CERN/PI 128.3.63
1. De nombreuses opérations chimiques dans le laboratoire de haute radioactivité doivent être effectuées avec des dispositifs de commande à distance derrière des écrans de briques en plomb. Une faible quantité de radiations traverse les briques, mais Henri Bersinger, que l'on voit ici procédant à la dissolution d'une cible irradiée, porte un f i lm détecteur sur sa manchette pour mesurer ces radiations.
Chimie nucléaire au CERN
par G. RUDSTAM
Chef de groupe, Chimie nucléaire ;
Division de Physique nucléaire Certaines personnes seront étonnées d'apprendre que dans un laboratoire
consacré à la physique des hautes énergies on trouve également des chi
mistes. Cela est toutefois vrai, et M. Rudstam, Chef du groupe de chimistes,
donne ici un aperçu de leurs travaux. Il définit en premier lieu le terme
« chimie nucléaire », puis décrit quelques expériences typiques effectuées
par le groupe et leur relation avec les problèmes de physique des hautes
énergies, mentionnant en particulier le séparateur d'isotopes électromagné
tique uti l isé pour de nombreuses études. Il termine enfin en faisant quel
ques propositions sur le genre d'expériences qui pourraient être effectuées
au CERN à l'avenir, particulièrement si l ' intensité du faisceau du synchro-
cyclotron était encore augmentée.
QU'EST-CE QUE LA CHIMIE NUCLÉAIRE ?
Les grands accélérateurs du CERN, le synchrotron à
protons et le synchro-cyclotron, offrent des possibilités
de recherches pratiquement uniques, non seulement
dans le domaine de la physique des hautes énergies
mais aussi dans ce domaine de la chimie connu sous le
nom de chimie nucléaire. Un groupe de chimie nuclé
aire a donc été formé au CERN afin de profiter de
cette occasion d'étudier les réactions nucléaires pro
duites par des particules de hautes énergies. Comme
on peut s'y attendre, les expériences comprennent ce
que l'on pourrait appeler des problèmes typiques de
chimie nucléaire, tels que la spallation et la fission (l'éjection de petits fragments d'un noyau et la sépa
ration d'un noyau en deux parties approximativement
égales). De plus, toutefois, en abordant l'étude des
réactions nucléaires du point de vue de la chimie, on
peut obtenir des renseignements sur les interactions
entre les particules élémentaires, et la chimie nuclé
aire devient ainsi un complément des expériences
effectuées par les physiciens étudiant ces phénomènes.
Il est peut-être intéressant de commencer en expli
quant la signification de l'expression «chimie nucléaire». Friedlander et Kennedy en donnent une excel
lente définition dans leur livre bien connu Nuclear and
Radio ch.émistry : «Nous estimons que la chimie nucléaire étudie les réactions des noyaux atomiques et les propriétés des espèces nucléaires résultantes, exactement comme la chimie organique étudie les réactions et les propriétés des corps composés organiques». Il ne
faut pas confondre la chimie nucléaire et la radio-chimie qui, elle, utilise des méthodes semblables à
celles de la chimie nucléaire pour résoudre les pro
blèmes de caractère chimique dans d'autres domaines
scientifiques ou techniques (et qui ainsi pourrait être
appelée chimie nucléaire appliquée). Pour éviter tout
malentendu il convient aussi de souligner que la chi
mie nucléaire n'a aucun rapport avec la chimie sous irradiation, qui concerne les effets chimiques des
radiations.
CHIMIE NUCLÉAIRE ET PHYSIQUE NUCLÉAIRE
Il est évident que le chimiste nucléaire et le physi
cien nucléaire s'intéressent tous deux aux réactions
nucléaires. Quelle est donc la différence entre eux ? La
différence ne réside en fait que dans les méthodes
employées pour résoudre les problèmes scientifiques.
Souvent le chimiste et le physicien désirent obtenir
des renseignements sur le même sujet. Le physicien
utilise les méthodes de physique alors que le chimiste
se tourne vers les moyens chimiques. Le but est le
même mais la manière d'aborder le problème diffère.
L'étude de certaines propriétés des réactions nuclé
aires est plus aisée si l'on utilise les méthodes de phy
sique alors que pour d'autres les procédés chimiques
sont plus appropriés. Ainsi, grâce à la chimie, on peut
obtenir des renseignements très détaillés sur la distri
bution des éléments lourds restants, alors que les
diverses particules légères émises pendant la réaction
sont mesurées à l'aide de méthodes de physique. On
obtient une description complète de la réaction en
combinant les résultats de ces deux types de recher
ches.
