Méneval, Napoléon Joseph Ernest (1849-19.. ; baron de). Baron de Méneval,... l'Impératrice Joséphine d'après les témoignages de ses principaux historiens.... (1910).
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BARON DE MÉNEVAL
Mi M s r Hi i'i.i:N ti'«>r i:s 11AIRK
L'IMPKBA.TRIGE
JOSÉPHINE
u'.vrniis u: TK-MOIUXAIÏ!;DI: M> IT.IM IIVUX nisiunn;.Ns
PARIS
CALMANN-LÉVY, ÉDITEUUS
J. HUE AUliliR, {
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE
Droitsde traductionet doreproductionréservéspourtouslespays.
Coprylglit1910,byCAUUMX-UVY.
BARON DE MÉNEVAL"
MINISTREPLÉNIPOTENTIAIRE
L'IMEJmATRICE
JtfS'ËPfINE
D'APRÈSLETÉMOIGNAGEDE SESPRINCIP X HISTORIENS
PARIS
CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
3, RUE AUDER, 3
INTRODUCTION
Des circonstances particulières nous ont rendu
possesseur de nombreuses lettres, en grande
partie autographes adressées par la reine Hor-
tense à l'abbé Bertrand, ancien aumônier de la
fille de l'impératrice Joséphine, et premier pré-
cepteur de ses enfants. Nous sommes également
en possession de quarante-sept lettres de son fils
cadet, le futur empereur Napoléon III, adressées
au môme abbé Bertrand et qui sont toutes de la
main de ce prince 1.
Dans les lettres de la reine Hortense que nous
avons sous les yeux, il est assez souvent question
naturellement de l'impératrice Joséphine, et c'est
ce qui nous a donné l'idée de retracer, à notre
1. Ces lettres sont toutes inédites.
II INTnODUCTT^N.
tour, les principalos phases de l'existence pleine
d'imprévu et do contrastes do la première femme
de l'empereur Napoléon I*r.
Dès la chute du régime impérial en 1815,
l'outrage et la calomnie se déversaient, cela va
sans dire, sur les principaux personnages do
la famille Bonaparte. L'impératrice Joséphine,
comme on peut aisément le supposer, no fut
pas plus épargnée que les autres. Sa réputation
devint à ce moment l'objet des attaques les plus
injustes; elle a continué de nos jours à être
traitée plus sévèrement qu'équitablement par
quelques auteurs contemporains.
La reine Hortense, vilipendée elle aussi dans
les libelles du temps, ne pouvait manquer de
prendre le parti do sa mèroetde défendre énergi-
quement une mémoire qui lui était si chère. On
conviendra qu'elle aurait eu mauvaise grâce à s'en
abstenir. L'avant-propos qu'elle a placé en tôto
de la collection des lettres do Napoléon à sa pre-
mière femme, curieuse collection qui a paru chez
Didot en 1832, contient d'assez vives critiques
contre plusieurs passages du Mémorial de Sainto-
Ilélône. Si Napoléon eût pu relire a tête roposéo
INTRODUCTION. Ht
ce dernier ouvrage, il est probable quo ses anno-
tations, comme colles qu'il a laissées sur le livre
de Fleury de Chaboulon, eussent plus d'une fois
réformé les jugements placés dans sa bouche par
le transcripteur de ces entretiens.
Quoi qu'il en soit, nous citerons ici quelques
passages do la correspondance do la reine Hor-
tense avec l'abbé Bertrand, correspondance qui
s'échelonne de 1824 a 1836 et qui dura jusqu'au
terme de l'existence do la mère de Napoléon III.
Le 9 mars 1823 elle écrivait à son ancien aumô-
nier une longue lettre dont nous détachons le
passage suivant :
« ... J'ai lu, comme vous, tous ces ouvrages
qui viennent do paraître ; les conversations n'ont
pas lo sens commun. Comment vouloir répéter ce
que l'on a eu souvent do la peiné à bien entendre,
et ce qui est si fugitif quo lo ton, la physionomie
dit quelquefois beaucoup plus que le langage.
Si l'empereur a dit en souriant et d'un air satis-
fait : Ma femme était jalouse, il en paraissait
heureux; M. do Las Cases qui nous a répété cette
phrase, sans pouvoir fairo vivre son papier, et
sans nous peindre l'impression do celui qu'il fait
IV INTRODUCTION.
parler, devient donc rapporteur infidèle, puis-
qu'il nous peint la malveillance, tandis que
c'était uno tondre bienveillance dont il entendait
l'expression. J'en ai pour assurance ce qu'il m'a
dit a Francfort quand je l'ai vu : « Que l'Empe-
» reur aimait votre mère, me disait-il, qu'il m'en
» parlait souvent avec plaisir! J'ai mes papiers
» remplis des éloges qu'il m'en faisait. » Vous
voyez, mon cher monsieur l'abbé, comme il s'est
abusé lui-même, car c'est son livre qui a donné
lieu au libelle dont vous avez été si courroucé
avec raison. C'était une chose nouvelle et piquante
que de dire du mal de ma mère car, pour moi,
c'était uno vieille habitude; aussi j'ai méprisé
ce qui me regardait, ce n'est pas co qui m'a
le plus touchée... »
Dans une autre lettre de la reine Hortense
adressée au même ecclésiastique, écrite à Are-
nemberg le 9 octobre 1825, se rencontre une
critique si vive et si acerbe du Mémorial et de
M. de Las Cases que nous avons hésité a la
transcrire. Cependant comme nous n'avons qua-
lité ni autorité soit pour infirmer les apprécia-
tions de la fille de Joséphine, soit pour les ratifier,
INTRODUCTION. V
lo lecteur pensera, comme nous, que la respon-
sabilité doit en appartenir a cette seule princesse.
Voici lo passage irrité qu'elle consacre à cet
ouvrage si intéressant et si remarquable d'ailleurs
à tant do titres « ... J'ai reçu votre lettre sur
l'ouvrage de M. Dulaure; il est assez simple
qu'il ait puisé dans M. de Las Cases des détails
qu'il a dû croire vrais, et qui eût dit quo men-
songe et calomnie sur l'impératrice Joséphine
vint do là! Si jo n'étais pas si paresseuse, je
voudrais m'amuser a écrire sur le Mémorial ce
quo jo reconnaissais dicté par l'Empereur et ce
qui était du cru de M. de Las Cases. »
Pauvre reine Hortense qu'aurait-elle dit de
nos jours en lisant combien sa mère est mal-
traitée dans certains ouvrages auxquels un public
trop peu sérieux attache une importance qu'ils no
nous semblent pas devoir mériter. Nul n'est bon
jugo il est vrai dans sa propre cause, et, quoi
qu'en dise la femme du roi Louis Bonaparte, le
comte do Las Cases a pu être un plus fidèle inter-
prète dos conversations de Sainte-Hélène que
l'ancienno rcino de Hollande no parait disposée
à lo croire...
VI INTRODUCTION.
Un peu plus 1cm, dans cette même lettre, la
princesse ajoute cette réflexion pittoresque : « Au
reste, je l'ai déjà dit, nous sommes les grandes
marionnettes qu'on fait jouer pour amuser les
passants et pour attirer de l'argent, et je serai
madame la lune ou madame le soleil selon le
caprice du charlatan... »
Ne croirait-on pas cette réflexion écrite pour
ce qui se passe aujourd'hui si souvent dans des
récits prétendus historiques?
Deux autres lettres de la reine Hortenso con-
tiennent encore des passages se rapportant à la
même idée et qui méritent peut-être d'être repro-
duits. Dans l'une d'elles, datée du 3 janvier 1834,
la mère de Napoléon III émet cet aphorisme :
« L'histoire commence 'déjà pour nous et où
va-t-on chercher ce qui me regarde? Dans des
libelles restés sans réponse depuis 1815. »
Enfin pour ne pas abuser de la patience du
lecteur nous terminerons ces citations de la reine
Hortense par un dernier paragraphe tiré d'une
lettre adressée comme les précédentes à l'abbé
Bertrand, et datée du 30 janvier 1835, une année
environ avant la mort de la reine.
INTRODUCTION. VII
« C'est toujou/s le genre do pusillanimité que
je connais : Ne parlons pas du passé ! ne remuons
pas des cendres! dit-on, mais l'histoire, qui se
moquo des cendres et qui no vit quo du passé,
vient vous dessiner uno figure copiée dans des
libelles, et elle reste ainsi tracée à cause do la fai-
blesse et de l'ingratitude des contemporains. Je vis
loin du monde, mon cher abbé, etjenele regrette
pas. Je le vois <ï. M loin et de si haut qu'il me fait
l'effet de devenir plus petit tous les jours; du
moins celui des grandes villes où le bruit, le
mouvement, la poussière vous empêchent do
rien voir et de rien juger sainement. »
Il y a certes beaucoup de vrai dans ces
réflexions d'une philosophie amère, dues à la
plume de la pauvre reine déchue, qui n'a pu
vivre assez longtemps pour assister à l'apothéose
de son fils, l'empereur Napoléon III.
En entreprenant le récit des faits principaux
qui ont marqué l'existence de l'impératrice José-
phine, dont l'histoire a été si fidèlement racontée
par un écrivain de talent, M. Aubenas, nous
n'avons pas la prétention de renouveler ici pour
le lecteur le récit d'une foule d'incidents connus»
VIII INTRODUCTION.
mais nous serons, croyons-nous, en mesure do
lui faire connaître plus d'un détail inédit. Grâce à
des lettres qui ont été précieusement conservées
dans notro collection d'autographes ainsi qu'à
des recherches particulières nous avons l'espoir
d'atteindre ce résultat. En résumé si l'impéra-
trice Joséphine n'a pas été à l'abri do quelques
faiblesses, elle n'a jamais été, selon nous, la
femme égoïste et perverse dont certains auteurs
ont semblé prendre à tâche de flétrir la mémoire
et le bon renom. Elle a été lo bon génie de
Napoléon qu'elle a utilement secondé dans
l'oeuvre du relèvement national, entreprise à la
suite du bouleversement de toutes choses qui
avait été le fruit d'une sanglante révolution. Les
faiblesses qu'on a pu lui reprocher ont été
d'ailleurs singulièrement amplifiées dans des
ouvrages do parti pris. Ceux qui ont lo plus mal-
traité Joséphine, ne parvenant pas à donner des
informations précises sur ses écarts de conduite,
en ont été réduits la plupart du temps à recher-
cher des accusations contre elle dans des pam-
phlets qu'ils s'abstiennent même do citer. On n'a
pu enfin trouver aucun reproche sérieux h lui
INTRODUCTION. IX
adresser, à partir du moment où elle est montée
sur le trône avec son époux. Sa grâce, sa bonté
proverbiale, sa bienveillance pleine de douceur
et de charme lui avaient conquis tous les coeurs ;
elle n'a môme en définitivo éprouvé ni conservé
aucun sentiment de haine ou de rancune contre
ses pires ennemis. C'est un bel éloge que peu de
personnages aussi haut placés que l'impératrice
Joséphine ont mérité de la part de la postérité.
Enfin un dernier témoignage touchant de respec-
tueuse estime a été rendu à sa mémoire par le
duc de Ileichstadt lui-même. Dans une de ses
conversations avec son intime confident, M. de
Prokesch-Osten, le fils de Napoléon s'est exprimé
sur le compte de la première femme de son père
dans les tormes suivants : « Si Joséphine
avait été ma mère, mon père n'aurait pas été à
Sainte-Hélène, et moi je ne languirais pas à
Vienne1!... »
L'infortuné prince avait raison de penser
ainsi, car l'impératrice Joséphine, bien différente
1. Le duc de Reichstadt,par Henri Welschinger, d'après desnotes inédites du chevalier de Prokesch-Osten,p. 53. De Soyoet fils, éditeurs, Paris, 1007.
X INTRODUCTION.
en cola do Marie-Louise, a été surtout une mère
incomparable. La piété filiale à toute épreuve que
ne cessèrent de lui témoigner, de son vivant et
après sa mort, son fils le prince Eugène et sa fille
la reine Hortenso a justifié le propos échappé des
lèvres du duc de Reichstadt et enregistré, à
Vienne, dans les papiers longtemps inédits de
de M. de Prokesch-Osten.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE
CHAPITRE PREMIER
Naissance de Joséphine à la Martinique. — Une négresse luiprédit les plus hautes destinées. —Unede ses tantes, madamede Rcnaudin, a l'idée de faire venir Joséphine en France. —Arrivée de celte dernière et peu de temps après célébrationde son mariage avec le vicomtede Reauharnais. — Des dis-sentiments no tardent pas à se produiredans lejeune ménage.— Naissance d'Eugène de Beauharnais. — M.de Bcauharnaisse sépare de sa femme. — Premiers symptômes révolution-naires. —Naissancede sa fille Hortcnse. —Joséphine, aprèsun séjour a la Martinique, se réconcilie avec son époux.
Maric-Joseph-Rose Tascher do la Pagerio
naquit à la Martinique, dans le domaine do ses
parents, aux Trois Ilots, le 23 juin 1763. Son
père, M. Tascher, avait servi dans les troupes
formant la garnison do cette île et, pendant
la guerre d'Amérique sous Louis XVI, il avait
contribué à la défendre contre les attaques
dés vaisseaux anglais. La mère do la future
impératrice était mademoiselle do Sanois; elle
appartenait également à uno famillo créole. Le
1
2 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
lecteur no doit pas s'attendro à ce quo'l'histoire
généalogique do ces deux familles soit reproduite
dans nos récits. M. Aubenas, l'auteur estimé
d'une biographie do l'impératrice Joséphine, a
donné sur cotto matière do nombreux et intéres-
sants détails, qu'il serait superflu do rééditer 1.
L'éducation pédagogiquo de mademoiselle de
la Pagerie, comme celle de tous les enfants do
famille créole élevés aux colonies, se ressentit
du laisser-aller et de la négligence quo les
parents y toléraient à cette lointaine époque. Si
l'instruction y laissait fortement à désirer, il n'en
était pas de même de l'éducation. Celle qu'on
est à même do recevoir dans un milieu distingué,
dans une catégorie sociale où so maintient le
culte des traditions et le respect des bonnes
manières, ne pouvait manquer do se trouver là,
comme en tout autre pays, particulièrement
soignée. Ce genre d'éducation, dont la privation
se fait toujours sentir, quand elle n'a pas été reçuo
dès l'enfance, no fit point défaut à la future
vicomtesse de Beauharnais; il devait contribuer
à faire de celle-ci la femme du monde accomplie
qu'elle est devenue par la suite.
i. Voir Vllistoirede timpêralriceJoséphine,par J. Aubenas,1850,chezAmyot,éditeur, rue do la Poix.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
La jeunesse de Joséphine s'écoula paisiblement
sous le beau ciel des Antilles dont l'heureux cli-
mat ne connaît ni les hivers ni les frimas, au
milieu des esclaves noirs du domaine paternel. Sa
bonté naturelle la faisait adorer de ces pauvres
gens dont elle était la providence et dont elle
soulageait les misères et les infirmités. Une vieille
négresse, un peu sorcière, lui prédit alors, à en
croire une légende sérieusement accréditée, les
destinées les plus hautes; comme cette prédiction
s'est, par extraordinaire, pleinement réalisée
beaucoup plus tard, on peut y trouver l'origine
du penchant à la superstition que toutes les bio-
graphies de Joséphino sont d'accord pour lui attri-
buer 1.
i. « Presque reine...Plus que reine... Heine voilée... » Tellessont les prédictions faites h trois jeunes filles de la Martinique,à deux époques différentes,par des négresses diseuses de bonneaventure, prédictions toutes trois réalisées.
La première a été faite à Françoise d'Aubigné, réfugiée avecson père à la Martinique. Rien ne faisait présager le succès dela prophétie, tant que Françoise d'Aubigné demeura la femmede Scarron; mais l'on sait qu'elle devint madame de Maintenonet presquereine.
Bien incertaine de l'avenir était Joséphine Tascher de laPagerie, même lorsqu'elle était la femme du général vicomtede Beauharnais. même lorsqu'elle épousa le jeune général Bona-parte qui, pourtant, la fitplus que reine.
Quant à la troisième, qui devait régner dans l'ombre, c'étaitmademoiselle Dubuc de Rivery, contemporaine et parente deJoséphine Tascher. Elle fut enlevée en mer par des pirates
4 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Uno dos tantes do mademoiselle de la Pagerio,
madame do Renaudin, femme de volonté ferme ot
d'imagination fertile, se mit en tôto do la fairo
venir en France et do lui préparer un mariage
avantageux, pour la tante comme pour la nièce.
Cotte paronto de Joséphine, liée depuis longtemps
avec la famille do Reauharnais, rêvait de s'en rap-
procher par des liens plus étroits, En excellentes
relations depuis plusieurs années avec le vieux
marquis do Beauharnais, ancien chef d'escadre,
madame do Renaudin avait fait sa connaissance
autrefois, pendant un des séjours de ce dernier à
la Martinique, et ne l'avait plus perdu de vuo.
Cotte habile personne résolut donc de mettre en
oeuvre toute sa finesse et tout son savoir-faire pour
assurer lo succès de ses négociations matrimo-
niales. Le marquis de Beauharnais avait un fils
fort jeune encore, le vicomte Alexandre, sur lequel
madame de Renaudin avait jeté son dévolu pour
sa nièce. Un jeune homme do dix-neuf ans subit
aisément l'influence d'une femme adroite et insi-
nuante, d'un âge presque double du sien, surtout
et transportée au sérail de Constantinopleoù elle devint sultanefavorite.
Abd-ul-Aziz,petit-fils de cette dernière, rappela en souriantcetto parenté à Napoléon III, lors du voyagedu Sultan à Parispour y visiter l'Expositionuniverselle de 1867.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. S
quand cotto femme ost déjà reçue dans sa famille
paternello sur le pied do l'intimité.
Madame do Renaudin avait su fairo partager
ses vues sur sa jeune nièce par la famille Tascher
de la Pagorio. Une correspondance fort courtoise
do part et d'autre devint le prélude des négocia-
tions entamées pour, faire aboutir cette union, et
Joséphine, accompagnée do son père, s'embarqua
sur la Pomone pour arriver à Brest vers la fin de
l'année 1779. On avait voulu d'abord lui préférer
sa soeur cadette, d'un Age plus en rapport avec
celui d'Alexandre de Beauharnais; mais cette jeune
fillo ne se prêtait à quitter sa famille qu'avec répu-
gnance ; elle devait d'ailleurs, peu de temps après,
terminer sa courte existence à la Martinique.
Dès son arrivée sur le sol de la France, madame
de Renaudin s'empara de sa nièce et s'occupa
de lui faire subir uno véritable transformation.
Cette tante affectionnée, que vingt ans de séjour
dans la capitale du royaume avait rendue une
vraie parisienne, se mit en devoir de donner
à la jeune créole la science du monde et tout
ce qui manquait à une instruction forcément un
peu négligée; puis le mariage de Joséphine et
d'Alexandre de Beauharnais fut célébré le 13 dé-
cembre 1779 dans l'église de Noisy-le-Grand. Le
6 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
mari n'avait quo dix-neuf ans ot la jouno femme
soulement soizo; M. do Beauharnais pouvait-il
posséder l'expérience suffisante et le tact néces-
saire pour bien guider collo-ci dans mainte cir-
constance délicato? La suite do ce récit fera com-
prendre au lecteur qu'Aloxandre do Beauharnais
no sut pas se montror à la hauteur de cotte tàcho
toujours difficilo ; il était véritablement trop jeune
pour qu'il en pût ôtro autroment.
Do son côté Joséphine eut bion quelques petits
torts à so reprocher si l'on on croit une lettre de
son jouno époux, adressée par celui-ci à son
ancien gouverneur M. Patricol, lettre quo nous
avons trouvée dans l'ouvrage do M. Aubenas ot
dont nous reproduisons ci-après quelques extraits ;
« En voyant madomoisolle do la Pagerie, dit-il,
j'ai cru pouvoir vivre heureux avec elle; dès aus-
sitôt j'ai formé le plan de réformer son éducation,
et do réparer par mon zèlo les quinze promières
années do sa vit qui avaient été négligées. Peu de
temps après notro union j'ai découvert en elle un
défaut de confiance qui m'a étonné, ayant pour-
tant tout fait pour lui en inspirer; cette décou^
verte, je vous l'avoue, a un peu refroidi mon zèle
pour son instruction.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 7
» Au lieu do roster uno grande partie do mon
tomps à la maison, vis-à-vis d'un objot qui n'a
rion à me diro, jo sors beaucoup plus souvontquo
jo no l'avais projeté, et jo reprends uno partie de
mon ancienne vio do garçon. Ce n'est pas, je vous
prie do lo croiro, qu'il n'on coûte beaucoup à
mon coeur do renoncor au bonheur quo mo pro-
mettait l'idéo d'un bon ménage. Quoique jo me
sois beaucoup livré au monde, depuis quo je jouis
de ma liberté, jo n'ai cependant pas pordu lo
goût de l'occupation. Je suis tout prêt à préférer
le bonheur do chez moi et la paix domestique aux
plaisirs tumultueux do la société. Mais j'ai ima-
giné, en mo conduisant ainsi, que si ma femme
avait vraiment do l'amitié pour moi, elle forait
des efforts pour m'attiror à elle, et pour acquérir
les qualités que j'aime et qui sont capables de me
fixer. Eh bien! lo contraire de ce quo j'avais
voulu croire ost arrivé... »
Quand un ménage manifeste, dès le début, de
pareils symptômes de mésintelligence, le désac-
cord n'est plus qu'uno question de temps et ne
saurait manquer do s'aggraver entre dos époux
aussi mal assortis. De toutes les causes de rup-
ture du lien conjugal, l'incompatibilité d'humeur
ost sans contredit la plus sérieuse,.puisque les
8 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
replâtrages les plus savants sont incapables d'en
prévenir les effets sans cesso renaissants.
Quoi qu'il en soit Joséphine, après deux ans de
mariage, mit au monde, le 3 septembre 1781,
celui qui devait jolor tant d'éclat sur lo nom do
Beauharnais et devenir par la suite le prince
Eugène, Mais cotte circonstance, qui aurait pu
rapprocher les deux époux, n'amena dans leurs
rapports qu'une amélioration bien passagère,
malgré les efforts de madame do Renaudin et do la
famille de Beauharnais pour la rendre durable et
efficace Bientôt la carrière militaire et son métier
d'officier ropriront sur Alexandre de Beauharnais
tout leur empire et Joséphine se trouva de nou-
veau délaissée par son jouno et volago époux, qui
entreprit, peu de temps après, un voyage à la
Martinique. Le marquis de Bouille s'occupait alors
en effet de réunir les éléments d'une expédition
navale aux Antilles, dans le but de s'emparer de
la Jamaïque et d'obliger ainsi les Anglais à con-
clure la paix. M. de Bouille avait agréé les offres
de service quo lui avait adressées Alexandre de
Beauharnais pour prendre part, sous les ordres
de ce valeureux officier, à la campagne qui se
préparait. Le mari de Joséphine partit en consé-
quence pour Brest en septembre 1782, laissant
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. &
celle-ci oncointo pour la secondo fois; mais à
peino é!ait-il arrivé à la Martinique, où il fit la
connaissance des divers membres do la famille
Tascher, que la nouvelle do la signature des pré-
liminaires do la paix entre la France ot l'Angle-
terre parvint dans la colonie. Lo traité de Ver-
sailles, conclu quelques mois plus tard, restitua
aux Anglais les conquêtes faites dans les Antilles
par M. de Bouille, et rendit ainsi inutile le voyage
du vicomte Alexandre. Lo court séjour de ce der-
nier à la Martinique ne servit qu'à envenimer les
rapports, assez froids déjà, qui existaient entre
lui et la famille de Joséphine Un échange de
lettres assez aigres entre Alexandre de Beauhar-
nais et son beau-père, M. Tascher, acheva de
consommer la rupture de tout espoir de concilia-
tion entre celui-ci et son gendre.
Profondément irrité des reproches contenus
dans la correspondance de M. de la Pagerie,
Alexandre, après une traversée rapide, revint à
Paris dans un état d'exaspération porté à son plus
haut degré contre ses beaux-parents et contre sa
femme. Cotte exaspération ne tarda pas à se tra-
duire par une demando en séparation qu'intro-
duisit devant lo Parlement de Paris, contre sa
femme, l'irascible mari do l'infortunée Joséphine.
10 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Pondant tout lo tomps que ce procès qui dura
près d'un an demoura en instance, la jeune
vicomtesse de Beauharnais résida presque sans
interruption à l'abbayo de Panthemont, ruo de
tironello-Saint-Gormain. En 1783 lui était née
uno fille qui devait devenir plus tard la reine
Hortenso, mère de Napoléon III. L'arrêt du
Parlement do Paris donna gain do causo à José-
phine; toute la famille do Boauharnais avait déjà
auparavant pris parti pour elle contro son mari.
Son beau-pèro, le marquis de Beauharnais, avait
loué, pour sa bolle-fille et pour lui, une maison
à Fontainebleau où Joséphine devait, plus tard,
trôner commo impératrice. Ses tantes mesdames
de Renaudin et Fanny do Beauharnais s'y instal-
lèrent à la môme époque, et tinrent compagnie
dans cette résidence à leur nièce pendant trois
ans environ.
M. Aubenas, dans sa très intéressante histoire
de la première femme de Napoléon Ier nous fait
connaître le nom des principales personnes qui
fréquentaient, à Fontainebleau, chez Joséphine et
chez les Beauharnais. Entre autres noms il men-
tionne ceux do M. de Montmorin, gouverneur do
la ville, de monsieur et de madame deChezac, des
demoiselles Ceconi, de M. Huë et de ses filles, du
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. il
vicomto ot do la vicomtesse do Béthizy, de mon-
sieur et do madame Jamain, enfin de M. d'Acy'.
Au mois de juin 1788, Joséphine do Reauhar-
nais, toujours séparée de son mari et cédant
aux instances do son père et de sa mère, résolut
d'aller retrouver ses parents & la Martinique.
Elle alla s'embarquer au Havre avec sa fille Hor-
tenso, et faillit périr avec le navire qui les
portait, par suite d'une violente tempête qui les
accueillit à la sortie du port. Après une traversée
qui ne fut plus marquée par aucun incident
fâcheux, Joséphine put enfin débarquer dans son
île natale et y trouver une période de calme et de
repos, au milieu de sa famille et des lieux
témoins de son enfance comme de* ses premiers
jeux. Mademoiselle Cochelet, lectrice do la reine
ïlortense, se trouvant au Havre avec cette prin-
cesse en 1815, hésitant entre un embarquement
pour l'Angleterre ou pour les Antilles,-a retenu
les propos qu'elle recueillit de sa boucho au sujet
du voyage à la Martinique accompli en conv?
pagnie de sa mère en 1788. Voici ce que rap-
porte à cet égard mademoiselle Cochelet dans
ses Souvenirs :
1. Aubenas, t. I.
18 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
« Un petit bàtimont partait pour les îles; nous
allâmes le visiter. « Que j'aimerais à faire un
» voyage à la Martinique, mo dit la reino.
» J'avais quatre ans quand jo vins dans ce port
» avec ma mère, qui voulait aller rovoir oncoro
» uno fois sa patrie. Nous nous embarquâmes au
» Havre, ot je mo souviens qu'un vont furieux
» pensa nous faire périr à l'embouchure mémo
» do la Seino. Jo me rappelle très bien les ter-
» reurs de ma mère, mais j'ignoro où nous
» étions logées. »
» Elle me racontait, assiso dans ce bâtiment,
ses souvenirs des îles où elle resta jusqu'à l'âge
de sept ans; elle me décrivait les lieux où était
placée l'habitation de sa grand'mère; elle n'avait
pas oublié les esclaves qui la portaient en palan-
quin, ni ces pauvres noirs quo l'Impératrice ne
voulait jamais qu'on punît. »
Cependant des symptômes inquiétants, avant-
coureurs de la révolution, se manifestaient en
France, et la répercussion s'en faisait sentir jus-
qu'aux antipodes. Les habitants, paisibles jus-
qu'alors, de la Martinique, en ressentaient eux-
mêmes le contre-coup. Le vicomte Alexandre de
Beauharnais avait été l'un des premiers à se faire
le champion des idées libérales, fort en faveur à
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 13
Paris dopuis la terminaison do la guorre qui avait
eu pour résultat l'émancipation des États-Unis.
Le temps heureux des distractions mondaines,
des fêtes joyeuses ot des plaisirs faciles avait pris
fin. Des réflexions, des préoccupations plus
sérieuses commençaient à envahir même les plus
jeunes cerveaux. L'existence dissipée, menée
jusque-là par Alexandre de Beauharnais, n'était
plus de saison. Il le comprit et commença à
regretter la* perte de sa femme et celle d'un [inté-
rieur auquol il avait paru, pondant plusieurs
années, attacher si peu de prix. Le mari de [José-
phine, assagi par les prodromu de la crise qu'il
pressentait, s'amendait à la fin et faisait des
démarches pour obtenir le retour de sa femme et
do sa fille; l'heure d'une réconciliation durable
allait-elle enfin sonner? Joséphine le pensa, et,
malgré les instances de ses parents pour la retenir
au milieu d'eux, elle fit ses préparatifs de départ,
vers la fin do 1790, pour aller reprendre s'a place
au foyer de son époux. Après une rapide traversée
madame de Beauharnais rentra donc à Paris, dans
le courant du mois d'octobre, et reçut de son
mari et de son fils Eugène, alors âgé de dix ans,
un affectueux et cordial accueil.
CHAPITRE II
Alexandrede Beauharnais, épris des idéesnouvelles,devient un
personnage politique. — Fuite do Varennes. — Beauharnais
président de l'Assemblée Nationale — Retour d'Alexandrede Beauharnais à son métier d'offleier.— Il est nommé gêné*rai en chef de l'armée du Rhin. — 11ne'tarde pas a donnersa démission en présence des suspicions dont il est l'objet.—
Énergique attitude de Joséphine pour sauver son mari incar-céré. — Elle est & son tour arrêtée et emprisonnée, —
1794. Alexandre de Beauharnais monte sur l'échafaud le6 thermidor. — La chuto de Robespierresauve la vie de José-
phine dont la condamnation avait été prononcée,
En dépit du proverbe qui prétend que a les
absents ont toujours tort », il arrive parfois que
la séparation prolongée de deux personnes en
désaccord suffit pour les ramener à une plus juste
appréciation des choses, et à rétablir entre elles
la bonne intelligence. C'est ce qui se produisit
pour la période, bien courte d'ailleurs, du rap-
prochement de Joséphine avec son mari. Ce ne
seront plus les orages intérieurs, mais la tempête
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 15
révolutionnaire qui biontôt va rompre, à tout
jamais, le lien qui unissait les doux époux.
Pendant l'absence de Joséphine Alexandre de
Beauharnais, épris des idées nouvelles, était de-
venu un porsonnago politique. La noblesse du
bailliage de Blois l'avait élu député aux États-
Généraux; il avait à cetto époque lo grade de
major d'infanterie. Plein d'illusions généreuses
et de confiance dans le mouvement réforma-
tour qui so dessinait, lo jeune mari de Joséphine
avait été l'un des quarante-sept membres do la
noblesse, qui, à l'issue de la séance où fut prêté
le serment du jeu do paume, votèrent la réunion
de leur ordre à celui du tiers état. Dans la
fameuse nuit du 4 août il s'était montré l'un des
plus empressés à faire le sacrifice des droits
féodaux qu'il tenait de sa naissance. Cette atti-
tude, si conforme aux aspirations de la majorité
des esprits, à la fin du xviu 9siècle, valut à M. de
Beauharnais d'abord d'être élu secrétaire de
l'Assemblée Nationale, et, un peu plus tard, d'en
devenir le Président.
Dès son retour en Franco et son arrivée à Paris,
Joséphine avait été s'installer dans un hôtel
occupé par son mari rue de l'Université en face de
la rue de Poitiers. Elle ne tarda pas à y recevoir
-16 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
la nouvello do la mort do son père, survenuo,
pou de jours après qu'elle eut quitté la maison
patornello, lo 0 novembre 1790. La vicomtesse
do Beauharnais avait alors vingt-sopt ans ot
son mari tronto. Elle était dans tout l'éclat de la
jeunesso, et sos manières étaient devenues par-
faites. Le livre do M. Aubenas nous apprend
encore quelles étaient les personnes qu'elle rece-
vait dans l'intimité. C'étaient, indépendamment
de son beau-père et do ses tantes, mesdames
Fanny de Beauharnais et de Renaudin, le comte
Mathieu do Montmorency, le duc de la Roche-
foucauld, parent de son mari, le marquis de
Caulaincourt, le prince de Salm-Kirbourg et la
princesse de Hohonzollorn sa soeur. Le dévoue-
ment de ce prince de Salm, pour ramener les
enfants do Joséphine à leur mère, demeuréo à
Paris, devait par la suite, au plus fort de la
Terreur, lui coûter la vie 1.
Cependant les événements so précipitaient;
chaque jour pour ainsi dire était marqué par
quelque nouvelle alerte. Le 20 juin 1791 Paris,
en se réveillant, apprenait la fuite du malheu-
reux Louis XVI et de la famille royale qui
1. Aubenas, 1.1.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 17
allaient être arrêtés à Varennes. Alexandre de
Beauharnais présidait alors l'Assemblée; ce fut
dono en cette qualité qu'il eut mandat d'informer
de cet événement troublant les députés de la
France. Le compte rendu du rôle politique joué,
dans les Assemblées, par le premier mari de
Joséphine, ne saurait entrer dans le cadre de
notre récit, Nous renvoyons en conséquence les
lecteurs qui seraient curieux d'en être instruits à
l'ouvrage si intéressant et si documenté de
M. Aubenas. Nous nous bornerons à répéter seu-
lement, après lui, qu'Alexandre de Beauharnais,
comme s'accordent à le dire tous ses biographes,
fit preuve d'une dignité et d'une aptitude à
diriger une grande Assemblée qui lui ont mérité
des éloges et des applaudissements unanimes,
aussi bien de la part de ses, amis que de celle de
ses adversaires.
L'Assemblée législative avait succédé à l'As-
semblée Natipnale et l'Europe, irritée de l'avilis-
sement infligé à la royauté dans notre pays,
prenait contre lui une attitude menaçante. Le
vicomte de Beauharnais se souvint qu'il étaiV
soldat. Après avoir été désigné pour rejoindre
l'armée du nord, commandée par Luckner> il
18 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
obtint ensuite le commandement d'un camp
placé sous Soissons. Bientôt après il se voyait
attaché, en qualité de maréchal de camp et de
chef d'ôtat-major, à l'armée du Rhin sous les
ordres du général do Biron.
Pendant ces préparatifs do guerre, la Révolu-
tion, poursuivant sa marche, faisait des progrès
rapides. Louis XVI et sa famille, après les humi-
liations du 20 juin 1792 étaient incarcérés au
Temple lo 10 août. Le 11 du même mois le duc
de la Rochefoucauld, ce parent d'Alexandre de
Beauharnais, était égorgé à Gisors, presque en
même temps quo le comte Charles de Rohan-
Chabot était à Paris victime des massacres de
l'Abbaye. Ce dernier était le neveu, lo condis-
ciple et l'ami d'Alexandre. Quelques semaines en
effet après lo 10 août avaient lieu les abomi-
nables massacres do septembre, la réunion do la
Convention ot la proclamation do la République.
Enfin le 21 janvier 1793 le supplice du faible et
débonnaire Louis XVI inaugurera le régime de
la Terreur et le règne de l'échafaud.
Madame de Beauharnais, pendant le cours de
cette période si fertile en horreurs, pleurait le
sort do l'infortuné monarque ot de la famille
royale, habituée qu'elle était depuis son enfance
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 19
à aimer et à respecter ces malheureux souverains.
Elle devait se féliciter néanmoins de savoir son
mari aux frontières, loin des pourvoyeurs de la
guillotine et de la pique des sans-culottes massa-
creurs. Joséphine avait cru devoir, dans ces tra-
giques circonstances, confier momentanément
ses enfants à son amie la princesse de Hohen-
zollern-Sigmaringen, réfugiée à cette époque en
Artois; elle espérait ainsi les mettre à l'abri de
toute espèce de danger. Mais le général de Beau-
harnais, mis au courant de ce déplacement,
envoya de Strasbourg un courrier pour exiger
le prompt retour d'Hortenso et d'Eugène à Paris,
ce qui fut exécuté, mais devint si funeste au
malheureux prince de Salm-Kirbourg, ainsi que
nous l'avons dit.
Pendant ce temps le vieux marquis de Beaju-
harnais, beau-père de Joséphine, continuait à
résider tranquillement à Fontainebleau où, grâceà un certificat de civisme obtenu au mois de
février 1793, il ne fut nullement inquiété.Madame de Renaudin, fort aimée dans la ville et
toujours habile à se tirer d'affaire, lui tenait
bonne ot fîdèlo compagnie, trouvant encore les
moyons do venir en aide à sa nièce. Joséphine le
plus souvent restait à Paris, dans sa maison de
20 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
la rue do l'Université, pour bien témoigner la
confiance qu'elle et son mari, devenu sur ces
entrefaites général en chef de l'armée du Rhin,
mettaient on la faction révolutionnaire, devenue
toute puissante dans cette ville si éprouvée.
C'était là certes une confiance plus simulée que
réelle et que l'événement n'a, comme on le sait,
justifiée en aucune façon! Quoi qu'il en soit José-
phine no demeurait pas inactive. Elle recueillait
et transmettait à son mari, avec le plus grand
soin, tous les renseignements qu'elle jugeait pou-
voir lui être utiles, aidée en cela par ses tantes.
Les nouvelles de l'armée du Rhin, transmises
à l'Assemblée par le général do Beauharnais, en
date du 22 juillet 1793, paraissaient d'un bon
augure ot semblaient faire présager, dans, un
avenir prochain, la levée du siège de Mayenco,
entrepris par les coalisés. On se rendra aisément
compte de la stupeur ot do la fureur du comité
de Salut public, lorsque le trop fameux Barôre,
qui en faisait partie, annonça le 28 juillet à la
Convention quo la place de Mayence avait au
contraire succombé, ayant été, disait-il, livrée à
l'ennemi, en vertu d'une infâme capitulation, le
23 du présent mois! L'armée commandée par
Beauharnais se vit, par suite de cet événement,
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 21
dans l'obligation de rétrograder et de se replier
en bon ordre sur ses anciennes positions à Wis-
sembourg. La prise de Valenciennos vint aug-
menter, bientôt après, l'exaspération des Jaco-
bins do Paris, ot leur haine aveugle ne tarda pas
à se diriger contre tous les officiers ci-devant
nobles. Beauharnais crut alors devoir donner sa
démission du commandement do l'armée du
Rhin. Celte démission ne fut d'abord point accep-
tée, bien qu'il eût offert de servir, dans cette
même armée, sous les ordres de tel chef qu'il
plairait à la Convention de lui donner. Peu
ambitieux par nature il avait précédemment
refusé, uno fois déjà, le ministère de la guerre
où l'on avait manifesté lo désir de le voir rem-
placer l'incapable Bouchotte. Alexandre de
Beauharnais tomba malade et sa démission finit
par être forcément accoptéo. Il rejoignit aussitôt
sa femme et ses enfants, le 25 août, pour se réfu-
gier, avec eux, dans la propriété de sa famille
à la Ferté-Beauharnais, près do Blois, où il ne
tarda pas à être élu maire do sa commune.
En dépit du témoignage de confiance dont il
venait d'être l'objet do la part do ses concitoyens,
le général démissionnaire se sentait sérieusement
menacé, et vivait dans uno inquiétude porpé-
22 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
tuellè, tout en cherchant à se faire illusion sur
le sort qui l'attendait. Il était à peine revenu
depuis quelques jours dans ses foyers, quand la
nouvelle de la prise de Toulon par les Anglais
motiva, le B septembre, un décret établissant
une véritable loi des suspects. Aux termes de ce
décret le Moniteur du 19 septembre déclarait en
effet suspects : les gens qui, soit par leur conduite,
soit par leurs relations, soit par leurs propos
ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la
tyrannie et du fédéralisme, et ennemis de la
liberté, ceux des ci-devant nobles, ensemble les
maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères
ou soeurs ou agents d'émigrés qui n'ont pas
constamment manifesté leur attachement à la
Révolution.
Ce décret, rendu contre 1er officiers démission-
naires ou destitués, était en réalité dirigé surtout
eontre les officiers d'origine noble qu'il s'agissait
de frapper. Lo frère aîné d'Alexandre de Beauhar-
nais était parti en émigration, double motif pour
considérer lo cadet comme suspect. De là à la
prison et à l'échafaud la distance était courte.
Joséphine le comprit et se montra parfaite dans
ces cruelles circonstances. Plaçant son espoir
dans la protection divine, elle lia son sort à
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 23
celui do son époux avec autant de courage que
de fermeté.
Cependant, l'année 1794 allait devenir fatale
au ménage do Beauharnais que tant de motifs dési-
gnaient à la suspicion haineuse des terroristes.
Alexandre do Beauharnais, arrêté dans le cou-
rant do janvier, se voyait d'abord écrouô au
Luxembourg ainsi que plusieurs do ses compa-
gnons d'armes, quo leur trop grande confiance
dans la République ne pouvait qu'entraîner à
leur perte. Beaucoup d'entre eux, Beauharnais
un des premiers, auraient pu se dérober au
supplice en s'éloignant de la France, devenue
pour tant do bons citoyens une terre inhospita-
lière. Mais les principes du mari do Joséphine,
demeurés inflexibles à cet égard, no lui avaient
pas permis do quitter sa patrie et de suivre
l'exemple do son frère aîné.
Joséphine, malgré sa douceur native et son
indolence créole, fit prouve dans ces circonstances
d'une énorgio qu'on ne lui aurait pas soup-
çonnée. Dans plusieurs autres moments de crise,
pendant le cours do son oxistenco si mouve-
mentée on verra se rôvélor chez elle une force
de caractère dont ses contemporains seront sur-
pris. Uno àmo plus timide et moins courageuse
24 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
que celle de Joséphine aurait pu se laisser émou-
voir par tant d'événements tragiques et de dan-
gers menaçants. Madame de Beauharnais, loin
de perdre la tête, no songea pas un seul instant
à la fuite. Elle était mère en même temps
qu'épouse cependant, et son mari no lui avait
guère donné de sujets particuliers d'attache-
ment. Elle sut néanmoins comprendre son devoir
dans toute son étendue, déployant la plus grando
activité pour obtenir l'élargissement do celui-ci.
« Démarches, visites, lettres, sollicitations, prières,
rapporte M. Aubenas, elle ne négligea rien, pro-
digua tout. Mais ce fut en vain. » Pendant le pre-
mier trimestre do l'année 1794, 8000 suspectsétaient enfermés dans les prisons de Paris ' !
L'attitude si courageusement imprudente de
Joséphine ne pouvait manquer do lui devenir
funeste. On l'arrêta vers le milieu d'avril pour
l'enfermer dans l'ancien couvent dos Carmes,
devenu une prison, où son mari obtint d'être
également interné, bien quo dans un quartier
séparé do celui de sa femmo. La plus grande
douleur de Joséphine fut alors do so trouver éloi-
gnée do ses enfants sans savoir ce qu'ils allaient
I. Aubenas, 1.1.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 2B
devenir car, à toutes les époques de sa vid, elle
fut toujours pour eux la meilleure et la plus
tendre des mères.
L'ouvrage plusieurs fois cité de M. Aubenas
donne des détails circonstanciés sur l'attitude de
Joséphine en prison. Parmi les compagnes de
prison de la future impératrice, il nomme deux
femmes d'un genre do célébrité bien différent.
L'une, la duchesse d'Aiguillon, l'autre la belle
madame Tallion, que lo lien conjugal n'unissait
pas oncoro au fameux Conventionnel. Notre-
Dame-dc-Thermidor, comme on l'a surnommée
depuis, allait puissamment contribuer, par l'amour
qu'elle avait su inspirer à Tallien, à amener la
chute do Robespierre et la fin du règne de la Ter-
reur. Comme partout où Joséphine s'est montrée
et a résidé, elle sut rallier autour d'elle, dans cette
prison dos Carmes, tous les coeurs et toutes les
sympathies. Sa bienveillance naturelle, son admi-
rable égalité de caractère, ses manières aimables
et polios lui attirèrent, en captivité comme plus
tard sur lo trôno, l'affection do tout le monde,
Ses enfants venaient la visiter quelquefois dans
sa prison, après qu'on eût tenté, vainement, on
leur nom, une démarche tendant à provoquer
l'élargissement de leur môro. M. Arnault, l'acadé-
26 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
micien, raconte dans ses Souvenirs d'un sexagé-
naire, le rôlo joué par un carlin appelé Fortuné,
pour apporter à Joséphine des nouvelles du
dehors, au moyen de billets dissimulés sous le
collier du fidèle animal. Aussi ses maîtres profes-
sèrent-ils, tant qu'il vécut, un véritable culte
pour le brave chien qui leur avait été si utile.
Pendant ce temps, la guillotino fonctionnait
sans interruption, fauchant, sans se lasser, des
milliers de tètes innocentes. Alexandre de Beau-
harnais, après six mois de captivité et d'angoisse
cruelle, dut subir à son tour le sort de tant de
malheureuses victimes, ot le 6 thermidor (26 juil-
let 1794) sa tète tombait sur l'échafaud. Avant
de franchir lo redoutable passage, l'infortuné
Beauharnais avait écrit une longue lettre à sa
femme; trois jours de plus de séjour en prison
ot lo 9 thermidor l'eût sauvé l La chute do Robes-
pierro fut lo signal du salut pour un grand
nombre do prisonniers destinés au dernier sup-
plice, ot on particulier, pour Joséphine, dont
l'arrêt de mort avait été prononcé.On dit qu'uno femme du peuple apprit aux
détenus do la prison des Carmes l'exécution de
Robespierre au moyen d'une mimique expres-sive t elle aurait tout d'abord étalé sa robe sous
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 27
les regards des prisonniers, puis aurait brandi au
bout de ses doigts une pierre, enfin, réunissant
les deux symboles, elle aurait terminé sa panto-
mime en faisant, à plusieurs reprises, le geste de
se couper le cou'....
Dès que Joséphine put se retrouver enfin libre,
elle se hâta de fuir Paris, avec ses enfants, au plus
vite, pour se réfugier à Fontainebleau, auprès de
ceux de ses parents qui étaient parvenus, comme
elle, à se soustraire à tant de dangers.
1. Aubenas, 1.1.
CHAPITRE III
i796-i797. Calomniesdont Joséphine a été la victime. — Pé-nurio dans laquolle cllo se trouva par suite de la confiscationdes biens du général de Beauharnais.— Voyagedo Joséphineet do ses enfants à Hambourg.— M.Mathiessen. — Retour& Paris. — Hortcnse de Beauharnais placée chez madameCampa — Eugène, son frère, chez lo général Ronaparto.—Relations qui s'établissent a la suite de cette visite entre José*phino et Bonaparte. — Portrait de Joséphine. -- Mariagedemadame de Beauharnaisavec lo général Bonaparte.—Pas demariage religieux. — Douzejours après, départ de Bonapartepour l'armée d'Italie. — Heureuse influence qu'exercera José-phine sur son second mari.
Los racontars plus quo fantaisistes do made-
moiselle Lcnormant aussi bien que les outrageux
mensonges du juif anglais Goldsmith, au com-
mencement du xixe siècle, ont défiguré l'histoire,
la physionomie, le caractère do l'impératrice José-
phine. Ce no peut être sur dos écrits aussi peu
dignes de fixer l'attention que le lecteur doit être
mis à même de se former une opinion sur la
personnalité vraie do la première fommo de Napo-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 29
léon. Aucun historien sérieux, croyons-nous, ne
s'occupera de rééditer les extravagances de ces
fables aussi impertinentes que ridicules. Deux
années vont séparer le veuvage de .Joséphine de
son second mariage avec le général Bonaparte.
Nous n'insisterons pas plus qu'il n'est nécessaire,
sur les faits et gestes de la veuve du général
de Beauharnais pendant cette courte période de
temps. ,"
/j
Les biens de ce dernier avaient été confisqués
pendant le cours de la période révolutionnaire;
Joséphine et ses enfants ainsi que tous les pa-
rents de son mari, demeurés à Fontainebleau,
se trouvaient par conséquent réduits à un état
do pauvreté voisin de l'indigence. Madame de
Beauharnais n'avait plus de secours pécuniaire à
espérer que du côté de madame de la Pagerie, sa
mère, restée dans sa propriété des Trois Ilots à la
Martinique. Mais cette malheureuse colonie ne
pouvait elle-même communiquer avec la mère
patrie que bien difficilement, éprouvée comme
elle l'était par une sorte de guerre civile et par la
conquête anglaise. Des négociants de Dunkerque,
un M. Emmery entre autres, vinrent généreuse-
ment au secours de Joséphine dans ces instants
do détresse. Liés de longue date avec la famille
30 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
de la veuve du général, ils lui avancèrent les
sommes nécessaires pour subvenir à ses plus
pressants besoins, en attendant que madame de
la Pagerie pût se trouver en mesure de faire
parvenir de l'argent à sa fille et à ses petits
enfants.
En attendant l'arrivée de ces subsides, José-
phine et ses enfants eurent à passer do bien durs
moments, et madame Ducrest dans ses Mémoires
(chapitre xxxvi) ne nous a pas laissé ignorer
qu'au cours de la disette à Paris de l'année 1795,
madame de Beauharnais fut souvent heureuse de
trouver chez uno personne obligeante et riche,,
madame Dumoulin, ce que la première a appelé
elle-même son pain quotidien '.
Dans la deuxièmo quinzaine d'octobre 1798,
Joséphine et ses enfants se mirent en route pour
Hambourg, afin d'être plus aisément en commu-
nication avec la Martinique, et pour en recevoir
plus facilement des secours. Un banquier de cette
ville, M. Mathiessen, homme obligeant et ser-
viable, rendit à madamo do Beauharnais, pendant
son séjour à Hambourg, les plus grands services.
Les sommos envoyées de la Martinique par
1. MadamoDucrest, Mémoiressur VimpératriceJoséphine(Édi-tion Barba).
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 31
madame de la Pagerie à sa fille s'élevèrent, aux
termes d'une lettre de Joséphine elle-même, au
chiffre respectable de vingt-cinq mille francs,
envois échelonnés successivement en plusieurs
fractions. C'était pour cette époque troublée une
spmme d'argent considérable.
« Ainsi, dit. encore M. Aubenas auquel il faut
toujours revenir quand on parle de l'impératrice
Joséphine, c'est à ses amis de Duiikerquo ot de
Hambourg, c'est à sa mère et non à d'autres
que, dans son honorable misèro, la courageuse
mère do famille s'est adressée. Des lettres d'elle,
authentiques, simplement, naïvement écrites nous
apprennent tout ce que nous ignorions sur cette
partie do la biographie de la première femme de
Napoléon 1. »
Dès quo Joséphine fut en mesure de ne. plus
devoir rien à personne, elle s'empressa de revenir
à Paris, dans le courant de l'annéo 1798, ot de
placer sa fille Hortenso dans le pensionnât nais-
sant, mais bientôt célèbre de madamo Campan.
Nous ne nous occuperons pas spécialement dans
nos récits, de cette femme remarquable dont
l'histoire est assez connue.
1. Aubonas, t. !.
32 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
La journée du 13 vendémiaire avait à cotte
époque fondé l'importance du général Bonaparte,
et lui avait valu le commandement en chef do
l'armée de l'intérieur avec résidence à Paris. Le
fils de Joséphine, le futur princo Eugène, alors
âgé d'environ quatorze ans, vint un jour trouver
Bonaparte pour lui demander de lui faire restituer
l'ôpée de son père, le général de Beauharnais. <cCe
jeune homme, dit le rédacteur du Mémorial de
Sainte-Hélène, était Eugène de Beauharnais,
depuis vice-roi d'Italie. Napoléon, touché do la
nature de sa demande et des grâces de son âge, lui
accorda ce qu'il désirait. Eugène se mit à pleurer
en voyant l'épéo de son père. Le général en fut
touché et lui témoigna tant de bienveillance que
madame de Beauharnais se crut obligée de venir,
le lendemain, lui en faire des remerciements.
Napoléon s'empressa d'aller lui rendre sa visite.
Chacun connaît la grâce extrême de l'impératrice
Joséphine, ses manières douces et attrayantes.
La connaissance devint bientôt intime, et ils ne
tardèrent pas à se marier 1. »
Tels furent les débuts des relations qui s'éta-
blirent entre le futur empereur Napoléon et la
future impératrice, sa première femme.
1. Mémorialde Sainte-Hélène,par le comte de Las Cases.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 33
Le 4 novembre 1795 avait ou lieu l'introni-
sation du Directoire au Luxembourg. Bonaparte
no prévoyait guère encore sa prestigiouso des-
tinée, ot songeait très bourgooisomont à so créer,
en se mariant, un établissement convenable. Il
avait voulu d'abord épouser Désirée Clary, la
belle-soeur de son frèro aîné Joseph, jouno per-
sonne qui allait devenir un peu plus tard madame
Bornadotte et par la suite reine do Suôdo. Il avait
également pensé à so transporter à Constanti-
nople, avec la mission de réorganiser en Turquie
l'artillerie du Sultan. Sa destinée lui réservait,
comme on le sait, un avenir bien différent.
Madame de Beauharnais venait d'acquérir la
maison du célèbre Talma situéo ruo Chantereine.
La restitution d'une partie des biens confisqués au
général de Beauharnais, pendant la période persé-
cutrice de la Révolution, et des envois réguliers de
fonds, provenant do la Martinique, avaient permis
à Joséphine do reprendre un certain état de mai-
son. Elle recevait donc chez elle, avec sa bonne
grâce accoutumée, les célébrités politiques, litté-
raires et artistiques du jour, avec ce qui restait
de la bonne société de Paris. Le général Bona-
parte devint promptement un des familiers les
plus assidus du salon de madame de Beauhar-
3
34 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
nais, s'y formant aux bonnos maniôros, on atten-
dant d'y puiser, uno fois marié avec Joséphine,
dos ôlémonts do popularité ot d'influenco poli-
tique.
Madame do Beauharnais avait alors trento-deux
ans ot le général vingt-six, ot voici lo portrait flat-
teur quo nous ont conservé de Josôphino les
mémoires do Constant, premier valet do chambro
de Napoléon :
« L'impôratrico Joséphine était d'uno taille
moyenne modeléo avec uno rare perfection : elle
avait dans les mouvements uno souplesse, une
légèreté qui donnaient à sa démarche quelque»
chose d'aérien, sans exclure néanmoins la ma-
jesté d'uno souveraine. Sa physionomie expres-
sive suivait toutes les impressions de son Amo,
sans jamais perdre de la douceur charmanto qui
en faisait le fond. Dans le plaisir comme dans la
douleur, elle était belle à regarder. Jamais femmo
ne justifia mieux qu'elle l'expression que les yeux
sont lo miroir de l'âme. Les siens, d'un bleu
foncé, étaient presque toujours à demi fermés
par de longues paupières, légèrement arquées, et
bordées des plus beaux cils du monde; ot, quand
ello regardait ainsi, on se sentait entraîné vers
elle par une puissanco irrésistible. Il eût été dif-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 35
ficilo à l'Impératrice do donner de la sévérité à
ce séduisant regard; mais elle pouvait ot savait
au besoin lo rendre imposant. Ses choveux étaient
fort beaux, longs et soyeux; lour teint, châtain
clair, so mariait admirablement à celui do sa
peau, éblouissante do finosse et de fraîcheur.
» ... Mais ce qui, plus quo tout le reste contri-
buait au charme qui émanait d'elle c'était lo son
ravissant do sa voix. Que de fois il est arrivé à
moi, comme à bien d'autres, de nous arrêter tout
à coup on entendant cette voix, uniquement pour
jouir du plaisir de l'entendre! On ne pouvait
peut-être pas diro que l'Impératrice était une belle
femme, mais sa figure toute pleine de sentiment
et de bonté, mais la grâce angôliquo répandue
sur toute sa personne, en faisait la femmo la plus
attrayante 1. »
Joséphine a dû produire sur Napoléon la même
impression quo celle dont vient do nous parler
Constant qui l'a ressentie, comme beaucoup de
contemporains, d'une façon si intense. Mais ce
fut surtout, dès le début, comme le dit très
bien M. Aubenas, par sa suprême distinction,
par cette supériorité de manières et de ton, que
i. Mémoiresde Constant,premier valet de chambre de Napo-léon.
36 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Bonaparto lui reconnaissait sur lui, que madamo
do Beauharnais opéra, sans préméditation, son
oeuvre do séduction pleine do charmo 1. M. Aube-
nas n'a pas ignoré la légcndo do la liaison de
Joséphino avec Barras qui, à on croire ses par-
tisons ot sos propagateurs, aurait valu au jeune
époux do la jolio veuve le commandement de
l'armée d'Italie. Il on parlo avec une discrétion
plcino do ménogements ; mais il s'inscrit résolu-
ment en faux contre cotte supposition qui, selon
lui, ne reposerait sur aucune base sérieuse.
D'après lui co serait à Carnot, lo membre le plus
intègre du Directoire, que Bonaparte sorait rede-
vable do sa nomination do général en chef de
l'arméo d'Italio; assertion qui s'est trouvéo con-
firmée dans un passage des Mémoires qui ont
1. Mémoiresde mademoiselleGeorges,d'après le manuscrit ori-ginal, par A. Chéramy, 1908.
Visitoà Saint-Cloud; «Elle (mademoiselleRaucourt,l'actrice)était reçuo très souvent chez madame Bonaparte (femme dupremier Consul).Nousprimes la route de Saint-Cloud,et made-moiselleRaucourt fut admise à l'instant. Je vis donc cette belleet gracieuso Joséphine qui vint a nous avec le sourire qui dosuite vous attirait &elle; ses yeux si doux et si attirants! Elleétait si bonnol Elle vous mettait &l'aise, mais avec sa distinc-tion, avec cette élégante simplicité qui n'appartenait qu'à elle.Il y avait dans toute sa personne uno suavité qui vous mogné-tisait. Impossiblede ne pas se courber devant cette influencemystérieuse,ce charme si doux.On l'aimait avant de l'entendre;l'on sentait qu'elle portait bonheur. >
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 37
été publiés sur co personnage célôbro 1. Quoi qu'il
en soit Josôphino repoussa tout d'abord l'idée
d'un second mariage dont sos enfants no so sou-
ciaiont guère ot quo mémo ils appréhendaient
vivement. Elle n'était point insensible aux soins
do plus en plus empressés dont l'entourait le
général Bonaparte, mais son coeur, loin d'être
pris, la laissait dans un état do tiédeur qu'elle
était presque tentée de se reprocher comme une
ingratitude. La famille Tascher do la Pagerio, ses
tantes mesdamos do Beauharnais et de Renaudin
encourageront Josôphino à contracter cette nou-
velle union. Son beau-père lo marquis de Beau-
harnais, lui-môme, no souleva à cet égard aucune
objection. La veuve d'Alexandre de Beauharnais
hésita quelque temps encore, se souvenant de son
premier mariago qui n'avait pas été heureux,
redoutant le caractère autoritaire et décidé du
général, plus jeune qu'elle, qui aspirait à obtonir
sa main. Enfin le 19 ventôse (9 mars 1796) la
cérémonie du mariago do Bonaparte et de José-
phine fut célébrée à Paris, à la mairie du ne arron-
dissement. Aucune église n'était encore rouverte
et les nouveaux époux so dispensèrent de faire
i. Aubenas, 1.1.
38 L IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
bénir leur union par lo ministère d'un prêtre.
Malgré le malhour do cos temps révolutionnaires
cetto négligence à remplir un si impérieux devoir,
pour uno femmo appartenant à un milieu comme
colui dans lequel était née ot avait vécu Josôphino,
est fait pour surprendre désagréablement ses
admirateurs. On en est induit à conclure qu'à la
Martinique son instruction religieuse, aussi bien
quo ses études, durent être singulièrement négli-
gées, Bion d'autres femmes à sa place, plus pieu-
sement élevées que mademoiselle do la Pagerio,
n'eussent point consenti à se marier, malgré la
formeture des Eglises, par le seul ministère d'un
officier do l'état civil. Cetto faute grave, dont son
second mariago demeure entaché, devait so trou-
ver cruellement expiée plus tard, en 1809, par
cotte femme aimable, bonne et intelligente, mais
légère et trop peu sérieuse, il faut bien en conve-
nir, si l'on veut la juger sans partialité.
