Pour bien éduquer : Eduquer au ‘BIEN’
Ethique et Education …
P. Edgard EL HAIBY
USJ - FSR – ISSR - [email protected]
Article paru dans le revue de l‟ILE-USJ, 2002
En éducation, en sociologie, en gestion, en architecture, en médecine, en biologie, en
politique, en économie, etc., bref, en tout et partout nous constatons un questionnement qui
devient de plus en plus partagé. Ce questionnement est souvent traité sous la rubrique
« ETHIQUE » : éthique professionnelle, éthique médicale, éthique politique, éthique sociale,
éthique sexuelle, bioéthique, etc. Cependant, bien que cette « discipline » est devenue de plus
en plus systématisée dans les formations humaines, que ça soit au niveau scientifique ou au
niveau professionnel, ne nous-trompons pas, ce n‟est qu‟une nouveauté apparente.
Existentiellement, l‟éthique aurait l‟âge de l‟humanité dans sa vocation profonde
d‟autonomisation et de socialisation de chaque personne humaine. Historiquement, elle aurait
l‟âge de l‟interrogation philosophique concernant le sens de l‟humain. Mais qu‟est-ce que
l‟éthique et comment pourrait-elle illuminer une démarche éducative ?
Pour répondre à cette question, nous proposons, dans ces quelques lignes, une précision
systématique sur la définition de l‟éthique pour s‟interroger, en épilogue, sur les tâches de
bases qui incombent à une éducation éthiquement justifiée.
.1. L’éthique1: un chantier pas comme les autres ! La problématique de l‟éthique peut être concentrée dans l‟interrogation suivante : « Que
faire pour bien faire ? » 2 Cette formule, malgré sa simplicité, a le mérite de nous introduire
dans le monde si complexe de l‟éthique. Nous vous proposons de le visiter suivant trois sous-
questions guides3 :
1 Du point de vue étymologique, le mot « éthique », formé sur le grec ethos, constitue avec le mot « morale » ,
formé sur le latin mos, moris, un couple de synonymes que l‟usage a tendance à différencier. Dans cet article les
termes „morale‟ et „éthique‟ sont utilisés sans distinction. Pour plus de précision sur cette différentiation, cf. Paul
RICOEUR, Avant la morale, l’éthique, in Encyclopediae Universalis, Les enjeux*, 1993, p. 62-66 2 Titre du livre de Eric FUCHS : Comment faire pour bien faire ? Introduction à l’éthique, Coll. « Le champ
éthique » : n° 28, Genève : Labor et Fides, 1995, 196 p.
3 Pour des présentations plus détaillées sur l‟éthique les références ne manquent pas. Nous nous limitons à :
Robert MISRAHI : Qu'est-ce que l'éthique ? L'éthique et le bonheur, Paris : Armand Colin, 1997, 285
(Contient une bibliographie importante sur les oeuvres classiques et contemporaines) ; André LEONARD : Le
fondement de la morale. Essai d’éthique philosophique, Paris : cerf, 1991, 383 p.
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i. Comment faire pour discerner et faire le BIEN ?
ii. Pourquoi faudrait-il faire le BIEN ?
iii. Où se fait le discernement du BIEN ?
Vu la complexité du sujet, notre tâche ne serait pas facile. Surtout que si nous suivons la
méthode déductive, nous risquerions d‟amener le lecteur peu avisé de la problématique de
l‟éthique dans ses labyrinthes trop théoriques et lui occulter ainsi l‟objet direct qui l‟intéresse
d‟une manière spontanée et concrète, à savoir l‟acte moral. Par contre, si nous adoptons la
méthode inductive, nous manquerions probablement l‟intérêt que pourrait chercher le lecteur
suffisamment initié à la réflexion éthique en lui proposant une présentation peu critique par
rapport à son architectonie. Néanmoins, vu la nature introductive de ce chapitre, nous optons
pour la présentation inductive partant de l‟objet le plus immédiat de l‟éthique afin de rejoindre
ses autres éléments consécutifs.
Pour ce faire, un exemple pratique4 nous introduira dans les sentiers de la réflexion
éthique.
§ 1 En conseil pédagogique scolaire, entendons entre coordonnateurs et
responsables des cycles, une discussion s’engage à propos de la violence au sein de
l’Etablissement, ses expressions, ses causes et les moyens dont il faut disposer pour la
réduire et/ou la prévenir.
§ 2 Pour que l’équipe puisse élaborer une stratégie d’action, elle doit se mener
des outils théoriques et pratiques qui la guideront, tout d’abord, dans la définition
même de la violence (ce qui en relève et ce qui ne lui appartient pas), pour pouvoir,
ensuite, juger sa correspondance ou son aliénation par rapport au « bien », afin de
faire, enfin, tout le travail de discernement et d’encadrement des actes jugés violents.
§ 3 Pour ce faire, et après une description plus ou moins détaillée de la situation
à l’école, l’équipe pédagogique serait invitée à mettre au clair ses convictions de base : sens et respect de la dignité humaine, précision du rôle et de la vocation de l’éducation,
responsabilité partagée entre les différents partenaires dans une institution scolaire,
rapport entre la responsabilité d’une personne vis-à-vis de soi-même et sa
responsabilité vis-à-vis d’une appartenance communautaire (pays, nation, religion),
etc.
§ 4 Se fondant sur ces convictions adoptées, l’équipe précisera les valeurs
fondamentales qui régissent leur action éducative : l’intégrité physique, la santé, la
sécurité, la vie privée, la singularité de chaque personne, le bien commun, la liberté, la
vérité, la socialité, l’amour, la fraternité, l’égalité, etc.
§ 5 Pour promouvoir et défendre ces valeurs, l’équipe pédagogique se trouve
engagée dans la recherche et l’élaboration de quelques principes directeurs : ne pas
agresser, ne pas opprimer, ne pas aliéner la liberté, responsabiliser les élèves face aux
locaux, initier au respect mutuel, promouvoir le dialogue, sensibiliser tous les
partenaires de l’éducation (professeurs, animateurs-surveillants, parents), etc.
4 Cet exemple nous servira tout au long de cette partie. Il sera rappelé par le sigle « ex. §.1, 2, etc. » : i.e.
exemple, paragraphe 1, ou 2, etc.
