi, le capitaine se verra poursuivre si sa faute rentre dans le cadre d'une faute nautique,
l’article 5 du 3 janvier 1969 stipulant que le capitaine répond de toutes ses fautes commises
dans le cadre de ses fonctions sauf à invoquer l’article 28 de la loi du 18 juin 1961 ou l’article
4 bis de la convention du 25 août 1924 si la demande est relative à des avaries ou manquants
concernant la cargaison.
Mais cette notion de faute nautique pose des problèmes quant à sa délimitation, notamment
par rapport à la faute commerciale qui elle n'exonère pas le transporteur. C'est cette notion de
faute nautique, source de bien des tracas, qu'il conviendra d'analyser dans un troisième temps.
47 Car si l'action concerne des avaries ou manquants relatifs à la marchandise transportée, le capitaine pourra faire
valoir une cause d'exonération particulière propre au transporteur, comme nous le verrons par la suite, v. infra
p.25 et suiv.
24
A. La mise en jeu de la responsabilité du capitaine sur le plan contractuel
Il s'agit ici du recours de l’armateur contre le capitaine, préalablement condamné à indemniser
les passagers ou les ayants droit ou les vrais tiers (sachant que seul l’armateur a un recours
contractuel contre son capitaine). L'article 1384 al. 5 du Code civil dispose que « les maîtres et
commettants sont civilement responsables du dommage causé par leurs domestiques et
préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés », tandis que l'article 1597 du Code
civil prévoit que « l'entrepreneur répond du fait des personnes qu'il emploie ». Or depuis
l'arrêt Lamoricière où la Cour de cassation a appliqué l’article 1384 al. 1 aux navires et a
décidé que c'était l'armateur qui avait la garde du navire et non le capitaine, la qualité de
préposé a été reconnue au capitaine, rendant ainsi possible les actions en réparation contre
l’armateur du fait de la faute du capitaine. Mais parallèlement, les actions récursoires de
l’armateur contre le capitaine sont possibles48. La situation est la même en droit anglais
49.
Il convient de s'interroger et de chercher si de pareilles actions ont déjà été diligentées et si
oui, si elles sont nombreuses ou constituent des cas marginaux. Il apparaît concrètement que
ces actions récursoires sont très rares50, et ce, pour plusieurs raisons pratiques. Tout d'abord
parce que des considérations d'attachement et d'intérêt incitent les armateurs à éviter de pareils
recours 51(trouveraient-ils ensuite d'autres capitaines acceptant de naviguer pour eux ?).
D'autre part, le recours est voué à l'échec en droit chaque fois que le capitaine peut, comme un
préposé terrestre, démontrer qu'il a exécuté les ordres ou les instructions de son armateur, ce
qui est parfaitement plausible lorsqu'il s'agit de fautes commerciales52. Ensuite parce que le
commettant, l'armement est assuré. Et c’est l'ensemble de l'activité industrielle et commerciale
qui est assuré.
Peu importe donc que l'acte constitutif trouve son origine à bord ou à terre. Les capitaines sont
des préposés comme d'autres au sens du Code civil (certes jouissant d'un certaine
indépendance), et l'effet dommageable qu’ils ont pu causer aux personnes et aux biens dans
l'exercice de leurs fonctions sont couverts par l'assurance de l'entreprise maritime. Comme le
souligne le commandant J.P. Declercq, les P&I Clubs donnent en général une couverture au
navire dans le cadre de son exploitation normale. Sont donc couverts tous les faits
dommageables, qu’ils soient le fait de l’armateur, de l'affréteur, du capitaine ou de l'équipage.
D'autre part, le recours est ouvert uniquement à l'employeur mais pas à l’assureur, la loi
française sur les assurances interdisant le recours de l'assureur du commettant contre le
préposé, en matière terrestre.
48 En ce sens, Civ
1 20 mars 1979, Dalloz 1980.
49 Shipping Law, Chorley et Giles, Pitman, p.71 cité par le Cdt J P Declercq, le capitaine est-il bien assuré?,
JMM 18 octobre 1991, 2536. 50 En ce sens E. du Pontavice, compte rendu du Colloque Hydro- Afcan 4 et 11 avril 1991.
51 En ce sens R Rodière, ibid., n° 400. 52 E. du Pontavice, ibid., n° 263.
25
Les actions récursoires contre le capitaine étant quasi inexistantes, il convient de s'interroger
sur les actions intentées directement contre le capitaine.
B. La mise en jeu de la responsabilité du capitaine sur le plan délictuel
Elle peut être mis en jeu par des vrais tiers à l'expédition maritime, comme dans le cas de
l'affaire de l'Anne Bewa53.
Les faits étaient les suivants : après son départ du port de Marseille, un navire, en l'occurrence
l'Anne Bewa, fit l'objet d'un incendie à bord. L'intervention de la marine nationale en hommes
et matériel fut sollicitée par le capitaine puis par l’agent maritime de l’armateur. Au cours de
l'intervention une explosion eut lieu, causant d'importants dommages corporels aux marins
pompiers. L’administration les indemnisa et exerça par voie de recours une action en paiement
conjoint et solidaire contre l'armateur et le capitaine, tout en réclamant le paiement dû par le
navire du fait du contrat d'entreprise.
Le tribunal de commerce de Toulon accéda à sa demande et condamna l'armateur et le
capitaine solidairement et conjointement à réparer les dommages matériels et corporels dus à
leur faute. L’armateur et le capitaine firent appel de ce jugement54. Dans sa décision, la Cour
d'appel d'Aix exonéra l’armateur de sa responsabilité vis-à-vis des dommages corporels subis
par les marins pompiers, mais condamna le capitaine seul, tout en lui accordant le droit à la
limitation de sa responsabilité. Elle invoqua comme motif qu’en acceptant un chargement et
un arrimage irrégulier des marchandises dangereuses et sans en présenter ni la liste ni leurs
emplacements exacts à bord aux autorités maritimes, le capitaine a commis des fautes qui sont
à l'origine des blessures subies par les marins pompiers, puisque la connaissance exacte des
risques d'explosion aurait permis, comme ce fut le cas par la suite, d'assurer la sécurité des
membres des équipes d'intervention en ne les exposant pas à ces dangers.
De même, en cas abordage par exemple, la faute prouvée du capitaine pourra engager sa
responsabilité directement envers l'autre navire. Ici il s'agit de n’importe quel type de faute, y
compris la faute nautique ; celle-ci ne pouvant l’exonérer de sa responsabilité.55
La mise en jeu de la responsabilité du capitaine sur le plan délictuel peut également être le fait
des chargeurs ou des ayants droit à la marchandise. Concrètement, en cas d'avarie à la
cargaison, les chargeurs vont tout d'abord essayer d’engager la responsabilité du transporteur
en application du contrat de transport, sachant que l'armateur à plus de chance d'être solvable
53 CA Aix en Provence 21 févr 1979, DMF 1980, 151 note P. Bonnassiès.
54 L'armateur argua qu'il était en l'espèce question d'un contrat d'assistance entraînant une limitation de
responsabilité à son profit et d'un affrètement à temps dont le navire a fait l'objet ceci rompant le lien de
préposition avec le capitaine. 55 Dans le cas où la faute nautique pourrait être exonératoire pour le capitaine de sa responsabilité, v. infra, p. 34
et suiv.
26
que le capitaine, ou à défaut sa compagnie d'assurance. Mais en vertu de la convention de
Bruxelles du 25 août 1924 et de la loi du 18 juin 1966 sur les contrats d'affrètement de
transport maritime, le transporteur peut s’exonérer du fait de la faute nautique de son préposé.
Donc si le dommage provient d'une faute nautique du capitaine, les chargeurs pourront
seulement invoquer la responsabilité de ce dernier. Cependant, l’article 28 de la même loi et
l'article 4 bis de la même convention stipule que « le préposé du transporteur peut prévaloir
des exonérations et des limitations de responsabilité que le transporteur peut invoquer ».
Comme la faute du capitaine en ce qui concerne la navigation ou l'administration du navire est
pour le transporteur une cause d'exonération de responsabilité, le capitaine pourra donc
opposer aux différents demandeurs ce cas excepté; 56 sauf s’il est prouvé que le dommage
résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l'intention de provoquer un tel
dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait
probablement. Mais il y a une difficulté tenant à la notion de faute nautique, notamment sa
distinction de la faute commerciale, qui elle n'exonère ni le transporteur, ni le capitaine57 : la
jurisprudence n’étant pas forcément cohérente, les critères de distinction entre ces deux
notions ne sont pas fixes. Il convient donc d'étudier cette notion de faute nautique.
C. La faute nautique
Comme nous l'avons dit, celle-ci libère le transporteur de sa responsabilité en vertu de l'article
27 b de la loi de 1966 et de l'article 4 § 2a de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924.Il
s'agit d'une dérogation au droit commun car généralement l'entrepreneur répond du fait des
personnes qu'il emploie.58 Comme nous l'avons dit, la distinction entre faute nautique
exonératoire et faute commerciale non exonératoire pose des difficultés, à tel point que l'on
peut s'interroger si une autre notion ne pourrait pas venir limiter le domaine de la faute
nautique : la faute dans la mise en état de navigabilité du navire.59
a. Les origines de la faute nautique
Avant que la loi ne s'intéresse au contrat de transport de marchandises, la liberté
contractuelle était de mise. Les transporteurs prévoyaient de nombreuses clauses d'exonération
de responsabilité (les negligences clauses) dans les cas de faute nautique et même
commerciale, dans la mesure où le rapport de force les opposant au chargeur était en leur
faveur.
56 Ce qui est une sacrée entorse à la règle « nemo auditur … ». 57 En cas de faute commerciale, les recours se feront généralement uniquement contre le transporteur, celui-ci
étant plus solvable que le capitaine. 58 Art. 1797 C.Civ. 59 V. en ce sens A. Sériaux, la faute du transporteur, n° 253.
27
Dans le domaine du transport des passagers la situation était la même : la plus célèbre des
clauses était celle qui prévoyait la non responsabilité de l’armateur en cas d’accidents
survenus à la suite d’une faute de navigation. Elle prît le nom d’Himalaya à cause du nom du
navire dans une affaire relative justement à une telle clause. La jurisprudence toléra ces
clauses d’exonération mais en y apportant deux limites :
– en cas d'une faute personnelle prouvée de l’armateur à l'origine du dommage,
– en cas de faute lucrative (dans le cas où le transporteur aurait tiré profit de la faute de
son préposé).60
Les Etats-Unis, pays de chargeurs s’insurgèrent et sous la pression des importateurs et
exportateurs américains le Harter Act fut voté le 13 février 1893 par le Congrès. Il était ainsi
institué un régime légal impératif prévoyant que l’armateur devait faire toute diligence pour
que le navire fut en état de tenir la mer et dûment équipé pour le voyage et que si cette
condition était réalisée l'armateur serait déclaré irresponsable d'une part des cas fortuits,
d'autre part des fautes nautiques du capitaine et de l'équipage. 61 Suite au Harter Act, une
convention de Bruxelles du 25 août 1924 et les lois du 2 avril 1936 et du 18 juin 1966
introduisirent au rang des cas exceptés celui de faute nautique. Selon la convention de
Bruxelles de 1924, le transporteur est exonéré « des actes, négligence ou défaut du capitaine,
marin, pilote ou des préposés du transporteur dans la navigation ou dans l'administration du
navire ». Quant à la loi de 1966 elle stipule que « le chargeur ou son ayant droit pourra
néanmoins faire preuve que les pertes ou dommages sont dus, en tout ou en partie, à une faute
du transporteur ou de ses préposés, autre que la faute nautique ».
Le problème maintenant est de savoir dans quels cas nous sommes en présence d'une faute
nautique, tout en sachant que les solutions jurisprudentielles ne sont pas forcément cohérentes.
Le texte anglais de la convention de Bruxelles parle de fautes « in the navigation or in the
management of the ship ». La question est de savoir si la « faute nautique française » exprime
la même réalité que le texte anglais. Il est clair que les fautes in the navigation sont des fautes
nautiques puisque en fait la faute nautique est généralement définie comme une faute relative à
la conduite du navire, une faute commise au cours d’une opération intéressant le navire en tant
que tel. Le doyen Rodière nous donne des exemples de faute dans la navigation : ce sont toutes
celles qui sont commises dans le choix de la route, dans la conception et l'exécution des
diverses manœuvres commandées au navire, ainsi que le mauvais choix d’un mouillage, une
mauvaise lecture de la carte, le fait de ne pas tenir compte des nouvelles météorologiques, de
ne pas tenir compte d'un feu... .62 Ce sont en fait les fautes in the management of the ship
(c'est-à-dire dans l'administration du navire) qui donnent lieu à des difficultés.
60 Req 5 juin 1920, S. 1921, 1, 293.
61 E. du Pontavice, Droit maritime, n° 327. 62 R. Rodière, Traité général de droit maritime, Tome 2, n° 621.
28
Certains auteurs, dont Maître Tynaire 63, ont soutenu une conception restrictive de la notion de
faute nautique en considérant qu'elle ne visait que les fautes « in the navigation », le
transporteur demeurant responsable des fautes dans l'administration du navire. Cependant la
majorité des auteurs ont soutenu une conception extensive de la faute nautique , englobant les
fautes commises dans la navigation et celles commises dans l'administration du navire. C'est
ce mouvement que la jurisprudence a suivi64, Le doyen Chauveau considérant que la même
faute pouvait se concevoir si le navire naviguait sans cargaison à bord (sur lest). 65Mais par là
même, la frontière entre faute nautique et faute commerciale sera difficile à cerner car une
erreur dans l'administration du navire peut causer des dommages à la marchandise.
Il convient maintenant d'étudier la position de la jurisprudence concernant la distinction entre
faute nautique et faute commerciale.
b. La distinction entre faute nautique et faute commerciale
Cette distinction étant parfois difficile à établir, le doyen Rodière proposa un critère de
distinction : « ce qui importe, c’est d’abord la destination, l’affectation de la partie du navire
sur laquelle s’est appliquée la faute, où l’on peut localiser la faute. S’agit-il d’une partie du
navire destinée à la cargaison ? La faute est commerciale. S’agit-il d’une partie du navire
intéressant le fonctionnement de la marchandise ou la sécurité du navire ? La faute est
nautique »66.
A titre d’exemple, nous pouvons citer un arrêt appliquant ce critère : il concerne le navire
Phryné. 67 Le capitaine de ce navire donna l’ordre d’envoyer de l’eau de mer dans une citerne
pour rétablir l’équilibre du bâtiment affecté par le débarquement d’une partie de sa cargaison
de vin. Malheureusement la citerne contenait encore du vin . la Cour d’appel de Montpellier,
tout en admettant que l’opération de ballastage était une « opération nautique », condamna le
transporteur, au motif que la faute commise ne résidait pas dans la manœuvre des ballasts,
mais dans l’erreur ayant consisté à introduire l’eau de mer dans une citerne contenant du vin.
La Cour de cassation donna raison à la Cour d’appel au motif que cette dernière avait pu
déduire de ses observations que la faute commise « était commerciale, puisqu’elle a consisté à
introduire sans vérification préalable de l’eau de mer dans une partie du navire destinée à la
cargaison de vin ».
63 A. Tynaire, La notion restrictive de la faute nautique en droit français, Gaz. Pal. 1958, II, doctrine p. 36. 64 V. Juris-classeur comm., fasc. 1266, n° 19. 65 P. Chauveau, Droit maritime, n° 808.
66 Lamy Transport, Tome 2, n° 517. 67 Comm. 11 mars 1965, DMF 1965, 408.
29
Cependant, l'arrimage68 défectueux qui devrait donc constituer, en principe, une faute
commerciale, peut revêtir le caractère d'une faute nautique lorsqu'il compromet la stabilité du
navire.69
Ainsi la jurisprudence a introduit un nouveau critère : celui de la sécurité du navire. Et dans un
arrêt du 17 juillet 1980, 70 la jurisprudence a posé pour principe que le caractère nautique de
l’opération n’entraîne pas nécessairement le caractère nautique de la faute : pour que ce
caractère soit retenu, les juges du fond doivent rechercher si la faute qui a été commise au
cours d'une opération (de ballastage) est ou non de nature à intéresser l'équilibre et la sécurité
du navire, (les faits étaient les suivants : des balles de tissus avaient été chargées sur le
Kenosha, affrété par une société à une autre et transportées par cette dernière sous
connaissement. Au cours d'une opération de ballastage, les marchandises ont subi des avaries).
Ainsi si la faute a compromis l'assiette et la sécurité du navire, elle est nautique et libère le
transporteur. Mais si la faute n’a eu d’effet dommageable que sur la marchandise, elle est de
nature commerciale.
Une incertitude concerne la faute d'arrimage. Normalement les opérations d'arrimage
concernent la marchandise donc une faute dans ce domaine devrait être qualifiée de
commerciale. Mais qu'en est-il lorsqu'un mauvais arrimage compromet la sécurité du navire?
S'agit-il d'une faute nautique? La réponse à cette question n'a pas qu'un intérêt théorique,
puisque en pratique elle très importante. En effet, si on reconnaît à la faute d'arrimage un
caractère nautique, le transporteur sera exonéré.
Le doyen Rodière, dans son Traité général du droit maritime (affrètement n° 183), précise
qu’il entre dans les fonctions du capitaine de commander l’exécution de l’arrimage. « En effet,
les arrimages se font en présence du second, donc c’est une fonction propre dans toutes les
marines marchandes… dans la mesure où l’arrimage concourt à la stabilité du navire et à la
sécurité de la navigation, le fréteur ni le transporteur ne sauraient s’en décharger. Le motif de
décider doit être cherché dans l’idée de sécurité d’une expédition dont dépendent des vies
humaines. Le capitaine a le devoir de vérifier la stabilité du navire. C’est une règle d’ordre
public ; à ce titre elle ne souffre la convention contraire ».71
Et la jurisprudence va en ce sens. Ainsi dans un arrêt de la Cour d'appel de Rouen du 16 mai
1969 72 il a été jugé que : « l'arrimage de la cargaison fait partie des attributions essentielles
du capitaine qui, seul, a le droit et obligations de répartir et de disposer comme il l’entend les
68 Opération consistant à disposer et à fixer la cargaison à l’intérieur de l'engin qui la contient, afin que les
éléments qui la composent ne se brisent pas les uns contre les autres ou ne se heurtent pas trop violemment aux
parois de l'engin, R. Rodière, Les contrats d'affrètement, Tome 1, n° 183. 69 CA Paris, 29 nov. 1978, DMF 1979, 80. 70 BT 1980, 567 et DMF 1981, 209.
71 Sur les obligations du capitaine en matière d'arrimage, DMF 1987, 214 72 DMF 1969, 744.
30
marchandises transportées, aussi bien dans l’intérêt de celles-ci que dans celui du navire,
dont l'assiette et la sécurité peuvent s'en trouver compromis, cette opération relève de la
technique du marin en vue d'assurer cette sécurité ; en conséquence, la faute d'arrimage doit
être considérée comme nautique toutes les fois qu'elle met en jeu la sécurité du navire ». Ici il
s'agissait des dommages causés à la cargaison de divers d’un navire (le Hildegard-
Dorenkamp) par la rupture des saisines d'un camion lance-fusée qui avait été arrimé en travers
de la cale et qui, sous l’effet d'une mauvaise mer, était venu percuté les tôles de la coque
causant ainsi une voie d’eau. A l'opposé, « le défaut d'arrimage qui provoque l’avarie d'une
partie de la cargaison mais qui ne compromet pas la stabilité et la sécurité du navire ne
constitue pas une faute nautiques mais une faute commerciale »73.
Mais ce critère relatif à la sécurité du navire pour considérer qu'une faute est nautique
n'échappe pas à la critique. A. Sériaux fait remarquer que « si n'étaient nautiques que les
fautes qui compromettent la sécurité du navire, beaucoup de fautes relatives à
l’administration de celui-ci ne seraient plus exonératoires parce que ne présentant pas une
importance suffisante pour mettre en péril le navire. Par ailleurs, s’il ne fait aucun doute
qu'une marchandise particulièrement lourde et glissante, un camion par exemple, risque, si
elle est mal arrimée, de compromettre la sécurité du navire, en revanche, la plupart des
choses transportées, n'ont pas une nature si particulière qu'elles constituent a priori un
danger pour le navire. Tout sera affaire de circonstances et une même opération pourra se
trouver qualifiée de nautique ou de commerciale suivant les données de l’espèce ».74 Il ne faut
pas oublier non plus les articles 38 du décret du 31 décembre 1966 et 3 al.2 de la convention
de Bruxelles de 1924 en vertu desquels le transporteur doit procéder de façon appropriée et
soigneuse au chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport, à la garde et au
déchargement de la marchandise. Ces deux textes paraissent considérer, sans aucun doute, que
la faute d'arrimage fait partie des fautes susceptibles d'engager la responsabilité du
transporteur : c’est donc une faute commerciale75.
D'autre part, un arrimage irrégulier en pontée peut menacer la sécurité du navire et donc, en
cas de dommage, être une faute nautique si on applique le critère de sécurité. Cependant
l'article 22 de la loi du 18 juin 1966 précise que « le transporteur commet une faute si, en
l'absence de consentement du chargeur mentionné sur le connaissement ou de dispositions
réglementaires qui l'imposent, il arrime la marchandise sur le pont du navire ». Et comme le
doyen Rodière l'a souligné:76 si l’arrimage en pontée irrégulier était une faute nautique,
l'article 22 n’aurait aucune portée. Et de conclure « mais on tiendra pour acquis dans cette
discussion que la faute consistant avoir chargé en pontée est une faute non nautique ». La
73 CA Paris, 10 oct. 1976, BT 1976, 474 et Comm. 10 avril 1959, JCP 1959, II 11153 note Juglart. 74 A. Sériaux, ibid., n° 288.
75 V. en ce sens R. Rodière, DMF 1979, 95 et Juglart, JCP 1959, II, 11153. 76 R. Rodière, Traité général de droit maritime, Tome 2, n° 525.
31
faute d'arrimage en pontée est donc bien une faute du transporteur c'est-à-dire une faute
commerciale. De plus, reconnaître à la faute d'arrimage un caractère commercial et non pas
nautique reviendrait à redonner à la faute nautique son caractère d'exception77.
Mais dans un arrêt relativement récent78, la Cour de cassation semble s'être tournée vers un
autre critère de distinction à savoir celui du but de l'opération fautive. En effet, elle a jugé que
lorsque « la gîte du navire et le désarrimage consécutif d'une partie de la cargaison avait eu
pour cause une faute de manutention commise au cours du déchargement des marchandises,
c'est à bon droit que la Cour d'appel a décidé que cette faute avait un caractère commercial
au sens de l'article 4-2 de la Convention internationale de Bruxelles du 25 août 1924 ».
