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CONFLITS ET MECANISMES
DE RESOLUTION DES CRISES
A L’EXTRÊME-NORD DU
CAMEROUN
2
TABLE DES MATIERES
Acronyme………………………………………………………………………………….…..4
Liste des tableaux……………………………………………………………………………...5
Résume exécutif……………………………………………………………………………....6
Summary………………………………………………………………………………………7
Carte de localisation…………………………………………………………………….……..8
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION………………………………………………………….9
1.1 Contexte…………………………………………………………………………………..9
1.2 Justification de l’étude…………………………………………………………………..11
1.3 Objectifs…………………………………………………………………………………12
CHAPITRE 2 : REVUE DE LA LITTERATURE ET METHODOLOGIE…………...14
2.1 Définitions…………………………………………………………………………….….14
2.2 Synthèse de la littérature disponible…………………………………………………..…15
2.2.1 La terre et l’eau…………………………………………………………………15
2.2.2 Les enjeux politiques et l’ethnicité……………………………………………..17
2.2.3 Mécanismes et plateformes de résolution des conflits…………………………18
2.3 Méthodologie…………………………………………………………………………….19
CHAPITRE 3 : FONDEMENTS ET TYPOLOGIE DES CONFLITS DANS LA
REGION DE L’EXTREME-NORD……………………………………………………….21
3.1. Les conflits d’accès aux ressources……………………………………………………..21
3.1.1. Les conflits fonciers ………………………………………………………..…21
3.1.2 Les conflits agro-pastoraux et halieutiques……………………………………23
3.2 Les conflits identitaires………………………………………………………………..…25
3.2.1 Les luttes de pouvoir et la résurgence de l’ethnicité…………………………..25
3.2.2 Les conflits successoraux au sujet du pouvoir traditionnel…………………….27
3.3 Les frictions religieuses………………………………………………………………......30
CHAPITRE 4 : MECANISMES ET DISPOSITIFS CONTRE LES CONFLITS……...33
4.1 Mécanismes endogènes………………………………………………………………..…33
4.1.1 Les instances coutumières………………………………………………….…..33
4.1.2 Les comités ad hoc…………………………………………………………..…35
4.1.3 La contribution des associations communautaires……………………………..36
4.2 Les mécanismes et dispositifs exogènes…………………………………………………39
4.2.1 L’action de l’Etat…………………………………………………………….…39
4.2.2 Le rôle de la société civile…………………………………………………..….41
4.2.2.1 Le dialogue interreligieux de l’ACADIR………………………….…41
4.2.2.2 La contribution de l’Association Camerounaise pour l’Education
Environnementale à la pacification de la vallée du Logone…………………43
4.2.2.3 Les autres initiatives de la société civile……………………………...45
3
CHAPITRE 5 : ANALYSE SITUATIONNELLE………………………………………..47
5.1 Analyse situationnelle de Kousseri………………………………………………………47
5.1.1 La conflictualité d’avant crise sécuritaire……………...………………………47
5.1.2 La conflictualité induite par la crise actuelle liée à Boko Haram………………48
5.1.3 Les mécanismes de médiation…………………………………………….……51
5.1.3.1 Les mécanismes existants……………………………………….……51
5.1.3.2 Les forces des dispositifs…………………………………………..…54
5.1.3.3 Les limites des dispositifs………………………………………..…..55
5.2 Analyse situationnelle de Mora………………………………………………………..…56
5.2.1 La conflictualité d’avant crise sécuritaire…………………………………..…56
5.2.2 La conflictualité induite par Boko Haram…………………………...…………57
5.2.3 Les instances de médiation…………………………………………………….60
5.3 Analyse situationnelle de Mokolo……………………………………………..…………62
5.3.1 La conflictualité d’avant crise …………………………………………………62
5.3.2 La conflictualité induite par Boko Haram…………………………………..….63
5.3.3 Les instances de médiation…………………………………………………..…69
CHAPITRE 6 : CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS……………………….…73
Bibliographie………………………………………………………………………………....77
Liste des principaux informateurs……………………………………………………………80
Annexes………………………………………………………………………………………82
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Acronymes
ACADIR : Association Camerounaise pour le Dialogue Interreligieux
ACIC : Association Culturelle Islamique du Cameroun
ACM : Association Culturelle Mousgoum
AC-SAO : Association Culturelle Sao
BID : Banque Islamique de Développement
ADEMAT : Association pour le Développement du Mayo-Tsanaga
APLESUMAT : Association pour la Promotion de l’Excellence Scolaire et Universitaire
dans le Mayo-Tsanaga
ALVF : Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes BUCREP : Bureau Central des Etudes et de Recherche sur les populations
CBLT : Commission du Bassin du Lac Tchad
CDD : Comité Diocésain de Développement
CDSG : Comité de Développement du Sultanat de Goulfey CENC : Conférence Episcopale Nationale du Cameroun
CEPCA : Conseil des Eglises Protestantes du Cameroun
CRTV : Cameroon Radio and Television
CSIC : Conseil Supérieur Islamique du Cameroun
ECAM: Enquêtes Camerounaises Auprès des Ménages
SEMRY : Société d’Expansion et de Modernisation de la Riziculture de Yagoua
RGPH : Recensement Général de la Population et de l’Habitat
ADEMSA : Association pour le Développement du Mayo-Sava
CODAKOL : Comité de développement de l’Arrondissement de Kolofata
FAO: Food and Agriculture Organization of the United Nations
MAG: Malnutrition Aigüe Globale
OPEP : Organisation des Pays Producteurs de Pétrole
OSC : Organisations de la Société Civile
PAM: Programme Alimentaire Mondial
PDI : Projet de Développement Intégré
PDRI-CL : Projet de Développement Rural Intégré-Chari Logone
PIWL : Plaine d’Inondation Waza Logone
PLD : Pacific Logone Development
PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement
SMART: Standardized Monitoring Assessment of Relief and Transition
UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture
UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’Enfance
5
Liste des tableaux et encadrés
Tableaux
Tableau 1 : Etat de la conflictualitéinduite par les déplacés/réfugiés dans la localité de
Kousseri………………………………………………………………………………………48
Tableau 2 : Dispositifs de gestion/résolution des conflits dans la localité de
Kousseri………………………………………………………………………………………53
Tableau 3 : Etat de la conflictualité induite par les déplacés/réfugiés dans la localité de
Mora……………………………………………………………………………………...…..57
Tableau 4 : Dispositifs de gestion/résolution des conflits dans la localité de Mora…...…..60
Tableau 5 : Etat de la conflictualité induite par les déplacés/réfugiés dans la localité de
Mokolo………………………………………………………………………………….……68
Tableau 6 : Dispositifs de gestion/résolution des conflits dans la localité de Mokolo……...73
Encadrés
Encadré 1 : La crise du fleuve Logone…………………………………………...…………24
Encadré 2 : Mal gouvernance et permanence des conflits………………………...………...30
6
Résumé exécutif
A l’Extrême-Nord du Cameroun, la permanence des conflits entre les communautés est
préoccupante. Ces conflits devenus récurrents opposent les communautés ethniques, les
communautés socioprofessionnelles (pêcheurs, éleveurs, agriculteurs) ou les membres d’un
même groupe tribal. Les causes des conflits sont liées à une histoire locale tumultueuse qui
cristallise encore les frustrations. L’accès aux ressources et le contrôle des pouvoirs
traditionnels sont les principales causes de conflits. Ces conflits sont structurels et
traditionnels dans la cohabitation des communautés. Ils se manifestent par des affrontements
violents, des tensions et inimitié permanentes qui tirent leurs origines des différences
ethniques, religieuses et des modes de production. Ces différents conflits ont favorisé la
formation d’une conscience ethnique sur fond de crispations identitaires, surtout à l’occasion
des joutes électorales ou des luttes de leadership local, lesquelles ont installé dans la durée
une fracture entre ou au sein des communautés.
Le contexte d’insécurité provoquée par les attaques de Boko Haram a reconfiguré le paysage
conflictuel de l’Extrême-Nord. Aux traditionnels conflits inter/intracommunautaires,
succèdent des conflits et tensions sporadiques entre les communautés des déplacés/refugiés et
les populations d’accueil. Dans les localités de Kousseri, Mora et Mokolo (Logone et Chari,
Mayo-Savaet Mayo-Tsanaga), ces tensions couvent et peuvent dégénérer. L’exode des
populations en direction des zones plus sécurisées produit les mêmes effets conflictuels dans
le Mayo-Kani, le Diamaré et le Mayo-Danay. La suspension de toutes les activités humaines
sur le fleuve Logone engendre une crise de ressources qui mérite une attention particulière.
Face à ces conflits qui perdurent et évoluent, les dispositifs traditionnels de gestion sont
restés fonctionnels. A ceux-là, il faut ajouter les actions des associations/comités de
développement. Ces modes de gestion apparaissent cependant inefficaces dans la mesure où
ils n’intègrent pas les principaux acteurs en conflit. Les initiatives de résolution des conflits
de la société civile restent elles aussi peu pertinentes, les actions menées restant limitées au
cas par cas. Les mesures prises par l’Etat manquent de vigueur structurelle. Celles des
autorités administratives répondent dans l’urgence au besoin de maintien de l’ordre et
n’intègrent pas un cadre global de résolution permanente des conflits. Il n’existe aucun
mécanisme permanent de prévention, gestion et résolution des conflits dans la région. Il y a
lieu de mettre en place des plateformes inclusives, de renforcer les capacités des acteurs et de
véhiculer des messages de paix pour garantir la cohésion sociale.
7
Summary
Permanent inter-community skirmishes in Far North Cameroon is a source for concern. They
are recurrent conflicts pitting ethnic and socioprofessional groups (fishermen, cattle-rearers,
farmers) or members of the same ethnic group. What triggers these conflicts are past
skirmishes which still remain vivid in peoples’ minds. Access to resources and traditional
power control are the main causes of these conflicts. These skirmishes are structural and
traditional in the cohabitation of the communities. They are characterised by violent clashes,
permanent tensions and brinkmanships which are fueled by ethnic, religious and production
means. These conflicts have given rise to the construction of an ethnic consciousness against
the backdrop of identity-based frustrations, especially during political rallies or battle for
local leadership, which in the long run pave the way for conflicts between people and
communities.
The present context of insecurity emanating from the Boko Haram insurgency has reshaped
the conflictual landscape of Far North Cameroon. From time to time, conflicts betweeen
displaced communities /refugees and host populations tend to replace traditional
inter/intracommunity conflicts. In the localities of Kousseri, Mora, Mokolo (Logone and
Chari, Mayo-Sava and Mayo Tsanaga Divisions respectively), these tensions are covert and
can blast at anytime. The movement of people towards more secured areas yield the same
effects in the Mayo Kani, Diamaré and Mayo Danay. The suspension of all human activities
on the Logone river gives rise to a crisis in resources which deserves special attention.
In a bid to face these lasting and evolving conflicts, traditional structures of management
have remained operational. These methods of management, however seem to be ineffective
in so far as they do not take into account the main people involved in the conflict. Initiatives
of conflict resolution of the civil society are all the same inefficient given that they deal with
cases taken in isolation. Measures taken by the State lack stutural vigour. Those by the
administrative authorities are geared toward immidiate peace-keeping needs and do not
consider wholistic frameworks of conflict resolution. There is no permanent prevention,
management and resolution mechanism in the region. There is need to put inplace inclusive
plattforms, strenghten peoples’ capacities and spread messages of peace in order to garantee
social cohesion.
8
Carte de localisation
9
CHAPITRE PREMIER : INTRODUCTION
1.1Contexte
La Région de l’Extrême-Nord connaît un cycle de crises. Ces crises sont tributaires d’une
géographie contraignante, d’un passé qui a légué des germes de conflits et d’un faible
encadrement socioéconomique des populations. A cela, il faut ajouter les crises sécuritaires
dont la plus violente est celle due aux attaques de Boko Haram à partir du Nord-Est du
Nigeria. La montée en puissance de cette insurrection islamiste a bouleversé les équilibres
sociodémographiques et la stabilité des Etats du bassin du lac Tchad. L’usage de la terreur
par ce groupe extrémiste a engendré une violencesans précédentet installé une crise
sécuritaire durable. Jusqu’en 2012, la violence de Boko Haram était restée limitée à
l’intérieur du Nigeria, même si quelques faits d’incursions sporadiques sont enregistrés à la
frontière avec le Cameroun1. Depuis 2013, les attaques de Boko Haram se sont étendues à
l’Extrême-Nord du Cameroun avec de graves conséquences socioéconomiques2, sécuritaires
et humanitaires.
La situation critique de l’Extrême-Nord est indissociable d’un environnement régional
caractérisé par l’instabilité politique des Etats, les crises écologiques à répétition et la
pauvreté massive des populations. Dans l’Extrême-Nord du Cameroun, ces facteurs sont à
l’origine de la vulnérabilité structurelle des populations et accroissent leur vulnérabilité aux
nouvelles crises. Ce cycle de crises repose sur une pluviométrie déficitaire ou précoce qui
conduit à des réductions considérables des superficies emblavées de l’ordre de 40%. Dans
l’ensemble, entre 2001 et 2007, le taux de pauvreté s’est accru, passant de 56,3% à 65,9%3.
La région connaît le taux d’insécurité alimentaire le plus élevé du Cameroun avec 17, 8%
environ et 10,3% des ménages ruraux sont touchés4. Les indicateurs sociaux restent aussi
préoccupants malgré des efforts constatés ces dernières années. Selon le rapport de la Banque
mondiale sur la croissance économique au Cameroun, les régions septentrionales et
particulièrement celle de l’Extrême-Nord, connaissent encore un faible encadrement en
1 La première attaque de Boko Haram est enregistrée du 1O au 11 avril 2O12 dans la localité commerciale de
Banki à la frontière des deux pays. 2 Lire Saïbou Issa (dir.), Les effets socioéconomiques de Boko Haram à l’Extrême-Nord du Cameroun, Revue
Kaliao, numéro spécial, décembre 2014. 3 ECAM 2 & 3. 4 PAM, FAO, Cameroun, « Analyse globale de la sécurité alimentaire et de la vulnérabilité (CFSVA)», 2011.
10
matière d’éducation. A ce sujet, 76% des habitants sont analphabètes5. La malnutrition
perdure chez les enfants de moins de 5 ans, se situant en 2013 au stade « précaire » de la
malnutrition aigüe globale (MAG) de 8.6%6. A la pauvreté, s’ajoutent des situations de
vulnérabilitésconflictogènesà la réduction des espaces cultivables et des zones de pâturages
notamment. Entre les périodes de sècheresse, d’épidémies et d’inondations, la carte des
vulnérabilités de l’Extrême-Nord connaît une nouvelle répartition que les attaques de Boko
Haram ont accrue et reconfigurée.
Lorsque l’Extrême-Nord du Cameroun subit les premières conséquences de l’insurrection
Boko Haram au Nord-Est du Nigeria, le Nord-Cameroun en général sortait à peine d’une
longue crise sécuritaire due au phénomène des « coupeurs de route » et des prises d’otages7.
Succédant donc à cette période de crise, la secte terroriste Boko Haram s’est déployée sur le
sol camerounais par étapes. Les attaques épisodiques sur les postes frontaliers de gendarmerie
et de police dès 2012, les incursions fugaces de replis tactiques et d’approvisionnement sur
fond d’enlèvements à partir de 2013 et les attaques frontales sur les cibles militaires et les
populations civiles en 2014 constituent les principales phases de la guerre contre le
Cameroun. Les attaques s’accompagnent d’assassinats ciblés de chefs traditionnels,
d’enlèvements d’enfants, ainsi que de messages de menaces à destination des populations.
Au-delà du Cameroun, la menace terroriste s’est régionalisée à travers les attaques menées
dans le lac Tchad et au Sud-Est du Niger. Au fil du temps, l’expansion territoriale de la
menace s’est traduite par la négation de toute autorité publique, la sanctuarisation des zones
stratégiques conquises, en particulier les Monts Mandara le long de la frontière avec le
Cameroun, la forêt de Sambisa ou certains îlots du lac Tchad et la destruction des
infrastructures de base8. Cette stratégie d’expansion s’est surtout accompagnée d’un vaste
exode des populations fuyant la violence du groupe terroriste ou celle de la contre-offensive
de l’armée nigériane.
Les attaques répétées sur les populations civiles ont produit des effets dont les plus visibles
restent l’afflux des réfugiés et des personnes déplacées internes. Les chiffres sont évocateurs
de ce désastre humain perpétré par le mouvement terroriste. Selon le rapport inter-Agences
5 Banque mondiale, « Cahiers économiques du Cameroun : réexaminer les sources de la croissance, la qualité de
l’éducation de base », Washington, janvier 2014. 6 UNICEF, Enquête nutritionnelle SMART, juillet-août 2013. 7 Lire à ce sujet Saïbou Issa, 2010, Les coupeurs de route. Histoire du banditisme rural et transfrontalier dans le
bassin du lac Tchad, Paris, Karthala 8 H. Mbarkoutou Mahamat, « Expansion de Boko Haram, dépeuplement des zones frontalières et afflux des
réfugiés du terrorisme dans le Nord-Cameroun » in Bulletin d’Analyse Stratégique et Prospective, EIFORCES,
Yaoundé, n°2.
11
du HCR sur la situation dans l’Extrême-Nord, jusqu’au 25 mai 2015, la région comptait
81.117 personnes déplacées internes, 74.000 réfugiés recensés par les autorités locales dont
37.171 vivant au camp de Minawaou9. Ce mouvement des populations sous crise s’est doublé
d’une crise humanitaire générale puisque 21,9% de la population totale de la région nécessite
une assistance10.
L’afflux des réfugiés vers le Cameroun et le déplacement massif des populations internes ont
connu des trajectoires différentes. La première est celle des réfugiés nigérians. Si quelques
milliers d’entre eux ont accepté de rejoindre le camp de Minawaou, il convient de préciser
que plusieurs autres milliers s’y refusent, préférant l’accueil d’une famille proche ou amie.
12.487 réfugiés ont été identifiés hors camp en mai 2015. La deuxième trajectoire concerne
les déplacés internes. En vagues successives, les populations qui fuient leurs villages attaqués
par les assauts de Boko Haram s’installent dans les camps de fortune le long des axes
routiers. Celles qui jouissent de relations amicales ou familiales sont intégrées dans des
familles d’accueil des grandes agglomérations de l’Extrême-Nord. Les populations déplacées
internes qui s’installent ainsi de façon spontanée connaissent une cohabitation difficile avec
les communautés hôtes,ce qui engendre des conflits.
Dès lors, il est important de questionner les conditions d’intégration ou d’installation des
communautés déplacées. Dans la plupart des cas, les populations d’accueil se sont montrées
hostiles aux populations déplacées parce qu’elles redoutent de partager désormais les maigres
ressources disponibles. Cette nouvelle source de conflits vient s’ajouter à des antagonismes
existants qu’il convient de cerner pour identifier les développements consécutifs à l’arrivée
des réfugiés et des déplacés, puis examiner les modes de régulation jusque-là usités par les
pouvoirs publics, les communautés et la société civile.
1.2 Justification de l’étude
La conflictualité dans les sociétés de l’Extrême-Nord du Cameroun est récurrente. Du fait
desafaible pluviométrie qui n’optimise pas les rendements agricoles, de sa démographie
importante et d’une pauvreté rampante, la région est vulnérable aux antagonismes. Cette
vulnérabilité est entretenue par le difficile accès aux ressources vitales, à la manipulation de
l’ethnicité dans un contexte démocratiquemultipartiste et aux oppositions d’origine religieuse.
A cela, il faut ajouter une succession de crises sécuritaires dont la plus violente est celle
9 HCR, « Rapport Inter-Agences sur la situation à l’Extrême-Nord du Cameroun », 18-24 mai 2015. 10 BUCREP, « Les populations vulnérables dans les situations d’urgence. Regard sur les régions affectées par
les situations d’urgence au Cameroun », Journée Mondiale de la Population, juillet 2015.
12
induite par les attaques de Boko Haram. Cette crise sécuritaire en coursa inscrit la région dans
une perspective incertaine qui ne garantit ni la cohésion sociale, ni le développement
socioéconomique des populations.
Il est donc nécessaire que les risques de troubles sociaux induits par la crise sécuritaire soient
analysés et compris. Cet éclairage de premier niveau est un préalable à la création des
conditions favorables au déploiement de l’aide que les partenaires internationaux et diverses
organisations apportent aux personnes sinistrées dans la région. Dans cette perspective, les
antagonismes existants et les moyens visant à les résoudre doivent être évalués pour que la
cohésion sociale soit un outil au service du développement.
C’est dans cette optique que les agences des Nations Unies, divers acteurs humanitaires et les
autorités nationales font face à l’urgence de la situation et envisagent le relèvement précoce
des communautés impliquées : refugiés, PDI et les populations hôtes. Ils envisagent
également de contribuer à la construction d’une paix durable dans cette Région
multiculturelle, la plus pauvre du pays et sujette à une variété de vulnérabilités. La présente
étude s’inscrit dans le cadre du « Projet d’urgence pour le renforcement des mécanismes de
prévention des crises et le développement inclusif dans la Région de l’Extrême-Nord » et du
projet Rapid Response. Parallèlement, l’UNESCO est engagée avec la FAO et le PNUD dans
un projet conjoint d’appui au relèvement précoce des communautés affectées à l’Extrême-
Nord. L’initiative, financée par le Gouvernement Japonais, vise à renforcer non seulement
l'administration locale et la fourniture de services sociaux fonctionnels mais aussi la cohésion
sociale par l'autonomisation économique des victimes et la mise en place des mécanismes
opérationnels de prévention et gestion de conflits dans les localités de Kousseri, Mora et
Mokolo. Les deux projets souhaitent s’appuyer sur une bonne connaissance des
fondements/sources de conflits, des catégories d’acteurs impliqués et d’une évaluation
préalable des mécanismes endogènes de prévention et de gestion des conflits pour rendre plus
opérationnelles les plateformes de dialogue existantes ou à créer dans les communautés en
milieux adulte et jeune.
1.3 Objectifs
L’objectif de la consultation est de faire une synthèse des conflits et des mécanismes de
prévention, de gestion et de résolution des conflits dans la Région de l’Extrême-Nord avec
une attention particulière sur les sites ciblés (Mora, Mokolo et Kousseri). Il s’agit, pour les
zones cibles particulièrement, d’identifier les communautés résidentes (réfugiés, les
populations déplacées internes et les populations hôtes), de répertorier les conflits récurrents
qui les opposent, leurs sources, les catégories d’acteurs impliqués, les éléments de
13
remédiation, les mécanismes endogènes et innovants de prévention, de gestion et de
résolution des différends entre lescommunautés installées dans les sites d’intervention du
projet de relèvement précoce afin que l’UNESCO et d’autres acteurs s’en inspirent pour
promouvoir le dialogue inter et intracommunautaire et la cohésion sociale.
De manière spécifique, il s’agitde :
- Dresser le profil des grandes composantes sociologiques de la région avec un accent
particulier sur les communautés résidant dans les sites du projet retenus par la FAO et le
PNUD dans les localités de Mora, Mokolo et Kousseri
- Analyser la typologie, les sources et la fréquence des conflits au sein desdites
communautés avant et du fait des effets des récents mouvements de population liés à la
crise générée par les exactions de Boko Haram
- Répertorier les mécanismes et les acteurs clés endogènes (traditionnels, religieux et
administratifs) de prévention, de gestion et de résolution de conflits en soulignant leurs
forces et leurs faiblesses notamment en ce qui concerne l’approche genre et
l’implication des jeunes
- Evaluer l’apport, les forces et les faiblesses des plateformes pertinentes de la société
civile
- Proposer des actions concrètes pour la redynamisation des mécanismes existants ou à
créer avec des stratégies efficaces à opérationnaliser.
14
CHAPITRE 2 : REVUE DE LA LITTERATURE ET
METHODOLOGIE
2.1 Définitions
Les concepts de conflit et mécanismes constituent les principaux centres d’intérêts de cette
étude.
Le conflit a fait l’objet de définitions variées, à la fois par des organismes internationaux de
promotion de la paix et les universitaires. Globalement, le mot conflit désigne des
phénomènes si divers qu’il est quelque peu difficile à conceptualiser. Il vient du latin
confligere (con : ensemble ; fligere : heurter, frapper) ou conflictus (choc, heurt, lutte,
attaque). Au sens plus général, un conflit est une opposition entre deux ou plusieurs acteurs.
Il connaît une expression violente lorsqu’un acteur, individuel ou collectif, a un
comportement qui porte atteinte à l’intérêt d’autres acteurs. Selon les contextes, il implique
l’existence d’un antagonisme qui peut prendre diverses formes : un rapport entre des forces
opposées, une rivalité ou une inimitié, une guerre, etc. Il existe ainsi une échelle de la
conflictualité qui va du désaccord à la tension et à la violence, en passant par un nombre plus
ou moins grand de degrés intermédiaires11.