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§ 6 Considérant ces principes, un long moment doit-être consacré à la recherche
de règles pratiques assorties de plusieurs sortes de sanctions (positives et/ou
négatives) : établir une liste plus ou moins détaillée des cas d’infraction possible ; inviter à une rencontre personnelle avec le responsable du cycle, avec le psychologue
scolaire ; faire un avertissement échelonné ; punir (physiquement !, matériellement
(travail de réflexion, expulsion momentanée ou définitive)), etc.
Dans cet exemple nous avons tracé les étapes de toute réflexion éthique sans pour autant cerner
toute sa problématique. Nous étions partis d‟un constat concernant une catégorie d‟actes « violents »
et nous étions invités à discerner deux options principales : i. Si la violence pouvait être considérée comme bien.
ii. Sinon, comment pourrait-on discerner les actes violents, les réduire et/ou les prévenir ?
Ces deux questions-clés peuvent être ramenées à une seule : « Comment discerner le Bien
pour le promouvoir ? » C‟est ce qu‟on essayera de traiter dans la première étape de la
réflexion éthique.
.2. Comment faire pour discerner et faire le bien ?
.2.1. Discernement pratique : premier niveau de l’éthique
Le « comment faire pour discerner et faire le bien » constitue l‟objet premier de la
réflexion éthique. Quel que soit le « moment adulte »5 de l‟histoire personnelle ou collective,
dans n‟importe quel champ6 de la responsabilité humaine, à chaque fois que nous cherchons à
discerner si un acte posé respecte et promeut le bien ou, au contraire, justifie et engendre le
5Nous parlons ici de « moment adulte », non pour exclure la responsabilité éthique des personnes « immatures »,
mais plutôt pour signifier l‟horizon vers lequel devrait tendre tout acte éducatif éthiquement bon. Par conséquent,
et puisqu‟il n‟y aura jamais des personnes « parfaitement adultes » l‟éthique reste une démarche jalonnée par des
discernements et des jugements portant sur des actes plus ou moins déterminés sans pour autant pouvoir atteindre
la personne dans son intériorité même. Sur le développement du sujet moral cf. André GUINDON : Le
développement moral, Paris – Otawa : Desclée – Novalis, 1989, 189 p.
6 Les champs d‟application de l‟éthique : Devoirs de l‟homme envers lui-même (comme réalité corporelle,
comme conscience réflexive) ; Devoirs de l‟homme envers autrui (comme personne, comme collectivité sociale) ; Devoirs de l‟homme envers son environnement (le vaste domaine de l’écologie et des devoirs qu’impose à l’être
humain son lien vital avec son environnement naturel) ; Ethique politique (les responsabilités éthiques de
l’Etat) ; Ethique économique ; Ethique de la culture ; Ethique médicale (éthique médicale, bioéthique, médecine
et société) ; Ethique de l‟information ; Ethique et droit ; Ethique de la science (la recherche scientifique est régie
par des règles éthiques précises ; les conséquences possibles d’une découverte peuvent amener à des
interrogations) ; Ethique de la famille (responsabilité de la société envers la famille, responsabilité de la
famille) ; Ethique de l‟éducation (fondée sur le respect de l’éduqué) ; etc.
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mal7, nous seront à plein pied dans la problématique éthique (ex. § 1 et 2). L‟objet explicite de
l‟éthique serait donc d‟identifier dans chaque acte humain la visée adoptée afin de promouvoir
le bien et d‟éviter le mal. Or, c‟est justement à partir de cette recherche explicite concernant
l‟acte à discerner que nous sommes menés à affronter deux genres de difficultés.
La première difficulté, d‟ordre instrumental, serait de savoir comment analyser l‟acte
humain et à partir de quels critères objectifs porter un jugement de moralité8 (ex. § 4, 5 et 6).
La deuxième difficulté, d‟ordre épistémologique, se situant à un niveau plus fondamental,
consisterait à préciser les fondements même de toute définition du bien et de son contraire : Il s‟agit d‟une argumentation de la définition du bien et de la justification de sa nécessité (ex. §
3).
.2.2. Les repères du discernement moral : deuxième niveau de l’éthique
Pour résoudre la difficulté instrumentale, la société humaine, à travers plusieurs traditions,
a élaboré une multitude de systèmes référentiels qui sont pour la plupart complémentaires,
quelquefois incompatibles, rarement autosuffisants. Ces systèmes auront pour nom commun : NORMES. Les normes
9 constituent alors un ensemble de références objectives qui détermine
l‟analyse de la moralité de l‟acte et qui, à son tour, est formé de trois niveaux
complémentaires (ex. § 4, 5 et 6).
.2.2.1. Les règles : particulières et concrètes
Le premier niveau des normes, que nous nommerons « système de références objectives
déterminées et concrètes », est reconnu pour sa précision explicite, directe et détaillée : on le
désigne par « règles ». Les règles guident l‟analyse éthique d‟une manière suffisamment
pratique. Elles sont toujours particulières et contextuelles. Les règles ont le mérite de jalonner
une action pour qu‟elle soit fidèle aux principes fondamentaux, tout en considérant la
catégorie, le temps et l‟espace où se réalise (ou ne se réalise pas) cette action. Cette catégorie
des normes est l‟incarnation de la dimension universelle de la loi dans un contexte particulier
spacio-temporellement déterminé10
(ex. § 6).
7 La philosophie distingue le mal ontique du mal moral. Le mal ontique est celui qui, sans considération ni de
l‟intention ni des circonstances, marque l‟absence ou l‟outrage d‟un bien que la droite raison estime nécessaire
pour l‟être concerné lui-même (ex. La vision pour l‟aveugle). Le mal moral, lui, engage l‟intention et les
circonstances pour faire le mal ontique (ex. ôter les yeux d‟un otage). Le mal qui nous concerne ici est moral. 8 Ou jugement de valeur. En effet, il faut distinguer entre le jugement de fait (qui renvoie à une sorte de constat,
fruit d‟une observation élémentaire ou d‟un travail technique élaboré) et le jugement de valeur (qui est celui qui
porte une appréciation qualitative sur la vérité d‟une affirmation, la beauté d‟une oeuvre d‟art, la moralité d‟un
acte ou d‟un agent). 9 Du grec nomos : loi
10 Exemples : Règlement d‟une école ; code hygiénique dans un milieu de santé ; code de route ; protocole d‟une
recherche scientifique ; règles des jeux sportifs ; listes des sanctions positives ou négatives assorties à un
ensemble de lois, etc.
