Compte-rendu
" La logistique 4.0"
Mercredi 1er Février 2017
Chaire E.Leclerc / ESCP Europe
"Prospective du
commerce dans la société 4.0"
PETITS-DEJEUNERS DU COMMERCE 4.0.
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" La logistique 4.0 "
Experts réunis pour en débattre :
Pr. Eric Ballot
Pr. Aurélien Rouquet
Et Dr. Chloé Voisin-Bormuth (La Fabrique de la Cité)
Eric Ballot est professeur à Mines Paris Tech (Chaire logistique) et co-auteur de l’ouvrage
"L’internet physique : le réseau des réseaux des prestations logistiques“
Aurélien Rouquet est professeur à NEOMA Business School
Chloé Voisin-Bormuth est docteur en géographie et sociologie, et responsable des études à la
Fabrique de la Cité. La Fabrique de la Cité est un Think Tank sur les transitions et innovations
urbaines
En présence de Michel-Edouard Leclerc (Président des Centres E.Leclerc et Président
de la Chaire E.Leclerc/ESCP Europe) et du Pr. Olivier Badot (Doyen à la recherche à ESCP
Europe et Directeur scientifique de la Chaire) pour animer, étayer et approfondir le
débat.
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Pour la 3ème édition des Petits-Déjeuners du Commerce 4.0, la Chaire E.Leclerc / ESCP
Europe a fait appel à trois éminents spécialistes pour débattre des principaux enjeux et
chantiers logistiques à l’ère numérique. Chercheurs, étudiants, professionnels et acteurs du
secteur, ils étaient plus de 170 à prendre part à cette matinée d’échange.
Compte-rendu des temps forts en textes et en images…
La logistique, une fonction stratégique et transversale
L’intérêt pour la logistique a longtemps été focalisé sur ses aspects opérationnels ou
fonctionnels. Aujourd’hui, cette fonction surpasse graduellement son rôle « support » pour
se positionner au cœur de la stratégie des entreprises et des pouvoirs publiques.
Après une présentation de la Chaire, Michel-Edouard Leclerc apporte son témoignage à ce
sujet. En sa qualité de Président d’une enseigne de distribution qui compte 600
entrepreneurs et plus de 120 000 salariés, il assure que la logistique est une fonction clé, et
qu’à ce titre, elle se doit d’être interfacée avec les autres fonctions de l’entreprise (la
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production, le commercial, le marketing, …) ainsi qu’avec les clients, les fournisseurs et les
autres partenaires.
Une intensité logistique croissante mais une capacité logistique en
grande partie sous-exploitée
Dans leur grande majorité, les réseaux logistiques sont disparates et fragmentés.
Aujourd’hui, il existe une multitude de marchands et à un foisonnement de canaux ayant des
réseaux logistiques principalement dédiés. Il en résulte « un effondrement du point médian,
car la quantité qui transite pour chaque client par chaque réseau diminue » regrette le Pr.
Eric Ballot. Cette situation est accentuée par un taux de remplissage des poids lourds estimé
à 60-65 % et ce pourcentage est bien plus bas pour les véhicules légers. Il y a peu de
statistiques concernant les kilométrages à vide et le taux de remplissage des entrepôts, mais
les chiffres disponibles ne sont pas encourageants non plus.
Or, à l’heure où l’intensité logistique croit dans l’économie (notamment via la spécialisation
des usines, la globalisation, l’accélération des flux, le développement durable, ...), il est
crucial de rapprocher ses réseaux fragmentés, contraste le Pr Eric Ballot.
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Recombiner des flux atomisés avec l’efficacité globale
Pour tenter d’équilibrer les objectifs économiques fixés par les avancées logistiques avec les
enjeux environnementaux et sociétaux, le Pr Eric Ballot préconise une démarche systémique.
« Au lieu de mettre davantage de pression sur les transporteurs, nous proposons une autre
organisation de travail en leur fournissant un autre cadre » explique le Pr. Eric Ballot, avant
d’introduire un concept innovant qu’il a théorisé aux côtés de deux autres chercheurs :
« l’Internet physique ».
En s’inspirant du modèle de la grande toile qu’est Internet, ces experts ont conçu un
écosystème logistique ingénieux qui permettrait l’interconnexion des prestations logistiques
à échelle mondiale.