Dans le cadre de la présente étude, le conflit est entendu comme une opposition plus ou
moins ouverte et violente entre deux groupes de personnes ou communautés dans le but de
défendre leurs intérêts. Il oppose deux forces contraires, chacune ayant ses sentiments et ses
intérêts propres. Les conflits sont liés aux modalités économiques et sociales de l’occupation
des espaces, d’accès et de répartition des ressources, de manipulation politique sur fond de
divisions ethniques et de crispations identitaires. Ils se manifestent par l’usage de la violence,
l’inimitié constante à travers des modalités de méfiance et/ou une organisation séparée des
activités socioéconomiques. Pour la plupart, ces conflits reposent sur un terreau identitaire
fortement parsemé sur l’ensemble de la région dont les facteurs d’activation sont une parcelle
de terre, une mare d’eau à poissons, une crise de succession du pouvoir traditionnel et un
11Selon diverses sources, les conflits sont définis à partir des postures différentes. L’Université d’Uppsala parle
de conflit armé actif à condition de recenser au moins 25 victimes par année calendaire. Elle distingue les
conflits armés majeurs lorsque le nombre de morts est supérieur à 1 000 en une année, dans le cadre d’un conflit
dont au moins un des acteurs est un gouvernement. A l’inverse, l’Institut de recherche sur les conflits de
Heidelberg, qui définit les conflits à partir de trois attributs seulement : acteurs, actions et objets, ne mentionne
pas de condition de nombre.Lire à ce sujet, Uppsala Conflict Data Program (Date of retrieval: yy/mm/dd)
UCDP Conflict Encyclopedia: www.ucdp.uu.se/database, Uppsala University; Heidelberg Institute for
International Conflict Research, “Conflict Barometer”, 2014.
15
constant jeu de manipulation des identités à des fins politiques. Ces modes d’opposition
s’opèrent à l’intérieur d’une même communauté, entre les groupes d’individus défendant les
mêmes intérêts, entre des communautés de différentes identités. Yr-
Les mécanismes et les plateformes de médiation renvoient auxmodes d’action de prévention,
gestion et résolution des conflits. Plusieurs dispositifs traditionnels existent dans les cultures
des communautés en conflits. Ceux-ci sont relatifs à la justice coutumière et aux assemblées
de dialogue fonctionnant dans les cours des chefferies traditionnelles. Ils sont complétés par
l’action de conciliation des autorités administratives, les décisions des instances judiciaires et
les initiatives de médiation de la société civile. Ce sont en définitive, des méthodes internes
aux communautés ou des cadres de rencontre, de dialogue et de consensus qui mobilisent les
acteurs en conflits dans le but de trouver des solutions consensuelles.
2.2 Synthèse de la littérature
La question des conflits à l’Extrême-Nord du Cameroun a fait l’objet d’études générales et
spécifiques de la part des chercheurs universitaires ou d’institutions spécialisées et de divers
organismes en charge du développement. Suivant les centres d’intérêts particuliers, cette
littérature traite des ressources disputées, de l’ethnicité comme instrument des enjeux
politiques et des dispositifs existants de résolution des conflits dans l’Extrême-Nord du
Cameroun.
2.2.1 La terre et l’eau
La plupart des travaux sur les conflits à l’Extrême-Nord du Cameroun se situent dans le
contexte de la rupture politique des années 1990 pour expliquer leurs causes. Ils présentent
une structure ancienne de conflits dans les zones spécifiques de production. L’accès à la terre
pour la culture du coton se caractérise, depuis des décennies, par une pression et une
insécurité foncière. Les litiges qui en découlent, souvent mal résolus du fait de la
rémunération permanente qu’ils génèrent pour les instances coutumières d’arbitrage,
débouchent sur des conflits ouverts entre les producteurs de coton12. L’objet des conflits est
la terre sur laquelle la pratique de l’agriculture assure la vie des communautés paysannes. Les
terroirs chers aux agriculteurs sont aussi convoités par les éleveurs dont l’itinérance à la
recherche du pâturage détruit les champs agricoles.
Les conflits éleveurs-agriculteurs sont traditionnels et fréquents dans la région de l’Extrême-
Nord. Plusieurs chercheurs s’y sont penchés, abordant chacun les aspects dont la portée est
significative dans la permanence des conflits. Les conflits sont enregistrés pendant les
12 N. Koussoumna Libra’a, 2014, Crises de la filière coton au Cameroun : fondements et stratégies d’adaptation
des acteurs, Yaoundé, éditions Clé, pp. 241-242.
16
activités de nomadisme et de transhumance qui provoquent une lutte d’intérêts autour des
points d’eau et des espaces de pâturage réservés ou utilisés pour l’agriculture13. Dans ce cas,
la compétition pour les ressources est à l’origine des oppositions entre les communautés
pastorales et agricoles. Mais, il est notable de constater que la survenue des conflits n’est pas
toujours liée à la rareté des ressources. Plusieurs conflits sont causés par le manque
d’organisation des espaces disponibles, lequel engendre un accès anarchique favorable aux
conflits14. En dehors des Mbororo dont la transhumance permanente est conflictogène dans
les régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Est15, des communautés partageant la même
identité mais exerçant des activités différentes s’opposent aussi pour accéder ou contrôler une
ressource.
Cette structuration des conflits est similaire à celle connue entre les éleveurs arabes choa et
agriculteurs issus d’autres communautés dans la zone du delta du lac Tchad. Le recul des
eaux a favorisé la multiplication de nouvelles zones de cultures sur les abords du lac. En
même temps, s’intensifient les mouvements transfrontaliers des pêcheurs dans le sillage du
retrait du lac. Si la compétition d’accès aux ressources halieutiques est âpre dans le lac
Tchad, celle constatée dans la vallée du Logone l’est tout aussi avec une fixation sur les
mares d’eau en période sèche16. La compétition d’accès aux ressources se fait aussi par la
prédation. Le vol a constitué depuis longtemps un réel facteur de conflits entre les
communautés au point de structurer les relations entre Peul et Guiziga dans la plaine du
Diamaré17. Le vol du bétail génère des conflits intra ou intercommunautaires dans le
Diamaré, le Logone et Chari et le Mayo Danay. La revue de la littérature sur les diverses
sources de conflits dans l’Extrême-Nord fait une faible allusion à la conjoncture sécuritaire
due aux attaques de Boko Haram.
La crise sécuritaire et humanitaire consécutive aux attaques de Boko Haram, dont on sait que
l’impact sur les communautés est récessif, n’a pas modifié la configuration des conflits à
l’Extrême-Nord du Cameroun. Elle a plutôt accru leur potentiel de risques avec la pression
exercée sur les ressources disponibles. Cette perspective d’analyse n’est pas développée par
13 Christian Floret, Roger Pontanier, « La gestion des ressources locales et les dynamiques territoriales : conflits
et défis pour l’espace, l’eau, la biodiversité », in Jean-Yves Jamin, L. Seiny Boukar, Christian Floret, 2003,
Synthèse des communications sur le thème 2, Cirad – Prasac. 14 Moïse Labonne, Paul Magrong, Yvan Oustalet, « Le secteur de l’´élevage au Cameroun et dans les provinces
du grand Nord : situation actuelle, contraintes, enjeux et défis », in Jean-Yves Jamin, Lamine Seiny Boukar,
Christian Floret, 2003, Cirad, Prasac. 15 N. Koussoumna Libra’a, 2013, Les éleveurs Mbororo du Nord-Cameroun, Paris, L’Harmattan 16 Abdoulaye Djibrine, « Conflits interethniques et sous-développement dans le Logone et Chari », mémoire de
master en Sciences Sociales pour le Développement, ISS, 2014. 17Saïbou Issa et Hamadou Adama, «Vol et relations entre Peuls et Guiziga dans la plaine du Diamaré (Nord-
Cameroun) », in Cahiers d’Etudes Africaines, 166, XLII-2, 2002, pp. 359-372.
17
la littérature accessible, encore moins en ce qui concerne les mécanismes communautaires et
institutionnels de résolution des conflits. Pourtant, les recherches jusque-là menées
confirment l’itinéraire d’incertitude des réfugiés et populations déplacées de manière à les
placer dans l’orbite de sources de conflits. En adoptant la fuite comme mode d’évasion, les
communautés déplacées du Mayo-Sava et du Mayo Tsanaga qui se réinstallent sur de
nouveaux sites provoquent l’hostilité des populations d’accueil, les accusant d’occuper les
terres de cultures. La résistance et les nombreuses tentatives de survie des déplacés finissent
pas déclencher les conflits. L’insécurité causée par Boko Haram n’a pas seulement engendré
une pression sur les ressources naturelles, elle a, par ailleurs, fortement réduit les sources de
revenus des populations. Toute chose qui accroit le désœuvrement des populations et une
compétition sur les rares domaines encore survivants de l’économie. L’île de Kofia offre une
illustration de cette modification des itinéraires d’accumulation du fait de l’insécurité au
profit d’un modèle de survivance réduit à quelques activités18. Aux causes structurelles des
conflits, il faut ajouter les causes conjoncturelles.
2.2.2 Les enjeux politiques et l’ethnicité
Plusieurs travaux se sont concentrés sur les nouvelles formes de conflits que l’ouverture
démocratique a favorisées dans les années 1990. Il ne s’agit pas d’une cause directe de
conflits, mais il apparaît que les jeux d’intérêts politiques se sont appuyés sur le vote
ethnique. L’ouvrage de Saïbou Issamontre à cet effet que la mobilisation des communautés
Arabes Choa et Kotoko dans la perspective des premières élections législatives multipartites
dans le département du Logone et Chari a considérablement instrumentalisé l’ethnicité19. Les
affrontements de 1992 entre les deux communautés sont l’aboutissement violent d’une
longue période d’inimitié. Bien que l’opposition entre Kotoko et Arabes Choa soit ancienne
et latente, empruntant les voies de l’autochtonie et de l’allochtonie, les deux communautés ne
sont jamais arrivées à un niveau de confrontation aussi violente qu’en 1992. Pourtant,
certains travaux insistent sur le rôle négatif de la colonisation européenne dans
l’instrumentalisation de l’ethnicité et la division des communautés Kotoko et Arabes Choa
pour mieux régner. De cette posture critique, se dégagent les premiers agrégats d’une scission
structurelle entre les deux communautés. Le déclassement politique des Arabes Choa au
bénéfice de Kotoko, adoubés par le pouvoir du Président Ahmadou Ahidjo avait renforcé le
sentiment d’exclusion des premiers. Le changement des paradigmes politiques dans le
18 Koultchoumi Babette, « Boko Haram au lac Tchad : la vie socioéconomique de Kofia à l’épreuve de
l’insécurité », in Revue Kaliao, volume spécial, novembre 2014, pp. 118-135. 19Saïbou Issa, 2012, Ethnicité, frontières et stabilité aux confins du Cameroun, du Nigeria et du Tchad, Paris,
L’Harmattan.
18
Logone et Chari à la faveur de l’ouverture démocratique, dont on sait que le divorce entre
l’ancien président et son successeur a profité aux Arabes Choa, a redistribué les cartes20. Les
événements violents qui vont se succéder en 1992 dénotent d’une haine tribale pour le
contrôle du pouvoir politique, en même temps qu’ils constituent un réel obstacle au processus
de développement de la localité21.
De nombreux conflits sont constatés dans le registre de la succession au sein du pouvoir
traditionnel. Ils s’inscrivent dans deux contextes. Le premier est lié à l’extraversion des
rituels de succession qui ne respectent plus l’orthodoxie traditionnelle. Le contrôle de
l’institution cheffale au Nord-Cameroun par l’autorité administrative a bouleversé l’équilibre
des instances de désignation et la généalogie des successeurs. Cette intrusion qu’on peut
mettre à l’actif des allégeances recherchées par le pouvoir politique, crée des tensions et
conflits, soit entre les clans d’une même communauté, soit entre les individus d’une même
famille. Le deuxième contexte de conflit est le processus migratoire de certaines
communautés qui, au bout de quelques décennies d’établissement, revendiquent une
légitimité traditionnelle. La question des peuples autochtones, propriétaires des terres
rencontre dès lors l’aspiration des allogènes à se soustraire de l’autorité des premiers. Ces
oppositions ont généré plusieurs conflits dans la vallée du Logone. Les différentes formes de
conflits ainsi recensées font l’objet d’un encadrement multiforme.
2.2.3 Mécanismes et plateformes de résolution des conflits
Si de nombreux mémoires académiques ont abordé ces sujets, il reste que les méthodes de
gestion des conflits ont rarement fait l’objet d’études spécifiques. On sait qu’en Afrique, il
existe une gamme variée de modes endogènes de résolution des conflits. Les pratiques
dissuasives, les alliances sacrificielles, les sociétés secrètes et le rôle des leaders constituent
les formes majeures d’action et d’institutions de prévention des conflits. Quant à la
résolution, elle repose sur les faiseurs de paix (plénipotentiaires, négociateurs, médiateurs) et
surtout la palabre22. Ces différents niveaux d’institutions et d’actions en faveur de la paix sont
observables dans toutes les sociétés traditionnelles d’Afrique noire.
20 A. Sopca, « l’hégémonie ethnique cyclique au Nord-Cameroun », in Afrique et développement, Vol. XXIV,
Nos 1-2, 1999. 21 Alawadi Zelao, « Conflictualité interethnique et régression scolaire dans la ville de Kousseri au Nord-
Cameroun », Communication au Colloque International Education, Violences, Conflits et perspectives de paix
en Afrique, Yaoundé, 6 au 10 mars 2006. 22 Thierno Bah, « Les mécanismes traditionnels de prévention et de résolution des conflits en Afrique noire », in
Les fondements endogènes d’une culture de la paix en Afrique : mécanismes traditionnels de prévention et de
résolution des conflits, Paris, 2003
19
Dans les sociétés traditionnelles de l’Extrême-Nord, ces mécanismes existent et fonctionnent
selon la considération que leur vouent les populations. Les cadres de médiation sont la justice
traditionnelle qui est intégrée au système traditionnel du pouvoir, la diplomatie traditionnelle,
les alliances matrimoniales, la contribution des fêtes et les rites traditionnels, le recours à la
médiation et au dialogue23. Il faut cependant noter que ces instances connaissent un
fonctionnement minimal du fait des influences diverses, de l’existence d’autres outils de
médiation, de l’action des autorités étatiques.
2.3 Méthodologie
La conduite de l’étude a reposé sur trois étapes essentielles.
La préenquête et l’analyse documentaire a consisté en les étapes suivantes :
- L’identification des sources d’informations ;
- Une revue sommaire de la littérature existante sur les conflits et leurs modes de résolution
dans la Région de l’Extrême-Nord en général et particulièrement dans les zones affectées par
les attaques de Boko Haram ;
- Une consultation des documents administratifs relatifs aux comptes rendus de conflits et de
leur gestion ;
- L’élaboration des outils d’enquête ;
- La production du présent rapport.
Les enquêtes de terrain ont permis de collecter les données empiriques en tenant compte de
la spécificité de la zone d’étude, de l’opérationnalité des outils méthodologiques, de
l’échantillonnage et des procédés d’analyse.
La zone d’étude couvre toute la Région de l’Extrême-Nord, avec un ancrage sur les sites
d’occupation des communautés déplacées des localités de Mokolo, Mora et Kousseri. La
physionomie générale des conflits a fait l’objet d’une attention particulière, tout comme les
mécanismes existants de prévention, gestion et résolution des conflits. La conduite des
enquêtes sur les trois sites du projet Rapid Response s’est principalement focalisée sur 24
localités à Mokolo, 34 localités à Mora et 26 à Kousseri. (Confère la liste des localités en
annexe).
Sur les sites du projet Rapid Response, l’étude a privilégié l’identification des sites effectifs
d’occupation des communautés déplacées, l’analyse des interactions avec les populations
d’accueil, la cohabitation des différentes communautés, les modes d’accès aux ressources
23 D. Bachirou Tirlé et al., « Mécanismes traditionnels de résolution des conflits dans l’Extrême-Nord (XIXe-
XXe siècle) », mémoire de DIPES II, ENS de Maroua, 2010
20
vitales, les points de conflits, les mécanismes endogènes et les modes extérieurs de
prévention et gestion des conflits, les cadres appropriés (plateformes) de résolution.
Les outils d’enquête sont les questionnaires, les guides d’entretien et le focus group
discussions. L’administration de ces outils de collecte des données s’est déployée dans le
cadre d’une répartition des enquêteurs en trois équipes, conformément aux trois sites retenus.
Outre le consultant, d’autres enseignants de l’Université de Maroua ont été associés au
processus de collecte de données en synergie avec l’équipe de recherche du Pr. Saibou Issa,
ce dernier assurant la supervision de la tâche.
La population générale de l’étude est celle de la Région de l’Extrême-Nord, la cible étant
constituée des déplacés internes et des populations hôtes, acteurs communautaires, autorités
traditionnelles, administratives, communales, les responsables des associations de
développement et de la société civile. La technique d’échantillonnage retenue est celle non
probabiliste de choix raisonné afin de privilégier les données qualitatives.
Selon les types d’acteurs identifiés,
- Les guides d’entretien ont été adressés aux autorités administratives (6 Préfets et 08
sous-préfets), 12 chefs traditionnels de 1er et 2e degrés des zones d’accueil (Sultans,
Lamibé, Chefs de cantons), 54 chefs de 3edegré (Lawans, Blamas et Djaouros selon
les cas), 09 chefs des communautés déplacées, plusieurs responsables étatiques
d’encadrement des populations sous crise, des acteurs humanitaires, des responsables
d’associations tribales et de développement local. Ils ont été aussi adressés à certaines
élites locales impliquées dans les conflits et leur résolution, aux associations de la
société civile opérant dans le dialogue interculturel et la résolution des conflits.
- Les questionnaires ont été adressés aux populations d’accueil et aux membres des
communautés déplacées. Une attention particulière a été portée sur les femmes et les
jeunes issus desdites communautés à travers 08 focus group.
- L’étude a également fait recours à l’observation en tant que méthode essentielle de la
compréhension des dynamiques collectives sur les sites. Elle a été utilisée tout au long
de l’enquête de terrain, même si la saison des pluies a dispersé plusieurs déplacés,
obligés de trouver refuge dans les familles d’accueil.
Les procédés d’analyse ont suivi une démarche diagnostic-description-évaluation-
perspectives. Ceci a permis de cerner les problèmes, de saisir leur portée en termes
21
d’interactions sociales et la participation aux œuvres collectives de développement, puis la
formulation de recommandations.
La production des résultats est renforcée par des illustrations. De façon générale, il a été
organisé une restitution interne du rapport avec l’équipe pluridisciplinaire de recherche
coordonnée par le Pr. Saibou Issa. Cette étape a permis de valider les données analysées et
d’engager le processus de consolidation du rapport d’étape.
22
CHAPITRE 3 : FONDEMENTS ET TYPOLOGIE DES
CONFLITS DANS LA REGION DE L’EXTREME-NORD
La physionomie des conflits dans la Région de l’Extrême-Nord présente des tendances très
variées. Les cas d’étude que ce chapitre présente correspondent aux différents types de
conflits qui persistent et qui ont donné lieu à diverses formes de gestion.
3.1. Les conflits d’accès aux ressources
Ils sont les conflits les plus fréquents dans la région. On identifie les conflits fonciers et
identitaires et les frictions religieuses.
3.1.1. Les conflits fonciers
Les conflits fonciers sont des oppositions ouvertes et parfois violentes qui ont pour cause un
espace, une parcelle de terre. Les espaces disputés sont destinés à l’agriculture ou à l’élevage,
à l’habitation ou considérés par une communauté comme faisant partie de son patrimoine
historique. Les conflits surviennent lorsque les parties en présence revendiquent la possession
de la terre disputée. La mécanique de ce type de conflits connait une progression qui débute
par des tensions sporadiques. La radicalisation des deux camps conduit le plus souvent à
l’affrontement. La persistance du conflit résulte généralement de l’intérêt saisonnier lié à
l’espace disputé (agriculture, pêche, élevage) ou à la mauvaise gestion d’un conflit.
Conflit Kotoko-Mousgoum/Massa à Kousseri en 2015
Déjà marquée par les conflits passés entre Kotoko et Arabes Choa, la ville de Kousseri a
enregistré depuis quelques mois une vague de violence entre Kotoko et Mousgoum. La cause
du conflit est le partage d’une parcelle de terre de près de 500 hectares, située à Kawadji,
concédée par le Gouvernement du Cameroun au HCR afin d’accueillir les réfugiés tchadiens
lors de la guerre civile tchadienne qui éclate en 1979. Avec la stabilité retrouvée du Tchad,
l’Etat du Cameroun décide de retourner l’espace à l’usage des populations dans le cadre
d’une répartition fondée sur les équilibres des groupes ethniques historiquement établis. En
dépit des rencontres consensuelles de partage et les mesures de sensibilisation prises par les
pouvoirs publics, certaines communautés et groupes d’individus contestent les termes de la
répartition entre les communautés Kotoko, Arabes Choa, Mousgoum et Massa, la commune,
le sultanat de Kousseri et l’Etat. Les conflits survenus sur le site entre Kotoko et
Mousgoum/Massa le 4 juin 2015 résultent des contestations des uns et des autres. Selon le
Maire de Kousseri, les luttes autour du terrain de Kawadji illustrent bien la résurgence du
communautarisme ethnique et une crispation profonde des identités.
23
3.1.2 Les conflits agro-pastoraux et halieutiques
Les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont les plus observés à l’Extrême-Nord du
Cameroun. Même s’ils ont connu une baisse à cause de la sédentarisation progressive des
éleveurs pasteurs et de l’aménagement des corridors de transhumance, ces conflits
connaissent de nouvelles modalités qui donnent lieu à des conflits récurrents.
Les conflits internes entre agriculteurs, éleveurs et pêcheurs
Ces conflits sont régulièrement enregistrés à l’intérieur des communautés d’agriculteurs,
d’éleveurs ou de pêcheurs. Pour les conflits entre agriculteurs, ils résultent de l’extension des
surfaces cultivables, due à la pression démographique et à l’appauvrissement des sols. On les
rencontre dans toute la Région de l’Extrême-Nord. En ce qui concerne les conflits entre
éleveurs, ce sont la rareté et l’indisponibilité des ressources en eau et en fourrage qui
accentuent les rivalités entre agro-éleveurs (qui sont par ailleurs semi sédentaires) et les
éleveurs transhumants. Ce type de conflit est prégnant dans le Mayo-Kani, Mayo-Danay et la
plaine inondable du Logone. Les conflits entre pêcheurs restent récurrents aux abords du
fleuve Logone. Face à la diminution des eaux des cours d’eau qui alimentent le lac Tchad et à
la rareté des poissons, les pêcheurs inventent des dispositifs d’accumulation, à l’instar du
creusage anarchique des canaux de pêche, qui débouchent sur des oppositions violentes..
Conflits récurrents entre éleveurs et agriculteurs dans le Mayo-Kani
Les cantons de Kaélé, Midjivin et Boboyo dans le département du Mayo-Kani connaissent
une recrudescence des conflits entre agriculteurs et éleveurs nomades.Initialement, le
département du Mayo-Kani est par excellence une zone d’élevage avec un cheptel de 85 414
bovins et 106 389 caprins24. Il regorge aussi d’énormes potentialités pastorales, notamment
les grands parcours, les points d’eau d’abreuvement et de nombreux marchés à bétail. Ces
atouts auxquels il faut ajouter l’aménagement des aires protégées avaient sensiblement fait
baisserles conflits entre agriculteurs et éleveurs. Pourtant, face à la montée de l’insécurité aux
frontières avec le Nigeria, les éleveurs peuls et d’autres originaires du Nigeria et du Niger, se
sont établis sur ces espaces aménagés de pâturage. La saturation de l’espace qui est dueà
l’insuffisance du pâturage et de points d’eau, conduit les bêtes à divaguer et à endommager
les espaces agricoles aménagés et cultivés des populations locales. C’est le cas du domaine
protégé de Lamtari dans le canton de Kaélé qui connait une saturation animale. En plus de la
divagation des bêtes, plusieurs cas de vols sont constatés et exaspèrent les communautés
hôtes et d’accueil qui s’accusent mutuellement. Selon le premier adjoint préfectoral du Mayo-
24 Communication de Ousmanou, Maire de la commune de Kaélé, Colloque sur le développement économique
local dans le contexte de la décentralisation, Yaoundé, 12-14 mars 2013
24
Kani, plusieurs rixes ont été enregistrées qui témoignent d’une montée de tensions entre
communautés Moundang, Guiziga et Toupouri contre les éleveurs nomades. A cause de
l’insécurité à la frontière avec le Nigeria et à la frontière avec la RCA, les zones de parcours
des éleveurs sont réduites. Les villages Djidoma, Piwa, Berkedé, Doumourou, Garey,
Tchiodé, Minjil et Moumour sont les plus concernés par ces conflits.
Conflit halieutique entre Kotoko et Mousgoum autour de la mare de Tcikam en
2007
Victimes quotidiennement des affres d’un climat « violent » (sècheresse aigue à partir du
mois de février et inondations en saison pluvieuse), d’un enclavement limitant la mobilité
économique et d’une cohabitation difficile avec le parc national de Waza, les populations
Kotoko et Mousgoum du district de Zina se ressourcent clandestinement au parc.
SelonMAHAMAT ZIBRINE, Expert CBLT, ancien président de l’association culturelle des
Kotoko, AC-SAO, la régularité de ce type de conflit est due à l’absence d’une gestion
cohérente et efficiente des ressources existantes et de défaut d’un plan de sauvegarde ou de
rationalisation d’usage. La mare artificielle de Tcikam, réservée au breuvage des animaux
sauvages, a été au centre de violents affrontements entre les deux communautés. Les
échauffourées qui débutent le 4 janvier 2007 autour de la mare embrasent toute la localité.
En colonnes dressées et armés de flèches, lances et armes à feu, Mousgoum et Kotoko
s’affrontent dans plusieurs villages. Des attaques aux représailles, les affrontements qui se
déroulent du 4 au 10 janvier dans les villages Tchédé, Sesena, Fichna, Dague, Karti, Dougue
et Zina font plus de 10 morts selon un bilan officiel. Selon le chef de canton Kotoko de Zina,
Encadré 1 : La crise du fleuve Logone Depuis de début de l’année 2015, le fleuve Logone est suspendu d’activités humaines.
Une suspension qui fait suite aux craintes que le fleuve serve de voie de passage aux
terroristes de Boko Haram, désireux d’attaquer le Tchad. Selon toute vraisemblance,
cette suspension unilatérale du Tchad a plongé les localités riveraines dans la crise.