Quant à l'acte civil du mariage contracté par
Joséphine avec le général Bonaparte, il y fut pro-
cédé avec une irrégularité qu'excusait le laisser
aller de l'époque; la production des actes do nais-
sance ne fut pas exigée ou bien ces actes furent
examinés très superficiellement. Un des témoins
le capitaine Le Marois, né en 1776, était encore
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 39
minour au mois do mars 1796, ce qui no lui per-
mettait pas d'intervenir dans un acte do mariage •.
<cDouze jours après cette cérémonie, dit encore
M. Aubenas, Bonaparte fit ses adieux à sa femme
pour se rondre à Nice où so trouvait l'état-major
do l'armée d'Italie, et, le 21 mars 1796, il se
mit en route, laissant lo bonheur dorriôre lui et
marchant à cetto impérissable gloire qui l'atten-
dait dans les champs du Piémont et de la Lom-
bardio 8. »
Lo mariage de Napoléon avec la vicomtesse de
Beauharnais a inspiré à un de ses compagnons
d'armes, qui le connaissait bien toutefois, et qui
n'est autre que le maréchal Marmont, la réflexion
suivante dont il convient de lui laisser la respon-
sabilité :
a Je serais tenté de croire, a-t-il dit quelque
part dans ses écrits, qu'il (Napoléon) imagina
faire, par son mariage, un plus grand pas dans
l'ordre social que lorsque, seize ans plus tard, il
partagea son lit avec la fille des Césars ! »
Il nous semble qu'il y a dans cette appréciation
du duc de Raguse une petite part de vérité et une
grosse part d'exagération. Les événements de 1814
1. Mèneval, Mémoires,I.2. Aubenas, t. I.
40 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE,
ont crousô un toi fossé, entre Napoléon et son
ancion aido do camp, quo les jugements portés
par ce dernier contro son ancien maitro demeu-
ront, plus quo tous autres, sujets à caution.
Lo général Bonaparte, en so dirigeant vers les
plaines do l'Italie du nord où il allait remporter,
do si complètes et do si bolles victoires, emportaitdans son coeur l'imago de Joséphine à laquello il
devait adresser les lettres brûlantes, publiées dans
la collection Didot. L'attachement do madamo
Bonaparto pour son mari, beaucoup plus calme
au début que celui do Napoléon pour elle, mit un
certain temps à s'accroître jusqu'au même diapa-son. A mesure que grandira la tendresse de José-
phine pour son jouno époux, l'amour de celui-ci
tout au contraire deviendra insensiblement par
degrés moins ardent, jusqu'au moment où il se
transformera en uno bonne et solide affection. En
attendant, Joséphine va devenir de plus en plusutile à Napoléon, surtout à l'époque où ce grand
hommo se trouvera porté au pouvoir suprême.
Bonaparte au moment de son mariage, il faut bien
le reconnaître, n'avait reçu qu'une éducation fort
sommaire. Son langage et ses manières, que la
vie des camps n'avait pu polir, no rappelaient en
aucune façon le langage et les manières des habi-
L'IMPERATRICE JOSÉPHINE. il
tués do l'ancion régime. Josôphino, possédant
à fond cotto scionco du mondo qui lui manque,
sora par conséquent d'un grand secours à son
mari. Ello arrondira les angles do ce .caractère
entier et impétueux, initiera celui-ci à une foule
de petits détails qui, dans la bonne compagnie,
ont uno importance bien plus considérable que no
lo supposent lo plus grand nombre de ceux qui
les ignorent.
CHAPITRE IV
Joséphine devient h Paris l'objet des égards et de la considéra*tion de tous. —La gloire acquise par son mari sur les champsdo bataille rejaillit sur elle. — Lettres du général Bonaparte àJoséphine. — Joséphine, pour répondre aux voeuxardents doson époux, se met en routo pour l'Italie. — Flatteuse récep-tion qui lui est réservée à Milan. —Elle habite le palais Ser-belloni.— Nouvelleslettres du général Bonaparte à sa femme(collection Didot). — Retour do Joséphine en Franco aprèsavoir visité Rome, Yenise et Gènes.
L'histoire a enregistré la succession d'éclatants
faits d'armes accomplis par le général Bonaparte
et les vaillantes troupes qu'il commandait au
cours de cette mémorable campagne d'Italie. Mal-
gré son projet de vivre dans la retraite, pendant
l'absence de son mari, une partie de cette gloire
rejaillissait sur Joséphine, qui était devenue à
Paris l'objet de la considération, des égards et
des félicitations do toutes les classes de la société.
Au milieu de l'enivrement de tant de succès,
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 43
Napoléon n'oubliait pas cette femme alors adorée,
et lui adrossait des lettres passionnées et brûlantes
que plusieurs historiens ont tenu à reproduire
dans leurs livres. Il ne nous est pas possible d'en
ronouveler ici la transcription complète, car la
liste, en est véritablement trop longue. Nous nous
bornerons seulement à en citer quelques-unes en
commençant par celle du 3 floréal (24 avril 1796).
A cette date le général de l'arméb d'Italie écri-
vait à sa femme :
Carru, 5 floréal.
« Tes lettres font le plaisir de mes journées, et
mes journées heureuses ne sont pas fréquentes.
Junot porte à Paris vingt-deux drapeaux. Tu dois
revenir avec lui, entends-tu?... Malheur sans
remède, douleur sans consolation, peines conti-
nues si j'avais le malheur de le voir revenir seul,
mon adorable amie...
» Mais tu vas revenir n'est-ce pas? Tu vas être
ici à côté de moi, sur mon coeur, dans mes bras...
Prends des ailes viens, viens! Mais voyage dou-
cement. La route est longue, mauvaise, fatigante.
Si tu allais verser ou prendre mal; si la fatigue.,.
Viens vivement mon adorable amie, mais lente-
ment.
44 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
» J'ai reçu uno lottre d'IIortonso. Elle ost tout
à fait aimable. Je vais lui écrire Je l'aimo bion,
et jo lui enverrai bientôt les parfums qu'ello veut
avoir. — N. B. ».
Cependant les parents commo los amis de Josô-
phino s'efforçaient de la rotenir à Paris, traitant
do folie un semblable projet do voyage quo des
apparonces do grossesse lui commandaient d'ail-
leurs d'ajourner. Moins presséo que son jeune
époux do hâter l'instant do leur réunion, Joséphine
n'envisageait pas sans appréhension los incommo-
dités et mémo les dangers d'une pareille équipée
à une époque où los moyens de transport ot les
voies do communication laissaient si fort à dési-
rer :
« S'embarquer ainsi, dès lo début, dans les
fatigues et les incertitudes d'uno grande guerre, a
dit M. Aubenas, bivouaquer même dans des villes
italiennes, faire campagne on un mot, c'était trop
demander à cette nature créole chez laquelle si
la nonchalance était une grâce, elle était aussi un
défaut. »
Il n'est pas sans intérêt, croyons-nous, de
reproduire encore quelques passages d'une très
longue lettre du 27 prairial an IV (18 juin 1796)
et datée de Tortone, adressée à Joséphine par le
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 45
général Bonaparte. En voici les principaux
oxtraits :
a Jo t'accuse do rester à Paris ot tu y étais
malade. Pardonne-moi ma bonne amie; l'amour
que tu m'as inspiré m'a ôté la raison; jo ne la
retrouverai jamais. L'on ne guérit pas de ce mal-
là. Mos pressentiments sont si funestes que je
me bornerais à te voir, à to prosser deux heures
contre mon coeur, et mourir ensemble, Qui est-ce
qui a soin de toi? J'imagine que tu as fait appeler
Hortense. J'aime mille fois plus cette aimable
enfant depuis que je pense qu'elle peut te conso-
ler un peu. Quant à moi point de consolations,
point de ropos, point d'espoir jusqu'à ce quo j'aie
reçu le courrier quo je t'expédie, et que par une
longue lettre tu m'expliquos co quo c'est que ta
maladie, et jusqu'à quel point elle doit être
sérieuse. Si elle est dangereuse, je t'en préviens,
je pars de suite pour Paris. Mon arrivée vaincra
ta maladie. J'ai été toujours heureux. Jamais
mon sort n'a résisté à ma volonté, et aujourd'hui
je suis frappé dans ce qui me touche uniquement.
Joséphine, comment peux-tu rester tant de temps
sans m'écrire? Ta dernière lettre laconique est
du 3 du mois (22 mai 1796); encore est-elle
46 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
affligeante pour moi. Je l'ai cependant toujours
dans ma poche. Ton portrait et tes lettres sont
sans cesse devant mes youx.
» Je no suis rien sans toi. Je conçois à peine
comment j'ai existé sans to connaître. Ahl José-
phine si tu eusses connu mon coeur, serais-tu
restée depuis le 29 au 16 sans partir? aurais-tu
prêté l'oroillo à dos amis perfides qui voulaient
peut-être to tenir éloignée de moi? Jo soupçonne
tout le monde; j'en veux à tout co qui t'entoure.
Je te calculais partie le b\ ot le 15' arrivée à
Milan.
» Ta maladie voilà ce qui m'occupe la nuit et le
jour. Sans appétit, sans sommeil, sans intérêt
pour l'amitié, pour la gloire, pour la patrie,
toi, ot lo reste du monde n'existo pas plus pour
moi que s'il était anéanti. Je tiens à l'honneur
puisque tu y tiens, à la victoire puisque cela te
fait plaisir, sans quoi j'aurais tout quitté pour me
rendre à tes pieds. »
Deux passages de cette lettro, si intéressante
mais si longue, valent encore la peine d'être cités :
t. Les premiers chiffresdu 20 au 10correspondentau 18maiet au 14 juin; les seconds,le Bet le 15, ou 24 mal et au 8 juin.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 47
« Ce qui me console quelquefois, est-il dit dans
le premier, c'est de penser qu'il dépend du sort
do te rendro malade, mais qu'il no dépend de
personne de m'obliger à to survivre ».
Dans le second qui termine la lettre Napoléon
écrit :
« Adorable femme, quel est ton ascendant! Je
suis bien malado de ta maladie. J'ai encore une
fièvre brûlante ! Ne garde pas plus do six heures
le courrier, et qu'il retourne de suite mo porter la
lettre chérie de ma souvoraine. — N. B. »
Enfin Joséphine, se déterminant à céder aux
instances si nombreuses, si pressantes et si tendres
do son époux, se mit en routo pour l'Italie dans
lo courant du mois de juin 1796. Sa santé se
trouvait à pou près complètement rétablie, et ses
onfants demeuraiont confiés par elle aux soins
maternels et intelligents do madamo Campan.
« Envoyé au-devant do madame Bonaparte
jusqu'à Turin, a dit, dans sos Mémoires, le maré-
chal Marmont, jo fus témoin des soins et des
égards qui lui furent prodigués par la Cour do
Sardaigne à son passage. Une fois à Milan, le
général Bonaparte fut très heureux, car alors il
ne vivait quo pour elle t pendant longtemps il on
48 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
a été de même; jamais amour plus vrai, plus pur,
plus exclusif n'a possédé le coeur d'un homme,
et cot homme était d'un ordre si supérieur 1! »
Un pareil témoignage venant do la part du duc
do Raguse et rendant à la sincérité do l'amour do
Napoléon pour Joséphine un hommago aussi
complet, nous semble tout à fait décisif.
Reçue à Milan par son mari avec des trans-
ports de joie, Joséphine alla s'installer au palais
Serbelloni, où les hommages des principaux
chefs do l'armée française et de l'aristocratie mila-
naise lui furent prodigués. Malheureusement pour
l'amoureux général en chef, la nécessité de faire
face à nos ennemis n'allait pas tarder à lo rappeler
sur les champs do bataille, l'obligeant au bout de
quelques jours à se séparer de nouveau do l'objot
de ses plus chères affections. Bonaparte marchait
à la rencontre d'uno nouvelle armée autrichienne
commandée par Wurmsor. L'objectif du général
français, après avoir battu l'armée do son adver-
saire, était de s'emparer do l'importante place de
Mantoue.
Restée à Milan au Palais Serbelloni, Joséphine
y recevait, peu de jours après le départ de son
1.Mémoiresdu maréchalMarmonl,
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 40
mari, uno lettre de celui-ci datée de Roverbella
6 juillet 1796. Il lui écrivait :
a J'ai battu l'ennemi. Kilmaine t'enverra la
copio do la relation. Jo suis mort do fatigue. Je to
prie de partir de suite pour to rendre à Vérone;
j'ai besoin de toi, car jo crois quo jo vais être
bien malade. Jo te donne mille baisers. Je suis
au lit. »
Cetto indisposition du jouno et glorieux
général no devait pas être gravo ni de longue
durée et Josôphino fut invitée, môme par lui, à
différor son départ pour venir lo rejoindre. De
son quartier général do Marmirolo, 18 juillet,
Bonaparte écrivait encore à sa femme t
« J'ai passé toute la nuit sous les armes.
J'aurais eu Mantouo par un coup hardi et hou-
roux, mais los eaux du lac ont promptemont
baissé, de sorto quo ma colonne, qui était
embarquéo, n'a pas pu arriver... Jo reçois uno
lettre d'Eugène, quo jo t'envoie. Jo te prie d'écrire
do ma part à ces aimables enfants, et do leur
envoyor quelques bijoux. Assure-les bion quo jo
les aime commo mes enfants. Co qui est à toi ou
à moi se confond tellement dans mon coeur,
qu'il n'y a aucune différence. Jo suis fort inquiet
do savoir commont tu to portos, co quo tu fais.
4
BO L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
J'ai été dans le village do Virgilo, sur les bords
du lac, au clair do lune, ot pas un instant sans
songer à Joséphine !... »
Lo 19 juillet lo général Bonaparte annonce
à Josôphino le bombardement de Mantoue, en
s'excusant d'avoir ouvert et lu deux lettres adres-
sées à celle-ci, lettres qu'il lui renvoie. Napoléon"
qui, bien longtemps plus tard, accusait, à en
croire le Mémorial de Sainte-Hélène, sa première
femme d'être jalouse, l'était lui-même, au com-
mencement do leur union, beaucoup plus qu'elle.
Mais par la suite on pourra se rendre compte
des modifications survenues dans leur état d'Ame.
Dovenuo impératrice c'est Joséphine qui se mon-
trera jalouse, ot Napoléon au contraire qui ces-
sera do le témoigner.
Arrivé à Broscia Bonaparte so décide à y faire
venir ot à y appeler sa femme. Il lui écrit le
22 juillet de cetto ville une des si nombreuses et
si tendres lottres dont il est coutumier. Charmé
d'avoir trouvé dans la correspondance de José-
phine quelques traces do coquetterie jalouse, il
lui répond à co sujet t
« ... Je suis désespéré quo tu puisses croire,
ma bonne amie, que mon coeur puisse s'ouvrir à
d'autres qu'à toi; il t'appartient par droit de
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 51'
conquête et cotto conquêto sera solide et éter-
nelle » Hélas qu'y a-t-il d'éternel en ce monde,
et surtout quand il s'agit d'attachements de
nature semblable, forcément destinés à ne durer;
qu'un temps relativement court! Aussi nous
associons-nous à la réflexion qu'inspire à M. Au-'
benas cette phrase de la lettre quo nous venons
do reproduire à notre tour : « Qu'aurait dit ce
coeur si épris, et tout à la généreuse fougue de
son âge enthousiaste, si on lui avait alors annoncé
qu'un jour il sacrifierait à l'impitoyable raison
d'état cette femme tant aimée ! »
Lo 28 juillet Bonaparte, que Joséphine était
venue rejoindre à Brescia, dut quitter en toute
hàto sa femme pour marcher on avant et tenter
do détruire los différents corps do l'armée de
WUrmser, qui avait commis l'imprudence do les
espacor loin les uns des autres. Bonaparte s'était
porté d'abord sur Peschiera, mais il dut biontôt
rétrograder sur Castol-Nuovo. Inquiet pour la
sûreté de Josôphino, que l'imminence d'un
sérieux engagement mettait en danger, le général
Bonaparto aurait voulu l'y soustraire, on la
faisant retourner sur ses pas. Mais les issues se
trouvant fermées et lui coupant toute retraite, il
fallut bien renoncer à toute tentative do co gonre.
82 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Alors la pauvre Joséphine versa, paraît-il, dos
larmes que l'anxiété do ces périls menaçants pro-
voquait. A ce moment son époux, ému par les
pleurs qu'il lui voyait répandre, prononça ces
paroles prophétiques : « Wûrmser va payer cher
les larmes qu'il te fait verser! »
, Au lieu do so diriger vers les plaines du nord
de l'Italie pour quitter la zone dangereuse où
so livraient tant de combats, Joséphine sur les
avis de son mari, prit le chemin de l'Italie cen-
trale. Lo Mémorial raconte à ce sujet quo la
future impératrice, fut obligée do longer en voi-
ture et do très près lo siègo de Mantouo; on tira
sur elle do la place, et quelqu'un de sa suite fut
môme atteint 1. Elle parvint enfin à traverser le
Pô, et, en passant par Ferrare et Bologne, à
atteindre Lucques où le Sénat do la ville lui fit
une réception solennelle.
Pendant co temps le général Bonaparte rem-
portait do nouveaux succès ot, grâce à une série
de glorieux combats et de manoeuvres savantes,
il dispersait ou détruisait successivement les
différents corps do l'armée do Wûrmser.
Rentré vainqueur à Brescia, lo 19 août, Bona-
1. Mémorialde Sainte-Hélène.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 63
parte s'empressait d'écrire à sa femme qui, grâce
au triomphe de l'armée française, avait pu rega-
gner Milan. Voici sa lettre :
« J'arrive, mon adorable amie; ma première
pensée est de t'écrire. Ta santé et ton imago ne
sont pas sorties un instant de ma mémoire pen-
dant toute la route. Je ne serai tranquille que
quand j'aurai reçu des lettres de toi. J'en
attends avec impatience. Il n'est pas possible que
tu to peignes mon inquiétude Je t'ai laissée
triste, chagrine et demi-malade. Si l'amour le
plus profond et le plus tendre pouvait te rendre
heureuse, tu devrais l'être... Je suis accablé
d'affaires. Adieu ma douce Joséphine; aime moi,
porte toi bien, et pense souvent, souvent ô
moi. »
Laissant, devant Mantoue, des troupes et des
canons en nombre suffisant pour en faire le siège,
Bonaparto ne tarda guôro à rejoindre sa femme,
à Milan, pour passer auprès d'elle une quinzaine
de jours environ. Une sorte de cour so trouva
bientôt formée autour de Joséphine et de lui dans
le beau palais Serbelloni, mis par son proprié-taire à la disposition du vainqueur des Autri-
chiens. Co fut là quo Joséphine s'attacha au jeune
frèro de son mari, Louis Bonaparte, qui, de son
!54 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
côté, se montra toujours envers ello beaucoup
mioux disposé que les autres membres de la
famille de Napoléon.
Conquérant de l'Italie, lo général Bonaparte y
déploya une activité et dos talents de premier
ordre. Il s'y révéla, aux regards soupçonneux et
jaloux du Directoire, chef militaire incomparable,
organisateur et administrateur sans rival. Il
fallait du génie à un si jeune homme pour faire
ainsi prévaloir ses avis et sa volonté parmi tous
ces généraux envieux de «a gloire, pour imposer
aux étrangers lo respect de son autorité et de sa
personne. Joséphine, dès ce moment, joua dans
la perfection, auprès de son époux, le rôle spécial
qui lui incombait. Son charme, son amabilité,
sa finesse native, secondés par les séductions du
meilleur savoir-vivre lui méritèrent, do la part
des Italiens do tout rang, les plus flatteuses
démonstrations de dôféronco et de sympathie.
Aussi Josôphino pouvait-elle écrire à notre vieille
connaissance sa tante, madamo de Renaudin,
devenue onfin marquise de Beauharnais, le billet
suivant :
« M. Serbelloni vous fera part, ma chère tanto,
de la manière dont j'ai été reçuo en Italie, fôtéo
partout où j'ai passé; tous les princes d'Italio me
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. BB
donnent des fêtes, môme le grand duc de Tos-
cane, frère do l'Empereur. Eh bien! je préfère
être simple particulière en France. Je n'aime
point les honneurs de ce pays-ci...
» Si lo bonheur devait procurer la santé, je
devrais me bien porter. J'ai le mari le plus ai-
mable qu'il soit possible de rencontrer. Je n'ai
pas le temps de rien désirer. Mes, volontés sont
les siennes. Il est toute la journée en adoration
devant moi, comme si j'étais une divinité; il est
impossible d'être meilleur mari... »
Tels étaient déjà les sontimonts de Joséphine
pour son second mari. La véritable passion que
celui-ci ressentait pour elle, les soins assidus
qu'il lui rendait formaient un contraste assez
remarquable avec les dispositions qu'elle avait
rencontrées, tout au début de leur union, chez
son premier mari, Alexandre de Beauharnais.
Mais en matière d'amour, l'unisson n'existe pour
ainsi dire jamais, ot il y en a toujours un qui
aime plus que l'autre. Celui qui aimait le plus
à cette époque c'était Napoléon; plus tard ce
sera Joséphine qui souffrira, doublement de se
voir abandonner, Nous nous trouvons, pour le
moment, bien éloignés de cette période si dou-
loureuse de son existence.
66 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Il no nous appartient pas de retracer ici l'histo-
rique de la mervoilleuso campagne do 1796 on
Italie, ni d'énumérer los victoires éclatantes que
le général Bonaparte y remporta. Nous nous bor-
nerons à rappeler quo lo fold-maréchal Alvinzi
ne fut pas plus heureux contre lui que Wûrmser,
et quo la défaite définitive dos armées de l'Au-
triche so trouva consommée par les victoires
d'Arcole ot do Rivoli, suivies de la prise de Man-
touo. Lo 18 avril 1797 los préliminaires de paix
étaient signés à Leobon, préliminaires quo con-
firmait ensuite lo traité do Campo-Formio. « A
cetto époque heureuse, rapporte Marmont, Napo-
léon avait un charme que personne n'a pu
méconnaître, l'un des hommes les plus faciles à
toucher par des sentiments vrais... un coeur
reconnaissant ot bienveillant, je pourrais même
dire sonsiblo, »
Entre temps Joséphine avait tenu, à Mombello,
uno sorte do cour pondant los trois mois qui pré-
cédèrent la conclusion de la paix. Les contem-
porains qui formaient son entourago sont una-
nimes à rendre hommago au charme souverain
qu'ello exerçait alors sur tous, et principalement
sur les personnages étrangers, chargés do négo-
cier avec lo général Bonaparte les conditions do
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 57
l'accord définitif. Madamo Bonaparte visita,
avant do rentrer en Franco, los principales villes
do l'Italie. Elle fut, au cours do ses pérégrina-
tions, fêtée partout ot comblée do prévenances
et d'hommages. Veniso, Gènes, Romo mémo
reçurent dans leurs murs, à cetto époque, la
future impératrice, la future reino d'Italie.
1. « Tout ce qu'il y a d'intelligent, d'ambitieux, d'intrigantet d'enthousiaste en Italie s'y presse et s'y môle AUXadminis-trateurs et aux généraux français. Les diplomates de la Répu-bliqueviennent prendre le mot d'ordre ol quêter la faveur. Toutest aurore, tout est avenir en co palais do la fortune. » L'tfu-ropeet la Révolution,par Albert Sorel, t. Y, p. 176.
CHAPITRE V
Retour du général et de madame Bonapartea Paris. — Situa-tion exceptionnellefaite au vainqueur des armées do l'Au-triche. — Fête qui leur est donnéepar Talleyrand. — Proposdo Girardin sur Joséphine.— Goûtde celle-cipour le luxoetla toilette. — Sa prodigalité bien connue. — Hôteldo la ruedo la Victoire.— Réceptionschez Joséphine. — Projet d'ex-pédition en Egypte — Le 3 mai 1703Bonaparto part pourToulon.— Chagrin do Joséphine de ne pas suivre son marien Egypte. — Bile so rend aux eaux do Plombières.— Biley est victime d'un grave accident. — Rapports malveillantsadressés en Egypte au général Bonapartosur la conduitedosa femme. — Scènopénible entre les deux époux au retourdu général. — Elle est suivie d'uno complète réconciliation.
Do retour à Paris le général Bonaparto et sa
femmo reçurent do toutes les classes de la popu-
lation un accueil enthousiaste. Lo conseil muni-
cipal do Paris, se faisant l'interprète de la popu-
larité qui environnait le glorieux héros do la
campagno d'Italie changea lo nom do la rue
Chantereino, ou demeurait Josôphino, en celui
do rue de la Victoire Malgré la vie retirée quo
L'IMPERATRICE JOSEPHINE. KO
menait lo général Bonaparte pour éviter d'effa-
roucher la jalousie du Directoire, de nombreuses
fêtes so succédèrent on son honneur. Les mem-
bres de ce gouvernement ôphômôro eux-mêmes,
ainsi que los représentants du pouvoir législatif,
n'osèrent so dispenser do lui offrir, à leur tour,
des fêtes et dos banquots. Enfin l'Institut lui ouvrit
sos portes, ce qui flatta, mieux q^e toute autre
distinction, l'amour propre du jeuno général.
Talloyrand, toujours habile courtisan du soleil
levant, donna dans l'hôtel Galiffet, qui so trouvait
ruo du Bac, une fêto dont la magnificence est
demeurée légendaire. L'ancien évoque d'Autun (était devenu ministre des Relations extérieures»
Couvrant de fleurs Napoléon et Joséphine,
l'adroit personnage pressentait déjà leur gran-deur prochaine ot lour faisait une cour assidue,
assaisonnée dos flatteries les plus délicates. Napo-léon on subit plus ou moins, pondant lo cours do
sa prodigieuse carrière, uno sorte do fascination.
Joséphine au contraire conçut instinctivement,
dès lo début, do l'éloignemont pour lui, ot no se
laissa jamais prendre aux adulations intéressées
l\ de co caméléon politique.
Un dos invités do la fêto donnée par Talloyrand,
Stanislas do Girardin, a laissé, dans ses Souvenirs,
60 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
une remarque faite par lui au sujet de Joséphine,
qui, si celle-ci l'avait entendu énoncer devant
elle, no lui aurait causé vraisemblablement qu'un
plaisir mitigé d'amertume... Voici la réflexion
que suggéra la vue do la femme do Napoléon à
M. do Girardin :
« Madamo Bonaparto n'est plus jolie; elle.a
près de quarante ans et los parait bien. Ello con-
serve uno taille élégante et un bon coeur qui no
vieillira jamais.. » Cortainos fommes sont cepen-
dant plus belles dans lour maturité quo dans la
jeunesse; mais pout-ôtro M. do Girardin réservait-
il aux jeunes femmos seules son admiration
oxclusivo? Dans tous les cas son témoignage ost,
commo tant d'autres, entièrement favorablo aux
qualités do coeur de l'excellente Joséphine.
C'est au cours do cetto- mémo soiréo quo la
conversation, rapportée par Arnault, s'engagea
outre Bonaparto et madame do Staël, stupéfaite
d'ontondro son interlocuteur basor, sur le nombre
do ses onfants, le mérite qu'il convenait do recon-
naître à uno femme! La célèbre fillo do Necker no
voulut pas comprendre qu'une paroillo boutade
ne pouvait avoir pour but que celui do décou-
rager ses avances. Madamo do Staël n'était pas— en tant quo typo féminin — l'idéal de l'homme
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 61
qui prisait surtout, chez une femme, la grâce, lo
charme, la douceur et la modestie.
Joséphine a toujours aimé le luxe ot la toilette
plus qu'il n'était nécessaire. Elle ne savait pas
compter et sa prodigalité légendaire, qui lui a été
avec justice tant reprochée, so fit remarquer dès
l'origine de ses grandeurs. De Milan déjà, parait-
il, elle avait donné des ordres à Paris pour qu'on
meublât, avec tout ce qu'il y avait de mieux, la
maison do la rue Chanteroine, ou plutôt do la
ruo do la Victoire, que Talma lui avait vendue.
Il so forma bientôt dans ce charmant petit hôtel,
aujourd'hui disparu, une sorte de cénacle litté-
raire dont les principaux habitués furent au dire
d'Arnault : Bernardin do Saint-Pierro l'auteur
fameux do Paul et Virginie, lo poèto Ducis,
Legouvé et Lemercier, le musicien Méhul. le
grand peintre David, Talma, Bouilly, Collin
d'Harlevillo, Andrieux, Baour-Lormian ot Par-
coval-Grandmaison 1. Joseph Chénier, Picard,
Alexandre Duval et môme plusieurs savants fré-
quentaient également chez madame Bonaparte.
Joséphine recevait souvent à dîner tous ces per-
1. Aubenas,Histoirede l'impératriceJoséphine.
62 L'IMPERATRICE JOSEPHINE.
sonnages en même temps que les généraux do
l'intimité de son mari et ses aides de camp. La
popularité du général Bonaparte était si grande
qu'il ne pouvait se montrer en public sans devenir
l'objet des ovations de la foule. Ces six mois
passés ruo do la Victoire par Joséphine, entre son
retour d'iialio ot l'expédition d'Egypte, doivent
être comptés au nombre des moments los plus
heureux de sa vie.
Bouilly, l'un des commensaux de l'hôtel de la
rue do la Victoire, a dit, dans ses Souvenirs et
récapitulations, en parlant de Joséphine : « Elle
y était entourée de tous ceux qui recherchent la
puissanco, bien qu'ils occupent les premiers
rangs de la Société. Sa grâce naturelle ot son
inépuisable bonté donnaient encore plus d'éclat
au rang élevé qu'ollo prenait dans le mondo et
semblaient offrir, chaque jour, un nouveau degré
de perfection. J'eus l'honneur d'être admis aux
réunions qui se formaient, chez elle, tous les
jeudis. Ce n'était plus co ton d'élégance et de
séduisanto galanterie que j'avais trouvé dans les
cercles de 1788. Toutefois on retrouvait dans les
réunions chez Joséphine quelques restes précieux
de ces parfaits modèles de grâce et de bon tonl. »
1. Bouilly, Souvenirset récapitulations.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 63
En fait de femmes on rencontrait chez celle du
général Bonaparte mesdames d'Houdetot, Caffa-
relli, Damas, Andréossy et les deux belles per-
sonnes qu'étaient madame Tallien et madame
Regnault de Saint-Jean-d'Angély ; enfin naturel-
lement la tante du premier mari de Joséphine,
madame Fanny de Beauharnais, n'y était pas l'une
des moins assidues.
Cependant l'inactivité pesait depuis trois mois
au général Bonaparte, dont lo caractère ardent et
aventureux s'accommodait mal d'une inaction
prolongée. C'est alors que lui vint dans l'esprit
le projet d'uno expédition en Êgypto. Le Direc-
toire s'y prêta de bonne grâce, car il n'était pas
fâché d'éloignor de la France, aussi longtemps
que possible, le chef militaire dont la grande
renommée inquiétait co gouvernement assis sur
des bases peu solides. Cette expédition devait être
à la fois guorriôre ot scientifique. Lo général
Bonaparto exerça luUmèmo un recrutement fort
envié parmi les généraux, les officiers, les savants,
les littérateurs et les artistes de son intimité. « Le
gouvernement, dit M. Aubenas, semblait s'être
transporté rue do la Victoire. On faisait la cam-
pagne comme uno partie de plaisir, et vers la fin,
64 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
dans l'intérieur du général, on s'y prépara comme
à uno partie de famille. En effet son jeune frère
Louis demandait à partir; Eugèno avait obtenu
la même faveur, et madamo Bonaparto, mainte-
nant aguerrie, prétendait suivre son époux. Elle
y mit tant d'insistance quo le général fut obligéde paraître donner son consentement 1. »
C'est à cetto mémo époque, en avril 1798, que
Joséphine maria sa nièco mademoiselle Emilie de
Beauharnais à Lavalotte aide do camp de son
mari. Moins do vingt ans plus tard cette coura-
geuse fomme devait, grâce à son dévouement,
sauver la vie do son époux condamné à mort parles tribunaux de la Restauration.
Lo départ du général Bonaparte ot do sa suite
pour Toulon s'effectua lo 3 mai 1708, etMarmont,
qui l'accompagnait, raconte comment, à Roque-
vaire, au milieu de la nuit, un hasard providentiel
empêcha seul la berlino occupée par Napoléon et
sa femme do se briser dans un abîme. Après avoir
raconté ce fait, dans ses Mémoires, lo duc do
Raguse ajoute : « Ne somble-t-il pas voir la
main manifesto do la Providence 8? »
Arrivé à Toulon Bonaparto déclara à sa femme
1. Aubenas, t. H.2. Mémoiresdu maréchalMarmont.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 65
qu'il no pouvait l'emmener avec lui on Egypte.
S'il eût pris une détermination contraire, Napo-
léon so serait épargné bien des angoisses jalouses
ot bon nombre de cuisants soupçons. Pour calmer
lo chagrin quo leur séparation causait à José-
phine» son mari dut lui promettro do la faire
venir lo rejoindre, on Egypte, dans un délai do
quelques mois. Il lui conseilla en même temps de
se rendre aux eaux do Plombières, dans l'espoir
qu'elles seraient efficaces pour combattre sa stéri-
lité. Docilo à cetto recommandation madame
Bonaparto partit presque aussitôt pour Plom-
bières, accompagnée de mesdames do Crigny,
Cambis ot Denon. Ce fut en cet endroit qu'un
grave accident, la chute d'un balcon sur lequel
Joséphine ot ses compagnes étaient penchées,
faillit devenir fatal à la future impératrice. Uno
dos damos do sa suite eût la jambe cassée, et José-
phine demeura tellement meurtrie parle choc que
pondant plusieurs jours on la crut perdue. Les
soins dévoués ot intelligents de sa fille Hortense,
mandée on toute hâte auprès do sa mère, hâtèrent
heurousomont la guérison de colle-ci.
Au mois d'avril 1709 Joséphine—
pour obéir
aux recommandations de son mari —qui l'avait
b
66 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
priée de faire l'acquisition d'uno maison de cam-
pagne, se décida à acheter lo petit château de la
Malmaison 1. Elle s'empressa de s'y installer ot
d'embollir, chaquo jour davantage, cetto char-
mante résidenco. De son fils Eugène ot du général
Bonaparte elle n'avait pu recevoir de nouvelles
qu'à do longs intervalles, à cause des croisières
anglaises qui donnaient la chasso aux navires
français, ot interceptaient les communications
entre la France ot l'Egypte. Aussi était-elle on
proio à de perpétuelles inquiétudes. Toujours
bonne et bienfaisante elle cherchait à faire du
bien autour d'elle, ot les premiers temps do son
séjour à la Malmaison nous on fourniront uno
nouvelle preuve. La révolution qui avait fait tant
do ravages, détruit ou dispersé tant d'oxistencos,
continuait, môme assagie, à porsécutor lo clorgé.
Elle avait sécularisé les religieuses, fermé les
couvonts, disporsô los soeurs, vendu leurs biens,
liquidé lours pensions viagères. Par un arrêté do
pluviôse (1790) lo gouvernement avait mémo
interdit aux anciennes soeurs do so réunir pour
enseigner. Une de cos soeurs, la citoyenne Damour
conçut alors l'idée d'avoir recours au crédit ot à
1. La Malmaisonfut achetée &un M.Lecoultcuxde Gantetcu160000francs.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 67
la protection efficaces de madame Bonaparte, qui
n'hésita pas à se faire la protectrice et la. sauve-
garde do ces anciennes Soeurs de la Croix. Une
lettre signée do Joséphine, conservée aux archives
de la Préfecture de Versailles, on fait foi. Celte
lottro ost datée du 23 juin 1700 et adressée à la
municipalité de Marly. Voici cette lettre :
j.
La Malmaison près Rueil, 5 messidor,an VU do la République.
« L'épouse du général Bonaparte aux adminis-
trateurs du canton de Marly :
» J'invoque avec confiance, citoyens admi-
nistrateurs, votre bienveillance en faveur dos
citoyennes Damour, qui s'efforceront do la méri-
ter on donnant l'exemple ot la leçon du civisme,
en môme temps que do l'entière soumission aux
lois de la République.
» Recevez les assurances do ma sincère consi-
dération.
» Signé : LAPAGERIR-BONAPARTE. »
Au cours do la période de temps qui s'écoula
pondant la mémorable campagne d'Égypto, José-
phine avait peut-être donné prise à la malveil-
68 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
lanco par des allures trop libres ou par quelques
légèretés de conduite. Il est malaisé do se pro-
noncer, à cetto distance, sur les torts plus ou
moins graves reprochés à la femme do Napoléon.
En pareille matière il n'existe guère que des
présomptions, ot pour ainsi dire jamais de
preuves matérielles. Il ne nous appartient pas
do nous prononcer à ce sujet, soit pour plaider
l'innocence immaculée do la fommo du général
Bonaparte, encore moins pour l'accabler; l'affir-
mative ou la négative ne sauraient être effecti-
vement, à ce propos, que purement conjecturales.
Quoi qu'il en puisse avoir été, des rapports
malveillants, émanant de certains membres de la
famille Bonaparte ou d'anciens adversaires du
parti Beauharnais, avaient été transmis jusqu'en
Egypte au principal intéressé. Ces médisantes com-
munications, fondées ou non fondées, n'avaient
pas manqué, comme on lo croira sans peine, do
produire des ravages dans l'imagination du
général Bonaparte. Les mémoires du prince
Eugène dont il est intéressant do citer ici un pas-
sage, feront comprendre au lecteur combien les
préoccupations de Bonaparte à cet égard étaient
vives : « A cetto époque, dit le fils do Joséphine,
lo général en chef commença à avoir de grands
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 69
sujets de chagrin, soit à cause du mécontente-
ment qui régnait dans une partie de l'armée, et
surtout parmi quelques généraux, soit à cause
des nouvelles qu'il recevait de France, où l'on
s'efforçait de troubler son bonheur domestique.
Quoique je fusse fort jeune, je lui inspirais assez
do confiance pour qu'il mo fit part de son cha-
grin. C'était ordinairement le soir qu'il me faisait
ses plaintes et ses confidences, on so promenant
à grands pas dans sa tente. J'étais le seul avec
loquel il pût librement s'épancher. Jo cherchais
à adoucir ses ressentiments; jo lo consolais de
mon mieux, et autant que pouvaient le permettre
mon âge ot lo respect qu'il m'inspirait. »
Quand il est fait allusion aux infidélités repro-
chées à tort ou à raison à Josôphino, c'est tou-
jours le nom vulgaire, insignifiant et énigmatique
do M* Charles quo l'on mot en avant, sans qu'il
soit possible aux détracteurs do madame Bona-
parte d'en désigner nominativement aucun autre.
Co personnage falot semble appartenir à la
légende plutôt qu'à la réalité; on en parlo très
souvent mais on no l'aperçoit qu'à travers une
sorte de brouillard. Co quo les pamphlétaires, les
plus intéressés à le mettro en lumière, sont par-
venus à en savoir, n'arrive môme pas à satisfaire
70 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. _
la curiosité des lecteurs auxquels on a jeté son
nom on pâture, Ce personnage obscur et mal
connu passe, dans l'histoire do la première
femme de Napoléon, commo une apparition fan-
tastique aux contours vagues et indéterminés.
C'est un spectre que les ennemis de Joséphine
ont sans cesse agité devant les yeux do Napoléon,
commo les fauteurs d'anarchie, pour exciter la
fureur des multitudes, s'efforcent d'agiter lo
spectre clérical, fantôme imprécis dont il est bien
souvent question, sans qu'on puisse savoir au
juste en quoi il consiste. La personnalité do ce
M. Charles ost un X dont le voilo qui la recouvro
n'est qu'à moitié soulevé dans uno lettre adressée
par Eugène do Beauharnais à sa mère. Ce fils,
respectueux et affectionné so refuse, commo on
peut bien lo penser, à ajouter foi aux commérages
médisants colportés jusqu'aux oreilles de son
beau-pôro en Egypte, dans l'espoir d'éveiller sa
colère ot sa jalousie. Les inquiétudes irritées et
violentes procurées à Bonaparte par ces rapports
venimeux semblent bien démontrer d'ailleurs,
contrairement à une série do suppositions aussi
invraisemblables que gratuites, quo l'époux do
Joséphine n'avait en aucuno façon l'étoffe d'un
mari complaisant, disposé à fermer les yeux sur
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 71
l'inconduite prétondue de sa femme. Tout ce que
l'histoire nous a fait connaître du caractère ot du
tempérament de Napoléon, do son vif sentiment
do l'honneur, do son intraitable fierté est effecti-
vement en contradiction formelle avec l'apathie,
l'indifférente indulgence qu'on lui attribue on
pareille matière, indulgence aussi incompréhen-
sible qu'extraordinaire do la part d'un homme
énergique et autoritaire comme l'était le futur
empereur....
Lo regard scrutateur do Napoléon surveillait
attentivement les faits et gestes do tous ceux
qui ne lui étaient pas indifférents, uno police
activo ot d'un zèlo souvent exagéré le tenait sans
cesse au courant des moindres détails. Sa jalou-
sie, dès lo début do son union avec Joséphine, se
maintenait continuellement en éveil; comment
n'aurait-il rien soupçonné de ce que tout le
monde autour de lui pouvait, à ce quo l'on a
prétondu, constater? Comment et pour quelle
raison aurait-il soutenu contre l'envie et l'animo-
sitô de toute la famille Bonaparte, uno femme
d'uno inconduito notoire, plus âgée que lui, et
qui l'aurait rendu ridicule.... Pourquoi l'aurait-il
fait asseoir sur son trôno et l'aurait-il couronnée
de ses propres mains alors qu'il lui eût été si
72 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
facile do s'en séparer? En vérité, on dépit des
sophismes los plus ingénieux, une pareille invrai-
semblance demeure inadmissible; on peut juger
diversement Napoléon, mais il nous paraît impos-
sible de faire de lui un Georges Dandin !
«
Bonaparte, revenu d'Egypte, no fit son ontréo
à Paris quo lo 16 octobre 1709. Les mémoires du
temps parlent tous d'une scène conjugale fort
pénible qui eut pour théâtre, lors do son rotour,
l'hôtel do la ruo do la Victoire. M. do Saint-
Amand, dans un dos livres qu'il a consacrés à
l'impératrice Josôphino, décrit à cet égard l'inci-
dent dramatique dont la réunion des doux époux
aurait été suivie. Bonaparto s'était enfermé dans
sa chambro ot Joséphine, absente au moment de
l'arrivée do son mari, s'efforçait on vain, par sos
supplications, do so faire ouvrir la porte. La
malhourouso fomme aurait ainsi passé uno partio
do la nuit à se désolor on mémo temps qu'elle
frappait sans relàcho à cotte porto toujours obsti-
nément fermée. Son époux demeurant sourd à
ses lamentations, Joséphine eût l'idéo d'appoler
ses enfants qui joignirent leurs prièros aux
siennes. Après uno longuo et pénible attento et
do dramatiques pourparlers, cetto maudite porte
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 73
finit enfin par s'ouvrir, et le général Bonaparte,
pardonnant des torts imaginaires ou réels em-
brassa la pauvre Joséphine ot lui rendit son
affection.
Trois semaines après l'arrivée du vainqueur
de la bataille des Pyramides, le 18 brumaire ren-
dait Bonaparte maître de la Franco et premier
magistrat do la République. /
On peut so rendre compte qu'au cours do son
existonco si agitée, Joséphine ait eu bien des
luttes à soutenir; d'abord contre la famille
Bonaparte, jalouso de son crédit, puis contre
uno foule d'autres adversaires qui, prenant texte
do sa stérilité, ne cessaient do prétondre quo,
si Napoléon n'avait pas d'enfants, l'avenir et la
sécurité de l'Etat seraient compromis. Bien des
femmes, plus jeunes ot plus jolies qu'elle, exci-
tèrent plus d'uno fois ses inquiétudos et sa jalou-
sie. M. do Saint-Amand a donc raison de dire
qu'à tout prendre il fallut à Josôphino beaucoup
d'adresso, de prudence et do finesse pour être
parvenue à résister aussi longtemps à tant de
manoeuvres tontôos pour ébranler sa situation.
« Ëllo gagnera la partio on 1804, dit l'auteur
précité, quand ello sera couronnée commo impé-
ratrice par la main do son époux; ello la perdra
74 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
en 1809, mais on conservant, môme après lo
divorce, son titro et son rang. » On peut ajouter
a co qui précède, quo rarement souveraine déchue
aura été traitée avec do plus grands égards et un
plus grand respect que l'impératrico Joséphine.
CHAPITRE VI
i799-l800. Heureux caractère de Joséphine. Sa douceur inalté-rable, sa bonté. — Ello professeen tout©occasion pour Napo-léon le dévouement lo plus absolu. —Après le coup d'État du18brumaire, le général Bonaparte nommé premier consul. —Résidence au Luxembourg d'abord, bientôt après aux Tuile-ries. —Détails sur l'intérieur du palais consulaire. —MadamedeMontesson. —Perfectionaccomplieavec laquelle Joséphineremplit le rôle de compagne du chef de l'État. — Formationd'une sorte de petite cour. — Les dépenses inconsidérées de
Joséphine, source de reproches de la part de Ronaparte. —
Détails donnés par M. Aubenas et par madame d'Abrantèssur l'élégance suprême de Joséphine et ses trois toilettes.
Joséphine avait donc été, comme on l'a vu, sur
le point d'être abandonnée par son second mari
aussi bien que par le premier. Elle sutso montrer,
dans cette circonstance critique, si bonne, si
adroite et si séduisante qu'elle triompha de toutes
les embûches qui lui avaient été tendues. Elle
professait en toute occasion pour Napoléon, le
dévouement, la soumission la complaisance, la
plus absolue. Aussi ce dernier, malgré quelques
76 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
accrocs à la fidélité conjugale continua-t-il tou-
jours à l'aimer tendrement. La première femmo
do Napoléon, sans ôtro régulièrement bollo, avait
un charme indicible Ello possédait cetto grâco,
plus bollo encore quo la beauté, dont tous ses
contemporains ont subi l'empire. Egale do carac-
tère, douéo d'un tact parfait, toujours bienveil-
lante et foncièrement bonne, Josôphino aurait dû
désarmer ceux-là mémo quo leur intérêt poussait
à lui rendre do mauvais services. Napoléon avait
rendu à Joséphine, après l'orage quo nous avons
rapporté, affection et confianco entières. Désormais
l'union se rétablit complète et durable f :tro les
deux époux jusqu'au jour de leur divorce, ivorco
que des motifs politiques rendirent seuls nécessaire.
Aussitôt après lo coup d'Etat du 18 brumaire, lo
général Bonaparte prit lo titre de Premier Consul
do la République, et alla s'installer avec sa femmo
au petit Luxembourg. « Là, dit M. Aubenas, com-
mencent pour Joséphine ces hommages publics
qui no la quitteront plus jusqu'à sa mort. » Au
Luxembourg on reprend pour parler ai:, femmes
le mot naguère aboli de Madame; un peu plus
tard, aux Tuileries, on so servira pour annoncer
Joséphine de cette locution interjective : Madame,
femme du Premier Consul!
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 77
La constitution do l'an VIII avait été promul-
guée. Lo Premier Consul recevait un traitemont
do 500 000 francs; lo deuxième et lo troisième
consuls, Cambacérès et Lebrun, loOOOO francs
chacun. Pou do temps après, en févrior 1800, le
Premier Consul so rendit en grand apparat au
Palais des Tuileries où il allait dorénavant résider.
A son arrivée il passa en revue l'armée do Paris,
rovuo à laquelle Josôphino assistait à uno fonôtro
du Palais; ello était fort on beauté co jour-là,
d'après co quo rapporte dans ses Mémoires ma-
damo d'Abrantès. Napoléon s'établit dans les
appartements occupés autrefois par la famille
royale; Joséphine et ses enfants au-dessous do
lui, au rez-de-chaussée du Palais. La duchesse
d'Abrantès a décrit en ces termes l'ameublement
du salon do famille du Premier Consul et do José-
phine : « Le grand salon do réception était tendu on
quinze-seize jaune. Les meubles meublants étaient
en gourgouran, les franges en soie et les bois
on acajou. Il n'y avait d'or nulle part; les autres
pièces n'avaient pas plus de richesse dans leur
décoration; tout était frais et élégant,mais voilà
tout. Au reste les appartements de madame Bona-
parte n'étaient destinés que pour les réunions par-
ticulières et les visites qu'elle recevait le matin ;
78 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
les grandes réceptions avaient liou on haut 1. »
Habituéo de longue dato, depuis toujours peut-
on dire, à la moilleuro compagnie, Josôphino,
maîtresse do maison incomparable, connaissait à
merveille la convenance do langage qui ménago
tous los intérêts, tous les amours-propres. Ello
savait égalomont n'en froissor, ni n'en décourager
aucun. Dès cotte époquo un certain nombre do nota-
bilités do l'ancien régime, et entro autres lo prince
de Poix, fréquentaient chez la femmo du Premier
Consul. Joséphine, dont le coeur no fut jamais
ingrat, avait conservé uno grando reconnaissance
à madamo Tallien qui avait puissamment con-
tribué à lui sauver la vie, ainsi qu'à bien d'autres
de ses compagnes de captivité, en provoquant
la chute de Robespierre. Malheureusement le
Premier Consul nourrissait contre Notre-Dame-de-
Thermidor des préventions tellement enracinées
qu'il ne voulut jamais permettro à sa femmo de
la recevoir aux Tuileries. Joséphine était obligée
de ne voir madame Tallien qu'en cachette.
Peu à peu, à mesure que le Premier Consul
prenait insensiblement des allures de souverain,
il se rendait mieux compte de l'opportunité de
1. Mémoiresde la duchessed'Abrantte.
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 79
s'ontourer do plus de cérémonial et do plus
d'apparat. Toute espèce do pouvoir autoritaire
rossent lo besoin do s'ôtayor d'uno sorte do cour.
L'ancienne société, en partio dispersée par la
tourmente révolutionnaire, n'était pas encore
ralliée ou boudait lo régime nouveau. Aux récep-
tions du Premier Consul ot do madamo Bona-
parte, c'était surtout d'abord l'élément militaire
qui dominait tout naturellement. Il s'y mêlait
quelques financiers, plusieurs hommes do lettres,
quelques débris assez rares do l'ancien régime,
sans parler du corps diplomatique étranger, en
nombre forcément restreint, puisque la Répu-
blique française demeurait brouilléo avec la moi-
tié des souverains do l'Europe. Ce corps diplo-
matique so composait alors des ministres de
Prusse, d'Espagno, de Suède, de Danemark, de
Bade et do Hesse-Cassel, enfin de ceux des répu-
bliques, filles ou soeurs do celle qui vonait de s'éta-
blir en France, c'est-à-dire des petites républiques
Cisalpine, Batave, Helvétique et Ligurienne.
S'aidant des utiles conseils de madame de Mon-
tesson épouse morganatique du duc d'Orléans,
grand-père du roi Louis-Philippe, le ménage
consulaire s'appliqua— dès sa prise de possession
des Tuileries — à la tâche de former la nouvelle
80 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
cour. Madamo do Montesson, femmo do beaucoup
d'esprit et du meilleur ton, possédait uno expé-
rience consommée dans toutes ces matières mon-
daines, oxpérienco qu'ello mit avec uno entièro
bonne grâce au service du Premier Consul ot do
madamo Bonaparto. Ceux-ci l'en récompenseront
par les égards et les attentions dont ils no cessèrent
do l'entourer. Napoléon rendit notamment à
madame do Montesson uno très grosso pension
quo la Révolution lui avait fait perdre. Cette
veuve du duc d'Orléans possédait à Romainville,
uno très belle et très luxueuse résidence.
Il fallait du tact et do l'habileté pour obtenir un
heureux résultat du mélange de tant d'éléments
disparates, pour ménager l'amour-propro des
uns, sans froisser la susceptibilité des autres.
Pour cette oeuvre d'amalgame, comme lo disait
plus tard lui-même Napoléon à Sainte-Hélène» lo
concours de Joséphine lui rendit les plus grands
services. Lo Mémorial s'exprime à ce sujet dans
ces termes : « La circonstance de mon mariage
avec madame Je Beauharnais disait l'Empereur à
son confident m'a mis en point do contact avec
tout un parti qui m'était nécessaire pour con-
courir à mon système de fusion. »
Joséphine en effet s'employa do tout son pou-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 81
voir à seconder les vuos do son époux. Personne
mieux qu'elle n'aurait pu remplir le rôle qui lui
était assigné, rôlo politique et mondain tout
cisomblo, conformo à ses goûts, à ses aptitudes
it à tout son passé. Fino, gracieuse ot bonno, ello
était douée de toutos los qualités quo bion des
souveraines auraient pu lui envier, aussi vit-ello
bientôt ses efforts couronnés du plus grand succès.
Devenue impératrice elle est restée pour le
peuple : la bonne Joséphine, et c'est avec raison
quo lui a été décernée cetto appellation; car,
affable et généreuse envers tous, elle a ou au
plus haut degré la passion d'obliger et do faire du
bien. « Si jo gagno des batailles, disait Napoléon
à Josôphino, c'est toi qui gagnes les coeurs! »
Dès avant l'année 1802 la maison du Premier
Consul et do Joséphine se trouvait établie sur le
pied d'une petite cour encore modeste à la
vérité, mais qui fut en quelque sorte l'embryon
de la Cour plus tard si fastueuse et si brillante de
l'Empereur. Un témoin oculaire de la période
consulaire nous la décrit dans ces termes * :
« Le Premier Consul n'avait plus do table
l.Méneval, Mémoires,1.1,p. 132et 133(Dentu, éditeur, 1894).6
82 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
commune; il dînait avec madamo Bonaparto et
avec quelques membres do sa famille. Les mercre-
dis qui étaient jours de conseil, il retonait à dîner
les consuls ot les ministres 1. Il déjeunait seul.
» Il y avait un gouverneur du Palais qui était
le général Duroc. Ce général avait dans ses attri-
butions l'ordonnance des dépenses, la polico ot la
surveillance du palais. Il tenait tablo pour les
officiers et dames de service ot pour les aides de
camp. La maison militaire so composait alors de
quatre généraux commandant la garde des con-
suls : les généraux Lannes, Bessiôres, Davout et
Soult; do huit aides de camp : les colonels
Lo Marois, Caffarelli, Lauriston, Caulaincourt,
Savary, Rapp, Fontanelli, officier italien, et le
capitaine Lebrun, fils du troisième consul. Il y
avait quatre préfets du palais : MM. de Luçay,
Rémusat, Didelot et Cramayel ; ot quatre dames :
mesdames de Luçay, Talhouët, Rémusat et Lau-
riston. Un des généraux de la garde était de
service chaque semaine chez le Premier Consul,
ainsi qu'un aide de camp et un préfet du palais.
» Les préfets du palais étaient chargés du
1.Leshuit ministres en exercice eu dé: ut du Consulat étaient :Talleyrand, Fouché, Gaudin, Berthier, Decrès, Chaptal, Abrial,Barbé-Marbois,plus tard vinrent Régnier et Portalis.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 83
service intérieur, du règlement de l'étiquette et de
la surveillance dos théâtres. Los dames étaient
chargées d'accompagner madame Bonaparte; les
présentations des femmes des ambassadeurs
étrangers et autres étaient faites par elles. Une
damo était de service chaquo semaine auprès de
madame Bonaparte. Dans les cérémonies ou dans
les circonstances extraordinaires les dames et les
préfets du palais étaient tous présents.
» Le général de la gardo do servjce tenait table
pour les officiers qui étaient de garde au palais.
» Il y avait ainsi déjà à c<tte époque, dans la mai-
son du Premier Consul, les éléments d'une cour. »
A l'oxception de ces modifications d'étiquette,
changements nécessités par l'accroissement de
puissance et d'honneur décerné à la magistrature
qu'il exerçait, la vie intime de Napoléon d emeura à
peu près la môme. Entre dix heures et onze heures
du soir, Joséphine causant encore ou jouant aux
cartes, on venait l'avertir que le Premier Consul
était couché. Elle congédiait alors son entourage
et allait rejoindre son mari. Quand Joséphine trou-
vait celui-ci éveillé, elle s'asseyait sur le pied de
son lit et commençait uno lecture. Comme elle
lisait fort bien, il éprouvait du plaisir à l'écouter.
« A la Malmaison, dit encore le secrétaire
84 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
intimo do Napoléon, lo Premier Consul passait
dans lo parc les moments qui n'étaion* pas
employés dans lo cabinet, et là encoro son temps
n'était pas perdu.
Joséphine disposait du sien commo elle l'on-
tondait. Ello recevait, pondant la journée, de
nombreuses visites; elle déjeunait avec quelques
amies et avec des connaissances anciennes et
nouvelles. Ello no possédait pas de talents d'agrô-
mont, ello no dessinait pas, ello n'était pas musi-
cienne. Il y avait dans son appartement une
harpe, sur laquelle elle jouait par désoeuvrement,
et toujours le même air. Elle travaillait à des
ouvrages de tapisserie, en se faisant aider par ses
dames et par celles qui venaient la voir. Elle avait
ainsi fait le meuble du salon de la Malmaison.
Cetto vio occupée plaisait à Napoléon *. »
Ce qui plut beaucoup moins par la suite à
l'époux de la bonne impératrice Joséphine fut sa
constante prodigalité. Pour elle les mots économe
et économie étaient des termes vides de sens.
D'après la Biographie Michaud, Joséphine aurait
eu, à un certain moment, 1200 000 francs de dettes
dont elle n'aurait osé avouer à Napoléon que la
1. Méneval,Mémoires,1.1.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 85
moitié seulement. Il est parlé dans lo môme
ouvrage de trente-huit chapeaux neufs achetés dans
un seul mois! Cetto profusion irréfléchie rondait
lo désordre permanent dans la maison de la pre-
mière femmo do l'Empereur, ot lui attirait do la
part do Napoléon, ami de l'ordre et de l'économie,
do continuels reproches assurément justifiés 1.
a Joséphine, a dit dans ses Mémoires madame
Ducrest, voulait quo tout le monde fût heureux
là où ello passait. Toute espèce de malheur et
de souffrance/sans distinction de parti, trouvait
toujours accès auprès d'elle. Son inépuisable
charité jointe à ses goûts de dépense avait pour
résultat d'obérer continuellement son budget. Les
émigrés notamment lui durent leur radiation,
leurs biens restitués, des pensions, des secours.
Josôphino no savait rien refuser aux solliciteurs. »
Parlant de la femme du Premier Consul, après
leur installation aux Tuileries, M. Aubenas dit
1. Napoléonn'avait jamais, à aucune époque, pu s'accoutu-mer aux dépensesexagérées de Joséphine ni à la facilitéaveclaquelle elle contractait des dettes. Joséphine avait eu long-temps Bourrienne comme complice pour les lui dissimuler,mais une dette non avouéen'en existait pas moins, et d'ailleurstoute tentative trouvait Joséphine incorrigible. Elle ne savaitrésister ni à un châle, ni à une parure, ni à un tableau, ni àune pièce d'orfèvrerie. Ce gaspillage n'avait pas de limites,malgré ies reproches et les observations de Napoléon.(Savine,Les Jours de la Malmaison.)
86 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
encore : « Elle y plaisait souverainement, parce
qu'on sentait qu'elle aimait à plaire, et elle le
désirait non par calcul, mais par nature. Dans
ses relation- elle mettait plus de bienveillance
qu'elle n'en exigeait. L'ingratitude ne la décou-
rageait point. Les sourdes jalousies, les petites
noirceurs, que lui valut sa grandeur croissante,
ne la troublèrent ni ne l'aigrirent. Toute sa vie
elle ne lutta que par un redoublement d'affabilité
et do douceur : en un mot ello fut imperturba-
blement bonne. Ce fut son arme contre ses
ennemis, son charme pour ses amis, son pouvoir
sur son époux. Nulle femme ne possédait, en
outre, au même degré, le talent de recevoir et de
dire à chacun, sans fadeur, ce qui pouvait lui
agréer le mieux. Habile à marquer les degrés de
sa position, on voit son ton se relever avec elle;
mais ce ne sont que des nuances dans le même
fond de gracieuse bienveillance, car, si elle ne
fut jamais au-dessous de son rang, ello se montra
constamm •* an-dessus de sa fortune, qu'elle
portait avec aisai» -s et simplicitéf ».
