Les sites web dits « pro-ana » / « pro-mia »
Les communautés auto-gérées des personnes avec troubles alimentaires
Controverses : prôner l’anorexie ?
Censure et tentatives de législation répressive
Autonomie, désintermédiation médicale, apomédiation (Eysenbach 2008)
• Le « patient actif » (Silber 2009, Casilli 2010)
• Soutien social et santé (Berkman & Syme 1979, Berkman & Glass 2000)
• Communautés web et savoir médical (Akrich & Méadel 2009)
Cacophonie dans l’information alimentaire (Fischler & Masson 2007)
« Carrières » anorexiques et boulimiques (Darmon 2003)
Liberté d’expression et surveillance d’internet
• Censure (Casilli & Tubaro 2016)
• Vie privée (Tubaro et al. 2014)
Les enjeux de société
Notre pari : regarder les réseaux sociaux des usagers de sites web liés aux troubles alimentaires
Mettre en rapport leur structure de relations avec leurs motivations et comportements
Faire apparaître leurs relations en ligne, par rapport à leur sociabilité générale
Au delà de l’observation des sites, interroger les personnes
La « sociabilité ana-mia »
1. Questionnaire en ligne (avec générateur de noms)
2. Entretiens qualitatifs en profondeur avec un sous-ensemble de participants
Une enquête en deux temps
Invitation relayées par blogs, forums et sites d’associations
Questionnaire sur état de santé et pratiques numériques
Avec générateurs de noms
1. Questionnaire en ligne
Dans le questionnaire en ligne, une application graphique permettait aux participants de dessiner leurs réseaux personnels généraux
Insérer des connaissances, les positionner autour de soi, les lier entre elles, les grouper
Deux réseaux chacun, face-à-face et en ligne
Un générateur de noms graphique
Deux scénarii
A la fin du questionnaire, nous demandions aux participants d'imaginer :
- Un cas grave (hospitalisation)
- Un cas plus banal (perte de cheveux)
Parmi leurs contacts, à qui voudraient-ils parler dans chaque cas?
Choix parmi les personnes déjà nommées dans l’application graphique (en ligne et/ou en présentiel), avec possibilité d’en rajouter d'autres
Générer des réseaux de soutien
Un sous-ensemble (n = 37) de participants
Parcourir leurs listes de contacts et les faire parler de leur histoire relationnelle
2. Entretiens qualitatifs
Les sites « ana-mia » renforcent la sociabilité de personnes autrement isolées
Ils donnent accès à du soutien :
•« companionship » et sens d’appartenance
•information et conseil
•empathie, compréhension, encouragement
•aide concrète et matérielle
Ils offrent l’avantage de la confidentialité, restant séparés des autres contextes relationnels
1. Sociabilité et soutien entre pairs
Tubaro & Mounier 2014
Internet aide à maintenir des liens forts avec des proches et très proches (relations polyvalentes)…
… tout en permettant de créer de nouveaux liens, (faibles) avec des moins proches
Quelles relations existent sur internet ?
Problèmes mineurs (chute de cheveux) : soutien informationnel
Problèmes majeurs (hospitalisation) : soutien d’accompagnement, informationnel, émotionnel et instrumental
Quel soutien pour quels problèmes?
Face à des problèmes majeurs, on s’appuie sur des relations intimes et très proches
Par exemple, le partenaire
Ces relations sont plus à même d’offrir du soutien émotionnel ou instrumental
Elles sont présentielles ou polyvalentes
Proximixité relationnelle et soutien émotionnel
Face à des problèmes majeurs, on se tourne davantage vers des relations entretenues à la fois en présentiel et en ligne
Polyvalence et soutien
Pour les problèmes du quotidien, cette tendance est attenuée
Le soutien informationnel n’exige pas nécessairement la proximité
Il est aisément accessible en ligne – y compris parmi les moins proches
Proximité relationnelle et soutien informationnel
En présentiel, on s’appuie sur des relations individualisées, dans des espaces peu cohésifs
On s’adresse à des contacts qui n’ont pas de relations avec ses autres connaissances
On cherche ainsi à contrôler la circulation d’information sensible
Séparer ses sources de soutien
S’appuyer sur des relations individualisées
« j’ai pas envie que tout le monde soit au courant non plus, parce qu’après on sent épiée pendant lessoirées »
« [mes] amis trop proches, j’ai pas trop envie de trop les embêter avec ça. »
« et il y a cette réserve euh... qu’on a quand on connaît les... gens, en fait. »
En revanche sur Internet, les connaissances mobilisées sont plus souvent en relation entre elles (forum, lecteurs de blogs)
Elles tendent toutefois à former des structures de relations séparées les unes des autres
Mais en ligne, on peut s’appuyer sur des groupes
je suis une tout autre personne par rapport à mon blog que par rapport à Facebook. Facebook, je suiscelle que tout le monde connaît et puis le blog, c’est celle dont personne ne doute
c’est deux mondes différents, il y a les gens du forum et euh... le reste. Le reste est sur Facebook. [...] qu’est-ce qui sépare ces deux mondes ? Le fait que... ils ne soient pas au courant [...] deux mondesdifférents et... qui n’ont pas à se côtoyer
Les groupes spécialisés en ligne
Augmentent la taille des réseaux personnels (les sources potentielles de soutien)
Mais la densité des réseaux personnels reste faible – les groupes spécialisés troubles alimentaires ne se mélangeant pas aux autres contextes sociaux, en ligne (Facebook) ou présentiels (école, famille)
⇒ Accès au soutien par les pairs s’articule avec effort de protection de l’anonymat et la confidentialité
Demande importante de soins médicaux
Perception répandue d’une insuffisance des services existants
•« Déserts médicaux »
•Groupes sociaux moins bien desservis
•Manque d’accompagnement au jour le jour
⇒ Les sites web auto-gérés comme des substituts imparfaits
2. Une demande insatisfaite de services de santé
Plus de la moitié des participants ayant un trouble sont suivis médicalement
Accès aux soins perçu comme important
Pourtant, taux d’abandon (relativement) élevé
Suivi médical et usage des sites vont de pair
[Pour accueillir une nouvelle personne dans un forum] déjà, je vérifierais qu’elle est suivie. Parce que... parce que le problème, en fait, euh... quand on accueille des personnes qui ne sont pas suivies sur un forum, c’est qu’on se sent responsable d’elles et c’est pas notre rôle
Les professionnels de santé font partie des réseaux personnels
Ils sont toujours très recherchés quand on a un problème !