L’arrêt de la pêche prive les pêcheurs de ressources alimentaires et des revenus
nécessaires à leur épanouissement. Les populations riveraines, en saison des pluies, sont
piégées dans les villages d’autant plus que le fleuve constituait une voie navigable qui
desservait plusieurs villages entre Pouss dans le Mayo-Danay et Kousseri dans le
Logone et Chari. Loin du champ des crises aux frontières du Cameroun et du Nigeria,
les abords du Logone subissent, au même titre que les zones sous crise de l’Extrême-
Nord, les conséquences de la crise sécuritaire. Cette situation de vulnérabilité accentue
la pression sur les ressources et provoque des tensions inter-villages. Ces tensions sont
aussi perceptibles entre les populations locales et celles déplacées intégrées dans les
familles. Il urge d’y prêter attention.
25
ces affrontements ont renforcé la fracture entre les deux peuples depuis les conflits de 2006
au sujet de la succession à la chefferie de Lahaye. Ce type de conflit pourrait se multiplier si
la crise que connait le fleuve Logone perdure.
3.2 Les conflits identitaires
Ils concernent les oppositions ouvertes sur diverses questions,motivées par l’appartenance
ethnique. La notion d’identité renvoie au référent tribal qui s’exprime par la revendication ou
la défense plus ou moins violente d’une cause que des individus partageant la même identité,
jugent immuable. A l’Extrême-Nord, ces conflits sont observés entre deux ou plusieurs
groupes ethniques opposés ou à l’intérieur du même groupe.
3.2.1 Les luttes de pouvoir et la résurgence de l’ethnicité
Les conflits de type identitaire ont connu un accroissement à la faveur de l’ouverture
démocratique. Ils surviennent dans un contexte où les oppositions longtemps larvées entre les
communautés n’ont jamais été résolues. La plupart des conflits identitaires dans cette partie
du pays ont des causes historiques et des facteurs conjoncturels.
En réalité, l’histoire du Nord-Cameroun en général est marquée par l’empreinte de la
colonisation peule. Le djihad lancé par Usman Dan Fodio en 1804 que Modibbo Adama
relaie avec ses guerriers dans le Fombina (partie méridionale), aboutit à la colonisation
violente d’une grande partie du Nord-Cameroun. Les différents lamidats qui existent au
Nord-Cameroun retracent l’itinéraire de ce grand mouvement dont les conséquences ont
considérablement bouleversé les équilibres des peuples autochtones. En occupant dès 1900 le
Nord-Cameroun, les colonisateurs Allemands, puis Français à partir de 1916, font des Peuls
les adjuvants de leur processus d’administration. Ce qui va installer une profonde fracture
ethno-confessionnelle entre les peuples dits islamo-peuls et ceux dits Kirdi, christianisés ou
restés animistes. Ces clivages vont se renforcer avec le maintien du statu quo, c’est-à-dire de
l’influence au Nord-Cameroun des islamo-peuls, à l’instar des Kotoko et Mandara par le
Président Ahmadou Ahidjo, même si, pour des raisons personnelles et de sauvegarde de son
régime, le premier Président du Cameroun a gardé une distance bienveillante avec les lamibé.
L’arrivée de Paul Biya à la magistrature suprême est présentée par les peuples qui se sont
sentis longtemps méprisés, comme un espoir de renaissance. En restaurant la démocratie au
début des années 1990, le Président Biya redistribue les cartes sur le plan politique. Dès lors,
sur fond de revanche et d’arithmétique démographique, plusieurs groupes ethniques tentent
de s’affirmer.
L’ouverture du Cameroun à la compétition multipartiste met en avant le rôle prépondérant de
l’ethnicité dans le jeu politique. En faisant de la communauté ethnique le chenal par lequel est
26
revendiquée la redistribution ainsi qu’un instrument d’accumulation25, certains groupes
ethniques comme les Arabes Choa et les Mousgoum trouvent des voies d’affirmation dans un
contexte local où leurs préoccupations sont restées longtemps secondaires. Les revendications
des élites et des populations se concentrent pour l’essentiel sur la tribu avec la rédaction des
memoranda26, l’affirmation de la légitimité des pouvoirs traditionnels non reconnus, la
compétition d’accès aux ressources foncières ou la survenue d’un incident de fait divers
constituent alors des facteurs de déclenchement de conflits. C’est le cas du conflit Arabes
Choa-Kotoko de 1992 à Kousseri.
Conflit Arabes Choa-Kotoko de 1992 à Kousseri et ses suites
Le conflit violent entre Kotoko et Arabes Choa procède d’un bouleversement des conditions
de contrôle de pouvoir qui ont jusque-là prévalu dans le département du Logone et Chari.
Longtemps mis en marge des voies d’accès au pouvoir par un système monolithique au
bénéfice des Kotoko qui contrôlaient, avant 1990, tous les rouages des pouvoirs traditionnels
et modernes, les Arabes Choa trouvent en le multipartisme, une arme d’affirmation. Le
contexte de ce passage à la suprématie est les élections législatives de 1992, les premières du
genre dans le département. Les Arabes Choa sont majoritaires et adhèrent massivement au
RDPC, le parti au pouvoir. Les Kotoko, encore nostalgiques de la logique dominante héritée
de l’ère Ahidjo, se mobilisent massivement au sein de l’UNDP, un parti d’opposition27.
Ces antagonismes qui, au-delà de la ville de Kousseri, opposent des villages et des groupes de
villages débouchent sur une réappropriation locale des motifs de conflits dont les plus
courants sont les problèmes de pâturages ou de terrains de cultures, l’emplacement d’un
marché, les représailles après une opération des coupeurs de route attribuée à un village
voisin28. Malgré l’intervention de l’armée, le bilan de ces affrontements se solde par
d’importantes pertes matérielles, une soixantaine de morts selon diverses sources.
Au-delà des faits, ce conflit illustre bien que le renversement des rapports de force politiques
dans le département du Logone et Chari a principalement utilisé l’ethnicité. Cette
instrumentalisation a profondément clivé les relations entre les deux groupes, installant dans
la durée une tension latente. Selon le Maire de Kousseri, si les Kotoko et les Arabes Choa
25 Ibrahim Mouiche, « Ethnicité et multipartisme au Nord-Cameroun », African Journal of Political Science,
Vol. 5, no 1, 2000, p. 46-91. 26 Il faut dire que depuis 1990, les revendications ethno-régionales ont été massivement enregistrées au Nord-
Cameroun sous la forme des memoranda. Lire Melchesedek Chétima, « Démocratisation et explosion des
revendications ethno-régionales au Cameroun : Des relations complexes entre démocratie et ethnicité », in
L’Œil du Sahel, n°662, 15 décembre 2014. 27 Saïbou, Issa, « Arithmétique ethnique et compétition politique entre Arabes Choa et Kotoko dans le contexte
de l’ouverture démocratique au Cameroun », Africa Spectrum, vol. 40, no 2, 2005, p. 197-220. 28Saïbou Issa, 2012, p.113.
27
cohabitent aujourd’hui dans une sorte de paix des braves, c’est plus à cause des divisions
internes qui minent chaque communauté qu’une volonté manifeste d’enterrer la hache de
guerre. Ces divisions internes qui sont animées par une élite avide de pouvoir, ont affaibli la
capacité de mobilisation et la vivacité du sentiment ethnique. Cependant, l’absence de tout
dispositif de médiation constitue un handicap sérieux à l’apaisement général et à la sérénité
définitive.
3.2.2 Les conflits successoraux au sujet du pouvoir traditionnel
La Région de l’Extrême-Nord connaît plusieurs conflits liés à la crise de dévolution des
pouvoirs traditionnels. Ces conflits ont connu une impulsion au lendemain de l’avènement du
multipartisme avec l’aspiration des communautés sous représentées à s’auto-affirmer. Cette
aspiration a été contrariée par le maintien coûte que coûte de l’autorité suprême des chefs
historiquement établis. C’est le cas du conflit survenu dans le sultanat de Logone-Birni à
partir de 2004.
Crises de légitimité des pouvoirs traditionnels et conflits dans le sultanat de
Logone-Birni
Historiquement, les Kotoko, descendants des Sao, sont les premiers occupants des territoires
actuels du département du Logone et Chari. Cette préséance se manifeste par le règne actuel
de 7 sultanats Kotoko dont le pouvoir s’exerce sur la terre. Le Sultan apparait comme le
dépositaire de tous les pouvoirs. Il exerce ce pouvoir dans une chaine de commandement qui
place sous son autorité les chefs des cantons (2ème degré) et les Blamas ou chefs des villages
(3ème degré). Jadis, le Sultan coordonnait l’action de tous ces chefs et procédait à leur
remplacement en cas de vacance à la tête d’une circonscription traditionnelle. Il procédait
également à des affectations.
Au sein du sultanat de Logone-Birni, ce mécanisme traditionnel de désignation ou de
placement des chefs de cantons et Blamas, qui a continué jusqu’aux années 90 en dépit du
décret de 1977 qui introduisit le principe du choix du chef par délibération29, s’est révélé
conflictogène. Deux facteurs expliquent les limites de ce dispositif : le premier est la
reconfiguration démographique du territoire. Numériquement minoritaires dans toute la
contrée, les Kotoko ont vu s’installer d’autres groupes ethniques, en l’occurrence les
Mousgoum, Massa, Kanuri. En cohabitation pacifique avec les Kotoko, les Mousgoum
devenus nombreux, considèrent qu’ils sont désormais des acteurs à part entière de la société.
Le deuxième facteur est lié à l’avènement de la démocratie dont le contexte pluraliste conduit
les autorités administratives à rendre exécutoires les dispositions de recours aux
29Décret n°77/245 du 15 juillet 1977 portant organisation des Chefferies Traditionnelles.
28
consultations. Cette démocratisation du mode de désignation des chefs traditionnels a aussi
démocratisé l’aspiration d’autres communautés à se choisir leurs propres chefs. La
combinaison de ces deux facteurs a produit un discours ethno-centré sur l’autochtonie et
l’ethnicité30 dont les manifestations ont conduit à plusieurs conflits ouverts entre Mousgoum
et Kotoko dont les plus illustratifs sont ceux des Canton de Lahaye en 2006 et de Ngodeni en
2006, localités situées dans l’arrondissement de Zina.
Conflit de pouvoir à la chefferie de Lahaye de 2006
Le canton de Lahaye est undes cantons que compte le sultanat de Logone-Birni. Situé dans
l’arrondissement de Zina, il a toujours été administrépar un chef de canton désigné par le
Sultan, conformément à la coutume et à l’Arrêté du 4 février 1933 fixant le Statut des chefs
coutumiers31. Depuis toujours, le chef de canton choisi par le sultan est de la famille régnante,
donc de l’ethnie Kotoko. C’est ce mode de désignation qui a permis à Oumar d’être porté à la
tête du canton. A la mort de ce dernier en 2004, le Sultan désigna son fils pour le remplacer.
Cette proposition a été contestée par les Mousgoum qui peuplent à majorité le canton. Le
défaut de consultation des notabilités Mousgoum majoritaires et l’attitude peu conciliante du
Sultan à l’égard de leurs revendications, semblent avoir radicalisé ces derniers qui, en dernier
ressort, exigent une désignation par voie de consultation. Les évènements qui se succèdent
montrent un durcissement des positions qui dégénérèrent en conflit en avril 2006 faisant
plusieurs morts. Par le truchement de l’autorité administrative, les consultations sont
organisées plus tard et ont consacré au forceps Mbang Idrissa Aïvakai comme chef de canton
de Lahaye. Depuis lors, le sultan et le chef de canton s’observent en chien de faïence,
redoutant pour les deux communautés une nouvelle escalade de la violence.
Crise de succession à la chefferie de Ngodeni (Logone-Birni) en 2004
Le scénario qui a dégénéré en conflit à lachefferie de Ngodeni est identique à la crise de
succession observée aucanton de Lahaye. Le canton est peuplé d’environ 7.000 habitants
dont plus de 80 % appartiennent au groupe ethnique Mousgoum, 15 % issus de l’ethnie
Kotoko et 5 % ressortissants des autres communautés, Arabes Choa et Kabalai. Il compte 27
chefferies de 3ème degré dont 15 sont Mousgoum, 9 kotoko, 2 Arabes Choa et 1 Kabalai.
Conscients de leur nombre important, les Mousgoum contestent le choix d’un nouveau chef
de canton, imposé par le sultan de Logone-Birni. De 1994 à 2004, une tentative de prise de
pouvoir par la force est initiée par le sultanat de Logone-Birni et aboutit aux conflits
sanglants en 2004qui feront plusieurs morts. A l’issue de moultes tractations, les
30 A. Socpa, 2003, Démocratie et autochtonie au Cameroun : trajectoires régionales différentes, Lit Verlag
Münster. 31 Arrêté n°244 du 4 février 1933 fixant le statut des chefs coutumiers.
29
consultations sont organisées à Kousseri par le Préfet du Logone et Chari et conduit à
l’élection en août 2014 de Zibri Azibe comme chef de canton de Ngodeni32. Selon toute
vraisemblance, l’organisation à Kousseri de cette élection témoigne encore d’un état d’esprit
belliqueux qu’il est nécessaire d’apaiser. Pour Zigla Aglaini, élite de la localité de
l’arrondissement de Zina, la résurgence des conflits entre Kotoko et Mousgoum est liée
principalement à la non résolution des tensions antérieures, d’où l’irruption parfois colérique
des frustrations enfouies.
32 L’Œil du Sahel, n°632 du 1er septembre 2014
30
3.3 Les frictions religieuses
Le rapport 2015 d’International Crisis Group présente le Cameroun comme un risque de
radicalisme religieux. Aussi forte qu’elle paraît, cette perspective inquiétante a le mérite de
souligner que le Nord-Cameroun, adossé aux foyers d’instabilité du Nigeria, du lac Tchad et
de la Centrafrique, reste exposé aux effluves de l’extrémisme et de l’intolérance religieuse.
Certes, les initiatives antérieures de radicalisation ou de réformisme menées par quelques
gourous n’ont pas prospéré. C’est le cas de l’épisode Cheikh Mahamat Nour (1913-2002) qui
tenta une rénovation islamique à Goulfey dans l’Extrême-Nord du Cameroun entre 1990 et
Encadré 2 : Mal-gouvernance et permanence des crises de pouvoir
Selon diverses sources, la situation potentiellement explosive entre les différentes
communautés du Logone et Chari est certes liée aux facteurs historiques, mais elle est
aussidéclenchée par la mal gouvernance. Deux situations restent inquiétantes dans le
département du Logone et Chari.
La première est la tendance à la création de nouvelles chefferies de 2e et 3e degrés.
Profitant des dispositions du décret de 1977 en son article 7, l’autorité administrative,
à tort ou à raison, a créé plusieurs chefferies traditionnelles. Cette démarche qui reste
tout de même légale se révèle aujourd’hui porteuse de tensions du fait d’une méprise
des rapports de force conflictuels entre les populations Kotoko, Mousgoum et Arabes
Choa. On constate aujourd’hui des villages disposant de plusieurs chefs traditionnels
comme par exemple à Zina (2 chefs de canton), Zagara (3 Blamas). On constate aussi
des velléités d’affranchissement de la tutelle des chefs historiquement établis. La
création du canton d’Elbirke par les Arabes et la succession plus ou moins violente
dans les cantons de Lahaye et Ngodeni par les Mousgoum témoignent d’une
gouvernance approximative des problèmes de pouvoir traditionnel dans les sociétés en
crise de leadership.
La deuxième situation, liée à l’application du décret du 13 septembre 2013portant
allocation d’indemnités salariales aux chefs traditionnels, modifiant et complétant
celui du 15 juillet 1977, permet d’analyser, en perspective, les conflits qui pourraient
survenir. En effet, la distribution parsemée des groupements humains dans le Logone
et Chari s’est accompagnée de la création de plusieurs chefferies nécessaires à
l’encadrement des populations. Ces chefferies ont contribué chacune au progrès social
en assurant l’interface avec les pouvoirs publics sur les plans du maintien de la
cohésion sociale, de la sécurité et du développement.
Selon le Préfet du département, sur environ 2.000 chefs traditionnels que compte le
département, l’Etat semble disposé à ne prendre en solde que le quart. Dans le canton
de Madiako par exemple, on est passé de 25 Blamas en 1985 à 87 en septembre 2015.
Les frustrations qui vont naître de la situation de non prise en solde de certains chefs
vont raviver les risques de tensions et de conflits d’autant plus que les chefferies
ignorées vont, non seulement cesser de contribuer à l’effort de dialogue en faveur de
la paix, mais accuser les chefferies rivales de complot. Cette situation est à surveiller
de près.
31
199833. Il n’en reste pas moins que le risque est présent. Les frictions d’opposition religieuse
existent et nécessitent une attention particulière dans l’analyse des conflits et des dispositifs
de leur résolution. Les risques de conflits d’origine religieuse se situent à deux niveaux : à
l’intérieur des religions et entre les religions.
A l’intérieur des religions, la question se pose en termes d’opposition entre les tendances ou
factions rivales, chacune s’estimant plus légitime que les autres. Au sein de l’islam, la
perspective est plus redoutable. Héritant d’un islam soufi, modéré et tolérant, le Nord-
Cameroun a subi dès les années 1990, un déferlement d’érudits prédicateurs musulmans
originaires des pays étrangers ou nationaux formés majoritairement à l’extérieur. Il faut dire
que l’intégration de l’islam soufi aux traditions des peuples avait permis de favoriser la
cohabitation avec d’autres religions et la tolérance religieuse. Profitant du contexte de
démocratisation des années 1990, le wahhabisme connait une large diffusion au Cameroun à
coup d’actions sociales (mosquées, hôpitaux, écoles (madrasa), prédication itinérante, etc.)
des organisations arabes.Le prosélytisme wahhabite radicalise peu à peu les opinions, les
normes sociales et les pratiques religieuses34. Cette concurrence du wahhabisme à l’égard de
l’islam traditionnel confrérique et maraboutique au Nord-Cameroun a donné lieu à plusieurs
frictions et antagonismes. Entre les années 1990 et 2000, plusieurs tensions sont enregistrées
au sein des mosquées de l’Extrême-Nord(Maroua, Yagoua, Mora) du fait de la contestation
véhémente des imams traditionnels par la nouvelle classe d’imams et oulémas. A Maga,
localité située à 60 km de Maroua dans le département du Mayo-Danay, la contestation de
l’imam de la mosquée principale par les Mahabous35conduisit en 1996 les deux tendances de
la communauté musulmane au bord d’un affrontement physique.
Cette tendance au radicalisme est également observable chez les adeptes des églises dites du
réveil dont les stratégies prosélytes menacent les religions chrétiennes traditionnelles. Dans
les mêmes conditions d’ouverture démocratique que la loi de 1990 sur les libertés publiques a
concédées, les églises de réveil se distinguent aussi par un discours hostile vis-à-vis des
autres chrétiens. Les chrétiens catholiques et protestants traditionnels perçoivent les églises
33 Hamadou Adama, « Cheikh Mahamat Nour (1913-2002) et la tentative de renovation islamique à Goulfey
(abords sud du lac Tchad) », in C. Baroin, G. Seidensticker-Brikay, K. Tijani (éds), Man and the lake,
Proceedings of the 12th Mega Chad Conference, Maiduguri, 2nd-9th December 2003, Nigeria, pp. 305-331. 34 Gilbert Taguem Fah, « Dynamique plurielle, regain de spiritualité et recomposition de l’espace islamique dans
le bassin du lac Tchad », Saharan Studies Newsletter, vol. 12, no. 1 (2004). 35 Appellation par les Mousgoum des musulmans wahhabites fondamentalistes
32
réveillées comme des sectes et leurs pasteurs comme des entrepreneurs religieux, des
arnaqueurs sans formation religieuse36.
S’agissant des risques de conflit entre les religions, les différences des dogmes s’adossent à
un clivage historique entre les Peuls musulmans et les Kirdimajoritairement chrétiens ou
animistes. Cette césure qui structure la vie économique et sociale à l’Extrême-Nordfragilise
l’esprit de tolérance religieuse et les valeurs de laïcité. Les perceptions qui de stigmatisent
mutuellement constituent la principale caractéristique des relations interreligieuses à
l’Extrême-Norddu Cameroun.Il est nécessaire de prêter une vigilance particulière aux risques
d’assister à la multiplication des tensions et à la confrontation directe des différentes formes
de prosélytisme qui pourraient se disputer les mêmes espaces et les mêmes cibles.
36 International Crisis Group, 2015, p.22
33
CHAPITRE 4 : MECANISMES ET DISPOSITIFS CONTRE
LES CONFLITS
Face à la persistance des conflits, des mécanismes existent qui permettent de prévenir et
résoudre les formes potentielles ou violentes d’antagonismes à l’intérieur ou entre les
communautés ethniques. Ces dispositifs sont traditionnels, communautaires, étatiques et
relevant de la société civile.
4.1 Mécanismes endogènes
Les mécanismes endogènes sont propres à chaque communauté. Ce sont les juridictions
coutumières qui siègent dans les chefferies traditionnelles ou organisées par les patriarches
dans les communautés qui ne disposent pas de chefferie constituée. Ces cadres de gestion et
de résolution des conflits serencontrent dans toute la région. Leur fonctionnement reste
tributaire de la sollicitationdes parties en cas de conflit.
4.1.1 Les instances coutumières
Par instances coutumières, on entend tout dispositif traditionnel relevant des institutions
traditionnelles ou mises en place pour prévenir et résoudre les conflits qui surviennent dans la
communauté ou entre elles. On en dénombre plusieursdans les zones de conflits.
Chez les Arabes Choa
Parce qu’organisés en tribus, fractions et en familles, les Arabes Choa connaissent une
structuration politico-sociale lâche. Cet émiettement de groupes humains a conduit à
l’expression de plusieurs micro-centres de pouvoirs exercés par des sages en fonction du type
de conflit. Les conflits d’héritage sont réglés par le sayyidna, maître religieux d’un village ou
d’une tribu. Par contre, les procès liés aux conflits fonciers sont placés sous l’autorité du chef
de tribu qui applique les lois tirées du fiqh ou droit musulman de l’école malékite37. Selon le
Maire de Kousseri, les sociétés arabes Choa urbanisées ne font plus recours à ces dispositifs
traditionnels. Seuls les groupements villageois, dans une certaine mesure, continuent de faire
recours à ces institutions traditionnelles de gestion des conflits.
Chez les Guiziga
La justice est incarnée chez les Guiziga par le chef qui délègue ce pouvoir au Mbur madedan,
le ministre de la justice. Le procès est la forme de règlement des conflits la plus pratiquée par
les Guiziga. Le chef exerce personnellement et directement ce pouvoir en présence du Mbur
madedan qui assiste aux jugements coutumiers. Les litiges connus par ce dispositif endogène
37 J.C. Zeltner, 1970, Histoire des Arabes sur les rives du lac Tchad, Paris, CNRS.
34
concernent les conflits qui opposent les lignages. Pour assurer l’équité des jugements, tous les
chefs de lignages sont conseillers permanents auprès du chef et siègent de droit au sein de
cette instance coutumière. Cette approche inclusive et originale dans la représentation des
segments sociaux garantit et assure la légitimité du collège et donne force à ses sentences.
Chez les Kotoko
Chez les Kotoko, le Sultan dirige la cité. Sur le plan de la justice et de la construction de la
paix, le Sultan est assisté de notables chargés de rendre les jugements. Au sultanat de
Kousseri, le tribunal coutumier joue aussi le rôle d’instance de dialogue et de médiation entre
les Kotoko et, éventuellement, d’autres communautés. Le fonctionnement de cette instance
s’articule sur le chetima, conseiller religieux du sultan et ministre de la justice et l’alifa,
ministre du territoire qui s’occupe, en particulier, des litiges fonciers. A une échelle plus
basse, le chef de village/quartier ou blamarésout les conflits qui surviennent sur son territoire.
Selon le sultan de Kousseri, la législation appliquée dans le cadre des jugements rendus est
essentiellement basée sur le Saint Coran. Cependant, il apparait que les conflits
intercommunautaires qui opposent les Kotoko aux Arabes Choa et Mousgoum ne sont pas
traités au sein de ce tribunal38.Voilà pourquoi, la crise foncière qui divise toutes les
communautés ethniques de Kousseri ou le conflit latent entre Arabes Choa et Kotoko n’ont
fait l’objet d’aucune conciliation au sultanat de Kousseri.
Chez les Peuls
Disposant d’une organisation sociale hiérarchisée, les Peuls ont mis en place des mécanismes
pour encadrer le règlement des conflits. Si le Lamido ou chef suprême est la garant de la
sécurité et de la spiritualité de la communauté, il est aussi le premier magistrat qui réconcilie
les parties en conflit. Dans cette fonction de dialogue, il est assisté de l’Alcali, ministre de la
justice dont l’autorité s’exerce sur tous les conflits sociaux (héritage, adultère, sorcellerie,
vol…). La loi appliquée est celle issue du Saint Coran et la Sunna (Traditions du Prophète
Muhammad).
A l’instar d’autres lamidats du Nord-Cameroun, les institutions traditionnelles de jugement et
de conciliation chez les Peuls de l’Extrême-Nord connaissent également un infléchissement.
Deux raisons expliquent cet état de choses. D’abord, l’impartialité des Lamibé a été
sérieusement remise en cause par leurs sujets à travers leur enrôlement dans le jeu politique et
surtout en faveur du parti au pouvoir. Ensuite, les jugements rendus s’accompagnent de
lourdes taxes et amendes dont le principal bénéficiaire est, in fine, le Lamido. En plus, il n’est
38 Il faut dire que la communauté Kotoko de Kousseri reste encore divisée sur la légitimité de leur monarque ; ce
qui conduit les autres communautés, en particulier les Mousgoum, Massa et Kanuri, à ne pas solliciter son
autorité en cas de crises.