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.2.2.2. Les principes : universels et abstraits
Le deuxième niveau des normes, que nous nommerons « système de références objectives
indéterminées et abstraites », est promulgué par le terme « principe » 11. Il désigne une sorte
d‟axiome – une orientation fondamentale – qui inspire l‟action sans la circonscrire dans sa
concrétude même. Les principes sont normalement vides d‟application et se jouent
essentiellement dans une portée universelle12
. Ils peuvent être systématisés, d‟une manière
proscriptive ou prescriptive13
(ex. § 5), sous forme de commandements (approche biblique du
décalogue), de droits fondamentaux (droits de l‟homme, droits de l‟enfant, droits de la femme,
etc.), de droits spéciaux (fondant les déontologies professionnelles) ou même sous forme de
« maximes populaires » (coutumes et sentences populaires). Ces principes sont catégorisés à
partir de leur nature convictionnelle où ils seront considérés comme divins, naturels ou
positifs14
.
Cependant, ce « système de références objectives indéterminées et abstraites » n‟est que le
côté déontologique15
d‟une réalité axiologique16
beaucoup plus complexe désignée par le
monde des valeurs.
.2.2.3. Les valeurs : au service du sens
Une valeur, dans le registre éthique, désigne du point de vue objectif , le caractère de ce
qui « mérite d‟être désiré ». Par conséquent, si le désir est l‟un des paramètres fondamentaux
de la réalisation d‟un acte et si le bien consiste à faire correspondre nos désirs (subjectifs) à ce
qui, objectivement, mérite d‟être désiré, la valeur s‟imposerait comme une nécessité
incontournable à la réalisation du bien. En d‟autres termes, une valeur est cette entité qui
11
Etymologie : Du latin principium-princeps : commencement, premier, à la racine de, au fondement de, etc. Il
désigne généralement la proposition initiale d‟un raisonnement d‟où l‟on tire d‟autres propositions. 12
Tels que les principes (impératifs) catégoriques formulés par Kant : (a) Agis toujours de telle façon que la
maxime de ton action puisse être universalisée. (b) Traite l‟humanité en ta personne et en celle d‟autrui jamais
seulement comme un moyen, mais toujours aussi comme une fin. La règle d’or : Fais toujours aux autres ce que
tu souhaites (ou acceptes) que les autres te fassent. 13
Est dite prescriptive toute loi formulée positivement dans le sens de l‟obligation d‟un devoir, i.e. « ce qu‟il faut
faire ». Elle est proscriptive lorsqu‟elle est formulée négativement dans le sens de l‟interdiction, i.e. « ce qu‟il ne
faut jamais faire ». 14
Principes (ou lois) divins : qui émanent d‟une certaine révélation divine reconnue par une société ou
communauté quelconque (religions). Principes naturels : qui se fondent sur la connaissance de la nature des
choses (sens étroit du terme nature) ou sur la nature rationnelle de l‟homme qui peut discerner entre le bien et le
mal (sens large du terme nature). Principes positifs : qui peuvent être fondés sur les autres principes (divins et
naturel) mais qui, par définition, relèvent surtout d‟un consensus socio-culturel « relatif » (il suffit qu‟on soit
d‟accord pour le considérer comme axiome pour le jugement moral sans chercher trop à le fonder). 15
Théorie des devoirs : ce qu‟il faut ou ne faut pas faire. La déontologie est à la jonction de l‟axiologie (cf. note
suivante) et la praxie (pratique morale). 16
Etude ou théorie (critique ou non) de telle ou telle notion de valeur.
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donne « sens » à tout ce qui entre en relation avec elle et qui ne prend sens que de soi-même
ou de sa similaire (une autre valeur ou un système de valeurs). Ainsi, l‟humanité, la vie, la
liberté, la vérité, la foi, l‟espérance, l‟amour, la solidarité, l‟humilité, le bien commun, la
socialité, l‟autonomie, etc., sont considérés comme des valeurs à promouvoir à travers chaque
acte humain pour que celui qui pose l‟acte ou le « subit » puisse correspondre à sa valeur
humaine primordiale : sa DIGNITE. La valeur serait enfin ce qui fonde les principes, leurs
donne un sens et justifie leurs nécessités impératives (ex. § 4).
Cependant, malgré qu‟elles s‟imposent comme nécessité incontournable, les valeurs
souffrent de deux ambiguïtés majeures : i. La première ambiguïté concerne la reconnaissance des valeurs par le sujet (une
personne, un groupe, une société, une communauté, une religion, etc.) : La vie
humaine, l‟autonomie, la liberté, la vérité, etc., sont-elles reconnues en tant que
valeurs toujours et par tout le monde ?
ii. La deuxième ambiguïté relève du système dans lequel s‟articulent ces valeurs. Y
aurait-il des valeurs plus importantes que d‟autres ? Qui le décident ? Comment les
discerner ?
Ces deux ambiguïtés constituent la deuxième difficulté à laquelle s‟affronte le
discernement moral que nous avons déjà annoncée comme difficulté d‟ordre épistémologique.
En principe, c‟est le même référentiel qui prendra la relève dans la résolution de ces
ambiguïtés. Cependant ce référentiel se situe aux frontières du subjectif (sujet reconnaissant
des valeurs et des vérités à défendre) et de l‟objectif (valeurs reconnues), nous le désignons
par CONVICTIONS. Il constitue le troisième niveau de l‟éthique.
.2.3. Les fondements du discernement moral : troisième niveau de
l’éthique
Les convictions jouent un double rôle dans la structuration du discernement éthique. Le
premier, d’ordre personnaliste, constitue le contexte socio-culturel dans et par lequel
s‟identifie le sujet agissant. Il s‟agit donc de l‟appartenance d‟une personne singulière à une
communauté de visions « plus ou moins » homogènes par rapport à la définition du Bien.
C‟est dans la reconnaissance de cette appartenance convictionnelle que le sujet va reconnaître
la précédence d‟un système de valeurs dans lequel il accepte « librement et consciemment » 17
d‟être formé et « humanisé » 18. Cette « homogénéité » foncière dans la définition du Bien
17
Cette liberté et cette conscience resteront inachevées tout en maintenant une démarche proportionnellement
évolutive. 18
Les convictions sont de plusieurs catégories : religieuses et théologiques (religions) et , philosophiques
(courants et écoles rationnalistes, humanistes, etc.), idéologiques (partis politiques, sectes, sociétés et
associations scientifiques, etc.), culturelles (régions, époques, etc.), ethniques, etc.. Bien entendu, ces convictions
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amène la personne à reconnaître, tout d‟abord, un ensemble de valeurs, et à se reconnaître,
ensuite, à partir de sa fidélité, théorique et pratique19
, dans leurs promotions et leur défense.