Les faits étaient les suivants : le navire roulier Aude était arrivé à Oran chargé de matériel
arrimé sur des remorques. Après le débarquement de plusieurs lourdes remorques d’un même
bord, le navire prenait une gîte très importante, provoquant le désarrimage des autres
remorques, une partie de la cargaison devant être jetée à la mer pour éviter la perte du navire.
M. le professeur Bonassiès fait observer que « pour la Cour de cassation, le fait qu'une erreur
commise dans le déchargement du navire affecte gravement la sécurité du navire n'a pas
d'incidence sur la qualification de la faute commise par le transporteur... . Peu importe que la
faute commise par le capitaine aît ou non affectée la sécurité du navire le seul critère auquel
l’on doit se tenir est celui du but de l'opération fautive. Si cette opération avait seulement pour
objet un acte d'administration de la marchandise (arrimage, manipulation de la marchandise
à bord, ventilation, déchargement), la faute commise ne devient pas une faute dans la
navigation ou dans l'administration alors même qu'elle a des conséquences sur la sécurité du
navire ». Et de terminer en considérant que « si la jurisprudence nouvelle se confirme, la faute
nautique verra son domaine limité pour l'essentiel aux fautes commises en mer. Fautes de
chargement, fautes d'arrimage, fautes de déchargement seront exclues de ce domaine »79 et
seront donc des fautes commerciales. Nous ne pouvons qu'espérer que cette jurisprudence se
confirme.
En effet, comme nous l'avons dit précédemment, les chargeurs ou ayants droit à la
marchandise se retourneront d'abord contre le transporteur puisque celui-ci dispose d'une
surface financière plus importante que le capitaine et ne pourra invoquer la faute nautique de
son préposé pour s’exonérer.
77 A. Sériaux, ibid., n° 250.
78 Comm. 26 févr. 1991, BTL 1991, 375 et DMF 1991, 358. 79 P. Bonassiès, DMF 1992, 158, n° 75; et en ce sens Y. Tassel, note sous CA Rouen, 13 juill. 1994, DMF 1995,
540; dans cette affaire la CA a jugé que « le capitaine du navire avait, avant de prendre la mer, l'obligation de
s'informer de son état actuel et annoncé. En appareillant en connaissant les risques encourus, à une période de
l'année où ils ne sont nullement imprévisibles, il a commis une faute qui est la cause directe des dommages subis
et ne peut invoquer la fortune de mer comme une cause d'exonération de sa responsabilité. Cette faute n'est pas
une faute nautique ». Le navire étant au port il ne peut s'agir d'une faute dans la conduite du navire et la décision
d'appareiller concerne l'expédition maritime et le navire lui-même. D'autre part il s'agit plutôt d'une faute dans
l'administration de l'expédition plus qu'une faute dans l'administration du navire.
32
En pratique, l'arrimage de la cargaison fait partie des attributions essentielles du capitaine. En
raison de l'accélération des rotations des navires sur les lignes régulières et de la nécessité,
d’ordre économique, d'abréger les escales autant que faire se peut, on assiste depuis longtemps
à un effacement progressif des pouvoirs autrefois sans partage du capitaine au regard de la
confection du plan d'arrimage et des opérations qui s'en suivent80. Et ce transfert d’attributions
est matérialisé par la création du poste de « ship planner » au sein des armements. A l’arrivée,
un plan de chargement, les calculs de stabilité et d’assiette au départ du port et à l’arrivée dans
le port suivant lui sont présentés par le ship planner, un officier navigant pour accord. De
même la liste des matières dangereuses, leurs emplacements à bord, est présentée au
commandant qui acceptera ou non l’embarquement de ces marchandises. A noter que le plan
des marchandises dangereuses est en général visé par l’administration des Affaires Maritimes.
Des certificats de bon empotage des containers, dressés par des experts maritimes peuvent être
fournis au navire. Dans certains ports du Nord les stevedores présentent à signer au
commandant, un certificat de bon saisissage des containers, établissant que tout a été arrimé
selon ses ordres et les règles de l’art en la matière (l’arrimage et le saisissage des containers
est prévu par les sociétés de classification et par le chantier à la construction du navire). Ainsi,
les différents services à terre dirigés par des officiers de marine travaillent en étroite
collaboration avec le navire ; mais c’est le commandant et lui seul qui est responsable de son
chargement, de son arrimage, de son saisissage et de sa tenue à la mer : en cas de mauvais
temps prévu, il peut demander un renforcement du saisissage.
Mais de nos jours, du fait de l’existence de ces services de terre, les capitaines peuvent être
soumis à des pressions concernant le chargement des marchandises. Le capitaine pourvu d’une
force de caractère ou tout simplement n’étant pas dans une situation précaire, du fait de son
embarquement sur des navires de compagnies sous normes, pourra faire valoir son point de
vue, les autres non.
Alors pourquoi ne pas songer à dégager le capitaine de cette responsabilité pour faute de
chargement puisque en pratique les « ship planners » sont des capitaines ou des seconds
capitaines affectés spécialement à cette mission. Il serait plus souhaitable de rechercher la
responsabilité des services de terre pour mauvais arrimage et par là la responsabilité du
transporteur du fait de ses préposés81. D’autre part, l’arrimage à l’intérieur des containers est
80 R. Achard, JMM, 30 avril 1981, 1020 81 V. en ce sens R. Garron, ibid., n° 106: « c'est pour cela que les attributions essentielles du capitaine devraient
se limiter aux fonctions que la loi protège contre toute immixtion des services de l'armement, c'est-à-dire aux
fonctions purement techniques concernant la sécurité de la navigation. En effet, les dispositions du CDPMM
relatives à l'usurpation du commandement interdisent au capitaine d'exécuter les ordres de qui que ce soit dans la
conduite de son navire. La direction nautique est donc exclusivement rattachée à la fonction du capitaine. Toutes
les attributions qu'elle implique sont nécessairement des attributions essentielles, et la détermination de leur
contenu paraît intimement liée à l'interprétation de la loi pénale ».
33
très souvent fait directement à l’usine par des gens ne connaissant rien aux risques du transport
maritime, et en dépit des règles de l’art82.
Dans le domaine aérien, la situation semble aussi être particulière en matière du contrôle du
chargement et de l’arrimage. Dans son alinéa 1er, l’article L. 422.2 précise que « la répartition
du chargement de l’aéronef se fait selon les instructions de l’exploitant ». Mais, il faut retenir
comme limite la souveraineté relative à ce qui touche à la sécurité de l’aéronef exprimée à
l’alinéa 2 du même texte au profit du commandant de bord. Le commandant de bord,
responsable de la sécurité, doit pouvoir faire valoir son point de vue sur le chargement de son
appareil. En pratique, il apparaît difficile au commandant de bord de résister aux contraintes
de l’horaire et aux pressions résultant des exigences commerciales83.
Cependant, comme le fait remarquer A. Seriaux, toujours à propos de l’arrêt Aude, il convient
d'être prudent. « La Cour de cassation a ici refusé de prendre en considération les effets
nautiques d'une faute de manutention. Mais ce n'était justement que des effets, non recherchés,
d’une activité concernant prioritairement et même exclusivement la marchandise. La
qualification de faute commerciale s'imposait et la Cour n'en dit pas davantage ». Et de
s'interroger sur l'attitude qu'adopterait la Cour de cassation face à une faute d'arrimage
« laquelle demeure toujours plus ou moins une faute en vue de la navigation, si ce n’est une
faute à dimension nautique »84.
En ce qui concerne la jurisprudence étrangère nous pouvons citer l'affaire du Germanic85. Ce
navire était arrivé en retard à Hambourg et son déchargement avait été effectué sans respecter
les règles de sécurité. Le navire avait pris de la gîte et sombré du fait de l'accumulation de
glace sur les superstructures du bâtiment. La Cour suprême des Etats-Unis en 1905 a refusé au
transporteur le droit d'invoquer le cas excepté de faute dans l'administration du navire. Pour
elle, « la faute avait été commise dans le déchargement de la marchandise, non dans
l’administration du navire. Le fait qu'elle n’aît eu de conséquences, et ne fût en définitive
devenu fautive, qu’en raison de ses incidences sur la sécurité dudit navire, ne pouvait modifier
la catégorie à laquelle elle ressortissait ». Le juge américain s'attache ainsi à rechercher quel
est l’objet premier, l'objet principal de l'opération en cause pour définir si une faute est
nautique ou non.
Dans une autre affaire concernant le navire Farida86, le tribunal fédéral de New York a vu dans
la faute d'arrimage une faute contre la navigabilité du navire, faute imputable au transporteur.
82 Cdt J.P. Declercq, compte rendu du Colloque Hydro-Afcan 4 et 11 avril 1991.
83 Ch. Scapel, Parallèle entre le commandant de bord d’aéronef et le commandant de navire, p 26, Revue de droit
français commercial, maritime et fiscal, avril-mai-juin 1991. 84 A. Sériaux, ibid., n° 252.
85 Cité par P. Bonassiès, DMF 1992, 160. 86 DMF 1979, 688.
34
En effet l'obligation de faire diligence pour assurer la navigabilité du navire est une obligation
qui, tout comme l'obligation d'arrimer avec soin la marchandise, pèse personnellement sur le
transporteur.
c. La faute nautique et l'innavigabilité du navire
Cet autre cas excepté prévu par les articles 21 de la loi du 18 juin 1966 et 3-1 de la Convention
de Bruxelles du 25 août 1924 pourrait être amené à faire reculer le domaine de compétence de
la faute nautique. Et la Cour de cassation a eu à se prononcer sur cette notion d’innavigabilité,
dans un arrêt du 24 octobre 198987 où elle confirma la décision prise par une Cour d’appel qui
a décidé qu'en cas de défaillance du système de barre d’un navire (en l’espèce le navire Ogur-
Islamoglou), qui provenaient d'un court-circuit résultant d'une protection insuffisante d’un
relais électrique, cette défaillance « étant due à de lourdes négligences du transporteur dans
l’entretien du navire qui lui incombait et non pas à une faute nautique ». La faute contre la
navigabilité jouera un rôle intéressant dans la mesure où elle gommera les problèmes relatifs
au choix des critères pour déterminer si une faute est nautique ou pas, notamment par rapport
au problème de l'arrimage. Ce que M. Sériaux précise : « tout ce qui sera organisable au
départ, compte-tenu des prévisions normales des risques de dommages (parmi lesquels on
trouve le comportement des préposés) sera considéré comme portant sur la navigabilité du
navire. Ainsi l'arrimage des marchandises lorsqu'il peut compromettre la sécurité du navire
ou d'autres marchandises. Par suite ne seront considérés comme nautiques que les actes
imprévisibles et incontrôlables des préposés, pendant le voyage, dans la conduite du
navire »88.
Comme nous avons pu le constater, classer une faute dans la catégorie de faute nautique ou de
faute commerciale est très mal aisé, la jurisprudence multipliant les critères.
Les règles de Hambourg, quant à elles, abandonne tout simplement la notion de faute
nautique. Sachant qu'elles ont vocation à s'appliquer à la place de la Convention de Bruxelles,
le problème de cette notion sera réglé. Mais le capitaine perdra une possibilité de s'exonérer au
cas où sa responsabilité sera recherchée par un chargeur ou un ayant droit.
Au terme de cette section consacrée à la faute du capitaine dans ses attributions essentielles
nous pouvons faire un constat. La mise en jeu de la responsabilité personnelle du capitaine est
une réalité89 même si aujourd'hui elle n'est pas forcément fréquente. Généralement le capitaine
87 Bull. Civ. IV, n° 258 et DMF 1991, 528. 88 A. Sériaux, ibid., n° 257; et pour un cas d'application v. Gilmore and Black, The law of admiralty, 2
e édition
1975, 160. 89 Garron, ibid., n° 46.
35
et l'armateur-transporteur sont assignés conjointement. Le capitaine étant assignée soit en son
nom personnel soit « ès-qualité ».
S'il est assigné en tant que représentant de l'armateur, le capitaine doit être mis hors de cause si
l’armateur est présent dans l'instance90. S’il est assigné à titre personnel et non comme
représentant de l'armateur, il doit être mis hors de cause lorsqu'il n'a pas commis de faute91.
Dans les autres hypothèses, et en cas de condamnation du capitaine, le demandeur détiendra
un titre exécutoire à son encontre. Dans la pratique, il ne l’utilisera pas, préférant s'adresser à
l’armateur pour des raisons de solvabilité. C'est donc au niveau de l'exécution des
condamnations prononcées contre lui que le capitaine va bénéficier d'une immunité92. La
solution sera-t-elle la même demain avec le développement des « single ship companies » et
des armateurs insolvables naviguant sous pavillons de complaisance?
Il est à noter qu'en vertu de la Convention de 1969 sur la responsabilité du propriétaire de
pétroliers, modifiée par les protocoles de 1984 et de 1992, aucune demande en indemnisation
du fait de pollution ne peut-être introduite contre les préposés de l'exploitant du navire, donc
contre le capitaine, sauf faute inexcusable de sa part (art. 3-4 dernier alinéa)93.
Dans le cas d’un éventuel recours contre le capitaine, il dispose de la possibilité de limiter sa
responsabilité et de s’exonérer comme nous l'avons vu précédemment94.
SECTION II. La limitation de responsabilité du capitaine
Le capitaine peut bénéficier, en vertu de différents textes, de la limitation de responsabilité
contractuelle du transporteur (dans le cas où le recours est intenté par une personne que nous
avons qualifié au préalable de « faux tiers »95 pour un dommage concernant la marchandise et
uniquement dans cette hypothèse) ; et il peut aussi bénéficier, de manière plus générale, de la
limitation traditionnelle de responsabilité de l'armateur. Mais ses possibilités de limiter sa
responsabilité deviennent caduques dans le cas de ce que la jurisprudence a qualifié de faute
inexcusable.
90 Tcom. Nantes, 29 avril 1976, DMF 1976, 751.
91 Tcom. Le Havre, 17 sept. 1965, DMF 1966, 560. 92 Garron, ibid., n° 46. 93 Sur la définition de la faute inexcusable v. infra p. 38 et suiv.
94 V. supra p.24 et suiv. 95 V. supra, p. 22.
36
§ 1. Le capitaine et la limitation de responsabilité contractuelle du
transporteur
La Convention de Bruxelles de 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de
connaissement, telle qu’amendée par le protocole modificatif de 1968 (règles de Visby),
décide :
– d'une part que « si une action est intenté contre un préposé du transporteur, ce
préposé pourra se prévaloir des exonérations et des limitations de responsabilité que
le transporteur peut invoquer en vertu de la Convention »96. Cet article s'applique sans
aucun doute au capitaine.
–d'autre part : si l'action est engagée à la fois contre le transporteur et contre son
préposé, « l'ensemble des montants mis à la charge du transporteur et de ses préposés
ne dépassera pas dans ce cas la limite prévue à la présente convention »97.
Ces deux dispositions réduisent l'intérêt à agir pour un chargeur contre un capitaine dans la
mesure où les droits de ce chargeur ne seront pas augmentés. Elles sont venues pour mettre fin
à une pratique des chargeurs voulant se voir indemniser de leur préjudice par le transporteur.
En effet, les chargeurs, ou leurs ayants droit, pour éluder le régime légal d'exonération ou de
limitation de la responsabilité du transporteur, tentèrent de diligenter leurs actions en
dommages et intérêts contre le préposé du transporteur, donc le capitaine, et non contre celui-
ci, en espérant que le transporteur se sentirait moralement obligé de prendre à sa charge les
dommages et intérêts auxquels le préposé serait condamné98.
Le législateur international s'est senti heureusement bien inspiré. En effet, face à la
recrudescence d'armements sous normes, ainsi que des pavillons sous normes dont la qualité
première n'est pas la solvabilité, on peut imaginer facilement que l'armateur-transporteur
n’aurait pas garanti le capitaine en cas de condamnation. Et le développement des « singles-
ship companies » aujourd'hui, favorisant la non responsabilité des armateurs-transporteurs,
nous conforte dans cet avis. De plus, certains armateurs-transporteurs, se cachent désormais
derrière plusieurs sociétés-écrans, l'anonymat préservant leur impunité quant à d'éventuelles
sanctions.
Le législateur français est allé dans le sens du législateur international et la loi du 21 décembre
1979 a modifié l'article 28 de la loi du 18 juin 1966 pour y ajouter ces dispositions : « le
préposé du transporteur peut se prévaloir des exonérations et des limitations de responsabilité
que le transporteur peut invoquer en vertu de l'article 27 et du présent article »99 et dans le
96 Art. 3 Règles de Visby et art. 4 bis – 2. 97 Art. 4 bis – 3.
98 M. et Mme Veaux, Juris-classeur comm., vol. 6, fasc. 1268, n° 62. 99 Il s'agit des cas exceptés exonérant le transporteur.
37
cas où l'action en dommages et intérêts serait dirigée à la fois contre le transporteur et contre
ses préposés, la loi ajoute que l'ensemble des montants de réparation mise à la charge du
transporteur et de ses préposés ne peut pas dépasser les maxima légaux100. Mais que ce soit la
Convention de 1924 ou la loi de 1966, la possibilité pour le capitaine de s'exonérer ou de
limiter sa responsabilité est écartée « s'il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de
son omission personnels commis avec l'intention de provoquer un tel dommage, ou commis
témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement »101. Il s'agit
en fait de ce que la jurisprudence a qualifiée de faute inexcusable102.
Une autre possibilité pour le capitaine de s'exonérer ou de limiter sa responsabilité et
d’invoquer la limitation de responsabilité de l'armateur.
§ 2. Le capitaine et la limitation de responsabilité de l'armateur
Antérieurement à la Convention internationale de 1957 relative à la limitation de
responsabilité en matière de créances maritimes, il n'était pas possible pour le capitaine
d'invoquer la limitation de responsabilité de l'armateur qui résultait de l'article 216 du Code de
commerce, le capitaine ne pouvant pas faire abandon d'un bien ne lui appartenant pas. L'article
6 de la Convention prévoyait expressément que les dispositions de cet instrument
s'appliqueraient au capitaine, membres de l'équipage et autres préposés du propriétaire ou de
l'affréteur ; le capitaine pouvant limiter sa responsabilité même en cas de « faute personnelle »,
la Convention n’indiquait pas s'il fallait distinguer divers degrés dans la gravité de la faute du
capitaine pour l’autoriser ou lui refuser la possibilité de limiter sa responsabilité. Les
dispositions de la Convention de 1957 furent reprises telles quelles par l'article 69 de la loi du
3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer. Et la difficulté s'est posée
à la Cour d'appel d'Aix, qui, le 26 octobre 1984, décida que les termes généraux de l'article 69
al.2, de la loi du 3 janvier 1967 s'opposaient à toute exclusion de la limitation de responsabilité
dont bénéficie le capitaine, même en cas de faute lourde ou inexcusable103. En ce qui concerne
la faute intentionnelle, la cour restait muette ; mais on peut penser qu'en vertu de l'adage
« fraus omnia corrumpit... », elle aurait écarté la possibilité pour le capitaine de limiter sa
responsabilité104.
La Convention de Londres de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de
créances maritimes105 est venu remplacer la Convention de 1957. Elle énonce simplement que
si une action est intenté « contre toute personne, dont les faits, négligences et fautes,
100 M. et Mme Veaux, ibid.,fasc. 1266, n° 76.
101 Art. 4 bis – 4 Convention de Bruxelles et art. 28a Loi de 1966. 102 Sur l'étude de la faute inexcusable voir infra p. 38 et suiv. 103 Aix-en-Provence, 26 oct. 1984, DMF 1985, 423, note P. Bonassiès.
104 En ce sens comm. 6 juill. 1954, DMF 1954, 584 et Chambres réunies, 1er mars 1960, DMF 1960, 331. 105 LLMC en anglais pour Limitation of Liability for Maritime Claims.
38
entraîneraient la responsabilité du propriétaire ou de l'assistant, cette personne est en droit de
se prévaloir de la limitation de responsabilité ». Contrairement à la Convention de 1957, elle
ne cite pas le capitaine. Il ne fait cependant aucun doute qu'elle s'applique au capitaine106. Le
dire clairement comme la Convention de 1957 n’aurait pas été un luxe inutile. Mais cette
Convention de 1976 éradique la difficulté qui tenait à la notion de « faute personnelle » en
précisant que le capitaine, comme tout bénéficiaire éventuel de la limitation, en est déchu
« s’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis
avec l'intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience
qu'un tel dommage en résulterait probablement 107. En résumé, en cas de faute personnelle,
intentionnelle ou « inexcusable ».
Par une loi du 21 décembre 1984 le législateur français a modifié les dispositions de la loi du 3
janvier 1967 pour les harmoniser avec la Convention de 1976. Cependant, tout en faisant
référence aux dispositions de la Convention de 1976 quant aux limites de responsabilité, le
législateur a maintenu les dispositions de l'article 69 originaire faisant référence aux « fautes
personnelles ».
Aujourd'hui comme hier la question se pose, au regard de la loi du 3 janvier 1966, de savoir si
cette notion de « faute personnelle » s'étend à la faute lourde, voire à la « faute inexcusable »
et c’est à cette interrogation que la Cour de cassation a répondu dans l'affaire de la drague
Johanna-Hendrika108. Les faits sont les suivants : dans l'avant port du Tréport, un abordage
s'est produit entre la drague et deux navires de pêche. La drague, qui s'est posée sur le fond à
marée descendante, a glissé et est venue heurter les deux navires amarrés le long d'un quai, les
endommageant gravement. Le capitaine de la drague, l'armateur et l'assureur-corps de la
drague sont assignés par les différents assureurs des patrons-pêcheurs propriétaires des deux
navires ainsi que par les deux patrons pêcheurs eux-mêmes. Leur demande a été accueillie par
le tribunal de commerce d'Eu et du Tréport.
La Cour d'appel de Rouen condamna solidairement armateur, capitaine et les compagnies
d'assurance à indemniser les victimes de tout le préjudice par elles subi, et ce au-delà de la
limitation de responsabilité. En effet, elle a d'abord vu dans la faute du capitaine une faute de
la drague rendant l’armateur responsable. Elle a qualifié cette faute de faute inexcusable.