35
pas possible d’appliquer in extenso, au nom du Saint Coran, la législation islamique dont
l’application serait en porte-à-faux avec les droits de l’homme et certaines lois édictées par
les Etats d’essence laïque. Toutes choses qui ont réduit l’instance coutumière de jugement et
de conciliation à un héritage patrimonial qui traite en particulier les affaires conjugales.
Chez les Mousgoum
Peuple vivant en cohabitation avec d’autres groupes ethniques dans la vallée du Logone, les
Mousgoum sont concernés par plusieurs conflits. Ils sont organisés au sein des sultanats dont
le régime politique s’inspire du modèle baguirmien. Le règlement des litiges et la promotion
de la paix sont animés par trois catégories d’acteurs qui correspondent à trois niveaux
d’intervention. Au bas de l’échelle de commandement, les blamas qui gèrent les conflits de
leurs territoires de compétences. Ensuite, le Ngarmay magna, ministre de la justice qui
s’occupe des conflits de la communauté. Il organise les jugements et les conciliations hors du
palais du Sultan. Ces deux niveaux d’intervention connaissent les affaires d’adultère, de
sorcellerie, de vol, de conflits interpersonnels. Le niveau le plus élevé de jugement et de
médiation est réservé au Sultan qui l’assure en présence de toute sa cour. Selon un notable de
la cour, les sujets inscrits à l’ordre de cette haute cour sont les conflits fonciers généralement
liés au partage des parcelles de riziculture, les crises de succession dans les villages ou toutes
situations nécessitant une audience de conciliation.
A la différence d’autres groupes ethniques, les Mousgoum ont défini une stratégie de
médiation lorsque surviennent des conflits avec d’autres communautés. Ainsi, des « faiseurs
de paix » sont désignés pour leur charisme, leur sens de négociation, leur grande
connaissance du peuple belligérant. Cette stratégie est revendiquée par le Sultan de Pouss qui,
à l’occasion des crises avec ses voisins des Sultanats de Logone-Birni, Kataoua ou Guirvidig,
initie des missions de médiation auprès desdits souverains. Par exemple, les conflits
récurrents entre Mousgoum et Kotoko au sujet des mares d’eau et canaux à pêche à la
frontière des deux sultanats ont fait l’objet de médiations ayant abouti à l’accalmie. Mais ce
dispositif reste aléatoire dans son efficacité à long terme. Les missions de bons auspices ne
sont pas structurées et permanentes, elles sont initiées seulement après un conflit ouvert. Elles
n’ont donc pas une vocation résolument préventive.
4.1.2 Les comités ad hoc
La structure des interventions en faveur de la paix intègre aussi les comités ad hoc. Ils sont
constitués à la suite des initiatives ministérielles ou des autorités administratives
territorialement compétentes. Les comités ad hoc interviennent toujours après les
affrontements ouverts. Ils réunissent toutes les parties en conflit en présence de médiateurs,
36
afin de trouver une solution. Les travaux des comités ad hoc s’inscrivent dans la durée à
travers une mission de suivi et d’évaluation des résolutions prises au cours des travaux. Ce
type de solution a été appliqué en 2007 par le Ministre d’Etat en charge de l’Administration
territoriale et de la décentralisation à la suite des affrontements sanglants entre Kotoko et
Mousgoum autour de la mare à poissons de Tcikam. Le comité ad hoc, constitué pour la
circonstance, dirigé par le gouverneur Ahmadou Tidjani,avait réuni l’élite politico-
administrative du Logone et Chari à l’instar de Adoum Gargoum, Abakar Ahamat,
Kamsouloum Abba Kabir dans l’objectif de trouver une solution à ces conflits répétitifs et
soulager les deux communautés en conflit. Le comité a poursuivi ses travaux plusieurs fois
sous la présidence du Gouverneur de la Région de l’Extrême-Nord autour des représentants
des deux communautés en conflit.
4.1.3 La contribution des associations communautaires
Les associations communautaires ou tribales ont connu une explosion au lendemain de
l’ouverture démocratique. Elles se projettent à l’aune des défis auxquels font face leurs
communautés respectives. La particularité de ces organisations est leur ancrage ethnique et le
leadership de l’élite extérieure. Elles sont structurées sur une base démocratique et ont des
objectifs tournés vers le développement, la promotion de la culture et la défense des intérêts
des communautés. Si leur capacité d’instrumentalisation est indéniable dans l’exacerbation
des conflits inter communautaires, il reste qu’elles sont aussi importantes dans la prévention
et la gestion de ceux-ci. Suivant cette logique, plusieurs associations communautaires ont
œuvré dans la pacification de leurs localités, même s’il reste posé la question de leur
impartialité. L’éloignement de leurs dirigeants, en majorité l’élite politico-administrative
basée dans les grandes villes, rend leurs interventions épisodiques et ponctuelles, ce qui
limite leur portée et leur pérennité.
L’action de l’Association Culturelle Mousgoum (ACM)
Créée pour promouvoir l’unité et la culture du peuple Mousgoum, l’Association Culturelle
Mousgoum s’est positionnée au fil du temps comme une organisation de défense et de
promotion de la paix. Face aux multiples conflits qui impliquent les Mousgoum, l’action de
l’ACM s’est principalement orientée vers la sensibilisation de la communauté et la
conciliation avec d’autres groupes ethniques. Son action en faveur de la paix repose sur la
stratégie des missions itinérantes de sensibilisation.
Les missions itinérantes de sensibilisation sont l’initiative du bureau national basé à Yaoundé
ou d’une antenne locale. Les initiatives les plus pertinentes sont les tournées de
sensibilisation initiées par l’antenne départementale de l’ACM du Logone et Chari afin de
37
ramener les villages Mousgoum en situation de conflit à la paix et à la tolérance. Ainsi,
suivant un choix de deux villages par arrondissement, la mission a organisé dans chaque
village une causerie éducative sur les questions liées à la paix, la sécurité, l’économie, la
culture, l’éducation, etc. De 2013 à 2015, les villages Mousgoum en conflit tels que Lahaye,
Ngodeni dans l’arrondissement de Zina, Moudia et Maham dans l’arrondissement de Logone
Birni, Waza et Blé dans l’arrondissement de Waza, Kofia et Pakistan dans l’arrondissement
de Blangoua, Darak et Katékimé dans l’arrondissement de Darak, Hilé Gaou dans
l’arrondissement de Goulfei et Kousseri ont été sillonnés par les équipes de sensibilisation.
Les mêmes types de missions ont été aussi initiées par le bureau national lors des conflits
ayant opposé les Mousgoum aux pêcheurs nigérians et maliens au barrage de la Mappé dans
le Noun à l'ouest du Cameroun en 2007.
En termes d’efficacité, on constate que les actions de l’ACM présentent des succès certains.
Grâce à la médiation et la sensibilisation de l’ACM, les conflits entre Mousgoum et Haoussa
à Darack de 2012 et entre Mousgoum et Kanuri à Blangoua de 2013 dans le lac Tchad ne se
sont plus reproduits. Dans l’ensemble, les acquis sont :
- Actions de renforcement de la cohésion sociale post-conflit.
- La méthode des missions spéciales dans les localités Mousgoum en conflit pour porter le
message de la paixest une approcheintéressante à condition qu’elle soit capitalisée dans
uncadre plus inclusif avec d’autres groupes ethniques afin de renforcer le dialogue
intercommunautaires.
- L’initiative des caravanes itinérantes de sensibilisation dans les villages Mousgoum pour
promouvoir le voisinage pacifique reste aussi une action préventive innovante.
Cependant, ces initiatives souffrent de trois limites :
- Actions internes parce qu’elles sont limitées au seul peuple Mousgoum. Il n’y apas
d’initiatives de médiation avec d’autres groupes en conflit contre les Mousgoum.
- Initiatives sporadiques et curatives. L’approche préventive et structurelle de maintien de la
paix n’est pas prise en compte.
- Faible approche de résolution des conflits. Les actions de sensibilisation sont efficaces pour
la population, mais n’actionnent pas les principaux leviers de résolution des conflits à
l’exemple des acteurs commeles chefs des villages, leaders religieux, les jeunes, les femmes.
Dans l’ensemble, aussi louables qu’elles soient, les initiatives de gestion des conflits prises
par l’ACM en faveur du peuple Mousgoummontrent des lacunes en termes de compétences
des acteurs et de définition d’un cadre plus global d’actions intégrant d’autres communautés
en conflit.
38
L’action de l’Association Culturelle Sao (AC SAO)
Créée pour contribuer au développement socioéconomique du peuple Kotoko, L’association
Culturelle Sao s’est toujours concentrée sur les préoccupations sociales liées à l’éducation, la
santé, l’accompagnement des paysans. A ce titre, elle fait régulièrement des dons de
bicyclettes, matériels divers, machines à coudre pour renforcer l’autonomisation des femmes
et des jeunes. Elle offre aussi des tables bancs et des équipements dans les centres
hospitaliers.
Toutefois, cette vocation d’appui au développement a dû s’adapter à la récurrence des
conflits impliquant les communautés Kotoko. Dès lors, l’AC-Saos’est aussi investie
dans la résolution des conflits. Face aux principaux conflits, notamment fonciers, de
succession du pouvoir traditionnel et d’accès aux ressources, elle s’est impliquée en
assurant le relais avec l’administration et en posant des actions concrètes. S’agissant
de la médiation avec les autorités administratives, l’intransigeance des communautés
Kotoko pendant les conflits avec d’autres communautés s’est souvent apaisée grâce à
l’intervention de l’AC-Sao. Sur le plan des actions, l’association tente de résoudre ces
conflits par la formation d’une délégation qui descend sur le terrain du conflit afin
d’appeler les communautés kotoko au calme et par une contribution financière et
matérielle des membres pour les victimes. L’AC-Sao s’est concrètement déployée
dans le cadre du Conflit halieutique entre Kotoko et Mousgoum autour de la mare de
Tcikam en 2007. Toutefois, cette mobilisation s’est concentrée sur les victimes
Kotoko et est intervenue après le conflit.
On le constate bien, les initiatives de l’AC-Sao sont louables parce qu’elles portent assistance
à leur communauté en conflit. Elles comportent aussi un potentiel de mobilisation qui peut
être mis au service d’interventions plus structurées en faveur de la paix et du dialogue
intercommunautaire. Cependant, elles ne sont pas adaptées à l’évolution des rapports de force
entre les Kotoko et les autres peuples voisins. Deux limites sont perceptibles dans la
démarche de cette association.
- Les actions sont intra-ethniques. Selon Amine Adam Alkali, ancien Secrétaire Général de
l’AC-SAO, les mesures prises par l’association sont orientées sur le peuple Kotoko. Ce qui
ne renforce pas laperspective de résolution à long terme du conflit.
- Il n’existe pas à l’intérieur de l’association ou en relation avec d’autres communautés une
plate-forme de médiation et de dialogue impliquant aussi d’autres acteurs, qui prévient et
résout, dans une approche structurelle, les conflits intercommunautaires. Les actions initiées
39
se réduisent simplement à réconforter les communautés de l’association victimes de
conflits.
La contribution des comités de développement des villages du Mayo-Kani
A l’échelle de chaque village du Mayo-Kani, existe un comité de développement dont
l’objectif initial est l’appui au progrès socioéconomique des populations. Depuis la survenue
de la crise sécuritaire aux frontières avec le Nigeria, plusieurs groupes d’éleveurs nomades se
sont installés sur les aires protégées et aménagées du département. Ce qui crée des tensions
entre les populations d’accueil et les éleveurs nomades.
Face à ce nouvel environnement conflictogène, les comités de développement des villages
ont orienté une partie de leurs actions vers la résolution des conflits. Les actions menées dans
ce sens sont :
- La délimitation des zones de pâturage pour éviter la divagation des bêtes qui endommagent
les plantations agricoles ;
- L’aménagement des points d’eau supplémentaires pour accroitre l’offre d’abreuvage des
bêtes dont l’insuffisance est à l’origine des disputes régulières ;
- La médiation entre les populations en conflits et les autorités administratives.
4.2 Les mécanismes et dispositifs étatiques
En marge des mécanismes internes aux communautés, l’initiative de prévention, gestion et
résolution des conflits est aussi prise par d’autres acteurs. Il s’agit de l’Etat et de la société
civile.
4.2.1 L’action de l’Etat
A la différence des actions menées par les autorités administratives qui ressortent aussi de
l’Etat, l’action de l’Etat se situe à deux niveaux : au niveau stratégique avec les politiques
d’aménagement et au niveau opérationnel avec les actions de gestion et résolution des
conflits.
- Mise en œuvre de projets de développement intégré
Sur le plan de l’intervention de l’Etat, on peut faire allusion à l’impact des projets de
développement sur les situations de crise qui génèrent les conflits. Dans ce registre, le Projet
de Développement Rural Intégré – Chari Logone (PDRI-CL) en est un exemple. Cofinancé
par l’Etat du Cameroun, le fonds de l’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole (OPEP)
et la Banque Islamique de Développement (BID) à hauteur de 10 milliards, le projet œuvre
pour l’amélioration de la sécurité alimentaire par le développement de la pêche, de
l’agriculture irriguée, le forage des puits, la création des marres d’eau et étangs, la
construction de silos et de magasins de céréales afin de réduire les pertes après récoltes ; le
40
développement de certaines infrastructures sociales et environnementales telles que les salles
de classe, les aires de jeu, la plantation d’arbres et de vergers en vue de lutter contre la
désertification et la réhabilitation des pistes rurales39. Cette démarche de renforcement de la
paix par des actions de développement est similaire à celle entreprise par la Mission de
Développement Intégré des Monts Mandara dans le département du Mayo-Tsanaga.
- Création de radios communautaires
Dans le même ordre d’actions, l’Etat a favorisé la création des radios communautaires pour
faciliter la connaissance mutuelle des peuples, assurer une sensibilisation de proximité des
populations par rapport aux sujets conflictuels, de développement socioéconomique.Selon les
agendas spécifiques de leur mise en place, les radios communautaires couvrent plusieurs
domaines de la vie socioéconomique et se positionnent comme des leviers de sensibilisation
et de médiation. Ainsi, tous les départements de la Région de l’Extrême-Nord disposent d’au
moins une radio communautaire. C’est le cas des radios Danay FM à Yagoua, Sava FM à
Mora et Echos des Montagnesde Mokolo dont les grilles de programmes réservent une bonne
part de l’antenne aux langues nationales, aux thèmes de développement. Il n’existe pas
d’émissions axées sur la consolidation de la paix, la tolérance, l’accueil des étrangers, le
recours à la résolution pacifique des conflits. Les programmes en langues nationales sur les
antennes d’Echos des Montagnes à Mokolo et FM Kousseri abordent de façon allusive les
problèmes de société au moment où ils se posent. L’initiative de l’animateur est pour une
grande part dans le choix des thèmes des émissions. Dans l’ensemble, ces radios ne sont pas
outillées pour agir en faveur de la construction de la paix et du dialogue intercommunautaire.
- Tournées de sensibilisation à la coexistence pacifique
Au niveau opérationnel, on peut citer les nombreuses initiatives prises par les autorités
administratives pour consolider ou ramener la paix entre les communautés. C’est le sens à
donner à la mission de sensibilisation à la coexistence pacifique effectuée par Ahmadou
Tidjani, le Gouverneur de la Région de l’Extrême-Nord, dans le département du Logone et
Chari en mars 2006. Au cours de sa mission, le Gouverneur a tenu à adresser un message de
paix articulé sur trois points : connaissance réciproque, préservation de la paix civile et bataille
pour le développement.En parcourant dix localités, en particulier celles souvent concernées
par les conflits (Zina, Logone-Birni, Blangoua, Goulfey, Hile-Alifa, Makary, Darak, Fotokol,
Kousseri et Waza), le Gouverneur a prêché la paix et la tolérance. Les mêmes opérations ont
été effectuées par le Gouverneur Awa Fonka Augustine en 2012 et Midjiyawa Bakari en
2014, en particulier dans les localités conflictogènes du Logone et Chari. Ce type de
39 PDRI, Rapport final techni-plan sur l’évaluation de la situation actuelle et formulation d’un programme de
développement du Logone et Chari, 2012
41
campagnes, effectuées de façon conjoncturelle par les autorités administratives, permet de
porter auprès des communautés le discours de la concorde, de la cohésion sociale et de la
cohabitation pacifique.
4.2.2 Le rôle de la société civile
La société civile s’est tardivement intéressée à la problématique de la résolution des conflits.
C’est à la faveur de la crise sécuritaire due à Boko Haram que les organisations de la société
civile ont orienté leurs prestations dans le renforcement de la cohésion sociale et le dialogue
interreligieux.
4.2.2.1 Le dialogue interreligieux de l’ACADIR
Mouvement citoyen dédié à la construction de la paix, au renforcement de la cohésion et à la
promotion de la tolérance entre les religions, l’ACADIR a mené plusieurs activités dans ce
sens.
- Le contexte d’intervention
L’Association Camerounaise pour le dialogue interreligieux (ACADIR) est née en 2006 du
Forum de Maroua sur le dialogue interreligieux40. Ces fora interreligieux étaient organisés
annuellement depuis 2001. Lorsqu’intervient celui d’avril 2014, le Nord-Cameroun est aux
prises avec deux crises sécuritaires majeures : l’insurrection Boko Haram au Nord-Est du
Nigeria et la crise centrafricaine. Ces deux foyers d’instabilité ont perturbé l’équilibre
socioéconomique des régions de l’Est, de l’Adamaoua et de l’Extrême-Nord. A l’Extrême-
Nord, l’insécurité due à Boko Haramatteint un niveau inquiétant. Les attaques sur les
populations civiles font plusieurs morts, des milliers de déplacés et un abandon systématique
des villages du corridor frontalier Cameroun-Nigeria. L’afflux massif des populations s’est
couplé à une crise humanitaire des populations déplacées.
La peur et l’inquiétude des populations et des acteurs de développement étaient justifiées
d’autant plus que l’origine du conflit au Nord-Est du Nigéria estrelativement confessionnelle
et pourrait déborder au Cameroun. Le recul de l’islam soufi au bénéfice d’une tendance
rigoriste fait craindre une radicalisation progressive des musulmans du Nord-Cameroun. Les
risques de contagionont conduit les organisations confessionnelles à s’associer afin de
sensibiliser à la cohésion nationale et à définir un cadre permanent de dialogue entre les
religions musulmane, catholique et protestante. Traditionnellement, ces cadres de rencontre
interreligieuseréunissent la Conférence Episcopale Nationale du Cameroun (CENC), le
Conseil des Eglises Protestantes du Cameroun (CEPCA), l’Archevêché orthodoxe de
40 Statuts de l’ACADIR, 2007
42
Yaoundé, le Conseil Supérieur Islamique du Cameroun (CSIC) et l’Association Culturelle
Islamique du Cameroun (ACIC).
- Les actions
Avec l’appui technique de l’ACADIR, les acteurs religieux réunis autour du Lamido de
Maroua, chef spirituel de la communauté musulmane de Maroua, le Conseil des Eglises
Protestantes du Cameroun (CEPCA) et le Comité Diocésain de Développement (CDD)
initient deux actions majeures en faveur de la paix.
Le colloque interreligieux d’avril 2014 à Maroua
Le colloque qui portait sur « Chrétiens et Musulmans ensemble pour la paix. Fruits, défis et
perspectives du dialogue interreligieux dans l’Extrême-Nord » a réuni 75 leaders religieux
issus de différentes obédiences. Regroupés en quatre ateliers de travail, les participants ont
réaffirmé la place sacrée du Saint Coran et de la Bible dans les relations humaines et le
maintien d’un climat de paix et de tolérance. Dans la déclaration finale41 de la rencontre, les
participants invitent entre autres :
- A cesser toute violence perpétrée au nom de Dieu ;
- A fournir toujours plus d’efforts pour une vraie connaissance mutuelle ;
- A continuer à œuvrer ensemble pour la promotion humaine de tous et de chacun ;
- A s’impliquer dans le maintien de la paix et de la sécurité dans son village et son
quartier en collaboration avec les forces du maintien de l’ordre ;
Les participants proposent en conséquence :
- La mise en place, à Maroua, d’une maison de la rencontre ;
- La mise sur pied d’un forum interreligieux.
Le colloque interreligieux ainsi organisé à Maroua a posé les bases d’un dialogue des
religions dans une région de l’Extrême-Nord où la pauvreté des populations constitue un
terreau favorable à l’expression de l’extrémisme et du fanatisme religieux.
La maison de la rencontre islamo-chrétienne de Maroua
Inaugurée le 16 février 2015 par le président national de l’ACADIR, Adamou Ndam Njoya,
la maison de rencontre islamo-chrétienne de Maroua est le symbole de concrétisation des
intentions énoncées dans le cadre du dialogue interreligieux amorcé à l’échelle de l’Extrême-
Nord. Elle constitue une plateforme de rencontre entre l’islam et le christianisme à traversdes
41 Initiative des leaders religieux chrétiens et Musulmans dans la Région de l’Extrême-Nord, « Déclaration
finale », Maroua, 23-24 avril 2014
43
activités d’intégration et de tolérance mutuelle. Le centre comporte une unité de
documentation qui encourage la connaissance des deux religions.
Dans le cadre de ses activités de promotion de paix, la maison de la rencontre islamo-
chrétienne travaille en partenariat avec l’association Justice et Paix du diocèse de Maroua-
Mokolo. Selon le Révérend Heteck Samuel, responsable du bureau régional de l’ACADIR, la
maison œuvre dans les activités de sensibilisation dans le cadre d’un déploiement régional
qui a commencé par l’ouverture du bureau départemental de l’ACADIR du Mayo-Danay à
Yagoua en mai 2015. La maison assure aussi la promotion de la paix à travers la diffusion des
messages de paix par affiches ou par radio. Du 24 septembre au 02 octobre, 76 jeunes ont été
formés à l’entrepreneuriat à Maroua et Mokolo afin de les soustraire aux risques
d’enrôlement dans les rangs de Boko Haram. En perspective, l’ACADIR entend ouvrir en
octobre sa représentation départementale du Mayo-Tsanaga à Mokolo et envisage un
partenariat avec les radios communautaires pour la diffusion de ses messages de paix, de
tolérance et de cohésion sociale.
En somme, l’initiative de l’ACADIR présente des acquis :
- Une méthode nouvelle de prévention des conflits fondée sur l’action commune des
confessions religieuses à influencer les facteurs de divisions et de désordres ;
- Des symboles forts de cohésion sociale et de dialogue inter religieux à travers la maison de
la rencontre islamo-chrétienne
- Selon le Revérand Hetck Samuel, 85% des autorités traditionnelles de l’Extrême-Nord sont
sensibilisées sur les vertus de la concorde sociale ;
Une cadre d’action qui s’emploie à s’élargir à toute la Région de l’Extrême-Nord.
4.2.2.2 La contribution de l’Association Camerounaise pour l’Education
Environnementale à la promotion de la paix dans la vallée du Logone
- Contexte d’intervention
Le département du Logone et Chari est principalement composé de la zone alluvionnaire du
Logone qui s’étend le long de la frontière Est avec le Tchad jusqu’à la localité de Kousseri.
Avec une superficie totale de 741 000 ha, soit (21,6%) de la Région de l’Extrême Nord, cette
zone est caractérisée principalement par son inondation de juillet à octobre/novembre à partir
des cuves du Logone.Cette entité administrative est formée d’un ensemble de localités
traversées par ce fleuve et constituée d’une population totale de 333 432 habitants d’après le
3ème recensement général de la population et de l’habitat42. Il est également formé de
42 BUCREP, RGPH, 2010.
44
plusieurs communautés dont les plus nombreuses sont les Kotoko, les Arabes Choa, les
Mousgoum et les Kanuri. Ces divers peuples qui habitent les abords du fleuve Logone se
caractérisent par des particularismes culturels, des regroupements claniques ou tribaux, des
divergences parfois religieuses, qui accentuent leurs différences et favorisent les
antagonismes.
Malgré une cohabitation plus ou moins pacifique, les populations Kotoko etMousgoum,
particulièrement de la plaine du Logone, entrent en conflit au sujet d’une marre d’eau à
poisson, des canaux de pêche pourvoyeurs de poissons ou d’un fait divers relatifs à un rapt ou
un vol. Plusieurs rixes sont enregistréesentre les populations d’un même village, entre les
villages. Il est à noter que ces conflits n’opposent toujours pas les groupes ethniques
différents. La même communauté à l’échelle d’un village ou d’un groupement de village
s’affronte régulièrement pour l’accès exclusif à une ressource causant d’énormes dégâts
humains et matériels. Cet environnement conflictuel et conflictogène a justifié l’intervention
de l’Association Camerounaise pour l’Education Environnementale.
- Actions menées
Dans la Plaine d’Inondation Waza Logone (PIWL), l’ACEEN a implémenté de nombreux
projets de développement. Ayant pris connaissance des enjeux de l’eau et de ses ressources
dérivées pour la paix et la sécurité des populations de la plaine du Logone, l’ACEEN a défini
une stratégie de cogestion des ressources disputées. Selon le président Aboukar Mahamat,
l’Association a favorisé l’aménagement consensuel des mares d’eau par les communautés en
conflit. Ainsi, elle a créé la pêcherie communautaire avay malazina en établissant un système
concerté de gestion et d’exploitation.Cet accompagnement a concerné les populations des
villages de Malazina et de Goromo.Cette plateforme d’entente est doublée d’un mécanisme
d’exploitation et d’investissement communautaire des ressources issues de la pêcherie.