Mais il paraît que la reconnaissance d‟un ensemble bien déterminé des valeurs ne suffit
pas pour gérer l‟action morale. Surtout lorsqu‟un conflit de valeurs se pose dans l‟une ou
l‟autre situation ambiguë de notre histoire ; que ça soit au niveau personnel, institutionnel,
social, politique, spirituel, etc. Dans ce contexte conflictuel, les convictions interviennent dans
leur deuxième rôle, d’ordre strictement épistémologique, pour fonder un des critères
d‟articulation des valeurs entre elles. En effet, dans une situation conflictuelle, le vrai
problème consiste à pouvoir choisir les valeurs à promouvoir ou à sauver, quand l‟acte
humain, en assumant sa finitude et en reconnaissant les circonstances qui sont les siennes, ne
peut pas honorer, pratiquement20
, toutes les valeurs concernées. Autrement dit, c‟est le
passage du fait de « promouvoir telle ET telle valeur » AU « promouvoir telle OU telle
valeur » qui crée le conflit des valeurs et expose le sujet agissant à une difficulté inévitable.
Ce passage du « et » au « ou » accule le sujet à se référer à son système convictionnel
pour hiérarchiser les valeurs afin d‟en sauver les prioritaires. Cependant, toute hiérarchisation
des valeurs doit prendre en considération les différents contextes où se posent les conflits.
Raison pour laquelle elle ne peut se suffire à la production d‟une échelle uni-dimensionnelle
(descendante) mais elle doit veiller à l‟élaboration d‟un système constitué par une inter-
dépendance21
continue entre plusieurs échelles multi-directionnelles de valeurs. Ces dernières
prendront en charge les évolutions synchroniques et diachroniques des définitions du bien et
de leurs inscriptions dans les actes posés. Les convictions fonderont ainsi le choix du sujet
concernant les valeurs dans les situations conflictuelles.
pourront porter sur les mêmes sujets en se complétant ou en s‟excluant mutuellement : sens de la vie, sens de la
santé, la personne humaine, la science, la patrie, etc. 19
Il y aura toujours une distance entre, d‟une part, l‟option fondamentale concernant la reconnaissance du Bien et
la décision de lui être fidèle et, d‟autre part, la capacité pratique (rationnelle, psychique, sociale et spirituelle)
d‟exécuter et d‟incarner cette option fondamentale. C‟est ce qui fait toute la différence entre le statut de l‟erreur
et celui de la faute. L‟erreur serait la non-correspondance de l‟acte extérieur à la valeur visée (reconnue
intérieurement et voulue explicitement). Tandis que la faute est une non-correspondance entre l‟intention voulue
directement (acte intérieur) et la valeur qu‟il devrait promouvoir (dans ce cas la valeur est reconnue mais non
promue). Si nous partons donc d‟un présupposé que la valeur est consciemment connue et reconnue, la faute
serait de ne pas vouloir respecter la valeur (déficit dans la volonté du Bien), l‟erreur serait de ne pas pouvoir
respecter la valeur (déficit dans l‟exécution du Bien, que ça soit pour des raisons rationnelles, psychiques,
sociales, spirituelles, circonstantielles, etc.) 20
Le problème se pose par son acuité surtout au niveau pratique. Parce qu‟au niveau théorique, la valeur en
danger et qui ne va pas être respectée par l‟acte posé doit être toujours reconnue en soi. Exemple : dans le cas
d‟une interdiction faite à un élève de ne pas « écrire » ou « dessiner » ou « sculpter » sur sa table deux valeurs
sont en conflit : la liberté d‟expression et le bien commun. Théoriquement, les deux valeurs sont normalement
reconnues par l‟éducateur mais pratiquement une hiérarchie s‟impose pour mener l‟éduqué à une vraie liberté
d‟expression. 21
Edgar Morin nous offre une nouvelle vision concernant l‟interdépendance des éléments de la vie (biologique,
astronomique, sociale, personnelle, éthique, etc.). Cette interdépendance infiniment enchevêtrée est signifiée par
l‟imbrication « des systèmes de systèmes de systèmes ». Ce qui est désigné aujourd‟hui par la pensée
systémique : tout dépend de tout et tout interagit avec tout. Les valeurs n‟en sont pas indemnes. Cf. Edgar
MORIN : La méthode. T.1. La nature de la nature, Paris : Seuil, 1977, 400 p.
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Cette stratification (voir schéma 1), quoique hautement complexe, intervient dans tout acte
qui se veut humain22
. Son intervention devient explicite au fur et à mesure de l‟analyse ou de
la justification de cet acte. Cependant, ceci ne présente qu‟une dimension de l‟éthique, celle
qui, objectivée, rend possible le discernement de la moralité d‟un acte. Nous saurons à partir
de cette grille multi-référentielle approfondir les « comments » de tout discernement et de
toute critique concernant la définition du Bien ainsi que les critères théoriques et pratiques de
sa réalisation.
Néanmoins, une question encore plus lancinante obséderait la réflexion éthique : Pourquoi
faudrait-il faire le Bien et éviter le Mal ?
En effet, bien que le discernement moral nécessite tout un système objectivé afin de
définir le Bien (Convictions et Valeurs), le jalonner (Principes et Règles) et l‟incarner (l‟acte
en soi), nous sommes en droit de s‟interroger sur le profit que ceci pourrait avoir pour le sujet
agissant lui-même.
22
La philosophie classique distingue entre « acte de l‟homme » et « acte humain ». Le premier est un acte posé
ou subi par l‟homme mais qui lui est commun avec les animaux et même les végétaux : naître, vivre (sens
strictement biologique), digérer, grandir, etc. Tandis que le deuxième est un acte qui relève typiquement de
l‟homme en tant qu‟homme, c‟est-à-dire en tant que doué de subjectivité rationnelle et libre. Pour plus de détails,
cf. André LEONARD : op.cit., p. 33-35. Nous distinguons aussi entre « acte » et « action » : L‟ « action »
porterait plutôt sur le côté explicité et physique de l‟ « acte » qui, lui, englobe toute sorte d‟utilisation de la
volonté et de la décision : délibération, jugement, etc. Cf. Jean-François MALHERBE : « L‟essence de
l‟humain » , in Pour une éthique de la médecine, Coll. “Catalyses”, Bruxelles : Editions Ciaco, 1990 (2), pp. 27-
45
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Schéma 1 : Comment faire pour discerner le bien ?