La Cour de cassation décida de régler définitivement la question en déclarant que « si le
capitaine d’un navire est au nombre des personnes admises à se prévaloir de la limitation de
responsabilité même en cas de faute personnelle, il ne le peut pas s’il est prouvé que le
dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, mais commis témérairement et
avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement ». Ainsi les dispositions de
106 P. Bonassiès, Réflexions sur la Convention de 1976 sur la limitation des créances maritimes, DMF 1986, 56:
« seule la faute inexcusable prive l'armateur ou le capitaine du droit à limitation ». 107 Art. 4 Convention de 1976. 108 Comm. 20 mai 1997, DMF 1997, 976 note P. Bonassiès.
39
l'article 69 de la loi du 3 janvier 1967 doivent être interprétées comme si elles étaient
identiques à la Convention de 1976. C'est d'ailleurs à cette conclusion qu'arrive le conseiller
Rémery suite à la consultation des travaux préparatoires de la loi de 1984109.
Il est clair qu'il est souhaitable que les solutions de droit interne soient en harmonie avec celles
du droit international. Mais nous pouvons constater que, parallèlement, les capitaines perdent
les faveurs d'une rédaction de loi très protectrice à leur égard ; car on peut imaginer que la
solution dégagée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence dans l'arrêt Bergeronette aurait
continué à s'appliquer. Et comme le précise le professeur P. Bonnasiès, « les capitaines
risquent de voir leur responsabilité de plus en plus souvent mise en cause. Car, gênée par le
jeu de la limitation dans la réparation qu'elle peut obtenir de l'armateur, la victime d'un
sinistre maritime sera tentée d'agir contre le capitaine, dont elle invoquera la faute
inexcusable ». Et de finir en soulignant qu’« en pratique les capitaines n'ont pas d'assurance
personnelle les couvrant. Ils ne sont pas non plus expressément pris en charge par la police
d'assurance de leur armateur, ou par les règles du P&I Club de celui-ci »110.
Néanmoins l’Association Française des Capitaines de Navire proposent de souscrire une
assurance personnelle pour la défense des capitaines.
La Cour de cassation a répondu à une autre interrogation concernant la faute inexcusable et la
façon dont il fallait l'interpréter.
§ 3. La notion de faute inexcusable en droit maritime
Il faut tout d'abord rappeler que cette notion de faute inexcusable n'est pas nouvelle en droit
français. Elle a pour la première fois été introduite par la loi de 1898 (art. 20) relative à la
réparation des accidents du travail. Elle a aussi été prévue en droit aérien : on la retrouve dans
la loi du 2 mars 1957 relative au transport aérien de passagers (art. 42 nouveau de la loi du 31
mai 1924)111. Et la loi Badinter du 5 janvier 1985 relative à l'indemnisation des victimes des
accidents de la circulation prévoit une réparation intégrale sauf en cas de faute inexcusable de
la victime si elle a été la cause exclusive de l'accident112.
En ce qui concerne le droit maritime, la faute inexcusable a été introduite depuis la
Convention de Bruxelles de 1961 relative à l'unification de certaines règles en matière de
109 Rapport de M. le conseiller référendaire Rémery, DMF 1997, 979: « le rapporteur de la Commission des lois à
l'Assemblée Nationale soulignant, en ce sens, que les modifications introduites par le projet de loi visent à
rendre cohérente notre législation interne et la nouvelle Convention ». 110 P. Bonassiès, DMF 1997, 991. 111 En droit aérien international, c'est le Protocole de La Haye de 1955 qui a modifié l'art. 25 de la Convention de
Varsovie et renvoie à la faute inexcusable. 112 Art. 3 loi du 5 juill. 1985.
40
transport de passagers par mer ; et l’article 40 de la loi du 18 juin 1966 a adopté cette notion
dans les mêmes termes que la loi de 1957. La notion de faute inexcusable a fait objet
d'interprétation, notamment dans le domaine du droit social et du droit aérien. En droit social,
la faute inexcusable a pu être qualifiée de faute lourde aggravée et est une notion intermédiaire
entre la faute lourde et la faute intentionnelle. Cette qualification résulte du compromis issu du
conflit entre la Chambre des députés et le Sénat113.
En droit aérien, le protocole de La Haye du 28 septembre 1955 a qualifié de faute inexcusable
« l’acte ou l'omission fait... témérairement et avec conscience qu’un dommage en résultera
probablement ». Le Code de l'aviation civile dans son article 321-4 al.1 dispose qu’« est
inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son
acceptation téméraire sans raison valable ». C'est une solution conforme à celle adoptée par le
protocole de La Haye114.
Un autre problème se pose, celui de l'appréciation de la faute inexcusable. Faut-il constater
que l'auteur de la faute reprochée aurait dû avoir conscience de la probabilité du dommage
(interprétation in abstracto), ou faut-il exiger qu’il ait eu effectivement cette conscience
(interprétation in concreto) ?. L'appréciation in concreto oblige à rechercher si la personne a
bien eu conscience de la probabilité du dommage, à « sonder le cœur et les reins » de la
personne. Cette appréciation est bien sûr favorable au capitaine car faire la preuve de la
conscience de la probabilité d'un dommage n'est pas chose aisée. En revanche, l'appréciation
in abstracto nous renvoie à la notion de bonus pater familias, et suppose que l'on recherche si
un capitaine de navire normalement avisé et prudent aurait eu conscience de la probabilité du
dommage115.
C'est d'abord en droit aérien que les tribunaux ont répondu au problème en faisant preuve de
sévérité. En effet, ils ont retenu la conception objective de la faute inexcusable. Il y a donc une
faute inexcusable du commandant de bord responsable d'un accident, non pas s'il a eu
conscience de sa témérité et de la probabilité du dommage que son action était susceptible de
causer, mais s'il aurait dû avoir semblable conscience au cas où il aurait agi en bon
professionnel116. Cette conception est très favorable aux victimes et elle sera très préjudiciable
pour les capitaines si elle est retenue, dans la mesure où la faute inexcusable du capitaine
n'interdira pas à l’armateur d’invoquer la limitation ; le capitaine se retrouvant
vraisemblablement seul face aux créanciers ; surtout dans les cas d'armement sous normes et
donc insolvables.
113 V. G. N. Enoumedi, La responsabilité du capitaine de navire, Aix 1987, 59.
114 B. Mercadal, Droit des transports terrestres et aériens, 1996, n° 492. 115 S'il s'était comporté en bon professionnel il aurait dû avoir conscience de sa témérité et de la probabilité du
dommage que son action était susceptible de causer. 116 Paris 26 mai 1973, Revue française de droit aérien 1974, 188 et Cass. 16 avril 1975, Revue française de droit
aérien 1976, 105.
41
Et la Cour de cassation dans l'arrêt Johanna-Hendrika117 a opté en faveur de l'appréciation in
abstracto, la plus sévère, lorsqu'elle déclare que le capitaine « devait, en professionnel, avoir
conscience de la probabilité du dommage »118. Se pose ainsi à nouveau le problème de
l'assurance ; d'autant plus que les dommages que peut causer le capitaine sont sans commune
mesure avec la surface financière dont il dispose. Le capitaine pourrait souscrire à titre
personnel un contrat d'assurance responsabilité civile comme c’est le cas pour les personnes
exerçant une profession libérale, ou par l'intermédiaire de leur armement se tournant vers leur
P&I Club en espérant que la solidarité de l'entreprise jouera à plein119. Comme nous venons de
le voir, la responsabilité civile du capitaine peut-être mise en jeu, sa position étant délicate et
dépendant essentiellement de l’attitude de son armateur et de la notion de solidarité maritime.
D’autre part, à côté de sa responsabilité civile, le capitaine, peut également voir sa
responsabilité disciplinaire et pénale engagée.
117 V. supra n°108,p. 37.
118 « Attendu qu'ayant retenu qu'aucune précaution élémentaire de sécurité n'avait été prise pour effectuer sans
risque la mise en place de la drague dans l'avant port, et pour parer aux dangers prévisibles de son évolution, la
CA a pu en déduire que, telle qu'elle ressortait de ses constatations relevées précédemment, la conduite du
capitaine, qui devait, en professionnel, avoir conscience de la probabilité du dommage, était téméraire ». 119 La technique de l'assurance reposant sur l'aléa il n'est pas évident toutefois que des assureurs acceptent de
garantir des fautes intentionnelles ou inexcusables.
42
Titre II
LA RESPONSABILITE DISCIPLINAIRE
ET PENALE DU CAPITAINE
43
La réglementation disciplinaire relative au capitaine a pour objet de définir les
« manquements » dans l’accomplissement de devoirs d’ordre essentiellement professionnel
imposés au capitaine et qui sont sanctionnés par l’armateur ou par l’autorité administrative.
En ce qui concerne la responsabilité pénale du capitaine elle peut être recherchée dans
plusieurs cas : en cas d’infraction touchant la police intérieure du navire mais cela est plutôt
rare en pratique ; en cas d’infraction aux règles de navigation en mer et surtout en cas
d’atteinte à l’environnement de son fait, voire même du fait d’un membre d’équipage. Comme
nous le constaterons par la suite le capitaine doit assurer dans ce domaine une responsabilité
pénale du fait d’autrui.
CHAPITRE I. LA RESPONSABILITE DISCIPLINAIRE DU
CAPITAINE
Elle est prévue par les textes que ce soit par le décret du 7 novembre 1960 ou par la
convention collective des officiers de la marine marchande de 1948. En pratique les cas où la
responsabilité disciplinaire du capitaine est mise en jeu n’est pas fréquente
SECTION I. Les dispositions légales
Il faut ici analyser dans un premier temps le libre congédiement du capitaine par l’armateur
c'est-à-dire l'article 109 du Code du travail maritime, tout en faisant référence à la Convention
collective des officiers de la marine marchande de 1948 car celle-ci ne fait pas référence au
congédiement mais à la révocation, largement encadrée, et prévoit d'autres mesures
disciplinaires120. Dans un deuxième temps, il conviendra de s'attarder sur un autre type de
sanctions disciplinaires : les retraits de prérogatives attachées aux diplômes et aux brevets.
120 Sachant qu'une convention collective a force de loi.
44
§ 1. Le congédiement du capitaine
Le statut juridique du capitaine est spécifique. Il est prévu aux articles 103 à 109 du Code du
travail maritime. En effet le capitaine est un salarié de l'armateur et bénéficie des dispositions
des Conventions Collectives applicables dans l'entreprise. Il est aussi le mandataire
commercial de l'armateur121.
Le capitaine est librement engagé par l’armateur, sans aucune intervention de l'autorité
maritime (art. 103) ; et au terme de l’article 109 l'armateur peut toujours congédier le
capitaine; sauf dommages et intérêts en cas de renvoi injustifié. Depuis un arrêt du 13
décembre 1989122, la Cour de cassation a affirmé que la Convention collective des officiers de
la marine marchande du 30 septembre 1948 s’appliquait à tout commandant titularisé dans ses
fonctions. Mais elle ne prévoit pas le congédiement. En effet, cette Convention, agréée par un
arrêté du ministre du travail du 1er juillet 1949, prévoit dans son article 9 que le contrat
d'engagement à durée indéterminée des officiers titularisés123 prend fin par démission, par
accord entre les partis, par licenciement, par révocation, par radiation résultant d'une décision
administrative, par décision ou par application de la limite d'âge.
Mais comme l'a fait remarquer Maître Barbançon124, aucun de ces cas ne peut s'apparenter au
congédiement car, pour mettre fin au contrat de travail en dehors de la volonté du capitaine, en
dehors des cas de décès ou d’incapacités quelles qu’elles soient, il n’y a que la révocation. Or
cette révocation est également prévue par la convention collective125 et elle est
minutieusement décrite dans l'article 38126.
La révocation ne peut-être prononcée par la direction qu'après avis d'une commission
d'enquête, constituée paritairement et comprenant le chef d'entreprise ou son délégué, le chef
d'armement ou son délégué, deux officiers d'un grade au moins égal à celui de l'intéressé,
désigné par ce dernier et appartenant à l'entreprise. L'intéressé devant être informé quinze
jours à l'avance des faits qui lui sont reprochés, et pourra se faire assister d’un défenseur de
son choix.
121 P. Chaumette, Rennes 10 juin 1987, DMF 1988, 676.
122 V. intervention de maître Barbançon compte rendu du Colloque Hydro-Afcan, 4 et 11 avril 1991. 123 Les officiers sont automatiquement titularisés (stabilisés après deux années entières de service). 124 Ibid.
125 V. l'art. 36 qui prévoit aussi comme autres mesures disciplinaires contre le capitaine se rendant coupable d'une
faute professionnelle ou de service, d'un manquement à la discipline, d'un refus d'embarquement, ou celui dont la
manière de servir laisse à désirer, un rappel à l'ordre ou un blâme, un arrêt de l'avancement, une suspension de
fonction et de solde, une rétrogradation. 126 En ce sens CA Paris, 3 mars 1993, Juris – Data, n° 021560; « en application de la convention collective
"large" du 30 sept. 1948, plus favorable que l'art. 109 du Code du travail maritime, la rupture du contrat de travail
d'un capitaine de navire ne peut être un licenciement qu'en cas d'inaptitude physique ou de réduction de la flotte.
Pour des motifs tirés du comportement du salarié elle doit prendre la forme d'une révocation. Dès lors
l'employeur qui prétendait sanctionner les comportements du salarié était tenu de mettre en œuvre la procédure de
révocation et non celle du licenciement ».
45
Ainsi il apparaît que le congédiement ou la révocation puisqu'en fait les deux ont pour finalité
la renvoi du capitaine n'est plus aussi libre que peut le faire supposer l’article 109 du Code du
travail maritime. Or comme P. Chaumette127, nous pouvons imaginer qu'il faille distinguer les
fonctions de capitaine qui restent révocables aisément, du contrat d'engagement maritime qui
bénéficie de la protection des dispositions conventionnelles. Quoi qu'il en soit, l’article 109
s'appliquera sans discussion possible lorsque le capitaine ne sera pas stabilisé ou si l'entreprise
ne répond pas aux critères d'application de la convention collective128.
En cas d'application de l'article 109 par le juge il faut noter toutefois une « protection » du
capitaine. Il peut quand même bénéficier de dommages et intérêts si le renvoi apparaît
injustifié129 mais le capitaine devra faire la preuve du caractère abusif de la mesure dont il a
été l’objet130. L'armateur ne devra pas de dommages et intérêts s’il a un motif légitime de
licenciement. Ce sera le cas en cas d’intempérance habituelle du capitaine131 ou le refus de
répondre à une convocation de l'armateur132.
D'autre part, l'article 50 de la loi sur la pêche du 18 novembre 1997133 modifiant l’article 109
est venu régler le problème de savoir si le capitaine avait le droit au respect des formalités
procédurales de licenciement. L'article 109 modifié stipule que « le contrat d'engagement
maritime conclu entre un armateur et un capitaine prend fin dans les conditions fixées au titre
V. Toutefois, l'application des dispositions du mandat confié au capitaine par l’armateur est
indépendante de la procédure de licenciement du capitaine ». Ainsi le capitaine, en tant que
membre de l'équipage, bénéficiera d'un statut semblable à celui des autres marins en matière
de licenciement. Il y aura lieu à entretien préalable, lettre motivée, préavis et indemnité de
licenciement, l'armateur pouvant toujours congédier le capitaine.
Il apparaît que le capitaine est protégé contre une mesure disciplinaire que l’armateur peut
prendre à son encontre, celle découlant de l'article 109 du Code de travail maritime : mesures
prises en cas de perte de confiance notamment, celle-ci pouvant se manifester de différentes
façons. La Convention collective de 1948 est parallèlement amenée à jouer un rôle
considérable ici. On peut ainsi se poser la question du maintien de cet article 109. Cette
abrogation n’interdirait pas un à un armateur de licencier un capitaine en raison de sa
négligence ou de sa malveillance dans ses fonctions et notamment celle de mandataire
commercial et cet article ne ferait plus double emploi avec la convention collective beaucoup
plus protectrice des droits du capitaine. Cette Convention devrait voir son champ d'application
s’étendre. Elle empêcherait ainsi une pratique armatoriale consistant à sanctionner un capitaine
127 P. Chaumette, Colloque Hydro-Afcan : 4 et 11 avril 1991. 128 Cf. art. 1; la Convention ne s'applique pas aux entreprises de navigation ne possédant que des navires de
moins de 250 tonneaux de jauge brute et aux entreprises de remorquage. 129 En ce sens Soc. 28 févr. 1957, DMF 1957, 404 et Rennes, 10 janv. 1967, DMF 1967, 548 130 En ce sens Rennes 10 juin 1987, DMF 1988, 676, note P.Chaumette. 131 Rennes 10 mai 1972, DMF 1972, 667.
132 St Denis de la Réunion, 12 mai 1967, DMF 1968, 272, 2e espèce note R. Jambu-Merlin. 133 Dalloz 1997, 378.
46
résistant à diverses pressions mettant en jeu la sécurité du navire, des biens et des personnes, la
notion de perte de confiance étant très large.
Après avoir étudié un premier type de sanctions disciplinaires, il convient de s'attarder sur
d'autres types de sanctions disciplinaires : les retraits de prérogatives attachées aux brevets et
diplômes.
§ 2. Les retraits de prérogatives attachées aux brevets et diplômes
Ces retraits ont pour la première fois étaient prévus dans le décret loi disciplinaire et pénal de
la marine marchande de 1852. Ceci dit, quelques années auparavant une mesure de retrait
temporaire de la lettre de commandement d'un capitaine par le ministre de la marine avait eu
lieu. Cela eut pour effet de provoquer un grand émoi comme en témoigne ces quelques lignes
extraites du journal le Moniteur du commerce du 19 décembre 1832134 : « les capitaines se
demandent avec effroi s'il est permis à un ministre de leur retirer leurs brevets, de les
empêcher ainsi d'exercer leur industrie, de les jeter, eux et leur famille, dans la misère. L’état
du capitaine n’est il pas libre ? Ne peut-on l’exercer que sous le bon plaisir du ministre de la
marine ? Il faut, il est vrai, pour commander un navire, un brevet de capitaine ; mais le brevet
est-il autre chose qu'une attestation qu’on a les connaissances nécessaires pour conduire un
bâtiment ? Peut –on refuser à celui qui a prouvé qu'il avait les connaissances le droit de
commander ? Et quand ce droit lui a été reconnu, peut-on le lui retirer ? »
Aujourd'hui les pouvoirs disciplinaires des ministres chargés de la marine marchande en ce qui
concerne le retrait des prérogatives attachées aux brevet et diplômes sont contenus dans le
décret du 7 novembre 1960135. Les fautes qui sont sanctionnées sont les fautes contre
l'honneur, toutes les fautes graves dans l'exercice de la profession ou toutes les condamnations
prononcées en vertu du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande ou prévues par la
loi du 5 juillet 1983 sur la sauvegarde de la vie humaine en mer
La sanction est prise par le ministre chargé de la marine marchande136. Il s'agit du retrait
partiel ou total de tout brevet pour trois ans au plus. En cas de condamnation à une peine
afflictive ou infamante, de perte du navire ou encore si le marin a déjà fait l’objet d’un retrait
temporaire, le ministre peut prononcer le retrait total du brevet137.
134 In thèse, Le statut du capitaine de navire en droit contemporain par M. Cormier, Aix 1991, tome 2, 695
reprenant M. Marec in Dissertation sur un projet de Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande. 135 Art 20 à 36.
136 Sur les pouvoirs disciplinaires du Ministre v. R. Rodière, Traité général de droit maritime, Evénements de
mer, 1972, n° 180.
137 A noter que l'art. 34 prévoit le retrait de brevet en cas d'incapacité physique du breveté ou diplômé. Et comme
le souligne E. du Pontavice, Droit maritime, 1997, n° 225, il est singulier et choquant que cette mesure figure
dans un texte pénal ou disciplinaire.
47
D'autre part, le retrait ne peut intervenir qu'après la consultation d'un conseil de discipline qui
fixe le maximum de la sanction ; maximum que le ministre ne pourra excéder. Ce conseil est
composé de deux administrateurs des Affaires Maritimes, un capitaine au long cours ayant au
moins quatre ans de commandement et un titulaire du brevet en cause138.
Avant la comparution devant ce conseil, une enquête contradictoire menée par l'administrateur
des Affaires Maritimes doit être effectuée139. Cette enquête est communiquée à l’intéressé,
ainsi qu'au directeur des Affaires Maritimes. Ce dernier décide du renvoi ou non devant le
conseil de discipline. En cas de renvoi, la décision du directeur doit être notifiée à l'intéressé.
Elle comporte les faits reprochés. Le président du conseil de discipline a la possibilité de
désigner un rapporteur. Ce dernier peut entendre toute personne et dresse un procès-verbal de
ces auditions.
A l'audience le principe du contradictoire est respecté : le prévenu se fait entendre ainsi que
son défenseur et toutes les personnes citées140. Une fois l’avis du conseil pris, le ministre
statue dans les vingt jours après réception de l’avis141. La durée de suspension provisoire est
imputée sur la durée totale de la sanction142. L’intéressé a une possibilité de recours devant la
juridiction administrative. Le directeur des Affaires Maritimes est chargé d'assurer l'exécution
de la décision. Une fois les règles concernant les mesures disciplinaires posées, il faut
s'attacher à l’étude de cas concrets.
SECTION II. Les cas d'application
En matière de navigation commerciale les sanctions disciplinaires semblent être rares143. Ce
que m’a confirmé le directeur des Affaires Maritimes de Marseille lors de mes recherches.
Monsieur F. Vallat aussi, au cours d'une réunion de l'association française de droit maritime
(AFDM) précisait que les litiges étaient extrêmement rares et ne reflétaient pas la situation144.
138Art. 23 du décret.
139Art. 28 du décret. 140 Sur la procédure v. R.Rodière et R. Jambu-Merlin, Traité général de droit maritime, Les gens de mer,1978,n°
78. 141 Art. 34 et 35 du décret.
142En vertu du décret du 30 mai 1969, le capitaine perd les prérogatives attachées à son brevet jusqu'à ce qu'il ait
été statué sur son cas, sauf décision contraire du directeur des Affaires Maritimes, mais cette décision de
maintien doit être motivée. Il est à noter aussi un cas de suspension provisoire immédiate: dans le cas d'une
enquête nautique de l'art. 86 CDPMM pour des faits relevant de l'art. 81. 143V. en ce sens M. Cormier, thèse, ibid., 698. 144A titre d'exemple nous pouvons citer l'affaire du Hérald of Free Enterprise dont le naufrage en 1987 fit 193
victimes. Le capitaine du navire fut suspendu pour un an et son second pour deux ans aux motifs de
négligence, le capitaine aurait dû s'assurer avant l'appareillage que toutes les procédures avaient été
respectées.