Réunies autour de la mare aménagée, les populations des villages sus cités ont réussi à
construire des salles de classe, des forages, des ponceaux et des diguettes de protection. Les
populations des diverses ethnies ont ainsi pu dépasser leurs clivages tribaux afin de partager
les ressources dans un esprit de cohésion sociale.
- Perspectives
Le modèle de mécanisme mis sur pied par l’ACEEN pour résoudre les conflits réguliers
intra/interethniques dans la vallée du Logone présentede nombreux avantages, même s’ils
doivent être renforcés.
Les principales forces de cette expérience sont, entre autres:
45
- Le développement d’activités communautaires dans un esprit coopératif et de partage de
populations diverses.
- La participation de la population à l’amélioration de son propre développement et bien-être.
- Le maintien de la paix entre les deux communautés.
Les réalisations et ouvrages communautaires qui sont mis sur pied avec les fruits de cette
mare (écoles, forages, ponceaux, diguettes…), bénéficient d’une attention particulière parce
qu’elles sont une émanation d’une gestionendogène des ressources. Cependant, l’initiative
connaît quelques limites.
Action isolée : Les actions d’ACEEN sont isolées et se trouvent quelque peu limitées
du fait qu’elles ne s’inscrivent pas dans une dynamique globale et intégrée de développement
qui devrait concerner tous les acteurs et parties prenantes. Car, ce qui est construit peut très
vite être démoli par ailleurs. Toute la société civile et le gouvernement en particulier,
devraient accompagner grandement cette vaste opération qui allie le développement à la paix.
Persistance des tensions : Malgré les efforts de l’ACEEN, il est à noter que la
résolution des conflits dans la plaine du Logone ne peut se ramener à une mécanique d’accès
aux ressources. La structure des conflits étant fondée sur les identités et la pauvreté, il est
nécessaire,non seulement d’engager des actions de développement de grande envergure,mais
aussi d’agir sur les sources et vecteurs de conflits. Parallèlement aux œuvres
d’autonomisation et d’émancipation des communautés en faveur de la paix entreprises par les
OSC, il est impératif que des plateformes de médiation et de dialogue permanentes soient
créées et installées afin d’accroitre la confiance mutuelle, le reflexe du consensus et la
sauvegarde de l’intérêt général.
4.2.2.3 Les autres initiatives de la société civile
A la faveur de l’insécurité due à Boko Haram et des risques de conflits interconfessionnels
qu’elle pourrait générer dans la Région de l’Extrême-Nord, plusieurs organisations de la
société civile ont mené des activités en faveur de la cohésion sociale et de la paix.
La Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés a organisé le 13
août 2014 un forum sur le thème « lutte contre le phénomène Boko Haram ». La cinquantaine
d’organisations de la société civile qui ont participé a été édifiée sur leur contribution dans la
lutte contre la menace et leur fonction dans la prévention des conflits en général.
En partenariat, la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés,
l’Association pour la Protection des Enfants Eloignés de leurs Familles au Cameroun et le
Groupe de Recherche sur la Dynamique Sociale au Cameroun ont organisé 6 séances de
46
formation de 50chefs traditionnels chacune dans les départements du Mayo-Sava et du
Diamaré sur le thème : « connaître ma communauté pour mieux la sécuriser » en 2014.
L’Association Pacific Logone Development est aussi engagée sur le chantier de la
cohésion sociale des peuples des abords du Logone. Outre les actions de sensibilisation,
l’association agit principalement sur la cible jeune en favorisant la rencontre des jeunes issus
des communautés en conflits et en développant des cadres d’action multiculturels. Ces
actions sont menées à Maroua, Kousseri, Maga et Logone Birni. En perspectives, Pacific
Logone Development entrevoit d’aller plus loin en mettant l’emphase sur une véritable plate-
forme des jeunes du département, indifféremment des tribus, afin d’éliminer les instincts
grégaires d’exclusion, les préjugés péjoratifs ou négatifs et de conjuguer leurs efforts afin de
tisser ensemble leur avenir. Et ceci dans l’espoir que cette « paix belliqueuse »
qu’entretiennent leurs parents se transforme résolument en une véritable « paix pacifique ».
Dans l’ensemble, on constate qu’il n’existe pas à l’échelle de la Région ou d’un
département une plateforme réunissant les acteurs de la société civileen faveur de la
consolidation de la paix. La configuration de la société civile à l’Extrême-Nord est parcellisée
entre les acteurs disparates, des domaines d’actions variés et non spécialisés et une forte
concurrence vers les financements. Les causes défendues par ces acteurs, même si elles sont
partagées, sont traduites en actions isolées ou réalisées dans le cadre des collaborations
ponctuelles. Cette situation fait qu’aujourd’hui, la consolidation de la paix, le renforcement
de la cohésion sociale, la prévention/gestion/résolution des conflits n’ont pas encore favorisé
la mise en place d’un cadre global d’action. Les formes ponctuelles de collaboration se
limitent à l’appui mutuel entre les organisations pendant la conduite des actions.
47
CHAPITRE 5 : ANALYSE SITUATIONNELLE
Elle consiste en l’analyse spécifique de la conflictualité dans les trois sites du projet Rapid
Response. Ce sont les localités de Kousseri, Mora et Mokolo dans une moindre mesure qui se
trouvent en première ligne des zones de crise sécuritaire. L’analyse situationnelle s’inscrit
dans une approche globale de compréhension de la nouvelle conflictualité induite par
l’arrivée des populations déplacées. Elle s’appuie aussi sur un état des lieux précis de la
situation socio-anthropologique des villages et quartiers des villes sus indiquées de manière à
faire ressortir les conflits récurrents, ceux induits par la présence des réfugiés/déplacés et les
mécanismes visant à répondre à ces conflits.
5.1 Analyse situationnelle de Kousseri
L’analyse de la conflictualité et des modes de résolution des conflits dans la localité de
Kouseri présente une évolution qu’il faut cerner en rapport avec la présence des réfugiés et
déplacés de la crise sécuritaire.
5.1.1 La conflictualité d’avant crise sécuritaire
Avant l’afflux des réfugiés et déplacés dans le Logone et Chari, particulièrement dans la ville
de Kousseri et ses environs, les communautés connaissent une cohabitation pacifique relative.
Cependant, plusieurs types de conflits sont identifiés.
Les conflits interethniques sur fond de manipulation politique : Le plus significatif est
celui survenu en janvier 1992 entre Arabes et Kotoko à l’occasion des élections législatives.
Ce conflit interethnique a montré comment l’instrumentalisation politique de l’ethnicité
engendre des affrontements violents.
Conflits fonciers :Ils sont récurrents dans la ville de Kousseri et ses environs. La
spéculation foncière a donné lieu à une lutte entre les communautés pour le contrôle des
espaces commerciaux et d’habitation. Le conflit le plus illustratif est celui en cours entre les
communautés Kotoko, Mousgoum et Massa sur les 500 hectares, rétrocédés par le HCR à
l’Etat du Cameroun et qui font l’objet d’affrontements violents. Cet espace situé au quartier
Kawadji reste toujours disputé.
Tensions intercommunautaires :Elles sont plus visibles sur le champ économique avec
une division des activités et des espaces de production. Les milieux marchands de Kousseri
sont marqués de cette division ente les Arabes et les autres communautés. Le marché central
de Kousseri est, à quelques exceptions, occupé par les Arabes qui, par solidarité ethnique,
continuent à s’approprier les espaces encore disponibles. Les Kotoko, Mousgoum et les
48
autres groupes ethniques restent présents dans le commerce par étalage du riz, poisson, vivres
maraichères, etc. La configuration de l’espace marchand de Kousseri est duale d’autant plus
que le marché est détenu par les Arabes et les quartiers entourant le marché sont habités par
des Kotoko.
La persistance des conflits sociaux : Ces problèmes concernent les bagarres dans les
débits de boissons, les vols fréquents, les conflits conjugaux. Les quartiers cosmopolites
comme Lacka, Ridjil-Kotoko, Ridjil-Mousgoum, Massaki 3, Hazaraye, Amchidire,
Ndjambal Bar, Madagascar enregistrent régulièrement ce type de conflit. Ces conflits sociaux
qui se présentent sous la forme du banditisme, des rixes et du désordre urbain sont
caractéristiques d’une ville cosmopolite. Ils dégénèrent souvent en conflit identitaire par un
système d’alignement et de soutien à la famille, au clan ou à l’ethnie.
La récurrence des conflits d’autorité : Ce type de conflit se pose à deux niveaux : au
niveau des communautés tchadiennes, en particulier les Sara des villages/quartiers Massaki 1,
Seheba, Ridjil Mousgoum, Hazaraye, Ndjambal Bar, Mandana, Lacka et Wadang, les
Hadjaraï de Mainane et les Bilala de Massil Al Kanam qui ne reconnaissent pas toujours
l’autorité des Blama, chefs de 3e degré des villages et quartiers, au bénéfice du chef de la
colonie tchadienne basé à Kousseri. Au niveau de l’autorité des forces de maintien de l’ordre
dont les interventions dans les villages sont jugées par les populations de « brutales et
injustes ». Selon les Blamas de Massaki 1 (Mahamat Mahamat) et de Madagascar (Ousmane
Abakar), les exactions des policiers et gendarmes sur les populations ne se justifient plus avec
la mise sur pied des comités de vigilance. Il faut relever que ces abus ont connu une
augmentation avec l’intensification des contrôles d’identité suite à la crise sécuritaire
provoquée par Boko Haram.
5.1.2 Conflictualité induite par la crise actuelle liée à Boko Haram
Les conflits liés à la présence des déplacés/réfugiéssont moins importants que les autres
localités. Ils sont limités à quelquesvillages et quartiers de Kousseri. Ils présentent les traits
suivants :
Tableau 1 : Etat de la conflictualité induite par les déplacés/réfugiés dans la localité de
Kousseri Village/
quartier
Groupes
ethniques Conflits d’avant crise
Impact des
déplacés/réfugiés
Nouveaux
conflits
Massaki 1 Arabes
Sara Conflits agropastoraux
Faible présence des
déplacés ; Intégration dans
les familles d’accueil
/
Adjaine 1 Arabes, Kotoko,
Kanuri
-Conflits de gestion des mares
d’eau
-Conflits agropastoraux
Occupation des zones de
pâturages
-Conflits
agropastoraux
Adjaine 2 Kotoko, Arabes
Peul
Conflits d’accès aux ressources :
eau, terres agricoles, pâturages
-Faible présence des
déplacés ; intégration dans
la communauté
/
Seheba Massa, Arabes, Conflits agropastoraux / /
49
Kotoko, Sara,
Mousgoum
Ridjil-
Kotoko Kotoko Conflits conjugaux Intégration des retournés /
Ridjil-
Mousgoum
Mousgoum,
Kotoko, Arabes
Sara
-Conflits fonciers
-Conflits d’autorité entre
Tchadiens et Camerounais
-Conflits entre populations et
soldats tchadiens
Pas de déplacés /
Massaki 3
Arabes, Sara,
Kotoko,
Mousgoum,
Maliens
-Conflits fonciers
-Conflits agropastoraux
-Conflits sociaux (dettes, dot)
Présence relative des
déplacés qui sont intégrés
dans la communauté
Tensions
perceptible due au
partage des
ressources
disponibles (bois
de chauffe, eau,
espaces agricoles)
Hazaraye
Kanuri, Kotoko,
Arabes
Sara
-Rixes dans les débits de boisson
-Tensions interethniques
-Tensions entre déplacés et
populations d’accueil pour
accéder aux aliments distribués
Présence non acceptée des
déplacés par la communauté
d’accueil, jalouse du
traitement réservé à ces
derniers
/
Ngouzo
Sara
Massa
Kotoko
-Conflits d’accès à l’eau
-Conflits agropastoraux
-Conflit lié à l’interdiction de la
pêche
Pas de déplacés/réfugiés /
Ndjambal
Bar
Sara, Kotoko,
Toupouri,
Massa, Arabes,
Mousgoum
-Querelles et bagarres dans les
débits de boisson
-Litiges fonciers
-conflits d’insolvabilité des
femmes dans les tontines
-tensions due à la discrimination
du quartier dans la distribution
des denrées alimentaires
Intégration des déplacés
dans la communauté /
Mainane
Massa, Kotoko,
Mousgoum,
Arabes, Hadjaraï
(Tchad)
-Conflits agropastoraux
-Problèmes conjugaux
Présence des déplacés,
intégrée dans la
communauté
/
Madagascar
Mousgoum,
Kotoko, Arabes,
Haoussa, Peul
-Conflits fonciers
-Rixes entre membres des
communautés
-Conflits liés aux vols
-Déplacés intégrés dans la
communauté,
mais stigmatisés
/
Madana
Mousgoum, Sara
(Tchad), Arabes,
Kotoko, Massa
-Conflits conjugaux
-Conflits liés au contrôle des
agents forestier à domicile
Déplacés intégrés dans la
communauté
Tensions relatives
à la distribution
des aliments aux
déplacés
Lacka
Mousgoum,
Massa, Sara,
Kanuri
-Conflits agropastoraux
-Litiges fonciers
-Conflits sociaux (pollution
sonore des bars, problèmes
conjugaux, promiscuité et
insalubrité)
Déplacés intégrés dans le
quartier
Impact sur la cohésion
sociale (pollution sonore,
promiscuité, insalubrité)
Tensions nées de
la distribution
querellée des
denrées
alimentaires
Kawadji
Mousgoum,
Massa, Toupouri
Sara (Tchad)
Conflits agropastoraux / /
Massil Al
Kanam
Arabes, Peul,
Sara, Hadjaraï et
Bilala(Tchad)
-Conflits agropastoraux
-Conflits liés à la distribution des
dons
-Conflits liés à la distribution
inéquitable de l’eau dans les
champs
Très peu de déplacés,
intégrés dans la
communauté
/
Malack Arabes
-Conflits fonciers
-Conflits agropastoraux
-conflits de gestion d’eau de
canalisation
Pas de déplacés /
Wadang
Mousgoum,
Massa, Haoussa,
Sara
-Conflits de terrains agricoles
Déplacés et réfugiés
Haoussa intégrés dans la
communauté
/
Arkis Arabes -Conflits agropastoraux Pas de déplacés /
50
-Opposition au projet de
reboisement
Koumboula Arabes Tensions liées à l’insécurité Pas de déplacés /
Ngamadja Arabes Conflits agropastoraux Retournés intégrés /
Ibou
Arabes, Kanuri,
Kotoko,
Mandara, Foulbé
-Conflits de partage des terres
agricoles
-Tensions à l’occasion du traçage
du quartier
-Vols réguliers
-Déplacés abandonnés
-Conflits lors de la
distribution des vivres
Tensions
perceptibles entre
déplacés et hôtes
Kousseri
Centre
Kotoko, Arabes,
Kanuri,
Mousgoum
-Conflits fonciers
-Tensions politiques
Tensions interethniques
Problèmes familiaux
Déplacés et retournés
intégrés
Pression
perceptible sur les
espaces, les
marchés
Amchidire
Arabes
Haoussa
Peul
-Conflits agropastoraux
-Tensions interethniques
-Problèmes conjugaux
-Bagarres régulières dues à la
consommation des psychotropes
Cohésion sociale fragilisée
par la présence des
déplacées
Tensions et faits
de violence entre
déplacés et hôtes
Dans l’ensemble, on observe :
La persistance des conflits agropastoraux
Plusieurs villages autour de la ville de Kousseri sont concernés par ce type de conflit, même
si, pour des raisons d’itinéraire, la localité de Kousseri a été épargnée par l’importante vague
des transhumants qui ont préféré les couloirs allant des Serbowel vers la plaine inondée du
Logone. Quelques éleveurs déplacés arabes et peuls sont cependant établis dans les villages
situés autour de la ville vivent en harmonie avec les agriculteurs Kotoko, Arabes, Mousgoum,
Massa et Sara. Les conflits sont donc antérieurs à l’arrivée des déplacés et concernent
principalement les villages de Massaki 1 et 3, Adjaine 1, Seheba, Ngouzo, Mainane, Lacka,
Kawadji, Arkis, etc. Selon Eli Adoum, chef du village Arkis, l’accroissement de la population
a conduit à l’occupation illégale des terrains agricoles privés. Pour Mahamat Kachalla, Blama
de Massaki 3, les conflits agropastoraux perdurent parce qu’il n’existe pas de cadre approprié
d’encadrement des éleveurs traditionnels.
Les tensions intercommunautaires
Elles sont dues à la pression exercée sur les ressources insuffisantes encore disponibles. Les
ménages des déplacés et retournés enregistrés dans certains villages partagent avec les
populations d’accueil l’eau, les terres agricoles, les espaces marchands. Les retournés du
quartier Ridjil-Kotoko et surtout les déplacés intégrés dans les quartiers et villages de
Ndjambal Bar, Lacka, Mainane, Madana, Malack, Wadang sont partiellement pris en charge
par les organisations humanitaires. Cette situation a généré un climat de rejet vis-à-vis des
déplacés de la part des populations d’accueil parce qu’elles se sentent exclues de la
distribution des vivres.
L’enrôlement des jeunes et les effets boomerang des comités de vigilance
A l’instar de tout le corridor frontalier qui va du Mayo-Tsanaga aux confins du lac Tchad,
l’exode massif des populations fuyant les assauts des insurgés de Boko Haram s’est
51
accompagné du départ de plusieurs jeunes en direction des rangs des assaillants. La localité
de Waza a, par exemple, produit deux catégories d’acteurs acquis à la cause de Boko Haram.
D’abord les ralliés qui ont intégré les rangs des combattants. Ensuite, les adjuvants
intermédiaires dont la collaboration a facilité la collecte et la transmission des renseignements
et le passage des provisions. Dans ce sillage, la ville de Kousseri constitue une plaque
tournante d’approvisionnement et de passage des armes et munitions. Les localités comme
Makari, Fotokol, Hilé Alifa, en plus d’avoir connu un départ massif des populations, ont
constitué pour Boko Haram, les points de transit vers le Nigéria et le lac Tchad.
La question délicate de l’enrôlement des jeunes dans les zones frontalières est
indissociable de la formation tous azimuts des comités de vigilance dans les villages du
Logone et Chari. Constituées à l’origine comme des organisations de guet, de renseignement
et de défense populaire, ces structures communautaires dont le fonctionnement est encadré
par l’autorité administrative et les forces vives, sont en train de devenir de véritables causes
du désordre, de la prédation etd’atteinte à l’environnement. L’espoir placé en les comités de
vigilance par les pouvoirs publics, maintes fois célébrés pour leur bravoure et leur héroïsme
face aux insurgés kamikases de Boko Haram, semble avoir minimisé les risques de
braconnage, de destruction des ressources ligneuses, violation des droits de l’homme par des
traitements extrajudiciaires et surtout d’abus d’autorité sur les citoyens. L’on craint le retour
d’un braconnage toléré pratiqué par les membres des comités de vigilance dans le parc
national de Waza ou des actions de police en violation de l’état de droit.
5.1.3 Les mécanismes de médiation
Ils concernent les dispositifs existants. Leur évaluation permet d’identifier les acteurs, les
structures et les modalités d’action en matière de gestion/résolution des conflits.
5.1.3.1 Les mécanismes existants
A Kousseri, on note :
Le rôle prépondérant des autorités traditionnelles
Ces instances coutumières Kotoko, Arabes-Choa et Mousgoum principalement sont
fonctionnelles dans les chefferies de 1er, 2e et 3e degrés. A la base, on trouve les Blamas,
chefs de 3e degré des quartiers ou villages. Autour des Blamas, se trouvent un collège de
notables et de patriarches qui concourent à la résolution des conflits survenus dans le village.
Lorsque le conflit oppose plusieurs villages, un collège constitué des Blamas, notables et
patriarches des villages concernés se réunit afin de régler le conflit.
La tutelle des autorités administratives
52
Elles exercent leur tutelle hiérarchique sur les autorités traditionnelles et la gestion des
populations. A ce titre, en cas d’échec dans la tentative de résolution des conflits devant les
instances coutumières, l’autorité administrative, par le truchement du sous-préfet est saisi par
une plainte. Son intervention suit un processus qui va du règlement à l’amiable jusqu’à la
saisine du tribunal localement compétent.
La contribution limitée des associations et ONG religieuses
Plusieurs villages bénéficient des actions de développement des associations et surtout des
ONG qataries. Cependant, ces actions ne privilégient pas la résolution des conflits.
L’effort de renforcement socioéconomique du projet de Développement Rural
Intégré– Chari Logone (PDRI-CL)
Les investissements socioéconomiques de ce projet participent de la réduction des sources de
conflits. Ces actions qui couvrent une majorité des villages étudiées concernent la pêche, de
l’agriculture irriguée, le forage des puits, la création des marres d’eau et étangs, la
construction de silos et de magasins de céréales afin de réduire les pertes après récoltes ; le
développement de certaines infrastructures sociales et environnementales telles que les salles
de classe, les aires de jeu, la plantation d’arbres et de vergers en vue de lutter contre la
désertification et la réhabilitation des pistes rurales.
La contribution du Projet MINFOF-UICN-PPTE
L’UICN en partenariat avec le Ministère des Forêts et de la Faunemet en œuvre le projet de
«Sécurisation des Moyens d’Existence des Communautés pour le Développement durable du
Parc National de Waza et sa périphérie». L’objectif du projet est d’accroître les revenus des
ménages des communautés riveraines du Parc national de Waza et assurer leur sécurité
alimentaire à travers le renforcement de leurs capacités d’autopromotion et de gestion durable
des ressources naturelles restaurées dans la zone. L’aire d’intervention du projet est la plaine
d’inondation de Waza Logone, notamment les arrondissements de Maga (Mayo Danaï), Pette
(Diamaré), Waza, Zina, Logone Birni (Logone et Chari), Mora (Mayo Sava) dans la région
de l’Extrême Nord.
Les bénéficiaires directs du projet sont:
Populations locales et groupes d’utilisateurs ressources (pêcheurs, éleveurs,
agriculteurs) de la zone du projet, notamment les arrondissements de Maga, Pette,
Waza, Zina, Logone Birni et Mora
Eleveurs nomades et pêcheurs transhumants venant du Nigeria, du Niger et du
Tchad pendant la période de décrue à la recherche de pâturage
Service de la conservation du Parc national de Waza
53
Le projet espère agir sur les facteurs de pauvreté et les leviers du développement durable. A
ce titre :
Les ménages de la plaine de Waza Logone ont un accès accru à l’eau potable, au
bois-énergie, à une alimentation saine et équilibrée ;
Les animaux du parc, le bétail et les populations des villages ciblées par les
actions ont un plus grand accès aux ressources en eau et aux ressources
fourragères ;
Les revenus moyens des populations des villages ciblées par les actions ont
augmenté pendant le projet ;
Les capacités des acteurs de la conservation, y compris le service de la
conservation du PNW sont renforcées.
Le potentiel peu exploité de la radio communautaire (FM Kousseri)
Concédée par la CRTV à la communauté de la ville de Kousseri, la radio communautaire
« FM Kousseri » sert de relais entre les opportunités de développement et les acteurs
étatiques, société civile, partenaires au développement et les populations bénéficiaires. Sa
grille de programme couvre divers domaines de la vie socioéducative, sanitaire,
environnementale, économique, agricole, etc. les langues nationales utilisées sont l’Arabe
(tous les jours, sauf le dimanche, 17h 30-19h), le Kotoko (deux fois par semaine, 16h-17h), le
Mousgoum (une fois par semaine, 16h-17h), le Massa (une fois par semaine, 16h-17h). Selon
le chef de station, Haman Madou, la radio souffre d’un déficit en ressources humaines
qualifiées. Il n’existe pas de programme dédiés à la résolution des conflits, ni à la
sensibilisation des populations à la cohésion sociale. Les animateurs en langues nationales
sensibilisent, de temps en temps, les populations sur les questions de paix et de résolution des
conflits.
Tableau 2 : Dispositifs de gestion/résolution des conflits dans la localité de Kousseri
Village/Quartier Instance locale de
gestion/résolution
Autres mécanismes de
résolution Facteurs limitants
Massaki 1 Chefferie (Blama, notables
et patriarches) / -Faible capacité d’intervention
des acteurs de médiation
-Absence de structuration des
acteurs locaux
- faible participation des jeunes
et femmes
-inexistence de plateforme de
dialogue au niveau de la localité
de Kousseri
-Faible capacité techniques des
organisations endogènes à la
résolution des conflits
- Les actions de renforcement
socioéconomiques du projet
PDRI n’ont pas pris en compte
Adjaine 1 Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
-Formations diverses initiées
par le PDRI
-GICs Al Hanoun, Al Mansour,
Tawilé, Al Itihad
Adjaine 2 Chefferie (Blama, notables
et patriarches) Actions des GICs
Seheba Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
-Comité de vigilance
-ONG qatarie (Qatar Red
Crescent)
Ridjil-Kotoko Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
-Comité de vigilance
-Actions des GICs
Ridjil-Mousgoum
1
Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
-Comité de vigilance
-Imam
54
-PDRI la capacitation des
communautés à la gestion des
conflits
- Les comités de vigilance
souffrent d’un déficit
d’encadrement technique et
éthique
- Radio communautaire peu
imprégnée de son rôle dans la
prévention, gestion et résolution
des conflits
Massaki 3 Chefferie (Blama, notables
et patriarches) Comité de vigilance
Hazaraye Chefferie (Blama, notables
et patriarches) Comité de vigilance
Ngouzo Chefferie (Blama, notables
et patriarches) Comité de vigilance
Ndjambal Bar Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
Comité de vigilance
Mainane Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
-Comité de vigilance
-Action des GICs
Madagascar Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
-Comité de vigilance
-Action des GICs
Madana Chefferie (Blama, notables
et patriarches) /
Lacka Chefferie (Blama, notables
et patriarches) Comité de vigilance
Kawadji Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
-Comité de vigilance
-Projet PDRI
Massil Al Kanam Chefferie (Blama, notables
et patriarches) Comité de vigilance
Malack Chefferie (Blama, notables
et patriarches) /
Wadang Chefferie (Blama, notables
et patriarches) Comité de vigilance
Arkis Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
-Comité de vigilance
-Projet PDRI
Koumboula Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
-Action des GICs
-Comité de vigilance
Ngamadja Chefferie (Blama, notables
et patriarches) Comité de vigilance
Ndjagaré Chefferie (Blama, notables
et patriarches) Comité de vigilance
Ibou Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
-Comité de vigilance
-PDRI
Kousseri Centre
-Sultanat + notables et
patriarches
-Blamas des quartiers
-Comités de vigilance
-PDRI
Amchidire Chefferie (Blama, notables
et patriarches)
-Imam
-Comité de vigilance
5.1.3.2 Les forces des dispositifs
-La première forme de réponse (chefferie) est réellement ancrée dans les instances
traditionnelles et coutumières, ce qui donne une légitimité aux résolutions prises. Les chefs
traditionnels quant à eux, interviennent au quotidien pour régler les litiges et garantir la
cohésion sociale. Ils ont la connaissance de la coutume et des racines profondes de certains
antagonismes. Ils incarnent à la fois le passé et le présent. Ils sont emprunts d’autorité, de
respect et de mysticisme. Les acquis sont réels parce que l’action des chefs traditionnels
repose sur un recours aux usages traditionnels de dialogue et de tolérance et les participants à
ces instances de conciliation sont constitués des notabilités dont la représentativité repose sur
une légitimité historique. Par contre, la participation des composantes comme les jeunes et les
femmes est très peu visible, sauf si elles sont concernées directement par les conflits.
