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peur et humour
ce n'est pas que j'ai peur de la mort, je veux juste ne pas être là quand ça arrivera
Woody Allen“
on oublie souvent que la peur est une émotion
et que lutter contre elle signifie éliminer cette émotion tout en la transformant en une autre
lorsque nos craintes ont cessé d’être
adaptatives...
lorsqu’elles nous limitent au lieu de nous protéger...
il faut attaquer notre angoisse et la substituer par un autre sentiment plaisant
le contenu de notre pensée n’a aucune importance
on peut continuer à penser à la mort, par
exemple, si on le fait d’une façon qui ne résulte plus
limitative
rire est le meilleur antidote contre l’angoisse excessive face à notre propre disparition
on peut continuer à aborder ce sujet si l’on arrive à ironiser
rire est clarificateur
parce que rire c’est changer l’état d’âme
et cela nous met en disposition d’affronter
plus facilement les problèmes
parfois le problème est la peur que nous provoque le fait de penser à la
situation, beaucoup plus que la situation
elle-même
Épictète, le philosophe grec, disait que ce qui nous rend tristes ce ne sont pas les
événements, mais la vision que nous en avons
voilà pourquoi le sens de l’humour est parfait pour sortir de raisonnements circulaires
et l’inéluctabilité de la mort est la pensée sans issue par excellence
à ce propos, nos sérieux, analytiques et transcendentaux arguments ne servent qu’à tourner en cercle...
c’est vrai que personne n’échappe à l’impitoyable faucheuse
et malgré tout on peut continuer à en rire
pour y arriver, certes, nous
devons éliminer la
frayeur que le sujetnous
provoque
et la changer contre un puissant sens de l’humour
au cinéma:
All that jazz et
Golpe de estadio
dans All that jazz, le film de Bob Fosse, nous trouvons une
personne qui, sur le point de mourir, se met à rire de tout
intégrant en choréographie sa négociation avec dieu sur la date de sa mort, sa vie
sentimentale catastrophique, ses haines...
et après en avoir bien ri il fait un adieu tranquille et résigné à la vie
grâce à ce discours le film devient un exemple de mise en scène lucide de la mort
20 ans plus tard, en plein conflit armé en Colombie, le directeur Sergio Cabrera
réalisa un film, Golpe de estadio, dans lequel il ironisait sur la tragégie
dans ce film, ce qui finit par unir
les deux factions qui mènent une
longue lutte fratricide c’est le
football
les 2 films soulevèrent une vive polémique pour la forme insouciante avec laquelle ils abordaient des situations ayant la mort comme protagoniste
les 2 réalisateurs ont dû défendre, dans de nombreuses interviews, la
pertinence de leur point de vue
Sergio Cabrera, par exemple,
répondait ainsi à ceux qui le
critiquaient pour sa forme
d’aborder le sujet:
non seulement le rire apaise, le rire voit“
non seulement le rire apaise la douleur mais permet de la voir
le rire est intelligent
il faut utiliser le rire pour prouver à ceux que croient encore à l’humour
que nous n’avons pas peur
que nous sommes disposés à traverser les frontières paralysantes de la crainte
et à déclencher l’ imaginaire pour la paix
je n’aime pas penser que la paix en Colombie puisse se faire de manière facile ou magique
parce qu’en fait je pense tout le contraire
la paix sera le résultat d’un rude et pénible procès de réconciliation
et je ne veux pas faire de la démagogie pacificatrice
cependant, si la démagogie consiste à donner une réponse simple à des problèmes complexes...
il faut rappeler que nous fermons souvent les yeux à des solutions uniquement parce
qu’elles sont trop simples
et voilà qui est stupide
c’est pour cela que la lecture de Golpe de estadio est simple: mes personnages, qui
sont des héros courants...
“
deviennent des héros pour de vrai en faisant justement ce qu’ils
ne devraient pas faire: la paix
ce qui est une autre façon de dire ce que soulignait
le Comandant Marcos, de l’Armée Zapatiste, en parlant de l’esprit des Chiapas mexicains:
contre l’horreur, l’humour...“
il faut beaucoup rire pour que ce
monde ne devienne pas
carré, et puisse tourner
le rire apaise.
