INTÉGRATION DES ÉLÈVES
HANDICAPES PHYSIQUES EN EPS
PAR CH. DORVILLÉ ET J.-P. GÉNOLINI
Si la loi Jules Ferry du 21 mars 1882 ne dispense pas les élèves handicapés de l'obligation scolaire, la loi de 1909 sur la création des classes de perfectionnement marque le début d'une ségrégation scolaire à l'égard des élèves handicapés. Ségrégation qui conduit à la prise en charge du handicapé en dehors du cadre scolaire dans le milieu hospitalier et médico-social. Ainsi, historiquement l'école n'a pas été le lieu d'accueil privilégié des enfants différents et ce notamment à partir des années 50. Depuis le milieu des années 70, on assiste à une volonté politique d'intégration de l'élève handicapé dans les classes ordinaires (loi de 1975, circulaires de 1982, 1983, loi de 1989...). Les rares données concernant l'intégration scolaire (selon Ravaud J.-F. et Triomphe A., 7 % de l'ensemble des handicapés sont scolarisés dans le milieu scolaire ordinaire), montrent qu'il existe un décalage entre le discours social, législatif et la réalité des pratiques.
Dans une perspective situationnelle, l'intégration est la capacité d'un individu à participer aux relations sociales et à les maintenir. Ainsi, pour être intégré, l'élève ne doit pas simplement faire acte de présence à l'école, mais doit s'y investir de façon active. C'est pour identifier les conditions matérielles et humaines qui déterminent son
implication que nous nous sommes intéressé à l'intégration scolaire de l'élève et plus spécifiquement à sa participation à l'éducation physique. Nous cherchons (1) donc à évaluer les conditions d'accessibilité de l'école, les modalités d'adaptation de l'enseignement face à l'hétérogénéité des élèves, les résistances psychosociologiques vis-à-vis de l'altérité... Identifier ces difficultés, c'est nous semble-t-il, déjà réfléchir aux moyens qui permettraient de les dépasser. L'étude que nous présentons ici (2) permet de cerner les résistances, les obstacles, les craintes qui s'opposent à l'objectif d'intégration des élèves handicapés physiques en EPS (handicapés moteurs et sensoriels).
Aspects méthodologiques Nous avons réalisé deux enquêtes, l'une nationale avec le concours de la D.L.C. (3). l'autre régionale avec la participation de l'Inspection Régionale en EPS (4).
L'enquête nationale, (par le biais du minitel) portait sur un échantillon de 2 009 établissements. 599 réponses ont été traitées (5). L'enquête régionale concernait l'ensemble des établissements scolaires publics ou privés de l'académie du Nord-Pas-de-Calais. Cette enquête (par voie postale) a vu le retour de 443 questionnaires (cf. tableau 1 sur la définition de l'échantillon). Notre approche est prioritairement quantitative mais les chiffres doivent être reçus et analysés avec prudence : la représentativité des répondants n'est pas validée, la définition du handicap (6) peut prêter à discussion. Les résultats permettent toutefois, d'appréhender grosso-modo les caractéristiques de l'intégration en EPS. Les stagiaires de l'Université d'automne (7). réunis sur le thème de « La contribution de l'enseignement de l'éducation physique et sportive à l'intégration des élèves handicapés, pour une meilleure insertion sociale ». ont par leurs réactions et témoignages face à la présentation de l'étude, contribué à enrichir qualitativement nos données. Ce sont donc, quelques éléments synthétiques recueillis à l'issu des débats que nous rapportons dans cette présentation.