Dans le même second volume de son histoire
de l'impératrice Joséphine, M. Aubenas nous
1. Aubenas, t. H. p. 117, 118.
L'IMPÉRATRICE JObÉPHINE. 87
fournit d'autres renseignements intéressants sur
l'intérieur du ménage consulairo :
« Lo Premier Consul donnait à sa femmo tous
les instants que no lui prônaient point les
affaires; souvent mémo, avant lo dîner il des-
cendait à sa toiletto, touchant à tout, brouillant
tout et la taquinant amoureusement sur la pose
de ses coiffures et le choix de ses robes, où certes
Joséphine n'avait rien à apprendre de lui. »
« Madamo Bonaparte qui possédait, dans une
rare penection l'art de se bien mettre, ajoute ma-
dame d'Abrantès, on parlant, dans ses Mémoires,
de ces premiers temps, donnait l'exemple de la
plus extrême élégance... Sa toilette était une des
parties do sa vie bien autrement importante que
celles qui regardaient le soin do son existence.
Elle n'aurait pas vécu si, le matin, le travail des
trois toilettes n'avait pas été fait. Au reste, il n'y a
rien à dire sur cette occupation dans une personne
qui est assise auprès de la suprême puissance 1. »
L'exemple de Joséphine était suivi, et cet élan
profitait au commerce et aux manufactures dont le
Premier Consul essayait de relever la prospérité.
1. Madamed'Abrantès, Mémoires.
CHAPITRE VII
i80M802. Paix de Lunéville, après les batailles de Marengoet deHohenlinden, signée le 7 février 1801.— Missionde madamede Guicheauprès de Joséphine et du Premier Consul. — In-succès do la séduisante ambassadrice des princes Bourbons.—Machineinfernale. — Émotioncruelle de Joséphine. —Uneère de pacificationgénérale semble s'ouvrir après le traité deLunéville. — Les beaux jours de la Malmaison; comédies etdivertissements auxquels prennent part Bonaparte et José*phine. — Partialité do cette dernière pour Fouché. — Unoaccusation portée dans le Mémorialcontre Joséphineest réduiteà néant par un témoignage tiré des Mémoiresdo Thibaudeau.— Louis Bonaparte; son mariage avec llorlcnse do Beauhar-nais. — Paix d'Amiens, au mois de mai 1802.— Naissancedufils atné do Louis Bonaparte. — Signature du Concordat.
Tous les détails précédents quo nous avons
cru devoir rapporter, sur l'organisation do la
cour consulaire et sur la manière do vivre do
Joséphine, nous ont fait négliger de relater,
dans leurs grandes lignes, les principaux événe-
ments qui ont marqué la période do temps qui
s'est écoulée entre l'élévation du Premier Consul et
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 89
l'année 1802. La guerre contre l'Autriche n'avait
effectivement pas tardé à absorber toute l'atten-
tion et toute la vigilance du général Bonaparte.
Les préliminaires d'une paix avantageuse pour
l'Autriche, signés à Paris le 28 juillet 1800»
n'ayant pas été ratifiés par l'empereur d'Alle-
magne, les hostilités avaient recommencé entre
la Franco et l'Autriche. La victoire demeura cette
fois encore fidèle à nos drapeaux ot lo gain de la
bataille de Hohenlinden par Moreau, après celle
de Marengo gagnée par l'armée d'Italie, décida
le cabinet de Vienne à traiter. Des conférences
pour la paix s'ouvrirent, à Lunéville, entre
Joseph Bonaparte représentant du gouvernement
français et le comte Cobenzl plénipotentiaire
d'Autriche, et le 9 février 1801 avait lieu la signa-
ture du traité de paix définitif.
Pendant l'interruption momentanée de ces
négociations, la duchesse de Guiche, mandataire
du comto d'Artois et du parti royaliste, était
arrivée à Paris. Cette jolie personne était chargée
d'une mission de séduction auprès de Joséphine
avec laquelle ello avait aisément trouvé des
tenants et aboutissants. Madamo de Guiche fut
invitée à déjeuner à la Malmaison, circonstance
qu'elle jugea des plus favorables pour sonder
00 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
les dispositions des propriétaires du château.
La séduisante ambassadrice déploya toutes ses
grâces pour plaider auprès de ses hôtes la cause
des princes do la maison de Bourbon, en laissant
entendre à ses auditeurs quo la reconnaissance
des frères du roi Louis XVI serait éclatanto,
digne en un mot du héros qui en deviendrait
l'objet. Joséphine, dont les attaches avaient
toujours été royalistes, nourrissait peut-être, au
fond de son coeur, des dispositions favorables à
une semblable combinaison 1; mais il n'en fut
pas de même de la part du Premier Consul, qui
s'empressa de faire transmettre, le soir mémo, à
la duchesse l'ordre do quitter le territoire fran-
çais.
Le parti royaliste, toujours rempli d'illusions,
avait compté sur le concours du général Bona-
parte pour rétablir la monarchie au profit de la
maison do Bourbon. Sa déception ne pouvait
manquer d'être cruelle devant les refus nets et
catégoriques exprimes par le Premier Consul de
se prêter à servir la cause de la restauration do
l'ancien régime. L'échec essuyé par ses émis-
1. « Machère amie, aurait dit Napoléon& sa femme, tu esune bien bonne femme, mais tu manques de sens... Va, laisse-moi faire, tu auras, ainsi que les tiens, mieux que ce que l'ont'offrel »
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 91
saires out par conséquent pour effet d'exaspérer
los chefs les plus exaltés de ce parti, et do les
inciter à so livrer à des tentatives criminelles.
Ce qu'on n'avait pu obtenir par la douceur, on
allait tenter de l'accomplir par des procédés
violents. Lo 3 nivôso, veillo de Noël 1800, l'Opéra
devait donner une représentation de la Création,
oratorio d'Haydn, où l'on savait, que la famille
du Premier Consul avait décidé do se rendre. Le
général Bonaparte, accompagnée de Lebrun, de
Lannes et de Bessiôres, était parti dans une pre-
mière voiture; madame Bonaparte, Hortense et
madame Murât, escortées de Rapp, devaient le
suivre sans retard. Un hasard providentiel, dont
les mémoires de Rapp ont fait mention, retarda
le départ de Joséphine, de telle sorte quo la
terrible explosion de la machine infernale de la
rue Saint-Nicaise se produisit exactement après
le passage do la voiture du Consul, et peu d'ins-
tants avant l'arrivée de l'équipage qui portait sa
femme, sa soeur et sa belle-fille. Quinze morts
et 80 blessés furent les victimes de cet affreux
attentat, qui ébranla et mutila toutes les maisons
du voisinage. La famille consulaire, échappée
par miracle à la mort qu'on lui destinait, s'était
trouvée bientôt réunie saine et sauve dans la
92 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
salle du spectacle. Il faut écouter madame d'A-
brantès qui relate, dans sos Mémoires, l'impres-
sion que lui causa dans ce moment dramatique,
l'apparition du chef de l'état et de sa famille :
« Je regardais pendant ce temps, dit-elle, dans
la loge du Premier Consul. Il était calme et
paraissait seulement ému toutes les fois que le
mouvement (des spectateurs) lui apportait quel-
ques paroles fortement expressives, relativement
à ce qui venait de so passer. Madame Bonaparte
n'était pas aussi maîtresse d'elle-même. Sa figure
était bouleversée; son attitude même, toujours
si gracieuse, n'était pas la sienne. Elle semblait
frissonner sous son châle, comme sous un abri ;
et, dans le fait, c'était ce châle qui avait été la
cause de son salut personnel. Elle pleurait;
quelque effort qu'elle fit pour retenir ses larmes,
on les voyait le long de ses joues pâles, et, lors-
qu'elle regardait lo Premier Consul, elle frisson-
nait de nouveau. Sa fille était aussi fort trou-
blée. Quant à madame Murot, lo caractère do la
famille paraissait en elle ; elle fut parfaitement
maîtresse d'elle-même dans toute cetto cruelle
soirée. »
Joséphine demeura longtemps sous lo coup de
la terreur qu'elle avait éprouvée, aussi bien pour
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 93
ello quo pour les siens, et faisant allusion à toutes
les tentatives qui, depuis six mois, empoison-
naient sa vie : a Est-ce vivre, s'écriait-elle, que de
tromblor sans cesse! » On attribua d'abord aux
terroristes la responsabilité de ce criminel atten-
tat, mais il fallut bien reconnaître que Fouché
avait raison d'en accuser le parti royaliste.
L'année 1801 vit la paix se rétablir non seule-
ment à Lunéville avec l'Autriche, comme nous
l'avons rapporté, mais encore avec Naples, la
Bavière, lo Portugal, la Turquie et enfin la
Russie. Le traité de paix avec l'Angleterre ne
devait être signé que dans les premiers mois de
l'année suivante, mais celui qui intervint entre
la Franco et les États-Unis d'Amérique le pré-
céda do près d'une année. Cette époque a marqué
l'apogée do la période consulaire, si glorieuse
pour lo général Bonaparte.
Les beaux jours de la Malmaison, dont tant
d'auteurs ont, dans leurs Mémoires, vanté le
charme et l'agrément, brillèrent surtout, dans
cette année 1801, du plus vif éclat. Dans la
journée l'entourage du Premier Consul et Napo-
léon lui-même faisaient des parties de barres.
Le soir Joséphine so mettait au trio-trac, jeu
94 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
qu'ello affectionnait et où elle excellait, paraît-il,
y jouant bien ot très vite. Un petit théâtre, pou-
vant contenir environ deux cents spectateurs, réu-
nissait le soir les aides do camp et los habitués de
la petite cour consulaire. Eugène de Beauharnais
se distinguait, assurc-t-oit, dans les rôles de valet.
Sa soeur Hortense et lui étaient les acteurs en
vedette; après eux venaient Bourrienne, Lau-
riston, Denon, enfin plusieurs dames et officiers
de la maison du Premier Consul. Michot, excel-
lent comédien, sociétaire du. Théâtre-Français,
dirigeait le spectacle et présidait aux répétitions.
Napoléon assistait régulièrement aux représen-
tations, qui consistaient en petites comédies de
genre, et s'y amusait réellement. Il se plaisait
à louer ou à critiquer.le jeu des acteurs. Ses
observations très souvent laudatives, toujours
piquantes, témoignaient de l'intérêt qu'il prônait
à ces spectacles. Il y avait, lo dimanche, do
petits bals où il se laissait aller au plaisir do la
danse; cetto vie patriarcale avait de l'attrait pour
lui 1.
Il a été parlé plus haut de Fouché, ministre de
la police, à propos de l'attentat de la rue Saint-
1. Méneval,Mémoires,1.1.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. Q$
Nicaiso ; si Napoléon avait du penchant pour la
personne et les manières flatteuses de Talloy-
rand, Joséphine témoignait au contraire, pour le
futur duc d'Otrante, une préférence très marquée.
Elle lui accordait, sur l'ancien évêque, le prix
de la franchise, singulier mot, dit M. Aubenas,
pour désigner des rangs dans ce concours de
la duplicité. Enfin Joséphine croyait de bonne
foi, et avait fini par faire croire à Napoléon, que
les services de Fouchô, co dangereux malfaiteur
politique, étaient indispensables à leur sécurité,
et qu'il ne fallait dans tous les cas, à aucun
prix, l'avoir pour ennemi. Malgré les motifs
légitimes et nombreux qu'eut plus d'une fois
l'Empereur de se plaindre de ce méprisable per-
sonnage, Joséphine contribua toujours, autant
que la chose lui fut possible, à le faire rentrer
en grâco auprès de son époux. On sait de quelle
façon Fouché, par la suite, l'en récompensa! Dans
le courant de l'année 1807, croyons-nous, Fouché
osera prendre effectivement, et sans y avoir été
nullement autorisé, l'initiativo de parler bruta-
lement à l'Impératrice de la convenance d'un
divorce! En se permettant cette impertinente in-
cartade, lo fameux duc d'Otrante croyait entrer
dans les vues secrètes de Napoléon qu'il poussait
96 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
à prendre cette grave détermination, dans le but
do le flatter, à une époque où l'Empereur n'y
était encore aucunement disposé.
Le lecteur se souviendra peut-être de l'indigna-
tion avec laquelle la reine Hortense, dans un pas-
sage d'une des lettres qu'elle adressait à l'abbé
Bertrand, so plaint d'une accusation jugée par
elle calomnieuse, portée contre sa mèro dans le
Mémorial de Sainte-Hélène 1. On trouve dans les
Mémoires de Thibaudeau l'explication de l'irrita-
tion bien justifiée de la fille de Joséphine. L'édi-
teur des mémoires précités fait observer dans
une note, à l'appui do ce qui vient d'être dit, que
Thibaudeau, dans ses véridiques récits, a mis à
néant une allégation relative à la première femme
de Napoléon reproduite par M. do Las Cases. Le
confident de l'Empereur à Sainte-Hélène fait effec-
tivement dire à celui-ci que lorsque Joséphine dut
renoncer à l'espoir de donner un fils à Napoléon,
ello mit plus d'uno fois son mari sur la voie d'une
grande supercherie politique ; en un mot qu'elle
lui proposa de feindre une grossesse et d'adopter
tel enfant qu'il voudrait lui présenter. Or Thi-
baudeau, parlant d'uno des dernières conversa-
1. Voir l'introduction, p. m et iv.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 97
tions qu'il eut avec Joséphine s'exprime à co pro-
pos textuellement dans ces termes :
« Soyez sûr, me dit-elle, qu'ils n'ont pas
renoncé à leur projet d'hérédité et quo cola arrivera
un peu plus tôt, un pou plus taru. Ils veulent que
Bonaparte ait un enfant de qui que co soit. Ils
voudraient ensuite me lo faire adopter, parce
qu'ils sentent bien que Bonaparte se ferait tort s'il
renvoyait une femme qui s'est associée à lui dans
un temps où il n'avait aucune puissance, et avec
la fille de laquello il va marier son frère. Mais
jamais, jo le leur ai déclaré, je ne mo prêterai à
uno pareille infamie... »
Ils, c'était le clan de la famille Bonaparte, tou-
jours jaloux dos Beauharnais, que les frères et
les soeurs du Premier Consul n'aimaient guère;
c'étaient les Fouché, les Talleyrand et tous les
intrigants qui espéraient tirer honneurs ou profits
d'un nouveau mariage du maître. Joséphine fait
preuve d'équité ot do perspicacité en ne rendant
pas son époux responsable entièrement de ces
pensées do divorce; elle savait à merveille com-
bien Napoléon y était incité par certaip<5çrspn«>
nages influents de son entourage. /^*
Lo jeune beau-frôro de Joséphine/hpiiië Bona-
parte, avait toujours montré pour ceuê^ci, 'comme
98 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
nous l'avons vu, de la sympathie et des égards.
La femme du Premier Consul, sensible à ces bons
procédés, avait du penchant pour Louis, car ello
n'était pas gâtée par le resto do la famille. Elle
crut donc bien faire dans son intérêt, comme dans
celui de sa fille Hortenso, en entreprenant de.
marier mademoiselle de Beauharnais au frèro de
Napoléon. Joséphine y parvint après quelques
résistances do la part des deux futurs conjoints,
qui avaient on quelque sorte lo pressentiment de
contracter uno union mal assortie. Le mariage fut
célébré dans les premiers jours de l'année 1802,
et lo cardinal Caprara, qui se trouvait à Paris,
donna aux deux époux, sur leur demande, la
bénédiction nuptiale dans le salon de l'hôtel de la
rue do la Victoire qu'ils allaient occuper, car les
églises n'étaient point rouvertes encore. Dans le
courant de la même année lo 18 thermidor
(6 août) le général Bonaparte était proclamé
Consul à vie.
Joséphine, comme le sait à présent lo lecteur,
appréhendait l'avonir et, peu ambitieuse do sa
nature, redoutait tant de grandeurs pour son
mari. Les Bonaparto au contraire, insatiables
d'honneurs et de dignités, auraient voulu voir
leur chef gravir plus rapidement encore les écho-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 99
Ions du pouvoir suprême. On no parlait aux Tui-
leries et dans les cercles officiels que d'hérédité,
de dynastie, pour mieux fortifier le gouverne-
ment du général Bonaparte. D'après ce que
raconte encore Thibaudeau, Joséphine, lui faisant
ses confidences, aurait dit :
<cJe n'approuve pas tous les projets qu'on
médite; je l'ai dit à Bonaparte. Il m'écoute avec
assez d'attention; mais les flatteurs le font bien- I
tôt changer d'opinion. Los nouvelles concessions
qu'on lui fera augmenteront le nombre de ses
ennemis. Les généraux crient qu'ils ne se sont
pas battus contre les Bourbons pour leur substi-
tuer la famille Bonaparte. Je no regrette point de
n'avoir pas d'enfants de mon mari, car je tremble-
rais sur leur sort. Je resterai attachée à la desti-
née de Bonaparte, quelque périlleuse qu'elle soit,
et tant qu'il aura pour moi les égards et l'amitié
qu'il m'a toujours témoignés. Mais le jour où il
changera, je me retirerai des Tuileries. Je n'ignore
pas qu'on le pousse à s'éloigner de moi. Lucien
donne les plus mauvais conseils à son frère. »
Au mois de mai 1802 la paix d'Amiens fut
signée avec l'Angleterre ot célébréo avec solen-
nité. Après tant de convulsions, de guerres et
de traverses, la France jouissait enfin d'un vrai
100 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
repos et d'une prospérité renaissante. Cetto pé-
riode do calme et de recueillement ne devait pas
malheureusement durer bien longtemps. Après
un nouveau séjour à Plombières, Joséphine alla
rejoindre son époux qui, au commencement de
l'automne, prit possession de l'ancienne résidence,
royale do Saint-Cloud. Napoléon y transporta le
gouvernement et fit annoncer par Duroc que tous
les dimanches il y aurait, au château de Saint-
Cloud, uno grande audience précédée de la messe,
à laquelle on ferait plaisir au Premier Consul
d'assister 1.
Joséphine cependant no négligea jamais la
Malmaison, ce premier asile de sa seconde jeu-
nesse et de son bonheur. Tous ses soins tendirent
constamment à l'embellir et à en faire le plus
charmant ot lo plus agréable séjour. Le rétablis-
sement do la paix avec l'Angleterre avait permis
à Joséphine d'ouvrir des relations avec quelques
botanistes ot avec les principaux pépiniéristes de
Londres. Elle recevait, par cette voie, des plantes
et des arbustes rares ou nouveaux dont ello enri-
chissait ses collections*. « Elle me donnait à tra-
1. Thibaudeau, Mémoires.2. Mémoiresde mademoiselleGeorge,d'après le manuscrit ori-
ginal, par M. P.-A. Ghéramy, (008. Les (leurs et Joséphine :• Joséphineaimait beaucouples (leurs. MademoiselleRaucourt
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. iOi-
duire, a dit dans ses Mémoires le second secrétaire,
de Napoléon, des lettres écrites en langue anglaise
qui lui étaient adressées à cette occasion. José-
phine, à la Malmaison, visitait régulièrement ses
belles serres dont elle s'occupait beaucoup 1. » Là
elle se sentait bien chez elle, et n'était plus assom-
brie par le triste souvenir de l'infortunée reine
Marie-Antoinette.
Au mois d'octobre 1802 madame Louis Bona-
parte mit au mondo un fils, ce qui ravit le coeur
de la bonne Joséphine et fit grand plaisir à Napo-
léon. A la fin de ce môme mois d'octobre le Pre-
mier Consul et sa femme entreprirent un voyage,
en Normandie où ils reçurent, particulièrement à
Rouen et à Evreux, l'accueil le plus chaleureux.
Aussi Joséphine pouvait-elle écrire do la première;
do ces villes à sa fille :
« Le courrier part, je n'ai que le temps de
t'ombrasser ainsi que ton mari ot mon petit-fils de
en était très amateur. Elles faisaient des échanges... A unvoyagoque fit Joséphine, elle s'arrêta à la Chapelle, (résidencedo mademoiselleRaucourt); elle vint visiter la serre et emportades plantes. Ce petit détail est pour bien établir l'intimité deJoséphine avec mademoiselleRaucourt,et 1a familiarité qui fai-sait qu'elle l'appelait Fanny. •
1. Ménoval,Mémoires,1.1.
102 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
tout mon coeur. Nous nous portons tous bien. La
joie est générale à Rouen, tous les habitants sont
sous les fenêtres de Bonaparto depuis son arrivée,
et veulent à chaque instant le voir. Ils ne savent
de quel nom le nommer : cela tient vraimont du
délire. Je t'envoie une chanson que l'on chante
dans les rues. J'ai reçu ta lettre ; elle m'a fait grand
plaisir. Adieu; on me demande ma lettre. Bona-
parto et Eugène t'ombrassent, et ta mère t'aime
do tout son coeur.
» JOSÉPHINE 1, »
Ainsi se termina paisiblement pour la mère
d'Eugène et d'Hortenso l'année 1802, année mar-
quée par un grand événemont religieux, le
Concordat, qui réconcilia la nation française avec
l'Église.
1. CollectionDidot,t. II, p. 224.
CHAPITRE VIII
Rupturo de la paix d'Amiens en 1803.— Appréhensions mani-festées par Joséphine de l'élévation toujours croissante de son •
mari et d'elle-mômo. — Elle n'eut jamais beaucoup d'ambi-tion. — Yoyago du ménage consulaire dans les provincesbelges. — Lettro de Joséphino h sa fille Hortense. — Complotde Georges Cadoudal. — Camp de Boulogne; immenses pré-paratifs do descento en Angleterre. — Deux lettres de la cor-
respondance particulière de Joséphine. — Condamnation desprincipaux fauteurs du complot de Georges et de leurs com-
plices. — Arrestation et oxéculion du duc d'Ënghien. —
Chagrin et regrets de Joséphine &co sujet. — Témoignagedu prince Eugène a propos de ce cruel événement.
L'année 1803 vit s'effectuer la rupture de la
paix d'Amiens dont l'Angleterre n'avait pas
récolté les avantages qu'elle en attendait, Cotte
trèvo éphémère, dans la lutte sans merci engagéo
entre la France ot ses éternels rivaux, eut modifié
peut-être entièrement la destinée de Napoléon,
si la tendance pacifique du gouvernement bri-
tannique avait pu lui assurer un caractère sin-
cère et durable. Tout le génie du maître de la
104 L IMPÉRATRICE JOSEPHINE,
Franco se tourna dès co momont vers la guorre,
ot il no songea plus désormais qu'à rondro à notro
onnemio héréditairo lo mal qu'ollo a toujours fait
à la soulo rivalo qu'elle redoutait en Europe,
avant 1870 et la chuto du second Ëmpiro.
Joséphine, attristéo do la tournuro des événo-.
ments, était parti© pour Plombières. C'est do cotto
localité qu'ollo écrivait a sa fillo :
a Jo suis touto chagrine, ma chère Hortonso;
jo suis séparée do toi, et mon coeur est aussi
malade que touto ma personne, Jo sons quo je
n'étais pas néo pour tant do grandeur, et que jo
serais plus heureuse dans la retraite, environnée
des objets de mes affections...' »
Le Premier Consul entreprit ensuite avec José-
phine un voyage dans les provinces du Nord ot
dans les départements bolges. L'accueil qui leur y
fut réservé surpassa, en fait d'enthousiasme, les
ovations du voyage de Normandie. Joséphine,
dans une disposition d'esprit moins heurouso
que précédemment, écrivait de Lille à sa fillo
lo9 juillet 1803»;
« J'ai eu l'attontion, ma chère Hortense, de te
faire écrire par ton frère ot par ces dames pour te
1. Àubcnas, t. II, collection Didot.2. Ibidem.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 1Û&
donnordes nouvelles do Bonaparto et des miennes.
Depuis mon départ do Paris, j'ai été constamment
occupéo à recovoir dos compliments. Tu mo con-
nais, tu jugoras d'après cola si jo no préférerais
pas une vio plus tranquillo!... »
Après avoir passé par Bruxelles, Liège, Namur
ot Sedan, lo Premier Consul revint à Paris, puis
do là ù Saint-Cloud, méditant déjà dans sa tôte ot
préparant, dès son retour, une expédition navale
contro l'Angleterre par l'organisation du célèbro
camp do Boulogne.
L'Angloterro, d'abord méprisante, finit pars'in-
quiétor do ces immenses préparatifs. Elle eut
alors recours à la ressource des complots, tristes
moyens que la morale réprouve et dont M. Thiers
a parlé avec l'autorité qui lui appartient.
Joséphine écrivait à ce propos à sa fille uno
lettre qui témoigne des inquiétudes qui assié-
geaient son esprit, ot quo nous jugeons intéres-
sant de reproduire à notre tour :
« Il s'est passé bien des choses depuis ton départ»
disait-elle. L'homme 1qu'on devait fusiller, ot qui
a demandé sa grâce, a révélé des choses impor-
tantes : il y avait à Paris [quatre-vingts chouans
1. Quérel.
106 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
déterminés à assassinor Bonaparte. Savary est
parti avant-hior, avoc cinquanto gendarmos, pour
aller prendre Georges et dix-sept autres indi-
vidus, qui no sont pas bion éloignés do Paris.
Imagine-toi quo Georges ost à Paris ot aux envi-
rons depuis lo mois d'août ; vraiment cela fait
frémir! Lorsque tu arriveras, jo to donnerai tous
les détails de cet horrible complot. On a déjà
arrêté bien du monde. No dis rion do cola à por-
sonno; j'en excopte ton mari 1. »
En attendant l'arrestation de la plupart des
affidés do ce complot qui no tarda guère à être
opérée, et qui eut pour résultat l'exécution do
plusieurs d'entro eux, il no nous parait pas
superflu do revenir au camp de Boulogne. Bion
no fut plus sérieux, plus génialement ni plus
minutieusement combiné quo cotte gigantesque
entreprise contre les îles britanniques : « Trois
heures do mor, disait Napoléon, ot quelques jours
do marche nous séparent de Londres; j'y condui-
rai 150 000 vétérans et c'est sur les ruines do
l'oligarchie anglais© que nous conquerrons la
paix du monde et la liberté des mers ! »
« Cet appareil formidable, placé en faco do
1. CollectionDidot, dans Aubenos.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 107
l'Angleterre, a dit M. de Colbert dans sos Tradi-
tions et souvenirs 1, la forçait a concentrer son
attention sur un seul point, ot l'Europe continen-
tale, vu l'état do guorre, n'avait rien à dire contre
ces immenses armements. Bonaparte se trouvait
ainsi prêt a toutes les éventualités.
» Ce matériel préparé était épars sur toutes
les côtes depuis Cherbourg jusqu'au Toxel; il fal-
lait le réunir sur lo point d'où l'on pouvait passer
le plus facilement en Angleterre, ot cette réunion
ne pouvait s'opérer qu'en présence des croiseurs
anglais. Cette difficulté fut cependant surmontée :
la flottille répondit à ce qu'on on attendait; l'armée
tout entière put y trouver place, et lorsqu'on en
eût pris l'habitude, l'embarquement et lo débar-
quement se faisaient avec ordre et avec une sin-
gulière rapidité. La première partie du problème
semblait résolue. »
Si cette audacieuse et grandiose combinaison
échoua ce no fut point à cause de l'impossibilité
matérielle de son exécution, mais par l'insuffi-
sance du malheureux amiral Villeneuve.
Bien que se mêlant peu de politique, ot moins
encore de ce qui concernait la guerre et ses prô-
1. Trois volumes par lo marquis de Golbert-Gliabanais,V. Havard, éditeur.
108 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
paratifs, Joséphino no se désintéressait pas dos
Vicissitudos subies par lo grand dossoin do son.
mari. Pondant un dos fréquents séjours do Napo-
léon au camp do Boulogne, alors qu'ollo était
allée do son côté faire encoro uno saison d'eaux
a Plombières, Joséphine écrivait au secrétaire
intime do son époux' les deux billots suivants :
< Plombières,lo 19 thermidor (an XII).
» Jo suis très sensible, mon cher Menevalle
(sic), à l'attontion que vous avez euo de me
donner des détails sur l'arrivôo do l'Empereur à
Boulogno. Votre note m'a fait le plus grand plai-
sir. Continuoz à m'en envoyer do môme le plus
souvent qu'il sera possible; vous no pouvez rien
fairo qui puisse m'ôtre plus agréable et je les
attendrai avec bien de l'impatience.
» JOSÉPHINE. »
« Plombières, lo 20 thermidor.
» Je prends trop d'intérêt, mon cher Menneval
(sic), aux nouvelles quo vous me donnoz, pourno pas vous engager de nouveau a les continuer
avec le même soin. Jo compte sur vous pour être
i. Lettres de l'impératrice Joséphine a M. de Méneval (iné-dites).
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 109
oxactomont informée do la santé do l'Empereur»
ot avoir lo plus de détails possible sur tout ce
qui se prépare. On parlo toujours beaucoup do
descente, je mo flatte quo ces bruits ne sont pas
fondés1,., cependant, no mo cachez rien, et soyez
sûr qu'en diminuant mes inquiôtudos, vos notes
me feront ici presque autant de bion que les
eaux.
» JOSÉPHINE. »
Il a été fait précédemment allusion au complot
formé contre les jours du Premier Consul, com-
plot que Fouchô avait contribué à éventer et qui
avait heureusement avorté avant sa mise a exécu-
tion. Cadoudal et plusieurs de ses complices
payèrent de leur vie le criminelx projet qu'ils
avaient conçu. Le général Moreau fut exilé en
Amérique, mais beaucoup de conjurés durent
leur grâce aux instances de Joséphine, entre
autres les frères Polignac. M. de Biviôre et
d'autres encore, furent redevables de leur salut
soit aux Murât, soit à d'autres membres de la
famillo Bonaparte, On avait appris aux Tuileries
1. Curieuse réflexion de la part de l'Impératrice; elle sembleInspirée par la crainte quo Joséphine avait conçue, dès son en-fance à la Martinique, des tentatives fréquentes dirigées contreles Antilles françaises par les vaisseaux anglais.
110 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
quo los personnages impliqués dans co complot
devaient attendre, pour agir, l'arrivée d'un prince;
mais quoi pouvait ôtro ce prince? Aucun nom
n'avait été prononcé...
« On se ferait difficilement une idée, a dit dans
sos Mémoires, le secrétaire intime de Napoléon,
dos anxiétés, dos agitations, dos douloureuses
insomnies quivinront assaillir lo Premier Consul,
et dont jo fus témoin pendant lo mois do janvier
1804, où des trames ignorées s'ourdissaient autour
de lui sans qu'il pût les atteindre, où il sentait le
sol trembler sous ses pieds, où l'air qu'il respirait
semblait lui apporter les indices d'un danger
inconnu. Son âme n'en fut point abattue 1. »
La contention d'esprit continuelle qu'il subis-
sait no pouvait manquer cependant de troubler lo
calme et la sérénité do Napoléon. Il était devenu
sombre, agité, menaçant, et M. Thiers, dans son
ouvrage sur le Consulat et l'Empire, lui prête
avec beaucoup de vraisemblance le langage sui-
vant : « Les Bourbons croient qu'on peut verser
mon sang comme celui des plus vils animaux.
Mon sang, cependant, vaut bien le leur; je vais
leur rendre la terreur qu'ils veulent m'inspiror.
1. Méneval,Mémoires,t. I, p. 264 et suivantes.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 111
Je pardonno a Moroau sa faiblosso et l'ontratno-
ment d'uno sotto jalousio, mais jo forai impi-
toyablement fusiller le premier do ces princes
qui tombera sous ma main; je leur apprendrai
à quoi homme ils ont affaire » Hélas! ajouto
M. Aubenas, pour réaliser cotto sanglante menace,
il commit la faute d'étondro la main au-delà des
frontières, ot d'y saisir un prince qui, malgré de
déplorables apparences, n'était évidemment pas
celui qu'attendaient les conjurés!
L'arrestation et l'exécution do l'infortuné duo
d'Enghion sont des faits trop connus pour qu'il
nous paraisse nécessaire d'on retracer les tristes
péripéties. Nous no nous étendrons pas davan-
tage sur la très lourdo part do responsabilité qui
incombe, dans ce cruol événement, à Talleyrand
ot à Fouchô, ces deux perfides conseillers do
Napoléon. Nous parlerons seulement de la vive
ot poignante impression que produisit sur José-
phine la fin lamentable et imméritée du dernier
des Condés. Aussi Bourrienne attribuo-t-il a la
femme de Napoléon, quoique temps après, ce
propos vraisemblable : « Ce titre d'impératrice ne
m'éblouit pas! » Puis faisant allusion à la mort
du duc : « J'augure mal do tout cola pour lui,
pour mes enfants ot pour moi. Les misérables
112 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
doivent ôtro contents! Voyez où ils l'ont poussé!
Cette mort ompoisonno ma vie. »
Joséphine, dont le coeur sonsiblo ot bon avait
horreur de touto espèce do violence, fut profon-
dément affectée par cette tragique et funeste
catastrophe. Ello lo fut d'autant plus qu'elle avait,
toujours conservé pour l'ancionno famille royalo
les sentimonts d'attachement et do respect qui
lui avaient été inculqués à cet égard dès l'en-
fance.
On a prétendu, dit M. Aubenas ', quo madame
Bonaparte s'était jetée aux genoux do son mari
pour lui demander la grâce du duo d'Enghien
ot quo cotte grAce lui avait été refusée, a Non
seulement ce fait est faux, ajouto lo duc de
Rovigo, dans ses Mémoires, mais il est hors do
toute vraisemblance. » Joséphine avait seulement
des appréhensions, ello pleurait et, depuis la
nouvello de l'arrestation du prince, ne cessait
d'interroger son mari, craignant sans y croire
encore que sa perte ne fût résolue. Le Premier
Consul se dérobait à ces questions importunes
et* aux larmes de sa femme, dont il redoutait
l'effet sur lui-même. « Un malentendu ou un
1. Aubenas, t. Il, p. 228-230.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 113
crime, dit encore M. Aubonas, rondiront vaines
los dispositions à la clémence qui agitaient l'Ame
du mari de Joséphine ot, lo lendemain do l'oxô-
oution, il vint lui-môme annoncer a sa fomme,
avec un air qui trahissait son émotion, que le
duc d'Enghien avait cessé de vivre. Madame
Bonaparte n'apprit donc la condamnation qu'en
mémo temps quo la mort du malheureux prince;
ello n'eut, par conséquent, ni l'occasion, ni la
possibilité de solliciter une grâce après laquelle
(sos premières instances l'indiquent suffisamment)
ello se fût à coup sûr acharnée et qu'ello eût,
selon toute probabilité, emportée'. »
Il est avéré toutefois, d'après les témoignages
do divers contemporains do Joséphine, qu'elle
accueillit cotte horrible nouvelle par une explo-
sion de larmes et de reproches; d'après M. Aube-
nas, on l'entendit plus d'une fois, dans cette
lugubre matinée, s'écrier avec un accent parti du
coeur : <cMais qui donc a pu lui donner un sem-
blable conseil? Ah! que no l'ai-je su à temps....
J'aurais détourné ce malheur! » Ce déplorable
événement constitue effectivement une page que
l'on voudrait pouvoir effacer do la glorieuse
histoire de Napoléon.
1. Aubenas, t, II, p. 228-230.
lit L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Nous terminerons ce qu'il reste a dire sur co
péniblo sujet en empruntant oncoro doux cita-
tions tirées des Mémoires du princo Eugène
d'abord, de ceux de Méneval onsuito, citations
qui ont trait a la malheureuso affaire du duc
d'Enghien :
« Sans entrer dans les vuos do haute politique'
qui peuvent expliquer un acte aussi dôplorablo,
a dit lo princo Eugène, jo mo bornerai à dire
qu'allant à la Malmaison le lendemain, j'appris
tout à la fois l'arrestation, le jugement et l'exé-
cution du prince. Ma mère était tout en larmes
ot adressait les plus vifs reproches au Premier
Consul, qui l'écoutait en silence. Elle lui dit que
c'était uno action atroce, dont il ne pourrait
jamais se laver; qu'il avait cédé aux perfides
conseils de ses propres ennemis, enchantés do
pouvoir ternir l'histoire de sa vie par une page
si horrible. Le Premier Consul se retira dans son
cabinet, et peu d'instants après arriva Caulain-*
court qui revenait de Strasbourg. Il fut étonné
de la douleur de ma mère, qui se hâta de lui en
apprendre lo sujet. A cette fatale nouvelle, Cau-
laincourt so frappa le front et s'arracha les che-
veux en s'écriant : « Ah! pourquoi faut-il quo
« j'aie été mêlé à cette funeste expédition! » Vingt
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. H$
ans se sont écoulés dopuis lors, ot jo mo souvionB
très bien quo plusieurs dos personnes, qui cher-
chent aujourd'hui à se lavor d'y avoir pris part,
s'en vantaient alors comme d'une fort belle chose,
et approuvaient hautoment cet acto. Pour moi,
j'en fus très peiné, à cause du respect ot do l'atta-
chement quo jo portais au Premier Consul; il
me parut quo sa gloire en.était flétrie. Quelques
jours après, ma môro mo dit qu'elle avait été
assez heureuse pour faire parvenir à une dame
que le prince affectionnait, son chien et quelques
effets qui lui avaient appartenu 1. »
Voici le récit de l'autre témoin oculaire :
« L'aspect de la Malmaison fut triste ce jour-là.
Je me souviens encore du silence qui régna, le
soir, dans le salon de madame Bonaparte. Le
Premier Consul se tenait le dos appuyé à la che-
minée, pendant que M. de Fontanos lui faisait je
ne sais quelle lecture. Madame Bonaparte était
assise h l'extrémité d'un canapé, avec l'air
mélancolique et les yeux humides; les personnes
du service, alors très peu nombreuses, s'étaient
retirées "dans la galerie voisine, et s'entretenaient
à voix basse du sujet de conversation qui absor-
i. Mémoireset correspondanceduprinceEugène,t, I, p. 90.
116 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
bait tous les autres. Quelques personnes vinrent
do Paris, mais, frappées de l'aspect lugubre du
salon, elles s'arrêtèrent à la porte. Le Premier
Consul, sombre ot pensif, en écoutant attentive-
ment la lecture de M. de Fontanes, no paraissait
pas s'apercevoir de leur présence. Lo ministre des
finances resta pendant un quart d'heure à la
même place, sans quo personne lui adressât la
parole. No voulant pas so retirer comme il était
venu, il s'approcha du Premier Consul et lui
demanda s'il avait dos ordres à lui donner; le
Consul lui répondit par un geste négatif 1. »
I. Méneval,Mémoires,1.1.
CHAPITRE IX
ÎSO'/.Proclamation do l'Empire — Lo Sénat so rend en corps&Saint-Cloudpour y saluer le nouvel empereur ot la nouvelleimpératrice. — Discours de Gambacérès. — Organisation dela cour et des grandes charges. — Quelque temps avant locouronnement, graves dissentiments dans la famille impé-riale. — Joséphine sur le point d'être sacrifiée &la jalousiedé certains membres de la famille Bonaparte. — Arrivée dupape Pie VII à Paris. — Triomphe do Joséphine, mariagereligieux secret, cérémonie imposante du sacre et du couron*nement.
L'Empire était dans l'air. Depuis longtemps on
parlait aux Tuileries, comme dans Paris, de la
nécessité do fortifier l'ordre établi en rendant lo
pouvoir du Premier Consul héréditaire. Uno fois,
l'hérédité sanctionnée par une nouvelle consti-
tution monarchique, les attentats et les complots,
disait-on, ne seraient plus susceptibles d'entraîner,
même s'ils réussissaient, des conséquences aussi
graves. Déjà dans l'entourage du chef de l'Etat
on parlait aussi sourdement do la nécessité d'un
1H8 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
divorce —Joséphino no pouvant plus espérer do
donner à son mari le fils quo celui-ci aurait si vive-
ment désiré. Los soeurs do Napoléon, son frère
Lucien surtout, poussaient lo Premier Consul à
cotte détermination. Fouchô aussi bien que Tal-
loyrand se mêlaient à ces intrigues, suivant les
dispositions qu'ils croyaient deviner chez Napo-
léon lui-même. Joséphine, dépourvue do grando
ambition, no souhaitait nullement do ceindre le
diadème, qu'une prédiction faite a la Martinique
Kii avait promis cependant. On assuro qu'elle
aurait dit n sa fillo : et Nous montons à une
hauteur d'où la chute sera terrible! » Hortense
partageait ces appréhensions. La mère comme la
fille d'ailleurs avaient des sentiments royalistes;
s'emparer do la couronne des anciens rois et la
placer sur une autre tôto leur paraissait un acte
d'usurpation.
Bourdonne prétond qu'il assista un jour a une
petite scène intime, ontro Joséphine ot Napoléon,
dans lo cabinet consulaire. Joséphino, venant
s'asseoir sur les genoux do son mari, lui aurait
dit : « Jo t'en prie, Bonaparte, no te fais pas roi...
c'est co vilain Lucien qui to pousse; no l'écouto
pas! » A quoi lo Premier Consul aurait répondu :
« Tu es folio ma pauvre Joséphino; co sont tes
*L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 119
vieilles douairières, c'est ta La Rochefoucauld
qui to font tous ces contes-là, laisse-moi donc
tranquille ! »
Lo Consulat à vio, que Joséphine n'avait déjà
vu proclamer qu'avec anxiété, no semblait avoir
été quo lo préliminaire de la prise do possession
du trône. La famille et l'entourage du Premier
Consul pronaiont un vif intérêt à cet important
changement. Dans lo salon do service il avait été
lo sujet d'abord d'apartés, puis do conversations
générales; des voeux presque unanimes appelaient
l'hérédité. Joséphino suivait l'entraînement qui
se manifestait do toutes parts, malgré ses répu-
gnances du début. Ello n'exprimait qu'aux per-
sonnes do sa confidence intime les inquiétudes
quo lui présageait l'élévation do son époux à la
puissanco souveraine. Lo Sénat avait donné
l'éveil dans une adresse présentée au Premior
Consul, doux mois auparavant, ot cet exemplo
avait été suivi par les autres Corps do l'Etat. Les
complots, les machinations dos princes et des
émigrés sur nos frontières fixèrent, à cet égard,
bien des irrésolutions 1.
Lo Tribunat prit l'initiative dans cette quos-
t. Méneval, 1.1.
120 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
tion ot lo Conseil d'État fut consulté. Lo voeu émis
par lo Tribunal, auquel se réunirent les membres
du corps législatif, alors présents à Paris pondant
la vacanco do cotto Assemblée, fut porté au Sénat.
Lo 18 mai un sénatus-consulte fut rendu qui
conférait à Napoléon Bonaparte la dignité impé-
riale héréditaire, et le vote populaire confirma
celui des grands corps de l'Etat.
Lo Sénat en corps so rendit à Saint-Cloud,
pour y porter au nouvel empereur lo sénatus-
consulte qui lui attribuait la couronne impériale.
Le cortège sénatorial alla présenter ensuite à la
nouvelle impératrice ses félicitations. L'Archi-
chancelior Cambacérôs qui présidait la haute
Assemblôo prit alors la parole et, s'adressant à
Joséphine, lui dit :
« Madame, il reste au Sénat un devoir bien
doux à remplir, celui d'offrir à Votre Majesté
Impériale l'hommage de son respect et l'expres-
sion de la gratitude des Français. Oui madame,
la renommée publie le bien quo vous no cessez dp
faire. Elle dit quo, toujours am «siblo aux malheu-
reux, vous n'usez do voire crédit auprès du chef
do l'Etat que pour soulager leur infortune, et
qu'au plaisir d'obliger Votre Majesté ajoute cette
délicatesse aimablo qui rend la reconnaissance
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 121
plus douco et lo bienfait plus précieux. Cette dis-
position présage que lo nom do l'impératrice José-
phine sera lo signal do la consolation et de l'espé-
rance; et comme les vertus de Napoléon serviront
toujours d'exemple à ses successeurs, pour leur
apprendre l'art de gouverner les nations, la
mémoire vivante de votre bonté apprendra à leurs
augustes compagnes quo le soin de sécher les
larmes est lo mo^en le plus sur do régner sur les
coeurs. Lo Sénat so félicite de saluer lo premier
Votre Majesté Impériale et celui qui a l'honneur
d'èlre son organo oso espérer quo vous daignerez lo
compter au nombro de vos plus fidèles serviteurs. »
La cour no tarda pas à êtro organisée et les
grandes charges pourvues do leurs titulaires.
Madame do la Rochefoucauld devint dame dJhon-
neur do l'Impératrice. L'Emperour visita do nou-
veau lo camp do Boulogne pendant quo l'Impé-
ratrice séjournait à Aix-la-Chapelle ot y recevait
les plus grands honneurs. Do nouveaux hom-
mages attendaient à Mayenco lo puissant Souve-
rain do la Franco ot l'Impératrice. Enfin lo couplo
impérial rentra au mois d'octobre à Saint-Cloud
pour so préparer à recevoir dignement lo Saint-
Père, attendu à Paris pour y célébror lo sacre du
nouveau Charlemagno.
122 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
Au cours des quelques semaines qui précédèrent
lo couronnement, Joséphine faillit, à un certain
moment, se voir sacrifiée aux rancunes jalouses
de la famille Bonaparte. Do graves dissentiments
éclatèrent en effet au sein do cette famille. Les
soeurs de Napoléon, toujours envieuses de l'èlé-*
vation des Beauhamais, tentèrent à cet instant
des efforts désespérés pour empêcher Joséphine
do ceindre lo diadème et pour la séparer do son
mari. Pour se défendre Joséphine aurait porté
contre la belle Pauline Borghôse une accusation
directe dont Napoléon, qu'elle visait également,
se serait montré justement indigné. Il déclara à
Joséphine qu'il allait so séparer d'elle, que tôt ou
tard il lo faudrait et quo mieux valait s'y rési-
gner tout de suite. Il fit en mémo temps appeler
Eugène et Hortenso, ses deux enfants adoptifs,
auxquels il notifia cette résolution. Exploitant
habilement les propos maladroits échappés de
la boucho do Joséphine, dans un mouvement do
colère contre ses calomniateurs, ceux-ci purent
espérer à un certain moment qu'ils allaient
obtenir gain do cause. Mais Joséphino et ses
enfants, par leur attitude digno et attristée, fini-
rent par triompher do toutes ces manoeuvres.
Bref Napoléon, repoussant dos conseils et des
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 123
insinuations dont lo but était transparent, serra
sa fommo dans ses bras et déclara sa volonté de
la voir couronner à ses côtés do la main du véné-
rable Pio VIL
Le Papo, parti de Rome le 2 novembre, fit
son entrée à Paris le 25 du même mois vers
midi. L'Impératrice Joséphine reçut Sa Sainteté
le même jour, on grande pompe, sur lo seuil du
péristyle des Tuileries. M. Aubenas rapporte quo
le Saint-Pôro fut attendri du pieux et tondre res-
pect quo lui témoigna l'Impératrice. Dès co pre-
mier instant —ajoute-t-il
— le pape conçut pour
elle un paternel intérêt dont il lui donna bientôt
dos marques.
Lo lecteur a vu qu'à l'époque du mariage de
'Joséphine avec lo général Bonaparte, en 1796,
la célébration d'un mariage religieux avait été
malheureusement négligée. L'Impératrice, qui en
avait toujours conservé lo remords secrot, crut
donc avec raison lo moment venu do réparer uno
errour aussi grave. Ello s'en ouvrit confidentiel-
lement au Saint-Père qui s'en montra grande-
ment scandalisé ot qui insista vivement auprès de
Napoléon pour faire cesser, avant lo couronne-
ment, uno situation aussi condamnable ot aussi
irrégulièro au point do vuo de l'Eglise. Lo Papo,
124 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
on lo comprend, demeurait inflexible sur co point,
dont il faisait la condition sine quà non du Sacre.
Napoléon, qui avait su écarter l'idée du divorce
comme prématurée, entendait cependant no pas
enchaîner l'avenir à cet égard. Il avait en quelque
sorte lo vague pressentiment quo telle ou telle
circonstance pourrait remire, plus tard, cette
pénible éventualité nécessaire. Le nouveau César
so montra en conséquence vivement contrarié do
la démarche do Joséphine auprès de Pio VII, et
la lui reprocha vertement. Peut-être so trouvait-il
également humilié d'un tel aveu, et blessé de ce
fait, dans son orgueil, devant le père commun
des fidèles... Joséphino au contraire éprouva la
plus grande consolation du succès de sa démarche,
et la nuit même qui précéda lo couronnement vit
son union avec Napoléon recevoir la consécration
religieuse. Lo cardinal Fesch officia aux Tuileries,
dans lo plus grand secret, et bénit devant Talley-
rand ot Borthier lo mariage do Napoléon ot do
Joséphine, dont lo visage gardait encore lo len-
demain les traces do son émotion.
Si Joséphine attachait du prix à l'élévation et
aux grandeurs, qu'ollo n'avait jamais ambition-
nées, c'était surtout à cause de ses enfants qui
étaient la raison d'être même de sa vio.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 128
M. Aubenas nous a retracé le costume et les
parures revêtus, le jour du Sacre, par l'impéra-
trice Joséphine. En voici la description :
« L'Impératrice avait revêtu uno magnifique
robe traînante de brocart d'argent, semée d'abeilles
d'or, ornée par devant des plus riches feuillages
brodés on or, ot do plus, garnie au bas d'une
largo frange et d'une crépine do mémo; les
épaules seules étaient découvertes; de longues
manches à broderies d'or ot dont lo haut était
enrichi do diamants, enserraient les bras et cou-
vraient la moitié de la main. Il fallait à Joséphine
tout son art ot une grâce indélébile pour no rien
perdre do son élégante dignité avec ce vêtement
façonné dans lo goût do l'époque, sans ampleur
ot sans taille et, de plus, rehaussé do la fraiso
des Médicis, en dentelle lamée d'or, qui lui avait
été imposée afin d'assortir par quelque détail
historique sa toiletto au costume renaissance de
Napoléon. Un ruban d'or, enrichi do trente-neuf
pierres roses, attachait sous son sein cette robo
tunique. Son goût pour les parures antiques so
trahissait par les précieuses pierres gravées qui
composaient ses bracelets, ses boucles d'oreilles
et son collier. Enfin sa belle ot riche chevelure
était enserrée ot retenue par un superbe diadème,
126 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
ceuvro do M. Marguerite, qui avait aussi fourni la
couronne quo l'Impératrico allait recevoir à
Notre-Dame, où, comme Napoléon, elle devait
compléter sa toilette, on attachant sur ses épaules,
par uno torsade d'or et uno agrafe en diamants, le
manteau impérial*. »
Continuons d'emprunter au même autour
quelques autres détails sur l'Impératrice :
« Lo cardinal Cambacôrès attendait à la porto
l'Impératrice, pour lui offrir l'eau bénite et la
complimenter. Après quelques mots seulement,
ello prit place sous un dais porté par les cha-
noines du chapitre métropolitain, ot elle con-
tinua sa marche vers lo sanctuaire, accompagnée
par son introducteur. Sa tète était déjà ornée
1. Aubenas, t. II, p. 277.Mémoiresde mademoiselleGeorge,d'après lo manuscrit ori-
ginal, par M. P.-A.Chéramy, 1008.LoJour du saçro : « L'Empe-reur calme, souriant, mais l'impératrice Joséphino était mer-veilleuse, toujours un goût parfait dans sa toilette; mats elletoujours noble, toujours le regard bienveillant qui vous atti-rait vers clic. Elle était sous ses habits la plus simple et laplus ravissante. Lo diadème était porté sans qu'il pût luiparaître lourd. Elle saluait son peuple avec tant de bonté etd'encouragement quo toutes les sympathies lui appartenaient.Ello était imposante pourtant; mais son sourire vous attirait helle, et l'on serait arrivé sous son regard sans crainte, persuadéqu'elle no vous repousserait pas. Ah! c'est qu'elle était bienbonne cette adorable femme! Les grandeurs no l'avaient paschangée : c'était une femme d'esprit et de coeur.Quel malheurpour la France et l'Empereur que ce divorceI »
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 127
d'un diadème formé de quatre rangées de perles
de la plus belle eau, entrelacées par un feuillage
on diamants, qui réunissait sur son front quatre
magnifiques diamants. Son long manteau en
velours rouge, semé d'abeilles d'or et entièrement
doublé d'hermine, était porté par les princesses
Joseph, Louis, Élisa, Pauline ot Caroline, égale-
ment en manteau de cour ot couvertes do parures
étincelantcs. Venaient ensuite, on un seul groupe,
la dame d'honneur, la dame d'atours et les dames
du Palais. »
Pour en finir avec cette prestigieuse cérémonie
du Sacro et en retracer un tableau fidèle au
lecteur, il nous paraît indispensable d'avoir
recours aux récits des témoins oculaires de cette
journée mémorable. Madame d'Abrantôs l'a si
éloquemment racontée, quo nous no pouvons
quo reproduire in extenso le passage qui la con-
cerne :
et Lorsqu'il fut temps pour ello (Joséphine) de
paraître activement dans lo grand drame, nous
dit la femme do Junot, l'Impératrice descendit
du trône et s'avança vers l'autel ou l'attendait
l'Empereur, suivie de ses dames du Palais et do
tout son service d'honneur et ayant son manteau
porté par la princesse Caroline, la princesse
128 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Julie, la princesse Elisa ot la princesse Louis.
Uno dos beautés remarquables de l'impératrice
Joséphine, c'était non soulemont l'éiégance de
sa taillo, mais lo port de sa tête, la façon gra-
cieuse et noble tout à la fois dont elle la tournait
ot dont ello marchait. J'ai eu l'honneur d'être
présentée à beaucoup de vraies princesses,
comme on lo disait dans le faubourg Saint-Ger-
main, ot je dois dire, en toute vérité de con-
science, que jamais jo n'en ai vues qui m'impo-
sassent davantage que Joséphine. C'était de
l'élégance et de la majesté; aussi, une fois qu'elle
avait après elle son manteau do Cour, il no fallait
plus chercher la femme du monde peu arrêtée
dans ses vouloirs; elle était convenable do tous
points, et jamais reine ne sut mieux trôner sans
l'avoir appris. Je vis tout co quo jo viens de dire
dans les yeux do Napoléon. Il jouissait on regar-
dant l'Impératrice s'avancer vers lui; ot, lors-
qu'elle s'agonouilla, lorsque les larmes qu'ollo no
pouvait retenir roulèrent sur ses mains jointes,
qu'elle élevait bien plus vers lui que vers Dieu,
dans ce moment où Napoléon était pour elle sa
véritable providence, alors il y eut, entre ces
deux êtres, une do ces minutes fugitives, uniques
dans toute une vie et qui comblent lo vide de
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 129
bien des années. L'Empereur mit uno gràco par-
faito à la moindre des actions qu'il devait accom-
plir pour la cérémonie. Mais ce fut surtout
lorsqu'il s'agit de couronner l'Impératrice. Cette
action devait être accomplie par l'Empereur qui,
après avoir reçu la petite couronne fermée et
surmontée de la croix qu'il fallait placer sur la
tête do Joséphine, devait la poser sur sa propre
tète, puis la remettre sur celle de l'impératrice.
Il mit à ces deux mouvements une lenteur gra-
cieuse qui était remarquable. Mais lorsqu'il on
fut au moment do couronner enfin celle qui était
pour lui, selon un préjugé, son étoile heureuse, il
fut coquet pour ello, si je puis dire co mot. Il
arrangea cetto petite couronne, qui surmontait
lo diadème en diamants, la plaçait, la déplaçait,
la remettait encore ; il semblait qu'il voulût lui
promettre quo cotte couronne lui serait douce et
légère!... Ces différentes nuances ne purent être
saisies par les personnes qui étaient loin do
l'autel.
» Sans doute le fait fut raconté parce qued'autres yeux quo les miens l'ont vu comme j'ai
pu lo voir; mais pou cependant ont été placéscomme jo l'étais; et cetto position m'a révélé
bien des choses pondant ces heures merveilleuses,0
130 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
rojotéos maintenant, par beaucoup do gens dans
les temps do féorio'. »
Après la cérémonie solennelle ot prolongée du
Sacro un héraut s'avança sur lo bord do l'estrado
et s'écria, selon l'ancien usago : « Le très glorieux
et très auguste Empereur Napoléon, Empereur
dos Français, est couronné et intronisé. Vive
l'Empereur! » Les acclamations retentissantes de
l'assistance répondiront à ce cri, et des salves
d'artillorio annoncèrent en mémo temps la pro-
clamation de Napoléon ot de Joséphine.
« A sept heures enfin, dit M. Aubenas, le cor-
tège impérial rentra aux Tuileries. L'Empereur
avait hâte de retourner à son simple uniforme de
colonel des chasseurs de sa garde. Joséphine sou-
pirait aussi après le repos; mais elle rentrait
radieuse dans ce palais d'où on avait voulu la
chassor, non parce qu'elle y rapportait, sur sa
tête, la couronne prédite à son enfanco, mais
parce qu'elle se croyait alors liée d'une manière
indissoluble à l'homme qu'elle aimait par-dessus
tout 2. »
1. Mémoiresdela duchessed'Ayantes, t. VII, p. 260.2. Aubenas,t. II.
CHAPITRE X
Félicitations et hommages dont Joséphine devient l'objet. —Honneurs décernés à.son fils Eugène. — Portrait de celui-ci.— Nouvellecoalition. —1805.Napoléonso met en campagne.— Ses lettres &Joséphine. — Capitulation d'Ulm. — Lettrede Joséphine a sa fille. — Nouvelleslettres de Napoléon.—Désirqu'avait toujours Joséphine d'accompagner son mari etde ne pas se séparer de lui. —Arrivéede Napoléona Yienne,— Voyogede Joséphino à Munich. — Victoired'Austerlitz.
Des dons, des félicitations, des démonstrations
d'attachement de toute naturo furent prodigués à
Joséphine, à la suite de son couronnement, et le
conseil municipal do Paris, lui offrit une magni-
fique toilette en or. Son lie natale, la Martinique,
fit éclater également, dans cette circonstance, des
sentiments de joie et d'orgueil, motivés par l'ac-
croissement de grandeur obtenu par une de ses
filles. Madame de la Pagerie, mère de la nouvelle
impératrice, reçut en même temps, à Fort-de-
France, sa part des honneurs et des ovations dont
Joséphine devenait l'objet.
132 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
L'annéo 1805, l'uno dos plus glorieuses do la
carrière do Napoléon, avait bion commoncô pour
le fils do Joséphine. Pourvu déjà précédemment
du grade de colonel général, il so voyait— à
peine en route pour Milan où l'Empereur lui avait
donné rondoz-vous — nommé princo do l'Empire
et archichancelior d'État. Cotte prouve d'affection
toucha profondément le coeur de Joséphine, mais
ne modifia en aucune façon la simplicité modesto
et calmo du princo Eugène, une des plus nobles
figures du commencement du xix* siècle. Madame
d'Abrantès a tracé du fils do Joséphine, dans sa
première jeunesse, le portrait suivant :
« Eugène promettait d'ôtro co qu'il fut, un
charmant ot aimable garçon. Toute sa personne
offrait un ensemble d'élégance d'autant plus
attrayant qu'il y joignait une chose qui se trouve
rarement avec ello, c'était do la franchise, et de
la gaieté dans toutes ses façons. Il était rieur
comme un enfant, mais jamais son hilarité n'eût
été provoquée par une chose de mauvais goût.
Il était aimable, gracieux, fort poli sans être
obséquieux, et moqueur sans être impertinent,
talent perdu. Il jouait très bien la comédie, chan-
tait à ravir, dansait comme avait dansé son père,
et était enfin un fort agréable jeunt» homme. »
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 133
Eugèno avait un attrait exclusif pour lo métier
dos armes et il avait auparavant refusé un jour,
pour co motif, la place de grand chambellan que
son beau-père avait voulu lui offrir.
L'Empereur et l'Impératrice s'étaient mis en
route de leur côté pour l'Italie au commence-
ment d'avril, se dirigeant sur Milan où Napoléon
allait ceindre la couronne de fer des anciens rois
Lombards. A son titre d'empereur il allait joindre
celui de roi d'Italie, et confier, le 7 juin 1805,
les fonctions de vice-roi à son beau-fils. Cette
faveur insigne, accordée à un membre de la
famille de Beauharnais, dut paraître amère à ceux
des membres de la famille Bonaparte qui les
détestaient; mais ello combla de joie la bonne
Joséphine, fière de voir apprécier son fils à sa
haute et juste valeur.