Comme le montre le visuel ci-haut, il s’agit de détecter les nœuds logistiques et de
mutualiser les flux grâce à des « routeurs » ou des à « hubs » générant des circuits plus
optimisés.
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Selon les expérimentations, l’intégration de cette méthode aurait une incidence positive sur
le taux de remplissage des véhicules de transport de marchandises (+35%), sur la baisse des
émissions de CO2 (jusqu’à -60%) et une réduction des kilomètres parcourus (- 15%). « Le tout
en gardant la même qualité de service » se félicite le Pr. Eric Ballot.
L’internet physique : le futur de la logistique ?
Pour son théoricien, ceci est une question de temps avant que l’Internet physique ne
révolutionne la logistique. C’est une transition des économies d’échelle vers des économies
de réseaux. « Répondant aux défis de précision, de traçabilité, de flux unitaires et concilié
d’une empreinte environnementale, l’Internet physique est une réponse systémique
compatible avec les aspirations de tous les acteurs, notamment en gain de productivité et de
déploiement de chaînes d'approvisionnement plus efficaces et plus durables. »
Avec ses arguments de poids, et malgré les différentes contraintes et appréhensions, le
concept suscite un intérêt croissant et des projets précurseurs ont déjà vu le jour dans
différents domaines.
Parmi les plus à la pointe, on retrouve la plateforme technologique européenne sur la
logistique (ALICE), la marketplace Flexe aux Etats-Unis ou encore le projet Mix Move Match
en Norvège, qui visent à condenser et à mutualiser les flux. En France, les Centres de
Routages Collaboratifs (CRC) ont pour vocation de consolider de manière dynamique des
camions multi-industriels pour des multi-distributeurs. Un centre de recherche dédié a
également vu le jour en Chine.
Le consommateur logisticien : atout de la supply chain 4.0 ?
« Le rôle du consommateur a longtemps été omis du débat logistique » constate le Pr.
Aurélien Rouquet. Cependant, le client a toujours été une ressource logistique. « Le business
model d’Ikea repose sur le fait de faire entrer le consommateur dans un entrepôt » illustre-t-
il. En se déplaçant dans le magasin pour récupérer l’article, l’acheminer jusqu’à son domicile
pour le monter par la suite, les clients deviennent des partenaires logistiques à part entière.
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Le « transfert d’activités logistiques » au consommateur par la grande distribution et le
développement de libres services s’apparentent également à ces pratiques poursuit-il.
La répartition des rôles logistiques : une stratégie win-win
A l’ère numérique, les frontières entre consommateurs, distributeurs et marques tendent à
s’estomper. La généralisation de l’accès à Internet et de l’usage des smartphones et autres
devices ont d’autant plus favorisé ces points de contacts. « Grace au digital, on a une
connexion plus forte des consommateurs et davantage de possibilités dans les schémas
logistiques existants […]. Ainsi, il est désormais plus simple d’intégrer les clients et d’en faire
des acteurs à part entière du commerce et de la logistique » développe le Pr. Aurélien
Rouquet.
Sur la base de recherches et d’expérimentations menées dans le secteur de la grande
distribution alimentaire, il relève 4 types de rôles logistiques principaux pour le client : le
client logisticien, le client transporteur, le client cariste et enfin le client servi, l’implication
étant fonction du transport final des produits croisé au temps de préparation de la
commande.
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Les principaux rôles logistiques des clients dans la distribution
Ainsi la logistique n’est plus uniquement un poste de coût mais également une source de
profit pour les entreprises.
Cette matrice de classification ne va pas sans soulever plusieurs questionnements, auxquels
les entreprises ont tout intérêt à s’intéresser précise le Pr. Aurélien Rouquet. Entre autres :
comment motiver les consommateurs à accepter ces rôles ? Comment les accompagner et
les former pour les accomplir ? Ou encore quelle segmentation logistique de ces
consommateurs ?
Du côté du consommateur, plusieurs avantages peuvent être mis en avant : le premier est
d’ordre économique, car en échange de sa contribution aux activités physiques, les prix des
produits seront moins chers. Le gain de temps peut être un facteur déterminant également
ou encore dans une perspective de satisfaction personnelle pour réaliser soi-même des
prestations. Le Pr. Aurélien Rouquet image les deux derniers leviers dans un continuum à
deux extrémités : d’un côté « Usain Bolt », de l’autre « Pokémon Go ».