Effet plus fort avec petits problèmes (soutien informationnel)
⇒ Pas d’opposition entre communautés ana-mia et institutions médicales
Les professionnels de santé dans les réseaux
Doctor
Les communautés en ligne et des besoins à satisfaire
L’écoute, la compréhension : s’il y a un message qu’il faudrait faire passer, ce serait de dire aux médecins d’écouter les anorexiques et les boulimiques, ce sont pas des personnes futiles qui ne s’attachent qu’aux apparences et euh... ça cache un vrai mal-être
L’information : on avait créé un forum… enfin un blog euh... sur ça euh... pour essayer de… de mettre toutes les études américaines qui… qui sortaient là-dessus. [...] Parce qu’on avait mis un mot sur un mal et il y a beaucoup de personnes qui disaient ‘ah, c’est donc ça dont je souffre et personne me prend au sérieux’. Donc, ça a permis de recueillir des… des témoignages. Malheureusement, comme on n’était pas médecins, bon, voilà, on n’avait pas de solutions
L’aide concrète : c’est quand même nécessaire de faire savoir que… même les personnes qui ne sont pas… qui sont pas maigres ou qui ont pas besoin d’une hospitalisation en urgence sont tout aussi mal et il y a beaucoup aussi de… de tentatives de suicide à cause de ça
... je pense que, enfin… déjà, on devrait pouvoir accéder aux services anorexie, boulimie des hôpitaux, sans devoir atteindre des poids extrêmement dangereux ou avoir des problèmes de santé graves. Si euh... quand… on commence à aller mal, on nous aidait vraiment au lieu de nous dire ‘écoute, maintenant, tu vas voir un psy, tu manges mieux et puis basta’, je pense que ça pourrait aller mieux.
Pas de rejet, mais de nombreuses demandes
Revoir des idées reçues sur le phénomène « pro-ana »?
Conclusions
Les relations en ligne ne se substituent pas aux relations hors ligne, mais les complètent
Différents types de soutien sont recherchés, en fonction des types de problèmes rencontrés
Des stratégies relationnelles : élargir ses réseaux, mais séparer les groupes (en ligne), séparer les contacts individuels (en présentiel) ;
La recherche de soutien en ligne n’exprime pas un rejet des institutions médicales, mais une demande insatisfaite de soins
Merci !
Pour plus d’information: www.anamia.fr
Contact: [email protected], [email protected]
Twitter: @anamia
Akrich M. & Méadel C. (2009). Les échanges entre patients sur internet. La Presse médicale,38(10) : 1484-1490.
Berkman L.F. & Glass T. (2000). Social integration, social networks, social support, and health. In: L.F. Berkman & I. Kawachi (Eds.), Social epidemiology (pp. 137–173). New York: Oxford University Press.
Berkman L.F. & Syme S. (1979). Social networks, host resistance, and mortality: A nine-year follow-up of Alameda County residents. American Journal of Epidemiology, 109, 186-204.
Casilli A.A. (2010). Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité? Seuil.
Casilli A.A. & Tubaro P. (2016). Le phénomène « pro ana »: troubles alimentaires et réseaux sociaux. Presses des Mines.
Darmon M. (2003). Devenir anorexique. Une approche sociologique. La Découverte.
Eysenbach G. (2008). Medicine 2.0: Social Networking, Collaboration, Participation, Apomediation, and Openness. Journal of Medical Internet Research, 10(3).
Fischler C. & Masson E. (2007). Manger : Français Européens et Américains face à l'alimentation, Odile Jacob.
Silber D. (2009). Médecine 2.0 : les enjeux de la médecine participative. La Presse Médicale, 38(10):1456-62.
Tubaro P., Casilli A.A. & Mounier L. (2014). Eliciting personal network data in web surveys through participant-generated sociograms, Field Methods, 26 (2): 107-125.
Tubaro P., Casilli A.A. & Sarabi Y. (2014). Against the Hypothesis of the End of Privacy. An Agent-based Modelling Approach to Social Media. Springer.
Tubaro P. & Mounier L. (2014). Sociability and support in online eating disorder communities: Evidence from personal networks. Network Science, 2(1): 1-25.
Références