48
Il aborda ainsi des exemples rarissimes de congédiement et de mutation de capitaine à la suite
de fautes. Le bon sens montrant que l'armateur a tout intérêt à veiller à l'honorabilité de son
commandant et la sanction disciplinaire ne peut se concevoir que comme un ultime garde-fou.
En réalité les intérêts de l'un et de l'autre sont identiques145. En revanche, en ce qui concerne
les capitaines de navire de pêche, les sanctions sont plus fréquentes. Des délits de pêche
répétés avec désinvolture constituent une faute grave dans l'exercice de la profession (en vertu
de la dépêche ministérielle du 26 août 1963). Nous pouvons ici distinguer trois catégories de
fautes pouvant conduire à un retrait de brevet :
– le défaut de présence sur la passerelle,
– la baraterie,
– la négligence.
§ 1. Le défaut de présence à la passerelle
Le 5 novembre 1985, un chalutier faisait route vers son port d'attache après une marée de
pêche. Le capitaine décida de faire rejeter à la mer par un des marins les lourds débris
remontés dans ses filets. Le matelot n’y parvenant pas tout seul, le capitaine s'absenta de la
passerelle. Après avoir rejeté les débris, il s'attarda sur le pont pour finir de nettoyer. Pendant
son absence de la passerelle, le navire heurta l’enrochement de la jetée du port et sombra.
L’administrateur chargé de l'enquête décida de renvoyer le capitaine devant le tribunal
maritime commercial de Rouen en retenant l'absence totale de veille à bord du navire comme
cause principale de l'échouement. Le tribunal maritime commercial de Rouen condamna le
capitaine à 5000 francs d'amende.
Sur le plan disciplinaire, le directeur des Affaires Maritimes du Havre prononça le renvoi du
capitaine devant le conseil de discipline, estimant que les négligences du capitaine
constituaient des fautes graves dans l'exercice de sa profession. Il suivit en cela l’avis de
l'administrateur enquêteur. Ce conseil de discipline émit un avis dans le sens d’un retrait
temporaire des prérogatives attachées à son certificat de capacité en tant que brevet de
commandement pour une durée de 1 mois. Le ministre, malgré les demandes insistantes des
représentants des organismes professionnels, pour le voir faire preuve d'indulgence, suivit
l’avis du conseil de discipline146.
145JMM 31 janv. 1992, 250 146 Cité par M. Cormier, thèse, ibid, 706 et suiv.
49
Dans une autre affaire, un chalutier faisait route de Cherbourg vers des lieux de pêche situés
dans le nord du dispositif de séparation de trafic des Casquets. Il entra en collision avec un
cargo Chypriote qui s'apprêtait à emprunter la voie descendante du DST. Consécutivement à
une voie d'eau se déclarant à l'avant, le chalutier coula. Les 8 membres de l'équipage furent
recueillis par un autre chalutier. Suite à l’enquête nautique qui mit en évidence l'absence à la
passerelle de l'homme de quart pendant au moins quinze minutes et la mise sur pilotage
automatique du chalutier, le directeur des Affaires Maritimes décida du renvoi devant le
conseil de discipline du capitaine au motif que les négligences commises par ce dernier étaient
constitutives de fautes graves dans l'exercice de sa profession. Le conseil de discipline émit un
avis en faveur d'un retrait temporaire et total des droits et prérogatives attachés à son certificat
de capacité et à son brevet de lieutenant de pêche pour une durée d'une année. Le ministre
suivit cet avis147.
Un autre type de comportement fautif peut conduire à un retrait de brevet : la baraterie.148
§ 2. La baraterie
Le 26 janvier 1986, le CROSS de Jobourg informa le poste de gendarmerie de Caen du
naufrage d’un chalutier suite à une voie d'eau. Les membres d'équipage furent recueillis par un
autre chalutier. Dès la première audition, le capitaine du chalutier naufragé déclarait avoir
volontairement provoqué le naufrage de son navire. Son chalutier ayant subi une avarie du fait
du heurt accidentel avec une bouée, le capitaine, à la base très endetté, décida, pour éviter de
nouvelles réparations et pour toucher l'indemnité d'assurance qui lui aurait permis de faire face
à ses dettes, de couler son navire. Ainsi il heurta par deux fois la bouée cause de l’avarie avec
son étrave, occasionnant une importante voie d’eau à son bord. Le capitaine demanda
l’assistance d’un autre chalutier, mais en dépit de cette assistance le navire sombrait.
Sur le plan pénal, le procureur de la République fut saisi du dossier. Il conclua à l’inculpation
du capitaine pour destruction volontaire de navire et tentative d'escroquerie à l'assurance. Le
tribunal correctionnel condamna le capitaine à six mois de prison avec sursis et 1000 francs
d'amende.
Sur le plan disciplinaire, le directeur des Affaires Maritimes renvoya le capitaine devant le
conseil de discipline pour faute grave dans l'exercice de la profession et faute contre l'honneur
du fait de la baraterie. Le conseil de discipline prononça un avis dans le sens d'un retrait
147 Ex. tiré de la thèse de M.Cormier, ibid., 706 et suiv.
148 Sanctionnée pénalement par l'art. 79 du CDPMM qui, par la loi du 16 déc. 1992, renvoie aux articles 322-6 à
322-11 pour la fixation des peines.
50
temporaire des prérogatives attachées au titre de commandement de l'intéressé pour une durée
de quatre ans. Le ministre suivit l’avis du conseil de discipline149.
Une autre cause de retrait des prérogatives attachées au titre de commandement consiste en
diverses négligences.
§ 3. Les négligences
Un chalutier appareilla pour une marée de pêche de 10 jours. Dans la soirée, au cours de la
navigation un choc violent fut ressenti au niveau de la coque. Le capitaine monta à la
passerelle, mais ne distinguant rien, il alla finir son repas avec le reste de l'équipage. Peu de
temps après le choc, l’alarme machine se mit à retentir. Une ronde dans la salle des machines
permit de se rendre compte de la présence d'eau. Malgré tous les efforts déployés, l’eau ne
cessa de monter. Par conséquent le capitaine décida d'évacuer le chalutier et l'équipage fut
recueilli par un autre chalutier croisant dans les parages. Le navire coula quelque temps plus
tard, après que le capitaine eut refusé une proposition de remorquage faite par un remorqueur
de haute mer. L’administrateur enquêteur estima que les faits de négligence imputables au
capitaine, défaut d'investigation immédiate après le choc, défaut de contact direct avec le
CROSS, défaut de tentative de ralliement ou de remorquage vers un port, avaient pu
contribuer à l’aggravation de l’avarie subie et à la perte du navire. Le directeur des Affaires
Maritimes décida du renvoi du capitaine fautif devant le conseil de discipline qui émit un avis
en faveur d'un retrait des prérogatives attachées au certificat de capacité en tant que brevet de
commandement pour une durée de 1 mois. Cet avis fut suivi par le ministre.150
Nous pouvons conclure en remarquant que les mêmes faits constituent une faute disciplinaire
et une faute pénale et conduisent à des sanctions disciplinaires et à des sanctions pénales. Dans
la mesure où il n'y a pas une identité d’objet entre ces deux poursuites, nous n'avons pas
l’application de l'adage « non bis in idem ». D'autre part, l’appréciation de la gravité d'une
faute professionnelle peut se faire selon des critères différents entre le conseil de discipline et
le ministre chargé de la Marine Marchande et conduire à des conclusions différentes.
149 Ex. tiré de la thèse de M. Cormier, ibid, 706 et suiv. 150 Ex. tiré de la thèse de M.Cormier, ibid., 706 et suiv.
51
CHAPITRE II. LA RESPONSABILITE PENALE DU CAPITAINE151
Le Code disciplinaire et pénal de la marine marchande traite des infractions purement
matérielles. Toutes les fautes qu’un capitaine, entre autre, peut commettre dans l’exercice de
ses fonctions, avec ou sans conséquences pour le navire, les biens ou les hommes, y sont
analysées .Ce code prévoit en particulier plusieurs catégories d’infractions dont les principales
sont les infractions concernant la police intérieure du navire et les infractions relatives à la
police de la navigation.
Après les premières marées noires, il est apparu nécessaire pour le législateur de sanctionner le
capitaine, « bouc-émissaire » tout désigné.152 Ainsi en vertu de la loi du 31 mai 1990,
modifiant la loi du 5 juillet 1983, un capitaine peut se voir condamner lorsque, à la suite d’un
événement de mer le navire qu’il commande laisse échapper du pétrole ou tout autre liquide
polluant.
Pour répondre de ses fautes ,le capitaine bénéficie d’un double privilège :un privilège d’ordre
interne, à savoir la possibilité de se faire juger par un tribunal spécialisé : le tribunal maritime
commercial ; et un privilège à caractère international : le droit de se faire juger par les
juridictions de l’Etat du pavillon (ou à défaut par celles de l’Etat dont il a la nationalité). Mais
avant d’analyser ces différents points nous allons préalablement étudier deux cas où la
responsabilité pénale du capitaine peut être mise en jeu. Il s’agit du défaut d’assistance et de
l’abandon du navire. En pratique ces cas sont relativement rares.
En ce qui concerne le défaut d’assistance, cette obligation a été inscrite tardivement dans les
textes alors que ce devoir moral était déjà en vigueur en pratique sous la pression, notamment
de l’Eglise chrétienne qui prévoyait des sanctions extra-temporelles.
Il faut, hors le cas de collision où dès 1891,chaque capitaine « doit faire tous ses efforts pour
secourir les naufragés », attendre la Convention de Bruxelles de 1910 et la loi du 29 avril
1916 pour que, sur tous les capitaines de navires marchands, de pêche ou de plaisance pèse le
devoir pénalement sanctionné « de prêter assistance à toute personne, même ennemie, trouvée
en mer en danger de se perdre »153
Aujourd’hui l’obligation de prêter assistance est prévue par l’article 83 du Code disciplinaire
et pénal de la marine marchande qui dispose que le capitaine doit employer tous les moyens
151 Nous ne traiterons ici que des infractions purement maritimes et non pas des infractions de droit commun que
peut commettre un capitaine, cette situation relevant plutôt des faits divers. 152 Cdt J.P. Declercq, Le transport par mer des marchandises dangereuses, Annuaire de droit maritime, Tome
XIII, 1995, 123. 153 R.Rodière et P. Lureau, Traité général de droit maritime, Evénements de mer, n° 245.
52
dont il dispose pour sauver du danger créé par l’abordage l’autre bâtiment, son équipage et ses
passagers. La seule excuse qui l’en dispense serait le danger qu’il ferait alors courir à son
propre navire, à son équipage et à ses propres passagers ; et par l’article 85 du Code
disciplinaire et pénal de la marine marchande qui stipule que « tout capitaine qui alors qu’il
peut le faire sans danger sérieux pour son navire, son équipage ou ses passagers, doit prêter
assistance à toute personne, même ennemie, trouvée en mer, en danger de se perdre ».Dans
les deux cas est puni d’une amende de 25 000 francs et d’un emprisonnement de 2 ans ou de
l’une de ces deux peines seulement ».
L’abandon du navire est prévu par l’article 84 du même code. Le capitaine est puni d’une
peine de 6 mois d’emprisonnement s’il abandonne le navire, en cas de danger sans l’avis des
officiers et principaux de l’équipage. Si le capitaine néglige d’organiser le sauvetage de
l’équipage et des passagers et de sauver les papiers de bord, les dépêches postales et les
marchandises les plus précieuses de la cargaison avant d’abandonner le navire alors il est
passible d’une peine d’emprisonnement de 2 ans . La même peine s’applique au cas où le
capitaine ne quitte pas le navire le dernier.
Sur ce dernier point nous pouvons noter une décision du tribunal maritime commercial du
Havre qui a relaxé un capitaine ayant quitté le bord avant que toute personne ait pu évacuer et
qui n’avait pas emporté les papiers du bord, au motif que la soudaineté et l’ampleur de
l’incendie ne lui avaient pas permis ni de descendre dans sa cabine pour récupérer ses
documents ni de se rendre sur la partie arrière du navire pour y organiser le sauvetage du
personnel qui s’y trouvait. Cependant, il avait organisé le sauvetage de toutes les personnes
qui se trouvaient sur la passerelle et n’avait quitté l’avant du navire où elles étaient réfugiées,
que le dernier154.
Ces deux cas où la responsabilité du capitaine peut être engagé sont rares dans la mesure où la
solidarité entre marins est très forte155 (de plus, des rémunérations pour l’assistance aux biens
sont prévues) et très souvent les capitaines mettent un point d’honneur à quitter le navire en
dernier voire à sombrer avec lui. Nous pouvons citer à titre d’exemple l’attitude du capitaine
Smith dans le cas du naufrage du Titanic et plus récemment celle du capitaine du Lamoricière.
Une fois ces deux cas analysés, il convient de s’attarder sur les cas où la responsabilité pénale
du capitaine est engagée plus fréquemment.
154 TMC Le Havre, 24 févr. 1966, DMF 1966, 353
155 A noter toutefois un arrêt du TGI des Sables d'Olonnes en date du 7 déc. 1955 (D 1996, 473, note M.Morin)
qui a condamné le capitaine d'un navire chypriote pour délit de fuite et non assistance à personne en danger:
« se rend coupable des délits prévus et réprimés par les art. 434 – 10 et 223 – 6 du C.pen., le capitaine d'un
navire étranger qui a abordé dans les eaux internationales un navire de pêche, entraînant le naufrage de ce
dernier, qui s'est abstenu de se porter au secours des marins en détresse ».
53
SECTION I. Les infractions touchant à la police intérieure du
navire
Nous étudierons ici d’une part les crimes, et d’autre part les délits que peut commettre un
capitaine, crimes et délits relatifs à la police intérieure du navire. Nous verrons que les
sanctions sont sévères dans la mesure où le capitaine est le principal responsable de la sécurité
et du bon ordre à bord du navire.
§ 1. Les crimes
Les crimes concernant la police intérieure du navire sont peu nombreux. Le principal concerne
le détournement par le capitaine du navire. Le capitaine peut tout d’abord être condamné à une
peine de 10 ans de réclusion criminelle dans le cas où il détourne, dans une intention
frauduleuse, à son profit, le navire qu’il conduit ou si, volontairement et dans une intention
criminelle, il fait fausse route ou détruit sans nécessité tout ou partie de la cargaison, des
vivres ou des effets du bord (art. 47 Code disciplinaire et pénal de la marine marchande)156. La
même peine s’applique au capitaine qui, dans une intention frauduleuse, vend le navire dont la
conduite lui est confiée, hors le cas de l’innavigabilité légalement constatée.
D’autre part, l’inscription frauduleuse sur les documents du bord157 de faits altérés ou
contraires à la vérité est punie des peines du délit de faux en écriture publique prévu par l’art.
441-4 al. 1 du Code pénal (art. 44 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande).
Outre le crime de détournement, le capitaine peut commettre des crimes de droit commun
comme n’importe lequel des individus. Nous ne relèverons pas ces crimes dans la mesure où
ils touchent essentiellement le droit pénal commun et n’ont que peu d’intérêt en matière
maritime. A ce titre d’exemple, nous pouvons citer l’affaire du MC-Ruby dans laquelle le
commandant Ilnitskiy ainsi que son second ont été condamnés à la réclusion criminelle à
perpétuité pour crimes contre huit passagers clandestins158. Le capitaine peut aussi commettre
des délits. Ils sont beaucoup plus nombreux que les crimes que l’on peut qualifier, à
proprement parler, de maritimes.
156 A noter que ces actes étaient déjà lourdement sanctionnés sous l'empire du décret de 1852 puisque la peine
était de vingt ans de travaux forcés. 157 Les documents de bord sont: le journal de mer; le livre de bord, constitué par le journal passerelle, le journal
machines et le journal radio; et dernier document, le livre de discipline. 158 JMM15 déc. 1995, 3220.
54
§ 2. Les délits
Il convient de noter ici un délit particulier, celui de la rupture de l’engagement qui lie
l’armateur et son capitaine.
Ce délit est prévu par l’art. 40 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande qui
stipule que hors le cas de force majeure, le capitaine qui rompt son engagement et abandonne
son navire avant d’avoir été remplacé, est puni d’une peine d’emprisonnement de 6 jours à 2
ans si le navire se trouvait à l’abri dans un port ; et d’une peine de 1 à 2 ans si le navire était en
rade ou en mer159.
La sévérité du deuxième cas se justifie dans la mesure où le navire est dans une situation plus
périlleuse pour lui-même et pour les personnes et les biens embarqués ainsi que pour les tiers.
En ce qui concerne les problèmes liés à l’alcool, il est à noter que le capitaine est puni d’un
emprisonnement de 12 jours à 2 mois s’il a embarqué ou fait embarquer de l’alcool, destiné à
la consommation de l’équipage, en quantités supérieures aux quantités réglementaires, ou en
aura autorisé l’embarquement (art. 55 du Code disciplinaire et pénal de la marine
marchande)160.
L’ivresse du capitaine est sanctionnée par un emprisonnement de 6 mois. En cas
d’intempérance (d’ivresse habituelle) la peine est doublée (art. 55 du Code disciplinaire et
pénal de la marine marchande) sans préjudice des mesures disciplinaires prévues à l’art. 20 du
décret du 7 novembre 1960161.
Le capitaine, représentant de l’Etat à bord, et à ce titre, doté de prérogatives particulières, a
l’obligation de s’acquitter de sa mission. Il doit faire les constatations requises en cas de crime
ou de délit commis à bord, il doit rédiger les actes d’état civil et il doit tenir régulièrement le
journal de bord, le livre de discipline et les autres documents réglementaires.
A défaut, il s’exposerait à une peine d’amende prévue pour les contraventions de 5ème
catégorie (amende de 10 000 francs ou plus qui peut être porté à 20 000 francs en cas de
récidive lorsque le règlement le prévoit). Le capitaine est doté aussi d’un pouvoir disciplinaire,
nécessaire à maintenir l’ordre, la cohésion à bord du navire, la sécurité des personnes
embarquées et de la cargaison. Le Code disciplinaire et pénal de la marine marchande limite
l’exercice de ses prérogatives, notamment en cas d’abus (sauf en cas de motifs légitimes). En
effet, dans ces cas, et les cas d’outrages par parole, geste ou menace, le capitaine est puni
159 Cette obligation d'honorer son engagement est à mettre en parallèle avec l'obligation pour le capitaine de
conduire personnellement son navire à l'entrée et à la sortie des ports, havres ou rivières. Cette obligation est
sanctionnée par une amende de 25000 francs en vertu de l'art. 41 CDPMM. 160 La peine prévue pour le capitaine est le double de celle qui est prévue pour toute autre personne (sauf
l'armateur). 161 Le décret-loi de 1852 ne prévoyait que le cas de l'ivresse du capitaine au moment de la conduite du navire.
55
d’une amende de 25 000 francs et d’un emprisonnement de 6 mois (ou de l’une de ces deux
peines seulement)162.
En vertu de l’art. 98 du Code du travail maritime, le capitaine peut congédier le marin, mais
l’art. 67 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande limite ce droit en punissant le
capitaine d’une peine d’amende de 25 000 francs et d’une peine d’emprisonnement de 2 mois
(ou l’un de ces deux peines) seulement si ce dernier abandonne un membre d’équipage ou un
passager dans un port où n’existe aucune autorité française ou s’il n’avertit pas les autorités
compétentes. Il convient de ne pas oublier les dispositions de l’art. 45 du Code disciplinaire et
pénal de la marine marchande, « assurant » l’indépendance légale du capitaine vis à vis de
l’armateur , voire de l’affréteur, cet article sanctionnant le capitaine favorisant l’usurpation de
l’exercice du commandement à son bord, d’une peine d’emprisonnement de 6 mois. Le
capitaine peut voir sa responsabilité engagée dans le cas d’infractions relatives à la police de la
navigation.
SECTION II. Les infractions concernant la police de la navigation
Ces infractions sont expressément prévues dans le Code disciplinaire et pénal de la marine
marchande dans les articles 63 et 80. L'article 63 dispose que le capitaine de tout navire
français ou étranger commet une infraction et encourt une peine d'emprisonnement de deux
ans et une amende de 50 000 francs (ou l'une de ces deux peines seulement) s'il enfreint dans
les eaux territoriales ou intérieure françaises, entre autres, les règles de circulation maritime
édictées en application de la Convention Colreg en vue de prévenir les abordages et relatives
aux dispositifs de séparation du trafic .
Et la loi du 15 décembre 1986 étend cette règle en cas d'infraction commise par tout capitaine
de navire français hors des eaux territoriales ou intérieures françaises. L'article 80 prévoit
quant à lui une peine de 3 mois d'emprisonnement et une amende de 25 000 francs (ou l'une de
ses deux peines seulement) contre le capitaine qui se rend coupable d'une infractions aux
règles prescrites par les règlements maritimes, soit sur les feux à allumer la nuit et les signaux
à faire en temps de brume soit sur la route à suivre et les manœuvres à exécuter en cas de
rencontre d'un bâtiment. Si cette infraction a des conséquences dommageables pour un navire
ou pour des personnes, la peine d'emprisonnement encourue est de 2 ans (art. 81 Code
disciplinaire et pénal de la marine marchande).
Au Royaume-Uni, le Merchant Shipping Act de 1894 a été modifié dans les sections 418 à
424 par les règles 1 à 5 du Merchant Shipping (Distress Signals and Prevention of Collisions)
Regulations en 1983 et en 1989 pour clarifier la responsabilité pénale. En cas d'infraction aux
162 Les peines applicables seront doublées si les abus d'autorité ou les outrages sont adressés à des mousses.
56
règles anti-collisions, le propriétaire du navire, le capitaine et toute personne ayant
actuellement en charge la conduite du navire sont coupables d'un délit. Le montant des
amendes est élevé. Ils peuvent se défendre en montrant qu'ils ont pris toutes les précautions
raisonnables pour éviter la commission du délit (règles 5-1 et 5-2)163. Ces deux articles sont
fortement inspirés de la Convention Colreg (Collision Regulation) de Londres de 1972 qui est
entré en vigueur le 15 juillet 1977. Cet instrument est venu répondre au besoin pressant
qu’avaient les Etats de prévenir les abordages, en élaborant une réglementation uniforme.
C'est donc en fait cette convention qu’il faut analyser164. Nous pouvons distinguer ici les
infractions aux règles générales de circulation en mer et les infractions aux règles particulières
aux zones à trafic très dense165.
§ 1. Les infractions aux règles générales de circulation en mer
Il convient ici de distinguer trois situations : la navigation dans toutes les conditions de
visibilité, les navires en vue les uns des autres et la conduite par visibilité réduite.