L’axe objectif de l’éthique
Fondements du discernement éthique
De l‟ordre des convictions
Philosophiques
Théologiques
Idéologiques
Sens de la vie
Sens de la personne humaine
Sens de la croissance, sens de la transmission
Sens de l‟éducation, de la liberté, de la créativité, de la réussite
Sens de la vie
Sens de la personne humaine
Sens de la croissance, sens de la transmission
Sens de l‟éducation, de la liberté, de la créativité, de la réussite
Repères du discernement moral
Valeurs
Principes
Règles
Par les voies de : La déontologie
Les systèmes pédagogiques et disciplinaires
La loi (droit)
La mémoire
Les habitudes et les mœurs
Discernement pratique
Discerner l‟action
dans la visée
de faire le bien
et
d’éviter le mal
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.3. Pourquoi faudrait-il faire le BIEN ?
Nous venons de conclure que le sujet ne peut se contenter par le discernement objectif de
la moralité de ses actes mais il est acculé à s‟interroger sur la nécessité (ou le profit) du bien
pour lui. Nous formulerons cette interrogation ainsi : « En quoi le Bien m’intéresse-t-il
pour que je le promeuve ? »
Avant qu‟elle ne soit spécifiquement éthique, cette question se présente d‟emblée comme
profondément philosophique. L‟étymologie du mot « intéresser » nous introduit facilement à
cette réflexion. ESSE (en latin) signifie « être », INTER signifie « entre ». L‟ « inter-esse-
ment » serait la relation qui peut exister ENTRE une entité et une autre, i.e. entre la substance
de quelque chose et celle de l‟autre. Bref, l‟intéressement désigne la relation qui existe entre
un être et un autre23
. Une relation qui est primordialement portée par un désir profond,
intérieur et extérieur, qui lie la personne désirante (le sujet moral) avec l’objet désiré (le
Bien). Cette relation indiquerait obligatoirement le sens-direction24
d‟une interactivité entre le
sujet et le Bien, et ce sens-direction engendrerait un sens-signification à la relation elle-même.
Partant de ce méandre étymologique, la question « En quoi le Bien m‟intéresse-t-il pour
que je le promeuve ? » pourrait-être formulée : En quoi la visée du bien toucherait-elle mon
être ? Quand je réalise un acte dans le sens-direction du Bien, en quel sens-signification serait
affecté mon être humain ? Bref, en faisant, objectivement25
, le Bien, pourrais-je,
subjectivement, avancer dans la vocation de l‟être ? Autrement dit, pourrais-je « bien-être » si
je n‟assume pas et si je ne désire pas le sens (direction et signification) du « bien-faire » ?
Pour répondre à ces questions nous osons dire que faire le Bien est tout d‟abord au profit
du sujet agissant et désirant et non au profit de l‟acte posé (objet de l‟éthique). Le Bien
« intér-esse » le sujet parce qu‟il l‟invite inlassablement à instituer une relation autre entre soi
et soi-même. Le Bien suscite alors le désir du sujet moral et l’invite ainsi à correspondre à
soi dans une démarche humanisante jamais achevée.
Afin de cerner cette dimension subjective de l‟éthique, nous nous arrêtons sur les éléments
suivants : i. Le « sujet », ii. « L‟humain », iii. La « démarche », iv. « Correspondre ».
i. Ce n‟est pas le lieu où nous pouvons analyser les conflits existant entre plusieurs
courants sur la définition du sujet moral. Serait-il chaque personne humaine dans sa propre
individualité ? Serait-il la société humaine prise globalement dans son mouvement évolutif
ouvert ? Serait-il la seule personne adulte, capable d‟aimer la sagesse et de suivre ainsi le
chemin de la libération interne et externe ? Nous nous contentons tout simplement de préciser
notre position : le sujet moral est chaque être humain potentiellement capable de poser des
actes proportionnellement conscients et libres. Cette position aurait le mérite d‟intégrer dans
23
Sur une interprétation éthico-philosophique de l‟intéressement cf. Emmanuel LEVINAS : Autrement qu’être
ou au delà de l’essence, Biblio essais, n° 4121, Paris : Kluwer Academic, 1990, 287 p. 24
Ce paragraphe profite de deux parmi trois acceptations que peut admettre le mot sens (en français) :
signification, direction (orientation) et sensation (acceptation globale des cinq sens). 25
C‟est-à-dire en respectant toutes les règles et les principes qui jalonnent l‟acte que je pose dans une situation et
une culture bien déterminées (voir la première partie de cet article : l‟axe objectif de l‟éthique).
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la sphère de la responsabilité éthique toute personne singulière quel que soit son degré
d‟autonomie26
.
ii. Quant à l‟humain, il se caractérise par quatre dimensions étroitement interdépendantes :
organique, psychique, sociale et spirituelle. La promotion de l‟humain consiste à respecter la
singularité de chaque être dans son corps même, son histoire propre, ses relations avec les
autres et avec l‟Autre (symbole de toute transcendance).
Tout en précisant que ces définitions du « sujet » et de « l‟humain » émanent directement
de l‟ordre épistémologique des convictions que nous avons situées à la jonction du subjectif et
de l‟objectif, nous pouvons retenir jusqu‟ici que le sujet moral est un être humain qui oeuvre
d‟une manière à ne jamais oublier sa responsabilité vis-à-vis de soi-même (sa raison droite et
sa volonté libre) et vis-à-vis de l‟autre (société et transcendance).
iii. Par ailleurs, si « co(r)-respondre » veut dire « répondre à soi »27
, le sujet moral serait
celui qui aura la vocation fondamentale de répondre à l’humanité28
en tout ce qu’il est et par
tout ce qu’il fait. Cette invitation, toujours renouvelée, est adressée à chaque personne
humaine pour qu‟elle advienne en tant que sujet humain. Cependant, il ne faut pas se leurrer,
cette invitation n‟est pas extérieure à la personne. Elle n‟est que son désir le plus profond de
se réaliser en tant que « je » soumis au « jeu » de l‟être comme une épreuve jamais clôturée29
.
iv. Par conséquent, correspondre à soi serait le fait de se réaliser dans sa singularité même
en tant qu‟une personne humaine responsable pour soi et pour les autres. Néanmoins, cette
réalisation de soi ne peut aboutir que dans le temps et l‟espace de la personne et de
l‟humanité. C‟est ainsi qu‟elle se présente en tant qu‟une « démarche » jamais achevée. Une
démarche qui engage tout l‟être qui cherche le Bien pour qu‟il « soit bien » : c‟est-à-dire, pour
qu‟il vive des expériences de paix et de joie comme symboles immanents du vrai bonheur
(bon(ne)heur(e))30
.