-L’administration territoriale agit dans les villages et quartiers pour le maintien et le
rétablissement de l’ordre et la stabilité entre les différentes composantes locales. Elle dispose
55
de la légalité et de la capacité régalienne de contrainte à travers les forces de sécurité et de
défense mises à sa disposition. Elle contribue pour une grande part à la gestion des situations
conflictogènes et des conflits avérés. Le principe de gestion à l’amiable qui caractérise le
processus administratif de traitement des crises s’avère salutaire et aboutit, comme c’est le
cas dans les arrondissements de Kousseri, Mokolo et Mora, à contenir les risques
d’affrontements directs. Cependant, cette manière reste limitée à la gestion des crises, donc
ponctuelle et ne conduit par vers une résolution définitive, d’où la reproduction des mêmes
crises dans les mêmes villages.
-Il existe dans les villages et quartiers un maillage d’associations et de comités de vigilance
qui accompagnent la gestion et la résolution des conflits. Si les responsables de ces structures
de développement disposent de capacités financières relativement importantes, d’une bonne
connaissance du terrain et d’un appui certain de l’autorité administrative, les comités de
vigilance nécessitent un encadrement technique lié au renforcement de leurs capacités
opérationnelles, un accompagnement dans la connaissance de la loi et des limites qu’elle
impose à l’étendue de leurs pouvoirs, une définition plus claire de leurs statuts et de leurs
liens institutionnels avec les communes, les organisations de la société civile ou les
partenaires au développement.
5.1.3.3 Les limites des dispositifs
Plusieurs faiblesses et insuffisances peuvent être relevées dans la recherche de mécanismes
endogènes de gestion ou de règlement des conflits au plan local :
- Malgré sa légitimité historique, l’action des chefferies traditionnelles manquent de
structuration et les jugements rendus sont souvent contestés. Certaines chefferies kotoko
fortement ethno-centrée n’arrivent toujours pas à intégrer les autres composantes dans les
processus de dialogue. La prééminence du sultan kotoko de Kousseri est contestée, d’abord
par la communauté Kotoko, puis par les autres groupes sur fond de revendication de droit
d’accès aux ressources (terres, eaux, pâturages …) et de reconnaissance.
- Les regroupements de développement et les associations sont principalement occupés au
renforcement socioéconomique des populations, sans impact réelsur la gestion et résolution
des conflits.
- Les associations nationales à base culturelle (AC SAO, ACM…) ne mènent pas d’action
structurée en faveur de la gestion des conflits dans les villages et quartiers. Elles
n’interviennent qu’en cas de conflit, en particulier en faveur de l’ethnie à laquelle elles
appartiennent.
- Les autorités administratives sont davantage préoccupées à maintenir le statu quo, évitant de
faire les réformes nécessaires par crainte de troubles sociaux induits par les autres acteurs en
56
présence, jalouses de leurs positions et privilèges, peu soucieuses de céder une parcelle à
l’adversaire transformé en ennemi.
- La commune de Kousseri est totalement absente des dispositifs de gestion/résolution des
conflits
- Il n’existe aucune plateforme large intégrant tous les acteurs concernés par la problématique
de la paix (autorités administratives, traditionnelles, religieuses, FMO, société civile,
représentants associations des jeunes et femmes).
- Une absence de mécanismes d’alerte afin de privilégier l’approche préventive.
5.2 Analyse situationnelle de Mora
La ville de Mora est l’une de celles de la zone de crise à accueillir massivement les
populations déplacées. Les villages situés autour de la ville de Mora accueillent aussi les
déplacés qui cohabitent avec les populations locales.
5.2.1 La conflictualité d’avant crise sécuritaire
A Moradans le Mayo Sava,le contexte socio-politique est sensiblement différent de celui du
Logone et Chari. Mandara, Kanouri, Mada, Podoko, Mouktélé, Zoulgo, Mouyeng, Guemjek,
Mboko, Vamè et Molko sont parvenus à un certain équilibre dans l’occupation spatiale et
l’établissement d’autorités traditionnelles liées aux différents terroirs. Cependant, des
antagonismes persistent.
Les conflits dans la localité de Mora tirent leurs origines des problèmes fonciers, de l’accès
aux pâturages et aux espaces agricoles, de l’accès à l’eau et à la gestion des ressources
naturelles. Ils sont aussi dus aux rivalités politiques et aux questions de représentativité, aux
compétitions religieuses. Dans ses fondements, ces conflits sont liés auxrancunes historiques
encore tenaces, à la pression démographique et à l’accès inéquitable aux ressources et à la
terre, à l’ignorance et l’analphabétisme, à la partialité des autorités judiciaires, civiles et
traditionnelles, au mécontentement des chefs traditionnels du fait de leurs mauvais
traitements, aux prises de position arbitraires, partiales et laxistes des autorités
administratives dans la gestion des conflits ou tensions, à la mauvaise gouvernance à la fois
traditionnelle et étatique, au repli identitaire, au tribalisme ou tribalité mal gérée qui
alimentent les préjugés ethniques et culturels, à la méconnaissance de sa propre religion et de
celle des autres, à l’absence d’analyse des causes des conflits (et manque d’actualisation des
modes de gestion des conflits).
57
5.2.2 La conflictualité liée à Boko Haram
L’élargissement progressif de la zone d’insécurité a conduit à l’exode massif des populations.
Les attaques répétées sur Kolofata, Fotokol et Kérawa par des incursions et des attaques
massives de Boko Haram ont généré des milliers de déplacés et des réfugiés, accueillis par les
populations de la localité de Mora.
Tableau 3 : Etat de la conflictualité induite par les déplacés/réfugiés dans la localité de Mora Village/
quartier Groupes ethniques Conflits d’avant crise
Impact des
déplacés/réfugiés Nouveaux conflits
Igagoua I Mandara, Podoko, -
Kanouri, Arabes
-Conflits agropastoraux
-Occupations des terres
agricoles
-Tensions de
distributions des
denrées alimentaires
Amtchali-
Fiké
Mandara, Podoko,
Moudou, Kanouri,
Moura, Mouctélé,
Mouyagué
- Conflits agropastoraux
-Conflits de terrains
agricoles, accès à l’eau
- Conflits sociaux
(sorcellerie)
- Envahissement de l’espace
habitable aux quartiers
SONEL, Camp militaire
- Occupation des terres
agricoles
-Conflits d’accès aux
terres agricoles
-Conflits sociaux (vol)
- Tensions religieuses
Fiké II Mandara, Podoko,
Kanouri, Mouctélé - Conflits agropastoraux
- Dévastation des champs
par les bêtes des déplacés
- Discriminations relevées
par les populations
d’accueil lors de la
distribution des dons
Tensions
intercommunautaires
entre déplacés et
populations d’accueil à
Fiké I et II
Mora-ville
Mandara, Podoko,
Kanouri, Mouctélé,
Arabes, Vamé, Peul,
Mafa, Hourga
- Conflits agropastoraux
- Conflits sociaux vol)
- Tensions religieuses
- Envahissement des
espaces d’habitation
- Occupation des terres
agricoles
- Stigmatisation des
déplacés
- Surenchère sur les
marchés
- Recrudescence des
conflits sociaux (vol,
sorcellerie)
- Conflits
agropastoraux
- Tensions sociales
(disputes et querelles
entre déplacés et
locaux aux quartiers
Jaja et Walkamé)
Galbi-Mora
Mafa, Oudoumé,
Podoko, Kanouri,
Arabes, Haoussa
- Conflits agropastoraux
- Conflits d’accès à la
terre
- Discrimination (seuls les
déplacés sont bénéficiaires
des denrées alimentaires)
Tensions entre
communautés
d’accueil et déplacées
Mora-
Chefferie
Mandara, Podoko,
Mouktélé
- Conflits d’accès aux
terres agricoles
- Tensions religieuses
- Conflits d’accès à l’eau
- Stigmatisation mutuelle
entre déplacés et locaux
- Tensions religieuses
(divisions des espaces de
prière, des activités dans les
marchés)
- Tensions perceptibles
entre locaux et
déplacés aux quartiers
sultanat, Vamé
Waladé I
Mandara, Podoko,
Kanouri, Podoko,
Mouctélé, Toupouri
- Conflits agropastoraux
- Litiges sur l’occupation
des terrains privés
- Conflits d’accès à l’eau
Stigmatisation mutuelle
entre déplacés et locaux
-Conflits de terrains
aux quartiers
Ndjamena, Ligué
- Conflits sociaux
(viol, vol, disputes
régulières entre
déplacés et locaux)
Waladé II
Mandara, Mafa,
Toupouri, Kanouri,
Arabes, Haoussa
- Conflits agropastoraux
- Conflits de terrains
Discrimination dans la
distribution des denrées
alimentaires
Tensions entre
populations locales et
déplacés
Limani Mandara, Mafa,
Podoko, Matal
-Conflits agropastoraux
- Tensions interethniques
Impact sur la cohésion
sociale (disputes et
querelles régulières)
-Conflits sociaux (viol,
vol, extrémisme)
Guirbala Mandara, Podoko,
Mondang
-Conflits agropastoraux
- Conflits d’accès aux
terres agricoles et à l’eau
- Tensions religieuses
- Envahissement des
espaces agricoles et
d’habitation
- Cohésion sociale fragilisée
Inflation des conflits
sociaux (viol, vol de
bétail)
Guiziga Guiziga, Mandara,
Mafa, Podoko
-Conflits agropastoraux
- Conflits d’accès aux
terres agricoles et à l’eau
- Tensions perceptibles
entre déplacés et locaux
- Cohésion sociale fragilisée
-Disputes de terrains
agricoles
- Tensions (querelles et
bagarres autour des
points d’eau)
58
Kourgui Mada, Moundang,
Matal, Mafa, Podoko
- Conflits agropastoraux
- Conflits de partage des
terres cultivables et
d’accès à l’eau
Présence massive des
déplacés et insuffisance des
ressources
Tensions sporadiques
entre déplacés et
locaux (bagarres entre
jeunes et femmes des
deux communautés)
Kourgui-
Chefferie
Mandara, Podoko,
Mafa, Zoulgo
Conflits agropastoraux
Conflits d’accès à l’eau Cohésion sociale fragilisée
Conflits d’accès à
l’eau
Amchidé
Guiziga, Mandara,
Mafa, Podoko,
Mada, Matal
Conflits agropastoraux
Conflits d’accès à l’eau
- Stigmatisation et rejet
réciproques
- Peur ambiante
- Activités économiques
ralenties
-Conflits souvent
ouverts entre déplacés
et locaux (luttes,
bagarres et disputes,
extrémisme)
Pivou Mafa, Podoko,
Arabes
-Conflits agropastoraux
- Conflits d’accès aux
terres agricoles et à l’eau
Insuffisance des terres
agricoles et des pâturages
Conflits d’accès à
l’eau (bagarres et
querelles entre
déplacés et locaux)
Pont Sava
Mada, Mandara,
Vamé, Ouldémé,
Zoulga, Moura
Conflits conjugaux / /
Séradoumda
Mandara, Vamé,
Ouldémé, Zoulga,
Moura, Matal,
Houzga, Mouzgo
- Conflits agropastoraux
- Conflits des terres
agricoles
- Conflits d’accès à l’eau
-Difficile cohabitation des
communautés déplacée et
hôtes
- Insuffisance des
ressources vitales
-Conflits
agropastoraux
- Disputes régulières
autour du seul point
d’eau
Djamakia Mbirmé, Zoulga,
Ouldémé, Mandara
-Conflits agropastoraux
- Conflits d’accès à l’eau
-Envahissement des terres
agricoles
- Cohésion sociale fragilisée
Tensions entre
communautés
déplacées et d’accueil
Sérahadia
Mandara, Mafa,
Ouldémé, Matal,
Podoko, Zoulgo
- Conflits d’accès aux
pâturages
- Conflits d’accès à l’eau
Cohésion sociale fragilisée
Tensions et rejet
mutuel entre les
communautés
d’accueil et déplacées
Les déplacés se sont installés dans les quartiers et dans une vingtaine de villages autour de la
ville. Dans la ville de Mora, le sultanat est le principal point de chute des déplacés dont la
majorité est d’ethnie Mandara, venus principalement de Kerawa, Ashigashia, Gangawa,
Talakadji, Kidji et Talamala-ibrahim. Du fait des liens sociologiques, linguistiques et
religieux, certains déplacés ont pu s’intégrer en louant des maisons d’habitation ou en
achetant. Les localités périphériques de Mora, à l’instar de Pont Sava, Péage, Siradoumda ont
connu l’établissement des communautés des déplacés en provenance de Banki. La
cohabitation pacifique entre les deux communautés est cependant mise à mal par des tensions
diverses.
La résurgence des antagonismes historiques
D’abord, un vieux contentieux historique oppose les Mandara de Mora et Mémé à ceux de
Kerawa. En effet, Kerawa fut entre le 9e et le 14e siècle la capitale étatique du royaume du
Wandala. La position dominante de Kerawa dans lagéopolitique du royaume Wandala par
rapport à Mora qui ne devint capitale du Wandala qu’à partir de 18e siècle, a donné lieu à une
lutte de leadership sur le double plan politique et religieux. Héritant chacune de cette
trajectoire de domination, les deux communautés revendiquent l’ascendance historique qui,
au fil des siècles, a installé un rejet bienveillant. Sur le plan religieux, la séparation est
observée dans les zones où les communautés hôtes et d’accueil partagent les mêmes
59
ressources. Suivant cette logique de la pureté, les Mandara de Kerawa considèrent leur
pratique de l’islam pure, au contraire de celui pratiqué par les Mandara de Mora et Mémé.
Ces positions opposées déteignent sur les relations entre déplacés et populations d’accueil. La
tension, perceptible à Mora, se mesure à la division des scènes de prière, des activités
économiques, (abattoirs et boucheries pour chaque communauté) initiés par les déplacés, en
signe d’impureté de l’islam local.
L’impact de l’insécurité sur la cohésion intercommunautaire
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il s’est installé entre les communautés d’accueil
et celles hôtes, un climat de suspicion. Les nombreuses arrestations des membres des
déplacés, soupçonnés de connivence avec les terroristes de Boko Haram, ont installé chez les
populations locales un sentiment de crainte et de rejet. Lien avec le retour des radicalisés…..
Malgré ces pesanteurs historiques et conjoncturelles, les communautés des déplacés sont
massivement installées dans plus d’une vingtaine de villages et dans tous les quartiers de
Mora. Les communautés hôtes étant aussi pauvres que les déplacés, la pression sur les
ressources encore disponibles génèrent des tensions. D’où la nécessité non seulement
d’accroitre l’attention portée à la condition des populations hôtes par l’élargissement du
nombre de bénéficiaires et l’augmentation des vivres distribués dans le cadre des opérations
d’assistance humanitaire, mais également d’apporter un appui à la résilience des populations.
La pauvreté et la précarité que vivent ces différentes communautés donnent lieu à des
tensions entre déplacés, refugiés et populations locales. La situation au Mayo Sava demande
une intervention massive et rapide pour également prendre en compte les besoins primaires
des ménages vulnérables de la communauté hôte.
L’enrôlement massif des jeunes exposés à l’extrémisme violent
Le département du Mayo-Sava a été le plus affecté par le phénomène d’enrôlement des
jeunes. A la différence du Mayo-Tsanaga dont les trajectoires de recrutement et d’enrôlement
se sont alimentées des liens communautaires et commerciaux, les modes d’enrôlement des
jeunes dans le Mayo-Sava s’appuient sur :
- Un prosélytisme islamique mené par les adeptes de Boko Haram dans toutes les localités
frontalières avec le Nigéria. Cette campagne de séduction des fidèles s’est soldée par le
recrutement massif des jeunes de Kérawa, Bornori, Sanda Wadjiri, Kidi Matari ou Amchidé
dans l’arrondissement de Kolofata. Les localités de Limani, Nariki, Kangueleri et Kossa dans
l’arrondissement de Mora ont également connu un départ massif des jeunes vers les rangs de
Boko Haram. On assiste surtout ici à un enrôlement de conviction, s’appuyant sur un discours
fanatique à l’endroit des jeunes, séduits par le projet d’un djihad présenté comme une cause
ultime, à la fois pour l’islam et le salut des combattants.
60
- Une expression plus prononcée des solidarités sociologiques qui ont, non seulement
renforcé l’adhésion des populations, y compris les jeunes et les femmes, aux causes des
insurgés, mais aussi permis l’éclosion d’une sympathie dissimulée des populations à l’idée
que l’action de Boko Haram constitue un djihad, donc un combat légitime de promotion de
l’islam.
- Un enrôlement des jeunes contrebandiers dans le schéma fonctionnel de Boko Haram. Des
jeunes qui se livraient aux activités commerciales par la contrebande se sont opportunément
mis au service de Boko Haram. Leur contribution consiste à fournir les renseignements, à
faciliter la mise en contact des adeptes et à approvisionner les unités combattantes. Le
carburant communément appelé « zoua zoua » est au centre des activités de contrebande. En
plus, les produits de première consommation (riz, le mil) ou les munitions (grenades,
munitions et autres accessoires militaires) ont fait l’objet de livraison par les jeunes
contrebandiers. La connaissance des pistes de contrebande par les jeunes constitue un atout
majeur de mobilité et d’approvisionnement des insurgés. A ce sujet, les couloirs de mobilité
ne se limitent pas aux zones frontalières. Du fait des besoins variés et des acteurs divers, un
réseau d’approvisionnement s’est établi dans un maillage territorial mettant en connexion les
zones de combat du Mayo-Sava avec les zones de prédation du département du Diamaré, via
le parc national de Waza dans le Logone et Chari. Les villages comme Djaoudé et Balda dans
l’arrondissement de Petté, département du Diamaré constituent des points relais du corridor
entre Petté, Waza et les territoires frontaliers occupés les insurgés de Boko Haram.
5.2.3 Les instances de médiation
Les principales instances de gestion/résolution des conflits dans la localité de Mora se
présentent ainsi qu’il suit :
Tableau 4 : Dispositifs de gestion/résolution des conflits dans la localité de Mora
Village/
quartier
Instance locale de
gestion/résolution
Autres mécanismes de
résolution Facteurs limitants
Igagoua I Chefferie (Lawane) -GICs et associations
- Comité de vigilance
- Non accompagnement des
actions des chefferies
traditionnelles
- Associations locales et des
comités de développement non
outillés
Amtchali-Fiké
- Chefferie (Lawane)
- Commission de résolution
de conflit
- Dignitaires religieux
-GICs et associations
- Comité de vigilance
Fiké II Chefferie - Comité de vigilance
Mora-ville
Chefferies (Lawane, Sultan)
- Commission de résolution
de conflit (Chef de
village/quartier, chefs
religieux et représentants
des communautés déplacés)
- GICs et associations
- PAM, Croix rouge
- Comité de vigilance
Galbi-Mora Chefferie
- PAM
- Croix rouge
- Associations des femmes
- Comité de vigilance
Mora-Chefferie Chefferie -PAM
- Croix rouge
61
- UNICEF - Faible participation des
femmes et des jeunes dans les
instances de dialogue
- inexistence de plateforme de
gestion/résolution des conflits à
l’échelle de la localité
- Faible intérêt des
organisations humanitaires des
questions de gestion/résolution
des conflits
- Faible encadrement des
comités de vigilance sur le
double plan des ressources et
des compétences
Waladé I - Chefferie
- Dignitaires religieux
- Association des jeunes
- PAM, - Croix rouge
- Comité de vigilance
Waladé II Chefferie
-PAM, -Croix rouge
-GICs et associations
- Comité de vigilance
Limani
-Chefferie
-Dignitaires religieux
-Comité d’accueil des
déplacés
- Comité d’arbitrage
-Associations
- Comité de vigilance
Guirbala Chefferie /
Guiziga Chefferie -Associations
- Comité de vigilance
Kourgui Chefferie (Blamas) -Associations
-Comité de vigilance
Kourgui-
Chefferie Chefferie
-Associations
-Comité de vigilance
Kourgui Talla
Massama Chefferie
-Associations
- Comité de vigilance
Amchidé Chefferie -Associations
- Comité de vigilance
Pivou -Chefferie du village
-Chefferie de Mémé
-Associations
-Comité de développement
- Comité de vigilance
Pont Sava -Chefferie du village
-Chefferie de Mémé
-Associations
-GICs Narral Himbé Ouro
Séradoumda -Chefferie du village
-Chefferie de Mémé
-Association Igdzamamire
- Comité de vigilance
GICS Djimmayé, Hayava
Djamakia - Chefferie du village
-Chefferie de Mémé
-PAM, -Croix rouge
GIC Djimmayé Mbirmé
- Comité de vigilance
Sérahadia Chefferie
-PAM, -MSF, -Croix rouge
-Associations
- Comité de vigilance
Il apparait que plusieurs institutions et structures encadrent la production de la paix dans la
ville de Mora et dans les villages environnants. La contribution de ce dispositif se traduit par :
Des chefferies traditionnelles
Elles constituent le premier niveau de gestion et résolution des conflits. Dans les quartiers de
la ville de Mora et dans les villages environnants, les Blamas, Lawanes et Sultans, en tant
qu’auxiliaires de l’administration étatique, sont dépositaires de la justice et des conciliations
traditionnelles. Chaque chefferie, à l’échelle du quartier ou village, s’appuie sur les
dispositifs internes à la communauté pour éviter, arrêter ou résoudre un conflit. Dans certains
cas, les chefferies mettent sur pied des comités spécialisés de gestion/résolution des conflits.
C’est le cas d’Amtchali-Fiké et de Mora-ville qui disposent de comité de résolution des
conflits et de Limani qui a mis sur pied un comité d’accueil des déplacés et un comité
d’arbitrage des litiges.
L’action des autorités administratives
62
Elle s’inscrit dans la continuité des mesures prises à la base par les autorités administratives
pour résoudre les conflits. Les sous-préfets territorialement compétents interviennent dans
les cas de conflits circonscrits pour faciliter la résolution d’un conflit par la mise en place
d’un cadre de dialogue ou de réconciliation. Sur le plan préventif, les autorités
administratives ont encouragé la création des comités de vigilance dans les quartiers et
villages afin d’alerter ou d’endiguer toute velléité au conflit.
Le rôle des associations et comités de développement
A l’instar de l’ADEMSA (Association pour le Développement du Mayo-Sava), les comités
de développement et les associations regroupant les jeunes et les femmes constituent des
acteurs de résolution des conflits au niveau local. Ces organisations utilisent la sensibilisation
et mettent sur pied, en cas de conflit avéré, des comités chargés de favoriser le dialogue entre
les belligérants.
La contribution insuffisante de La radio
communautaire (SAVA FM)
Elle connaît un fonctionnement minimum qui peine à s’arrimer aux défis de prévention des
conflits. Faute de programmes appropriés, plus de la moitié des villages et quartiers enquêtés
dans la localité de Mora disent ne pas écouter les programmes de la SAVA FM. La structure
manque de personnels qualifiés, n’est pas la capacité à définir des programmes en faveur de
la cohésion sociale et ne diffuse aucun spot en faveur de la paix.
Ces dispositifs présentent des atouts que sont la bonne connaissance du terrain d’action et des
populations, la proximité avec les justiciables et la maîtrise des traditions locales, la légalité
et la légitimité établie.Il importe de les structurer en définissant une graduation d’intervention
en rapport avec une échelle de conflits. Ce renforcement des dispositifs doit agir sur les
acteurs, les institutions et les organisations.
5.3 ANALYSE SITUATIONNELLE DE MOKOLO
Tout comme la ville de Mora, la localité de Mokolo est restée à l’avant-garde de l’accueil des
communautés déplacées par l’insurrection Boko Haram. En dehors du contexte de crise
sécuritaire, le département du Mayo-Tsanaga connaît une stabilité relative, malgré les
tensions épisodiques entre populations hôtes et déplacées.
5.3.1 Conflictualité d’avant crise
Avant la crise sécuritaire provoquée par les attaques de Boko Haram, les populations de la
localité de Mokolo vivent un environnement apaisé. Cependant, deux types de conflits sont
régulièrement enregistrés.