Cependant l'Autriche, mécontente et inquiète
do la mainmise de Napoléon sur l'Italie comme
de l'accroissement formidable de la puissance
française, ne restait pas insensible aux excitations
de l'Angleterre. Cette dernière puissance, inquiète ,
elle aussi des immenses préparatifs du camp de
Boulogne dirigés contre elle, s'efforçait d'y
opposer une diversion efficace en ameutant,
134 L'IMP^KATRICE JOSÉPHINE.
contre lo nouveau souverain de la France, los
puissancos du continent. Napoléon, abandonnant
à regrot cotte gigantesque entreprise, so vit
bientôt dans l'obligation do faire face à do nou-
veaux dangers, Co n'était plus cette fois à l'Au-
triche soûle mais à l'Autriche appuyée par la
Russie qu'il allait avoir affaire. Nous n'avons ni
l'intention, ni la prôtontion de raconter cetto
immortelle campagne, dont différents auteurs ont
parlé avec uno compôtenco qui no nous appar-
tient pas, campagne qui so termina par le coup
de foudre d'Austerlitz.
Lo rôle do Joséphine, forcément offacô pendant
cetto période do guerre et de victoires, ne fournit
pas la matière do grands développements. Ello so
borne à obéir aux recommandations quo son
époux lui adresse dans une série d'affectueux
mais courts billets. Il lui écrivait de Mannheim
le 2 octobre le petit mot suivant :
« Jo suis encore ici, en bonne santé. Jo pars
pour Stuttgard où je serai co soir. Les grandes
manoeuvros commencent. L'armée de Wurtem-
berg et de Bàde so réunit à la mienne. Je suis en
bonne position et je t'aime.
» NAPOLÉON. »
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 135
Après dix ans de mariage il no faut plus
évidemment s'attendre à des lottros brûlantes
comme colles do la promièro campagne d'Italie.
On no manquera pas d'obsorver, toutefois",
combien, malgré dos orages passagers, l'attache-
ment do Napoléon pour sa fommo est redevenu
solide ot sans arrière-pensée. La fin do co billot :
a et je l'aime » est plus significatif à cet égard quo
do longues phrases.
Lo 4 octobro l'Empereur écrit à Joséphine do
Louisbourg, résidence d'été de l'électeur do Wur-
temberg, qu'il créa roi un peu plus tard :
« Jo suis à Louisbourg. Il n'y a encore rien do
nouveau. Touto mon arméo marcho. Le temps
est superbe. Ma réunion avec les Bavarois est
faite. Je mo porte bien. J'espère avoir, dans peu
de jours, quelque chose d'intéressant à te
mander. Porte-toi bien, et crois à tous mes sen-
timents. Il y a ici une très belle cour, uno nou-
velle mariée fort belle, et, en tout, des gens fort
aimables; mémo notre Électrice, qui paraît fort
bonne, quoique fille du roi d'Angluterre. »
La fillo du souverain du Wurtemberg devait
épouser par la suite Jérôme Bonaparte, plus
tard roi de Westphalie, le plus jeune des frères
136 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
de Napoléon, et grand-père, comme on lo sait,
des princes Victor ot Louis Bonaparto.
Lo lendemain 5 octobre l'Empereur écrivait do
nouveau à Joséphine les lignes suivantes :
<c Jo pars à l'instant pour continuer ma
marche. Tu seras, mon amie, cinq ou six jours
sans avoir do mes nouvelles; no t'on inquiète pas,
cela tient aux opérations qui vont avoir lieu.
Tout va bien, ot comme je le pouvais espérer.
J'ai assisté ici à une noce du fils do l'Électeur
avec uno nièce du roi de Prusse. Jo désiro donner
une corbeille de trente-six à quarante mille francs
à la jeune princesse. Fais la faire, et envoie la
par un de mes chambellans à la nouvelle mariée,
lorsque ces chambellans viendront mo rejoindre.
Il faut que ce soit fait sur-le-champ, Adieu mon
amie je t'aime et je t'embrasse. »
Certes les cadeaux de ce genre, choisis par
Joséphine, ne pouvaient manquor d'être d'un
goût parfait; ils devaient donc, vraisemblable-
ment, procurer une réelle satisfaction à celles qui
les recevaient.
Cinq ou six jours plus tard, nouvelle lettre à
l'Impératrice :
« J'ai couché aujourd'hui chez l'ancien Électeur
de Trêves, qui est fort bien logé. Depuis huit
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 137
jours je cours. Des succès assez notables ont
commencé la campagne. Jo me porte fort bien»
quoiqu'il pleuve presque tous les jours. Los évé-
nements so suivent avec rapidité. J'ai onvoyô en
Franco quatre mille prisonniers, huit drapeaux,
et j'ai quatorze pièces de canon à l'ennemi. Adieu
mon amio jo t'ombrasse. »
La fortune sourit à Napoléon, car la capitula-
tion d'Ulm ost proche. Aussi l'Empereur écrit-il
bientôt :
a Mon armée est entrée à Munich. L'ennemi,
est au-delà do l'Inn d'un côté; l'autre armée de
soixante mille hommes, je la tiens bloquée sur
l'Iller, entre Ulm et Memmingen. L'ennemi est
battu, a perdu la tête et tout m'annonce la plus
heureuse campagne, la plus courte et la plus bril-
lante qui ait été faito. Je pars dans une heure pour
Burgau sur l'Iller. Je me porte bien; le temps
est cependant affreux. Je change d'habit deux fois
par jour tant il pleut. Jo t'aime et t'embrasse. »
Après sept jours do silence employés à tourner
et à enfermer dans Ulm le général Mack et sou
armée, Napoléon a eu la satisfaction de voir se
confirmer ses prévisions optimistes et il l'annonce
à Joséphine en ces termes :
a J'ai été ma bonne Joséphine plus fatigué qu'il
138 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
no lo fallait; uno somaino entière ot, toutos les
journées, l'eau sur lo corps ot les pieds froids
m'ont fait un pou de mal ; mais la journée d'au-
jourd'hui où je no suis pas sorti m'a reposé. J'ai
rempli mon dessoin; j'ai détruit l'armée autri-
chienne par do simples marches; j'ai fait
soixanto millo prisonniers, pris cent vingt pièces
de canon, plus de quatre-vingt-dix drapeaux ot
plus do trente généraux. Je vais mo porter sur les
Russes; ils sont perdus. Jo suis content do mon
armée. Jo n'ai perdu que quinzo conts hommes,
dont les deux tiers faiblement blessés. Adieu ma
Joséphino; mille choses aimables partout. Lo
princo Charles vient couvrir Vienne. Je pense quo
Massôna doit êtro à cetto heure à Vionno. Dès
l'instant quo jo serai tranquille pour l'Italie, je ferai
battre Eugène. Mille choses aimables à Hortense. »
Un peu plus tard Napoléon écrit d'Ulm môme
à Joséphine :
« Je me porte assez bien, ma bonne amie ; jo
pars à l'instant pour Augsbourg, J'ai fait mottro
bas les armes ici à trente-trois mille hommes. J'ai
de soixante à soixante-dix millo prisonniers, plus
de quatre-ving-dix drapeaux et de deux conts
pièces de canon. Jamais catastrophe pareille
dans les annales militaires! Porte-toi bien. Je
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 139
suis un peu harassé. Lo temps est beau députa
trois jours. La promièro colonne do prisonniers
filo aujourd'hui sur la Franco. Chaque colonno est
do six millo hommes. »
Joséphine, pondant co temps, s'était rapprochée,
autant quo possible, du théâtre des événements.
Ello était allôo en attendro l'issuo à Strasbourg,
et écrivait à son tour, de cotte ville, à sa fillo Hor-
tonso uno lettro rassurante, datée du 22 octobre :
« J'avais promis, ma chère Hortense, au prince
Joseph, qui m'a écrit uno lettre très aimable, de
lui envoyer un courrier aux premières nouvelles
que je recevrais. J'ai été hier à mémo do remplir
ma promesse. M. de Thiars m'a écrit, par ordre
de l'Empereur, tous les détails do nos succès, et
jo les ai aussitôt fait passer au prince Joseph, en
le priant de t'en faire part, ainsi qu'à ton mari.
Les événements heureux so succèdent, et aujour-
d'hui j'ai reçu une lettro do l'Empereur. Jo te
l'envoie, et je suis bien sûre qu'ollo te fera le môme
plaisir qu'à moi. Jo te recommande de me la gar-
der pour.me la remettre à mon retour. Toutes les
personnes de la Maison de l'Empereur se portent
bien. Il n'y a pas eu un seul général de blessé, et
tu peux le dire à toutes les dames dont les maris
sont à l'armée. Jeudi on chantera un Te Deum,
140 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
et je donnerai, le môme jour, uno fête aux
dames de Strasbourg, Adieu, ma chère Hortense,
je t'aime de tout mon coeur et jo t'embrasse de
môme. Millo amitiés à ton mari; j'embrasse tes
enfants. »
Sur cos entrefaites l'omporeur Napoléon était
arrivé à Munich où il put prendre quelque repos,
mais où il reçut la nouvelle des inquiétudes de
Joséphine, toujours anxieuse ot préoccupée des
dangers que couraient les siens. Aussi Napoléon
lui écrit-il une lettre un peu moins brève que les
précédentes, datée du 27 octobre :
a J'ai reçu par Le Marois ta lettre. J'ai vu avec
peino que tu t'étais trop inquiétée. L'on m'a
donné des détails qui m'ont prouvé toute la ten-
dresse que tu me portes; mais il faut plus de force
et de confiance. J'avais d'ailleurs prévenu que je
serais six jours sans t'écrire.
» J'attends demain l'Électeur. A midi je pars
pour confirmer mon mouvement sur l'Inn. Ma
santé est assez bonne. Il ne faut pas penser à pas-
ser le Rhin avant quinze ou vingt jours. Il faut
être gaie, t'amuser, et espérer qu'avant la fin du
mois nous nous verrons. —- Jo m'avance contre
l'armée russe : dans quelques jours j'aurai passé
l'Inn.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. Hl
» Adieu ma bonne amie. Mille choses aimables
à Hortense, à Eugène ot aux deux Napoléon 1.
Garde la corbeille quelque temps encore.
» J'ai donné hier aux dames de cette Cour un
concert. Le maître de chapelle est un homme de
mérite. J'ai chassé à une faisandorio do l'Électeur.
Tu vois que je ne suis pas si fatigué. M. de Tal-
loyrand est arrivé. »
Outre les inquiétudes que ne pouvaient man-
quer de causer à Joséphine les événements do la
guerre où ello avait à craindre tantôt pour son
fils, tantôt pour son époux, et quelquefois pour
les deux en même temps, la femme de Napoléon
redoutait les dangers do l'absence. Ce n'était plus
l'Empereur qui laissait percer, à cette époque,
des mouvements de jalousie; les rôles avaient
changé et c'est Joséphine qui en était arrivée à
ne plus cacher la sienne. L'Impératrice compre-
nait les inconvénients résultant pour elle de toute
espèce de séparation, môme passagère. Aussi
quand Napoléon s'éloignait d'elle, aurait-elle tou-
jours voulu le suivre ou l'accompagner. Alors ni
fatigues, ni privations ne la rebutaient. Dans les
rapides et fréquents voyages qu'entreprenait
1. Les deux fils de Louis Bonaparte et d'Hortense.
142 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
l'Emporour, Joséphine employait l'importunité, la
ruse mémo pour le suivre. On en trouvo le tômoi-
gnago dans lo Mémorial :
« Montais-je en voiture au milieu de la nuit,
disait Napoléon, à ma grande surprise j'y trouvais
Joséphino établie, bien qu'elle ne dût pas être du
voyago... et, la plupart du temps, il fallait que
je cédasse ! »
Dans toutes ses lettres à l'Empereur, pendant
le cours de cette campagne, l'Impératrico deman-
dait à venir le rejoindre. Napoléon ne s'en sou-
dait guère, éludant toute réponse positive à ces
questions, « J'aurais bien désiré to voir, écrit-il
à Joséphine, mais ne compte pas que jo t'appolle,
à moins qu'il n'y ait un armistice ou des quar-
tiers d'hiver. Adieu mon amio; mille baisers. »
Poursuivant les Russes réunis aux débris des
forces autrichiennes qui cherchent à couvrir
Vienne contre les efforts de la Grande Arméo,
Napoléon écrit un peu plus tard à l'Impéra-
trice :
« Je suis à Lintz; le temps est beau, Nous
sommes à vingt-huit lieues de Vienne. Les Rus-
ses ne tiennent pas. Ils sont en grande retraite.
La maison d'Autriche est fort embarrassée. A
Vienne on évacue tous les bagages de la Cour. Il
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 143
est probable quo d'ici à cinq ou six jours il y
aura du nouveau. Jo désire bion te revoir. Ma
santé est bonne. Je t'ombrasse. »
Enfin le 13 novembre Napoléon est à Vienne,
d'où il écrit à l'Impératrice pour lui annoncer
cetto grande nouvelle comme uno chose très sim-
ple ot très naturelle; on no trouve, dans cette
lettro, aucun© trace d'infatuation ni de lôgitimo
orgueil. L'équilibre do ses facultés est encore
parfait, et Napoléon n'est, à co moment, aucune-
ment atteint du vertige de sa propre gloire. Trois
jours après l'entrée de l'armée française à Vienne, .
l'Empereur mande à Joséphino son désir do la voir
se transporter à Munich où ello trouvera, en
attendant l'instant do leur réunion, un beau
palais et uno bonne réception. Nous croyons
devoir transcrire ici cotto lettre du 16 novembre,
qui nous parait caractéristique :
Vienne, 25 brumaire an XIV.
« J'écris à M. d'IIarvillo pour quo tu partes et
que tu te rendes à Bade, de là à Stuttgard et de
là à Munich. Tu donnneras, à Stuttgard, la cor-
beille à la princesse Paul. Il suffit qu'il y ait pour
quinze ou vingt mille francs; le reste sera pour
faire des présents, à Munich, aux filles de l'Élec-
144 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
teur de Bavière. Porte de quoi faire des présents
aux dames et aux officiers qui seront de service
près do toi. Sois honnête, mais reçois tous les
hommages : l'on te doit tout, et tu ne dois rien
quo par honnêteté.
» L'Èlectrice do Wurtemberg est la fillo,du roi
d'Angleterre : c'est une bonne femme, tu dote
la bien traiter, mais cependant sans affecta-
tion,
» Jo serai bien aiso do te voir, du moment que
mos affaires mo le permettront. Jo pars pour mon
avant-garde. Il fait un temps affreux : il neigo
beaucoup; du reste mos affaires vont bien. Adieu
ma bonne amie.
» NAPOLÉON. »
Dans toutes les résidences des petits souve-
rains allemands qu'ollo dut traverser, les qualités
attachantes do Joséphino, sa graciouso aménité,
son tact ot sa bienveillance innée lui concilieront
tous les suffrages. Ello paraissait créée ot mise au
monde pour jouer, dans la plus grando perfection,
lo rôle élevé qui lui avait été destiné. Pon-
dant tout son voyage l'Impératrice so vit corn,
blêo d'hommages et d'adulations; l'éclatante
fortuno do son époux ot la crainte qu'il inspi-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 14lT
rait y contribuaient à la vérité pour une large
part.
Le 2 décembre, anniversaire du couronnement
de Napoléon ot do Joséphine, l'Empereur rem-
portait sur l'armée austro-russe la célèbre ot déci-
sive victoire d'Austorlitz.
CHAPITRE XI
Séjour do l'impératrice Joséphine a Munich.— Loltresdo Napo-léon a celle-ci.— Paix do Presbourg. — Napoléon i Munich.— Mariagedu prince Eugène aveo la fille du roi do Bavière.— Satisfactiondo Joséphine. — Sa lettre à sa fillo Ilortensoix ce sujet. — Mariago do Stéphanie do Bcauharnais avec leprince do Bade. — Les frères do l'empereur Napoléon créésrois. —Nouvellelettre de l'Impératrice asa fille.— 1S06.Cam-pagne do Prusse.— Correspondancesdiverses cnlre Joséphine,son mari, sa fille, etc. —Désirde l'Impératrice d'aller a Berlin.
L'impératrice Joséphino était, sur ces entre-
faites, arrivée à Munich où l'Electeur do Bavière
Maximilien-Joseph, avait lieu do so féliciter main-
tenant do n'avoir pas pris parti contre Napoléon.
Cette détermination n'avait été prise par lo sou-
verain bavarois qu'après do longues et cruelles
hésitations. 11 faut oncoro citor quelques lettres
adressées par Napoléon à Joséphino, car elles
empruntent à la date à laquelle elles ont été
écrites un intérêt tout particulier. La premièro
est datée d'Austerlitz 3 décembro 1808.
« Jo t'ai expédié Lebrun du champ do bataille.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. <47
J'ai battu l'armée, russe et autrichienne comman-
dée par les doux Empereurs. Jo mo suis un peu
fatigué; j'ai bivouaqué huit jours en plein air par
des nuits assoz fraîches. Jo couche co soir dans le
château du Princo de Kaunitz, où jo vais dormir
deux ou trois heures. L'armée russe est non seu-
lement battue mais détruite. Jo t'ombrasse. »
Autre lettre d'Austerlitz.
5 décembre.
« J'ai conclu uno trôvo. Les Russes s'en vont.
La bataille d'Austerlitz est la plus belle do toutes
celles que j'ai données : quarante-cinq drapeaux,
plus do cent cinquante pièces do canon, les éten-
dards de la gardo dô Russie, vingt généraux,
trente millo prisonniers, plus do vingt millo tués,
spectacle horrible !
» L'empereur Alexandre est au désespoir et
s'en va en Russie. J'ai vu hier à mon bivouac
l'empereur d'Allemagne; nous causâmes deux
heures ; nous sommosconvonusdo faire vite la paix.
» Lo temps n'est pas encore très mauvais.
Voilà onfin lo repos rendu au Continent; il faut
ospêrer qu'il va l'ôtro au monde, les Anglais ne
sauraient nous faire front. Jo verrai avec bien du
plaisir lo moment qui mo rapprochera do toi.
148 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Adieu ma bonne amie, je me porto assez bien et
suis fort désireux do t'embrasser. »
Autre lettro du 7 décembre, d'Austerlitz.
« J'ai conclu un armistice; avant huit jours la
paix sora faite. Jo désiro apprendre quo tu es
arrivée à Munich en bonne santé. Les Russes s'en
vont. Ils ont fait une perto immense : plus do
vingt mille morts et trente mille pris. Leur arméo
est réduite des trois quarts. Buxhowdon, leur
général en chef, est tué. J'ai trois mille blessés et
sept ou huit cents morts.
» J'ai un peu mal aux yeux ; c'est uno maladie
courante et très peu do chose. Adieu mon amie,
jo désiro bion to revoir. »
Pendant lo cours des négociations pour la
conclusion do la paix do Prcsbourg, Joséphino était
restée assez longtemps sans donner do ses nou-
velles à l'Empereur; aussi celui-ci lui écrivait-il :
« Il y a fort longtemps que jo n'ai pas reçu do
tes nouvelles; los belles fêtes do Bade, do Stutt-
gard ot do Munich font-elles oublier les pauvres
soldats qui vivent couverts de bouo, do pluio et
do sang? Jo vais partir sous peu pour Vienne.
L'on travaille à conclure la paix. Los Russes sont
partis, ot fuient loin d'ici ; ils s'en retournent en
Russio bion battus et fort humiliés. Jo désiro bion
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 149
me retrouver près do toi. Adieu, mon amie, mon
mal d'yeux est guéri. »
Napoléon, voyant que Joséphino ne lui répond
pas, prend le parti do lui écrire, sur un ton iro-
nique la lettre suivante :
« Grande Impératrice! Pas uno lettre do vous
depuis votre départ de Strasbourg... Vous avez
passé à Bade» à Stuttgard, à Munich, sans nous
écrire un mot ; ce n'est pas bien aimable, ni bien
tondro! Jo suis toujours à Brûnn. Les Russc3 sont
partis : j'ai uno trêve. Dans peu do jours jo verrai
co quo jo deviendrai. Daignez, du haut do vos
grandeurs, vous occuper un peu do vos esclaves.
» NAPOLÉON. »
Joséphine, depuis qu'ello avait suivi son époux
sur les champs do bataille do l'Italie, avait pris
l'habitude do l'accompagner partout. Ello aurait
mémo désiré, on s'en souviendra peut-être, tra-
verser avec lui la Méditerranée pour so rondro on
Egypte. Après les victoires éclatantes do cotte
courte et glorieuse campagne, son voeu le plus
cher eût été d'aller rotrouvor l'Empereur à Vienne.
A une lettre do l'Impératrice, sollicitant l'autori-
sation de so mettre en routo pour la capitale do
l'Autriche, Napoléon répondait t
180 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
a Jo reçois ta lettro du 25 ; j'approndsavecpeino
quo tu es souffrante; co n'ost pas là uno bonne
disposition pour faire cent liouos dans cetto saison.
Jo no sais ce que jo forai, jo déponds des événe-
ments; jo n'ai pas do volonté, j'attends tout de
leur issue. Reste à Munich, amuse-toi : cela n'est
pas difficilo lorsqu'on a tant do porsonnes aussi
aimablos et dans un si beau pays. Jo suis, moi,
assez occupé. Dans quelques jours jo serai dé-
cidé. Adieu, mon amio, millo choses aimables ot
tendres. — N. »
Lo 20 décembre 1805 la paix do Presbourg
était signéo ot Napoléon, lo lendemain, partait
pour Munich.
C'est à Munich, où lo princo Eugène arrivait lo
10 janvier 1800 mandé par l'empereur Napoléon,
qu'allait so forgor le premier anneau destiné à
relier la nouvelle dynastie impériale aux an-
ciennes familles souveraines do l'Europe. Lo mari
do Joséphino avait en offot jeté les yeux sur la
princesse Auguste, fillo do Maximilion do Bavière,
devenu roi, pour en faire la' fommo do son fils
d'adoption. Napoléon laissait en mémo temps
espérer aux intéressés quo la couronne du
royaume d'Italie, qu'il avait créé, appartiendrait
un jour, après lui, au princo Eugèno et à sa des-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 151
condanco. On peut imaginer la reconnaissance et
lo bonhour que dut éprouver Joséphine, en
voyant do si hautes faveurs accordées à son fils
cher,!. Nul d'aillours n'aurait pu s'en montror plus
digno quo celui qui était appelé, sans avoir rion
sollicité, à on bénéficier d'une manière si flatteuse.
Aussi Joséphine annonçait-elle à sa fillo Hor-
tenso la nouvelle de co mariage on cos termes :
Munich,7 janvier 1800.
« Jo no veux pas perdre un ornent, ma chère
Hortonse, pour t'approndre quo lo mariage
d'Eugôno avec la princesse Auguste, fille do l'Élec-
teur de Bavière, vient d'être définitivement arrêté.
Tu sentiras, comme moi, tout le prix de cotto nou-
velle prouve d'attachement que l'Empereur donne
à ton frère. Rion au mondo no pouvait ôtro plus
agréable pour moi quo cetto alliance. La jeune
princesse réunit, à une lîguro charmante, toutes
les qualités qui rendent uno fommo intéressante
ot aimablo. »
Napoléon no tardait pas do son côté à écrire à
sa belle-soeur et bollo-fille :
« Ma fillo, Eugèno arrive demain, et so mario
sous quatre jours. J'aurais été fort aiso quo vous
eussiez assisté à son mariage; à présent il n'est
152 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
plus temps. La princesse Auguste est grande,
belle, et pleine de bonnes qualités, et vous aurez,
en tout, uno soeur digne de vous. Mille baisers à
M. Napoléon. »
Peu de jours après le prince Eugène et la nou-
velle mariée partaient pour Milan où ils devaient
résider, pendant que Napoléon et Joséphine
faisaient leurs préparatifs de départ et quittaient
Munich pour arriver à Paris le 26 janvier. Napo-
léon avait franchi rapidement les degrés qui con-
duisent à la toute-puissance. Il aurait voulu
trouver, dans sa famille, un lot de jeunes prin*
cesses dont il eût facilité l'union avec des princes
étrangers, dans lo but de resserrer les noeuds de
son alliance avec les maisons souveraines de
différents États. Ne trouvant pas dans la famille
Bonaparte ce qui lui était nécessaire à cet égard,
l'Empereur dut songer à rechercher des compen-
sations dans la famillo do Joséphine, et peu do
temps après il mariait mademoiselle Stéphanie do
Beauharnais avec lo princo héréditaire de Bade.
Le marquis François do Beauharnais, beau-frère
de Joséphine ot lo comte Claude, son cousin ger-
main, se voyaient en mémo temps, ot personnel-
lement, l'objet des faveurs et de la munificonco
du nouveau monarquo français.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 1B3
A la môme époque Napoléon faisait de son
frère Louis un roi de Hollande, pendant que le
princo Joseph Bonaparte devenait, par la mémo
volonté toute puissante, roi de Naples. Un
royaume de Wostphalie ne devait pas tarder, par
la suite, à être créé en faveur de Jérôme, lo plus
jeune des frèros do Napoléon, aussitôt après
qu'il eut épousé la princesse Catherine de
Wurtemberg.
Tout en étant flattée de voir ses enfants si bien
pourvus, l'excellente mère qu'était fimpératrico
Joséphino domourait tristement affectée du départ
prochain de sa fille pour la Hollande. La mésin-
telligence qui régnait entre Louis Bonaparte ot sa
femme était également pour Joséphine un vif
sujet do peine; ello regrettait amèrement d'avoir
tant insisté, quatre ans auparavant, pour faire
contracter à cette fille, tendrement aimée, uno si
malheureuse union.
Le 18 juillet 1806, l'Impératrice, navrée do
l'absonce do la reine Hortenso et do lour sépara-
tion, lui écrivait i
« Depuis ton départ j'ai toujours été souffrante,
tristo et malheureuse; j'ai même été obligée de
garder lo lit, ayant ou quelques accès de fièvre.
La maladio a tout à fait disparu, mais lo chagrin
1&4 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
mo reste. Comment n'en pas avoir d'ôtro séparée
d'une fille comme toi, tendre, douce ot aimable,
qui faisait lo charme do ma vie?... Comment va
ton mari?... Mes petits enfants sont-ils bien por-
tants? Mon Dieu! quo jo suis triste de ne plus
les voir quelquefois! Et ta santé, ma chèro
Hortense ost-ollo bonne? Si jamais tu étais malado,
fais-le moi dire ; je mo rendrais tout do suito près
de ma bion-aiméo fillo... Adieu, ma chèro Hor-
tonse, ma tondre fille; pense souvent à ta mère,
ot persuade-toi bion qu'il n'y a pas do fillo plus
chério que toi. »
Cependant la Prusso, mécontente des agrandis-
sements considérables ot successifs do la puissance
française, prêtait uno oreille de plus en plus com-
plaisante aux excitations do l'Angleterre ot de la
Russie. Cette dernière puissance brûlait du désir
do venger les humiliations do sa sanglante défaite
à Austorlitz. La création des royaumes fondés —
au nord comme au sud do l'Europe— on faveur
des frères do Napoléon, exaspérait les ressenti*
monts des gouvernements russe et prussien, Ceux-
ci estimeront donc qu'il fallait à tout prix arrètor
l'essor do l'envahissante prépondérance do l'em-
porour des Français. L'éclatante victoire qu'il
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 15&
avait remportée à Austerlitz avait seule empêché
la Prusse de se déclarer plus tôt contre Napoléon.
La reino Louise et les personnages de la cour du
roi Frédéric-Guillaume, l'imagination exaltée
par les souvenirs glorieux du grand Frédéric,
poussaient avec ardeur le monarque prussien à
déclarer la guerre à la France. Un ultimatum
arrogant, adressé lo 1er octobre au cabinet des
Tuileries par lo représentant do la Prusse, M. do
Knobelsdorf, vint rendre inévitable uno guerre
quo Napoléon eût préféré no pas entreprendre ou
tout au moins pouvoir ajourner.
Avant de quitter Paris, pour aller so mettre à
la tèto do son armée, l'Empereur avait autorisé
Joséphino à so transporter à Mayence, pour se
trouver plus près du théâtre des événements. Il lui
avait on même temps proscrit d'y tenir sa cour et de
fairo venir auprès d'elle la reino Hortense. Aussi
l'Impératrice, écrivant à cette dernière, lui disait ;
a Toutes tes lettres, ma chèro Hortense, sont
charmantes, ot tu es bien aimable de m'en
envoyer souvont. J'ai aussi dos nouvelles d'Eu»
gène et do sa femmo ; jo vois qu'ils sont heureux,
ot jo lo suis beaucoup moi-même, surtout on co
moment, car j'irai avec l'Empereur ot jo fais mes
apprêts do voyage. Jo t'assure que cette nouvelle
156 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
guerre, si elle doit avoir lieu, ne me donne aucune
crainte; mais plus je serai près de l'Empereur,
moins j'en aurai, et je sens que je ne vivrais pas
si je restais ici. Un autre sujet de joie pour moi
est do to revoir à Mayence. L'Empereur me charge
do to diro qu'il vient do donner une armée de quatre-
vingt millo hommes au roi de Hollande, et quo son
commandement s'étendra tout près de Mayence. Il
pense que tu viendras rester avec moi à Mayenco :
juge, ma chère Hortense, si c'est là une nouvelle
agréable pour une mère qui t'aime aussi tendre-
ment. Chaque jour nous recevrons des nouvelles
do l'Empereur et de ton mari; nous nous on
réjouirons ensemble. Lo Grand-Duc de Borg m'a
parlé do toi et de tes enfants; embrasse-les pour
moi jusqu'à co quo jo puisse les embrasser moi-
même, ainsi que ma chère fille, et j'espère que ce
sera bientôt. Millo amitiés bien tendres au roi '. »
I. Lettre de l'impératrice Joséphino à Méneval,secrétaire del'ttmpereur : Je suis sensible,moncher Menneval(sic),a l'atten-tion que vousavezde mo donner des nouvellesdo l'Empereur etje vous demando la mémo exactitude pour tout lo temps de la
campagne. J'attends vos bulletins avec bien do l'impatience;parlez-moi de l'Empereur, do sa santé, de ses occupations; cosont là les nouvellesque Je lirai toujoursles premières, et parle prix que J'y mets, vous pourrez juger do tout le plaisir quevous me ferez.Adieumon cher Monnevalle (sic),vous connaisseztous mes sentiments pour vous. »
» JOSéPlMNB.»
Mayence,11 octobre 1800.
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 157
Napoléon venait d'entrer on campagne et pres-
sait la marche de ses corps d'arméo dans le but
d'écraser la Prusse avant l'arrivéo des forces do
l'empereur de Russie. Il écrit à Joséphino do
Géra, lo 13 octobre, uno lettro qui laisse présager
ses futurs ot éclatants succès •
« Jo suis aujourd'hui à Géra, ma bonne amie;
mes affaires vont fort bien, et tout commo jo
pouvais l'espérer. Avec l'aide do Diou, en peu do
jours, cela aura pris un caractère bien terrible, jo
crois, pour lo pauvre roi de Prusse, quo jo plains
personnellement parce qu'il est bon. La reine est
à Erfurt avec le roi. Si ello veut voir une bataille,
ello aura ce cruel plaisir. Jo mo porte à merveille;
j'ai déjà engraissé depuis mon départ; cependant
jo fais do ma personne vingt ot vingt-cinq lieues
par jour, à cheval, en voiture, de toutes les
manières. Je me couche à huit heures et jo suis
levé à minuit; jo songo quelquefois que tu n'es
pas oncoro couchée. Tout à toi. *>
Lo lendemain 14 octobro 1800 les prévisions
do l'Emporour recevaient uno éclatanto confirma-
tion, car l'arméo prussienne était anéantie à la
célèbre bataille d'Iéna. Du champ do bataille
mémo, Napoléon rendait compto à Joséphine, en
date du 15 octobre, de sa nouvelle victoire :
158 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
« Mon amio, j'ai fait de belles manoeuvres
contre les Prussiens. J'ai remporté hier uno
grande victoire. Ils étaient cent cinquanto mille
hommes; j'ai fait vingt mille prisonniers, pris
cent pièces de canon ot dos drapeaux. J'étais en
présenco ot près du roi; j'ai manqué do le prendre
ainsi quo la reino. Jo bivouaquo depuis doux
jours. Jo me porto à merveille. Adieu mon amie,
porto toi bien et aimo moi. »
Lo 25 octobre Napoléon faisait son entrée à
Berlin.
Joséphine, pendant co temps, tenait sa cour à
Mayence, entourée do la reino Hortense ot des
deux enfants de cello-ci ainsi quo do la grand©
duchesse Stéphanie do Bado, néo Beauharnais.
Ello s'occupait, avec sa bienveillance coutumière,
d'adoucir la situation des officiers prisonniers ot
do secourir les pauvres blessés. Dans des bulle-
tins datés des champs do bataille Napoléon— no
prenant aucun soin do modérer ses expressions— avait parlé do la reino do Prusso dans des
termes fort durs, la comparant à Armido mettant,
dans sa folio, lo fou à son propre palais. Joséphine,
dont la douceur pleine do bonté était la principale
qualité* avait reproché à son époux ce langage
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 159
discourtois, et co dernier y avait répondu—
sachant lui être agréable—
par le récit do la
grAco qu'il avait accordée à madame do Hatzfeld
venue solliciter, auprès do l'Empereur, le salut de
son mari condamné à mort. Cetto circonstance,
qui est toute à l'honneur do Napoléon, est relatée
dans la lettro si connue qu'il écrivit alors à José-
phino et qui so termine par ces mots : a Tu vois
donc que j'aime les femmes bonnes, naïves et
douces ; mais c'est quo celles-là seules te ressem-
blent... »
Malgré lo bonheur qu'éprouvait toujours José-
phino à so trouver réunio à sa fillo bion aimée,
l'éloignoment prolongé do Napoléon, la grande
distance qui le séparait d'elle commençaient à
l'inquiéter ot à lui peser. En 1805, l'année précé-
dente, on a pu remarquer qu'ello avait vivement
souhaité pouvoir rcjoindro l'Empereur à Vienne,
désir qui no fut pas encouragé par celui-ci. Main-
tenant c'est à Berlin qu'ollo formait, auprès do
Napoléon, lo voeu do so rendre. L'Impératrice
adressait en conséquence, dans cetto intention, à
Ménoval, lo secrétaire do l'Empereur, la lettre
qui suit :
160 L'IMPERATRICE JOSEPHINE.
Mayence,le 26 novembre 1800.
« J'ai reçu avec plaisir, mon cher Mennevalle
(sic), les nouvelles que vous me donnez de l'Empe-
reur, mais je suis surprise qu'il se plaigne de no
pas recevoir de mes lettres, car je lui ai écrit au
moins trois fois par semaine, et je n'ai rien reçu
de lui depuis le 10. Mais je suis heureuse de
savoir que sa santé est bonne et qu'il ne se déplait
pas trop à Berlin. Jo voudrais bien pouvoir en
dire autant do Mayence. L'air même n'y est pas
très bon ot va devenir encore plus mauvais, car
on nous annonce quatre cents Prussiens malades
do la dissenterie (sic).
» Vous me ferez plaisir de rappeler à l'Empe-
reur qu'il a uno réponse à mo faire au sujet du
voyago qu'il mo propose do faire à Berlin. Adieu
mon cher Mennevalle (sic), continuez do mo
donner des nouvelles ot recevez l'assurance de
mes sentiments.
» JOSÉPHINE. »
Ingénieuse à trouver des prétextes pour obtenir
ce qui lui tient à coeur, Joséphine affecte dans
cetto lettro d'avoir reçu — à propos do son
projet do voyago à Berlin — un encouragement
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 161
do la part do Napoléon. Elle ne s'aperçoit même
pas qu'elle y demande à son mari de répondre à
une proposition dont l'initiative, à en croire les
expressions de la lettre précitée, appartenait à ce
dernier! Il est plus que probable que l'Empereur
n'eut jamais à cette époque une intention sem-
blable à celle que lui prête Joséphine, car — la
campagne de Prusse terminée — la guerre se
continua avec la Russie, obligeant Napoléon et
son armée à poursuivre leur marcho jusqu'au
coeur de la Pologne.
CHAPITRE XII
Chagrin do Joséphino do sa longuo séparation d'avec l'Empe-reur. — Lettres do Napoléon pour la raisonner. — Jalousiedo Joséphino soupçonnant l'admiration do Napoléonpour lesbelles dames de Varsovie.— Premièrescraintes relatives a lapossibilité d'un divorce. — Rôle de Fouchô; son portrait.— Mort du fils atnô de la reine Hortense. —1807.Chagrinde Joséphine et de sa fille. — Portrait d'ilortcnse de Beau-harnais. — Victoires d'Eylau et de Friedland. — Entre-vue et paix de Tilsitt. — Retour do Napoléon.— Maisonde l'Impératrice. — Incartade do Fouchô; il se permet,sans mandat, d'engager l'Impératrice à se prêter h undivorce. —Napoléonà Milan. — 11adopte lo princo Eugène,nommé vice-roi, comme son successeur éventuel au tronod'Italie.
En dépit des objurgations quo lui adressait
l'Empereur pour la dissuader do venir lo rejoindre
on Prusso ot en Pologne, Joséphine no so lassait
pas d'insister auprès de son époux pour obtenir
do lui une autorisation qu'elle sollicitait comme
uno faveur. Son désappointemont so transformait
avec lo temps en un chagrin véritable, et, dans
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 163
plusieurs des lettres qu'il lui adressait, Napoléon
s'efforce en vain de la raisonner. Il no nous est
pas possible do reproduire ici la correspondance
tout entiôro de l'Empereur avec Joséphine, cor-
respondance contenue dans la collection Didot
et à laquelle nous avons déjà fait de nombreux
emprunts. Nous nous bornerons à transcrire,
ci-après, la lottro suivante, datée de la fin de
janvier 1807, peu de jours avant la sanglante
victoire d'Eylau :
« Mon amie, ta lettre du 20 janvier m'a fait
delà peine; ello est trop tristo. Voilà le mal de
n'être pas un peu dévote 1 Tu me dis que ton
bonheur fait ta gloire : cela n'est pas généreux;
il faut dire : le bonheur des autres fait ma gloire ;
cela n'est pas conjugal; il faut dire : le bonheur
de mon mari fait ma gloire; cola n'est pas mater-
nel; il faudrait dire : lo bonheur de mes enfants
fait ma gloire; or, comme les peuples, ton mari,
tes enfants ne peuvent être heureux qu'avec un
peu do gloire, il ne faut pas tant en faire fil
Joséphino, votre coeur est excellent et votre rai-
son faible; vous sentez à mervoille, mais vous
raisonnez moins bien. Voilà assez de querelle; je
veux que tu sois gaie, contente do ton sort, et
que tu obéisses, non en grondant et en pleurant»
164 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
mais do gaieté do coeur, ot avec un pou do bonheur.
Adieu, mon amie; je pars cetto nuit pour par-
courir mes avant-postes. »
Los deux époux no parlaient déjà plus lo mémo
langage. Napoléon no semble, dans cetto lettro,
no se préoccuper quo do sa gloire. Joséphine dut
trouver, au contraire, quo co mot revenait trop
souvent sous la plume do son mari; s'inquiétant
et. s'affiigeant do voir cet infatigablo grand
homme tenter sans relàcho et trop imprudem-
ment la fortune. Los deux femmes do Napoléon
auraient préféré, l'une et l'autre, uno oxistonco
paisible et exempte d'orages aux terribles préoc-
cupations quo no cessaient do leur occasionner
les aventures pourtant si glorieuses do leur
époux !
Avant do rentrer à Paris, lo 31 janvier 1807,
pour obéir aux prescriptions do l'Empereur, José-
phine s'était rendue à Francfort, avec la reino
Hortense et la grando duchesse do Bade, où elles
reçurent, do la part du prince-primat, un accueil
digne de leur rang. Ce fut pendant cotto cam-
pagno do Pologne, qui so termina par les deux
victoires d'Eylau et de Friedland, quo la jalousie
de Joséphine so trouva miso on éveil, non sans
motif sérieux, par do perfides indiscrétions.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 165
Entre temps, l'Empereur était revenu à Varsovie.
« Il y passa tout le mois de janvier 1807, a dit
dans ses Mémoires lo secrétaire du portefeuille
impérial 1. Pendant quo cetto halto procurait du
repos à l'arméo, Napoléon donnait dos fôtos et
des concerts aux dames polonaises. Il ne demeura
pas insensiblo aux charmes do l'une d'elles, dont
la tendrosso et lo dévouement ne se sont pas
démentis aux jours du malheur. » Les inquié-
tudes manifestées par Joséphine, dont il a été
fait mention tout à l'heure, pas plus que ses pres-
sentiments, no l'avaient, cetto fois, induite on
erreur.... Ello écrivait à son mari des lettres
désolées, déclarant qu'ollo aimait mieux mourir
que do supporter, plus longtemps, uno séparation
qui menaçait do s'éterniser.
Il convient d'ajouter qu'il so mêlait, aux
soupçons jaloux de Joséphine, des préoccupa-
tions d'un ordre infiniment plus grave. Les bruits
d'un divorce possible de l'Empereur avaient
recommencé à courir. Fouchô, co dangereux
protégé do la première femme do Napoléon, so
faisait un peu partout le propagateur do ces
rumeurs, qu'il cherchait à accréditer, pour so
1. Mèneval, Mémoirespour servir à l'histoire de Napoléonïet(chez Dentu), t. II, p. 80.
166 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
donner un rôle important. L'esprit de ruse et
d'intrigue de co personnage, son ingratitude
légendaire, l'empêchaient de se préoccuper do ce
qu'il y avait d'odieux à jouor un pareil rôle
vis-à-vis de sa bienfaitrice. Et un peu plus tard,
dans la seconde moitié do 1807, pendant l'un
des séjours de la cour à Fontainebleau, l'ambas-
sadeur Motternich pourra écrire à Vienne, à pro-
pos do l'impératrice Joséphine :
« J'ai eu l'honneur d'entretenir Votre Excel-
lence 1, dans plusiours do mes précédents rapports,
des bruits depuis longtemps répandus du pro-
chain divorce do l'Empereur. Après avoir circulé
sourdement, ils forment, depuis près do deux
mois, lo sujet do discussions publiques et géné-
rales. Il en est de ces bruits comme do tous ceux
qui ne sont pas détruits dans leur germo; ils
portent sur un fond do vérité, et seraient étouffés
très vite s'ils n'étaient directement tolérés 8. »
Qui pouvait accréditer de pareilles rumeurs, à
Paris, auprès du corps diplomatique étranger?
Talloyrand peut-être ; Fouchô certainement. Il est
intéressant d'observer quo les deux personnages
1. Le comte Stadion, ministre des affaires étrangères d'Au-riche.2. Saint-Amand, LesFemmesdes Tuileries.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 167
do ce temps les plus célèbres par leurs ruses,
leur esprit d'intrigue ot leurs trahisons, étaient
doux anciens membres du clergé, parjures à leurs
serments vis-à-vis do Dieu et de son Église. Lo
portrait de l'un do ces hommes funestes, tà José-
phine autant qu'à Napoléon, trouve donc ici tout
naturellement sa place.
Au physique, Fouché était d'une taille assez éle-
vée, mais d'une maigreur presque étique. Il avait
le teint livide, les yeux éraillôs, petits ot perçants
sous des sourcils d'un roux blafard. On retrou-
vait dans l'ensemble do ses traits beaucoup de
la physionomie de Marat, uno coupe do visago
pareille, avec un regard moins ardent 1. Fouchô
subordonna toute sa vie ses opinions, ses senti-
ments et ses affections, s'il fut jamais capable
d'en avoir de réelles, à son intérêt particulier. Il
n'avait ni principes, ni croyances, marchant vers
le but de son ambition avec la souplesse et la dis-
simulation d'un félin. Il possédait l'art do cir-
convenir si parfaitement ceux qu'il so proposait
d'abuser, qu'il semblait pénétrer jusqu'au fond
do leur pensée la plus secrète.
Lo pouvoir!..! telle était l'idée fixe de Fouchô.
t. Écrit d'après les notesd'un contemporaindu duc d'Otrante.
168 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE-,
Pour en être investi ot pour lo conserver, quen'aurait-il pas sacrifié? N'ayant jamais aimé per-
sonne, n'étant attaché à qui quo ce soit, aucun
scrupule no lo retenait, aucun obstacle ne lo rebu-
tait. Pour garder dans l'Etat uno place prépondé-
rante, il .se 3erait volontiers résigné à perdre sans
retour ses agents les plus dévoués ou ceux qui
avaient la naïveté de so croire ses meilleurs amis.
Intrigant sans foi ni scrupules, Foiiché voulait
être de tout, se mêler do tout, pénétrer co-qu'on
lui cachait, prendre ses précautions contre les
hommes au pouvoir, accusant confidentiellement,
dans ses entretiens avec ceux contre lesquels il
avait lui-même provoqué des rigueurs, le chef
de l'Etat d'en être l'éditeur responsable. Voulant
tout savoir, tout mener, tout prévoir, bas avec
l'Empereur et no lo heurtant jamais, co person-
nage fécond en ressources avait soin de so ména-
ger des garanties pour l'avenir, lorsqu'il exécu-
tait un ordre du souverain. Mentour, impudent,
avec un air de franchise ot d'indépendance, il
recherchait des créatures et des partisans jusque
parmi les ennemis du gouvernement dont il se
prétendait le meilleur soutien. Insolent dans lo
succès, Fouchô se dispensait mémo d'observer les
convenances élémentaires vis-à-vis du malheur.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 169
Après la deuxième abdication de Napoléon, par.
exomplo, il entrait dans le cabinet do l'Empereur,
le chapeau sur la tête,, en qualité do président du
gouvernement provisoire. Il déclarait à co princo
qu'il avait donné pour instruction aux commis-
saires désignés par les Chambres do tout accep-
ter sauf les Bourbons, alors qu'il négociait au
contraire avec Wellington pour favoriser leur
retour.
Le portrait du duc d'Otranto serait incomplet
si l'on négligeait d'y ajouter encore quelques
traits caractéristiques :
Sans trahir ouvertement les différents pouvoirs
qu'il a servis, Fouché so mettait en mesure avec
l'avenir en désertant, lo premier, la cause do.
ceux qu'il voyait disposés à s'abandonner eux-
mêmes. Sans autres vues politiques que son inté-
rêt personnel, sans prévoyance sagace des événe-
ments du lendemain, il était la plupart du temps
aveuglé par son égoïsmc. Sa perfidie naturello
n'avait même pas l'excuso d'êtro provoquée par
la rancune ou lo désir de la vengeance/ puisqu'il
n'aimait ni no haïssait on réalité personne. Un
besoin perpétuel d'intrigue était le mobile princi-
pal do toutes ses actions, parce qu'il était mécon-
tent do tous ceux qu'il servait, trouvant qu'on ne
170 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
lui accordait jamais ni assez de pouvoir ni assez
d'argent.
Révolutionnaire féroce au début, mais ensuite
affamé de titres et d'honneurs, Fouchô flattait le
faubourg Saint-Germain et finissait par épouser
une demoiselle de Casteîlane, voulant faire oublier
qu'il avait, autrefois, fait mitrailler les partisansde l'aristocratie par centaines, dans le but de se
rendre agréabh au Comité de Salut Public.
Malgré son habile tant vantée, il no laissait pas
de s'embarrasser . uvent lui-même dans ses
propres pièges. Infatué de ses talents et do son
propre mérite, co régicide crut qu'il dominerait
Louis XVIII, et quo ce prince accepterait, sans
arrière-pensée, les services intéressés quo lo duc
d'Otrante avait la prétention do lui faire agréer.
Mais Fouchô so vit bientôt inliiger, par le succes-
seur do Napoléon, qu'il avait trahi en faveur des
frères de Louis XVI, lo plus cnrol châtiment do
ses infamies. Lo nouveau souverain do la Franco
se luUa d'envoyer en effet, co dangereux intrigant
on qualité do ministre do Franco à Dresde, auprès
du roi Frédéric-Auguste, qui no voulut u êmo pas
recevoir l'homme qui avait été l'un des bourreaux
do la famille royale en 93. lleléguô d'abord à
Prague, abandonné par tous les partis qu'il avait
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 171
successivement dupés et trahis, Fouchô est mort
en exil de rage et do dépit en 1820.
Tandis que la guerre contre les Busses so
poursuivait avec une lenteur relative, quelques
semaines avant la décisive victoire de Friedland,
un grand malheur vint frapper lo coeur, si tendro
pour les siens, do l'impératrice Joséphino, et
anéantir la malheureuse reine Hortense. Co fut la
mort du princo royal do Hollande, frère alnô de
Napoléon III, mort survenue lo 5 mai 1807. La
douleur do Joséphino fut arrière, celle de la reino
Hortense déchirante. Toujours remplie do solli-
citude, la première se hâta de so rendre au châ-
teau do Laeken pour y attendre sa malheureuse
fillo, à laquelle elle prodigua les plus tendres
soins et les plus utiles consolations. Napoléon
lui-même, occupé do la campagne qu'il poursui-
vait sur los frontières de la llussie, prit à son
tour uno vivo part au chagrin do Joséphine et des
parents do son jeune neveu. Les lettres de sa
correspondance en portent d'ailleurs le témoi-
gnage. On supposait àNapoléonl'intention défaire
de co jeune prince son héritier présomptif, car il
avait du plaisir à lo faire venir en sa présence et
s'amusait assez souvent à prendre part à ses jeux.
La reine Hortense demeura longtemps incon-
172 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
solable do la mort do son fils chéri ; mais, puisque
le nom de la fille do Joséphino revient sous notre
plumo, il n'est pas sans intérêt do placer, sous les
yeux du lecteur, le portrait qu'a tracé d'elle ma-
dame d'Abrantès dans les Mémoires qu'ollo nous
a laissés :
« Elle (Hortense) était gaie, douce, parfaite-
ment bonne, d'un esprit fin qui réunissait cotte
gaieté douce avec assez do malice pour ôtro fort
piquant et rendre sa conversation désirable; pos-
sédant des talents qui n'avaient nul besoin d'être
vantés pour être connus. Sa charmante manière
do dessiner, l'harmonie de ses chants improvisés,
son talent remarquable pour jouer la comédie,
une instruction soignée, voilà co qui se trouvait
dans Hortense de Beauharnais en 1800, à l'époquede mon mariage. Alors elle était uno charmante
jeune fille; depuis elle est devenue uno des plus
aimables princesses de l'Europe. »
La mort cruelle du petit-fils de l'impératrice
Joséphine réconcilia momentanément ses affligés
parents. Ils se rendirent ensemble en automne,
aux eaux dans les Pyrénées et, au mois d'avril
de l'année suivante (1808), la reine Hortense don-
nera le jour à son troisième fils, le futur empe-
reur, Napoléon III.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 173
La victoire de Friedland (U juin 1807) aprè*
colles d'Iéna, d'Auerstaedt et d'Eylau avait enlîn
décidé l'empereur Alexandre et lo roi do Prusso
à signor la paix, ot, lo 19, Napoléon envoyait à
l'impératrice Joséphino lo joune Louis Taschcr,
cousin do celle-ci, pour la lui annoncer :
« Mon amie, écrivait Napoléon, jo viens do
voir l'empereur Alexandre; j'ai été fort content
de lui : c'est un fort beau, bon et jeune empereur;
il a de l'esprit plus qu'on no pense communé-
ment. Il vient loger en ville à Tilsitt demain. »
Malgré les bruits de divorce qui circulent tou-
jours on pourra encore observer dans une lettre
do Napoléon à Joséphine, en date du 18 juillet,
après la signature de la paix, que l'Impératrice
n'a pas perdu sa place dans le coeur de son mari :
« Mon amie, lui mande-t-il, je suis arrivé hier
à cinq heures du soir à Dresde, fort bien portant,
quoique jo sois resté cent heures en voiture sans
sortir. Je suis ici chez le roi de Saxo dont je suis
fort content. Jo suis donc rapproché de toi de
plus de moitié du chemin. Il se peut qu'une de
ces belles nuits, jo tombe à Saint-Cloud comme
un jaloux; jo t'en préviens. Adieu mon amie,
j'aurai grand plaisir à te voir. Tout à toi.
» NAPOLÉON. »
171 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Il somblo avéré cependant qu'à Tilsitt, à la
suito do sos entretient intimes avec l'empereur
do Russie, l'idéo d'un divorco éventuel dut tra-
verser plus d'uno fois l'esprit do Napoléon. Ayant
complètement abandonné, depuis les événements
do 1806, lo rôvo qu'il avait caressé d'uno ontonto
étroito avec la Prusse, l'Empereur, séduit par les
grâces d'Alexandre, nourrissait l'espoir d'y substi-
tuer uno alliance intime ot durable avec la Hussio.
11 avait compté sans son hôte, dont les manières
enveloppantes lui avaient donné le change, mais
qui ne mettait pas, dans les témoignages do
sa cordialité, uno sincérité semblable à celle do
Napoléon.
L'Empereur, auréolé d'uno nouvelle gloire,
rentra à Paris lo 28 juillet au milieu des accla-
mations des foules enthousiastes. L'année 1807
marque le point culminant do la grandeur de
l'Empire. Dès les premiers temps de son retour
Napoléon so préoccupa de mettre la dernière main
à l'organisation de la cour impériale. Nous nous
occuperons spécialement du service d'honneur
do la maison do l'impératrice Joséphine qui, dit
M. Aubenas, fut ainsi composé : premier aumô-
nier : M. Ferdinand de Rohan, ancien archevêque
do Cambrai; dame d'honneur, madame Chastulé
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 175
do la Rochefoucauld; damo d'atours, madamo
do Lavalotto; damos du Palais : mesdames do
Rômusat, do Luçay, do Talhouët, do Lauriston,
maréchale Noy, d'Arberg, maréchale Lannes,
Duchàtol, Walsh-Serrant, do Colbert, Savary,
Octave et Philippe de Ségur, do Turenno, Mon-
talivet, do Rouillé, do Vaux, Marescot, de Peron,
Solar, Lascaris-Vintimiglia, do Rrignole, do Gen-
tille, do Canisy, do Chovreuse, Maret, Victor do
Mortemart, et Montmorency-Matignon. Huit
chambellans furent attachés au servico de l'Impé-
ratrice. Le général Nansouty remplissait les fonc-
tions de premier chambellan; los autres étaient
MM. de Reaumont, Hector d'Aubusson, La Feuil-
lade, do Galard-Réarn, do Saint-Simon-Courte-
mer, do Grave, do Montesquiou et du Manoir.
M. d'Harvillo, sénateur, fut nommé chevalier
d'honneur; le général Ordener, premier écuyer;
les colonels Fouler et Corbineau écuyers.
Au mois de septembre do la mémo année, l'Em-
pereur, et l'Impératrice se transportèrent à Fon-
tainebleau, où ils firent un séjour de trois mois
dans co palais embelli par les soins de Napoléon,
qui y tint une cour brillante. Le corps diploma-
tique et des étrangers de marque y furent admis et
des fêtes somptueuses données, pour célébrer lo
176 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
mariage du nouveau roi do Westphalio avec la
princesse Catherino do Wurtemborg.
C'est ici quo doit trouver placo lo récit do l'in-
cartado de Fouché, dont on se souviendra peut-
être qu'il a déjà été fait mention. Lo directeur
des postes sous lo premier Empire, M. de Lava-
letto, mari d'une nièce do Joséphine, a rapporté;
dans ses Mémoires, l'incident dont Fouchô fut
le pernicieux promoteur. L'ancien directeur des
postes raconte comment, un jour, l'impératrice
Joséphino l'ayant fait appeler, il trouva celle-ci
fort abattue, le visage altéré, et qu'elle lui fit
part de la conversation qu'elle venait d'avoir avec
le duc d'Otrante. Ce dernier aurait abordé l'Impé-
ratrice en lui disant qu'il était devenu nécessaire
qu'elle donnât à la France et à l'Empereur un
grand témoignage de dévouement. Puis, s'expli-
quant plus clairement, il laissa entendre à José-
phine que l'Empereur avait à toute force besoin
d'obtenir un héritier de son sang; qu'au bout de
dix années de mariage l'Impératrice no pouvait
plus conserver l'espoir de lui en donner, et que
celle-ci était par conséquent devenue le seul
obstacle à la consolidation du trône de son époux.
Fouché ajouta ensuite que cette situation impo-
sait à l'Impératrice la nécessité d'accomplir un
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 177
grand sacrifice. Il savait, disait-il, combien serait
cruel pour Joséphine un pareil acte d'abnéga-
tion, mais connaissait assez l'élévation de senti-
ments dont elle était douée pour être porsuadué
qu'elle saurait s'y résigner, « L'Empereur, pour-
suivit-il, ne consommera pas lui-mêmo ce sacri-
fice; jo connais son attachement pour vous. Soyez
plus grande qu'il n'est grand, et donnez ce dernier
gage do votre dévouement à la patrie et à l'Empe-
reur; l'histoire vous en tiendra compte, et votre
place y sera marquée au-dessus des femmes les
plus illustres qui ont occupé le trône de France. »
L'Impératrice demeura, paraît-il, si déconcertée,
d'après son propre témoignage, de cette inqua-
lifiable ouverture, qu'elle ne sut répondre à son
interlocuteur quo par des paroles décousues et
vagues, a Conseillez-moi donc, aurait-elle dit à
Lavalette, vous qui m'êtes attaché comme parent
et comme homme dévoué. N'est-il pas évident que
Fouchô est envoyé par l'Empereur et que mon
sort est décidé? Hélas! descendre du trône est
peu de chose pour moi; qui sait plus que moi
combien j'y ai répandu do larmes? Mais perdre
en même temps l'homme à qui j'ai consacré mes
plus chères affections, le sacrifice est au-dessus
de mes forces ! »
12
178 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
Méneval, le secrétaire intime do l'Empereur, a
laissé de son côté, dans ses Mémoires, uno note
qui so réfère au même incident 1.
« Dès la fin de 1807, nous dit-il, Fouchô avait
essayé de sonder l'opinion publique sur une
éventualité de divorce, et il avait jeté en avant
l'idéo d'uno alliance de Napoléon avec la grande
duchesse Catherine de Russie. Il savait quo l'Em-
pereur avait de la répugnance à séparer son sort
do celui d'une femme aimanto et dévouée. Il
voulut so donner le mérite do lui forcer la
main, ot parla à des sénateurs du divorce comme
d'un projet arrêté, enfin il se présenta à José-
phine comme un intermédiaire officieux. L'Im-
pératrice, atterrée do cette ouverture, croyant
Fouché envoyé par l'Empereur, répondit avec une
résignation douloureuse qu'aucun sacrifice ne lui
coûterait pour obéir à son époux. Napoléon, qui
ignorait ces menées, trouva un jour Joséphine
en pleurs et en obtint l'aveu de la démarche quo
Fouché s'était permiso auprès d'elle. Outré de
tant d'audace, il fit venir le ministre et le traita
comme il méritait de l'être; il lui aurait même,
à l'instant, retiré le portefeuille de la police s'il
1.Mémoirespour servirà Vhistoirede NapoléonI" (chez Dentu),t. II, note de la page 284.
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 179
eut eu, en ce moment, quelqu'un sous la main.
Fouché fit agir Murât et les frèros de l'Empereur
qui calmèrent son ressentiment. » Fouché, devait
beaucoup à Joséphine, a dit avec raison M. Au-
benas. Il usa, dans cetto circonstanco, do cotte
ingratitude intrépide qui est le propre des ambi-
tieux, qui veulent à tout prix arriver ou so main-
tenir, race facile à la trahison, que les bienfaits
ne gagnent point, car quoi que ce soit qu'ils
obtiennent, c'est toujours peu pour leurs insa-
tiables désirs. Le ministre de la police avait fait
parler une opinion factice. On no demandait
nulle part, du moins à cette date, le divorce de
l'Empereur. L'impératrice Joséphine était plus
quo jamais populaire.
Le divorce n'était pas encore arrêté dans l'es-
prit do Napoléon qui n'eut voulu, sous aucun
prétexte, infliger à l'infortunée Joséphine une
douleur prématurée, mais au contraire eut
désiré lui épargner la menace, toujours sus-
pendue sur sa tête, d'une séparation éventuelle.
Après cette nouvelle alerte, Joséphine retrouva
donc, en partie du moins, son calme et sa sécu-
rité ; mais un nouveau deuil devait la frapper à
la fin de 1807. Sa mère, madame de la Pagerie,
qu'elle avait vainement tenté d'attirer en France
180 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
auprès d'elle, était morte longtemps avant que
l'avis do son décès put êtro transmis à l'Impé-
ratrice, dont Napoléon avait voulu ménager la
la sensibilité.