A. Les règles applicables dans toutes les conditions de visibilité
– la veille.
Le maintien d'une veille appropriée est une prescription qui a toujours existé dans les règles
internationales. La règle 5 du règlement Colreg dispose que tout navire doit en permanence
assurer une veille visuelle et auditive appropriée en utilisant tous les moyens disponibles qui
sont adaptés aux circonstances et conditions existantes. Les tribunaux sanctionnent
l'insuffisance ou l'absence de veille. A titre d'exemple nous pouvons citer le cas d'un capitaine
163 Ph. Boisson, Politiques et droit de la sécurité maritime, 1998, n° 674
164 Il faut noter toutefois la règle 1b qui stipule qu'aucune disposition des présentes règles ne saurait entraver
l'application des prescriptions spéciales édictées par l'autorité compétente au sujet de la navigation dans les
rades, les ports, sur les fleuves, les lacs ou les voies de navigation intérieures attenantes à la haute mer et
accessible aux navires de mer. La règle Colreg 1b ne s'applique que dans la mesure où règles générales et règles
locales entrent en conflit. A titre d'exemple nous pouvons citer un arrêt de la CA de Rouen en date du 26 avril
1951, DMF 1951, 591, prescrivant au capitaine de respecter les arrêtés préfectoraux relatifs à la circulation dans
l'estuaire de la Seine. 165 En plus des infractions aux règles générales de circulation en mer et les infractions particulières aux zones à
trafic très dense, le capitaine peut voir sa responsabilité engagée pour une violation des règles d'éclairage et de
signalisation. Nous préférons nous intéresser dans le cadre de cette étude relative aux infractions à la police de
la navigation, aux infractions aux règles de circulation présentant un intérêt certain et renvoyer pour ce qui est
des infractions aux règles d'éclairage et de signalisation aux développements très techniques de Ph. Boisson,
ibid., n° 680.
57
qui a été condamné pour avoir confié la veille à un officier peu expérimenté (« non breveté et
sans grande compétence ») alors que le navire naviguait par temps de brume166.
Dans un autre cas, un capitaine a été acquitté : il avait confié la veille à son second, et lors des
ultimes manœuvres tendant à éviter l’abordage, il était sur la passerelle167.
– la vitesse de sécurité.
Les navires doivent maintenir en permanence une vitesse de sécurité tels qu’ils puissent
prendre des mesures appropriées et efficaces pour éviter un abordage (règle 6). La vitesse est
déterminée par plusieurs paramètres : la visibilité, la densité de trafic, la capacité de manœuvre
du navire, les conditions météorologiques, l'état de la mer et les limites d'utilisation de
l'équipement radar168. Un capitaine peut se voir condamné pour ne pas avoir réduit sa vitesse
par temps de brume169 ou tout simplement dans les ports
170 ou les rades.
– les manœuvre pour éviter les abordages.
En vertu de la règle 8a, cette manœuvre doit, si les circonstances le permettent, être exécutée
franchement, largement à temps et conformément aux usages maritimes171.
B. Les règles applicables aux navire en vue les uns des autres
Il existe ici quatre règles fondamentales anti-collisions et des règles de spécification se
rapportant aux précédentes. C'est la section 2 de la partie B du règlement qui contient ces
règles.
– les règles fondamentales anti-collisions.
Nous pouvons ici citer la règle 13 qui oblige tout navire qui en rattrape un autre à s'écarter de
la route de ce dernier. La règle 14 dispose que les navires ayant des routes opposées doivent
venir sur tribord pour passer à bâbord l’un de l'autre. La dernière règle est la règle de tribord,
prévue par la règle 15.1. Le navire qui voit un autre navire sur tribord doit s'écarter et si
possible éviter de croiser sa route sur l’avant. C'est cette dernière règle qui donne lieu à une
166 TMC Le Havre, 1
er déc. 1955, DMF 1956, 559.
167 TMC Bordeaux, 13 juin 1969, DMF 1969, 126. 168 Ph. Boisson, ibid., n° 676; et sur les problèmes posés par l'utilisation du radar v. infra p. 57 et suiv. 169 CA Rennes, 16 nov. 1964, DMF 1965, 486.
170 CA Poitiers, 23 juin 1976, DMF 1977, 85. 171 En ce sens CA Le Havre, 7 juill. 1970, DMF 1971, 226.
58
jurisprudence abondante172 et sa violation entraîne souvent la responsabilité intégrale du
capitaine fautif.
– les règles de spécifications.
Il s'agit des règles 16,17 et 18. Elles prévoient que le navire qui est tenu de s'écarter de la route
d'un autre doit manœuvrer de bonne heure et franchement de manière à s'écarter largement.
D'autre part le navire prioritaire peut agir préventivement pour éviter de laisser se créer une
situation critique. Le navire non prioritaire a l'obligation de s’écarter de sa route. Enfin la
priorité la plus élevée est accordé aux navires qui ne sont pas maîtres de leur manœuvre, ceux
ayant une capacité de manœuvre restreinte, les bateaux en train de pêcher et les bateaux à
voile173.Ceci n’autorisant pas néanmoins les navires à voile et/ou en pèche à gêner les
manœuvres des navires marchands dont les dispositifs de séparation de trafic, les chenaux
d’accès aux ports.
C. Les règles applicables aux navires par visibilité réduite
La visibilité réduite est une cause d'accroissement des règles de navigation et la plupart des
accidents se produisent à ce moment. Dans ces moments, les capitaine doivent respecter les
règles spéciales relatives à la conduite du navire dont ils ont la charge et à l'utilisation du
radar.
– la conduite du navire.
La règle 19 stipule que les navires doivent naviguer à une vitesse de sécurité adaptée aux
circonstances existantes. Les manœuvres qui ont pour but d'éviter une situation très
rapprochée doivent être effectuées largement à temps. Si les navires se trouvent à proximité
l'un de l'autre, ils doivent casser leur erre et naviguer avec une extrême prudence jusqu'à ce
que le risque d'abordage soit passé174.
- L'utilisation du radar.
Dès 1945, la marine marchande a bénéficié de l’utilisation des radars. Cependant, pendant près
de vingt ans le nombre de sinistres par temps de brume n'a pas diminué, le radar donnant au
capitaine un sentiment de confiance et de fausse sécurité. Les solutions jurisprudentielles
concernant le radar sont nombreuses. On peut dire en fait que le capitaine qui utilise un radar
le fait à ses risques et périls. Ainsi, un capitaine peut voir sa responsabilité engagée s'il a
172 Pour des exemples v. Ph. Boisson, ibid., n° 678.
173 Ph. Boisson, ibid., n° 678. 174 Ph. Boisson, ibid., n° 679.
59
conservé une vitesse trop élevée du fait de l'utilisation du radar et si un abordage en a
résulté175.
Un jugement du tribunal maritime commercial de Bordeaux est éloquent à l'égard de
l'utilisation du radar et ses conséquences. Il considère que le radar n'est qu'une aide
supplémentaire à la navigation et un moyen de détection, dont l'emploi ne peut affranchir en
aucune façon le capitaine du navire qui en est fourni de la stricte observation du Règlement
pour prévenir les abordages en mer (c'est-à-dire en l’espèce réduire la vitesse du navire du fait
de la présence d'une brume épaisse, émettre les signaux phoniques de brume et circuler sur la
droite du chenal)176.
En ce qui concerne la jurisprudence anglo-saxonne, elle a d'abord considéré l'emploi du radar
comme facultatif puis elle rendit son usage obligatoire par la suite177.
A côté des règles générales de circulation en mer, des règles particulières aux zones à trafic
très dense ont été établies.
§ 2. Les règles particulières aux zones à trafic très dense
Il convient ici d'analyser les règles relatives à la circulation des navires dans les dispositifs de
séparation de trafic (DST)178 ;puis les éventuelles sanctions susceptibles d'être prononcées
contre le capitaine en charge du navire.
A. Les règles de circulation dans les DST
En France, nous pouvons dénombrer trois DST : celui du Pas-de-Calais, des Casquets et
d'Ouessant. Les règles de circulation sont prévues par la règle 10 de la convention Colreg. Le
capitaine demeure libre de passer au large des voies imposées mais la règle 10.h impose une
175 Tcom Dunkerque, 7 juill 1958, DMF 1959, 240, note J. Villeneau. 176 TMC Bordeaux, 26 oct. 1962, DMF 1963, 488. 177 J. Le Clere, L'emploi et le mauvais emploi du radar, JMM 16 août 1956, 1754.
178 Généralement ces DST sont couverts par un service de trafic maritime (ou vessel trafic system en anglais).
Leur mission est d'une part, d'offrir un service de surveillance et d'assistance à la navigation de nature
"passive", et d'autre part un système "actif" de planification de navigation tel qu'il se pratique par exemple dans
le détroit du Pas de Calais ou dans de nombreux ports du Royaume-Uni, des Etats-Unis, du Japon et du Canada.
Le système de sécurité maritime a pour conséquence notable d'éroder les pouvoirs du capitaine, car celui-ci se
trouve contraint d'accepter des plans de route et des ordres de mouvements, alors que le Droit maritime
classique et la tradition font de lui le seul maître à bord. Le principal problème relatif au fonctionnement des
STM concerne leur responsabilité en cas de dommage puisqu'il n'existe aucun texte de droit maritime
international en la matière. Il faut se référer aux différents droits nationaux. Pour une étude plus approfondie v.
Ph Boisson, ibid, n° 897 et suiv.
60
condition : celle de s'en écarter aussi largement que possible. Le capitaine qui décide
d'emprunter un tel dispositif doit respecter les prescriptions spéciales de la règle 10 et celle du
règlement Colreg dans son ensemble. Ainsi, les navires naviguant à l’intérieur d'un dispositif
doivent suivre la voie de circulation appropriée dans la direction générale du trafic pour cette
voie, en s'écartant des lignes ou des zones de séparation (règle 10 al. b). Les navires devant
couper les voies de circulation doivent le faire perpendiculairement à la direction générale du
trafic (règle 10 al. c).
Les navires ne peuvent quitter ou entrer dans une voie de circulation qu'à l'une des extrémités.
Mais s'ils s'y engagent latéralement ou la quittent, cette manœuvre doit être effectuée sous un
angle aussi réduit que possible par rapport à la direction générale du trafic (règle 10, al. b, iii).
Les capitaines doivent aussi éviter, autant que possible, de mouiller leurs navires à l'intérieur
d'un dispositif ou dans les zones proches de son extrémité (règle 10 al. g).
Les privilèges accordés par la règle 18 aux navires à voile et au navires en train de pêcher sur
les navires à propulsion mécanique, n’ont plus lieu d'être dans un DST, en vertu des règles 10
al. i et 10 al. j.
En présence d'un risque d'abordage entre deux navires, la règle 10 al. a rappelle que les règles
de barre et de route prévues par les autres dispositions de la Colreg s'appliquent.
Les mêmes règles s’appliquent dans les zones d’accès dûment balisées aux grands ports (par
exemple Fos et Antifer en ce qui concerne les navires pétroliers ou gaziers).
B. Les sanctions en cas d'infractions aux règles et circulation dans un DST
En droit interne, elles sont prévues par l’article 63 du Code disciplinaire et pénal de la marine
marchande (que nous avons cité auparavant) et résulte de la loi du 2 janvier 1979.
Cependant, cette loi ne prévoyait que les cas d'infraction dans les eaux territoriales ou
intérieures françaises (art. 63 al. 3). Aussi une loi du 15 décembre 1986 est venue ajouter un
quatrième alinéa précisant que les sanctions prévues au troisième alinéa s’étendent aux
infractions commises par les capitaines de tout navire français hors des eaux territoriales ou
intérieures françaises. Cet ajout de la loi s'est avéré nécessaire dans la mesure où pour
renforcer la sécurité maritime, des DST, qui étaient à l'origine situés dans des eaux
territoriales, ont été étendus en haute mer (c'est le cas du DST d'Ouessant) et d'autres sont
entièrement situés en dehors des eaux territoriales comme le DST des Casquets.
Nous pouvons maintenant citer quelques exemples de sanctions prises en cas d'infraction au
DST. La première condamnation rigoureuse d'un capitaine en application de la loi du 2 janvier
1979 a été le fait du tribunal maritime commercial du Havre. Le capitaine d'un pétrolier grec a
en effet été condamné à 200 000 francs d'amende et à 6 mois de prison avec sursis au motif
qu'il avait emprunté au large d'Ouessant un couloir qui lui était interdit( de plus, s'agissant d'un
navire transportant une cargaison d'hydrocarbures, il avait pénétré dans les eaux territoriales
française sans avoir signalé au préfet maritime la date de son entrée, la position, la route, la
61
vitesse de son navire ainsi que la nature et l’importance son chargement)179. Déjà ce même
tribunal maritime commercial avait pu juger cinq commandants de navire pour infraction à la
circulation maritime dans les parages d'Ouessant, les peines allaient de 6 000 à 8 000 francs180.
Le tribunal maritime commercial de Dunkerque a condamné, pour sa part, un capitaine chinois
à 15 000 francs d'amende toujours pour avoir enfreint les règles de séparation du trafic au
large d'Ouessant (et n'avoir pas annoncé son arrivée au voisinage des côtes françaises alors
qu'il transportait des hydrocarbures)181.
Comme nous pouvons le constater, dès l'entrée en vigueur de la loi du 2 janvier 1979, les
sanctions pénales sont tombées. Et aujourd'hui, il ne se passe pas un mois sans que le journal
de la marine marchande ne fasse état d'amendes infligées à des capitaines pour des infractions
aux règles de circulation dans les DST. Il faut noter aussi que l'accomplissement de l'acte
infractionnel est puni sans qu’il y ait lieu de rechercher l’intention, la faute ou à tenir compte
de la bonne foi du prévenu182. Dès lors que le fait matériel est régulièrement constaté alors la
faute existe. En prouvant le fait, on prouve la faute. Il n'y a donc pas lieu de rechercher
l'élément moral de l'infraction.
De plus, nous pouvons constater une relative contradiction entre les articles 63 al. 3 et 80 du
Code disciplinaire et pénal de la marine marchande. En effet, l'article 80 al. 1 vise les
infractions aux règles prescrites par les règlements maritimes, « soit sur les feux à allumer la
nuit et les signaux à faire en temps de brume, soit sur la route à suivre et les manœuvres à
exécuter en cas de rencontre d'un bâtiment ». Cet article vise, en plus du capitaine, « tout chef
de quart qui se rend coupable d'une infraction » aux règles précitées. On peut très bien
imaginer que ce texte s'applique aussi à la règle 10 de la Convention Colreg relative à la
circulation dans les DST et voir un officier de quart condamné pour une infraction commise
dans un DST.
Mais une note du 2 mars 1982 de la direction des gens de mer du ministère de la mer est venue
clarifier les choses ; elle souligne que si l'on se réfère au rapport de la Commission de
l’Assemblé Nationale et au débat parlementaire183 relatif au projet de loi de 1979 modifiant le
Code (ainsi qu’au projet de loi modifiant la loi de 1964 relative à la pollution de la mer), la
nouvelle rédaction de l’article 80 du même code a eu pour but de préciser que les dispositions
relatives à la « route à suivre » vise les règles de circulation à appliquer en cas de croisement
d’un navire et non les voies obligatoires de circulation ou les distances minimales à respecter
pour la navigation à proximité des côtes184.
179 JMM 20 sept. 1979, 2309.
180 JMM 29 mars 1979, 761. 181 JMM 1er mai 1980, 995. 182 Crim. 4 janv. 1973, Bull cass. 1973, 6.
183 JMM 23 nov. 1978, 2798. 184 Cité par M. Cormier thèse, ibid, 734.
62
De plus, cette différence entre les deux articles pourrait s'expliquer par le fait que si la
nécessité s'est fait sentir de créer des DST du fait des difficultés concrètes de navigation dans
certaines zones alors il paraît « normal » que le capitaine soit personnellement tenu d'assurer la
conduite de son bâtiment dans ces zones, et ce, même si l'officier de quart dispose de toutes les
qualités pour assurer la conduite du navire dans ces mêmes zones (et ce en vertu de la
Convention STCW)185. Nous pouvons remarquer ici la différence entre le droit français et le
droit britannique.
En droit français donc, en cas d'infraction aux règles de circulation dans un DST, le capitaine
est pénalement responsable, même si cette infraction peut être le fait de l'officier de quart. Ici
la délégation de pouvoir n'est pas reconnue. En revanche, en ce qui concerne le droit anglais la
situation est différente, et ce, depuis la décision du N. F Tiger186.
En l’espèce, le navire devait traverser le DST du Pas-de-Calais. Avant de quitter la passerelle,
le commandant laissa pour consigne à l’officier de quart de suivre la route qu’il venait de
déterminer sur la carte conformément aux dispositions de la règle 10.c de la Convention
Colreg. Quelque temps après, le navire se trouva en infraction dans le DST. La justice anglaise
décida de relaxer le capitaine qui avait, à son avis, régulièrement délégué la conduite du navire
à l'officier de quart, ce dernier étant par ailleurs titulaire du même brevet que le capitaine. Et
cette solution annonçait l'évolution des textes en la matière187 puisque de nos jours le capitaine
n'est plus seul à supporter une sanction, en effet, à ses côtés l'armateur et l'officier de quart
peuvent subir les foudres de la justice.
Donc en matière de conduite du navire, à la différence du droit anglais, le droit français
reconnaît ce qu'on pourrait appeler la responsabilité pénale pour autrui du capitaine188.
A côté de ces infractions concernant la police de la navigation, le capitaine a vu émerger au
cours de ces dernières années une nouvelle et lourde responsabilité : la prévention de la
pollution et la protection de l'environnement.
185 En ce sens Tcom. 23 sept. 1993, DMF 1993, 731; où un capitaine a été condamné à la suite d'un abordage car
le Tribunal a considéré que l'absence du commandant de la passerelle était une faute grave, contraire « aux
règles de navigation, règles élémentaires et de rigueur absolue alors que le navire était dans une zone
dangereuse, connue du commandant … ». Cette zone n'était même pas un DST. 186 Bradshaw v. Ewart – James, the N. F. Tiger, 1983, I. All. E. p. 12, cité par M. Cormier, thèse ibid., 739.
187 V. supra p. 54 et suiv. 188 Sur la responsabilité pénale du capitaine pour autrui, v. M. Cormier, thèse ibid., 732 et suiv.
63
SECTION III. La responsabilité pénale du capitaine pour atteinte à
l’environnement189
Avec l’échouement de l’Amoco-Cadiz en mars 1978, la répression en matière de pollution a
pris une tournure différente et s’est focalisée sur le capitaine et ce, lourdement190.
La loi du 2 janvier 1979 a concrétisé cet état de fait, dans la mesure où le capitaine pouvait se
voir condamner à une amende de 5 000 000 francs (et le double en cas de récidive) et à une
peine de 5 ans d’emprisonnement191. Une telle sévérité pouvait s’expliquer par l’idée que, plus
que le capitaine, c’était en fait son armateur qui était visé. Mais pourquoi ne pas les
sanctionner par des incriminations appropriées ?192.
De plus, en sanctionnant les imprudences ou négligences des mêmes peines rigoureuses que
les rejets volontaires, le risque était de voir des décisions prises par des capitaines dans des
situations d’extrême danger se faire qualifier à posteriori, de négligence. La loi de 1979,
justement critiquée sur le terrain technique193, comme sur le terrain de l’opportunité
194 méritait
l’abrogation195et cette abrogation est venue par la ratification par la France, autorisée par une
loi du 5 août 1981, de la Convention Marpol du 2 novembre 1973196 relative au rejet
d’hydrocarbures et de substances nocives transportées par mer et la nécessité d’adapter la
législation interne. Ainsi, la loi du 5 juillet 1983, modifiée par la loi du 31 mai 1990, réprime
actuellement les violations à la Convention Marpol.
Mais comme le souligne Ph. Jeanson, cette loi porte les stigmates de la loi de circonstance du
2 janvier 1979 d’une part au niveau des sanctions dont le maximum a cependant été ramené à
1 000 000 de francs et deux ans de prison, et d’autre part dans son article 8 qui s’inspire
directement du délit de pollution involontaire.197
189 Nous analyserons dans cette section les atteintes à l'environnement qui sont les plus fréquentes, c'est à dire les
pollutions du fait des rejets d'hydrocarbures. L'environnement peut être également atteint par la perte par un
navire de sa cargaison qualifiée de dangereuse mais cela est plus marginal. De plus la réglementation
concernant les cargaisons dangereuses est très hétérogène et laisse aux états une grande liberté dans la mise en
œuvre de la réglementation. Pour une étude complète relative aux marchandises dangereuses il convient de se
référer à l'ouvrage de Ph. Boisson, ibid., n° 534 et suiv. 190 Jusqu'alors, en vertu de la loi du 26 déc. 1964 réprimant la pollution des eaux de mer, les sanctions allaient de
10 000 francs à 120 000 francs et de 3 mois à 2 ans de prison. 191 M. Rémond – Gouilloud parlant de la loi du 2 janv. 1979: « elle concentrait la répression sur les capitaines de
navire dans des termes excessifs et sans doute irréalistes ». In Anatomie d'un monstre marin: la loi de 5 juill.
1983 réprimant la pollution des mers par les hydrocarbures, DMF 1983, 703 et suiv. 192 En ce sens M.Rémond – Gouilloud, ibid, DMF 1983, 703 et suiv. 193 A. Huet, Le délit de pollution involontaire de la mer par les hydrocarbures, Revue juridique de
l'environnement I, 1979, 3 et suiv. 194 JMM 7 déc. 1978, 2920 et J.C. Lalitte, Capitaines boucs emissaires, Le Monde, 4 janv. 1979 195 M.Rémond – Gouilloud, ibid, DMF 1983, 703 et suiv. 196 Cette convention remplace la convention Oilpol de 1954.
197 Ph. Jeanson, Des disparités en matière de responsabilité pour pollution en zone littorale, DMF 1988, 427 et
suiv.
64
Il convient maintenant d’étudier dans le détail cette loi de 1983 qui a inséré dans les
dispositions répressives internes la convention Marpol.
Nous analyserons dans un premier temps les infractions punissables, puis quelles sont les
personnes éventuellement sanctionnables
§ 1. Les infractions punissables
Il faut distinguer ici les rejets volontaires des rejets accidentels.
En ce qui concerne les rejets volontaires(appelés aussi rejets opérationnels),la loi de 1983 fait
une référence directe aux dispositions de la Convention Marpol et notamment à son annexe
1.Mais en matière de pollution accidentelle, il convient de noter une divergence entre la loi de
1983 et la Convention où les incriminations sont différentes.