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Un client intégré, activable et qui tend à s’autonomiser
En conséquence de l’intégration croissante du consommateur dans les schémas
commerciaux traditionnels, ce dernier est en phase de devenir un logisticien aguerri.
Le Pr. Aurélien Rouquet expose les principaux enjeux qui se profilent, notamment
l’opportunité d’activer le client pour délivrer des prestations logistiques et commerciales.
Conscients de ces opportunités, plusieurs acteurs ont créé des startups proposant des
services de « crowd-logistics ». Avec les Pr. Valentina Carbone et Christine Roussat, 4 grands
types de services ont été identifiés : le stockage (caves, garages, …), la livraison nationale
(sorte de blablacar du colis), le transport international (fournit des services d’expédition de
fret), puis la livraison locale. « Si certains services restent de niche et ne seront pas
bouleversés, d’autres segments s’avèrent disruptifs ».
Favorisée par la digitalisation de la consommation, cette chaîne vertueuse permet au client
de « s’autonomiser par rapport aux formes de commerce traditionnel ».
Parmi les illustrations les plus manifestes on retrouve la « logistique de pair à pair ». « La
livraison locale a vu émerger des acteurs comme Deliveroo, Postmates ou Instacart »
développe le Pr. Aurélien Rouquet. Au sein des plates-formes collaboratives, apparentées au
« crowd-driven logistics », comme « La Ruche qui dit oui » ou « La louve », les
consommateurs établissent un lien direct avec les producteurs. Il poursuit que, grâce aux
compétences logistiques acquises, le consommateur se positionne comme producteur à part
entière. « A terme, ces acteurs peuvent mettre en péril l’existence des distributeurs
actuels ! » s’exclame-t-il.
En définitive, nous assistons aujourd’hui à une « logistisation de la consommation » où le
client final devient un partenaire actif et non plus un simple receveur de valeur.
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La logistique urbaine : un contexte contraignant mais des signaux
encourageants
Après avoir abordé la logistique 4.0 sous l’angle de l’entreprise et celui du consommateur,
c’est au tour de Chloé Voisin-Bormuth (La Fabrique de la Cité) de présenter comment la ville
du 21e siècle peut réinventer sa logistique.
Avant cela, elle dresse le même constat établit par les interventions précédentes, selon
lequel la logistique urbaine n’était pas mieux lotie par le passé que ces consœurs en termes
d’intérêt et de moyen mobilisés. Pire, cette dernière était marginalisée et quasi absente des
débats publics et sociaux, mettant ainsi les villes à la traine vis-à-vis de la révolution digitale,
des tendances de globalisation des échanges, des enjeux de développement durable mais
aussi face à des consommateurs de plus en plus connectés, autonomes et exigeants.
« Aujourd’hui, la situation est tout autre, se félicite Chloé Voisin-Bormuth, la logistique
urbaine revient sur le devant de la scène. Elle cesse progressivement d’être le point mort des
stratégies urbaines pour devenir un fait consubstantiel à la ville ».
Elle en profite pour compléter les chiffres et les statistiques évoqués par le Pr. Eric Ballot, et
qui justifient les raisons pour lesquelles la logistique urbaine devient incontournable dans
l’agenda urbain.
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Les 3 scénarios pour imaginer la ville de demain
Dans une volonté de promouvoir et d’alimenter la réflexion des divers acteurs autour des
enjeux et des problématiques de la logistique urbaine, la Fabrique de la Cité a réuni
chercheurs, praticiens, collectivités territoriales, urbanistes,… afin de dessiner les tendances
qui se profilent et pallier le manque de visibilité en la matière.
« 3 scénarios prospectifs ont éclos suite à ce design thinking » affirme Chloé Voisin-Bormuth.
Elle les présente à l’audience en illustrant à chaque fois avec les villes les plus proches de ces
projections. Il en ressort :
1er scénario : la ville plateforme
Qualifié de scénario de l’ambition, car la collectivité reprend la main sur la logistique urbaine
et arrive à la réorganiser sur son territoire, notamment grâce au concept de « concession
logistique locale».