En novembre l'Empereur alla visiter son
royaume d'Italie, mais sans emmener avec lui
l'Impératrice qui aurait bien voulu l'y accom-
pagner. Ce fut au cours do co voyage que Napo-
léon, voulant donner à Joséphino et à ses enfants
uno preuve manifeste de son affection, adopta
solennellement lo prince Eugène pour son suc-
cesseur à la couronne d'Italie. Enfin, au mois de
janvier 1808 l'Empereur, toujours désireux de
donner des gages de bienveillant intérêt à la
famille de sa femme, favorisera le mariage d'une
nièce de Joséphine, mademoiselle Stéphanie
Tascher, avec le prince d'Arenberg, colonel d'un
régiment français.
CHAPITRE XIII
1808. L'attention de Napoléon attirée sur les événements d'Es-pagne. — Entrevue de Rayonne et séjour à Marrac. — L'im-pératrice Joséphine obtient l'autorisation d'y accompagnerl'Empereur. — La reine Marie-Louised'Espagne. — Retour àSaint-Cloudpour le 15août. —Entrevue d'Erfurt. —Campagnede Napoléon en Espagne. — Lettres de Napoléonà Joséphine.— L'Autriche adopte une attitude hostile. — Préparatifs deguerre de l'Empereur. — Joséphine &Strasbourg. — Légèreblessure de Napoléon à Ratisbonno. — Lettres & Joséphinepour la rassurer (collectionDidot).— Rôle du prince Eugène.—Nouvelleslettres de l'Empereur à l'Impératrice. — Victoirede Wagrara. — Armistice suivi de la conclusion de la paix.-• Tentative d'assassinat sur Napoléon.—Nouvelles penséesde divorce.
Trois mois de repos dans l'existence agitée et
démesurément active à laquelle était accoutumé
l'empereur Napoléon lui faisaient paraître le
temps bien long. Malheureusement pour lui, dès
le début de l'année 1808, les événements qui se
déroulaient en Espagne ne tardèrent pas à fixer,
sur ce pays, toute son attention. Le faible roi
Charles IV et la reine sa femme, instruments
182 L IMPERATRICE JOSEPHINE,
dociles aux mains du trop fameux Godoï, princo
do la Paix, avaient soulevé contro eux lo senti-
ment populairo espagnol. L'héritier du trôno, le
princo Ferdinand, adversaire déclaré de Godoï,
s'était placé à la têto des mécontents, et les plus
fâcheuses dissensions divisaient la famille royale.
L'Empereur, qui rêvait de remplacer, sur tous les
trônes, les Rourbons par des mombres de sa
propre famille, crût trouver dans la situation de
l'Espagne un prétexte favorable pour intervenir
dans ces démêlés. Il eut le tort do prendre le
parti du plus faible, c'est-à-dire du vieux souve-
rain de l'Espagne, car, s'il eût pris celui de Ferdi-
nand, il est probable qu'il aurait rallié autour de
lui tous les Espagnols. Il est à supposer que le
caractère hypocrite et bas de Ferdinand empêcha
Napoléon — dès qu'il eut jugé ce prince— de se
prononcer en faveur de sa cause. Si la nature
avait pu douer Ferdinand d'un ensemble de qua-
lités entièrement contraires à celles qu'il possé-
dait, de grands malheurs auraient sans doute été
épargnés à la France comme à l'Espagne...
Quoiqu'il en soit l'Empereur prit la résolution,
qui allait lui devenir si fatale, de s'immiscer dans
les affaires de la Péninsule, et donna l'ordre, à
Murât, placé à la tête d'une nombreuse armée,
L IMPÉRATRICE JOSEPHINE. 183
do franchir les Pyrénées. Le 2 avril Napoléon,
accompagné do l'Impératrice, partit lui-môme
pour Rayonne, ville frontière où il avait donné
rendez-vous aux princes espagnols. L'Empereur
so sépara de Joséphine, à Rordeaux, où il laissa
cetto princesso, n'ayant pas eu primitivement lo
projet de la faire assister aux conférences de
Rayonno 1. Arrivé le 15 dans cetto ville, Napo-léon s'occupa immédiatement de faire aménager
lo château do Marrac où il voulait recevoir la
famillo royale d'Espagne, et dont l'impératrice
Joséphine allait être chargée de faire les hon-
neurs au roi Charles IV et à la reine.
C'est à Rordeaux, dans le courant de ce mois
d'avril 1808, que Joséphine reçut la nouvelle de
la naissance du troisième fils de la reine Hor-
tense, le futur Napoléon III, né le 8 avril 1808 à
Paris. L'Impératrice, ravie do cet heureux événe-
1. Un lettre de Ménovalà sa femme en date du 5 avril 1808est à citer à ce propos : Bordeaux.« Je compte que nous passe-rons ici deux jours et que nous continuerons notre chemin surBaronne. L'Impératrice doit venir ici dans trois ou quatrejours. Elle devait d'abord rester à Paris et elle en était bienchagrine. Elle avait chargé M. Deschamps (son secrétaire) det'allcr chercher mardi, qui est aujourd'hui, et de t'amenerpasser la journée avec elle, à Malmaison, où elle devait êtreseule. Mais, au moment de monter en voiture, l'Empereur aconsenti à ce qu'elle vint à Rordeaux. Tu te figures sa joie.Elle était plus heureuse que toi!... »
184 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
ment, écrivait de Rordeaux à sa fille Hortense le
25 avril :
a Je reçois, ma chèro Hortense, uno lettre de
J'Emporour qui m'annonce qu'il avait appris que
tu étais accouchée d'un garçon et qu'il en avait
éprouvé uno très grande joio. L'Empereur me
mande, on mémo temps, do venir le retrouver à
Rayonne ; tu juges, ma chèro fille, que c'est un
grand bonheur pour moi de ne pas quitter l'Em-
pereur; aussi je pars demain de grand matin. »
Le contentement de Napoléon et de Joséphine
eût été bien plus grand, a dit justement M. Aube-
nas, s'ils avaient pu prévoir que cet enfant était
destiné à relever, un jour, la dynastie impériale.
Le séjour de la Cour à Rayonne et à Marrac se
prolongea pendant trois mois. Le roi Charles IV
et la reino, précédés par leur fils ainô lo prince
Ferdinand, étaient arrivés à Rayonne le 30 avril,
suivis de différents hauts personnages espagnols
et de leur cher ami et favori Godoï. On y avait
préparé aux vieux souverains une magnifique
réception. L'effet que durent produire sur l'élé-
gante cour do l'Empereur et de l'Impératrice,
leurs équipages et leurs modes surannés, fut pro-
bablement celui d'un assez haut comique. L'on
conçoit assez bien, par conséquent, le. propos
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 185
tenu en 1814 par l'archiduc Jean à l'impératrice
Marie-Louise à Vienne, lorsque, faisant allusion
au roi Charles, à sa femme et à Godoï, réfugiés à
cette époque à Vérone, le prince autrichien assu-
rait qu'il allait contempler, dans cot'o dernière
ville, une ménagerie très célèbre!
L'impératrice Joséphino employa toutes ses
grâces et tous ses moyens de séduction à consoler
la mère du prince Ferdinand, et à adoucir —
autant qu'il dépendait d'ello — l'amertume du
sort réservé à ces vieux souverains. Elle fit sur-
tout la conquête de la vieille reine, à laquelle elle
no cessa pas de témoigner les égards les plus
touchants. Joséphine sut aussi intéresser et dis-
traire cette princesse en lui donnant des leçons de
toilette française. Elle lui procura les bons offices
de son célèbre coiffeur, Du pi an, ce qui enchanta
la reine espagnole, dont la tournure d'esprit pué-
rile s'accommodait à merveille de semblables
occupations et so repaissait de frivolités.
Nous ne saurions entreprendre ici la tâche de
raconter les péripéties du mélodrame de Rayonne
qui ne concerne que très indirectement José-
phino, et qui se termina, comme on le sait, par
la prise de possession éphémère du trône de
Philippe II par le roi Joseph Bonaparte. Le
186 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
transfert en France des princes de la dynastie
espagnole des Rourbons on fut la conséquonce
immédiate La veille do la fête de Napoléon, le
14 août, l'Empereur et l'Impératrice rentraient à
Saint-Cloud. Ils y revenaient l'un et l'autre dans
des dispositions moins riantes qu'au moment de
leur départ pour Rayonne : Napoléon fort irritô
de la désastreuse affaire de Raylen, dont il avait
appris la nouvelle en chemin, —Joséphine péni-
blement affectée de l'occupation de Rome par
les troupes françaises et de l'attitude regrettable
adoptée par son époux vis-à-vis du vénérable
Pie VII.
Jusqu'à co jour aucun sombre nuago n'était
venu obscurcir l'étoile de Napoléon. A partir de
cette fin d'année 1808 les étapes glorieuses qu'il
lui reste à parcourir seront mêlées de revers et
de peines secrètes. Il regrettera plus tard, à Sainte-
Hélène, les fautes commises, la guerre d'Espagne,
la persécution infligée au Pape, enfin d'avoir
abandonné Joséphine. Avant l'entrevue d'Erfurt
qui so préparait pour lo mois d'octobre, il n'avait
jamais été sérieusement question do cet abandon.
A Erfurt au contraire les idées de divorce, qui
traversaient parfois l'esprit do Napoléon et y
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 187
reparaissaient comme un leit-moliv, prirent une
consistance beaucoup plus sérieuse. Napoléon
avait voulu sondor les dispositions d'Alexandre
avant de s'engager à fond dans l'entreprise péril-
leuse dont la couronne d'Espagne allait devenir
l'objet. A Erfurt une grande intimité présidait
aux relations du souverain de la France avec
l'autocrate russe, « Ce redoublement d'intimité,
dit M. Aubenas, était loin de sourire à l'impéra-
trice Joséphine, car on voulait y voir, et elle le
savait, l'ayant-coureur d'une union entre l'Empe-
reur et une princesse russe. M. de Ménoval
affirme, en effet, que l'empereur Alexandre offrit
à Erfurt à s-n puissant allié, la main de la prin-
cesse Anne, sa soeur, et que celui-ci se borna à
écouter la proposition sans faire de réponse posi-
tive. Évidemment, ot cette grandeur d'Erfurt y
poussait, la pensée d'un divorce cheminait dan
son esprit, mais il n'était point encore décidé à
l'accomplir 1. »
Napoléon, en quittant Erfurt, no fit pour ainsi
dire que traverser Paris pour se rendre aussitôt
en Espagne ot faire peu de temps après son entrée
à Madrid. Soit pressentiment, soit conscience du
1. Aubenas, Histoirede l'impératriceJoséphine,t. H, p. 434.
188 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
danger quo courait l'Empereur dans cette aven-
ture incertaine, Joséphine l'avait vu partir avec
chagrin. Contrairement à sa réserve habituelle,
quand il s'agissait d'opérations de guerre, l'Impé-
ratrice aurait supplié cette fois son époux de
mettre un terme à ses entreprises guerrières indé-
finiment renouvelées. Elle avait perdu sa confiance
du début dans l'invincibilité du vainqueur de
l'Europe et redoutait l'avenir. Les puissances
ennemies de l'empire français, et domptées
momentanément, n'allaient-elles pas profiter de
son absence à l'extrémité du Continent et de ses
embarras en Espagne pour tenter de venger leurs
précédentes défaites?
La correspondance de Joséphine avec son mari
contenait probablement les traces do ces appréhen-
sions, car lo 9 janvier 1809 Napoléon lui écrit :
ce Moustache 1m'apporte une lettre de toi du
31 décembre, Jo vois, mon amie, que tu es triste
et quo tu as do l'inquiétude très noiro. L'Autriche
ne me fera pas la guerre. Si ello me la fait, j'ai
cent cinquanto millo hommes en Allemagne et
autant sur lo Rhin, et quatre cent mille Allemands
pour lui répondre. La Russie ne se séparera pas
1. Nomd'un courrier do l'Empereur.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 189
de moi. On est fou à Paris. Tout marche bien.
Je serai à Paris aussitôt que je le croirai utile.
Je te conseille de prendre garde aux revenants.
Un beau jour à deux heures du matin... Mais
adieu, mon amie, je me porte bien ot je suis tout
à toi. »
Les pressentiments comme les craintes de l'im-
pératrice Joséphine ne l'avaient pourtant pas
trompée. L'Autriche faisait de nouveaux prépa-
ratifs de guerre et multipliait ses armements.
Rientôt cette puissance lèvera le masque et
envahira la Ravière, provoquant ainsi la célèbre
campagne do 1809.
Napoléon, avisé de cetto attitude hostile ot des
mauvais dessoins de sa vieille ennemie, rentra
précipitamment à Paris lo 23 janvier, ot, au bout
do deux mois, avait terminé ses préparatifs de
guerre. Il partit vers le milieu du mois d'avril
pour rejoindre son quartier général en Allemagne,
laissant à Strasbourg l'Impératrice qu'il avait
emmenée avec lui.
Joséphino so morfondait à Strasbourg pendant
cetto campagne ot sentait redoubler ses alarmes.
Le 7 mai elle écrivait de cette ville au secrétaire
de l'Empereur :
« Jo regrette, mon cher Mennevol (sic), do
190 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
n'avoir pu voui témoigner plus tôt combien je
suis sensible à votre attention à me donner sou-
vent des nouvelles de l'Empereur. Je dois à votre
exactitude le peu de calme que j'éprouve. Il y a
cependant plusieurs jours que je n'ai pas reçu
aucune lettre du quartier général...
s Adieu, mon cher Menneval (sic), recevez
l'assurance de l'attachement que je vous porte.
» JOSÉPHINE. »
L'Impératrice avait été inquiète et effrayée du
bruit qu'on avait répandu relativement à la
blessure reçue par Napoléon au siège de Ratis-
bonno.
Pour la rassurer ce dernier lui adressait le
billot suivant en date du 6 mai :
« Mon amie, j'ai reçu ta lettre. La balle qui
m'a touché ne m'a pas blessé; elle a à peine rasé
le tendon d'Achille. Ma santé est fort bonne; tu
as tort de t'inquiéter. Mes affaires vont bien. Tout
à toi. »
Après la prise de Vienne et l'arrivée de-l'armée
du prince Eugène sur le Danube, Napoléon ren-
dait compte a Joséphine, par une lettre en date
du 27 mai dos événemonts militaires :
« Je t'expédie un page pour t'apprendre qu'Eu-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 191
gène m'a rejoint avec toute son armée ; qu'il a
rempli parfaitement le but que je lui avais
demandé; qu'il a presque entièrement détruit
l'armée ennemie qui était devant lui. Je t'envoie
ma proclamation à l'armée d'Italie qui te fera com-
prendre tout cela. Je me porte fort bien. Tout à toi,
» P.-S. — Tu peux faire imprimer cette pro-
clamation à Strasbourg, et la faire traduire en
français et en allemand, pour qu'on la répande
dans toute l'Allemagne. Remets au page qui va à
Paris une copie de la proclamation. »
Lo 31 mai l'Empereur annonce à l'Impératrice
la mort du maréchal Lannes, tué à Essling, en
ces termes :
«... La perte du duc de Montebello, qui est
mort ce matin, m'a fort affligé. Ainsi tout finit!..,
Adieu, mon amie. Si tu peux contribuer à con-
soler la pauvre maréchale, fais-le. Tout à toi. »
L'Impératrico à ce moment, Je préparait à
quitter Strasbourg pour aller faire une saison
d'eaux à Plombières et, le 7 juin, ello écrivait au
secrétaire de l'Empereur la lettre qui suit :
Strasbourg, le 7 juin 1809.
« Je mo propose, mon cher Méneval, de partir
pour Plombières lundi 12 de co mois. Je serai,
192 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
pendant mon séjour aux eaux, encore plus loin
des nouvelles qu'ici. Je compte sur votre exacti-
tude ordinaire pour ne me laisser rien ignorer
de ce qui m'intéresse. Vous pouvez continuer
d'adresser vos lettres à Strasbourg, le directeur
de la poste me les fera parvenir à Plombières.
Votre femme se propose aussi do prendre lés
mêmes eaux, ce qui me fait grand plaisir, car elle
est fort aimable. Adieu, mon cher Méneval,
recevez l'assurance des sentiments que vous me
connaissez pour vous.» JOSÉPHINE. »
Le fils de Joséphine, placé par Napoléon à la
tête de l'armée destinée à opérer en Italie, se dis-
tinguait particulièrement au cours de cette cam-
pagne. Il pénétrait bientôt jusqu'en Hongrie où
il remportait sur les Autrichiens de grands succès.
Sa mère avait le droit d'en être fière et recevait
à ce propos de l'Empereur les lignes suivantes :
« Je t'expédie un page pour t'annoncer que
le 14 (juin) anniversaire de Marengo, Eugène a
gagné une bataille contre l'archiduc Jean et
l'archiduc Palatin à Raab en Hongrie ; qu'il leur
a pris trois mille hommes, plusieurs pièces de
canon, quatre drapeaux, et les a poursuivis fort
loin sur le chemin de Rude. »
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 193
Trois semaines plus tard Napoléon terminait
encore par une victoire décisive, celle de Wagram,
cette guerre que le cabinet de Vionne avait pro-
voquée. Le 7 juillet à cinq heures du matin, il
annonçait ce grand fait d'armes à l'Impératrice :
« Je t'expédie un page pour te donner la bonne
nouvelle de la victoire d'Ebersdorf que j'ai rem-
portée lo 5, et de celle de Wagram que j'ai rem-
portée le 6. L'armée ennemie fujt en désordre et
tout marche selon mes voeux. Eugène se porte
fort bien. Le prince Aldobrandini est blessé, mais
légèrement. Ressières a eu un boulet qui lui a
touché lo gras de la cuisse; la blessure est très
légère. Lasallo a été tué. Mes pertes sont assez
fortes mais la victoire est décisive et complète.
Nous avons plus de cent pièces de canon, douze
drapeaux, beaucoup de prisonniers. Je suis brûlé
par le soleil. Adieu mon amie, je t'embrasse.
Rien des choses à Hortense. »
Le 9 juillet, à deux heures du matin, Napoléon
complète ces renseignements par un billet fort
court :
« Tout va ici selon mes désirs, mon amie. Mes
ennemis sont défaits, battus, tout à fait en
déroute. Ils étaient très nombreux, je les ai
écrasés. »
13
194 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
A la suite d'un armistice conclu le 13 juillet,
les négociations entamées pour la conclusion do
la paix se prolongèrent pondant uno période
d'environ trois mois, quo Napoléon passa à
Schonbrunn ou à Vienne.
Pendant co temps l'impératrico Joséphine, triste
et préoccupée, comme en 1807, vivait retirée à
la Malmaison depuis son retour de Strasbourg et
do Plombières 1. Les nouvelles qui lui parve-
naient do Vienne n'étaient guère de nature à la
tranquilliser. La tentative de meurtre dirigée con-
tre Napoléon, par un étudiant allemand du nom
de Staaps, l'avait vivement émotionnée. Voici co
qu'a raconté, dans ses Mémoires, à propos do
cetto tentative, Méneval lo secrétaire de l'Empe-
reur :
« Il est très probable quo la signature de la paix
fut hâtée par un événement qui produisit sur
Napoléon uno'vivo impression, quoiqu'il affectât
do no pas la laisser paraître. Un jour d'octobre, à
1.Dansune lettre, datée du 28septembre 1809,Méneval,écri-vant do Schônhrunn à sa femme, s'étonno d'un bruit quocelle-ci a entendu répéter chez l'impératrice Joséphine, bruitdont elle avait précédemmentrenvoyé l'écho a son rm.ri.D'aprèsce qu'on racontait, dans l'entourage de l'Impératrice, le princeEugène devait so voir proclamer roi de Pologne, et Joséphine,paralt-il, no semblait pas éloignée d'y croire. Ce bruit ne repe*sait sur aucun fondementsérieux.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 195
Schonbrunn, pendant que les troupes défilaient
devant lui à la parade de midi, un jeune homme
chercha à s'approcher de l'Empereur. Cet individu
tenait dans une main un papier qu'on prit pour
une pétition. On lui dit de la remettre à l'aide de
camp de service qui était le général Rapp, mais
il répondit qu'il voulait parler à Napoléon; tou-
jours repoussé, il revenait toujours à la charge.
Cette insistance parut suspecte; son air décidé
quoique calme, l'expression de ses yeux, sa main
droite, qu'il tenait enfermée dans son sein, frap-
pèrent le général Rapp, qui le fit arrêter et conduire
au château. Tout cela se fit sans qu'on s'en aper-
çût. On sut bientôt qu'on avait trouvé, sur ce
jeune homme, qui était un étudiant do l'université
d'Erfurt, nommé Staaps, âgé seulement de dix-
huit ans, un grand couteau de cuisine. Interrogé
sur l'usage qu'il voulait faire de ce couteau, il ne
cacha point son dessein do tuer Napoléon 1. »
Les dangers de toute sorte qui menaçaient les
jours de l'Empereur ramenaient naturellement
les esprits aux idées do divorce. Napoléon ne
l'ignorait pas et se préoccupait de son côté de la
nécessité de chercher, au moyen d'un nouveau
1. Méneval, Mémoirespour servir à Vhistnirede Napoléon/*',t. H, p. 250.
196 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
mariage, à consolider l'empire qu'il avait fondé.
Il ne voulait pas que sa succession devînt, le cas
échéant — comme celle d'Alexandre le Grand —
le signal de l'écroulement de ce majestueux édi-
fice, et, dans ce but, il croyait indispensable d'obte-
nir, au moyen d'une union nouvelle, un héritier
do son sang.
Aussitôt après la signature du traité de paix
avec l'Autriche, l'Empereur, avant de rentrer en
France, passa par Munich d'où il adressa à José-
phine ce billet laconique :
« Mon amie, je pars dans une heure. Je serai
arrivé à Fontainebleau du 26 au 27 ; tu peux t'y
rendre avec quelques dames.
» NAPOLÉON. »
L'Empereur rentra le 26 octobre à neuf heures
du matin à Fontainebleau et, n'y trouvant pas
Joséphine qui n'avait pas supposé son retour si
rapide, il prit prétexte de son absence pour en
témoigner de l'humeur.
CHAPITRE XIV
1800. Préliminaires du divorce. — Cambacérôs consulté s'ymontre contraire. —Angoisseset perplexités de Joséphino. —Entretien de Napoléonavec Lavalelte. —Lejeudi 30 novembreNapoléonlaisse échapper des paroles fatales devant Joséphine.— Détails dans les Mémoiresde Bausset.
L'Histoire du Consulat et de l'Empire par
M. Thiers est intéressante à consulter sur cette
question du divorce, qui a fixé rétention de tant
d'historiens. Ce remarquable ouvrage peut servir
do guide pour en retracer les péripéties, car on
ne saurait les passer sous silence, quoiqu'elles
soient bien connues, si l'on songe à la place
importante quo tient la période du divorce dans
l'histoire do l'impératrice Joséphine.
Napoléon était, comme on a pu le voir, arrivé
à Fontainebleau le 26 octobre, avant tout le
monde, avant sa maison, avant l'Impératrice,
avant ses ministres. Seul l'archichancelier Cam-
198 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
bacérès, avec lequel l'Empereur avait désiré s'en-
tretenir, se trouvait au Palais, dès l'aurore, avant
l'arrivée du Souverain. Celui-ci entama aussitôt,
avec son conseiller le plus écouté, une longue
conversation qui eut pour objet tous les sujets
intéressants du moment. Ils en vinrent enfin à
aborder la question du divorce. Napoléon aimait
véritablement Joséphine et il lui en coûtait beau-
coup de se séparer d'elle. La pensée de consolider
un trône, qu'il sentait parfois chanceler sous son
poids, était devenue chez lui une obsession. Il
fallait maintenant à tout prix, au mari de José-
phine, un héritier incontesté pour mettre fin à
toutes les rivalités, à toutes les intrigues, à tous
les bouleversements que l'éventualité de sa mort
serait susceptible de provoquer. L'Empereur ren-
dit à cette occasion pleine et entière justice à la
loyauté du Prince Eugène, à ses qualités, à sa
modestie et à son dévouement sans bornes. Il vou-
lait attendre l'arrivée du vice-roi, Cambacérès
ayant décliné toute mission de ce genre, pour
préparer Joséphine au déchirement pénible d'une
séparation devenue nécessaire. Jusque là Napo-
léon entendait que. personne n'y fit la moindre
allusion devant l'Impératrice; à cet égard le secret
le plus absolu devait être scrupuleusement gardé.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 199
Cambacérès, sincèrement attaché à Joséphine,
apprit avec regret cette grave détermination. Le
vieux conseiller de Napoléon comprenait à mer-
veille qu'en se séparant de celle-ci l'Empereur
allait rompre avec tout son passé. Il se disait que
Napoléon, au lieu de rester le prince populaire,
héritier et défenseur des idées saines et des prin-
cipes sensés de la Révolution, mécontenterait,
par son divorce, tout un personnel de fonction-
naires militaires ou administratifs, qui envisa-
geraient avec peu d'enthousiasme la prochaine
résurrection d'un pouvoir souverain purement
aristocratique.
Rien que le prince Cambacérès ait consigné
dans ses écrits qu'au cours de cet entretien Napo-
léon parut surtout préoccupé de sa grandeur, et
qu'il somblait en quelque sorte se promener au
milieu de sa gloire, l'archichancelier osa néan-
moins formuler quelques représentations destinées
à combattre, dans l'esprit de son maître, l'oppor-
tunité d'un divorce. Joséphine, selon lui, était
populaire, et les chefs militaires, surtout, étaient
attachés par une longue habitude à la femme de
leur général, accoutumée depuis longtemps à leur
rendre bien des services. Tous ceux qui s'appro-
chaient d'elle avaient appris à apprécier, en
200 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
mainte circonstance, sa bienveillance ot son
extrêmo bonté. C'était d'autre part se rapprocher
plus qu'il ne fallait peut-ôtro do l'ancien régime
que do rechercher uno nouvello union avec uno
princesse née sur les marches des trônes d'Alle-
magne ot même de Russie. Le choix qui serait'
fait dans la famille do l'un ou do l'autro souve-
rain do ces grands États, deviendrait, pour celui
dont Napoléon paraîtrait dédaigner l'alliance, un
sujot de mécontentement, voire môme de rancune.
Tels étaient ou durent être les arguments opposés
par Cambacérès à la convenance d'un divorce;
mais le siège de Napoléon était fait et il ne voulut
pas s'en préoccuper.
Joséphine s'attendait depuis longtemps, comme
on a pu l'observer, à la cruelle éprouve qui lui
était réservée ; mais, malgré les poignantes inquié-
tudes quo cette menace, suspendue sur sa tête,
lui avait fait éprouver à différentes reprises, elle
se flattait toutefois de l'espoir do la voir indéfini-
ment ajournée et peut-être même do l'éviter. On
a généralement toujours une tendance à croire ce
que l'on désire !
Les perplexités comme les angoisses de l'Impé-
ratrice avaient cependant redoublé. Ello pressen-
tait, avec ce sens particulièrement fin et délié
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 201
que possèdent les natures féminines, que l'heure
décisive était proche et son sort près d'être fixé,
avant qu'aucune parole véritablement inquiétante
eût été prononcée. Sa fille Hortenso, partageant
son anxiété, était accourue auprès do sa mère pour
la réconforter; comme Joséphine, ello appréhen-
dait, sans vouloir encore y croire, la catastrophe
dont celle-ci pouvait dovonir la victime.
Le 14 novembro Napoléon rovenait de Fon-
tainebleau à Paris où il faisait son entrée à cheval.
Sa résolution de se séparer de Joséphine était
irrévocablement priso. Il n'attendait plus que
l'arrivée du prince Eugène pour tout lui avouer;
mais il entendait entourer l'acte du divorce des
formes les plus affectueuses ot les plus honorables
pour l'impératrice Joséphine. Comme l'a dit
M. Thiers il no voulait rien do co qui eût pu res-
sembler à une répudiation, et n'admettait qu'une
simple dissolution du lien conjugal fondôo sur le
consentement mutuel, consentement fondé lui-
même sur l'intérêt de l'Empiro 1.
« Quand de retour à Fontainebleau à la fin de
1809, a dit dans ses Mémoires le secrétaire intime
de l'Empereur, Napoléon se fut décidé à aborder
1. Thiers, Histoiredu Consulatet de l'Empire,
202 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
cette grave quostion (du divorce), il laissa soup-
çonner à l'Impératrice la séparation qu'il médi-
tait, pou de semaines avant le temps où ce sacri-
fice si pénible devait étro consommé, mais sans
s'expliquer clairement, et plutôt par dos indices
qui donnaient à réfléchir à celle-ci quo par des
paroles explicitos. Cet homme, que beaucoup de
gens ont longtemps regardé comme impitoyable,
redoutait le spectacle des larmes et do l'affliction
qui avaient au contraire sur lui un empire pres-
que irrésistible. Je l'ai vu souvent, après quelques
scènes do jalousio causées par l'affection toujours
inquiète de Joséphine, être troublé au point qu'il
restait dos heures entières, à demi-couchô sur la
causeuse de son cabinet, livré à une émotion silen-
cieuse et sans pouvoir se remettre au travail 1, »
L'Impératrice n'était arrivée à Fontainebleau,
comme le sait le lecteur, que quelques heures
après son époux. « Ce retard, raconte le préfet du
palais Rausset, occasionna uno petite scène de
reproche de la part de Napoléon; » Mais l'Impéra-
trice, ajoute M, Aubenas, so montra si heureuse
de le revoir que celui-ci redevint affectuoux pour
elle, sans pouvoir ou vouloir plutôt dissimuler la
1. Méneval,Mémoires,t. H, p. 284.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 203
préoccupation de son esprit. L'impératrice José-
phine, dès ce premier instant, éprouva un serre-
ment do coeur qui lui fut un pressentiment du
danger qui 'a menaçait. Pendant los premiers
jours de leur vio commune, à Fontainebleau,
d'autres symptômes vinrent alarmer sa ten-
dresse 1. »
« Une froideur inaccoutumée, (dit dans ses
Mémoires le secrétaire intime de Napoléon qui
connaissait los projets de son maître) l'interrup-
tion des communications qui jusque là étaient
restées ouvertes entre leurs appartements; la
rareté et la brièveté des moments que lui accor-
dait l'Empereur ; quelques orages passagers, sus-
cités par les plus légers prétextes, qui troublaient
ce ménage ordinairement si paisible; l'arrivée
successive des souverains alliés dont elle cher-
chait à interpréter la présence : tout cela causait
à l'impératrico Joséphine les plus vives alarmes.
L'excès de sa préoccupation la ramenait sans
cesse à moi. Je n'avais que des réponses évasives
à lui donner, Mon rôle devenait embarrassant,
et, pour échapper à ses questions, j'étais obligé
de l'éviter, Mais cette persévérance à me sous-
i. Aubenas, 1.1, p. 4SI.
204 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
traire à co quo j'ose appeler ses obsossioris, lui
paraissait plus significative quo des paroles. Son
anxiété était portéo à son comble. Elle n'osait
aborder co sujet brûlant quand ello pouvait rete-
nir un moment l'Empereur, de peur qu'un fatal
arrêt ne vînt à tomber de sa bouche. Cet état était
trop violent pour durer longtemps ; il avait jeté,
dans leurs rapports journaliers, uno contrainte
qui était pour tous deux un supplice 1. »
Cetto pénible situation ne pouvait effective-
ment so prolonger trop longtemps, et Napoléon
laissora échapper les paroles fatales qui y met-
tront terme avant le commencement de décem-
bre 1809.
« Peujdo jours avant, raconte M. de Lavaletto,
l'Empereur m'avait fait appeler. Il désirait qu'un
ami de l'Impératrice pût rendre moins amer le
breuvage qui allait lui être présenté; sa pensée so
fixa sur moi : « La nation a tant fait pour moi, mo
dit-il, quo je lui dois le sacrifice de ma plus chère
affection. Eugène n'est pas assez jeune pour que
je puisse lo maintenir comme mon successeur : Je
ne suis pas assez vieux pour ne pas espérer
d'avoir des enfants, et cependant je ne peux en
1. Méneval, Mémoires,t. II, p. 287. •
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 205
espérer d'elle; le repos de la France exigo quo je
mo choisisse une nouvelle compagne. Depuis plu-
sieurs mois l'Impératrice vit dans les tourments
de l'incertitude. Tout est terminé pour une nou-
velle union. Vous êtes lo mari do sa nièce; elle
vous honore de son estime, voulez-vous vous
charger de lui annoncer cette triste nouvelle, et
de la préparer à sa nouvelle destinée'? »
Pas plus que Cambacérès, Lavalette ne voulut
se charger de cette mission pénible entre toutes;
il ajoute toutefois quo l'Empereur ne lui en sut
pas mauvais gré. Uno autre personne, dont
l'ancien aido de camp de Napoléon s'abstient de
mentionner lo nom, aurait été invitée par l'Em-
pereur à lui rendre ce désagréable service; mais
nous sommes fondé à penser qu'il convient de
voir là une hypothèse plutôt qu'un fait certain.
Le jour fatal arriva enfin et ce fut, assure
M. Aubenas, le jeudi 30 novembre 1809. Voici
ce que raconte à cet égard le secrétaire intime de
Napoléon :
« Enfin l'Empereur n'y put tenir davantage et,
un soir, après un repas des plus tristes et des
plus silencieux, il rompit la glace. » D'après la
1. Lavalette, Mémoires,t. II, p. 44.
206 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Biographie Michaud, ouvrage historique d'une
réelle valeur et admirablement documenté, lo
dialogue entre Napoléon ot Joséphine se serait
ainsi passé, après quo l'Emporeur eut congédié
toutes les porsonnes présentes : « Joséphine, ma
bonne Joséphine, tu sais si je t'ai aimée ! C'est à
toi, à toi soûle que j'ai dû les seuls instants do
bonheur que j'ai goûtés dans ce monde... José-
phino, ma destinée est plus forte quo ma volonté.
Mes affections les plus chères doivent se taire
devant l'intérêt do la France. —N'en dites pas
plus, eus-je la force de lui répondre, je m'y
attendais, jo vous comprends, mais le coup n'en
est pas moins mortel. — Je n'en pus dire davan-
tage, aurait raconté Joséphino. Je no sais ce qui
se passa on moi... jo crois que je proférai dos cris.
Jo crus ma raison à jamais perdue; jo demeurai
sans connaissance et, quand jo revins à moi je
mo trouvai dans ma chambre 1. » Napoléon dut
transporter jusque là la malheureuse Joséphine,
avec l'aido du préfet du palais Rausset et de
l'huissier, gardien du portefeuille. Ému jus-
qu'aux larmes Napoléon laissa, paraît-il, échapper
quelques paroles pour justifier la nécessité de ce
1. BiographieMichaud.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 207
fatal divorce devenu un devoir rigoureux, indis-
pensable. Ces paroles furent saisies ot recueillies
par Rausset, qui était présent et qui joua, sans
s'y étro attendu, un rôlo actif dans cette scène.
Il nous a paru intéressant d'emprunter aux
Mémoires de ce dernier lo récit circonstancié et
complot de cette dramatique soirée :
« LL. MM. se mirent à table Joséphine portait
un grand chapeau blanc, noué sous lo menton,
et qui cachait une partie de son visage. Je crus
cependant m'aporcevoir qu'elle avait versé des
larmes ot qu'elle les retenait encore avec peine.
Ello me présenta l'image de la douleur et du
désespoir. Lo silence le plus profond régna pen-
dant ce dîner : ils ne touchèrent que pour la
forme aux mets qui leur furent présentés. Les
seuls mots qui furent prononcés furent ceux que
m'adressa Napoléon : Quel temps fait-il? En les
prononçant il se lova de table. Joséphine suivit
lentement. Lo café fut présenté, et Napoléon prit
lui-même sa tasse, que tenait le page de service,
en faisant signe qu'il voulait être seul. Je sortis
bien vite, mais inquiet, tourmenté et livré à mes
tristes pensées. Jo m'assis dans le salon de ser-
vice, qui d'ordinairo servait de salle à manger
pour LL. MM., sur un fauteuil, à côté de la
208 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
porto du salon do l'Empereur; j'observais machi-
nalement los employés qui enlevaient les objets
qui ii at servi au dîner de LL. MM...,
lorsque u-u. 1 sjoup j'entends partir du salon de
l'Empereur tùs cris violents poussés par l'impé-
ratrice Joséphine... L'huissier de la chambre,
pensant qu'elle se trouvait mal, fut au moment
d'ouvrir la porte; je l'en empêchai, on lui obser-
vant quo l'Empereur appellerait du secours, s'il
lo jugeait convenable. J'étais debout, près de la
porte, lorsque Napoléon l'ouvrit lui-même et,
m'aporcovant, me dit vivement ; Entrez Dausset
et fermez laporte. J'entre dans le salon et j'aper-
çois l'Impératrice étendue sur le tapis, poussant
des cris et des plaintes déchirantes. Non je n'y
survivrai point, disait l'infortunée. Napoléon me
dit : Êtes-vous assez fort pour enlever Joséphine et
la porter chez elle, par l'escalier intérieur qui com-
munique à son appartement, afin de lui faire
donner les soins et les secours que son état exige?
J'obéis et je soulevai cette princesse que je
croyais atteinte d'une attaque de nerfs. Avec
l'aide de Napoléon je l'enlevai dans mes bras, et
lui-même prenant un flambeau sur la table,
m'éclaira et ouvrit la porte du salon, qui, par un
couloir obscur, conduisait au petit escalier dont il
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 209
m'avait parlé. Parvenu à la première marche de
cot oscalior, j'observai à Napoléon qu'il était trop
étroit pour qu'il me fût possible de descendre
sans danger de tomber.., Il appela de suite le
gardien du portefeuille, qui jour et nuit était
placé à l'une des portes do son cabinet, qui avait
son ontréo sur lo palier de ce petit escalier.
Napoléon lui remit le flambeau dont nous avions
peu do besoin, puisque ces passages étaient déjà
éclairés. Il ordonna à ce gardien do passer
devant, prit lui-même les deux jambes do José-
phine pour m'aider à descendre avec plus do
ménagement. Mais je vis lo moment où, embar-
rassé par mon épée, nous allions tous tomber;
heureusement nous descendîmes sans accident,
et déposâmes co précieux fardeau sur uno otto-
mane, dans la chambre à coucher. L'Empereur se
porta de suite au cordon des sonnettes, et fit venir
les femmes de l'Impératrice. Lorsque, dans lo
salon d'en haut j'enlevai l'Impératrice, elle cessa
de se plaindre ; je crus qu'elle se trouvait mal,
mais dans le moment où jo m'embarrassai dans
mon épée au milieu du petit escalier dont j'ai
déjà parlé, je fus obligé de la serrer davantage,
pour éviter une chute qui aurait étô funeste aux
acteurs de cette scène douloureuse, parce que nos
14
210 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
positions n'étaient pas la suito d'un arrangement
calculé à loisir. Jo tenais l'Impôratrico dans mos
bras qui ontourai nt sa taillo, son dos était
appuyé sur ma poitrino, ot sa têto était penchée
sur mon épaule droite. Lorsqu'elle sentit les
efforts que jo faisais pour m'empêcher do tomber,
elle mo dit tout bas : Vous me serrez trop fort. Je
vis alors que jo n'avais rien à craindre pour sa
santé, et qu'ollo n'avait pas perdu connaissance
un seul instant. Pendant touto cotte scène, jo
n'avais étô occupé quo do Joséphino dont l'état
m'affligeait; jo n'avais pu observer Napoléon;
mais lorsque les femmes de l'Impératrice furent
arrivées auprès d'elle, Napoléon passa dans un
petit salon qui précédait la chambre à coucher;
jo lo suivis. Son agitation, son inquiétude étaient
oxtrêmes. Dans lo troublo qu'il éprouvait, il
m'apprit la cause do tout ce qui venait do se
passer, et me dit ces mots : L'intérêt de la France
et de ma dynastie a fait violence à mon coeur... le
divorce est devenu un devoir rigoureux pour moi...
je suis d'autant plus affligé de là scène que vient
de faire Joséphine... que depuisitrois jours elle a
dxXsavoir par Hortense... la malheureuse obliga-
tion qui me condamne à me séparer d'elle... Je la
plains de toute mon âme, je lui croyais plus de
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 211
caractère... et je n'étais pas préparé aux éclats de
sa douleur... En offet l'émotion qu'il éprouvait
le forçait à mettro un long intervalle à ohaque
phrase qu'il prononçait pour respirer. Les mots
s'échappaient avec poino et sans suite; sa voix
était émuo, oppressée, ot dos larmes mouillaient
sos youx... Il fallait réellement qu'il fût hors de
lui pour mo donner tant de détails, à moi, placé
si loin de ses conseils et de sa confiance... Touto
cette scène ne dura pas plus de sept à huit
minutes'.., »
La reino Hortense, si dévouée à sa mère, ne
tarda pas à accourir auprès d'elle et à lui pro-
diguer ses plus tendros consolations,. Elles
mêleront leurs larmes, et, pou à peu, l'infortunée
Joséphino retrouva, dans une certaine mesure,
uno sorte do calmo ot de résignation. Napoléon
lui-même ne pouvant supporter le spectacle des
pleurs do Joséphine, la comblait à son tour
des attentions et des soins les plus affectueux.
1. Bausset, Mémoiresanecdotiquessur l'intérieur du Palaisimpérial,l. I, p. 370-371-372.
CHAPITRE XV
Lettre du prince Eugène à Napoléon. — Arrivée de plusieurssouverains a Paris. — Banquet aux Tuileries. — Dernièroapparition de Joséphine en public. — Arrivée du princeEugène à Paris. — Conversation de Napoléon avec son fils
adoptif. — Lettre de Joséphine à Napoléon (BiographieMichaud). — Réponse de l'Empereur. — M. do Narbonne. —
Cassation du lien religieux entre Joséphine et Napoléon.—
Alliance russe ou autrichienne. — Joséphine favorise le ma"
riage autrichien.
Joséphine, devenue un peu plus calme, les
jours suivants, soutenue par l'admirable ten-
dresse de sa fille et par les affectueux égards
dont Napoléon, maintenant, l'entourait, attendait
néanmoins l'arrivée de son fils Eugène avec
impatience. Ce prince, averti par les soins de
l'Empereur de la pénible mission qu'il aurait à
remplir auprès de sa mère, avait adressé à Napo-
léon la lettre que nous reproduisons ci-après :
« Ma mère et moi nous devons, en cetto cir-
constance, donner au mondo un grand exemple
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 313
de courage ot de résignation. Je le donnerai, c'est
tout co quo jo puis vous dire et assurément tout
ce quo vous pouvez oxiger de moi. Fils respec-
tueux et sujet soumis, je n'oublierai jamais que
vous êtes mon Empereur et mon père. »
Plus calmo et plus maître de lui que sa soeur
Hortense, qui n'avait pas hésité, après la scène
du 30 novombro, à reprocher à Napoléon son
ingratitude, le prince Eugène demeurait cepen-
dant profondément affecté par ces événements.
Tant qu'il n'était pas arrivé, tant qu'une ombre
d'espoir restait à Joséphine de se voir épargner
le calice qu'on lui présentait, elle espérait encore
pouvoir l'éviter. Au milieu des plaintes que
lui arrachait son chagrin on l'entendait parfois
s'écrier, paraît-il :
<cII m'est impossible de me laisser égorger
ainsi sans faire de tentative pour me soustraire à
ce sort cruel 1»
Quand le prince Eugène arriva do Milan à
Paris le 9 décembre, le bruit de ce qui venait de
se passer aux Tuileries s'était déjà répandu dans
le public. Dans une conversation avec l'Empe-
reur, Joséphine lui aurait déclaré qu'elle ne
regrettait pas le trône, car elle avait toujours
214 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
regretté d'y être montée, mais que son seul cha-
grin était do so séparer de l'Empereur. Celui-ci,
prenant la parole, aurait répondu : « Ne cherche
pas à m'émouvoir, jo t'aime toujours. La poli-
tique n'a pas de coeur, elle n'a que de la tèto. Je te
donnerai cinq millions par an, ot une souveraineté
dont Rome sera lo chef-lieu ' ! » Chose curieuse à
observer, toujours Rome revient à l'esprit do
Napoléon quand il s'agit pour lui do donner un
gage éclatant de tendresse à uno personne parti-
culièrement chèro à ses yeux. Plus tard c'est son
fils qu'il proclamera roi do Romo. Mais comme
demain, comme l'avenir qui n'appartient qu'au
Mattro do l'univers, ainsi quo l'a si bien dit
Victor Hugo dans sos beaux vers, Romo no doit
être à personne si co n'est au successeur de
Pierre. En tout cas, Joséphino no so souciait
d'aucune principauté, do celle-là moins encore
quo de touto autre ; ello no voulait à aucun prix
quitter la Franco.
Plusieurs souverains étaient venus à Paris
pour lo célébration do l'anniversaire do la céré-
monie du couronnement. On eût dit quo Napo-
léon voulait quo des têtes couronnées sanction-
i. BiographieMichaud.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 215
liassent, par leur présence, l'acto solennel du
divorce. Il y eut aux Tuileries, le 3 décembre,
avant l'arrivée du prince Eugène, un banquet do
gala. Girardin, dans ses Souvenirs, a peint de la
façon suivante, la contenance des doux époux.
« L'Empereur en grand costume, chapeau à la
Henri IV toujours sur la tête, l'air soucieux,
mangeant plus qu'à l'ordinaire. L'Impératrice,
richement parée, beaucoup d'éclat-, gruco aux
pinceaux d'Isabey, l'air triste. » Constant, dans
ses Mémoires, ajoute quo dans cetto soiréo le
visage do Joséphino paraissait plus souffrant
encore que lo matin. Lo lendemain, 4 décembre,
Joséphino fit une nouvelle apparition en public
et pour la dernière fois remplit son rôle d'Impé-
ratrice à uno fôto donnée en l'honneur de
LL. MM., par le comte Frochot, préfet do la
Seine à l'Hôtel do Ville. Madamo d'Abrantès qui
assistait à cetto fôto, a décrit dans sos Mémoires,
avec éloquonco, l'effet quo produisit sur les
assistants cetto suprême apparition do l'impéra-
trice Joséphine î
« Nous montâmes dans la salle du Trône,
raconte madame d'Abrantès, où nous étions à
poino assises, que lo tambour battit aux champs,
ot rimpératrico arriva. Jamais jo no l'oublierai,
210 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
dans ce costume qu'ollo portait si admirablement.
Jamais sa physionomie, toujours si douce ot co
jour-là enveloppée d'un crêpe do tristesse, ne mo
sortira do la ponséo avec cetto expression. Lors-
qu'elle s'approcha de co trôno sur lequel ello
allait s'asseoir, à la vue du public do la grande
ville, peut-être pour la dernière fois, alors ses.
jambes faibliront ot ses yeux so remplirent do
larmes. Jo les cherchais ces yeux... j'aurais voulu
tomber à ses pieds pour lui dire combien jo
souffrais. Elle mo comprit et me jeta lo plus
douloureux regard quo sos yeux aient donné
peut-être depuis quo cetto couronne, maintenant
dépouillée do ses roses, avait étô placée sur sa
tôto. Il disait bion des douleurs co regard, il
dévoilait bien des peines.... Elle devait so sontir
mourir; et pourtant ello souriait. 0 tortures d'uno
couronne! »
Lo princo Eugène, comme nous l'avons dit,
arriva à Paris lo 9 décembre. Sa soeur, la reine
Hortense, était partio à sa rencontre. Laissons
donc la parole à la fillo si aiméo do Joséphino :
« Jo le rencontrai à Nemours, dit-elle, et là je
lui appris quo lo divorce de l'Empereur vonait
d'ôtro décidé; sacrifice immenso quo ma mère
faisait au bonheur do la Franco ot do son époux.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 217
Ses onfants, animés du même sentiment, durent
l'imiter et, avec lo mémo désintéressement, ils
renonceront, mon frèro au trôno d'Italie, qui lui
était assuré si l'Empereur Savait pas d'enfants,
ot moi à celui do France, dont mos fils étaient
alors les seuls héritiers 1. »
Rizarro caprico do la destinée, ce no sera pas
ce fils, tant désiré, que Napoléon obtiendra
on 1811, qui sera lo successeur do son père;
mais, moins d'un demi-siècle plus tard, le petit-
fils de Joséphine ceindra le diadème impérial ! La
Providence so plut ainsi à rendre nuls les résultats
du divorce
A l'arrivée du prince Eugène auprès do sa
mèro, celle-ci lui fit connaître combien lo divorce
était prochain. Dès qu'il fut en présence do
Napoléon, lo fils do Joséphino lui dit : « Sire,
permottez quo je vous quitte....— Comment?
— Oui, Sire, lo fils de celle qui n'est plus impé-
ratrice no peut demeurer vico-roi; je suivrai ma
mèro dans sa retraite. — Tu veux mo quitter,
Eugène?... toit ah!... ne sais-tu pas combien sont
impérieuses les raisons qui me forcent à prendre
un tel parti?... Et si jo l'obtiens ce fils, objet de
1. Fragments extraits des mémoires inédits do madame laduchessede Saint Lcu {Mémoiresde tous).
218 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
mes plus chers désirs, ce fils qui m'est nécessaire,
qui me remplacera auprès de lui quand jo serai
absent? Qui lui servira do pèro si jo mours? Qui
l'ôlèvera? Qui fera un homme do lui? » Napoléon
avait les larmes aux yeux en prononçant ces
paroles'.
Trois jours avant, lo G décembre, Joséphino..
si l'on en croit la Biographie Michaud, avait écrit
à Napoléon une lettre qui so terminait ainsi :
<tAh mon ami ! quo vous avez tort do faire ce
quo vous faites! Pourquoi no songez-vous, pa3
aussi, dans cet avenir qui vous occupe tant, aiix
douceurs d'uno société intimo avec une personne
qui est do votre rang, do votro Age, qui sait res-
pecter vos goûts, vos habitudes, et qui appartient
par ello et par sos enfants à votro famille, qui a
su vivre en paix avec votre mèro ot vos soeurs,
d^nit qui vous pouvez parler du passé sans
n^î»ruri\s, qui vous ontond au moindre mot?
liv.u>v/-vous ces avantages avec uno femme
étrangère aux vôtres, qu'ollo a déjà peut-être
appris à juger avec dédain; qui no voudra voir
en vous que l'empereur Napoléon et point le
général Bonaparte» qui, ignorant los particula-
1. BiographieMichaud.
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 219
rites de votro vie, sera toujours uno étrangère
pour vous?— Tout, jusqu'à son accent, vous pri-
vera du cbarme de la vie intime. Vous garderez
vos souvenirs sans oser les lui confier, ot co ne
sera pas sans honte que vous prononcerez tel
mot dont le sens ne lui sera quo désagréable.... »
Cambacérès, resté lo fidèle confident do José-
phino, après sa disgrâce, avait été chargé de
porter cotto lettre à Napoléon. Çolui-ci, avec uno
expression do véritable chagrin se serait écriô :
« Joséphino m'écrit... Ah mon Diou pourquoi
faire? Ma résolution est prise; jo la rends malheu-
reuse, jo lo sais, mais qu'elle sache quo je mo
suis immolé avant ello. » Après lecture do la lettre
de sa première fommo; l'Empereur aurait ajouté :
« Dites à Joséphino quo jo lui répondrai; quo
jo la regarde comme la plur excellente dos
femmes; elle vaut mieux quo moi, jo vous
l'attcsto; c'est uno créature angôliquo. Lo cou-
rage quo jo mots à l'abandonner mo surprend,
mais il lo faut, vous on sentez la nécessité...
Tâchez do la lui faire comprendre. »
Uno heure après l'ancienne souveraine rece-
vait do Napoléon uno lettro où l'accent do la
sensibilité vraie n'empêchait pas lo ton do la
franchise de dominer; il y disait :
220 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
« .... Je no me remarie pas pour moi; je
cherche à maintenir ce que j'ai fondé. Ton
fils no peut me succéder au détriment do mes
noveux, et la France voudrait-elle do ceux-ci
pour ses maîtres?... Qu'arriverait-il à ma mort?
Des déchirements affreux, le partage do la suc-
cession d'Alexandre, la guerre civile... Je sais
que tu vaux mieux que tu ne lo sais toi-même;
je t'apprécie à ta valeur... Tu es sans reproche,
et jo serais sans excuse si je n'étais l'Empereur
en même temps que ton mari. Tâche de te
résigner, envisage notre divorco du côté hono-
•rable, associe-toi à cet acte do mon abnégation;
sois, on me quittant, la première mèrf do mon
peuple1... »
Cetto lettre, où Napoléon rond un si éclatant
hommage aux qualités de sa première femme,
devrait donner à réfléchir aux détracteurs do
cetto princesse. Ces mots : tu es sans reproche,
que l'Empereur adresse à Joséphine, nous sem-
blent de nature à détruiro bien des médisances
ot bien des calomnies portées contre la mémoire
de cotte dernière, à moins d'admettre que Napo-
léon so soit résigné à ôtro lo plus aveugle ou le
plus complaisant des maris I
1. BiographieMichaud.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 221
Cambacérès, lo confident si intime des deux
époux, continua presque seul, jusqu'à la fin, à
déconseiller lo divorce, Joséphine disait qu'elle
avait beaucoup d'estime pour lui parce qu'il ne
l'avait jamais flattée, et qu'il lui avait toujours
dit la vérité. La première femme de Napoléon
n'aimait pas les flatteurs; elle n'avait donc aucun
goût pour Talleyrand, toujours obséquieux devant
lo pouvoir. L'impératrice Joséphino était franche
ot aimait la franchise. Elle ne devint la dupo de
Fouché que parce qu'il savait masquer sa four-
borio sous les apparences d'une franchiso bru-
tale.
D'après la Biographie Michaud, qui renferme
do si curieuses particularités sur les rapports de
Napoléon avec Joséphine et ses enfants pendant
la période du divorce, M. do Narbonne en aurait
étô l'un des principaux partisans. Il y aurait
môme contribué, dans la mesure do ses moyens,
bion qu'il ait dû, à l'origino, la fuvour do Napo-
léon à la protection ot à la recommandation do
Joséphino. Peut-être fut-il lo personnage auquel
a fait allusion M. do Lavalette et quo l'Empereur
aurait chargé, devant lo refus de co dernier, do
la désagréable mission de préparer l'Impératrice
au terrible coup qui allait la frapper?... Quoi
222 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
qu'il on soit Cambacérès reçut mandat do l'Em-
pereur de s'occuper, auprès do l'autorité ecclé-
siastique compétente, do la dissolution du lion
religieux. On so souviendra sans doute de la
bénédiction nuptiale qui avait été donnée clan-
destinement à Napoléon et à Joséphine par lo
cardinal Fosch, la veille du couronnement. Les
principaux arguments employés en faveur do
l'annulation de cet acte étaient le consentement
non réel do l'Empereur et l'absence du curé de la
paroisse. Gràco à ces deux causes do nullité,
Cambacérès parvint à obtenir do l'officialité
diocésaine, après de laborieuses négociations, la
dissolution du mariage religieux. Quant au lien
civil, rien ne fut plus aisé à dissoudre, le divorce
étant admis par la législation do cetto époque. Lo
Pape n'eut donc pas à intervenir, co qui était
heureux pour Napoléon, brouillé alors, comme
on le sait, avec le Saint-Siègo*.
Cependant des négociations avaient été enta-
mées, par voie diplomatique, avec la cour do
Russie, pour savoir si l'empereur do Russie so
i. Il faut lire dans un volume de M. Henri WolsclilngcrIntitulé leDivorccdeNapol>fon(i%$Q),l'intéressant et circonstanciérécit do toutes les péripéties très curieuses i|ui ont précédé ladissolutiondu lien religieux prononcé par l'orflcialitédo Paris.La placo nous manque ici malheureusement pour les reproduire.
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 223
trouvait toujours dans des disposition* aussi
favorables qu'à Erfurt pour accordor à .Napoléon
la main do la grande-duchesse Anne, sa soeur.
Ces négociations, ayant traîné en longueur,
avaient lassé la patienco du souverain do la
Franco, qui so retourna du côté do l'Autriche
dont los bonnes tendances étaient manifestes. Lo
fameux ministro Mettomich venait d'arriver à
une situation prépondérante ot avait pris sur son
maître, François II, le plus irrésistible ascendant.
Mottornich, devenu premier ministro à la place
de M. do Stadion, et familiarisé depuis son séjour
à Paris, en qualité d'ambassadeur, avec tous les
personnages do la cour des Tuilerios, avait lo
secret désir de supplanter la diplomatie russo
dans la sympathie do Napoléon, et d'inaugurer
son ministèro par lo mariage do celui-ci avec une
archiduchesso d'Autriche L'ambassadeur do
cette puissance, Schwarzonborg, informé des
dispositions do sa cour, lo désirait non moins
vivement. Lo travail souterrain des agents do
l'Autriche ne devait pas demeurer stérile. « Dans
la famille impériale, a dit M. Thiers, la famille
Reauharnais tout entière inclinait pour l'Au-
triche, ot, sur uno question qui n'aurait jamais
dû provoquer de sa part aucun avis, elle so
224 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
hâtait d'en avoir un et de l'exprimer avec une
ôtrango vivacité. Son motif vrai c'était le désir
d'une paix durable en Italie et en Ravièro, co
qui pour le princo Eugèno ot son beau-pèro
était d'un fort grand intérêt. Rien quo le princo
Eugèno no fut pas destiné à régner en Italie, si
Napoléon avait un héritier direct, il était appelé
à gouverner ce royaume, on qualité do vice-roi,
pendant la vie de Napoléon, c'est-à-diro pendant
vingt ou trente ans (on supposait alors cette
durée à son règno et à sa vie), ot il souhaitait
que ce royaume no fût pas, comme dans la
dernière guerre, exposé à voir les Autrichiens à
Vérone. Joséphine, qui so dédommageait do sa
chute par son ardeur à servir les intérêts do ses
enfants, avait fait à co sujet los plus indiscrètes
ouvertures à madame do Metternich qui n'avait
pas quitté Paris'; » Joséphine, aussitôt après
que le divorce eut étô décidé, avait demandé à
Napoléon, pour son fils, la couronne d'Italie,
demande quo lo prince Eugèno avait prié sa
mèro de no pas renouveler auprès de l'Empe-
reur; le Vice-Roi no voulait pas paraître, en effet,
recevoir uno indemnité pour prix do l'infortuno
1. Thiers, Histoiredu Consulatet de l'Empire,t. XI, p. 305-360,
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 228
de l'impératrice Joséphine. Cotte dernière, une
fois son sacrifice accompli, n'avait, comme l'a
dit M. Aubenas, a plus pensé qu'à la situation
de ses enfants, et ce rang, ces honneurs, dont
ello faisait bon marché pour elle-même, lui
paraissaient une perte douloureuse quand elle
considérait los siens ».
Co fut peut-être dans lo but do servir les
intérêts du princo Eugène ot do sa famille que
Joséphine, après son divorce, crut devoir favo-
riser, autant qu'il dépendait d'elle, lo mariage de
l'Empereur avec une princossoautrichienne. Nous
avons trouvé la trace do son intervention, en
faveur d'uno alliance avec l'Autriche, dans un
passage du livre de M. Thiers que nous avons
reproduit plus haut. M. do Saint-Amand, dans
son ouvrage intitulé : Les dernières années de Vim-
pératrice Joséphine, a mis on lumiôro co curieux
épisode : la premièro femme do Napoléon active-
ment mêlée aux tentatives matrimoniales des-
tinées à fixer le choix de celui-ci sur une nou-
velle femme!
Mettomich, plein d'ardeur, à cetto époque, pour
so faire lo promoteur et lo champion zélé de
l'union do l'empereur Napoléon avec une archi-
15
226 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
duchesse, cherchait do tous côtés, à la cour ot
dans Paris, des auxiliaires influents capables de
seconder utilement ses vues. Avoir l'impératrice
Joséphine et ses enfants pour alliés, dans uno
conjoncture aussi délicate, constituait en effet,
pour ce ministro, uno surprenante bonne, fortune.
Motternich entretenait avec sa femme, demeurée,
comme on l'a vu, à Paris, une correspondance
fort active. D'après M. do Saint-Amand deux
obstacles préoccupèrent' tout d'abord lo ministre
autrichien. Le premier, lo plus insurmontable,
celui do la religion, semblait no plus exister de-
puis la cassation du mariage religieux do Napo-
léon. L'autre, relatif au consentement à obtenir
de l'archiduchesse Marie-Louise ne paraissait
guère sérieux aux yeux du cabinet do Vienne.