“
parce que le sens de l’humour se trouve au centre de
l’humanisme
il nous permet de résister à la brutalité, à l’injustice
l’humour, cette
expression irréductible de l’ étique
Daniel Pennac
histoire dingue:
la couleur du cristal
l’un des récits les plus connus de H.P.Lovecraft, le maître de la terreur cosmique, portait comme
titre La couleur tombée du ciel
et c’est justement ce qui arriva aux habitants de Puerto Reconquista,
un petit village en Argentine
ils vivaient tranquillement lorsque tout à coup...
une couleur leur est tombée dessus
une boule brillante d’un bleu assez verdâtre se precipita sur le village
pour la plupart d’eux, c’était l’événement le plus étrange de leurs
paisibles vies
ils accoururent donc à l’endroit où l’objet était tombé et essayèrent de
découvrir ce que c’était
pour l’instant, ce qu’ils observèrent c’est que le truc fondait, tout en se transformant en inquiétant liquide couleur bleu verdâtre
certains, plus scientifiques, decidèrent d’en garder des morceaux dans leurs congélateurs
histoire de réaliser une analyse postérieure
mais il y eut d’autres personnes qui ne voulurent pas attendre les résultats des examens:
ils mirent en marche leur pensée magique et commencèrent à créer des légendes à
propos de l’étrange matériau...
quand cela ne faisait pas partie d’un ovni...
c’était l’étrange couleur qui démontrait son origine mystérieuse...
le pas suivant fut, évidemment, celui d’appliquer la pensée par association:
cette couleur tombée du ciel ne pouvait présager qu’un avenir difficile
ainsi donc, malgré les avertissements de la rationnelle et judicieuse maîtresse du village
les mauvais augures firent leur beurre en pronostiquant des malheurs et des calamités aux dimensions cosmiques
la peur commença à s’emparer de Puerto Reconquista.
mais la pensée magique dut finir avec sa mission de compléter les trous...
...lorsque la réalité s’appliqua à démentir la fantaisie
un biochimiste analysa ce qui restait de la chose et
révéla le mystère:
le bleu c’était du liquide désinfectant et le vert c’était... de l’urine
la couleur tombée du ciel sur les habitants de Puerto Reconquista c’étaient...
les restes des toilettes d’un avion
un matériau qui pourrait difficilement effrayer
mais la peur survécut chez de nombreux habitants du village
et d’ici peu on verra probablement apparaître d’ inquiétantes légendes
qui comporteront une perturbatrice couleur bleu verdâtre enveloppant le
tout...
notre pensée magique occupe une place beaucoup plus importante de
ce que nous croyons:
par exemple, beaucoup de nos raisonnements fonctionnent par similitude
si quelque chose semble préjudiciable, c’est que ça l‘est
si une chose apparaît sous
un aspect aimable, c’est
qu’elle n’est pas nuisible
si quelque chose présente une couleur déterminée, alors c’est évident, cela répondra au stéréotype que nous nous sommes créé sur les
choses ou les êtres de cette couleur
un exemple: les méchants des films sont toujours plus laids que les bons
c’est comme si on espérait que les méchants nous feront le plaisir de le paraître, de prévenir physiquement
et tandis que nous essayons de détecter les
méchants grâce à leur visage d’assassins...
quelques charmants psychopathes se baladent tranquillement parce qu’ils sont beaux
nous sommes plus irrationnels de ce que nous croyons
et nos actes sont souvent guidés par des motifs insensés
moralité: pour ne pas nous laisser emporter par des phobies complètement "magiques"
il ne suffit pas d’être informé du caractère inoffensif de l’objet de la phobie
il faut attaquer l’aspect
emotionnel du problème:
si quelque chose nous fait peur, il faut changer ce sentiment
ce que les habitants de Puerto Reconquista pourraient faire de mieux c’est de transformer
la peur en une autre émotion
dans ce cas-là, le rire est un bon candidat
un village qui raconterait des blagues avec le vert pipi et le bleu désinfectant serait un village heureux
les couleurs impliquées seraient les mêmes
mais la couleur du cristal à travers lequel regardaient les habitants effrayés aurait changé
épilogue
En réalité, je préfère la science à la religion. Si l’on me fait choisir entre Dieu et l’air
conditionné, je garde l’air”.“
crédits
Elena Moltó, à propos de Perder el miedo al miedo, de Luis Muiño, Espasa 2007
son blog: www.elhabitatdelunicornio.net