L'élève handicapé en EPS au lycée ou au collège L'intégration scolaire dépend à un premier niveau des conditions d'accessibilité des infrastructures. Nous remarquons (tableau 2) que l'intégration scolaire ne se développe pas suffisamment pour
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1. Présentation de l'échantillon
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répondre aux espoirs qu'elle a suscités car elle ne dispose pas toujours des conditions simplement physiques qui permettent à l'élève d'accéder à l'établissement scolaire et de s'y situer utilement (accessibilité pour les handicapés moteurs, conditions d'écoute pour les malentendants, d'éclairage pour les amblyopes, etc.). Le décalage entre les équipements pour accueillir les handicapés moteurs et ceux nécessaires à l'accueil des handicapés sensoriels montre qu'il existe une perception plus grande des moyens qu'il faudrait mettre en œuvre pour les handicapés visuels ou auditifs (photocopieur, agrandisseur, machine Perkins. amplificateurs sophistiqués...), alors que le handicap moteur, si l'établissement dispose d'un ascenseur ou d'un plan incliné, ne pose pas de problème pour l'accessibilité en classe. La participation des élèves handicapés est différente selon les matières d'enseignement (tableau 3). Ils sont intégrés en priorité dans les cours de matières générales. Les raisons d'une non-participation systématique en EPS sont multiples. Tout d'abord se pose le problème d'accessibilité aux installations sportives souvent extra-muros par rapport à l'établissement. Ensuite, les problèmes de surcharge horaire (rééducation, soutien...) nécessitent de phagocyter certains cours. Enfin, on relève le problème du statut de l'éducation physique et de la compétence de ses enseignants. Dans ce sens, on ne cerne pas encore ce que pourraient apporter les pratiques motrices aux élèves surtout si on les compare avec les « pratiques médicales » du secteur rééducatif. Cette représentation erronée d'une éducation physique limitée à l'objectif santé remet en cause la légitimité de l'enseignant d'EPS quand il s'inscrit dans un champ de concurrence avec les professionnels de la santé. Si nous prenons en compte le type de handicap, nous observons (tableau 4) que les handicapés moteurs sont moins intégrés en EPS que les handicapés sensoriels. Ces derniers posent certainement moins de problèmes d'adaptation (notamment les déficients auditifs) que les élèves handicapés moteurs qui. du fait des appareillages (fauteuils, cannes...), affichent davantage leurs différences. L'enseignant doit ainsi gérer des problèmes liés à l'absence de locomotion et cer
tainement des résistances psychologiques relatives aux représentations d'un corps « marqué » physiquement. La nature de l'établissement influe aussi sur la participation des élèves handicapés. Si nous prenons l'exemple du handicap moteur, on constate une dégradation de la participation du collège au lycée et encore plus au lycée technique. On peut faire un parallèle avec les enquêtes sur les dispenses en EPS pour les élèves non-handicapés qui montrent la même tendance. N'oublions pas également que l'éducation physique est une matière corpo-centrée et que l'élève handicapé doit affronter le regard de l'autre d'où ses réticences (tableau 5). La circulaire du 30.03.94 sur l'organisation et l'évaluation des épreuves d'EPS aux examens pour les candidats handicapés physiques réaffirme « qu'ils doivent, tout comme les valides, bénéficier d'un enseignement de l'éducation physique et sportive pour voir leurs efforts récompensés lors des examens nationaux ». 84 % des établissements proposent des épreuves d'examen principalement identiques à celles que connaissent les élèves valides, alors que 16 % font des évaluations adaptées. Les raisons de cette non-adaptation des épreuves tiennent probablement à la fois dans la parution très récente de la circulaire suscitée et dans la complexité des textes précédents.
L'enseignant d'EPS et la prise en charge de l'élève handicapé L'immense majorité des enseignants d'EPS (95.5 % enquête nationale. 87 % au niveau
régional) ne se sont pas investis dans une forma-don spécialisée. Effectivement, le secteur de la réadaptation ne ligure plus parmi les épreuves du CAPEPS. Si des formations spécifiques aux APA (activités physiques adaptées) sont proposées par les universités, elles concernent peu les candidats aux concours du CAPEPS ou de l'agrégation. Compte tenu de l'ouverture des établissements aux élèves handicapés, on peut imaginer que la nécessité de trouver les réponses pédagogiques adéquates se fera de plus en plus pressante. L'accueil du handicapé dans la classe nécessite des sensibilités nouvelles telles que par exemple : apprendre à individualiser son enseignement, à éviter une relation trop fusionnelle, à gérer des problèmes de communication... Ainsi, enseigner à des élèves handicapés peut être très formateur, particulièrement en formation initiale. Si approximativement 20 % des enseignants intègrent des élèves handicapés physiques en cours d'éducation physique, les problèmes rencontrés par l'enseignant tels qu'ils apparaissent dans le tableau ne semblent pas spécifiques à la situation de l'élève handicapé physique, puisqu'on retrouvait cette hiérarchie des problèmes dans une enquête de la DLC (1990) portant sur l'EPS en général : le matériel, la préoccupation horaire et la sécurité (tableau 6). Lorsque les enseignants n'ont jamais envisagé l'intégration de l'élève handicapé, les motifs principalement évoqués sont le manque de formation, les effectifs de classe trop élevés ou la difficulté de mettre en place un programme individuel sans négliger l'ensemble de la classe, le sentiment d'incompétence qui est peut être lié au
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2. Les équipements spécifiques et les établissements scolaires
3. La participation des élèves aux matières d'enseignement 4. Type de handicap et participation aux matières d'enseignement
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manque de formation. D'une façon secondaire on remarque les problèmes d'environnement, dont l'accessibilité des installations et le matériel inadéquat, les contre-indications médicales où se cristallisent des relations de pouvoir entre les sphères médicale et éducative. Dans une moindre mesure on relève le sentiment de gêne devant le handicap. On peut faire l'hypothèse qu'un rapport au corps handicapé est vécu comme menaçant et met en jeu des mécanismes de défense. Une majorité d'enseignants sont prêts à tenter une expérience d'intégration et à se former en conséquence (tableau 7). Beaucoup d'enseignants, même peu informés, éprouvant des craintes semblent sensibilisés à ce problème et acquis à l'intégration scolaire. L'attitude générale montre donc que l'éventualité d'une intégration serait facilement envisageable.