On conçoit effectivement qu'avec l'idéo qu'il se
faisait de son omnipotence à la Cour d'Autriche,
Motternich so flattât do surmonter aisément cette
petite difficulté. Il était d'ailleurs cortain do l'as-
sentiment empressé de son souverain à un projet
do mariago ardemment désiré par lo gouverne-
ment autrichien, mariago dont l'empereur Fran-
çois ainsi quo son principal ministro comptaient
bion retirer avantages ot profits.
Un troisièmo obstacle restait à vaincre, ot
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 227
colui-là était lo plus dangereux : c'était lo pen-
chant do Napoléon et do plusieurs do ses con-
seillers pour l'alliance russe. Là so trouvait on
effet l'influence rivale sur laquelle Motternich —
aidé par l'impératrice Joséphine (!)— s'efforçait à
tout prix de remporter la victoire.
CHAPITRE XVI
Cérémoniodu divorce. — Discoursdes deux époux au momentde leur séparation. — Paroles qui échappent à Joséphine. —Abattementde Napoléonen rentrant dons soncabinet.—Scènedéchirante entre lui et Joséphinodans la soirée.—L'Empereurva séjourner ù Trianon. —Joséphine quitte les Tuileriespourn'y plus rentrer. — Dernier et public hommage du Sénat àJoséphine. —Napoléonva visiter celle-ci à la Malmaison.—
Napoléonécrit à Joséphino des lettres fréquentes.— Craintesde cette princessede so voir obligéedo s'éloigner de France.— Napoléonla rassure.
Ce fut le 15 décembre 1809 qu'eut lieu aux
Tuileries, la cérémonie do la prononciation
publique du divorce, une des journées les plus
pénibles do l'existence de l'impératrice Joséphino.
L'archichancelier Cambacérès se transporta au
Palais, accompagné du comte Regnault do Saint-
Jean d'Angély, pour y remplir les fonctions
d'officier d'état civil de la famille impériale.
Etaient présents : l'Empereur, l'impératrice José-
phine, madame Mère, le roi et la reine de Hol-
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 239
lande, lo roi ot la roino do Wostphalie, le roi ot
la roino do Nnplos, lo Princo Vice-Roi ot la prin-
cesse Paulino Horghôso. Voici comment M. Aube-
nas, l'historien lo plus documenté do Joséphine,
raconte cotte ômouvanto cérémonie :
Napoléon, debout, la main dans la main de
l'Impératrice, ces doux mains qui allaient se
disjoindre, lut le discours suivant plein de dignité
et do tendresse, d'une voix dont l'émotion se
trahissait par les efforts pour mieux l'assurer.
« Mon cousin le princo archichancelier, je
vous ai expédié une lettre closo en date de ce
jour, pour vous ordonner de vous rendre dans
mon cabinet, afin de vous faire connaître la réso-
lution quo moi et l'Impératrice, ma chôre épouse,
nous avons prise. J'ai été bien aise quo les rois
reines, princesses, mes frères et soeurs, beau-frère
et belles-soeurs, ma belle-fille et mon beau-fils,
devenu mon fils d'adoption, ainsi que ma mère,
fussent présents à ce que j'avais a vous faire
connaître.
» La politique de ma monarchie, l'intérêt et le
besoin do mes peuples, qui ont constamment
guidé toutes mes actions, veulent qu'après moi
je laisse à des enfants héritiers de mon amour
pour mes peuples, ce trône où la Providence m'a
230 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE,
placé. Cependant, dopuis plusieurs années, j'ai
pordu l'espôranco d'avoir des onfants do mon
mariage avec ma bion-aiméo épouse, l'impératrice
Joséphine; c'est co qui mo porto a sacrifier les
plus doucos affections do mon coeur, a n'écouter
quo lo bien de l'Etat, ot h vouloir la dissolution
de notre mariage.
» Parvenu à l'Age do quarante ans, je puis
concevoir l'espérance do vivro assez pour élovor
dans mon esprit ot dans ma ponséo les enfants
qu'il plaira a la Providence do mo donner. Dieu
sait combien une parcillo résolution a coûté à
mon coeur; mais il n'est aucun sacrifice qui soit
au-dessus do mon courage lorsqu'il m'est dé-
montré qu'il est utile au bien de la Franco.
» J'ai le besoin d'ajouter quo, loin d'avoir
jamais eu à mo plaindre, je n'ai eu au contraire
qu'à mo louer de l'attachement et do la tendresse
do ma bien-aimée épouso. Ello a embelli quinzo
ans do ma vie; lo souvenir en restera toujours
gravé dans mon coeur, Ello a été couronnée de
ma main; je veux qu'elle conserve lo rang et lo
titro d'impératrice, mais surtout qu'olld no douto
jamais de mes sentiments, ot qu'elle me tienne
toujours pour son meilleur et son plus chor
ami. »
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 231
Lorsqu'on jetant sur sa compagne un rogard
attendri, il fut arrivé a l'endroit où (1 rappelait
poétiquement lo bonheur quo Josôphino lui avait
donné pendant ces quinze années écoulées (plus
tard il devait diro los plus heureuse? do sa vio),
des larmes vinrent aux yeux do Napoléon, et c'est
en proie à un troublo profond qu'il termina sa
lecture.
Ce fut au tour de Joséphine. Elle commença a
lire la déclaration qui lui avait été préparée :
« Avec la permission do notre auguste époux,
dit-elle, je dois déclarer, que no conservant aucun
espoir d'avoir des enfants qui puissent satisfaire
les besoins de sa politiquo et l'intérêt de la France,
je me plais à lui donner la plus grande preuve
d'attachement et de dévouement qui ait jamais été
donnée sur la terre... »
Ces paroles avaient été difficilement prononcées
par l'infortunée Joséphine, dont l'émotion croissait
à mesure qu'ollo avançait dans la lecture du dis-
cours qu'on lui avait préparé. Elle ne put en
achever la moitié, sans éclater en sanglots, et
Cambacérès nous a fait connattro qu'au milieu dé
ses pleurs on l'entendit dire : « Vous voyez une
femme bien malheureuse... Je perds tout le repos
de ma vie. Je mourrai bientôt. Ce divorce me tue...
232 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
Que Von fasse ce qu'on voudratje me soumettrai a
tout 1. »
Incapablo do continuer sa lecture la malheu-
reuse princesse tondit lo papier au comte Hogaault
de Saint-Jean-d'Angély, qui lut le reste du dis-
cours à sa place sans parvenir a dissimuler sa
propre émotion ;
« Jo tiens tout do ses bontés; c'est sa main qui
m'a couronnéo, et du haut de ce trône, jo n'ai
reçu quo dos témoignages d'affection et d'amour
du peuple français.
» Je crois reconnaître tous ces sentiments on
consentant à la dissolution d'un mariage qui
désormais est un obstacle au bien de la France,
qui la prive du bonheur d'être un jour gou-
vernée par les descendants d'un grand homme,
si évidemment suscité par la Providence pour
effacer les maux d'une terrible révolution, et réta-
blir l'autel, le trône et l'ordre social. Mais la dis^
solution de mon mariage ne changera rien aux
sentiments de mon coeur; l'Empereur aura tou-
jours en moi sa meilleure amie. Je sais combien
cot acte, commandé par la politique et par de si
grands intérêts, a froissé son coeur; mais l'un et
1, BiographieMichaud.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 233
l'autro nous sommes glorioux du sacrifico que
nous faisons au bien do la patrie 1. »
Lo princo Eugène ot la roino Hortense firent
preuve, dans ces circonstances, d'une noblesse de
sentiments et d'une dignité au-dessus de tout
éloge; leur dévouement fut admirable. Ils sou-
tinrent le courage do leur mère, et surent allier,
avec la tendresse qu'ils luiportaient,
ce qu'ils
devaient à leur père adoptif ',
La douloureuse cérémonie du divorce avait pris
fin et Joséphine, accabléo do tristesse, était redes-
conduo dans ses appartements, « L'Empereur, dit
son secrétaire intime, rentra dans son cabinet,
triste et silencieux; il se laissa tomber sur la
causeuse, où il s'asseyait habituellement, dans un
état d'abattement complet. Il y resta quelques
moments, la tête appuyée sur sa main, et, quand
il se leva, sa figure était bouleversée. Les ordres
pour son départ à Trianon avaient été donnés
d'avance. Quand on vint annoncer que les voi-
1, Tandis quo s'accomplissait cette mémorable cérémonie,uno horrible tempête éclata sur Paris. Des torrents de pluie,d'effroyables coups de vent portèrent l'épouvante dans' les
esprits; on eût dit quo le ciel voulait manifester sa réprobationde l'acte qui détruisait le bonheur de Joséphine. — A Milan,résidence habituelle de son fils le Vice-Roi, le même phéno-mène se produisit au même jour et à la mémo heure.
2. Méneval, Mémoires,t. 11.
234 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE,
turos étaiont prêtes, Napoléon prit son chapeau et
me dit : Mônoval, venez avec moi. Jo lo suivis
par lo petit escalior tournant qui, de son cabinet,
communiquait avec l'appartemont do l'Impéra-trice. Cetto princosso était seule et paraissait livrée
aux plus douloureuses réflexions. Au bruit que
nous fîmes en entrant, elle se leva vivement et se
jota en sanglotant au cou do l'Empereur, qui la
serra sur sa poitrine en l'embrassant a plusieurs
reprises; mais, dans l'excès de son émotion, elle
s'était évanouie Jo m'omprossai do sonner pour
appeler du secours. L'Empereur, voulant éviter
le renouvellement du spectaclo d'une douleur
qu'il n'était pas on son pouvoir do calmer, déposa
l'Impératrice dans mes bras, dès qu'il vit qu'elle
commençait a reprendre ses esprits, me recom-
manda de ne pas la quitter, et se retira rapide-
ment par les salons du rez-de-chaussée, à la porte
desquels sa voituro l'attendait. Joséphine s'aperçut
aussitôt de la disparition do l'Empereur. Les
femmes qui étaient entrées la déposèrent sur un
canapé où elles lui donnèrent les premiers soins.
Dans son trouble ello m'avait pris les mains en
me recommandant vivement de dire a l'Empereur
do ne pas l'oublier, et de l'assurer d'un attache-
mont qui survivrait a tout événement. Elle me
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 235
fit promottro do lui donner do ses nouvelles a mon
arrivéo a Trianon, ot do veiller a ce qu'il lui
écrivît. Elle avait do la peine à mo laisser partir,
comme si mon ôloignement allait rompro le
dernier lion par lequel ello tenait encore à Napo-léon. Jo la quittai, ému d'une douleur si vraio ot
d'un attachement si sincère; j'en fus profondé-
mont attristé pendant toute ma route, et jo ne
pouvais m'ompècher do déplorer les exigences
rigoureuses d'une politique, qui brisait violem-
ment les liens de cette affection éprouvée, pour
imposer une autre unioa n'offrant que des chances
incertaines.
» Arrivé a Trianon, jo nendis compte à l'Empe-
reur de co qui s'était passe après son départ ot jo
m'acquittai des commission < dont j'étais chargé.
Encore sous l'impression des scènes delajournée,
Napoléon s'étendit sur les qualités do Joséphine,
et sur la sincérité dos sentimei -a qu'elle lui por-
tait. Il la regardait comme une mie dévouée et a
toujours conservé d'elle un soutenir très affec-
tueux; une lettro alla — dès le :oir mémo —
consoler sa solitude. Apprenant car ceux qui
allaient la voir a la Malmaison quY*^ était triste
et qu'elle pleurait souvent, il lui éci 'it de nou-
veau pour se plaindre tendrement de s<m manque
230 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
de courage, et lui diro touto la peino qu'il on
ressentait 1. »
L'impératrice Joséphine accompagnée do sa
fille, no tarda guôro a se mettre en routo pour la
Malmaison, co séjour rempli do souvenirs atta-
chants pour elle, ot sortit des Tuileries, ce palais
fatal a tant do tètes couronnées, où ello no devait
plus jamais retourner.
Lo Sénat rendit un dernier et public hommage
A Joséphine en votant lo projet d'adresse qu'on
va lire ;
« V. M. I. et R. vient de faire a la France lo
plus grand des sacrifices : l'histoiro en conser-
vera un éternel souvenir.
» L'auguste épouse du plus grand des monar-
ques, ne pouvait pas s'associer à sa gloiro
immortelle par un dévouement plus héroïque.
» Depuis longtemps, Madame, le peuple fran-
çais révère vos vertus; il chérit cette bonté tou-
chante qui inspire toutes vos paroles, comme
elle dirige toutes vos actions, il admirera votro
dévouement sublime ; il décernera à jamais a
V. M. I. ot R, un hommage de reconnaissance,,
do respect et d'amour. ».
1. Méneval, Mémoires,t. II, p. 203-294.
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 237
Joséphine,— comme l'a dit M. Aubenas —
sut descendre du trôno, mais ello n'en tomba pas.
Napoléon lui donna en toute propriété la Mal-
maison ot le château do Navarro, près d'Evreux,
plus un revenu annuel do trois millions. Do plus
lo palais do l'Elysée fut affecté a sa résidence
quand il lui conviendrait do venir habiter Paris.
D'après lo mémo auteur, l'Empereur vint faire
une visite a l'Impératrice lo lendemain de leur
séparation et se promena longtemps seul avec
ello dans les jardins do la Malmaison. L'un et
l'autre regardaient avec émotion tous ces lieux
qui leur rappelaient leur vie passée, dont ils
étaient aujourd'hui séparés par un abime. En
arrivant et en quittant Joséphine, Napoléon lui
serra amicalement la main, toutefois sans l'em-
brasser, ce qui fut un coup douloureux pour
elle : il avait cessé d'être son époux et n'était
plus que son ami. Mais il lui témoigna tant
d'amitié qu'il la laissa plus calme qu'il ne l'avait
trouvée. A peine rentré a Trianon, il sentit le
besoin de lui écrire pour relever son courage, La
lettre est datée de huit heures du soir; elle est
tendre et rappelle les meilleurs temps de leur
union : <t Mon amie, jo t'ai trouvée aujourd'hui
plus faible quo tu ne devais être. Tu as montré
238 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
du courage, il faut quo tu en trouves pour te
soutenir; il no faut pas to laisser aller a une
funeste mélancolie; il faut to trouver contente, et
surtout soigner ta santé qui m'est si précieuse.
Si tu m'es attachée ot si tu m'aimes, tu dois te
comporter avec forcî> et te placer houreuso. Tu
no peux pas mettra en doute ma constante et
tendre amitié, et tu connaîtrais bien mal tous
les sentimonts que je to porte, si tu supposais
que jo puis être heureux si tu n'es pas heureuse,
et content si tu no te tranquillises. Adieu mon
amie; dors bien; songe quo jo le veux.
» NAPOLÉON.»
M. Aubonas dit encore que chaque jour pen-
dant le mois qui suivit la déclaration du divorce,
une visite do Napoléon ou une lettre de lui vint
consoler l'impératrico Joséphine. 11 ajoute qu'il
fallut à celle-ci plus longtemps pour reprondre
ses esprits si profondément ébranlés par cette
rude secousse. En voyant cette continuation do la
tendresse impériale, tous ceux des courtisans qui
no se règlent que sur les sentiments du maître
affluèrent, paraît-il, à la Malmaison. Il faut
rendre cependant justice à un grand nombre de
visiteurs qui venaient là, mus par des motifs plus
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE, 230
désintéressés ot plus honorablos. a On tenait a
donner a l'impératrice Joséphine uno marque
d'affection qui, chez la plupart était uno marquo
do gratitudo, ot, dans les premiers temps où la
présonco d'uno impératrice nouvollo n'imposait
point encore do gôno, tout co qu'il y avait do
considérable dans l'Etat se fit un devoir d'ap-
porter ses hommages a la Malmaison. Joséphine
était sensiblo à ces démonstrations; mais ello
n'attendait do consolation quo des preuves du
souvenir do l'Empereur'. »
NapJiJon, loin do négliger Joséphine, venait
souve',c la visiter, s'occupait avec sollicitude,
comme en font foi les lettres qu'il lui adressait',
de sa santé, dos moyens do la distraire, enfin de
subvenir au bon entretien et au luxe de la
maison do cotte princesse. Il s'efforçait aussi de
lui donner de bons conseils et de la consoler de
son chagrin persistant. Il lui écrivait un soir :
« Je reçois ta lettre mon amie, Savary me dit
que tu pleures toujours; cela n'est pas bien.
J'espèro que tu auras pu te promener aujour-
d'hui. Jo t'ai envoyé do ma chasse. Jo viendrai
to voir lorsque tu me diras que tu es raison-
1. Aubcnas, Histoirede VimpératriceJoséphine,t. II p, 483-484,2. Vingt-troislettres deNapoléona Joséphine (collectionDidot).
210 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
nablo et quo ton courage prend lo dessus. Adiou
mon amie, jo suis tristo aussi aujourd'hui; j'ai
besoin de te savoir satisfaite et d'approndre quo
tu prends de l'aplomb. Dors bien. »
Un autro jour do décembre, Napoléon envoie
à Joséphine co court billet :
Trianon, mardi.
a Je mo suis couché hier après que tu as été
partie, mon amie. Je vais à Paris. Je désire to
savoir gaie. Jo viendrai te voir dans la semaine.
J'ai reçu tes lettres que je vais lire en voi-
ture. »
Le lundi 25 décembre, avant de quitter Trianon,
l'Empereur voulut réunir à sa table, pour diner,
l'Impératrice et sa fillo Hortense. Co repas fut
triste et silencieux, ot l'émotion do Joséphino
gagna Napoléon lui-même.
a Les affaires ramenèrent l'Empereur a Paris ;
a dit, dans ses Mémoires, son secrétaire intime,
il s'étonna do la solitude du palais que n'animait
plus la présence do l'impératrice Joséphine. La
vie domestique a laquelle il était accoutumé lui
manqua souvent, et co vido ne fut pas toujours
rempli par les soins du gouvernement- quo multi-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 241
pliaient son activité croissante ot une prévoyancea laquelle rien n'échappait '. »
Le lendemain du triste dîner de Trianon, le
26 décembre, Napoléon écrivait en effet a la
pauvre Joséphine ;
« J'ai été fort ennuyé de revoir les Tuileries;
ce grand palais m'a paru vide, et je m'y suis
trouvé isolé. » Quatre jours après : « Je suis
triste de ne pas te voir ; à demain », lui mande-
t-il. Et, un pou plus tard, Joséphine, lui témoi-
gnant le regret de lui voir espacer ses visites,
l'Empereur lui répond :
« Jo désiro fort aller à la Malmaison, mais il
faut que tu sois forte et tranquille, le page de ce
matin dit qu'il t'a vue pleurer. Je vais dîner tout
seul. Adieu, mon amie; ne doute jamais de mes
sentiments pour toi; tu serais injuste et mau-
vaise. »
Mais tout l'heureux passé, que rappelait à
l'impératrice Joséphine le séjour do la Malmaison,
ne faisait que raviver dans son âme de doulou-
reuses pensées et de cruelles comparaisons. Elle
ne parvenait guère en conséquence a prendre
son parti de l'irréparable sacrifice, qu'elle avait.
1. Méneval,Mémoires,t. II, p. 205.
16
242 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
consommé tout d'abord avec tant do dignité et
do résignation.
Aussi l'Empereur lui écrivait-il le 17 jan-
vier 1810 : « Mon amio, d'Audenarde que je t'ai
envoyé ce matin me dit quo tu n'as plus de
courage depuis que tu es a Malmaison. Ce lieu
est cependant tout plein do nos sentiments qui ne
peuvent et no doivent jamais changer, du moins
do mon côté. J'ai bien envie de te voir, mais il
faut que jo sois sûr quo tu es forte et non faible.
Je lo suis aussi un peu et cela me fait un mal
affreux. Adieu Joséphino; bonne nuit. Si tu
doutais do moi tu serais bien ingrato. »
Joséphino, alarmée peut-être des bruits col-
portés dans son entourage qui lui faisaient
craindre qu'on pût songer a l'éloigner do France,
avait écrit a l'Empereur pour être autorisée par
lui à venir résider à Paris. Napoléon répond
aussitôt le 30 janvier pour mottre terme ît des
appréhensions injustifiées : « Je to saurai avec
plaisir a l'Elysée, ot fort heureux do to voir plus
souvent, car tu sais combien jo t'aime. » Et lo
lendemain, dans une nouvelle lettre, il déve-
loppe plus explicitement sa ponsée :
« J'apprends que tu t'affliges, lui dit-il, cela
n'est pas bien. Tu es sans confiance en moi, et
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 243
tous les bruits que l'on répand te frappent; co
n'est pas me connaître, Joséphine. Je t'en veux,
et si je n'apprends que tu es gaie et contente, j'irai
te gronder bien fort. »
Une autre lettre de Napoléon à Joséphine, peu
do jours après celle que nous venons de trans-
crire, vint encore rassurer l'épouse délaissée :
« J'ai dit à Eugène, écrivait-il, que tu aimais
plutôt à écouter les bavards d'une grande ville
que ce que je te disais; qu'il no faut pas per-
mettre que l'on te fasse des contes en l'air pour
t'affliger. J'ai fait transporter tes effets & l'Elysée.
Tu viendras incessamment à Paris; mais sois
tranquille et contente, et aie confiance entièro en
moi. »
Au moment prochain où la nouvelle impéra-
trice arrivera en France, Joséphine comprendra,
avec son tact ordinaire, la convenance de s'éloi-
gnor; mais elle ne veut a aucun prix laisser croire
que son éloignement n'est pas volontaire. Enfin,
après quelques semaines passées à Paris, José-
phino se décidera d'elle-même à partir, en avril,
pour son château de Navarre.
CHAPITRE XVII
i8W. Joséphino part pour lo château de Navarre.— Bruits qu'oncolporte auprès d'elle sur Napoléon et sa nouvelle épouseMarie-Louise.— Portrait do celte dernière. — Lettre cérémo-nieuse de Joséphine 6 l'Empereur. — Réponsede celui-ci. —Nouvelle lettre remplie d'effusion que lui adresse Joséphino.— Napoléon veut qu'on continue û rendro a sa premièrefemme les mêmes hommages. — Lettres do Joséphino a lareine Horlense. —Elle va faire un voyagea Genèveet prendreles eaux d'AIx en Savoie. — Détails sur son séjour. — Tou-jours sa crainte d'être éloignée par ordre de France et sa peurd'étro oubliée do l'Empereur.
Le château do Navarre longtemps inhabité,
était dans un état de délabrement assez inconfor-
table pour une personne, telle quo Joséphine,
accoutumée a tous les raffinements des installa-
tions luxueuses et bien aménagées qu'elle avait
occupées depuis tant d'années. Elle eut alors la
pensée d'aller faire, à Plombières ou a Aix on
Savoie, une saison d'eaux assez prolongée. Mais
auparavant, tourmentée d'inquiétudes renais-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 24S
santés, toujours poursuivie de l'idée que, pour
complaire a l'impératrice Marie-Louise, l'Empe-
reur se verrait peut-être invité à provoquer l'éloi-
gnementde sa première femme, calle-ci devenait
la proie de mille suppositions affligeantes. Toutes
sortes de commentaires indiscrets d'autre part
revenaient aux oreilles de la malheureuse José-
phine, jusque dans son triste château de Navarre,
pour y colporter des récits plus ou moins fan-
taisistes relatifs aux douceurs de la lune de miel
impériale. Ello les recueillait toutefois aveo une
avide et pénible curiosité, mais sans vouloir se
résigner a perdre, en dépit de ses souffrances
jalouses, la place qu'elle entendait conserver
dans le coeur et dans le souvenir de Napoléon.
Nous ignorons si la lettre suivante, adressée
par Méneval, (le secrétaire de l'Empereur) & sa
femme, le 28 mars 1810, avait été communiquée
à l'impératrice Joséphine. Cette lettre, comme le
lecteur le verra, rendait compte de l'arrivée de
Marie-Louise à Gompiègne en ces termes :
a Elle (Marie-Louise) a été reçue dans le palais
par une trentaine de jeunes personnes de la ville,
dont l'une lui a fait un compliment en lui pré-
sentant des fleurs. Le temps était affreux et il
était si tard qu'il n'y a pas eu d'entrée. Cette
246 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
petite fête a été bien peu de chose. L'Impéra-
trice s'est retirée immédiatement chez ello, a soupe
avec l'Empereur ot la reine de Naples et s'est cou-
chée sans voir personne. Elle était un peu fati-
guée, ayant fait quarante-cinq lieues hier. Je l'ai
trouvée pour mon compte une fort belle femme.
Elle a les traits un peu gros, mais, quoique sa
figuro ne soit pas bien régulière, l'ensemble en
est trèf agréable. Il y a un mélange do candeur
et do noblesse répandu dans toute sa personne.
Ello est grande et d'une taillo superbe, a une
belle peau et beaucoup de fraîcheur. C'est on
tout une fort belle personne, et, quand ello aura
passé quelques mois, ello sera la plus belle
femme de la cour pour la tournuro ot lo maintien.
Elle n'a pas été trop embarrassée on entrant et
en recevant tous ces compliments. Elle était
seulement un peu émue, mais n'avait rien de
gaucho. Elle parait avoir beaucoup do tact et
d'esprit. Ses lettres à l'Empereur sont char-
mantes; ello lui écrivait tous les jours et d'assez
longues lettres fort bion tournées. Jo crois que
c'est la femme qui convient a l'Empereur. Il parais-
sait bion heureux de lui donner la main '. »
1, Lettre adressée par son mari a ia baronne de Mèneval,(Inédite).
L'IMPÉRATRICE JOSEPHINE. 247
Si l'impôratrico Joséphine a eu connaissance
de la lettre que nous venons de transcrire, les
dernières lignes surtout n'auront pu manquer de
lui procurer uno bien mélancolique impression...
Le prince Eugène avait demandé à l'Empereur,
au nom de sa mère, s'il ne voyait pas d'objection
à ce que colle-ci revint a la Malmaison, en atten-
dant l'achèvement des travaux d'ombollissement
ot do réparation ordonnés par Joséphine à
Navarre. Napoléon, n'y ayant mis aucun obsta-
cle, avait chargé son beau-fils d'en informer la
principalo intéressée. Joséphine, soulagée d'une
grande préoccupation, Compressa do faire par-
venir à l'Empereur la lettre qu'on va lire ;
Navarre, lo 10avril 1810.
« Sire,
» Je reçois, par mon fils, l'assurance que
V. M, consonta mon retour h la Malmaison, et
qu'Ello veut bion m'accordor les avances quo jo
lui ai demandées pour rendre habitable le château
de Navarre. Cotte double faveur, Siro, dissipo on
grando partie les inquiétudes et môme les craintes
que lo long silence de V. M. m'avait inspirées.
J'avais peur d'être entièrement bannie de son
248 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
souvenir; je vois que je ne le suis pas. Je suis
donc aujourd'hui moins malheureuse, et même
aussi heureuse qu'il m'est désormais possible de
l'être.
» J'irai à la fin du mois & Malmaison, puisque
V. M. n'y voit aucun obstacle. Mais je dois vous
le dire, Sire, je n'aurais pas si tôt profité de la
liberté que Y. M. me laisse à cet égard, si la
maison do Navarro n'exigeait pas pour ma santé,
et pour celle des personnes de ma maison, des
réparations qui sont urgentes. Mon projet est de
demeurer & Malmaison fort peu de temps; je
m'en éloignerai bientôt pour aller aux eaux.
Mais, pendant que je serai à Malmaison, V. M.
peut être sùro que j'y vivrai comme si j'étais à
mille lieues de Paris. J'ai fait un grand sacrifice,
Sire, et chaque jour je sens davantage toute son
étendue. Cependant ce sacrifico sera co qu'il doit
être; il sera entier de ma part. V. M. no sera
troublée dans son bonheur par aucune expres-
sion de mes regrets.
» Jo ferai sans cesse dos voeux pour que
V. M. soit heureuse, pout-ôtre môme en ferai-je
pour la revoir; mais quo V. M, en soit con-
vaincue, je respecterai toujours sa nouvelle situa-
tion, jo la respecterai en silence; confiante dans
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 249
les sentiments qu'EUe me portait autrefois, je
n'en provoquerai aucune preuve nouvelle; j'at-
tendrai tout de sa justice et de son coeur.
» Je me borne & lui demander une grâce, c'est
qu'EUe daigne chercher elle-même un moyen do
convaincre quelquefois et moi-même et ceux qui
m'entourent, que j'ai toujours une petite place
dans son souvenir, et une grande place dans son
estime et dans son amitié. Co moyen, quel qu'il
soit, adoucira mes peines, sans pouvoir, ce me
semble, compromettre,— ce qui importe, avant
tout, — lo bonheur de V. M.
» JOSÉPHINE. »
Réponse de VEmpereur.
Gomplègne,le 21 avril 1810.
« Mon amie, je reçois ta lettre du 10 avril ; elle
est d'un mauvais style. Jo suis toujours le même;
mes pareils no changent jamais. Je ne sais ce
qu'Eugène a pu te dire. Je no t'ai pas écrit parce
que tu ne Tas pas fait, et que j'ai désiré tout co
qui peut t'être agréable.
» Je Vois avec plaisir que tu ailles a Malmaison
et que tu sois contente; moi je lo serai do recevoir
2o0 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
do tes nouvelles et de te donner des miennes. Je
n'en dis pas davantage jusqu'à ce que tu aies
comparé cette lettre à la tienne, et, après cola, je
te laisse juge qui est meilleur et plus ami do toi
ou de moi. Adieu mon amie; porte toi bien et
sois juste pour toi et pour moi.
» NAPOLÉON. »
Joséphine, dont la mélancolie était profonde,
éprouva au reçu de la lettre précédente, comme il
est aisé de s'en convaincre, un indicible soulage-
ment; car elle s'empressa d'en accuser réception
& son auteur en ces termes :
« Mille, mille tendres remerciements de no
m'avoir pas oubliée. Mon fils vient de m'apporter
ta lettre. Avec quelle ardeur jo l'ai luol ot cepen-
dant j'y ai mis bien du temps, car il n'y a pas un
mot qui no m'ait fait pleurer; mais ces larmes
étaient bien douces! J'ai rotrouvé mon coeur tout
entier et tel qu'il sera toujours; il y a des senti-
ments qui sont la vie même et qui no peuvent
finir qu'avec elle.
» Jo serais au désespoir que ma lettre du 10 t'eût
déplu. Je ne m'en rappelle pas entièrement les
expressions, mais je sais quel sentimont bien
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 251
pénible l'avait dictée, c'était le chagrin de n'avoir
pas do tes nouvelles. Je t'avais écrit a mon départ
de Malmaison, et, depuis, combien do fois j'aurais
voulu t'écrirel Mais jo sentais les raisons de ton
silence et je craignais d'être importune par une
lettre. La tienne a été un baume pour moi. Sois
heureux, sois le autant que tu le mérites; c'est
mon coeur tout entier qui te parle. Tu viens aussi
de mo donner ma part de bonheur, et une part
bien vivemont sentie ; rion no peut valoir pour
moi une marque de ton souvonir.
» Adieu mon ami; je te remercie aussi tendre-
ment que je t'aimerai toujours.
» JOSÉPHINE. »
Dès les premiers jours de mai l'impératrice
Joséphino revint à la Malmaison pendant quo
l'Empereur et sa nouvolle épouse visitaient les
départements du nord de l'Empire. Ello tenait,
dans sa résidonco do prédilection, uno cour où
l'étiquette était obsorvéo comme aux Tuileries.
L'Empereur avait voulu qu'elle continuât à rece-
voir les personnes do la Cour, les grands digni-
taires, les ministres et les principales autorités;
c'était même lui plaire quo de fréquenter la Mal-
maison.
282 L'IMPÉRATRICE J08ÉPHINE.
Pendant son voyage dans les provinces du Nord
Napoléon écrivait a Joséphine : « Je désire bien
te voir. Si tu es &Malmaison a la fin du mois, je
viendrai to voir... Ne doute jamais de mes senti-
ments pour toi; ils dureront autant que moi; tu
serais fort injuste si tu en doutais. »
L'Empereur lui tint parole, dit M. Aubenas,
mais en s'entourant d'un mystère inusité, pour
ménager sa nouvelle épouse. Joséphine raconte
elle-même cette visite a la reine Hortenso, qui
avait suivi son mari en Hollande :
« J'ai ou hier (13 juin) un jour de bonheur;
l'Empereur est venu me voir. Sa présence m'a
rendue heureuse, quoiqu'elle ait renouvelé mes
peines. Ces émotions sont de celles que l'on vou-
drait éprouver souvent. Tout le temps qu'il est
resté aveo moi, j'ai eu assez de courage pour
retenir des larmes quo jo sentais prêtes à couler;
mais après qu'il a été parti, je n'ai pu les retenir
et jo mo suis trouvé bien malheureuse. Il a été
pour moi bon et nimablo comme à son ordinaire,
et j'espère qu'il aura lu dans mon coeur toute la
tendresse et tout lo dévouement dont je suis péné-
trée pour lui ', »
i. Aubenas, t. H, p. 513.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 253
Pour distraire Joséphino de sa mélancolie,
Napoléon l'engagea à se rendre aux eaux, et elle
partit à la fin de juillet pour Aixen Savoie. Après
la saison des eaux, ello désira visiter la Suisse
qu'elle ne connaissait pas; mais, arrivée à Genève,
des avis officieux venus de Paris lui firent craindre
que l'Empereur no voulût l'éloigner do la France.
Elle.chargea sa fille, la reine Hortense, de s'en
expliquer confidentiellement /avec lui. L'Empe-
reur, qui n'avait point du tout cette pensée et qui
ne voulait quo procurer à Joséphine dos distrac-
tions, s'empressa do lui écrire pour la rassurer.
Il l'encouragea à aller voir lo Vice-Hoi à Milan,
mais il lui laissa le choix entre ce voyage ou son
retour à Navarre, voulant qu'elle restAt maltresse
de ce qui lui conviendrait lo mieux. Joséphine,
sous l'impression do la crainte qui lui avait été
inspirée, renonça & son voyago de Suisse et se
hâta de revenir à Navarre, où ello passa lo reste
de l'année 1810 et la plus grande partie do
l'annéo 1811. Co ne fut qu'en 1812 qu'elle se
rendit a Milan pour assister aux couches de sa
belle-fille 1.
Dans uno do ses lettres à sa fille Hortense»
1. Méneval, t. II, p. 302,Mémoires(Dentu, éditeur, 1S04).
254 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Joséphine disait & celle-ci : « Si l'Empereur te
demandait de mes nouvelles, dis lui quo ma seule
occupation est de penser à lui. » Ces sentiments
d'attachement vrai persévéreront, jusqu'à la fin
de ses jours, chez la première femme de Napoléon,
bien différente en cela de la seconde !
Après avoir pris les eaux d'Aix en Savoie,
Joséphine eut le désir de visiter Genèvo où elle
séjourna pendant quelque temps. Ello voyageait
sous lo nom de comtesse d'Arberg qui était celui
do sa dame d'honneur. Son fils le prince Eugène
et sa belle-fille, venus de Milan pour passer quel-
ques jours avec l'Impératrice, l'accompagnaient.
Joséphine habitait l'hôtel d'Angleterre aux
Sécherons, village situé près de Genève sur les
bords du lac. L'Impératrice voyageait avec la
simplicité d'une particulière. Les personnes qui
eurent à cette époque l'occasion de l'approcher,
au cours de ce petit voyage, lui trouvèrent bien
meilleur visage qu'à la Malmaison. « Elle avait
pris do l'embonpoint, assure dans ses Mémoires
mademoiselle Ducrest, sans que sa taille perdit de
son extrême perfection ; son teint était moins brun
et plus reposé, et le charme inexprimable de
ses manières, le son touchant de sa voix fai-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 255
saiont toujours d'elle la femme la plus sédui-
sante1.»
L'Impératrice détrônée recevait de toutes parts,
et sans distinction de partis, l'accueil le plus sym-
pathique. On lui témoignait les égards les plus
respectueux, et Joséphine demeurait profondé-
ment touchée de la façon dont elle était reçue
partout où elle passait. « Cela me rend d'autant
plus heureuse, disait-elle, que les Français aiment
surtout la jeunesse et la beauté, et que depuis
longtemps je n'ai plus, hélas ! ni l'une ni l'autre... »
Il y eut à Genève, le 12 août, pendant le séjour
de l'impératrice Joséphine, une fête sur le lao,
dont de nombreuses embarcations, pavoisées de
la manière la plus riche et la plus élégante, sil-
lonnèrent les eaux bleues. Des orchestres de musi-
ciens, disséminés sur des petits navires, répan-
daient des flots d'harmonie dans les airs; enfin,
quand la nuit fut venue, un magnifique feu d'arti-
fico termina les réjouissances de cette belle jour-
née. Mademoiselle Ducrest raconte également
qu'on avait orné uno barque destinée à l'Impéra-
trice. Les autres embarcations se pressaient autour
de la sienne ; mais, quand on voulut les faire éloi-
1. Q. Ducrest, Mémoiressur l'impératrice Joséphine(éditionBarba).
256 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
gner, S. M. ordonna au contraire qu'on les lais-
sât approcher. « Je suis bien aise, âurait-ollo dit
que l'on voie à quel point je suis enthousiaste de
tout ce qui m'entoure, et combien je suis heureuse :
de la manière dont je suis reçue. Il est si conso- !
lant d'être aimée. »
On se répétait ses paroles, et les oris de'Vive !
l'Impératrice! vive le Vice-RoiI retentissaient j
autour du bateau qui portait Joséphine.
La société genevoise avait subi le charme de
son affabilité. Ceux qui avaient eu la faculté de
l'aborder et de s'entretenir avec elle ne tarissaient
pas d'éloges sur sa suprême distinction, ot l'éten-
due des connaissances qu'elle avait acquises depuis
qu'elle était devenue la femme de Napoléon. Elle
disait elle-même, paraît-il, que pour devenir digne
d'être la compagne d'un héros, elle s'était attachée
à s'instruire et surtout à perfectionner ses connais-
sances artistiques. Dans tous les cas le charme de
sa conversation surprit d'agréable façon, pendant
son séjour à Genève, plus d'un personnage
renommé comme bon jugo en pareille matière.
Les pauvres n'y furent, pas plus qu'ailleurs,
oubliés par Joséphine. Au milieu du tumulte des
fêtes aussi bien qu'au soin do sa retraite au château
de Navarre, la part des malheureux était toujours
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 257
assurée par l'inépuisable charité qui distinguait
partout la « bonne Impératrice* ».
Cependant Joséphine, ne recevant pas assez
promptement, & Genève, la réponse de la reino
Ilortense, chargée par elle de sonder les disposi-
tions de Napoléon à propos de ses projets de retour
chez elle, avait fini par s'inquiéter assez vivement
de ce silence. Son imagination s'exaltant lui ins-
pirait, & cet égard, les appréhensions les plus
fâcheuses, et le 12 octobre elle écrivait & sa fille :
« Un courrier de M. le duc de Cadore, qui
retourne en Franco, vient mo demander mes com-
missions. Jo profite de cette occasion, ma chère
Ilortense, pour te témoigner toute ma douleur.
Pas un mot de toi depuis vingt jours que tu es
séparée de moi. Que veut dire ton silence?
J'avoue que je me perds dans mes conjectures,
1. Lors du passage au mois d'octobre de l'impératrice José-
phino a, Lausanne, M. de Oudè dans son intéressant ouvrage :les Bonaparteen Suisse, raconte que madame de StaCl fit unedémarche pour être admise près de Joséphine. Mais colle-cl
malgré son désir do voir cette femme, aussi spirituelle quecélèbre, n'osa pas la recevoir dans la crainte de déplaire &
l'Empereur. « Je connais trop madame do Staël dit-elle n sa lec-trice mademoiselleAvrlllon pour risquer une pareille entrevue.Dans le premierouvrage qu'elle publiera, elle ne manquerait pasdo rapporter notro entretien et ello me ferait dire des choses
auxquellesJe n'ai jamais songé. •
Joséphine fit a la mémo époque l'acquisition du château de
Prégny près du lac de Genève.17
258 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
et que je ne sais plus que penser. Toi seule, ma
chère fille, dois me tirer de l'incertitude affreuse
dans laquelle je vis. Si d'ici à trois jours je ne
reçois pas de lettres qui m'annoncent ce quo je
dois faire... je mo rendrai à la Malmaison, au
moins là jo serai en France; et, si tout le monde
m'abandonne, j'y vivrai seule, avec la conscience
d'avoir sacrifié mon bonheur pour faire celui des
autres. »
Heureusement, dit M. Aubenas, elle reçut, dès
le lendemain, uno lettre de la reine, lui faisant
connaître que l'Empereur la laissait entièremenf
libre de faire ce qui lui conviendrait le mieux, do
rester en Suisse, d'aller en Italie ou de revenir à
Navarre, sans même faire d'exception pour la
Malmaison 1. L'affection ancienne l'avait emporté
sur toutes les considérations, et en voyant la peine
que l'idée seule d'un éloignemont causait à José-
phino, Napoléon ne so sentit pas lo courage do
donner à sa nouvelle épouse cette satisfaction au
fond très désirée. En écrivant à sa mère, la reine
Ilortense lui avait transmis, sur la continuation
1. « Ce fut un beau jour pour nous et surtout pour l'Impô»ratrice, dit 'mademoiselleAvrilton, quo le jour ou nous vîmesentrer, dans la cour do Séchcron, le courrier porteur de lapermission d'aller passer.l'hiver &Navarre.Touto la maison futen liesse et les préparatifs de départ furent bientôt terminés. »
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 259,
des sentiments de l'Empereur, toutes les assu-
rances qui lui étaient si nécessaires : « Tout ce
que tu me.dis, lui répond-elle, de l'intérêt que
me porto toujours l'Empereur, me fait plaisir. J'ai
fait pour lui le plus grand des sacrifices, les affec-
tions do mon coeur; je suis sûre qu'il ne
m'oubliera pas, s'il se dit quelquefois qu'une
autre n'aurait jamais eu le courage de se sacrifier
à ce point... Je t'avoue que s'il fallait m'éloigner.
de France plus d'un mois je mourrais de cha-
grin. »
Bientôt après l'impératrice Joséphine reçut de
Napoléon lui-même la confirmation de ce que lui
avait mandé la reine, toutefois il lui conseillait
pour plus tard, et à titre de distraction, un voyage
en Italie, auprès de son fils ot de sa belle-fille.
Mais il lui laissait une parfaito liberté :
« Je te conseillerais d'aller à Navarre tout de
suite, lui écrivait-il, si je ne craignais que tu ne
t'y ennuyasses. Mon opinion est que tu ne peux
être l'hiver convenablement qu'à Milan ou à
Navarre ; après cola j'approuve tout ce que tu
feras, car jo ne veux te gêner en rien. Adieu,
mon amie, sois contente ot ne te monte pas la
tète; no douto jamais de mes sentiments. » Dans
cette lettre, ajoute M. Aubenas, l'Empereur lui
260 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
confirme la grossesse de l'Impératrice, dont on
parlait jusqu'en Suisse, et sur laquelle, pour le
mettre à l'aise, Joséphine lui avait écrit la pre-
mière. À la réception de la lettré de l'Empereur,
Joséphine se décida à partir immédiatement pourNavarre. « Là, du moins, dit-elle à sa fille, je
serai en France. S'il n'avait été question que de
passer un ou deux mois en Italie, avec mon cher
Eugène, j'aurais fait volontiers ce voyage; mais
m'éloigner de France pendant six mois, cela
inquiéterait tout ce qui m'est attaché, et c'est
au-dessus de mes forces. Tu me trouveras bien
changée, ma chère fille, j'ai perdu tout lo bon
effet des eaux. Depuis un mois j'ai maigri consi-
dérablement, et je sens que j'ai besoin de repos,
et surtout quo l'Empereur ne m'oublie pas*. »
i. Aubenas,Histoirede l'impératriceJoséphine,t. II.
CHAPITRE XVIII
18H. Travaux exécutés par Joséphine &Navarre. — Existencequ'elle y mène. — M. l'abbé de Saint-Albin. — Monseigneurllourlior évèquo d'Èvrcux. — Luxo royal. — Jeux et lectureslo soir. — Promenades en voiture en grand apparat. — Lesconversations à Navarre rapportées a l'Empereur. —Le princeEugène a Navarre. — Personnel do la cour de Joséphine. —Le jour de l'an et l'Impératrice. — La reine Ilortense chezsa mère. — La naissance du roi do Rome est annoncée aJoséphine. — Lettres de l'Empereur à celle-ci. —•Libéralitéde l'impératrice pour lo porteur du message.
Au mois de novembre 1810 Joséphine était
de retour à Navarre. Elle y avait fait exécuter
d'immenses travaux et rendu à ce séjour son
ancienne splendeur. Les Mémoires de madame
Ducrest nous apprennent que Joséphine, se gar-
dant bien d'y apporter aucune innovation de
mauvais goût, y fit faire des plantations, dessécher
des marais et bâtir des communs. Elle put donner
de cette sorte, aux gens du pays, assez d'occupa-tion pour faire disparaître la misère, qui régnait
262 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
dans la contrée avant que l'Impératrice ne vint
s'y installer. Les routes de la belle forêt d'Évreux,
impraticables jusqu'à son arrivée à Navarre,
devinrent, par ses soins, entre ru très améliora-
tions, de larges et agréables avenues. Tout en un
mot changea de face dès que S. M. eut été
rendue propriétaire de l'ancien domaine des
princes de Bouillon.
A Navarre, Joséphine était entourée des hom-
mages des habitants d'Évreux qu'elle accueillait
avec sa bonne grâce habituelle. Plusieurs proprié-
taires des environs tenaient à honneur de venir
lui faire leur cour. Madame Ducrest cite, entre
autres, l'abbé de Saint-Albin fils naturel, disait-
on, de M. le duc d'Orléans. S. M. assure l'auteur
des Mémoires précités, aimait à causer, avec
l'abbé de Saint-Albin, de madame la duchesse
d'Orléans et de sa fille auxquelles elle portait le
plus vif intérêt. Joséphine s'informait dé l'exacti-
tude du paiement de la pension que le gouverne-
ment impérial accordait à ces infortunées prin-
cesses; enfin, lorsqu'il en était besoin, elle écri-
vait à qui de droit dans le but de hâter l'envoi des
arrérages de leur pension. C'est par de tels
moyens que Joséphine se fit généralement aimer
et ce sont beaucoup de traits pareils à celui-ci qui
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 263
la feront citer à l'avenir comme le modèle des
souveraines. Jamais l'esprit de parti ne l'empêcha
de soulager le malheur, et tous les Français
avaient droit, disait-elle, à ses bienfaits. L'Impé-
ratrice ne voulait reconnaître parmi ceux-ci
des adversaires, qu'après avoir épuisé tous les
moyens dont elle disposait pour leur être utile.
L'existence menée par l'impératrice Joséphine
à Navarre, où elle résida pendant les derniers mois
de 1810 et une grande partie de l'année 1811,
était celle d'une véritable souveraine. La com-
tesse d'Arberg, succédant à madame de la Roche-
foucauld, avait été placée par Napoléon, en qua-
lité do dame d'honneur, auprès de l'ancienne
impératrice. L'Empereur, en donnant à madame
d'Arberg ce poste de confiance honorable, savait
que ce choix offrirait de précieux avantages à
Joséphine. La nouvelle dame d'honneur était
effectivement une femme de tète et de coeur, aussi
dévouée à la personne de l'Impératrice qu'à la
surveillance des intérêts matériels de celte prin-
cesse. Madame d'Arberg établit en conséquence
un ordre parfait dans la maison de Sa Majesté
et prévint ainsi le gaspillage et le désordre dont
Joséphine était malheureusement la victime trop
264 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
insouciante. Pondant les séjours do l'Impératrice
à Navarre, le jour de sa fête était solennellement
célébré à Évreux, dont l'évôquo monseigneur
.Bourlier, était lo commensal assidu de l'illustre i
châtelaine. Lo bon évêque faisait souvent avec ;
Joséphine sa partie do tric-trac ; c'était un vieil- !
lard aimable, façonné aux bonnes manières, et dont ;lo commerce agréable était apprécié do tous les !
habitants do Navarre. Los pauvres de l'évèquebéné-
ficiaiont largement, somble-t-il, des visites fré-
quentes qu'il rendait à l'Impératrice, car il paraît
positif qu'il recevait annuellement, do ses mains,
cent mille francs pour ses oeuvres charitables.
Le dimanche, la messe était dite, à Navarre,
dans la chapello du château par monseigneurde Barrai, archevêque do Tours, et premier
aumô,nier de l'impératrice Joséphine. Malgré les
réformes opérées par la comtesse d'Arberg pour
empêcher— dans la mesure du possiblo
1 — les
abus de se produire dans la maison de la première
i. Pendant le séjour a Navarre, l'Empereur écrivait a madamed'Arbergpour lui recommanderl'ordre et la régularité : «Songez• que celte maison est nouvellement instituée. L'impératrice» Joséphine n'avait aucune detto, il y a sept mois. Donnezà» ses affaires, Madame, le coup d'oeil d'une amie en laquelle• elle et mot avons toute confiance. » (Duchcsso d'Abrantès,SalonsdeParis, V. 204).
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 265
femme de Napoléon, les visiteurs y admiraient
encore une véritable magnificence et un luxe
princier.
Madame Ducrest, qui fut à certains moments
l'hôte de Joséphine à Navarre, donne quelques
détails intéressants sur le train de maison de
celle-ci :
« L'Impératrice, dit-elle, avait derrière elle, à
table, deux valets de chambre, un coureur
basque, un chasseur ot un premier maître d'hôtel.
Lo service se faisait ordinairement en vaisselle
plate; seulement, au dessert, les assiettes étaient
en porcelaine sur lesquelles étaient représentés
des fruits ot des fleurs. Les jours do grande céré-
monie apparaissait un magnifique service de
Sèvres que l'Empereur avait donné depuis le
divorce; lo surtout en or avait été offert par la
ville de Paris le jour du sacre, ainsi qu'une toi-
lette et uno table à thé que S. M. avait con-
servées à la Mal maison. Elle nommait les deux
personnes qui devaient être près d'elle; le Vice-
Roi ot la roino do Hollande, quand ils y étaient,
faisaient de même, ainsi quo madame d'Arberg;
ensuite chacun se plaçait comme il l'entendait.
» Lo déjeuner durait environ trois quarts
d'heure; on rentrait ensuito dans la galerie sor-
266 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
vant de salon. L'Impératrice travaillait à un beau
meuble de tapisserie, les dames à différents
ouvrages, les hommes dessinaient, et un cham-
bellan de service lisait tout haut les romans, les
voyages et mémoires qui paraissaient. C'est là quq
j'entendis la lecture do l'Itinéraire do Chateau-j
briand; il intéressa si généralement qu'on le relut
une seconde fois quelque temps après. !
» Quand il faisait beau, on allait se promener
en voiture; à deux heures des calèches, attelées
de quatre chevaux à la Daumont, nous condui-
saient dans la belle forètd'Évroux ou aux environs.
S. M. nommait toujours madame d'Arberg, une
dame du Palais et une étrangère pour la suivre,
Le reste de la maison s'arrangeait dans les doux
autres voitures. L'écuyer de service en uniforme
se tenait à cheval à la portière de droito de l'Im-
pératrice, un officier de cuirassiers à l'autre, ot un
piquet de cette arme suivait la calèche.
» L'Impératrice, ennuyée de l'étiquette qui
forçait ces messieurs d'endosser leurs uniformes,
dès qu'elle sortait de l'enceinte du parc, crut
pouvoir la supprimer. Elle permit à l'écuyer et
au chambellan de service de la suivre en frac, et
ordonna quo l'escorte ne sortit que les jours de
cérémonie. L'Empereur fut, je ne sais comment,
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 267
instruit de cette décision; il écrivit de suite à
madame la comtesse d'Arberg une lettre assez
sèche, dans laquelle il disait qu'il fallait qu'on se
souvînt que l'Impératrice avait été sacrée, que tout
devait se passer loin des Tuileries comme si elle
y était encore, qu'il avait oublié les pages dans la
formation de sa maison et qu'il allait en nommer
douze (co qu'il fit peu de temps après), qu'il défen-
dait le frac et que de le souffrir était manquer essen-
tiellement à ce que l'on devaità S. M. Il fallut bien
reprendre le grand uniforme, l'épéo et le chapeau
à plumet, ce qui contraria fort ces Messieurs. »
Quand la duchesse de Montebello, parlant de
Napoléon, le désignait sous le nom de M. VÊti-
quette, il faut reconnaître que ce surnom était
mérité!
Après le dîner l'Impératrice jouait au piquet, au
tric-tracou au casino. Elle désignait elle-même ses
partenaires, sans intéresser la partie quand elle
jouait avec des étrangers; à trois francs la ficho si
o'était aveo des personnes de son entourage habi-
tuel. Au tric-trac, comme il a été dit, monseigneur
Bourlier faisait souvent la partie de l'Impératrice.
« A onze heures, dit encore madame Ducrest,
on passait dans un petit salon où était dressée
une table à thé. Après cette collation les étrangers
268 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
se retiraient; l'Impératrice restait encore une
heure à faire des patiences et à causer avec nous.
C'est dans ces entretiens qu'on pouvait le mieux
juger de l'étendue do son esprit et de la bonté do
son coeur; elle se livrait entièrement. Quelquefois
elle s'arrêtait tout à coup au milieu d'une narra-
tion intéressante, en nous disant quo tout de
qu'elle nous contait serait répété à l'Empereur;
co qui, comme on doit le penser, lui était fort
désagréable. Il savait en effet, mot pour mot
tout co qui s'était dit dans cette intimité 1. »
Parmi les propos prêtés à Joséphine par
madame Ducrest, il en est un qui mérite d'être
rapporté et que l'Impératrice ne dut pas craindre
de voir répéter à Napoléon :
En montant sur le trône elle avait beaucoup
réfléchi disait-elle aux moyens d'être digne de
cette haute fortune, craignant de faire blâmer
l'Empereur si elle ne remplissait pas dignement
sa mission. « Je voulus sincèrement faire bénir
son règne, ajouta-t-elle, et jo fis mes efforts pour
m'oublier et ne songer qu'aux autres. »
Le divorce avait produit généralement dans le
t. Madame Ducrest, Mémoiressur l'impératriceJoséphine.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 269
public une très mauvaise impression. La bienfai-
sance et l'affabilité sont en effet les deux qualités
qu'apprécie le mieux la multitude, et celles qui
rendent populaires les souverains.
C'était l'arrivée du prince Eugène à Navarre
qui apportait surtout l'animation et la gaieté dans
la résidence quelque peu isolée de sa mère. « Les
hommes de la société, au dire de madame Ducrest,
étaient sûrs de voir redoubler l'intérêt de la con-
versation par le récit de faits curieux et de détails
pleins de vérités des batailles glorieuses aux-
quelles il avait pris une part active. Les femmes se
réjouissaient de jolies parties organisées par lui
pour leur plaire, avec une galanterie chevaleresque»
et de la réception d'une foule de petits présents
faits avec une grâce qui on doublait la valeur. »
Ainsi se pR.ssti.it le temps à Navarre. Il y avait
pour l'amusement de la jeunesse qui entourait
l'Impératrice de petites loteries, des petits bals ou
plutôt de petites sauteries organisées par Joséphine
ou par le personnel de sa petite cour. Cette cour
se composait, sans compter le premier aumônier
et la dame d'honneur, de neuf dames du Palais,
mesdames de Ilémusat, Walsh-Serrant, Colbert,
Octave de Ségur, de Turenne, ^'Audenarde, de
Viel-Castel, de Lastic, Watier Saint-Alphonse,
270 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
auxquollos fut adjointe mademoiselle do Mackau.
Il y avait un chevalier d'honneur, M. de Beau-
mont; quatre chambellans : MM. de Turpin-Crissô,
do Viel-Castel, de Montholonetde Lastic; un pre-
mier écuyer : M. de Monaco; MM. de Chaumont-
Quitry, d'Andlau ot de Pourtalôs, écuyers; uno
lectrice, madame Gazzani. Le secrétaire des com-
mandements do l'Impératrice était M. Deschamps.
Lo premier jour do l'année 1811 amena dans
le chûteau de Navarre uno animation et une agi-
tation tout à fait inusitéos. Toute la maison do
l'Impératrico, personnel de sa Cour ot domesticité
se trouvèrent réunis dans la salle des gardes pour
lui présenter leurs hommages et leurs voeux. On
lui offrit des bouquets et des félicitations, et José-
phino, avec sa bonne grAce accoutumée, distribua
de bonnes paroles etdesétrennes à tout le monde.
Dans l'après-midi les autorités de la ville
d'Evreux ot du département vinrent complimenter
l'Impératrice et lui débitèrent Uf-s harangues. Les
fonctionnaires civils avaient endossé leur grand
costume et les officiers revêtu leur grande tenue.
Le plus grand bonheur de Joséphine était
d'avoir auprès d'elle ses deux enfants. Le prince
Eugène— comme on l'a vu — mettait par sa
gaieté et son entrain tous les habitants de Navarre
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 271
on liesse. Il était bon musicien, chantait agréa-
blement, organisait des parties do plaisir. On
allait sous sa direction pécher dans les étangs;
quand il pleuvait on jouait au billard. Lo prince
Eugène adorait sa mère, et no parlait de l'époque
du divorce de l'Impératrice que comme du mo-
ment lo plus affreux de sa vie. La reine Ilortense,
qui avait éprouvé de nombreux chagrins, était
d'un naturel moins gai que son frère. Son état de
santé n'était pas non plus des plus florissants. Elle
était la compagne dévouée, la consolatrice et le
meilleur soutien de sa mère. « Quand la reine Hor-
tenso ne souffrait pas, dit madame Ducrest, elle
consentait à chanter ses romances; ses préférée»
étaient Grisélidis et Partant pour la Syrie. Elle
voulut bien me donner des avis pour les dire. Sa
voix, sans avoir d'étendue, plaisait, et elle mettait
une grande expression aux paroles. Je l'ai moins
vue que le Vice-Roi ; elle restait beaucoup dans son.
appartement, suivait un traitement assez rigoureux
et se couchait de bonne heure. Elle ne pouvait
enfreindre son régime sans de vives douleurs;
elle venait donc près de sa mère pour se reposer '. »
Cependant le moment où la naissance do
1. Mémoiresde madame Ducrest.
272 L'IMPERATRICE JOSEPHINE.
l'héritier de l'Empereur allait comblor tous ses
voeux, n'était plus éloigné. Quelques jours avant
co grand événement, Napoléon avait écrit à José-
phine : « J'espère avoir un garçon. Je to lo ferai
savoir aussitôt. » La bonne impôratrico Joséphine,
uno fois son cruel sacrifice accompli, prenait le
plus vif intérêt aux nouvelles qu'on lui faisait
parvenir, et souhaitait vivement la réalisation des
désirs de celui dont ello avait partagé si longtemps
la destinée orageuse.
Le 20 mars 1811, au milieu d'un grand dinor,
que le maire d'Évreux offrait aux personnes do la
maison de l'Impératrice et aux hôtes principaux
de cette princesse, un employé de la Préfecture
entra dans la salle du festin, apportant à l'amphy-
trion une lettre officielle. Cet homme avait la
figure rayonnante, rapporte madame Ducrest, et
du seuil de la porte criait : le roi de Rome est né!