.4. Où se fait le discernement du BIEN ? La conscience
Si l‟axe objectif nous guide sur le chemin du « Comment faire le Bien et éviter le Mal ? »,
et si l‟axe subjectif nous appuie dans la démarche du « Pourquoi faire le Bien ? », quelle serait
26
Cf. J.-F. MALHERBE : Idem.
27Il est intéressant de noter que les concepts « répondre « , « correspondre » et « responsabilité » sont construits à
partir de la même racine latine « respondeo » : qui met la personne en état d‟interrogation sur le sens de ce qu‟il
est (existentiellement) et de ce qu‟il fait (morale et droit). 28
Puisque l‟humanité est l‟essence même de son « soi » et de son « je ».
29Sujet, du latin subjectus, signifie « soumis à ».
30 Cf. Xavier THEVENOT ; Jean JONCHERAY; et al. : Pour une éthique de la pratique éducative,
Collection : Relais études, 9 , Paris : Desclée, 1991, 274-275. Sur l‟éthique comme invitation à la joie et à la
paix, cf. Robert BISRAHI : Les actes de la joie, Paris : PUF, 1987 et R. MISRAHI : La signification de
l’éthique, Coll. « Les empêcheurs de penser en rond », Synthélabo, 1995, 185 p.
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l‟instance qui articulerait ces deux axes dans l‟ici et le maintenant de chaque sujet moral dans
sa relation avec le fin fond de son être, d‟une part, et avec le référentiel qui le précède sur le
chemin de l‟humanisation, d‟autre part ? Autrement dit, « Où » est-ce que se rencontrent le
désir de faire le Bien et les normes objectives qui jalonnent ce dernier ? Nous désignerons cet
axe par le terme « communicatif » dans un double sens : D‟une part, la conscience est le lieu
où se communie le subjectif et l‟objectif, d‟autre part, elle est le lieu où se communique
(dialogue) le « dire » du sujet (sa parole) et le « dit » de la loi. Ce serait la conscience qui
accueillera la voix de l‟autre en moi-même. Elle est le lieu où s‟articulent l‟altérité de la loi et
l‟identité personnelle du sujet.
En réalité, pour qu‟il ait action morale, il faut qu‟il y ait, entre autre, délibération et
décision. Il faut donc un sujet capable de réflexion, de volonté et de critique. La conscience
morale est cette capacité d‟appréciation des enjeux, de décision et d‟évaluation des résultats
d‟un acte humain. Par conséquent, la conscience morale est inséparable de la conscience au
sens général.
La conscience (tout court) désigne la connaissance que le sujet a de lui-même. Elle est
cette capacité qui permet d‟être à la fois sujet connaissant et objet de connaissance. Elle
permet la délibération intérieure, l‟approbation ou la réprobation de soi-même. Cette
conscience de soi est inséparable de la conscience d‟autrui, elle est intrinsèquement liée à la
communication et au langage. Dans cette logique, la conscience de soi est une possibilité de se
dire et de convaincre, une découverte de la puissance du langage, mais aussi de ses limites.
Cette conscience de soi est toujours reconnaissance de règles. Une reconnaissance qui ne
prend pas ces règles comme objectif, mais qui invite à respecter ces règles afin d‟établir une
communication possible et d‟en tracer une histoire sensée, un récit.
Cette conscience de soi devient conscience morale quand elle doit se déterminer sur la
valeur des règles qui lui sont proposées, voire imposées par la famille, l‟école, la société, la
culture, etc. Ainsi la conscience apprend à formuler un jugement de valeur sur ce qui lui est
proposé, et à distinguer entre la tâche régulatrice de l‟éthique (normes (règles et principes) à
respecter) et sa tâche légitimatrice (valeurs, fondements (convictions) et sens de ces
normes)31
.
La conscience morale est donc le sujet en tant qu‟il est attentif à la valeur morale de ses
actes. Selon qu‟il s‟agit d‟actes à poser, d‟actes en cours d‟exécution ou d‟actes déjà posés,
cette conscience est alors antécédente, concomitante ou consécutive.
En bref, la conscience morale concerne l‟application de la norme morale (comme
médiation d‟une valeur promue) à un acte particulier. Une application qui se fait à travers un
jugement pratique : Si cet acte respecte et honore la direction du Bien, il est bon, et donc je
puis ou même je dois le poser ; si cet acte va à l‟encontre du Bien, il est mauvais, et donc je
dois m‟en abstenir ».
Mais il faut reconnaître que ce qui qualifie moralement la volonté, c‟est la valeur morale
de son objet telle que le sujet la perçoit, d‟où la conscience constitue la norme subjective
ultime de la moralité. Ce qui signifie que le sujet doit suivre sa conscience qui constitue le
vrai lieu où s‟articule sa connaissance du Bien et son désir de ce Bien. Il nous semble aussi
que cette conscience devrait être suivie, même si elle est erronée. Cependant ceci ne soustrait
31
Eric FUCHS : op. cit., pp. 15-40
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en rien la responsabilité du sujet vis-à-vis de l‟éducation de sa conscience. D‟où la nécessité
de l‟éducation de cette conscience morale, c'est-à-dire, la nécessité de la promotion d‟un
processus où serait possible l‟intégration des lois imposées. Un processus où chaque personne
est invitée à construire son autonomie morale. Le sujet moral est donc responsable de sa
conscience avant qu‟il ne soit responsable devant elle.
.5. Définition de l’éthique
Suite à cette présentation systématique de l‟éthique nous sommes en droit de proposer une
définition qui prendra en charge tous les éléments qui la constituent : L’éthique est cet ensemble de règles, d’interdits, de repères, de valeurs, qui permettent à
l’être humain de trouver peu à peu, et librement, des chemins d’humanisation et de bonheur.