En conclusion, la participation active d'un élève handicapé physique en éducation physique se révèle être une construction fragile, avec des limites temporelles et des choix non définitifs. Au principe même de l'intégration scolaire, il y a
l'EPS et ses valeurs : il faut chercher les moyens d'en assurer le bénéfice à un maximum d'élèves diversement handicapés. Ceci en terme de socialisation, d'acquisitions motrices, de construction et d'enrichissement de la personnalité, de réduction des situations handicapantes... D'une façon complémentaire, l'intégration d'élèves handicapés s'avère être aussi une source d'enrichissement pour l'éducation physique en lui offrant des ouvertures : les ressources corporelles de l'élève sont mises en évidence et en particulier, les possibilités de compensation, de suppléance et d'adaptation (la pédagogie de l'amblyopie souligne le rôle du sens tactile, thermique, auditif, dans l'orientation et l'acquisition d'habiletés motrices, la norme technique se trouverait relativisée...). Au-delà de l'EPS, l'intégration apporte à l'école un enrichissement dans la vie scolaire, en l'ouvrant davantage sur la société. Elle favorise alors la reconnaissance réciproque des différences et éduque à la citoyenneté.
Christian Dorville Maître de conférences.
Faculté des sciences du sport et de l'éducation physique
Université de Lille 2. Jean-Paul Génolini
Maître de conférences. Faculté des sciences du sport
et de l'éducation physique Université de Lille 2.
Notes (1) Ces interrogations représentent l'une des problématiques actuelles du laboratoire sport intégration culture (SIC). (2) Cette étude est une synthèse des principaux résultats d'un travail que nous avons présenté lors des Universités d'Automne 1994. L'élude complète est publiée dans le dossier n° 23. Éditions EP.S. (3) La Direction des Lycées et Collèges. Gérard Poncelet était responsable de la saisie des données de celte enquête télématique. (4) Ces études appuyées par l'Inspection générale et régionale, ont bénéficié du concours d'étudiants de Maîtrise APA de la Faculté des Sciences du Sport et de l'EP de Lille. (5) 30 % des établissements sélectionnés par la DEP (direction de l'éducation physique) se sont connectés. (6) Nous entendons par « élève handicape » tout élève présentant une déficience reconnue comme telle par la CDES (Commission Départementale d'Éducation Spécialisé) ou toute autre commission habilitée à reconnaître le handicap par la loi du 30 juin 1975. (7) Université d'Automne qui s'est tenue à Lille du 24 au 27 Octobre 1994 sous la responsabilité de l'Inspection générale (Eisenbeis J.) et qui a rassemblé 80 personnes (enseignants EPS. 1PR. médecins scolaires, universitaires...).
Bibliographie Bonjour P. et Lapeyre M., Handicaps et vie scolaire, l'intégration différenciée : éd. Chronique sociale, 1994. Bruant G., « L'éducation physique en milieu spécialisé : le corps et le handicap » des Amis de Sèvres n° 11, 1982, p. 103-116. Ferreol G., « Intégration et exclusion », Presses Universitaires de Lille. 1992. Génolini J.-P., Dorvillé Ch., Robert B., L'intégration scolaire en lycée et collège, la place de l'élève handicapé en éducation physique et sportive, p. 78. Actes des Universités d'Automne. Dossier EP.S. n° 23. Éd. EP.S. Lafay H., L'intégration scolaire des enfants et adolescents handicapés, la documentation française, 2e édition, 1990. Pannetier J.-D., L'intégration des enfants et adolescents handicapés en milieu scolaire normal. Réadaptation n° 325. déc. 1985. Ravaud J.-F., Triomphe A. L'intégration scolaire des enfants et adolescents handicapés moteurs : mythe ou réalité ? Revue Française des affaires sociales. n° 4. 1987.
5. Type d'établissement et participation des élèves handicapés moteurs en EPS
6. Les problèmes rencontrés par l'enseignant dans l'intégration de l'élève en EPS
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7. Le désir d'intégration de l'élève et de formation spécifique chez les enseignants d'EPS
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