« Jo ne puis rendre l'effet de ces paroles, ajoute-
telle. Tous les convives, se levant précipitam-
ment, s'approchèrent du porteur do cette grande
nouvelle, le questionnant tous à la fois sur
cet événement, sur l'effet qu'il a produit à
Paris. »
Nous continuerons à puiser d'autres détails ori-
ginaux dans l'ouvrage de madame Ducrest, car
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 271
ces particularités jettent uno réelle lumière sur le.
vrai caractôro do l'impératrice Joséphino. Aussitôt
après avoir appris l'importante nouvelle do la
naissance du jeune prince, les invités du maire
d'Évreux s'étaient empressés do revenir à Navarre,
« A peine étions nous entrés dans le salon, dit
madame Ducrest, quo S. M. nous demanda si on
avait quelques détails : « Jo rogretto d'être si loin
» de Paris, disait-elle à tout instant, à Malmaison
» j'aurais des nouvellos si promptes! Je suis biea
» satisfaite de voir que le sacrifice si pénible que
» j'ai fait à la France a été utile et que son avenir
» est fixé. Que l'Empereur doit être heureux ! Une
» seule chose m'attriste, c'est de n'avoir pas appris
» son bonheur par lui. Au reste il a tant d'ordres
» à donner, de félicitations à recevoir!... »
Le princo Eugène arriva lo lendemain à Navarre
et raconta aux hôtes de sa mèro les péripéties,
bien connues aujourd'hui, auxquelles donna lieu
la naissance du roi de Rome, « Assurément, ajoute
encore madame Ducrest, le prince Eugène n'eut
pas fait un tel récit, prouvant si bien l'amour de
Napoléon pour Marie-Louise, devant Joséphine,
s'il n'avait su que c'était franchement qu'elle avait
sacrifié son existence aux besoins de l'Etat, et
qu'elle désirait de même un héritier au trône dont
18
274 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
ello était descendue avec un extrême déchiromont
do coeur, puisqu'elle se séparait do l'homme
qu'ollo chérissait, mais sans lo moindre regrot
d'ambition. C'est co dont plusieurs écrivains ont
semblé douter, ot c'est co qu'il importo do recti-
fier,, puisquo c'est rendre à S. M. un nouveau
droit aux regrets. Les hommes qui ont écrit qu'elle
rogrottait l'Empereur plus quo le mari no pou-
vaient connaître tout ce qui se passe dans lo coeur
d'une femme; ils n'avaient jamais approché colle
qu'ils jugeaient si mal. Il faut donc leur par-
donner leur erreur, qu'il m'est bien doux de
relever 1. »
A peine arrivé en présence do Joséphine, le
prince Eugène, paraît-il, lui aurait fait part du
message dont l'Empereur l'avait chargé pour
•"îîle-ci, au moment où il prenait congé de lui :
« Vous allez voir votre mère, Eugène; dites-lui
quo je suis sûr qu'elle se réjouira, plus quo toute
autre, do mon bonheur. Je lui aurais déjà écrit,
si jo n'avais été absorbé par lo plaisir de regarder
mon fils. Je ne m'arrache d'auprès de lui que
pour des devoirs indispensables. Ce soir j'acquit-
terai lé plus doux do tous, j'écrirai à Joséphine. »
1. MadameDucrest, Mémoiressur l'impératriceJoséphine.
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 275
En effet à onze heures, au moment où l'Impé-
ratrice et son entourage allaient prendre lo thé,
un grand mouvement so produisit dans los anti-
chambres; les portos do la sallo s'ouvrirent avec
fracas ot les doux battants do celle de la galerio
où se tenait Sa Majesté furent poussés précipi-
tamment par l'huissier qui cria : « Do la part de
l'Empereur ! » L'Impératrice et le Vice-Roi so por-
tèrent aussitôt au-devant d'un jeune page, d'une
agréable figuro, mais qui paraissait harassé de
fatigue. C'était, dit madame Ducrost, M. de Saint-
Ililairo quo Joséphino reconnut, bien qu'il y eût
deux ans qu'elle ne l'eût vu. Pour lui donner lo
temps de se remettre, ello lui adressa plusieurs
questions avec cet air gracieux qu'elle mettait à
tout. Le page do l'Empereur était porteur d'une
lettre datée du 22 mars, où Napoléon, après avoir
annoncé à sa première femme la naissance de son
fils, lui disait : a Mon fils est gros et très bien
portant. Il a ma poitrine, ma bouche et mes yeux.
J'espère qu'il remplira sa destinée. Je suis toujours
très content d'Eugène; il no m'a jamais donné
aucun chagrin. » L'Empereur, dit M. Aubenas,
saisissait ainsi, avec une délicatesse qui touche,
le moment où il faisait connaître à Joséphino un
événement, qui devait réveiller d'anciens regrets,
276 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
pour dôlivror à son fils Eugène un do ces certifi-
cats qui restent comme la devise d'une bello viel.
L'Impératrice, sortie du salon avec son fils pour
prendre connaissance do la lettre do l'Empereur,
y rentra uno domi-houro après. Ello avait les
yeux fort rouges ot lo Vice-Roi semblait fort ému.
Lorsque M. do Saint-IIilairo, au moment do
repartir, vint prendre les ordres do S. M. « Voilà
pour l'Empereur ot pour vous », lui dit-ello, en
lui romottant sa réponse, et un petit écrin do
maroquin rouge contenant uno épingle do
diamants de la valeur de 5000 francs. Joséphino
l'avait fait faire pour l'annonce d'une fille, et en
destinait une do 12000 francs pour l'annonce
d'un garçon. Mais le Vice-Roi lui fit observer que
ce présent était trop considérable ; que l'on croirait
qu'elle voulait quo l'on pai' U de sa munificence,
qu'ainsi il valait mieux réduire sa générosité,
afin do no faire que juste co qu'il fallait*.
1. Aubenas, t. II, p. 524-525.2. Mémoiresde madame Ducrest(édition Barba).
CHAPITRE XIX
/S/2. Retour de Joséphine à la Malmaison.— La chambre auxreliques.—Magnificencedes appartements du rez-de-chaussée.—Cambncérèset Masséna fréquentent la Malmaison.—Récitcirconstancié d'une des visites de Napoléon à Joséphine. —Grande satisfaction que l'Impératrice en éprouve.—Déjeuneret dîner à la Malmaison. — M. de Bausset. — MadamedeMontcsquiouamène le roi de Rome auprès de Joséphine àBagatelle. — Émotion de cette dernière. — La campagne deRussie décidée. — Séjour de Napoléonet de Marie-LouiseàDresde. — Joséphine se rend à Milanauprès de sa belle-fille.— Inquiétudes mortelles de l'impératrice Joséphine pendantla retraite de Russie. — Le prince Eugène chargé de ramenerles débris de l'armée. — Fidélité et dévouementde Joséphineet de sesenfants pour l'Empereur. — Deuxlettres de Napoléonà sa première femme pendant l'été de 1813(collectionDidot).— 11lui reproche ses dépenses excessives.
•Après avoir prolongé son séjour au château de
Navarre pendant quelques mois encore, José-
phine résolut de se transporter à la Malmaison.
Elle avait toujours manifesté pour cette résidence
une prédilection très marquée. L'Impératrice y
était d'abord plus près de Paris, moins isolée.
278 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
plus rapprochée onfin dos nouvelles des Tuileries,
dont il lui était, on lo comprendra, difficilo do so
désintéresser. Los moillours souvenirs do son
oxistenco étaient là, ot c'est en grande partie de
cos souvenirs d'un passé plus heureux quo lo
présont qu'ello vivait. Joséphino s'y trouvait plus
a portéo do recevoir les visites do ses àncionms
relations, ot ello avait du plaisir à revoir, plus
fréquemment, un certain nombre do ses familiers
dont la conversation lui était agréable.
« L'Impératrice ayant conservé pour l'Empereur
un attachement qui tenait du culte, rapporte
madame Ducrest, n'avait point permis quo l'on
dérangeât une chaiso du logemont occupé par
lui; et, au lieu do l'habiter, elle avait préféré être
fort mal logée au premier. Tout était resté exac-
tement dans lo même état que lorsque l'Empereur
avait quitté son cabinet : un livre d'histoire posé
sur son bureau, marqué à la page où il s'était
arrêté — la plume dont il so servait conservait
l'encre qui, une minute plus tard, pouvait dicter
des lois à l'Europe— une mappemonde, sur
laquelle il montrait aux confidents de ses projets
les pays qu'il voulait conquérir, portait les
marques de quelques mouvements d'impatience,
occasionnés peut-être par uno légère contradic-
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 279
tion. Joséphine seule s'était chargée du soin
dY>ter la poussière qui souillait co qu'ello appelait
ses reliques, ot rarement ello donnait la permis-
sion d'entrer dans co sanctuaire.
» Lo lit romain do Napoléon était sans rideaux,
dos armes suspendues aux murailles, ot quelques
pièces do l'habillement d'un homme ôparses sur
les meubles. Il semblait qu'il fût prêt à entrer
dans cette chambre d'où il s'était banni pour
toujours.
» Le rez-de-chaussée, d'une extrême magnifi-
cence, contenait uno foule do tables de mosaïque
de Florence, de pendules en lapis et on agathe,
des bronzes d'un travail précieux et des porce-
laines do Sèvres données par l'Empereur. Le
meuble du salon était en tapisserie, c'était l'ou-
vrage de l'Impératrice : le fond en soie blanche
et le double J enlacé en roses pompons; quand il
y avait peu de monde on le couvrait de housses
de gros de Naples gris. L'appartement de José-
phine était d'une simplicité extrême, drapé de
mousseline blanche. Il est vrai que la toilette d'or
offerte par la Ville était comme le cachet de la
personne qui l'habitait; rien n'eût été digne de
rivaliser avec la richesse de ce meuble, aussi
était-il là tout à fait isolé. Plusieurs fois S. M.
280 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
voulut l'envoyer à la Vice-Reine; le prince Eugène
s'y opposa devant moi. C'était un don porsonnol
qu'elle avait reçu à l'époque du Sacre. Lors du
divorce, Napoléon la lui envoya, ainsi quo le
déjeuner d'or ot plusieurs autres choses d'une
grande valeur qu ello avait négligé d'emporter 1. »
Au nombre des principaux personnages de
l'État qui fréquentaient le salon do Joséphino,
H convient do citer d'abord l'archichancelier
Cambacérès, qui s'était toujours montré l'adver-
saire convaincu du divorce; puis le maréchal
Masséna. Le prince d'Essling avait môme acheté
et fait réparer l'aile encore existante de l'ancien
château de Richelieu à Rueil, voisin comme on le
sait do la Malmaison. La reine Ilortense venait
de Paris faire do fréquents séjours auprès de sa
mère, et lui amenait, pour des semaines entières,
ses deux jeunes enfants que leur grand'mère ché-
rissait*. Enfin surtout les visites assez fréquentes
que venait lui rendre Napoléon mettaient un
baume consolateur dans le coeur aimant et jamais
consolé de Joséphine.
Madame Ducrest nous a conservé, dans ses
écrits, le compte rendu d'une de ces visites,
1. MadameDucrest, Mémoires.2. Le cadet est devenu l'Empereur NapoléonIII.
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 281
toujours si désirées et si impatiemment attendues
par l'Impératrice. Un jour quo l'Empereur était
arrivé on surpriso à la Malmaison, tout lo château
fut mis en émoi et l'Impératrice en ressentit un
plaisir extrême : « Par une délicatesse digno d'elle,
ello reçut S. M. dans lo jardin. Ils s'assirent tous
deux sur un banc circulaire, qui était placé
devant les fenêtres du salon, autour d'un beau
tulipier, à uno assez grande distance pour qu'il
fût impossible d'entendre un mot de cette conver-
sation, qui dut être si intéressante. Toutes ces
dames, cachées derrière les rideaux des croisées,
tâchaient de deviner, sur l'expressive physio-
nomie do Joséphine et par les gestes de Napoléon,
de quels sujets ils s'occupaient. Deux heures
s'écoulèrent ainsi ; enfin l'Empereur prit la main
de l'Impératrice, la baisa et monta dans sa calèche
qui était devant la porte du parc. Joséphine
l'accompagna— et, à son air heureux le reste de
la journée, il fut facile de penser qu'elle était
satisfaite do tout ce qui lui avait été dit. Elle
répéta plusieurs fois quo jamais elle n'avait vu
l'Empereur plus aimable, et qu'elle éprouvait un
vif regret de ne pouvoir rien faire pour cet
heureux de la terre, (terme dont elle se servit).
Quelques mois plus tard cette épithète ne conve-
282 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
nait plus à Napoléon!.... lo bonheur l'avait trahi,
sa gloire seule lui restait1!... »
A la Malmaison l'ôtiquotto était aussi rigou-
reusement observée qu'à Navarre. Dès neuf
heures il fallait être en tenue habillée ot descendre
au salon où so rendaient avec empressement—
pour faire leur cour à Joséphino— dos séna-
teurs, des conseillers d'état ot autres personnages
dos maisons do l'Empereur, do l'impératrice
Marie-Louise ou des autres princes et princosses
de la famille impériale. Tous les hommes étaient
en uniforme et avec lo costume de leur charge.
Les chambellans et les écuyers do l'impératrice
Joséphine suivaient, à plus forto raison, cet
exemple. Madame Ducrest ajoute encore d'autres
détails à ceux qui précèdent : « Lo déjeuner, dit-
elle, était servi comme à Navarre. Il y avait
ordinairement dix ou douze étrangers invités
d'avance ou retenus après la visite qu'ils faisaient
tout exprès de grand matin. En sortant do table,
on rentrait dans le salon; l'Impératrice causait
une heure environ, en se promenant dans la
galerie. »
A l'heure du dîner douze ou quinze invités
i. MadameDucrest,Mémoires.
L IMPÉRATRICE JOSEPHINE. 283
venaient également s'asseoir, d'ordinaire, à la
table do l'Impératrice. En sortant do table José-
phino so mettait au jeu ; lo reste de la société
faisait do la musiquo dans la galerie ou jouait au
billard. Il venait régulièrement beaucoup do
mondo de Paris; à onze heures on servait le thé,
des glaces et dos gâteaux, et à minuit Sa Majesté
se retirait dans ses appartements.
M. do Rausset, étant vonu, parait-il, présenter
ses hommages à l'Impératrice à la Malmaison,
fut, au dire do madame Ducrest, assez froidement
accueilli par Joséphine. Celle-ci trouvait sans
douto cette visite un peu tardive, car elle était,
depuis plus de trois semaines, de retour dans co
petit château, M. de Rausset aurait — au cours do
la conversation — eu la maladresse de dire que
l'Empereur lui avait demandé s'il y était venu.
« C'est probablement cette question, observa-
l'Impôratrice, d'un air sérieux, qui m'a valu
l'avantage de vous voir. » Joséphino ne l'engagea
on conséquence ni à déjeuner ni à dîner, pour un
des jours suivants, comme elle avait ordinaire-
ment coutume de le faire'.
L'impératrice Joséphine avait sollicité comme
1. Mémoiresde madame Ducrest sur Joséphine.
284 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
une faveur que l'Empereur permît qu'on lui
amenât le roi de Rome. Napoléon le promettait,
mais redoutait pour elle l'émotion que l'aspect de
cet enfant devait lui causer. Il se rendit cependant
aux instances qu'elle lui fit et madame de
Montesquiou conduisit le jeune prince à Baga-
telle, petite maison de plaisance du Bois de
Boulogne. Ceci eut lieu à l'insu de l'impératrice
Marie-Louise, qui était animée d'un sentiment de
jalousie fondé sur la crainte de l'ascendant que
pouvait conserver, sur l'esprit de son époux, une
femme dont il avait été si épris. L'excellente
princesse ne put retenir ses larmes à la vue d'un
enfant qui lui rappelait de douloureux souvenirs,
ot la privation d'un bonheur que le Ciel lui avait
refusé; elle l'embrassa avec transport. Elle
paraissait se complaire dans l'illusion produite
par la pensée qu'elle prodiguait ses caresses à son
propre enfant. Elle no cessait d'admirer sa force
et sa grâce et ne pouvait s'en détacher; aussi les
moments pendant lesquels elle le tint sur ses
genoux lui semblèrent-ils bien courts 1. Cette
entrevue eut lieu, croyons-nous, en 1812, un peu
avant le départ de l'Empereur pour la campagne
de Russie.
1. Méneval, Mémoires,t. II, p. 463-466(Dentu, éditeur, 1804).
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 285
Au mois ùe mai 1812, la guerre entre la Franco
et la Russie étant devenue imminente, l'Empe-
reur, accompagné de l'impératrice Marie-Louise,
se mit en route pour Dresde le 9 mai. Napoléon
y tint une cour brillante avant de commencer les
hostilités contre l'empereur Alexandre, résolu-
tion qu'il n'avait prise qu'à contre-coeur et devant
laquelle il avait hésité longtemps. L'époque du
séjour do l'empereur Napoléon à Dresde, en cette
année 1812, marque l'apogéo de sa puissance. Il
y parut aux côtés des souverains de l'Autriche,
du roi do Prusse et des différents princes de la
confédération du Rhin, commo l'Agamemnon
des rois. Marie-Louise, heureuse de se retrouver
au milieu de sa famille, y fut également accueillie
avec les plus grands témoignages d'affection et
même do déférence. Après le départ de Napoléon
pour aller prendre le commandement de la
Grande Armée, Marie-Louise fit au mois de juin à
Prague, en même temps quo son père et sa belle-
mère, l'empereur et l'impératrice d'Autriche, un
voyage triomphal où tous les honneurs et toutes
les prévenances lui furent prodiguées. L'étoilo de
Napoléon brillait encore de tout son éclat et tous
les souverains du centre de l'Europe s'inclinaient
devant sa toute-puissance. Marie-Louiso partit
286 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
enfin do Prague le 1er juillet; son père l'empereur
François la reconduisit jusqu'à Carlsbad, et le 18
elle était do retour à Saint-Cloud. Presque à la
même date l'impératrice Joséphino quittait la
Malmaison pour se rendre à Milan, où elle allait
consoler sa belle-fille de l'absence du prince
Eugène parti pour rejoindre l'Empereur ot son
armée. Ello se proposait d'assister aux couches de
la Vice-Reine et de lui tenir compagnie pendant
quelque temps. On eût pu croire que les deux
femmes de Napoléon s'étaient entendues pour ne
pas se retrouver ensemble dans le voisinage l'une
de l'autre!
11 n'existe malheureusement que bien peu de
données sur ï.^s occupations de l'impératrice José-
phine au cours des années 1812 et 1813, et le
genre de vie mené par cette princesse, pendantcette période troublée de la carrière de Napoléon,no renferme — en co qui la concerne — rien de
bien saillant. Les premiers désastres éprouvés
par nos armées, dans la fatale campagno do
Russie, causèrent à celle —qui était à la fois la
mèro du princo Eugèno et la première femme de
Napoléon— do mortelles angoisses. Joséphino,
en cette cruelle fin d'année 1812, souffrait à la
fois, des désastres do la patrie, des malheurs de
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 287t
l'Empereur, et des périls auxquels était exposé
son fifs, dont elle demeurait souvent sans
nouvelles, mêlé comme Tétait le Vice-Roi aux
douloureuses péripéties de cette lutte se poursui-
vant aux extrémités de l'Europe. La belle con-
duite du fils de Joséphino no se démentit pas un
instant. Il demeura constamment le plus loyal ot
le plus dévoué des lieutenants de l'Empereur, son
beau-père. Vainement nos ennemis lui firent-ils
proposer de le reconnaître pour roi' d'Italie, s'il
consentait à abandonner la cause de Napoléon;
le prince Eugène repoussa du pied des insinua-
tions qu'il considérait, à juste titre, comme
déshonorantes. Et dans uno lettre à sa femme,
fille, on s'en souviendra, du roi de Bavière, il lui
mandait avec indignation : « Dans quel temps
vivons-nous (faisant allusion aux propositions
dont il vient d'être parlé), et comme on dégrado
l'éclat du trône on exigeant, pour y monter,
lâcheté, ingratitude et trahison. Va, je ne serai
jamais roi! »
La publication du vingt-neuvième bulletin où
Napoléon no déguisait rien de nos désastres, dans
la funeste campagne de Russie, vint encore
accroître les alarmes et lo chagrin do Joséphine.
On était arrivé à la moitié de décembre 1812, et
288 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
lo 18, très tard, dans la soirée, Napoléon, vaincu
par les éléments, rentrait lui-même aux Tuileries,
après avoir rapidement traversé toute l'Europe
centrale. Sur ces entrefaites le roi Murât avait de
son côté abandonné le commandement des restes
de la Grande Armée que lui avait confié l'Em-
pereur. Celui-ci, informé du départ do son beau-
frère qui retournait dans son royaume de Naples,
désigna le prince Eugène pour le remplacer à là
tète des glorieux débris de cotte malheureuse et
vaillante armée. Le Moniteur du 27 janvier 1813
apprit en ces termes le départ du roi de Naples
pour ses Etats : « Le roi do Naples, étant indis-
posé, a quitté le commandement de l'armée qu'il
a remis entre les mains du Vice-Roi. Ce dernier
a plus l'habitude des grandes administrations;
il a la confiance de l'Empereur. » Toujours
les missions difficiles qui exigent du zèle et du
dévouement, poussés jusqu'à leurs dernières
limites, sont confiées par l'Empereur au fils de
Joséphine. Sa première femme et les enfants de
celle-ci sont demeurés, jusqu'à la fin, dans les
jours du malheur, les amis les plus sûrs, les plus
fidèles et les plus dévoués de Napoléon. Ce sera
leur impérissable titre do gloire aux regards do
la postérité, car jamais leur intérêt personnel
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 289
n'est parvenu à faire taire, dans leur conscience,
la voix austère et impérieuse du devoir.
Napoléon passa les trois premiers mois de
l'année 1813 à réorganiser à Paris des forces
redoutables pour tenir tête aux armées de la
coalition, enhardie par nos revers de 1812.
Nous ignorons s'il vit fréquemment Joséphine,
pendant cette période si occupée et sipréocç^i*^
panto de son existence. Joséphine, rentrée à la
Malmaison, suivait dan3 tous les cas, avec une
anxiété.facile à deviner, les préparatifs de cette
lutte inégale et sans merci. Au mois d'avril
Napoléon était reparti pour se mettre à la tête
de sa nouvelle armée, qu'il avait, pour ainsi
dire, fait sortir de terre, après avoir conféré la
régence à Marie-Louise. Du milieu des camps sa
sollicitude no perdait pas de vue les intérêts de.
Joséphine. Ayant appris que celle-ci ne s'était
pas corrigée de son humeur dépensière et de
son penchant à la prodigalité, il adressait à sa
première femme deux lettres qui ont été publiées
dans la collection Didot.
Napoléon écrivait à Joséphine le 23 août 1813 :
« Mets de l'ordre dans tes affaires; ne dépense
que 1500 000 francs, et mets de côté tous les
ans autant ; cela te fera une réserve do 18000000
10
290 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
en dix ans pour tes petits enfants; il est doux
de pouvoir leur donner quelque chose et de leur
et PI utile. Au lieu de cela on mo dit que tu as
d H dettes; cela serait bien vilain. Occupe-toi do
tes affaires et ne donne pas à qui en vent
prendre. Si tu veux me plaire, fais que jo sache
que tu as un gros trésor. Juge combien j'aurais
mauvaise opinion do toi, si je te savais endettée
avec 3 000 000 do revenu. 1 » !
Cette lettre, seule expression de mécontente-
ment de la part do l'Empereur depuis le divorce,
produisit chez Joséphine, dit M. Aubenas, un
bien plus grand effet que les gronderies
anciennes. Elle en eut un chagrin qui la rendit
malade. Dès le lendemain Napoléon s'empressa
de mettre le baumo sur la blessure, et lui
envoya par un page la lettre suivante :
Vendredi matin 1813.
« J'envoie savoir comment tu te portes,••»"
Ilortense m'a dit quo tu étais au lit hier. J'ai été
fâché contre toi pour tes dettes ; jo no veux pas
1.Napoléonfinissaittoujourspar payer lesdettesde Joséphine:« Kilo ne doit plus compter sur moi, se bornait-il à dire. Jesuis mortel, et plus qu'un autre! » Et cependant Joséphinorêvait de construire &la Malmaisonun vrai château. (Savîne.)
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 291
que tu en aies; au contraire j'espère que tu
mettras un million de côté tous les ans, pourdonner à tes petites filles lorsqu'elles se marie-
ront.
» Toutefois ne doute jamais do mon amitié
pour toi et ne te fais aucun chagrin là-dessus.
» Adieu mon amie; annonce-moi que tu es
bien portante. On dit que tu engraisses comme
une bonne fermière de Normandie.
» NAPOLÉON. »
Vaines recommandations; Joséphine ne se
corrigea point, et sa succession fut loin d'offrir
ces millions dont la gratifie si généreusement le
docteur O'Meara 1.
1. Aubenas, Histoirede CimpératriceJoséphine,t. II.
CHAPITRE XX
i813-18tb. Gampagnô de France. — Joséphine en proie auxplus cruelles angoisses. — Le prince Eugène défend vaillam-ment le royaume d'Italie contre l'invasion autrichienne. —Lettre de Napoléon au roi Joseph. — Lettre de Joséphine àson fils le prince Eugène. — Les alliés approchant de ParisJoséphine épouvantéese sauve à Navarre à la fin de mars. —Détailssur cettefuite.—Sombresméditationsde l'Impératrice.—Une lettre de Napoléonne la quitte pas. — En apprenantles événementsde Fontainebleauet l'abdicationde l'Empereur,Joséphine se trouve mal. —Parolesqu'elle prononceen repre-nant ses sens. —Les souverainsalliés désireuxde voir l'Impé-ratrice revenir à la Malmnison.—Messagedu duc de Bassanoapporté par M. de Maussion pour informer Joséphine del'abdication de l'Empereur. — L'Impératrice interroge avecanxiété le porteur du message.—Accablementde Joséphine;retour à la Melmaison.— Le prince Eugène y arrive &la find'avril.
Les événements survenus dans le cours de
l'année 1813 ont marqué et accentué le déclin de
la fortune de l'empereur Napoléon. Après les
brillants succès de Lutzen et de Rautzen, suivis
do l'importante victoire do Dresde, commencera
la série des malheurs do l'Empire. Le désastre
L IMPERATRICE JOSÉPHINE. 293
de Leipzig, en précipitant la retraite de l'armée
française, provoqua rapidement en effet, la défec-
tion successive de la Bavière, du Wurtemberg
et de tous les États confédérés du Rhin. En
dépit do la stérile victoire de Hanau, les armées
des coalisés ne tardèrent pas à pénétrer en France.
C'est alors que Napoléon, retrouvant dans l'adver-
sité tous les talents du général Ronaparte, tint en
échec, pendant trois mois, les forces combinées
do l'Europe entière avec les débris de la Grande
Armée. L'immortelle campagne de 1814 allait
mettre le sceau à la gloire du grand capitaine,
sans parvenir néanmoins à prévenir sa chute.
Joséphine, cependant, demeurée sans nouvelles
do l'Empereur pendant plusieurs jours, se trou-
vait en proie aux plus terribles inquiétudes.
Voyant les progrès des alliés, dans leur marche
sur Paris, s'accentuer, la première femme de
Napoléon redoutait les pires malheurs. Elle inter-
rogeait à la Malmaison, avec une anxiété crois-
sante, les rares visiteurs qui arrivaient de Paris.
Elle leur adressait des questions sans suite, tant
son Ame était bouleversée, avec des yeux conti-
nuellement baignés de larmes.
Le prince Eugène était resté en Italie où il
défendait, pied à pied, le royaume dont il était le
294 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
vice-roi contre les armées de l'Autriche. Après la
perte de la bataille de la Rothière, Napoléon, crai-
gnant de voir arriver l'ennemi devant les murs
de Paris, avait écrit de Nogent au roi Joseph, lej
8 février la lettre suivante :
« Mon frère, faites remettre cette lettre, en.mains
propres, à l'impératrice Joséphine. Je lui écris pour i
qu'elle écrive à Eugène. Vous lui direz qu'elle vous!
envoie sa lettre que vous ferez partir par estafette. ;
» Votre affectionné frère
» NAPOLÉON.»
Sans perdre un instant l'impératrice Joséphine
s'inspirant des désirs et des recommandations que
lui transmettait celui qui avait été si longtemps
son époux, so hâtait de mander à son fils, le Vice-
Roi :
Malmaison,0 février.
« Ne perds pas un instant, mon cher Eugène:
quels que soient les obstacles, redouble d'efforts
pour remplir l'ordre que l'Empereur t'a donné.
Il vient de m'écrire à ce sujet. Son intention est
que tu te portos sur les Alpes, en laissant dans
Mantoue et les places d'Italie, seulement les
troupes d'Italie. Sa lettre finit par ces mots : « La
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 295
Ï> France avant tout; la France a nesoin de tous
» ses enfants! »
» Viens donc, mon chor fils, accours ; jamais ton
zèle n'aura mieux servi l'Empereur. Je puis t'assu-
rer que chaque instant est précieux.
» Je sais que ta femme se disposait à quitter
Milan ; dis-moi si je puis lui être utile? Adieu,
mon cher Eugène, je n'ai quq le temps de t'embras-
ser et de to répéter d'arriver bien vite.
» JOSÉPHINE. »
Ces lettres étaient relatives à l'ordre donné au
prince Eugène de marcher avec son arméo sur
Genève, pour se réunir au maréchal Augereau. Si
les événements ultérieurs, notamment ce qui se
passait à Naples, n'eussent pas porté l'Empereur
à renoncer à ce mouvement, ses conséquences
pouvaient être des plus importantes 1.
Lorsqu'un peu plus tard Joséphine eut connais-
sance, dit madame Ducrest, des préparatifs de
départ que faisaient son beau-frère Joseph et l'im-
pératrice Marie-Louise pour Rlois, où il avait été
décidé, dans le dernier conseil, quo la Régence
devait être établie, elle no douta pas un instant
1. Méneval,Mémoires,t. III, p. 191.
296 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
que de nouvelles catastrophes ne menaçassent
Paris. Elle résolut de fuir au plus vite; mais trou-
blée mortellement par la crainte d'être livrée aux
ennemis de Napoléon, elle flottait incertaine sur
la retraite qu'elle devait choisir. Enfin elle se
décida à prendre le chemin de Navarre. .
« Le 29 mars, après avoir donné l'ordre aux
gens de sa maison de tout préparer pour se rendre
à ce château, elle partit en toute hâte à huit heu-
res du matin par un temps froid et pluvieux.
» Joséphine quitta sa demeure chérie de la Mal-
maison dans un tel état de désespoir, que tous
ceux qui l'environnaient eurent toutes les peines
du monde à calmer ses craintes; déjà elle avait
entendu ces cris d'alarme : Voici les Cosaques.!
En effet leur arrivée dans un village était toujours
suivie de sa ruine et de la désolation do ses mal-
heureux habitants.
» A dix lieues de la Malmaison, l'essieu de la
voiture do S. M. se rompit au milieu de la grande
route; il fallut absolument s'arrêter. Tandis que
l'on réparait sa berlino, Joséphine aperçut de loin
un détachement de hussards, qu'elle prit pour
une colonne de Prussiens. S'imaginant que ces
soldats étaient envoyés pour suivre ses pas, elle
s'effraya à tel point qu'elle se mit à fuir à travers
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 297
champs, croyant qu'on voulait l'enlever do force;
mais un de ses valets de pied, l'Espérance, qui
avait reconnu, dans cette petite troupe, l'uniforme
du troisième régiment de hussards, courut après
elle ot l'atteignit à une distance de trois cents pas,
livrée à toutes les angoisses du désespoir et la tête
presque égarée. On continua cependant le voyage
sans aucune fâcheuse rencontre
» Quelles durent être les tristes et douloureuses
réflexions qui l'agitèrent en franchissant le seuil
d'un château où elle croyait avoir tout à craindre.
« Hélas! dit-elle, à madame de Rémusat, qui était
» assise à côté d'elle, Ronaparto ignore sans
» doute ce qui se passe aux portes de Paris; s'il
» le sait, son âme doit être dans un cruel état. »
» Ses dames remarquèrent qu'une fois arrivée
à Navarre, elle recherchait la solitude, et s'enfer-
mait souvent seule pour relire des lettres soigneu-
sement enfermées dans son grand nécessaire de
voyage. Une de ces lettres ne la quittait pas, et
lorsqu'elle avait cessé de la lire et de la regarder
attentivement, elle la cachait dans son sein '. »
C'était le dernier billet que l'Empereur lui avait
écrit de Rrienne, dans lequel il lui disait :
i. Madame Ducrest, Mémoires.
298 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
«... En revoyant ces lieux où j'ai passé ma pro-
miôro enfance et comparant l'état paisible où
j'étais alors aux agitations et aux angoisses que
j'éprouve aujourd'hui, je me suis dit bien des
fois : j'ai cherché dans plusieurs combats à ren-
contrer la mort; je no puis plus la redouter; e,lle
serait aujourd'hui un bienfait pour moi... mais
je voudrais revoir une seule fois Joséphine! »
Mais Napoléon no la reverra jamais!
Continuons d'emprunter aux Mémoires de
madame Ducrest des détails sur la situation do
l'impératrice Joséphine, qui ne pourront man-
quer d'intéresser le lecteur.
« Si le bruit de l'approche des troupes alliées
avait pénétré à la Malmaison, il ne retentit pas
moins dans l'enceinte du château de Navarre, où
tout le monde gémissait sur les désastres survenus
à Napoléon. Cependant tout espoir n'avait point
abandonné Joséphino; elle comptait sur la bra-
voure et les talents du duc de Raguse, à qui la
défense de Paris avait été confiée. La situation de
S. M. devenait à tout moment de plus en plus
fâcheuse; elle ignorait ce qu'elle avait à craindre
ou à espérer. Lés personnes qui l'avaient suivie ne
purent enfin lui cacher que la capitale avait cédé,
que les trois monarques étrangers y avaient fait
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 299
leur entrée ot que Napoléon s'était retiré à
Fontainebleau.
» En apprenant la terrible catastrophe qui
venait do décider de la fortune à venir de l'Empe-
reur, Joséphine so trouva mal, un morne silence
régna autour d'elle; toutes ses dames, pâles et
consternées, semblaient succomber d'abattement
et de douleur. Peu à peu revenant à elle et repre-
nant ses forces: a Ce n'est pas ici que jo dois rester,
» s'écria Joséphino, c'est auprès de l'Empereur
» que ma présence est nécessaire; je dois remplir
» ce qui était le devoir de Marie-Louise plus que
» le mien; l'Empereur est seul, abandonné... eh
» bien... je lui resterai. Je ne savais êtreséparéode
» lui que lorsqu'il était heureux. Maintenant je suis
» sûre qu'il m'attend. » Et des pleurs s'échappèrent
de ses yeux et vinrent soulager son âme, abîmée
par tant de souvenirs ot de chagrins amers 1. »
On ne peut ici s'empêcher d'ouvrir une paren-
thèse pour comparer l'attitude, aux heures de
l'adversité, de la première femme de Napoléon,
avec celle qu'a observée, dans de pareilles cir-
constances, l'impératrice Marie-Louise. C'est un
abime qui sépare des caractères si opposés, et
1. MadameDucrest, Mémoires.
300 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
l'on a pu dire avec raison que o'est Marie-Louise
qui a vengé Joséphine!
« Pondant le court séjour quo cette dernière fit
à Navarre, dit madame Ducrest, elle écrivit beau-
coup sans prendre aucune espèce do délassement;
elle faisait ordinairement doux promenades par
jour dans le parc; le matin ello était toujours
seule, et l'aprôs-diner accompagnée d'uno do ses
dames. La conversation roulait habituellement
sur la situation politiquo do la France, et sur
Napoléon dont elle so plaisait à raconter des
anecdotes qu'elle seule connaissait; mais, à la fin
do sa promenade elle paraissait accablée sous le
poids d'une douleur concentrée, et finissait tou-
jours par ces mots prononcés avec un soupir :
« Ah! s'il m'avait écoutée! »
» Quelques jours après son arrivée à Navarre,'elle reçut uno invitation de se rendre aux voeux
que les souverains alliés manifestaient do la voir
à la Malmaison. Ces marques d'uno considération
si méritée l'émurent jusqu'aux larmes : ello
hésita cependant à partir, persuadée que la pre-
mière épouse de Napoléon devait désormais rester
invisible à tous les yeux. Do hautes et puissantes
considérations, celles de l'intérêt ot de la conser-
vation de sa famille, la firent quitter sa retraite
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 301
pour revonir faire los honneurs de la Malmai-
son 1. » Ello espérait encore arriver à servir peut-
être d'autres intérêts qui lui étaient également
chors, ceux do l'empereur Napoléon!
Lo 2 avril la reine Ilortense, froidement
accueillie à Rlois par l'impératrice Marie-Louise,
était revenue auprès de sa mère qu'elle no devait
plus quitttor, tant quo Joséphine vivrait. Ilortense
avait eu un instant la pensée d'aller s'établir à la
Martinique; mais l'impératrico Joséphine, qui
avait eu connaissance de co projet, exigea de sa
fille la promesso formelle de ne pas la quitter,
sous peine d'abréger sa vie 1.
Ce fut pendant ces quolques journées doulou-
reuses passées à Navarre, avant son retour à la
Malmaison, que l'impératrice Joséphine apprit
les événements de Fontainebleau, et l'abdication
définitive de l'Empereur. Depuis plusieurs jours,
les routes étant interceptées, Joséphine et Ilor-
tense ne recevaient plus de nouvelles directes de
Paris, do Fontainebleau ou de Blois. Toute sorte
de bruits contradictoires circulaient autour de
Navarre, sans qu'il fût possible aux deux prin-
1. Aubenas t. II, p. 547.
302 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
cosses d'en vérifier l'authentioité. Joséphino
demeurait donc en proio à tous los tourments de
l'incertitude, lorsqu'une nuit un auditeur au
Conseil d'Etat, M. de Maussion, porteur d'un mes-
sage important, pénétra jusqu'auprès de l'Impé-
ratrice. C'était le duc de Bassano qui venait
d'envoyer cet émissaire à Joséphino pour lui fairo
parvenir les détails quo colle-ci attendait avec uno
si fôbrilo impatience. L'écho do la tentative
d'empoisonnement do Napoléon à Fontainebleau
était sans doute parvenu jusqu'à Navarre, car la
première parole de l'Impératrice au porteur du
message fut : a Dites-moi que l'Empereur vit...
Répétez-le moi! ». Jamais l'infortunée n'avait tant
souffert depuis son divorce, qu'en apprenant cette
succession de désastres :
« Elle (Joséphine) jeta un manteau sur ses
épaules, et entraînant M. de Maussion, pendant
que celui-ci lui parlait et lui faisait connaître, en
quelques paroles, le projet d'abdication de l'Empe-
reur, et le dessein de l'envoyer à l'île d'Elbe, ello
courut réveiller la Reine : « Ah ! Hortense,,
s'écria-t-elle, se jetant en larmes sur son lit, co
pauvre Napoléon qu'on envoie à l'île d'Elbe ! Le
voilà donc malheureux!... Sans sa femme j'irais
m'enfermer avec lui ! » Tout son coeur se révol-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 303
tait à la vuo do cette.grande chuto de celui qui,
dans l'infortune, redevenait son époux.
» M. de Maussion donna alors à l'Impératrice
et à sa fille les détails de tout ce qui les intéres-
sait : los tentatives de Napoléon pour reprendre
Paris, et la défection du duc do Raguse, et l'aban-
don du plus grand nombre des serviteurs, et
l'honorable fidélité de quelques-uns, ot lo retour
des Rourbons, ot la nécessité où Napoléon so
trouvait d'abdiquer, et los desseins do la coalition
à son égard. Joséphine ne pensait qu'au malheur
do l'Empereur. Connaissant son âme et sachant
ce qu'il devait souffrir, ello se désolait à la pensée
du sort qui lui était réservé, et enviait à Marie-
Louise le droit qu'elle avait de s'exiler avec
lui 1. »
Il est bien connu aujourd'hui de tout le monde
que co droit l'oublieuso Marie-Louiso ne le reven-
diqua jamais! Ello supposait l'empereur Napo-
léon, à l'île d'Elbe, aussi résigné et satisfait de
son sort, qu'elle l'était elle-même de son côté à
Vionne... Il n'y avaitpas.de place, dans le coeur
dévoué do Joséphine, pour l'indifférent égoïsme
dont la seconde femme de Napoléon a donné tant
i. Aubenas, Histoirede l'impératriceJoséphine,t. II, p. 541-512
304 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
de preuves, ot l'on n'a pas rendu suffisamment
ju'îice à l'attachement profond quo lui conservait
la première, a On s'est souvent obstiné à le nier,
dit avec raison madame Ducrest, en répétant
aveo assurance qu'elle n'aimait quo la souveraine
puissance où il l'avait élevée. Ceux qui tiennent
ces discours n'approchaient probablement jamais
de S. M. Jo l'ai toujours vue pénétrée de recon-
naissance pour Napoléon, ot prête à lui prouver
son tondre attachement par tous les sacrifices qui
eussent dépendu d'elle. J'ai l'intime conviction
que, si elle eût vécu, rien n'eût pu la retenir en
France, sachant Napoléon malheureux. Elle ne
se consolait de ne pas lo voir qu'en sachant que
tout lui réussissait. Joséphine, admirée, estimée
parles souverains alliés, eût obtenu la permission
qu'une autre ne sut pas demander. Les qualités
éminentes de la première femme de l'Empereur
eussent embelli le rocher de l'exil, et du moins
la grande âme du héros ne se fût pas exhalée
sans quoique douceur 1. »
Tandis que l'Empereur se dirigeait vers le lieu
do son oxil, l'impératrice Joséphine, cédant aux
voeux de tous ses amis, était revenue à la Mal-
i. MadameDucrest, Mémoiressur Joséphine.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 305
maison. Elle était plus révoltéo encore que poinéo
du débordement d'outrages dont Napoléon, dopuis
qu'il était vaincu ot proscrit, so voyait l'objot.
Joséphino était indignée de toutes les plates
accusations, des misérables calomnies quo diri-
geaient contre le lion aujourd'hui enchaîné, non
seulement ses adversaires, mais encore ceux-là
même qui— au temps de sa, puissance
— l'avaient
le plus encensé. Mademoiselle Avrillon, ua lectrice,
a décrit les souffrances morales do la malheureuse
princesse en ces termes :
« J'ai assisté au spectacle des insomnies de
l'impératrice Joséphine et de ses rêves terribles.
J ^i vu S. M. passer des journées entières dans
des méditations sinistres. Je sais co que j'ai vu
et entendu et, pour moi, c'est le chagrin qui l'a
tuée. » Nous croyons, pour notre part, au bien
fondé d'une semblable impression produite sur
une personne mêlée comme l'était mademoi-
selle Avrillon à l'intimité de la souveraine déchue.
On conçoit aisément en conséquence le dégoût
de la vie, manifesté à plusieurs reprises, par
l'impératrice Joséphine, si l'on songe surtout à
l'accablement qu'apportait, dans cette âme d'une
sensibilité si exquise, l'accumulation de tant de
tortures morales!
20
306 L'iMl'ÉRATRICE JOSÉPHINE.
L'arrivée du prince Eugène à la Malmaison,
dans lo courant d'avril, fit une heureuse diversion
aux cuisants chagrins qui dévoraient le coeur do
Joséphino. Elle avait toujours été fière à justo !
titro do ce fils, modèle do dévouement et de
loyauté chevaleresque. Jusqu'au dernier moment !
il avait, en Italie, tenu tête aux Autrichiens et
valeureusement rempli tout son devoir. L'abdi- i
cation de l'Empereur l'avait trouvé les armes à la :
main, ot co n'est qu'après en avoir vu confirmer
la nouvelle qu'il s'était décidé à venir rejoindre
sa mère. Eugène s'était démis aussitôt de ses
attributions de vice-roi d'Italie, après avoir
sauvegardé, par une convention, les intérêts
de l'armée française, qu'il avait longtemps et
glorieusement commandée. La postérité pourra'
reconnaître, dans le prince Eugène, un digne
émule de Rayard, le chevalier sans peur et sans
reproche. Quant à l'histoire, elle appréciera,
croyons-nous,— comme ello a mérité de l'être
— la noble conduite du fils de Joséphine pendant
la période do sa trop courte existence.
CHAPITRE XXI
L'empereur de Russie à Paris fait demander à l'impératriceJoséphine de le recevoir à la Malmaison.— Le prince mani-feste le plus grand désir d'être utilo h Joséphine et a sesenfants. — Répugnance de la reine Hortenseà être redevabled'un service à celui qui a le plus contribué aux malheurs dela France et de Napoléon.— Joséphine moins réservée vis-a-vis du monarque russe; elle ne pense qu'au sort futur do sesenfants. — Craintes de Joséphine d'être expulsée de Francepar le gouvernementdu roi LouisXVIII.— Conseilde l'empe-reur Alexandre. — Joséphine au château de Saint-Leu chezsa fille au milieu de mai. — A son retour à la Malmaisonellese sent plus triste et souffrante.— Anxiétésqui l'assiègent au
sujet de l'avenir de ses enfants et du sort de Napoléon.— Samaladie s'aggrave. — Sollicitudedu souverain russe enversla malade. — Visites fréquentes du czar, du roi de Prusse etde plusieurs grands-ducs. — Le 25 mai la maladie fait de
grands progrès. — Douceur et résignation de Joséphine. —
Elle meurt entre les bras du prince Eugène le 20 mai, jour dela Pentecôte, après avoir été administrée par l'abbé Bertrand.— Il lui est fait de pompeuses funérailles, — Témoignagefavorable à Joséphine tiré des souvenirs de M. de Reisct.
L'empereur de Russie, qui était entré dans
Paris à la tète des armées alliées, le 31 mars,
était descendu à l'hôtel Talleyrand, de la rue
308 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Saint-Florentin, avec son ministre Nesselrode
qui l'y avait précédé. Aussitôt que ce prince eut
cessé d'être absorbé par les affaires auxquelles
donnaient lieu les intrigues de toute espèce dont
il était environné, Àl fit prier l'impératrice José-
phine de vouloir bien le recevoir. Alexandre dési-
rait apporter lui-même à la première femme de
Napoléon les assurances de son respect, et de;
l'intérêt protecteur qu'il entendait témoigner à!
cette princesse aussi bien qu'à ses enfants. L'em-
pereur de Russie —depuis son arrivée à Paris
— avait entretenu, à plusieurs reprises, les amis
de Joséphine et de la reine Ilortense, le duc de
Yicence entre autres, de son intention bien arrêtée
de se rendre utile aux membres de la famille
de Reauharnais 1.
La situation de Joséphine et de ses enfants
était particulièrement délicate vis-à-vis de celui
que les circonstances venaient de rendre le plus
irréconciliable ennemi de Napoléon. Alexandre,
toutefois, n'avait pas toujours été l'ennemi déclaré
de l'Empereur, envers lequel il avait manifesté
1. Quant &l'empereur d'Autriche, le prince de Coboi/rgauraitdit à Joséphine, au dire de madame de Souza, que François IIserait venu la voir s'il n'avait craint que sa visite ne lui déplût.
Pourquoi donc? répondit Joséphine, ce n'est pas moi qu'il adétrônée c'est sa fille!... >
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 309
— avant l'expédition de Russie — dos dispo-
sitions en apparence bien opposées. La reine
Hortense, animée d'un sentiment de juste fierté,
n'avait tout d'abord pas voulu consentir à rien
devoir à la sollicitude de ce souverain. José-
phine, dont l'intérêt de ses enfants était à présent
devenu la principale préoccupation, sentait au
contraire diminuer ses préventions contre le puis-
sant autocrate russe. Celui-ci avait d'ailleurs fini
par déclarer à l'Impératrice qu'avec ou sans son
agrément il voulait absolument s'occuper du sort
do ses enfants, et Joséphine, touchée de ces
bonnes promesses, lui en témoigna pour sa part
quelque reconnaissance.
Dès qu'il eut appris le retour en France du
prince Eugène, l'empereur Alexandre vint le voir
à la Malmaison et lui renouvela ses offres de ser-
vice. Il s'agissait d'obtenir, au profit de l'anoien
vice-roi d'Italie, l'établissement souverain que
Napoléon avait stipulé en sa faveur par un article
spécial, inséré dans le traité du 11 avril 1814,
signé de tous les souverains de l'Europe. La
bonne volonté d'Alexandre, malheureusement
pour le prince Eugène, ne parvint pas à triom-
pher de la force d'inertie et du mauvais vouloir
que rencontra, de la part des principales puis-
310 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE,
sances du continent, l'accomplissement des
clauses de ce traité.
Effrayée do l'idée quo lo gouvernement do
Louis XVIII pourrait l'obliger à quitter la
Franco, Joséphine avait conçu la pensée de
s'adrosser directement au roi et de lui demander
sa protection. A l'issue d'un dînera laMalm'aison
auquel l'empereur de Russie avait été convié, ce
prince, qui était au courant des perplexités de
Joséphine à ce sujet, aurait dit à l'Impératrice :
« Regardez-moi, Madame, pour vous ainsi que
pour vos enfants, comme un autre Alexandre
pour la famille de Darius. » Alexandre se serait
en môme temps montré fort opposé au projet
qu'avait un instant formé Joséphine d'écrire au
roi Louis XVIII, pour se mettre sous sa protec-
tion. « Cette lettre, croyez-moi, vous serait
reprochée et deviendrait votre opprobre, aurait-il
dit; — le czar de Russie saura protéger vous et
les vôtres 1. »'
Le 15 mai, d'après M, Aubenas, l'Impératrice
alla passer deux jours au château de Saint-Leu,
chez la reine Hortense. L'empereur de Russie
s'y rendit également, et accompagna les deux
1. BiographieMichaud.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 3ii
princesses à uno promenade dans les bois do
Montmorency. Au retour Joséphino se sentit mal
à son aise ot fatiguée. Elle rentra dans son appar-
tement, pendant quo sa fille se promonait dans
les jardins avec ses invités. Mademoiselle Co-
cholet, lectrice do la reine Hortonse, l'avait suivie.
En entrant dans sa chambro, l'Impératrice se
laissa —paraît-il
— tomber sur une chaise longue,
avec tous les signes d'un douloureux abattement.
« Mademoiselle Cochelet, dit l'Impératrice,
après un instant, jo ne puis vaincre une tristesse
affreuse qui s'empare de moi; je fais tous mes
efforts pour la cacher à mes enfants, mais j'en
souffre davantage. Jo commence à perdre cou-
rage. L'empereur de Russie est certainement
rempli d'égards et d'affection pour nous, mais,
tout cela ce sont des paroles. Que décide-t-il pour
mon fils, ma fille ot ses enfants? N'est-il pas en
position de vouloir quelque chose pour eux?
Savez-vous ce qui arrivera lorsqu'il sera parti?
On ne fera rien de ce qu'on lui promettra; je
verrai mes enfants malheureux, et je ne puis
supporter cette idée, elle me fait un mal affreux.
Je souffre déjà assez du sort de l'empereur Napo-
léon, qui se trouve déchu de tant de grandeurs,
relégué dans une île loin de la France, qui l'aban-
3i2 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
donne; faut-il encore voir mes enfants errants,
sans fortune! Je sens que cette idée me tue. »
La lectrice de la reine Hortense, cherchant à
calmer et à rassurer l'Impératrice, lui parla du
véritable intérêt quo portait au prince Eugène et
à sa soeur le monarque russe, malgré les difficultés
qu'avait mises la reine à lui devoir des obliga-
tions : « Oui, sans contredit, répondit Joséphine,
il a pour nous des soins qu'on était loin d'at-
tendre, mais malgré toutes ces démonstrations, je
no vois rien de positif. Vous êtes liée avec mon-
sieur do Nesselrode, sachez de lui s'il y a lieu
d'espérer. Est-ce l'Autriche qui s'opposo au sort
de mon fils. Cela ne peut-être. Sont-ce les Rour-
bons? Ils m'ont pourtant assez d'obligations pour
les reconnaître dans mes enfants. N'ai-je pas été
assez bonne pour tous les malheureux de leur
parti? Certes je n'imaginais pas qu'ils rentre-
raient jamais en France; mais il m'était doux
d'être utile à leurs amis : c'étaient des Français
qui avaient souffert — c'étaient do mes anciennes
connaissances, et la position do ces princes, quo
j'avais vus jounes, mo touchait. Enfin n'ai-je pas
demandé vingt fois à Ronaparto do fairo rentrer
la duchesse d'Orléans, la duchesse de Rourbon?
C'est par moi qu'il a secouru leur détresse, qu'il
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 313
leur a accordé une pension qu'elles recevaient
en pays étrangers. Je ne doute pas qu'elles ne
viennent me voir celles-là, et je suis étonnée
de n'avoir encore reçu la visite que do monsieur
de Rivière; car monsieur de Polignac me doit
bien la vie, et il n'a pas paru à la Malmaison '. »
A d'autres moments, lorsque certaines paroles
ou certains indices plus rassurants lui avaient
donné plus d'espoi." do voir assurer au prince
Eugène et à la reine Hortense un avenir conforme
à ses voeux, Joséphino reportant sur Napoléon
toute sa sollicitude, déclarait : « Quoiqueje ne sois
plus sa femme, je partirai demain pour aller le
rejoindre, si je ne craignais de lui causer quelque
désagrément avec cette compagne qu'il m'a pré-
férée. C'est surtout dans ce moment, où il est
presque généralement abandonné, qu'il me serait
doux d'ôtro auprès de lui pour l'aider à supporter
l'ennui du séjour de l'Ile d'Elbe, et pour prendre
la moitié do ses chagrins. Jamais je ne gémis
autant d'un divorce dont je fus toujours affli-
gée*. »
Malgré los soins des médecins do l'Impératrice,
la santé do celle-ci ne so remettait pas; elle
1. Aubenas,Histoirede l'impératriceJoséphine,t. II, p. 551-552.2. MadameDucrest, Mémoires.
314 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
éprouvait au contraire un malaise universel, et
demeurait on proio à une évident© prostration.
Le prince Eugène et la roino Ilortense s'inquié-
taient à bon droit do ces manifestations mor-
bides que—
pour no pas los effrayer— la
malade cherchait à dissimuler.
« Le lundi 23 mai, raconte M. Aubenas, le roi
de Prusse vint avec ses doux jeunes fils faire uno
visite à la Malmaison et y rosta à dinor. L'impé-
ratrice Joséphino qui, depuis quolques jours,
paraissait visiblement souffrante, réussit tellement
à prendre sur ello, pour faire à ses hôtes les hon-
neurs do sa résidence, qu'on la crut entièrement
rétablie. Le lendemain (tous ces princes étaient
jaloux de lui rendre hommage) elle fut cncoro
obligée do recevoir les deux grands-Ducs de
Russie, Nicolas ot Michel. Dans le jour ceux-
ci allèrent visiter les environs avec lo princo
Eugène 1. » Pondant co tomps Joséphine était
rentrée dans sa chambre, épuisée do l'effort qu'ello
avait fait, ot no reparut plus au dîner, priant sa
fille do la remplacer auprès do ses hôtes princiersa.
1. Aubenas, t. H, p. 553.2. Il est a remarquer que, pendant les deux derniers mois do
son existence en 1814,trois jeunes futurs empereurs se trou-vaient souvent réunis, autour de Joséphine, a la MalmaUon.C'était par rang d'âge t te grand-DucNicolas,qui devait ceindre
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 318
et Lo 24, poursuit M. Aubenas, mademoiselle
Cochelet s'empressa de venir demander des nou-
velles do l'Impératrice. Elle la trouva fondant
en larmes ot tenant à la main un journal qu'elle
lui tendit, ot Ma fille lit-elle ce journal? lui
» demanda-t-elle ; tâchez qu'elle ne lo voie pas.
» Lisez l'article qu'on mot sur le cercueil de son
» pauvre enfant 1. Cela est-il croyable? Voyez
» dans quels termes méprisants on dit qu'il doit
» être ôté do l'église Notre-Dame pour être
» transporté dans un cimetière ordinaire. On ose
» toucher aux tombeaux 1 C'est comme du temps
» do la révolution. Ah! qui m'eût dit que cela
» me viendrait do gens que j'ai tant obligés! »
Cette émotion —ajouto M. Aubenas — n'était
pas faite pour diminuer la mélancolie qui, chaque
jour, la minait davantage. Ello s'étendit encore
sur son chagrin de no pas voir fixer la position
de ses enfants ot sur ses craintes à cet égard*. »
un jour la couronne impériale, et contre lequel la France etl'Angleterre entreprirent la guerre do Crimée; puis le princeGuillaume, l'un des fils du roi de Prusse, devenu empereuraprès nos désastres de 1870; enfin le petit-fils môme de José-phine, le futur Napoléon III, heureux d'abord dans la guerrecontre la Russie, malheureux et détrôné, le 4 septembre 1870,&l'issue de la funeste lutte contre l'Allemagne.
1. Le prince royal de Hollande; llls atné de la reine Hortense,mort en 1807du croup.
2, Aubenas, Histoirede l'impératriceJoséphine,t. Il, p. 854.
316 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Le lendemain 25 mai l'empereur Alexandre,
étant venu rendre visite à Joséphine et la trouvant
fort changée, lui proposa do lui envoyer son
propre médecin. Ce docteur, questionné par la
reine Hortense, après avoir examiné la malade,
ne lui cacha pas qu'il trouvait l'Impératrice
sérieusement atteinte, et donna lo conseil de la
couvrir do vésicatoires. Le prince Eugène et la
reino Hortense, qui adoraient leur mère et ne
croyaient pas son état aussi grave, demeurèrent
consternés du diagnostic du médecin russe. Les
meilleurs médecins de Paris furent aussitôt
mandés auprès do l'Impératrice, et après une con-
sultation avec lo doctour Horeau, médecin ordi-
naire de cette princesse, reconnurent les symp-
tômes d'une angine d'un caractère très pernicieux.
L'Impératrice s'était plainte quelques jours aupa-
ravant do souffrir de la gorge, mais son entourage
aussi bien qu'elle-même avait cru à une simple
grippe, quo Joséphino avait négligé do soigner.
Plus tard on fit mémo courir dans le public des
bruits absurdes d'empoisonnement! Qui donc
aurait pu vouloir attenter aux jours de la bonne
Impératrice, et qui pouvait avoir un intérêt à la
fairo disparattro? Poser la. question, c'est nous
semble-t-il la résoudre.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 317
Le 28 mai il y eut dans l'état de l'auguste
malade une légère et trompeuse amélioration,
mais cette amélioration passagère ne fut pas de
longue durée. « Cette femme angélique, rapporte
madame Ducrest, craignant toujours d'affliger
ceux qu'elle aimait, ne se plaignait point, prenait
tous les remèdes ordonnés, et, par des regards
doux et tendres, cherchait à rassurer toutes les
personnes qui l'entouraient. » Ce jour-là l'empe-
reur do Russie devait venir dîner à la Malmaison,
mais la reino Hortense, justement alarmée de
l'état dans lequel elle voyait sa mère, se décida à
envoyer prier l'empereur Alexandre do vouloir
bien remettre sa visite à un peu plus tard. Mais,
au moment où le courrier allait partir, lo Czar
arrivait lui-môme à la Malmaison, bien avant
l'heuro fixéo pour le dîner auquel il devait prendre
part. Il fut alors convenu qu'on cacherait à l'im-
pératrice Joséphino laprésenco d'Alexandre, pour
no pas agiter la malade, et qu'on lui dirait quo la
visite du souverain russe était remise à un autre
jour. La reino Hortense dîna avec l'Emperour, et
s'oxeusant d'agir avec lui sans cérémonie, laissa
Alexandre seul avec lo prince Eugène pour
retourner auprès do sa mère. Madame d'Arberg
veilla cotto nuit du 28 au 29 mai dans la chambre
318 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
de Joséphine qui ne paraissait pas souffrir, mais
se réveillait souvent, parlant à voix basse avec
elle-même ot répétant par intervalles ces mots :
« Bonaparte!, .l'île d'Elbe!...Marie-Louise!... '»
Le 20, jour de la Pentecôte, la reine Hortense,
tout à fait effrayée do voir sa mèro en proie à une
sorte do délire, alla chercher son frère, assez
souffrant lui-même depuis quelques jours et qui
ne put sortir de son lit qu'avec peine. Les deux
enfants de Joséphino pénétrèrent ensemble dans
la chambre de leur mère et remarquèrent avec
effroi l'altération profonde qu'avaient subie les
traits do colle-ci. « En apercevant ses enfants —
dit M. Aubenas — les yeux do l'Impératrice se
rempliront do larmes; elle leur tendit les bras
sans pouvoir se soulever et pouvant à peine parler,
car sa langue s'embarrassait. » Après l'avoir em-
brassée tous deux avec tendresse, le prince Eugène
resta seul au chovot de sa mèro; la reine Hortense,
no parvenant plus à maîtriser son chagrin, avait
dû sortir do la chambre pour donner libre cours
à sa douleur. Co fut co fils si dévoué et si tendre-
ment aimé de Joséphino, qui prépara et détermina
sa mèro —après avoir pris l'avis dos médecins
1. Aubenas, Histoirede l'impératriceJoséphine.
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 310
— à recevoir les secours do la religion. On avait
envoyé chercher, à Rueil, le curé de la paroisse
qu'on no trouva pas au presbytère, et ce fut l'abbé
Bertrand, ce vieil et fidèle ami de Joséphine et do
ses enfants, qui remplit la mission d'administrer
à l'Impératrice les derniers sacrements. A la vuo
du visage entièrement décomposé de sa mère,
dans ces derniers instants, la reine Hortense
s'était évanouie: on dut l'emporter sans connais-
sance dans sa chambre. Ce fut en présence du
soûl prince Eugène que l'Impératrice expira peu
de temps après avoir reçu les bénédictions de
l'Eglise. « Après quelques efforts — ajoute
M. Aubenas — elle expira, consolation dernière,
entre les bras de son fils bien-aimô!. »
La désolation éprouvée par tous les serviteurs,
grands et petits, de la Malmaison, à la mort de
l'impératrice Joséphino, so répandit avec la funeste
nouvelle à Hueil et dans tous les lieux d'alentour
où elle était aimée comme une providence et une
mère. ocDepuis le jour fatal de la mort de l'Impé-
ratrice jusqu'au 2 juin que devaitavoirlieu l'enter-
rement, dit madame Ducrest, plus do vingt mille
personnes revirent Joséphine pour la dernière
fois. »
1. Aubenas, t. H, p. 550.
320 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
Le 2 juin, à midi, les funérailles eurent lieu,
avec la plus grande pompe, dans la modeste et
petite église du village de Rueil, paroisse de la
Malmaison. |.