EXPÉRIENCES A L'ÉTUDE
Pour des raisons d'ordre pratique, les expériences
effectuées au CERN par le groupe de chimie nuclé
aire doivent être divisées en deux catégories : celles qui
mettent en jeu de petites quantités de radio-activité et
celles dans lesquelles le niveau de radio-activité est
élevé. Il est indispensable de bien séparer ces deux
types d'expériences, pour la simple raison qu'une très
petite contamination provenant d'expériences à un
niveau élevé de radio-aativité peut anéantir complète
ment les résultats d'une expérience où la radio-activité
est faible. Par conséquent, les expériences sont effec
tuées dans des laboratoires différents et des échantil
lons fortement radio-actifs ne sont jamais introduits
dans les locaux utilisés pour des travaux faiblement
radio-actifs. La fig. 1 montre une partie d'une expé
rience effectuée dans un laboratoire «chaud». En outre,
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2. Waltraut Riezler remplace une partie d'un compteur à bas niveau à l'intérieur de son écran épais de briques en acier et en plomb.
l'appareillage pour ces deux types d'expériences est
différent. Les travaux faiblement radio-actifs exigent
l'utilisation de compteurs à faible bruit de fond, un
événement toutes les quelques minutes (figure 2).
D'autre part, la plupart des instruments utilisés pour
mesurer de fortes radio-activités possèdent un bruit
de fond trop élevé pour des échantillons faiblement
radio-actifs.
Les expériences qui utilisent les faisceaux externes des accélérateurs ne fournissent que des échantillons
faiblement radio-actifs. Un exemple d'une telle expé
rience est l'étude des réactions induites par des pions
dans une cible en cuivre donnant comme produit le
nucléide radio-actif nickel 65, <65Ni, les symboles sont
expliqués dans le texte encadré ci-contre) : 6 5Cu + JT = 6 5Ni + JC+ + JT,
et 6 5Cu + jt+ = 6 5Ni + K+ + Jt+.
Ces réactions ont été étudiées en utilisant des pions
positifs et négatifs de 2,7 GeV pour obtenir des ren
seignements sur les interactions pion-pion, notamment
les sections efficaces absolues pour l'interaction de Jt+
avec K+ et de Jt+ avec Jt". Ceci est un exemple de la for
mation de produits de réaction à faible radio-activité.
Par exemple, la radio-activité du nickel 65 produit par
la réaction de pions négatifs sur du cuivre était d'en
viron 10 désintégrations par minute, alors que la radio
activité provenant de la réaction des pions positifs
n'était que de trois désintégrations par minute.
CERN/PI 4820
Une autre expérience en cours utilisant un faisceau
externe consiste à déterminer en valeur absolue les
sections efficaces de certaines réactions capables de
contrôler des faisceaux de protons de 19-24 GeV. Les
réactions suivantes ont été choisies pour des mesures : 2 7A1 + p = 2 4Na + 3p + n, 2 7A1 + p = i 8 F + 5p + 5n, 1 2 C + p = n C + p + n.
Le sodium-24, fluor-18 et carbone-11 produits par la
réaction sont radio-actifs, de sorte qu'il est possible'
de mesurer le nombre d'atomes produits dans une cible
en aluminium ou de carbone. La section efficace repré
sente la probabilité pour un proton incident de pro
duire une réaction déterminée de sorte que si la section
efficace est connue, on peut déduire le nombre total de
protons incidents grâce à la radio-activité mesurée.
Il est évident que les expériences mentionnées ci-
dessus exigent une collaboration étroite entre physi
ciens et chimistes, et pour cette raison le groupe de
chimie nucléaire comprend aussi quelques physiciens.
L'irradiation de cibles à l'intérieur des accélérateurs du CERN provoque une forte radio-activité. Ces ma
chines sont donc utilisées pour une série d'expériences
sur les phénomènes de la fission et de la spallation,
dont le but est de fournir des renseignements sur :
— la section efficace pour la formation des divers nu-cléides formés ;
— la quantité de mouvement des nucléides formés ;
— le moment angulaire (ou spin) des nuciléides formés.
Pour de telles études, il convient de mesurer les
-, / rendements des produits, leur parcours (la distance
> ] qu'ils parcourent avant de s'arrêter) et les proportions
dans lesquelles on trouve les divers isomères ou diffé
rents états d'un même nucléide.
Grâce au séparateur d'isotopes électro-magnétique du
groupe (fig. 3), il est maintenant possible de mesurer
les rendements des réactions avec un degré de pré
cision beaucoup plus élevé que précédemment. Ce
dispositif a été conçu spécialement pour l'étude des
produits des réactions nucléaires. Le séparateur est un
appareil à double focalisation qui produit des échantil
lons bien séparés et de bonnes dimensions (fig. 4). Les
isotopes sont recueillis sur des feuilles d'aluminium
minces — dispositif très pratique pour les mesures de
radio-activité (épaisseur négligeable, mince couche de
fond, petites dimensions — diamètre environ 2 mm). Ce
3. Dans cette photo du séparateur d'isotopes électromagnétique, la source d'ions se trouve à l'extrême droite et l'aimant est le grand objet noir que l'on voit à sa gauche. On peut voir Stig Sundell procédant à quelques ajustements du collecteur.
point et le fait très important que chaque échantillon
ne contient qu'une seule sorte d'activité (et des éven
tuels produits de désintégration) sont les raisons pour
lesquelles on peut obtenir un degré de précision très
élevé.