D’autres infractions sont également punissables comme l’abstention d’établir un rapport en
cas d’accident ou de ne pas signaler son entrée dans les eaux territoriales ou intérieures
françaises au préfet en cas de transport d’hydrocarbures.
A. Les rejets interdits
Les conditions dans lesquelles un rejet est interdit et les sanctions qui en découlent varient
selon la catégorie des bâtiments, catégories définies par la Convention Marpol 198 qui sont
différentes de celles de la loi de 1983, par rapport au taux de jauge brute.
a. Les pétroliers
Si le pétrolier se trouve dans « une zone spéciale »199, tout rejet d’hydrocarbures est interdit, et
ce, de manière absolue en vertu des règles 9-1-a et 10-2-a de la Convention Marpol. En dehors
de ces zones, le principe demeure l’interdiction sauf dans le cas où ces rejets sont considérés
comme peu dangereux pour le milieu marin et si le navire se trouve à une certaine distance des
côtes les plus proches et que la quantité rejetée ne dépasse pas un certain taux.
198 Qui sont différentes de la loi de 1983 par rapport aux taux de jauge brute. 199 A titre d'exemple nous pouvons citer la mer Méditerranée avec les mers et golfes qu'elle comprend; les zones
de la mer Baltique et de la mer Noire. …A noter que quatre décrets du 10 avril 1997 portant publication de
différents amendements à la Convention Marpol ont été publiés. Ils étendent la notion de zone spéciale à la mer
du Nord, à l'Antarctique ainsi qu'à la région des Caraïbes.
65
b. Les navires d’une jauge brute supérieure à 400 tonneaux
Si un navire se trouve dans une zone spéciale, les rejets d'hydrocarbures sont également
interdits. En dehors d'une telle zone, les rejets sont interdits si le navire est à l'arrêt. Si le
navire est en marche, les mélanges d’hydrocarbures ne doivent pas excéder une teneur précisé
par la règle 9-4 de la convention Marpol et se faire à une certaine distance des côtes (règle 10-
3-a).
c. Les navires d’une jauge brute inférieure à 400 tonneaux
Il convient de noter que de tels navires bénéficient d'un réel privilège. En effet, lorsque de tels
navires naviguent hors d'une zone spéciale aucune interdiction de rejets n’est faite à leur
rencontre. Les rejets dans une zone spéciale sont licites lorsque la teneur de l'effluent en
hydrocarbures ne dépasse pas une certaine quantité et que le rejet est effectué à une certaine
distance de la terre (règle 10-3-a).
La loi de 1983 prévoit les sanctions en cas de violation des dispositions de la Convention.
Mais ces conditions d'incrimination et ces taux de sanctions correspondent à des
classifications différentes. Les peines applicables aux rejets délibérés, fixées par les articles 1
à 5 et par l'article 7 varient en fonction du type et de la taille du navire. Ainsi, si le rejet
provient d'un pétrolier d'une jauge brute égale ou supérieure à 150 tonneaux, l'article premier
prévoit une amende de 100 000 francs à 1 000 000 francs et un emprisonnement de 3 mois à 2
ans, ou l'une de ces deux peines seulement, et le doublement de ces sanctions en cas de
récidive.
Si le rejet est le fait d'un pétrolier d'une jauge inférieure à 150 tonneaux ou d’un navire d'une
jauge brute inférieure à 500 tonneaux et dont la machine propulsive a une puissance installée
supérieure à 150 kilowatts, le capitaine sera puni d'une amende de 30 000 francs à 300 000
francs et d'un emprisonnement de 15 jours à un an, ou de l'une de ces deux peines seulement,
en vertu de l'article 2200.
Si l’infraction a été commise à partir d'un navire autre qu'un pétrolier d'une jauge brute
inférieure à 500 tonneaux et dont la machine a une puissance installée n'excédant pas 150
kilowatts, elle est sanctionnée d'une amende de 1 000 francs à 10 000 francs en vertu de
l'article 4201.
Se pose le problème de la constatation de telles infractions. Régulièrement, les constatations
de rejets en mer sont demeurées sans suite parce que il n'y avait pas suffisamment d'éléments
200 Et en cas de récidive du double de cette amende et /ou d'un emprisonnement de un à deux ans.
201 En cas de récidive du double de cette peine et d'un emprisonnement de huit jours à six mois, ou de l'une de ces
deux peines seulement.
66
de preuve202. Mais avec un jugement du tribunal de grande instance de Brest en date du 27
janvier 1995203 « un faisceau d'indices et de présomptions graves, précis et concordants » ont
permis de déclarer un capitaine anglais coupable du délit de pollution et de le condamner à 30
000 francs d'amende.
La loi du 5 juillet 1983 ne définit pas le mode particulier de preuve des infractions aux
dispositions de la Convention Marpol. L'article 11 décide que les observations des agents
qualifiés pour constater les délits font foi des faits matériels jusqu'à preuve contraire. Le
principe est la liberté des preuves de l'article 427 du code de procédure pénale qui laisse un
pouvoir souverain aux juges du fond pour décider de la pertinence des éléments soumis devant
eux à un débat contradictoire.
L'article 10-6 de l'annexe de la Convention Marpol institue une présomption de preuve de
l'élément matériel du délit « lorsque des traces visibles d'hydrocarbures sont observées à la
surface ou sur la surface de l'eau à proximité immédiate d'un navire ou dans son sillage ». Et
selon la règle 9 – b de l'annexe I à la Convention Marpol, l'infraction est matériellement
constituée quand la teneur de l'effluent rejeté en mer est supérieure à 15 ppm (parties par
million). Mais est-ce que la vue d'une nappe d'hydrocarbures est suffisante pour considérer
que le seuil de 15 ppm est atteint?
Le principe de la liberté des preuves fait que les prélèvements en mer ne sont pas obligatoires.
Mais les autres preuves présentées doivent être scientifiquement pertinentes et convaincantes
pour établir la culpabilité du prévenu.
En 1993, un groupe d'experts, désignés par les états parties à la Convention de Bonn du 13
sept. 1983 relatif à la coopération en matière de lutte contre la pollution en mer du Nord par
les hydrocarbures et autres substances dangereuses, a produit un manuel des preuves destiné
aux agents verbalisateurs et aux magistrats. L'observation visuelle directe et les systèmes de
télédétection aéroportés constituent des modes probatoires valables.204
Les éléments retenus pour permettre la condamnation du capitaine étaient les suivants: le
procès verbal de constatations dressé à bord de l'avion des Douanes et les photographies
aériennes prises établissant l'existence dans le sillage du navire d'un rejet polluant s'étendant
sur 10 à 15 m. de large, sur 8 milles nautiques et se présentant comme « une nappe irisée avec
tâches brunâtres morcelées », description caractérisant suffisamment les hydrocarbures
contenus dans le liquide rejeté selon le TGI ; d'autre part, suivant le manuel aucun rejet dont la
teneur en hydrocarbures est inférieure ou égale à 15 mg/l. n'a jamais été détecté visuellement
et les rejets dont la teneur en hydrocarbures est comprise entre15 et 100mg/l ne peuvent être
observés à partir d'un aéronef, dans les conditions normales de surveillance dans la mesure où
202 En ce sens JMM 1979, n° 3132, 31-52.
203 DMF 1995, 913, note M. Morin. 204 R. Léost note sous CA Rennes, 19 sept. 1996, DMF 1997, 100.
67
ils ne forment jamais de films continus d'une longueur supérieure à quelques décimètres.
Et l'arrêt immédiat du rejet d'hydrocarbures dès l'apparition de l'avion des Douanes révélait
son caractère volontaire. Cette décision a été confirmée en appel par la Cour d’appel de
Rennes.205
Une fois l'infraction constatée il convient de s'interroger sur les possibilités d'exonération de
responsabilité du capitaine.
En vertu de la règle 11 de l'annexe I à la convention Marpol, il y a sauf en cas de faute
intentionnelle ou inexcusable de la part du capitaine (ou du propriétaire du navire),
exonération de la responsabilité pénale si « le rejet provient d'une avarie survenue au navire
ou à son équipement » ou si le rejet est fait pour assurer la propre sécurité du navire ou celle
d'un autre navire ou sauver des vies humaines en mer.206
La Loi de 1983, en ce qui concerne le rejet volontaire d'hydrocarbures ne prévoit pas ces
circonstances exonératoires. Elle ne prévoit qu'une de ces possibilités d'exonération en cas de
rejet involontaire: « lorsque le rejet est consécutif à des mesures ayant pour objet d'éviter un
danger grave et imminent menaçant la sécurité des navires, la vie humaine ou
l'environnement ».
D'autre part, en cas de rejet involontaire, l'incrimination est différente selon la loi française et
la Convention Marpol. C'est cette différence qu'il faut maintenant analyser dans le cadre des
accidents interdits.
B. Les accidents interdits
Comme nous l'avons vu précédemment la règle 11 précise dans quelles conditions les rejets
sont justifiés. Ce régime devrait normalement s'imposer au législateur national. Ce n'est pas le
cas. En effet l'article 8 de la loi de 1983 dispose que « l'imprudence, la négligence ou
l’inobservation des lois et règlements, ayant eu pour conséquence un accident de mer… est
punissable en la personne du capitaine... qui a provoqué un tel accident ou n'a pas pris les
mesures nécessaires pour l’éviter, lorsque cet accident a entraîné une pollution des eaux
territoriales... ».
Ces imprudences, négligences sont sanctionnées au même titre qu'un rejet volontaire. Mais
l’inobservation des lois et règlements, mentionnée au même titre que l'imprudence ou
négligence peut constituer une faute inexcusable mais n’en constitue pas nécessairement
205 CA Rennes, 19 sept. 1997, DMF 1997, 100 avec les observations de R. Leost. 206 La règle 11 ne distingue pas selon le caractère volontaire ou non de l'infraction.
68
une207. Seules donc les imprudences, négligences et inobservations des lois et règlements
autres que non inexcusables sont visées par le législateur français. Or de telles fautes ont été
sciemment exclues de la répression par le législateur international qui entendait ainsi inciter le
capitaine à prendre toute mesure utile pour limiter la pollution, ces mesures le mettant à l’abri
de la condamnation (règle 11-b-i)208. On peut donc s'interroger sur la valeur légale de la loi de
1983 au regard de la Convention Marpol. En application de l'article 55 de la Constitution, la
Convention doit avoir une valeur supérieure à la loi. Ce sont donc les dispositions de la
convention qui, normalement, prévaudront.
La répression de la pollution peut également relever des contraventions de grande voirie. Elles
ont pour objet de réprimer les atteintes portées au domaine publique et d'en sauvegarder
l'usage auquel il est destiné. Leur connaissance relèvent de la compétence des juridictions
administratives. En vertu de l'article 14 de la loi de 1983, en cas de dommages au domaine
public maritime, l'administration ne peut poursuivre, selon la procédure des contraventions de
grande voirie, que la réparation de ce dommage. Or en pratique, la contravention de grande
voirie est utilisée pour sanctionner les capitaines de l'amende prévue au code des ports
maritimes, en plus de la réparation des dommages.
C. La non notification de certains événements
Tout d'abord, l'article 63 bis du Code disciplinaire et pénal, issu de la loi du 2 janvier 1979
dispose que le capitaine de tout navire français ou étranger transportant une cargaison
d'hydrocarbures ou d'autres substances dangereuses définies par décret, qui aura pénétré dans
les eaux territoriales ou intérieures françaises sans avoir signalé au préfet maritime la date et
l’heure d'entrée, la position, la route la vitesse du navire ainsi que la nature et l'importance du
changement, est puni d'une peine d’emprisonnement de 2 ans et d'une amende de 500 000
francs, ou de l'une de ces deux peines seulement.
De même, les mêmes peines seront appliquées à tout capitaine qui n'aura pas signalé au préfet
maritime tout accident de mer dont son navire aura été victime alors qu'il naviguait dans les
eaux territoriales ou intérieures françaises. L'article premier du Protocole de 1978 modifiant la
Convention Marpol impose au capitaine de faire « sans retard » et avec « tous les détails
possibles » un rapport sur certains événements.
207 V. Ph. Jeanson, Des disparités en matière de responsabilité pour pollution en zone littorale, DMF 1988, 427. 208 M. Rémond – Gouilloud, ibid, DMF 1983, 703 et suiv.
69
La loi du 31 mai 1990209modifiant la loi de 1983 dispose que « tout capitaine de navire
français auquel est survenu en mer ou dans les eaux intérieures et les voies navigables
françaises jusqu'aux limites de la navigation maritime, un des événements mentionnés par le
Protocole I de la Convention Marpol... qui n'aura pas établi et transmis un rapport
conformément aux dispositions dudit protocole, sera puni d'une amende de 30 000 francs à
300 000 francs et d'un emprisonnement de 15 jours à un an, ou de l'une de ces deux peines
seulement ».
Par ailleurs, la loi du 26 février 1996 relative à la protection du milieu marin, reprenant les
termes de l'article 7-1 du chapitre VII de la Convention Solas amendée par le Protocole du 23
mai 1991, modifie l’article 7-2 de la loi de 1983. Ce nouvel article 7-2 punit le capitaine de
tout navire français et les capitaines de tout navire étranger naviguant dans les eaux
territoriales ou dans la zone économique exclusive qui omettent d'adresser à l’Etat côtier le
plus proche « un compte-rendu aussi détaillé que possible des circonstances » dans lesquelles
est intervenu l'événement de mer pouvant ou ayant entraîné la perte de tout ou partie des
marchandises dangereuses en colis au sens de cette Convention.
L'OMI a adopté plusieurs recommandations fixant les principes généraux applicables au
système de compte-rendu de navire et aux prescriptions en matière de notification. Ces
dispositions viennent normaliser le format et les procédures mises en œuvre. Les comptes-
rendus doivent être succincts, simples et utiliser autant que possible l’anglais et le vocabulaire
normalisé de la navigation maritime et le code international des signaux, et être rédigé et
transmis le plus rapidement possible, surtout lorsque des questions de sécurité et de pollution
sont en jeu.
Une fois analysées des différentes infractions pouvant être éventuellement commises en
matière de pollution, il convient maintenant de se pencher sur le responsable de l'infraction.
§ 2. Le capitaine, premier responsable de l’infraction
Le principal responsable est ici le capitaine, certains n’hésitant pas à le qualifier de bouc
émissaire. La situation du capitaine est d'autant plus difficile qu’il peut être responsable
pénalement pour autrui en vertu de la loi du 5 juillet 1983 telle que modifiée et complété par la
209 C'est cette même loi qui est venue mettre un terme à une différence de situation préjudiciable entre les
capitaines de navires français et étrangers. En cas de rejet volontaire, tout comme les capitaines de navires
français les capitaines de navires étrangers étaient punissables. En revanche, en ce qui concernait les rejets
involontaires, seuls les capitaines de navires français étaient punissables; l'art. 8 al. 2 s'appliquant aux navires
définis à l'art. 1er c'est à dire uniquement aux navires français. Suite à l'affaire du Kini Kersten, cette différence
de situation a été mise en exergue. La loi du 31 mai 1990 est venue stipuler expressément que le capitaine d'un
navire étranger pouvait être poursuivi pénalement et condamné en cas de rejet accidentel.
70
loi du 31 mai 1990. Cependant cette situation est tempérée dans la mesure où l'amende
sanctionnant le capitaine peut être mise à la charge de l’exploitant ou du propriétaire du navire
en vertu de l'article 10.
A. La responsabilité pénale pour autrui du capitaine
Le capitaine peut ainsi être responsable pour des rejets d'hydrocarbures absolument
involontaires alors qu'il n'effectue pas en général lui-même les opérations qui peuvent en être à
l’origine.
De même sa responsabilité sera engagée en cas de rejet effectué sciemment par un membre de
l'équipage en violation des consignes qu’il aura données. Cette atteinte au principe de la
personnalité des peines comme le souligne M. Rémond-Gouilloud est chose courante210. Ce
qui est choquant ici c'est l'importance de la sanction dans ces cas.
Ph. Jeanson fait remarquer que la responsabilité pénale du fait d'autrui que la loi fait peser sur
le capitaine est comparable, mais plus rigoureuse, que celle qui pèse sur les chefs d'entreprise
du fait de la jurisprudence en cas de rejets polluants effectués par leurs préposés et tombant
sous le coup de l'ancien article 434-1 du code rural. En effet, si la Cour de cassation juge « que
la responsabilité pénale remonte essentiellement aux chefs d'entreprise, à qui sont
personnellement imposées les conditions et modes d'exploitations de leur industries »211, rien
dans l'incrimination de pollution des eaux douces, qui vise « quiconque » n’impose que ce soit
obligatoirement le chef d'entreprise qui soit systématiquement reconnu responsable.
Et la chambre criminelle admet qu'il puisse s’exonérer de cette responsabilité « s'il établit qu'il
a délégué ses pouvoirs à un préposé pourvu de la compétence et de l'autorité nécessaire pour
veiller efficacement à l'application de la loi »212. La loi interdit au capitaine une telle
délégation au chef mécanicien ou à l’officier chargé des mouvements des hydrocarbures
constituant la cargaison alors qu'ils présentent à la fois la compétence et l’autorité
nécessaire213. Ainsi, la loi du 5 juillet se montre particulièrement sévère envers le capitaine en
le rendant responsable même des fautes particulièrement graves qui pourraient être commises
par un membre de son équipage.
Mais à côté du capitaine, la loi du 5 juillet 1983 vise ceux qui par leurs fautes ont provoqué
l'accident ou « n'ont pas pris les mesures nécessaires pour l’éviter ». L’incrimination se veut
extrêmement large et, en plus du responsable de la conduite ou de l'exploitation, tous les
responsables potentiels se trouvent visés : la formule légale semble en effet englober, non
seulement l'armateur, mais également l'affréteur, s'il est investi de la gestion nautique, le
210 M. Rémond –Gouilloud, ibid.,DMF 1983, 711. 211 Crim. 6 oct. 1955, Bull. n° 388.
212 Crim. 14 févr. 1973, Bull. n° 81. 213 Ph. Jeanson, ibid., 427 et suiv.
71
gérant technique, le remorqueur et le pilote, le gardien de phare et l’opérateur de la station
radio pourraient même se trouver visés. Il est à remarquer que le jeu des limitations de
responsabilité pourraient introduire de singulières disparités de traitement entre les personnes
poursuivies214.
Mais n'est-ce pas là une façon de reconnaître que dans certains cas ce n'est pas le capitaine qui
est responsable mais d’autres personnes participant à l'expédition maritime, dont notamment
l'armateur. L'article 10 de la loi de 1983 semble abonder dans ce sens en disposant que le
paiement des amendes prononcées contre le capitaine sera à la charge de l'exploitant du
propriétaire.
B. Une limite à la responsabilité du capitaine : le cas de l’armateur payeur
Ainsi, compte tenu des circonstances de fait et, notamment des conditions de travail du
capitaine, le tribunal pourra décider que l'armateur sera le payeur des amendes prononcées
contre celui-ci. S'il est vrai que le délit est commis sous l'autorité du capitaine qui en est donc
responsable, ce dernier est aussi le préposé de l'armateur dont l'objectif, d’ordre financier, est
de réduire les coûts d'exploitation du navire, dont ceux, entre autres, dus à l’utilisation
d'installations de réception de résidus. Il très difficile pour un capitaine de résister aux
consignes de son commettant, le congédiement étant une arme redoutable surtout sur les
navires d'un pavillon de libre immatriculation.
Il est logique de mettre ces amendes dans leur totalité, où tout au moins dans leur plus grande
partie si l'on tient à affirmer la responsabilité des capitaines, à la charge de l’armateur qui,
d'autre part, possède généralement avec les P&I Clubs une couverture d'assurance pour sa
responsabilité pénale, bien que ce soit en théorie illégal215.
D'autre part, l'article 10 procure un avantage d'ordre fiscal à l’armateur. Au lieu de verser à
son préposé une prime correspondante au montant de l'amende, prime imposable pour le
préposé et occulte pour l'employeur, celui-ci appelé à régler directement l'amende, pourra
l’intégrer à son bilan fiscal216.
Dans le cas du paiement de l'amende par l’armateur, on ne peut à proprement parler de
responsabilité pénale pour autrui puisqu'en pratique c'est le casier judiciaire du capitaine qui
sera entaché par la condamnation, avec les conséquences que cela suppose dans le cas de
l'utilisation du casier judiciaire comme preuve des éléments de la récidive. La différence par
rapport à la situation antérieure est que la décision de « rembourser » le coupable passe des
mains de l'employeur à celle du juge.
214 M. Rémond –Gouilloud, ibid., DMF 1983, 713
215 M. Morin, note sous TGI Brest, 27 janv. 1995, DMF 1995, 913 216 M. Rémond –Gouilloud, ibid., DMF 1983, 713
72
En pratique, il apparaît équitable de mettre les amendes à la charge de l’armateur, si les
conditions de travail du capitaine le justifient (comme le précise l’article 10). En effet,
généralement, du fait des escales trop courtes ou tout simplement de l'absence d'infrastructures
appropriées sur les navires ou dans les ports pour traiter ou recueillir les résidus du navire, le
capitaine verra son navire encombré de résidus mazouteux. Il aura un choix à faire : un
capitaine consciencieux ou doté d'une force de caractère certaine pour résister aux pressions
d'un armateur peu scrupuleux rejettera ces résidus d'hydrocarbures dans une citerne vide du
navire (slop tank) ou dans les ballasts d’eau de mer, avec les frais que cela suppose pour le
nettoyage en résultant. En revanche un capitaine naviguant sur un navire sous normes, salarié
d’un armateur sous normes ou peu scrupuleux, en position délicate de ce fait et non doté de
cette force de caractère qui caractérise la profession de capitaine n’aura pas, malheureusement
pour l’environnement beaucoup d’alternatives pour régler le problème de l’encombrement en
résidus mazouteux de son navire. Et il est clair que le capitaine est ici victime d’un mode de
fonctionnement d’une société commerciale ; ainsi il est juste qu’il ne supporte pas les
insuffisances ou la malhonnêteté de certains armateurs.
Il convient toutefois de noter les efforts entrepris par les différents Etats depuis le début des
années 80 pour améliorer la sécurité maritime et la protection de l'environnement océanique.