La morale, ou l’éthique, c’est finalement ce à quoi le genre humain s’oblige quand il veut
donner sens à sa vie.
- L’individu refuse alors la violence,
- en conscience et en acte,
- n’acceptant ni de dévorer l’autre,
- ni de se laisser absorber par lui.
- Il renonce à s’enfermer dans l’isolement,
- et cherche à entrer dans le jeu de la communication.
Dès lors qu’il choisit
- ce renoncement à la violence mortifère,
- et qu’il veut donner sens à son existence,
- il ne peut plus faire n’importe quoi.
C’est là précisément que surgissent les interdits et les valeurs.32
L’éthique a donc pour but de maintenir ouverte, pour chaque personne vivant dans une
société donnée, la possibilité de poursuivre une histoire sensée pleinement reconnaissante de
l’altérité de toute autre personne ; cela malgré les expériences diverses de la violence et du
mal qui marquent le monde de l’homme.
32
Autrement dit : L‟éthique est une « science » (savoir organisé) de ce que l‟être humain doit faire ou éviter de
faire, en fonction de ce qu‟il est ici et maintenant, dans le devenir de la dialectique de l‟autre et du même, pour
accéder en société à la réalisation de lui-même comme être raisonnable et connaître ainsi des expériences de paix
et de joie comme une anticipation du vrai bonheur.
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Schéma 2
Ce schéma donne à réfléchir sur la relation qui existe entre les normes, les valeurs et les
convictions (axe objectif), d‟une part, et le sens et le désir que peut avoir un sujet dans son expérience
(démarche) personnelle (axe subjectif), d‟autre part.
En effet, nous remarquons que, du point de vue de l‟éducation de la personne, la conscience morale est
tributaire à la fois de la connaissance objective des valeurs et de l‟expérience subjective de leur sens.
a. Si nous proposons que :
« D » est le degré d‟imposition de la loi sans un effort d‟explication et de responsabilisation, son pôle positif
indique le « Directivisme », son pôle négatif est le « Nihilisme » (sans lois ni valeurs)
« t » est le temps d‟intégration de la loi par le sujet vers le sens-signification du Bien, son pôle positif est la
« Réalisation de soi » en tant qu‟être humain, son pôle négatif est le « Subjectivisme »
« C » est l‟état de maturité de la Conscience morale, et donc le degré de responsabilité qu‟aurait atteint à un
moment donné de son histoire, son pôle positif indique l‟ « Autonomie », son pôle négatif est l‟ « Aliénation »,
b. Et si nous considérons que la vraie autonomie est lorsque le sujet moral intègre plus profondément
les normes objectives et respecte ainsi plus librement les valeurs éthiques afin de mieux se réaliser en tant
qu’être humain,
L’état mature de l’autonomie serait lorsque le niveau objectif de l’éthique rejoint l’expérience subjective du
sujet agissant, c’est-à-dire lorsque C tend vers R
a + b : Alors le degré de L’AUTONOMIE de la personne humaine serait discerné selon la formule
suivante :
C = t / D
C‟est-à-dire que l‟autonomie du sujet moral est proportionnelle à son expérience personnelle du bien et
inversement proportionnelle au degré d‟imposition non intégrée de la loi.
Plus les normes sont imposées, sans effort d‟explication et d‟interprétation, moins l‟ « intér-esse-ment » du
sujet est promu, moins la conscience morale est autonome et responsable. Par contre, plus la marge de
l‟intégration des lois est respectée, plus l‟expérience personnelle est promue (intéressement), plus la conscience
est capable de responsabilité.
Axe subjectif
Axe objectif
Axe communicatif
D
N
S R
Au
Al
C C
t
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.6. Quand l’éthique interroge l’éducation ! En se plaçant du point de vue de l‟éthique telle que nous venons de la présenter suivant
ses trois axes fondamentaux, l‟objectif, le subjectif et le communicatif, il nous semble que
plusieurs questions peuvent être adressées à la tâche éducative. Ces questions auront pour
vocation de jalonner d‟une manière critique la démarche éducative, ses fondements et ses
méthodes. Comme nous l‟avons bien annoncé dès l‟introduction, nous ne traiterons pas ici les
tâches éthiques spécifiques à l‟éducation mais nous nous contentons de les stigmatiser sous
forme d‟interrogations ouvertes.
Proposons tout d‟abord une définition de l‟éducation : L‟éducation est une tâche menée
par un éducateur (une personne) qui, ayant figure d‟autorité, communique avec une autre
personne en vue de permettre une croissance de sa liberté et de lui ouvrir ainsi des expériences
encore plus importantes de paix et de joie. Cette communication se vit au cœur d‟une relation
(familiale, sociale, institutionnelle, etc.). Elle est jalonnée par un ensemble de moyens divers
(règlements, cours, dynamique de groupe, lectures de textes, apprentissages variés, etc.).33
A partir de cette approche éthique de l‟éducation, et si nous ne considérons que la
dimension institutionnelle34
de la tâche éducative, plusieurs sont les interrogations qui
mériteraient d‟être entretenues par l‟éducateur soucieux d‟être fidèle à ses fonctions d‟
« humanisation ».35
Serait-il suffisant qu‟un éducateur n‟exige que la correspondance extérieure entre un acte
posé par l‟ « éduqué » et la loi promulguée en classe ou à l‟Etablissement ? Ne serait-il pas
nécessaire de vérifier si le sens de cette loi a été bien compris par ce dernier ?36
Serait-il acceptable que les éduqués soient réduits à leurs actes et que l‟évaluation de
ceux-ci devienne un jugement sur leurs personnes ?37
Les règles utilisées dans un contexte bien déterminé, sont-elles transposables dans d‟autres
contextes différents sans qu‟elles n‟appellent un effort d‟actualisation qui prendra en compte
les particularités impliquées et sans une mise au clair des principes de base et des valeurs qui
sous-tendent ces règles et leurs donnent un sens ?