Les coins du drap mortuaire étaient portés par lo
grand-duc do Bade, époux de la princesse Sté4
phanie, par le marquis de Beauharnais, bcau-r
frère de l'Impératrice, le comte Tascher, sori
cousin germain, et le comte de Beauharnais, pôrô
de la princesse de Bade. Les deux jeunes enfants
de la reine Hortense menaient le deuil. Venaient
ensuite à pied, à la tête du convoi, précédant lo
personnel de la maison do l'Impératrice, lo géné-
ral Sackon, représentant l'empereur Russie, et
l'adjudant général du roi do Prusse remplaçant
son souverain, en même temps qu'un grand
nombre de princes étrangers, do maréchaux,
de généraux et d'officiers français. L'empereur
Aloxandro avait tout d'abord annoncé son inten-
tion d'assister en personne aux obsèques; mais,
apprenant que l'état de santé du princo Eugèno
ne permettrait pas à co dernier do les présider, le
Czar s'était abstenu. Les bannières dos diffé-
rentes confréries de la paroisse de Rueil, ot vingt
jeunes filles vêtues de blanc, chantant des can-
tiques, faisaient partie du cortègo, dont la haie
L IMPERATRICE JOSEPHINE. 321
était formée par des hussards russes et des
gardes nationaux. Deux mille pauvres de tout âge
fermaient la marche.
Le corps de Joséphine, placé dans un cercueil
de plomb, renfermé dans une caisse de bois, fut
ensuite déposé provisoirement dans une partie du
cimetière où se trouvaient les corps des cent
trois personnes qui avaient été écrasées dans la
rue Royale en revenant du feu d'artifice tiré sur
la place Louis XV, à l'occasion du mariage de
Louis XVI avec Marie-Antoinette 1.
Monseigneur de Barrai, archevêque de Tours
et premier aumônier de l'Impératrice, avait pré-
sidé la cérémonie funèbre, assisté des évoques
d'Évreux et de Versailles. Ce prélat avait aussi,
après l'évangile, prononcé d'une façon sobro mais
touchante l'oraison funèbre de la première femme
de Napoléon.
En 1824 la reine Hortense et son frère, ayant
acheté une des chapelles de l'église de Rueil,
obtinrent enfin, non sans difficulté, l'autorisation
d'y ériger, sur son tombeau, un monument qu'on
y voit encore.
Voici les réflexions qu'inspirait en 1814 A
1. MadamoDucrest, Mémoiressur l'impératriceJoséphine.21
322 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
M. le général de Reiset la nouvelle de la mort
presque subite de l'impératrice Joséphine :
« II n'y a qu'une voix — écrivait dans ses Sou-
venirs cet officier générai—
pour regretter cette {
femme charmante, bonne entre toutes, dont la vie-
entière s'est passée à rendre service. Lorsqu'elle;
était toute-puissante, elle n'a jamais usé de son!
influence quo pour fairole bien et je ne crois pasj
que l'excellente créature ait jamais eu un ennemi. »|
Et plus loin :
« Le chagrin de voir détrôné et exilé Napoléon
qu'elle chérissait toujours, les inquiétudes qu'elle
avait pour la position de ses enfants, depuis le
renversement do l'Empire, tout cela l'avait pro-
fondément déprimée. »
Enfin nous terminerons la citation de ces
Souvenirs par un paragraphe où lo vicomte de
Reiset résume l'impression générale produite par
la mort do Joséphino sur ses contemporains :
« Tout Paris a été profondément impressionné
par la mort de l'Impératrice; il y a longtemps
qu'on no l'appelait quo la bonne Joséphine, et elle
avait rendu tant doservicos que les regrets qu'elle
inspire sont unanimes, sans distinction do partis 1. »
1. Souvenirsdu vicomtede Beisel,3 volumes.
CHAPITRE XXII
Les deux femmes de Napoléonlui ont manqué dans son exil.— Joséphine, si elle eût vécu, aurait certainement cherchéà le rejoindre à Sainte-Hélène et i adoucir sa captivité. —
Citation do paroles attribuées au cardinal Fesch sur la
catastrophe qui a terminé le règne de l'Empereur. — Récitd'une visite de Napoléon à la Malmaison&son retour de l'Iled'Elbe.—Jugements portés sur Joséphine par Bausset,Rovigoet Méni""t, _ Critiques dont la mémoire de l'Impératrice aété l'objet. —Malgré ces ombres légères dans le portrait decetteprincesse,Joséphine demeurera dans l'histoire une figuresouveraine digne de la popularité qui reste attachée à son
Il est assez frappant de remarquer que la mort
de l'impératrice Joséphine est précisément sur-
venue, d'une façon inopinée, à l'époque la plus
critiquo de l'épopée napoléonienne. Il semble-
rait quo la Providence, quand il lui a plu de para-
lyser le prodigieux instrument de ses impéné-
trables desseins, ait eu l'intention de rendre plus
complète l'immolation de Napoléon, ce Promé-
324 L IMPERATRICE JOSEPHINE.
thée moderne. La mystérieuse Puissance qui gou-
verne lo monde n'a pas voulu permettre en effet
que, sur le rocher de l'exil, aucune consola-
tion vînt adoucir les souffrances et les derniers
moments de l'Empereur. La première femme du
grand homme — colle qui lui était sisincèrej-
ment et si profondément attachée — aurait vrai-
semblablement obtenu des souverains étrangers
l'autorisation d'aller consoler ses chagrins jà
Sainte-Hélène, si la mort n'était venue subite-
ment la frapper. C'était cependant cette épouse
dévouée que l'Empereur avait délaissée pour
assurer, croyait-il, l'accomplissement de ses am-
bitieuses vues dynastiques! Sa seconde femme,
l'impératrice Marie-Louise, sur les sentiments de
laquelle il avait cru pouvoir compter, oubliait au
contraire Napoléon malheureux, se séparait de
lui, lui refusait toute espèce d'assistance, tout
témoignage de souvenir ou même d'intérêt.
Certes elle devait être éclatante, ici-bas, l'expia-
tion des fautes qu'avait pu commettre, au cours
do sa carrière orageuse, l'extraordinaire génie
dont la prodigieuse histoire exaltera de géné-
ration en génération l'imagination des peu-
ples I
. Aussi, dans un entretien qui nous a été con-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 32*
serve 1, le cardinal Fesch a pu dire en parlant
de Napoléon son neveu :
« Dieu ne l'a pas brisé. L'Écriture parle ici
clairement. Quand Dieu veut perdre un homme,
il l'écrase sur la place et il le jetto au feu; mais
lui, il ne l'a pas écrasé sous son pied, il ne l'a pas
jeté au fou... Il l'a humilié, ot c'est la voio du
salut, c'en est la preuve... Celui que Dieu humilie
^st sauvé, car l'humiliation c'est l'expiation et
le signe de la miséricorde! »
En 1815 — un an environ après la mort de
Joséphine—
Napoléon, do retour en France
pendant les Cent-Jours, vint faire un pèlerinage à
la Malmaison avant de partir pour sa dernière
campagno qui allait se terminer à Waterloo. La
reine Hortense, toujours fidèle à la fortune
impériale, se trouvait là pour lo recevoir.
« L'Empereur, dit M. Aubenas, arriva accom-
pagné do MM. Mole et Denon, ot du colonel
Labédoyèro. A son entrée dans lo vostibule du
château il parut ému. Il voulut tout revoir. Il se
promena pendant une heure avec sa belle-fille,
dans lo jardin, dans lo parc, dans la serre,
1. Sentimentsde Napoléonsur le christianismepar le chevalierde Beauternc.
326 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
l'entretenant de celle dont lo souvenir remplissait
ce séjour créé par ses soins. A chaque instant il
lui semblait qu'elle allait apparaître au détour
d'une allée. Le déjeuner fut silencioux. Après,
l'Empereur parcourut lentement la galerie, regar-
dant avec un plaisir triste et doux, ces tableaux,
ces objets d'art si choyés. Il témoigna ensuite le
désir de visiter la chambre où Joséphine était
morte. La reine s'apprêtait à monter avec lui,
mais il'lui fit signe de la main de rester, et
s'achemina seul vers cet appartement bien connu.
Il y passa quelques instants auprès du lit où la
femme —qu'il avait tant aimée — avait expiré en
pensant à lui, et il redescendit en proie à une
émotion qu'il ne cherchait plus à cacher 1. »
« L'Empereur, a écrit M. de Las Cases, dans le
Mémorial — disait qu'il avait été fort occupé dans
sa vie de deux femmes très différentes : l'une était
l'art et les grâces, l'autre l'innocence et la simple
nature, et chacune avait bien son prix, s On
pourrait ajouter à ce qui précède que la première
était remplie de coeur et le dévouement personnifié,
tandis que l'innocence tant vantéo de la seconde
ne fut que passagère et que, dans ce caractère
1. Aubenas, Histoirede l'impératriceJoséphine,t. II, p. 561-562.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 327
ingrat, ce ne fut jamais le dévouement, mais
l'égoïsme qui prévalut.
M. do Bausset, dans ses Mémoires, après avoir*
dit de Joséphine qu'il était impossible d'avoir plus
de grâces dans les manières et dans le maintion
ajoute encore : « Ses yeux ot.son regard étaient
enchanteurs, son sourire plein de charme; l'en-
semble de ses traits ot sa voix étaient d'une
douceur extrême; sa taillo était noble, souple et
parfaite ; — le goût lo plus pur et l'érôganco la
mieux entendue présidaient à sa toilette, ot la
faisaient paraître beaucoup plus jeune qu'elle ne
l'était en effet. Mais tous ces brillants avantages
n'étaient rien auprès de la bonté de son coeur.
Son esprit était aimable et gai; jamais elle ne
blessa l'amour-propre de personne, et jamais elle
n'eut que des choses agréables à dire; son carac-
tère fut toujours égal et sans humeur. Dévouée
à Napoléon, elle lui communiquait, sans qu'il
s'en aperçût, sa douceur et sa bienveillance, et
lui donnait, en riant, des conseils qui lui ont
été plus d'une fois utiles. Au risque de me
répéter, je dirai que, toujours prête à obliger,
elle fit connaître à Napoléon le prix de l'indul-
gence et de la bonté, et que je ne connais
personne qui puisse dire qu'elle ait refusé un
328 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
bienfait ou des secours dans tout ce qui pouvait
dépendre d'ello. Aussi les bénédictions ot les
voeux la suivirent dans son naufrage, ot plus tard
les hautes puissances do l'Europe s'ompressôrent,
par leurs hommages, de s'unir aux sentiments de
touto la nation. Plus qu'aucune femme quo j'aie
connue, ello avait ce goût do la société qui, en
général, a tant do charmes pour les femmes
aussi heureusoment partagées. La nature lui
avait donné des sentiments toujours vrais, tou-
jours bons. Peu de femmos ont eu au même
degré ce sentiment délicat qui les porte à s'oublier
elles-mêmes pour no s'occuper que de l'objet qui
leur est cher; cette patience, ce courage vrai,
cette tranquillité dans l'excès du malheur; cetto
noblesse de la bienfaisance qui répugne à toute
ostentation; ces recherches fines et ingénieuses
dans la manière de présenter le bienfait; cette
suite, cette constance, j'oserai dire, dans la
volonté d'obliger; enfin celte sensibilité qui no lui
faisait ambitionner d'autre prix que le retour des
sentiments qu'elle méritait d'obtenir 1, »
a L'impératrice Joséphine, a dit de son côté lo
duc de Rovigo, descendit du rang suprême avec
1. Mémoiresanecdoliquessur l'intérieur du palais impérial,parL. G.-F.de Bausset, t. I, p. 375.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 329
beaucoup do résignation, en disant qu'elle était
dédommagée do la porto des honneurs par la con-
solation d'avoir obéi à la volonté do l'Empereur.
Ello quitta la Cour, mais les coeurs ne la quittè-
rent point; on l'avait toujours aimée parce que
jamais personne ne fut si bonne. Sa prévenance
envers tout lo monde fut la même, étant impéra-
trice qu'elle l'avait été auparavant; elle donnait
avec profusion et avec tant de bonne grâce, qu'on
aurait cru être impoli quo do ne pas accepter : on
ne pouvait entrer chez elle sans en revenir
comblé. Ello n'a jamais nui à personne dans le
temps do sa puissance; ses ennemis eux-mêmes
en ont été protégés; il n'y a presque pas eu un
jour do sa vie où elle n'ait demandé quelque
grAco pour quelqu'un que souvent elle ne
connaissait pas, mais qu'elle savait mériter son
intérêt; elle a établi un grand nombre de familles
et, dans ses dernières années, elle était entourée
d'uno peuplade d'enfants, dont les mères avaient
été mariées et dotées par ses bontés. La méchan-
ceté lui reprochait un peu de prodigalité dans ses
dépenses; faut-il l'en blâmer? On n'a pas mis le
môme soin à compter les éducations qu'elle
payait pour des enfants de parents indigents ; on
n'a point parlé des aumônes qu'elle faisait porter
330 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
à domicile. Toute sa journée se dépensait à
s'occuper des autres, et fort peu d'elle. Tout le
monde la regretta pour l'Empereur, parco qu'on
savait qu'elle ne lui disait jamais que du bion de
presque tout ce qui lo servait. Elle fut même utilo
à M. Fouché qui avait voulu, on quelque sorte,
se rendre l'instrument de son divorce un "an plus
tôt 1. »
M. de Méneval s'exprime à son tour sur lo
compte de l'Impératrice en ces termes : ocJosé-
phine avait en elle un attrait irrésistible; elle
n'était pas régulièrement belle, mais ello avait la
grâce plus belle encore que la beauté, comme l'a
dit notre bon La Fontaine. Elle avait le mol aban-
don et la gracieuse négligence des créoles. Son
humeur était toujours égale; elle était douce et
bonne, affable et indulgente avec tout le monde,
sans acception de personnes. Elle n'avait ni un
esprit supérieur, ni beaucoup d'instruction, mais
son exquise politesse, son grand usage du monde
et de la cour et de leurs innocents artifices lui
faisaient toujours trouver, à commandement, ce
qu'il y avait de mieux à dire et à faire.
» L'Empereur l'avait beaucoup aimée et conser-
1. Rovigo,Mémoires,t. IV, p. 257.
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 331
vait pour elle un sentiment d'affection qu'avaient
fortifié l'habitude et ses attachantes qualités. On
eût dit qu'elle était née pour le rôle que lui avait
imposé l'élévation du rang où ello était montée
aveo lui. Associée à sa fortune, elle l'avait admi-
rablement secondé par l'ascendant de sa grâce,
de sa douceur et de sa bonté; elle avait épousé sa
gloire autant que sa personne. Quoique entière-
ment étrangère à la politique et aux affaires du
gouvernement, elle avait concilié à Napoléon,
autant qu'il était en son pouvoir, la faveur des
partis. Elle aimait le luxe et la dépense, plus
peut-être que n'aurait dû le permettre son humeur
bienfaisante; car cette prodigalité la mettait
souvent dans l'impuissance de satisfaire ses goûts
charitables, quoique, dans plusieurs circons-
tances, Napoléon ait généreusement réparé les
suites de sa trop grande facilité. Elle mettait,
dans sa manière d'obliger ou de reconnaître un
service, un charme et une délicatesse qui lui
gagnaient les coeurs. Elle montra, dans son
malheur, une résignation qui ne se démentit
point; ce qui aggravait le poids de sa peine, c'était
l'inflexible nécessité de se séparer de l'Empereur,
mais elle ne fut jamais négligée par lui'. »
1. Méneval,Mémoires,t. II, p. 289-200.
332 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
La plus grande partie des contemporains de
l'impératrice Joséphino ont été unanimes, on le
voit, à lui décerner des éloges mérités. Ces
éloges ont été cependant mêlés de quelques critU
quos. Ses dépenses excessives et lo cadre luxueux
dans lequel elle ne pouvait se passer de vivre ont
donné prise à ses détracteurs. On lui a également
reproché d'êtro banale dans sa manière d'obliger;
mais ce reproche cesse d'être, mérité si l'onj
considère qu'elle a beaucoup plus favorisé les
humbles, qu'enrichi los courtisans do sa puissance.
Joséphine a été de plus accusée do s'être adonnéo
à des pratiques superstitieuses autant que
puériles. Cette disposition de son esprit n'était,
dans tous los cas, de nature à nuire à personne,
et puis elle était femme, et la prophétie dont
mademoiselle de la Pagerie avait été l'objet à la
Martinique, pouvait contribuer, on en con-
viendra, à fortifier, chez elle, un pareil penchant.
On a pu voir d'ailleurs des esprits supérieurs,
dominés eux-mêmes par une imagination trop
vive, n'être pas à l'abri de ce petit travers. Il ne
devrait être permis d'altérer la ressemblance des
personnages dont on écrit l'histoire que tout au
plus pour les embellir, et non pour prêter des
torts graves et imaginaires aux êtres qui ne sont
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 333
plus! Dans les ouvrages prétendus historiques,
c'est presque toujours le contraire qui se produit;
on y cherche à dissimuler le bien et à augmenter
le mal. Un auteur dont la plume est une arme
frappe des cadavres, sans calculer qu'il ajoute aux
justes regrets des familles par ses mauvais propos;
H vaudrait mieux à la rigueur ne se montrer
injuste que pour les vivants, qui du moins ont le
moyen de faire cesser le mensonge dont on
pourrait les rendre victimes. Joséphine ne fut
peut-être pas toujours une hermine, mais elle ne
fut jamais non plus la créature dégradée qu'on
nous a trop souvent dépeinte.
Si Joséphine avait été réellement le gracieux
monstre d'hypocrisie qu'on nous a décrit dans
plusieurs ouvrages, sans en fournir d'ailleurs
aucun témoignage probant, comment se fait-il
qu'elle ait si admirablement élevé ses enfants?
Car c'est bien elle seule qui les a formés, leur père
étant mort guillotiné à une époque ou ils étaient
encore en bas âge. Comment se fait-il qu'Eugène
et Hortense aient puisé, dans les enseignements
de leur mère, un tact aussi parfait, une telle
dignité, une semblable élévation de sentiments,
qualités de premier ordre, et que bien peu de
membres de la famille, Bonaparte ont paru pos-
334 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
séder à un degré aussi éminent? Comment
expliquor le culte que les enfants de Joséphine
ont toujours conservé pour leur mère, de son
vivant aussi bien qu'après l'avoir perdue, si
l'hypothèso qui consiste à nous représenter colle-
ci comme uno des natures les plus égoïstes et les
plus perfides était véridique? Beugnot qui a
connu Joséphino et l'a souvent fréquentée,'
Beugnot que l'on s'accorde généralement à con-
sidérer comme un esprit perspicace, a jugé sin-
cère la première femme de Napoléon. La thèse
contraire qui consiste à faire de Joséphine un
être profondément faux et immoral n'a été sou-
tenue quo par quelques-uns de nos contempo-
rains, dont les assertions à cet égard ne sauraient
en aucun cas, suivant nous, posséder la valeur
du témoignage d'un mémorialiste autorisé ayant
vécu près de Joséphine. Les écrits de tous ceux
qui ont connu ot approché cette princesse sont en
effet unanimes pour nous la représenter, comme
le lecteur a pu s'en rendre compte, soûs un jour
absolument opposé à ces critiques. Tous sont
d'accord pour la déclarer foncièrement bonne,
charitable sans ostentation, dépourvue de ran-
cune et même d'aigreur vis-à-vis de ceux qui cher*
chaient à lui nuire, alors qu'il eût été si facile à
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 335
l'Impératrico d'en tirer vengeance. Que Joséphine
ait été souvent banale, dans les manifestations do
sa bienveillance coutumiôre, nous n'y contre-
dirons pas, car le métier de souverain exige,
plus quo tout autre, un certain déploiement de
paroles obligeantes et de banalités gracieuses.
Qu'elle ait été futile, dépensière, trop peu sérieuse
dans quelques circonstances graves, c'est encore
un fait malheureusement avéré ; mais qu'elle
n'ait jamais véritablement aimé ni ses enfants, ni
Napoléon son mari et son bienfaiteur, c'est là une
accusation contre laquelle protestent les conti-
nuelles preuves de dévouement qu'elle leur a
données, l'histoire en un mot de toute sa vie.
Bonne parente, plus excellente amie, Joséphine
n'a été ni fausse ni égoïste. Ce qui prouve qu'elle
n'était pas fausse c'est l'antipathie instinctive.
qu'elle éprouvait pour des caractères tels que
celui de Talleyrand; elle aimait la franchise, et
elle a contribué de la sorte à faire de son fils, le
prince Eugène, le plus droit et le plus loyal des .
personnages du premier Empire. La mère de la
reine Hortense n'a nullement, croyons-nous,
mérité, dans les grandes circonstances de sa vie,
la réputation de duplicité dont quelques auteurs
ont voulu de nos jours la flétrir. Elle s'est au
336 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
contraire montrée ferme et sincère dans ses
affections aux jours do prospérité comme aux
heures de l'épreuve et do l'adversité. Sa tendresse
infinie pour ses enfants ne s'est jamais démentie,
et ses préoccupations, jusqu'à son dernier soupir,
ne se rapportaient qu'à ce fils et à cette fille
chéris si exclusivement par elle. La relation des
derniers moments de l'existence do Joséphine
offre le témoignage éclatant de sa tendresse
maternelle; ce n'est pas à sa propre destinée
qu'elle voulait songer, dans le cours des der-
nières semaines qui ont précédé sa mort, mais ce
fut uniquement à l'avenir si gravement com-
promis de ses enfants bien aimés.
Malgré tous les reproches mérités ou immé-
rités qu'on a pu lui faire, Joséphine, dans le
souvenir du peuple, restera l'une des souveraines
les plus aimées do l'histoire de France.. Elle fut
le bon génie de Napoléon, car cette force avait
besoin d'être tempérée par cette douceur. En
.dépit des efforts des iconoclastes qui ont tenté
de mutiler les traits de la gracieuse créole, José-
phine restera la bonne Impératrice pour ceux qui
placent, au-dessus de toutes les qualités, celles
qui viennent du coeur : là mansuétude, la bien-
veillance et la bonté.
APPENDICE
En 1824 la reine Hortense et le prince Eugène
achetèrent une des chapelles de l'église de Rueil
et ils y firent élever le tombeau de leur mère. Ce
monument de marbre blanc veiné, exécuté par
Gilet et Dubuc, d'après les dessins de l'archi-
tecte Bertrand, consiste en une voûte à plein
cintre, ornée de rosaces, et supportée par quatre
colonnes d'ordro ionique, élevées sur un pié-
destal de deux mètres de hauteur. Les colonnes
sont hautes de quatre mètres et l'archivolte de
trois mètres, Le corps de l'impératrice est déposé
dans le massif du socle. Il est renfermé dans trois
cercueils, l'un de plomb, le second d'acajou et
le troisième de chêne.
Le socle porto l'inscription suivante, gravée
en creux et dorée :
A JOSÉPHINE
' EUGÈNE ET HORTENSE
1825.
22
338 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
Uno statue on marbre de Carraro, ouvrago de
Cartellier, représente Joséphino en costume de
cour. Elle est agenouillée sur un carreau près
d'un prie-Dieu beaucoup trop petit. Cette statue,
d'après lo témoignage de ceux qui ont connu
l'Impôratrico est d'une ressemblance parfaite...
Dans l'ancienne chapelle des seigneurs do
Buzonval, et dans un caveau construit sous cette
chapelle reposent les restes de la reine Hortensç,
morte le 5 octobre 1837 à son château d'Arenem-
borg sur les bords du lac de Constance, et amenéo
à Rueil par le comte Tascher de la Pagerie, son
oncle à la modo do Bretagne, le 19 novembre
do la même année.
Lo tombeau élevé par l'empereur Napoléon III
à sa mère a été terminée en 1857. Il porte l'ins-
cription :
À LA REINE HORTENSE
SON FILS
NAPOLÉON III
Nous terminerons la reproduction des pièces
annexes par la copie d'extraits de deux lettres
adressées à sa femme par le baron de Méneval,
secrétaire des commandements de l'impératrice
Marie-Louise. Ces lettros sont datées de Schon-
L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE; 339
brunn ot relatives à la mort de l'impératrice
Joséphine, dont la nouvelle était parvenue ' à
Vienne
Première lettre.
Schônbrunn, 10juin 1814.
« J'ai appris hier la triste,nouvelle de la mort
de cotte excellente impératrice Joséphine. Je n'ai
pu m'empêcher d'en témoigner mon vif regret
même à S. M. qui n'a aucun motif delà regretter,
mais qui cependant s'est montrée sensible à une
fin si prompte et si prématurée. Ce que tu
ajoutes de la maladie du prince Eugène, qui
aurait gagné le mal de sa mère en la soignant,
m'a serré le coeur. En vérité il ne manque plus
à co digne prince que d'être victime de sa piété
filiale, pour être lo modèle accompli do toutes
les vertus. »
Deuxième lettre.
Schônbrunn, 15 juin 1814.
« Tout co que tu me dis de cette parfaite impé-
ratrice Joséphine est bien d'accord avec ce que
j'on pense. Quelle destinée que celle de tout ce
qui a appartenu à l'Empereur! On est tellement
349 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.
étourdi, par le spectacle qu'on a sous les yeux,
qu'on ne fait point attention à la suite qu'il y a
dans tous ces événements. Sans vouloir philo-
sopher, on ne peut s'empêcher d^tvoip4iimagi-nation fortement saisie et effraY^e^èuf^i'avaàk.j »
- TABLE
INTRODUCTION '. |
CHAPITHB I
Naissancede Joséphine à la Martinique. — Une négresselui prédit les plus hautes destinées. — Une de ses tentes,madame de Renaudin, a l'idée de faire venir Joséphineen France. — Arrivée de cette dernière et peu de tempsaprès, célébration de son mariage avec le vicomte deBeauharnais. — Des dissentiments ne tardent pas à soproduire dans le jeune ménage. — Naissance d'Eugènede Beauharnais. — M. de Beauharnais se sépare de safemme. — Premiers symptômes révolutionnaires. —
Naissance de sa fille Hortense. — Joséphine, après un
séjour a la Martinique, so réconcilie avec son époux. • t
CHAPITRE! II
Atexandre de Beauharnais, épris des idées nouvelles,.devient un personnage politique. — Fuite de Varennes.— Beauharnais président de l'Assemblée Nationale. —
Retour d'Alexandre de Beauharnais à son métier d'offi-cier. — Il est nommé général en chef de l'armée duRhin, — 11 ne tarde pas a donner sa démission en
342 TABLE.
présence des suspicions dont il est l'objet. — Énergiquenllitudo de Joséphine pour sauver son mari incarcéré.Kilo est a son tour arrêtée et emprisonnée. — I79'i.Alexandre de Beauharnais monte sur l'échafaud le0 thermidor. — La chute de Robespierre sauve la viede Joséphine dont la condamnation avait été prononcée. 14
CHAPITRE III !
iJOG-1797.CalomniesdonfcJoséphine a été la victime, -r IPénuriedans laquelle ellese trouva par suite de la confis- jcation des biens du général de Beauharnais. — Voyage jde Joséphino et de ses enfants &Hambourg. — M. Ma- ;thiessen. — Retour &Paris. — Hortense de Bcauhornals [placée chez madame Campan. — Eugène, son frère, \
. chez,Iq général,Bonaparte. —Relations,qqi s'établissent ;'u la Buitode cette vislto entre Joséphine et Bonaparte.— Portrait de Joséphine. — Mariage de madame doBeauharnais avec le général Bonaparte. — Pas demariage religieux. — Douze jours après, départ doBonaparte pour Tannée d'Italie. — Heureuse influencoqu'exercera Joséphine sur son second mari 28
CHAPITRE IV
Joséphine devient à Paris l'objet des égards et de la con-sidération de tous. — La gloire acquise par son marisur les champs do bataille rejaillit sur elle. — Lettresdu général Bonaparte a Joséphine. — Joséphine, pourrépondre aux voeuxardents do son époux, so met en
1 route pour l'Italie. — Flfttteuso réception qui lui estréservée à Milan. — Elle habite le palais Scrbeljoni. •—Nouvcltcslettres du général Bonaparte a sa femme (col-lection Didot).— Retour de Joséphine en France aprèsavoir visité Rome,Venise et Gènes , . 42
CHAPITRE V
Retour du général et de madamo Bonaparte & Paris. —Situation exceptionnelle faite au vainqueur des armées
TABLE. 343
do l'Aulrichp. —Féto qui leurest donnée par Tallcyrand.— Propos de Girardin sur Joséphine. — Goût de celle-ci pour le luxe et la toilette. — Sa prodigalité bienconnue. — Hôtel de la rue do la Victoire. — Réceptionschez Joséphine. — Projet d'expédition en Egypte. —•Lo3 mai 1703Bonaparte part pour Toulon. — Chagrin de
. Joséphine do ne pas suivre son mari en Egypte. — Elleso rend aux eaux de Plombières. — Elle y est victimed'un grave accident. — Rapports malveillants adressésen Egypte au général Bonaparte sur la conduite de safemme. — Scène pénible entre les deux époux au retourdu général.—Elle est suivie d'une complèteréconciliation. 58
CHAPITRE VI
{700-1800.Heureux caractère do Joséphine. — Sa douceurinaltérable, sa bonté. — Elle professe en toute occasionpour Napoléonlo dévouement lo plus absolu. —Après lecoupd'Ktatdu 18brumaire, lo général Bonapartenommépremier consul. — Résidence au Luxembourg d'abord,bientôt après aux Tuileries. — Détails sur l'intérieur du
palais consulaire. —Madame deMontesson.— Perfectionoccomplio avec laquelle Joséphine remplit le rôle de
compagne du chef do l'État. — Formation d'une sortedo petite cour. — Les dépenses inconsidérées doJoséphine, source do reproches do la part de Bona-
parte. — Détails donnés par M. Aubenas et par madamed'Abrantès sur l'élégance suprême de Joséphine et sestrois toilettes 73
CHAPITRE VII
tSOMm. Paix do Lunéviltc, après tes batailles do
Marengoet de Hohenlindcn, signée ie 7 février 1801.—Mission de madame de Gulchc auprès de Joséphino etdu Premier Consul. — Insuccès de la séduisante ambas-sadrice des princes Bourbons. — Machine infernale. —Emotioncruelle de Joséphine. — Une ère de pacificationgénérale semble s'ouvrir après le traité de Lunéviltc. —Les beaux jours do la Malmaison; comédies et divertis-sements auxquels prennent part Bonaparte et Joséphine.
344 TABLE.
— Partialité do cette dernièro pour Fouchô. — Unoaccusation portée dans le Mémorialcontro Joséphino estréduite à néant par un témoignage tiré des Mémoiresdo Thibaudeau. — Louis Bonaparte; son mariage avecHortense de Beauharnais. — Paix d'Amiens, ou mois demai 1802.— Naissance du fils atné de Louis Bonaparte.— Signature du Concordat 88
CHAPITRE VIII.\
Rupture do la paix d'Amiens en 1803.— Appréhensions \manifestées par Joséphine de l'élévation toujours crois-sante de son mari et d'elle-même. — Elle n'eut jamais (beaucoup d'ambition. — Voyage du ménage consulaire jdans les provinces belges. — Lettre de Joséphine à sa ifille Hortense. — Complot do Georges Cadoudal. —
Camp do Boulogne; Immenses préparatifs do descenteen Angleterre.—Deux lettres de la correspondanceparti-culière de Joséphino. — Condamnation des principauxfauteurs du complot do Georges et de leurs complices.— Arrestation et exécution du duo d'Enghlen. — Cha-grin et regrets de Joséphine à ce sujet. — Témoignagedu prince Eugène à propos de co cruel événement ... 103
CHAPITRE IX
4504.Proclamation do l'Empire. — Le Sénat se rend encorps à Saint-Cloud pour y saluer le nouvel empereur etla nouvelle impératrice. — Discours de Cambacérès.—
Organisation de la cour et des grandes charges. —
Quelque temps avant le couronnement, graves dissenti-ments dans la famille impériale. — Joséphine sur lo
point d'être sacrifiée à la jalousto de certains membresdo la famille Bonaparte. — Arrivée du pape Pie VU àParis. — Triomphe de Joséphine, mariage religieuxsecret, cérémonieimposantedu sacre et du couronnement. 117
CHAPITRE X
Félicitations et hommages dont Joséphine devient l'objet.—Honneurs décernés à son fils Eugène. — Portrait de
TABLE. 345
celui-ci. — Nouvelle coalition. — 1805.Napoléon se meten campagne. — Ses lettres a Joséphine. — Capitulationd'UIm. — Lettre de Joséphino a, sa fille. — Nouvelleslettres de Napoléon. — Désir qu'avait toujours Joséphined'accompagner son mari et de ne pas se séparer de lui.— Arrivée de Napoléon à Vienne. — Voyage de José-
phine à Munich. — Victoire d'Austerllt* 131
CHAPITRE XI
Séjour de l'Impératrice Joséphine à Munich. — Lettres deNapoléon&celle-ci. — Paix de Presbourg. — Napoléon àMunich. — Mariage du Princo Eugène avec la fille durot de Bavière. — Satisfaction de Joséphine. — Sa lettreà sa fille Hortense à ce sujet, r- Mariage de Stéphaniede Beauharnais avec le princo de Bade. — Les frères del'empereur Napoléon créés rois. —Nouvelle lettre del'Impératrice a sa fille. — 1806. Campagne de Prusse.— Correspondances diverses entre Joséphine, Bonmari,sa fille, etc. — Désir de l'Impératrice d'aller à Berlin. 140
CHAPITRE XII
Chagrin de Joséphine de sa longue séparation d'aveol'Empereur. — Lettres de Napoléon pour la raisonner.— Jalousie de Joséphine soupçonnant l'admiration deNapoléon pour les belles dames de Varsovie. — Pre-mières craintes relatives à la possibilité d'un divorce.— RôledeFouché; son portrait. —Mort du fils atnè dela reine Hortense. — i807. Chagrin de Joséphine et desa (Rie. — Portrait d'Hortense de Beauharnais. — Vic-toires d'Eylau et do Friedland. — Entrevue et paix doTilsitt. — Retour de Napoléon — Maison de l'Impéra-trlco. —Incartade de Fouché\ il se permet, sans mandat,d'engager l'Impératrice à se prêter a un divorce. —
Napoléonà Milan.—Il adopte le prince Eugène, nommévice-roi,comme sonsuccesseur éventuel au trône d'Italie. 162
CHAPITRE XIII
{808.L'attention de Napoléon attirée sur les événements
d'Espagne. — Entrevue de Boyonnoet séjour à Marrao.— L'impératrice Joséphino obtient l'autorisation d'y
346- TADLE.
accompagner l'Empereur. — La reine Marie-Louise
d'Espagne.— Retour a Saint-Cloud pour lo 15 août. —
Entrevue d'Erfurt. — Campagne do Napoléon en
Espagne. —Lettres de Napoléon à Joséphine. — L'Au-triche adopte une attitude hostile. — Préparatifs do
guerre de l'Empereur. — Joséphine à Strasbourg. —i Légère blessure do.Napoléona Ratisbonne. — Lettres à
Joséphine pour la rassurer (collection Didot).—Rôle du
prince Eugène. — Nouvelles lettres de l'Empereur à
i'impératrice. —Victoiredo Wagram. — Armistice suivido la conclusion de la paix. — Tentative d'assassinatsur Napoléon.— Nouvellespensées de divorce ....'. 181
CHAPITRÉ XIV
{809. Préliminaires du divorce. — Cambacérès consultés'y montre contraire — Angoisses et perplexités doJoséphine. — Entretien do Napoléonavec Lavalettc. —Lo jeudi 30 novembre Napoléon laisse échapper desparoles fatales devant Joséphine. — Détails dans lesMémoiresde Bausset 107
CHAPITRE XV
Lettre du prince Eugène & Napoléon. — Arrivée de plu-sieurs souverains a Paris. — Banquet aux Tuileries. —Dernièro apparition de Joséphino en public. — Arrivéedu princo Eugène à Paris. — Conversation de Napoléonavec son fils adoptlf. — Lettre de Joséphine a Napoléon(BiographieMtchaud). — Réponse de l'Empereur. —M. do Narbonnc. — Cassation du lien religieux entreJoséphinoet Napoléon,—Alliance russe ouautrichienne.—Joséphine favorise lo mariago autrichien . ..... 212
CHAPITRE XVI
Cérémonie du divorce. — Discours des deux époux aumoment de leur séparation. — Paroles qui échappent aJoséphine. — Abattement de Napoléon en rentrant dansson cabinet. — Scène déchirante entre lui et Joséphine
TABLE. 347
dans la soirée. —L'Empereur va séjourner a Trianon.— Joséphino quitte les Tuileries pour n'y plus rentrer.— Dernier et public hommage du Sénat a Joséphine.— Napoléon va visiter celle-ci & la Malmaison. —
Napoléon écrit û Joséphine des lettres fréquentes. —Craintes do cette princesso de so voir obligéede s'éloi-gner de France. —Napoléon la rassure 223
CHAPITRE XVII
{810.Joséphinopart pour le château do Navarre. — Bruitsqu'on colportoauprès d'elle sur Napoléonet sa nouvelleépouse Marie-Louise.— Portrait do cette dernière. —Lettre cérémonieuse do Joséphine a l'Empereur. —
Réponsede celui-ci.—Nouvellelettre remplie d'effusionquo lui adresse Joséphino. — Napoléonveut qu'on con-tinue a rendre usa premierofemmelesmêmeshommages.—Lettresde Joséphinea la reine Hortense.—Elle va faireun voyageà Genèveet prendro les eaux d'Aixen Savoie.— Détails sur son séjour. — Toujours sa crainte d'êtreéloignée, par ordre, do France et sa peur d'ètro oubliéede l'Empereur 244
CHAPITRE XVIII
1811. Travaux exécutés par Joséphino a Navarre. —Existencequ'elle y mène. — M. l'abbé de Saint-Albin.— Monseigneur Bpurller évoque d'Évreux. — Luxe
royal. — Jeux et lectures lo soir. — Promenadesen voi-ture en grand apparat. — Les conversations&Navarrerapportées à l'Empereur. — Lo princo Eugène aNavarre. — Personnel do la cour*de Joséphine. — Lo
jour de l'an et l'Impératrice. — La reine Hortensechezsa mère. — La naissance du roi do Rome est annoncéeù Joséphine. — Lettres de l'Empereur a celle-ci. —
Libéralité de l'Impératrice pour le porteur du message. 201
CHAPITRE XIX
/S/2. Retourdo Joséphine a la Malmaison.— La chambroaux reliques. — Magnificencedes appartements du rez-de-chaussée. — Cambacérèset Masséna fréquentent la
348 TABLE.
Malmaison. — Récit circonstancié d'une des visites deNapoléon à Joséphine. — Grande satisfaction quel'Impératrice en éprouve.— Déjeuner et dtner à la Mal-maison. — M. de Bousset. — Madame de Montesquiouamène le roi de Rome auprès de Joséphine à Bagatelle.— Émotion de celte dernière. — La campagne deRussie décidée.—Séjour do Napoléonet deMarie-Louise ;à Dresde. — Joséphino se rend à Milan auprès de sa jhelle-fllle. — Inquiétudes mortelles de l'ImpératriceJoséphine pendant la retraite de Russie. — Le princeEugène chargé de ramener les débris de l'armée, r- |Fidélité et dévouement de Joséphine et de ses enfants |pour l'Empereur. — Deux lettres de Napoléon à sapremière femme pendant l'été de 1813(collectionDidot). t— 11lui repro e ses dépenses excessives 277 j
CHAPITRE XX
M3-1814. Campagne de France. — Joséphine en proieaux plus cruelles angoisses. — Le prince Eugène défendvaillamment le royaume d'Italie contre l'invasion autri-chienne. — Lettre de Napoléon ou roi Joseph. — Lettrede Joséphine à son fils lo prince Eugène. — Les alliésapprochant de Paris, Joséphine épouvantée se sauve &Navarro à la fin de mars. — Détails sur cette fuite. —Sombres méditations de l'Impératrice. — Uno lettre doNapoléon ne la quitte pas. — En apprenant les événe-ments de Fontainebleau et l'abdication de l'Empereur,Joséphine se trouve mal. — Paroles qu'elle prononce enreprenant ses sens. — Les souverains alliés désireuxde voir l'Impératrice revenir à la Malmaison. — Mes-
sage du duo de Bassano apporté par M. de Maussionpour informer Joséphine de l'abdication do l'Empereur.— L'Impératrice interroge avec anxiété le porteur du
message. —Accablementde Joséphine t retour &la Mal-maison. — Le prince Eugène y arrive à la fin d'avril. 202
CHAPITRE XXI
L'empereur do Russie à Paris fait demander a l'impéra-trice Joséphine do le recevoir & la Malmaison. — Leprince manifeste lo plus grand désir à'èlro utile &José-
TABLE. 349
phine et à ses enfants. — Répugnance de la reine Hor-tense à être redevable d'un service a celui qui a le pluscontribué aux malheurs de la France et de Napoléon.—
Joséphine moins réservée vis-à-vis du monarque russe;elle ne pense qu'au sort futur de ses enfants. —Craintesde Joséphine d'être expulsée de France par le gouver-nement du roi Louis XVIll. — Conseil de l'empereurAlexandre. — Joséphine au château de Saint-Leu chezsa fille au milieu de mai. — A son retour à la Mal-maison elle se sent plus triste et souffrante. —Anxiétésqui l'assiègent au sujet de l'avenir de ses enfants et dusort de Napoléon.—Sa maladie s'aggrave. —Sollicitudedu souverain russe envers la malade.— Visitesfréquentesdu czar, du roi do Prusse et de plusieurs grands-ducs. —Le 25 mai la maladie fait de grands progrès. — Douceuret résignation doJoséphine. — Elle meurt entre les brasdu prince Eugèno lo 20 mai, Jour de la Pentecôte, aprèsavoir été administrée par l'abbé Bertrand. — Il lui estfait de pompeuses funérailles. — Témoignage favorableà Joséphine tiré des souvenirs de M. de Reiset. .... 307
CHAPITRE XXII
Les deux femmes do Napoléon lui ont manqué dans sonexil. — Joséphine, si elle eût vécu, aurait certainementcherché a le rejoindre a Sainte-Hélène et a adoucir sacaptivité. — Citation de paroles attribuées au cardinalFesch sur la catastrophe qui & terminé le règne de
l'Empereur, — Récit d'une visite de Napoléon a la Mal-maison à son retour de l'Ile d'Elbe. —Jugements portéssur Joséphine par Bausset, Rovigo et Méneval. — Cri-
tiques dont la mêmoiro-de l'Impératrlco o ^^J^WT?*^Malgréces ombres légères dans le portrait dir^Wprin-, /Xcesse, Joséphine demeurera dans l'hlstolrOv$he figure oA,>souveraine digne de la popularité qui rdsta?attachée ,à. -£son nom . . J r. . 1 ;. .M 323ji
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INTRODUCTIONCHAPITRE I Naissance de Joséphine à la Martinique. - Une négresse lui prédit les plus hautes destinées. - Une de ses tantes, madame de Renaudin, à l'idée de faire venir Joséphineen France. - Arrivée de cette dernière et peu de temps après, célébration de son mariage avec le vicomte de Beauharnais. - Des dissentiments ne tardent pas à seproduire dans le jeune ménage. - Naissance d'Eugène de Beauharnais. - M. de Beauharnais se sépare de sa femme. - Premiers symptômes révolutionnaires. - Naissancede sa fille Hortense. - Joséphine, après un séjour à la Martinique, se réconcilie avec son épouxCHAPITRE II Alexandre de Beauharnais, épris des idées nouvelles, devient un personnage politique. - Fuite de Varennes. - Beauharnais président de l'Assemblée Nationale. - Retourd'Alexandre de Beauharnais à son métier d'officier. - Il est nommé général en chef de l'armée du Rhin. - Il ne tarde pas à donner sa démission en présence des suspicionsdont il est l'objet. - Energique attitude de Joséphine pour sauver son mari incarcéré. Elle est à son tour arrêtée et emprisonnée. - 1794. Alexandre de Beauharnais montesur l'échafaud le 6 thermidor. - La chute de Robespierre sauve la vie de Joséphine dont la condamnation avait été prononcéeCHAPITRE III 1796-1797. Calomnies dont Joséphine a été la victime. - Pénurie dans laquelle elle se trouva par suite de la confiscation des biens du général de Beauharnais. - Voyage deJoséphine et de ses enfants à Hambourg. - M. Mathiessen. - Retour à Paris. - Hortense de Beauharnais placée chez madame Campan. - Eugène, son frère, chez legénéral Bonaparte. - Relations qui s'établissent à la suite de cette visite entre Joséphine et Bonaparte. - Portrait de Joséphine. - Mariage de madame de Beauharnais avecle général Bonaparte. - Pas de mariage religieux. - Douze jours après, départ de Bonaparte pour l'armée d'Italie. - Heureuse influence qu'exercera Joséphine sur sonsecond mariCHAPITRE IV Joséphine devient à Paris l'objet des égards et de la considération de tous. - La gloire acquise par son mari sur les champs de bataille rejaillit sur elle. - Lettres du généralBonaparte à Joséphine. - Joséphine, pour répondre aux voeux ardents de son époux, se met en route pour l'Italie. - Flatteuse réception qui lui est réservée à Milan. - Ellehabite le palais Serbelloni. - Nouvelles lettres du général Bonaparte à sa femme (collection Didot). - Retour de Joséphine en France après avoir visité Rome, Venise etGènesCHAPITRE V Retour du général et de madame Bonaparte à Paris. - Situation exceptionnelle faite au vainqueur des armées de l'Autriche. - Fête qui leur est donnée par Talleyrand. -Propos de Girardin sur Joséphine. - Goût de celle-ci pour le luxe et la toilette. - Sa prodigalité bien connue. - Hôtel de la rue de la Victoire. - Réceptions chez Joséphine. -Projet d'expédition en Egypte. - Le 3 mai 1798 Bonaparte part pour Toulon. - Chagrin de Joséphine de ne pas suivre son mari en Egypte. - Elle se rend aux eaux dePlombières. - Elle y est victime d'un grave accident. - Rapports malveillants adressés en Egypte au général Bonaparte sur la conduite de sa femme. - Scène pénible entreles deux époux au retour du général. - Elle est suivie d'une complète réconciliationCHAPITRE VI 1799-1800. Heureux caractère de Joséphine. - Sa douceur inaltérable, sa bonté. - Elle professe en toute occasion pour Napoléon le dévouement le plus absolu. - Après lecoup d'Etat du 18 brumaire, le général Bonaparte nommé premier consul. - Résidence au Luxembourg d'abord, bientôt après aux Tuileries. - Détails sur l'intérieur du palaisconsulaire. - Madame de Montesson. - Perfection accomplie avec laquelle Joséphine remplit le rôle de compagne du chef de l'Etat. - Formation d'une sorte de petite cour. -Les dépenses inconsidérées de Joséphine, source de reproches de la part de Bonaparte. - Détails donnés par M. Aubenas et par madame d'Abrantès sur l'élégancesuprême de Joséphine et ses trois toilettesCHAPITRE VII 1801-1802. Paix de Lunéville, après les batailles de Marengo et de Hohenlinden, signée le 7 février 1801. - Mission de madame de Guiche auprès de Joséphine et duPremier Consul. - Insuccès de la séduisante ambassadrice des princes Bourbons. - Machine infernale. - Emotion cruelle de Joséphine. - Une ère de pacification généralesemble s'ouvrir après le traité de Lunéville. - Les beaux jours de la Malmaison; comédies et divertissements auxquels prennent part Bonaparte et Joséphine. - Partialité decette dernière pour Fouché. - Une accusation portée dans le Mémorial contre Joséphine est réduite à néant par un témoignage tiré des Mémoires de Thibaudeau. - LouisBonaparte; son mariage avec Hortense de Beauharnais. - Paix d'Amiens, au mois de mai 1802. - Naissance du fils ainé de Louis Bonaparte. - Signature du ConcordatCHAPITRE VIII. Rupture de la paix d'Amiens en 1803. - Appréhensions manifestées par Joséphine de l'élévation toujours croissante de son mari et d'elle-même. - Elle n'eut jamaisbeaucoup d'ambition. - Voyage du ménage consulaire dans les provinces belges. - Lettre de Joséphine à sa fille Hortense. - Complot de Georges Cadoudal. - Camp deBoulogne; immenses préparatifs de descente en Angleterre. - Deux lettres de la correspondance particulière de Joséphine. - Condamnation des principaux fauteurs ducomplot de Georges et de leurs complices. - Arrestation et exécution du duc d'Enghien. - Chagrin et regrets de Joséphine à ce sujet. - Témoignage du prince Eugène àpropos de ce cruel événementCHAPITRE IX 1804. Proclamation de l'Empire. - Le Sénat se rend en corps à Saint-Cloud pour y saluer le nouvel empereur et la nouvelle impératrice. - Discours de Cambacérès. -Organisation de la cour et des grandes charges. - Quelque temps avant le couronnement, graves dissentiments dans la famille impériale. - Joséphine sur le point d'êtresacrifiée à la jalousie de certains membres de la famille Bonaparte. - Arrivée du pape Pie VII à Paris. - Triomphe de Joséphine, mariage religieux secret, cérémonieimposante du sacre et du couronnement.CHAPITRE X Félicitations et hommages dont Joséphine devient l'objet. - Honneurs décernés à son fils Eugène. - Portrait de celui-ci. - Nouvelle coalition. - 1805. Napoléon se met encampagne. - Ses lettres à Joséphine. - Capitulation d'Ulm. - Lettre de Joséphine à sa fille. - Nouvelles lettres de Napoléon. - Désir qu'avait toujours Joséphined'accompagner son mari et de ne pas se séparer de lui. - Arrivée de Napoléon à Vienne. - Voyage de Joséphine à Munich. - Victoire d'AusterlitzCHAPITRE XI Séjour de l'Impératrice Joséphine à Munich. - Lettres de Napoléon à celle-ci. - Paix de Presbourg. - Napoléon à Munich. - Mariage du Prince Eugène avec la fille du roi deBavière. - Satisfaction de Joséphine. - Sa lettre à sa fille Hortense à ce sujet. - Mariage de Stéphanie de Beauharnais avec le prince de Bade. - Les frères de l'empereurNapoléon créés rois. - Nouvelle lettre de l'Impératrice à sa fille. - 1806. Campagne de Prusse. - Correspondances diverses entre Joséphine, son mari, sa fille, etc. - Désirde l'Impératrice d'aller à Berlin.CHAPITRE XII Chagrin de Joséphine de sa longue séparation d'avec l'Empereur. - Lettres de Napoléon pour la raisonner. - Jalousie de Joséphine soupçonnant l'admiration de Napoléonpour les belles dames de Varsovie. - Premières craintes relatives à la possibilité d'un divorce. - Rôle de Fouché; son portrait. - Mort du fils ainé de la reine Hortense. - 1807.Chagrin de Joséphine et de sa fille. - Portrait d'Hortense de Beauharnais. - Victoires d'Eylau et de Friedlaud. - Entrevue et paix de Tilsitt. - Retour de Napoléon. - Maison del'Impératrice. - Incartade de Fouché; il se permet, sans mandat, d'engager l'Impératrice à se prêter à un divorce. - Napoléon à Milan. - Il adopte le prince Eugène, nommévice-roi, comme son successeur éventuel au trône d'Italie.CHAPITRE XIII 1808. L'attention de Napoléon attirée sur les événements d'Espagne. - Entrevue de Bayonne et séjour à Marrac. - L'impératrice Joséphine obtient l'autorisation d'yaccompagner l'Empereur. - La reine Marie-Louise d'Espagne. - Retour à Saint-Cloud pour le 15 août. - Entrevue d'Erfurt. - Campagne de Napoléon en Espagne. - Lettresde Napoléon à Joséphine. - L'Autriche adopte une attitude hostile. - Préparatifs de guerre de l'Empereur. - Joséphine à Strasbourg. - Légère blessure de Napoléon àRatisbonne. - Lettres à Joséphine pour la rassurer (collection Didot). - Rôle du prince Eugène. - Nouvelles lettres de l'Empereur à l'Impératrice. - Victoire de Wagram. -Armistice suivi de la conclusion de la paix. - Tentative d'assassinat sur Napoléon. - Nouvelles pensées de divorceCHAPITRE XIV 1809. Préliminaires du divorce. - Cambacérès consulté s'y montre contraire. - Angoisses et perplexités de Joséphine. - Entretien de Napoléon avec Lavalette. - Le jeudi 30novembre Napoléon laisse échapper des paroles fatales devant Joséphine. - Détails dans les Mémoires de BaussetCHAPITRE XV Lettre du prince Eugène à Napoléon. - Arrivée de plusieurs souverains à Paris. - Banquet aux Tuileries. - Dernière apparition de Joséphine en public. - Arrivée du princeEugène à Paris. - Conversation de Napoléon avec son fils adoptif. - Lettre de Joséphine à Napoléon (Biographie Michaud). - Réponse de l'Empereur. - M. de Narbonne. -Cassation du lien religieux entre Joséphine et Napoléon. - Alliance russe ou autrichienne. - Joséphine favorise le mariage autrichienCHAPITRE XVI Cérémonie du divorce. - Discours des deux époux au moment de leur séparation. - Paroles qui échappent à Joséphine. - Abattement de Napoléon en rentrant dans soncabinet. - Scène déchirante entre lui et Joséphine dans la soirée. - L'Empereur va séjourner à Trianon. - Joséphine quitte les Tuileries pour n'y plus rentrer. - Dernier etpublic hommage du Sénat à Joséphine. - Napoléon va visiter celle-ci à la Malmaison. - Napoléon écrit à Joséphine des lettres fréquentes. - Craintes de cette princesse dese voir obligée de s'éloigner de France. - Napoléon la rassureCHAPITRE XVII 1810. Joséphine part pour le château de Navarre. - Bruits qu'on colporte auprès d'elle sur Napoléon et sa nouvelle épouse Marie-Louise. - Portrait de cette dernière. -Lettre cérémonieuse de Joséphine à l'Empereur. - Réponse de celui-ci. - Nouvelle lettre remplie d'effusion que lui adresse Joséphine. - Napoléon veut qu'on continue àrendre à sa première femme les mêmes hommages. - Lettres de Joséphine à la reine Hortense. - Elle va faire un voyage à Genève et prendre les eaux d'Aix en Savoie. -Détails sur son séjour. - Toujours sa crainte d'être éloignée, par ordre, de France et sa peur d'être oubliée de l'EmpereurCHAPITRE XVIII 1811. Travaux exécutés par Joséphine à Navarre. - Existence qu'elle y même. - M. l'abbé de Saint-Albin. - Monseigneur Bourlier évêque d'Evreux. - Luxe royal. - Jeux et
lectures le soir. - Promenades en voiture en grand apparat. - Les conversations à Navarre rapportées à l'Empereur. - Le prince Eugène à Navarre. - Personnel de la courde Joséphine. - Le jour de l'an et l'Impératrice. - La reine Hortense chez sa mère. - La naissance du roi de Rome est annoncée à Joséphine. - Lettres de l'Empereur à celle-ci. - Libéralité de l'Impératrice pour le porteur du message.CHAPITRE XIX 1812, Retour de Joséphine à la Malmaison. - La chambre aux reliques. - Magnificence des appartements du rezde-chaussée. - Cambacérès et Masséna fréquentent laMalmaison. - Récit circonstancié d'une des visites de Napoléon à Joséphine. - Grande satisfaction que l'Impératrice en éprouve. - Déjeuner et diner à la Malmaison. - M. deBausset. - Madame de Montesquiou amène le roi de Rome auprès de Joséphine à Bagatelle. - Emotion de cette dernière. - La campagne de Russie décidée. - Séjour deNapoléon et de Marie-Louise à Dresde. - Joséphine se rend à Milan auprès de sa belle-fille. - Inquiétudes mortelles de l'Impératrice Joséphine pendant la retraite deRussie. - Le prince Eugène chargé de ramener les débris de l'armée. - Fidélité et dévouement de Joséphine et de ses enfants pour l'Empereur. - Deux lettres de Napoléonà sa première femme pendant l'été de 1813 (collection Didot). - Il lui repro e ses dépenses excessivesCHAPITRE XX 1813-1814. Campagne de France. - Joséphine en proie aux plus cruelles angoisses. - Le prince Eugène défend vaillamment le royaume d'Italie contre l'invasionautrichienne. - Lettre de Napoléon au roi Joseph. - Lettre de Joséphine à son fils le prince Eugène. - Les alliés approchant de Paris, Joséphine épouvantée se sauve àNavarre à la fin de mars. - Détails sur cette fuite. - Sombres méditations de l'Impératrice. - Une lettre de Napoléon ne la quitte pas. - En apprenant les événements deFontainebleau et l'abdication de l'Empereur, Joséphine se trouve mal. - Paroles qu'elle prononce en reprenant ses sens. - Les souverains alliés désireux de voirl'Impératrice revenir à la Malmaison. - Message du duc de Bassano apporté par M. de Maussion pour informer Joséphine de l'abdication de l'Empereur. - L'impératriceinterroge avec anxiété le porteur du message. - Accablement de Joséphine; retour à la Malmaison. - Le prince Eugène y arrive à la fin d'avril.CHAPITRE XXI L'empereur de Russie à Paris fait demander à l'impératrice Joséphine de le recevoir à la Malmaison. - Le prince manifeste le plus grand désir d'être utile à Joséphine et àses enfants. - Répugnance de la reine Hortense à être redevable d'un service à celui qui a le plus contribué aux malheurs de la France et de Napoléon. - Joséphine moinsréservée vis-à-vis du monarque russe; elle ne pense qu'au sort futur de ses enfants. - Craintes de Joséphine d'être expulsée de France par le gouvernement du roi LouisXVIII. - Conseil de l'empereur Alexandre. - Joséphine au château de Saint-Leu chez sa fille au milieu de mai. - A son retour à la Malmaison elle se sent plus triste etsouffrante. - Anxiétés qui l'assiègent au sujet de l'avenir de ses enfants et du sort de Napoléon. - Sa maladie s'aggrave. - Sollicitude du souverain russe envers la malade. -Visites fréquentes du czar, du roi de Prusse et de plusieurs grands-ducs. - Le 25 mai la maladie fait de grands progrès. - Douceur et résignation de Joséphine. - Elle meurtentre les bras du prince Eugène le 20 mai, jour de la Pentecôte, après avoir été administrée par l'abbé Bertrand. - Il lui est fait de pompeuses funérailles. - Témoignagefavorable à Joséphine tiré des souvenirs de M. de ReisetCHAPITRE XXII Les deux femmes de Napoléon lui ont manqué dans son exil. - Joséphine, si elle eût vécu, aurait certainement cherché à le rejoindre à Sainte-Hélène et à adoucir sacaptivité. - Citation de paroles attribuées au cardinal Fesch sur la catastrophe qui à terminé le règne de l'Empereur. - Récit d'une visite de Napoléon à la Malmaison à sonretour de l'Ile d'Elbe. - Jugements portés sur Joséphine par Bausset, Rovigo et Méneval. - Critiques dont la mémoire de l'Impératrice a été l'objet. - Malgré ces ombreslégères dans le portrait de cette princesse, Joséphine demeurera dans l'histoire une figure souveraine digne de la popularité qui reste attachée à son nom APPENDICE