Ces efforts ont débouché sur ce qu'on a qualifié de « contrôle de l’Etat du port ». Etroitement
réglementé dans la Convention de Montego Bay, les pouvoirs d'intervention de l’Etat du port
ont été étendus de manière substantielle par les différentes conventions internationales sur la
sécurité maritime (Solas et Marpol). Entre autre finalité, elles ont pour but de protéger
l'environnement en prévenant les pollutions accidentelles, par le biais d'un contrôle des navires
« suspects » ; les navires sous normes se voyant immobiliser ou leur entrée refusée dans les
ports des pays effectuant les contrôles217. De même, en cas d’accident dans les eaux
territoriales, le Préfet Maritime imposera au capitaine si nécessaire la prise immédiate d’un
remorqueur d’assistance, évitant les discussions de rémunération entre l’armateur, le capitaine
et l’entreprise de remorquage.
Cette politique internationale représente un avantage pour les différents capitaines puisqu'à
terme ils devraient naviguer sur des navires conformes à des réglementations strictes et les
pollutions accidentelles, entre autres, devraient considérablement se réduire.
Mais lorsque la responsabilité pénale est recherché, il bénéficie d’un double privilège :
– un privilège d’ordre interne : celle de se faire juger par un tribunal spécialisé pour
certaines infractions,
– un privilège de caractère international : la possibilité de se faire juger par les tribunaux
de l’Etat du pavillon du navire ou à défaut par les tribunaux de l’Etat dont le capitaine a la
217 Pour une étude plus complète de cette politique de contrôle de l'état du port, v. Ph. Boisson, ibid., n° 850 et
suiv.
73
nationalité lorsque les faits reprochés ont été commis en haute mer, voire même dans les eaux
territoriales d’un autre Etat, mais dans ce dernier cas, les tribunaux de l’Etat côtier seront
compétents concurremment.
SECTION IV. Les privilèges de juridiction
Le capitaine bénéficie d'un double privilège dans le cas où son activité aurait éventuellement
eu des conséquences dommageables.
Il s'agit d'un privilège d'ordre interne d'une part : la possibilité de se faire juger par une
juridiction comportant en son sein des juges aptes à « comprendre », appréhender le
comportement du capitaine puisque eux-mêmes au fait des particularismes du monde maritime
: il s'agit du tribunal maritime commercial. Il faut noter cependant que le rôle des tribunaux
maritimes commerciaux s'est réduit depuis vingt ans ; au détriment des tribunaux répressifs de
droit commun.
En effet, en cas de conflit de compétence entre les tribunaux maritimes et tribunaux
correctionnels, la compétence de ces derniers a été admise soit, parce que plus large, elle
couvrait l'ensemble des infractions reprochées au prévenu (crim 2 juin 1977, Bull n°200 par
exemple), soit parce que l'infraction avait donné lieu à constitution de partie civile (crim 30
janvier 1980, Bull n°42)218. Aujourd'hui, ces tribunaux maritimes commerciaux jugent
essentiellement les délits intéressant directement l'ordre à bord et les affaires purement
nautiques219.
D'autre part d'un privilège international : plus ou moins atténué selon que l'on se trouve dans
les eaux territoriales ou en haute mer. Ce sont ces deux privilèges qu'il convient maintenant
d'étudier.
§ 1. Le tribunal maritime commercial
Nous analyserons ici l'historique des tribunaux maritimes commerciaux ainsi que leur
composition et les règles de procédure. Nous nous attarderons sur le problème relatif à
l'autorité au civil des décisions des tribunaux maritimes commerciaux. D'autre part cette
juridiction spéciale est sujette à critique.
218 M. Rémond – Gouilloud, Droit maritime, p. 128. 219 E. du Pontavice, Droit maritime, n° 227.
74
A. Historique
Les tribunaux maritimes commerciaux ont pour ancêtre les anciens tribunaux d’Amirautés
dont la compétence s’étendait à « tous crimes et délits commis sur la mer, ses ports, havres et
rivages »220. Au cours de la période révolutionnaire française, ils furent supprimés par
l'Assemblée Constituante en 1791 avec une répartition de leurs attributions entre les tribunaux
de commerce, les juges de paix et les tribunaux ordinaires.
Face aux nombreux problèmes rencontrés par les capitaines quant au maintien de la discipline
à bord des navires, du fait des sanctions trop rigoureuses, voire même dans certains cas,
impossibles à appliquer, il fut décidé de réagir et c'est ainsi que les 24 mars et 26 avril 1852
fut promulguée le décret « disciplinaire et pénal pour la marine marchande ». Ce décret
institua les tribunaux maritimes commerciaux , juridictions non permanentes composées de
cinq membres221. Ces tribunaux ne connaissaient que des infractions à la police intérieure du
navire telles que désobéissance, voie de fait, ivresse, désertion. La procédure était
sensiblement la même que la procédure actuelle, à la différence que le pourvoi en cassation
n’était pas possible.
Une loi du 10 mars 1891 sur « les accidents et collisions en mer » posa en principe que « les
juridictions saisies des délits prévus par la présente loi ne connaissent pas de l'action civile ».
C'est à partir de ce moment qu'est né le problème de l'autorité au civil des décisions pénales
rendues par les tribunaux maritimes commerciaux: problème qui a soulevé un important débat
doctrinal comme nous le verrons par la suite.
D'autre part elle créa un certain nombre de délits nouveaux (proches en fait de notre actuelle
notion de faute nautique) tels que les infractions aux règlements sur les feux à allumer et les
signaux de brume à effectuer. Pour ces nouveaux délits, la composition et la procédure des
tribunaux maritimes commerciaux étaient quelque peu modifiées. Il y avait ainsi deux
juridictions dotées d'une même appellation : l'une amenée à connaître des délits disciplinaires
proprement dits et l'autre des délits nouveaux.
Le fonctionnement de ces deux juridictions ne donna pas totale satisfaction et les inscrits
maritimes demandèrent la suppression de ces tribunaux. C'est par la loi du 17 décembre 1926
portant Code disciplinaire et pénal de la Marine Marchande que furent supprimés les tribunaux
maritimes commerciaux.
Les tribunaux correctionnels allaient ainsi connaître des délits et, suivant l'importance des
fautes, les poursuites disciplinaires allaient être diligentées par le capitaine, les administrateurs
de l’Inscription Maritime ou par le ministre. Ce nouveau système ne donna pas non plus
satisfaction au marins. Les tribunaux maritimes commerciaux furent rétablis par une loi du 29
juillet 1939 au double motif qu'ils « sont mieux aptes à connaître les fautes maritimes et la
mentalité des gens de mer »222. Cette loi a rétabli les tribunaux maritimes commerciaux de
220 Livre I, Titre II, Ordonnance de la Marine 1681.
221 J. Villeneau, DMF, 1971, 67. 222 Préambule du décret loi du 29 juill. 1939.
75
1891 , compétents principalement en matière d'infractions nautiques223 et a confirmé
l'interdiction de se constituer partie civile devant les tribunaux maritimes commerciaux.
Le problème de l'autorité au civil de leurs jugements était à nouveau posé224 comme nous le
verrons plus loin mais avant il convient d’abord d’étudier la composition et la procédure
actuelle devant le tribunal maritime commercial.
B. Composition et procédure
La composition du tribunal maritime commercial a été récemment modifiée par une loi du 24
août 1993 portant réforme de la procédure pénale. Le tribunal maritime commercial est
composé de 5 membres. Il est présidé par un magistrat du siège du tribunal de grande instance
dans le ressort duquel se trouve le tribunal maritime commercial ; assisté d'un administrateur
des Affaires Maritimes, d'un capitaine au long cours ou d’un capitaine de première classe de
moins de 60 ans et ayant au moins quatre ans de commandement, d'un agent des Affaires
Maritimes, enfin, d'un marin ou officier ayant le même diplôme ou brevet que l'inculpé ; ou à
défaut de diplôme ou brevet, d'un maître appartenant à la spécialité du prévenu225.
Le ministère public auprès du tribunal maritime commercial est confié à un commissaire
rapporteur, officier de marine, désigné par le préfet maritime226. Il est à noter qu'en cas de
pluralité de prévenus, en dehors du quatrième juge, il y aura autant de juges supplémentaires
qu'il sera nécessaire pour tenir compte de la situation de tous les prévenus. Au cours du
délibéré et du vote, le quatrième juge et les juges supplémentaires n’interviennent qu’en ce qui
concerne le ou les prévenus à raison duquel ou desquels ils ont été nommés (conformément à
l’article 90.1)227.
Un point particulier concerne la navigation de plaisance. Il est clair que le tribunal maritime
commercial est compétent à l'égard des plaisanciers comme a pu l’affirmer la Cour de
cassation228. Le problème vient du fait que l'article 90 n’envisage pas l'hypothèse d'un prévenu
plaisancier. M Jambu Merlin avait proposé de régler le problème en raisonnant par analogie229.
Toutefois, avec la modification apportée par la loi du 24 août 1993, on peut imaginer qu'un
agent des affaires maritimes pour lequel la plaisance n'a pas de secret ou peut-être même
223 Art. 80 CDPMM, (règles sur les feux, la route à suivre, les manœuvres à effectuer); art. 81 et 82 (infractions
ayant entraîné un abordage, un échouement, un choc contre un obstacle …); art. 83 (défaut d'assistance à
l'équipage et aux passagers du navire abordé); art. 84 (abandon du navire sans l'avis des principaux de
l'équipage, négligence dans l'évacuation du navire); art. 85 (défaut d'assistance à toute personne, même
ennemie); art 87 (application des art. 80 à 83 aux étrangers). 224 Cf.infra p. 77 et suiv.
225 Art. 90 CDPMM. 226 Art. 91, CDPMM. 227 Crim. 7 févr. 1963, DMF 1963, 275, note Chauveau.
228 Cass. 10 mars 1966, DMF 1966, 335. 229 R.Rodière et R. Jambu – Merlin,Traité général de droit maritime, Les gens de mer, n° 55.
76
plaisancier lui-même sera choisi. Mais cette modification ne permettra toutefois pas la
désignation d’un plaisancier en tant que tel230.
En ce qui concerne la procédure, nous pouvons dire qu'elle est empreinte d’un particularisme
certain. Elle a sa source essentielle dans le Code disciplinaire et pénal de la marine marchande
et dans le décret du 26 novembre 1956. Ces deux textes apparaissent comme des textes
d'exception par rapport aux dispositions du Code de procédure pénale231. Il faut ici distinguer
l'enquête préliminaire de l'enquête nautique. L'enquête préliminaire est diligentée, en cas de
crime ou délit commis par la capitaine ; ou avec sa complicité, par l'administrateur des
Affaires Maritimes dès qu'il a connaissance de l'infraction. Cette enquête doit être conforme
aux dispositions du titre II du livre I du Code de procédure pénale232.
L'administrateur des Affaires Maritimes doit ensuite statuer sur les suites à donner à l'affaire :
– si les faits constituent une simple faute à la discipline alors l'administrateur sanctionnera
l'intéressé d'une peine disciplinaire.
– l'administrateur saisira le procureur de la République si les faits constituent une
contravention de police, prévue à l'article 36 du Code disciplinaire et pénal de la marine
marchande et ainsi qu'en cas de crime ou de délit233. Le président du tribunal maritime
commercial, quant à lui, sera saisi si la contravention relève de l'article 36 bis du Code
disciplinaire et pénal de la marine marchande (à savoir essentiellement les informations
nautiques, article 80 à 85).
En dehors de l'enquête préliminaire, l'article 86 du Code disciplinaire et pénal de la marine
marchande prévoit que l’administrateur des affaires maritimes ne pourra saisir soit le
procureur de la République, soit le président du tribunal maritime commercial sans avoir au
préalable effectué par ses soins une enquête contradictoire. Cet article 86 se réfère aux
contraventions et délits prévus aux articles 80 à 85 (abordage, échouement,...). Cette enquête
contradictoire est l'enquête nautique. Pour M Jambu merlin « cette enquête, nécessitée par le
caractère très particulier de l'infraction, qui met en jeu des connaissances nautiques souvent
délicates, ne fait pas double emploi avec l'enquête préliminaire qui aura pu se dérouler
immédiatement après les faits. L'enquête préliminaire a pour but d'établir les faits délictueux
par rapport à la loi pénale, de rechercher les éléments d'incrimination. L'enquête nautique
doit déterminer tous les éléments techniques et professionnels. Elle tient de l'expertise »234.
230 Cours de P.Bonassiès. 231 R. Rodière et R.Jambu – Merlin, ibid., n° 58. 232 Art. 34 CDPMM.
233 Art. 33 CDPMM. 234 R. Rodière et R. Jambu Merlin, ibid., n° 64.
77
L'enquête nautique commence avec le dépôt du rapport de mer, avec affirmation devant le
juge, par le capitaine dès son arrivée au port. Il peut être saisi également par une plainte de
toute personne intéressée (décret du 24 août 1963, art. 2 al. 1)235.
Dans son enquête, l'administrateur est assisté d'un inspecteur de la navigation et du travail
maritime et d’un navigant désigné par le directeur des Affaires Maritimes (article 4 du décret
de 1963) ; le tout formant une commission. L'administrateur chargé de l'instruction a les pleins
pouvoirs d’un juge d'instruction. Il convient toutefois de préciser que l'instruction est
obligatoire pour les crimes, facultative pour les délits et sur réquisition du parquet en matière
de contraventions. Donc, dans le cas d'une instruction, il peut délivrer des mandats de
comparution, d'amener, de dépôt et d'arrêt (article 36 ter du Code disciplinaire et pénal de la
marine marchande). Il recueille toutes les informations utiles et dépositions relatives à
l'événement de mer et se livre à différentes constatations et confrontations nécessaires à la
découverte de la vérité dont il dresse procès-verbal (art. 2 et 5 du décret de 1963)236. De plus,
depuis la loi du 24 août 1993, le président du tribunal maritime commercial peut également
délivrer les différents mandats de l'article 36 ter du Code disciplinaire et pénal de la marine
marchande.
Les dispositions du Code pénal relatives à la détention provisoire sont bien sûr applicables. A
l'issue de l'enquête, l'administrateur des affaires maritimes peut soit prendre une ordonnance
de non-lieu, soit une sanction disciplinaire ou décider du renvoi du ou des inculpés devant le
tribunal compétent (art. 10 du décret 1963).
La procédure de jugement devant le tribunal maritime commercial est décrite par le décret du
26 novembre 1956. Toute citation directe par la victime ou la constitution de partie civile est
interdite conformément au décret loi du 29 juillet 1939237. Le président du tribunal maritime
commercial dresse un procès-verbal de saisi et provoque éventuellement la nomination d'un
commissaire rapporteur en vue d'un complément d'information238. Vingt quatre heures au
moins avant l'audience, le dossier est communiqué au prévenu239. Les débats suivent les règles
traditionnelles de publicité et de déroulement240. Le tribunal statue à la majorité des voix à des
questions posées par le président241. Le président a pour obligation de diviser les questions et
ce depuis des lettres révolutionnaires242. D'autre part ces questions ne doivent pas être
entachées du vice de complexité, vice qui apparaît lorsque la question vise plusieurs faits ou
circonstances qui peuvent donner lieu à des réponses distinctes243.
235 Ph. Boisson, La sécurité en mer, 1980, 329. 236 Sur la comparaison avec l'enquête technique et l'enquête parlementaire, v. Ph. Boisson, ibid., 329 237 Art. 92 CDPMM.
238 Art. 5 décret 26 nov. 1956.
239 Art. 11 décret 26 nov. 1956. 240 Art. 14 et suiv. décret 26 nov. 1956. 241 Art. 25 à 27 décret 26 nov. 1956.
242 V. en ce sens Crim. 7 févr. 1963, DMF 1963, 685, note P. Chauveau. 243 Cass. Crim. 1er déc. 1949, Bull. 323; et pour un exemple v. Cass. 6 mars 1996, DMF 1997, 733, note Y. Tassel
78
Arrive enfin le moment du délibéré. La peine ne peut-être prononcée qu’à la majorité des voix.
A défaut de majorité, l’avis le plus favorable au prévenu est adopté. Il ne peut être fait appel
des jugements des tribunaux maritimes commerciaux. Cependant le pourvoi en cassation est
possible pour violation ou fausse application de la loi. De plus, le ministre chargé de la marine
marchande pourra déférer à la Cour de cassation les jugements dans l'intérêt de la loi.
Après cette étude de la composition et de la procédure devant les tribunaux maritimes
commerciaux, il convient de s'attacher à un problème particulier : celui de l'autorité au civil
des décisions des tribunaux maritimes commerciaux.
C. L’autorité au civil des décisions des tribunaux maritimes commerciaux
C'est un problème très particulier et important puisque l'article 92 du Code disciplinaire et
pénal de la marine marchande stipule que les tribunaux maritimes commerciaux ne
connaissent pas de l'action civile. Cette règle est tirée de l’article 21 de la loi de 1891244. Et E.
du Pontavice de s'interroger : « est-il concevable d'interdire aux victimes de faire connaître
leurs arguments devant le tribunal et d'accorder à la décision de celui-ci l’autorité de la chose
jugée de telle sorte qu'il leur serait interdit de réclamer réparation pécuniaire par la
commission des faits dont le tribunal aura jugé qu'ils ne constituent pas une faute
nautique? »245
Le problème est ainsi posé : reconnaître autorité au civil des décisions des tribunaux maritimes
commerciaux revient à priver les victimes d'une réparation et au contraire, la refuser, équivaut
à leurs accorder un dédommagement.
Pour apprécier la position de la jurisprudence il convient d'analyser dans un premier temps
l'influence de la chose jugée au criminel sur le criminel et de la solution à cette analyse
découlera les règles relatives à l'autorité au civil des décisions du tribunal maritime
commercial246.
Tout d'abord, il convient d'insister sur le caractère purement pénal des décisions des tribunaux
maritimes commerciaux. Comme le remarque E. du Pontavice, depuis le décret loi de 1939 le
« caractère disciplinaire de cette juridiction s'est atténué si fortement que l'on doit lui
reconnaître la nature répressive »247. Ainsi conformément au Code disciplinaire et pénal de la
marine marchande, le tribunal maritime commercial ne peut plus prononcer que des amendes
ou des peines d'emprisonnement qui ne sont donc pas des sanctions disciplinaires. Le caractère
244 Cf supra p.73. 245 E. du Pontavice, ibid., n° 227. 246 J. Villeneau, De l'évolution des tribunaux maritimes répressifs et de l'autorité, au civil, de leurs décisions,
DMF 1971, 67. 247 E. du Pontavice, ibid., n° 227.
79
pénal des décisions des tribunaux maritimes commerciaux étant reconnu, il convient
maintenant d'étudier l'influence de la chose jugée au criminel sur le criminel.
Pour que l'exception de chose jugée puisse être invoquée entre deux poursuites, il faut une
identité d'objet, une identité de partie et une identité de cause. A défaut de ces trois identités,
des poursuites nouvelles sont possibles et la règle « non bis in idem » ne jouera pas248. Dans
un arrêt, la Cour de cassation a considéré que la règle selon laquelle « aucune personne
acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous
une qualification différente », exprime un principe général, valable devant toutes les
juridictions249. Par conséquent, si à défaut d'une ces trois identités, une nouvelle poursuite
pénale est possible, alors une poursuite civile indépendante le sera aussi ; mais cette poursuite
s'inscrira dans les limites de ce qui a été nécessairement et certainement jugé par le juge
pénal250.
Mais ici, en matière d'autorité des jugements des tribunaux maritimes commerciaux au civil,
se pose en fait la question de l'identité ou de la non identité de la faute nautique au sens de
l'article 80 et suiv. du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, de la faute pénale
au sens de l'article 319 du Code pénal (art. 222-19 du Nouveau code de procédure civile) et de
la faute civile au sens tant de l'article 1382 du Code civil, que de l'article 407 du Code de
commerce (aujourd'hui art. 3 de la loi du 7 juillet 1967).
La doctrine s’est divisée entre partisans et adversaires de cette identité. Il a été soutenu que
l'article 81 du Code disciplinaire et pénal couvre tous les faits d'imprudence et de négligence et
qu’il ne subsiste donc aucune faute détachable de celle de l'article 81 qui puisse être saisie
pour en faire la base d'une condamnation à des dommages et intérêts251. Cette position était
soutenue notamment par le doyen Chauveau252.
Or une circulaire du 13 septembre 1961 est venu rappeler le sens du mot négligence de l'article
81 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande : « la négligence est à distinguer de
la maladresse, de l'imprudence et de l'inattention, faits constitutifs du délit prévu à l'article
319 mais non retenus par les article 81 et 82 du présent code. La négligence est
essentiellement constituée par le défaut d'action là où il aurait convenu d'agir... l'enquêteur
doit interpréter avec beaucoup de précautions les termes de l'article 81 et ne donner suite à
l'instruction que si une négligence du capitaine, d'un officier ou d'un pilote responsable, et
non une simple erreur d'appréciation est apparue comme étant la cause de l'accident ».
Par conséquent, les tribunaux maritimes commerciaux n'ont pas à rechercher si l'abordage par
exemple est dû à « la maladresse, l'imprudence ou l'inattention ». Donc un juge civil peut
248 En ce sens Crim. 20 févr. 1931, Sirey 1932, I, 273, note Hugueney. 249 Crim. 9 mai 1961, JCP 1961, II, 12223, note Chambon. 250 J. Villeneau, ibid., DMF 1971, 67.
251 Trib. Com. Rouen, 29 juin 1959, DMF 1960, 42; CA Bordeaux 6 juill. 1960, D. 1961, 28. 252 Rev. Trim. Dr. civ., les chroniques H. Mazeaud, 1955, 100 et 622.
80
rechercher si un capitaine n'a pas commis un de ces faits, sans pour autant méconnaître
l'autorité de la chose jugée.
C'est à cette solution que la Cour de cassation est arrivée par un arrêt du 29 octobre 1963253.
Le navire Atlantic aborda un remorqueur, ce dernier coula ; 7 hommes périrent. Le tribunal
maritime commercial du Havre acquitta le capitaine de l'Atlantic en constatant « qu'il n'avait
commis aucune faute suffisamment caractérisée pour constituer le délit de négligence prévu à
l’article 81 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande ». Le propriétaire du
remorqueur intenta une action devant le tribunal de commerce du Havre pour obtenir
réparation du préjudice subi par son bâtiment. Le propriétaire de l'Atlantic et le capitaine
furent condamnés à réparer le préjudice. Décisions confirmées plus tard par la Cour d’appel de
Rouen. L'armateur et le capitaine se pourvurent en cassation au motif que l'acquittement du
capitaine ne permettait pas de retenir à sa charge une quelconque faute civile, délictuelle ou
quasi-délictuelle, en raison du caractère de généralité des dispositions de l'article 81. La Cour
de cassation rejeta le pourvoi, relevant que la Cour d’appel avait estimé à bon droit que le juge
avait pu en l'espèce, sans violer l'autorité attachée au jugement du tribunal répressif
« rechercher si le capitaine a commis des fautes engageant sa responsabilité civile ».