33
Cf. Xavier THEVENOT ; Jean JONCHERAY ; et al. : op. cit., p. 263 34
Dans cet épilogue, nous n‟envisageons pas l‟élargissement de notre angle critique concernant la tâche
éducative qui pourrait atteindre toutes les sphères éducatives de la société. Nous voudrions tout simplement
souligner quelques éléments de réflexion concernant les Institutions scolaires ou leurs similaires. Cependant, ceci
n‟enlève rien à la portée éthique que peut avoir chaque interrogation sur tous les champs de l‟action humaine. 35
La lecture des formulations interrogatives suivantes gagne à être croisée avec le schéma n° 2 . 36
Si l‟on éduque un enfant en ne prêtant attention qu‟à la rectitude du comportement objectif sans se soucier de la
droiture de ses intentions, on en fera un petit animal savant bien dressé, mais on passera à côté de l‟essentiel : l‟amour du bien voulu pour lui-même. 37
Lorsque nous sanctionnons ou réprimandons un acte, l‟objet de la sanction porte-t-il sur la dignité de l‟éduqué
ou bien sur le rapport avec le bien, la vérité, le travail à préparer, le respect dû, etc. ? Cette sanction aidera-t-elle
l‟éduqué à intégrer la loi et à respecter les valeurs promues ou bien risquera-t-elle de le mener dans un labyrinthe
de non sens et d‟agressivité ?
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L‟appartenance sociale est-elle promue et honorée dans la justification des choix
prioritaires entre les valeurs à défendre ou c‟est l‟arbitraire d‟une autorité quelconque qui
prend la relève ? Cette appartenance elle-même est-elle imposée à l‟éduqué ou se présente-t-
elle en tant qu‟une invitation à adopter et à adhérer à une matrice convictionnelle qui devient,
à son tour, le lieu où se tisse le sens de sa vie ?
Quelle serait l‟objectif final de l‟éducation, est-ce le maintien de la loi et la maîtrise des
actes de l‟homme, ou bien l‟intégration de la loi par un sujet capable d‟en comprendre le sens
afin qu‟il puisse gérer sa violence et devenir ainsi responsable devant soi-même et devant la
société, jusqu‟au point où il serait lui-même capable de produire des nouvelles lois adaptées à
des nouveaux contextes afin d‟honorer les mêmes valeurs ?
Qui peut accaparer le sens d‟une expérience singulière vécue par une personne bien
déterminée et quel est le prix de l‟imposition du sens de mon expérience sur l‟autre ? Ne
serais-je pas invité à entrer dans une relation de dialogue, d‟écoute et de découverte de l‟autre
avant que je ne soit entraîné dans les méandres des jugements et des taxations ?
Cependant, est-ce que l‟éduqué, surtout lorsque nous parlons des enfants et des mineurs,
est-il capable de comprendre toute la portée des normes, que ça soit sur le plan cognitif,
psychique, affectif, social, culturel, etc. ? Et quand nous sommes sûrs qu‟il ne l‟est pas
encore, quelle serait la meilleure position possible à adopter : imposer les normes – à la lettre
– sans aucun effort d‟explication et sans aucune confiance en la capacité de l‟éduqué, ou bien
proposer la loi – surtout en honorant et expliquant leurs objectifs (valeurs) – d‟une manière
proportionnelle à sa capacité de compréhension ?
Mais, ne serait-il pas aussi aliénant de ne pas structurer la conscience de l‟éduqué par la
loi en le laissant à ses propres expériences et ses propres interprétations ? Ne faudrait-il pas
imposer un seuil minimal de la loi en-deça duquel il personne n‟a le droit de descendre au
risque de perdre les éléments essentiels de son autonomie ?
D‟un autre côté, pourrait-on assurer un service « de décisions toutes faites » afin
d‟épargner l‟éduqué les conflits de la réalité ? Ce soi-disant service ne risquerait-il pas de
maintenir l‟éduqué dans un état d‟hétéronomie38
aberrante et de directivisme absolu qui
finissent par l‟aliéner contre toute autonomie souhaitable ? Et, par conséquent, une éducation
qui ne considère pas chaque personne dans sa singularité ne finit-elle pas au gommage de la
conscience morale de la personne et n‟entraîne-t-elle pas ainsi l‟anéantissement de la loi elle-
même ?
Et enfin, qui peut éduquer à l‟intégration de la loi et ainsi à l‟autonomie39
s‟il n‟a pas fait
lui-même l‟intégration de la loi ? Autrement dit, une personne qui n‟est pas autonome serait-
elle capable d‟éduquer ? Serait-elle éthiquement « adulte » ?
38
Le fait d‟être géré par des lois toujours imposées de l‟extérieur, par les lois de l‟autre (hétéros). 39
Auto-nomos : Se gérer par ses propres lois (intégrées après avoir été proposées, voire imposées, par
l‟éducation)
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Bref, une éducation qui n’initie pas le sujet au vrai discernement éthique, autonome,
conscient, libre et responsable, serait-elle moralement éducative ? ! !
Bibliographie
FUCHS, Eric : Comment faire pour bien faire ? Introduction à l’éthique, Coll. « Le champ
éthique » : n° 28, Genève : Labor et Fides, 1995, 196 p.
GUINDON, André : Le développement moral, Paris – Otawa : Desclée – Novalis, 1989, 189
p.
LEONARD, André : Le fondement de la morale. Essai d’éthique philosophique, Paris : cerf,
1991, 383 p. LEVINAS, Emmanuel : Autrement qu’être ou au delà de l’essence, Biblio essais, n° 4121,
Paris : Kluwer Academic, 1990, 287 p.
MALHERBE, Jean-François : « L‟essence de l‟humain » , in Pour une éthique de la
médecine, Coll. “Catalyses”, Bruxelles : Editions Ciaco, 1990 (2), pp. 27-
45
MISRAHI, Robert : La signification de l’éthique, Coll. « Les empêcheurs de penser en
rond », Synthélabo, 1995, 185 p.
MISRAHI, Robert : Les actes de la joie, Paris : PUF, 1987
MISRAHI, Robert : Qu'est-ce que l'éthique ? L'éthique et le bonheur, Paris : Armand Colin,
1997, 285 p. (Contient une bibliographie importante sur les oeuvres
classiques et contemporaines) MORIN, Edgar : La méthode. T.1. La nature de la nature, Paris : Seuil, 1977, 400 p.
RICOEUR, Paul : Avant la morale, l’éthique, in Encyclopediae Universalis, Les enjeux*,
1993, pp. 62-66
THEVENOT, Xavier ; JONCHERAY, Jean ; et al. : Pour une éthique de la pratique
éducative, Collection : Relais études, 9 , Paris : Desclée, 1991, 291 p.
THEVENOT, Xavier ; THIEL, Marie-Jo : Pratiquer l’analyse éthique. Etudier un cas.
Examiner un texte, Paris : Cerf, 1999, 408 p.