63
Les conflits agropastoraux sont enregistrés dans les villages situés autour de la ville de
Mokolo. Ces conflits, devenus habituels, opposent les agriculteurs aux éleveurs. A la
différence d’autres localités de l’Extrême-Nord43, les conflits agropastoraux dans la localité
de Mokolo concernent tous les groupes socioprofessionnels et non les groupes ethniques.
Autrement dit, ces conflits ne s’inscrivent pas dans un clivage ethnique, mais sont enregistrés
entre les groupes d’éleveurs et d’agriculteurs pouvant appartenir au même groupe ethnique ou
à des groupes ethniques différents.
Les conflits privés qui dégénèrent en opposition violente entre communautés
ethniques ou entre villages. Les causes de ces conflits sont le rapt de femmes, les mariages
mal négociés, les disputes des points d’approvisionnement en eau, les litiges fonciers, le vol
de bétail. Ces tensions interindividuelles s’aggravent lorsque des affidés du groupe ethnique,
du village ou du quartier entrent en scène.
5.3.2 Conflictualité induite par la crise sécuritaire : les tendances dominantes
La crise sécuritaire de l’autre côté de la frontière a provoqué le mouvement vers le Cameroun
d’un nombre considérable derefugiées venant du Nigeria, et une proportion encore plus
élevée de déplacés internes.Ces déplacésont été accueillis par les communautés hôtes,
aggravant ainsi leurs conditions de viedéjà très précaires.Relativement moins exposé aux
attaques terroristes de Boko Haram, le Mayo-Tsanaga est devenu le principal centre d’accueil
de personnes déplacées et de refugiées du fait des exactions de Boko Haram le long de la
frontière camerouno-nigeriane. Dans leur fuite, réfugiés et déplacés optent pour deux
stratégies d’installation : la première est l’établissement sur un site précaire à la périphérie
d’un village ou de la ville de Mokolo. Dans ce cas, les déplacés occupent des espaces privés
et survivent des mêmes ressources que leurs hôtes. En rapport avec la conflictualité, on
observe plusieurs tendances.
Augmentation des conflits agropastoraux :
Dans leur fuite, les populations déplacées ont emprunté des itinéraires qui traversent les
villages. Plusieurs villages ont été affectés par la destruction des plantations agricoles.
L’occupation des espaces cultivables par les éleveurs a également créée une inflation des
conflits agropastoraux. La plupart des villages autour de la ville de Mokolo connaissent une
recrudescence des conflits agropastoraux. C’est le cas des villages Moufou (Koriel),
Mandaka, Ldamtsaï Goda, Mavoumaï, Djalingo Aviation, Garaï, Mayo Legga, Gawar, Mayo
Saganaré. On remarque par exemple des conflits opposant les déplacés Mahaya Gamaï de
quartier Ouro Kessem, Ngatsbaï Gaïmaï de Goda Ldamtsaï et Haman de Ouro Kessoum. La
43 Généralement, les conflits agropastoraux du Nord-Cameroun ont opposé les peuls et arabes éleveurs aux
agriculteurs sédentaires d’autres groupes ethniques.
64
situation est identique entre les agriculteurs et éleveurs des quartiers Koriel et Djeling à
Moufou.
La persistance des litiges fonciers
La terre reste la source principale des conflits et des frustrations de toutes sortes. Selon les
cas, les conflits naissent par l’envahissement des espaces privés par les populations
déplacées. Des cas de location des terrains initiée par les chefs de village sont aussi sources
de conflits. Le village Mayo Legga connaît des tensions communautaires parce que le chef du
village, Hamadou Toukour, a cédé sous la forme de location, des terres appartenant à la
communauté. Plusieurs individus se sont insurgés et ont porté plainte auprès du sous-préfet
de Mokolo contre l’occupation de leurs terrains par les déplacés.
La persistance des conflits sociaux
Les conflits sociaux de type interindividuels ont connu une recrudescence dans la plupart des
villages de la localité de Mokolo. Cette catégorie de conflit survient entre les individus et
s’embrasse au niveau de la communauté ou du village. Les cas de vol de bétail enregistrés
dans les villages Mayo Legga, Mayo Saganaré, Gawar provoquent des tensions
intercommunautaires. On constate aussi une récurrence des conflits liés à la mauvaise gestion
des mariages. Ces conflits qui opposent au départ un couple ou deux familles finissent par
s’élargir au niveau de la communauté ou du village. Plusieurs quartiers de Mokolo ainsi que
les villages Mavoumaï,Mandaka,Ldamtsaï enregistrent ces conflits.
L’avènement de nouveaux conflits
Les nouvelles formes de conflits sont apparues dans le sillage de la difficile cohabitation
entre populations locales et déplacées. La nature des conflits diffère selon qu’on les enregistre
dans les quartiers de la ville de Mokolo ou dans les villages. Dans les villages, les conflits
observés dans les milieux de production économiques sont les plus fréquents. L’occupation
des espaces marchands ou le non respect des prix conventionnels par les producteurs déplacés
provoquent des disputes entre déplacés et hôtes.
Dans les quartiers de Mokolo, les conflits se posent autrement. Ils sont liés au difficile accès
des déplacés aux services de base (éducation, santé, eau), à une distribution irrégulière et
parfois inéquitable des denrées alimentaires, à l’isolement familial dû à une faible prise en
charge psychosociale. Cette situation de déficit de prise en charge des déplacés engendre des
conflits avec des bailleurs, une recrudescence des vols, une augmentation de la prostitution.
Les quartiers Mbikem ou Tacha Haman Gawar sont des réceptacles des déplacés dont la
cohabitation avec les hôtes reste difficile. De même, les villages Galta-Zamay, Kossehone,
situés non loin du camp des réfugiés de Minawaou ont développé une antipathie visible à
65
l’égard des réfugiés et déplacés à la recherche de ressources vitales (espaces agricoles,
d’habitation).
En plus de l’avènement de nouvelles formes de conflits et de désordre, les effets de Boko
Haram dans le Mayo-Tsanaga sont autant marqués sur les populations des villages affectés
par les attaques. La destruction du tissu économique et social de ces localités a produit trois
sources de conflits.
L’intégration conflictogène des déplacées et retournés
Il est indiqué de souligner qu’au-delà des conflits, la présence des déplacés/réfugiés dans la
localité de Mokolo a généré de nouvelles situations de vulnérabilité qui rendent difficile
leurintégration. On peut citer, entre autres,
- L’impossible autonomisationou la difficile intégration des déplacés, en particulier les jeunes
et les femmes, principalement à l’accès difficile, voire impossible par endroits aux terres
agricoles, pâturages et semences, à l’absence de soutien aux activités génératrices de revenus,
aux difficultés de regroupement familial a placé les déplacés dans un état de vulnérabilité. Par
ailleurs, les populations d’accueil, du fait de l’amenuisement des ressources, subissent
également cet état de précarité.
- La présence durable des populations déplacées et des réfugiés génère une perception
mutuellement méfiante des deux communautés, par l’augmentation des vols et, de plus en
plus, par des cas d’adultère imputés à tort ou à raison aux déplacés et réfugiés.
- La non prise en compte de la situation des personnes déplacées intégrées, en l’occurrence
les femmes, désormais mères de familles et endeuillées par la perte de leurs époux et enfants,
qui se trouvent dans leurs propres familles et qui connaissent pourtant un état de précarité
similaire aux déplacés regroupés ;
- Des indices de rejet liés à l’exaspération sont perceptibles parmi des hôtes qui, après avoir
épuisé leurs réserves partagées avec les sinistrés, n’apprécient pas d’être exclus de la
distribution des vivres et dons divers.
- La situation particulière des filles et des femmes qui sont les principales victimes des
guerres, violées, veuves à moins de 20 ans, illettrées, victimes de plusieurs sortes de violence,
sans véritable protection ou de recours. Ces catégories de victimes n’ont pas assez bénéficié
de l’encadrement des réseaux associatifs des femmes dont la capacité de résilience à la crise
s’est relevée déficitaire. Les associations féminines dont 40 à Mokolo, 25 à Koza, 28 à
Soulede Roua et 11 à Mayo-Moskota(DRPROFF/EN, 2015), traditionnellement préoccupées
par la promotion socioéconomique des femmes et le respect des droits des filles n’ont pas pu,
66
faute d’accompagnement technique et financier, adapter leur agenda d’action aux besoins des
femmes et filles meurtries par la conjoncture d’insécurité.
Une jeunesse victime des attaques et enrôlée par Boko Haram
La jeunesse constitue la composante sociologique la plus affectée par l’expansion des Boko
Haram aux frontières du Cameroun. Dans le département du Mayo-Tsanaga, les jeunessont
touchés à deux niveaux :
-Ils sont d’abord les victimes de l’insécurité due aux attaques répétitives. Plusieurs d’entre
eux ont été tués, pris en otages et séquestrés. En 2014, 35 jeunes dont 5 filles et 10 enfants
ont été enlevés à Mabas dans l’arrondissement de Mokolo. De même, les prises d’otages
affectant les jeunes ont été enregistrées à Gossi (9 jeunes) et à Kila dans l’arrondissement de
Mogodé avec 3 jeunes. Le cas le plus illustratif est l’enlèvement de 80 personnes dans les
villages Mabas et Maxi non loin de Mokolo, le 18 janvier 2015 (L’œil du Sahel, n°670,
2015). Le traumatisme psychologique provoqué par les tueries, enlèvements et attaques a
profondément inhibé les perspectives d’émancipation de la jeunesse de la localité de Mokolo.
Face à la fuite des jeunes qui cherchent refuge ailleurs, la vie associative connaît une crise
dans un contexte d’insécurité où tout regroupement est interdit par l’autorité administrative.
Les organisations telles l’Association des Jeunes du Village Oulad (AJEVOU) dans
l’arrondissement de Koza, l’Association Kwaouza Oudeu des jeunes producteurs d’arachides
de Mogodé ou la Cellule d’Appui aux Activités des Jeunes et des Femmes de la localité
frontalière de Tourou, souffrent du contexte d’insécurité et connaissent un ralentissement de
leurs activités dû à l’exode de leurs membres et à l’impossible mobilisation de nouveaux
adhérents.
-Ils sont ensuite en première ligne des stratégies de recrutement mises en place par les
adeptes de Boko Haram. Ici, sur l’étendue des territoires attaqués par Boko Haram, il se
dégage un paradoxe entre le départ massif des jeunes et le retour précipité de plusieurs
dizaines en provenance des zones insécures du Nigéria et d’autres localités camerounaises de
la frontière. Par rapport au départ, dans l’arrondissement de Mayo-Moskota, plusieurs
centaines de jeunes ont été enrôlés par Boko Haram. Jusqu’en septembre 2015, on
dénombrait dans le Canton de Achighachia près de 150 jeunes recrutés par Boko Haram.
Dans le Canton de Moskota, la situation est similaire avec une quarantaine de jeunes portés
disparus. Que ce soit à Zelevet-village, Tourou, Kérawa-Mafa ou Mabas, plusieurs dizaines
de jeunes identifiés sont reconnus appartenir, à de degrés différents, à la nébuleuse
islamiste.Si entre 2012 et 2014, les modes de recrutement se sont appuyés sur les solidarités
sociologiques transfrontalières et les liens commerciaux entre opérateurs de contrebande des
deux pays, ceux-ci ont connu des trajectoires de pénétration opportunistes. Dans la plupart
67
des cas, en particulier à Tourou, Mabas, Zelevet-village, les liens commerciaux antérieurs
fondés sur le recours concurrentiel de la contrebande ont favorisé l’adhésion des jeunes à
l’action de Boko Haram par une dotation d’argent et de motocyclette. A Achighachia, les
liens identitaires entre les communautés Mandara, Ganarbu et Mafa qui occupent de part et
d’autre la frontière entre le Nigeria et le Cameroun ont constitué le socle d’une adhésion des
jeunes, puis une collaboration opportuniste avec Boko Haram. L’enrôlement des jeunes des
zones frontalières au sein de Boko Haram résulte d’une réelle crise d’encadrement des
populations qui y vivent et constitue un obstacle majeur à l’émancipation des jeunes.
En ce qui concerne le retour, plusieurs jeunes sont retournés dans les villages, pourtant
abandonnés. Ces jeunes retournés, venus principalement des contrées voisines de Magadali,
Maiduguri ont fui la violence des assaillants de Boko Haram. Si l’arrondissement de Koza a
enregistré une évasion de près de six cents jeunes, 228 par contre sont retournés dans leurs
villages respectifs. A Mabas, Gossi et Karonthi, ce sont respectivement 27, 236 et 152 jeunes
qui sont retournés dans leurs villages d’origine. Cette situation de départ/arrivée des jeunes
n’est pas favorable à une dynamique de développement par les jeunes.
Une précarité croissante des populations hôtes, préjudiciable à la cohésion
sociale
La crise provoquée par les attaques de Boko Haram a, au-delà des populations déplacées,
accru la vulnérabilité des populations d’accueil. Celle-ci s’apprécie sur deux échelles :
-La détérioration continue des conditions de vie des populations d’accueil se présente comme
la première source d’atteinte à la cohésion sociale. Elle se situe au niveau des épidémies, de
l’insécurité alimentaire et de la malnutrition.Dans l’ensemble, on sait qu’avant la crise Boko
Harm, la Région de l’Extrême-Nord connaissait déjà une pauvreté structurelle due aux aléas
climatiques et aux faibles capacités de production. L’expansion de Boko Haram vers le
territoire camerounais dont les effets ont provoqué l’exode massif des populations, l’accueil
des réfugiés et déplacés et l’impossibilité de mener des activités agropastorales et
commerciales, a accru cette situation de précarité. Le dernier rapport de l’Institut National de
la Statistique établit que la Région de l’Extrême-Nord est la plus pauvre du Cameroun avec
74,3% de personnes étaient pauvres en 2014. La Région connaît une production alimentaire
annuelle 2014/2015 déficitaire de 41 000 tonnes. Certes, le département du Mayo-Tsanaga est
le seul dans la Région de l’Extrême-Nord à couvrir ses besoins alimentaires avec les
productions vivrières (MINADER, PNSA, 2015), il reste que le déficit observé dans les
autres départements affecte considérablement sa stabilité alimentaire.On constate aussi un
accroissement de la prévalence de la malnutrition aiguë chez les femmes et les enfants,
uneanémiechez les femmes de 15-49 ans (40%) et chez les enfants de moins de 5 ans (60%)
68
(Rapport DRSP/EN, 2014). L’insécurité due au phénomène Boko Haram va encore
augmenter le taux de mortalité infanto-juvénile déjà en hausse dans la région de l’Extrême-
Nord (191‰) par rapport aux autres régions. Le déplacement des populations s’accompagne
d’une désorientation traumatique qui empêche tout encadrement éducatif et sanitaire, mais
aussi favorisela traite de personnes ainsi que les pratiques culturelles néfastes surtout à
l’égard des femmes (AVLF, 2014).
- La difficile cohésion sociale dans et entre les communautés résulte de cette situation de
pauvreté continue. Faute de ressources nécessaires, les populations se livrent une compétition
qui fragilisent les liens sociaux. Les populations d’accueil rejettent les réfugiés et les déplacés
qui souhaitent accéder aux ressources pourtant insuffisantes. En plus, à l’intérieur des
communautés hôtes, les disputes, clivages et antagonismes antérieurs apparaissent, fragilisant
ainsi la cohésion sociale. Les pratiques de vol, de prostitution et autres activités illicites de
contrebande qui constituent pour les jeunes une alternative, sont aussi source de division et de
conflit. Tous les villages de la localité de Mokolo ayant subi les attaques de Boko Haram ont
enregistré une inflation des tensions entre communautés ou familles à cause des pratiques
illicites de certains jeunes et femmes qui ne peuvent plus mener les activités de production à
l’instar de l’agriculture, de l’élevage, du petit commerce.
Tableau 5 : Etat de la conflictualité induite par la crise sécuritaire de Boko Haram dans la
localité de Mokolo.
Village/
quartier
Groupes
ethniques
Conflits d’avant
crise
Impact des
déplacés/réfugiés Nouveaux conflits
Mofou Moufou,
Mafa, Guiziga Conflits
agropastoraux
Occupation/Envahissement
des espaces agricoles aux
quartiers Koriel, Djarindi
et Djeling de Moufou
-Conflits agropastoraux
-Conflits liés au vol de bétail Gawar
Hosséré
Gawar, Peul,
Mafa
Mofou
(Djeling)
Moufou, Peul,
Mafa, Guiziga Conflits de terrain
Intégration dans la
communauté d’accueil
-Tensions et conflits liés à
l’occupation des espaces de
commerce
Mavoumaï Mafa, Peul,
Kapsiki
-Conflits
agropastoraux
-Litiges fonciers
-Conflits de dot
-Occupation des espaces
agricoles et de pâturage
-Cession des espaces
litigieux
-Conflits autour d’espaces
cultivables
-tensions intercommunautaires
Mandaka Mafa
Peul
-Conflits
Agropastoraux
-Conflits liés au vol et
à la dot
-Tensions inter
ethniques
-Occupation des espaces
agricoles et de pâturages
-Destruction de la
végétation
-Conflits de terrains entre
cultivateurs et éleveurs à Mandaka
centre
-Tensions interethniques
Kossehone
Kapsiki, Peul,
Mafa,
Toupouri
-Conflits
agropastoraux
-Litiges fonciers
-Occupation des terres
agricoles
-Intégration dans la
communauté d’accueil
-Conflits agropastoraux
-Conflits nés du vol de bétail
-Disputes des terres pour habitation
Ldamtsaï
Goda
Mafa
Peul
-Conflit de pouvoir
entre communautés
-Conflits de terrain,
vol et dot
-Occupation des terres
agricoles par les déplacés
-installation d’éleveurs sur
les pâturages privés
-Conflits agropastoraux
-Tensions inter religieuses
Mayo
Legga
Peul, Woulla,
Mafa, Gawar,
-Conflits
agropastoraux
-Intégration dans la
communauté d’accueil
-Conflits agropastoraux
-Conflits d’accès à l’eau
69
Toupouri -Conflits de terrain -Conflits liés au vol de bétail
Mayo
Saganaré
Mafa, Peul,
Gawar,
Kapsiki
-Conflits
agropastoraux
-Conflits nés du vol
de bétail
Installation sur des espaces
agricoles et de pâturage
-Conflits agropastoraux
-Conflits liés au vol de bétail
Mokolo
(Mbiken)
Mafa, Peul,
Hide, Kapsiki
-Conflits sociaux
(dot, vol, litiges
fonciers)
Intégration dans la
communauté d’accueil
-Conflits liés au partage des
denrées alimentaires
-Rejet mutuel, disputes et rixes sur
personnes
Mokolo
(Tacha
Haman
Gawar)
Mafa, Hide,
Peul, Guiziga,
Kapsiki,
Moufou
-Conflits sociaux
(dot, vol, conflit de
logement)
Intégration des déplacés
dans la communauté du
quartier
-Installation anarchique sur
des espaces privés
-Recrudescence des vols et
agressions
-Disputes des espaces de commerce
-Disputes des denrées alimentaires
distribuées
Goraï Mafa, Gawar,
Peul
Conflits
agropastoraux
Occupation des parcelles
de terre agricoles
Conflits entre éleveurs et
agriculteurs au quartier Goraï
Foulbé
Djimeta
Mafa, Hidé,
Mabass, Peul,
Kapsiki
-Conflits
agropastoraux
-Conflits de familles
pour litiges fonciers
-Occupation des terres
agricoles
- envahissement des
pâturages par des éleveurs
déplacés
-Disputes des pâturages par les
éleveurs
-conflits de leadership pour le
contrôle des terres agricoles et de
pâturage
5.3.3 Les instances de médiation
La structure de médiation et de dialogue visant à maintenir et à promouvoir la paix dans la
localité de Mokolo se présente comme suit :
Une chaine du commandement traditionnel et coutumier encore prégnante
Elle repose sur le Lawan, le Chef de Canton, le Lamido). Le Lawan ou Djaouro, chef de 3e
degré, en est le principal artisan. Le processus de dialogue qu’il initie au niveau du village ou
quartier est la première réponse aux conflits locaux. Pour ce faire, il s’appuie sur une
assemblée constituée des notabilités et les sages du village ainsi que les parties en conflits. La
configurationde cette première instance de gestion des conflits est la plus répandue. On la
trouve dans presque tous les villages, même si quelques nuances sont observées dans d’autres
localités. Pour Hamma Bobbo, chef du village Mayo Saganaré et Matassaï Louis Marie, chef
du village Mavoumaï, la chefferie représente la première étape du processus de résolution au
niveau local qui pourrait, le cas échéant, s’étendre aux sages ou toute la communautédu
village. C’est l’étape ultime de l’assemblée du village. Ici, intervient ce que certains villages
sont convenus d’appeler le « comité des sages ». Il est constitué des notabilités et des sages
désignés par le chef qui l’aident à résoudre les conflits les plus complexes. Ces comités de
sages méritent une investigation plus profonde pour déterminer les équilibres de
représentativité qui fondent le consensus et la légitimité des résolutions qu’ils adoptent.
Une participation des femmes et des jeunes effective, mais pas déterminante
Dans l’ensemble, les femmes et les jeunes ne participent aux assemblées de
gestion/résolution des conflits que lorsqu’ils sont concernés. Ils se présentent dès lors comme
victimes, témoins ou accusés. C’est le cas des villages Moufou, Mandaka, Kossehone, Sarki
70
Fada, Goraï, etc. Mais cette posture de la représentativité marginale des femmes et des jeunes
connaît une amélioration progressive dans certaines chefferies. Le cas le plus significatif est
celui du village Gawar Hosséré qui est dirigé par une femme. Selon Hayak Mairamou, cheffe
de 3e degré de Gawar Hosséré, les instances de dialogue au village dépassent le cadre de la
chefferie et intègrent aussi les femmes et les jeunes. Ceux-ci assistent en témoins et prennent
aussi la parole selon les cas.
Une contribution toute relative des associations et comités locaux de
développement
Les associations constituées au niveau des villages ou de la ville de Mokolo œuvrent à la
gestion/résolution des conflits. Dans cette catégorie, on identifie les associations de solidarité
ou de production économique (GIC), les comités de développement local et les comités de
vigilance. Ces trois structures participent aussi des mécanismes de dialogue. Les associations
agissent lorsqu’un de leurs membres est concerné par un conflit ou lorsque le conflit se pose à
l’intérieur de l’association. Les comités de développement qui existent dans tous les villages
interviennent lorsque surviennent des conflits. Au niveau plus général, l’Association pour le
Développement du Mayo-Tsanaga (ADEMAT)s’investit dans les villages par la construction
des infrastructures de base (forages d’eau, salles de classe…) afin de réduire le niveau de
pression sur les ressources, cause importante des risques de conflits. D’autres structures à
l’instar de l’Association pour la promotion de l’excellence scolaire et universitaire dans le
Mayo-Tsanaga (APLESUMAT) et l’Association de Lutte contre les Violences faites aux
Femmes (ALVF) participent également à cet effort de cohésion sociale entre les
communautés par des campagnes de sensibilisation sur les droits des femmes de Minawao ;
Un effort à structurer de la radio communautaire (Echos des montagnes)
Créée en 2007 grâce à la coopération entre l’UNFPA et le Ministère de l’Agriculture, la radio
communautaire « Echo des Montagnes » constitue une réponse aux défis locaux. Son crédo
s’inscrit dans le champ de la santé reproductive et l’agriculture. L’Association « Voix du
Mayo-Tsanaga» qui en a la charge s’est déployée, entre autres, à renforcer la cohésion sociale
par une grille des programmes soucieuse de résoudre les conflits entre les communautés.Les
acquis de la radio sont :
- L’antenne est ouverte 7 jours/7 de 11 heures à 19 heures
- Une thématique programmatique qui couvre les domaines de la culture, santé,
économie, jeunesse, genre, religion, vie associative, commune, éducation.
- Des programmes en 10 langues nationales (Mafa, Mofou, Mandara, Kapsiki, Fulany,
Hina, Tchouvouk, Mofolé) portant sur les questions de société.
71
Cependant, la radio ne dispose pas de programme spécifique en rapport avec la
gestion/résolution de conflits, ni de spots de sensibilisation à la cohésion sociale.
Tableau 6 : Dispositifs de gestion/résolution des conflits dans la localité de Mokolo
Village/Quartier Instance locale de
gestion/résolution
Autres mécanismes de
résolution Facteurs limitants
Moufou (Djarindi)
-Chefferie de 3e degré Conseil à
palabre (chefferie + sages du
village)
-Leaders et relais
communautaires
-GICs de la SODECOTON
-Comités de vigilance
-Pasteur, Imam
-Groupements des femmes
-Faible compétence des
acteurs de médiation
-Faible structuration des
interventions
- faible participation des
jeunes et femmes
-inexistence de
plateforme de dialogue
-Faible capacité des
organisations endogènes
à la résolution des
conflits
-Certaines communautés
de déplacés ne disposent
pas de chef
Moufou (Koriel)
Moufou (Djeling)
Mandaka -Pasteur
-Imam
Radio communautaire Mandaka (Mbrom-
Galak)
Ldamtsaï Goda -Chefferie de 3e degré
-Comité des sages du village
-GIC des femmes, Eglise
-ONG (Plan Cameroun)
-Radio communautaire
Mayo Legga -Chefferie de 3e degré
-Comité des sages du village Radio communautaire
Mayo Saganaré -Chefferie de 3e degré
-Comité des sages du village Radio communautaire
Mokolo (Mbiken) Chefferie
- Pasteur, Imam
-GICs et Associations
-Radio communautaire
Mokolo
(Tacha Haman
Gawar)
Chefferie
-Comité de vigilance
-Relais communautaires
-Associations
(OPADERCAM)
Goraï Chefferie (Fada)
-Comité de développement
-Associations
-Radio communautaire
Djimeta (Mokolo) Chefferie -Sages du village
-leader religieux (Imam)
Gawar Hosséré
(Korchi)
-Chefferie 3e degré
-Comité des sages du village
-Comité de développement
-Associations des femmes et
des jeunes
Gawar -Chefferie 2e degré
-Comité des sages du village
-Comité de développement
-GICs et Associations
-Radio communautaire
Djalingo-Aviation Chefferie -Radio communautaire
Dans l’ensemble, on s’aperçoit qu’il existe des mécanismes de résolution des conflits au
niveau des villages. Ces dispositifs présentent les faiblesses suivantes :
- Les compétences des acteurs sont limitées dans le domaine de la négociation et de la gestion
des conflits ;
- Les acteurs qui interviennent dans ce domaine sont très peu structurés ;
- Les jeunes et les femmes participent à titre exceptionnel, en particulier lorsqu’ils sont
concernés directement par les causes ou les conséquences des conflits ;
- Les organisations locales ou extérieures qui appuient la gestion/résolution des conflits ne
sont pas outillées à cet effet ;
- Certaines communautés des déplacés n’ont pas de chef ou de représentant, d’où la difficulté
de les impliquer dans les processus de dialogue lorsque surviennent les conflits.