La technique utilisée dans les études du rendement
de la réaction est brièvement la suivante. Une grande
variété de produits se forment lorsque la substance
constituant la cible est irradiée dans l'accélérateur. La
cible irradiée est ainsi d'abord plongée dans un sol vent
approprié et l'élément choisi est séparé chimiquement
du reste des produits. On donne à l'élément une forme
adéquate et on l'introduit dans la source d'ions du
séparateur d'isotopes. La séparation des isotopes est
effectuée — parfois en quelques minutes —, les collec
teurs (un collecteur pour chaque isotope qui présente
de l'intérêt) sont retirés et l'activité de chaque échan
tillon est mesurée. Différents types de compteurs sont
QUELQUES NOTES D'EXPLICATION
Comme dans le cas de la chimie ordinaire, il serait
t rop long et t rop compl iqué d'uti l iser des mots pour
décrire chaque réact ion. On utilise plutôt des symboles
appropr iés et toute réaction peut être exp r imée sous
torme d'une équat ion plus simple. A i n s i , au l ieu
d'écrire « l ' isotope de cuivre avec une masse a tomique
de 65 unités, réagissant avec un p ion négatif , produi t
simultanément un isotope de nickel a v e c une masse
atomique de 65 et l'émission d'un p ion posit if et d 'un
pion négatit », on a simplement :
65Cu + Jt" = 6 5 N i + n+ + 7ï\
Dans les exemples cités dans cet article, C u est le
symbole du cuivre, Ni du nickel , A l de l 'aluminium,
Na du sodium, F du tluor et C du carbone; zi repré
sente le meson pi ou p ion , p le p ro ton , n le neutron
et 5p représente cinq protons. Le nombre f igurant
en indice supérieur représente la masse atomique
(c'est-à-dire la quant i té de matière du noyau par rap
port à celle contenue dans un proton ou un noyau
d 'hydrogène) , et le signe + ou — représente la charge
électr ique lorsqu'i l est nécessaire de l ' indiquer expl ic i te
ment. Ces symboles sont standardisés, de sorte que
lorsqu'ils sont connus, ils peuvent être utilisés et com
pris universellement.
Le compteur bêta est utilisé pour mesurer le taux
d'émission de particules bêta par des noyaux radio
actifs.
Le spectromèfre bêta mesure les énergies des particules
bêta. Le spectromèfre à scintil lations est un spectro
mèfre utilisant des détecteurs à scintil lations.
Les compteurs gamma et les spectromètres gamma sont
utilisés pour les mesures relatives aux rayons gamma.
La speefroscopie nucléaire est l 'étude des divers états
dans lesquels un noyau peut exister, de manière
analogue à la recherche des états d 'énergie atomique
dans la speefroscopie opt ique. A ins i , au lieu d 'étudier
la lumière émise par les atomes exjfés, on étudie p lu
tôt les radiations émises par les noyaux excités.
Un nucléide est une espèce atomique déterminée possédant un nombre donné de protons et de neutrons dans son noyau.
Les isotopes sont des nucléides du même élément
chimique, c'est-à-dire possédant dans leur noyau le
même nombre de protons mais un nombre dif férent de
neutrons. (En fait, le terme « isotope » est encore
utilisé couramment comme synonyme du mot plus ré
cent « nucléide ».)
5. Inge Jarstorff vérifie la position d'un échantillon dans l'échangeur automatique d'échantillons. Chaque ouverture près du bord peut accepter un échantillon qui est amené automatiquement sous le compteur — chiffre 9 — pendant un temps déterminé à l'avance. Les échelles de comptage électronique, les enregistreurs et d'autres accessoires se trouvent à droite sur le rayonnage.
utilisés pour ces mesures y compris les compteurs
gamma et bêta et les spectromètres à scintillations
bêta et gamma. Pour faciliter le comptage, le groupe
d'Électronique du C'ERN a construit un echangeur
d'échantillons automatique dans lequel on peut intro
duire jusqu'à 40 échantillons. Grâce a ce dispositif, il
est possible de compter et de réutiliser continuellement
les échantillons les uns après les autres pour obtenir
la diminution du taux de comptage en l'onction du
temps.
Un exemple des résultats obtenus grâce à ces tech
niques est donné à la fig. 6 qui montre les quantités
relatives de quelques 13 isotopes d'iode différents for
més dans la fission de l'uranium par des protons de
600 MeV.
Comme la détermination des rendements de la réac
tion est basée sur la mesure de la vitesse de décrois
sance radio-active des nucléides radio-actifs, il con
vient de connaître les modes de désintégration des
nucléides qui présentent de l'intérêt. Il est par consé
quent nécessaire d'effectuer des travaux sur la spec-
83 84 85
NOMBRE DE MASSE
4. Courbe montrant le résultat de la séparation des isotopes du krypton. Après avoir passé dans le séparateur, les atomes dont le nombre de masse diffère d'une unité se trouvent à environ 10 mm les uns des autres.
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