Par conséquent, il n'y a donc pas, selon la Cour de cassation, unité de faute entre la faute civile
et le « fait de négligence » visé à l'article 81 du Code disciplinaire et pénal de la marine
marchande. Les décisions du tribunal maritime commercial ont ainsi une portée limitée. Le
juge civil a un certain champ d'appréciation relatif à ce qu’a nécessairement et certainement
jugé le juge répressif254. La position de la Cour de cassation peut s'expliquer par le fait que la
constitution de partie civile n'est pas possible devant le tribunal maritime commercial et donc
il serait légitime d'adopter une conception restrictive de la théorie de l'unité de faute pour
permettre une réparation des dommages subis par les victimes. Comme nous allons le voir,
l'impossibilité de se constituer partie civile devant le tribunal maritime commercial est une des
critiques adressées à cette juridiction.
D. Les critiques
Elles concernent essentiellement la composition des tribunaux maritimes commerciaux,
l'absence de double degré de juridiction et comme nous l'avons vu l'impossibilité de se
constituer partie civile. L'inconvénient de l'impossibilité de se constituer partie civile est
gommée en partie par la jurisprudence qui considère la non identité de la faute civile de l'art.
1382 C.Civ. et le fait de négligence de l'art. 81 du Code disciplinaire et pénal de la marine
marchande.255
253 DMF 1964, 145 et cours de P. Bonassiès, p. 74.
254 En ce sens Bordeaux 16 janv. 1985, Cahiers de jurisprudence d'Aquitaine 1985, 3, 593 note A. Vialard. 255 Cf. supra p. 78 et suiv.
81
En ce qui concerne la composition des tribunaux maritimes commerciaux, elle « implique que
le principe de l'indépendance judiciaire par rapport à l'autorité administrative n'est pas
respectée. Il en est de même pour la phase préparatoire au jugement ».256
En effet nous constatons que la fonction de juge d'instruction est confiée à des administrateurs
des Affaires Maritimes pour les infractions aux règles de navigation et à des commissaires
rapporteurs pour les événements de mer. Enfin deux juges du tribunal maritime commercial
sont des agents des Affaires Maritimes.
Le tribunal maritime commercial est une juridiction au dernier degré, il n'y a pas de cour
supérieure pouvant examiner la décision rendue. D'une façon générale, le double degré de
juridiction permet d'éviter des erreurs ou des abus et permet ainsi de protéger plus grandement
le justiciable. Nous pouvons aussi faire à nouveau remarquer que l'histoire des tribunaux
maritimes commerciaux a été émaillée des nombreuses disparitions et résurrections et comme
l'a soulignée M. Rémond–Gouilloud: « son histoire est celle du phénix. Périodiquement, les
français le brûlent par hostilité pour un tribunal d'exception »257.
Des juges ont pu aussi être hostiles à l'égard des tribunaux maritimes commerciaux. La Cour
d'Appel de Paris, dans l'affaire du Champollion, refusa de donner toute autorité au jugement
de ces tribunaux maritimes commerciaux les considérant comme des juridictions
« paternelles » exerçant « une répression essentiellement disciplinaire ».258
Pour notre part nous sommes pour le maintien de tels tribunaux. En effet, s'ils ont pu
disparaître au cours de l'histoire, et ce, notamment à la demande des marins eux-mêmes on
s'aperçoit aussi qu'ils ont été à chaque fois recrées, preuve qu'ils répondent à un besoin certain;
et qui plus est sous la pression de ces mêmes marins. En effet dans ce domaine très particulier
qu'est le monde maritime, qui mieux que des marins sont à même de juger le comportement
d'autres marins ? Le monde maritime a des règles, des comportements spécifiques qu'un
terrien ne peut appréhender. Les choses de la mer n'ont fondamentalement rien à voir avec les
choses de la terre.
Nous pouvons corroborer ce point de vue avec celui de Maître Emo. Ce dernier s'est exprimé à
propos d'une affaire qu'il avait eu à plaider devant le tribunal maritime commercial du Havre.
Cette affaire concernait la perte d'un paquebot.259 Et comme il l'a souligné « il fallait que le
siège de l'accusation soit tenu par un marin, un homme de la Royale pour qu'au nom de
l'honneur des marins l'accusation fut abandonnée. Mais il fallait aussi que le tribunal
maritime commercial fut composé des marins pour que la décision d'acquittement fut
prononcée ». Et de conclure :« lorsque poursuivi pénalement devant une juridiction pénale
256 M. Morin, Recueil Dalloz Sirey, p. 474. 257 M. Rémond – Gouilloud, Droit Maritime, n° 197.
258 CA Paris, 4 juill. 1956, DMF 1956, 584. 259 Maître Emo, compte rendu Colloque Hydro-Afcan, 4 et 11 avril 1991.
82
vous avez la certitude d'être compris puis éventuellement entendu par des gens qui parlent le
même langage que vous et qui comprennent ce que vous allez leur expliquer ».
Il est clair que les membres composant les tribunaux maritimes commerciaux sont au fait des
connaissances concernant le monde maritime et à même de les apprécier convenablement. Les
tribunaux maritimes commerciaux apparaissent ainsi non pas comme une juridiction
« paternelle » mais comme une juridiction équitable n'exerçant pas une répression aveugle.
A côté de tribunaux maritimes commerciaux existe un autre privilège de juridiction pour les
capitaines à savoir un privilège de caractère international.
§ 2. Le privilège de juridiction pénale de caractère international
Ce privilège se retrouve dans le cas où le navire se situe dans les eaux territoriales d’un Etat ou
en haute mer.
A. Dans les eaux territoriales
Lorsqu’il se situe dans la mer territoriale d’un Etat quelconque, la juridiction de l’Etat du
pavillon doit se combiner avec les compétences concurrentes de l’Etat côtier.
En France, il faut noter l’avis du conseil d’Etat du 20 novembre 1806 qui considère que
l’autorité française ne se saisit pas, en principe des faits de caractère pénal, qui sont commis à
bord des navires étrangers, sauf :
– dans le cas où l’ordre public du port se trouve troublé,
– dans le cas où l’intervention de l’autorité française est réclamée par le capitaine du
navire,
– dans le cas où la victime ou l’auteur du délit n’est pas un membre de l’équipage260.
La convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer comporte des dispositions
similaires à celles de l’avis du Conseil d’Etat avec outre la réclamation de l’intervention de
l’autorité de l’Etat côtier par un agent diplomatique ou un fonctionnaire consulaire de l’Etat du
pavillon, la possibilité pour l’Etat côtier d’exercer sa juridiction pénale si cela est nécessaire
pour la répression du trafic illicite des stupéfiants ou des substances psychotropes261.
Mais si par exemple, une atteinte à la discipline est commise à bord, ou si un litige interne au
navire apparaît (comme le cas d’un vol entre membres de l’équipage), l’autorité de l’Etat
côtier ne devrait pas avoir à intervenir.
260 E. du Pontavice, ibid., n° 61. 261 Art. 27 Conv. des Nations Unies sur le droit de la mer.
83
La chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juin 1952262 a considéré
que cette société du bord, créée sous un pavillon étranger restait soumise à la loi nationale du
navire263.
B. En haute mer
En ce qui concerne le principe gouvernant la haute mer, le privilège de juridiction pénale de
l’Etat du pavillon ne fait plus de doute et ce depuis la Convention de Bruxelles de 1952 sur la
compétence pénale en cas d’abordage et la Convention de 1982 sur le droit de la mer. Ces
deux Conventions sont venues à l’encontre d’une décision de la Cour permanente
internationale de justice du 7 septembre 1927 dans l’affaire du « Lotus ».
Dans cette affaire, les faits étaient les suivants : un paquebot français, le Lotus, aborda en
haute mer un navire turc, le Boz Kourt qui coula avec à son bord de nombreuses victimes.
Lors de l’escale du navire français dans un port turc, les autorités locales décidèrent d’intenter
des poursuites contre l’officier de quart français, de service au moment de l’accident. L’affaire
fut portée devant la CPIJ et celle-ci eut à répondre à la question suivante : les autorités turques
avaient-elles le droit de poursuivre l’officier français dans la mesure où l’accident s’était
produit en haute mer, zone qui échappe à toute compétence étatique territoriale ; et ce en se
référant aux règles du droit international public ?264
La CPIJ donna raison à la position turque en admettant l'existence d'une règle coutumière
turque autorisant ce pays à engager des poursuites contre le responsable d'un dommage, causé
à des ressortissants turcs, même en dehors du territoire turc.
Cependant cette décision a été très discutée et a abouti aux conventions de Bruxelles du 10
mai 1952 et de Montego Bay de 1982265. L'article 4 de la Convention de 1952 impose la
compétence des tribunaux de l'Etat côtier pour « les abordages, ou autres événements de
navigation survenus dans les ports et rades ainsi que dans les eaux intérieures » ; mais les
abordages et événements survenus dans les eaux territoriales ou en haute mer sont exclus de la
compétence pénale de l'Etat côtier et l’article 1er réserve la compétence à la juridiction de l'Etat
du pavillon en stipulant : « aucune poursuite ne pourra être intentée que devant les autorités
judiciaires ou administratives de l'Etat dont le navire portait le pavillon au moment de
l’abordage ou de l’événement de navigation ». Dans son article 92, la Convention de Montego
Bay sur le droit de la mer précise que les navires battant pavillon d'un Etat sont soumis à sa
juridiction exclusive en haute mer. Et l'article 97 stipule qu'« en cas d'abordage ou de tout
autre incident de navigation maritime en haute mer qui engage la responsabilité pénale ou
262 DMF 1952, 640. 263 E. du Pontavice, ibid., n° 61.
264 D. Ruzié, Droit International Public, mementos Dalloz, 11e éd. , 211. 265 R. Rodière, Evénements de mer, n° 97 et suiv.
84
disciplinaire du capitaine... il ne peut être intenté de poursuites pénales ou disciplinaires que
devant les autorités judiciaires ou administratives soit de l'Etat du pavillon, soit de l'Etat dont
l'intéressé a la nationalité ». On remarque que cet article se réfère à la compétence alternative
de l'Etat du pavillon ou de l'Etat dans le responsable a la nationalité
Ce qui semble avoir guidé les rédacteurs des deux Conventions est d'une part le sacro-saint
principe de liberté en mer admise dès le XVIIème siècle (c'est-à-dire que la mer était considérée
comme un res nullius domaine public), cette liberté de navigation en haute mer « qui constitue
l'essence des libertés de la haute mer car la condition de l'exercice de toutes les autres, est au
cœur de leur régime »266 ; et d'autre part une volonté de sécurisation de la navigation. Les
jugements du capitaine, en cas de périls, ne seront pas entravés par la crainte d'être jugé par un
juge étranger ou de se faire appliquer une législation étrangère267. Ainsi comme le souligne le
professeur P. Bonassiès, « assuré d’une justice impartiale et non discriminatoire, le capitaine
appelé à prendre une décision d'urgence le fera dans une plus grande sérénité. Il n'hésitera
pas à engager son navire dans une manœuvre hardie, devant laquelle il aurait, peut-être,
autrement reculé »268. On peut aussi penser que la règle exprime la reconnaissance par le droit
international du caractère d'intérêt général de la navigation maritime. « C'est la navigation
maritime qui rapproche les hommes. C'est le commerce maritime qui permet l'échange des
richesses sur lequel est fondé l'économie mondiale aujourd'hui, comme l'était l'économie
d'hier »269 ; et cela peut justifier le privilège de juridiction conféré au capitaine, élément
indispensable de cette navigation de part son rôle et son statut.
266 J. Combacau et S.Sur, Droit international public, 2e édit. Montchréstien, p. 465. 267 Cours de P. Bonassiès, p. 43.
268 P. Bonassiès, Annales de l'IMTM 1991, 138. 269 P. Bonassiès, compte rendu Colloque Hydro – Afcan, 4 et 11 avril 1991.
85
Conclusion
86
A la fin de ce mémoire deux constatations s’imposent :
– toutes les conventions internationales, les lois et règlements qui sont le fondement de
la responsabilité du capitaine n’ont évolué au cours du 20ème siècle qu’à la suite de
catastrophes maritimes (naufrage du Titanic, abordage de l’Andrea Doria, échouement de
divers pétroliers),
– le métier de capitaine, le métier de marin de commerce a complètement changé au
cours de ces trente dernières années suite à différents facteurs.
Le capitaine n’est plus le seul maître à bord après Dieu, on assiste à l’arrivée des capitaines de
première classe Polyvalents pont et machine avec pour conséquence la diminution des
personnels à bord des navires. Les armements se livrent à une course au gigantisme (un porte
container en 1998 assure le même transport de marchandises que six cargos de 1970), course à
la concentration et au mondialisme avec des alliances maritimes regroupant diverses
compagnies de divers pays.
L’« expédition maritime » perd son côté aventure pour devenir un transport avec des dates
d’arrivée et de départ du port fixées longtemps à l’avance, et si l’horaire ne peut être tenu, le
port est sauté, et la marchandise chargée la semaine d’après.
De ces constatations devons nous en déduire que la responsabilité du capitaine va elle aussi
évoluer ?
Le capitaine reste le préposé de l’armateur et le sera de plus en plus. Sa fonction de capitaine
mandataire est de plus en plus réduite mais il ne faut pour autant supprimer cette notion : elle
permet au capitaine à l’autre bout du monde qui ne peut joindre son armateur d’urgence (du
fait des décalages horaires ou des week-ends) de pouvoir engager des frais de réparation, de
commandes de matériel, immédiatement, afin de sauvegarder par exemple son horaire.
La responsabilité civile du capitaine va être de plus en plus recherchée car en dehors des
grandes compagnies maritimes l’armateur va être de plus en plus difficile à identifier ,
l’armateur étant souvent une société écran utilisant des navires sous pavillon de complaisance.
La seule personne connue, civilement responsable sera le capitaine, qui sera poursuivi au
moins dans un premier temps par les tiers dans tous les cas de litiges portant sur le transport
des marchandises.
La responsabilité disciplinaire et pénale du capitaine va être aussi souvent mise en avant.
En France, le commandant fait maintenant le quart (quatre heures par jour). En « Tournée du
Nord », il n’aura plus de repos, devant rester sur la passerelle aux entrées et sorties de port, en
rivière, dans la brume. La disparition de l’officier radio remplacé par le systèmes SMDSM, les
dérogations demandées par le capitaine pour les jeunes lieutenants n’ayant pas leur brevet, les
équipages étrangers vont augmenter les responsabilités du capitaine.
87
Est-ce à dire qu’il va devenir le bouc émissaire du transport maritime.
En France, il est déjà très incompris car toutes ses fautes sont hyper médiatisées : le capitaine
vide ses soutes la nuit, la capitaine provoque des marées noires et boit (Exxon Valdez) le
capitaine se fait hélitreuiller avant les passagers d’un paquebot en difficulté au large de
l’Afrique du Sud, le capitaine ne porte pas suffisamment assistance après une collision en
Manche avec un pêcheur, le capitaine est accusé par les voiliers de ne pas faire une veille
suffisante et le capitaine se débarrasse des passagers clandestins.
Tous ces événements récents laissent un malaise chez le capitaine qui en voyant toutes les
conventions, lois et règlements qui engagent sa responsabilité, et face à la réalité maritime ne
compte plus que sur sa chance.
L’intensification des rapports entre le capitaine de navire marchand et le juriste sera de plus en
plus nécessaire car au tribunal maritime commercial siègent des administrateurs des Affaires
Maritimes dont le recrutement se fait de moins en moins au niveau de la marine marchande
mais d’une licence en droit. Les officiers de la Marine Nationale voient leur temps
d’embarquement diminuer, faute de navires ou de crédits pour sortir en mer. Il est à craindre
que le capitaine de navire ait de moins en moins l’impression d’être entendu et compris au
tribunal maritime commercial.
Le 21ème siècle verra le capitaine de navire devenir de plus en plus un technicien de la
navigation maritime, ses responsabilités civile, pénale et disciplinaire resteront les mêmes et
augmenteront à mesure que les enjeux pécuniaires seront plus importants. Il appartiendra aux
juristes de faire en sorte qu’un terrain d’entente se trouve pour que le capitaine ne voit pas
seulement le côté responsabilité et répression de toutes ces conventions, lois et règlements
mais les considère comme une aide à la navigation.
88
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IV. COMMUNICATIONS
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P. Bonassiès, E. du Pontavice, cdt. J.P. Declercq, F.Odier, P. Chaumette, maitres EMO et
Barbançon …
V. REVUES
Annales de l'I.M.T.M..
Bulletin des Transports.
Bulletin Civil.
Bulletin Officiel de la Marine Marchande.
Droit Maritime Français.
Gazelle du Palais.
91
Journal de la Marine Marchande.
Juris-Classeur commercial.
Juris-Classeur périodique.
Lamy Transport, tome 2.
Recueil Dalloz.
Revue Afcan.
Revue Scapel.
Revue française de droit aérien.
Revue trimestrielle de droit civil.
Revue juridique de l'environnement.
Sirey.
92
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ………………………………………………………...………………….3
Titre I. LA RESPONSABILITE CIVILE DU CAPITAINE
CHAPITRE I. LE STATUT JURIDIQUE DU CAPITAINE ………………………………8
SECTION I. Les différentes approches …………………………………………………9
§ 1. Les approches particulières ………………………………………………………..9
A. Le capitaine-entrepreneur ……………………………………………………..….9
B. Le capitaine réalisateur d'activité ………………………………………………..11
§ 2. Les approches traditionnelles …………………………………………………….12
A. Le capitaine mandataire …………………………………………………………13
B. Le capitaine, préposé de l'armateur ………………………………….…………..14
SECTION II. La position de la jurisprudence ……………………………………..….14
§ 1. L'affaire du Champollion …………………………………………………………15
§ 2. Les conséquences de la qualification de préposé …………………….………..….16
A. La détermination du commettant …………………………………………….….16
B. La responsabilité civile du commettant …………………………………………17
§ 3. Les critiques de la qualification de préposé ………………………………………18
CHAPITRE II. MISE EN JEU DE LA RESPONSABILITE CIVILE
DU CAPITAINE …………………………………………..……………….20
SECTION I. La faute du capitaine dans ses attributions
essentielles ………………………………………………..….……………20
§ 1. L’inexécution par le capitaine de ses devoirs légaux,
indépendamment de la conduite du navire ………………………………………..20
§ 2. Les fautes dans l’exécution des missions que l’armateur
ou la loi a confié au capitaine en relation avec la bonne fin
de l’expédition ……………………………………………………………..………23
93
A. La mise en jeu de la responsabilité du capitaine sur le plan
contractuel …………………………………………………………...…………..24
B. La mise en jeu de la responsabilité du capitaine sur le plan
délictuel ……………………………………………………………….…..……..25
C. La faute nautique ……………………………………………………….……..…26
a. Les origines de la faute nautique …………………………………….………..26
b. La distinction entre faute nautique et faute commerciale …………………….28
c. La faute nautique et l'innavigabilité du navire …………………………….….34
SECTION II. La limitation de responsabilité du capitaine ………………….…..……35
§ 1. Le capitaine et la limitation de responsabilité contractuelle
du transporteur …………………………………………………………….……...36
§ 2. Le capitaine et la limitation de responsabilité de l'armateur ……………….…….37
§ 3. La notion de faute inexcusable en droit maritime ……………………………...…39
Titre II. LA RESPONSABILITE DISCIPLINAIRE ET PENALE
DU CAPITAINE
CHAPITRE I. LA RESPONSABILITE DISCIPLINAIRE DU
CAPITAINE ………………………………………………………………...43
SECTION I. les dispositions légales ………………………………….………………...43
§ 1. Le congédiement du capitaine …………………………………………………….44
§ 2. Les retraits de prérogatives attachées aux brevets et
diplômes …………………………………………………………………….……..46
SECTION II. Les cas d'application …..………………………………………………...47
§ 1. Le défaut de présence à la passerelle ……………………………………………..48
§ 2. La baraterie …………………………………………………………………….…49
§ 3. Les négligences …………………………………………………………………....50
CHAPITRE II. LA RESPONSABILITE PENALE DU CAPITAINE ………..………….51
SECTION I. Les infractions touchant à la police intérieure du
navire ……………………………………………….……………..……..53
§ 1. Les crimes …………………………………………………………………………53
§ 2. Les délits …………………………………………………………………………..54
94
SECTION II. Les infractions concernant la police de la navigation …………………55
§ 1. Les infractions aux règles générales de circulation en mer ……………………....56
A. Les règles applicables dans toutes les conditions de
visibilité ……..…………………………………………………………..……….56
B. Les règles applicables aux navire en vue les uns des autres …….…………..…..57
C. Les règles applicables aux navires par visibilité réduite ……………………..…58
§ 2. Les règles particulière aux zones à trafic très dense ……………………………..59
A. Les règles de circulation dans les DST ………………………………………….59
B. Les sanctions en qu'à d'infractions aux règles et circulation
dans un DST ……………………………………………………………………..60
SECTION III. La responsabilité pénale du capitaine pour atteinte
à l’environnement ………………………………………….………..…..63
§ 1. Les infractions punissables ………………………………………………….……64
A. Les rejets interdits …………………………..……………………….…………..64
a. Les pétroliers ………………………………………………………………….64
b. Les navires d’une jauge brute supérieur à 400 tonneaux ……………..………65
c. Les navires d’une jauge brute inférieure à 400 tonneaux ………..……………65
B. Les accidents interdits ……………….……..……………………………………67
C. La non notification de certains événements …………………………………..…68
§ 2. Le capitaine, premier responsable de l’infraction ………………………..………69
A. La responsabilité pénale pour autrui du capitaine …………………..…………..70
B. Une limite à la responsabilité du capitaine : le cas de
l’armateur payeur ………………………………………………..………………71
SECTION IV. Les privilèges de juridiction ……..…………………………….……….73
§ 1. Le tribunal maritime commercial
A. Historique ………………………………………………………..………………73
B. Composition et procédure ……………..……………………………….………..75
C. L’autorité au civil des décisions des tribunaux maritimes
commerciaux ………………………………………………………………….…78
D. Les critiques ……………………………………………………………………..80
§ 2. Le privilège de juridiction pénale de caractère international …………………….82
A. Dans les eaux territoriales ……………………………………………………….82
B. en haute mer ……………………………………………………………………..83
CONCLUSION ……………………………………………………………………………...86
BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………………………..…88