72
CHAPITRE 6 : CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Conclusion
L’inventaire analytique des conflits et des mécanismes de leur résolution dans l’extrême-nord
du Cameroun aboutit aux résultats suivants :
Les conflits à l’Extrême-Nord sont un élément structurant du fonctionnement social
des communautés. Ils sont prégnants dans toute la région.
La permanence et la récurrence des conflits sont liées aux facteurs historiques qui se
cristallisent sur les antagonismes fonciers et aux facteurs conjoncturels de contrôle du
pouvoir traditionnel et d’accès aux ressources vitales (parcelle de terre, l’eau,
poissons, des espaces de pâturage) surtout dans les zones à écologie fragile.
Les conflits sont ouverts, c’est-à-dire s’exprimant par des affrontements violents et
meurtriers. Ils sont aussi latents, s’exprimant sous la forme des tensions dontles
modalités les plus visibles sont la stigmatisation ethnique et religieuse, l’appropriation
exclusive des secteurs de production, l’alignement systématique sur la tribu en cas de
conflit, etc.
La cartographie régionale des conflits montre que des tensions sont enregistrées dans
toutes les localités où cohabitent des communautés séparées par l’identité tribale, la
religion, la division de l’activité (pastorale et agricole), les différences culturelles.
L’insécurité constatée dans les départements du Mayo-Sava, Mayo-Tsanaga et
Logone et Chari due aux attaques de Boko Haram a provoqué le déplacement massif
des populations et réfugiés. Cette nouvelle donne a créé de nouvelles formes de
conflits entre populations d’accueil et déplacées.
Dans les localités de Kousseri, Mokolo et Mora, les conflits opposent les
communautés ethniques différentes suivant une trajectoire de rejet mutuel. Ils
opposent également les membres d’une même communauté ethnique à l’échelle d’un
village, d’un quartier, d’un clan ou d’une famille.
Les conflits entre déplacés et populations d’accueil sont plus observés dans les
localités de Mokolo et Mora. La pression sur les ressources à l’origine des conflits
s’observe, non seulement entre les populations déplacées internes et les populations
hôtes, mais aussi entre les réfugiés et les populations voisines du camp de Minawaou.
La cohabitation entre populations déplacées et celles d’accueil autour des villes de
Mora et Mokolo se dégrade à mesure que dure la présence des déplacés.
73
La mesure sécuritaire qui interdit toute activité humaine sur le fleuve Logone entre le
Cameroun et le Tchad est entrain de provoquer une nouvelle crise humanitaire.
La présence durable des populations déplacées et des réfugiés génère une deuxième
génération de conflits sociaux dans les localités de Kousseri, Mora et Mokolo, qui se
manifestent par le rejet mutuel, l’augmentation des vols, des bagarres, des querelles
et, de plus en plus, des cas d’adultère imputés à tort ou à raison aux PDI et réfugiés.
Qu’ils soient localisés Mora, Mokolo et Kousseri ou ailleurs dans la région, les
conflits intercommunautaires connaissent une gestion cloisonnée et limitée à
l’intérieur de chaque communauté.
La gestion des conflits générés par l’insécurité entre les populations d’accueil et
déplacées se fait selon la chaine du commandement traditionnel (Lawan/Blama, Chef
de Canton, Sultan/Lamido) et peut, le cas échéant, être portée à l’attention de
l’autorité administrative locale.
Des dispositifs internes de résolution de conflits existent dans les chefferies
traditionnelles à l’échelle des villages/quartiers de Kousseri, Mora et Mokolo (justice
coutumière, réunions de conciliation, missions de bons auspices). Mais ils sont peu
efficaces parce que introvertis, non permanents et interviennent seulement après un
conflit ouvert.
Les institutions traditionnelles de gestion de conflits ne font partie d’aucune
plateforme de prévention, gestion et résolution des conflits à l’Extrême-Nord.
Il n’existe aucune plateforme permanente réunissant les acteurs concernés par les
conflits (autorités administratives, chefs traditionnels, chefs des communautés en
conflits, responsables techniques de l’Etat, organisations de la société civile,
associations de développement communautaires, élites…) qui pourrait prévenir et
résoudre à long terme les conflits.
Les organisations de la société civile spécialisées dans la gestion/résolution des
conflits n’existent pas dans les localités de Kousseri, Mora et Mokolo. Celles qui
agissent dans le développement socioéconomique restent encore parsemées et
fragmentaires avec un impact limité sur les vecteurs structurels des conflits.
Les associations ou comités de développement des communautés en conflit sont mal
outillés pour agir contre les conflits. Les initiatives prises se limitent à la
sensibilisation de leurs propres communautés.
Recommandations:
Les recommandations suivantes sont proposées, sur la base des conclusions de l'étude :
74
Les chefferies des quartiers/villages doivent être renforcées en compétences de
négociation, médiation et résolution des conflits. Elles doivent être réunies autour
d’une plateforme permanente de veille pour prévenir les conflits.
A Mora et Kousseri où il existe très peu d’associations, l’effort de structuration doit
être porté sur le leadership des chefs traditionnels en rapport avec d’autres forces
vives de la communauté. A Mokolo où le tissu associatif est étoffé, l’action de
structuration doit s’appuyer sur les chefs traditionnels, mais en y articulant la
contribution de la société civile.
L’organisation des ateliers de formation des leaders communautaires sur la résolution
pacifique des conflits. On pourrait mettre sur pied un réseau communautaire d’alerte
précoce et former des médiateurs expérimentés. Les mécanismes endogènes
d’identification pro active, de prévention et de gestion/résolution des conflits doivent
être renforcés afin de promouvoir une culture de paix.
Un plaidoyer doit être mené afin que tous les acteurs (Etat, Projet, ONG,
Organisations humanitaires, Comités locaux de développement) qui interviennent en
faveur du développement socioéconomique des localités sous crise intègrent dans
leurs agendas, le volet prévention/gestion/résolution des conflits. Un diagnostic
préalable devrait se faire en amont à toute intervention sur la sensibilité au conflit et le
« do no harm principle ».
Les radios communautaires (Echos des Montagnes, Kousseri FM, SAVA FM) doivent
être capacitées en ressources humaines spécifiques et en formation spécialisée sur la
prévention et la résolution des conflits ; accroître leur impact à travers la production et
la diffusion de programmes et des messages bien ciblés.
Les plateformes locales de médiation doivent être créées et mises en place (favoriser
le dialogue direct entre les acteurs ; fournir aux acteurs clés les outils et les techniques
leur permettant d’identifier, d’évaluer et de répondre aux problèmes récurrents dans
les situations de conflits, et en appuyant et facilitant le dialogue et les processus de
médiation ; structures d’alerte, de collaboration, de dialogue et de résolution pacifique
des conflits impliquant autorités traditionnelles, administratives, judiciaires, société
civile, leaders communautaires, les représentants des groupes de réfugiés et de
déplacés, les femmes et les jeunes).
Un Plan d’action de la jeunesse en faveur de la Paix, la Solidarité et la Fraternité doit
être mis sur pied à travers le renforcement des capacités des leaders de la jeunesse sur
le plaidoyer, la résolution pacifique des conflits, le leadership et la communication.
75
Les organisations féminines doivent être impliquées à travers la création des réseaux
de femmes pour la paix (formation aux stratégies de dialogue, de médiation, de
négociation, d’esprit d’équipe et de communication).
L’établissement des populations déplacées et réfugiées, dans des espaces inoccupés et
non mis en valeur, préparés et mis à leur disposition pour éviter la récurrence des
conflits entre les communautés hôtes et déplacées.
En général, une réforme foncière s’impose dans le sens de définir a priori des zones
spécifiques d’occupations en cas de crises destinées à l’habitat et aux activités de
production. De manière plus précise, les processus d’autonomisation des
communautés déplacées, par la cession des terres agricoles, doivent être encadrés par
les autorités traditionnelles et administratives avec l’appui des partenaires. Des
contrats devraient être établis pour préciser les conditions de cession des terres,
notamment pour ce qui est de la durée, des superficies, de la conservation des sols et
des espèces (faune, flore).
Le renforcement des capacités de la société civile, dans les domaines de l’appui à la
résilience des populations, de la structuration/visibilité/information des organisations,
de la formation technique et opérationnelle, de la recherche des financements et de
collaborationavec les partenaires locaux et internationaux, pour répondre aux
situations d’urgence et accompagner les populations sinistrées.
Les comités de vigilance nécessitent un encadrement technique lié au renforcement de
leurs capacités opérationnelles, un accompagnement dans la connaissance de la loi et
des limites qu’elle impose à l’étendue de leurs pouvoirs, une définition plus claire de
leurs statuts et de leurs liens institutionnels avec les communes, les organisations de la
société civile ou les partenaires au développement.
La mise sur pied des programmes spécifiques dans les écoles. En tant que lieu de
socialisation, l’école doit être sollicitée et mieux outillée pour se mettre au service du
multiculturalisme et travailler au rapprochement des cultures. Son potentiel
pédagogique doit être exploité pour anticiper et permettre l’avènement d’une société
où les communautés parviennent à échanger et à communiquer dans la longue durée.
Les collectivités territoriales décentralisées doivent être capacitées pour répondre
aussi aux besoins de prévention, gestion et résolution des conflits.
76
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79
LISTE DES INFORMATEURS
N° Noms et prénoms Qualité 1 MEKONDANE OBOUNOU ALBERT Préfet du Département du Logone et Chari
2 RAYMOND ROKSBO Préfet du Département du Mayo-Tsanaga
3 NARIKI PATRICE NOEL Premier Adjoint préfectoral du Département du Mayo-Kani
4 OUHE KOLANDI
Premier adjoint préfectoral du Mayo-Tsanaga, Sous-préfet par
intérim de l’arrondissement de Mayo-Moskota
5 BOUKAR MOUSSA Sultan de Kousseri
6 YACOUBA Mohamadou Mourtala Lamido de Mokolo
7 MBANG SAID MOUSTAPHA Sultan de Pouss
8 MIDIGUE TEKOA Chef de Canton de Mora Massif
9 DJIBRINE MATI Chef de la communauté Musgum de Kousseri
10 BLAMA ISSEINI Maire de Kousseri
11 IBRAHIM BOUKAR Maire de Maga
12 ZOKOM DAMIEN Maire de Mokolo
13 HALIDOU DEMBA Public Concern
14 ABDOULAYE MATH
Mouvement de la Défense des Droits de l’Homme et des
Libertés (Maroua)
15 HALIDOU DEMBA Public Concern
16 NGUIZAYA Chantal Présidente des réseaux des femmes du Mayo Tsanaga
17 ABDOULAYE DJIBRINE Pacific Logone Development/Kousseri
18 ALHADJI BOUKAR ACEEN/Maroua
19 Rév. HETECK SAMUEL
Association Camerounaise pour le Dialogue Interreligieux
(ACADIR)/Conseil des Eglises Protestantes du Cameroun
20 DJAGRA IBRAHIM Président régional du Conseil National de la Jeunesse du
Cameroun, Mora
21 DEBLEME EVELYNE Zamaï/Mokolo
22 BASSA Jean OPADERCAM/Mokolo
23 DJAKAYA Pascal Chef de Station Echos des Montagnes/Mokolo
24 HAMAN ELISABETH Animatrice FM Kousseri
25 ALI ATTI Organisation pour le Développement Communautaire en
milieu Rural et Urbain (ODCAMRU) Kousseri
26 FANGUET SUZANNE Mayo Tshaski/Mokolo
27 ZARA TELEGRI Regroupement des Artisans de l’Extrême-Nord (RAEN)
28 GONONDO Jeanne Gousda Plaine/Mokolo
29 ATTA Epouse BARA MADELEINE
Union des GIC DRI-Maraîchers et Riziculture de
Kawadji/Kousseri
30 KADAKKA Resba
Associations des vendeuses de poissons, (LAMARDJI),
Kousseri
31 HABIBA Bachir GIC de la Paix, Kousseri
32 MOUSSA MAGRA Membre de l’Association Culturelle Mousgoum/Kousseri
33 EVELE SASSOUANG Membre de L’ l’Association Culturelle Mousgoum/Maroua
34 MAHAMAT ZIBRINE Ancien Président de L’EC SAO
35 AMINE ADAM ALKALI Ancien Secrétaire Général de l’AC SAO
36 LUCAS ISAC Chef de la communauté des réfugiés de MINAWAOU
37 ASTA DJAORO Chef communauté déplacés de Sehada/Kousseri
38 ISSA AHMAD Chef communauté déplacés de Malack/Kousseri
39 YAYA KAWA Chef du village Goraï (Mayo-Tsanaga)
40 DELI LTAFTOU Cheffe du village Gawar Hosséré
41 HAMMA BOBBO Chef du village Mayo Saganaré
42 BOUBA ABDOULAYE Chef du village Djalingo-Aviation
43 OUMAROU ARDO BOUBA Chef du village Djimeta
44 HAYAK MAÏRAMOU Chef du village Korchi
45 MATASSAÏ LOUIS-MARIE Chef du village Mavoumaï
46 ZRA NDJIDDA Chef du village Kossehone
80
47 SAÏDOU YATA Chef du quartier Tacha Haman Gawar (Mokolo)
48 SALI MEDEGUE Chef du quartier Mbiken (Mokolo)
49 DEMNEO VELE Chef du village Ldamtsaï (Goda)
50 NDOUKONA KOUDAMA PIERRE Chef du village Mandaka
51 YAYA Chef du village Mofou (Djeling)
52 KODA Chef du village Mofou (Djarindi)
53 JEAN-PIERRE Chef du village Mofou (Koriel)
54 MAHAMA CHETIMA LAMINE Chef du village Galbi (Mora)
55 BOUKAR MALLOUM Chef du village Igagoua I
56 VADAWA SILACE Chef du village Amtchali Fiké
57 BOUKAR MAHAMAT ALI Chef du village Fiké I
58 ABDOUL TIGA KIARI Chef du quartier Mora-ville
59 ABBA MALLOUM Chef du quartier Chefferie
60 DABOU ALHADJI Chef du village Walade I
61 OUMATE ABBA Chef du village Walade III
62 SANDA Représentant du Chef du quartier Guiziga
63 AZABE MAHAMA Chef du village Kourgui
64 BRAHIM Chef du village Kourgui Talla Massama
65 ABBA KOLA Chef du village Kourgui Talla Abba Kola
66 CHETIMA Chef du village Pivou
67 BOUKAR KOURFET Chef du village Djamakia
68 MALLA SALI Chef du village Sérahadia
69 ADJIGRE KILLA Chef du village Pont-Sava
70 ADAMA OUMATE Chef du village Séradoumda
71 OUMATE Chef du village Walade II
72 MAHAMAT MAHAMAT Chef du village Masssaki I (Kousseri)
73 MOUSSA KARAGAMA Chef du village Adjaine 1
74 ABDOURAHMANE SALE Chef du village Adjaine 2
75 ASSANA MOUNDJI Chef du village Seheda
76 DIGUE ABOUNA ABADAM Chef du village Ridjil-Kotoko
76 HASSAN APINFOUNG Chef du village Ridjil-Mousgoum 1
77 MAHAMAT KACHALLA Chef du village Massaki 3
78 MODOU ABBA Chef du village Hazaraye
79 IDRISS BADJOUNGUE Chef du village Ngouzo
80 TARDOEUDJE DOUNIA Chef du quartier Djambal-Bar
81 KALIA ABANA Chef du village Mainane
82 OUSMANE ABAKAR Chef du quartier Madagascar
83 VOCKAI GRING MADI Chef du quartier Lacka
84 NDOUTA ZAKARI Chef du village Madana
85 IVIC ALGAFONE Chef du village Kawadji
86 HAMID MADI Chef du village Massil Al Kanam 87 MAHAMAT EMAT Chef du village Malack
88 HLANANKAÏ PAUL Chef du village Wadang
89 ELI ADOUM Chef du village Arkis
90 HISSEINI ABDOULAYE Chef du village Koumboula
91 HESSANA EMAT Chef du village Ndjagaré
92 MAHAMAT HAMET Chef du village Ibou
93 HISSEINI DARKADRE Chef du village Amchidiré
94 GARBA MAHAMAT Chef du quartier Kousseri-Centre
95 ABOUNA HISSEINI Chef du village Ngamadja
81
ANNEXES
GUIDE D’ENTRETIEN A L’INTENTION DES AUTORITES
ADMINISTRATIVES ET TRADITIONNELLES
Propos Liminaire
Dans le cadre du Plan de relèvement précoce des communautés victimes de la crise
sécuritaire, le PNUD et l’UNESCO initient une étude socio-anthropologique dans la
Région de l’Extrême-Nord. L’objectif est de comprendre la nature et la forme des
conflits en vue de créer/renforcer les mécanismes de prévention, gestion et
résolution des conflits dans et entre les communautés. Merci d’avance de votre
contribution au succès de cette étude.
1) Quelles sont les communautés qui vivent et cohabitent dans votre localité ?
2) Quels types de conflits connaissent-elles ?Quelle en sont les causes ?
3) La présence des réfugiés et communautés déplacées a-t-elle modifié la forme des
conflits ?
4) Comment se manifestent les nouveaux conflits dus à la présence des réfugiés et
personnes déplacées internes ?
5) Existe-t-il un cadre permanent de prévention et de résolution des conflits ?
6) Qui en sont les principaux initiateurs et participants ?
7) Quelles sont les techniques qui sont utilisées dans ces instances de paix?
8) En tant autorité (Préfet, Sous-préfet, chef traditionnel), comment se présente votre
contribution à l’effort de résolution des conflits dans cette localité ?
9) De manière générale, quelles autres actions de l’Etat sont menées en faveur du
retour à la paix ?
10) Bénéficiez-vous d’appuis (ressources, formation, cadre) provenant des organisations
et associations ?
11) Quels sont les résultats de ces actions de prévention, gestion et résolution des
conflits dans votre localité ?
12) Quelles propositions ferez-vous pour renforcer les mécanismes déjà existants de
résolution des conflits dans votre localité ?
82
GUIDE D’ENTRETIEN A L’INTENTION DES CHEFS DES
COMMUNAUTES DEPLACEES
Propos Liminaire
Dans le cadre du Plan de relèvement précoce des communautés victimes de la crise
sécuritaire, le PNUD et l’UNESCO initient une étude socio-anthropologique dans la
Région de l’Extrême-Nord. L’objectif est de comprendre la nature et la forme des
conflits en vue de créer/renforcer les mécanismes de prévention, gestion et
résolution des conflits dans et entre les communautés. Merci d’avance de votre
contribution au succès de cette étude.
01) De quelle communauté déplacée vous êtes le chef ?
02) D’où venez-vous ? et pourquoi ?
03) Quelles sont les communautés que vous avez rencontrées dans cette localité ?
04) Quels types de conflits connaissez-vous dans la cohabitation ?
05) Quelle est la cause de ces conflits ?
06) Comment les gérez-vous quand ils surviennent ?
07) Existe-t-il un cadre permanent de prévention et de résolution des conflits avec les communautés d’accueil?
08) Qui en sont les principaux participants ?
09) Quelles sont les techniques de médiation qui sont utilisées dans ces instances ?
10) En tant chef d’une communauté déplacée, comment agissez-vous en cas de conflits avec d’autres communautés ?
11) Quels sont les résultats de ces actions de prévention, gestion et résolution des conflits dans votre localité ?
12) Quelles propositions ferez-vous pour renforcer les mécanismes déjà existants de résolution des conflits dans votre localité ?
83
GUIDE D’ENTRETIEN A L’INTENTION DES RESPONSABLES
DE LA SOCIETE CIVILE ET ASSOCIATIONS DE
DEVELOPPEMENT
Propos Liminaire
Dans le cadre du Plan de relèvement précoce des communautés victimes de la crise
sécuritaire, le PNUD et l’UNESCO initient une étude socio-anthropologique dans la
Région de l’Extrême-Nord. L’objectif est de comprendre la nature et la forme des
conflits en vue de créer/renforcer les mécanismes de prévention, gestion et
résolution des conflits dans et entre les communautés. Merci d’avance de votre
contribution au succès de cette étude.
01) Quelles sont les communautés qui vivent et cohabitent dans cette localité ?
02) Quels types de conflits connaissent-elles ?
03) Comment êtes-vous intervenu dans la résolution des conflits dans cette localité ?
04) Comment les communautés ont-elles l’habitude de gérer les conflits internes et avec les autres communautés ?
05) La présence des réfugiés et communautés déplacées a-t-elle modifié la forme des conflits ?
06) Comment se manifestent les nouveaux conflits dus à la présence des réfugiés et personnes déplacées internes ?
07) Existe-t-il un cadre permanent de prévention et de résolution des conflits ?
08) Concrètement, qu’avez-vous apportez à la structuration des communautés dans la gestion des conflits ?
09) Quelles sont les techniques de médiation qui sont utilisées dans ces instances ?
10) Quels sont les résultats de ces actions de prévention, gestion et résolution des conflits dans votre localité ?
11) Quelles propositions ferez-vous pour renforcer les mécanismes déjà existants de résolution des conflits dans votre localité ?
84
QUESTIONNAIRE ADRESSE AUX MEMBRES DES
COMMUNAUTES D’ACCEUIL ET DEPLACEES
Propos Liminaire
Dans le cadre du Plan de relèvement précoce des communautés victimes de la crise
sécuritaire, le PNUD et l’UNESCO initient une étude socio-anthropologique dans la Région de
l’Extrême-Nord. L’objectif est de comprendre la nature et la forme des conflits en vue de
créer/renforcer les mécanismes de prévention, gestion et résolution desdits conflits dans et
entre les communautés. Ce questionnaire vous est adressé pour une cause d’utilité
publique. Merci d’avance de votre contribution au succès de cette étude.
I- IDENTIFICATION
i. Age :…………………………………….
ii. Statut Matrimonial : Célibataire
Marié (e) Veuf (ve)
Divorcé(e)
iii. Religion : Chrétien(ne)
Musulman(e) Autre (à préciser)…………
iv. Localité…………………………………… Département …..………………..
II- CONFLITS LIES A L’INSTALLATION DES COMMUNAUTES DEPLACEES
1. Quelles sont les communautés qui vivaient dans cette localité avant l’établissement des
déplacés ?
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.....................................................................................................................................................
2. Quels sont les types de conflits qu’on rencontre dans votre localité/communauté avant ?
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3. Est-ce que l’installation des personnes déplacées dans cette localité a augmenté le nombre
de conflits ?
Si oui, pour quelles raisons ?
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4. Quelles sont les causes de ces conflits ?
5. Comment se manifestent-ils ?
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6. Quels sont les principaux acteurs et les villages/quartiers concernés par ces conflits ?
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7. Quelle est la fréquence des conflits identifiés dans votre localité ?
Régulier Saisonnier
Souvent Rare
Partage de terre
Agro-pastoral Conflit de pouvoir
Envahissement de l’espace vital
Frictions religieuses Autres………………………….
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III- MECANISMES DE PREVENTION, GESTION ET RESOLUTION DES CONFLITS
8. Avant la présence des déplacés, comment sont gérés les conflits lorsqu’ils surviennent à
l’intérieur de votre communauté?
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9. Maintenant que vous cohabitez avec d’autres communautés (d’accueil ou déplacée),
comment gérez-vous les conflits qui vous opposent à une autre communauté ?
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10. Dans ce cas, existe-il une instance de dialogue pour résoudre ces conflits ?
Si oui, comment l’appelle-t-on et comment fonctionne-t-elle ?
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11. Qui est l’initiateur de cette instance ? quels autres acteurs participent ?
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12. Quel est le rôle des différentes autorités locales ?
- Les Préfets/ sous-préfets…………………………………………………………………………………………………
- Les chefs des villages………………………………………………………………………………………………………..
- Les chefs des communautés déplacées…………………………………………………………………………….
- Les chefs religieux…………………………………………………………………………………………………………….
- Autres………………………………………………………………………………………………………………………………
13. Est-ce que les femmes et les jeunes participent à cette instance de dialogue ?
Si oui, comment ?
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14. Les initiatives de résolution des conflits ont-elles permis de ramener la paix au sein de vos
communautés?
Si oui,
pourquoi ?....................................................................................................................................
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Si non, Pourquoi ?
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15. Que voulez-vous qu’il soit fait pour améliorer les mécanismes déjà existants afin de
renforcer la paix et la cohésion sociale au sein et entre les communautés ?
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