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Suites aux différents constats relatifs au contexte contraignant (réglementations rigides,
complexité des usages, capacité logistique sous-exploitée…), ce scénario prévoit – dans sa
forme idéale – de transformer les contraintes en opportunités. Les données riches et ciblées
collectées par les acteurs serviront comme base fertile à la réflexion et convertiront la ville
en véritable « hub logistique » grâce à l’exploitation optimale de la Data.
C’est la ville de Londres qui a le plus inspiré ce modèle innovant. En adoptant une politique
de distribution centrée sur le port, une logique de massification des flux grâce au « centre de
consolidation des matériaux de chantiers », et en délimitant une « low emission zone »,
Londres a trouvé une formule gagnante pour réinventer sa logistique urbaine.
Barcelone n’est pas en manque puisqu’avec la « gestion dynamique de la voirie » qu’elle a
opérée, la ville a traité l’une des problématiques clés des métropoles.
2e scénario : « la ville service »
Dans cette perspective, la ville place la satisfaction du « citadin/consommateur » au cœur de
ses préoccupations. On y retrouve un « consommateur logisticien » en puissance car ce
dernier impulse les changements et y contribue, incitant les acteurs privés à raisonner dans
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une logique « à la demande » et de personnalisation. Pour ses raisons ce scénario est qualifié
de « business as usual ».
Le port de Hambourg cristallise une grande partie de cette vision puisqu’il constitue « une
plate-forme multimodale et automatisée » et un espace hautement productif.
Pour maximiser les effets de telles initiatives, la Fabrique de la Cité introduit le concept
d’«entrepôt mobile » qui supporterait la mutualisation et la rationalisation de la chaine
d’approvisionnement et permettrait des gestions plus dynamiques des stocks, au plus près
du consommateur, limitant les conflits et favorisant les synergies avec d’autres fonctions de
la ville.
3e scénario : la ville territoire
Ce dernier scénario marque la rupture avec les circuits linéaires de consommation et de
distribution au profit d’une ville experte, où tous les acteurs seront mobilisés pour mettre en
œuvre des circuits courts et une économie circulaire.
Les fermes verticales ou en hydroponie au Canada en sont un aperçu. Egalement, La ville de
Detroit qui en pleine crise économique a été dans l’urgence de mettre en place un nouveau
modèle post-industriel qui repenserait l’ensemble de son système logistique afin de produire
localement et de recycler à l’initiative d’associations citoyennes.
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Le concept associé à ce scénario est celui du « cycle de vie étendu ». « En termes de
résilience, conclut Chloé-Voisin-Bormuth, il s’agit de développer des boucles courtes de
valorisation par l’intermédiaire des tiers-boutiques et des systèmes de collecte de données
grâce aux solutions numériques. »
Pour plus d’éclairages sur le sujet de ces scénarios, le site internet de la Fabrique de la Cité
permet de retrouver l’ensemble de leurs travaux précurseurs (www.lafabriquedelacite.com).
Ce Petit-Déjeuner s'est terminé par une session de questions-réponses pendant laquelle de
nombreux participants ont pu poursuivre le débat avec les orateurs.
Le mot de la fin revenait à Michel Edouard-Leclerc qui a rappelé l'importance d'être agile et
extrêmement réactif dans un contexte évolutif et incertain. Avant de conclure : « la
logistique est un secteur d’avenir à investir. C’est la clé de la performance de demain. C’est
elle qui fait et fera la différence dans le calcul de la valeur d’une enseigne ».
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Les prochains « Petits-Déjeuners du Commerce 4.0 »
A l’aune de ces mutations sans précédent, il est plus que jamais nécessaire d’en considérer
l’ampleur, la portée et la complexité. Les prochains rendez-vous s’inscrivent dans la même
lignée et tentent d’apporter une vision transversale et prospective dans des domaines clés
du commerce de demain.
Ces rencontres sont gratuites et ouvertes à tout public sur inscription. Vous êtes
cordialement invités à y assister. Alors à vos agendas !
• 1 mars 2017 :
Les stratégies et mécanismes des plateformes numériques dans la société 4.0
• 5 avril 2017 :
La co-construction de l’expérience shopping
• 3 mai 2017 :
Droit et régulation de l’“uberisation”
• 7 juin 2017 :
Les modèles économiques de la société 4.0 : vers une grande rupture
Contact : [email protected]
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